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Version finale

28th Legislature, 3rd Session
(February 20, 1968 au December 18, 1968)

Thursday, December 5, 1968 - Vol. 7 N° 98

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Onze heures huit minutes)

M. LEBEL (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre, messieurs I

Présentation de pétitions. A l'ordre I Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus. Présentation de motions non annoncées. Présentation de bills privés. Présentation de bills publics.

M. BERTRAND: D.

Bill 88

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre propose la première lecture de la Loi de l'université du Québec.

L'honorable premier ministre.

M. LESAGE : Ce n'est pas ce bruit qui enterrera votre défaite d'hier.

M. BERTRAND: Ah! mon Dieu! DESVOIX: Ah! Ah!

M. BELLEMARE: Vous faites pitié ce matin.

M. LESAGE: Après la défaite cuisante que vous avez subie hier, vous avez l'air de gens qui sifflent devant le cimetière.

M. BELLEMARE: Vos prophéties ne se sont pas avérées bien justes. Vos grandes prophéties!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! M. LESAGE: C'est effrayant. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BELLEMARE: C'est se donner un bien mauvais air.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je pense que...

M. LESAGE: Vous rêvez en rose.

M. BELLEMARE : C'est rare qu'on vous voie rire en grimace.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: Le ministre du Travail n'est même pas capable de sourire, ce matin.

M. BELLEMARE: Ah oui! Ah oui! M. LESAGE: Cela force!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! J'ai l'impression que les membres de la Chambre ont mal compris l'article que j'ai appelé.

L'honorable premier ministre.

M. BERTRAND: Le projet que je propose crée l'institution de l'université du Québec. Cette université, qui sera un organisme cadre, groupera les universités constituantes, instituts de recherche et écoles supérieures que le gouvernement pourra constituer à la demande de l'université. Elle pourra également grouper les autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche que le gouvernement pourra lui intégrer avec son approbation, après qu'elles en auront fait la demande.

L'université du Québec, de même que les universités constituantes, aura pour objet l'enseignement supérieur et la recherche. Elles devront, notamment, dans le cadre de cet objet, contribuer à la formation des maîtres.

L'université du Québec sera dirigée par l'Assemblée des gouverneurs, qui comprendra le président de l'université, nommé pour cinq ans par le gouvernement; le recteur de chaque université constituante; trois personnes choisies parmi les directeurs des instituts de recherche et des écoles supérieures; trois professeurs et deux étudiants des universités constituantes, instituts de recherche et écoles supérieures, choisis respectivement par les professeurs et par les étudiants; trois personnes nommées après consultation des associations les plus représentatives du milieu des affaires et du travail et, au plus, quatre vice-présidents de l'université du Québec désignés par l'Assemblée des gouverneurs.

L'Assemblée des gouverneurs pourra adopter des règlements généraux régissant l'administration des universités constituantes, des instituts de recherche et des écoles supérieures. Le défaut par ces institutions d'obtenir les approbations qui y sont exigées pourra entraîner la nullité des contrats qui n'auront pas été soumis à ces approbations.

L'université comprendra un conseil des études, une commission de planification, ainsi que toute autre commission qu'elle jugera à propos de constituer. Le conseil des études, présidé par le président de l'université, comprendra le recteur de chaque université ou son représentant;

quatre membres des cadres supérieurs de ces universités constituantes, instituts de recherche ou écoles supérieures; trois professeurs et trois étudiants de ces institutions, choisis respectivement par le corps professoral et par les étudiants.

Ce conseil préparera les règlements généraux qui régiront l'enseignement et la recherche dans les institutions constituantes de l'université et diverses matières connexes. Ce projet de loi, dans chaque université constituante, sera dirigé par un conseil d'administration qui comprendra le recteur de l'université; deux membres des cadres de l'université; trois professeurs et deux étudiants choisis respectivement par le corps professoral et par les étudiants; une personne nommée sur proposition des CEGEP du territoire desservi par l'université; au plus, quatre vice-recteurs de l'université et trois autres personnes nommées après consultation de l'Assemblée des gouverneurs de l'université du Québec.

Des dispositions similaires à celles qui régissent les universités constituantes s'appliqueront aux instituts de recherche et aux écoles supérieures. Les universités constituantes, les instituts de recherche et les écoles supérieures prépareront chaque année leur budget, ainsi qu'un rapport de leurs activités pour l'année précédente et les transmettront à l'université du Québec qui les incorporera à son propre budget et dans le rapport annuel de ses activités. Ce rapport sera transmis au ministre de l'Education et déposé sans délai auprès de la Législature.

M. LESAGE: Le projet de loi prévoit-il l'affiliation de centres d'études universitaires, soit à l'université du Québec, soit aux universités constituantes?

M. BERTRAND: Quant aux modalités, je donnerai quelques détails là-dessus en deuxième lecture, lors de la présentation du projet de loi.

On pourra le lire. Il y a, à l'heure actuelle, des centres universitaires à Chicoutimi et à Trois-Rivières. Il n'y a aucun doute qu'ils pourront faire partie de l'université du Québec.

M. LESAGE: Le premier ministre m'avait aimablement fait parvenir une copie dactylographiée du projet de loi qu'il avait l'intention de présenter. Je l'ai étudié et j'avoue que je n'ai rien trouvé au sujet des centres d'études universitaires. De là, ma question.

M. BERTRAND: On parle d'écoles supérieures.

M. LESAGE: Les écoles supérieures ne sont pas des centres d'études universitaires.

M. BERTRAND: On le verra en comité.

M. LESAGE: Le premier ministre ne répond pas du tout à ma question.

M. BERTRAND: On y verra en comité.

M. BELLEMARE: E.

M. BERTRAND: Première lecture.

M. LE PRESIDENT: La motion de première lecture est-elle adoptée? Adopté.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture à la prochaine séance ou à une séance subséquente.

Bill 83

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre propose la première lecture de la Loi autorisant la Régie des alcools du Québec à délivrer des permis d'amphithéâtres.

L'honorable premier ministre.

M. BERTRAND: Ce projet de loi, le bill 83, a pour but d'autoriser la Régie des alcools à délivrer des permis d'amphithéâtres, en vertu desquels des boissons alcooliques, sauf la bière en fût, pourront être vendues pour consommation sur place aux personnes qui assistent à un match ou à un spectacle dans un amphithéâtre.

La vente pourra se faire depuis une heure avant le début du match ou du spectacle, lorsqu'il débute entre midi et minuit, jusqu'à ce qu'il se termine.

M. LE PRESIDENT: La motion de première lecture sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture...

M. LAFRANCE: Est-ce que ça comprend les endroits où se tiennent les matches de lutte et de...

M. BERTRAND: Il s'agit surtout d'amphi-

théâtres de la nature du Forum à Montréal, et également du stade de baseball qui doit être construit à Montréal.

UNE VOIX: Chaque cas va être étudié.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture à la prochaine séance ou à une séance subséquente. L'honorable député de Gouin.

M. MICHAUD: M. le Président.,.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Si on me permet d'appeler l'autre article auparavant.

Bill 84

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre propose la première lecture de la Loi modifiant la loi de l'Exécutif et d'autres dispositions législatives.

L'honorable premier ministre.

M. BERTRAND: Le projet de loi, M. le Président, bill 84, a pour objet d'instituer le poste de secrétaire général du Conseil exécutif, dont le titulaire sera chargé d'assister ce conseil dans l'exécution de ses fonctions.

M. LE PRESIDENT: La motion de première lecture sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture à la prochaine séance ou à une séance subséquente. Affaires du jour.

M. LAFRANCE: Ma question s'adresse au premier ministre.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Si on me le permet, l'honorable député de Gouin avait d'abord demandé la parole.

Motion d'ajournement M. Yves Michaud

M. MICHAUD: M. le Président, en vertu de l'article 188 de notre règlement, j'ai l'intention de proposer une motion d'ajournement de la Chambre, pour discuter une question extrêmement grave et urgente et d'importance provinciale, savoir: la concentration des entreprises de presse et d'information dans les mains d'un même groupe financier.

L'affaire grave et urgente dont il importe de saisir la Chambre est l'escalade du phénomène de concentration des entreprises de presse au Québec entre les mains des mêmes intérêts économiques et financiers.

Il n'y a pas, M. le Président, d'autre moyen de saisir la Chambre de cette affaire. Nous sommes au terme d'une session. L'étude des prévisions budgétaires des ministères est terminée. Une motion inscrite au feuilleton différerait, à mon avis, l'étude de cette question.

Question grave, parce que c'est toute la collectivité québécoise qui est en cause. La qualité du système démocratique est fonction, tout le monde le sait, de la qualité et de la quantité des informations reçues par les citoyens.

La concentration abusive des entreprises de presse, parlée, écrite ou télévisée, entre les mains des mêmes intérêts économiques, laisse planer une menace grave sur l'Etat, les partis politiques et les élus du peuple, les groupes de pression, et sur la conduite des affaires publiques.

L'Etat, responsable de la satisfaction du droit à l'information, doit voir à ce que toutes les voix de la discordance et de la contradiction puissent être entendues. L'affaire est grave parce qu'à l'heure actuelle, après l'acquisition par les journaux Trans-Canada du groupe Communica, le 26 novembre 1968, les mêmes intérêts économiques exercent aujourd'hui un plein contrôle sur les entreprises de presse et d'information suivantes:

La Presse, Le Nouvelliste, La Tribune, La Voix de l'Est, Le Petit Journal, La Patrie, Photo-Journal, Dimanche-Matin, Dernière Heure, les journaux de porte à porte des publications associées, totalisant 1,447,000 exemplaires, plus les postes de radio suivants: CKAC, CHEF, CHLT, C JBR et les stations privées de télévision: CHLT-TV et C JBR-TV.

En faut-il davantage pour marquer le caractère grave d'une situation qui, si elle n'est l'objet d'un examen détaillé, scrupuleux et attentif — tel que le permettent nos règlements — de la part des élus du peuple et des responsables de l'Etat, risque d'abandonner dans les mains d'une oligarchie financière, une puissance plus grande que celle de l'Etat, une force éventuellement capable de contrecarrer les volontés des élus du peuple et de l'Exécutif? Situation grave, mais également urgente parce que le journal Le Devoir, il y a quelques jours, en date du 26 novembre 1968, révélait que le groupe Gelco-Trans-Canada tente d'acquérir à l'heure actuelle, au moment où je vous parle, le journal Le Soleil, dont le tirage est de plus de 175,000 exemplaires et le quotidien Le Droit d'Ottawa qui a un tirage de 45,000 exemplaires.

Question urgente, parce que si ces transactions venaient à se faire dans un proche ou un moyen avenir, demain, après-demain ou la semaine prochaine, elles compléteraient la boucle de la plus vaste opération monopolistique jamais entreprise sur le territoire québécois, et cela dans un domaine aussi vital, aussi névralgique, aussi grave de conséquences pour l'avenir du peuple québécois que celui de l'information. Il est urgent, grave et impérieux que l'Assemblée législative et ses élus prennent connaissance des faits qui ont contribué, depuis quelques années, au phénomène de concentration des entreprises de presse entre les mains des sociétés Gelco, Corporation des valeurs TransCanada, Journaux Trans-Canada et Ultima Power Corporation.

Au nom des intérêts supérieurs que nous sommes appelés à défendre et à protéger ici, nous n'avons pas le droit de fermer les yeux sur des mouvements de capitaux, des fusions de sociétés, des transports d'actions qui ont de redoutables effets sur l'ensemble de la vie politique et économique des Québécois. Il est urgent que, par le truchement d'une commission parlementaire ah hoc, d'une commission d'enquête gouvernementale ou par tout autre moyen que l'Exécutif voudra bien trouver et jugera efficace et approprié, soit institué dans les plus brefs délais, un « facts finding board » disposant de moyens légaux et financiers pour reconstituer dans le menu détail le mouvement, la mécanique et les véritables animateurs de toutes les transactions qui ont abouti à la création d'un grand monopole des entreprises de presse et d'information au Québec.

Il est urgent qu'une solution soit trouvée à brève échéance. Aucune initiative privée ne pourra, en une matière aussi complexe, aller au fond des choses, effectuer un travail sérieux et efficace. L'Etat, par les moyens dont il dispose, est habilité à intervenir. Il peut et doit le faire en raison de la gravité et de l'urgence de la situation. Cette intervention de l'Etat s'impose immédiatement. Elle pourrait, éventuellement, mener à une revision et une refonte complète de nos lois désuètes sur la presse au Québec.

Avant que vous-même, M. le Président, et que les élus de cette assemblée puissent, en toute connaissance de cause, décider du bien-fondé de cette motion d'ajournement que je présente, motion explicitant la gravité, l'urgence de la situation, il me semble essentiel, avec votre permission, que vous preniez connaissance des faits qui ont provoqué l'escalade du phénomène de la concentration des entreprises de presse entre les mains des mêmes intérêts financiers, des faits bruts que je donnerai sans commentaire. Je laisse, M. le Président, à votre bon jugement et au bon jugement de mes collègues, le soin de relier ces faits les uns aux autres, de retrouver le fil d'Ariane perdu dans ces transactions complexes et inextricables, et d'en tirer les conclusions qui s'imposent. La recherche bénédictine que je me suis imposée constitue un dossier de départ, un essai de compréhension d'un phénomène dont les dimensions dépassent souvent l'entendement du profane et, parfois, la compétence des experts. Mais ce n'est pas, M. le Président, parce que la tâche est difficile qu'il faille abandonner. Pour bien comprendre la situation, pour bien saisir tous les éléments, il est nécessaire qu'en quelques minutes je donne le film des transactions qui ont amené et créé le monopole de l'entreprise de presse.

M. BELLEMARE: Non, non, non, non!

M. MICHAUD: M. le Président, le premier ministre me fait signe que non...

M. BERTRAND: Quand on songe...

M. LE PRESIDENT: Je voudrais faire à ce moment-ci une remarque, quant à moi du moins. C'est que je veux affirmer mon droit strict d'entendre l'honorable député de Gouin, chose qui m'est très difficile présentement, à cause d'un murmure constant. Deuxièmement, je sollicite le privilège des membres de cette Chambre de l'entendre de façon très claire et très nette, parce que j'aurai à rendre une décision. Je ne vous cache pas, que depuis le départ, j'ai assez de difficulté à entendre l'honorable député de Gouin. Si on me donne l'occasion et la possibilité de l'entendre, et à ce moment-là, je tiens aussi à signaler que, pour les députés qui sont au fond de cette salle, il y a peut-être un problème que nous discuterons avec les techniciens. Je voudrais bien, vu ces circonstances, qu'on me donne l'opportunité et le privilège d'entendre parfaitement l'honorable député de Gouin.

M. MICHAUD: Le 6 juin 1964, M. Jean-Louis Lévesque se porte acquéreur du Petit Journal, au coût de $4 millions, par l'entremise de la Société de gestion Trans-Canada, qui détient déjà les intérêts de Dupuis & Frères, l'Industrielle, la Prévoyance, L.-G. Beaubien, et Blue Bonnets Raceway. Les rapports de presse indiquent que M. Lévesque a l'intention de fonder un quotidien. Le 10 avril 1965, la Corporation de valeurs Trans-Canada, M. Lévesque, et la Corporation Gelco, M. Paul Desmarais, vont vers un rapprochement, M. André Charron, vice-président de Trans-Canada, et M. Jean Parisien,

Gelco, révèlent, dans une conférence de presse, que Trans-Canada cède à Gelco 2,200,000 actions à $13, valeur de la transaction estimée à $31 millions. Le 2 avril 1966, M. Jacques Brillant, propriétaire de Métro-Express, journal qui était publié à l'époque et aujourd'hui journal défunt, acquiert de M. Jean-Louis Lévesque, Corporation des valeurs Trans-Canada, le Petit Journal, Photo-Journal et Dernière Heure. Auparavant, Gelco, M. Paul Desmarais, avait recédé à M. Lévesque ses intérêts dans le Petit Journal. Le 19 septembre 1966, la Tribune, Sherbrooke, la station de radio CHLT et la station de radio de langue anglaise, de même que la station de télévision CHLT-TV, passent aux mains de Power Corporation, auparavant détenteur d'actions de Shawinigan Water and Power et d'autres compagnies privées d'électricité précédemment nationalisées. Montant estimé du rachat de ces actions de Power Corporation, $50 millions à $60 millions. Le 12 novembre 1966, M. Jacques Francoeur, propriétaire de Dimanche-Matin, achète la Tribune. Le 25 novembre 1966, le premier ministre du Québec, M. Daniel Johnson, déclare que le gouvernement songe à intervenir dans la transaction par laquelle Power Corporation s'est rendue acquéreur du poste de télévision de Sherbrooke. Le 10 avril 1967, création d'un nouveau groupe de presse. Les journaux Trans-Canada Limitée, M. Paul Desmarais, Gelco et M. Jacques Francoeur fusionnent leurs intérêts. Le nouveau groupe contrôle Dimanche-Matin, La Tribune, Le Nouvelliste, le Granby Leader-Mail, les journaux de porte à porte et Les Publications Associées.

M. Paul Desmarais, Gelco, accède à la présidence du groupe. Le 7 juillet 1967, M. Paul Desmarais, au nom de la Corporation des valeurs Trans-Canada, offre d'acheter La Presse, La Patrie et CKAC. L'offre est faite, non au nom des journaux Trans-Canada, mais au nom de la Corporation des valeurs Trans-Canada.

Le 8 juillet 1967, M. Claude Ryan écrit dans Le Devoir: « H existe présentement dans la presse un malaise indéfinissable que nul n'arrive à définir avec précision. Une commission d'enquête compétente pourrait aider à saisir les causes et la nature de ce malaise et en discerner les solutions.

Le 12 août 1967, une loi, sanctionnée par le Parlement du Québec concernant la succession de l'honorable Trefflé Berthiaume et de la compagnie de publication La Presse Limitée, stipule: « La Corporation de Valeurs Trans-Canada, compagnie constituée en vertu des lois de la province, est autorisée à acheter les actions de la compagnie de publication La Presse Limitée ».

M. BELLEMARE: M. le Président, je ne voudrais pas être désagréable envers l'honorable député. Sa motion d'urgence doit se limiter à donner les raisons qui motivent l'urgence du débat. Là, il est à plaider le fond même de la motion, comme si elle était adoptée. Il y a une grande différence entre l'adoption d'une motion d'urgence par la Chambre et la discussion qui doit s'ensuivre sur le fond même de la question. A ce moment-ci de nos procédures, l'honorable député doit donner les raisons qui motivent une motion d'urgence et non pas, comme il le fait présentement, réciter tout ce qui peut être contenu dans sa motion.

M. MICHAUD: M. le Président, sur le point d'ordre soulevé par le ministre du Travail. L'article 188 de nos règlements dit, à la note 5: « Le député qui désire proposer l'ajournement de la Chambre pour discuter une affaire grave et urgente doit énoncer cette affaire ». Or, M. le Président, il est question d'énoncer. Le dictionnaire Larousse dit au mot « énoncé » « Ensemble des conditions auxquelles doivent satisfaire les inconnues d'un problème ».

L'article 188, note 2, dit que « le droit de proposer l'ajournement de la Chambre est un des droits fondamentaux dans toute Assemblée législative ». L'on prend bien soin de préciser qu'il s'agit là d'un des droits les plus fondamentaux et les plus sacrés.

M. le Président, je soumets respectueusement que, pour saisir toutes les dimensions de ce problème que je considère extrêmement grave et urgent, il faut saisir les élus du peuple des données. J'en ai pour cinq à dix minutes. J'arriverai à la fusion de Power Corporation et de Gelco et, là, nous verrons où sont les véritables mécanismes de toutes ces transactions. Je vous demande respectueusement M. le Président, en vertu des règlements, de me donner la permission de continuer mon exposé.

M. LE PRESIDENT: J'ai déjà eu l'occasion de dire aux membres de cette Chambre qu'il était extrêmement difficile de traiter de la recevabilité de la question sans en effleurer le fond. Si on me permet un peu de droit comparé, je dirai que le même problème se présente en droit civil, au moment d'une injonction. Par ailleurs, je sais que l'honorable député de Gouin se réservera des détails intéressants pour la question de fond, si la recevabilité était déclarée par la présidence. Alors, je lui demanderais de résumer le plus possible les détails qu'il veut faire valoir à l'effet qu'un monopole pourrait s'installer dans le domaine

de la presse, en nous gardant toujours les détails pour le fond.

M. MICHAUD: Sur la vente de la compagnie de publication La Presse Limitée au groupe de la Corporation des Valeurs Trans-Canada, je voulais simplement dire ceci. Je n'ai pas l'expérience juridique pour porter un jugement, mais je pose la question. Est-ce que la vente par laquelle la Corporation des Valeurs Trans-Canada propriétaire de la compagnie de publication La Presse Limitée, a cédé ses intérêts à Gelco, à M. Desmarais, était légale? A ce moment-là, la Corporation des Valeurs Trans-Canada n'est-elle pas obligée de venir devant le Parlement?

M. le Président, je continue...

M. LE PRESIDENT: Malheureusement, je dois interrompre ici l'honorable député de Gouin parce qu'il va nettement au fond de la question. A ce moment-là, je dois lui rappeler les directives que je viens de tracer. J'espère bien qu'ayant établi qu'il s'agissait d'une question de monopole — je pense que c'est ce qu'il tente de faire présentement — il devrait s'en tenir aux très grandes lignes et permettre ensuite à la Chambre de se prononcer éventuellement sur la recevabilité.

M. MICHAUD: Après la vente de la Presse, le 12 octobre 1967, vente de la Voix de l'Est de Granby au groupe Communica, Jacques Brillant; 26 mars 1968, fusion de Power Corporation et de Corporation de Valeurs TransCanada. Il s'agit d'un actif de $225 millions et d'un contrôle de capitaux de près d'un milliard de dollars. Le mardi 26 novembre 1968, les Journaux Trans-Canada, c'est-à-dire messieurs Desmarais et Francoeur, se portent acquéreurs des intérêts de M. Jacques Brillant dans Communica. Ce qui veut dire que Le Petit Journal, Dernière Heure, Photo Journal, le poste CHEF de Granby, le quotidien La Voix de l'Est et le poste de télévision CJBR-TV, de même que le poste de radio de Rimouski passent aux mains du groupe Desmarais-Francoeur.

Le groupe Desmarais, par les intérêts qu'il détient dans Gelco, dans la Corporation des valeurs Trans-Canada et les journaux Trans-Ca-nada, est à l'heure actuelle le maître incontesté de la presse québécoise.

Le 26 mars 1968, les journaux annonçaient le projet de fusion de Power Corporation et de Corporation des valeurs Trans-Canada. Cette transaction, au moment où je vous parle, est complétée. La fusion Power Corporation et Corporation des valeurs Trans-Canada implique une participation égale de Gelco et de Warnock-

Hershey International, qui est une filiale de Power Corporation.

Il est intéressant, et là, nous arrivons non pas au fond, mais à l'exposé du problème, de savoir qui est Power Corporation et quels sont les intérêts que détient cette société, qui vient de fusionner avec Gelco. Power Corporation détient les intérêts suivants: Gesca Newspapers, on ne sait pas très bien quelle sorte de société c'est, 100%; Canada Steamship Line, 45.7%; Provincial Transport, 100%; Blue Bonnets Raceway, 68%; Imperial Life Insurance Company, 51%; Consolidated-Bathurst, compagnie de papier, 16.5%; Laurentide Financial Corporation, 48%; Québec Télémedia incorporée, 50%, de même que des intérêts dans d'autres sociétés étrangères.

Le contrôle de Power Corporation est partagé par deux sociétés. Gelco Entreprise limitée, société privée contrôlée par M. Desmarais, et Warnock-Hershey International, contrôlée par les intérêts de M. Peter Thompson.

M. Paul Desmarais contrôle 56% de la Corporation des valeurs Trans-Canada, par l'entremise de Gelco. Il y a là deux aspects de ce problème. Le premier, la consolidation du monopole de presse par Gelco, les journaux Tr ans-Canada, phénomène local circonscrit au Québec. Il y a, bien sûr...

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel Je m'excuse d'interrompre l'honorable député de Gouin, mais je procède dans ce cas-ci comme j'ai l'habitude de procéder dans d'autres cas. Je me pose la question à savoir quels seraient les arguments qui pourraient être amenés lors d'un débat au fond de la question. A ce moment-là, je ne vous cache pas que j'ai l'impression que l'honorable député de Gouin nous prive d'une argumentation très sérieuse, lors de la discussion du fond de la question, si la recevabilité était déclarée par la présidence. Je lui demande donc de résumer le plus possible ses arguments à ce moment-ci, quitte à les réserver pour un autre moment.

M. MICHAUD: Non pas sur le fond. J'ai réservé mes arguments de détail, si la motion d'urgence est acceptée, mais, en soi, le fait de placer le contrôle de la presse québécoise sous l'autorité d'une seule personne, ou d'un seul groupe de personnes, c'est constituer, à côté du pouvoir de l'Etat, un pouvoir parallèle extrêmement puissant et dangereux, quelles que soient d'ailleurs la qualité, la compétence, l'impartialité des personnes mises en cause.

Le groupe Desmarais, à l'heure actuelle, par le monopole qu'il détient, a le pouvoir de faire et de défaire les gouvernements, de conditionner

l'opinion publique et de mettre au service de ses intérêts économiques la redoutable puissance de la presse.

Gelco pourrait être, je ne dis pas qu'il l'est, mais pourrait être le « lobby » le plus puissant auprès du pouvoir politique. Il n'est pas dit que ce consortium, que ce monopole fasse abus, à l'heure actuelle, de sa puissance. Mais il n'est pas dit qu'il ne sera pas tenté un jour de faire sentir sa présence auprès de ceux qui ont la responsabilité de l'administration des affaires de l'Etat.

Sur le plan de la fusion de la Corporation des valeurs Trans-Canada à Power Corporation, nous avons toutes les raisons de croire, bien sûr, que la Compagnie de publication la Presse est excluse de cette transaction. Mais que dire de tous les autres journaux qui ne sont pas protégés par une loi du Parlement, de tous les autres moyens de communication audio-visuelle, radio et télévision, qui pourraient passer entre les mains de ce consortium Power Corporation et Gelco?

En ce qui concerne la Presse, le Parlement a signifié son intention d'être consulté au cas où un seul journal changerait de propriétaire. Devant une menace d'un transport possible des actions, qui ferait que tous le s journaux de la presse québécoise, ou leur ensemble ou leur presque majorité, passerait à de puissants consortiums financiers, nous serions silencieux et impuissants? Je dis que c'est grave et urgent de discuter de cette question. Elle est complexe, je le sais. Elle est difficile, je le sais. Mais ceux qui ont la responsabilité du pouvoir, au nom des intérêts supérieurs qu'ils doivent défendre ici, doivent, sans chercher les sorcières, sans se livrer à des attitudes ou sans se livrer à des accusations, essayer d'aller au fond des choses. Le seul moyen que nous ayons, c'est une discussion d'abord sur cette motion d'ajournement devant le Parlement, et c'est ce comité parlementaire ou cette commission d'enquête ou tous les moyens que le gouvernement pourra trouver pour essayer d'aller au fond des choses.

Les intérêts économiques qui relient les maîtres de la presse québécoise aux colosses de la finance canadienne sont désormais trop connus, trop reliés pour que nous n'exercions pas, au nom de la collectivité québécoise, une surveillance de tous les instants sur les principaux circuits — mais au moins là-dessus — et les principaux relais de l'éducation, de la culture populaire qui sont la presse, la radio, la télévision et subséquemment le cinéma.

M. le Président, il y a un homme au siècle dernier, qui s'appelait Lamennais. Son journal mourait. Il a dit ceci: « Nous ne sommes plus assez riches pour jouir du droit de parler. Silence aux pauvres! » Est-ce que cela va arriver dans le Québec que des petits journaux régionaux — cela concerne tous les députés — que des voix indispensables au concert de la contestation politique s'éteignent parce qu'elles ne seront pas assez riches pour parler?

Problème grave et urgent. Je crois qu'il s'agit là peut-être du problème le plus difficile que nous ayons à traiter. Mais devant l'ampleur, devant les dimensions gigantesques de ce problème, il faut se mettre résolument à la tâche tout de suite pour essayer de trouver des solutions qui satisfassent à la fois les intérêts des personnes concernées, les principes de la libre concurrence, de la liberté de mouvement des capitaux mais aussi les intérêts supérieurs de la nation canadienne-française dont on parle souvent dans les mots mais qu'on protège si peu souvent dans les faits.

Pour ces raisons, je propose, appuyé par le député de Mercier, que la Chambre s'ajourne maintenant pour discuter d'une affaire grave et urgente, savoir la concentration des entreprises de presse et d'information dans les mains d'un même groupe financier.

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, j'ai écouté le député de Gouin nous parler de l'importance d'un problème. Il a lui-même ajouté que ce problème était complexe, difficile, qu'il était important. Il a ajouté qu'il y avait la certainement une situation qui dénotait de la gravité.

De là à dire que nous devions avoir un débat d'urgence sur ce problème! Je crois qu'il y a une très grande différence entre un débat d'urgence sur ce problème et le problème lui-même. Je déclare immédiatement que, quant à nous, le débat d'urgence n'apporterait pas grand chose, même si nous pouvions obtenir des renseignements que nous avons et que le député de Gouin a donnés a la Chambre, cela, c'est le fond du problème.

Je puis à ce moment-ci dire ce que j'ai déjà déclaré. J'ai demandé à nos officiers légistes au ministère de la Justice d'examiner ce problème.

Premièrement, examiner les lois qui y sont connexes. On a parlé de la loi de la liberté de la presse. Nous sommes tous, je pense, des deux côtés de la Chambre, très sensibilisés à un problème où un monopole peut être créé. Nous voulons tous, non seulement que les parlementaires soient libres mais que, dans une démocratie vi-

vante et vigoureuse, la presse également soit libre. Donc, premièrement, demande à nos officiers légistes du ministère de la Justice d'examiner tout ce problème et de se procurer tous les documents permettant au ministère de la Justice de se former une opinion.

Deuxièmement, étant donné que ce problème intéresse non seulement le Parlement, mais est d'importance capitale pour le Parlement de Québec, pour les deux côtés de la Chambre, je suis prêt à suggérer que le chef de l'Opposition et moi-même, le leader parlementaire du gouvernement et le leader parlementaire de l'Opposition se rencontrent pour voir quel serait le meilleur moyen d'aborder l'étude de ce problème, peut-être par la formation d'un comité spécial de la Chambre qui pourrait, à la lumière des études faites par les officiers légistes du gouvernement, du ministère de la Justice, faire un examen en profondeur du problème, des documents qui y sont reliés et voir jusqu'où nous pouvons aller, à l'heure actuelle, suivant nos lois.

Nous voulons voir si les lois actuelles nous permettent d'aller aussi loin que nous le devrions, afin de connaître l'ampleur et le rayonnement de ce monopole pour que nous puissions faire des recommandations qui permettraient au Parlement d'adopter les lois qui s'imposent, de manière à parer à de telles situations.

Voilà, M. le Président, ce qu'à ce moment-ci, je puis déclarer à la Chambre. Je crois qu'à ce moment-là le député de Gouinpourrait retirer sa motion de débat d'urgence.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

M. LESAGE: M. le Président, je pense bien que le député de Gouin avait raison de dire qu'il s'agissait d'un problème grave. Le premier ministre l'a admis.

M. BERTRAND: C'est vrai.

M. LESAGE: Problème urgent, dans les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons et problème qu'il est urgent de débattre, d'examiner. En effet, la session doit se terminer d'ici quelques jours pour ne reprendre, me dit-on — le premier ministre le sait évidemment mieux que les gens qui croient être bien renseignés — vers le début ou le milieu de février.

Je pense que, dans les circonstances, il était urgent de débattre la question. Le premier ministre, acceptant la gravité de la situation, acceptant indirectement l'urgence du problème...

M. BERTRAND: C'est-à-dire l'importance du problème.

M. LESAGE: Un peu aussi l'urgence.

M. BERTRAND: L'importance, non pas autant l'urgence d'un débat.

M. LESAGE: J'ai dit « indirectement l'urgence du problème ». Je n'ai pas dit que le premier ministre admettait qu'il y avait urgence de débat.

M. BERTRAND: Non.

M. LESAGE: Parce que je n'aurais pas dit la vérité; il a dit le contraire. Je dis qu'indirectement, il a admis l'urgence du problème.

M. BERTRAND: Ah oui! c'est juste.

M. LESAGE: L'urgence du problème puisqu'il a suggéré une rencontre de quatre membres de l'Assemblée en vue d'étudier la possibilité d'établir une commission parlementaire, un comité de l'Assemblée législative, comité qui pourrait examiner la situation à la lumière des renseignements recueillis par les officiers légistes à qui le premier ministre, comme ministre de la Justice, a donné instructions...

M. BERTRAND: « A déjà demandé », il y a plusieurs années.

M. LESAGE: « A donné instructions » — je parle au passé — a donné instructions de faire enquête et d'obtenir les faits pertinents.

Si le premier ministre donnait la garantie que cette réunion de quatre aura lieu incessamment...

M. BERTRAND: Incessamment!

M. LESAGE: ... et qu'il y a possibilité que la commission parlementaire qui a été suggérée par le député de Gouin et que le premier ministre envisage comme mesure possible, quipour-rait même être satisfaisante, s'il était possible de prendre une décision avant la fin de la présente session, de faire une recommandation après cette réunion de quatre qui a été suggérée par le premier ministre, je suis convaincu que le député de Gouin n'insisterait pas sur sa motion. Je ne puis pas parler pour lui, mais je pense qu'il aurait atteint le but qu'il poursuit puisque lui-même a fait, au cours de ses remarques, la suggestion de la création d'une commission parlementaire.

M. MICHAUD: M. le Président, étant donné que le premier ministre vient non pas de s'engager officiellement, mais de dire qu'il constituerait un comité pour étudier les aspects de ce problème-là, pouvant éventuellement déboucher sur l'une ou l'autre des solutions que j'ai proposées, j'aurais simplement une chose à dire: c'est que ce soit fait dans les délais les plus courts et les plus rapprochés possible pour éviter — si cela peut se faire — que d'autres journaux passent entre les mains du même monopole.

Etant donné l'accueil agréable qui a été fait, du côté des ministériels, à la suggestion que j'ai faite, je consens volontiers à retirer ma motion d'ajournement et j'espère que ce comité, dont a parlé le premier ministre, sera constitué dans les plus brefs délais.

M. BERTRAND: Je rencontrerai le chef de l'Opposition avec le leader parlementaire et notre leader pour examiner l'opportunité d'établir ce comité et le rôle qu'il pourra être appelé à jouer, et nous le ferons dans le délai le plus bref possible. Je m'entendrai avec le chef de l'Opposition.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Richmond.

Questions et réponses

Manifestation

M. LAFRANCE: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre et peut-être également au ministre d'Etat délégué à l'Education. Comment se fait-il qu'un jeudi matin, à dix et onze heures, des milliers d'enfants, de 10 ans à 16 ans, ne soient pas à leur cours, et qu'ils puissent venir manifester, avec des autobus scolaires, devant le Parlement?

M. MORIN: M. le Président, j'ai pris certaines informations auprès de la direction de la Commission scolaire de Québec. Je n'ai pu malheureusement rejoindre le président, M. Bhérer. J'ai d'abord parler à un M. Normandeau, de la direction générale, et, par la suite, M. Emile Arteau, adjoint du président, m'a téléphoné pour me dire qu'il n'avait donné aucune autorisation à qui que ce soit dans ce sens-là. Plusieurs directeurs d'écoles l'auraient appelé pour lui demander l'autorisation de laisser les étudiants venir manifester devant le Parlement. Il leur a dit qu'il n'en était pas question, que les professeurs devaient être en classe de même que les élèves, qu'il y avait de la classe comme d'habitude.

Cependant, il a ajouté qu'il avait dit aux di- recteurs: S'il y a des étudiants qui veulent absolument quitter les classes pour aller manifester, de ne pas les retenir de force.

M. LAFRANCE: M. le Président, question additionnelle. Comment se fait-il qu'on laisse dans les écoles du Québec certains professeurs, qui seraient les complices de certains agitateurs, et qu'on manoeuvre comme ça des enfants qui viennent à une espèce de « party »,qui ne comprennent absolument rien à ces manifestations-là et qui mangeront des coups demain pendant que certains agitateurs se cachent? Je pense qu'il y a des limites et le gouvernement est responsable de l'ordre public. Je ne dis pas de prendre des matraques. On devrait au moins exercer une certaine discipline dans nos écoles.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, nous vivons, et je me permettrai seulement quelques mots, nous vivons à l'heure actuelle, aucun doute de cela, une période troublée. Un article, ce matin, qui est signé par André Poisson, dans le Journal de Québec, s'intitule comme suit: « Menace de mort contre Bertrand. Le Parlement pris d'assaut ce matin ». Et je lis la nouvelle: « Depuis au moins cinq semaines, le chef du Mouvement pour l'intégration scolaire, M. Raymond Lemieux, qui, apparemment, dirige le mouvement ce matin devant le Parlement... »

M. HOUDE: II est entrain de parler.

M. BERTRAND: « ... parcourt les principaux centres du Québec pour redemander à tous ceux qui s'objectent au projet de loi du premier ministre Bertrand sur les droits linguistiques, d'occuper l'immeuble principal du Parlement, aujourd'hui, le 5. « C'est effectivement ce matin, à onze heures, que M. Bertrand doit déposer son bill devant les membres de l'Assemblée législative, projet de loi qui donnera aux parents le droit de faire éduquer leurs enfants dans l'une ou l'autre des langues officielles. « En conséquence, après la campagne intensive de M. Lemieux et de divers groupements nationalistes, l'on s'attend à ce que pas moins de 1,000 manifestants se rendent ce matin au Parlement et y occupent tous les locaux. « M. Lemieux a déclaré que cette manifestation doit montrer l'opposition de la population québécoise à la politique linguistique du gouvernement. Déjà, l'on apprenait hier qu'au moins dix autobus ont été nolisés pour transporter des étudiants de l'UGEQ, des CEGEP et autres institutions de Montréal à Québec.

« Enfin, un coup de téléphone anonyme reçu à la station radiophonique CKLM à Montréal révélait que si M. Bertrand présentait son projet de loi, un groupe isolé verrait à le faire sauter. La police a été alertée, mais elle n'a pu retracer l'individu en question ».

M. le Président, les menaces qui peuvent être faites ne m'effraient pas, pas plus qu'elles n'effraient aucun des membres du Parlement de Québec.

Mais, il y a une chose certaine. Dans toute société bien organisée, l'ordre doit régner. Cet ordre doit régner par le respect de l'autorité. Que l'on exerce des libertés, qu'on les exerce suivant les procédés démocratiques, mais de grâce, qu'on ne dérange pas toute une génération d'étudiants, d'enfants âgés de 10 à 12 ans, en les conduisant devant le Parlement, en leur faisant poser des actes au sujet desquels ils ne devraient porter aucune responsabilité. Que l'on veuille donc comprendre, une fois pour toutes, qu'il y a un Parlement composé d'élus, qui prendront leurs responsabilités devant la population du Québec, et qui le font dans l'exercice de leurs droits parlementaires, en respectant les opinions des autres. Mais, on est en train de créer un climat d'agitation, de discorde, de chaos dont notre population ne veut pas, j'en ai la conviction.

Si on nous reproche, à nous, parlementaires, nos défauts, nos faiblesses, nos erreurs, que les maîtres d'écoles lisent donc, dans le volume du rapport Parent, ces chapitres importants où l'on parle de la qualité des maîtres, qui doivent appuyer l'autorité dans les écoles et qui doivent également apprendre aux élèves à respecter les institutions qui sont les nôtres, les institutions parlementaires en particulier. Dans toute cette affaire, il y a des extrémistes, des fanatiques, des gens qui ne veulent pas entendre raison. Au Parlement de Québec, nous sommes tous conscients de ces problèmes dont j'ai parlé dans les déclarations que j'ai faites à la Chambre, le 27 novembre dernier, problèmes de culture et de langue, problèmes délicats, problèmes difficiles, problèmes où les préjugés raciaux peuvent être facilement soulevés de même que les passions.

Qu'on m'accuse de trahison, on peut être sensible à ces propos. Je veux passer là-dessus. Je n'ai qu'un but. Mes collègues n'ont qu'un but. Je pense que, des deux côtés de la Chambre, nous n'avons qu'un but: assurer que la majorité francophone au Québec puisse exercer davantage ses droits, que la minorité anglophone voie les siens protégés dans le respect d'un rayonnement plus grand du français au Québec.

Malheureusement, nous devons le constater tous, nous sommes, a ce moment-ci, à tenter de régler des problèmes ou de poser des jalons pour les régler. Ces problèmes, je les ai qualifiés l'autre soir: problèmes quasi centenaires, problèmes que nous avons laissés traîner, problèmes qui se sont accumulés. Je ne veux faire de reproche à qui que ce soit. Problèmes qui se sont aggravés, mais que nous pourrons régler beaucoup plus facilement dans un climat d'ordre, où régneront la justice, un esprit de compréhension, de bonne volonté et de dialogue.

Devant les menaces, devant la force, devant le désordre nous ne tolérerons pas et, s'il le faut, nous appliquerons la force pour que les extrémistes entendent raison au Québec.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition me permettrait juste une remarque à ce moment-ci? Ce n'est pas pour le priver d'un droit de parole, que j'ai bien l'intention naturellement de lui accorder, mais pour lui signaler que nous sommes à la période des questions. Naturellement, la réponse de l'honorable premier ministre a été plus longue que pré -vue, à cause de l'ampleur de la question. Je voudrais être relevé de l'obligation que j'ai, à ce moment-ci...

M. BERTRAND: Vous l'êtes, M. le Président, et le chef de l'Opposition aussi.

M. LE PRESIDENT: ... de laisser le droit de parole.

L'honorable chef de l'Opposition.

M. Jean Lesage

M. LESAGE: M. le Président, laissez-moi vous dire que, de ce côté-ci de la Chambre, nous comprenons parfaitement les sentiments qui animent le premier ministre et qu'il vient d'exprimer.

Nous partageons son inquiétude. Nous vivons une période troublée, fort troublée, une période tris difficile. Il y a, hélas, chez nous, trop de fanatiques qui ne mesurent ni les conséquences de leurs actes, ni les conséquences de leurs paroles.

On m'a dit que, dans une école de Québec, on avait dit, ce matin, à des enfants de 13, 14 et 15 ans, de se présenter devant le parlement pour sauver la langue française, parce que le Parlement était pour abolir la langue française aujourd'hui, parce que le Parlement était pour adopter une loi qui serait telle qu'à l'avenir ils ne pourraient plus parler leur langue dans la province de Québec.

UNE VOIX: C'est épouvantable.

M. LESAGE: Les jeunes qui ont été questionnés, des jeunes impubères... Quand je pense qu'il y en avait de 12 ans, de l'âge de mon petit gars, c'est épouvantable!

UNE VOIX: Six ans.

M. LESAGE: On embrigade ces pauvres enfants qui n'y comprennent rien. Tout ce qui résulte de ces incitations à la violence...

M. BERTRAND: A la violence!

M. LESAGE: ... chez les jeunes, chez les petits jeunes, c'est de les habituer à manifester et de leur préparer une vie où ils croient que l'illégalité, c'est courant et c'est permis.

M. BELLEMARE: C'est ça.

M. LESAGE: Je ne saurais trop appuyer le premier ministre lorsqu'il dit, en d'autres termes...

UNE VOIX: C'est scandaleux.

M. LESAGE: ... qu'il faut absolument que nous empêchions que l'illégalité devienne une chose considérée comme normale dans le Québec. C'est ça qui est dangereux. C'est d'autant plus dangereux quand on commence à habituer tout jeunes nos citoyens de demain à vivre dans un tel climat.

M. le Président, je n'ai pas l'intention de parler très longtemps. Le premier ministre a bien dit ce qu'il avait à dire et il s'est exprimé en notre nom à tous. C'est entendu qu'il faut prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser non seulement le désordre, mais aussi les appels directs ou indirects au désordre et à l'anarchie.

M. BELLEMARE: C'est vrai ça.

M. LESAGE: Je serai, évidemment, le dernier à proposer que l'on réprime la violence par la violence, mais il faut quand même que la liberté, qui est à la base même de notre régime démocratique ne devienne pas l'agent, le moteur même, de la destruction du régime.

M. BELLEMARE: C'est ça.

M. LESAGE: La loi doit être respectée. Nous devons éviter par tous les moyens possibles l'utilisation de la violence et même de la force physique. Nous devons prendre tous les moyens de persuasion, d'éducation civique — il y en a — pour que nos jeunes comprennent qu'il est essentiel, si l'on veut vivre et progresser, nous au Québec, quelle que soit notre langue, quelle que soit notre origine ethnique, il est essentiel dis-je, de vivre dans la légalité, dans l'ordre et dans la paix.

M. BELLEMARE: Très bien.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gatineau.

Etats des routes

M. FOURNIER: En l'absence du ministre des Transports, ma question s'adresse à l'honorable premier ministre. Le ministre des Transports a transmi, avec les documents de renouvellement de permis d'automobile, une indication voulant qu'un service de renseignements sur l'état des routes soit établi dans toutes les régions du Québec» Or, je constate que Hull n'est pas comprise dans les régions du Québec et qu'il faut s'adresser à Amos pour avoir des renseignements. Est-ce que le premier ministre a l'intention d'établir un service de renseignements de routes pour la région de l'ouest du Québec, soit à Hull?

M. BERTRAND: II n'y a aucun doute. Mais je prends avis de la question du député de Gatineau.

Pouvoirs d'emprunt des universités

M. BERTRAND: Si l'on me le permet, le chef de l'Opposition m'avait demandé si l'université Laval avait obtenu des pouvoirs d'emprunt: Laval aurait obtenu de tels pouvoirs par la Loi 14, George VI, chapitre 140.

M. LESAGE: Loi 14, George VI.

M. BERTRAND: Loi 14, George VI. Quant à l'université McGill...

M. BELLEMARE: Chapitre 140.

M. BERTRAND: ... quant à l'université McGill, nous attendons des nouvelles aujourd'hui; je donnerai également le renseignement au chef de l'Opposition.

M. LESAGE: On comprend pourquoi j'avais posé cette question.

M. BELLEMARE: Oui.

M. LESAGE: C'est à cause de lanouvelle loi des investissements universitaires.

M. BERTRAND: C'est ça. Bishop, de l'université Bishop.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre du Travail.

M. BELLEMARE: M. le Président, ce serait pour les travaux de la Chambre. Le comité du code municipal va siéger immédiatement, de consentement unanime.

M. LESAGE: Enfin, est-ce que cela vaut réellement la peine?

M. BELLEMARE: Oui.

M. LESAGE: Il y a un dîner officiel à midi et demi.

M. BELLEMARE: Ah oui, c'est vrai, vous avez un dîner.

M. BERTRAND: Nous avons un dîner. M. LESAGE: Oui.

M. BELLEMARE: Alors disons donc... Est-ce que nous pourrions nous entendre pour cet après-midi, à 3 heures, à la reprise des travaux? A 3 heures, le comité du code municipal siègera en bas. Nous adopterions aussi en deuxième lecture, pour être référé en bas, le bill 286 qui est similaire au bill 285: les amendements au code municipal.

Je ferais motion pour que je sois remplacé à ce comité par M. Leduc, le député de Laviolette.

M. LESAGE: Je crois que le député d'Olier est revenu à Québec. De toute façon, je pense que mon nom devrait disparaître de la liste des membres du comité du code municipal et que celui du député d'Olier, M. Fernand Picard, devrait le remplacer.

M. BELLEMARE: Six.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre.

M. LESAGE: Un instant! C'est l'intention du ministre de référer tout de suite, au comité des affaires industrielles, le bill du conseil supérieur et celui du travail des femmes la nuit?

M. BELLEMARE: Six.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre. Auparavant, est-ce que je dois comprendre que c'est le voeu de la Chambre que la loi modifiant de nouveau le code municipal soit lue une deuxième fois ce matin?

Est-ce que c'est le voeu de la Chambre que la loi modifiant de nouveau le code municipal...

M. BELLEMARE: Oui.

M. LE PRESIDENT: ... que le bill 286 soit lu une deuxième fois ce matin?

La motion en deuxième lecture sera-t-elle adoptée?

Adopté.

M. BELLEMARE: Six.

M. LAFRANCE: M. le Président, est-ce que les galées du bill de l'OPTAT sont disponibles? Le ministre a dit qu'elles étaient sous impression. Il y a deux jours...

M. BERTRAND: Elles sont sous impression et dès que nous aurons les galées, nous vous les transmettrons.

M. LAFRANCE: « Ses impressions » ou « sous pression »?

M. BERTRAND: Non, sous impression. M. BELLEMARE: II fait bonne impression. M.BERTRAND: Il vafaire bonne impression. M. BELLEMARE: Six.

Bill 287

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre du Travail propose la deuxième lecture de la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

L'honorable ministre du Travail.

M. Maurice Bellemare

M. BELLEMARE: Pour le comité du code municipal, c'est la liste de ceux qui étaient sur la liste d'hier, moins mon nom et celui de M. Leduc.

La tentation serait grande, ce matin, de succomber à des appels démagogiques et de porter, à l'endroit de certaines personnes ou de certains mouvements dans cette province, des accusations et surtout de faire des mises au point que je pourrais sûrement faire très en-

flammées et qui auraient probablement le ton d'une réplique. Ce n'est ni le temps, ni le lieu pour attaquer, et lancer contre certaines personnes ou certains mouvements des accusations, des injures, ou même susciter un débat sur la place publique.

J'ai déclaré à maintes reprises, depuis que j'assume la lourde responsabilité du ministère du Travail, que le ministère du Travail devait adopter des attitudes qui seraient en conformité avec la réalité d'aujourd'hui. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'ici, ce matin, je ne veux pas faire un débat général sur toutes les relations du travail. Il s'agit d'une loi organique d'un ministère, d'une loi organique qui va d'abord restructurer, et qui va apporter sûrement des avantages bénéfiques à l'endroit de tout le monde du travail, employeurs comme employés.

Il fallait d'abord, je crois, et avant tout, établir des structures nouvelles pour répondre à de nouveaux besoins. Il fallait, dans la seconde phase de l'opération, trouver les hommes les plus compétents, les mieux renseignés, les esprits les mieux préparés, pour les mettre en place, afin que ces hommes compétents, extrêmement dévoués, puissent rendre service à la collectivité et à l'intérêt public.

Ces structures et ces hommes ayant été trouvés nous permettent aujourd'hui d'entreprendre une grande politique de rénovation au point de vue de la législation du travail. Ceci permettra, je crois, dans la province de Québec, à tous ceux qui auront recours à ces structures et à ces hommes, de pouvoir laisser passer à travers ces hommes et ces structures, nos politiques bienfaisantes du ministère du Travail.

Il y a, dans ce domaine du travail, beaucoup d'incompréhension. Il y a aussi, en même temps, beaucoup d'intérêts en jeu. C'est pourquoi le ministre du Travail, avec l'équipe qui est aujourd'hui en place, est heureux de dire au monde du travail que nous n'avons jamais été équipés de structures valables et d'hommes compétents, comme nous le sommes présentement. C'est ce qui nous permet aujourd'hui de pouvoir commencer une série de législations fort importantes.

Je soumets d'abord à la Chambre, pour cette période de fin de session, cinq projets de loi. Il est donc normal que ce nouveau programme législatif commence par cette loi organique du ministère. La loi qui nous régit, au ministère du Travail, remonte à trente-sept ans, 1931, et n'a subi depuis que quelques amendements mineurs, dont le changement de département du Travail en ministère du Travail.

On avait pris l'habitude, depuis de nombreu- ses années, de dire: Le ministère du Travail, c'est un petit ministère. Je suis à la Chambre depuis plusieurs années, et combien, tous les gouvernements, quels qu'ils soient, disaient du ministère du Travail: Bien, cela passera pendant quelques heures, ce ne sera pas long, le ministère du Travail est un petit ministère.

Je dis que ce n'est pas un petit ministère. C'est aujourd'hui un grand ministère, dont le rayonnement à travers le monde ouvrier permettra demain d'établir un meilleur climat de relations patronales et ouvrières.

M. LESAGE: M. le Président, si l'atmosphère n'était pas si bonne ce matin, je dirais que c'est vrai, c'est un gros ministère avec un petit ministre.

M. BELLEMARE: M. le Président, je suis prêt à dire que c'est un petit ministre, mais je n'en trouve pas beaucoup, ni de mon côté ni de l'autre, qui le prendraient, le ministère du Travail, aujourd'hui.

M. LESAGE: II n'est pas facile.

M. LAPORTE: Essayez donc. Faite s'en l'expérience.

M. BELLEMARE: M. le Président, je dis donc: établir un meilleur climat Ce n'est pas avec des mots, des phrases ou avec de la législation, quand même il y en aurait plein le livre, plein le code du travail, ou avec toutes les lois administratives du ministère, qu'on va pouvoir établir un meilleur climat industriel, de relations patronales et ouvrières. Ce sont et les hommes et les faits qu'il faut changer.

Dans l'esprit des gens qui ont à administrer les lois du travail, il doit exister d'abord et avant tout le sens véritable de la responsabilité ministérielle, ce sens qui veut qu'un ministre, qu'il soit du ministère du Travail ou de la Santé, fasse équipe, soit solidaire dans un gouvernement. Il reçoit les félicitations, les injures et les blâmes. Nous sommes solidaires les uns les autres, et nous n'avons posé, je pense, dans l'administration de la chose publique au ministère du Travail, aucun geste, sans être bien sûrs qu'au cabinet des ministres particulièrement, on serait solidaire des politiques émises.

Pour être un homme public aujourd'hui, particulièrement au ministère du Travail, il faut apprendre, d'abord et avant tout, à se renseigner. Le ministre du Travail se doit d'avoir ses antennes, d'avoir ses renseignements, d'avoir la chance, le privilège d'obte-

nir tous les renseignements nécessaires à la bonne administration du ministère.

Le ministre du Travail doit être aussi conseillé, d'abord par ses hauts fonctionnaires, sous-ministres, directeurs généraux, par tous ceux qui, dans le mouvement du travail, peuvent aussi lui apporter leur quote-part, centrales syndicales, monde ouvrier, membres des groupes des employeurs, il doit se renseigner, consulter.

M. LEFEBVRE: Est-ce que le ministre me permet une question?

M. BELLEMARE: Certainement.

M. LEFEBVRE: Puisque le ministre parle de se renseigner, est-ce qu'il pourrait informer la Chambre du résultat de l'entrevue qu'il devait avoir hier avec les représentants des centrales syndicales?

M. GABIAS: Soyons sérieux.

M. BELLEMARE: M. le Président, consulter, se renseigner et éviter de faire de la démagogie.

Pour faire de la démagogie avec le ministère du Travail, on n'aurait qu'à adopter l'attitude que vient de prendre l'honorable député d'Ahuntsic.

M. LEFEBVRE: M. le Président...

M. BELLEMARE: J'estime que ce serait de la démagogie.

M. LEFEBVRE: J'ai posé une question bien polie au ministre.

M. BELLEMARE: J'ai dit, au début de mes remarques, que la tentation...

M. LEFEBVRE: M. le Président, j'invoque mon privilège.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BELLEMARE: ... est grande, ce matin...

M. LESAGE: Le ministre du Travail connaît mieux les règlements que ça.

M. BELLEMARE: M. le Président, une question de privilège ne peut être soulevée que quand l'honneur est mis en jeu.

M. LESAGE: Et tout de suite.

UNE VOIX: Ce n'est pas à vous d'en décider, c'est au président.

M. BELLEMARE: Je ne crois pas que l'honneur de l'honorable député ait été mis en jeu.

M. LAPORTE: Laissez décider le président. M. BELLEMARE: Oui.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Ahuntsic, sur une question de privilège.

M. LEFEBVRE: M. le Président, le ministre du Travail...

M. GABIAS: II n'a pas parlé de vous; il a parlé de démagogie.

M. LEFEBVRE: ... à la suite d'une question que j'ai posée, a dit: Si l'on veut faire de la démagogie, on n'a qu'à faire ce que vient de faire le député d'Ahuntsic. Je demande au ministre de retirer ses paroles parce que tous les membres de cette Chambre admettront qu'il n'y a rien de démagogique à poser une question comme celle que j'ai posée. Si le ministre le prend sur ce ton-là, le débat va être laborieux.

M. BELLEMARE: M. le Président, laborieux ou non, le chantage du député... Je suis député de cette Chambre, je suis ministre; j'ai des législations à présenter et je vais les présenter envers et contre tous, même contre le député d'Ahuntsic.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition sur une question règlement.

M. LESAGE: M. le Président, je crois que le ministre du Travail devrait se rendre de bonne grâce à la demande du député d'Ahuntsic...

M. BELLEMARE: Qu'y a-t-il d'antiparlementaire?

M. LESAGE: ... et retirer l'accusation de démagogie qu'il a portée à son endroit et retirer aussi, comme ça devrait lui convenir ce matin, le mot « chantage ».

M. BELLEMARE: Non, non, M. le Président. C'est fini, il y a belle lurette ces affaires-là. Je n'ai pas manqué au règlement. Si j'ai manqué au règlement, dites-le moi.

M. LESAGE: Bien, oui, c'est ce que je demande au président.

M. BELLEMARE: Le président me le dira. Pas vous.

M. LESAGE: M. le Président, j'ai procédé par forme interrogative. Je n'ai pas cherché à imposer quoi que ce soit au ministre du Travail. «Fai pensé, cependant, qu'avant que vous lui imposiez de retirer les paroles antiparlementaires qu'il a prononcées, je pouvais...

M. LAPORTE: II faudrait l'expulser de la Chambre.

M. LESAGE: ... indirectement, en m'adressant à vous, lui permettre de réfléchir un peu et de retirer volontairement ce qu'il regrettera dans une heure.

M. LAPORTE: M. le Président, vous devriez l'expulser, comme...

M. LE PRESIDENT: J'ai, bien sûr, saisi le mot « démagogie »; je n'ai pas compris, cependant, qu'il s'appliquait au député d'Ahunt-sic lui-même.

M. LAPORTE: C'est peut-être aux lustres ou aux galeries!

M. LE PRESIDENT: J'ai également compris l'expression « chantage » que l'honorable ministre du Travail a employée. Je sais que, de très bonne grâce, il va accepter de retirer ces deux expressions.

M. BELLEMARE: M. le Président, vu que vous êtes le maître des débats dans cette Chambre et que vous jugez que ce n'est pas parlementaire, je serais le dernier à vous désobéir. Je continue donc, M. le Président.

M. LESAGE: II faudrait obéir.

M. LAPORTE: Vous avez continué, mais pas assez loin; il faudrait retirer les paroles.

M. BELLEMARE: Alors, M. le Président, vu que c'est votre désir que je continue mon intervention dans des termes parlementaires, si j'ai manqué à mes devoirs, je m'en excuse auprès de la présidence et je continue.

M. LESAGE: Ce sont des jeux d'enfant.

M. BELLEMARE: M. le Président, je disais donc qu'un homme public doit, surtout lorsqu'il a la responsabilité de l'administration, apprendre à se renseigner et à consulter.

La consultation — il faut se comprendre — ne se fait pas par des télégrammes ou par des menaces, d'où qu'elles viennent. Ce n'est pas cela que nous allons appeler de la consultation.

M. LAPORTE: Cela, c'est de la constatation.

M. BELLEMARE: Je dis que j'ai été celui qui, jusqu'à maintenant, a le plus compris ses responsabilités d'homme public, comme ministre du Travail, qui a consulté et qui a reçu des conseils.

J'accepte le dialogue, j'accepte les représentations que les gens veulent me faire quand elles sont constructives et faites dans le but d'aider un gouvernement ou un ministre en place, mais pas quand on veut lui imposer des décisions ou un point de vue qui ne serait pas dans l'intérêt public.

La période du dialogue, des renseignements et des conseils passée, je crois que, dans cette Chambre, notre responsabilité, c'est de décider de faire quelque chose. Quand une législation a été préparée après maintes consultations, il appartient au ministre de légiférer et de décider dans l'Intérêt public.

Est-ce que ce sont les mouvements de pression des corps intermédiaires qui vont chercher dans le peuple des mandats pour être députés et ministres? Quand on va se faire élire auprès de la population, on demande un véritable mandat pour être, dans cette Chambre, les législateurs et pour décider, quand il y va de l'intérêt public, au nom de la démocratie et de ceux qui nous ont confié ce mandat.

On ne peut pas accepter qu'on fasse des lois dans cette Chambre — et je ne participerai pas à ça — qui auraient particulièrement comme fin d'accorder tout ce qu'on demande d'un côté et de refuser tout ce qu'on demande de l'autre côté. Non, M. le Président. Après avoir entendu les parties, ceux qui, dans le monde du travail, sont le plus près de moi, mes meilleurs conseillers, ceux qui ont acquis un prestige exceptionnel reconnu partout et qui ont vécu dans le monde du travail depuis des années, je les ai associés à la grande mission que je me suis donnée d'essayer d'établir dans la province de Québec des structures et des législations qui soient conformes d'abord à l'intérêt public bien servi et bien représenté et à toute la population en général.

M. le Président, le pouvoir de décision nous appartient. Nous allons, tous les 4 ans, devant le peuple chercher un mandat. Ce mandat veut que l'on soit élu ou battu. Ensuite, nous faisons partie d'une équipe qui va, elle aussi chercher

un mandat devant le peuple avec un programme. Cette équipe est élue ou battue. Lorsqu'elle est élue, M. le Président, ces hommes publics ont le pouvoir d'administrer.

Avant de passer à la loi organique du ministère du Travail, vu que l'honorable député d'A-huntsic prétend que j'ai refusé de recevoir une délégation hier soir, je voudrais vous mettre bien au courant des faits pour que vous soyez sensibilisés au problème. J'ai reçu, hier matin, à dix heures trente...

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse auprès de l'honorable ministre du Travail. Est-ce qu'il n'y aurait pas eu une entente à l'effet de suspendre les travaux à midi trente, à cause de la réception officielle?

M. BELLEMARE: M. le Président, je n'ai pas eu connaissance de l'entente; on ne m'a pas averti.

Mais je n'ai aucune objection à la suspension des travaux de la Chambre jusqu'à trois heures. En même temps, je voudrais vous dire que le lieutenant-gouverneur, que j'ai rencontré ce matin, est bien d'accord pour recommander l'étude de ce projet de loi à la Chambre.

M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux jusqu'à trois heures cet après-midi.

Reprise de la séance à 15 h 2

M. LEBEL (président): Al'ordre, messieurs! A l'ordre! Je regrette de mettre fin à ce dialogue intéressant, mais l'honorable ministre du Travail a la parole.

M. BELLEMARE: M. le Président, l'honorable député de Saguenay était à me rappeler des souvenirs d'une jeunesse fort troublée...

M. LESAGE: Et bien remplie.

M. BELLEMARE: ... et bien remplie, ah oui! ah oui! A la fin de mes remarques, à midi trente, à la suspension des travaux de la Chambre, j'étais à établir clairement les faits, pour qu'on ne les dénature pas dans l'opinion publique et pour qu'on puisse avoir la vérité vraie comme on dit, sur les événements qui se sont déroulés.

M. le Président, il a été question ce matin, dans une intervention de l'honorable député d'Ahuntsic, d'une délégation qui aurait demandé d'être reçue par le ministre du Travail, hier.

Les faits sont les suivants: en arrivant à mon bureau, hier matin, vers dix heures trente — j'étais arrivé plus tôt — on m'a remis un télégramme, daté de Montréal, le 3 décembre 1968, et qui m'avait été expédié vers sept heures, la veille au soir. Ce télégramme se lisait comme suit: « L'honorable ministre du Travail, « Hôtel du gouvernement, « Québec. « Des lois du travail ont été déposées la semaine dernière devant les Chambres. Il s'agit des bills 287, 288, 289. Vous avez indiqué qu'une loi concernant les relations intersyndicales dans la construction serait déposée devant la Chambre le jeudi 5 décembre. Vous avez déclaré au téléphone, lundi matin, au président de la CSN que vous prévoyiez que ces projets de lois seraient adoptés avant la fin de la session qui, d'après vous, doit se terminer samedi le 7 décembre. La CEQ, la FTQ, la CSN sollicitent une rencontre avec vous pour discuter des projets de loi. »

Nous vous demandons, en raison de la rapidité avec laquelle le gouvernement entend procéder, une rencontre pour mercredi le 4 décembre 1968, à 2 h 30 p.m. àvos bureaux de ministre, à l'édifice Delta, à Québec, ou encore à une autre heure ou à un autre endroit qui pourraient vous convenir. « Signé Louis Laberge, président FTQ, Raymond Laliberté, président CEQ, Marcel Pepin, président CSN. »

Immédiatement, M. le Président, quelques minutes après la réception de ce télégramme, j'ai moi-même adressé à ces trois signataires le télégramme suivant: « A 10 h 30 a.m., ce matin, mercredi le 4 décembre 1968, ai reçu votre télégramme envoyé mardi 3 décembre à 6 h p.m. Recevrai avec plaisir les trois personnes signataires du télégramme à mon bureau du Parlement à 8 h p.m., ce soir. » Signé: Maurice Bellemare.

On m'avait demandé, M. le Président, de dire l'heure, l'endroit, et je pense que c'est aussi mon privilège comme ministre de recevoir les présidents de la CEQ, de la FTQ et de la CSN, quand ils me le demandent. Il n'était pas question de l'exécutif dans le télégramme qu'ils m'avaient envoyé. Il était question des groupements représentatifs mentionnés, et surtout des présidents signataires. Alors, j'avais répondu: « Je recevrai avec plaisir les trois personnes signataires du télégramme à mon bureau, 8 heures, au Parlement, ce soir. »

Ce qui est arrivé, M. le Président, c'est que vers 8 h 15 — j'étais à mon bureau depuis 7 h 30 — on est venu me dire que les présidents de la FTQ et de la CSN étaient arrivés. Je suis sorti et j'ai constaté qu'il y avait de nombreuses personnes qui les accompagnaient. J'ai dit à ces messieurs: tel qu'il a été entendu dans mon télégramme, c'est mon désir, je suis ministre du Travail, et je suis certainement en droit de vous recevoir avec beaucoup d'obligeance, d'ailleurs, ça me fait plaisir de vous recevoir, Si les personnes qui ont signé le télégramme, les trois présidents des trois grandes centrales, veulent entrer, je suis prêt à les recevoir. Alors, ils ont dit: Il faut que l'exécutif entre avec nous autres. J'ai dit: Il n'est pas question, messieurs, de l'exécutif. Il est question d'une rencontre des trois signataires du télégramme que j'ai reçu. Si vous avez bien lu, j'ai dit, dans la réponse, que je recevrais avec plaisir les trois signataires. Autant c'est peut-être leur privilège de demander des rencontres avec tout leur exécutif, autant c'est mon privilège à mol, comme ministre, de recevoir ceux qu'il convient de recevoir dans les circonstances, les présidents.

Ils ont dit: Dans ce cas-là, on retourne. J'ai dit: c'est votre problème. Je n'ai pas à intervenir. La délégation est retournée, ils sont partis. Ce sont les faits. Seulement, dans l'après-midi du 3 décembre, il y avait eu un communiqué de presse d'émis. Je ne sais pas si les honorables messieurs les députés l'ont vu, un communiqué de presse de Montréal, 3 décembre 1968, à 5 heures, p.m., juste une heure avant l'envoi du télégramme.

Voici le texte intégral d'un communiqué re- mis aux journalistes lors d'une conférence de presse tenue cet après-midi à Montréal, déclaration du président de la CSN, Marcel Pepin, en marge des cinq lois de l'Union Nationale, qui veut les adopter à la vapeur d'ici samedi. Ce communiqué a été transmis à la presse. Je n'ai pas besoin de vous dire...

M. LESAGE: Aujourd'hui même?

M. BELLEMARE: Le 3 décembre mardi. La même journée que j'ai reçu...

M. LESAGE: Oui, nous l'avons lu dans les journaux.

M. BELLEMARE: Oui, cela a été publié dans les journaux. Cela a été une avant-première du télégramme que ces honorables messieurs ont bien voulu me faire parvenir. Je pense que, dans les temps que nous traversons, où nous avons des problèmes difficiles à régler, employer des termes tels que ceux rapportés dans ce communiqué et contenus en partie dans le télégramme, ce n'est pas ce qu'il y a de plus courtois, quand on a à rencontrer un ministre qui est responsable d'un organisme aussi difficile que celui du ministère du Travail.

Ce n'est pas avec des termes de cette sorte que nous allons marcher. Je dis et je répète que je n'ai jamais manqué de déférence à l'endroit de personne, à aucun chef. Jamais, je n'ai traité quelqu'un, comme je l'ai été par certains chefs syndicaux, avec des épithètes peu recommandables. On peut critiquer un ministre, c'est un droit, c'est la liberté syndicale. D'accord, on peut critiquer les lois. Mais quand on se prépare à demander des entrevues, surtout pour discuter des questions qui relèvent de l'administration et de la législation, je pense qu'à ce moment-là, on pourrait peut-être faire taire certaines personnes qui emploient des manières qui ne sont sûrement pas dans les manuels d'étiquette, quand il s'agit des bonnes relations qui doivent exister avec l'autorité, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas.

Qu'on aime ma figure ou qu'on ne l'aime pas, qu'on aime mes manières d'agir ou pas, une chose est certaine, c'est que je représente présentement l'autorité. Cette autorité, tant et aussi longtemps qu'elle ne sera pas changée, elle, et elle seule, a le droit de décider en matière de législation après que le cabinet des ministres a sanctionné les projets de loi, les a approuvés, les a fait distribuer et amenés ici à la Législature pour être discutés.

Je dis donc que certains ont prétendu que la loi organique du ministère, vieille de 37 ans, im-

posait — et c'est dans le principe de la loi — de nouvelles obligations au ministre et que c'était une loi coercitive. Je dis que notre projet s'inspire des lois qui ont créé certains ministères depuis quelques années.

Sans vouloir ouvrir un débat, je me permets de souligner que nous avons changé la désignation du ministère pour consacrer la réalité. C'est un fait probant.

Certaines gens ont pris la loi du ministère du Travail, l'ont lue et l'ont comparée à celle qui existait en 1931 et à celle qui existe aujourd'hui. Après l'avoir lue, ils ont prétendu que les renseignements qui pouvaient être demandés porteraient atteinte à la liberté. Je dis que ces gens-là, ou ont mal lu la loi, ou ont oublié que dans la province de Québec et dans le pays, il y a des lois qui sont bien plus restrictives et bien plus coercitives que la nôtre. Je me réfère particulièrement à la loi fédérale sur les renseignements, les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers, 10-11, Elisabeth II, chapitre 26, qui a de très fortes exigences et à laquelle toutes les parties, quelles qu'elles soient, se soumettent.

Je me souviens que lorsque le gouvernement fédéral a adopté cette loi, M. Jodoin qui représentait à l'époque la CTC, avait dit: Nous allons nous soumettre, c'est une loi de notre pays, et nous allons répondre à tous les questionnaires qui nous sont envoyés. A ce moment-là dans la province de Québec, une autre centrale syndicale avait dit: Non, nous ne répondrons pas parce que c'est une intrusion du domaine fédéral dans les relations du travail et dans des juridictions provinciales.

Deux années se sont écoulées sans qu'une entente ait été conclue et que des rapports aient été soumis directement au gouvernement fédéral. On alléguait à ce moment-là que le gouvernement fédéral n'avait pas le droit de demander des renseignements à des centrales qui étaient des centrales québécoises.

Mais après deux ans, on a adopté l'attitude qui veut qu'on se soumette aux lois du pays ainsi qu'aux réponses et déclarations que les corporations et les syndicats sont obligés de faire de même qu'aux très fortes exigences auxquelles les parties doivent se soumettre dans ces rapports au fédéral.

Nous pourrions aussi mentionner la Loi des « Employment standards » de 1968, en Ontario, qui va dans le même sens. Je ne sais pas si les honorables messieurs ont lu cette loi ou l'ont consultée. Au point de vue des demandes de renseignements, elle est beaucoup plus restrictive que la nôtre.

Ici même, au Québec, il y a quelques années, en 1964, nous avons adopté une loi créant le Bureau de la statistique, que nous retrouvons au chapitre 207 des Statuts refondus.

M. LESAGE: Oui.

M. BELLEMARE: II y a, dans la loi, des obligations extrêmement sévères pour la désignation de la personne et pour les renseignements qui peuvent être obtenus de différents ministères, comme de différentes personnes ou organismes.

Cette loi a été adoptée afin qu'il y ait une juste collaboration dans la statistique qui doit être établie par le gouvernement de la province et pour fournir, particulièrement au ministère qui s'occupe de ces données, le ministère de l'Industrie et du Commerce, les statistiques voulues pour faire voir la province de Québec sous son vrai jour, dans différents domaines: l'économique, les différents secteurs où « opèrent » l'industrie et le commerce, et leurs mouvements dans la province de Québec.

Ces renseignements, qui ont déjà fait le sujet d'un grand débat sur la place publique et qui ont été critiqués, ne sont demandés que pour aider le ministre. Vu notre évolution constante dans le domaine de la main-d'oeuvre et dans l'application de la Loi de la commission du salaire minimum; vu les différents services techniques qui sont aujourd'hui constitués à notre ministère dans différents domaines, nous avons besoin d'une foule de renseignements capitaux. Je dis que ces renseignements, particulièrement en ce qui regarde la main-d'oeuvre, il nous faut pouvoir aller les chercher chez les employés et un peu partout dans la province. Quel mal y a-t-il à demander par une loi organique le pouvoir d'obtenir des renseignements devenus absolument nécessaires pour organiser le ministère et surtout pour répondre aux besoins nouveaux et futurs de notre main-d'oeuvre?

Certains y voient un risque de perquisition. Qu'on attende donc avant de vouloir juger et des hommes et des lois! Si, un jour, nous faisions de la discrimination envers qui que ce soit, si nous nous servions de ce pouvoir d'une manière arbitraire, il y a assez de gens dans ce Parlement, il y a assez de journaux dans cette province, il y a assez de personnes intéressées qui nous condamneraient sur la place publique. Pourquoi cette crainte? Pourquoi cette hantise de la persécution ou de la discrimination? Qu'a-t-on à cacher? Qu'est-ce qu'on ne veut pas donner comme renseignements? Qu'est-ce qui pourrait nuire à la bonne administration d'un ministère qui organise actuellement tout un système au point de vue de la main-d'oeuvre? Je vous

demande, M. le Président, quel mal on peut voir dans une législation pareille surtout quand on la compare avec la loi fédérale qui, vis-à-vis des corporations et des syndicats ouvriers, va beaucoup plus loin? Elle est en vigueur, cette Loi des corporations et des syndicats ouvriers dans le Canada.

Est-ce qu'on a déjà vu des abus de ce côté-là? Est-ce que quelqu'un a pu reprocher à la loi fédérale de faire de la discrimination? Est-ce que l'on ne veut pas plutôt essayer d'attirer l'attention publique sur le fait que l'Union Nationale veut se servir de ce moyen pour faire de la discrimination? Je dis, de mon siège, non. J'ai assez le sens de la responsabilité, après l'avoir exercée depuis deux ans comme ministre du Travail, pour dire que pas un de mes officiers, ni le ministre ne veulent se servir de cet article de la loi pour persécuter, pour faire de la discrimination ou pour vouloir imposer aux mouvements ouvriers oui d'autres de la perquisition injustifiée. Mais ça fait beau dans le portrait, on y sent un peu que c'est un moyen de dire: Le ministre du Travail veut persécuter les syndicats, veut essayer de trouver quelque chose dans le financement ou dans les rapports qui devraient être faits et en public persécuter ces gens qui forment les corporations ou les syndicats ouvriers. Non.

Il n'est pas question d'autre chose que des formules usuelles pour assurer la bonne administration, l'organisation parfaite, si c'est possible, d'une meilleure main-d'oeuvre, d'un meilleur service technique et surtout, je crois sincèrement pour donner, en matière de recherche, un plus grand développement à notre bureau. Cela est une des politiques importantes que nous avons instaurées au ministère du Travail avant d'arriver avec la législation que nous avons commencé à présenter ce matin.

Nous avons pensé que la recherche était et devrait être toujours à la base même d'une discussion, qu'elle soit législative, administrative ou autre. Et nous avons organisé au ministère du Travail un bureau de recherche qui fonctionne aujourd'hui admirablement bien. Nous continuerons, M. le Président, pendant les prochaines années, à aller chercher encore, dans nos universités et dans le monde du travail ou des employeurs des cerveaux qui pourront nous rendre d'utiles services pour organiser notre bureau de recherche.

Non, M. le Président, aucune discrimination, aucune perquisition. Je ne suis pas pour de la politique coercitive. Je suis pour le bon sens, la paix sociale, le bon climat des relations entre le ministre et tous les mouvements ouvriers, qu'ils soient patronaux ou syndicaux.

M. LESAGE: L'enfer est pavé de bonnes intentions.

M. BELLEMARE: M. le Président, si, jusqu'à maintenant, nous n'avions pas prouvé à la province de Québec que le ministère du Travail avait besoin d'une restructuration qui a été faite, par ces structures et par ces personnes compétentes que nous sommes allés chercher, qui ont décidé un jour de se dévouer à cette grande oeuvre que nous accomplissons présentement, d'une réforme complète du ministère du Travail... Nous sommes allés chercher des hommes extrêmement sympathiques, compétents, dévoués, qui ne sont pas nécessairement de la couleur politique du ministre. Non, ce n'est pas ça que nous avons recherché. Nous avons recherché les meilleurs hommes aux meilleurs endroits, les plus compétents, et ceux qui voulaient véritablement faire action de bien en faveur du mouvement ouvrier dans la province de Québec.

Ah, c'est beau, M. le Président, de prêcher de la démagogie et d'être sur certains hustings publics de grands orateurs qui se pensent quelqu'un, parce qu'ils sont applaudis par 300 ou 400 personnes qui partagent peut-être leur point de vue. Mais, quand on a le sens de la responsabilité et qu'on a à justifier son sens des responsabilités, non particulièrement devant l'électo-rat, tous les quatre ans, non pas seulement les députés, mais tout le gouvernement... Un député peut être élu, mais s'il appartient à une équipe, il faut que l'équipe soit élue aussi.

Et, partant de là, il faut que le ministre responsable puisse réellement être un homme prudent, un homme d'une extrême courtoisie.

Quand il y a moyen de le faire et que l'intérêt public me le commande, je fais fi de ma petite personne. Je n'ai pas peur de recevoir publiquement des reproches, j'en ai reçu. Mais qu'on cesse, dans la province de Québec, d'accuser le ministre du Travail et tout le ministère d'incompétence. Cette assemblée n'est ni la place ni le lieu pour citer une liste complète des comparaisons qui peuvent être faites avec toutes les autres provinces du Canada quant aux conventions collectives déposées et signées, quant aux grèves, aux interventions, à l'arbitrage, et le reste.

La province de Québec a un dossier comparable à bien d'autres. D'autres provinces connaissent, elles aussi, des problèmes difficiles au point de vue du travail. Ce n'est pas parce que l'Union Nationale est au pouvoir à Québec que la situation est plus mauvaise qu'ailleurs. Qu'on consulte les statistiques et qu'on compare province par province. On verra que le Québec n'est pas en arrière. On parlera de la pilule,

c'est vrai. Mais je dirai à ceux qui me parleront de la pilule qu'une pharmacie s'en vient pour essayer d'améliorer nos lois. D'autres lois ouvrières viendront. Des lois auxquelles nous avons travaillé depuis plusieurs mois, qui nous ont été demandées, dictées et surtout conseillées par des mouvements ouvriers, d'accord, par des gens de l'industrie et du commerce, par des employeurs, d'accord, par des gens du « tiers monde », universitaires ou autres, d'accord.

Mais toutes ces lois sont appelées à changer d'une année à l'autre. Le code du travail de 1964, par exemple. Le gouvernement qui nous a précédés nous avait présenté une loi; nous y avons contribué, nous avons travaillé avec le comité, nous avons discuté de bien des aspects de l'application de la loi. Nous n'étions pas certains d'avoir accompli une oeuvre parfaite Mais le gouvernement en place avait donné un code du travail à la masse ouvrière. Depuis ce temps, à la lumière de l'expérience, on s'est aperçu que bien des articles du code devaient être épous-setés, changés, améliorés et même complètement abandonnés. Nous aurons l'occasion, lors de la prochaine session, de soumettre à la Législature un projet d'amendement au code de travail qui touchera plusieurs sections, particulièrement celle de l'accréditation.

Malgré que nous aurons fait l'impossible pour faire beaucoup de consultation à ce moment-là aussi, afin d'obtenir les meilleurs renseignements, nous consulterons, comme nous l'avons fait, toutes les organisations ouvrières, centrales syndicales et associations d'employeurs; nous consulterons aussi tous ces gens intéressés qui sont dans nos universités et qui s'occupent du code du travail. Nous consulterons nos collègues et nous consulterons aussi l'Opposition. Mais même après cela, lorsque tout le monde aura donné son opinion, il faudra que le gouvernement se décide à adopter une législation. Sera-t-elle au goût de tout le monde? Sera-t-elle en accord avec toutes les parties? Ce serait impossible.

Il faudrait que nous tranchions entre l'intérêt public, d'une part, et les revendications qui, pour certaines gens, sont raisonnables, d'autre part.

C'est pourquoi aujourd'hui nous commençons cette nouvelle réforme législative, en déposant d'abord la loi organique du ministère. Cette loi organique, à cause de toutes les situations qui nous sont faites, et pour répondre à des besoins que nous avons connus au ministère, doit contenir tous les pouvoirs qui sont demandés dans un des articles de la loi.

Vous savez qu'à notre ministère, et particulièrement dans la section de la main-d'oeuvre, nous devons répondre à de nouveaux impératifs.

Depuis quelques années, on emploie des termes nouveaux. On parle de reclassement, de recyclage, de réadaptation, de reconversion. Ce sont toutes des expressions nouvelles, fort populaires, qui décrivent, chacune d'elles, des nouveaux secteurs où le ministère du travail pénètre aujourd'hui plus qu'autrefois par ses services. Le reclassement, c'est l'adaptation à un emploi ou à une place dans la société, de personnes qui ne peuvent plus exercer leur activité antérieure par suite d'une cessation d'emploi.

Le travailleur peut alors être placé ailleurs, dans la même profession, ou plus souvent dans d'autres activités, moyennant sûrement un temps limité de réadaptation. C'est du reclassement. Le recyclage, lui, c'est une formule complémentaire qui est donnée aux travailleurs pour leur permettre de s'adapter plus rapidement à des progrès scientifiques et à une nouvelle technologie dans le travail quotidien. Il y a eu depuis quelques années de l'automatisation, il y a aujourd'hui des transformations très importantes dans le progrès qu'assurent nos usines, au point de vue de la technologie, il faut qu'il y ait là, maintenant que l'ouvrier est au travail, un espèce de recyclage.

Je pense que c'est une remise à jour des connaissances qui permettront de réintroduire les travailleurs dans de nouveaux cycles du travail et dans la vie économique qui doit nécessairement faire suite. La réadaptation, c'est le retour de F individu physiquement diminué à un niveau physique, professionnel et social, voisin de celui où il était auparavant. La réadaptation physique et professionnelle doit aboutir à la reprise de l'ancienne profession et des anciennes activités après une période plus ou moins longue, ou à l'acquisition d'un nouveau métier, si le premier exige des capacités qui ont été fort réduites, ou supprimées par l'affectation en cause. Vous avez des cas nombreux de réadaptation chez les accidentés du travail et dans certaines usines qui, à un moment donné, transforment complètement leur système de production. La reconversion, c'est l'adaptation d'un ouvrier à de nouvelles conditions de marché du travail par l'acquisition d'une nouvelle qualification professionnelle qui, sûrement, le perfectionne, mais qui le rend plus apte à jouer, au point de vue du travail, un meilleur rôle et à s'assurer aussi, par le fait même, un revenu qui soit de beaucoup amélioré.

Ces nouveaux termes que nous entendons souvent à travers la province sont sûrement des termes qui sont devenus populaires au ministère du Travail. Nous les employons continuellement dans notre appellation des nouvelles responsabilités.

M. le Président, nous aurons l'occasion, en comité plénier, de fournir les indications que nous demandera l'Opposition et de lui prouver que cette loi, bien loin d'être mauvaise, est nécessaire aux administrateurs publics d'aujourd'hui. S'il faut faire, dans les lois, quelles qu'elles soient, qui seront présentées d'ici quelque temps, des changements qui nous seront dictés après une période d'essai ou à la suite des expériences que nous vivrons, nous n'aurons aucun respect humain à apporter des amendements qui nous permettront d'améliorer notre loi. Nous ne sommes pas hermétiquement fermés contre tout amendement possible. Non, nous ne refusons pas les bonnes suggestions. Si nous pouvons ensemble améliorer ces lois par des suggestions utiles, nous les accepterons sans avoir l'idée que nous subissons un échec, au contraire.

Ce matin, je parlais de contestation et j'ai été fort enthousiasmé par les discours qu'ont faits en cette Chambre le premier ministre et le chef de l'Opposition. Le premier ministre a donné les grands critères de ce que devrait être une civilisation en 1968 et le chef de l'Opposition y est allé sûrement de commentaires qui sont tout en son honneur, Je pense que, dans un Parlement et surtout dans une province comme la nôtre, lorsque nous avons à traverser des moments difficiles, c'est l'exemple que nous ont donné ce matin le premier ministre et le chef de l'Opposition qui fait le plus d'impression sur la population. Si le Parlement s'unit au lieu de se diviser, nous serons forts et nous passerons à travers nos luttes.

M. le Président, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a de la contestation. Nous n'avons pas inventé ce mot; au contraire, 500 ans avant Jésus-Christ, cela existait. Platon, qui vivait 500 ans avant Jésus-Christ, disait: « Lorsque les pères s'habituent à laisser faire leurs enfants ou lorsque les fils ne craignent pas leurs parents et ne tiennent pas compte de leurs paroles; lorsque des maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter plutôt que de les conduire dans le droit chemin d'une main ferme; lorsque, finalement, les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien ni de personne, alors, c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. » Ce n'est pas un membre de l'Union Nationale ou un membre de l'équipe libérale qui a, un jour, pensé d'écrire ces expressions.

Je termine cette première intervention en deuxième lecture en souhaitant ardemment que l'on soit le plus objectif possible dans cette discussion de toutes les lois du travail. Que le débat soit vif et vigoureux, nous en sommes. Le seul et unique motif que nous recherchons tous, c'est le bien de la collectivité. Nous en sortirons meilleurs, nous et toute la population du Québec.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Ahuntsic.

M. Jean-Paul Lefebvre

M. LEFEBVRE: Ayant à deux reprises formulé la suggestion que le ministre convoque le comité des relations industrielles pour discuter du bill qui est devant nous et des autres qui doivent suivre, j'avais trouvé le ministre plutôt fermé aux suggestions de l'Opposition. Je suis heureux de constater qu'il n'est pas hermétiquement fermé, du moins, c'est ce qu'il vient de dire en terminant son intervention.

Je pense que c'est l'avenir qui démontrera la justesse de ce propos, à savoir si le ministre est, oui ou non, disposé à discuter de ces bills non pas dans l'intérêt d'un parti politique, quel qu'il soit, ou dans l'intérêt de sauver la face, comme il a dit, mais bien dans l'intérêt commun de la population du Québec et notamment d'une meilleure utilisation de la main-d'oeuvre québécoise.

J'aurai évidemment des remarques à faire sur le discours du ministre. Cependant, j'y viendrai un peu plus tard au cours de mon intervention.

Le ministre a cité Platon. Je le félicite d'avoir des lectures, malgré qu'il soit, comme il l'a dit lui-même, très occupé à la direction de son ministère. J'avais préparé pour lui deux petites citations que je lui livrerai avec d'autant plus de plaisir que je le constate sensible aux idées.

Il s'agit de deux citations d'un livre bien connu de M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, « Le défi américain »...

M. BELLEMARE: Livre de?

M. LEFEBVRE: Jean-Jacques Servan-Schreiber.

M. BELLEMARE: Schreiber, oui.

M. LEFEBVRE: Vous verrez cela au journal des Débats. M. Schreiber écrit ceci, notamment: « Les idées ne sont pas des ornements, mais des outils pour transformer le monde, et rien n'est plus rentable qu'une bonne idée. » Je trouve que cela a du bon sens.

M. GABIAS: C'est dans « Le défi américain »!

M. LEFEBVRE: Oui, je l'avais dit avant vous!

M. GABIAS: Nous avons des lettres, nous aussi!

M. LEFEBVRE: Je ne sais pas si le ministre de l'Immigration préférerait se retirer ou écouter. Si je l'ennuie, je ne serais pas insulté qu'il se retire. Mais j'apprécierais qu'il ne m'interrompe pas.

M. GABIAS: C'est que quand vous dites des choses intéressantes...

M. LE FEBVRE : Vous êtes bien aimable.

M. GABIAS: ... nous voulons que vous sachiez que nous le savons.

M. LEFEBVRE : C'est beau. J'aimerais citer au ministre du Travail un autre petit extrait de M. Servan-Schreiber, ce que je fais en même temps pour l'édification du ministre de l'Immigration: « La force moderne, c'est la capacité d'inventer, c'est-à-dire la recherche et la capacité d'insérer les inventions dans des produits, c'est-à-dire la technologie. Les gisements où il faut puiser ne sont plus ni dans la terre, ni dans le nombre, ni dans les machines; ils résident dans l'esprit, plus précisément dans l'aptitude des hommes à réfléchir et à créer. La formation, le développement, l'exploitation de l'intelligence, telle est la ressource unique. Il n'en existe pas d'autre ».

Or, j'ai voulu, en faisant ces citations, montrer dans quel esprit je voulais aborder l'étude de ce bill. Je pense, quant à moi, que le bill qui est devant nous pose des problèmes de philosophie politique de toute première importance et que c'est à ce niveau-là qu'il faut en aborder la discussion.

Je regrette que ni le texte du bill, ni le discours du ministre ne nous éclairent beaucoup sur la philosophie du gouvernement qui, par son bill, veut restructurer le ministère du Travail et de la Main-d'œuvre et donc, je le présume, mieux adapter nos institutions aux besoins actuels de la société québécoise.

En effet, quel est le principe du bill qui est devant nous? Eh bien, on le trouve aux notes explicatives, comme à l'ordinaire. On dit: « Ce bill a donc pour objet de refondre la Loi du ministère du Travail et d'accorder au ministre des pouvoirs nouveaux concernant les renseignements qu'il peut obtenir ainsi qu'en matière de formation professionnelle, de placement, de reclassement, de recyclage, de réadaptation, de reconversion et de mobilité de la main-d'oeuvre. »

Or, bien que j'admette qu'il ne soit pas facile d'inclure dans un bill les intentions profondes ou la philosophie politique du gouvernement qui le propose à l'attention de la Chambre, on aurait dû s'attendre, tout normalement je crois, à ce que le ministre, lui, dans son intervention nous éclaire sur ces intentions du gouvernement. Je constate qu'en deuxième lecture, il ne l'a pas fait. J'espère, quant à moi, qu'il le fera au cours des débats postérieurs parce qu'en effet, ce bill n'aurait pas beaucoup de portée s'il ne faisait, à toutes fins pratiques, que changer le nom du ministère et ajouter certains pouvoirs, dont certains sont fort mal déterminés et dont au moins un a tout lieu d'inquiéter ceux qui se préoccupent de la liberté des citoyens. En effet, nous sommes d'avis, contrairement à ce qu'a dit le ministre du Travail, que les pouvoirs d'enquête qui sont ici suggérés pour le ministre sont légèrement exorbitants. Jusqu'à preuve du contraire, il nous semble tout à fait impossible de nous rallier aux bonnes intentions auxquelles le ministre a fait allusion tout à l'heure.

Ce bill ne propose pas — et c'est malheureux — la réforme administrative profonde qu'eussent exigé les circonstances nouvelles, dans le domaine des relations patronales-ouvrières et dans le domaine des politiques de main-d'oeuvre en général. Le bill nous propose d'ajouter quelques responsabilités, mais encore une fois, on ne nous dit pas ce que le ministre entend faire. Il vient de parler à la défense de son bill, mais il ne l'a pas mentionné non plus, se contentant de dire qu'il ne voulait rien faire de mal, ce qui est légèrement court, on en conviendra, en tant qu'explication.

Dans la province de Québec, traditionnellement — et cela dépasse la personnalité, les intentions ou les possibilités du ministre actuel — il faut convenir que le ministère du Travail a été considéré comme le ministère des relations patronales-ouvrières. Aujourd'hui, deux réalités nouvelles sautent aux yeux de tous ceux qui savent voir. D'une part, c'est que l'espèce de rôle de police des relations patronales-ouvrières, joué jusqu'ici par le ministre du Travail et par son ministère en grande partie aussi, est largement dépassé et suranné. D'autre part, le domaine des relations patronales-ouvrières s'inscrit dans un ensemble qui n'est, en fait, que l'une des facettes d'une réalité beaucoup plus complexe que l'on définit comme une politique de main-d'oeuvre et, autant que possible, une politique active de main-d'oeuvre, au niveau des institutions internationales qui s'intéressent à cette question.

Or, je soumets aux membres de cette Chambre que le projet que le ministre a déposé et que les explications qu'il nous a fournies ne répondent ni à l'une ni à l'autre de ces deux réalités nouvelles. En effet, pour accorder une véritable autonomie aux partenaires sociaux, c'est-à-dire aux employeurs et aux syndicats, pour favoriser une meilleure entente et une meilleure collaboration à la productivité et au bien-être général des travailleurs et de l'ensemble de l'économie, il eût fallu que le ministre nous propose dans son bill des structures nouvelles, des structures qui incarnent vraiment une nouvelle approche, une nouvelle philosophie du problème des relations de travail.

En fait, il faut le constater, il eût été téméraire de s'attendre à cela de la part du ministre actuel. Il a tellement bien épousé le rôle traditionnel du ministre du Travail en tant qu'extincteur d'incendie, si vous voulez, ou en tant que responsable d'étouffer des conflits à droite et à gauche qu'à mon humble avis — et je ne le dis pas pour le plaisir de le blesser ni pour le blesser du tout, d'ailleurs, mais parce que cela m'apparaît la vérité — il est presque devenu la caricature de ce personnage.

Sans doute, le ministre fait-il des efforts. Il les fait surtout quand il a des chances de réussir, comme je le dirai en le citant lui-même dans un instant. Ces efforts et cette attitude du ministre m'apparaissent cependant empreints d'un paternalisme qui risque de gâcher passablement tout le domaine des relations patronales-ouvrières. Je trouve que c'est de ce paternalisme que les lois que nous soumet présentement le ministre font preuve; c'est contre ça que je voudrais m'élever, au nom des membres qui siègent de ce côté-ci de la Chambre.

A l'appui de cette hypothèse et pour prouver qu'elle est loin d'être gratuite, je vous citerai un extrait que je considère, pour ma part, comme une perle dans le genre. C'est un extrait du ministre du Travail lui-même, tel que cité dans la Presse du 18 juillet 1968.

Il s'agissait, vous vous en souvenez, du fameux conflit à la Régie des alcools et de la fameuse prophétie du ministre du Travail, lui le grand responsable de la conciliation, prévoyant, dès les origines, un conflit de six mois. A mon humble avis — et j'en fais une parenthèse seulement — cette seule déclaration eût été suffisante pour entraîner la démission du ministre du Travail. C'était une bourde tellement énorme par rapport au rôle qui lui est assigné que le gouvernement et le premier ministre, à mon humble avis, auraient dû lui demander de donner sa démission.

A tout événement, le ministre du Travail dé- clarait notamment ceci toujours à propos de cette grève : « Mes conciliateurs m'affirment qu'il n'y a pas possibilité d'entente entre les parties. Lorsque j'interviens, d'ordinaire, c'est qu'il y a possibilité d'entente ou de compréhension entre les parties. »

M. BELLEMARE: M. le Président, je soulève un point d'ordre.

M. LEFEBVRE: Certainement

M. BELLEMARE: En vertu du règlement, quand une chose comme ça se présente, il faut que l'intéressé corrige immédiatement.

Je nie, M. le Président, de mon siège, cette affirmation, que je n'ai jamais faite, et qui a été publiée à mon insu, comme bien d'autres choses le sont, je n'ai jamais dit ça.

M. LEFEBVRE: M. le Président, j'espère que M. Gilles Daoust est dans la tribune.

M. BELLEMARE: Oui, j'espère que d'autres vont se rectifier aussi.

M. LEFEBVRE : Et qu'il prendra connaissance de l'affirmation du ministre. Quant à moi, je dois prendre la parole du ministre à l'effet qu'il n'a jamais dit...

M. BELLEMARE: Jamais.

M. LEFEBVRE: ... les paroles qui lui sont imputées. Le ministre...

M. BELLEMARE: Est-il déjà arrivé à l'honorable député de se faire mal rapporter...

M. LEFEBVRE: M. le Président, je ne pense pas...

M. BELLEMARE: ... par M. Guy Cormier?

M. LEFEBVRE: ... devoir subir ici un interrogatoire...

M. BELLEMARE: Je lui demande simplement...

M. LEFEBVRE: ... sur les aléas de ma vie politique. J'ai cité une déclaration reproduite. Le ministre dit qu'il n'a jamais prononcé ces paroles.

M. BELLEMARE: Jamais!

M. LEFEBVRE: Quant à moi, l'incident est

clos. Maintenant, si le ministre a vraiment déclaré cela, j'imagine qu'il y a des témoins qui pourront faire valoir leur point de vue.

M. GABIAS: S'il est clos, ce n'est pas clos.

M. LEFEBVRE: C'est ça.

M. GABIAS: C'est clos de notre côté.

M. LEFEBVRE: Fiez-vous à moi.

Alors, M. le Président, je ne suis pas étonné, je donne ça un peu pour l'édification de la Chambre. Remarquez que je n'ai pas monté une charge contre le ministre du Travail à l'occasion de ce bill, c'eût été trop facile, et peut-être superflu. Mais j'aimerais ici citer un autre témoignage, en ce qui concerne justement les réactions violentes que les attitudes paternalistes du ministre ont provoquées en divers milieux. Il y a notamment une citation de M. Laberge. Je ne sais pas si celle-là est exacte. Le ministre corrigera une fois de plus, s'il n'est pas d'accord. Mais, c'était dans la Presse du 3 septembre. Je donne la citation telle que reproduite: « Le président de la Fédération des travailleurs du Québec, M. Laberge, a déclaré hier soir, devant quelque 35,200 personnes, réunies à l'occasion d'une fête populaire à la Place des nations, à Terre des Hommes, qu'on devrait changer le ministre québécois du Travail, M. Maurice Bellemare. »

Evidemment, il eut été facile d'accumuler les critiques à l'intention du ministre, ce n'est pas toutefois mon intention.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Malheureusement, je dois interrompre ici l'honorable député d'Ahuntsic, pour lui rappeler l'article 556, et lui rappeler qu'au cours du débat sur la motion de deuxième lecture, il faut s'en tenir à l'à-propos, à la nature, aux faits du bill, aux moyens d'y parvenir.

M. LEFEBVRE: Je vous remercie, M. le Président, de me rappeler à l'ordre. Soyez convaincu que c'est tout à fait mon intention. Si, par hasard, je m'en écartais, je vous serais obligé de bien vouloir me le rappeler.

Tout de suite, je voudrais disposer d'une objection que, sans doute, le ministre du Travail pourrait faire à la thèse que j'ai déjà commencé à développer et que je m'apprête à continuer, en disant: Ah, les libéraux n'ont pas fait ça! C'est une ligne de défense qui est bien connue.

M. BELLEMARE: Je n'ai pas dit ça.

M. LEFEBVRE: Je n'ai pas dit que vous aviez dit ça, j'ai dit que vous vous prépariez à le dire.

M. GABIAS: Il n'a pas dit ça.

M. BELLEMARE: Ah non!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. GABIAS: On a dit: Ils n'ont rien fait.

M. LEFEBVRE: II faudrait que vous soyez bien changé depuis hier. Alors, M. le Président, je disais donc que c'est un fait que la révolution tranquille n'était peut-être pas tout à fait rendue au ministère du Travail, mais je veux dire, par exemple, et ceci est de notoriété publique, que, dans le parti auquel j'adhire, on a constaté l'évolution des choses et qu'on a posé des gestes concrets pour adapter nos politiques aux faits que je viens de mentionner.

Par exemple, dès 1966, on constatera, et sans doute le ministre du Travail a-t-il pris là la bonne idée de modifier le nom de son ministère, mais on constatera que le parti libéral du Québec s'était engagé à créer un ministère de la Main-d'Oeuvre et du Travail. Le député de Champlain nous propose un ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, vous admettrez que ç'a l'air d'une copie.

En 1967 et 1968, également, les congrès pléniers du parti libéral... Incidemment, nous nous intéressons toujours à la possibilité d'un congrès de l'Union Nationale, nous en constatons la rareté.

Quant à nous, nous avons tenu, en 1967 et en 1968, des congres réguliers au cours desquels nous avons adopté des résolutions précises que j'aurai l'occasion de citer plus tard au cours du débat et qui démontrent bien que le parti libéral est à l'heure de 1968 et se préoccupe, comme je viens de l'indiquer, d'adopter ses politiques aux besoins d'aujourd'hui.

Or, M. le Président, quels sont justement ces besoins? J'ai, tout à l'heure, fait allusionau fait que, d'une part, il fallait mettre de côté la philosophie traditionnelle qui a inspiré le rôle du ministère du Travail et en particulier de son titulaire, le ministre lui-même, et que d'autre part, il fallait désormais considérer les relations patronales-ouvrières comme une partie seulement, comme une facette seulement des politiques de main-d'oeuvre.

Le gouvernement l'a bien senti, qui, à tout le moins, a voulu changer le nom du ministère pour y ajouter le mot « main-d'oeuvre ». Ce gouvernement est assez habile dans les mots,

on ne peut le nier, puisqu'on a déjà au registre l'Assemblée nationale, le Secrétariat d'Etat, la Sûreté du Québec, etc. Bien sur, M. le Président, je ne vais pas m'aventurer sur un terrain où je risquerais de devenir très vite hors d'ordre.

Mais revenons donc au bill 287. Je voudrais, quant à moi, suggérer l'hypothèse qu'il ne semble pas... et la meilleure preuve en est le discours que le ministre a fait. On pourrait m'ob-jecter que dans une loi, on ne peut pas tout mettre. Mais dans le discours d'un ministre responsable, comme il dit, d'un ministre qui est l'autorité en cette matière, on s'attendrait à ce que cette autorité, digne d'elle-même et du prestige qu'elle désire imposer à la province, éclaire le peuple et notamment les membres de cette Chambre sur ses intentions profondes et sur sa philosophie.

Or, que nous a livré le ministre à ce sujet? Quelques définitions tirées du lexique du fonctionnaire du ministère de la Main-d'Oeuvre. C'est à peu près tout. En matière de philosophie institutionnelle, en matière de philosophie qui inspire cette loi et l'activité future du ministère, nous sommes vraiment restés sur notre appétit.

M. le Président, qu'est-ce qu'une politique de main-d'oeuvre, puisque ce serait là l'objectif du nouveau ministère? Bien sûr, une politique de main-d'oeuvre implique un très grand nombre d'activités d'un gouvernement et on peut, dans une certaine mesure, dire qu'elle exige, du moins qu'elle est impossible sans qu'un gouvernement se préoccupe, par exemple, d'adopter des mesures favorisant l'expansion économique. Bien sûr, une politique active de main-d'oeuvre est impensable dans une économie qui stagne. En particulier dans la situation de chômage où se trouve actuellement le Québec — chômage sans cesse croissant, jusqu'aux dernières statistiques en tout cas — il serait évidemment important qu'une politique de main-d'oeuvre soit appuyée sur une politique d'expansion économique.

Une politique de main-d'oeuvre exige également un système d'éducation adéquat, continuellement adapté à l'évolution des besoins du marché du travail. Mais finalement, une politique de main-d'oeuvre exige surtout un ensemble de mesures spécifiques et qui constituent ce qu'on appelle communément une politique active de main-d'oeuvre.

Eh bien, M. le Président, pour se faire une idée de ce contenu qui soit plus complète que celle que nous a suggérée le ministre du Travail, on n'a qu'à s'interroger sur les besoins des travailleurs. En effet, ceux-ci sont l'objet de la politique de main-d'oeuvre et ce sont leurs besoins, tant individuels que collectifs, qui vont nous dire ce que devrait faire un ministère de la Main-d'Oeuvre.

Quels sont les besoins des travailleurs? Quels sont les besoins de la main-d'oeuvre du Québec? Répondons à cette question et nous aurons répondu aux fonctions du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre. Or, le tout premier besoin d'un travailleur, quel qu'il soit, c'est d'apprécier ses propres goûts et ses propres talents. La réponse à ce besoin-là, c'est l'orientation scolaire et professionnelle. C'est-à-dire qu'un ministère du Travail devrait d'abord être équipé pour établir le profil de tous les métiers, de toutes les professions, les conditions d'accès et d'admission à la pratique des différents métiers et professions et fournir aussi à la masse des travailleurs la possibilité, l'aide nécessaire pour les aider dans cette difficile tâche de l'orientation professionnelle.

Je suis personnellement d'avis, M. le Président, bien que ce ne soit pas encore une position officielle de mon parti, je tiens à le dire, qu'il serait logique que les activités concernant l'orientation professionnelle des jeunes aussi bien que des adultes soient désormais exécutées au sein du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre dont nous parle le bill 287.

Je ne ferai qu'une brève parenthèse sur ce point qui touche, d'ailleurs, le bill lui-même, puisqu'on parle de main-d'œuvre. Je mentionnerai à votre attention que ce qu'on a convenu d'appeler la crise des CEGEP est due en grande partie aux déficiences de l'orientation des jeunes. Je pense que cette crise eût pu être grandement atténuée, si l'on avait prévu, pour ces étudiants lorsqu'ils sont entrés au CEGEP, des contacts avec les officiers du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, c'est-â-dire avec des orienteurs qui soient parfaitement au fait de l'évolution des besoins du marché du travail. Pour cette raison, je n'ai fait que citer l'exemple, je crois qu'il serait logique de prévoir, à l'avenir, que l'orientation professionnelle soit exécutée en tant que fonction à l'intérieur du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. le Président, le deuxième besoin d'un travailleur — toujours pour en arriver à faire le tour et à dresser le portrait de cette politique de main-d'oeuvre que nous attendons et que nous espérerions obtenir du gouvernement actuel, mais que ni le bill, ni le discours du ministre ne nous fournissent — c'est de connaître les débouchés qui existent et les occasions d'emploi. Or, ceci trouve sa réponse dans la fonction du placement. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises et d'autres de mes

collègues en ont aussi parlé dans cette Chambre. La fonction du placement est une fonction extrêmement complexe, qui est loin de se restreindre, comme semble le croire le ministre actuel — du moins si on en croit ses agissements — loin de pouvoir se limiter au problème du classement des fichiers et au problème de fournir aux travailleurs en quête d'emploi la liste des emplois disponibles.

La fonction du placement comporte d'abord des travaux de recherche très considérables pour établir les prévisions des besoins en main-d'oeuvre, à long terme, à moyen terme et à court terme. Cette fonction exige également un inventaire permanent de la main-d'oeuvre. Au delà du placement traditionnel, elle exige également une notion qui me semble tout à fait étrangère au ministre et au ministère, tel qu'administré présentement. Je veux faire allusion au placement préventif, par exemple dans les cas, hélas trop nombreux, de fermeture d'usines et de réduction de personnel. J'y reviendrai d'ailleurs dans un instant.

Le troisième besoin des travailleurs est certainement un besoin de sécurité d'emploi. Bien sûr, il faut équilibrer cette sécurité avec la mobilité qui est nécessaire au point de vue du développement économique. Il ne s'agit pas de figer chacun, éternellement à un emploi donné, mais on ne peut pas, d'autre part, nier l'importance qu'il y a à préserver les travailleurs — je crois que c'est le rôle du législateur de favoriser cela — contre les mises à pied sans avis. Entre la jungle absolue qui existe présentement et un excès de rigidité qui proviendrait de l'impossibilité de changer d'emploi, le ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre doit trouver un juste milieu.

Or, je crois que c'est l'occasion — pendant que nous discutons du bill qui doit, justement, représenter, du moins, ça semble être cela dans l'esprit du ministre, ce nouveau départ des politiques de main-d'oeuvre du gouvernement — que c'est le temps de rappeler au ministre que, nulle part dans son bill, ni dans son discours, il n'a fait allusion à ce problème de la sécurité d'emploi des travailleurs ainsi qu'au problème du préavis avant les mises à pied, dont nous avons souvent parlé dans cette Chambre. Le ministre, à plusieurs reprises, a dit: « Oui, oui, je vais m'en occuper. » Mais, il ne semble pas que le ministre soit encore éveillé à cette réalité, qui, pourtant, représente, dans la vie de centaines de milliers de travailleurs québécois, un drame réel.

J'aimerais — bien que je ne veuille point traiter ce sujet en détail ici — vous citer un bref extrait d'un article paru dans la Revue interna- tionale de droit comparé. Il s'agit de la livraison de janvier-mars 1967, où l'on traite précisément de la législation comparée en matière de préavis en cas de congédiement. Encore une fois, je parle de cela, parce que c'est l'un des besoins les plus cruciaux, les plus pressants actuellement dans les politiques de main-d'oeuvre québécoise.

Or, le ministre n'en a pas dit un mot.

M. BELLEMARE: M. le Président, est-ce que le député me permet juste une intervention?

M. LEFEBVRE: Oui.

M. BELLEMARE: Je ne peux sûrement pas, dans une loi organique, donner âl'honorable député toute la nomenclature de ces lois nouvelles qui vont faire l'objet de changements. Je dis à la Chambre que le préavis lorsqu'un employeur ferme ses portes, dont parle le député, c'est prévu dans la nouvelle législation, et fort bien prévu.

M. LEFEBVRE: M. le Président, il nous est difficile — je pense que le ministre l'admettra — de prendre la parole du ministre sur ce genre de choses.

M. BELLEMARE: Ce n'est pas l'endroit pour en parler.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je suis tenu de prendre la parole du ministre sur des situations de fait; je ne pense pas qu'il y ait aucun règlement de cette Chambre qui m'oblige à prendre au sérieux les promesses du ministre, parce que je pourrais lui en donner...

M. BELLEMARE: II n'est pas question, M. le Président, de discuter des promesses du ministre ni de faire son procès; il s'agit de discuter du principe du bill en deuxième lecture.

M.LEFEBVRE: D'accord. Mais, M. le Président, je ne crois pas...

M. BELLEMARE: II ne peut pas être question dans ça, de préavis, c'est clair.

M. LEFEBVRE: ... que le ministre ait à juger de l'à-propos de mon intervention. Quant à moi, comme le ministre a parlé d'un bon nombre de choses — je pourrais lui relater ses propos — et qu'il ne s'est pas senti lui-même dans une camisole de force pour faire l'éloge de son bill, du moins, je ne le crois pas, je ne vois pas très bien pourquoi...

M. BELLEMARE: Ce n'était que le début, là.

M. LEFEBVRE: ... à moins que vous-même n'en jugiez — même si mes propos ne plaisent pas au ministre du Travail — il restreindrait ma liberté dans la façon dont j'entends démontrer à cette Chambre la pauvreté de sa loi et de son argumentation. Je revendique ce droit, M. le Président, et, tant que vous serez assis, je me sentirai en parfaite sécurité pour le faire.

Je disais donc à cette Chambre et à vous-même, M. le Président, que, traitant de ce problème du préavis, on dit ici ce qui suit, premièrement: « Dans tous les pays européens qui ont apporté avec éclat leur contribution à l'enquête qui a été faite sur le sujet, on constate l'existence d'un corps très important de mesures destinées à éviter au travailleur de perdre sa place dans l'entreprise et d'être... »

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Est-ce que je dois comprendre que l'honorable député d'A-huntsic ne fait qu'ouvrir une parenthèse? C'est ce que j'ai cru, lorsqu'il a abordé ce problème. S'il voulait plaider à l'effet que le ministère, sous sa nouvelle appellation, apporterait quelque changement à cette politique, je pense bien que nous pourrions permettre cette argumentation, sinon, il conviendra, je pense, qu'il déborde les cadres de la motion de deuxième lecture.

M. LEFEBVRE: M. le Président, mon intention n'était que de donner lecture d'une citation et non pas de faire une longue argumentation sur ce sujet-là. Je pense que, si vous me permettez de finir ma citation, ça évitera au ministre des recherches, puisqu'il trouvera au journal des Débats des propos qui, je pense, pourront lui être utiles et, encore une fois, qui m'apparaissent pertinents. Maintenant, si vous préférez que je ne termine pas la lecture de cette citation, quant à moi...

M. LE PRESIDENT: C'est-à-dire qu'il faudrait que la lecture de la citation se réfère au sujet et à l'objet du bill. Je pense que l'expérience du député d'Ahuntsic est assez grande qu'il conviendra avec moi qu'il faut s'en tenir, à ce moment-ci, à la nature et à la valeur intrinsèque du bill, à l'à-propos du bill.

M. LEFEBVRE: M. le Président, c'est ce que je prétends faire. J'ai mentionné tout à l'heure que le bill prévoyait des pouvoirs nouveaux pour le ministère dans le domaine — et je cite ici le texte de la note explicative — « du placement, du classement, du recyclage, de la réadaptation, de la reconversion et de la mobi- lité. » Or, je soutiens, M. le Président que le bill aurait dû contenir quelque chose aussi au point de vue de la sécurité d'emploi. Il me semble que je suis bien dans les cadres, mais, encore une fois, M. le Président, avec votre obligeance, je ne veux que compléter la lecture d'une citation et, ensuite, passer à autre chose.

Nous disions donc, M. le Président, que, « dans tous les pays européens qui ont apporté avec éclat leur contribution à l'enquête, l'on constate l'existence d'un corps très important de mesures destinées à éviter au travailleur de perdre sa place dans l'entreprise et d'être ainsi exposé au chômage. A l'heure actuelle, les concentrations d'entreprises et l'automation déterminent une accentuation de la lutte pour la sécurité de l'emploi. Compte tenu d'abord de l'opposition entre la situation du travailleur et celle du chef d'entreprise en cas de rupture, des différences entre eux quant aux risques courus, le droit au préavis, disposition la plus timide puisqu'elle ne contredit pas la faculté de rupture, est aménagée différemment selon que la séparation émane du chef d'entreprise ou du travailleur. L'ancienneté des services entraîne son augmentation. « Ainsi en Belgique, le préavis ne dépasse jamais trois mois, si la rémunération annuelle n'est pas supérieure à 120,000 francs, lorsqu'il doit être donné par l'employé, tandis que le délai-congé émanant de l'employeur, pour ce taux de rémunération, est augmenté de trois mois dès le début de chaque période de cinq ans chez le même employeur. « De son côté, le Royaume-Uni, en vertu de l'Income Tax of Employment Act de 1963, a décidé qu'après dix ans d'ancienneté, le préavis légal était doublé à l'égard du salarié, tandis qu'il n'était pas modifié en cas de démission du travailleur. « La loi française du 19 février 1958 n'institue un préavis minimum d'un mois pour six mois de services continus qu'en faveur du salarié. »

Or, M. le Président, le but de cette citation était de bien démontrer à cette Chambre, et au ministre du Travail en particulier, que le problème de la sécurité d'emploi, dans tous les pays où Pon se préoccupe d'adopter la législation du travail aux besoins de l'époque, a fait l'objet d'études approfondies et qu'il a fait l'objet de législations. Ceci est afin d'activer à la fois l'imagination et le sens du travail du ministre et du gouvernement de façon que les détails ne soient pas trop grands. En effet, en montrant la lacune qui existe dans ce bill dont nous entreprenons aujourd'hui la discussion, je souhaiterais, quant à moi, surtout tenant compte de

l'ouverture d'esprit que le ministre a affirmé avoir tout à l'heure vis-à-vis des lacunes qu'on pourrait lui souligner, j'espère, quant à moi, que dès avant que ce bill soit mis aux voix, le ministre voudra demander à ses fonctionnaires de préparer tout de suite un amendement pour prévoir, dans les fonctions du nouveau ministère, les garanties normales en matière de sécurité d'emploi. C'est le sens de mon propos.

M. le Président, le quatrième besoin, j'en était à traiter brièvement du troisième besoin des travailleurs face à une politique active de main-d'oeuvre, c'est certainement celui du soutien financier en cas soit de chômage, soit d'accident du travail, soit pour toute autre raison de sous-emploi, par exemple. Or, déjà, le ministère du Travail, traditionnellement, et le nouveau ministère qui nous est proposé dans le bill 287, avait juridiction sur les accidentés du tra-vai. Il était donc responsable, par le truchement de la Commission des accidents de travail, de subvenir aux besoins financiers des accidentés, soit sous forme de prestations temporaires, soit sous forme de pension dans les cas d'invalidité permanente.

Je pense, quant à moi, qu'il faudrait peut-être envisager la possibilité que l'assistance financière temporaire aux sans-emploi soit désormais coordonnée avec les politiques de main-d'oeuvre. De cette façon, les travailleurs provisoirement sans travail ou sous-employés et qui ont besoin du soutien des pouvoirs publics pourraient trouver sur place auprès du même ministère et auprès des mêmes personnes, dans un même lieu physique, tous les services dont ils ont besoin, en matière d'orientation, en matière de recyclage ou encore en matière d'assistance financière ou de placement.

Le cinquième besoin des travailleurs, M. le Président, c'est certainement le besoin de protection au travail. Et, à ce point de vue déjà, l'ancien ministère, comme le nouveau, sera responsable de l'application de la loi du salaire minimum. Le nouveau ministère devrait, à mon avis — et je regrette que le ministre n'ait pas mentionné d'intention ferme à ce sujet — améliorer la protection présentement offerte pour les travailleurs à domicile. De même, le nouveau ministère devrait s'occuper — il s'occupera sûrement — de l'application des lois actuelles concernant la sécurité sur les lieux de travail.

Incidemment, M. le Président, en matière de sécurité sur les lieux de travail, nous attendons toujours le fameux bill, qui est l'une des promesses faites très souvent par le ministre, mais qui n'a pas encore été réalisée. Evidemment, un problème comme celui du travail de nuit, dont nous aurons à causer à propos d'une autre législation, tombera aussi sous l'application de l'ensemble des mesures, si vous voulez, de protection des travailleurs, et il est compris dans la juridiction du ministère, tel qu'il nous est proposé.

La question que je me pose à ce moment-ci, c'est dans quelle mesure — voulant apprécier, n'est-ce pas, les chances du futur ministère de répondre à ces besoins, je m'interroge en toute bonne foi — ces besoins ont déjà trouvé leur réponse, ont déjà été satisfaits par le ministère du Travail tel qu'il existe. En toute bonne foi, mon impression, c'est que si on dit 25% ou 30%, c'est la note la plus élevée qu'on puisse donner au rendement du ministère du Travail tel que nous le connaissons présentement, eu égard, encore une fois, à l'ensemble de la tâche à laquelle je viens de faire allusion, c'est-à-dire eu égard à l'application d'une politique de main-d'oeuvre, eu égard à une politique qui répondrait aux besoins véritables des travailleurs. Ces trois affirmations s'enchaînent, à mon avis, comme deux et deux font quatre.

Voilà donc pour les besoins individuels des travailleurs. Mais, nous le savons tous, les travailleurs ont aussi des besoins collectifs. En particulier, ils agissent par l'intermédiaire de leur syndicat et en collaboration, dans une certaine mesure, avec leurs employeurs. Parfois, c'est une collaboration qui a beaucoup plus l'allure d'une confrontation, mais enfin, j'en arrive à ce besoin collectif de relations patronales-ouvrières ou de relations ordonnées entre ce que l'on peut appeler les collaborateurs sociaux ou les représentants des différents facteurs du travail. Peu importe l'appellation qu'on en donne. Ce qui compte et ce que nous savons tous, c'est l'importance, du point de vue de la paix sociale, bien sûr, mais surtout du développement de l'économie, de relations harmonieuses entre les employeurs et les employés.

Or, à ce point de vue, le rendement du ministère du Travail a été peu satisfaisant. On peut s'interroger, avec à mon avis beaucoup d'à-propos, sur le fait de savoir si le nouveau ministère qui nous est proposé dans le bill 287 répondra vraiment aux besoins tels que nous les connaissons, tels que plusieurs membres de cette Chambre les connaissent.

D'abord, nous savons tous, évidemment, que ce qui complique un peu et même beaucoup les relations patronales-ouvrières, actuellement, c'est le fait que nos structures industrielles sont — j'ai envie d'employer un terme familier — un peu mal foutues, et que la restructuration de ce côté-là est impérieuse si on veut faciliter des relations harmonieuses entre les em-

ployeurs et les employés, parce que la multitude d'entreprise et l'anarchie des structures industrielles actuelles compliquent singulièrement ce problème.

Mais ce qui le complique aussi beaucoup — et je pense que c'est mon devoir d'attirer l'attention de la Chambre là-dessus — c'est le fait que le ministère du Travail, à mon avis, a tout à fait, jusqu'à maintenant — et ceci depuis que le titulaire actuel occupe ce poste — perdu la confiance des deux partis. Je pense que le ministre, au cours de la discussion sur ça bill, comme sur les bills qui viendront un peu plus tard, devra informer cette Chambre sur les moyens qu'il entend prendre pour regagner la confiance des partis. En effet, aucune loi ne saurait être efficace si ceux qui l'administrent n'ont pas la confiance de ceux avec qui ils doivent collaborer.

Je ne veux pas m'allonger ici. Il serait peut-être mesquin de citer au ministre toutes les critiques dont il a été l'objet, mais je pense, encore une fois, que sans pousser trop loin notre enquête sur ce point, nous devons prendre connaissance du fait qui m'apparaît indéniable et hors de tout esprit partisan, que le ministre ne semble pas avoir actuellement la confiance des partis. Ceci est un fait d'une telle importance que les quelques modifications mineures qui nous sont suggérées dans le bill 287 ne sauraient suffire à mon avis à rétablir un meilleur climat à ce point de vue.

Pour démontrer que mon attitude — j'y ai fait allusion tout à l'heure — n'est pas une critique négative inspirée par des motifs partisans, vous me permettrez de vous rappeler très brièvement que justement, le parti auquel j'appartiens a déjà — je n'ai fait que le mentionner tout à l'heure — posé les jalons de cette politique que nous aurions aimé voir proposer par le ministre du Travail au nom du gouvernement actuel.

Déjà, en 1966, je le répète, nous avions inscrit à notre programme électoral la création imminente d'un ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre. En 1967, notre congrès plénier a adopté plusieurs résolutions d'une grande importance. Pour montrer justement que nous ne sommes pas un parti ou un groupe d'hommes qui considèrent leurs prises de position comme définitives et immuables et qui se considèrent comme arrivés à la perfection, nous avions justement amélioré le programme électoral de 1966. En effet, nous nous étions rendu compte que les activités dans le domaine de l'immigration, qu'il était grand temps d'entreprendre dans le Québec sous la juridiction du gouvernement du Québec, devaient logiquement tomber sous la juridic- tion d'un seul ministère, avec les activités de la main-d'oeuvre, et constituer un ministère unique, celui de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigration.

Je constate que le député de Trois-Rivières me regarde avec des yeux effarés parce qu'il craint de perdre cette nomination qu'il vient d'avoir, mais il n'en reste pas moins...

M. GABIAS: Non, ce n'est pas à cause de ça; c'est à cause de l'image que je vois.

M. LEFEBVRE: Parlez donc un peu; cela va me permettre de prendre un verre d'eau.

M. GABIAS: Lorsqu'on ne parle pas, ça ne fait pas; lorsqu'on parle, ça ne faitpas non plus.

M. LESAGE: Que le ministre en profite pour regarder autour de lui.

M. LEFEBVRE: Quand on vous y invite. M. LESAGE: Qu'on appelle d'autres députés. UNE VOIX: C'est vide.

M. LEFEBVRE: Je disais donc que le congrès libéral...

M. LESAGE: II n'y a que des ministres dans le parti d'en face. Il y en a un troisième qui vient d'entrer.

M. GABIAS: Oui, ce sont les meilleurs.

M. LESAGE: Les députés sont fatigués d'avoir trop « bagoté ».

M. LOUBIER: Non, il y en a une dizaine ici. Voulez-vous qu'ils entrent?

M. LEFEBVRE: Je disais donc que le congrès libéral, en 1967, a adopté comme idée l'intégration sous l'autorité d'un même ministère des activités de main-d'oeuvre et d'immigration. Vous me permettrez de regretter que le bill 287 n'ait pas fait ce mariage, à notre avis, tout à fait essentiel, non pas entre le député de Trois-Rivières et le député de Champlain, mais entre deux activités gouvernementales qui nous apparaissent être de la même famille.

En 1967, le congrès du parti libéral avait également adopté comme position la nécessité, afin d'éviter le gaspillage des fonds publics, de coordonner les activités du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral dans le secteur de la main-d'oeuvre. Vous vous en sou-

viendrez, car nous avons eu à ce sujet quelques échanges de vues en cette Chambre. Je ne veux pas revenir sur ces débats, mais je pense qu'il faut à nouveau constater que le gouvernement actuel semble peu se soucier — et c'est malheureux que le bill et le discours du ministre ne nous laissent pas entrevoir une nouvelle attitude sur ce point — du gaspillage de fonds publics qu'il effectue présentement dans le secteur de la main-d'oeuvre, en faisant une guerre malhabile plutôt qu'une négociation virile avec les autorités fédérales pour éviter la double taxation.

A notre congrès de 1967 toujours, nous avions adopté — et je ne fais que le mentionner — une résolution concernant la création de commissions de prévention des conflits de travail» Au congrès de 1968, nous avons pris une position qui est directement en relation avec ce bill 287 — plus encore, peut-être, que celle au-quelle je viens de faire allusion — puisque nous avons proposé la création au Québec d'un conseil de la main-d'oeuvre qui soit entièrement autonome dans ses activités et qui ne soit pas un enfant mineur du ministre du Travail, comme le sera le conseil supérieur du travail et de la main-d'oeuvre dont le ministre nous entretiendra à l'occasion de la discussion du bill 288.

Quant à nous, il nous semble que l'autonomie des partenaires sociaux doit s'affirmer comme un fait et qu'elle doit être encouragée par les pouvoirs publics. Je regrette de dire que je ne serais pas le moins du monde surpris — à moins qu'il ne la modifie, car il nous a dit tout à l'heure qu'il était devenu un modèle de souplesse depuis tout récemment — que l'attitude actuelle du ministre et du gouvernement entraîne de la part des partenaires sociaux un boycottage des institutions que le ministre propose — parce que ces institutions seraient désuètes — et que l'autonomie des partenaires sociaux soit faite d'une certaine façon contre les pouvoirs publics, au lieu d'être faite avec leur encouragement, comme la chose serait tout à fait normale.

M. BELLEMARE: C'est l'annonce d'une nouvelle politique.

M. LEFEBVRE: Non, M. le Président, j'ai dit...

M. BELLEMARE: J'ai reconnu vos propos.

M. LEFEBVRE: Vous avez reconnu mes propos? Alors, j'espère que le ministre, s'il a reconnu la justesse de mes craintes, agira de façon qu'elles ne se réalisent pas et qu'il modifiera les attitudes paternalistes qu'il a prises et qui sont d'ailleurs un peu dans la veine d'un certain discours que nous avons entendu récemment en Chambre, où le ministre semblait plus soucieux d'appliquer le code criminel que le code du travail. Il y avait là une confusion des rôles qui a lieu d'inquiéter, lorsqu'on songe aux pouvoirs d'enquête que le ministre veut s'arroger. Lorsqu'on se rappelle son discours sur Saint-Casimir, on peut se demander à qui on confie des pouvoirs d'enquê-te.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je saurais gré à l'honorable député d'Ahuntsic de ne pas se référer à des débats antérieurs ou à des discours antérieurs en cette Chambre pendant la présente session.

M. GABIAS: L'embouteillage à Casimir!

M. LEFEBVRE: M. le Président, je me retire de ce terrain glissant, à cause de nos règlements, pas autrement.

M. BELLEMARE: Vous êtes seul sur ce terrain-là. Vous n'êtes pas nombreux sur ce terrain-là.

M. LEFEBVRE: Si on voulait parler de la glace, je pourrais faire allusion au discours du premier ministre au Forum, mais ce serait sûrement hors d'ordre.

M. le Président, je reviens à l'ordre. Alors, à partir de là, je veux...

M. LOUBIER: Elle n'a pas été forte, celle-là non plus. C'est le signe d'un grand politicien. Pas de personnalité, rien.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEFEBVRE: Vous n'avez pas trouvé ça bon, vous?

M. GABIAS: C'est quelque chose de très digne.

M. GABIAS: Continuez, ça va bien.

M. LEFEBVRE: Alors, M. le Président, à partir de ces positions élaborées par le parti auquel j'adhère, il m'est arrivé de préparer un schéma. Je regrette que le ministre du Travail n'ait pas jugé à propos de s'en inspirer un peu plus. Je crois que ç'aurait été dans l'intérêt public et qu'il en aurait retiré un bénéfice politique. Je ne m'en serais pas plaint, parce que, si ç'avait pu être à l'avantage du

bien public dans la province, je ne lui aurais certainement pas fait grief d'avoir pigé quelques idées que je croyais et que je crois encore valables.

Je veux toutefois, pour éviter toute équivoque, et je pense que c'est de mon devoir de faire cette précision à ce moment-ci, dans le bill que nous discutons présentement, il est fait allusion à certains pouvoirs qui seraient conférés au ministre en matière de formation professionnelle.

Or, je ne peux pas, bien sûr, faire allusion à un article spécifique, mais j'attire votre attention sur le fait que ces pouvoirs, en matière de formation professionnelle, ne sont pas définis. Cependant, dame rumeur voudrait que ce fût l'intention du ministre d'élargir, à partir de ces pouvoirs nouveaux, la fonction des centres d'apprentissage. Ceci en ferait des écoles de formation professionnelle, non pas polyvalentes au sens du rapport Parent, mais polyvalentes peut-être au sens où le ministre l'entend, c'est-â-dire qu'elles offriraient à la population, jeune et adulte, une variété de cours préparant à différents métiers.

Or, si je fais, à ce moment-ci, allusion à ce point spécifique, c'est que, dans un document public auquel je sais que le ministre a porté un grand intérêt parce que, me trouvant, un soir, dans la galerie, je l'ai vu barbouiller en rouge, en vert et en bleu, entourant de cercles, ici ou là, le texte en question ce texte était une suggestion de schéma pour un futur ministère de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigration au Québec. Je voudrais dire au ministre que, quant à moi, bien qu'il y ait eu peut-être une équivoque dans ce texte, je l'admets, je crois que ce serait extrêmement malhabile et contraire à l'intérêt public de s'éloigner le moindrement de la notion de polyvalence recommandée par le rapport Parent. Ce serait, à mon avis, contraire à l'intérêt des travailleurs et de tout le monde que le ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, dont on nous parle, et que les pouvoirs nouveaux en matière de formation professionnelle dont on nous parle au bill 287, signifiassent, le ministre des Affaires culturelles devrait être là, pour lui remettre une couple de subjonctifs en passant.

M. GABIAS: Signi... quoi?

M. LEFEBVRE: Signifiassent, disais-je, que le ministère du Travail entrerait de plain-pied dans l'enseignement, dans l'exécution de la formation professionnelle.

M. GABIAS: Signifiât.

M. LEFEBVRE: Si, en tout cas, un texte qui a été publié sous ma signature a pu avoir l'air d'approuver cela, je tiens à faire la correction. Je n'ai d'ailleurs pas à prendre le temps de cette Chambre pour exposer des théories personnelles là-dessus, mais je veux que toute équivoque soit dissipée parce que cela n'a jamais été mon intention. Je crois cependant que les nouveaux pouvoirs que le ministre réclame devraient s'appliquer à lui confier la juridiction et l'autorité en matière d'établissement des profils des métiers et en matière d'établissement des normes d'admission ou d'accessibilité aux métiers, mais non pas en ce qui concerne l'exécution de l'enseignement lui-même. Qu'il s'agisse d'enseignement aux adultes ou d'enseignement aux jeunes, je crois qu'il est normal de laisser cette tâche au ministère de l'Education.

M. le Président, je regrette que le bill que nous propose le ministre — encore une fois, au-delà du texte, c'est son discours qui nous en fournit la preuve — ne nous donne pas l'image du Québec à sa dimension actuelle et ne réponde pas aux besoins du Québec tels que nous les connaissons présentement. Il eût fallu, par exemple, je le répète, intégrer les activités de l'immigration avec celles de la main-d'oeuvre.

Quant à nous, nous n'avons rien à retirer de ce que nous avons dit — page 2073 du journal des Débats du 28 mai 1968 — concernant le bilan que nous faisons des activités du ministre de l'Education. Je ne vais pas lui imposer une nouvelle lecture de ce bilan, bien que j'en aurais le droit puisqu'il s'agit du journal des Débats...

M. GABIAS: Que le député le relise.

M. LEFEBVRE: ... qui provient d'une session antérieure. Si le ministre de l'Immigration me provoque, je vais sûrement le relire, mais je pense que son confrère n'en serait pas très heureux. Or, M. le Président, encore une fois...

M. GABIAS: Je ne provoque pas, je constate.

M. LEFEBVRE: ... sans prendre plaisir à répéter ce bilan, il nous semble — et quant à moi, je le regrette — que le ministre ne s'est pas montré à la hauteur de sa tâche dans tous les points que j'ai soulignés le 28 mai 1968. Il nous semble également que la présentation de ce bill 287 ajoute une nouvelle preuve à ce dossier dans le sens que le bill ne répond pas aux besoins actuels en matière de main-d'oeuvre ni en matière de relations de travail. Encore une fois, le discours du ministre, auquel j'arrive dans un

instant, nous fournit une preuve éclatante — si le mot « éclat » peut être employé ici — nous fournit une preuve éclatante de ce fait.

M. le Président, je voudrais, pour faire plaisir, peut-être, au ministre — je sais qu'il n'apprécie pas toujours mes interventions en Chambre, que parfois même il feint de sortir pour aller écouter ce que nous avons à dire dans le bureau du premier ministre où il y a un haut-parleur — dire...

M. GABIAS: ... qui est intéressant.

M. BELLEMARE: Je ne peux même plus aller au petit endroit sans lui demander la permission? Ce n'est pas là que je l'écoute.

M. LEFEBVRE: M. le Président, moi, je ne peux sûrement pas y inviter le ministre, ce serait contraire au règlement.

M. BELLEMARE: II n'a pas compris.

M. LEFEBVRE: Bien oui, vous avez parlé du petit endroit et j'ai dit: Je ne peux pas vous inviter à y aller, ce serait contraire au règlement.

M. GABIAS: Continuez et nous allons tous y aller.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je voudrais, au risque de m'attirer les foudres et la démagogie, parce que j'ai appris du ministre du Travail que le terme « démagogie » était permissible...

M. GABIAS: Non, démagogique.

M. LEFEBVRE: ... risque de m'attirer des déclarations enflammées du ministre du Travail ou de quelques-uns de ses collègues qui auront tôt fait de conclure que j'approuve tout ce que fait le premier ministre actuel du Canada ou que j'approuve ses points de vue sur toute question, prendre le risque énorme de citer une phrase du premier ministre actuel, qui m'apparaît excellente et qui définit, en tout cas, pour moi, la façon...

M. GABIAS: Bon!

M. LEFEBVRE: ... dont je conçois mon rôle en cette Chambre. Ceci expliquera un peu l'attitude avec laquelle j'ai parlé jusqu'à maintenant et celle que j'adopterai en critiquant de façon plus directe le discours du ministre.

J'ai surtout parlé du bill jusqu'à maintenant, mais, à partir de maintenant, j'ai l'intention de parler du discours du ministre du Travail.

M. GABIAS: Cela fait une heure et quart qu'il parle.

M. LEFEBVRE: M. le Président, comme je donne la réplique au ministre, je ne crois pas que mon temps soit limité.

M. GABIAS: Tiens, un autre chef de l'Opposition! Us sont rendus à quatre.

M. LEFEBVRE: En tout cas, laissons au président le soin de décider cela. Mais, mon impression...

M. GABIAS: C'est une heure et pas beaucoup plus.

M. LEFEBVRE: Le président décidera cela lui-même.

M. GABIAS: Non, le règlement décidera de cela.

M. LEFEBVRE: Ce n'est pas mon impression.

M. GABIAS: C'est le règlement.

M. LEFEBVRE: Je comprends que vous lui donnez des suggestions, mais il est capable de décider lui-même. Je disais donc que, dans un numéro d'une excellente revue, Cité libre, le premier ministre actuel du Canada...

M. GABIAS: Ah! Ah! Ah! Cité libre.

M. LEFEBVRE: J'attendais ce rire sardo-nique.

M. GABIAS: En voulez-vous au premier ministre du Canada?

M. LEFEBVRE: Non, pas du tout. Le premier ministre écrivait ceci: «Dans une démocratie parlementaire, l'homme d'opposition est celui qui fait profession de croire que le parti au pouvoir a tort d'y être. Non pas nécessairement parce que ce parti... » Ecoutez, cela va vous instruire.

M. GABIAS: Oui, il a tort d'y être. Vous avez raison.

M.LEFEBVRE: Vous en avez besoin. M. GABIAS: Vous avez raison.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je disais donc...

M. CROISETIERE: En quelle année?

M. LEFEBVRE: Je vais vous donner le numéro.

M. GABIAS: Cela devait être en 1952 ou en 1953.

M. LEFEBVRE: C'est en mal 1960. C'est une bonne année, 1960. C'est un mois intéressant.

M. CROISETIERE: Cela a changé depuis. M. GABIAS: Ce fut une bonne année.

M. LEFEBVRE: M. le Président, il ne faudrait pas qu'on étire indûment mon discours. Je disais donc: « Dans une démocratie... Je vais être obligé de recommencer, car le ministre de l'Immigration ne comprendra pas si je reprend au milieu de la phrase.

M. LAFRANCE: Il ne comprendra pas, de toute façon.

M. LEFEBVRE: « Dans une démocratie parlementaire, l'homme d'opposition est celui qui fait profession de croire que le parti au pouvoir a tort d'y être. Non pas nécessairement parce que ce parti agit toujours mal, mais parce qu'un autre parti ferait plus souvent mieux — c'est instructif, cela — Conséquemment, qu'il siège au Parlement ou qu'il soit autrement actif dans la politique, l'homme d'opposition doit critiquer systématiquement et impitoyablement les erreurs du gouvernement et employer tous les arguments vrais et les moyens légaux afin qu'éventuellement le peuple élise un autre parti à l'exercice du pouvoir ». N'est-ce pas une belle citation?

Quant à moi, c'est dans cet esprit — non pas pour faire de la peine au député de Champlain, à qui je n'ai pas raison d'en vouloir comme homme — que j'aimerais, maintenant, faire quelques remarques sur les propos qu'il a tenus en cette Chambre pour défendre le bill 287. D'abord, le ministre a commencé en disant que, d'après lui, ce n'était pas le temps de susciter un débat sur des accusations qu'on avait formulées à son endroit. M. le Président, c'est...

M. BELLEMARE: Si le député veut me citer, qu'il me cite au texte.

M. LEFEBVRE: C'est ce que jefais.

M. BELLEMARE: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. LEFEBVRE: Alors, répétez ce que vous avez dit.

M. BELLEMARE: J'ai ici la transcription exacte de ce que j'ai dit. Je veux que le député me cite.

M. LEFEBVRE: Je n'ai pas latranscription. Le ministre me ferait-il l'obligeance... M. le Président, je crois que si le ministre m'interrompt, c'est pour affirmer l'inexactitude de mon propos. En ce cas-là., la seule chose intelligente qu'il puisse faire, c'est de rappeler les propos qu'il a tenus. Alors, s'il veut le faire, je vais l'écouter, mais, qu'il lise attentivement. Il ne veut pas? Alors, comme le ministre n'a pas de réplique, je tiendrai pour acquis que ma citation est honnête, bien que j'admette qu'elle ne soit pas au texte, parce que je ne suis pas sténographe et que je n'ai pas eu l'occasion de...

M. BELLEMARE: Le député n'a pas le droit de ne pas avoir la transcription des débats. Son parti la reçoit continuellement; elle est transmise au bureau du chef de l'Opposition et du leader parlementaire. Elle arrive continuellement en plusieurs copies en bas, dès qu'elle est imprimée.

M. HARVEY: II vient de parler de la citation et il ne l'a pas.

M. LEFEBVRE: M.lePrésident, c'est la première fois que j'entends dire dans cette Chambre qu'un député est tenu de relire les discours du ministre du Travail. On a assez de les entendre une fois sans les relire, voyons!

M. BELLEMARE: Je n'ai pas d'objection à ce que vous ne les relisiez pas, mais, lorsque vous me citez, je voudrais bien que vous citiez mes paroles telles qu'elles ont été prononcées pour ne pas changer, non plus, l'aiguillonnage de votre raisonnement qui me semble très, très farci.

M. LEFEBVRE: M. le Président, mon raisonnement est peut-être farci...

M. LOUBIER: Arrêtez doncl C'est une perte de temps.

M. LEFEBVRE: ... mais, s'il est farci, c'est de vérités, parce que je cite, le ministre le plus honnêtement possible. Encore une fois, la seule preuve qu'il puisse donner que je le cite incorrectement, c'est de relire lui-même des passages, je ne vais pas, quant à moi, m'imposer cette tâche, il n'y a rien qui m'y

oblige. J'affirme répéter honnêtement ce que j'ai entendu de la bouche du ministre. S'il n'est pas satisfait, il pourra toujours, mais à condition que vraiment il prenne mon propos en défaut, je suis sûr qu'il a la possibilité de corriger.

Mais à toutes fins pratiques est-ce que l'un des pages aurait l'obligeance d'aller me chercher une copie du discours, au cas où le ministre lirait mal?

M. LOUBIER: C'est effrayant comme c'est sérieux.

M. DEMERS: Cela paraît qu'il n'a plus rien à dire. C'est effrayant!

M. LEFEBVRE: Alors, M. le Président, le ministre, au début, faisant allusion aux attaques dont il avait été l'objet, a dit: Ce n'est pas le lieu en cette Chambre de traiter de cela. Or, justement, M. le Président, nous ne sommes pas d'accord avec lui. C'est le lieu, en cette Chambre, pour le ministre du Travail, de justifier ses gestes. C'est tout à fait le lieu. C'est ce que nous prétendons. Je ne vois pas par quelle logique un ministre de la Couronne, qui invoque sur lui tant de respectabilité et d'autorité, et qui demande à tout le monde de le considérer aussi honorable qu'il l'est d'ailleurs, je ne vois pas de quel droit il se sentirait exempté de la nécessité de justifier ses actes. Et s'il croit que des gens portent contre lui des accusations injustes, je pense que c'est le lieu pour en discuter. Je n'accepte pas, quant à moi, ses attitudes de fausse vertu et de pucelle offensée que le ministre prend, à l'instar d'ailleurs de quelques-uns de ses collègues. Cela semble devenir un peu une mode, dans le gouvernement actuel, de se faire passer pour Jeanne d'Arc ou Madeleine de Verchères, je ne sais trop. Mais il nous semble, M. le Président, que, lorsque le ministre est l'objet d'attaques, il serait normal, surtout lorsque ces attaques viennent de personnes aussi respectables que lui, aussi responsables que lui, il ne serait que normal — et personne dans cette Chambre ne lui en ferait grief — de s'expliquer devant la Chambre. Au contraire, nous croyons que le ministre devrait se sentir tout à fait à l'aise de le faire.

M. le Président, le ministre a, aussi, longuement fait allusion à l'excellence de son équipe, parlant des hauts fonctionnaires du ministère. Quant à moi, je sais bien que je n'y réussirai pas, mais je voudrais une fois de plus, et je le ferai aussi souvent que j'en aurai l'occasion, inviter le ministre à cesser de se cacher derrière ses fonctionnaires.

Ceci nous semble une altitude qui manque de grandeur. Quant à nous, nous n'avons jamais fait le procès des fonctionnaires du ministère du Travail, nous n'avons aucune intention de le faire. Pour nous le seul homme dont la conduite doit être jugée par cette Chambre et finalement par l'opinion publique, c'est le ministre du Travail, et c'est le gouvernement auquel il participe. Mais personne ici ne fait le procès des fonctionnaires, et il n'ajoute rien à sa taille en affirmant l'excellence de son équipe. Au contraire, je pense que le ministre se fait tort, parce que si son équipe est aussi excellente, les résultats devraient être meilleurs.

M. le Président, le ministre a fait allusion au fait qu'il allait soumettre cinq projets de loi. Il a semblé se vanter du chiffre cinq. Je lui épargnerai de relire toutes les déclarations qu'il a faites concernant l'imminence de la présentation des projets de loi. J'en ai une ici en date du 15 octobre 1967. Cette fois-là, je pense que c'était le premier ministre du temps lui-même qui promettait des amendements. C'était pour être la semaine prochaine. J'en ai une autre en date du 5 janvier 1968. Le ministre du Travail, d'après le Devoir du 5 janvier, y disait ceci: « M. Maurice Bellemare a annoncé hier que les nombreux amendements qu'il se propose de proposer au code du travail d'ici quelques mois. » C'était au mois de janvier 1968. L'arithmétique du ministre du Travail est légèrement différente de la nôtre, mais, enfin, c'était « d'ici quelques mois. » Cela devait contenir évidemment des réponses à tous les problèmes qui se posent, dans le secteur des relations patronales ouvrières notamment.

Or, si je rappelle cela, c'est pour dire au ministre qu'à notre avis, il n'a pas raison de se glorifier trop fort du fait qu'il arrive à la fin de la session avec cinq projets de loi dont, d'ailleurs, dans deux cas, nous n'avons même pas encore de copies, cinq projets de loi dont il tente d'obtenir en vitesse l'approbation des membres de cette Chambre.

Le reproche lui a été fait en dehors de la Chambre, et je pense...

M. BELLEMARE: M. le Président, je ne puis accepter cette assertion de l'honorable député. C'est archifaux que nous voulions procéder avec vitesse. Au contraire, nous ne sommes qu'au 5 décembre et nous avons de nombreux jours encore qui nous séparent de la fin de la session. Il n'y a pas de vitesse du tout, même si on se sert de cela pour en faire un argument qui porte à faux.

M. LEFEBVRE: Mais, M. le Président...

M. LESAGE: Il est ineffable parfois, le ministre du Travail.

M. LEFEBVRE: Ce qui m'a fait croire que le ministre était pressé, c'est qu'il n'avait même pas le temps d'entendre les parties, par exemple. Lorsque nous avons demandé la convocation du comité des relations industrielles, lorsque le centre des dirigeants d'entreprises l'a demandé, lorsque les centrales syndicales l'ont demandé, il y dit : Non, non, non, cela presse, cette affaire-là. Il faut que cela passe...

M. BELLEMARE: Est-ce que le député dit qu'ils n'ont pas été vus?

M. LEFEBVRE: Bien, j'affirme que le comité des relations industrielles n'a pas été convoqué.

M. BELLEMARE : Est-ce que le député dit que le centre de dirigeants n'a pas été vu?

M. LEFEBVRE: M. le Président, est-ce que le ministre affirme...

M. BELLEMARE: Est-ce qu'il dit oui? M. LEFEBVRE: Non, je n'ai pas dit cela. M. BELLEMARE: Ah bon! M. LESAGE: C'est un dialogue de sourds.

M. LEFEBVRE: M. le Président, puisque le ministre veut faire allusion à ses rencontres avec certains groupes, est-ce que je pourrais lui demander de dire à cette Chambre si le résultat de sa rencontre avec les représentants du centre des dirigeants d'entreprises a été fructueux? Est-ce que cela a apporté une meilleure compréhension?

M. BELLEMARE : On verra cela en comité.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Malheureusement, je ne peux permettre des questions et réponses de ce genre à ce moment-ci.

M. LEFEBVRE: Parfait, M. le Président, alors, on verra en comité.

Alors, M. le Président, lorsque le ministre a parlé de ses antennes, il a dit: Le ministre du travail doit avoir des antennes. Je l'ai vu à ce moment-là se transformer en une sorte de martien survolant de ses antennes les dif- férentes régions de la province, recueillant les renseignements, en vertu de l'article 11. Alors, ces antennes du ministre du Travail me semblent fonctionner d'une façon légèrement originale. Par exemple, je ne vois pas comment ses antennes fonctionnent alors qu'il nous présente des bills qui, d'après les témoignages que nous en avons entendus, ne correspondent aucunement à ce que sont les voix de ses antennes. Parce que nous imaginons que l'une de ces antennes, dans son esprit — c'est tellement vrai que nous avons l'impression qu'il veut en faire son bras à lui-même; son bras physique, c'est le Conseil supérieur du travail, il est tellement proche du ministre dans la loi qu'il nous propose mais à laquelle je n'ai pas le droit de faire allusion, M. le Président, présentement — nous avons l'impression que l'une de ses antennes doit être cela.

Or, M. le Président, le ministre pourtant semble ne tenir aucun compte des recommandations de ces messieurs du Conseil supérieur du travail. Quelles sont donc ses antennes, M. le Président? Il nous a dit que c'était le devoir du ministre d'entendre les parties. Eh bien, il reçoit hier une délégation et parce que ces messieurs sont un peu plus nombreux qu'il ne l'avait prévu ou espéré, il refuse de les recevoir.

M. BELLEMARE: Je n'ai pas refusé.

M. LEFEBVRE: Vous n'avez pas refusé? Vous avez dit vous-même tout à l'heure que...

M. BELLEMARE: J'ai dit et j'ai répété que j'ai envoyé un télégramme et, dans le télégramme, sont bien spécifiées les trois personnes signataires.

M. LEFEBVRE : Bien oui, je comprends cela, mais ce que j'ai affirmé et ce que je répète, c'est que vous avez refusé de recevoir les gens qui étaient là. Alors, cela, c'est votre droit évidemment, votre droit sacré en tant qu'autorité responsable et tout cela. Je veux bien. Mais, à notre avis, en 1968, il nous apparaît légèrement curieux qu'un ministre fort bien protégé contre tout danger physique ou moral qui puisse survenir à l'occasion d'une telle entrevue, craigne, n'est-ce pas, de recevoir des gens fort respectables et qui venaient faire part de leur point de vue. Quant à nous, le ministre aura quelques difficultés à nous convaincre que c'est là une attitude d'ouverture d'esprit et que c'est là une attitude vraiment de dialogue et de collaboration avec les différents groupes.

M. le Président, il y a un point qui m'apparaît fort important dans l'intervention du mi-

nlstre pour expliquer sa philosophie. Le ministre a dit: A cinq heures, un quart d'heure peut-être avant de m'envoyer le télégramme demandant une entrevue : Il y a des gens qui ont convoqué...

M. BELLEMARE: Une heure, une heure.

M. LEFEBVRE: ... une conférence de pression pour dire à la presse d'abord, avant de me le dire à moi, ce qu'ils pensaient. C'est grave!

M. BELLEMARE: Ce n'est pas cela du tout. M. LEFEBVRE: Bien.

M. BELLEMARE: Encore une transformation à son goût de ce que j'ai dit.

M. LEFEBVRE: Non, non, je regrette.

M. BELLEMARE: Vous relirez. Le député n'a pas le droit de me citer de travers, comme il le fait là.

M. LEFEBVRE: Non, je regrette.

M. BELLEMARE: S'il veut faire un « show », qu'il le fasse à son goût, en me citant, mais non en interprétant mes paroles comme il le fait là. Je ne permettrai pas cela.

M. LEFEBVRE: Comme je devais parler immédiatement après le ministre, je ne vais pas faire perdre le temps de la Chambre en recherchant moi-même le passage. Toutefois, si je puis le retrouver à temps, le ministre se rendra compte qu'il n'avait aucun intérêt à m'arrêter, parce que l'exactitude de mon propos sera sûrement démontrée par une citation exacte...

M. BELLEMARE: Jamais.

M. LEFEBVRE: ... de ce qu'il a dit. Le ministre a fait grief aux dirigeants d'une centrale syndicale de s'être exprimés publiquement avant d'être allés à son bureau. Ce que je veux affirmer en cette Chambre, c'est que, quant à nous, nous sommes prêts à nous battre, chaque fois que nous en aurons l'occasion, pour empêcher qu'on revienne au système de « la grande noirceur » où personne ne pouvait parler publiquement avant d'être allé voir le chef.

La notion d'autorité que le ministre du Travail voudrait nous vendre, nous ne sommes pas prêts à l'acheter. Pour nous, l'autorité ça coexiste avec la liberté. Et je dis que la notion d'autorité que le ministre du Travail a voulu relayer à la province à l'occasion de ce discours comme de ses discours antérieurs, nous n'en sommes pas. La position du ministre là-dessus est aussi ridicule que serait celle d'un homme qui reprocherait au premier ministre actuel, le député de Missisquoi, de faire connaître son point de vue par la voie des journaux, disons, avant d'aller à la conférence fédérale-provinciale du 16 décembre. S'il fallait qu'en arrivant à Ottawa le premier ministre fédéral frotte les oreilles du premier ministre du Québec en disant: Monsieur, vous êtes allé dire à la presse ce que vous pensiez avant de venir me le dire, je pense qu'il ferait rire de lui.

Avec tout le respect qu'il faut avoir pour l'autorité et pour le rôle que remplit le ministre du Travail dans cette province, je soumets que sa notion de l'autorité est périmée, de même que sa réaction devant ce fait-là. Je ne pense pas que le ministre avance beaucoup en maintenant cette attitude-là. Si j'en parle, M. le Président, ne croyez surtout pas que cela n'ait pas de rapport avec l'étude du bill. D'abord, je réplique aux propos exacts du ministre...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Disons que je m'interrogeais très sérieusement sur ce point. C'est qu'en fait l'honorable ministre du Travail a, je pense, abordé ce sujet à un moment donné. Si mon information est exacte, c'est lorsque le député d'Ahuntsic lui-même lui avait posé une question ou l'avait interrompu. Je pense que, d'un côté comme de l'autre, on conviendra que ceci ne se rapporte pas à la valeur intrinsèque du bill ou à son à-propos. J'ai permis ici une paranthèse, une explication, mais je compte que l'honorable député d'Ahuntsic n'ira pas pous loin sur le même propos.

M. LEFEBVRE: Si vous me le permettez, je terminerai, en effet, cet incident. Mais, comme le ministre m'a accusé de fausser son propos et comme je crois avoir retrouvé la citation exacte, pour répondre à la demande du ministre, j'aimerais relire ce paragraphe: « M. Bellemare: Oui, cela a été publié dans les journaux, cela a été une avant-première du télégramme que ces honorables messieurs ont bien voulu me faire parvenir. Je pense que, dans le monde que nous traversons, où nous avons des problèmes difficiles à régler, employer des termes tels que ceux rapportés dans ce communiqué et rapportés en partie dans ce télégramme n'est pas ce qu'il y a de plus courtois quand on a à rencontrer un ministre qui est responsable d'un organisme aussi difficile que celui du ministère du Travail. Ce n'est pas avec ces sortes de ter-

mes que nous allons marcher. Je dis et je répète que je n'ai jamais manqué de déférence, etc.. » Alors, je pense que le texte que je viens de citer démontre que mon propos d'il y a un instant n'était pas du tout faux ou hors de propos...

M. BELLEMARE: C'est différent de ce que vous avez dit.

M. LEFEBVRE: ... comme le ministre l'a affirmé.

M. BELLEMARE: C'est bien différent de ce que, vous, vous avez affirmé.

M. LEFEBVRE: C'est-à-dire que, dans un cas, c'est au texte, et, dans l'autre cas j'en ai cité l'esprit.

M. BELLEMARE: C'est de l'imagination.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je terminerai en rappelant au ministre...

M. GABIAS: II est temps!

M. LEFEBVRE: ... qu'à la fin de son discours, il a lui-même répété à plusieurs reprises: — cette fois-ci, f espère qu'il ne me demandera pas de citer le texte précis — Nous consulterons, nous consulterons. Cela, c'était pour les prochaines lois, pour celles qu'il va déposer à la prochaine session.

M. BELLEMARE: Vous, vous ne l'avez jamais fait.

M. LEFEBVRE: Or, si la consultation c'est bon pour les prochaines lois, pourquoi ne serait-ce pas bon pour celle-ci?

M. BELLEMARE: Parce que cela a été fait. On le dira en temps et lieu.

M. LEFEBVRE: Oui, en temps et lieu, cela, je comprends. Vous êtes rendu que vous copiez le premier ministre dans toutes ses expressions.

M. BELLEMARE: C'est vrai. Je vais dire: Très prochainement.

M. LEFEBVRE: De grâce,ne vous mettez pas à tous vous copier comme ça...

M. BELLEMARE: Non, non.

M. LEFEBVRE: ... parce que cela va devenir...

M. BELLEMARE: II y a une chose que je ne voudrais pas copier, c'est votre style.

M. GABIAS: N'ayez pas peur, personne ne va vous copier.

M. LEFEBVRE: C'est excellent. Alors, quant à nous — je termine mon propos sur la deuxième lecture de ce bill, je sais que plusieurs de mes collègues ont l'intention de prendre part au débat — nous aurons évidemment aussi en comité l'occasion de dire de façon plus précise les griefs que nous pouvons avoir vis-à-vis de tel ou tel article précis. Cependant, si nous votons en deuxième lecture en faveur du principe du bill, ce sera à contrecoeur, en un sens, parce que nous aurions tellement souhaité voir dans ce bill plus de choses. Nous aurions tellement souhaité voir dans ce bill 287 véritablement un nouveau départ dans le domaine non seulement des relations industrielles, mais aussi dans le domaine de l'ensemble des politiques de main-d'oeuvre.

Nous avons tenté, j'ai tenté de prouver, quant à moi, et je sais que mes collègues feront de même, ce n'est pas une question de parti-pris, pour le plaisir de nous attaquer au ministre du Travail, je veux qu'il en ait la certitude, mais encore une fois, avec la meilleure foi du monde, nous trouvons que le bill 287 ne répond pas aux espoirs des partenaires sociaux, ni des employeurs, ni des syndiqués.

Encore récemment, je rencontrais un représentant fort autorisé du groupe des employeurs qui disait: Quant à moi, je trouve que le bill 287 est encore plus conservateur que le bill 288. Ce qui n'est pas peu dire. Alors, je pense que le ministre ne devrait pas se surprendre si plusieurs d'entre nous ont à critiquer sévèrement ce bill, ont à en noter les lacunes, les omissions d'une part, et aussi les défauts.

Et sur ce, M. le Président, je vous remercie.

M. LE PRESIDENT: Avec la permission des membres de la Chambre, nous pourrions attendre l'arrivée de l'honorable chef de l'Opposition, qui a manifesté le désir d'intervenir et qui a dû s'absenter pour une recherche dans son bureau.

M. BOURASSA : M. le Président, j'aurais juste une question à poser au ministre sur ce sujet. Je ne sais pas si ce serait à l'occasion de la discussion en comité plénier, mais une chose me frappe dans tout ce problème, et le ministre pourra peut-être me répondre durant sa réplique. Il y a une catégorie de non syndiqués auxquels j'attache un intérêt certain, du moins j'essaye de défendre avec le plus d'objectivité et le plus

de vigueur possible leurs intérêts, ce sont les conducteurs de taxi.

Dans le bill qui nous est présenté, on ne voit rien qui puisse permettre à cette catégorie de travailleurs d'avoir un minimum de protection. Vous savez que ces conducteurs de taxi, contrairement à l'immense majorité des travailleurs, n'ont pas de vacances payées, n'ont pas de jours de maladie, et qu'ils sont à la merci des circonstances les moindrement défavorables.

Je pense qu'il est de la responsabilité du ministère du Travail de trouver les mécanismes nécessaires qui puissent protéger cette catégorie de travailleurs particulièrement défavorisés dans leurs conditions de travail, que ce soit pour la rémunération, que ce soit pour les heures de travail, que ce soit pour les conditions dans lesquelles ils travaillent eux-mêmes, les conditions de circulation par exemple. Je pense que ce devrait être possible, puisque cela se fait ailleurs. J'ai eu l'occasion d'examiner dans plusieurs centaines de villes nord-américaines les conditions des conducteurs de taxi. Dans la presque totalité des cas, ils peuvent avoir des vacances payées ou des jours de maladie.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BOURASSA: Je demande donc au ministre — c'est simplement le but de ce bref exposé — d'expliquer pourquoi, dans son bill, il n'y a absolument rien qui...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre]

M. BOURASSA: ... nous permette d'assurer à cette catégorie de travailleurs le minimum de protection accordée à l'ensemble des travailleurs.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

M. Jean Lesage

M. LESAGE: M. le Président, le projet de loi à l'étude est, en partie, du genre de ceux qui sont ordinairement adoptés pour définir les fonctions, devoirs et pouvoirs d'un ministre titulaire d'un ministère, de son sous-ministre et de ses fonctionnaires.

Le député d'Ahuntsic a fort bien répondu non aux vantardises, mais disons à l'enflure verbale du ministre du Travail qui a voulu attacher à ce projet de loi une importance qu'il n'a peut-être pas tellement.

Donc, ce projet de loi définit les pouvoirs que le gouvernement veut attribuer au ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre ainsi que ses fonctions. Cependant, il y a ici un principe nouveau — pour autant que les projets de loi concernant l'établissement de ministères sont en jeu, c'est que nous ne trouvons dans aucune loi établissant les pouvoirs, devoirs et fonctions d'un ministre et de ses fonctionnaires des pouvoirs aussi exorbitants que ceux que veut se voir attribuer par le présent projet de loi le ministre du Travail.

Je discute bien d'un des principes du bill, puisqu'il s'agit de pouvoirs additionnels qui seraient accordés au ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre. Il s'agit des pouvoirs exorbitants du droit commun qui seraient accordés au ministre pour obtenir tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin. Ces pouvoirs sont extraordinaires, et malgré ce qu'a dit le ministre, ils vont plus loin que tout ce que j'ai vu, tout ce que j'ai pu lire, tout ce que j'ai pu constater ici et ailleurs. Le seul ministère qui aurait les pouvoirs d'inquisition que nous demande le ministre serait le sien. Tout pouvoir d'inquisition est une entrave à la liberté des citoyens. Je pense que ça, c'est un principe sur lequel nous nous entendrons tous.

Le ministre,lors de son intervention, a déclaré — et comme il semble être bien pointilleux aujourd'hui quant à l'exactitude de nos citations, je cite à partir du feuillet R/5535 de l'épreuve du journal des Débats, & 15 heures 11, cet après-midi — ceci: « Certaines gens ont pris la loi du ministère du Travail — c'est le député de Champlain qui parle — l'ont lue et l'ont comparée 3. celle qui existait en 1931 et à celle qui existe aujourd'hui. Après l'avoir lue, ils ont prétendu que les renseignements qui pouvaient être demandés porteraient atteinte à la liberté. « Je dis que ces gens-là ou ont mal lu la loi ou ont oublié que, dans la province de Québec et dans le pays, il y a des lois qui sont bien plus restrictives et bien plus coercitives que la nôtre. »

M. le Président, je vous soumets bien humblement que j'ai lu le projet de loi avec beaucoup d'attention, que j'ai examiné les lois de la province de Québec, et d'ailleurs qui ont été citées par le ministre du Travail, et j'en suis venu à la conclusion qu'il était déraisonnable d'accorder au ministre du Travail les pouvoirs d'inquisition — je pense que c'est comme ça qu'il faut les appeler — que le gouvernement demande pour lui dans ce bill 287.

Le ministre a référé à la Loi du Bureau de la statistique, c'est le chapitre 207 des Statuts refondus 1964. Il s'agit d'une loi qui a

été adoptée en 1962 et, M. le Président, si vous aviez été, à ce moment-là, député de cette Chambre, vous auriez peut-être été convaincu par les éclats de voix du député de Champlain qui criait à la dictature, à l'inquisition à cause de l'article 5 de la Loi du Bureau de la statistique.

Or, cet article 5 dit ceci: « Le Bureau est chargé de recueillir, compiler, analyser et publier des renseignements de nature statistique sur toute matière de juridiction provinciale ». On a bien remarqué, M. le Président, que ce sont seulement des renseignements de nature statistique qu'on a le droit de demander» On ne trouve même pas cette restriction dans le bill qui est devant nous.

Je ne veux pas faire de personnalité. Je sais que le député de Champlain, ministre du Travail, aime tout savoir. Mais il ne faudrait pas être trop nez-fourré-partout et puis, aller demander des renseignements sur toute matière se rapportant au ministère du Travail ou encore toute matière se rapportant aux lois dont le ministre du Travail doit voir à l'exécution.

C'est aller beaucoup trop loin! J'ose espérer, M. le Président, que le ministre du Travail ou bien abandonnera sa demande d'obtenir ce pouvoir exorbitant — parce que je ne trouve pas ça raisonnable — ou tout au moins en limitera très substantiellement la portée.

M. BELLEMARE: Ce n'est pas autre chose que ça qui est dans notre intention.

M. LESAGE: Oui, mais l'intention, M. le Président, doit être traduite dans un projet de loi.

M. BELLEMARE: M. le Président, je l'ai dit, js l'ai répété, pour trois grandes raisons. A cause du nouveau statut de notre ministère... Non, non, continuez...

M. LESAGE: Non, non, allez.

M. BELLEMARE: Non, non, mais à cause des impératifs de notre main-d'oeuvre...

M. LESAGE: Oui.

M. BELLEMARE: ... de notre nouveau service technique et d'une foule de renseignements nouveaux dont nous avons besoin au point de vue statistique et...

M. LESAGE: Oui, mais tout de même, il ne faut pas...

M. BELLEMARE: ... que nous avons confiés à un bureau de recherche.

M. LESAGE: ... entrer dans la vie privée des gens lorsqu'on parle de travail et de main-d'oeuvre. Si on peut demander n'importe quel renseignement à n'importe quel citoyen du Québec en ce qui concerne son travail, sa capacité de travail, je dis que c'est de l'abus. Je dis que c'est la négation de la liberté individuelle. C'est une entrave que nous ne saurions tolérer. J'espère que le ministre va y réfléchir.

Qu'il pense donc jusqu'à quel point il a tonné contre le projet de loi établissant le Bureau de la statistique en 1962, alors que ce projet de loi restreignait à des fins statistiques le pouvoir de demander des renseignements. Or, il n'y a ici aucune limitation. Ce n'est pas un bureauformé de fonctionnaires, mais un ministre, un homme politique qui a le droit de demander n'importe quel renseignement, et d'exiger des réponses, à n'importe qui, à n'importe quel citoyen, du moment que cela touche — on ne dit pas si c'est de près ou de loin — à une question de travail ou de main-d'oeuvre. Il faudrait limiter très, très sérieusement le pouvoir demandé.

Le ministre s'est également appuyé sur une loi fédérale qui est le chapitre 26, 10-11, Elizabeth II, adoptée en 1962. Or, la partie touchant les syndicats ouvriers est la partie 2, intitulée Syndicats ouvriers. Cette partie s'applique aux syndicats ouvriers du Canada, y compris ceux de la province de Québec. Il y est dit que, pour chaque période visée par le rapport concernant un syndicat ouvrier s'ouvrant en même temps que ladite période, s'il en est, qui co'incide avec 1962, etc. doit produire. Le gouvernement n'a pas le droit de demander de renseignements, le ministre non plus.

M. BELLEMARE: C'est une obligation de produire.

M. LESAGE: Un instant. C'est la loi qui impose l'obligation de produire une déclaration comprenant deux sections, respectivement intitulées section A et section B, et contenant ce qui suit... La loi elle-même détermine d'une façon très précise quels sont les renseignements qui doivent être donnés. Aucune discrétion n'est accordée, ni au gouvernement, ni à un ministre, ni à un fonctionnaire, de demander des explications ou encore des renseignements supplémentaires. C'est du droit statutaire qui doit être interprété d'une façon stricte.

Qu'est-ce que le syndicat ouvrier est obligé de déclarer? Premièrement, le nom du syndi-

cat. Deuxièmement, l'adresse du siège social. Troisièmement, les dispositions de l'acte constitutif du syndicat. C'est déjà public. Quatrièmement, le nom et l'adresse de chaque dirigeant du syndicat ainsi que le poste qu'il occupe au sein du syndicat. Jusqu'à présent, ce n'est pas plus que ce que nous exigeons, ici dans le Québec, des compagnies: le nom, l'adresse, la nationalité ou la citoyenneté de chaque dirigeant et employé du syndicat qui réside au Canada. On comprend pourquoi. Sixièmement, le nom et l'adresse de chaque syndicat local ou succursale du syndicat au Canada. Septièmement, le nom de chaque syndicat local ou succursale du syndicat au Canada que le syndicat a placé sous tutelle. Huitièmement...

M. BELLEMARE: Et les raisons qui l'ont fait mettre en tutelle.

M. LESAGE: ... les raisons à l'appui de cette décision.

M. BELLEMARE: Eh bien! Eh bien! M. LESAGE: Oui, et c'est très précis. M. BELLEMARE: Eh bien! Continuons.

M. LESAGE: Huitièmement, le nom et l'adresse de chaque employeur ou association d'employeurs résidant au Canada avec qui le syndicat a conclu une convention collective. C'est la section A. C'est très précis.

M. BELLEMARE: Continuons.

M. LESAGE: C'est tout pour la section A. Quant à la section B, c'est l'état des finances de chaque syndicat. Cela semble être ce qui intéresse le ministre du Travail. S'il veut obtenir...

M. BELLEMARE: Je dis, je déclare...

M. LESAGE: Si le ministre du Travail veut absolument mettre son nez dans les finances des syndicats, qu'il le dise. Qu'il nous demande, à nous les législateurs, d'adopter une loi semblable à la loi fédérale, obligeant les syndicats ouvriers à produire chaque année les renseignements qui peuvent être demandés en vertu de la section A et de la section B de l'article 9 de la loi fédérale.

Nous saurons alors où nous allons, tandis que, en vertu du bill, nous donnerions un blanc-seing au ministre du Travail d'obtenir n'importe quel renseignement de qui que ce soit, du moment que ça s'approche, même si c'est de loin, d'une question de travail ou de main-d'oeuvre.

Je dis, M. le Président, que c'est exorbitant du droit commun et que, quant à nous, nous devrons nécessairement voter contre les dispositions en question, en comité, nous ne pouvons pas scinder le bill à ce moment-ci. Nous devrons voter contre ces dispositions en comité à moins que le ministre du Travail, en consultation avec ses conseillers Juridiques, ne trouve une formulation qui limite considérablement son pouvoir de demande de renseignements, de façon à ne pas lui donner le pouvoir d'entraver la liberté des gens. Le ministre peut bien dire, en élaborant un argument pro domo...

M. BELLEMARE: Pro domo.

M. LESAGE: ... que, quant à lui, il n'a pas l'intention de se servir de ce pouvoir pour se mettre le nez dans les affaires des autres, mais M. le Président, c'est lui qui est ministre du Travail. Qui nous dit que, dans quinze jours, ce ne sera pas le député de Trois-Rivières?

M. BELLEMARE: II n'aime pas ça, lui.

M. LESAGE: Mais ça ne fait rien. Le premier ministre peut bien lui imposer une pénitence, le forcer à accepter le ministère du Travail, justement parce qu'il n'aime pas ça.

M. BELLEMARE: Le ministère du Travail? M. GABIAS: M. le Président,...

M. LESAGE: J'ai parlé du député de Trois-Rivières, parce qu'il est voisin du ministre en Chambre et qu'il n'y a qu'une rivière qui sépare leurs deux comtés.

M. GABIAS: ... Je veux simplement dire ceci, M. le Président, avec la permission du chef de l'Opposition. Il n'y a jamais eu un ministre du Travail aussi excellent que celui-là. Pourquoi le changer? Jamais.

M. BELLEMARE: Je me suis attiré une paille.

M. LESAGE: Non, non...

M. PINARD: Ne vous choquez pas.

M. LESAGE: M. le Président, à part ça, je voudrais, dès maintenant — je sais que c'est peut-être en comité que je devrais dire ce que je veux dire — mais je ne référerai à aucun ar-

ticle en particulier, je voudrais attirer l'attention du ministre du Travail sur le fait, qu'en vertu de la Loi du bureau de la statistique, les fonctionnaires qui dévoilent des renseignements qu'ils ont obtenus sont passibles d'une amende de $5,000. Il n'y a rien de ça ici. Il n'y a rien de ça. C'est $5,000, dans le cas de... Ici, le maximum, ce n'est même pas prévu, je suis obligé, je pense que j'ai le droit, en deuxième lecture, de mentionner ce que le bill ne contient pas. Or, le bill ne prévoit aucune sanction, dans le cas où le ministre ou des fonctionnaires dévoilent des renseignements obtenus sous le sceau du secret. Je demanderais au ministre de bien examiner son bill.

Le projet de loi prévoit des sanctions dans deux autres cas, mais pas dans celui-là. Or, c'est le plus grave, c'est l'offense la plus grave qui puisse être commise. La preuve, c'est que, je le répète, dans le cas de la Loi du bureau de la statistique, l'amende va jusqu'à $5,000. Dans ce cas-là, ici, on ne prévoit pas de sanction.

M. BELLEMARE: C'est le meilleur témoignage que vous pouviez me rendre, de l'excellence de mon bill, et de mes bonnes intentions.

M. LESAGE: Ce n'est pas une réponse, ça. J'espère que le ministre va répondre.

M. BELLEMARE: Est-ce que le chef de l'Opposition me permet?

M. LESAGE: Je n'ai pas douté des intentions du ministre, mais je dis qu'il n'est pas éternel, le ministre.

M. BELLEMARE: Non, non, mais est-ce qu'il me permet?

M. LESAGE: Oui, oui.

M. BELLEMARE: Je ne voulais pas être désagréable. Au contraire, c'est une bonne journée pour le député...

M. LESAGE: Je ne veux pas être désagréable, moi non plus.

M. BELLEMARE: C'est une bonne journée pour moi aujourd'hui...

M. LESAGE: J'essaye...

M. BELLEMARE: Les nouvelles d'hier, ça m'a fait plaisir.

M. LESAGE: Je pense qu'elles étaient bien meilleures pour moi que pour le ministre, il était assez désappointé.

M. BELLEMARE: J'ai fait des tableaux comparatifs.

M. LESAGE: II a... moi aussi, nous comparerons nos comparaisons.

M. BELLEMARE: M. le Président.. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BELLEMARE: ... je reviens à mon bill. Je répondrai à ce que me dit l'honorable chef de l'Opposition quant aux pénalités à être imposées, . en disant que c'est tellement peu dans notre désir de vouloir nous fourrer le nez partout, comme il le dit, et justement dans la partie qui concerne les finances, que les renseignements que nous irons chercher, ce sont des renseignements qui concernent la main-d'oeuvre, le service technique pour en arrivera établir de la statistique pure et simple, chez nous, à notre ministère.

M. LESAGE: C'est bien beau. Je n'ai pas dit...

M. BELLEMARE: J'ai fini, juste un instant. Et ces statistiques-là, il va falloir que les officiers les donnent à quelqu'un; il va falloir qu'elles soient communiquées à d'autres. Nous voulons nous servir de ces statistiques-là; il va falloir qu'elles soient remises à d'autres.

M. LESAGE: M. le Président, je vais relire les articles de la loi du Bureau de la statistique. Est-ce que le ministre pense que les statistiques du Bureau de la statistique, ce n'est pas pour être publié?

M. BELLEMARE: Voyons!

M. LESAGE: C'est un argument enfantin qu'il vient d'apporter» Je cite l'article 5: « Le Bureau est chargé a) de recueillir, compiler, analyser et publier des renseignements de nature statistique sur toute matière de juridiction provinciale, b) de collaborer avec les ministères du gouvernement dans la collecte, la compilation et la publication de tels renseignements, c) de faire la recherche statistique.

Ici, c'est limité. Ce doit être pour fins de statistiques. Je soumets que, dans le cas du ministre du Travail, cela ne devrait pas exister. Je ne considère pas qu'il a justifié, dans son discours de deuxième lecture, la demande de

pouvoirs que comporte le bill. De plus, les pouvoirs demandés sont beaucoup trop étendus, même si nous admettions qu'il pouvait nous convaincre de la nécessité d'obtenir des pouvoirs d'enquête. J'ajoute que le moins qu'on puisse demander, c'est qu'il y ait sanction. Si on obtient des renseignements qu'on a le droit de demander sous le sceau du secret, il faut qu'il y ait une sanction lorsque celui qui a reçu les renseignements les dévoile. C'est reconnu dans toutes les lois, cela, sauf dans le projet de loi que nous propose le ministre du Travail. Je pense que le ministre du Travail, entre 6 heures et 8 heures, devrait prendre quelques minutes pour consulter ses conseillers juridiques et pour relire ce que je viens de dire — même s'il y a des répétitions, je l'admets; au cours d'une discussion comme celle que nous venons d'avoir, c'est inévitable — afin de bien saisir les points que je viens de souligner. Pouvoirs trop étendus, pas de sanction. Qu'il relise les lois qu'il a lui-même citées et il va comprendre exactement ce que je veux dire. Ses conseillers juridiques aussi vont le comprendre.

Alors, M. le Président, j'ai voulu, comme, d'ailleurs, le député d'Ahuntsic, apporter une contribution positive à l'amélioration de ce projet de loi, parce que je ne voudrais pas que le ministre du Travail passe pour un homme qui veut revenir aux années de l'inquisition,, Je suis sûr qu'il est beaucoup trop féru des principes de la liberté et de la démocratie pour cela. Je suis sûr que c'est un homme qui veut respecter les droits des autres, et la liberté des citoyens. Mais, pour en arriver là, pour atteindre ce but qu'il recherche, je crois qu'il doit reviser le projet de loi qu'il nous propose. Il y a une balance, vous savez, à toujours maintenir entre, d'un côté, l'efficacité gouvernementale et, de l'autre, la liberté des citoyens.

N'oublions pas que cnaque loi que nous adoptons constitue toujours en principe une entrave à la liberté des individus au profit de la communauté. Je pense que c'est passablement vrai ce que je viens de dire. Qu'il s'agisse d'une loi par laquelle nous imposons des taxes, qu'il s'agisse d'une loi en vertu de laquelle nous obligeons des citoyens à poser ou à ne pas poser tels ou tels actes.

M. BELLEMARE: La vitesse sur la route.

M. LESAGE: ... c'est toujours en principe, chaque loi, une entrave à la liberté individuelle en faveur de ce que nous croyons être le bien de la communauté, le bien commun. Il ne faut jamais entraver la liberté plus qu'il ne le faut pour assurer le bien commun. C'est cette balan- ce dont je viens de parler qui est très difficile à maintenir. Mais dans les efforts que nous faisons pour la maintenir, s'il y a risque de commettre une erreur, nous devons toujours prendre le risque de trop protéger la liberté individuelle même au prix d'assurer moins d'efficacité.

Je voudrais que les lois que présente le ministre du Travail en cette Chambre soient des lois parfaites. C'est par amitié pour lui que je le dis. Je sais qu'il est sincère, qu'il a voulu être sincère cet après-midi. Je fais appel à cette sincérité pour lui demander, lui suggérer de ne pas, dans sa demande de pouvoirs, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'efficacité des services de son ministère.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Outremont.

M. Jérôme Choquette

M. CHOQUETTE: II est indiscutable que les fonctions de l'Etat augmentent d'année en année sinon de mois en mois et que, dans l'intérêt de la collectivité, dans l'intérêt de la société, les citoyens au plan individuel sont obligés de subir cette intervention de plus en plus prononcée de la part de l'Etat dans tous les domaines.

Que l'on soit progressiste, réformiste, libéral, conservateur, je pense que c'est un fait inéluctable que celui de l'expansion de l'Etat dans tous les domaines de l'activité humaine. Evidemment, cette expansion des activités de l'Etat s'accompagne, n'est-ce pas, de la nécessité pour l'Etat de recueillir les renseignements qui sont nécessaires à son action et à son administration.

C'est la raison pour laquelle il nous faut constater et reconnaître, avec le ministre du Travail, ce besoin que l'Etat a d'obtenir des renseignements propres à l'éclairer dans la direction de sa politique.

Mais à l'opposé de cette réalité que je viens de souligner, il y a cette autre réalité du droit de l'individu à la privauté. Les anglais disent « right to privacy », c'est-à-dire que les citoyens, qu'on les considère sur le plan individuel ou qu'on les considère comme groupe ou association ou collectivité, compagnie, syndicat, etc., ont quand même le droit de ne pas subir l'inquisition vexatoire de la part de l'autorité étatique. C'est la raison pour laquelle, à chaque occasion qui nous est donnée lors de la présentation d'un projet de loi, on doit limiter l'étendue du pouvoir d'être informé de l'Etat de façon à éviter que des mesures bienfaisantes, tout en permettant à l'Etat de se rensei-

gner, soient utilisées abusivement pour pénétrer dans la vie de chacun, que ce soit sur le plan individuel ou au plan collectif, que l'Etat en quelque sorte, abuse de son droit légitime de se renseigner en vue de son activité nationale.

Je me rappelle avoir lu un livre, il y a déjà plusieurs années, peut-être vingt ans, qui s'appelait « 1984 ». C'était un livre d'un écrivain anglais, George Orwell. Le personnage central de ce livre s'appelait: Big Brother. Ce Big Brother, c'était ce dictateur que l'auteur prédisait que nous aurions en 1984, qui serait dans notre vie de tous les jours. Il prédisait qu'il y aurait des appareils de télévision dans toutes les pièces où on pourrait circuler. Il contrôlerait toutes les conversations que des gens pourraient avoir, soit au téléphone, soit privément.

En somme, l'auteur cherchait à montrer comment, dans l'avenir plus ou moins prévisible, l'étendue des pouvoirs de l'Etat ayant tellement grandi démesurément — et il prévoyait qu'ils continueraient à grandir — il cherchait à imaginer dans quel climat social on vivrait en 1984. Ce livre date, je pense, de 1944, c'est-à-dire qu'il y a peut-être 24 ans de cela. Par conséquent, il faisait une prédiction à environ quarante ou cinquante ans de distance.

Eh bien c'était « épeurant » de concevoir cette société dans laquelle nous pourrions vivre. Il faut avouer qu'heureusement, ce n'est pas le cas, au Canada et dans le Québec. Mais il y a des sociétés qui en sont presque arrivées à ce point-là où la dénonciation existe dans les familles, où les fonctionnaires dénoncent les citoyens, où il n'y a pas de règne de la justice et où l'Etat a des moyens d'information fantastiques.

Alors, nous n'avons certainement pas l'intention d'imputer au ministre du Travail des intentions de cet ordre-là. Cela, je le sais, c'est clair. Mais, d'un autre côté, on ne légifère pas en fonction de la personne du ministre du Travail. Autant nous avons d'estime pour lui personnellement, autant nous avons le devoir de voir à ce que les lois qu'il apporte devant la Chambre ne puissent pas être utilisées par lui peut-être. On ne sait pas dans quelles circonstances le lion en lui pourrait se réveiller. Je ne sais pas sous l'effet de quelle colère, sous l'impulsion de son tempérament, à un moment donné, il pourrait dépasser la mesure, en quelque sorte, et lui-même, ou ses fonctionnaires, malgré ses bonnes intentions d'aujourd'hui, abuser des pouvoirs qui lui seraient conférés dans la loi. Car qui nous dit que le ministre du Travail a un contrôle absolu sur ses subalternes? Ceci est encore une possibilité. Ou encore, un successeur éventuel du ministre du Travail pourrait abuser de ces pouvoirs vraiment considérables que le projet de loi requiert au chapitre des renseignements.

J'écoutais tout à l'heure le chef de l'Opposition. C'est un législateur éminent, qui a véritablement de la législation une conception tout à fait libérale, et tout en reconnaissant la nécessité pour l'Etat de progresser, eh bien, le chef de l'Opposition, à la suite d'autres de mes collègues, entre autres le député d'Ahuntsic, soulignait la nécessité de restreindre dans certaines limites le droit du ministre et de ses fonctionnaires d'obtenir des renseignements. Il soulignait la nécessité que l'on circonscrive le domaine ou les domaines dans lesquels il pourrait obtenir ces renseignements, c'est-à-dire, évidemment, le domaine des relations de travail pour une saine administration de ce domaine particulièrement important aujourd'hui.

Je souhaite personnellement que le ministre se rende aux arguments qui lui sont présentés par les membres de l'Opposition qui ont souligné cette nécessité. Je pense qu'il s'en rendra compte et qu'il ne voudra même pas, lui-même, se donner des pouvoirs illimités, qu'il comprendra qu'après tout, c'est dans son intérêt à lui de ne pas faire ça, et que c'est dans l'intérêt de la province et de la société d'aujourd'hui et de demain.

Maintenant, qu'on me permette de donner un petit exemple de l'usage abusif qui pourrait être fait de ces pouvoirs. Je suis, en cela, le chef de l'Opposition qui, je pense, y faisait allusion tout à l'heure. Prenons le cas, par exemple, où le ministre du Travail appréhende une grève très grave dans un domaine quelconque de l'activité économique de la province.

Supposons que le ministre du Travail voudrait, savoir quelle est la force économique des parties dans ce conflit syndical qu'il prévoit. Si par exemple, il avait des renseignements sur la capacité financière des syndicats ou de la compagnie de soutenir une grève plus ou moins prolongée, à ce moment-là, le ministre du Travail serait évidemment dans la position du « big brother », que j'ai mentionnée tout à l'heure, le personnage de « 1984 », et il pourrait faire une politique de travail en fonction des renseignements qu'il aurait obtenus en sous-main sur la situation financière des parties à ce conflit.

Je pourrais même aller plus loin. Admettons, par exemple, que le ministre du Travail appréhende une grève dans la fonction publique, une grève du genre de celle de la Régie des alcools, alors qu'on sait que la CSN a payé $50 par semaine, je pense, ou, au moins, $40 par semai-

ne aux employés qui étaient en grève pendant la durée de la grève. Si le ministre du Travail avait su que la CSN, par exemple, était incapable de soutenir le fardeau financier qui était requis par une longue grève, est-ce qu'à ce moment-là, il n'aurait pas pu modifier, suivant le cas, la politique salariale et la politique de relations de travail du gouvernement? N'aurait-il pas pu laisser échapper des renseignements à l'adresse de son petit ami, le ministre d'Etat délégué à la Fonction publique?

M. le Président, ce sont des hypothèses. Je connais la probité morale du ministre du Travail; tous les membres de cette Chambre sont unanimes à la reconnaître, mais on ne sait jamais, il faut prévoir. Comme je le disais tout à l'heure, s'il survient des conflits extrêmement difficiles, extrêmement durs, on ne sait jamais ce qui peut se produire. A un moment donné, l'intérêt pourrait affecter le jugement du ministre du Travail, comme celui de ses fonctionnaires ou celui de ses successeurs éventuels.

M. GABIAS: On a un bel exemple de l'intérêt qui affecte le jugement d'une personne.

M. CHOQUETTE: Je ne comprends pas. Le député de Trois-Rivières s'adresse-t-il à moi?

M. GABIAS: Oui.

M. CHOQUETTE: Je ne vois pas en quoi mes intérêts affectent mon jugement. Je n'ai franchement aucun intérêt...

M. GABIAS: L'intérêt de parti vous force à dire des choses que vous ne diriez pas autrement.

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel

M. CHOQUETTE: Je suis content que le député de Trois-Rivières vienne se mêler de ce débat, parce que l'expérience que nous avons eue avec lui, en Chambre... Je ne voudrais pas rappeler longuement les incidents auxquels il a été mêlé personnellement alors qu'il se faisait l'inquisiteur d'un autre député. Je suis content que ce soit le député de Trois-Rivières qui vienne à la rescousse du ministre du Travail.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je dois comprendre que l'honorable député d'Outremont ne continuera pas sur ce sujet, mais reviendra au principe du bill.

M. CHOQUETTE: Certainement, M. le Président.

M. GABIAS: Dans quel cas ai-je été l'inquisiteur d'un autre député?

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel L'honorable député d'Outremont.

M. CHOQUETTE: Je dis...

M. GABIAS: Dans quel cas ai-je été l'inquisiteur?

M. CHOQUETTE: Je respecte les décisions du président.

M. GABIAS: Vous reculez. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. CHOQUETTE: Je recule? Je ne recule pas du tout. J'irai le dire à l'extérieur de la Chambre. Tout le monde le sait, il s'agit de l'ancien procureur général.

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel M. GABIAS: C'est une inquisition.

M. LE PRESIDENT: Je saurais gré à l'honorable ministre de ne pas poser de questions, parce que je serais dans l'obligation de demander à l'honorable député d'Outremont de ne pas répondre. Il est nécessaire, à ce moment-ci, de s'arrêter au principe du bill et je ne sache pas que les propos qui sont tenus actuellement des deux côtés de la Chambre, par les honorables opinants, se réfèrent à ce principe.

L'honorable député d'Outremont.

M. GABIAS: Vous me permettrez tout de même, M. le Président, sur une question de privilège, de dire que je n'ai jamais fait l'inquisition au sujet d'aucun député. Si le député veut faire allusion à une accusation que j'ai portée, très bien, mais je n'ai jamais fait d'inquisition.

M. CHOQUETTE: M. le Président, le ministre de l'Immigration, député de Trois-Rivières, m'a provoqué tout à l'heure. Je n'aurais certainement pas dit ça de but en blanc, dans un discours ou j'exposais, à mon avis, assez objectivement la situation dans l'intérêt de la législation, dans l'intérêt de la Chambre et, je dirais même, dans l'intérêt du ministre du Travail et du gouvernement. C'est à ce moment-là que le ministre de l'Immigration est venu me prêter des motifs, m'accuser de parti pris et me dire qu'au fond je me levais sans croire à ce que je disais, parce que mon chef avait donné des ordres, peut-être.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je pense que l'honorable député d'Outremont conviendra qu'il est temps de fermer le débat sur cette question. Si l'honorable ministre de l'Immigration lui a prêté des motifs, je pense lui avoir rendu justice par ma décision et je l'invite maintenant à revenir au principe du bill.

M. CHOQUETTE: Je le fais, M. le Président, mais je veux dire simplement que l'on ne prenne pas mes propos comme voulant dire que je considère que le député de Trois-Rivières est nécessairement dangereux sur ce plan-là. Je dis simplement que tout homme, à un moment donné, peut faire des erreurs. Cela existe, et je signalais au ministre du Travail, à ce moment-là, les dangers qu'il y a dans sa législation. J'essayais de lui montrer, le plus objectivement possible, qu'il était dans son propre intérêt, dans l'intérêt du projet de loi, pour qu'il soit tout à fait acceptable et convenable, qu'il limite en quelque sorte son droit d'enquête et son droit d'obtenir des renseignements.

Sans m'étendre inutilement sur ce sujet, je me rappelle que nous avons connu des projets de loi similaires à l'époque où le gouvernement était dirigé par l'ancien député de Bagot, et que nous avions signalé au gouvernement qu'il demandait des pouvoirs d'enquête excessifs. A la suite de débats qui ont été assez longs à la Chambre avec l'ancien premier ministre, M. Johnson, le gouvernement avait consenti à modifier son point de vue initial et l'ancien premier ministre avait compris que, franchement, il ne fallait pas qu'il dépasse la mesure, qu'il lui fallait limiter son action dans ce domaine-là.

J'espère donc que le ministre du Travail saura gré à l'Opposition d'avoir souligné cet aspect de son projet de loi et fera les corrections voulues.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de D'Arcy-McGee.

M. Victor-C. Goldbloom

M. GOLDBLOOM: M. le Président, j'ai quelques brefs commentaires à faire sur ce projet de loi. Il y a deux de ses principes que je voudrais commenter, dont un que j'approuve et l'autre que je désapprouve.

Il y a dans ce projet de loi, parmi les fonctions attribuées au ministre, celle de faire effectuer des études et des recherches, entre autres choses sur les conditions du marché du travail, sur les emplois qui y sont disponibles ainsi que sur les effets des progrès technolo- giques sur le marché du travail et les conditions du travail.

C'est là un principe que j'approuve. J'aimerais pouvoir dire que ce projet de loi arrive à son heure, mais je suis obligé de dire qu'il arrive un peu plus tard que cela parce que nous avons, à d'autres occasions et dans d'autres circonstances... Je ne voudrais pas, ce que le règlement ne me permettrait pas de toute façon, M. le Président, revenir sur des débats qui ont eu lieu au cours de cette session. Je voudrais dire quand même qu'il existe certaines difficultés dans le domaine de l'éducation où justement ce genre de recherches, ce genre de renseignements qui seraient le fruit de telles recherches auraient grandement aidé à régler des difficultés.

Quelques-uns ont qualifié ces difficultés de fouillis et qui affectent plusieurs niveaux de notre système d'éducation, surtout les niveaux les plus élevés, les niveaux dont les jeunes sortent sur le marché du travail.

Il y a assez longtemps que nous, de ce côté-ci de la Chambre, réclamons des études de cette nature. Nous réclamons, en collaboration avec de telles études, une orientationprofessionnelle, je dirais même universelle, au niveau des écoles secondaires, des CEGEP et des universités pour permettre justement à nos jeunes qui s'apprêtent à sortir sur le marché du travail de savoir exactement ce qui les attend. Et ce qui est encore mieux, nous ne devrions pas attendre le moment où ils quittent l'institution d'enseignement, mais plutôt d'être bien renseignés au moment où ils choisissent les options dont on se vante dans notre système d'éducation, options qui sont nécessairement liées intimement à ce qui existe sur le marché du travail, donc aux possibilités, pour chaque jeune, de trouver sa propre place et un avenir intéressant.

Sur ce principe du bill, je suis content, même si cela arrive en retard, que le gouvernement accorde un intérêt particulier à ce qui me semble être un côté négligé de ce qu'onpeut appeler un aspect de notre système d'éducation, mais qui dépasse clairement les cadres de notre système ou de notre ministère de l'Education. Il y a une collaboration interministérielle à faire. Depuis quelque temps, cette collaboration laisse à désirer dans ce domaine particulier. Je suis donc content qu'on accorde enfin l'attention nécessaire, l'attention méritée à cette question extrêmement importante.

Nous avons parlé trop souvent de nos chômeurs instruits. Or, s'il y a des chômeurs, c'est le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre qui doit s'en occuper. Il vaut mieux prévenir que guérir, disent non seulement les médecins, mais

d'autres professionnels. Il vaudrait donc beaucoup mieux prévenir ce chômage, comme tout chômage d'ailleurs, que d'arriver par la suite avec les meilleurs programmes de recyclage possibles.

Le recyclage est nécessaire en ce qui concerne certaines personnes qui n'ont pas joui de la qualité d'enseignement, d'éducation que nous pouvons offrir aujourd'hui. Nous n'offrons pas encore ce recyclage, en partie à cause de ce qui manque dans notre système d'éducation et dans les éléments connexes de notre système gouvernemental. Ce bill arrive enfin pour corriger cette lacune. Je félicite le ministre de s'être donné cette responsabilité. J'aurais préféré que ceci ait été fait bien avant et dans les cadres de notre système d'éducation.

J'accueille quand même favorablement ce principe du bill.

L'autre principe que je n'accueille pas du tout, et auquel je m'oppose aussi fermement que possible, est celui déjà discuté par plusieurs de mes collègues, celui qui permettrait au ministre d'exiger non seulement des renseignements mais même d'imposer ou de faire imposer des peines aux personnes qui oseraient refuser des renseignements quelconques que le ministre pourrait leur demander.

M. le Président, je note, parmi les fonctions du ministre, parmi ses intérêts, la compilation de renseignements quant aux accidents de travail et quant à la réadaptation des accidentés.

M. le Président, même si les malades dont j'ai eu soin pendant bientôt vingt ans ne travaillent pas, selon les lois de notre province — je ne suis donc pas de ces médecins qui ont souvent à entrer en relation professionnelle avec la Commission des accidents du travail — j'en connais quelque chose et je voudrais suggérer, très simplement, très humblement que, dans les relations entre médecin et malade — que ces relations aient lieu au cabinet du médecin, à l'hôpital ou dans le cadre d'une évaluation par les mécecins attitrés de la Commission des accidents du travail — il faut quand même un parfait respect de lapersonne et des renseignements qui touchent la personne de celui qui est l'accidenté en question. Nous appelons cela le secret professionnel. Le secret professionnel n'est pas réservé en exclusivité aux médecins. Il y a d'autres professions qui respectent strictement les renseignements qui leur sont fournis au cours de leurs activités professionnelles.

Or, M. le Président, vous n'êtes pas sans savoir et l'honorable ministre du Travail n'est pas sans savoir que l'évaluation des résultats d'un accident de travail sont souvent de nature à provoquer des discussions entre médecins, des discussions quant à l'importance des conséquences, quant aux effets lointains de cet accident. Il y a des pourcentages d'infirmité, d'incapacité à fixer en ce qui concerne ces accidents. Souvent le médecin qui connaît cette personne, le médecin, qui est appelé à voir cette personne en dehors de la question de l'accident du travail, est obligé d'entrer en communication avec la commission, comme d'ailleurs avec des compagnies d'assurances, au sujet de certaines maladies ou accidents.

Donc, ce médecin, sait, par son devoir professionnel, qu'il ne doit entrer en communication qu'avec un médecin qui représente l'organisme en question, de façon à voir, à assurer que le secret professionnel est parfaitement respecté. Je soumets, M. le Président, que le fait de permettre au ministre d'exiger des renseignements de cette nature comporte des risques, parce qu'il s'agit après tout d'un ministère où il y a des fonctionnaires qui sont assermentés, qui acceptent, de par leur fonction, de respecter tous les renseignements qui traversent leur bureau. Je ne recherche pas noise aux fonctionnaires. Je ne voudrais pas attribuer de mauvaise pensée ni de mauvaise intention aux fonctionnaires, mais, quand même, M. le Président, ces renseignements seraient traités, évalués, compilés, rapportés par des fonctionnaires. Il se peut que de tels renseignements transpirent, parce que ces renseignements n'auraient pas été traités par des professionnels sachant ce que c'est que le secret professionnel.

M. BELLEMARE: Est-ce que l'honorable député me permettrait juste une suggestion, parce qu'en vertu de la loi des accidents de travail, il retrouvera à l'article 88 ce qui fait le thème de son propos.

M. LESAGE: Oui, mais...

M. GOLDBLOOM: M. le Président, je regrette...

M. LESAGE: Le pouvoir que nous accorderons...

M. BELLEMARE: Regardez l'article 88. M. LESAGE: Cela ne fait rien.

M. BELLEMARE: Ah oui, cela fait de quoi. La loi ne peut pas se déchirer. Vous ne pouvez pas effacer les articles.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de D'Arcy-McGee.

M. LESAGE: M. le Président, l'article de loi peut être effacé par une loi subséquente.

M. BELLEMARE: Voyons donc!

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de D'Arcy-McGee.

M. GOLDBLOOM: Je regrette de devoir répondre au ministre que je trouve le thème de mes propos ou que je dois le trouver dans le projet de loi qui est devant nous et qui accorde au ministre certains pouvoirs que je trouve excessifs.

Je terminerai mes brèves remarques en disant ceci: je me permets de dire à l'honorable ministre — entre avocats, il comprendra très bien cela — que son argument est précisément un argument ad hominem. L'homme qu'il vise est lui-même et le ministre nous dit: Je n'ai pas l'intention d'abuser de ces renseignements.

Je ne voudrais pas le voir disparaître, mais nous sommes tous appelés à disparaître non seulement de ces lieux mais de cette terre. Lui qui, certainement, n'a pas l'intention d'abuser ou de permettre des abus de ces renseignements, ne sera pas toujours ici. Je ne fais pas allusion à un gouvernement en particulier, mais nous avons connu dans le passé des gouvernements qui se sont permis certains abus et les citoyens de cette province en ont souffert grandement.

Je crois qu'il est de notre devoir de nous opposer fermement à tout ce qui peut constituer des abus de la liberté individuelle et du secret professionnel, quelle que soit la profession con- cernée. Si je m'oppose à cet aspect, à ce principe du projet de loi, c'est précisément parce que, avec tout le respect que je dois personnellement à l'honorable ministre du Travail qui sera bientôt ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre, je ne suis pas en mesure d'accorder cette même confiance à un inconnu qui pourra le suivre au même poste, de quelque côté de la Chambre qu'il se trouvera.

Il y a du bon dans ce projet de loi, il y a également du mauvais. Au mauvais, je m'oppose comme ont fait, avant moi, mes collègues de ce côté-ci de la Chambre.

M. PINARD: Est-ce que le ministre du Travail veut exercer son droit de réplique là-dessus?

M. BELLEMARE: Oui, oui, c'est cela.

M. PINARD: Je ne sais pas si vous consentiriez à considérer qu'il est six heures parce que mes remarques seront certainement plus longues que le peu de temps qu'il me resterait pour les faire.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que je dois considérer la motion d'ajournement du débat de l'honorable député de Drummond? Les travaux de la Chambre sont suspendus jusqu'à...

M. BELLEMARE: Huit heures quinze.

M. LE PRESIDENT: Huit heures quinze ce soir.

Reprise de la séance à 20 h 17

M. LEBEL (président): A l'ordre, messieurs!

M. LESAGE: Le député de Drummond sera ici à l'instant.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Drummond,

M. Bernard Pinard

M. PINARD: M. le Président, j'espère que le ministre de la Voirie reviendra au plus tôt du comté de Bagot pour s'occuper de l'entretien de nos routes...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. PINARD: ... parce que la circulation est très lente.

M. LOUBIER: Où est M. Courcy? Il est ici? Il a perdu, Alcide. Il est en train de le chercher.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. PINARD: Alcide s'occupait d'agriculture et le ministre de la Voirie s'occupait de voirie, de « garnottes » comme on dit.

M. LE PRESIDENT: Pour rafraîchir la mémoire des honorables députés, disons que nous sommes en train d'étudier le bill 287.

L'honorable député de Drummond.

M. PINARD: M. le Président, en prenant connaissance du bill 287, intitulé Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, j'ai cru qu'il était de mon devoir de participer à la discussion qui a été faite en Chambre des principales clauses de ce projet de loi. Je ne voudrais pas être trop long dans mes remarques, mais que le ministre du Travail me permette d'attirer son attention sur un problème qui, à mon avis, est très grave: celui de la protection d'un très fort groupe de travailleurs du Québec, qui, à l'heure actuelle, ne sont pas protégés de façon efficace par les diverses lois du travail qui relèvent de son ministère.

Je ne voudrais pas entrer dans un débat qui pourrait amener des considérations partisanes, mais je crois que la discussion du bill 287 a été quand même suffisamment large aujourd'hui pour que vous m'accordiez la permission de m'éloigner quelque peu, non pas de la question de principe, mais des exemples qui, jusqu'ici, ont été donnés par tous les députés qui ont participé à la discussion.

Je ne vois rien, par exemple, dans les dispositions du bill 287, qui permettrait à un très grand nombre de travailleurs salariés du Québec de recevoir une protection plus adéquate que celle qu'ils reçoivent déjà en vertu des lois existantes.

Mais le ministre admettra avec moi qu'il y a un très fort contingent de travailleurs au Québec qui ne sont protégés en aucune façon. Ni par les syndicats, ni par les lois du travail, ni par les décrets ou les conventions collectives. Il y a encore de très nombreux secteurs dans le Québec où les ouvriers ne reçoivent absolument aucune protection parce qu'ils n'ont pas eu la chance ou la force économique suffisantes pour se syndiquer, grouper leurs forces, leurs effectifs afin de se donner et de se faire donner toute la protection à laquelle ils ont droit.

Le ministre sait sans doute qu'il existe actuellement dans la province de Québec un problème du camionnage qui cause des difficultés innombrables aux autorités en place. Ces difficultés, je les ai connues; d'autres après moi les connaissent maintenant. Nous avons travaillé du mieux que nous avons pu pour soulager les difficultés de ces travailleurs artisans et parfois, devons-nous dire aussi, pour soulager leur misère. Le ministre admettra avec moi qu'il y a des cas de misère, particulièrement durant cette saison morte, comme ils l'appellent, parce qu'ils n'ont pas de travail ou que le peu de travail qu'ils ont ne réussit pas à leur faire gagner suffisamment d'argent pour faire vivre leur famille convenablement et effectuer les paiements sur leur camion ou sur les outils dont ils sont les propriétaires et qui leur servent en quelque sorte de gagne-pain.

Dans toutes ces dispositions du bill 287 qui constituent en quelque sorte une nouvelle loi organique du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, je ne vois pas beaucoup d'imagination, beaucoup d'innovations qui pourraient, par exemple, amener le ministre à se montrer plus interventionniste dans les secteurs auxquels j'ai fait allusion tantôt pour permettre à son ministère et aux différentes structures, aux différentes grandes directions générales de prendre soin de ceux qui, aujourd'hui, n'ont pas la protection dont ils auraient besoin pour faire face au défi de la technologie moderne, au défi de plus en plus considérable de la compétition dans notre société industrielle, et qui sont en quelque sorte laissés pour marginaux dans une société qui se veut évolutive, qui se veut progressiste. Il n'y a donc rien de surprenant à constater que dans ces secteurs défavorisés il y a, en quelque sorte, un sentiment de révolte qui se fait jour, un sentiment d'irrespect des autorités ou des

institutions, car, à tort ou à raison, ils croient que les gouvernements ne prêtent pas suffisamment attention à leurs revendications.

Alors, M. le Président, j'ai pris la responsabilité de discuter ces problèmes, non seulement au niveau des autorités gouvernementales, mais aussi au niveau des autorités des grandes centrales syndicales. J'ai alerté non seulement les grands fonctionnaires des syndicats, mais aussi le président d'une très forte centrale syndicale au Québec, de façon qu'il autorise les services techniques de cette centrale à engager le dialogue avec ces camionneurs-artisans, avec ces travailleurs forestiers, pour qu'ils puissent avoir la force suffisante, et sur le plan de la technique et sur le plan du nombre et sur le plan de l'organisation, pour faire face aux difficultés qu'ils éprouvent en ce moment et pour être en mesure de faire valoir, de façon efficace, de façon vigoureuse aussi, leurs revendications auprès des autorités et, en particulier, auprès du ministère du Travail.

Le ministre du Travail sait fort bien à quoi je fais allusion puisque, de bonne grâce, il a accédé à ma demande de faire siéger un comité spécial, qui serait plus particulièrement chargé d'étudier les problèmes qui nous sont expliqués par les camionneurs-artisans et aussi par les camionneurs forestiers. Mais ce comité, devant la tâche complexe, devant l'éventail presque trop considérable de tous les problèmes qui nous ont été apportés jusqu'ici par ce groupe de travailleurs du Québec, se sent en quelque sorte impuissant à imaginer toutes les solutions qui seraient susceptibles d'apporter des remèdes efficaces à court terme au malaise dont ils ont à souffrir.

Je ne veux en aucune façon, M. le Président, chicaner le ministre du Travail qui, je l'admets, a pris des dispositions spéciales pour faire face à la situation. Je me demande si, dans l'état actuel des choses, les dispositions qui ont été prises jusqu'à présent sont suffisantes pour permettre au comité qui était au travail de trouver des solutions suffisamment efficaces et suffisamment rapides pour permettre à ce fort groupe de travailleurs du Québec de recevoir des solutions susceptibles d'apporter des remèdes immédiats à leur situation, au malaise dont ils ont à souffrir.

M. le Président, j'aifait diverses suggestions à titre de membre de ce comité. Je les ai faites devant les représentants autorisés du ministère du Travail, devant les représentants autorisés des autres ministères qui avaient été appelés à écouter les mémoires qui ont été présentés, d'une part, par des représentants de l'Association des constructeurs de routes du Québec et, d'autre part, par des représentants de l'Asso- ciation des camionneurs-artisans du Québec.

Je pense que le travail effectué jusqu'ici ne pourra pas porter fruit assez tôt pour venir en aide précisément à ces personnes qui sont dans le besoin. Je n'exagère rien en l'affirmant et le ministre du Travail le sait tout aussi bien que moi. J'ai bien peur que le travail du comité ne puisse pas nous donner les moyens de leur apporter une aide efficace et rapide.

Nous voulons tous rechercher cette société juste dont les citoyens du Canada et du Québec parlent tellement et qu'ils veulent tellement obtenir. Je me demande si nous sommes dans la bonne voie, dans la bonne direction, si nous prenons tous les moyens mis à notre disposition pour aplanir ces disparités régionales, pour mettre fin, si possible, à tous ces problèmes de pauvreté que nous connaissons et qui sont mis à jour dans tous les comtés de la province. Je me demande si, en vertu des dispositions nouvelles de ce bill 287, le ministre aura tous ces pouvoirs, tous ces moyens qu'il veut obtenir pour travailler aussi efficacement qu'il le voudrait. Même si cette nouvelle loi organique lui permettra de créer de nouvelles structures, seront-elles suffisamment efficaces pour aller directement à la racine des maux dont souffrent un très grand nombre de citoyens de la province de Québec, surtout dans ces comtés où la pauvreté est plus grande qu'ailleurs? Je me le demande.

Les grandes compagnies qui se sont formées en associations, comme c'est le cas pour l'Association des constructeurs de routes du Québec, ont à leur disposition tous les moyens financiers et toutes les techniques modernes pour être capables de faire face au défi de la société moderne et au défi que pose la compétition.

M. PAUL: Sur un point d'ordre. Je suis, avec beaucoup d'intérêt, l'argumentation du député de Drummond. Je suis sûr qu'il conviendra, le premier, qu'il s'éloigne énormément du principe du bill présentement à l'étude. Je crois que, si nous voulons progresser dans l'étude de cette loi, il faut nous en tenir à l'observance de notre règlement.

UNE VOIX: C'est cela.

M. LE PRESIDENT: Effectivement, je ne voudrais pas que l'on interprète comme un précédent l'intervention de l'honorable député de Mercier, cet après-midi, qui a été très courte. Je suis intervenu précisément lorsqu'il terminait son intervention pour lui signaler qu'elle n'était pas relative au projet de loi qui est devant la Chambre. Heureusement, à ce moment-lâ, l'honorable député de Mercier terminait son intervention. Je pense qu'au début de son inter-

vention, ce soir, l'honorable député de Drummond a cru s'appuyer sur ce précédent pour dire que le débat avait été considérablement élargi. Cependant, connaissant son expérience parlementaire, je suis convaincu qu'il s'en tiendra à l'application stricte de l'article 556 de nos règlements, et plus spécialement à l'à-propos du bill, à sa valeur intrinsèque. Je le remercie à l'avance de sa coopération.

M. PINARD: M. le Président, je crois avoir respecté le principe du bill, surtout si je m'en réfère aux dispositions de l'article 3 qui dit que les fonctions, pouvoirs et devoirs du ministre sont: a) de favoriser des relations de travail harmonieuses entre employeurs et salariés; b) de faire effectuer les études et recherches qu'il juge utiles ou nécessaires sur les relations de travail entre employeurs et salariés, sur les conditions du marché du travail et sur les emplois disponibles ainsi que sur les effets des progrès technologiques sur le marché du travail et les conditions de travail, etc.

Je crois que cet article 3 donne toute liberté aux députés de discuter de façon plus large les pouvoirs qui devraient être donnés au ministre du Travail et à ses hauts fonctionnaires. Il permet également aux députés d'apporter des exemples pour mieux sensibiliser le ministre à la nécessité d'agir de façon urgente et efficace dans des secteurs où une forte population de salariés, de travailleurs ne reçoit presque pas ou pas du tout de protection.

C'est ce à quoi, je me suis appliqué jusqu'à maintenant, et je pense que je reste dans l'ordre en discutant de cette façon et en donnant des exemples qui permettront sans doute au ministre du Travail de saisir le véritable motif de mon intervention de ce soir. Si on tient pour vrai que 30% d'ouvriers du Québec seulement sont actuellement accrédités dans de grands syndicats, il reste qu'un fort pourcentage d'ouvriers de la province de Québec n'ont pas cette force économique, n'ont pas cette force du nombre pour faire valoir avantageusement leurs revendications auprès des autorités et pour recevoir la même attention que ceux-là qui, à l'Intérieur des grandes centrales syndicales, sont quand même suffisamment puissants, et par le nombre et par la force économique, pour obtenir le respect de leurs droits les plus légitimes ainsi que les législations, les réglementations, les décrets et les conventions collectives, qui leur permettent de travailler efficacement au progrès de la nation et de travailler efficacement aussi à leur avancement personnel et à la sauvegarde de leurs intérêts individuels et collectifs.

M. le Président, ce sont là les propos que je veux tenir à l'occasion de la discussion du bill no 287. Je crois que le ministre du Travail plus que tout autre comprendra le motif de mon intervention de ce soir. Etant lui-même député, représentant d'un comté où il se fait beaucoup de travaux en forêt, plus que quiconque, il sait que dans son territoire il y a encore des travailleurs forestiers qui n'ont pas cette protection syndicale. Il ya encore des camionneurs forestiers qui réussissent à obtenir du travail, mais on leur donne les miettes, parce qu'ils n'ont pas la force nécessaire pour faire valoir leurs revendications auprès des autorités concernées, auprès des compagnies forestières qui retiennent leurs services par l'entremise d'un entrepreneur ou d'un sous-entrepreneur. L'enquête nous révèle M. le Président, qu'à ceux-là on donne les miettes, on donne les plus mauvaises conditions de travail, on donne les plus mauvaises rémunérations. Je crois que cette preuve a été faite de façon éclatante devant le comité de travail où je siège et, à mon avis, aucun des membres n'a réussi à mettre de l'avant des solutions qui permettraient au gouvernement, au ministère du Travail et à d'autres ministères qui, indirectement, sont impliqués dans ce problème, d'apporter des solutions rapides et efficaces aux malaises qui nous ont été exprimés par les représentants de l'Association des camionneurs artisans du Québec, les travailleurs forestiers et les camionneurs forestiers du Québec.

M. le Président, est-ce que le gouvernement, est-ce que le ministre du Travail, vu les faits que je viens d'exposer, vu que les grandes centrales syndicales n'ont pas jugé bon, peut-être pour des motifs très valables...

Je ne veux faire de procès d'intention à quiconque, puisque ces travailleurs ne se voient protégés en aucune façon par les syndicats. Est-ce que le ministre ne croit pas qu'en vertu des dispositions actuelles contenues dans le bill 287, il aurait des pouvoirs qui lui permettraient d'être plus interventionniste, pour provoquer un déblocage au niveau des solutions qui pourraient être apportées? Ces solutions lui permettraient de venir en aide à des ouvriers complètement démunis sur le plan de la sauvegarde de leurs Intérêts personnels et de la protection de leurs droits face à la concurrence dont je vous ai parlé tantôt, face aussi à l'espèce de marchandage dont ils sont presque constamment les victimes de la part de certaines puissantes compagnies forestières, et d'autres spécialisées en construction routière. Je l'ai

dit tantôt, les exemples sont très nombreux. Il y en a beaucoup qui, à cause des contrats accordés par le gouvernement, soit par le ministère de la Voirie, soit par le ministère des Travaux publics, soit par des commissions gouvernementales, soit par l'Hydro-Québec, réussissent à obtenir du travail mais, en quelque sorte, ne reçoivent qu'une pitance, parce que ceux-là qui reçoivent les contrats les plus plantureux, les plus rémunérateurs, sont de puissantes compagnies qui ont toute la force économique, tous les moyens technologiques modernes à leur disposition pour aller chercher les travaux les plus payants.

M. le Président, il n'est pas surprenant de constater qu'au niveau individuel, ces camionneurs-artisans représentent bien peu dans tout ce domaine de la concurrence effrénée que nous vivons à l'heure actuelle au Québec. Le ministre du Travail sait fort bien que ces 5,000 camionneurs-artisans ont voulu se grouper en vue d'obtenir la protection légale. Ils ont demandé, par exemple, d'être protégés en vertu de la loi des sociétés coopératives. Ceci leur a été refusé pour des motifs juridiques valables, je l'admets. Ils ont demandé qu'on leur permette d'obtenir l'accréditation syndicale, en présentant une requête à la Commission des relations de travail. On leur a dit; vous n'avez pas le statut nécessaire pour pouvoir obtenir cette accréditation syndicale. On vous considère, c'est vrai, comme des artisans, mais vous êtes aussi propriétaires d'équipements assez dispendieux qui font que vous êtes, à toutes fins pratiques, des entrepreneurs, même si, au niveau des définitions, on vous considère comme des artisans.

Alors, encore un domaine oil ils n'ont pas pu obtenir la protection dont ils auraient eu besoin. Ils ont demandé au ministère du Travail d'être protégés par des décrets, par des conventions collectives, mais, par voie de conséquence, à cause de ce que je viens de dire, vu les refus qui leur ont été donnés sur le plan de l'accréditation syndicale, sur le plan de l'association, en vertu de la loi sur les sociétés coopératives, il va de soi, M. le Président, que des décrets ne sont pas possibles pour eux, que des conventions collectives ne sont pas non plus possibles pour qu'ils soient protégé s de la façon la plus adéquate possible.

Alors, M. le Président, ce sont autant de facteurs qui militent en faveur d'une action peut-être plus interventionniste de la part du ministre du Travail. Il me semble que ce ne serait pas trop demander au ministre du Travail que de se montrer le plus attentif possible aux revendications de ceux qui ont moins les moyens que les autres de se défendre avantageusement dans cette vie de plus en plus compétitive de la société moderne.

Il y a ceux qui sont obligés d'oeuvrer sur le plan individuel, ceux qui, à cause de la faiblesse, de la carence de nos lois, ne sont pas capables de s'organiser et de représenter une force économique suffisamment puissante pour faire bouger les autorités, pour faire en sorte aussi que les compagnies puissantes qui les exploitent soient mises à la raison ou, à tout le moins, soient incitées à les traiter de façon plus juste et soient également incitées à les rémunérer davantage, de sorte qu'ils pourront gagner leur pain de façon honorable.

Je connais de ces camionneurs artisans, de ces travailleurs forestiers qui sont pères de nombreux enfants et qui ne travaillent pas en ce moment. Cela fait déjà plusieurs mois. Ils vont trouver l'hiver dur. Je me demande si le ministre du Travail, dans ses considérations lors de la présentation du bill 287 et dans la réplique qu'il aura à donner tantôt aux propos des députés de l'Opposition, ne voudra pas aller plus profondément dans les secteurs que je viens d'indiquer. Ne voudra-t-il pas nous dire s'il a un message de réconfort à apporter à toutes ces personnes auxquelles j'ai fait allusion tantôt et dont je prends la défense ce soir de façon très modeste, car je suis loin d'être un spécialiste de toutes ces questions pour en traiter de la façon dont je devrais le faire. Je demande au ministre du Travail de leur donner toute la chance possible...

M. GABIAS: Le spécialiste, c'est le député d'Ahuntsic.

M. PINARD: ... de leur prêter, à ces personnes, des services techniques dont elles ont besoins pour pouvoir s'organiser de façon efficace, pour avoir tous les moyens à leur disposition pour faire face à la concurrence effrénée dans laquelle elles ont à vivre tous les jours, pour leur permettre encore une fois, d'obtenir un gagne-pain absolument essentiel, une rémunération plus forte de façon à vivre selon un standard de vie au moins équivalent à celui des ouvriers que nous connaissons dans nos régions, dans nos comtés.

M. GABIAS: Vous allez voter contre un projet de loi qui assure cela.

M. PINARD: Je n'ai pas déclaré que je voterais contre le projet de loi. Je fais des remarques de la façon la plus honnête possible. J'alerte le ministre du Travail sur une situation qu'il connaît tout aussi bien que moi. J'ad-

mets que cette situation est difficile à régler. J'admets que les implications de cette situation sont multiples. Il faudra, tout à la fois, aller dans de nombreux domaines pour être bien sûr que nous allons prendre le mal à sa racine et que nous apporterons des solutions à la fois efficaces et rentables pour ceux dont nous voulons ce soir prendre la défense.

M. GABIAS: Est-ce que je comprends que le député de Drummond va voter pour?

M. PINARD: J'ai remarqué une chose. Ceux qui m'interrompent sont peut-être ceux-là qui connaissent le moins bien le problème dont je parle ce soir. Ce n'est pas le ministre du Travail qui m'interrompt dans les remarques que je fais en ce moment dans cette Chambre.

M. GABIAS: Je n'interromps pas...

M. PINARD: Je suis sûr d'une chose, c'est que, connaissant le ministre du Travail comme je le connais, il aura, lui, le courage de répondre aux remarques que je viens de faire. Je serais très surpris s'il me faisait un procès d'intention dans les remarques qu'il fera en réponse à mes propos.

M. GABIAS: Je demande si le député de Drummond va voter pour.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. PINARD: Lorsque viendra le moment de prendre la responsabilité de voter pour ou contre le projet de loi, nous dirons où exactement l'Opposition se tient et je prendrai...

M. GABIAS: Ah!

M. PINARD: ... mes responsabilités.

M. GABIAS: Ils l'ont dit

M. PINARD: Je fais des remarques d'ordre général. J'ai également fait des remarques d'ordre particulier, pour démontrer au ministre du Travail jusqu'à quel point de nombreuses personnes de la province de Québec ne reçoivent aucune protection adéquate en matière de relation de travail. Toutes les lois du travail, à l'heure actuelle, les ont laissées de côté. Je l'ai dit aussi, les syndicats n'ont malheureusement pas jugé bon de les protéger de la façon efficace, puisqu'ils ne protègent actuellement que 30% d'ouvriers dans la province de Québec. C'est une responsabilité conjointe. C'est la res- ponsabilité du ministère du Travail, mais c'est aussi la responsabilité des grandes centrales syndicales de voir à donner une protection adéquate à ceux qui ne la reçoivent pas jusqu'à présent C'est le devoir des députés de cette Chambre de prendre la défense de ceux qui n'ont pas les moyens de venir revendiquer devant les autorités, comme d'autres associations peuvent avoir les moyens de le faire, parce qu'elles ont le nombre qui joue en leur faveur, et parce qu'elles aussi ont la force économique pour pouvoir pénétrer le mur du silence et aussi, parfois, le mur de l'indifférence, que je crois déceler de ce côté-là de la Chambre, ce soir.

Je pourrais faire d'autres remarques, mais je sais que j'aurai l'occasion de le faire lors de la discussion de certaines autres lois du travail qui seront présentées au cours de cette session qui se termine et probablement au cours d'une autre session qui commencera à la mi-février. Je pourrai également continuer le travail amorcé jusqu'ici à l'Intérieur du comité de travail dont j'ai parlé tout à l'heure. Je voudrais que le ministre du Travail comprenne bien dans quel esprit je me suis levé, ce soir, pour faire les remarques que j'ai faites. Ces remarques ont été faites dans le seul et unique but d'alerter le ministre du Travail sur une situation qui m'apparaît intenable à l'heure actuelle...

M. GABIAS: Voyons donc!

M. PINARD: ... pour un très fort pourcentage de notre société québécoise. Il y a des pères de familles nombreuses, qui ne peuvent plus supporter d'être pauvres comme ils le sont, alors que, dans d'autres secteurs de la société, on réclame constamment des augmentations de salaire et que d'aucuns dans la province prétendent qu'ils en ont suffisamment.

Alors, quand on parle de disparités régionales...

M. GABIAS: Six ans de régime libéral.

M. PINARD: ... on parle également de disparités dans la richesse, de disparités dans le gagne-pain, de disparités dans la rémunération, de disparités aussi dans les chances de survie et dans les chances de faire face à la compétition.

C'est de tout cela que j'ai parlé. J'attends que le ministre du Travail se lève pour répondre aux propos que j'ai tenus et j'espère qu'il aura, non seulement un mot de réconfort à l'endroit de ceux dont j'ai pris la défense ce soir, mais qu'il pourra aussi nous garantir qu'il mettra en oeuvre le plus rapidement possible des mesures susceptibles d'apporter des remèdes valables.

efficaces et rapides aux maux et aux souffrances que ces gens ont endurés depuis trop longtemps dans cette province.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je tiens à faire remarquer que l'Intervention de l'honorable ministre du Travail mettra fin au débat en deuxième lecture.

L'honorable ministre du Travail.

M. BELLEMARE: M. le Président...

M. LESAGE: Peut-être le ministre du Travail aimerait-il en recommencer un autre?

M. GAGNON: Il a tellement de bonnes choses â dire.

M. Maurice Bellemare

M. BELLEMARE: Attendez.

Nous avons entendu d'excellents discours cet après-midi. Je voudrais bien avoir le privilège de décerner des mérites â chacun. Quelques-uns ont fait des efforts louables, d'autres ont fait un travail très constructif et d'autres, enfin, ont fait un travail que je peux considérer comme moins productif.

M. COITEUX: Nommez-les.

M. BELLEMARE: Je commencerai d'abord par l'honorable...

M. GABIAS: Le moins bon, c'est le député d'Ahuntsic.

M. BELLEMARE: ... député de Drummond. L'honorable député de Drummond a bien fait les choses.

UNE VOIX: Dans Bagot?

M. BELLEMARE: II était complètement en dehors des règlements, mais c'était plaisant de l'entendre.

M. LESAGE: A la place du député de Drummond, je serais très inquiet.

M. BELLEMARE: Je sais que c'est un vieux routier de la politique. Dans sa carrière, il a défini de façon assez caractéristique ce qu'était le bon et le mauvais patronage. Mais, ce soir, il a été un homme assez objectif.

Je dirai que la cause qu'il a plaidée est une cause qui m'est particulièrement chère et à laquelle je suis particulièrement attaché. Je comprends que, comme ministre du Travail, ce soir, j'ai apporté devant cette Chambre une loi organique, une loi qui définit les pouvoirs et les responsabilités du ministre quant à l'administration de la chose publique dans son ministère.

L'honorable député de Drummond a dit que les camionneurs-artisans avaient une situation exceptionnellement difficile. Je suis parfaitement d'accord, extraordinairement d'accord. Je dis, cependant, que c'est une situation qui ne date pas de 1967 ni de 1966.

Il y a eu dans cette province un homme particulièrement intéressant, qui avait une lourde responsabilité dans l'administration publique, qui s'occupait particulièrement des camionneurs-artisans et qui aurait pu s'occuper d'eux alors qu'il était ministre de la Voirie.

Je n'ai pas besoin de vous dire que le mouvement lui-même, les gens intéressés eux-mêmes, les pauvres qui sont pauvres à cause du manque d'organisation ne le sont pas depuis hier. Ils ne le sont pas depuis avant-hier. Ils le sont depuis des années. Cet homme-là aurait pu, grâce à son influence auprès du premier ministre du temps — parce que c'était sûrement l'homme le plus influent du cabinet — lui dire: Nous allons faire quelque chose de concret pour ces pauvres camionneurs-artisans. Je suis sûr, connaissant le député de Louis-Hébert et l'amitié qu'il a pour le député de Drummond, que le député de Louis-Hébert aurait dit: d'accord, nous commençons immédiatement.

Cela n'a pas été fait. Nous avons...

M. PINARD: ... a été fait par la commission Lippé.

M. BELLEMARE: ... lu le rapport de l'enquête Lippé.

M. LESAGE: C'est vous qui l'avez reçu, pas nous.

M. BELLEMARE: M. le Président, est-ce une assemblée contradictoire?

M. LESAGE: Non, mais...

M. BELLEMARE: Cet après-midi, j'ai eu la patience de vous écouter, je n'ai rien dit...

M. LESAGE: Ne faites donc pas de politique partisane.

M. BELLEMARE: J'ai noté... nous allons nous rencontrer tout à l'heure. J'en ai une partie pour vous tout seul.

M. LESAGE: Cela va barder.

M. BELLEMARE: M. le Président, l'enquête du juge Lippé a été fort longue. C'était un problème fort difficile à résoudre. Le rapport Lippé nous est arrivé. Nous avons pris le temps de le regarder, de l'étudier et à la fuite d'une motion qui a été faite en cette Chambre, à la suite d'une entrevue qui a eu lieu en bas, au comité, il a été décidé, à la demande du député de Charlevoix, qu'un comité siégerait pour entendre les intéressés. Nous avons siégé. A la suite de ce comité, il a été décidé et unanimement accepté qu'un comité serait formé des deux côtés de la Chambre et des experts du ministère du Travail qui s'occupent particulièrement de ce problème, accompagnés des intéressés dans l'industrie du camionnage de la province.

Ce comité a fait de l'excellent travail. Il a, pendant de nombreuses séances, essayé de faire de la planification, de dégager de grandes idées, de rechercher le problème véritable et d'essayer d'orienter les efforts vers une solution pratique. Malheureusement, c'était des hommes qui siégeaient autour de ces tables et les points de vue se sont diamétralement opposés dans certains cas.

Mais qu'importe, un travail constructif a été fait. Le député de Drummond me demandait si j'étais prêt à aller plus loin. Je dis que oui. Et plus loin que le pense le député de Drummond. Assumant mes responsabilités comme ministre du Travail, je suis prêt à mettre à la disposition des camionneurs-artisans le temps d'un homme payé par nous, d'un homme compétent qui va essayer, lui, au sein de l'organisation de ces gens qui ont besoin d'être aidés, de trouver les ou la solution qu'il apportera au comité de parlementaires des deux côtés de la Chambre qui siégera entre les deux sessions. Il viendra là faire son rapport et surtout donner son appréciation. J'ai sous la main, je crois, un homme excellemment qualifié, un homme d'un grand prestige, qui connaît à fond le problème de ces gens et que je suis prêt à mettre à leur disposition pour prouver ma bonne foi dans le problème épineux et difficile à régler que traverse cette partie importante de nos travailleurs québécois, les camionneurs-artisans et les camionneurs forestiers.

Le député a parfaitement raison. Il y a un problème terrible, il y a une espèce de monopole. Je ne veux scandaliser personne, mais une espèce de monopole s'est créé avec les compagnies forestières qui exécutent les gens au premier avis. Et ça, ce n'est pas une situation que nous tolérerons dans la province de Québec. Nous ne pouvons pas tolérer que les gens soient exécutés du jour au lendemain parce que ça ne fait pas l'affaire. Si ce sont de bons travailleurs, à qualité égale, ils doivent donner service égal.

Nous avons entendu un excellent député, qui se renseigne et qui fait un travail fort louable dans cette Chambre, le député de D'Arcy-McGee.

Il a formulé des suggestions heureuses et il a fait remarquer à cette Chambre que, dans le bill que nous apportons, il y avait peut-être des choses très intéressantes qui n'existaient pas encore ailleurs et que nous définissions.

Je suis pleinement d'accord, s'il peut réaliser, lui, l'accord avec un de ses collègues qui ne partage pas tout à fait son point de vue. Je laisse à l'honorable député de D'Arcy-McGee le soin de le pressentir et de le convaincre. Je suis persuadé que j'aurais beaucoup de misère, moi, parce que je suis bien plus loin que lui de cette organisation que l'on appelle le parti.

Je le félicite d'avoir si bien expliqué, cet après-midi, ce point de vue de la formation professionnelle. C'était très intéressant parce qu'il a touché le problème à fond sans se prévaloir du pouvoir d'administrer au point de vue pédagogique. Nous allons continuer la formation professionnelle de nos ouvriers et ça, c'est important, dans tous les domaines, domaines multipliés aujourd'hui par dizaines, à cause de tous les nouveaux métiers, des nouveaux secteurs dans le domaine de l'habitation et de la construction en général.

C'est ça que nous allons nous employer à faire. D'ailleurs, le président général de tous les centres d'apprentissage de la province était lui-même membre d'un comité d'étude qui a siégé pendant des jours et des jours, dont le rapport a été publié, pas à la demande de personne, à ma demande personnelle. Le rapport de ces études a été publié et, après de longues études où tout le monde du travail était représenté, il a été unanimement admis et voté, lors du congrès des centres d'apprentissage de la province, en juin dernier, que la formation professionnelle devait s'étendre à toute la construction en général, mais plus loin que ça, à tous les métiers connexes pour un ouvrier.

M. le Président, mes remerciements, d'abord, au député pour m'avoir dit des choses très intéressantes au sujet de la formation professionnelle, et d'être devenu pour moi un allié. Je ne veux pas faire de chicane dans son parti, je ne voudrais pas ça.

M. GOLDBLOOM: Il n'en est pas capable. M. BELLEMARE: L'honorable député nous

a donc fait remarquer que, sur la loi des accidents de travail, il pourrait y avoir certaines craintes quant aux recherches qu'il y a à faire. Lorsque je serai rendu à l'honorable député de Louis-Hébert, le député prendra pour lui les réflexions que je voudrais offrir à l'honorable chef de l'Opposition dans ma réponse.

Le député d'Outremont a été fort éloquent.

Il a dit des choses sur un ton très calme. Surtout, il n'a sûrement pas fait d'attaque personnelle, il a été très objectif. Le député de Bourassa m'a posé une question. Le député de Bourassa, c'est un député qui connaît très bien la question économique et particulièrement la question du taxi, qui le passionne particulièrement de ce temps-ci. Je ne sais pas si c'est un voyageur assidu de cette grande chaîne de Murray Hill...

M. HARVEY: Il est capable d'en faire.

M. BELLEMARE: ... il a l'air d'avoir une amitié particulière pour certains d'entre eux. Je le félicite, d'ailleurs. Il m'a posé plusieurs questions...

M. LESAGE: Pas seulement ceux de Murray Hill.

M. BELLEMARE: Ah non?

M. LESAGE: C'est parce qu'il y a de nombreux chauffeurs ou propriétaires de taxis qui demeurent dans le comté de Mercier.

M. BELLEMARE: Oui. Je suis content de dire à l'honorable député que la solution que nous pourrons apporter sera sûrement du même ordre que celle que nous apporterons à d'autres questions assez épineuses, comme celle des camionneurs-artisans de l'honorable député de Drummond. Celle qui concernera les taxis devra faire l'objet d'une loi spéciale, probablement. Après étude, le comité recommandera de légiférer dans ce domaine. Nous prendrons la meilleure occasion pour rendre les plus grands services dès que les études seront terminées. La même chose se produira pour la demande que m'a faite l'honorable député de Mercier, parce que parmi les nombreux amendements que nous voulons apporter au code du travail, nous avons un article spécifique concernant ces hommes qui ne sont protégés par aucune juridiction.

L'honorable député de Louis-Hébert, quel homme sympathique! Cet après-midi, franchement, il m'a impressionné. Cela n'arrive pas souvent.

M. LESAGE: Vous me faites des compliments?

M. BELLEMARE: Non, J'ai dit que c'était un bon législateur. Il a vécu dans une autre juridiction, comme avocat, il a pratiqué le droit et il a ajouté à cela l'exercice du droit parlementaire. Il a cependant manifesté certaines craintes cet après-midi.

M. HARVEY: Du droit comparé.

M. BELLEMARE: Il a dit: Je crois que le député de Champlain, le ministre du Travail, fait erreur. La loi fédérale prévoit d'abord la section A qui consiste dans un état, fait en double exemplaire, énonçant expressément les détails suivants quant au rapport obligatoire que les unions et les syndicats ouvriers doivent déposer entre les mains du statisticien fédéral. Ces rapports faits en double concernant le nom, comme il l'a dit... Il a récité tout le chapitre cet après-midi, mais, il n'a pas cité la section B. Il a dit: Us sont obligés de le faire au point de vue financier, et il a passé. C'était justement sur le droit de connaître leur administration financière que le gouvernement fédéral imposait une enquête approfondie.

M. LESAGE: Ce n'est pas une enquête; c'est une déclaration détaillée.

M. BELLEMARE: Un rapport officiel. On voit plus loin les sanctions qui sont appliquées à ceux qui ne se rendent pas...

M. LESAGE: Ce n'est pas une enquête.

M. BELLEMARE: Sur ce rapport de la section B, le chef de l'Opposition a dit: Bien, ce n'est pas mal. C'est raisonnable. Le député de Champlain et ministre du Travail n'a pas raison de s'élever contre cela. Non, mais je dis, cependant, que, lorsqu'on parle de renseignement au degré...

M. LESAGE: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. BELLEMARE: Oui.

M. LESAGE: Je n'ai pas dit du tout ce que le ministre du Travail vient de dire. J'ai dit: « Si le ministre du Travail veut avoir les mêmes renseignements, qu'il le dise dans sa loi ». C'est cela que j'ai dit.

M. BELLEMARE : Si vous voulez me laisser finir, c'était la conclusion de ma thèse.

M. LESAGE: Le ministre s'en est pris, cet après-midi, au député d'Ahuntsic en prétendant qu'il rapportait mal les paroles qu'il avait prononcées lors de son discours de deuxième lecture. Je pense qu'il est normal que je rafraîchisse la mémoire du ministre du Travail pour lui dire ce que j'ai dit et non pas ce qu'il a pensé que j'ai dit.

M. BELLEMARE: J'ai dit et je répète que, dans les circonstances, le rapport que devaient déposer ces messieurs du syndicat était véritablement pour eux une enquête de perquisition.

M. LESAGE: Ce n'est pas une enquête.

M. BELLEMARE: Ce rapport obligatoire qu'ils devaient déposer n'est pas comparable aux demandes de renseignements qui nous sont utiles dans l'administration de la main-d'oeuvre et des services techniques que nous demandons à la Chambre,

Les droits d'admission, les redevances individuelles des membres, les cotisations pour santé et bien-être, les cotisations pour indemnité de décès, les cotisations pour indemnité de grève, les amendes et les permis de travail, dans le cas où un syndicat a son siège social en dehors du Canada, à un état indiquant séparément le total des montants payés ou crédités au syndicat durant la période visée par le rapport pour les membres résidant au Canada, pour leur compte et à leur égard, à titre et au compte de chacun des postes. Nul état des revenus, des dépenses concernant la période visée par le rapport présenté en la forme et contenant les détails ainsi que les autres renseignements relatifs à la situation financière du syndicat...

Oh, M. le Président, ce n'est pas ça que nous voulons? Si nous, c'est ça que nous voulons, il y a un moyen de le faire, et quand nous le voudrons, nous le dirons en amendant la Loi des syndicats professionnels. Pas en amendant la loi organique du ministère. Nous le dirons dans la loi qui est le chapitre 150 et qui nous donne droit de regard sur les syndicats professionnels. Et tant que nous ne le mettrons pas dans la loi des syndicats professionnels, il n'y a pas de danger que nous le mettions ailleurs, parce que ces renseignements sont exclusifs. Ce sont des renseignements... D'ailleurs, je remercie le chef de l'Opposition. Il m'a dit: Vous allez semer de l'inquiétude, vous feriez mieux de dire véritablement ce que vous pensez. Notre pensée, à nous, c'était d'obtenir pour la main-d'oeuvre, pour les services techniques, nos électriciens, nos plombiers, nos inspecteurs qui sont dans le domaine des établissements industriels et commerciaux, pour tous ceux qui ont à faire des rapports sur les machines fixes, des statistiques concernant les activités de ces gens afin de mieux orienter la direction que doit prendre dans la province de Québec notre Direction générale de la main-d'oeuvre. Quand...

M. LEFEBVRE: Pourquoi ne le dites-vous pas dans la loi si c'est...

M. BELLEMARE: Voulez-vous me laisser finir, mon très cher.

M. LEFEBVRE: Je veux bien, mon très cher ministre.

M. BELLEMARE: Bien oui, je n'ai pas encore parlé de vous.

M. LEFEBVRE: Ah!

M. BELLEMARE: Est-ce que ça vous choque?

M. LEFEBVRE: Pas du tout.

M. BELLEMARE: Non? Peut-être que je n'en parlerai pas.

M. LEFEBVRE: C'est ce que j'ai prévu. J'ai prévenu mes collègues que vous ne trouveriez pas de réponse.

M. BELLEMARE: Ah ça!

M. LEFEBVRE: Si vous la trouvez, tant mieux.

M. BELLEMARE: Si je vous disais ce que j'ai entendu dire pendant le souper. Alors, M. le Président, le bill...

M.LEFEBVRE: Si je vous disais ce que j'ai entendu dire hier soir!

M. BELLEMARE: Ah oui, je sais de qui. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEVESQUE (Laurier): Contez-nous donc ça.

M. LESAGE: Nous sommes devenus une Chambre de commères.

M. BELLEMARE: M. le Président, je dis donc que ces renseignements, qui sont des ren-

seignements bien spécifiques concernant des domaines bien spécifiques sont nécessaires au ministre du Travail pour orienter toute notre projection vers l'avenir, vers les différents métiers, vers les différentes options que vont prendre nos jeunes dans nos écoles de formation professionnelle, dans nos centres d'apprentissage, soit par le reclassement, par le recyclage, par la reconversion ou même par les déplacements. Là, nous serons en possession de renseignements utiles et nécessaires pour donner au ministère du Travail sa véritable place et surtout au Bureau des recherches son véritable équipement pour fonctionner normalement dans un monde où c'est nécessaire aujourd'hui.

Quelques-uns pourront peut-être me dire: C'est facile, n'importe quel patron va vous donner ça. Vous allez lui demander des détails, il va vous les donner. Pas si facile, M. le Président, surtout lorsqu'on se présente devant une compagnie qui ne connaît pas des affaires florissantes et qu'il s'agit de savoir s'il y aura des gens à recycler ou à reclasser avant longtemps. On ignore souvent notre présence et on ne répond pas à nos appels.

Il devient difficile de prévoir un préavis ou même une organisation de reclassement ou de recyclage. Il y a de multiples autres cas où il est devenu nécessaire d'obtenir des renseignements utiles. Je crois que le chef de l'Opposition a raison. Votre intention, disait-il, mais dites-la donc. Nous connaissons le ministre du Travail. Vous êtes un homme honnête et tant que vous serez là, ça ne se fera pas autrement. Merci, M. le chef de l'Opposition.

Mais je pense que je vais me rendre à votre requête et, après y avoir bien pensé, après avoir regardé en face, ce n'est pas notre intention, je l'ai dit dans le discours de deuxième lecture, je l'ai affirmé, je l'ai répété, ce n'est pas notre intention, mais nous voulons obtenir des moyens, par exemple, qui nous permettront de réaliser les buts que nous visons.

Aujourd'hui, dans ce développement gigantesque de la main-d'oeuvre, on a besoin d'avoir une foule de renseignements et ce n'est pas facile, M. le Président, avec des gens qui sont déjà dans le champ, qui font déjà des enquêtes. Il y a une autre juridiction qui exerce, dans la province de Québec, un contrôle sur la main-d'oeuvre. Ces gens en font, eux, des enquêtes. Les rapports de ces enquêtes-là, nous ne pouvons pas les voir. Je m'accorde ici, pour une fois, avec l'honorable député de Laurier, quand il a dit, lors de l'étude des crédits; C'est le temps de l'occuper, la juridiction, et nous l'occupons. C'est difficile, c'est vrai que j'ai dit cela.

Nous l'occupons, M. le Président, et nous sentons que la population, plus que jamais, nous fait confiance. L'honorable député d'Ahuntsic disait cet après-midi: Mais, ce sont de pauvres structures que vous avez. L'honorable député n'est pas juste. Il aurait dû s'informer. Il aurait dû demander à des gens qui sont en autorité, comme le directeur général de notre service de main-d'oeuvre, qu'il connaît bien, de lui montrer l'organigramme que nous avons bâti pour établir, dans les dix régions, des services régionaux et des services sous-régionaux et des hommes compétents et prévoir, dans différents secteurs, des hommes extrêmement bien préparés comme conseillers en main-d'oeuvre. Il aurait dû demander, l'honorable député d'Ahuntsic, au directeur général de lui donner les noms des gens qui occupent ces fonctions. Ce sont des noms qui l'auraient peut-être surpris. Ils viennent d'autres juridictions et ils occupent, aujourd'hui, dans le Québec, des positions extrêmement importantes dans le service de la main-d'oeuvre.

M. LEFEBVRE: Est-ce que le ministre me permet une question? Je voudrais... Je peux bien m'en aller à mon siège.

M. BELLEMARE: Oui, oui, à votre siège.

M. LEFEBVRE: M. le Président, est-ce que le ministre me permet...

M. GABIAS: A votre siège. Pas de passe-droit, parce que nous allons commencer. Le ministre en a pour une couple d'heures.

M. BELLEMARE: Non, M. le Président.

M. LEFEBVRE: M. le Président, est-ceque le ministre me permet une question? Je voudrais simplement savoir s'il admet, oui ou non, qu'il y a actuellement double emploi et double imposition dans les activités de placement. C'est la seule question en débat pour l'instant. Ni les structures, ni la compétence des fonctionnaires engagés par le ministre n'ont été mis en cause. C'est simplement le problème de la double imposition payée par les contribuables.

M. BELLEMARE: M. le Président, je reçois la question, mais pas le discours du député.

Double juridiction dans le crédit agricole. Double juridiction dans la santé. Double juridiction dans les terres et forets.

M. LEFEBVRE: Imposition.

M. BELLEMARE: Double juridiction dans les richesses naturelles, double juridiction à multiples autres endroits, et vous pensez que l'argument de l'honorable député va valoir quelque chose en 1968, quand il s'agit, dans cette province, de récupérer des droits qui nous appartiennent et que, par un laisser-faire impardonnable, nous n'avons pas occupé cette juridiction? Nous l'occupons.

M. LESAGE: Est-ce que le ministre du Travail a oublié que l'élection partielle de Bagot est terminée?

M. BELLEMARE: Je n'ai pas oublié cela, et j'ai eu une bonne pensée de sympathie à l'endroit du député de Louis-Hébert...

M. LESAGE: Moi aussi pour ce qui est du ministre du Travail.

M. BELLEMARE: ... qui ne cessait de répéter, dans tous les comités, ah, vous ne serez pas longtemps ici, vous, ministre. Où est-il, votre ministre? Il va y être la semaine prochaine, votre Ministre.

M. LE PRESIDENT; A Pordrel

M. BELLEMARE: Vous allez voir changer l'attitude du chef de POpposition, quand il sera en Chambre ici.

M. LESAGE: Nous verrons cela, si le ministre y sera la semaine prochaine.

M. BELLEMARE: Vous allez voir les gens qui ont lancé l'insulte à ce grand homme...

M. LESAGE: Comment l'insulte?

M. BELLEMARE: ... et qui l'ont insulté, et qui ont fait de la stratégie inqualifiable pour le tenir au comité durant P élection partielle.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! En attendant l'arrivée du ministre, nous pourrions peut-être étudier le bill 287.

M. BELLEMARE: Je disais donc, me fiant à la longue expérience du chef de l'Opposition, que nous avions réellement — comme il l'a dit cet après-midi — si c'est l'intention du député de Champlain, que je sais honnête, que je veux dire, il reconnaîtra que, pour la satisfaction, il devrait, lui, si c'est son idée, faire un amendement pour dire véritablement ce qui en est.

Oui, M. le chef de l'Opposition. Je pense que c'est raisonnable d'expliciter véritablement notre pensée, de l'expliciter d'une manière conforme à notre idée et surtout aux directives que nous nous sommes données, d'orienter ce secteur particulier de la main-d'oeuvre vers le succès.

Quant à l'honorable député d'Ahuntsic, les quelques remarques qu'il a faites de temps en temps sur le bill étaient fort intéressantes. Il a touché au bill. Il a fait une couple d'essais d'atterrissage, mais de très rares. Il a fait un peu de rase-terre mais pas beaucoup.

Je l'ai écouté avec toute la patience que vous me connaissez, moi, surtout, qui n'aime pas son ton, moi surtout, qui n'aime pas ses arguments, ses petits bouts de phrase qui sont entortillés un peu de...

M. LEFEBVRE: J'ai du Platon pour vous ce soir, tantôt.

M. GABIAS: Cela, ça fait longtemps que vous êtes « plate ».

M. BELLEMARE: L'honorable député d'Ahuntsic a parlé de bien des choses. La philosophie, oui. Je n'ai pas eu l'avantage de connaître cette thèse, cette particularité dans mon cours, faire de la philosophie. J'ai été à la philosophie de la vie, à l'école de la vie, qui est bien amère, bien terrible. J'ai appris des choses, par exemple, auxquelles l'honorable député d'Ahuntsic, s'il était moins teinté et surtout n'avait pas trop l'odeur de la partisanerie qui l'enveloppe, pourrait peut-être de temps en temps se référer.

Ce qui compte, ce n'est pas ce qui a été adopté dans des congrès par résolution, ni les bonnes intentions qu'ont ces honorables messieurs de l'Opposition, c'est surtout de vivre avec le temps et l'actualité et de tâcher d'apporter des remèdes.

L'honorable député d'Ahuntsic en a dit une bonne. Il dit: le député est fidèle à la tradition du paternalisme, fidèle. Il est la caricature de ceux qui éteignent les incendies. Il prévoit, pour les éteindre. L'honorable député de Drummond, lui, dit, le député devrait être un inter-ventiste...

M. PINARD: Interventionniste.

M. BELLEMARE: Interventionniste. Encore une autre...

M. LEFEBVRE: On ne parlait pas de là même chose. Lui parlait des...

M. BELLEMARE : C'est bien rare que vous vous comprenez.

M. LEFEBVRE: Non, mais...

M. BELLEMARE: Je dis donc que M. le député d'Ahuntsic a fait un effort, sûrement. Il a fait un effort. Il avait une grosse mission à accomplir cet après-midi, il fallait démolir le ministre du Travail. Il a essayé, par des arguments, des raisonnements qui lui sont bien propres, en me laissant tomber quelques taloches, mais il a été moins méchant que d'habitude. Il a dit: Je concède que le ministre est un travailleur et je ne veux pas lui faire de peine. Il a dit cela. Cela m'a consolé un peu. J'ai dit: Il est à la veille de faire une autre retraite fermée.

M. GABIAS: Dans le corridor de Soeur Jeanne.

M. BELLEMARE: Bref, les arguments de l'honorable député sont en cinq points. Premièrement, il dit que la loi ne sera pas nécessaire, qu'elle ne changera rien. Deuxièmement, la loi n'a rien d'avant-gardiste, aucune philosophie. Troisièmement, elle n'est pas adaptée à nos besoins réels. Quatrièmement, le ministre exerce un paternalisme d'Etat fort condamnable. Il dit, en terminant, que l'orientation professionnelle n'est pas l'affaire du ministre.

M. LEFEBVRE: La formation professionnelle.

M. BELLEMARE: Oui, la formation ou l'orientation professionnelle.

M. LEFEBVRE: Ce sont des choses différentes.

M. BELLEMARE: Bien, c'est souvent dans le même collège. Alors, ces cinq points que je voudrais développer pendant l'heure qu'il me reste seront divisés en trois catégories différentes. D'abord, je demanderai à l'honorable député: quelle est l'objectivité? Deuxièmement, quel est le sens pratique des conflits que nous traversons? Troisièmement, quelles en sont les solutions?

Je vous fais grâce de mes cinq points et de mes trois tirets. Je dis que nous allons travailler ensemble pour donner à la province de Québec une législation nécessaire au point de vue du travail. Ce n'est pas parfait, nous l'admettons. Nous avons présenté ce bill persuadés qu'ici, dans cette Chambre, des hommes sérieux — qui ont vécu, dans le monde ou dans leur pa- telin, des situations qu'ils peuvent nous raconter, des situations qui peuvent nous influencer et nous aider à mieux saisir un problème — pourraient nous faire des recommandations fort justifiables.

Nous l'avons dit en deuxième lecture, nous sommes ouverts à toute discussion et à tout amendement, quand c'est dans l'ordre et quand c'est pour le bien public. Cette loi organique est la première d'une longue série d'autres lois qui viendront s'ajouter à celles que nous avons déjà pour assurer la paix sociale. Nous avons besoin d'une paix raisonnée et raisonnable qui façonnera les jugements, qui donnera à ceux qui font partie du mouvement ouvrier, qui sont aujourd'hui dans le monde patronal ou qui exercent des fonctions comme ministres et comme sous-ministres, l'avantage de voir passer à travers ces hommes et ces structures, les services de nos lois qui seront très utiles à toute la population.

Je termine sur un sujet qu'a abordé l'honorable député d'Ahuntsic pour lui dire que le préavis dont il a parlé cet après-midi — avec une longue citation que nous retrouverons, demain, dans le journal des Débats — est un sujet intéressant et nécessaire. Nous avons sûrement eu l'occasion de l'étudier, depuis les nombreux mois que nous étudions, comme dit le député d'Ahuntsic. On continue encore d'étudier. Nous avons déjà un article de notre code qui sera sûrement à l'avantage de ceux qui sont particulièrement affectés par des situations inattendues lors de la fermeture de certaines usines.

M. le Président, je remercie tous ceux qui ont participé à ce débat de deuxième lecture. Soyez sûr que c'est dans un bon esprit que nous allons maintenant entreprendre la deuxième étape, celle du comité plénier.

M. LE PRESIDENT: La motion de deuxième lecture sera-t-elle adoptée? Adopté.

LE GREFFIER ADJOINT: Deuxième lecture de ce bill. Second reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre du Travail propose que je quitte maintenant le fauteuil et que la Chambre se forme en comité plénier pour l'étude du bill 287.

Cette motion sera-t-elle adoptée?

Adopté.

Comité plénier

M. BELLEMARE: M. le Président, l'honorable député m'a toujours demandé d'identifier

les personnes qui m'accompagnent,, Je crois qu'elles sont connues: le sous-ministre en titre, M. Donat Quimper et le sous-ministre adjoint, M. Jean-Paul Savard.

L'article 1, M. le Président.

M. SAUVAGEAU (président du comité plénier): Article 1. Adopté.

M. BOURASSA: Pourrais-je poser une question au ministre du Travail sur le problème que j'ai soulevé? Il n'a pas été tellement précis sur l'amendement qu'il va apporter au code du travail pour protéger les conducteurs de taxi. Pourrait-il élaborer un peu?

M. BELLEMARE: Je n'ai aucune objection à répondre. Il est difficile de vous donner le mécanisme que nous allons mettre dans le code du travail.

M. BOURASSA; Cela voudrait dire quand?

M. BELLEMARE: Dès que le bill sera fini. Il est actuellement en préparation. Nous allons le soumettre à la prochaine session, c'est sûr.

M. BOURASSA: Cela permettrait aux conducteurs de taxi d'avoir des vacances payées, des jours de maladie?

M. GABIAS: Ils sont toujours en voyage, ils n'ont pas besoin de vacances.

M. BELLEMARE: Le député a certainement raison parce que ces gens font de nombreuses heures.

M. BOURASSA: Oui.

M. BELLEMARE: II y a aussi les conditions au point de vue des heures de travail, du salaire gagné. Cela sera couvert par une législation qui sera dans le code du travail et qui s'appliquera. Comme la loi du salaire minimum qui intéresse aujourd'hui 1,300,000 employés.

M. BOURASSA: Evidemment, le problème est assez complexe, il y a des propriétaires-chauffeurs, il y a des locataires-chauffeurs, mais il reste que ces gens-là sont à la merci de n'importe quoi et qu'actuellement, ils sont l'une des catégories de travailleurs les plus défavorisés.

Je remercie le ministre pour l'intérêt qu'il porte à la question.

M. BELLEMARE: Merci.

M. LE PRESIDENT: Article 1, adopté?

Adopté.

Article 2, adopté?

Adopté.

Article 3.

M. BELLEMARE: M. le Président, à l'article 3, j'aurais un amendement qui se lit comme suit:...

M. LEFEBVRE: M. le Président, à l'article 3, j'aimerais d'abord demander au ministre s'il veut bien expliquer aux membres de la Chambre quelles sont les intentions du ministère quant au paragraphe C qui se lit comme suit: « D'adopter, en collaboration avec les autres ministres responsables, les mesures qu'il juge propres à faciliter la formation professionnelle ». Quelles sont au juste les intentions du ministre à ce point de vue-là?

M. BELLEMARE: La question est fort au point parce que nous aurons les 10 et 11 décembre à Ottawa, une conférence de tous les ministres de l'Education et où, pour la première fois, le ministère du Travail sera représenté par son représentant officiel de la Main-d'Oeuvre. Il sera justement question de formation professionnelle. Un comité interministériel a siégé pendant des semaines et des mois pour tâcher de trouver un point d'approche, un point de ralliement entre l'éducation, son domaine, et le travail quant à sa responsabilité au point de vue de la formation professionnelle.

Je pense que la ligne se tire assez bien, maintenant que les discussions semblent devoir se terminer d'ici à quelques jours, entre la réflexion suivante: Tout ce qui est à l'école, formation par l'éducation. Tout ce qui est à l'atelier, adultes, formation professionnelle par le travail.

Je pense que ce sera terminé dans quelques jours. Pour les ententes que nous sommes présentement en train de réaliser avec Ottawa sur le renouvellement des anciennes ententes 4 et 5, je pense que ça nous rendra énormément plus service à nous particulièrement, et si jamais il y a, à un moment donné, quelque chose qui concerne l'éducation...

M. LEFEBVRE: M. le Président, le ministre comprendra que nous sommes fort intéressés par ses propos à ce sujet, et pour ma part, je dois dire en toute franchise — d'ailleurs j'y

ai déjà fait allusion dans le débat de deuxième lecture, mais j'aimerais être plus spécifique maintenant — que nous avons entendu une rumeur à l'effet que le ministre actuel du Travail avait comme intention, si vous voulez, d'élargir les cadres des centres d'apprentissage actuels pour en faire des écoles enseignant la formation ou préparant à l'exercice d'un grand nombre de métiers et de retirer, en quelque sorte, le secteur de la formation professionnelle de la juridiction du ministère de l'Education. Est-ce que ces rumeurs, M. le Président, ont quelque fondement ou non?

M. BELLEMARE: Il y a dans nos ententes et dans nos études avec le ministère de l'Education trois ententes différentes. Quant à la question que vient de me poser l'honorable député à savoir si le ministère de l'Education est équipé pour donner la formation, il n'y a pas de problème, l'Education la donne.

Si le ministère de l'Education n'est pas organisé, centre d'apprentissage. Et la troisième, si l'industrie, vers laquelle nous allons diriger des jeunes au point de vue formation spécifique, est prête à les recevoir, industrie.

Je dis donc que cette formation professionnelle est établie aujourd'hui sur un nouveau réseau: le ministère de l'Education, quand nous ne l'aurons pas, et qu'il sera équipé, le ministère de l'Education dans ses locaux; quand le ministère de l'Education ne pourra pas, centre d'apprentissage; et si nous pouvons organiser cette formation par l'industrie, nous le ferons par l'industrie.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je pense que le ministre conviendra que ces propos ont quelque chose d'inquiétant, parce que faire reposer le problème de la juridiction d'un ministère ou d'un autre sur l'existence ou non des facilités des équipements physiques, cela m'apparaît une drôle de philosophie.

Je vais essayer d'être encore plus précis, peut-être que je comprends mal le ministre ou peut-être qu'il ne s'exprime pas clairement, je ne le sais pas, je ne veux pas faire un gros débat..

M. GABIAS: Oui.

M. LEFEBVRE: C'est fatigant ça, on parle sérieusement.

M. GABIAS: Oui, oui, continuez à parler sérieusement.

M. LEFEBVRE: J'aimerais ça, si le mi- nistre... Je vais faire une hypothèse précise pour essayer de comprendre son point de vue. Dans une régionale, disons, une école secondaire, en principe polyvalente, on n'a pas encore d'atelier pour l'enseignement des métiers. Par ailleurs, il existe un centre d'apprentissage où il existe de tels ateliers. Est-ce que le ministre veut dire que, du fait qu'il y a un début d'équipement physique facilitant la formation professionnelle au centre d'apprentissage, plutôt que de développer la polyvalence de l'école, on tentera d'élargir les cadres du centre d'apprentissage? Est-ce que c'est ce que le ministre veut dire?

M. BELLEMARE: M. le Président, c'est exactement ça, avec une démarcation bien nette, que ce qui concerne les jeunes appartient au ministère de l'Education et les adultes au ministère du Travail.

M. LEFEBVRE: Ah bon!

M. BELLEMARE: C'est ça. Cela ne peut pas être plus clair.

M. CLICHE: Je m'adresse au président du comité, mais ma question, évidemment, est à l'adresse du ministre du Travail. Je l'entends parler de centres de formation des jeunes. Je me demande s'il réalise quelle est la situation qui existe ici et là dans la province, dans les régions industrielles. Je me demande si son ministère a en main les statistiques, les informations ou les renseignements voulus pour permettre au ministre ou à ses officiers de déterminer une politique immédiate à l'endroit de la formation des jeunes, soit par des centres de perfectionnement, des centres de formation professionnelle ou des écoles de métiers?

Je pense à une région comme celle du Nord-Ouest québécois où, à mon point de vue, il serait urgent, dans plusieurs centres miniers, que des centres de formation soient installés. Je me demande si, dans le passé, on n'a pas laissé un peu trop à la pression d'organismes ou de corps publics le soin de demander, d'exiger. Je me demande si le ministère ne devrait pas avoir, n'a pas en main les outils nécessaires pour prendre des décisions et forcer le ministère de l'Education à agir ou agir lui-même. Je me demande si le ministère a l'intention de donner des politiques définitives à ce sujet-là.

M. BELLEMARE: Le député a raison 200%. M. CLICHE: Cela me fait peur, quand vous

me dites que j'ai raison comme ça, je commence à m'inquiéter. Continuez.

M. BELLEMARE: Bien, disons que le préambule n'est pas mauvais. Il a raison, parce que nous avons sur les bras une succession d'écoles qui ont été construites ou qui étaient en parachèvement, et nous comprenons le problème, parce que nous l'avons. On l'a tellement qu'à un moment donné, nous sommes obligés justement, comme dit le député, d'avoir recours à des conférences interministérielles qui ont duré des semaines et des mois, pour dire: Ecoutez un peu, il y a une limite, il va falloir trouver quelqu'un qui soit le responsable et qui va diriger ça. Vous entrez dans un domaine où ça doit être le ministère du Travail qui, vis-à-vis de la formation des études, a le plus d'expérience et le plus de renseignements.

C'est pour cela, notre loi quand on demande des renseignements, dans ces domaines-là. Nous irons les chercher là aussi. C'est ce qui s'est produit dans des cas que je connais. Je ne veux pas nommer le député que je connais très bien, et sur lequel je sais quel tiraillement il s'est produit, entre certains comtés et d'autres. Nous avons été extrêmement prudents jusqu'à aujourd'hui. Je dis — et le député a raison — que les écoles sont nées de par la loi de la formation des centres d'apprentissage. Ceux-ci sont, en vertu de la loi, des comités paritaires formés de parties contractantes qui, entre elles, trouvent l'argent pour acheter des terrains, faire des plans et dire au ministre: Nous, on a décidé qu'on bâtit un centre d'apprentissage ici. C'est notre comité conjoint qui décide cela. Avant, c'était cela.

Maintenant, nous avons voulu qu'aucune construction dans la province de Québec ne soit décidée sans qu'on y participe pour diriger un peu — comme disait le député d'Abitibi-Est — pour qu'il n'y ait pas de confusion, et, pour dire comme l'honorable député — sa question était fort à point — s'il va là, pourquoi pas là? Qui s'en occupe, dans les CEGEP et ailleurs? Il y a une multiplicité de gens qui vendent des outils, c'est clair. Mais, ce n'est pas cela qu'il faut vendre. Des gens doivent venir apprendre des métiers chez nous sans qu'on ait du doublage ou du tri-plage dans la même rue.

On a des écoles qui ont été bâties et équipées et qui sont vides. Il n'y a que trois ou quatre élèves. C'est une situation de fait. On a de s professeurs — on avait de ce côté-là un problème immense — qui gagnaient plus, au point de vue salaire et avec moins de scolarité, que ce qu'un professeur de la même ville avait mais avec beaucoup plus de scolarité. Nous sommes jus- tement à uniformiser le renouvellement de ces conventions collectives et surtout une planification à base de raisonnement et de besoins dans les régions.

M. CLICHE: J'ajouterais, si mon collègue de Drummond me le permet, que le ministère du Travail devrait intervenir davantage, beaucoup plus qu'il ne l'a fait dans le passé. Le ministère de l'Education a énormément à faire et ses décisions tardent malheureusement trop souvent, au détriment de la population. Il y a, entre autres, ce programme de formation des adultes. Des cours sont donnés le jour ou le soir. Là encore, cela crée énormément de difficultés, parce que le ministère de l'Education, les commissions scolaires, soit locales soit régionnales ont également un mot à dire. Le programme ne marche pas comme il le devrait.

Il y a ce problème de la communication entre les commissions scolaires, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, avec toutes les complications que cela peut comporter. A mon point de vue, il n'y aurait que le ministère du Travail qui aurait un intérêt très précis, à intervenir très rigoureusement pour obtenir des décisions et faire fonctionner un programme qui devrait être plus déterminé qu'il ne l'est présentement. J'incite le ministre du Travail à connaître la situation dans les régions, à prendre des décisions et à obtenir des résultats dans l'intérêt des travailleurs du Québec.

M. BELLEMARE: D'accord. C'est justement ce qui me donne raison aujourd'hui de demander le pouvoir de faire des enquêtes, d'obtenir des renseignements.

M. LESAGE: Tout à l'heure.

M. BELLEMARE: Oui. Vous allez voir que nous avons saisi le point de vue du chef de l'Opposition cet après-midi. Je pense que c'est pour le plus grand bien et le bénéfice de l'application d'une nouvelle loi.

M. PINARD: M. le Président, j'entends le ministre dire que, tantôt, il expliquera le genre de pouvoir d'enquête dont il veut disposer pour en arriver aux objets prévus par la nouvelle loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre. Mais, si l'on prend le projet de loi tel qu'il nous est présenté, avec son titre de Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, cela signifie que le ministre veut se montrer plus interventionniste dans un domaine qui s'appelle le domaine de la main-d'oeuvre. Il ne veut pas seulement avoir la responsabilité de voir à un

meilleur climat dans les relations de travail. Il veut aller un peu plus loin. Si on prend les dispositions de l'article 3, alinéa six, je ne vois rien dans...

M. BELLEMARE: Article 3, alinéa C?

M. PINARD: Article 3, alinéa C. Je ne vois rien là-dedans qui permettrait, du moins parce que ce n'est pas écrit, qui permettrait au ministre du Travail de parler davantage à la grande industrie, à l'industrie moyenne et la petite industrie pour lui permettre de faire un inventaire des besoins de la main-d'oeuvre, un inventaire des besoins au niveau de la compétence, au niveau des métiers qui se veulent à la fine pointe de la technologie moderne, au niveau des techniciens qui seraient plus spécialisés que d'autres, parce qu'il y a dans certaines industries du Québec — et c'est vrai pour d'autres provinces du Canada, mais limitons-nous au domaine du Québec — des industries naissantes qui se spécialisent dans la haute technologie.

M. BELLEMARE: Est-ce que le député veut lire, à l'article 3b), les deux dernières lignes de la page? Est-ce qu'il a le même texte que moi, toujours? Les deux dernières lignes de b): « ... qu'il juge utiles ou nécessaires sur les relations de travail entre employeurs et salariés sur les conditions, » continuez...

M. PINARD: Oui, je pense que cette disposition serait assez large pour accorder au ministre, les pouvoirs dont je parle mais enfin, mon propos était à l'effet...

M. BELLEMARE: C'est ça.

M. PINARD: ... de signaler au ministre que le travail d'inventaire n'a pas été fait. C'est peut-être pourquoi le ministère de l'Education n'a pas été capable d'adapter ses cours aux situations nouvelles, situations qui évoluent très rapidement dans le domaine de la technologie, comme je l'ai dit tantôt.

M. BELLEMARE: M. le Président...

M. PINARD: Et il est vrai que ces exemples se multiplient de plus en plus dans les écoles d'arts et métiers — et je crois que mon avis peut être partagé par bien des spécialistes de l'éducation — dans les écoles de technologie, des métiers qui sont dépassés aujourd'hui, qui vont produire des techniciens qui ne pourront pas aller demain sur le marché du travail et obtenir l'emploi pour lequel ils ont été formés. Je me demande donc si le ministre du Travail ne devrait pas avoir plus de pouvoirs, comme il l'a souligné lui-même, pouvoir d'intervention au niveau des enquêtes, au niveau du dialogue avec la grande industrie, avec la moyenne et la petite industrie, de façon à ce qu'il y ait un éventail beaucoup plus large de nouveaux emplois disponibles en faveur de notre jeunesse qui veut prendre les moyens mis à sa disposition pour se qualifier davantage mais qui commence aujourd'hui à douter de l'efficacité des structures qu'on a mises sur pied et qui constate parfois malheureusement qu'il n'a pas servi à grand-chose de faire le sacrifice de longues études pour obtenir une meilleure spécialisation, parce qu'elle constate que bien souvent les emplois ne sont pas là pour lui permettre d'obtenir l'emploi plus rémunérateur auquel elle avait rêvé et vers lequel, nous les parents, nous les hommes politique, l'avions dirigée.

Je me demande si le ministre ne voit pas une anomalie, qui a été plus grave à une certaine époque qu'elle peut l'être aujourd'hui, et je me demande aussi si les structures de dialogue entre son ministère et le ministère de l'Education seront suffisamment efficaces, seront suffisamment nombreuses pour apporter à brève échéance les remèdes dont nous parlons et dont la jeunesse a un urgent besoin pour être bien sûre qu'elle se dirige dans les voies où elle a un succès à entrevoir. Alors, c'est de cela que je veux parler.

M. BELLEMARE: M. le Président, cela a été ardu, difficile, extrêmement laborieux de parvenir à certaines ententes surtout quand on connaît les structures qui existent au ministère de l'Education.

M. CLICHE: Sans doute.

M., BELLEMARE: Oui, et je vous dis, M. le Président, que je dois, ici, féliciter particulièrement tous ceux qui ont participé, pendant des mois, à ces études et à ces rencontres et qui en sont venus enfin à des ententes qui vont être complétées ces jours prochains, pour le plus grand bénéfice et pour l'ordre. Je dis à l'honorable député qu'il a, lui aussi, vécu une époque difficile au point de vue de vieilles théories dans nos écoles d'arts et métiers. Ces écoles sont passées maintenant aux CEGEP et, là encore, elles tombent sous une autre juridiction, parce que ce sont des écoles. Nous avons, à côté de cela, la formation de nos adultes qui sont rendus dans l'industrie et qui, eux, veulent véritablement apprendre un nouveau métier ou

se spécialiser dans une nouvelle technique particulière. Cela, c'est notre responsabilité. Et c'est cela que nous voulions faire reconnaître pas seulement par le ministère de l'Education, mais par les autres ministères fédéraux.

Nous allons passer à l'article 4 dans quelques minutes. Il y a un article particulier pour cela.

M. LEFEBVRE: M. le Président, je doute que nous passions à l'article 4 dans quelques minutes, parce que l'article 3 n'est pas terminé. Honnêtement, ce n'est pas pour le plaisir d'embêter le ministre. Je suis sûr que le ministre en est conscient. D'ailleurs, il a lui-même dit que, depuis des mois, le problème était discuté entre les deux ministères. Je pense bien qu'il ne s'étonnera pas et que personne ne devrait s'étonner que les membres de cette Chambre veuillent consacrer plus que quelques minutes à faire une étude que nous avons mis des mois à approfondir dans les relations entre le ministère de l'Education et le ministère du Travail. Quant à moi, je regrette un peu que le ministre de l'Education ne soit pas en Chambre dès ce soir, parce que je ne suis pas certain que le ministre de l'Education corroborerait tout ce que vient de dire le ministre du Travail, qui m'apparaît...

M. BELLEMARE: M. le Président, je ne permettrai pas à l'honorable député de douter de ma parole.

M. LEFEBVRE: Comment votre parole?

M. BELLEMARE: C'est ma parole que j'ai donnée.

M. LEFEBVRE: Oui, mais vous avez donné votre parole à quel effet?

M. BELLEMARE: A l'effet que des ententes sont intervenues.

M. LEFEBVRE: Je regrette, M. le Président, j'ai écouté le ministre et il a dit qu'il espérait que les ententes seraient conclues dans trois ou quatre jours.

M. BELLEMARE: Le principe des ententes est accepté par les deux ministres et par leurs hauts fonctionnaires.

M. LEFEBVRE: Alors, M. le Président, je me réjouis de cela. J'espère que le ministre voit sur quel ton je discute; il ne faudrait pas qu'il prenne la mouche. Je ne veux aucunement mettre en doute la parole du ministre. Je veux seulement affirmer le droit des membres de cette Chambre d'être éclairés sur les intentions du ministre, à l'occasion de la discussion de ce bill. Le ministre a fait, tout à l'heure, une première distinction. Il a dit: Lorsque les équipements physiques sont disponibles dans les cadres du ministère de l'Education, la formation professionnelle sera faite là. Lorsqu'ils ne sont pas disponibles et que, par ailleurs, ils le sont dans les cadres de centres d'apprentissage, la formation professionnelle sera faite dans ce deuxième endroit. Par la suite, il a fait la distinction entre les jeunes et les adultes. Il a dit: Les jeunes, ça va à l'Education; les adultes, ça va au Travail. Est-ce que je vous cite honnêtement, jusqu'à maintenant? C'est vrai ou ce n'est pas vrai?

M. BELLEMARE: C'est qu'il peut y avoir des jeunes qui, sans être des adultes, sont déjà sur le marché du travail.

M. LEFEBVRE: Oui. Mais les deux affirmations que vous avez faites, est-ce que je les ai bien répétées?

M. BELLEMARE: Est-ce que le député veut me faire admettre qu'il y a des jeunes qui vont subir de la formation par le ministère de l'Education ou par le ministère du Travail ou par l'industrie, je dis oui.

M. LEFEBVRE: Je vais poser une question plus précise au ministre pour essayer de clarifier cela, parce que tout le principe — ce pourquoi j'insiste — c'est qu'à mon avis, tout le principe de la réforme de l'éducation et du rapport Parent est impliqué dans ce débat. Je voudrais être certain que la population est bien éclairée sur les intentions du ministre à l'occasion de l'adoption de son bill.

Supposons qu'il y ait dans une ville — mon Dieu! choisissons Shawinigan — une école polyvalente sous la juridiction de la commission scolaire régionale, que cette école soit physiquement très bien équipée pour enseigner un grand nombre de métiers. Je comprends que l'école va donner l'enseignement professionnel aux jeunes. Dans ce cas-là, est-ce que, à l'école en question — là, je parle des lieux physiques pour l'instant — est-ce que l'enseignement aux adultes organisé en partie par les soins du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre sera donné dans les lieux physiques que je viens de décrire, ou est-ce qu'il sera donné dans d'autres lieux physiques, dans le cas où il y a une polyvalente qui existe?

M. BELLEMARE: Je n'ai aucune objection à répondre, malgré qu'actuellement on discute des pouvoirs...

M. LEFEBVRE: On veut savoir ce que vous allez en faire.

M. BELLEMARE: ... des pouvoirs et des devoirs d'adopter comme le dit l'article six,, Ce sont des pouvoirs et des devoirs que l'on a. Maintenant, si on entre dans tous les CEGEP, dans l'application de toutes les théories, dans l'énumération de tout ce qui doit se réaliser, je ne pense pas que ce soit l'endroit, ni la place. Je suis bien prêt à répondre, je dis oui à l'honorable député.

M. LEFEBVRE: Vous dites oui à laquestion que je vous ai posée?

M. BELLEMARE: Oui.

M. LEFEBVRE: A ce moment-là, l'enseignement des adultes se donnera donc dans des locaux qui dépendent du ministère de l'Education. Et maintenant les programmes? Je sais qu'actuellement, sauf erreur, les programmes qui sont enseignés même dans les centres d'apprentissage sont, au point de vue pédagogique, sous l'autorité du ministère de l'Education.

M. BELLEMARE: Tous les profils des métiers chez nous.

M. LEFEBVRE: Ah! cela, je suis d'accord cent milles à l'heure, je l'ai dit. Je ne parle pas des profils des métiers. Je parle...

M. BELLEMARE: Tout aspect pédagogique est à eux.

M. LEFEBVRE: Bon. Alors très bien. Disons que cela clarifie un peu, mais quant à moi...

M. LESAGE: En pratique, ce n'est pas facile.

M. BELLEMARE: Non, ce n'est pas facile, mais on va atteindre cela,

M. LESAGE: Il va y avoir des tiraillements inévitables.

M. BELLEMARE: Oui, d'accord, mais c'est cela. Cela va s'appliquer comme cela.

M. LESAGE: Je vous en souhaite avec votre...

M. BELLEMARE: Oui, j'en ai aussi. Ne m'en souhaitez pas plus.

M. LEFEBVRE: C'est parce que là, le ministre...

M. BELLEMARE: C'est justement ça, toute la question. C'est d'avoir établi toute cette collaboration jusqu'à présent. Cela, c'est un...

M. LESAGE: Tant que vous n'êtes pas obligé de l'appliquer, ça va bien.

M. BELLEMARE: Le chef de l'Opposition sait trop, lui qu'il a eu à trancher dans le vif, un bon matin, à savoir si les centres d'apprentissage resteraient au travail ou ailleurs.

M. LESAGE: Si cela avait été seulement un bon matin.

M. BELLEMARE: C'est lui qui les a sauvés, les centres d'apprentissage...

M. LESAGE: Cela a été bien plus qu'un bon matin.

M. BELLEMARE: ... de la main accapara-trice de l'Education. S'il n'y avait pas eu un Jean Lesage, cette journée-là, et un député de Champlain, je pense que tous les centres d'apprentissage passaient à l'Education. Ah oui! je m'en souviens. Je l'en remercie encore.

M. LESAGE: N'allez pas trop loin.

M. LEFEBVRE: Le ministre vient de clarifier une déclaration qu'il avait faite antérieurement. Il verra comme je suis aimable, je n'ai pas dit qu'il s'était contredit, j'ai dit qu'il avait clarifié. J'espère qu'il a apprécié cela.

M. BELLEMARE: ... contredit.

M. LEFEBVRE: Non, j'ai dit que vous aviez clarifié une déclaration antérieure à l'effet que ce n'est pas tellement la distinction entre les jeunes et les adultes qui semble prévaloir dans vos ententes mais que c'est plutôt la distinction — si je vous ai bien compris — entre la détermination des profils et la pédagogie.

Même pour les adultes, les programmes sont construits par le ministère de l'Education. Est-ce exact?

M. BELLEMARE: C'est exact.

M. LEFEBVRE: Alors, quant à moi, à l'article 3...

M. BELLEMARE: Article 3.

M. LEFEBVRE: Un instant, je voudrais faire une suggestion au ministre. Il en fera ce qu'il voudra. C'est fait dans le meilleur esprit du monde et c'est purement technique. Si le ministre est le moindrement d'accord avec l'idée qu'en ajoutant un mot au nom du ministère qu'il dirige, cela a une portée, c'est vraiment une sorte de nouveau départ, ce n'est plus l'ancien ministère du Travail, mais que la dimension main-d'oeuvre prend de l'importance... Le ministre en a parlé souvent. Je ne veux pas ici faire allusion aux hauts fonctionnaires parce qu'à mon avis, il est bien difficile de parler des fonctionnaires en Chambre. Je ne veux pas faire une chose que je reproche au ministre.

Mais disons qu'on peut imaginer que les hauts fonctionnaires du ministère seraient d'accord sur l'importance qu'il y a lieu d'accorder, à l'avenir, à l'aspect main-d'oeuvre par rapport au rôle traditionnel du ministère. Si ceci est vrai — et c'est purement d'un point de vue psychologique — le ministre ne croit-il pas qu'il pourrait inverser les paragraphes de son article 3? J'admets que cela peut sembler ne pas avoir une signification énorme, mais à mon avis, cela aurait quand même une portée psychologique de ne pas mettre en premier le sous-paragraphe a) qui se lit: «de favoriser des relations de travail harmonieuses »... mais peut-être mettre en premier le sous paragraphe c), justement, qui m'apparaît être dans la nouvelle philosophie du ministère.

M. BELLEMARE: Lequel dites-vous? M. LEFEBVRE: Le C, voyez-vous.

M. BELLEMARE: Le c) « d'adopter, en collaboration... » Voici pourquoi c'est fait comme ça. C'est d'abord parce que le ministère du Travail existe toujours.

M. LEFEBVRE: Cela, je le comprends.

M. BELLEMARE: Alors, ministère du Travail, relations patronales-ouvrières, cela ça existe. Nous ajoutons l'autre partie, « main-d'oeuvre ». Nous élaborons en partant de ce grand principe que le ministère du Travail doit être ça et nous ajoutons l'autre paragraphe qui vient à c).

On ne peut pas faire une grosse lutte sur ça.

M. LEFEBVRE: Non, c'est une suggestion. M. BELLEMARE: Adopté.

M. CLICHE: Revenant sur les commentaires que je faisais tout à l'heure, je veux rappeler au ministre que le gouvernement, à la suite d'une motion qui a été présentée ici et adoptée par l'Assemblée législative, doit faire un plan d'aménagement pour tout le Nord-Ouest québécois.

Je pense que ce serait là le moment pour le ministre du Travail d'intervenir dans la juridiction qui le concerne, évidemment, pour connaître d'abord plutôt la situation et ensuite proposer les remèdes appropriés, remèdes appropriés qui aideraient à la formation des jeunes.

Il y a, dans notre région, deux genres d'industries — ce n'est pas tellement difficile — l'industrie minière et l'industrie forestière. Il faudrait que la formation professionnelle soit orientée à l'endroit de ces deux industries. Je ne crois pas qu'actuellement il y ait dans notre région d'écoles ou d'institutions de formation, de centres de formation relativement à ces deux industries de notre région. Au point de vue forestier, il y a l'école forestière de Duchesnay, ici, à Québec, qui accepte des jeunes qui viennent d'ici et là dans la province. Evidemment, on ne peut pas donner la priorité à la région du Nord-Ouest québécois. On admet des jeunes qui viennent d'ici et là, mais je pense qu'on devrait, dans notre région à nous, donner une priorité à cette industrie forestière qui est en train de dépasser l'industrie minière.

Parlant de l'industrie forestière, il y aurait possibilité de former des jeunes, d'en faire des techniciens de la technique moderne des usines de sciage, des usines de déroulage, des usines de pâtes et papier, ainsi que de toutes les fonctions qu'exercent les employés du ministère des Terres et Forêts dans la région.

C'est une suggestion très pratique. Etant donné que le ministre n'écoute pas actuellement les propositions que je fais, je m'adresse à ses deux sous-ministres ici présents, et je leur demande de tenir compte de ces considérations. C'est extrêmement important pour l'avenir des jeunes et pour la formation des adultes actuellement sans travail, ou qui n'ont pas un métier qui leur permette de gagner leur vie douze mois par année. C'est au point de vue forestier.

Au point de vue minier, les jeunes et les moins jeunes doivent acquérir une formation, soit par le travail qu'ils font en entrant dans les mines, en commençant au bas de l'échelle et en s'exposant peut-être à des dangers, mais tout de même en commençant de cette façon-là.

Il y aurait possibilité que, dans la région du Nord-Ouest québécois, l'on forme des techniciens du monde minier, comme on le fait dans le Nord-Est Ontarien. A Haileybury, je crois, il

y a une école de formation de techniciens miniers. Dans le Nord-Ouest québécois, je pense, étant donné ce plan d'aménagement que l'on fait présentement on devrait prévoir pour la formation non seulement des adultes, mais des jeunes qui se lancent dans la vie, qui cessent leurs études et qui s'en vont sur le marché du travail. Qu'on aide à leur formation au moyen d'écoles pour les former au point de vue technique minière. Je suis convaincu que, si le ministère du Travail en particulier s'en occupait, ça irait beaucoup plus rapidement que si c'était le ministère de l'Education qui a énormément de problèmes et de champs d'activités.

Je dis que le ministère du Travail devrait intervenir, en essayant d'obtenir la collaboration et l'aide des entreprises minières sur place, soit au point de vue du personnel enseignant, soit même au point de vue du capital requis pour la construction et pour le maintien d'une telle école. Maintenant, que l'école soit à Rouyn-Noranda, à Val-d'Or ou à Malartic, ce n'est pas tellement ça qui est important. L'essentiel, c'est qu'une école doit exister, non pas pour former des ingénieurs miniers, car je comprends qu'on ne peut pas les former dans notre région, mais pour former des techniciens. Les présidents des entreprises minières ont dit qu'ils étaient prêts à collaborer, même au point de vue monétaire, pour aider à la formation des jeunes, parce qu'on doit aller les chercher ailleurs et, souvent même, importer de la main-d'oeuvre des pays étrangers.

J'espère que le ministre du Travail verra à faire quelque chose de positif dans ces deux champs d'action.

M. BELLEMARE: Je pense que l'honorable député a parfaitement raison. C'est justement pourquoi nous voulons agir, d'abord, au point de vue des recherches et au point de vue des renseignements. Nous voulons étoffer comme il le faut notre plan d'avenir et, en ce qui regarde le développement minier et le développement forestier, apporter notre coopération dans tout l'ensemble pour, à la base de la formation, avoir plus de gens qui aimeront se diriger vers ces professions et surtout qui voudront en faire des métiers fort rémunérateurs.

M. le Président, me serait-il permis de demander à la Chambre — je comprends qu'il est dix heures et que nous avons une entente selon laquelle nous devons arrêter nos travaux à dix heures — qu'on continue, vu qu'on siège très peu? On a la chance, ce soir, peut-être...

M. LESAGE: Nous pourrons siéger demain à dix heures ou à dix heures et quart ou à dix heures et demie; cela m'est égal. Mais, le soir, à dix heures, c'est assez tard.

M. BELLEMARE: Je n'ai aucune objection, si l'Opposition nous dit non.

M. LESAGE: Je n'ai aucune objection, quant à moi, à siéger à dix heures ou à dix heures et demie demain matin. Le matin, ça va bien, mais, le soir, j'aime bien à me coucher à une heure raisonnable.

M. BELLEMARE: Non, mais, en vertu de la motion, c'est dix heures trente.

M. LAPORTE: Dix heures demain.

M. BELLEMARE: Mais, si on faisait une heure de travail de plus...

M. LAPORTE: Siégeons demain matin à dix heures. Je n'ai aucune objection.

M. BELLEMARE: Si on faisait un compromis; une demi-heure ce soir et une demi-heure demain matin.

M. LESAGE: II me semble qu'au début de la session le premier ministre et moi, nous avons été bien fermes.

M. BELLEMARE: M. le Président, je n'ai pas besoin que l'honorable député de Louis-Hébert finisse sa phrase. Moi aussi, j'ai été bien ferme avec le leader de l'Opposition. On s'est bien entendu. Je ne voudrais pas que personne vienne déranger ce plan de clarification qu'on a fait et qu'on a respecté pour le plus grand bénéfice de tout le monde.

M. LESAGE: D'accord.

M. BELLEMARE: Je demande s'il n'y a pas possibilité, et on me dit non. D'accord, aucune objection.

M. LAPORTE: Mais, nous n'aurions pas d'objection, demain, à avancer d'une demi-heure.

M. BELLEMARE: D'accord, aucune objection.

M. LAPORTE: D'accord.

M. SAUVAGEAU (Président du comité plénier): M. le Président, j'ai l'honneur de faire rapport que le comité n'a pas fini de délibérer et qu'il demande la permission de siéger à nouveau.

M. LEBEL (Président): Quand siégera-t-il? A la prochaine séance.

M. BELLEMARE: M. le Président, j'ai l'honneur de demander l'ajournement de la Chambre à demain matin dix heures. Demain matin, il sera question des lois du travail.

M. LAPORTE: Ah oui? Dans l'ordre?

M. LE PRESIDENT: La Chambre s'ajourne à demain matin dix heures.

(22 h 3)

Education

Séance du 5 décembre 1968 (Dix heures trois minutes)

M. PROULX (président du comité): A l'ordre!

M. BELLEMARE: Je propose l'ajournement de ce comité au 19 décembre. Egalement, je propose un vote pour féliciter le ministre de l'Education!

M. LAPORTE: Au moins, proposons un vote pour féliciter les deux élus! (10 h 5) (Note de l'éditeur: Le comité de l'éducation n'ayant siégé que deux minutes, il s'agit ici de la suite des cahiers 1, 2, 3 et 4 de ce comité. Lors de sa prochaine séance, nous en serons au cahier 5.)

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