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Version finale

32nd Legislature, 5th Session
(October 16, 1984 au October 10, 1985)

Wednesday, February 6, 1985 - Vol. 28 N° 7

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'étude de l'impact des tendances démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme société distincte


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. French): La commission permanente de la culture entreprend une deuxième journée de consultation générale en vue de remplir le mandat qu'elle s'est donné: l'étude de l'impact des tendances démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme société distincte.

M. Champagne (Mille-Iles), présent; M. Doyon (Louis-Hébert), présent; M. French (Westmount), présent; M. Hains (Saint-Henri), présent et M. Payne (Vachon) présent.

A-t-on distribué l'ordre du jour, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui.

Le Président (M. French): L'ordre du jour se lit comme suit - je vous le lirai lorsque j'en aurai un - d'abord, la Société nationale des Québécois de l'Outaouais; deuxièmement, M. Jacques Henripin; à 15 heures, Alliance Québec, suivie de M. Gary Caldwell. Y a-t-il des commentaires ou des questions sur l'ordre du jour? Non. C'est adopté. Merci. Je voudrais demander à M. Charles Castonguay, de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais, de prendre place, s'il vous plaît:

M. Castonguay, je pense que ce n'est pas la première fois que vous venez nous voir. Je pense que vous connaissez très bien la procédure.

Société nationale des Québécois de l'Outaouais

M. Castonguay (Charles): Je regrette, M. le Président, mais c'est la première fois que je viens à une commission parlementaire.

Le Président (M. French): Ah bon! Vous m'étonnez. Nous allons tout simplement vous inviter à faire quelques commentaires. Votre mémoire est relativement court: si vous voulez passer à travers avec nous, cela nous aidera à nous rafraîchir la mémoire. Après quoi, nous vous poserons les questions qui nous semblent pertinentes. Évidemment, vous pouvez ajouter tous les commentaires que vous voulez.

M. Castonguay: Merci, M. le Président. Effectivement, le mémoire est court. Je crois qu'on pourrait peut-être le parcourir ensemble assez rapidement, assez efficacement. À la Société nationale des Québécois de l'Outaouais, nous avons étudié attentivement le document de travail intitulé "L'évolution de la population du Québec et ses conséquences". Nous l'avons trouvé excellent sous plusieurs aspects. Nous y avons trouvé cependant deux lacunes qui nous préoccupent particulièrement. D'une part, il n'offre aucune évaluation sérieuse de l'impact de la scolarisation en français sur les transferts linguistiques futurs, plus particulièrement dans un contexte où le français ne progresserait guère comme langue de travail et où l'anglais avancerait sur d'autres plans, comme c'est le cas dans l'Outaouais. D'autre part, le document ne considère aucunement l'impact culturel des tendances démographiques particulières à prévoir pour notre région. Nous invitons, par conséquent, la commission à se pencher sur notre mémoire.

Établissons, d'abord, un minimum d'éléments de l'histoire récente. Dans son évaluation de la situation des francophones dans la région de la capitale fédérale, la commission Laurendeau-Dunton n'a relevé chez les francophones de l'Outaouais que des problèmes de nature économique. Le gouvernement fédéral, par la suite, a décidé de remédier à cette situation en localisant à Hull une fraction importante de ses ministères et services, sans égard, cependant, à leur composition linguistique et sans étude d'impact d'une telle politique sur la vie culturelle de Hull et de l'Outaouais. Qu'il y ait eu impact ne fait aucun doute. Dès 1974, le conseil municipal de Hull pria le gouvernement fédéral de changer de politique et d'affecter à Hull dans l'avenir seulement les départements et ministères comptant la proportion la plus élevée de fonctionnaires francophones. Pour vérifier ces dires - je crois que M. Gilles Rocheleau, maintenant député à l'Assemblée nationale, était maire de Hull à cette époque - vous pouvez relire le Droit du 19 juin 1974. Déjà à cette date, on constatait sur la rue principale de Hull que l'anglais était devenu la langue véhiculaire. Le conseil municipal a réagi en s'adressant à Keith Spicer, entre autres, et au gouvernement fédéral.

Dès le recensement de 1976, les démographes ont constaté le début d'un nouveau mouvement migratoire d'Anglo-

Ontariens qui élisaient domicile dans la région de Hull. Nous renvoyons à un document des démographes Réjean Lachapelle et Jacques Henripin, publié en 1980, où, dans un tableau, vous avez les détails de l'évolution du bilan migratoire interprovincial pour l'Outaouais pendant la période de 1966 à 1971 - c'est-à-dire avant la venue des édifices fédéraux et du remaniement du centre-ville de Hull - et pour la période de 1971 à 1976.

L'impact sociolinguistique de ces déplacements de lieu de travail et de lieu de résidence s'imagine facilement. Le document de travail de la commission - je parle de la présente commission - avance avec raison "qu'une migration nette positive de grande envergure risquerait de poser des problèmes d'ordre culturel" à l'ensemble du Québec. Et, comment donc, pour la conurbation de Hull, déjà en proie à l'anglicisation par transferts linguistiques au recensement de 1971 et qui a vu sa population augmenter de 18% en cinq ans, soit un taux de croissance record pour l'ensemble des conurbations canadiennes majeures pendant la période 1971-1976, plus fort qu'Edmonton et plus fort que Calgary pendant les plus belles années du "boom" pétrolier! Il y a eu un impact migratoire majeur pendant la période 1971-1976.

Le gouvernement du Québec a réagi à cette situation en intégrant à la loi 101 la "clause Québec", qui obligeait les futurs migrants interprovinciaux au Québec à inscrire éventuellement leurs enfants à l'école française. On constata au recensement de 1981 la remontée de la fraction francophone de la population de la région de Hull à son niveau d'avant Ies années soixante-dix. Ce rééquilibrage linguistique du côté québécois n'empêcha pas, néanmoins, la poursuite de la diminution de la proportion de francophones dans l'ensemble de la grande région Ottawa-Hull, qui a baissé régulièrement de 38, 3% en 1961 à 35, 4% en 1981. Là, je parle de l'ensemble de la région qui chevauche la rivière des Outaouais, qui chevauche la frontière interprovinciale.

La poursuite de l'anglicisation par la voie de l'assimilation linguistique dans la région de la capitale canadienne a ainsi plus que compensé l'embauche en surproportion de francophones à la fonction publique fédérale pratiquée à la suite du rapport Laurendeau-Dunton. De fait, en regard des données sur l'assimilation recueillies au recensement de 1971, les informations sur la langue d'usage obtenues au recensement de 1981 montrent que l'anglicisation des francophones dans la région d'Ottawa a atteint un nouveau sommet, soit un taux d'anglicisation de 25% des jeunes adultes de langue maternelle française de la capitale canadienne. Je parle de la composante ontarienne, de la région d'Ottawa, de la région métropolitaine d'Ottawa. La "clause Québec" semble avoir contribué à empêcher, pendant cette même période, l'exportation d'une croissance de l'anglicisation du côté de Hull. Voilà pour l'histoire récente, du moins telle que les recensements nous la donnent à voir.

Relevons maintenant quelques facteurs susceptibles d'influer sur l'évolution future de la population de l'Outaouais et dont certains sont survenus depuis le recensement de 1981. Premièrement, la nouvelle constitution canadienne et la Cour suprême du Canada ont depuis aboli la "clause Québec" pour la remplacer par une "clause Canada" fort élargie. La quasi-totalité des nouveaux arrivants non francophones dans l'Outaouais jouiront désormais du libre choix de la langue d'instruction pour leurs enfants éventuels. La très grande majorité des migrants non francophones dans l'Outaouais proviennent effectivement du Canada anglais et non pas d'une migration internationale.

La nouvelle constitution créera même rapidement une distinction entre francophones: les migrants franco-ontariens dans l'Outaouais jouiront aussi du libre choix, pour autant que les parents ont étudié en anglais en Ontario ou que leurs enfants étudiaient déjà en anglais avant leur déménagement au Québec. Même parmi la communauté francophone de l'Outaouais, plusieurs des nouveaux arrivants sont des Franco-Ontariens dont une partie a étudié en anglais ou a des enfants inscrits dans des écoles de langue anglaise en Ontario. Eux auront le droit maintenant, le libre choix à l'école anglaise ou à l'école française du côté du Québec alors que les francophones du Québec, nés dans l'Outaouais ou venus dans l'Outaouais d'autres parties de la province et qui ne sont pas des migrants internationaux, n'ont pas ce droit. Le consensus social autour du concept de scolarisation en français comme règle générale au moins pour les francophones s'en trouvera graduellement affaibli dans notre région.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral a récemment réitéré sa politique d'indifférence quant à la proportion de francophones qui seront affectés aux futurs édifices fédéraux qui seront construits du côté du Québec. Je renvoie à une recherche de la journaliste Patricia Poirier, parue dans le Droit en novembre 1983, il y a un an approximativement, où elle a poussé l'exemple dont nous parlons dans le texte présentement. Par exemple, la rumeur voulait et veut encore aujourd'hui que le gouvernement fédéral compte affecter à son nouvel édifice Louis-Saint-Laurent, présentement en voie d'achèvement à Hull, un fort contingent du ministère de la Défense nationale qui - je cite le journal Le Droit - "est loin d'être le ministère où l'on retrouve le plus grand nombre de francophones ou même d'anglophones sympathiques à la cause du

français".

Troisièmement, les récents rapports annuels du Commissaire fédéral aux langues officielles répètent régulièrement le même constat d'échec: le français comme langue de travail ne progresse guère, voire plus du tout, chez les fonctionnaires fédéraux travaillant dans la région Ottawa-Hull. On constate effectivement, comme nous l'avons souligné ci-dessus, une progression du taux d'anglicisation des jeunes adultes francophones à Ottawa de 22% en 1971 à 25% dix ans plus tard, malgré tous les efforts déployés par le gouvernement fédéral, la province de l'Ontario et la ville d'Ottawa pour promouvoir le français dans la capitale du Canada. La politique fédérale des langues officielles a échoué dans sa capitale même, si son objectif était de freiner, sinon de stopper, l'assimilation des francophones. En plus, elle est présentement à bout de souffle et ne contient plus aucune nouvelle disposition susceptible de porter un fruit moins amer.

La situation dans la capitale canadienne illustre bien comment la scolarisation en français, soit dit en passant, si elle n'est pas appuyée par la francisation efficace de la langue de travail, n'entraîne pas nécessairement une amélioration de la position du français dans le domaine des comportements linguistiques au foyer. Là, je souligne que, depuis de nombreuses années maintenant, tout francophone qui réside du côté ontarien, dans la région d'Ottawa, a à sa disposition l'instruction française à l'école primaire. L'école secondaire française est aussi à sa disposition, de même que l'Université d'Ottawa et le collège Algonquin pour les études postsecondaires. Donc, les francophones ont l'occasion de se scolariser à peu près parfaitement bien en français, sauf ceux qui choisissent d'aller en médecine ou dans certains départements comme les sciences. Là, malheureusement, l'Université d'Ottawa laisse à désirer pour ce qui est du bilinguisme.

En plus de cela, des milliers d'enfants anglophones dans la ville d'Ottawa suivent des cours en français, des cours d'immersion. Je crois que nulle part ailleurs au pays on ne trouve une plus forte proportion d'enfants issus de familles anglophones qui se scolarisent en français. Malgré cette disponibilité et cette pratique de la scolarisation en français, on constate selon les données du recensement de 1981, une augmentation du taux d'anglicisation des jeunes adultes de langue maternelle française dans la capitale du pays. C'est un peu un laboratoire linguistique dont le Québec pourrait tirer profit quant à sonder l'efficacité possible ou plausible de tel ou tel élément, par exemple, de la loi 101 au de toute future politique linguistique.

Nous avons trouvé, je le souligne de nouveau, le document de travail de votre commission extrêmement éphémère, extrêmement léger sur ce point: cela se résumait à dire à trois ou quatre reprises que la situation devrait s'améliorer pour le français puisque la quasi-totalité des nouveaux arrivants devront s'instruire, devront envoyer leurs enfants à l'école française à l'avenir. C'est une pure hypothèse qui n'est fondée sur aucune analyse dans le document de travail. Or, il y a dans la région d'Ottawa, depuis l'adoption de la Loi sur Ies langues officielles, depuis maintenant quinze ans, un laboratoire linguistique assez intéressant dont on oeut tirer certaines leçons. Il y a scolarisation en français en abondance dans la capitale du Canada, mais il y a, malheureusement, augmentation de l'anglicisation des francophones.

En clair, si le nombre de francophones en poste à Ottawa a augmenté grâce à la politique d'embauche de la fonction publique canadienne poursuivie depuis la commission BB, alors que le taux d'assimilation des francophones à Ottawa a augmenté, comment ne pas conclure que l'univers sociolinguistique grandement déterminé par le gouvernement fédéral à Ottawa ne constitue pas en 1981 une meilleure usine d'assimilation des francophones que ce n'était le cas en 1971? Il y a plus de francophones à Ottawa, l'anglicisation est plus forte. Rien n'a été réglé; au contraire, le nombre de francophones qui sont en voie d'assimilation est plus fort qu'auparavant. Ce n'est pas une réussite.

Quatrièmement, la construction domiciliaire dans la région de Hull et l'arrivée de nouveaux résidents provenant du Canada anglais ont repris tout récemment de plus belle. Au mois d'août de l'an dernier, la ville de Hull venait au cinquième rang des municipalités canadiennes quant à la valeur totale des permis de bâtir. D'ailleurs, la ville de Hull fait actuellement campagne spécifiquement auprès des fonctionnaires (majoritairement anglophones) qui travaillent dans les édifices fédéraux situés sur son territoire en les incitant à: "venir habiter à Hull où ils résideront beaucoup plus près de leur lieu de travail et où ils pourront acquérir une propriété neuve à un bien meilleur coût qu'ailleurs. " J'ai la coupure avec moi, si ça vous intéresse de la consulter.

Ces avantages sont effectivement bien réels. La ville de Hull pourrait ajouter que les fonctionnaires anglophones qui choisiraient de changer de province de résidence pourraient continuer à travailler en anglais à Hull, commercer en anglais à Hull, scolariser leurs enfants en anglais à Hull, recevoir leurs services municipaux en anglais à Hull et, somme toute, continuer à vivre à Hull comme s'ils étaient en Ontario.

Cinquièmement, on parle de la baisse dans la proportion de francophones au Canada dans son ensemble, voire de la baisse dans leur nombre absolu qui proviendra de la stagnation de la population francophone du Québec et de la baisse déjà amorcée de la population francophone hors Québec. Nous faisons allusion encore au document de travail de la présente commission qui prévoyait pour l'an 2000 ou un peu plus tard, la stagnation des effectifs de l'ensemble du Québec. On n'y faisait pas de prévisions, bien sûr,pour ce qui est des communautés francophones hors Québec, mais avec les taux d'assimilation qui y sévissent, on peut certainement s'attendre que l'évolution qui s'était amorcée au dernier recensement, un début de baisse dans le nombre absolu des francophones hors Québec, s'accentue dans les recensements futurs.

Si le Québec ne progresse plus sur le plan du nombre, la francophonie dans son ensemble au Canada est appelée à diminuer non seulement en proportion, mais même en nombre absolu. C'est quelque chose qu'il faut avoir bien clairement à l'esprit, je crois, même quand on s'interroge sur la situation du Québec. Comme le Québec est le moteur de la francophonie canadienne, il devrait s'intéresser à l'ensemble de la situation démographique des francophones au Canada, en plus de s'intéresser à ce qui se passe à l'intérieur de ses frontières. Nous sommes peut-être plus sensibles à cela dans l'Outaouais, parce que nous sommes précisément sur la frontière avec ce qu'on pourrait appeler le Canada anglais.

Je reprends: La baisse dans leur nombre absolu qui proviendra de la stagnation de la population du Québec et de la baisse déjà amorcée de la population francophone hors Québec en raison de leur assimilation qui s'accélère entraînera la fin de l'embauche en surproportion de francophones parmi les nouveaux fonctionnaires fédéraux à Ottawa, voire la régression de la proportion de francophones à la fonction publique canadienne à mesure que d'autres minorités revendiqueront leur part du gâteau. Leur sous-représentation à Ottawa est désormais comblée et cette guerre des chiffres, qui a servi temporairement à renforcer la population francophone dans la région Ottawa-Hull, ne jouera plus et pourra même se tourner contre elle dans l'avenir.

Voyons maintenant les conséquences prévisibles de ces facteurs pour l'avenir. D'une part, retenons qu'aussi longtemps que le français n'aura pas pris toute sa place comme langue de travail, son utilisation comme langue de scolarisation dans notre région et vraisemblablement dans d'autres contextes comparables ne pourra assurer une évolution significative des transferts linguistiques en sa faveur, c'est-à-dire, plus exactement, moins en sa défaveur. D'autre part, la disparition de la "clause Québec" devrait entraîner, du point de vue des considérations fondamentales purement économiques, une augmentation très importante de la part de la population de la grande conurbation Ottawa-Hull qui habite du côté du Québec en regard de celle qui réside du côté ontarien.

Je ne sais pas s'il y a un morceau de craie. Voici la rivière des Outaouais. Voici approximativement le développement domiciliaire.

Le Président (M. French): Voulez-vous approcher le micro, qui est sur la table, très près de vous? Si vous pouviez l'approcher aussi près que possible, on va essayer de s'assurer que vos paroles soient bien enregistrées. (10 h 30)

M. Castonguay: Si on représente par ce schéma la rivière des Outaouais, le développement domiciliaire relatif du côté du Québec, vous regardez sur n'importe quelle carte de la région de la capitale fédérale et vous constatez d'un seul coup d'oeil que la population du côté d'Ottawa est trois fois plus nombreuse que du côté de Hull. Cela tombe sous le sens que les futures constructions domiciliaires, en fonction des questions de transport en commun et d'accessibilité au lieu de travail, etc., normalement, devraient venir équilibrer cette situation davantage qu'elle ne l'est maintenant.

La situation est héritée de l'histoire. La ville de Hull était, comme la ville de Saint-Jean au sud de Montréal ou, encore, la ville de Trois-Rivières, essentiellement une ville industrielle, manufacturière. Son moteur économique principal était la fonction publique fédérale. Or, cette situation a changé du tout au tout. Comme le savent ceux d'entre vous qui sont venus dans l'Outaouais voir les transformations du centre urbain de la ville de Hull, il y a des forces économiques très naturelles qui cherchent à s'exprimer. Sans un genre de frein ou un genre de filtre, comme une "clause Québec" ou une mesure semblable, comment éviter l'équilibrage de la population? Bien sûr, ceux qui vont venir, les nouveaux arrivants, ne seront pas tous des francophones.

Cette baisse, qu'on peut très facilement prévoir, du poids relatif des francophones du côté du Québec s'il n'y a pas de contrôle entraînera une augmentation du léger taux d'anglicisation qui y sévit déjà. À leur tour, les pertes dues à l'anglicisation contribueront à baisser davantage la proportion des francophones et à accroître du même coup la pression anglicisante. Et voilà engagé le cercle vicieux dans lequel se trouvent les populations francophones hors Québec. Plus elles s'assimilent, plus il y a de l'assimilation, parce que plus grande est la

proportion d'anglophones et plus forte est la pression de l'anglais sur les francophones qui y demeurent encore, ce qui conduit à leur désintégration ultime.

Comme le document de travail l'a montré si magistralement, d'ailleurs, il ne faut plus compter sur la surnatalité pour regarnir, comme par le passé, les rangs décimés par l'assimilation. Mais pour la francophonie de l'Outaouais et, en même temps, pour celle de la région de la capitale canadienne, il y a une autre perspective possible pour l'avenir, une autre voie de solution tout à fait réalisable pour autant qu'existe la volonté politique nécessaire. Que le gouvernement du Québec propose au gouvernement du Canada de réviser sa Loi sur les langues officielles en se donnant, parmi ses objectifs premiers, celui de mettre fin à l'assimilation linguistique des francophones dans la région de la capitale fédérale. Que le gouvernement du Québec invite le gouvernement fédéral à reconnaître, devant l'exemple de l'évolution de la situation linguistique dans sa propre capitale, que la scolarisation en français ne saura arrêter l'assimilation si elle ne peut s'appuyer sur la garantie de pouvoir travailler en français, ainsi que le reconnaissait implicitement la commission Laurendeau-Dunton. Que le gouvernement du Québec invite le gouvernement du Canada à reconnaître également que, tout comme la francophonie canadienne doit prendre sa force d'abord et avant tout de la francophonie québécoise, de même la francophonie de la région de la capitale canadienne doit s'appuyer d'abord et avant tout sur la francophonie de sa composante québécoise. Que, par conséquent, le gouvernement du Québec propose au gouvernement du Canada de s'engager à redistribuer ses ministères dans la région de sa capitale de façon à concentrer sur le territoire de sa composante québécoise le maximum de fonctionnaires francophones et, dans les meilleurs délais, à faire du français la langue de travail dans tous les édifices fédéraux du côté de Hull.

Finalement, en attendant que ces engagements soient remplis à la satisfaction du gouvernement du Québec, que le gouvernement du Canada reconsidère les dispositions de la constitution canadienne concernant l'accès à la scolarisation en anglais dans la composante québécoise de la région de la capitale fédérale et qu'il rende au Québec son entière juridiction en cette matière, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale du Québec en décide autrement.

Si l'ensemble de nos recommandations s'adressent ultimement, par l'intermédiaire du gouvernement du Québec, à celui du Canada, c'est qu'en somme c'est le gouvernement du Canada qui a plongé la francophonie de l'Outaouais dans la crise actuelle, dans l'impasse actuelle. C'est donc maintenant au gouvernement du Canada de faire preuve de bonne volonté en réparant ses dégâts.

Je termine en mentionnant deux nouvelles très récentes, M. le Président, qui sont parues dans les journaux; la première dans la Presse du vendredi 1er février. Il s'agit d'une interview avec M. D'Iberville Fortier, le nouveau Commissaire aux langues officielles. "Le Commissaire aux langues officielles ne croit pas, par ailleurs, qu'il soit nécessaire d'imposer des quotas pour améliorer la représentation des francophones dans la fonction publique fédérale. L'évolution des dernières années est satisfaisante - ce qui confirme ce que nous disions dans notre mémoire - selon lui, même s'il reste beaucoup à faire", probablement au niveau de la promotion des francophones à des postes plus élevés de la fonction publique et non pas seulement à des postes subalternes. "Il estime que les progrès futurs en ce domaine, comme au chapitre de la langue de travail, exigeront un message clair du nouveau gouvernement Mulroney. Il entend, d'ailleurs, faire des recommandations générales en ce domaine dans son prochain rapport annuel. Il précise qu'il ne faut pas s'attendre à des propositions draconiennes. " "Je ne pense pas - là, on cite M. Fortier - que les Canadiens souhaitent la révolution en ce domaine. " Ce sont des nouvelles pour les fonctionnaires francophones québécois qui travaillent à Ottawa! Ce sont des nouvelles! On ne pense pas que les Canadiens souhaitent la révolution dans ce domaine, sûrement pas les Canadiens anglais qui ont opposé une résistance passive assez efficace merci, dans les dernières années à Ottawa. "Il ne s'agit pas ici de secouer le pommier de façon exagérée. Ce n'est pas notre intention de crier au feu s'il n'y a pas de feu. " Mesdames et messieurs, il n'y a pas de feu! 25% d'assimilation dans la capitale du Canada et il n'y a pas de feu, selon le commissaire! "Notre intention est de partir avec ce qui existe - 25% d'assimilation - de le maintenir et de voir comment on peut l'améliorer. " On voit qu'il manque une volonté politique de la part du Commissaire aux langues officielles et alors comment donc, de la part d'un gouvernement fédéral, de changer les choses de façon à rétablir un minimum de justice linguistique dans la région de la capitale, tant du côté d'Ottawa que du côté du Québec. Car actuellement, les agissements du gouvernement fédéral en cette matière ressemblent en tout et pour tout à une politique d'homogénéisation de l'ensemble de la population des deux côtés de la rivière avec, comme conséquence prévisible, une exportation de l'assimilation que connaissent les francophones qui résident à Ottawa du côté du Québec.

C'est assez sidérant d'entendre de tels propos de la part d'un nouveau commissaire

qui devrait, quand même, en début de mandat, être tout feu tout flamme pour essayer de faire un peu mieux que ses prédécesseurs. Les commissaires sortants, MM. Spicer et Yalden terminaient toujours leur rapport annuel en disant: Le français, langue de travail, n'a guère progressé à la fonction publique fédérale cette année. C'est un leitmotiv qui revenait régulièrement à chaque rapport annuel.

Ce matin, en prenant l'avion, j'ai lu dans le Droit du 6 février, è la page 2, une manchette: "Des documents n'ont pas été traduits en français. Des fonctionnaires du ministère des Travaux publics ont déposé hier au Comité permanent des comptes publics des Communes une série de documents rédigés uniquement en anglais, ce qui est non seulement contraire aux règlements, mais aussi à la Loi sur les langues officielles. " Je ne vous lirai pas le reste. Voilà quinze ans que nous avons la Loi sur les langues officielles. Quand on se fie sur les recensements pour essayer d'en évaluer les fruits, comme nous l'avons dit dans notre mémoire, les fruits sont bien amers en ce qui concerne l'anglicisation des francophones dans la capitale du Canada.

Nous envisageons des problèmes avec toute la certitude que peut apporter l'analyse démoiinguistique des facteurs prévisibles que seront vraisemblablement dans l'avenir l'augmentation des migrants qui vont venir élire domicile du côté de Hull, la libéralisation par la nouvelle constitution canadienne du choix de la langue d'instruction des enfants et toute l'évolution, finalement, de la situation avec un Commissaire aux langues officielles qui ne se tient pas debout pour le fait français, pour le français langue de travail.

Dans l'ensemble du Québec, les scientifiques et les décideurs ont perçu les mêmes problèmes, il y a dix ou quinze ans, avec la commission Gendron. Ils prévoyaient une dégradation de la position du français si les choses continuaient comme elles allaient vers la fin des années soixante. Ils ont choisi deux mesures pour influer sur ces choses: d'une part, obtenir une plus grande participation dans la sélection des immigrants qui viendraient de l'extérieur du Canada élire domicile au Québec, ce que le gouvernement Bourassa, si je ne m'abuse, a bien réussi à obtenir du gouvernement fédéral à l'époque d'autre part, ils ont aussi cherché à franciser la langue de travail - tant le gouvernement Bourassa que le gouvernement Lévesque - de façon à influer sur les transferts linguistiques. Il y a encore du chemin à faire dans l'amélioration de la position du français langue de travail au Québec même.

Pensons maintenant à la situation de la région de l'Outaouais où nous sommes. Nous sommes - si on peut parler au nom des francophones - menacés par une immigration qui n'est plus internationale, mais interprovinciale, qui sera à forte proportion anglophone, ce qui va augmenter la pression de l'anglais sur les francophones résidant du côté du Québec, qui sont relativement à l'abri, aujourd'hui encore, de ce que connaissent les francophones dans la région d'Ottawa. Il faudrait donc, pour influer sur l'avenir prévisible, obtenir un meilleur contrôle sur les allées et venues, tout comme le Québec a cherché à le faire au niveau national dans les années soixante-dix vis-à-vis du gouvernement fédéral.

La langue de travail dans les édifices fédéraux, eh bien, le Québec n'a pas d'emprise directe là-dessus. La loi 101 n'en a pas. Le Québec ne peut commander à la reine. Nous sommes, à toutes fins utiles, dans la même situation que l'ensemble du Québec l'était, il y a une quinzaine d'années. Et je pense que les mêmes mesures qu'ont adoptées les gouvernements du passé seraient susceptibles d'améliorer les perspectives d'avenir pour le fait français dans la capitale du Canada, dans l'ensemble de la région de la capitale fédérale, Ottawa et Hull. Il faudrait obtenir du gouvernement fédéral qu'il reconnaisse aux francophones le droit absolu de travailler en français, pas seulement de scolariser leurs enfants, mais de travailler en français, ou obtenir une reconnaissance territoriale de la différence que constitue la société québécoise dans l'ensemble canadien.

Semble-t-il que, dans les négociations à venir, on va beaucoup appuyer sur la spécificité du Québec. Est-ce que cette spécificité ne devrait pas être reflétée dans la région de la capitale du pays et apporter un deuxième élément de solution en obtenant que le fédéral accepte de faire du français la langue courante du travail du côté du Québec, là où il y a des fonctionnaires qui travaillent actuellement en anglais? Il y aurait des anglophones qui travailleraient en français du côté de Hull. II y a beaucoup de francophones qui travaillent en anglais du côté d'Ottawa. Il y a des anglophones qui même éliraient domicile du côté de Hull.

La "clause Québec" n'était pas un mur de Berlin. Tout anglophone qui acceptait, qui voulait faire instruire ses enfants en français était le bienvenu dans l'Outaouais avec la "clause Québec. " Ce n'était pas un frein absolu, c'était un contrôle. Et il y a des anglophones comme cela: si je ne m'abuse, il y a à peu près le quart des enfants anglophones dans la région d'Ottawa, du côté de l'Ontario, qui fréquentent des cours d'immersion en français. Il ne manque pas de nouvelles populations qui seraient intéressées à venir dans l'Outaouais québécois travailler en français, scolariser leurs enfants en français. (10 h 45)

La dynamique linguistique ou socio-

linguistique dans la région de la capitale du Canada est différente de ce qu'on connaît à Montréal, à Québec ou ailleurs dans la province. Quand même, le gouvernement fédéral valorise beaucoup le bilinguisme et une compétence réelle de pouvoir travailler en français et en anglais. Les parents anglophones comme les parents francophones en sont convaincus depuis bien longtemps déjà et cherchent à faire en sorte que leurs enfants soient bien scolarisés dans les deux langues. Alors, une mesure qui concentrerait les fonctionnaires francophones, dans la mesure de ce qui est raisonnable selon le jugement de l'Assemblée nationale, sur la rive québécoise, qui ferait du français la langue de travail sur la rive québécoise, chez les employés de la reine, serait susceptible de créer dans la région de la capitale Ottawa-Hull un élément dynamique francophone qui aurait un avenir assuré, alors qu'à l'heure actuelle et de la façon dont vont les choses, cet avenir ne l'est pas.

Je termine là-dessus et je m'excuse d'avoir été un peu long. Je m'ouvre à vos questions. Je m'excuse d'être seul, mais la Société nationale des Québécois de l'Outaouais n'a pas les fonds d'autres associations. Et me voilà, exemplaire unique.

Le Président (M. French): Merci, M. Castonguay. M. le député de Vachon m'a signalé à plusieurs reprises son intention d'intervenir.

M. Payne: Merci, M. Castonguay. Mes remerciements à la Société nationale des Québécois de l'Outaouais. On connaît vos préoccupations depuis plusieurs années. J'aimerais seulement poser quelques questions, quitte à revenir un peu plus tard après l'intervention des membres de l'autre côté.

Est-ce qu'il y a, à votre connaissance, des statistiques qui nous font part du taux d'attraction de la région de Hull, donc de la ville métropolitaine, par rapport à l'ensemble du Québec, en ce qui concerne, d'abord, l'immigration internationale et, deuxièmement, l'immigration interprovinciale? J'ai déjà ma réponse, et c'est non. Nous n'avons pas ce genre d'information qui, à mon avis, est assez capitale. Peut-être que vous pourriez nous en faire le portrait.

M. Castonguay: Effectivement, M. le député, en ce qui concerne l'immigration internationale, une fois les immigrants arrivés au Québec, où vont-ils? Très souvent ailleurs qu'à Montréal ou, même, ils s'en vont au Canada anglais. L'analyse, le genre de suivi du cheminement d'un immigrant provenant de l'étranger, de l'extérieur du Canada, est à faire par les démographes. On sent que le Québec est en quelque sorte une plaque tournante. Il y en a beaucoup qui arrivent, mais il y en a beaucoup qui repartent. Enfin, à vrai dire, je crois que, lorqu'ils partent pour les États-Unis, là, on les perd pour de bon et c'est même très difficile de saisir l'émigration internationale. D'accord?

M. Payne: Oui.

M. Castonguay: Pour ce qui est des immigrants internationaux, le travail, à ma connaissance, est non existant également, surtout au niveau d'une région comme l'Outaouais. Cela n'a pas été fait par petite région comme cela. Mais ne prenez pas ma réponse comme étant le fin du fin. C'est possible que d'autres personnes puissent mieux vous renseigner que moi.

M. Payne: J'ai déjà mes idées qui vont, justement, dans le sens que nous n'avons pas ce genre d'information. Nous avons une information, bien sûr, sur les départs, sur les sorties. Nous avons bien des données sur l'émigration internationale et sur la migration interprovinciale. Ce qu'il serait intéressant d'avoir - je ne pense pas que ce soit une information que nous ayons - c'est le taux d'attraction région par région, chez ceux qui restent.

M. Castonguay: Oui. À votre deuxième question sur la migration interprovinciale, là, je peux dire qu'on est assez renseigné quand même. Dans le livre de Jacques Henripin et de Réjean Lachapelle, que nous avons utilisé dans notre mémoire d'ailleurs, vous trouvez à la page 231 - et je vous en laisserai quelques exemplaires, des photocopies de la page 231 - un tableau sur les échanges migratoires interprovinciaux entre la région de l'Outaouais et l'est de l'Ontario, c'est-à-dire la région immédiate d'Ottawa, Cornwall, soit le sud-est de l'Ontario, avec les autres régions de l'Ontario, avec les provinces de l'Atlantique...

M. Payne: Pourriez-vous répéter cela? Je n'ai pas tout à fait saisi. Ce sont les taux?

M. Castonguay: II n'y a pas de taux. Il y a des chiffres absolus.

M. Payne: D'accord.

M. Castonguay: À vous de calculer les pourcentages. C'est mieux, infiniment mieux d'avoir les chiffres que d'avoir des taux, parce qu'on peut toujours créer des taux; mais, si on ne vous présente que des taux, vous ne savez pas quels chiffres se trouvent en dessous de ces taux, n'est-ce pas?

M. Payne: Oui, mais quels chiffres?

M. Castonguay: II y a même, dans ce tableau, des chiffres qui font état des échanges de l'Outaouais avec d'autres régions du Québec. En 1971-1976, la période où la "clause Québec" n'existait pas, où la vague migratoire nouvelle s'est accusée et où la région de Hull a connu un taux de croissance de 18%, au premier rang de toutes les régions métropolitaines pour l'ensemble du Canada pour cette période, en tout, l'Outaouais a attiré, des autres régions du Québec, 5000 nouveaux résidents net. Il y a évidemment des gens de Hull qui sont allés prendre des emplois à Montréal ou à Québec, mais le résultat net des allées et venues est de 5000 en faveur de l'Outaouais dans ses échanges avec le reste du Québec et de 4300 avec le sud-est de l'Ontario. Donc, dans le triangle, si vous voulez, Hawkesbury, Cornwall, Ottawa: 4300 net.

II y a eu, bien sûr, des Québécois qui sont allés à Ottawa ou à Toronto... à Cornwall, pardon, mais il y en a d'autres qui sont revenus en plus grand nombre. Avec les autres régions de l'Ontario, comme Toronto, Windsor, Sudbury et le reste, une migration nette positive, encore là, de 1800. Donc, avec l'Ontario, si vous voulez faire le total, cela fait 6100 migrants net pendant les cinq années 1971-1976. Avec les provinces de l'Atlantique, un gain de 400; avec le reste du Canada, vraisemblablement l'Ouest, etc., un déficit de 200 personnes, ce qui est très faible.

J'ai fait un certain nombre de copies de ce tableau et je vous les donne tout de suite pour votre information. Il y a d'autres renseignements aussi en matière de migration, de résultats prévisibles, par exemple, de l'abolition de la "clause Québec" sur le mouvement des populations entre les provinces, du côté de Hull et d'Ottawa, en particulier.

Dans d'autres pages de ce texte, vous trouverez d'autres tableaux touchant d'autres régions du Québec, notamment la région de Montréal; mais je m'en tiens à ce tableau seulement parce que c'est celui-là qui concerne l'Outaouais. Je m'excuse si je n'ai pas fait assez de copies, il y en a cinq.

Les migrations interprovinciales, on sait de quoi cela retourne pas mal. Pour les migrations internationales, ce serait plus difficile, plus long, mais c'est aux démographes de faire le travail.

M. Payne: Ce qui m'intéresse, les taux, au sens de ma question, sont peut-être plus importants que les chiffres absolus dans le sens que je voudrais établir le rapport, Ies taux comparatifs entre l'attraction de la région de Hull et celle de l'ensemble du Québec. Cela, nous ne l'avons pas.

M. Castonguay: Vous n'avez qu'à prendre ce tableau et vous avez l'ensemble du Québec. Avec l'ensemble du Québec, c'est un gain migratoire net de 5000 personnes. Sur quel dénominateur voulez-vous mettre ces 5000? Ces 5000 figureraient dans le calcul d'un taux comme étant le numérateur; alors, je ne sais pas trop quel serait le dénominateur.

M. Payne: En ce qui concerne le solde migratoire, les neuf derniers mois ont été plus intéressants. Si j'ai bien compris, vous avez dit moins de 5000, à peu près, pour le solde migratoire.

M. Castonguay: Excusez-moi. Dans les derniers mois?

M. Payne: Les chiffres des neuf derniers mois de 1984, le solde migratoire, le solde négatif serait de 8000.

M. Castonguay: Je ne sais pas de quoi vous parlez, je n'ai pas du tout abordé ce sujet. Vous parlez...

M. Payne: J'avais compris...

M. Castonguay:... d'immigration pour l'ensemble du Québec.

M. Payne:... que vous aviez dit que le solde migratoire était d'à peu près 5000. J'étais juste en train de dire que c'était 8000 pour les neuf derniers mois.

M. Castonguay: Pour les neuf derniers mois. Entre quelles régions?

M. Payne: Je parle pour l'ensemble du Québec.

M. Castonguay: Oui, mais je ne parlais pas de l'ensemble du Québec. C'est un fait que l'ensemble du Québec, depuis fort longtemps d'ailleurs, perd des effectifs nets année après année au reste du Canada. Sûrement que la région de l'Outaouais est une région bien exceptionnelle de ce point de vue. Je peux vous assurer que la construction domiciliaire dans la région de l'Outaouais bat son plein. Malgré la fin de Corvée-habitation, etc., il y a encore des terrains qui se vendent et qui s'achètent, des maisons qui se construisent. Ça va très bien dans l'Outaouais par rapport au reste du Québec.

Donc, s'il y a déficit pour l'ensemble du Québec, ce n'est pas le cas dans l'Outaouais. Au contraire, la croissance de la population par voie migratoire dans l'Outaouais aide à faire en sorte que le déficit, pour l'ensemble de la province, n'est pas aussi élevé. C'est un apport positif, si vous voulez, à la situation migratoire du Québec. Mais, justement à cause de ça, nous nous trouvons dans l'hypothèse présentée dans le document de travail "L'Avenir de la

population québécoise" et aussi, finalement, avancée par la commission Gendron, par les chercheurs Maheux et Charbonneau qui ont oeuvré pour ladite commission, et par, dix ans plus tard, le livre de Lachapelle et Henripin, qui ont travaillé pour le ministre Lalonde, je crois.

S'il y a un apport migratoire positif pour le Québec, ça peut créer des problèmes d'intégration culturelle des nouveaux arrivants et c'est le cas dans l'Outaouais. Dans un avenir prévisible, ça demeurera le cas. Ça ne dépendra pas d'une conjoncture économique purement québécoise mais le moteur économique principal est le gouvernement fédéral et la fonction publique, et, pour autant que l'ensemble du Canada se comporte moyennement bien sur le plan économique, vous pouvez être sûrs que la région d'Ottawa, en tant que capitale -Ottawa-Hull - va toujours aller assez bien. Il y aura toujours assez d'emplois.

La ville de Québec jouit d'un tel statut de capitale et elle s'en tire relativement bien dans les durs temps économiques que nous passons, à comparer à d'autres villes québécoises.

Cet apport positif migratoire dans l'Outaouais est un fait réel dans le passé et il faut absolument s'attendre à ce que ça continue dans l'avenir.

M. Payne: D'accord. Regardons quelques facteurs de cela. Lorsque vous constatez que la baisse est de 38% en 1961 jusqu'à 35, 9% en 1981, quel est votre critère entre la langue maternelle et la langue d'usage?

M. Castonguay: Voulez-vous répéter?

M. Payne: En page 2...

M. Castonguay: Du mémoire?

M. Payne:... vous dites: "... qui a baissé régulièrement de 38, 3% en 1961 à 35, 4% en 1981. "

M. Castonguay: Puisque je parle de francophones - le dictionnaire nous dit que ce sont des gens qui parlent habituellement le français - ça doit bien être fondé sur la langue d'usage. Mais non, c'est impossible. C'est la langue maternelle; en 1961, on n'a pas demandé la langue d'usage. Ce sont des chiffres touchant la langue maternelle. D'accord?

Si on veut une séquence historique qui remonte jusqu'avant le recensement de 1971, qui était le premier recensement à poser la question sur la langue d'usage dans les temps modernes, si vous voulez... Ces proportions sont sûrement fondées sur la langue maternelle.

Si on utilisait en 1981 la langue d'usage, bien sûr ce serait moins encore que 35, 4%. Je pense qu'il y a quelque 10 000 francophones à Ottawa qui ont été anglicisés, quelque chose du genre.

M. Payne: En 1976, il n'y avait pas de question sur la langue d'usage à ma connaissance.

M. Castonguay: Non, uniquement la langue maternelle.

M. Payne: Par contre, au dernier recensement il y en avait.

M. Castonguay: En 1981. Aux recensements décennaux, les grands recensements de 1971 et de 1981. Ce sont les deux seules sources dont nous disposons actuellement, provenant des recensements, sur la langue courante utilisée au foyer au moment des recensements.

M. Payne: Je pense que la question est pertinente parce que ce serait intéressant de faire la comparaison entre la diminution en termes de langue maternelle, d'une part, et, d'autre part, la différence dans la langue d'usage dans un écart de 20 ans.

M. Castonguay: C'est impossible pour la langue d'usage, comme je l'ai dit parce que, malheureusement...

M. Payne: Oui et je vous dis que ce serait bien intéressant.

M. Castonguay:... on est pris avec les données sur la langue maternelle en ce qui concerne 1961. Ce serait fort intéressant. C'est très sûr qu'on observerait une baisse au niveau de la langue d'usage qui irait en parallèle avec la baisse de la langue maternelle. Puisqu'il y a anglicisation nette des francophones dans la région d'Ottawa et dans la région d'Ottawa-Hull dans son ensemble, cela ne peut pas être autrement. (11 heures)

M. Payne: J'essaie d'imaginer qu'on peut trouver un critère valable pour les transferts linguistiques si nous n'avons pas cet outil-là, à savoir la baisse de la langue d'usage chez les francophones.

M. Castonguay: Lorsqu'on mesure les transferts linguistiques, on compare, d'une part, langue maternelle...

M. Payne: Oui.

M. Castonguay:... avec langue d'usage, au même recensement. C'est pourquoi, dans notre mémoire, nous faisons état des transferts linguistiques en 1971, parce qu'en 1971 les deux questions étaient posées et on pouvait compter les gens qui étaient de langue maternelle X et de langue d'usage Y.

On pouvait les comptabiliser. On peut faire des comparaisons avec 1981 parce que les deux mêmes questions ont été posées en 1981.

M. Payne: Exactement. Alors, avec la question telle que posée en 1981, quand peut-on avoir les premiers résultats, c'est-à-dire la comparaison entre 1971 et 1981?

M. Castonguay: Cela montre, dans la région d'Ottawa, une augmentation de l'anglicisation des francophones qui passe de 23% ou 22% à 25% au plus récent recensement.

M. Payne: D'où vient votre affirmation que le taux d'anglicisation des jeunes adultes francophones à Ottawa était de 22% en 1971 et est monté jusqu'à 25% en 1981?

M. Castonguay: C'était une analyse. C'est fondé sur une analyse, selon l'âge, des deux réponses aux questions: langue maternelle et langue d'usage.

M. Payne: C'est dramatique.

M. Castonguay: II y a des gens qui diraient que ce serait encore pire que cela, si ce n'était de la Loi sur les langues officielles. Comment savoir s'ils ont raison?

M. Payne: Une toute dernière question. Quelle est la proportion actuelle des fonctionnaires qui travaillent à Hull et dont la langue de travail est l'anglais?

M. Castonguay: Excellente question. J'espère que M. D'Iberville Fortier, dans son prochain rapport ou son premier rapport annuel, va nous renseigner sur la chose, ou encore le Conseil du trésor ou quelque autre responsable fédéral. C'est très difficile pour nous-mêmes qui sommes intéressés à ces faits et qui résidons dans l'Outaouais d'obtenir des chiffres, parce que les chiffres sont, finalement, possédés par le gouvernement fédéral. Ce ne sont pas nécessairement des choses qu'ils aiment divulguer.

M. Payne: Cela me passionne. Les efforts de francisation de la part de l'administration publique canadienne, est-ce qu'on peut les démontrer? Est-ce qu'on peut faire référence aux efforts? Je ne parle pas de la loi, je parle des efforts.

M. Castonguay: Je crois que, là, la meilleure source, ce sont les différents rapports des commissaires aux langues officielles. Il faut supposer que ce sont des observateurs objectifs et je ne peux que vous rappeler le leitmotiv qui revient annuellement à la fin de la discussion, dans ces rapports, touchant la langue de travail: "Le français n'a progressé guère" ou "le français n'a guère progressé. " La formule varie, mais le sens est toujours le même. "Le français n'a guère progressé comme langue de travail dans la fonction publique fédérale en mil neuf cent... " Mettez l'année que vous voudrez. Je souligne encore cette nouvelle que j'ai lue dans l'avion en venant ici. Quinze ans après la Loi sur les langues officielles, on présente à un comité majeur comme celui des comptes publics, à la Chambre des communes, des documents rédigés uniquement en anglais. Ce serait très agréable si le français était langue de travail sur la rive québécoise et que, de temps en temps, quelques anglophones se heurteraient à ce genre de difficultés, soit des textes rédigés uniquement en français, et qu'ils auraient à revendiquer que la chose soit traduite en anglais. Ce n'est jamais le cas et c'est toujours à sens unique, ce problème. C'est un amoncellement de facteurs de ce genre qui font en sorte que la position du français subit, tel un rocher, une érosion dans la région Hull-Ottawa. Dans la vie quotidienne, si ce n'est pas aussi efficace, aussi simple et aussi expéditif de fonctionner en français qu'en anglais, eh bien! l'être humain, la chair étant faible, on est naturellement porté à utiliser la langue dans laquelle on va pouvoir expédier nos affaires le plus efficacement. Et c'est l'anglais. Alors, jusqu'à ce qu'il y ait un nouveau souffle à la fonction publique fédérale -sûrement que les propos de M. D'Iberville Fortier rapportés dans la Presse de vendredi dernier ne nous laissent pas croire que ce nouveau souffle viendra de lui - il faudra exercer d'autres pressions sur le gouvernement fédéral pour qu'il y ait un nouveau souffle, qu'il y ait un "new deal". C'est le temps maintenant de faire un "reviewal", et pas seulement de la situation économique. Le gouvernement conservateur est venu au pouvoir en parlant d'une révision de fond en comble des dépenses de l'État, et, de tout et de tout.

C'est, évidemment, passer sous silence le problème culturel du Canada français. Je dirais que, quinze ans après l'adoption de la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral qui a été adoptée en 1969 -cela fait maintenant quinze ans - avec les choses que nous savons venant des derniers recensements, c'est aussi le temps de faire un "reviewal" de la politique culturelle fédérale en commençant à zéro, en mettant tout en question, y compris la notion de bilinguisme qui se limite au niveau des services bilingues. Quelqu'un demande quelque chose, il peut le recevoir éventuellement. Je ne vous suggère pas de vous présenter au bureau de postes principal de la ville d'Ottawa. Cela fait quinze ans que je le fais. Très souvent, malgré que vous ayez la

"langue de votre choix" qui est là devant vous au guichet, si je veux être rapide, je dois faire mon courrier en anglais, ce que je fais très souvent d'ailleurs, naturellement. Parfois, je me lève, c'est bizarre, puis je suis du côté ontarien et je m'imagine qu'on peut fonctionner aussi facilement en français qu'en anglais dans cette capitale. Eh bien! ce n'est pas le cas.

Ce nouveau souffle, je ne sais pas, il faudrait reconnaître davantage de droits au français de la part du gouvernement fédéral, ne pas seulement limiter la loi linguistique fédérale, la planification linguistique à la notion de service, ce qui devient trop rapidement "Lip service", comme on dit en anglais, mais de vraiment accorder aussi le droit aux fonctionnaires francophones travaillant pour la reine de travailler dans leur langue. Pourquoi pas? La commission BB y faisait allusion; la commission BB proposait qu'au futur recensement on pose la question: Dans quelle langue travaillez-vous habituellement? La langue de travail. Cela n'a jamais été posé au recensement. Comme cela serait intéressant d'avoir ces données à notre disposition. On n'aurait pas besoin d'attendre le bon vouloir de telle ou telle officine gouvernementale à Ottawa pour pouvoir répondre à votre question, M. le député. On pourrait le faire nous-mêmes.

M. Payne: C'était le sens de ma dernière question en ce qui concerne la langue d'usage, la langue d'usage du foyer. Mais ce qui compte, c'est la langue d'usage au travail.

M. Castonguay: C'est certainement un élément indispensable à qui voudrait bien connaître la situation linguistique actuelle ou, encore, saisir son évolution, ce que tente de faire quand même le Conseil de la langue française en ce qui concerne la position du français et de l'anglais comme langue de travail au Québec, à partir de sondages. Évidemment, il n'y a pas de telles choses... Même les données du Conseil de la langue française en ce qui touche la petite population, relativement parlant, dans l'Outaouais, on ne peut s'en servir.

Le Président (M. French): M. le député de Mille-Îles.

M. Champagne: Dans un premier temps, je veux remercier M. Charles Castonguay de s'être présenté au nom de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais. Hier, nous avions, de la part d'un groupe d'anglophones de l'Estrie, une espèce de cri d'alarme. Nous entendons, ce matin, de la part de la région de la capitale nationale, particulièrement de Hull, aussi une espèce de cri d'alarme pour dire: Bien, enfin, on se pose des questions. La survie de la langue française. Tout dernièrement, le président du Conseil de la langue française, M. Michel Plourde, lançait aussi, je ne veux pas dire un cri d'alarme, mais disait que, même après dix ans depuis la constitution de son organisme, la situation du français au Québec en général et, à plus forte raison, à Hull, comme vous venez de le démontrer, demeure préoccupante. Et il ajoute qu'il n'est pas permis de conclure, en 1985, que le français est devenu la langue normale et habituelle de travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. C'est à cause de cela que, peut-être, beaucoup de Québécois pensent que, depuis que la loi 101 a été adoptée, on est en sécurité. On s'aperçoit que, année après année, la preuve est faite que la sécurité est "insécure", si vous me permettez l'expression.

Je vois ici une des recommandations de M. le président du Conseil de la langue française, qui dit qu'on devrait reconnaître, dans la constitution canadienne, le caractère distinct de la société québécoise. Tant qu'on ne reconnaîtra pas, de part et d'autre, è la fois au Québec - je pense que cela peut être assuré - et à Ottawa, le caractère distinct de la société québécoise... Je pense que de ne pas l'affirmer publiquement, carrément et clairement, cela ne fait pas avancer les choses. Je cite ici la conclusion d'un editorial de Michel Roy dans la Presse du 2 février 1985: "Mais cet idéal - celui du caractère distinct de la société québécoise -ne sera vraiment atteint que si les anglophones et les allophones reconnaissent la nécessité du caractère distinct de la société québécoise en vue d'assurer sa vitalité et son dynamisme. Les enquêtes indiquent que cette reconnaissance semble largement acquise. " Nous allons le souhaiter et faire en sorte que la langue française au Québec, éventuellement, soit dans une situation moins préoccupante que celle qu'on vit actuellement.

M. Castonguay, j'aurais une question à vous poser. Du fait d'avoir adopté la loi 101, du fait de son application dans le domaine scolaire, entre autres, du fait que les nouveaux immigrants aillent obligatoirement à l'école française, avez-vous pu constater que les écoles françaises ont été plus fréquentées par les allophones ou les anglophones, comme on a pu le constater à la Commission des écoles catholiques de Montréal ainsi que dans les commissions scolaires régionales de l'agglomération de Montréal? Quel est le résultat selon les statistiques du fait que la loi 101 soit appliquée au point de vue scolaire à Hull? Est-ce que cela a amené un renversement de la clientèle comme celui qu'on a connu à Montréal?

M. Castonguay: Quoique je ne suis pas de près le domaine linguistique,

personnellement - dans mes recherches, je m'en suis tenu pour l'essentiel à l'analyse des transferts linguistiques - mais je crois bien qu'effectivement, dans la région de l'Outaouais, la proportion de jeunes enfants scolarisés en français a augmenté, en tout cas, depuis cinq ans ou enfin depuis l'adoption de la loi 101 et que la proportion de jeunes du niveau élémentaire scolarisés en langue anglaise a baissé effectivement. Je ne peux vous donner davantage de renseignements que cela. Il y a sûrement des démographes au ministère de l'Éducation ou encore au Conseil de la langue française, pour qui c'est le boulot justement de suivre cela, qui peuvent vous confirmer ce fait. Notamment, je crois que, dans l'Outaouais, tout récemment, le démographe Michel Paillé, du Conseil de la langue française, a relevé qu'il y avait davantage d'enfants anglophones dans les écoles françaises qu'il y avait d'enfants francophones dans les écoles anglaises dans la région de l'Outaouais. Ce sont des renseignements datant - je ne me rappelle plus quelle année - peut-être de l'année scolaire 1981-1982, ou quelque chose du genre. (11 h 15)

Cela illustre l'intérêt, d'ailleurs, pour les anglophones de la région de la capitale du Canada de scolariser leurs enfants, d'obtenir une bonne formation en langue française. Plusieurs de ces enfants anglophones dans les écoles françaises de l'Outaouais n'étaient pas obligés d'être là. Ce n'était pas un résultat de la disposition proprement scolaire de la loi 101, mais probablement une perception plus générale de la part des parents de l'intérêt pour leurs enfants, au moins au niveau de l'école élémentaire, d'obtenir une scolarisation et une sorte de socialisation aussi avec des copains, des copines francophones pour leur avenir tant au Québec que pour leur avenir dans la région de la capitale fédérale où le bilinguisme est un atout. On parle chez nous comme nulle part ailleurs sûrement du parfait bilingue. C'est "in", c'est très "in" d'envoyer ses enfants à l'école française, même du côté d'Ottawa. Ce serait intéressant d'avoir des statistiques comparatives du genre pour Ottawa. Ce n'est pas impossible qu'il y ait davantage d'enfants anglophones en train d'être scolarisés en français à Ottawa que d'enfants francophones en train d'être scolarisés en anglais, je ne sais pas. Ce serait intéressant de regarder. En tout cas, il y a des milliers d'enfants anglophones du Ottawa School Board qui suivent des cours d'immersion en français.

M. Champagne: Je pense qu'il y a même une mode aujourd'hui dans certains milieux pour que les enfants puissent apprendre le français dans des écoles anglaises. J'ai entendu un témoignage d'un fonctionnaire d'Edmonton qui disait que, dans son quartier, 97% des parents anglophones avaient décidé qu'il y aurait enseignement du français de la première à la sixième année. C'étaient des classes d'immersion. Comme vous le dites, c'est "in", c'est à la mode. On sent ce mouvement. Cela peut être à la mode, mais cela ne fait pas en sorte que la langue du travail soit de plus en plus le français, par exemple. Dans les...

M. Castonguay: Cela ne semble pas être le cas à la fonction publique fédérale...

M. Champagne: C'est cela.

M. Castonguay:... parce que c'est sûrement pour les diplômés, ceux qui terminent leurs études à l'école anglaise, le principal employeur. On a énormément valorisé le bilinguisme dans les conditions d'embauche à la fonction publique fédérale depuis quinze ans. Donc, il y a sûrement davantage d'aptitudes. On n'a qu'à penser aux millions de dollars qui ont été dépensés, d'ailleurs, pour "bilinguiser" des adultes anglophones aux frais des contribuables en les envoyant ici à Québec pour un séjour d'un an, une année sabbatique pour apprendre le français, et ensuite reprendre leur poste à Ottawa. Quand ils sont de retour, constatant qu'ils perdent l'usage du français qu'ils avaient acquis pendant leur congé sabbatique à Québec, on leur donne des cours - je ne me rappelle pas trop bien comment cela s'appelle - mais il y a des professeurs particuliers affectés, notamment aux cadres, et qui font de la rétention, c'est-à-dire qu'ils rencontrent le "boss" et parlent le français pendant une ou deux heures par semaine avec lui, de façon qu'ils ne perdent pas l'acquis linguistique qu'ils ont obtenu pendant leur immersion en français. C'est vous dire à quel point ces anglophones bilingues - hélas! - n'utilisent pas le français comme langue de travail.

On peut aussi très certainement dire que, malgré les progrès - nous l'avons déjà dit dans notre mémoire - pour ce qui est de la scolarisation en français à Ottawa... Il n'y avait pas, par exemple, dans mon temps à Ottawa, d'écoles secondaires françaises. Il y avait l'Académie de LaSalle, il y avait le High School de l'Université d'Ottawa qui donnaient certaines matières en français. C'est nouveau, c'est relativement récent. Il y a même maintenant des écoles publiques élémentaires francophones à Ottawa, chose qui n'existait pas jusqu'à il y a trois ou quatre ans. La situation s'améliore constamment pour ce qui est de ce service qu'est l'éducation.

Le Président (M. French): Excusez-moi, M. Castonguay, question de fait.

M. Castonguay: Oui.

Le Président (M. French): Vous venez de dire qu'il n'existait pas, jusqu'à il y a trois ou quatre ans, des écoles publiques francophones à Ottawa?

M. Castonguay: Des écoles élémentaires. C'étaient des écoles séparées: Ottawa Separate School Board...

Le Président (M. French): Bon. C'était juste... À titre de contribuable, j'ai de la difficulté à distinguer entre les écoles séparées et les écoles catholiques.

M. Castonguay: D'accord. Toutes catholiques. C'est une autre province. C'est un autre régime, quoi! Tout récemment, ces écoles, qui n'étaient pas publiques, le deviennent parce que le gouvernement de l'Ontario va maintenant les financer, fait déjà ou fera davantage des écoles séparées. C'est un nouveau développement.

M. Champagne: Voici, M. Castonguay, peut-être une dernière observation ou une dernière question. Dans vos conclusions, vous vous adressez au gouvernement du Québec et paradoxalement, vous ne dites pas au gouvernement du Québec: Renforcez la loi 101 dans son application et le reste, vous dites, dans vos recommandations: que le gouvernement du Québec propose au gouvernement du Canada - et on fait toujours l'appui au gouvernement du Canada et dans différentes sphères - qu'il prenne position pour que la situation linguistique... C'est bien sûr que la capitale régionale va un peu plus dans le sens du français langue de travail. Vosu demandez que le gouvernement du Canada fasse en sorte que même dans le choix des ministères, on choisisse des ministères à caractère français. Vous mettez toute la balle dans le camp fédéral. Pourquoi n'êtes-vous pas venu dire ce matin quand même: Renforcez la loi 101? Je comprends bien que vous vivez à proximité d'Ottawa et vous faites comme si toute la situation était quand même sur le dos de la politique fédérale.

M. Castonguay: Aussi longtemps que la ville de Hull était une ville à caractère ouvrier francophone, il n'y avait pas de problème. Le problème est venu de ce "face lifting" qui a été effectué dans le centre-ville de Hull avec l'implantation vraiment absolument hors de toutes proportions d'édifices massifs et de populations fort nombreuses pendant les heures de travail qui a été effectué par le gouvernement canadien. Et du côté du Québec, je me rappelle avoir assisté, à la fin des années soixante, dans un sous-sol d'église, a une assemblée d'information de la part des édiles municipaux qui nous posaient la question suivante: Êtes-vous en faveur de la venue d'édifices fédéraux à Hull et du développement du caractère français de Hull? J'avais souligné à ce moment que voilà une réponse plutôt ambiguë. Ne serait-elle pas mieux scindée en deux? On traite là de deux choses fort différentes et on peut être en faveur de l'un sans être en faveur de l'autre et l'un ne va pas nécessairement avec l'autre.

Le gouvernement fédéral n'a jamais attaché d'importance à la menace qui pourrait naître au fait français du côté de Hull par la venue de ces gens nombreux au centre-ville et aussi, naturellement, leur choix éventuel de vouloir élire domicile, acheter une maison, louer un appartement à proximité de leur travail pour éviter les embouteillages sur les ponts aux heures de pointe. C'est tout à fait naturel. La géographie urbaine plaide en faveur d'un tel développement. Si je ne m'abuse, au moment où Jean Marchand a ouvert l'une des principales artères qui a charcuté le centre de la ville de Hull, le boulevard Maisonneuve, il a affirmé, lors de la coupure du ruban, en réponse à une question d'un journaliste, quant au problème que va créer toute cette rénovation urbaine pour la population francophone: C'est aux francophones maintenant d'apprendre à se défendre comme ils ont appris à le faire du côté ontarien. Ce n'est pas une réponse extrêmement responsable ou intéressée à l'épanouissement du fait français.

Le gouvernement du Québec - nous en sommes totalement conscients et reconnaissants au gouvernement - a, de façon temporaire, cherché à influer sur la situation linguistique en réagissant avec la "clause Québec" qui, pour nous, était un garde-fou, une sauvegarde ou un contrôle absolument indispensable et qui a agi, semble-t-il, efficacement pendant les années que cette clause a été en vigueur. Nous sommes conscients des critiques qui ont plu sur le gouvernement du Québec pour avoir adopté cette clause qui a été qualifiée de tous les noms. Sauf que dans l'Outaouais, cette clause était, et le demeure jusqu'à nouvel ordre, tout à fait justifiable et légitime en ce que le fait français dans l'Outaouais est en état que l'on pourrait qualifier de légitime défense. Il a été agressé par le gouvernement fédéral. Le gouvernement du Québec a essayé d'aider ce fait français dans l'Outaouais. Maintenant, l'ancien gouvernement fédéral, dans son acharnement, a abattu également ce contrôle. Il ne nous reste plus rien. C'est pourquoi nous sommes devant vous ce matin.

Les choses auraient pu se passer autrement si le gouvernement fédéral avait respecté le caractère francophone de la population québécoise dans la région de sa

capitale fédérale. Si le gouvernement fédéral avait, en même temps qu'il avait mis en chantier ces monuments de béton, affirmé et manifesté un intérêt ferme, éclairé et persistant à maintenir le caractère francophone du côté de l'Outaouais en affectant par exemple les ministères et les services les plus francophones, comptant la plus haute proportion de francophones, à ces édifices...

Un des premiers ministères à être situé à Hull a été le ministère de l'Environnement, è l'époque à 90% unilingue anglais. Ils parlent aujourd'hui encore d'envoyer le ministère de la Défense nationale à Hull - le ministère de la Défense nationale n'est pas celui où le français a la meilleure cote. On n'a qu'à lire encore là les rapports des commissaires aux langues officielles - dans l'édifice Louis-Saint-Laurent, qui va se construire à proximité du second boulevard principal, de la seconde artère commerciale principale de la ville de Hull, la seule qui est demeurée, pendant les heures de travail, une artère francophone, le boulevard Saint-Joseph. La rue principale, qui a été d'ailleurs rebaptisée Promenade du Portage, en vertu des Places du Portage, phase I, II, III et IV, que le gouvernement fédéral a construites, n'a pas perdu son nom mais a perdu son identité. C'est devenu maintenant la rue Rideau. C'est aussi simple que cela. Pendant les heures de travail, le midi, pendant les pauses, les cafés, les commerces et ainsi de suite... Le Steinberg où j'achetais déjà dans le vieux Hull, car j'ai vécu dans le vieux Hull pendant quinze ans, a été relocalisé dans Place du Portage, phase I, au sous-sol. Évidemment, les fonctionnaires, la clientèle étaient là. Ils n'avaient même pas à sortir pour s'approvisionner en yogourts, etc.

Après le déménagement du Steinberg, je me présente, j'achète, je passe à la caisse. On m'a demandé "fifteen dollars ninety five cents". La même fille qui m'avait servi pendant des années au Steinberg du vieux Hull, j'étais la même personne, j'avais peut-être l'air un peu plus anglophone ce matin-là, je ne sais pas, mais, spontanément, elle m'a adressé la parole en anglais. Pourquoi? Parce que le flot de clients est devenu majoritairement anglophone. C'est l'érosion. Je lui ai répondu: Eh bien, c'est moi. Regardez-moi. Là, on a continué l'échange en français par la suite mais cette transformation de la rue principale a été bouleversante. La rue Saint-Joseph risque d'y goûter également, si le gouvernement fédéral ne change pas son fusil d'épaule.

Le gouvernement fédéral, dès le développement préconisé du côté de Hull -on ne peut pas être contre du point de vue économique car c'est très intéressant pour la ville de Hull et ses résidents d'avoir cette prospérité - aurait pu faire des efforts pour maintenir et développer la personnalité et l'identité francophones du côté québécois. S'il l'avait fait, on n'aurait pas eu ce problème. On n'aurait peut-être pas eu besoin de la "clause Québec", par exemple, dans notre région. Cela pourrait être encore le cas. Si le gouvernement fédéral changeait son fusil d'épaule et disait: Bon, d'accord. On va maximiser la présence francophone du côté de Hull parce que la meilleure défense contre l'assimilation, c'est une concentration des effectifs de la minorité... Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Richard Joy qui l'a dit en 1967. Tous les démographes, démolinguistiques, apprentis et professionnels le répètent. Depuis, cela tombe sous le bon sens, pour une minorité assiégée, la meilleure façon de se donner des forces et de résister le moindrement, c'est de se regrouper; plus on est éparpillé, plus on est vulnérable.

(11 h 30)

Le gouvernement fédéral pourrait aussi promouvoir le français à l'intérieur de ses édifices de façon beaucoup plus forte qu'il n'ose le faire actuellement et du côté d'Ottawa. À ce moment-là, un anglophone du côté d'Ottawa qui regarderait la ville de Hull et penserait à aller vivre du côté de Hull se dirait: Bon, cela veut dire probablement que je vais aller travailler en français avec un paquet de francophones et quand mes enfants auront fini leur scolarisation, ils vont faire de même. Je ferais aussi bien de déménager là-bas et d'envoyer mes enfants à l'école française. C'est déjà un réflexe qui est présent et qu'on ne me dise pas qu'il y a là matière à discrimination.

S'il y a des anglophones qui viennent, par exemple, de Toronto, s'il y en a qui sont à Ottawa, ils peuvent rester où ils sont; s'ils veulent venir à Hull, qu'ils viennent, mais qu'ils fonctionnent en français. S'il y en a qui viennent de Toronto pour prendre un emploi à la fonction publique fédérale, ils ont l'embarras du choix. Il y a Rothwell Heights, Elmville Acres, Weston, Kanata, Rockliffe, la ville d'Ottawa, la ville de Vanier, il y a plein de quartiers très accueillants et très intéressants du côté d'Ottawa et ils peuvent vivre comme s'ils étaient en Ontario. Mais il devrait y avoir une différenciation entre les deux rives de l'Outaouais de sorte qu'un anglophone qui vient du côté de Hull peut s'attendre que son comportement soit francophone, soit influencé par cette différence culturelle qu'il y a entre le Québec et le Canada anglais.

Si le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec s'accordaient sur cette façon de faire, il n'y aurait probablement pas besoin de la loi 101, de la "clause Québec". Peut-être même pas de la loi 101, je ne sais pas. Il faut bien constater que depuis l'adoption de la loi 101, le gouvernement fédéral a alimenté la contestation de maints articles de cette loi

et a contribué, je crois très efficacement, à affaiblir et même à anéantir complètement tout effet que la loi 101 aurait pu avoir sur le plan des transferts linguistiques. Quand on est obligé, en maugréant, de faire scolariser ses enfants dans une langue, on dit: D'accord, une fois sortis du secondaire, on va voir; on va les envoyer au cégep anglophone et à une université anglophone. Et c'est ce qui se passe.

Quant à ces enfants, la langue qu'ils vont choisir comme langue d'usage ou langue de travail, ce n'est pas le gouvernement qui va venir se mettre les pieds dans l'entreprise ou encore moins dans l'intimité du foyer. L'évolution souhaitée des transferts linguistiques au foyer, par exemple, en faveur du français ne s'est pas matérialisée justement parce que les deux gouvernements ont été à couteaux tirés. S'il y a maintenant une nouvelle atmosphère de collaboration, c'est fort bienvenu et cela pourrait enfin porter certains fruits positifs pour le fait français au Québec qui, encore au dernier recensement, n'est pas en meilleure position qu'en 1971.

Pour ce qui est de la langue de travail, il faut se fier aux sondages du Conseil de la langue française qui montrent qu'il y a une légère amélioration. Il faut dire aussi qu'il y a moins d'anglophones sur le marché du travail parce qu'il y a malheureusement une fraction d'anglophones qui ont quitté le Québec pour toutes sortes de raisons.

Pourquoi perçoit-on le problème comme étant avec le gouvernement du Canada? Je crois avoir répondu à votre question. Mais on s'adresse aujourd'hui au gouvernement du Québec parce que, jusqu'à maintenant, c'était une fin de non-recevoir, sauf, par exemple, de la part de personnes dégagées de responsabilités politiques à Ottawa tel Douglas Fullerton, par exemple, ancien président de la Commission de la capitale nationale, fin des années soixante, début des années soixante-dix, qui a donc présidé à ce bouleversement. Après coup, le gouvernement Trudeau lui a demandé, en tant que président sortant de cette commission, de faire une enquête sur le fonctionnement de la Commission de la capitale nationale et même sur l'aménagement, l'avenir d'Ottawa-Hull. Dans son rapport, Douglas Fullerton a en quelque sorte avoué ses erreurs ainsi que les erreurs de ses collègues, ses planificateurs.

Dans son rapport, on trouve un principe nouveau, un principe de concentration raisonnable et je cite: "II consiste, en gros, à promouvoir le regroupement des francophones à l'intérieur d'enclaves, dans la mesure où c'est pratique. Le principe de concentration raisonnable risque de paraître rébarbatif à première vue. On y verra l'érection de murailles là où l'on tente de les démolir. À cela, je rétorquerai - c'est Fullerton toujours qui parle - que l'édification de la compréhension mutuelle entre les cultures n'est possible que si les parties éprouvent un sentiment de sécurité quant à leur propre identité; que ce n'est que lorsqu'une communauté ne craint plus rien qu'elle peut s'épanouir et que la concentration ou le regroupement représente le meilleur moyen qu'on ait trouvé jusqu'ici de contrer l'assimilation. " Cette citation provient de la capitale du Canada, c'est le titre de son rapport "Comment l'administrer" publié par Information Canada, Ottawa, 1974.

II y a quand même des gens qui ont eu directement à faire avec les développements, comme M. Fullerton, qui ont l'objectivité et le courage d'avouer qu'il y a eu erreur et d'avouer que la solution était pourtant là. C'est la concentration des effectifs de façon à résister le mieux possible dans la région de la capitale du pays à l'anglicisation. Ce concept n'a pas été suivi.

Le Président (M. French): M.

Castonguay, vous avez abordé quelques phénomènes extrêmement intéressants et multidimensionnels et vous avez bien fait ressortir toute une série de considérations. C'est regrettable mais nous n'avons plus de temps. J'aurais voulu poursuivre combien de pistes que vous nous avez ouvertes et je suis convaincu que mes collègues auraient aimé faire pareil mais malheureusement nous avons un autre intervenant.

Il me reste à vous remercier. Vous avez témoigné avec beaucoup d'émotion ainsi qu'avec beaucoup de connaissances. Nous apprécions au plus haut point votre présence et la contribution de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais à nos délibérations. Merci beaucoup.

M. Castonguay: Merci.

M. Jacques Henripin

Le Président (M. French): Je voudrais demander à M. Jacques Henripin de prendre place. Bienvenue, M. Henripin. Je voudrais tout d'abord vous dire, de la part de la commission, comment nous regrettons votre déplacement de novembre qui n'a pas été, pour les raisons que vous connaissez aussi bien que nous, aussi fructueux qu'on l'aurait voulu. Encore une fois, nos excuses.

Je pense que vous n'êtes pas étranger au genre de procédure qu'on suit. À vous de nos présenter votre mémoire. Je pense que nous serons par la suite très intéressés à vous poser des questions.

M. Henripin (Jacques): Merci, M. le Président. Je vais être bref pour la présentation de mon mémoire. J'ai abordé là-dedans, en gros, trois questions: le problème du solde migratoire de la province de Québec, le redressement de la natalité et les

ajustements au vieillissement de la population.

Le Québec se trouve - cela a été bien marqué dans un livre de quelqu'un qui est près de vous, je pense, M. Matthews - dans une situation doublement périlleuse par rapport aux autres pays occidentaux. D'une part, sa natalité a beaucoup baissé, ce qui est partagé par les autres, mais, d'autre part, il souffre également d'une saignée dans ses échanges en particulier avec les autres provinces. Cela explique la faible vigueur démographique du Québec par rapport au reste du Canada.

Ce que j'ai voulu faire remarquer, ce que j'avais à dire là-dessus, c'est très court. Je n'ai pas de recette pour réparer les dégâts. J'ai voulu simplement attirer l'attention des membres de la commission sur le fait que ceux qui s'en vont, ce sont surtout des anglophones et des allophones et que si on voulait essayer de réduire cette saignée-là, c'est à ceux-là qu'il faudrait s'intéresser.

Je ne sais pas comment on peut leur rendre la vie plus agréable au Québec, les convaincre d'y rester davantage, en particulier les jeunes, parce qu'on sait qu'à peu près 25% des jeunes anglophones quittent le Québec en l'espace de cinq ans à peu près, du moins c'est ce qui s'est passé entre 1976 et 1981. Je ne sais pas bien ce qu'il faudrait faire pour leur rendre la vie plus confortable mais peut-être faudrait-il leur demander et les écouter un peu. Je ne dirai pas autre chose là-dessus, ce n'est pas le problème qui m'a davantage retenu.

L'autre maladie du Québec qu'il partage avec les autres et les occidentaux, c'est la faiblesse de sa fécondité. Il est clair dans mon esprit qu'il faut essayer de redresser les choses. Je ne dis pas que la situation est déjà dramatique et que, dès demain, il faut se hâter de mettre sur pied des mesures tendant à favoriser la fécondité, mais je pense, par ailleurs, qu'il est grand temps de s'en préoccuper et de voir un peu ce qu'on pourrait faire si jamais les choses perdurent. On n'est pas sûr que les choses vont perdurer. Là-dessus, les avis sont partagés. Les chances sont peut-être un peu minces, mais il se pourrait qu'il y ait une espèce de redressement un peu spontané de la fécondité et je ne pense pas qu'il soit très considérable de toute façon. Mais, enfin, ce n'est pas une chose qu'on peut exclure complètement. Si jamais cette faible fécondité devait perdurer, je pense qu'il est grand temps, dès aujourd'hui cependant, de voir un peu ce qu'on pourrait faire pour lui donner un peu plus de vigueur.

Là-dessus, il y a toute une panoplie de mesures qui ont déjà été prises par un grand nombre de pays, surtout des pays d'Europe de l'Est et la France, en vue de redresser cette natalité. Je ne m'attarderai pas sur ces mesures. Elles sont abondamment décrites dans beaucoup de travaux. Ce sur quoi je voudrais attirer l'attention des membres de la commission, c'est que, d'une part, elles coûtent très cher. Ce n'est pas une raison pour ne pas les appliquer, à remarquer. Je pense qu'il est peut-être aussi important pour une société de s'assurer qu'elle va se maintenir dans l'avenir que d'assurer sa défense. Or, on est loin, je crois, de consacrer autant de ressources au maintien de l'essentiel de la société, c'est-à-dire sa population. On est loin d'y consacrer autant de ressources qu'on en consacre à la défense nationale.

Je signale que cela coûte cher. Ce n'est pas pour vouloir signifier qu'on doit s'en abstenir pour autant. J'ai bien l'impression que nous entrons dans une ère où, contrairement à tout ce qui s'était produit dans le passé, les adultes ne feront plus à peu près gratuitement des enfants pour la société à laquelle ils appartiennent. Il va falloir en payer le prix. Il vaut mieux qu'on s'y habitue, je pense, parce que du train où vont les choses, c'est comme ça que cela a l'air de se placer. Il faut se faire à l'idée que tout cela va coûter très cher.

Il y a un autre aspect de ces mesures qui doit être signalé également. C'est qu'on n'est pas sûr qu'elles soient vraiment très efficaces. Je ne dis pas pour autant qu'on est sûr qu'elles ne le sont pas. On est un peu dans le brouillard. On a de multiples exemples des pays d'Europe de l'Est qui ont appliqué, depuis un bon nombre d'années, des mesures natalistes, très ouvertement d'ailleurs, et c'est une des caractéristiques de ces mesures. C'est que les gouvernements en question n'ont pas caché leurs couleurs et je pense que, par rapport à cette situation-là, nous en sommes loin quand je vois que, dans le livre dit vert sur la famille, on n'ose même pas parler d'un redressement de la natalité. Cela me scandalise. Donc, on a une pudeur, ici dans ce milieu, absolument extraordinaire à l'égard de tout ce qui a l'air de vouloir peut-être mettre la fécondité à flot.

Dans les pays que j'ai mentionnés et les pays d'Europe de l'Est - c'est le même cas pour la France - les gouvernements se prononcent ouvertement pour une politique de redressement de la fécondité. On n'en a pas honte. C'est un premier coup psychologique peut-être à supporter. Malgré tout cela, ce qui a surtout été observé dans les pays d'Europe de l'Est, si j'ai bien lu les comptes rendus que les gens de ces pays-là en ont faits, c'est, à la suite d'une mesure importante nouvelle de redressement de la fécondité, une espèce de flambée de naissances, et puis une rechute progressive, de sorte qu'il faut sans cesse revenir avec une nouvelle mesure pour redresser les choses. Je ne dis pas que cela n'a pas

d'effet fondamental. On n'a jamais pu le démontrer d'une façon vraiment tout à fait satisfaisante, l'effet à long terme. Il y a des effets à court terme. L'effet à long terme n'a pas pu être démontré. Malgré tout cela, il reste que, si on regarde la France, qui est un pays quand même plus proche du nôtre, il est quand même remarquable que ce pays, par rapport à ses voisins, a réussi à maintenir une fécondité qui n'est certes pas suffisante pour assurer le remplacement de ses générations, mais quand même elle est un peu plus vigoureuse que celle des pays voisins. On ne peut en faire une preuve mathématique mais c'est tout de même probablement dans une bonne mesure le résultat des politiques natalistes qui ont été appliquées par la France depuis plusieurs années. (11 h 45)

II y a ces mesures classiques auxquelles tout le monde pense quand on parle de redressement de la natalité. J'ai bien l'impression que le problème est plus fondamental que cela. Je crois que même si ces mesures pouvaient apporter un allégement au problème, il reste que, fondamentalement, il va être bien difficile de convaincre les jeunes adultes d'avoir trois enfants au moins pour la majorité d'entre eux parce que c'est ce qu'il faut arriver à réaliser. Il faut que la majorité des jeunes adultes aient trois enfants. Il va être bien difficile de les convaincre d'avoir une telle performance s'ils continuent à faire face à la situation dans laquelle ils sont en ce moment.

Je pense que si on n'arrive pas à donner aux jeunes adultes des perspectives un peu plus encourageantes quant au déroulement de leur vie au cours des dix ou quinze prochaines années, on pourra s'amuser longtemps à appliquer toutes sortes de mesures, je ne pense pas que ce sera très efficace.

Cela met en cause bien plus que les mesures classiques de redressement de la natalité comme les allocations familiales, les congés de maternité, etc, toutes mesures qui me paraissent tout à fait justifiées, ne serait-ce que sur un plan social. En fait, cela met en cause un peu toute l'organisation de la société et deux de ses secteurs importants: le secteur de l'éducation et le secteur du monde du travail.

Je pense que... Je ne pourrai vous démontrer cela. Je lis les journaux comme tout le monde et j'en tire mes leçons personnelles. L'intuition que j'ai de tout cela c'est que nos écoles forment assez mal une grande partie des jeunes. Je ne dis pas tous mais une grande partie des jeunes. On commence à oser parler de la qualité du français. J'enseigne dans une université. Cela fait plusieurs années que je constate qu'à peu près un quart des étudiants ne maîtrisent pas suffisamment leur langue pour pouvoir construire un raisonnement à peu près correct. Ils n'ont pas l'outil pour penser. C'est le résultat de nos écoles. Je pense qu'il y a beaucoup d'ordre à mettre là-dedans.

L'autre grand pan de l'organisation sociale qui est aussi en cause dans l'éventualité d'une tentative de redresser la natalité, c'est d'enlever - je présenterai les choses un peu comme cela peut-être en caricaturant un peu - aux détenteurs du pouvoir sur le marché du travail cette espèce d'appropriation qu'ils se sont donnée. Il me semble clair que, dans bien des cas, les syndicats se sont approprié le domaine sur lequel ils ont une autorité sans trop se soucier de ceux qui sont à l'extérieur de leur domaine. Cela met en cause énormément de choses.

Je n'ai pas la compétence pour suggérer des solutions à cela mais j'ai l'impression que tant qu'on assistera à un marché du travail, qu'on vivra dans un marché du travail où de grands morceaux sont dominés par des syndicats ou des centrales syndicales qui ont aussi peu de souci pour le bien-être de ceux qui ne font pas partie de leur clientèle, j'ai l'impression qu'il y aura longtemps des laissés pour compte et en particulier des jeunes qui n'arriveront pas à s'y insérer. Je ne dis pas que c'est là le seul vice au fonctionnement de notre système économique mais celui-là me frappe particulièrement.

Il reste un dernier point que j'ai abordé très rapidement dans mon texte, c'est celui du vieillissement. Nous n'avons pas le choix, il va se produire plus ou moins rapidement selon le niveau de la fécondité. Il va se produire de toute façon. Là, on n'a pas le choix de l'éviter ou non. On doit essayer d'y faire face le mieux possible. Ce vieillissement va entraîner - et c'est peut-être l'aspect de ce vieillissement qui est le plus clair, le plus net parce qu'on peut mesurer les choses - autour de l'an 2010 ou 2020 -on mange notre bon pain pour l'instant, notre pain blanc parce que ce vieillissement ne nous a pas beaucoup affectés mais il va prendre une proportion considérable dans 20 ou 25 ans. À ce moment-là, on va avoir à faire face à une augmentation des coûts énormes quant à l'entretien des personnes âgées. Il faut essayer de réduire ces coûts. Il y a sans doute plusieurs façons de le faire. L'une, qui me paraît assez à contre-courant par rapport à l'opinion la plus répandue en ce moment, mais qui est peut-être essentielle à la solution de ce problème, c'est d'essayer de repousser un peu l'âge de la retraite, c'est-à-dire de maintenir en activité au moins partielle, du moins pour ceux qui le désirent, les travailleurs qui seraient prêts à poursuivre leur activité après 65 ans ou 70 ans. On a insisté sur

cette question avec des réclamations absolument irresponsables, sans aucune considération pour les coûts que cela pouvait entraîner à propos de l'âge de la retraite qu'on a souhaité voir s'établir à 60 ans, voire à 55 ans. Je trouve que c'est complètement irresponsable et que, finalement, si on se lançait dans une aventure semblable, ceux qui paieront les pots cassés, ce sont les vieillards de l'an 2010 ou 2020 et par la suite.

Je pense qu'il y a beaucoup d'ajustements à faire. Cela suppose évidemment un ajustement du monde du travail. C'est sûr qu'on ne peut pas demander à un travailleur de 70 ans de faire le même travail que quelqu'un qui en a 40. Il y a un ajustement du monde du travail -il y a probablement plusieurs facettes; je ne suis pas un spécialiste de la question - qui devrait se réaliser si vraiment on veut être accueillant pour les personnes âgées qui désirent poursuivre leur activité économique un peu plus longtemps que ce qui se fait maintenant.

Du même coup, j'y verrais d'autres avantages. Un assouplissement du marché du travail, je pense que cela permettrait probablement plus facilement de faire une place aux femmes et aux jeunes. Encore là, on retrouve la domination de ce monde par les adultes masculins qui l'ont organisé en fonction de leurs propres besoins, de leurs propres désirs et qui se sont assez peu souciés des conditions dans lesquelles les autres groupes devaient essayer de s'ajuster pour essayer d'entrer dans ce marché.

Voilà l'essentiel de ce que j'avais à vous dire. Mon message, en résumant ce que je voulais surtout dire à la commission, c'est qu'on devrait pratiquer une politique de population en ce qui touche le vieillissement de la population, la hausse de la fécondité. C'est une chose beaucoup plus compliquée que cela en a l'air au point de départ. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. French): Je vous remercie de la part des membres de la commission, M. Henripin. J'ai une demande d'intervention de la part du député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci. Mes premiers mots seront des mots de bienvenue et de remerciements à l'égard de M. Henripin, qui vient nous donner son point de vue sur sa vision des problèmes démographiques auxquels le Québec a à faire face. Une première partie du court exposé que vous nous présentez, M. Henripin, porte sur le solde migratoire qui, finalement, constitue une saignée constante pour le Québec dans le sens qu'il y a plus de gens qui sortent du Québec, actuellement, qu'il y en a qui y entrent. Hier, d'autres groupes de personnes sont venus devant nous qui ont soumis quelques chiffres à notre attention, ce qui nous a permis d'établir, à ce moment-là, selon les événements, selon les évaluations qu'elles avaient faites, que le solde migratoire net interprovincial au Québec, pour les années qui se sont écoulées entre 1976 et 1981, a été de l'ordre de 156 000 personnes. Les chiffres soumis pour l'année 1981-1982 étaient de 25 000 personnes et, après, de 24 000 personnes. Des chiffres préalables semblaient indiquer 19 000 ou 20 000 personnes pour l'année 1983-1984. En même temps, dans votre mémoire, M. Henripin, vous établissez clairement qu'à la source, ces départs du Québec sont des anglophones et des allophones. Pourriez-vous nous dire si des vérifications ont été faites quant à la provenance de ces gens qui quittent le Québec? L'affirmation que vous faites ici dans votre mémoire est basée sur quelle vérification?

M. Henripin: Ce sont des phénomènes sur lesquels à peu près tout le monde s'entend, qui sont établis très clairement et de façon très sûre, grâce à une question qu'on pose lors du recensement. On demande simplement aux gens: Où habitiez-vous cinq ans auparavant? On peut, avec une question comme celle-là, comparer la région où la personne habitait cinq ans auparavant et la région où elle habite au moment du recensement et voir un peu si elle a changé de province, par exemple. Comme on a, par le même recensement, des tas de caractéristiques dont la langue en particulier, soit la langue maternelle, soit la langue d'usage, il est facile de classer tout cela suivant la langue des gens. Pour ce qui est des migrations interprovinciales, ce sont là des informations relativement sûres. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'erreurs, mais enfin, elles sont relativement bien établies. Il y a peu de discussion, à ma connaissance, en tout cas sur cela. Il y en a sur les échanges migratoires entre le Québec et les pays étrangers, parce qu'on n'a pas de renseignements directs sur ceux qui sortent du Québec pour aller dans un autre pays. Ils n'annoncent cela à personne. Alors, on peut se bagarrer un peu sur les estimations et on est tenu de faire des hypothèses là-dessus, mais pour les courants interprovinciaux, il n'y a pas de... Non, c'est tout à fait simple, ce sont des informations qu'on a quasiment à l'état brut si on fait les bons tableaux avec les informations du recensement.

M. Doyon: Ce sont des informations extrêmement intéressantes qui nous éclairent sur le phénomème lui-même. Hier, mon collègue de Mille-Îles se réjouissait de voir qu'il y avait, semble-t-il, une diminution. Il établissait à 30 000 la moyenne pour les années 1976 à 1981, voyait que cela

descendait à 25 000, 24 000, 22 000, 20 000 et tentait d'y voir là une stabilisation du phénomène migratoire à l'extérieur du Québec. M. Henripin, compte tenu de l'identification qu'on fait de la source de ce mouvement migratoire, ne serait-il pas plus juste de voir dans la diminution de ce solde migratoire le fait que le potentiel de migrants a rapetissé...

M. Henripin: Oui.

M. Doyon:... que le bassin rapetisse, compte tenu que le nombre d'anglophones diminue, le nombre des allophones aussi proportionnellement, et que ce serait là une des explications qu'on pourrait retenir, en tout cas à première vue, sur cette diminution qui, hier, réjouissait au plus haut point mon collègue de Mille-Îles?

M. Henripin: C'est certainement une explication au moins partielle. C'est sûr que, pour employer votre expression, le potentiel de migrants anglophones se réduit au Québec, puisqu'en nombre absolu, les anglophones deviennent de moins en moins nombreux, non seulement en proportion mais aussi en nombre absolu. C'est sûr qu'à propension égale à quitter le Québec, il va y en avoir de moins en moins en nombre absolu. Est-ce que c'est la seule explication? Je ne sais pas. Il faudrait attendre le recensement de 1986 pour être éclairés là-dessus, pour savoir si, en termes de taux, par exemple, cela s'est maintenu ou non. Il me paraît clair qu'il y a eu une flambée de sorties d'anglophones et d'allophones aussi. On les oublie souvent, mais ils sortent beaucoup aussi, les allophones du Québec. Ils sortent moins que les anglophones, mais enfin, il y a quand même une perte en termes de proportions beaucoup plus importante que l'émigration nette des francophones, par exemple. Il y a certainement eu une flambée qui a été liée à l'avènement du Parti québécois et de la loi 101. Je pense qu'il y a eu un petit excédent de gens qui sont partis un peu parce qu'il y avait un peu d'agitation politique. Ils ne se sentaient pas à l'aise, etc. Cela s'est probablement un peu calmé depuis, mais il reste quand même que la propension... Vous savez, comme ordre de grandeur, pendant les trois derniers lustres, les trois dernières périodes de cinq ans qui ont précédé le recensement de 1981, c'est-à-dire entre 1966 et 1981, c'est, à chaque coup, 15% des anglophones qui avaient quitté le Québec tous les cinq ans. C'est énorme.

Enfin, puisqu'on parle de cela, la crainte de voir les anglophones du Québec manger les francophones, cela me paraît loin des perspectives qu'on peut faire d'une façon un peu raisonnable aujourd'hui. Ce qui risque d'arriver à la fraction des anglophones au Québec, c'est qu'elle sera passée d'à peu près 15% en 1971 à 10% en 2000, avec probablement une réduction des nombres absolus aussi. Je pense qu'il faut en revenir de nos craintes, que j'ai partagées d'ailleurs. J'ai été l'un des premiers, peut-être, dans mes études à attacher le grelot à propos de cette histoire, pour une raison fort simple: c'est qu'on était à ce moment-là très mal renseigné sur les courants migratoires interprovinciaux par langue. On ne les connaissait pas. On faisait des hypothèses raisonnables là-dessus. On n'imaginait pas que c'était aussi défavorable aux anglophones, de sorte que les perspectives qu'on a faites avant 1977 étaient, chez tous les auteurs que je connais, plutôt alarmistes. On disait: Attention, on risque de diminuer, etc. Puis est arrivée une nouvelle information que personne ne soupçonnait et l'attitude normale d'un scientifique, c'est de dire: nouvelle information, nouveaux calculs. Nouveaux calculs, résultat différent. J'ai changé d'idée sur cette question. On me l'a reproché, d'ailleurs. Je suis très fier parce que je trouve que c'est la caractéristique d'un homme de science que d'être esclave des faits. (12 heures)

M. Doyon: Oui, je pense que c'est extrêmement intéressant, extrêmement important, les renseignements que vous nous fournissez actuellement, M. Henripin. Il est bien sûr que politiquement, parfois, il peut être avantageux, pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas à insister, de brandir l'épouvantail de la minorisation francophone au Québec, etc., et de l'empiétement anglophone, mais comme vous le dites, à l'examen des chiffres, à l'examen des statistiques, on a une autre vue des choses. Je vous remercie de profiter de votre passage ici pour le souligner. On a parfois besoin de gens qui, comme vous, sont des scientifiques pour cesser de réagir purement émotionnellement et d'avoir au moins des prises de position qui sont basées sur des faits vérifiables scientifiquement, ce que vous nous fournissez aujourd'hui.

Il est intéressant de poursuivre le raisonnement que vous faites où vous faites état des besoins que vous envisagez pour qu'il y ait véritablement un redressement de la natalité au Québec. C'est une situation sérieuse et vous nous expliquez que l'augmentation de la fécondité féminine tient en des facteurs qui sont autres, qui peuvent aller au-delà de politiques purement natalistes, qui peuvent avoir des effets immédiats, des effets peut-être quantifiables à courte échéance, mais à long terme, il faut aller au-delà et c'est dans ce sens, M. Henripin, que j'aimerais que vous détailliez, parce que vous recoupez des renseignements qui nous ont été fournis hier par le Groupe de travail canadien sur la population où on liait l'augmentation de la fécondité chez les

couples à une amélioration de toute la situation économique, de toute la situation environnementale, sociale, culturelle, de bien-être général qui entoure une famille, qui entoure un couple et que la décision d'avoir des enfants est reliée de beaucoup plus près qu'on ne le croit, à première vue, à une situation d'ensemble, à une société qui est bien dans sa peau, comme on pourrait dire et où les perspectives d'avenir sont rassurantes. Est-ce que vous pourriez nous expliquer comment vous en venez à une conclusion semblable qui rejoint, finalement, celle que nous faisait M. Charles Nobbé, coordonnateur et consultant sur la population du GTCP, qu'on a eu hier avec nous.

M. Henripin: J'imagine que M. Nobbé faisait allusion à une théorie absolument fascinante qui a cours en ce moment, qui est la théorie dite Easterlin qui ne fait pas l'affaire de tout le monde, mais qui, du moins pour ce qui est de l'explication du passé, à l'air de tenir debout, c'est-à-dire l'explication du "baby boom" suivi d'une chute de la natalité. Il semble bien, en tout cas, qu'il y a un lien très étroit entre le confort - appelons cela comme ça - des jeunes adultes, d'une part, et l'intensité de leur procréation. Cela me paraît, à moi, assez bien expliquer ce qui s'est passé depuis 40 ans. Le problème, c'est de savoir si cela va encore expliquer les années qui viennent? On peut penser que dans une certaine mesure, certes, mais il ne faut pas négliger quand même des concurrents très sérieux qui se développent par rapport aux enfants, c'est-à-dire les besoins qu'éprouvent les jeunes adultes qui sont en concurrence très marquée par rapport aux enfants. Il y a, d'une part, le travail des femmes. Il se trouve qu'au début du "baby boom", les jeunes femmes ont consenti dans une très large mesure à rester chez elles pour élever les enfants parce que la situation économique de leur mari permettait ce choix sans trop de dommages. Lorsque la situation économique relative des jeunes adultes est devenue un peu moins bonne, les jeunes femmes ont pénétré sur le marché du travail d'une façon beaucoup plus intense. Pour d'autres raisons aussi, peut-être pas seulement parce que leur mari gagnait un peu moins qu'autrefois, mais enfin, pour d'autres raisons. Nous sommes maintenant dans une société où la majorité, je pense, des femmes mariées travaillent. Est-ce qu'elles vont consentir à sacrifier trois ou quatre ans de plus de leur vie affective pour faire un enfant de plus? Cela me permet d'attirer votre attention sur une argumentation qui est présentée parfois d'une façon très simpliste par certains groupes de pression. On a souvent tendance à opposer femme de carrière d'une part et mère de famille restant chez elle toute sa vie d'autre part. En fait, le véritable choix sera porté sur le nombre d'années qu'une femme devra, ou un homme peut-être aussi, mais, enfin, que l'un des deux parents, disons, et je pense bien que dans la mentalité actuelle ce sera encore le lot des femmes pour la grande majorité des cas, mais le problème pour elles sera de savoir combien d'années elles seront consentantes à sacrifier plus ou moins pour pouvoir élever leurs jeunes enfants.

Si elles en ont deux et qu'elles décident de les élever elles-mêmes jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école, elles sacrifient huit ou neuf ans de leur vie active en sacrifice partiel ou en sacrifice complet, je ne sais pas, car il y a toutes sortes d'ajustements possibles. Il en reste tout de même 30 ou 35. Ce n'est pas un sacrifice complet.

Consentir à avoir un troisième enfant, c'est allonger cette période de trois ou quatre ans. Évidemment, c'est aussi supporter un fardeau un petit peu plus lourd après que les enfants sont à l'école parce qu'il faut tout de même s'en occuper, même s'ils sont à l'école. Enfin, il me paraît un peu exagéré de présenter le problème comme en étant un de choix entre rester à la maison toute sa vie ou travailler toute sa vie. Il y a des ajustements possibles et je pense que c'est le rôle de la société, le rôle du gouvernement d'essayer de réduire le plus possible cette concurrence entre le besoin qu'ont les femmes de travailler à l'extérieur de leur foyer et le besoin qu'a la société d'avoir trois enfants au lieu de deux.

Je pense que non seulement le gouvernement doit travailler à cela mais que le monde du travail doit aussi travailler à cela en essayant de diffuser le plus possible différentes formes de souplesse dans l'organisation du travail, pas seulement pour les femmes d'ailleurs mais aussi pour les hommes. Il n'y a rien d'écrit au ciel disant que ce sont exclusivement les femmes qui doivent toujours s'occuper de leurs enfants. Les hommes pourraient peut-être y faire quelque chose aussi, de sorte qu'on pourrait très bien offrir aux deux sexes des régimes de travail souples. Cela se dessine un peu mais ce n'est pas très marqué.

D'autres concurrents aux enfants, il y en a toute une kyrielle et ce sont des besoins qui, autrefois, étaient quasiment inimaginables et qui, aujourd'hui, sont à la portée des gens comme d'avoir deux automobiles, d'avoir une maison à la campagne, d'aller faire des voyages une ou deux fois par année dans les pays étrangers pour prendre des vacances, etc. Ces choses-là sont devenues, à mon avis - et on pourrait allonger la liste: manger au restaurant plutôt que de manger chez-soi et des tas de trucs comme cela - concurrentes aux enfants en termes de liberté et en termes purement pécuniaires. Je pense que ce sont des concurrents de plus en plus

sérieux. Il va falloir aussi affronter ces concurrents-là.

Tout cela pour vous dire que ce qui semble bien avoir été une explication bonne et simple pour les 40 dernières années, sera peut-être moins bon et moins simple pour les prochaines. Je pense qu'il est fondamental et nécessaire d'améliorer le sort des jeunes adultes. Il. faut aussi, je crois, introduire dans l'organisation de notre société des nouvelles formes qui permettent en même temps d'éduquer les enfants et d'entretenir une activité professionnelle extérieure au foyer. Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire dans cette direction-là.

M. Doyon: Hier, des personnes qui ont comparu devant nous, à la suite des questions qu'on leur posait, nous ont affirmé quelque chose qui m'a un peu surpris à première vue. On parlait des raisons qui faisaient que des femmes avaient moins d'enfants et quand on demandait leur raison à ces femmes, elles invoquaient très souvent la raison économique, que cela coûtait cher d'avoir des enfants, de les élever, de les habiller, etc. C'était la raison souvent apportée. Les intervenants qui étaient devant nous disaient: II s'agit d'une raison qui semble avoir plus ou moins de valeur parce que l'impact économique est difficilement évaluable. Finalement, quand les gens veulent avoir des enfants, ils en ont. On disait, au-delà de cela, qu'il n'est pas sûr que le fait d'avoir un enfant maintenant, en 1984 ou en 1985, soit un fardeau économique plus lourd que de l'avoir eu il y a 30, 40, 50 ou 60 ans, où on en avait sept, huit, neuf ou dix. La famille devait s'ajuster et les gens qui étaient devant nous nous disaient: II n'y a rien qui nous dit que le fardeau économique d'avoir des enfants à ce moment-là était proportionnellement plus lourd qu'il ne l'est actuellement. Cela m'a un peu surpris, dans le sens de ce que vous nous dites actuellement, que les compétiteurs des enfants à ce moment-là n'existaient pas ou étaient très peu présents. On ne pensait pas d'aller en Floride tous les ans, on ne pensait pas aux vacances de ski, on ne pensait pas à une deuxième maison de campagne, on ne pensait pas aux études universitaires, on arrêtait en quatrième année, quand on s'y rendait, et on avait hâte que le fils ou la fille s'occupe de la maison, s'occupe des champs, très souvent, dans une société qui était en grande partie agricole.

L'affirmation que des personnes nous ont faite hier m'a un peu surpris. Il m'apparaît que l'argument économique a probablement plus de valeur que cela nous a été présenté hier et les réflexions que vous nous faites sont un peu dans ce sens. Est-ce que vous seriez porté à faire l'évaluation que finalement, actuellement, passer de deux à trois enfants ou de trois à quatre enfants, cela a une implication économique qui est plus grande, plus importante que cela ne l'était il y a 50 ans quand je suis venu au monde, par exemple, et que mon père a décidé d'avoir six enfants plutôt que cinq?

M. Henripin: Moi, je serais porté à le penser. Pour reprendre d'une autre façon et d'une façon assez courte ce sur quoi on a l'air d'être tous les deux d'accord, ce n'est pas tellement parce que le coût des enfants aujourd'hui est plus grand qu'autrefois par rapport aux revenus, c'est qu'il y a d'autres besoins qui se sont beaucoup développés et qui font que la concurrence entre ces diverses satisfactions possibles des jeunes couples, cette concurrence devient de plus en plus sévère.

Il y a une autre chose à considérer. On réfléchit toujours à ce problème en termes de gens mariés qui se posent le problème de savoir combien d'enfants ils vont avoir. Il y a un problème peut-être énorme qui est en train de se dessiner, c'est que les gens ne se marient plus et je ne sais pas pourquoi. C'est un phénomène un peu nouveau. Il y a parfois des statistiques là-dessus, qui prêtent à des interprétations peut-être exagérées. Les démographes ont toutes sortes de mesures dont certaines ne sont pas très bien représentatives du comportement réel des gens. J'ai vu, dans le livre vert sur la famille, par exemple, que 40% - comme ordre de grandeur, c'est à peu près cela -des hommes ne se marient pas et à peu près autant de femmes, d'ailleurs, ne se marient pas. Ce sont des mesures qui ne sont pas fausses, mais elles traduisent mal, je pense, elles risquent, en tout cas, de mal traduire le comportement réel des gens. Cela ne veut pas nécessairement dire que 40% des jeunes de 20 ans à 25 ans aujourd'hui ne se marieront pas au cours de leur vie. De même pour les femmes.

Cette réserve étant faite, il reste qu'on assiste en ce moment à l'éloignement des engagements que représente le mariage, qui se présentent sous une forme religieuse légale ou parfois même sans loi. Cela me frappe beaucoup de voir qu'une grande fraction des jeunes, disons, ne veulent pas s'engager à long terme. Je n'ai pas de solution à cela. Je ne sais pas pourquoi, dans notre société, les jeunes ne veulent plus s'engager pour plus de deux semaines.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Doyon: Une autre question, M. le Président, avec votre permission. Pour revenir au phénomène de migration à l'extérieur du Québec d'un certain nombre de personnes qui est quand même important et qui a des effets sur la démographie du Québec et les problèmes que cela cause, est-ce que vous avez pu identifier de quelque

façon des efforts concertés qui pourraient être faits ou qui ont été faits de la part du gouvernement de façon à retenir chez nous un certain nombre de personnes? Est-ce qu'il y a quelque chose qui pourrait être fait par les pouvoirs publics d'une façon ou d'une autre pour, premièrement, identifier les raisons de départ - j'imagine que ce serait un préalable - et, deuxièmement, pour voir si, finalement, des irritants qui ne sont pas très importants - appelons-les comme cela puisque c'est un mot qui a été mis à la mode à un certain moment - peuvent... Aux petites causes, très souvent, les grands effets. On pourrait peut-être envisager - je vous demande votre opinion là-dessus - un effort concerté, un effort véritable, de la même façon que vous le suggérez un peu au niveau d'une politique nataliste, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de honte de la part de l'État de mettre de l'avant que l'État verrait d'un bon oeil des familles qui auraient trois, quatre ou cinq enfants, que ce ne serait pas une tare, loin de là. Cela pourrait se concevoir. On voit de la publicité, de la propagande sur tellement de choses, qu'on en verrait là-dessus et personnellement cela ne me scandaliserait pas du tout et je n'y verrais pas grand-chose à redire.

De la même façon, est-ce qu'on ne pourrait pas considérer une espèce d'incitation de la part du gouvernement à garder les gens qui sont déjà chez nous plutôt qu'une attitude qui m'a semblé peut-être, au niveau de la perception, et ne serait-elle qu'au niveau de la perception de la part des gens qui partent: Vous pouvez partir! et, bien souvent, c'est: Bon débarras! On ne retient personne chez nous. Est-ce que vous avez des réflexions sur ce sujet-là? (12 h 15)

M. Henripin: Deux choses si vous voulez. Il m'est arrivé de poser la question. Je ne vis pas dans un milieu anglais, je ne sais pas comment les anglophones au Québec sentent les choses. J'ai eu l'occasion, une fois, de rencontrer un responsable de l'Alliance et j'ai dit: Qu'est-ce qui vous nuit le plus, qu'est-ce qui vous embarrasse le plus dans la situation entraînée par la loi 101, par exemple? Il m'a dit: Deux choses: les écoles, d'une part. Il voudrait bien qu'au moins les vrais anglophones... Appelons-les comme ça, si vous voulez, ceux qui parlent anglais depuis plusieurs générations. Je pense qu'il serait normal que ces gens-là aient le droit d'aller à l'école anglaise et je ne pense pas que ça menace l'existence des écoles françaises ni que ça fasse remonter la fraction des écoliers qui fréquentent l'école anglaise, au niveau qu'elle a déjà atteint, 16, 6% je pense, si mes souvenirs sont bons, en 1976. Il y a le problème des écoles; il y a toutes sortes d'assouplissements qu'on pourrait faire de ce côté-là. Il faudrait les interroger. Il faut leur demander ce qu'ils veulent avoir. Je ne le sais pas à leur place.

Il m'a dit une autre chose: la langue de l'affichage. C'est une gifle - ce n'est pas l'expression qu'il a employée mais j'ai saisi ça - cette histoire d'affichage. On est obligé de cacher notre langue. J'ai eu l'impression que ça faisait vibrer les cordes fort sensibles chez ces gens-là. Nous, les Canadiens français, on a plutôt l'impression que les Anglais sont des gens froids, qu'ils ne vibrent à rien mais j'ai l'impression qu'ils sont quand même parfois sensibles à des choses de caractère affectif.

Je pense que ce sont deux directions qu'on pourrait du moins explorer. Je n'ai pas de recette, je n'ai pas de solution à apporter, on pourrait explorer ça.

Il y a autre chose à propos des départs des anglophones. J'ai attiré l'attention tout à l'heure sur le fait que cette propension à quitter le Québec était beaucoup plus forte chez les jeunes. On m'a dit, je ne sais pas, je pense que c'est appuyé sur des enquêtes, qu'ils ne se sentent pas prêts à travailler en français, ce à quoi ils pensent qu'ils seront obligés s'ils restent au Québec. Faute d'avoir suffisamment appris le français, ils voient leurs chances meilleures s'ils vont s'établir plutôt dans une province où ils pourront travailler dans leur langue.

Il y a une solution à ça, c'est de leur apprendre le français à l'école. Je ne parle pas des classes d'immersion. Il y en a qui ont pris le taureau par les cornes et qui ont réglé le problème mais enfin! tous les enfants anglophones n'iront pas dans les classes d'immersion française mais qu'on donne, dans l'école anglaise, des outils suffisants pour apprendre le français. Cela se fait.

Je dirai la même chose pour ce qui est des francophones en ce qui concerne l'apprentissage de la langue anglaise. C'est désastreux de voir des étudiants qui arrivent à l'université, à qui on donne un peu de littérature à lire en langue anglaise et qui nous reviennent en disant: j'ai pris une heure pour lire trois pages et je ne suis pas sûr d'avoir compris. Ce sont des textes faciles, pas des textes ardus à cause de l'aspect technique de certains textes, mais souvent des textes très faciles et ils ne peuvent pas lire un texte anglais.

J'imagine que les faiblesses de l'enseignement de l'anglais - que je connais mieux - dans les écoles françaises, on doit retrouver un peu la même chose en ce qui concerne l'enseignement de la langue française dans les écoles de langue anglaise.

On a un ministère de l'Éducation pour régler ces problèmes-là. J'imagine, en tout cas!

Le Président (M. French): Merci. M. le député de Vachon. M. le député de Mille-Îles.

M. Champagne: Merci, M. le Président. Dans un premier temps je veux remercier M. Henripin de s'être présenté ici devant la commission parlementaire. J'aurais aimé que le député de Louis-Hébert soit ici parce que je voulais discuter dans ce sens-là. Je vais prendre une autre question avant.

Une voix: On peut suspendre.

M. Champagne: M. Henripin, dans un de vos volumes, "Les enfants qu'on n'a plus au Québec", des Presses de l'Université de Montréal, en 1981, vous aviez publié un tableau sur des types de mesures favorisant la fécondité et un nombre de réponses correspondantes. J'aimerais savoir quelles seraient les mesures qui pourraient favoriser la fécondité. Hier, nous avons entendu des groupes venant des milieux familiaux qui disaient: Bâtissons une politique familiale ferme et il n'y aura pas cet empêchement de la fécondité. D'autres nous ont dit: Ayez une condition économique de plein emploi et il n'y aura pas de problème à la fécondité. Je pense que cela va de soi. Est-ce que vous favoriseriez une politique pronataliste selon le tableau que je vois ici devant moi dans votre volume? Est-ce que vous iriez plus loin que ces deux éléments en disant quelles seraient les mesures que, personnellement, vous favoriseriez pour faire en sorte qu'il y ait une plus grande fécondité, surtout chez les mères qui ont déjà deux enfants, un troisième et un quatrième enfant?

M. Henripin: Les proportions, enfin le tableau auquel vous faites allusion, c'est le résultat des réponses des gens. Ce ne sont pas mes idées personnelles sur ce qu'il y aurait à faire. Je pense qu'il faut regarder avec une grande réserve les réponses que nous font les gens à des enquêtes comme celle-là. Cela a sans doute une signification, mais cela ne veut pas dire que si on faisait... On n'est pas allé très loin dans cette veine, mais on a vraiment poussé les gens un peu au pied du mur en leur disant: Écoutez! Qu'est-ce que le gouvernement pourrait faire pour vous convaincre, vous, d'avoir un enfant de plus? Ils nous disaient une réponse, peu importe, une mesure quelconque, à savoir l'augmentation de l'allocation familiale. On revenait à la charge en disant: Si, vraiment, les allocations familiales étaient augmentées, vous auriez vraiment un enfant de plus? Là, tout de suite, une bonne fraction se retiraient et disaient: Je ne sais pas. Ils n'avaient pas bien compris le sens de la question. Je pense qu'il est relativement facile, en situation d'interview, pour des gens de dire, comme ça, allègrement: Si les allocations familiales étaient doublées ou triplées, j'aurais un enfant de plus. Quand on les pousse un peu au pied du mur, on s'aperçoit que cela mériterait encore un peu plus de réflexion. Ces réponses-là n'ont peut-être pas toute la signification qu'on serait porté à leur donner. De là à dire qu'elles n'ont pas de signification du tout, il y a une marge. Je n'irais pas jusque-là, je pense.

Enfin, vous me posez la question. Je vous dirai qu'il y a trois domaines dans lesquels il faut faire quelque chose d'important. Sur le plan financier, et il y aurait en plus peut-être tout un ensemble de services à organiser pour alléger un peu le fardeau des parents, mais des services en nature, cette fois, et non pas des allocations... Je pense qu'il faut réaménager la fiscalité. Elle me paraît très injuste lorsqu'on compare le sort de ceux qui ont des responsabilités familiales avec ceux qui n'en ont pas. Bien sûr, on a des petites exemptions de revenu imposable compte tenu des enfants. Elles semblent un peu menacées en ce moment. Cela me paraît un peu ridicule par rapport à ce qu'un enfant coûte vraiment. Il y aurait donc un réaménagement de la fiscalité pour tous les groupes économiques d'ailleurs. Le propre des prestations familiales, c'est-à-dire cet ensemble de mesures à caractère un peu pécuniaire, ou financier en tout cas, qui ont pour but d'égaliser un peu les niveaux de vie entre ceux qui ont beaucoup d'enfants et ceux qui n'en ont pas beaucoup, leur caractéristique, c'est qu'elles doivent être faites pour tous les niveaux de revenu. Ce ne sont pas d'abord des mesures de lutte contre la pauvreté. Tant mieux si elles ont aussi cet effet-là. Je n'ai rien contre la lutte contre la pauvreté. Il faut prendre les mesures qu'il faut pour cela. Mais les prestations familiales ne sont pas d'abord des mesures de lutte contre la pauvreté. Donc, on peut priver les gens dont on dit qu'ils sont à l'aise. Ces allégements fiscaux, par exemple, il faudrait qu'en profite tout le monde, quel que soit le revenu. Il y a, dans les discussions autour de cela, des choses qui me frappent beaucoup. On parle de dons faits par un gouvernement à des individus, à ses citoyens, quand il s'agit simplement de ne pas prélever quelque chose de plus chez eux. Cela me paraît quand même un peu fort. Ne pas prendre quelque chose à quelqu'un ce n'est pas lui faire un don. À ce moment, on pourrait dire que les gouvernements au Canada donnent des milliards de dollars aux riches parce qu'ils ne leur prélèvent pas tout ce qui dépasse 25 000 $ par année. Si on veut entrer dans cette logique, on pourrait leur dire cela. Il me semble qu'il y a une différence entre prélever quelque chose chez quelqu'un ou ne pas prélever quelque chose chez quelqu'un et lui faire vraiment un don.

Je ferme ma parenthèse là-dessus. C'est une chose qu'il faudra réaménager. Je n'ai pas de formule. Vous allez penser que

j'en ai un peu contre le livre vert sur la famille; c'est vrai que j'en ai un peu. Là-dedans, il n'est pas fait allusion au système français. Je ne dis pas qu'il faut le copier mais on pourrait au moins en parler, le critiquer et, si on n'est pas d'accord, dire pourquoi. C'est un système un peu particulier qui essaie de tenir compte d'un façon plus juste, je pense, que chez nous des inégalités entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n'en ont pas.

Il faudrait hausser les allocations familiales et peut-être mettre l'accent, et un accent très fort, sur le troisième. Les Français n'en ont pas pour le premier. On pourrait peut-être faire cette économie aussi. Je ne sais pas. On pourrait y réfléchir en tout cas.

Enfin, il faudrait - c'est peut-être un peu plus complexe - aménager d'une façon beaucoup plus satisfaisante les congés de maternité, pas forcément payés à 98% ou à 95%; peut-être payer une bonne durée à peu près à 100% du salaire ou quelque chose qui ne serait pas trop éloigné de 100%. Cela serait à voir. Mais permettre en tout cas le prolongement pendant une bonne période de ce congé avec au moins, s'il n'y a pas de subvention à l'appui, la garantie pour une femme de retrouver son emploi au bout de deux ou trois ans.

C'est dans cette veine que le gouvernement français s'est dirigé. Si mes souvenirs sont bons, c'est la mesure qui a été le plus favorisée lors d'une enquête qui a été faite auprès des adultes français, femmes et hommes. On leur a demandé d'indiquer leur préférence pour toute une panoplie de mesures. Ils les connaissent bien puisqu'elles sont pratiquées chez eux depuis longtemps. Si mes souvenirs ne sont pas trop inexacts, je pense que la mesure qui a été de loin la plus favorisée, c'était de pouvoir prolonger le congé de maternité, même sans traitement.

Il faudrait explorer cela. Ce n'est pas par une enquête sur la fécondité pendant laquelle on a posé sept ou huit questions sur les mesures qu'on sait vraiment à quoi s'en tenir. Il faudrait vraiment explorer d'une façon beaucoup plus poussée, beaucoup plus fouillée la réaction éventuelle des gens à un certain nombre de mesures. Tout reste à faire dans ce domaine.

M. Champagne: Mon autre question est sur ce que M. le député de Louis-Hébert avançait tout à l'heure au sujet du solde migratoire; de toute façon, s'il y a des départs ou des arrivées. Le Groupe de travail canadien sur la population nous a dit, hier, que depuis quelques années, on a connu le mouvement Ouest-Est. Il y a plusieurs années, c'était le contraire. Les gens du Québec, les gens de l'Ontario allaient dans l'Ouest; les gens du Québec s'en allaient soit en Ontario, soit en Alberta. Ils s'en allaient dans l'Ouest. Le mouvement est inverse aujourd'hui. On en a eu la preuve hier. C'est pour cela que je me réjouissais du fait que le solde migratoire est en régression. Comme je le disais, il y a quelques années, il était de 30 000 à peu près par année; il est descendu à 25 000, 24 000 et on parle de 19 000. Je me dis que cela signifie aussi qu'il y a des gens qui reviennent. Est-ce que vous avez des statistiques qui font la preuve - enfin, des statisticiens canadiens en ont parlé hier - qu'il y a un grand mouvement de l'Ouest? Est-ce que vous avez des statistiques qui font la preuve que ce mouvement va perdurer ou qu'il est sérieux?

M. Henripin: II existe des statistiques annuelles sur les mouvements migratoires interprovinciaux. Malheureusement je ne les ai pas à l'esprit, je ne les ai pas consultées depuis tout récemment. Ce sont des estimations que fait Statistique Canada en se servant d'un certain nombre de renseignements de caractère administratif comme les déclarations d'impôt sur le revenu ou les déclarations de changement d'adresse pour les bénéficiaires d'allocations familiales. Avec ces informations, ces gens arrivent à estimer, année par année, les échanges migratoires entre les provinces. C'est une publication annuelle. Elle est accessible à tout le monde. Je ne l'ai pas regardée depuis deux ou trois ans. Je ne suis pas tellement au courant des toutes dernières valeurs de ce phénomène.

(12 h 30)

II se peut qu'on assiste effectivement à un retour de gens qui sont allés se casser le nez dans les provinces de l'Ouest, parce que la situation semble moins brillante qu'elle ne l'a paru pendant un certain temps. Qu'il y ait un retour, c'est possible. Est-il permanent ou temporaire? Je ne pourrais pas vous le dire. Je pense que le recensement de 1986 vous renseignera là-dessus. Il faudra peut-être attendre les résultats du recensement de 1986 pour savoir un peu à quoi s'en tenir sur ces mouvements, cette réduction de l'émigration nette du Québec vers les autres provinces. Mon pari, c'est qu'elle va se réduire un peu, je pense.

M. Champagne: Oui.

M. Henripin: Je ne peux pas vous dire que je peux appuyer cela sur des analyses bien poussées.

M. Champagne: On est quand même inquiet, selon quelques indices démographiques présentés hier, de constater que la population du Québec, en 1951, représentait 30% de la population canadienne et que, dans une vingtaine d'années, en 2006, elle ne sera que de 23% ou 24%. C'est à cause de cela que c'est inquiétant.

M. Henripin: Oui.

M. Champagne: Mais il y a un mouvement, le solde migratoire semble quand même plus rassurant. On a posé la question: Quelles sont les causes des départs ou du retour?

Une voix: Du retour?

M. Champagne: On a dit qu'il serait quand même intéressant de savoir pourquoi. Enfin, votre département pourrait quand même faire une étude là-dessus. La question est posée. On n'aura peut-être pas la réponse, mais il serait intéressant d'avoir des réponses à cela.

M. Henripin: Oui, mais je ne peux pas vous les donner.

M. Champagne: C'est cela. M. Henripin: Je m'excuse.

M. Champagne: C'est parce qu'on a dit tout à l'heure que le débat est peut-être un peu émotif. On parle des faits. Ce sont des faits; ce sont des chiffres. Je rappellerai simplement que l'émigration, en 1976, était moins importante que celle des années 1966 et 1967. Ce sont les faits.

Le Président (M. French): Excusez-moi, M. le député. Je n'ai pas saisi votre dernière affirmation.

M. Champagne: C'est que, hier, les statisticiens qui se sont présentés devant nous ont dit que l'émigration, c'est-à-dire les gens qui sont allés à l'extérieur du Québec, était plus forte en 1966 et en 1967 que dans les années 1977, 1978. Cela a été dit hier. Ce sont les faits. Je donne ma place à une autre personne.

Le Président (M. French): Merci, M. le député. Je voudrais poursuivre en quelque sorte sur quelques-uns des sujets qui ont été soulevés. Si vous voulez prendre la parole, allez-y, M. le député.

M. Payne: Non, allez-y. Combien de temps avons-nous à peu près?

Le Président (M. French): Nous avons 25 minutes. Si on laisse de côté la mortalité, M. Henripin, nous avons deux séries de variables, l'une touchant l'émigration et l'immigration et, l'autre, la fécondité, essentiellement. Ce qui me passe par l'esprit, lorsque je regarde ces deux aspects de la problématique de la population, c'est qu'avec l'immigration et l'émigration, nous avons un secteur dans lequel nous ne craignons pas l'instrument mais les résultats sur le plan culturel d'une politique plus agressive en ce qui a trait à la population au Québec. D'autre part, en regardant la fécondité, il y a un aspect ou un secteur dans lequel nous ne craignons pas les résultats, mais l'instrument pour à peu près le même genre de motif, essentiellement un motif culturel où les valeurs autres que l'économie, les valeurs qui relèvent de notre conception de la société québécoise, ses caractéristiques propres. Je voudrais vous poser la question en termes assez généraux. Présumant une politique de population agressive qui veut contrer la diminution prévue de la population du Québec, une politique de population basée sur une volonté politique assez nette, en termes pratico pratiques, si on essayait d'établir pour l'émigration et l'immigration un solde nul pour le Québec, pourriez-vous me dire la balance entre l'immigration internationale et la réduction d'émigration, telle qu'on la connaît dans les deux cas? Quel genre de mécanisme essaierait-on de mettre ensemble? Quelle serait la part de l'immigration internationale, la hausse d'immigration internationale ou l'effort de stopper l'émigration qui serait raisonnable comme équilibre, si on visait cette cible de solde migratoire nul? Je me rends compte que c'est une question extrêmement difficile.

M. Henripin: Oui. Je ne suis pas sûr non plus de bien saisir votre question. Il y a manifestement plusieurs façons d'atteindre un solde migratoire nul. En jouant, on peut se permettre un solde négatif du côté des échanges avec les autres provinces combiné à un solde positif dans nos échanges avec les pays étrangers. On peut imaginer l'inverse, quoiqu'il y ait moins...

Le Président (M. French): On peut imaginer l'inverse, mais l'inverse n'est pas de ce monde.

M. Henripin: L'inverse est moins réaliste.

Le Président (M. French): C'est cela. J'essaie de vous inviter à vous situer, avec toutes vos connaissances, dans l'ordre du possible, même si je vous demande un objectif impossible, soit un solde nul.

M. Henripin: Écoutez, le Québec a une très longue tradition de solde migratoire négatif. Cela a été le fait de presque toute son histoire, sauf pendant une quinzaine d'années après la dernière guerre où on a eu un solde positif, tout pris en considération. Est-ce qu'on peut revenir à cela? Moi, je dirais que, fondamentalement, cela dépend de la santé économique de la province. Des gens vont venir ici si c'est agréable et si on y fait bien sa vie. Ils vont quitter la province si on peut plus facilement faire sa vie

ailleurs. Je pense que c'est fondamentalement lié à la situation économique du Québec comparée aux autres provinces. II y a une autre...

Le Président (M. French): II n'y a pas de politique d'émigration ou d'immigration. Il y a une politique économique ou une situation économique qui dicte, plus ou moins mécaniquement, une politique de migration.

M. Henripin: J'ai l'impression que c'est à la base de toute politique d'immigration un peu agressive, pour employer votre expression. Ce serait d'assurer d'abord que les choses vont bien économiquement au Québec. On ne pourra pas faire grand-chose sans cela, je pense.

Le Président (M. French): Oui, mais...

M. Henripin: Et, encore une fois, il faut retenir les gens, parce que ces immigrants internationaux qu'on reçoit, par exemple, et qui, dans le passé ont largement dépassé les émigrants qui quittaient le Québec pour d'autres pays... Et il faut bien voir que ces immigrants venant d'autres pays ont eu aussi une forte tendance à quitter la province et à aller s'établir dans une autre province. La perte du Québec est particulièrement grande aussi de ce côté. Bien sûr, cela ne devient plus une émigration internationale. Vous avez un immigrant international qui devient un émigrant interprovincial. Mais la perte a été considérable dans le passé.

Le Président (M. French): Proportionnellement considérable...

M. Henripin: Proportionnellement considérable?

Le Président (M. French):... à la dimension de la communauté allophone québécoise. Ce n'est pas proportionnellement significatif par rapport au nombre d'anglophones dans les chiffres de 1976...

M. Henripin: Je ne pourrais pas vous donner cela. Je ne le sais pas, par langue. Je ne pourrais pas vous dire comment cela s'est passé pour les anglophones ou pour les allophones.

Le Président (M. French): Autrement dit, il n'y a essentiellement pas plus d'outils qui relèvent directement d'un ministre tel que le ministre actuel de l'Immigration et des Communautés culturelles que ceux qu'il utilise actuellement. C'est plutôt du côté économique qu'il faut d'abord regarder. Une politique de population agressive n'a aucun sens à moins d'une reprise importante sur le plan économique.

M. Henripin: Cela me paraît une condition fondamentale, essentielle. Maintenant, il n'est pas dit qu'au-delà, il n'y ait pas encore d'amélioration possible quant à l'accueil qu'on fait aux immigrants, quant à l'initiation qu'on leur donne à la vie ici, à l'apprentissage de la langue. Je pense que la suggestion n'est pas encore parfaite. Il y a certainement des choses à améliorer de ce côté. Mais je pense que, derrière tout cela, il y a toujours une condition minimale, une condition essentielle, c'est que la vie économique soit un peu saine.

Le Président (M. French): II y a eu, l'année dernière, à peu près 20 000 ressortissants sur le plan provincial. Il y a eu à peu près 12 000 ou 13 000 entrées internationales. Je pense que c'est à peu près dans cet ordre de grandeur. La question que je me pose, c'est: Est-ce possible de faire en sorte que les deux chiffres se rejoignent quelque part, évidemment, en diminuant l'émigration et en haussant l'immigration? Je vous pose la question si, dans un avenir de cinq, dix ou quinze ans, en perspective, il serait raisonnable d'établir pour le Québec un objectif d'un solde migratoire nul?

M. Henripin: Raisonnable, oui. Probable, je n'irais pas jusque là.

Le Président (M. French): C'est comme une politique de plein emploi. On peut en parler et on peut la poursuivre sans s'imaginer, hormis quelque chose d'extraordinaire, qu'on va l'atteindre, mais cela ne nous empêche pas de parler dans certains milieux d'une politique de plein emploi.

M. Henripin: II y a des problèmes de choix là-dedans. Il est possible de doubler, de tripler, de quadrupler le nombre des immigrants qui viennent dans la province de Québec. Vous n'avez qu'à ouvrir vos portes à l'Afrique, à l'Asie, sans trop faire de manières et vous allez les avoir, vos immigrants, mais il va falloir payer un coût pour cela. S'ils ne sont pas adaptés à la vie économique d'ici, s'ils n'arrivent pas à se trouver un poste ou un emploi, cela va faire un problème social énorme et il y a des problèmes de seuil de tolérance. Je pense qu'on a tendance à se voiler la face devant ces problèmes, mais ils existent au-delà d'une certaine concentration de personnes. Ce n'est pas toujours du racisme. On emploie souvent le mot "racisme", je pense, à tort et à travers. Je vois cela comme de la xénophobie.

Il y a chez la majorité des gens, sinon tous, une certaine aversion pour des gens qui ne vivent pas comme eux, quoi, indépendamment de la couleur de leur peau.

Ils ne parlent pas la même langue. Ils ne font pas la cuisine de la même façon, je ne sais pas, moi. Ils n'entretiennent pas leur pelouse comme les autres. Il y a toutes sortes de choses qui font que, bon! on a tous, je pense, plus ou moins un certain degré d'aversion pour des gens qui ne vivent pas comme nous. C'est de la xénophobie. Elle existe. Tant mieux si on peut la réduire, mais je pense que d'ici à quelques années, on n'arrivera pas à la faire disparaître et cela entraîne un problème de seuil de tolérance à l'égard d'immigrants qui ont des habitudes de vie tout à fait différentes des nôtres. Je ne dis pas qu'il faut les exclure, mais il y a une limite au nombre de gens. Tout dépend du prix qu'on est prêt à payer dans ces termes-là aussi pour compenser les pertes qu'on subit à l'égard des autres provinces. S'il y avait un moyen, en tout cas, de retenir davantage les gens qui sont déjà dans nos murs, je travaillerais d'abord là-dessus. Ceux-là sont déjà adaptés. Il y a tout bénéfice à les garder, si c'est possible.

Le Président (M. French): Dans le premier secteur, nous avons la variable immigration et la variable émigration et encore une fois, vous insistez sur le fait que les instruments qui nous sont disponibles sont susceptibles d'être plus efficaces et les résultats plus heureux si nous nous concentrons pour le moment à retenir plus de Québécois au Québec et à attirer, je présume, des gens de même arrière-plan social, éducatif et linguistique à venir au Québec, plutôt qu'une politique qui serait axée sur plus d'acceptation internationale...

M. Henripin: Je n'ai rien contre une augmentation des immigrants si le marché du travail s'y prête.

Le Président (M. French): Pour ce qui est de la fécondité, dans le déclin démographique auquel le Québec fait face, quelle proportion, grosso modo, est due à un comportement dans le domaine de la fécondité différent du comportement qui existe ailleurs dans les autres provinces canadiennes?

M. Henripin: II n'y a plus de très grande différence. Assez bizarrement - c'est quasiment un paradoxe, ce que je vais dire là - si vous regardez le comportement de trois groupes linguistiques, les francophones, les anglophones et l'ensemble des autres, du point de vue de la fécondité, au Québec, les francophones - les francophones mariés, en tout cas, les couples francophones - ont conservé une petite surfécondité par rapport aux couples anglophones. Les deux sont largement dépassés par la fécondité des couples allophones. Dans le reste du Canada, surfécondité, pas très grande mais elle persiste toujours, par rapport aux couples anglophones. Mais quand vous regardez le Canada dans son ensemble, l'espèce de surfécondité que vous trouviez dans chacun de ces morceaux, vous retrouvez l'ihverse à l'échelle du Canada parce que le Québec, pour tous ses groupes linguistiques, est devenu une terre d'infécondité. C'est vraiment quasiment un miracle. C'est le miracle à l'envers. On a parlé du miracle de notre forte fécondité d'autrefois, eh bien, le Québec est devenu une terre d'infécondité pour les francophones, pour les anglophones et pour les allophones.

Le Président (M. French): Alors, j'ai mal posé ma question parce que ma question ne touchait pas les différences dans les comportements reproductifs entre les groupes linguistiques mais bien de la différence dans la fécondité des couples québécois et la fécondité observée dans le reste du Canada.

M. Henripin: Elle est inférieure.

Le Président (M. French): Cela cela. La question que je voulais poser était à savoir quelle proportion de notre déclin démographique serait rattrapée ou redressée si le comportement des Québécois allait rejoindre le comportement des Canadiens des autres provinces?

M. Henripin: Oh! Pas grand-chose.

Le Président (M. French): Est-ce que c'est minime?

M. Henripin: C'est minime. Les différences de fécondité, on peut en parler, c'est intéressant, mais, enfin, ce n'est pas grand-chose maintenant.

Le Président (M. French): Alors, si on veut redresser la fécondité, on fait face non pas à une situation québécoise qui est propre à notre société mais on fait bel et bien face - et je pense que tout le monde l'a dit mais je voulais juste savoir quelle était la proportion relative - à un phénomène des pays industrialisés.

M. Henripin: Oui.

Le Président (M. French): On a à peu près les mêmes moyens, même moins et parfois plus que les pays de l'Ouest, de l'Europe, etc. On est dans le même bain qu'eux.

M. Henripin: Oui. Tout à fait exact.

Le Président (M. French): De tous ces pays-là, la France - je sais que vous êtes là, M. le député de Vachon, je poserai ma

dernière question, si vous me permettez -est le seul pays démocratique qui a adopté une politique de population dont on peut dire qu'elle est explicite et définie?

M. Henripin: Oui. Je dirais que le gouvernement français est le seul gouvernement, à ma connaissance en tout cas, parmi tous les pays démocratiques, qui a annoncé qu'il était pour un redressement de la natalité. Cela étant, je pense qu'il faut dire aussi que, dans certains autres pays, on commence à s'Inquiéter. Je pense qu'en Allemagne de l'Ouest, on commence à s'inquiéter du niveau de fécondité mais pas jusqu'au point où un gouvernement a dit: Nous nous déclarons favorables à une hausse de la fécondité et nous allons essayer d'établir des mesures pour y arriver. (12 h 45)

D'ailleurs, la ' France est assez remarquable, d'autant plus que pour les socialistes, c'était quasiment un reniement par rapport à une vieille tradition de luttes presque contre ce qu'ils considéraient comme le natalisme des gens de droite. Le gouvernement socialiste a été obligé finalement d'embarquer dans cette espèce de courant typiquement français d'un gouvernement qui se prononce pour le redressement de la natalité. C'est un peu à l'encontre de multiples déclarations qu'ils avaient faites avant de prendre le pouvoir.

Le Président (M. French): Ce n'est pas le seul exemple.

M. Henripin: C'est un signe d'intelligence, à mon avis.

Le Président (M. French): Je vous remercie. J'aimerais continuer mais il nous reste peu de temps. M. le député de Vachon.

M. Payne: Non, allez-y!

Le Président (M. French); Je m'excuse là, mais il nous reste peu de temps. Si vous voulez y aller.

M. Payne: Pour revenir un peu en arrière, vos préoccupations sur le solde négatif migratoire sont bien connues. Bien sûr, vous avez affirmé à plusieurs reprises dans le passé que ce sont les anglophones et les allophones qui quittent le Québec. Vous constatez comme tout le monde que ces tendances sont établies depuis quelques années. Dans votre mémoire, vous passez sous silence le fait que c'est en diminution assez dramatique depuis trois ou quatre ans. Est-ce qu'on pourrait déduire de cela quelques hypothèses? Si on peut constater, comme on avait tendance à le faire depuis quelques années, que les taux maintenus de solde migratoire sont croissants à cause des contraintes linguistiques, dès le moment où cela diminue, la situation actuelle, est-ce qu'on peut en déduire le contraire, à savoir que c'est peut-être à cause du fait que les anglophones ou les allophones maintenant sont beaucoup plus confortables et prêts à s'accommoder aux contraintes de la loi 101, d'une part?

La deuxième hypothèse qu'on pourrait peut-être travailler est que la situation économique étant nettement plus favorable, comme vous le constatez, ce solde migratoire va continuer de diminuer. Je vous donne un exemple. Je pense qu'il est important de rappeler les affirmations du député de Louis-Hébert tout à l'heure. Si on regarde les chiffres absolus des sorties - on pourra discuter des taux tout à l'heure. Je pense que c'est bien important pour le Journal des débats - je vais juste donner les chiffres globaux. Je parle de sorties interprovinciales. C'est pour le député de Louis-Hébert que je signale cela. Pour 1972, 1973, 1974, 1975, 1976, c'était 56 000, 54 000, 51 000, 46 000, 51 000. Pour 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, c'était 70 000 - les effets de la loi 101 - bien sûr 57 000, 53 000, 46 000, 44 000 et je continue pour 1982 et 1983, 51 000 et 48 000 sorties interprovinciales.

Il faut voir aussi 1984. Il faut comparer les comparables et donc, on peut prendre les neuf premiers mois où nous avons 34 000, 33 000 et 33 000 pour les neuf premiers mois de 1982, 1983 et 1984. Les chiffres sont assez dramatiques. Est-ce que vous avez entamé quelques études pour vérifier l'hypothèse que peut-être c'était à cause d'un accommodement plus facile maintenant face aux contraintes de la loi 101 du temps et, d'autre part, le climat économique qui s'améliore? Toute analyse des études, bien sûr, est précaire. On peut voir, par exemple, en 1978, que le solde net migratoire de l'Ontario était plus élevé que celui du Québec, principalement à cause de l'intérêt de l'Alberta pour les provinces de l'Est. Je pense qu'il y a deux hypothèses à souligner ou à analyser de plus près, à savoir l'accommodement aux contraintes linguistiques ou à la réalité française au Québec, d'une part, et, d'autre part, la situation économique qui s'améliore.

M. Henripin: Quelques remarques là-dessus. D'abord je ne voudrais pas du tout que vous me fassiez dire que la raison principale pour laquelle les anglophones quittent le Québec c'est parce que le Parti québécois a pris le pouvoir et, un an après, a adopté la loi 101. Les découvertes que nous avons faites en 1977 - c'est une pure coïncidence je pense cette similarité de date entre la découverte qu'on a faite et la discussion sur la loi 101 - sur l'intensité des courants migratoires par langue entre les

provinces portaient sur la période 1966 à 1971. Donc, bien avant que le gouvernement actuel ne prenne le pouvoir; bien avant la loi 101. La saignée que subit le Québec en ce qui concerne les anglophones et, dans une moindre mesure mais quand même de façon appréciable, les allophones, ce n'est pas à lier d'abord et avant tout au nouveau climat qu'a pu introduire le gouvernement actuel dans la province. Probablement que les événements auxquels je viens de faire allusion ont accentué un peu, probablement plus pendant les premières années que pendant les années toutes récentes et celles qui vont suivre. C'est sûr que ceux qui n'ont pas pu digérer le PQ au pouvoir, qui n'ont pas pu digérer la loi 101 sont partis déjà. Ceux qui ont réussi à survivre pendant sept ou huit ans, ma foi! ils ont des chances de pouvoir survivre encore sept ou huit autres années. Certainement que leur propension à quitter le Québec est moins forte que ce qui existait chez un bon nombre d'anglophones, en particulier vers les années 1977, 1978 et 1979.

Mon pari c'est que l'émigration anglophone et allophone du Québec se réduira un peu, ne serait-ce que par le bassin qui se réduit aussi mais peut-être aussi la propension à émigrer va se réduire de sorte qu'on va assister à des nombres d'émigrants un peu plus faibles dans l'avenir.

Cela va nous ramener peut-être à des situations semblables à celles qui existaient avant 1971 qui restent problématiques. Je ne veux pas rattacher ça uniquement à la loi 101 et au gouvernement actuel. Il y avait déjà des mouvements bien implantés qui faisaient que le Québec perdait ses anglophones et une bonne partie de ses allophones bien avant tous ces événements-là. Encore une fois, je pense qu'il faut demander à ces gens pourquoi ils s'en vont et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour les convaincre de rester. Ils sont probablement...

M. Payne: On a fait quelques études comme cela pendant la commission parlementaire sur la loi 101, c'est-à-dire que c'était au niveau des intentions de rester ou face à certaines dispositions. Ces études ont été déposées. C'est plutôt quand vous dites: Et comme ce sont surtout les anglophones qui partent, on pourrait leur rendre la vie plus facile. Je ne dis pas qu'il faut supprimer la loi 101; on pourrait l'atténuer ou atténuer la rigueur de certaines dispositions de la loi. Ma question, c'est toujours, à savoir ce qu'est l'effet direct. La question est bien posée par vous-même. Quel est l'effet direct d'atténuer certaines dispositions de la loi 101? C'est sûr qu'on pourrait bien avoir quelques études, quelques analyses, mais je pense qu'on a tendance à exagérer énormément, particulièrement lorsqu'on constate que la mobilité d'emploi au Canada, c'est quelque chose qui va s'accentuer de plus en plus, particulièrement depuis la nouvelle constitution. Je pense qu'on devrait considérer aussi bien les facteurs socio-économiques que linguistiques.

L'autre question que je veux vous poser, c'est au sujet de la politique de la natalité en France. L'histoire a démontré que les politiques natalistes ont un succès limité. Quelles sont les dispositions en France qui, d'après vous, avaient un effet remarquable sur la situation, sur leur situation? Vous mentionnez spécifiquement la situation de la France comme un avenir.

M. Henripin: Écoutez! Il n'y a pas d'étude qui permette de faire le partage entre ce qui relève de l'effet de telle mesure et ce qui relève de l'effet de telle autre mesure. L'impression que j'ai, et c'est vraiment une impression; c'est une intuition, disons, qui s'appuie un peu sur les résultats d'enquêtes qui ont été faites auprès des gens sur les mesures auxquelles ils tenaient le plus. Je pense qu'il y a certainement deux éléments qui jouent un rôle en France. C'est la générosité des prestations familiales. Il n'y a pas que les allocations familiales versées mensuellement, il y a aussi d'autres types d'allocations comme les allocations à l'occasion de la maternité qui sont extrêmement importantes qui, elles, ont un aspect très nataliste. C'est presque un bonbon que vous présentez aux gens en leur disant: Si vous faites un enfant, le jour de la naissance ou autour de ces jours, on vous fait un cadeau de 1000 $. Ces mesures sont souvent vues d'une façon un peu négative par des gens qui n'aiment pas beaucoup qu'on fasse miroiter des avantages très ponctuels comme cela pour convaincre les gens d'avoir un enfant de plus. Je ne sais pas, je vous traduis la réaction que j'ai entendue.

Il reste que l'ensemble des prestations familiales en France est très généreux. D'autre part, tous les aménagements qui ont été faits progressivement pour rendre plus facile aux femmes en particulier la prise en charge de leurs jeunes enfants lorsqu'elles travaillent, c'est-à-dire les congés de maternité, cela aussi me semble probablement tout aussi important que la générosité des allocations familiales en France. Je pense que ce sont ces deux moyens qui sont déterminants. Mais c'est une intuition. Je pense qu'il n'est pas possible de démontrer cela.

Le Président (M. French): M. le député de Saint-Henri, avec les trois minutes qu'il nous reste.

M. Hains: Oui. Je peux bien commencer. C'est parce que je voulais dire à M. Henripin que sa conclusion est très courte mais très dense et qu'elle ouvre la voie,

comme vous le dites vous-même, à beaucoup de solutions dans le temps et dans le champ. Je voulais seulement vous poser quelques petites questions très rapides. Vous mettez d'abord en cause des attitudes morales. Là-dessus, vous glissez avec beaucoup de prudence et de pudeur. Qu'est-ce que c'est que ces attitudes morales dont vous parlez? Vous dites que vous ne voulez quand même pas faire un prédicateur.

M. Henripin: Oui. J'y ai un peu fait allusion tout à l'heure en parlant de la faible prédisposition qu'on trouve chez beaucoup de jeunes - je ne dis pas chez tous mais chez beaucoup de jeunes - à s'engager dans une aventure qui risque de comporter des désagréments. Or, le mariage est une aventure qui risque fort de comporter des désagréments et qui comporte aussi des avantages, remarquez, mais qui présente des risques. Cela me frappe de voir cette crainte des jeunes de s'engager dans des choses qui ne sont pas parfaites. C'en est une. Je pense que finalement, je vais me faire un peu prédicateur; je n'ai pas d'objection mais j'ai l'impression que l'épine dorsale du fonctionnement d'une société ce sont un peu ses convictions morales finalement. On ne voit pas très bien comment on peut les changer sauf en faisant de la prédication qui est peut-être parfaitement inutile d'ailleurs. Je ne sais pas. Je m'excuse de revenir encore sur cet exemple, mais quand vous avez un livre vert dans lequel vous ne trouvez pas la moindre trace de ce qu'est une famille normale, on n'a pas osé dire ce qu'est la normale, quand vous voyez dans les écoles des instituteurs qui vous disent: Nous, on veut être neutre à l'égard de cela. Je me dis qu'avec des convictions pareilles, on s'effiloche. Il n'y a pas de société qui va perdurer si elle n'a pas une morale. Cela peut être l'une ou l'autre, mais il en faut une. L'absence de morale, je n'y crois pas. J'ai un peu l'impression que c'est un peu à cela et que cela s'explique par toutes sortes de circonstances. Il faut dire qu'on en a eu une pendant longtemps qui a été fort rigide, mais on ne l'a pas remplacée. J'ai l'impression qu'il y a un vide là et qui fait que, déjà, on s'est laissé un peu aller.

Il me semble qu'on a eu ici, à l'occasion de certaines grèves, des comportements qu'on retrouve très rarement dans d'autres sociétés occidentales, peut-être depuis plus longtemps que nous déchristianisées ou décatholicisées, mais qui, quand même avaient eu le temps, entretemps de faire une espèce de morale. Ce qui me frappe, c'est qu'on a balancé des convictions, enfin des règles morales qui s'appuyaient sur des convictions religieuses et qu'on n'a rien trouvé de bien bon à mettre à la place, et que tout a foutu le camp avec la croyance religieuse. Enfin, c'est un peu l'impression que j'ai. Je trouve que les catholiques, à ce point de vue, sont très dépourvus. Lorsqu'ils ont perdu leur adhésion, lorsqu'ils ont perdu l'adhésion à l'autorité de leur Église, il n'ont plus grand-chose à quoi se rattacher. Les protestants ont l'habitude de converser avec Dieu directement et de se faire une morale personnelle. Je trouve que cela aide beaucoup lorsqu'on perd la foi, mais je dépasse de beaucoup ma compétence en disant des choses comme cela.

M. Hains: Je tiens à vous dire que vous venez de nous livrer en quelques mots la plus belle partie de votre mémoire. Or va rester avec ce bouquet spirituel. Merci beaucoup.

Le Président (M. French): La commission remercie beaucoup M. Henripin pour son mémoire et sa présence parmi nous. La commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, cet après-midi.

(Suspension de la séance à 13 h 4)

(Reprise à 15 h 10)

Alliance Québec

Le Président (M. French): La commission de la culture reprend ses travaux de consultation générale sur l'impact culturel, social et économique des tendances démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme société distincte. Nous souhaitons la bienvenue aux intervenants représentant Alliance Québec. On va les inviter à s'approcher, s'il vous plaît. Je reconnais Mme Duff-Caron. Si vous voulez, vous pouvez nous présenter vos alliés.

Mme Duff-Caron (Catherine): Avec plaisir. À ma droite, M. Royal Orr, qui est directeur de la recherche. À ma gauche, M. Bill Floch, qui est animateur.

Le Président (M. French): Je pense que vous êtes familière avec nos procédés. Je vous invite à nous faire part de votre mémoire. Nous disposons d'environ une heure et demie, un peu plus peut-être. Je vous invite à nous faire part de votre mémoire et de tout autre commentaire que vous jugerez à propos, après quoi nous passerons aux questions.

Mme Duff-Caron: Merci, M. le Président. M. le Président, M. le Vice-Président, membres de la commission, nous sommes très heureux de l'occasion qui nous est donnée de vous exposer le point de vue d'Alliance Québec portant sur l'avenir démographique de notre province. Le choix

de la commission de soumettre cette question à l'examen public est sage et particulièrement indiqué à la lumière des récentes analyses démographiques entreprises par des démographes tant du secteur privé que public. À l'évidence, les résultats de ces recherches sur les tendances dans l'évolution des populations au Québec nous inquiètent profondément. Il en ressort un besoin grandissant de l'urgence de planifier maintenant les besoins d'une population qui, de toute évidence, sera moins nombreuse, plus vieille et peut-être plus pauvre.

Le Président (M. French): Avez-vous un autre mémoire en main?

Mme Duff-Caron: J'ai un mémoire qui essaie de résumer un peu.

Le Président (M. French): N'avez-vous pas de copies, par hasard? N'en avez-vous même pas deux copies?

Mme Duff-Caron: On a deux copies.

Le Président (M. French): Donnez-nous donc une des deux copies, s'il vous plaît, on va la distribuer. Vous pouvez continuer. Merci. Je m'excuse de vous avoir interrompue.

Mme Duff-Caron: Cela va. Cette planification de l'avenir doit cependant émaner d'une évaluation nette de l'état actuel de la question. En préparant notre mémoire en vue de ces audiences, nous avons été constamment frappés par l'indigence d'analyses démographiques portant sur la communauté d'expression anglaise au Québec. Les rares données gouvernementales disponibles nous ont doublement frappés car elles mettaient l'accent de façon presque acharnée sur le Québec d'expression anglaise vu comme une force assimilatrice et rien d'autre.

Notre organisme était très conscient de sa responsabilité en choisissant de s'exprimer sur les questions soulevées par les récentes projections démographiques pour l'ensemble de la population du Québec. Mais nous étions également sensibles à une responsabilité, tout aussi pressante, d'examiner et de présenter au public les tendances démographiques à l'oeuvre au sein de notre communauté linguistique.

Nous sommes donc convaincus que nous avons été conduits à d'importantes perspectives sur notre passé et notre avenir collectif par cet examen de l'avenir de nos propres communautés. Une étude attentive de la démographie du Québec d'expression anglaise met vivement en lumière un nombre de facteurs qui expliquent l'état actuel des choses au Québec tout en faisant ressortir plusieurs défis qui nous confrontent.

On peut affirmer sans crainte que les problèmes démographiques des Québécois d'expression anglaise sont partagés par tous les Québécois. Dans certains cas, comme la question de la natalité, le problème est à la fois commun et plus grave. Dans d'autres cas, comme la forte migration interprovinciale qui nous afflige, nos problèmes précis tiennent à la perte en ressources humaines qui prive tout le Québec d'un dynamisme essentiel à son développement.

C'est avec un sens d'engagement ferme à l'avenir du Québec ainsi qu'à l'importance du processus de recherche et d'échanges que nous faisons part de nos résultats et de nos perceptions à ce débat.

Comme nous l'avons dit, un débat fertile doit reposer sur une compréhension claire de la situation actuelle. Quant aux Québécois d'expression anglaise, l'une des tendances de l'ensemble des Québécois a été de considérer notre communauté comme un ensemble de plus en plus marginal dans la vie sociale et politique de notre province.

Notre étude démontre en effet que le Québec d'expression anglaise a diminué tant en nombres absolus qu'en pourcentage de toute la population au cours des dernières années. Le recensement de 1981 a indiqué que 809 000 personnes utilisaient l'anglais au foyer dans cette province ou encore 12, 7% de la population totale. Ces chiffres étaient respectivement de 887 900 ou 14, 7% en 1971.

Mais, cet inquiétant déclin de notre communauté ne devrait pas nous faire oublier que les quelque 800 000 personnes d'expression anglaise qui demeurent au Québec représentent une population plus importante que celle de provinces du Canada et le statut de minorité - 12, 7% du Québec - qui est le nôtre n'implique pas que nous sommes une communauté mineure sur la scène québécoise.

Les Québécois d'expression anglaise demeurent un important élément du tissu social dans presque toutes les régions du Québec. On retrouve des Québécois d'expression anglaise par milliers dans des régions comme les Laurentides, l'Outaouais, l'Estrie, la ville de Québec ainsi que la Gaspésie. À travers maintes difficultés, ils maintiennent des réseaux complets d'institutions communautaires. Grâce aux sacrifices et à l'effort des générations précédentes, ils se sont construit des églises, des écoles, des bibliothèques, des théâtres, des collèges, des universités et des hôpitaux dans des agglomérations populeuses en dehors de Montréal tout comme dans les coins reculés du Québec. Les gens d'expression anglaise demeurent fiers de leur contribution à la fondation et au développement d'une bonne partie du Québec tout en restant pleinement disponibles à

participer à l'histoire prochaine du Québec.

A Montréal, bien sûr, les Québécois d'expression anglaise constituent une force sociale, politique et culturelle d'importance. Dans la ville, la communauté d'expression anglaise est sans aucun doute le groupe linguistique le plus diversifié, le plus hétérogène et profondément pluraliste. Les Montréalais d'expression anglaise connaissent une richesse culturelle et un esprit de tolérance qui leur sont comme une marque distinctive constituant une heureuse réussite et une ressource des plus précieuses pour l'avenir de notre province. La communauté d'expression anglaise de Montréal et ses nombreuses institutions ont travaillé fermement et habilement pour faire de la ville un lieu ouvert et accueillant pour les nouveaux Québécois et cela, pour des décennies.

Sur le plan social, notre communauté ressemble beaucoup aux autres. Nous occupons les mêmes emplois, nos salaires sont comparables, nous connaissons les mêmes niveaux de prospérité et de pauvreté que ceux de l'ensemble des Québécois. Cependant, notre communauté diffère des autres groupes au Québec et cela, sur des plans majeurs. En premier lieu, elle est beaucoup plus mobile que les autres. Depuis toujours on a vu les personnes d'expression anglaise arriver et quitter leur lieu de résidence au sein de nos communautés dans la province. Dans le passé la stabilité et la croissance de notre communauté ont tenu à cette grande mobilité de personnes. Récemment, l'arrivée de nouveaux Québécois d'expression anglaise a brutalement diminué pendant que l'émigration montait en flèche. Sur une période de quinze ans, 1966 à 1981, le Québec a connu une renversante perte nette dépassant 210 000 citoyens de langue maternelle anglaise, plus de six fois le nombre d'émigrants de langue française maternelle.

Les études démographiques suggèrent que cette tendance qui, plus que toute autre, menace la survie même du Québec d'expression anglaise aurait diminué. Nos projections montrent que les deux prochaines décennies ne devraient pas être témoins du même type de déclin dont la dernière décennie a été l'objet. Bien que nos études n'indiquent pas la disparition à court terme de la communauté d'expression anglaise, notre communauté et ses institutions ne sont pas moins confrontées à une lente érosion sociale et culturelle. Si notre communauté doit avoir un avenir et si les Québécois d'expression anglaise doivent continuer à contribuer au développement social de cette province, alors notre communauté doit en avoir les moyens.

Il faut trouver le moyen de stabiliser les migrations interprovinciales, il faut élargir l'accès à nos écoles pour les enfants d'expression anglaise, il faut accéder plus facilement aux emplois et aux services gouvernementaux et, peut-être plus important encore, nous avons besoin d'un climat ouvert et accueillant qui suscitera les investissements et permettra aux personnes et à leurs enfants de vivre pleinement.

Ces suggestions ne sont ni radicales, ni peu soucieuses des autres objectifs sociaux et culturels à l'intérieur du Québec. La projection démographique que nous soumettons aujourd'hui indique clairement que la population d'expression anglaise ne devrait pas, même dans des conditions favorables, atteindre son niveau de 1971 en l'an 2001. Alliance Québec a clairement prouvé qu'un nouveau et large consensus s'est dessiné au Québec sur les questions linguistiques. Les sondages SORECOM indiquaient qu'une très forte majorité de Québécois appuyait les revendications de la communauté d'expression anglaise sur son droit de gérer et de contrôler les institutions qu'elle jugeait nécessaires à sa survivance - notamment les écoles - ainsi que l'accès, en anglais, aux services gouvernementaux. Les politiciens et ceux qui prennent les décisions au Québec ne peuvent continuer à considérer la communauté d'expression anglaise du Québec comme une menace culturelle mais ils doivent comprendre que notre communauté constitue un actif social reconnu dans le fragile équilibre de notre province qui doit, à court terme, affronter des défis démographiques et économiques considérables.

Les statistiques montrent que la communauté d'expression anglaise du Québec se dote de moyens pour assurer, avec le temps, sa pleine participation dans un Québec où le français constitue le principal véhicule de communication. Environ deux tiers des personnes utilisant l'anglais au foyer sont déjà capables de converser en français et nos écoles et collèges ont mis en oeuvre le plus complet et le plus fructueux programme d'apprentissage du français, langue seconde, au Canada. Nos travailleurs, instruits, bien formés et de plus en plus capables de travailler en français, sont prêts et impatients d'occuper des emplois dans cette province. Les institutions d'expression anglaise du Québec, comme les universités et les hôpitaux, peuvent accueillir leur clientèle d'expression française et leur rendre les services en français.

Mais une question demeure dans certains esprits, à savoir si les Québécois d'expression anglaise peuvent ou non agir de façon positive et efficace dans la définition du caractère distinctif du Québec comme il s'est peu à peu défini au cours des deux derniers siècles. Il semble bien que le temps soit venu de poser résolument une question à nos législateurs. Les Québécois désirent-ils la présence d'une communauté d'expression anglaise dans cette province?

II faut maintenant poser de telles questions fondamentales. C'est aujourd'hui devenu un cliché, mais combien vrai est-il de dire que le Québec est dans un délicat équilibre tout à l'avènement d'une nouvelle phase de sa longue et passionnante histoire. Mais ce n'est pas avec enthousiasme et espoir que nous envisageons cette époque. Nos attentes sont, au contraire, placées sous le signe de la réserve et du pessimisme. Au mieux, nous semblons capables de passer de la peur et du désespoir au simple découragement. Une inquiétante léthargie politique et intellectuelle nous paralyse. Chacun affirme qu'à temps nouveau il faut opposer des idées nouvelles mais, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas défini les vraies questions, ni circonscrit les vrais problèmes, sans compter la seule recherche de réponses et de solutions pour le Québec de demain.

Actuellement, Alliance Québec n'est pas en mesure de soumettre des propositions pour l'avenir, une sorte de plan qui réconcilierait les besoins et les aspirations complexes du Québec avec ses ressources et son potentiel. Nous sommes cependant en mesure de rejeter catégoriquement l'acceptation passive de la désintégration lente de la communauté d'expression anglaise et nous rejetons avec plus de force encore une vision déterministe et pessimiste qui a cours dans plusieurs milieux et qui voudrait voir le Québec décliner inexorablement vers l'indigence sociale et économique.

Notre croyance en l'avenir de cette province est totale. Notre communauté peut assurer tous les Québécois de sa bonne foi et de sa dévotion. Comme tous les Québécois, cependant, nous reconnaissons qu'un avenir dynamique repose sur la rapide émergence d'une volonté politique et sociale qui lancera le Québec sur le chemin de la prospérité et de l'harmonie.

La réussite de ce nouveau projet politique et social exigera la mise en oeuvre de toutes les ressources humaines disponibles. Dans le passé, admettons-le, le niveau de participation des Québécois d'expression anglaise n'a pas été suffisamment élevé. Pour des raisons qui, selon les époques, se situaient en deçà ou au delà de sa volonté, notre communauté a été absente des débats politiques et structurels qui ont façonné le Québec moderne. La formulation des nouveaux objectifs et la recherche de solutions originales qu'il faut maintenant entreprendre constitueront l'occasion pour les Québécois d'expression anglaise de démontrer leur franc dévouement à cette société.

Plus que jamais, le Québec a besoin de talents et de ferveur pour affronter les défis démographiques, sociaux et économiques. Il faudra une action concertée de toutes les communautés linguistiques pour résoudre au mieux les problèmes de natalité déclinante, des pertes migratoires et de stagnation économique.

Alliance Québec s'engage à faire en sorte que les Québécois d'expression anglaise fassent partie de la solution.

Avant de peut-être passer à vos questions, j'aimerais signaler quelques corrections dans notre mémoire dans la version française, si vous me permettez.

M. Orr (Royal): M. le Président, premièrement, c'est à la page 29. C'est des erreurs dans les chiffres, à la page 29. Au deuxième paragraphe, vous voyez, presque à la fin du paragraphe, 324 000 personnes. Cela doit se lire 210 000.

Le Président (M. French): 210 000 personnes?

M. Orr: C'est cela. Deuxièmement, à la page 30, dans le tableau 9, sous la section Départs Anglais, le dernier numéro de cette colonne, c'est 324, pas 224. En tout dernier, en page 35, au bout du paragraphe, on lit: 3267. Cela doit être 3287, annuellement. Je m'excuse de ces erreurs.

Le Président (M. French): Le 6 devient 8, si j'ai bien compris. Je remercie Mme Duff-Caron et Alliance Québec pour leur mémoire et leurs commentaires préliminaires. Je voudrais donner la parole au député de Vachon. (15 h 30)

M. Payne: Merci, M. le Président, permettez-moi, au nom de notre formation, de vous souhaiter la bienvenue à la commission de la culture. Vous faites large état, dans votre mémoire principal, des transferts linguistiques. Vous dites, si je peux trouver la place! "Nous remarquons également que, dans ce processus de transfert, ni l'une, ni l'autre des deux communautés de langue officielle ne soit clairement avantagée. " Moi, je conteste cela parce que même Henripin, sur lequel vous vous penchez beaucoup, peut nous indiquer, avec les références entre 1971 et 1981, si on regarde la langue maternelle et la langue au foyer, qu'il y a des transferts linguistiques assez importants.

Par exemple, en 1971 seulement, pour la langue maternelle, il y avait 788 000 personnes contre, langue au foyer, 887 000, ce qui, selon mes calculs, représente un transfert favorable à l'anglais d'à peu près presque 100 000, exactement 99 100 transferts linguistiques. On est d'accord?

M. Orr:... sur notre tableau 12?

M. Payne: Non, c'est le tableau no 2, en page 14.

M. Orr: Est-ce que c'est le mémoire de M. Henripin ou le nôtre?

M. Payne: Pardon?

M. Orr: C'est le texte de M. Henripin ou le texte d'Alliance Québec?

Le Président (M. French): C'est le mémoire d'Alliance Québec. Page 14, tableau 2.

M. Ont D'accord, merci.

M. Payne: Le mémoire no 9M. Comme je vous dis, je me réfère à Henripin. J'ai fait les calculs moi-même pour affirmer que les transferts linguistiques sont beaucoup plus favorables au milieu anglophone. Si on fait la comparaison avec 1971 pour la langue maternelle et la langue au foyer, on voit tout de suite un écart de presque 100 000. D'accord?

M. Orr: Pour le français ou l'anglais? M. Payne: Je suis dans l'anglais.

M. Orrs Oui, c'est vrai, c'est à peu près 11% de la population, les transferts linguistiques.

M. Payne: II y a un transfert linguistique, en chiffres absolus, d'à peu près 100 000. D'accord?

M. Orr: Oui.

M. Payne: Si vous faites la comparaison avec le milieu francophone, en 1971, vous aviez 4 866 000 contre 4 870 000. À toutes fins utiles, d'accord, c'est négligeable.

M. Orr: On ne dit jamais que la question des transferts linguistiques est importante, mais nous soulignons que c'est un problème très complexe qui est en développement. Si vous regardez, par exemple, ce qui arrive entre 1971 et 1981, vous pouvez voir l'augmentation des effectifs quant aux transferts linguistiques. Vous allez voir que ce n'est pas totalement clair qu'une communauté ou l'autre est nettement avantagée dans ce processus. Une autre chose, c'est que ces chiffres sont une indication du nombre de personnes qui ont choisi ou qui ont été forcés d'utiliser une autre langue au foyer que la langue maternelle. Cela ne dit rien à savoir si c'est l'anglicisation, l'assimilation ou seulement s'ils ont décidé d'utiliser une autre langue chez eux.

Ce que nous voulons dire sur la question des transferts linguistiques, c'est que c'est un problème en plein développement. Vous recevrez demain, je sais bien, un mémoire de M. Veltman qui indique, par d'autres sortes d'études, l'impact de l'accès aux écoles, par exemple, et l'impact que ça a sur la question des transferts linguistiques.

M. Payne: Est-ce que je peux continuer?

M. Orr: Oui.

M. Payne: Parce que ça m'inquiète. Lorsque vous dites qui ni l'une ni l'autre des deux communautés de langue officielle n'est clairement avantagée, je vous demanderais, selon vos remarques, quels sont vos critères pour un avantage. Je propose, comme un des critères, que la langue au foyer est un critère intéressant pour établir que telle ou telle communauté est avantagée. Pour une raison ou une autre, on utilise dans un certain nombre de foyers la langue anglaise. Si nous pouvons constater démographiquement qu'il y a une tendance que cette communauté soit à la hausse en ce qui concerne la langue au foyer, il y a bien sûr des avantages assez importants sur le plan socio-démographique. Je vais terminer parce que je n'ai pas fait la mention principale. Si c'était presque 100 000 en 1971, soit 99 000, en faveur de la langue au foyer par rapport à la langue maternelle, en 1981, donc un écart de 10 ans, d'une décennie, c'était 114 200. Si vous regardez, c'est 5 248 400, en 1980-1981 pour la langue maternelle, et, pour la langue au foyer, 5 256 800; vous avez donc un écart de 114 200. Donc, de toute évidence, ce n'est pas une affirmation politique ou quoi que ce soit, c'est une question de déduction arithmétique; on ne peut pas dire que ni l'une ni l'autre des deux communautés de langue officielle ne soit pas clairement avantagée.

M. Orr: Est-ce que c'est terminé? Est-ce que je peux répondre?

M. Payne: On va échanger un peu.

M. Orr: D'accord, M. le député. Regardons par exemple à la page 34 de notre mémoire, où vous avez au tableau 12 les nombres bruts des transferts d'un groupe linguistique à l'autre. Vous allez voir, par exemple, comme nous le notons à la page 35, si vous regardez seulement les communautés de langue maternelle anglaise et de langue maternelle française, l'augmentation des transferts linguistiques entre 1971 et 1981. Essayez de voir après cela une sorte de taux de transfert par année. Vous allez avoir ces chiffres notés à la page 35, soit environ 3304 personnes transférées annuellement, de langue maternelle anglaise, qui ont adopté le français. Si vous regardez le même calcul avec la communauté de langue maternelle française, vous avez environ les mêmes

montants, soit 3287. Si nous regardons aussi à la page 34 l'augmentation des transferts des autres communautés linguistiques vers l'anglais et vers le français, vous avez une augmentation entre 1971 et 1981 d'environ 12 000 autres vers le français et 17 000 autres vers l'anglais. Je sais bien qu'il reste encore inquiétant que cela continue, mais les transferts ne représentent qu'environ 5000 personnes. Dans toute la population du Québec, cela est vraiment un très petit groupe.

Une autre chose. Je sais que les recensements du Canada ne sont pas vraiment un outil très précis pour évaluer exactement le taux des transferts linguistiques. Il y a le problème que parfois ces transferts sont sous-estimés parce que, par exemple, dans des familles grecques où on continue de parler le grec au foyer, les jeunes parlent anglais dans la rue avec leurs amis.

Comme M. Veltman va le démontrer demain, oui c'est vrai pour la communauté grecque, mais, si vous regardez la communauté portugaise, par exemple, vous allez voir l'impact de ces nouveaux règlements concernant l'accès aux écoles, c'est-à-dire que, lorsque vous envoyez un enfant dans une école anglophone ou francophone, dans la plupart des cas, les enfants commencent à parler la langue de l'école avec leurs amis, dans les rues. C'est pour cette raison-ci que nous voulons dire que maintenant la balance est presque là et nous sommes en train de régler la situation des communautés des autres langues maternelles face au transfert vers une communauté ou l'autre. C'est-à-dire qu'il semble que nous commencions à avoir des résultats des études qui indiquent que l'acheminement, si vous voulez, des enfants allophones vers la communauté francophone est en train d'être réalisé.

M. Payne: Mais je vais vous répondre: Nous vous invitons à regarder les chiffres de Statistique Canada. Je reviendrais tout à l'heure sur ce que vous venez de dire. Regardons la page 14.

M. Orr: Oui.

M. Payne: Parce que là c'est beaucoup plus clair. On parle de Statistique Canada, de langue maternelle, de langue au foyer. Donc, à la page 34 ce n'est pas du tout clair. Par exemple, a la troisième colonne, lorsque vous dites...

M. Orr: C'est plus clair parce que cela indique exactement de quelle communauté à telle autre le transfert est accompli.

M. Payne: Oui, mais je veux que vous répondiez à ma question d'abord. Je répondrai tout de suite à ce que vous êtes en train de dire, comment définir votre communauté anglophone ou la communauté francophone? Est-ce que vous comprenez là-dedans la langue d'usage et la langue maternelle?

M. Orr: Nous utilisons...

M. Payne: À ce moment-là, vous allez évidemment gonfler le chiffre.

M. Orr: Comme vous l'avez dit ce matin, c'est malheureux que nous n'ayons pas une question posée au recensement sur la langue au travail et les autres questions. C'est difficile des fois de savoir exactement les montants. Nous avons utilisé - sauf à la page 14, où on indique une autre sorte de définition synthétique développée par le Secrétariat d'État - dans le reste de la mémoire, langue maternelle et langue au foyer.

M. Payne: Alors, regardons cela à la page 14.

M. Orr: Oui.

M. Payne: Comme je vous le dis, si on fait la comparaison entre la langue maternelle et la langue au foyer, en 1971, vous êtes d'accord avec moi, il y a un transfert linguitique de 90 000 personnes.

M. Orr: C'est vrai, mais...

M. Payne: Juste un instant!

M. Orr: Oui. C'est à peu près 100 000.

M. Payne: Non, c'est mon tour. Par rapport au français c'est négligeable, parce que la différence est entre 66 400 et 70 100. J'oublie les 4 000 000. Donc, le transfert pour le français est négligeable et le transfert entre la langue maternelle, l'anglais, et la langue au foyer, l'anglais, est favorable à presque 100 000.

M. Orr: Oui, c'est vrai, M. le député, qu'historiquement la communauté anglophone, la langue anglaise a attiré plus d'immigrants, par exemple, des Néo-Québécois, mais ces différences entre ces numéros ne sont pas une sorte de taux par année, c'est cumulatif. C'est-à-dire que tous les gens dans leur vie qui ont choisi de changer d'une langue maternelle à une autre langue au foyer...

M. Payne: Oui.

M. Orr: C'est-à-dire que, si vous avez cette situation et que le gouvernement ou la société intervient pour changer la situation, cela va prendre du temps, parce que...

M. Payne: Oui, mais justement...

M. Orrr:... ce n'est pas un taux, c'est cumulatif. Ce sont tous les gens qui dans leur vie ont décidé de changer de langue. Ce n'est pas parce qu'on indique que 100 000 personnes, en 1981, ont changé de langue qu'il y a 100 000 personnes par année qui changent de langue.

M. Payne: Non, je veux...

M. Orr: C'est une situation qui a un développement avec une histoire et, si vous commencez à intervenir, comme nous l'avons vu avec quelques gouvernements ici au Québec, cela prend du temps.

M. Payne: On va être très court parce que je voudrais bien établir ceci. Sur le plan empirique, ou on s'entend ou on ne s'entend pas. Je prétends qu'il y a un écart considérable. Deuxièmement, les chiffres que je vous donne en 1981, c'est la même question donc: la langue maternelle et la langue au foyer, vous avez 114 200. Cela veut dire que malgré les efforts de l'État pour appuyer le fait français au Québec par le projet de loi 22 ou par le projet de loi 101, vous avez un transfert linguistique favorable jusqu'à environ 115 000 dans dix ans et cela, malgré les efforts les plus fructueux de la loi 101. (15 h 45)

M. Orr: Non, je ne pense pas, M. le député. Il y a au Québec une situation linguistique avec une histoire dans laquelle vous trouvez des choses comme l'attraction de la langue anglaise, pour quelques communautés immigrantes, ethniques. Votre gouvernement a essayé de régler la situation, primordialement en contrôlant l'accès aux écoles. Ces jeunes qui sont maintenant dans les écoles, de n'importe quelle langue maternelle, ne complètent pas des formules de recensement. Il leur faut du temps pour continuer et probablement se marier avec des femmes ou des maris francophones, s'ils fréquentent l'école francophone, et commencer une famille. C'est après cela qu'ils vont commencer à compléter des formules de recensement, en 1991 ou quelque chose comme cela. Il faut donc du temps pour qu'une politique linguistique apparaisse dans ces chiffres.

M. Payne: Je suis d'accord, mais...

M. Orr: Ce n'est pas un outil très précis. Le recensement, ce n'est pas cela du tout.

M. Payne: Oui, mais...

M. Orr: On n'a qu'un recensement aux dix ans, comme vous le savez bien, monsieur.

Une intervention comme celle que nous voyons maintenant au Québec prend du temps, surtout quand elle est destinée directement aux enfants.

M. Payne: On va essayer le... Le recensement ne s'adresse pas spécifiquement aux élèves à l'école.

M. Orr: Non. Vous ne posez que deux questions: Quelle est la langue maternelle? Quelle est la langue au foyer? Regardez par exemple l'étude de M. Veltman, demain, vous allez voir.

M. Payne: Le phénomène en est un de transfert linguistique. On fait abstraction de la question de l'école.

M. Orr: Oui, mais la situation linguistique personnelle est très compliquée. On peut avoir une langue maternelle, une autre langue au foyer et une autre qu'on utilise sur la rue avec les amis. Il y a beaucoup de gens...

M. Payne: N'est-ce pas indicatif - c'est cela le phénomène qu'on essaie d'analyser -si quelqu'un dit: Ma langue au foyer est l'anglais, l'italien, le portuguais, le grec ou le français? Le fait même qu'il fait l'affirmation, c'est un commentaire pour les sociologues et les socio-démographes, n'est-ce pas? C'est cela qu'on essaie de regarder de plus près. Je veux juste m'entendre sur les chiffres.

M. Orr: Oui.

M. Payne: J'ai de la difficulté à voir quel est exactement votre critère lorsque vous affirmez que ni l'une ni l'autre des deux communautés, francophone et anglophone, n'est avantagée.

M. Orr: Nous regardons le changement des chiffres entre 1971 et 1981. Nous regardons les transferts de la langue maternelle française à la langue anglaise au foyer et quelle est la différence durant cette décennie. Nous avons regardé les mêmes changements entre les langues maternelles, anglaise et française, comme langue au foyer. Dernièrement, nous regardions les transferts entre des communautés d'autres langues maternelles et celles de l'anglais et du français. Les chiffres ne sont pas exacts, mais ils sont très proches, surtout quand nous discutons d'une population de 5 000 000. Nous disons aussi que c'est un problème très compliqué. Nous n'avons pas vraiment les outils, maintenant, pour évaluer exactement quelle est la situation avec les transferts linguistiques. Ce que nous voulons dire, c'est qu'à notre avis, en regardant ces chiffres, c'est une situation en amélioration

et ce que nous demandons maintenant, c'est une compréhension plus claire de la question. Comme vous le voyez, dans les chiffres, c'est 11% de la communauté de langue maternelle anglaise qui a subi des transferts linguistiques. Nous voulons comprendre quel est ce processus.

M. Payne: Je laisserai là ma cause en vous référant encore à Henripin. Vous avez là les chiffres absolus. Je dis que c'est 114 200. En ce qui concerne la question du bilinguisme chez les francophones et les anglophones, à la page 44, vous semblez prétendre que les francophones du Québec ont régressé quant au bilinguisme. Je me demande si - je vais le lire d'abord: "Le déclin des personnes bilingues chez Ies répondants de langue maternelle française, pour la même période, tend à prouver que "la situation par rapport au français" s'améliore fortement". Je me demande si vous avez pris connaissance d'une étude de Michel Paillé publiée à la fin de l'année passée pour la direction des études du Conseil de la langue française. Cela sort très clairement qu'il y avait à peu près 253 600 Québécois francophones qui ont appris l'anglais entre 1971 et 1981.

M. Orr: Nous avons utilisé les statistiques du rencensement du Canada de 1981. Nous pouvons les vérifier ensemble après. C'est cela notre source. Je ne connais pas exactement les sources de M. Paillé. Je suppose que ce sont les mêmes. J'ai lu le rapport de M. Paillé, mais, malheureusement, cela a paru après la date limite pour la soumission de notre mémoire.

Je veux regarder cela ensemble, après, M. le député, mais, à ce moment-ci, nous avons utilisé les stastistiques de Statistique Canada et c'est tout ce que nous avions comme ressource, à ce moment-là.

Comme vous voyez dans notre mémoire, plusieurs fois nous avons utilisé des statistiques et des études du conseil. Nous sommes conscients que le conseil fait des études qui sont vraiment utiles pour un groupe comme le nôtre afin de comprendre la situation. Mais, malheureusement, comme j'ai dit, nous n'avons pas eu l'occasion d'utiliser cette étude.

M. Payne: J'aimerais que vous la lisiez parce que c'est intéressant, particulièrement parce qu'elle se penche sur une étude du Conseil supérieur de l'éducation lorsque, l'an passé, ils ont déposé un document sur l'enseignement des langues secondes dans les écoles primaires et secondaires au Québec. C'est bien important pour Alliance Québec...

M. Orr: Oui.

M. Payne:... parce que le dernier avis du Conseil supérieur de l'éducation rappelait comment les communautés anglophones et francophones du Québec expriment, les deux avec force, leur attente pour un enseignement efficace de l'anglais ou du français, selon le cas. Ce qui sort de cette étude, c'est qu'elle donne une augmentation de 20% pour les francophones en ce qui concerne le bilinguisme. Et, moi comme vous, nous entendons beaucoup à la radio, en anglais particulièrement, cette affirmation que c'est à la baisse chez les francophones. Ce n'est pas du tout vrai. Ce n'est pas supporté par les études. Et l'étude de Paillé est particulièrement remarquable à cet égard.

M. Orr: Mais, si cela est possible, peut-être pouvons-nous la regarder ensemble après? Cela nous donnera d'autres informations pour la prochaine fois.

M. Payne: Cela n'empêche qu'en concluant j'aimerais bien vous remercier pour l'échange.

M. Orr: Est-ce que je peux ajouter quelque chose, ici? Je vais aussi noter une autre étude qui a paru après. C'est l'étude de Gilles Grenier sur la rentabilité des langues sur le marché du travail. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire cela...

M. Payne: Oui.

M. Orr:... mais cela indique, je pense bien, qu'il y a vraiment une situation d'amélioration. Cela indique aux jeunes travailleurs que c'est de plus en plus possible pour eux de travailler et d'entrer en compétition par rapport aux salaires avec les bilingues et surtout les unilingues anglophones. Donc, il y a quelques études qui ont paru après la date limite de la soumission et qui nous donnent beaucoup plus d'informations sur le bilinguisme au Québec.

M. Payne: Oui. Cela me rappelle aussi l'étude de Monière, sur le même sujet, qui a été publiée l'année précédente.

M. Orr: Je veux seulement dire que nous sommes d'accord que c'est important pour les groupes comme le Conseil de la langue française de continuer avec ces études, mais nous voulons dire aussi que c'est important d'être toujours conscient de la communauté anglophone dans ces études parce que, des fois, c'est important d'avoir de plus amples renseignements, peut-être des études qui sont reliées directement à notre communauté.

M. Payne: Oui, c'est sûr que l'on pourrait...

Le Président (M. French): Écoutez, je regrette de vous interrompre mais nous avons déjà passé 23 minutes et il reste quatre autres intervenants. Avec votre permission... Voulez-vous dire quelque chose en concluant?

M. Payne: Non. Mais je suis le seul de mon côté, M. le Président...

Le Président (M. French): Oui, je reconnais cela.

M. Payne: Si vous avez quatre autres...

Le Président (M. French): Tout en calculant sur le plan du temps, on va s'assurer que le temps a été divisé également. D'accord?

M. Payne: Oui.

Le Président (M. French): Cela veut dire qu'on va revenir à vous à un moment donné. M. le député de Marquette. N'oublions pas qu'il y a un député indépendant qui va quand même prendre du temps qui n'appartient ni à un côté, ni à l'autre.

M. Proulx: Vous pourriez m'identifier comme le député de Saint-Jean, cela ferait...

Le Président (M. French): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, au nom de l'Opposition officielle, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants d'Alliance Québec qui sont avec nous, cet après-midi, dans le cadre de notre mandat d'initiative. Je souhaite la bienvenue aussi à un nouveau député de l'Opposition.

Une voix: Cela est exact.

M. Dauphin: II est dans l'Opposition.

Une voix: De l'autre côté de la table.

M. Dauphin: Plusieurs intervenants avant vous et vous aussi d'ailleurs, effectivement, avez parlé entre autres de l'exode de plusieurs anglophones, notamment des jeunes anglophones du Québec vers d'autres provinces canadiennes ou aux États-Unis, peu importe. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus, c'est-à-dire que j'ai eu à m'occuper des jeunes pendant quatre ans, ici à l'Assemblée nationale, pour ma formation politique et j'ai eu également à rencontrer plusieurs jeunes anglophones du Québec, de la région de Montréal.

Le taux de chômage au Québec chez les jeunes, évidemment, a toujours varié entre 20% et 25%. Cependant, si on regarde en Ontario, exception faite du boom albertain, qui est moins boom aujourd'hui, le taux de chômage chez les jeunes est quand même assez élevé. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Pour quelles raisons quittent-ils le Québec, d'autant plus que ces jeunes anglophones du Québec se "bilinguisent" de plus en plus, ce qui à mon point de vue est un avantage autant pour les francophones que pour les anglophones, si on veut faire des affaires entre autres? J'aimerais avoir vos commentaires. Pour quelles raisons quittent-ils en aussi grand nombre le Québec, considérant qu'ils se "bilinguisent" de plus en plus, ce qui est un avantage pour eux, considérant que le taux de chômage est très élevé dans les autres provinces canadiennes? Je me demande la raison...

Mme Duff-Caron: II nous semble que le taux de chômage, ici au Québec, est plus élevé que dans d'autres provinces de l'ouest du Canada. Il nous semble que la raison pour laquelle il y a exode, surtout des jeunes très bien éduqués, avec une formation universitaire, au niveau du cégep aussi, c'est parce qu'il n'y a pas d'emploi ici au Québec. Donc, c'est l'économie qui est la raison primordiale, essentielle. On n'a pas fait d'étude pour savoir la destination de tous ces jeunes, mais il se peut qu'ils s'en aillent aux États-Unis aussi, en nombre assez important. Donc, pour répondre à votre question, essentiellement, je crois que le problème, tant pour les anglophones que pour les francophones, c'est une question d'emplois; il n'y en a pas.

M. Dauphin: D'accord. J'aurais une autre petite question. À la page 25 de votre mémoire, vous faites état des jeunes femmes anglophones du Québec. Après leur avoir posé la question si elles désiraient avoir des enfants, on dit: "II est de plus démontré que les jeunes femmes d'expression anglaise qui continuent de demeurer au Québec non seulement n'ont pas d'enfant mais ne fondent même pas de foyer dans une moyenne à laquelle on pourrait s'attendre. "

Alors, on dit "perspectives économiques"; c'est vrai que cela joue pour toutes les communautés, non seulement pour la communauté d'expression anglaise, sans parler aussi du manque de confiance. Est-ce que vous pourriez élaborer là-dessus? Quand vous dites "manque de confiance", ce serait une des raisons pour lesquelles elles ne font pas d'enfant ou qu'elles ne veulent pas avoir d'enfant? (16 heures)

Mme Duff-Caron: Bien, ce sont surtout des hypothèses, évidemment. J'ai des enfants et je suis une jeune femme du Québec. Alors, je ne peux pas parler pour celles qui ne veulent pas fonder un foyer. Mais il nous semble que cela doit être la question du

manque de confiance. Si je ne peux pas me payer un repas, comment est-ce que je peux payer un repas à mes enfants? C'est essentiellement une question, là encore, de certitude financière, de la possibilité de prédire que d'ici à cinq ans j'aurai assez à la banque pour que je n'aie pas à travailler afin que je puisse garder mes enfants ou, si je veux continuer à travailler, est-ce que j'aurai les moyens de me payer une gardienne ou est-ce qu'il y aura possibilité de mettre mes enfants dans une garderie? C'est toute une gamme de raisons, surtout des hypothèses, mais il nous semble que, principalement, là encore il s'agit d'économie...

Une voix: Question économique.

Mme Duff-Caron:... du sens de l'atmosphère qu'on peut réussir ici au Québec.

M. Dauphin: D'accord, je reviendrai tantôt, M. le Président, si vous me dites qu'il y a quatre collègues qui veulent intervenir.

Le Président (M. French): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci, M. le Président. Nous avons eul'occasion, au cours des deux derniers jours, d'examiner tout le phénomène des migrations hors Québec, le Québec étant victime - M. Henripin l'a clairement établi ce matin - d'une saignée considérable de sa population vers l'extérieur de la province et peut-être l'extérieur du pays même. M. Henripin a aussi établi qu'il avait identifié... À une question que je lui posais, sa réponse - et je résume - fut que c'est de commune renommée qu'une grande proportion de cette migration est composée d'anglophones et d'allophones. On a établi, aussi, qu'il y avait eu une évolution au cours des dernières années qui avait fait passer, depuis 1976, la moyenne du solde migratoire d'environ 30 000 par année à une moyenne qui s'approchait plus des 20 000 actuellement. Est-ce que vous avez des explications concernant ces modifications en ce qui concerne les chiffres qui sont en train de nous être révélés au sujet des soldes migratoires? Est-ce que, à votre avis, comme il semble avoir été établi par d'autres intervenants, la forte proportion d'allophones et d'anglophones dans ces mouvements migratoires serait une partie de l'explication du fait que le bassin, le réservoir de migrants potentiels diminue, ce qui a pour effet de diminuer le total des gens qui passent à l'extérieur des frontières de la province de Québec? Est-ce que vous avez des explications sur ces changements qui se produisent actuellement?

Mme Duff-Caron: Je ne suis pas sûre si j'ai bien compris le sens de la question. Pour la question de l'exode des jeunes, l'histoire de notre communauté est qu'il y avait une mobilité assez importante et constante, une mobilité qui allait dans les deux sens. On attirait des jeunes des autres provinces ici au Québec et vice versa; les autres provinces attiraient nos jeunes.

Il y a toujours l'attraction pour les autres provinces du Canada et peut-être pour les États-Unis. Il y a une attraction peut-être moindre, maintenant, au Québec. La société est peut-être vue, de l'extérieur, comme moins ouverte, moins accueillante et c'est cela qu'il nous faut pour renverser cette tendance, la perte nette, finalement, résultant de toutes ces migrations. Je ne sais pas si cela répond.

M. Doyon: Oui, cela répond en partie, mais en d'autres mots est-ce que vous souscrivez à la proposition qui a été faite par, entre autres personnes, M. Henripin, ce matin, selon laquelle une forte proportion des émigrants de la province de Québec, c'est-à-dire des gens qui quittent la province, est composée - je parle selon votre expérience et les contacts que vous avez d'anglophones ou d'allophones? Est-ce que vous souscrivez à cette proposition de M. Henripin?

Une voix: Certainement, oui, c'est à peu près...

M. Doyon: À partir de là, est-ce que vous pouvez nous dire, si vous souscrivez à cette proposition, de quel ordre serait la proportion de gens qui quittent le Québec sur les 20 000 ou 25 000 annuellement que nous voyons quitter le Québec?

Mme Duff-Caron: Quel pourcentage? Est-ce cela que vous demandez?

M. Doyon: Oui. Quel pourcentage serait dû au départ d'anglophones ou d'allophones, si vous pouvez nous éclairer là-dessus?

M. Orr: C'est à la page 30. Vous avez un tableau qui indique les différents groupes par la langue maternelle, les soldes nets et les pourcentages aussi. Vous voyez, par exemple, que cela commence avec "arrivées", "départs" et, troisièmement "solde". Entre 1976 et 1981, 75% des départs étaient des anglophones, disons des citoyens de langue anglaise maternelle. C'était encore plus élevé pour 1971 à 1976, environ 84%.

M. Doyon: Si on accepte qu'il y a effectivement une diminution du solde migratoire, c'est-à-dire de la perte nette, sèche, de citoyens du Québec, si on accepte qu'il y a une diminution passant d'une

moyenne de 30 000 par année à, en 1983-1984, quelque chose de l'ordre de 20 000 à 21 000, avez-vous des explications à nous soumettre sur les raisons qui expliqueraient cette diminution du solde migratoire?

M. Orr: Oui, il y a quelques raisons: On a discuté des diminutions d'un bassin d'immigrants, mais aussi le boom pétrolier de l'Alberta a cessé, par exemple, et le pouvoir d'attraction des provinces de l'Ouest aussi. Il y des taux de chômage très élevés dans toutes les provinces maintenant. Nos jeunes sont de plus en plus capables de travailler en français si c'est nécessaire. Je vous donne une indication de cela, c'est que récemment l'étude de M. Grenier indiquait qu'en 1981 les jeunes travailleuses entre 15 et 24 ans étaient bilingues à 74%. Donc, nos jeunes sont de plus en plus capables de rester ici et de chercher des emplois. Il n'y a pas les mêmes "opportunités" dans les autres provinces. Le bassin des immigrants est beaucoup plus restreint, beaucoup plus petit. Il y a quelques raisons. Cela nous donne le défi d'assurer que ceux qui décident de rester ici pour n'importe quelle raison auront l'occasion de profiter d'une telle décision ici, au Québec, et de vraiment assurer un avenir prospère et non seulement pour les anglophones.

Le Président (M. French): Merci, M. le député. M. le député de Saint-Jean.

M. Proulx: Vous avez dit: "Les rares données gouvernementales disponibles nous ont doublement frappés car elles mettaient l'accent de façon presque acharnée sur le Québec d'expression anglaise, vu comme une force assimilatrice. " Quant à moi, la force assimilatrice envers Ies anglophones, mais elle vient surtout de la part des Américains, de la culture américaine, de la puissance américaine, des médias américains, de la radio, de la télévision et des journaux. C'est cela qui, à mon avis, est la force la plus dangereuse. Tous nos jeunes Québécois n'écoutent que la musique américaine et écoutent le cinéma américain. C'est toute la culture américaine qui, à mon avis, est une force assimilatrice beaucoup plus que peut-être le groupe d'expression anglaise de Montréal. Qu'en pensez-vous? Est-ce que vous partagez un peu mon opinion là-dessus?

Mme Duff-Caron: Oui, j'accepte certainement la déclaration qu'on fait partie de l'Amérique du Nord et qu'il est sûr que la musique américaine joue un rôle assez important parmi nos jeunes. C'est la même chose pour la télévision et les films, le cinéma.

M. Proulx: La littérature, les journaux.

Mme Duff-Caron: Oui, pourtant on a de bons journaux français qui viennent de notre milieu, du Québec, mais aussi de la France. Je ne sais pas où cela va nous amener de constater une telle influence. On ne peut pas refuser d'accepter que cela existe, peut-être que la façon est d'encourager encore... On met l'accent sur l'encouragement de la langue française, l'encouragement des publications françaises, des programmes à la télévision française plutôt que la prohibition ou d'essayer d'arrêter la réception des programmes des États-Unis, qui ont quand même des choses intéressantes. Cela nous fait apprendre aussi.

M. Proulx: Une autre affirmation qui me surprend, c'est quand vous dites: "Les Québécois d'expression anglaise demeurent un important élément de tissu social dans presque toutes les régions du Québec. " Cela me frappe un peu. Je me demande si ce n'est pas un peu exagéré. Vraiment le tissu social, avec toutes les structures et moyens d'éducation sociale, c'est à Montréal, et vous parlez d'un tissu social dans les Laurentides, dans l'Outaouais, dans l'Estrie et dans la Gaspésie. Je parlais de Richmond, hier. Il n'y pas plus que 5% à 6% d'anglophones dans Richmond. Il n'y a pas beaucoup... Le vrai tissu social anglophone, avec toutes ses structures, tous ses moyens, toute cette vie sociale, est surtout à Montréal et dans le West Island.

Mme Duff-Caron: Mais il s'agit de nombres absolus plutôt que le pourcentage, parce qu'on parle quand même - il me semble que c'est 50 000 personnes dans l'Outaouais et dans les Cantons de l'Est...

M. Proulx: Combien?

Mme Duff-Caron:... il y a 150 écoles anglaises à l'extérieur de l'île de Montréal. Oui, les nombres ne sont pas aussi importants s'il s'agit d'un pourcentage de 5%, mais quand même, lorsqu'on regarde les gens derrière ces chiffres-là, on parle de 50 000 personnes qui sont membres d'une communauté, qui ont leurs traditions, qui ont leur langue, les traditions...

Une voix: Leur journal.

Une voix: II y en a un seul.

M. Payne:... quotidien, aussi.

Mme Duff-Caron: Oui.

M. Proulx: II y en a un à Sherbrooke.

Le Président (M. French): Le Record.

M. Orr: C'est un bon exemple, les

Cantons de l'Est, parce qu'il y a un réseau des écoles, un journal quotidien, un hôpital qui reste, une université, un cégep...

M. Proulx: C'est peut-être la seule région où le tissu anglophone a un certain...

M. Orr: Même la Gaspésie, par exemple, où il reste toutes les églises, toutes les écoles, un pavillon anglophone au cégep de la Gaspésie...

M- Proulx: Oui?

M. Orr: Oui. Dans l'Outaouais, encore, il y a tout le réseau des écoles, des églises, Heritage Campus, avec le cégep de l'Outaouais; la Basse-Côte-Nord, c'est 80% anglophone dans la Basse-Côte-Nord.

M. Proulx: Quelle place?

M. Orr: La Basse-Côte-Nord, c'est-à-dire Blanc-Sablon, toute la région comme telle.

M. Proulx: Ah! Bon.

M. Orr: Certainement, il existe quelques petites régions comme le Saguenay ou la Mauricie, où il reste peu de personnes et on a vraiment des problèmes à maintenir nos institutions. Mais, dans ces autres régions que nous avons mentionnées, il y a vraiment une communauté qui est là et qui est prête à continuer de lutter. Je parle comme estrien moi-même. C'est une chose qui importe pour moi, mais oui, vraiment, une communauté existe dans ces endroits.

M. Proulx: Avec un tissu social...

M. Orr: Avec un tissu social, oui.

M. Proulx: II y a une force qui...

Mme Duff-Caron: II y a un désir de continuer aussi d'exister.

M. Proulx: Oui, mais cela inquiétait M. Scowen. Il était inquiet pour ceux qui partent des Cantons de l'Est. Lui-même a quitté les Cantons de l'Est, je pense.

Le Président (M. French): Cela fait pas mal longtemps.

M. Proulx: II a fait son argent là. Vous dites une autre phrase. Les Montréalais d'expression anglaise connaissent une richesse culturelle et un esprit de tolérance. Un esprit de tolérance, cela me frappe un peu. Il y a un petit détail historique, je ne veux pas insister. J'ai vu un phénomène à l'école Mont-Royal, la semaine passée, et, quand vous me parlez d'esprit de tolérance, je me pose des questions. J'ai l'impression qu'à Montréal les vieilles familles anglophones, depuis 1760, ont vécu un peu à l'ouest de la rue Saint-Laurent, ont vécu les "deux solitudes", de Hugh McLennan, autrefois. Vous parlez d'esprit de tolérance. Combien de fois - je suis beaucoup plus âgé que vous - quand je suis allé à Montréal, on m'a dit: "Excuse-me, I do not speak French". Alors, cet esprit de tolérance, autrefois, n'existait pas. Il a peut-être changé. Il existe peut-être, vous le représentez peut-être, vous tous, une nouvelle génération d'anglophones, ou des anglophones qui viennent de l'extérieur du Québec, qui viennent de l'Ouest, ou des anglophones qui viennent d'autres pays, qui sont sortis du Québec, qui sont allés ailleurs, qui sont revenus avec un esprit beaucoup plus ouvert, comme le vôtre, M. French, vous qui avez fait de grandes études universitaires, un homme brillant, entre autres. Mais, je vous dis ceci, cet esprit de tolérance autrefois - je disais que chez les anglophones il y avait un esprit d'intolérance - je vous pose une question. Est-ce que la jeune mentalité, les jeunes que vous représentez, est beaucoup plus ouverte à l'égard de la culture française, de la civilisation française? Est-ce que vous traversez la rue Saint-Laurent, de temps en temps, ou bien si vous restez dans le West Island?

Mme Duff-Caron: Oui, je traverse la rue Saint-Laurent. En plus, il y a 70 000 anglophones qui habitent à l'est de la rue Saint-Laurent.

M. Proulx: L'autre côté de la rue Saint-Laurent? (16 h 15)

Mme Duff-Caron: Oui, c'est cela.

Tolérance! Je crois que, dans l'histoire de l'île de Montréal, il y avait toujours des anglophones qui travaillaient à côté des francophones. Il y avait peut-être des exceptions. J'espère qu'il s'agissait d'exceptions. De nos jours, on ne prétend pas que tout le monde a la même tolérance que nous, mais cela va des deux côtés, je crois. Et l'intolérance, il y en a parce qu'il y a l'ignorance. C'est un manque d'éducation, un manque de connaissances de l'autre communauté.

M. Proulx: Les deux solitudes.

Mme Duff-Caron: Effectivement, c'est cela. Mais je crois que, de plus en plus, les deux communautés se connaissent, veulent se connaître. Elles vont réussir à se connaître. Oui, je crois qu'il y a une évolution...

M. Proulx: Une nouvelle génération. Mme Duff-Caron:... et une acceptation.

Le fait que les jeunes soient ici, qu'ils sont engagés à vivre, à demeurer et à participer à la vie du Québec, c'est certainement... On ne parle plus de tolérance, on parle du fait qu'on se sent à l'aise dans notre province, on fait partie de la province de Québec.

M. Proulx: Vous touchez le mot que je voulais dire, le mot "tolérance" est péjoratif et négatif.

Mme Duff-Caron: Oui.

M. Proulx: Cela veut dire que vous nous tolérez. C'est un peu... Alors, j'aime beaucoup mieux - vous l'avez dit tout à l'heure - nous nous acceptons et nous vivons ensemble. Le mot "tolérance" est quelque peu péjoratif. Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire?

Mme Duff-Caron: Je comprends ce que vous voulez dire et c'est certainement...

Une voix:... péjoratif.

M. Proulx: Intolérant, oui. M. le Président...

Mme Duff-Caron: Ce n'était pas dans ce sens-là, peut-être que c'est un mot qui a été mal choisi.

M. Proulx: Cela va.

Vous avez dit qu'il faut élargir l'accès à nos écoles pour les enfants d'expression anglaise. M. Payne en a parlé.

Je veux toucher à un autre problème, "il faut accéder plus facilement aux emplois et aux services gouvernementaux". M. Scowen aussi a beaucoup parlé de ce problème, je pense. Il a fait des statistiques assez intéressantes sur le nombre d'anglophones qui travaillent au parlement. Avez-vous donné les statistiques sur le nombre de Québécois qui ont des postes supérieurs à Ottawa? Vous ne pensez pas qu'il y a une espèce de juste équilibre?

Le Président (M. French): On a fait ce débat ce matin, M. le député.

M. Proulx: D'accord, je m'excuse.

Le Président (M. French): Vous avez manqué l'expert de ce sujet, qui est encore parmi nous d'ailleurs.

M. Proulx: M. Castonguay?

Le Président (M. French): Oui, c'est cela.

M. Proulx: C'est un de mes grands amis.

Le Président (M. French): Voilà:

M. Proulx: Vous n'avez pas enseigné au collège militaire, vous? Non?

Une voix: Voilà!

M. Proulx: Kingston ou Royal Roads?

Une voix: Saint-Jean.

M. Proulx: Saint-Jean. Nous sommes deux collègues, c'est encore mieux!

Le Président (M. French): Encore mieux!

M. Proulx: C'est un docteur émérite.

Juste une dernière remarque, j'achève, M. le Président. Les sondages SORECOM indiquaient qu'une très forte majorité de Québécois appuyaient les revendications de la communauté d'expression anglaise sur son droit de gérer et de contrôler les institutions qu'elle jugeait nécessaires à la survivance, nommément les écoles. J'aimerais bien - je vous dis cela - que la même chose arrive en Ontario aussi, qu'on puisse, les francophones, gérer nos écoles. Vous connaissez la lutte qu'on fait. Est-ce...

Mme Duff-Caron: Mais, effectivement...

M. Proulx:... que vous saisissez le problème qui existe? Les francophones n'ont pas la commission scolaire. Est-ce que vous êtes sensible à cela?

Mme Duff-Caron: II y a un jugement à cet effet-là, de la Cour d'appel de la province d'Ontario, auquel nous étions des intervenants pour appuyer la demande des Franco-Ontariens d'avoir le pouvoir de gérance, d'administrer leurs écoles. Le jugement de la Cour d'appel a accueilli la requête, l'appel des Franco-Ontariens...

M. Proulx: Pour qu'ils puissent avoir leur propre conseil scolaire.

Mme Duff-Caron: Absolument.

Une voix: C'est cela.

M. Proulx: C'est cela. C'est une lutte... Cela fait...

M. Orr: Que nous avons appuyés comme organisme.

M. Proulx: Vous les avez appuyés?

M. Orr: Oui, dans les cours.

M. Proulx: Je peux continuer, est-ce que j'ai encore du temps, M. le Président?

Le Président (M. French): Vous avez très peu de temps, M. le député, si vous voulez résumer.

M. Proulx: Je résume. Une phrase qui me frappe à la fin, je voudrais que vous nous l'expliquiez. "Nous sommes, cependant, en mesure de rejeter catégoriquement l'acceptation passive de la désintégration lente de la communauté d'expression anglaise et nous rejetons avec plus de force encore une vision déterministe ou fataliste et pessimiste qui a cours dans plusieurs milieux qui voudraient voir le Québec décliner inexorablement vers l'indigence sociale économique. "

Alors, pourquoi le Québec déclinerait inexorablement vers l'indigence sociale économique? À cause de quoi?

M. Orr: Mais le taux de fécondité... M. Proulx: Pardon?

M. Orr: Le taux de fécondité, tous les défis démographiques que nous pouvons voir maintenant, on peut dire le taux élevé de chômage, le manque d'investissements dans l'économie, toutes ces choses. Nous voulons dire tout simplement que, si nous acceptons un avenir restreint, nous allons réussir à gagner un avenir restreint. Cela prend une volonté politique et une concertation entre tous les groupes linguistiques de notre province pour faire face à ces défis ensemble et seulement ensemble. C'est possible, pour nous, de bâtir la sorte de société que nous voulons ici au Québec.

M. Proulx: La dernière remarque, à la page 6: "Les politiciens, ceux qui prennent les décisions au Québec ne peuvent continuer à considérer la communauté d'expression anglaise du Québec comme une menace culturelle". Quant à moi, je vous le dis en conclusion, comme Québécois, comme francophone, c'est l'influence américaine, à mon avis, dans toute sa culture, dans toute sa présence et l'empire américain, l'empire culturel, l'empire économique, l'empire militaire. L'historien français qui a écrit le livre "L'empire américain", qui a écrit cela?

Une voix: Servan-Schreiber. Une voix: Claude Julien.

M. Proulx: Merci. Claude Julien a écrit un livre remarquable là-dessus que je vous recommande de lire. L'empire américain, l'empire militaire, culturel, économique, social et même religieux, à cause de toutes les religions qu'on entend le dimanche à la radio. Je pense que pour nous c'est cela qui est vraiment la menace et vous, vous faites partie de cette communauté anglophone, quand même. Quant à moi, c'est cette menace au niveau du subconscient. Quand nos jeunes enfants écoutent des chansons américaines et que leur subconscient est imprégné de cette culture américaine, c'est cela qui est une menace fondamentale pour notre propre culture et notre propre identité nationale. Est-ce que vous êtes de mon avis, là-dessus?

Mme Duff-Caron: Tout d'abord j'aimerais bien dire que nous ne nous considérons pas partie des anglophones américains, de groupes américains.

M. Proulx: Je parle de civilisation.

Le Président (M. French): II est d'accord avec vous. C'est exactement ce que vous dites, je crois, M. le député.

Mme Duff-Caron: Ah! bon.

Le Président (M. French): II ne vous accuse pas de transmettre cette maladie américaine.

Mme Duff-Caron: D'accord. J'ai mal compris alors.

Le Président (M. French): Au contraire, il veut souligner le fait que vous ne le faites pas.

Mme Duff-Caron: Comme je l'ai dit tout à l'heure, effectivement, j'accepte la thèse d'une influence très forte et très importante des Américains. Ce sont les Américains, leur publicité, leurs programmes de télévision, leurs journaux, leur musique, le tout.

M. Proulx: Leur présence quotidienne. Mme Duff-Caron: Oui, dans notre vie.

M. Proulx: On va finir par se tolérer les uns les autres.

Mme Duff-Caron: Peut-être même... Je comprends.

M. Proulx: Voyez-vous, an a des anglophones avec nous qui viennent d'Angleterre, ce qui est une richesse, pour nous, extraordinaire, d'autres qui sont allés étudier à Cambridge, à Eton. Où êtes-vous allé étudier, M. le Président. Dites-leur. Cambridge? Eton?

Le Président (M. French): Je ne suis pas assez chanceux pour être allé à Eton, quand même. Oxford.

M. Proulx: Oxford?

Le Président (M. French): David et moi savons bien que ce n'est pas possible d'aller à Eton.

M. Proulx: Vous n'êtes pas allé au même collège que M. Parizeau?

Le Président (M. French): Non, parce qu'il est allé au London School of Economics.

C'est M. Jacques-Yvan Morin qui est allé à Cambridge.

M. Proulx: Merci, M. le Président.

Le Président (M. French): Très brièvement, parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. Je voudrais tout simplement vous dire que je pense que mon collègue de Saint-Jean vous a donné une piste importante lorsqu'il a parlé de la menace américaine, une menace culturelle, puisque justement il ne faut pas confondre le problème du nombre de non-francophones résidant à l'intérieur des frontières du Québec avec le problème de la menace de la culture populaire anglicisante, qui est essentiellement américaine. Ce sont deux problèmes différents et le plus rapidement Alliance Québec se mettra à le dire à ses concitoyens de langue française au Québec, le plus rapidement ces concitoyens vont commencer à faire des distinctions importantes pour la population non francophone québécoise. Je pense que vous ne pouvez pas vous renseigner et répéter ce message suffisamment parce qu'il devient de plus en plus évident que ce genre de distinction peut se faire et devrait se faire. Ce n'est pas à cause du nombre de non-francophones habitant dans certaines régions du Québec qu'à Jonquière et à Rimouski il y a des transferts d'écoute vers les postes américains sur la télévision par câble, par exemple. Cela, c'est une question extrêmement importante pour les francophones et pour tous les Québécois et qui n'a strictement rien à faire avec la problématique populationniste de la culture francophone telle que vécue dans les années soixante et soixante-dix. Tout simplement, je vous passe le message encore une fois et je pense que c'est extrêmement important.

M. Proulx: Donc, on est du même avis.

Le Président (M. French): Certainement et pas pour la première fois.

M. Proulx: Pas à tous les jours.

Le Président (M. French): C'est ma grande tolérance. Deuxièmement, je voudrais quand même essayer d'en venir au message essentiel que vous nous livrez sur le plan des politiques concrètes. Si je l'ai saisi, c'est que vous endossez le message que nous avons reçu de M. Henripin et du groupe de recherche démographique de l'Université de Montréal, à savoir que l'un des volets ou l'un des instruments importants dans une politique visant à redresser un avenir plutôt sombre sur le plan de la population pour le Québec, pour notre société, c'était d'essayer de conserver plus de Québécois qui sont déjà ici parmi nous et de réduire les pressions qui ont fait, dans le passé et peut-être dans l'avenir, mais dans le passé certainement, en sorte qu'un minimum beaucoup trop élevé de Québécois ont décidé de vivre ailleurs, la plupart étant des non-francophones, la plupart étant des anglophones. Vous êtes d'accord que, parmi plusieurs instruments disponibles pour une politique de la population du Québec, ce serait certainement d'en savoir plus sur les raisons de ces départs et, deuxièmement, d'essayer de contrer ou de changer les politiques gouvernementales et autres, ce qui ferait en sorte qu'il y aurait moins de pression, ces raisons-là seraient moins pertinentes aux yeux des immigrants potentiels.

Mme Duff-Caron: Oui, M. le Président et peut-être même d'une manière plus positive, en voulant dire que l'insistance doit être sur des moyens positifs qui vont encourager les gens à rester ici au Québec.

Le Président (M. French): M. le député de Vachon.

M. Payne: Oui. Simplement pour vous remercier, au nom de notre formation, de votre mémoire, tout en souhaitant qu'on puisse trouver un terrain d'entente en ce qui concerne les transferts linguistiques. Cela m'inquiète beaucoup que cette idée puisse être répandue dans la communauté anglophone, qu'il n'y ait pas d'écart entre les transferts linguistiques des deux communautés. Même M. Henripin lui-même se montrerait très réticent à accepter l'affirmation que vous avez faite. C'est assez important parce que, comme je l'ai dit, cela a souvent été répandu dans le milieu anglophone.

Deuxièmement, j'ai beaucoup de difficulté à accepter que le taux de bilinguisme n'est pas aussi élevé dans le milieu francophone. Je vous ai apporté, à l'appui de cela, l'étude du Conseil supérieur de l'éducation documentée et commentée amplement par M. Michel Paillé à la fin de l'année passée. En plus, il est assez important de répéter ce que nous avons dit à plusieurs reprises, que le taux net de diminution dans la migration interprovinciale, le solde net, est significativement à la baisse.

Quelqu'un a posé la question, à savoir -je pense que c'était en réponse à une question du député de Louis-Hébert -

comment se fait-il que cela soit maintenu? D'abord, il faut dire comme prémisse que ce n'est pas maintenu, c'est à la baisse. Par exemple, je peux vous signaler que, de 1967 à 1971, c'était 56 000 - 50 000 - je parle en milliers - 73 000 en 1970, 63 000 en 1971. Je pourrais continuer, mais, pour les neuf premiers mois de l'année dernière, cela a été de 33 000 sorties interprovinciales. Premièrement, cela est un message qui devrait être souligné auprès du milieu anglophone et, deuxièmement, en réponse à la question - je pense que la question a été faussée par l'Opposition - à savoir pourquoi cela s'est maintenu, je dis que ce n'est pas maintenu, c'est à la baisse.

Pourquoi est-ce à la baisse? Il serait aussi intéressant d'ajouter d'autres facteurs. Vous avez dit que c'est non seulement l'effet de l'après-boom en Alberta - c'est un facteur, c'est sûr - c'est aussi un facteur qu'il y a du chômage, comme vous l'avez dit, à l'extérieur du Québec dans les autres provinces, mais aussi il y a des effets des lois 101 et 22 qui ont une large acceptation dans les milieux anglophones avec les accommodements apportés par le projet de loi qui amendait la loi 101 l'année dernière. Vous avez été une partie importante de l'équipe de révision. Si on pouvait discuter peut-être à un autre moment de quelques modifications à apporter à quelques conclusions de votre rapport, on pourrait bien s'entendre pour refléter la réalité au Québec: transferts linguistiques, taux de bilinguisme et aussi la nette et significative diminution du solde migratoire interprovincial depuis les 20 dernières années et spécialement depuis les cinq dernières années.

M. Orr: Les trois choses, oui. Premièrement, sur les transferts linguistiques, c'est un problème très complexe et nous voulons le comprendre beaucoup mieux et peut-être que vous pouvez nous aider à convaincre le Conseil de la langue française d'investir des ressources sur une telle question. On ne l'a pas dit aujourd'hui mais nos sondages indiquent que beaucoup de gens, dans la communauté anglophone, appuient la nécessité d'avoir des règlements qui protègent la langue française au Québec. Ce n'est pas une question de protéger ou de ne pas protéger le français, c'est une question de protéger la langue française de ce dont les autres communautés ne semblent pas vraiment menacées. Sur la question du bilinguisme, vous m'avez donné cette étude, je vais la lire attentivement et je communiquerai certainement avec vous.

Mme Duff-Caron: J'aimerais bien ajouter, M. le député, que le document qu'on a présenté aujourd'hui est un document de base qui va servir à notre communauté, à notre organisation afin de mieux se définir et de mieux fixer nos priorités pour demain et l'avenir. On ne va certainement pas le mettre dans la bibliothèque et dire: C'est fini, on a fait notre travail. On est toujours en train de nous mettre à jour et nous sommes certainement très heureux de connaître d'autres études, de faire d'autres recherches et, comme je vous le disais, de mettre à jour nos documents parce que cela va servir ànotre communauté aussi. Je vous remercie de vos suggestions.

Le Président (M. French): M. Orr, M. Floch et Mme Duff-Caron, je vous remercie beaucoup. On apprécie au plus haut point les ressources que vous avez investies dans la recherche. Nous apprécions beaucoup votre mémoire et l'échange d'opinions que vous avez partagé avec nous cet après-midi. Nous espérons que vous allez trouver dans le rapport de la commission un apport valable au débat auquel nous participons actuellement.

Mme Duff-Caron: Merci, M. le Président et tous les membres de la commission.

Le Président (M. French): Nous suspendons pour deux minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 33)

(Reprise à 16 h 40)

Le Président (M. French): À l'ordre, s'il vous plaît! Je vous invite à prendre place, nous allons recommencer. Mesdames et messieurs, veuillez prendre place!

M. Caldwell (Gary): M. le Président, est-ce que je devrais commencer?

Le Président (M. French): S'il vous plaît, M. Caldwell, cela ferait avancer les choses.

La commission de la culture reprend ses travaux. Notre dernier intervenant de la journée est M. Gary Caldwell. Je voudrais donc inviter ceux et celles qui jasent à le faire à l'extérieur de la salle ou à arrêter.

Bienvenue, M. Caldwell. Je pense que vous connaissez la procédure. On va vous inviter à faire quelques commentaires au début, pour ensuite passer aux questions et aux commentaires.

M. Gary Caldwell

M. Caldwell: Bonjour, M. le Président. C'est effectivement la première fois que je viens devant une commission parlementaire.

Le Président (M. French): Ah bon!

M. Caldwell: Alors, si je procède d'une façon qui n'est pas appropriée, vous allez me corriger.

J'ai un mémoire qui est très bref; alors, je vais le reprendre. Je suis un peu mal à l'aise parce que celui-ci est effectivement une réflexion. Au moment où je l'ai écrit, il y avait beaucoup d'intérêt, mais très peu de discussions autour de cette question démographique. Depuis, on a peut-être une discussion plus alimentée avec le livre de M. Mathews, parmi d'autres. Je voulais apporter mon grain de sel pour stimuler une discussion. Mais ce n'est pas le résultat des études détaillées, c'est le résultat d'une réflexion sur la question que j'ai suivie depuis peut-être une vingtaine d'années.

Le rapport en question proclame -c'était le rapport sur les tendances démographiques - ce qui était appréhendé depuis un certain temps par des sociologues et des démographes: une stagnation démographique suffisamment avancée pour qu'un déclin absolu de la population québécoise soit imminent. L'éventualité d'un tel déclin est maintenant tellement reconnue qu'il ne s'agit plus d'en parler, il est plutât question d'y faire face. Cela est le but de cette très brève intervention.

Pour y arriver, je procède par l'énumération d'une série d'acquis déjà possédés par la société québécoise, des acquis qui sont pertinents face à cette question, pour ensuite passer à une liste de postulats sur le fonctionnement de cette société - comme vous le voyez, c'est très prétentieux - québécoise qui pourraient toucher à cette question, pour finalement dégager une recommandation. Les acquis. 1) II y a en place, au Québec, un capital social, humain et physique très considérable en forme d'écoles, d'hôpitaux, de personnel requis pour livrer les services sociaux qui en découlent, sans parler de l'énorme investissement qu'on a fait dans l'éducation. Alors, on a une jeunesse très scolarisée. Ce capital, créé au prix d'un investissement collectif considérable, est maintenant sous-utilisé, même jusqu'au point de mettre en péril le maintien de ce même capital physique et humain. Quand je dis que cela mettrait en péril le maintien de ce capital physique, c'est parce qu'il pourrait s'en aller. 2) Québec a un espace vital qui suffirait à une population beaucoup plus considérable que la population existante, même de trois à cinq fois plus grande. Présentement, il y a des régions entières qui se dépeuplent au point que notre occupation effective du territoire deviendrait problématique. 3) La société québécoise jouit maintenant d'une mesure de protection culturelle - j'ai écrit cela il y a maintenant, plus que six mois - qui fonctionne et qui est l'objet d'un consensus social, la loi 101. Une manifestation des retombées de cette mesure, c'est ce qui se passe à l'école élémentaire française où les jeunes francophones, allophones, anglophones sont en train de se socialiser dans la culture québécoise française de demain. Nous nous dirigeons vers l'école publique commune française - cela va sûrement soulever des questions - ce qui sera un grand atout en termes de protection culturelle. Donc, l'école élémentaire doit figurer au rang des grands acquis. 4) Le Québec a réussi à rapatrier une certaine juridiction sur l'immigration internationale. Par voie de cette juridiction, le Québec peut influer sur la quantité et le type d'immigration.

Troisième pages un certain nombre de postulats. 1) Un déclin démographique sera désastreux. Nous vivons dans un environnement économique basé sur l'expansion et, lorsqu'il n'y a plus d'expansion, c'est la contraction et tout de qui s'ensuit, notamment l'émigration du Québec. De plus, un déclin aurait aussi l'effet de miner - même de provoquer un de ces renversements d'opinion dont la société québécoise est bien capable; peut-être que c'est cela qu'on est en train de voir, maintenant, face à la loi 101 - l'élan qui a soutenu l'affirmation nationale de ces dernières années. 2) Au Québec, depuis au moins 30 ans, l'économie est propulsée par la démographie en première instance et non le contraire. Autrement dit, sans expansion démographique, il n'y aurait pas d'expansion économique au Québec. 3) On ne peut pas influer suffisamment sur la natalité par intervention étatique pour éviter le déclin démographique par voie de la natalité. Même avec les 250 $ pour le troisième enfant, je ne suis pas convaincu, pour l'immédiat, mais peut-être à long terme. 4) Seule une expansion économique, elle-même conséquence d'une croissance démographique, peut agir sur la natalité et l'émigration. Les jeunes couples n'établissent pas de ménages et plusieurs partent faute d'emplois. 6) Présentement, on subit les contraintes d'une idéologie en matière d'immigration qui est très naïve et même nocive à long terme. Il faudra être capable d'énoncer aux nouveaux venus les règles du jeu de cette société et la nécessité de s'y conformer. Faire croire, par souci de respect des droits humains interprétés abstraitement, que l'immigrant possède les mêmes droits que le citoyen est une hypocrisie qui risque de mal servir l'immigrant lui-même sans parler d'un éventuel ressac contre l'immigration même.

Les conclusions que j'en tire. 1) Le

Québec pourra absorber une immigration beaucoup plus considérable en rentabilisant son capital social déjà en place. 2) Une immigration massive serait bénéfique sur le plan économique, en premier lieu parce qu'elle contribuerait à une expansion économique par sa simple présence et, en deuxième lieu, parce que l'immigrant fait preuve d'une vitalité au plan économique dont la population en place n'est plus capable. J'affirmerais la même chose pour n'importe quelle juridiction. Ce n'est pas particulier au Québec. 3) II n'y a pas d'autres moyens prévisibles d'éviter un déclin démographique, faute de la découverte au Québec d'une nappe importante de pétrole. 4) La résistance à l'immigration - et j'admets que cela est très important - n'est pas fondée et découle, d'une part, des considérations corporatistes et, de l'autre, des retombées néfastes d'une complaisance envers une idéologie libérale naïve.

Recommandation. Que le Québec mette en place un plan Sifton pour le Québec, qu'on baptiserait le plan "Morin" d'après Rosaire Morin. Je mentionne le nom de Morin, ici, parce qu'il a écrit un livre en 1966 où il préconisait l'immigration massive au Québec. Il a été peut-être le premier à voir l'immigration comme un facteur positif dans l'avenir du Québec. Ce plan aurait deux volets: un pour faire en sorte que le Québec accueille au moins 50 000 immigrants par année et, deuxièmement, pour qu'on dépasse les contraintes d'une vision naïve des droits de l'homme en ce qui concerne l'immigration. En voulant respecter tous les droits humains de tout le monde, on finit par n'accueillir personne. C'est tout.

Le Président (M. French): Merci, M. Caldwell. C'est écrit et livré d'une façon qui est sûre de provoquer beaucoup de questions. M. le député de Vachon.

M. Payne: Merci, M. Caldwell, au nom de notre formation. Cela fait longtemps qu'on a eu beaucoup d'échanges fructueux et on connaît très bien vos contributions au gouvernement, aux institutions et à différents partis politiques, qui étaient jugées éminemment fructueuses, je pense.

J'aimerais entrer dans le vif du sujet très vite parce que je pense qu'on peut avoir une discussion fort intéressante. Je partage beaucoup l'orientation générale en ce qui concerne l'immigration, mais j'aimerais mettre le focus pour quelques minutes sur le no 6.

M. Caldwell: Oui. J'ai passé mon texte à quelqu'un.

M. Payne: Si on peut avoir un échange assez rapide, voulez-vous nous expliquer un peu "les contraintes d'une idéologie qui est très naïve et même nocive à long terme"?

M. Caldwell: Pour moi, c'est une question difficile et c'est une question qu'on n'aborde pas facilement parce que nous avons tous été éduqués dans une arrière-pensée libérale où il y a eu des batailles pour gagner ce qu'on considère comme certains droits humains, mais je prétends qu'on approche cette question encore d'une façon trop abstraite. Je vais vous donner un exemple concret. On a, pendant un certain temps, pris comme position que les sous-économies étaient mauvaises parce que cela faisait en sorte que les immigrants étaient exploités par des bourgeois ethniques et que leur mobilité dans la société dominante était bloquée. Je repose cette question. Peut-être qu'il existait dans ces sous-économies un canal par lequel les gens trouvaient un emploi, trouvaient un certain appui dans la société et apprenaient les règles du jeu de cette société avant d'être lancés dans la mêlée. En apprenant ces règles du jeu, ils apprenaient à fonctionner dans cette société d'une façon qui ne provoquait pas une réaction dans la société dominante. Je pense qu'on a tendance à sous-estimer la capacité de l'immigrant de se socialiser dans une société particulière et de connaître cette société. Lorsqu'il ne fonctionne pas tout de suite comme on s'attendrait qu'il fonctionne - parce qu'on a tous nos exigences, on participe tous dans des sociétés, il y a toujours des règles du jeu - quand il ne respecte pas ces règles du jeu, il y a un ressac.

Je donnerai comme exemple le cas du taxi à Montréal. Je trouve qu'il va falloir réexaminer cette question, d'une part, la vitesse avec laquelle on peut s'attendre que quelqu'un s'acclimate à notre société et, d'autre part, jusqu'à quel point on accorde tout de suite les pleins droits de citoyen à ceux qui sont en train de gagner leur entrée dans notre société. Évidemment, cela heurte cette philosophie libérale, mais, à défaut de respecter ces exigences, on risque d'alimenter une certaine xénophobie qui est naturelle, qui est normale dans toute société. Lorsque cela fait trois ans que quelqu'un est ici, il a tous les droits d'un citoyen. On risque de provoquer une certaine réaction. Je laisse là la question. Vous voulez peut-être poursuivre vos questions. La récente décision Boudreau, c'est un bon exemple où on a érigé une philosophie libérale dans une charte des droits de l'homme. Finalement, on a vu que c'était un peu abstrait et quand est venu le moment d'interpréter ces droits en fonction d'une société particulière, on n'a pas eu les résultats auxquels on s'attendait.

M. Payne: On ne parle pas d'une idéologie au niveau de l'État. On parle

plutôt...

M. Caldwell: Oui, même de tous les gens qui font fonctionner cet État. Je parle d'une idéologie qui est présente dans toutes les couches qui gèrent cette société, que ce soient des médecins, des fonctionnaires, des universitaires. Je pense qu'on ignore les sentiments de ceux qui sont plus exposés aux réalités économiques et qui, comme nous, ne sont pas isolés contre certaines pressions économiques. Lorsqu'eux sont face à l'immigration, face à quelqu'un qui arrive ici, qui ne respecte pas les règles du jeu et qui en tire tous les privilèges, on risque de créer des courants de...

M. Payne: Je suis d'accord sur le plan des préjugés populaires, mais je serais hésitant à dire qu'il y a quelque chose de nocif dans l'idéologie formelle de l'État lorsque je vois, en matière d'immigration, les politiques qui nous gèrent. Moi, j'ai toujours cru, par exemple, que les retombées de l'entente Cullen-Couture étaient absolument remarquables pour ce qui est de l'autonomie accordée, après négociations, au Québec, d'une part, alors que, d'autre part, on laissait la question de la sécurité et de la santé sous la juridiction du gouvernement d'Ottawa. La politique d'accueil et les critères qui en découlent, je pense, témoignent d'un grand libéralisme et d'une certaine ouverture. Je pense que c'était marqué particulièrement en ce qui concerne la politique d'accueil auprès des réfugiés ces dernières années.

M. Caldwell: M. le député, si je peux revenir sur cette question, je donne comme exemple la philosophie libérale humaniste, que j'endosse complètement, qui se trouvait dans le document "Autant de façons d'être Québécois" qui préconisait, comme mise en place de cette philosophie, un accroissement des non-francophones dans la fonction publique. Les contraintes économiques réelles ont eu comme conséquence que le résultat a été le contraire. Plutôt que d'augmenter, la proportion est descendue. Je trouve qu'on risque de provoquer un ressac qui va peut-être limiter notre marge de manoeuvre dans l'avenir pour étendre le même accueil et la même invitation.

M. Payne: Est-ce qu'on parle de la même chose? On parle de l'immigration internationale. J'aimerais bien poursuivre cette discussion. Si, par exemple, on se trouve actuellement aux alentours de 18 000, 19 000 ou 20 000 par année avec une politique - j'ajoute une couple de postulats à mes considérations - ouverte, si c'est vrai que cette politique est une politique ouverte, comment pouvez-vous élargir cette politique pour qu'on puisse en accueillir encore 25 000 par année? Si c'était 25 000 par année, cela donnerait 250 000 sur une période de dix ans, ce qui affecterait significativement, c'est sûr, la situation démographique au Québec, mais ce ne serait pas une solution miracle.

Selon quels critères devrions-nous modifier notre politique d'accueil pour accroître le nombre à 50 000 par année? Est-ce que c'est faisable, en réalité?

M. Caldwell: Je ne sais pas si c'est faisable. Je pense que cela vaudrait la peine d'en examiner la faisabilité et les moyens qu'on pourrait prendre pour le faire. Je sais que la plupart diraient que ce n'est pas faisable parce qu'il n'y a pas d'emplois. C'est une thèse que je n'accepte pas. Je ne sais pas, M. le député de Vachon, si c'est faisable, mais je reste convaincu que ce serait souhaitable de trouver les mécanismes et les façons pour le faire.

Si je prends le cas des Indochinois, qui est un exemple très intéressant, la société québécoise s'est mobilisée pour accueillir une population, une certaine immigration. Je pense que le succès a été considérable dans ce cas. Cela prendrait sûrement encore une mobilisation, cela prendrait un programme réfléchi. Par exemple, les Cambodgiens ont été répartis à travers les provinces; il reste à voir jusqu'à quel point ils y sont restés. Mais il y a eu un succès certain des COFI pour l'intégration des Indochinois. Il faudrait, à partir d'expériences comme celle-là, dégager des éléments qui feraient que la même chose serait possible dans l'avenir.

M. Payne: Je peux montrer mes couleurs tout de suite, vous les connaissez un peu. Je tends, justement, vers une politique plus large d'accueil. En passant, une petite nuance importante. Lorsque je demandais si c'est faisable, je ne faisais pas du tout référence à la faisabilité quant à l'accueil, c'est-à-dire à la possibilité d'intégration dans le tissu social du Québec, mais plutôt à la faisabilité parce que la demande était là et la structure d'accueil. Je voulais savoir s'il y avait une possibilité de mettre sur pied une structure d'accueil et si le bassin de ceux qui voudraient venir au Québec existait. Est-ce une réalité? Est-ce que c'est possible? Je ne suis pas sûr que c'est le cas. (17 heures)

M. Caldwell: Oui. Là, ce qui entre en jeu, c'est mon libéralisme. Je suis convaincu qu'il y a des millions de personnes dans ce monde qui ne demanderaient pas mieux que de vivre dans cette région du continent où on a l'espace, la paix, le terrain, où nous sommes à l'ombre de la société la plus dynamique et vitale du monde. En ce qui me concerne, il n'y a pas de problème à trouver des candidats. S'il existe des capacités d'accueil, cela est une autre question. Quant

à la question du nombre de personnes qui voudraient venir, sans être un expert en la matière, il me semble qu'il y a des gens qui frappent à la porte des ambassades du Canada chaque jour pour venir ici.

M. Payne: La question est fort complexe, parce que, lorsque l'on parle de politique d'accueil, on ne parle pas, dans un premier temps, de règlements et de politiques formelles; on parle plutôt de la politique sociale collective. On reprend toute la question de l'ouverture auprès de ceux qui habitent, actuellement, sur un territoire donné.

M. Caldwell: C'est cela.

M. Payne: On remet en question tous nos postulats d'une nation, de l'État-nation également.

M. Caldwell: Oui, je sais. Tout ce problème, je le connais. Je l'ai vécu, par exemple, dans les Cantons de l'Est avec l'arrivée des Indochinois. Ce que je suggère, c'est que si on veut que cette nation continue, il va falloir une certaine expansion démographique. Et pour cette expansion démographique, je ne vois pas, malheureusement, d'autre sortie dans le moment qu'une immigration plus importante. Je pense qu'il va falloir se résigner à cela et faire en sorte qu'il y ait une immigration plus importante. Je sais que ce ne sera pas une politique qui sera populaire, politiquement rentable.

Si je peux faire une image de ce que je vois comme processus qui est en train de se passer, à mesure que la population du Québec stagne ou rétrécit, ce que nous sommes en train de faire, c'est réduire le nombre de droits dans la tarte pour qu'on garde chacun notre portion. Ce qu'il va falloir faire, c'est agrandir la tarte et la seule façon de le faire, dans le moment, c'est par une expansion économique qui découlerait d'une certaine poussée démographique. Pour avoir cela, il faudrait de l'immigration. Je prétends que les institutions sont en place, maintenant, culturellement, pour faire en sorte que cette immigration ne soit pas une menace au caractère culturel distinct du Québec. Je ne suis pas sûr, mais je prétends que cela existe. Nous avons tous vu l'exemple des Indochinois qui se sont francisés, dont les enfants sont dans les écoles francophones.

M. Payne: Beaucoup d'entre eux étaient francophones, d'ailleurs.

M. Caldwell: Oui, mais pas les Cambodgiens. Évidemment, cela reste à être confirmé par les études qui sont en place maintenant, jusqu'à quel point c'est le cas.

Je suis en train de dire, M. Payne, que je ne vois pas d'autre choix. Ce n'est peut-être pas faisable, mais je ne vois pas d'autre issue. C'est très pessimiste.

M. Payne: C'est intéressant parce que moi-même, je suis impressionné par la situation frappante du tiers monde. Je pense qu'il va falloir absolument remettre en question toutes nos politiques en matière d'accueil. En mettant ce phénomène en rapport avec la crise démographique au Québec, je pense qu'on touche le coeur de la discussion de notre commission. Ce serait tellement facile de mettre de côté toute considération en ce qui concerne, par exemple, le libre choix du ressortissant de venir au Québec comme des fantaisies impossibles. Mais je pense qu'on arrive à cela, fatalement, dans le monde d'aujourd'hui. À un moment donné, il va falloir poser ce genre de questions. Je pense que l'exécutif devrait se poser ce genre de questions.

D'ailleurs c'est frappant que la plupart de nos discussions ici avec les démographes sont orientées vers une question de solde migratoire positif ou négatif. Moi-même, je suis le premier coupable de m'orienter trop vers ce genre de comparaison fastidieuse. Mais, la question plus large, c'est de savoir quel État on veut se bâtir, bien sûr, quelle nation on veut se donner, pour être plus spécifique, et dans quelle mesure l'État peut offrir un leadership pour diminuer les préjugés face à ceux du tiers monde qui voudraient venir au Québec.

Je ne sais pas si d'autres membres ont d'autres considérations, mais on a ouvert une grande, grande question, là.

M. Orr: II pourrait y avoir là, justement, un défi très important pour le ministre.

M. Payne: Je laisse cela, pour le moment.

Le Président (M. French): Merci, M. le député.

M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Je voudrais, peut-être, dans un premier temps, vous remercier, M. Caldwell. Je vais aller dans le vif du sujet, moi aussi. Je comprends le message que vous livrez à cette commission, cet après-midi. À la page 4, dans vos conclusions, vous dites que "l'immigrant fait preuve d'une vitalité au plan économique". J'aimerais juste que vous expliquiez cela davantage.

M. Caldwell: Je pensais à cela en montant et j'ai un bon exemple. Je maintiens un certain service de secrétariat et j'engage une secrétaire un jour par semaine. J'ai une

IBM électrique et je n'ai pas de contrat de services, cette année. Alors, j'ai fait venir le technicien d'IBM pour faire un nettoyage de ma machine à écrire. Il ne s'est pas fait payer le temps pour venir, mais il m'a appelé d'où il était avant et cela lui a pris dix minutes pour venir où je travaille. Pour une heure, cela a coûté 82 $ pour nettoyer une machine à écrire. Je suis certain qu'il y a des immigrants, surtout des Cambodgiens, qui ont appris à manier les instruments japonais et à les réparer dans les camps en Thaïlande, qui se feraient un plaisir, qui trouveraient le moyen de nettoyer des machines à écrire pour moins que 82 $ l'heure.

C'est un exemple. Ce que je veux dire, c'est qu'il y une certaine innovation, un certain processus créateur qui vient de celui qui n'a pas été éduqué dans les habitudes d'une société, dans les acquis d'une société. Il voit simplement d'autres façons de faire des choses, parce que les façons qu'on lui a apprises ne sont plus applicables et ne sont pas celles de la société dans laquelle il se trouve. Aussi, il est prêt à faire des choses que nous ne sommes pas prêts à faire et cela produit une activité économique et, dans notre système de marché, cela a comme résultat une production supérieure.

M. Dauphin: Je comprends ce que vous voulez dire. Lorsque vous parlez, un peu plus bas, de "considérations corporatistes", il est bien évident que les centrales syndicales ou les syndicats, en général, les comités paritaires nous parlent d'acquis à la suite d'années et d'années de négociations et de revendications. Le même exemple peut servir au niveau des jeunes. Il y a beaucoup de jeunes qui pourraient travailler sur la construction en bas de 20 $ l'heure et qui ne seraient pas enclins à respecter les règlements de l'Office de la construction ou les règlements corporatistes. C'est bien sûr qu'on pourrait utiliser ou se servir des immigrants à des fins comme cela. Maintenant, vous auriez des objections, style "cheap labor" systématique, à ce moment-là, à cause de ce que cela impliquerait dans la société.

M. Caldwell: Oui, et c'est là qu'entre en question ce postulat que j'ai évoqué d'une interprétation libérale. Pour les fins de la discussion, j'avancerais que des sous-économies ethniques avec du "cheap labor", c'est une bonne chose pour l'économie du Québec. Cela crée des secteurs d'activité, cela crée des capitaux et cela permet une insertion dans la société qui n'aurait peut-être pas été possible autrement.

M. Dauphin: Avez-vous autre chose, M. le Président?

Le Président (M. French): Non. Allez-y si vous voulez continuer.

M. Dauphin: Non, cela va.

Le Président (M. French): M. Caldwell, comme vous, je reconnais une agressivité sur le plan économique chez les immigrants que nous, les Canadiens, qu'on soit anglophone ou francophone, ou une deuxième génération allophone, ne manifestons pas. Comme vous, je constate le potentiel économique important qui y réside. Certainement que les économies du Texas, de la Californie et de la Floride, par exemple, ont bénéficié énormément de ce genre de phénomène. Vous n'êtes pas sans savoir - vous les avez évoquées vous-même - le genre de réactions que c'est susceptible de générer. Pourtant, je n'aurais pas dit une réaction libérale, mais, en tout cas, ne nous chicanons pas. Ce n'est pas parce que je suis membre du Parti libéral, non plus. C'est une discussion académique. En tout cas, disons une réaction.

Il y a une question un peu plus fondamentale et c'est une question qu'avait également évoquée, en quelque sorte, le député de Vachon. On s'est fait dire par au moins deux démographes que ce n'était pas l'immigration qui était le moteur de la croissance économique, que c'était la croissance économique ici qui permettrait l'immigration. Comme vous, je n'accepte pas nécessairement ce constat bien que c'est jouer "safe", n'est-ce pas? Aucun ministre de l'Immigration ne pourrait être critiqué s'il dit: Écoutez! Notre évaluation par nos experts, c'est qu'on ne peut pas absorber plus d'immigrants sur le marché du travail; donc, on préserve les "jobs" pour les Québécois; alors, on n'accepte pas plus d'immigrants. C'est un discours très viable pour un ministre de l'Immigration, sauf que vous ne l'acceptez pas.

M. Caldwell: J'admets que c'est une question très difficile, très technique et c'est une question que se sont posée plusieurs économistes. C'est une question qui était très importante dans la discussion sur l'immigration dans les pays développés. Je ne suis plus sûr que, dans le cas du Québec, c'est l'expansion économique qui a entraîné l'expansion démographique. Maintenant, même si j'admets que cela ne correspond pas aux interprétations reçues dans le milieu académique et universitaire, j'avance l'hypothèse que l'expansion économique a suivi l'expansion démographique. Je pense qu'il existe certaines indications, certaines études; j'en évoque deux dont une à laquelle j'ai participé. Je suis moins sûr et je pense qu'on devrait regarder cette question de plus près. Si on regarde l'histoire du Québec depuis la deuxième guerre - cela ne fait pas longtemps; une trentaine, une quarantaine

d'années - je pense que c'est l'interprétation, pour ce qui est d'une analyse causale, pour autant que c'est possible. Ce serait difficile pour moi d'en faire la démonstration. J'attends que quelqu'un fasse la démonstration qu'au Québec, c'est l'expansion économique qui a amené l'expansion démographique. Je pense que l'hypothèse contraire est aussi soutenable dans l'état actuel des choses. Mais j'admets que c'est une question très difficile et je me ferais déclasser très vite par des économistes dans un débat comme celui-ci. Je suggère qu'on poursuive l'hypothèse.

C'est une hypothèse que j'ai avancée dans l'article en question en 1977 et personne ne m'a contredit. C'était une analyse des indicateurs où on a essayé d'établir une relation causale - évidemment, ces choses-là ne sont strictement pas possibles - en essayant de déterminer quel phénomène a suivi quel phénomène. Tout cela pour dire que c'est une hypothèse et j'attends que quelqu'un me démontre que c'est l'expansion économique au Québec qui amène l'expansion démographique. (17 h 15)

Le Président (M. French): Tout récemment, j'ai rencontré un dénommé Bruce Scott, professeur au Business School de Harvard, qui démontrait que, si on compare un certain nombre de pays de population constante, l'un avec des ressources naturelles et l'autre sans ressources naturelles, par exemple, l'Iran et la Corée, on voit que ceux qui n'ont pas de ressources naturelles font mieux que ceux qui ont des ressources naturelles sur une base de trente ans. Il suggérait que la raison en était que le bassin de population forçait à un développement de savoir-faire autochtone que les ressources naturelles n'exigent pas. Le pays doté de ressources naturelles s'assoyait effectivement 3ur ses ressources naturelles, essayait de distribuer d'une façon ou d'une autre, de façon satisfaisante, parmi la population les revenus découlant de ces ressources naturelles. L'essentiel du message était: Si vous avez la main-d'oeuvre, vous allez confectionner tant bien que mal le "know-how", le savoir-faire afin d'accéder à votre prospérité. Si, par contre, vous vous fiez uniquement sur les ressources naturelles et sur ce qu'elles offrent de façon quasi spontanée à un certain nombre de personnes dans le pays, vous n'allez jamais développer le pays.

Cela va un peu dans le même sens. C'est-à-dire que si on permet à un certain nombre de personnes de développer économiquement leur niche quelque part dans une économie assez complexe comme la nôtre, tôt ou tard, ils vont réussir à décrocher une niche intéressante et à l'exploiter.

M. Caldwell: Oui, c'est une ligne de pensée qui va dans le sens de l'hypothèse que je soumets. J'aimerais ajouter, pour ne pas paraître simpliste devant cela, que j'admets l'interpénétration de l'expansion économique et de l'expansion démographique. Il y en a plusieurs qui l'ont répété ici: Quand les jeunes peuvent former des ménages, ils le font, ils ont des enfants et ils n'émigrent pas du Québec. C'est sûr qu'il y a une interpénétration.

Je pense que le temps est venu d'examiner l'hypothèse sous-jacente à ce que vous rapportez de Scott, c'est-à-dire qu'avec un potentiel humain plus dense il y aurait un seuil critique qui ferait en sorte qu'il y aurait une activité économique qui découlerait de cela. L'expansion économique découlerait de ce seuil critique démographique, surtout quand il y a expansion; par la suite, cela entraîne une autre expansion démographique. Nous sommes dans la situation où, maintenant, le taux de croissance de la population québécoise décline assez vite et on risque de ne pas atteindre ce seuil et cette densité qui est le résultat d'une certaine vigueur, d'un certain sens de l'avenir qui vient d'une expansion, mais aussi de la complexité du nombre de personnes qui sont là. C'est paradoxal au moment où on avait tant investi sur le capital humain.

Le Président (M. French): Un autre problème qui a été souligné devant nous a été le problème de l'émigration - et je m'empresse de vous dire que ce n'est pas uniquement Alliance Québec qui l'a mentionné - d'un certain nombre de ressources humaines. Vous avez évoqué par le biais le même problème, sauf que vous n'avez pas insisté, comme M. Henripin et comme le Groupe de recherche sur la démographie de l'Université de Montréal, sur la possibilité, d'abord, de faire une recherche afin de savoir quels sont les vrais motifs du départ des Québécois qui décident d'aller s'installer, je suppose, surtout en Ontario et, dans un deuxième temps, sur la possibilité d'essayer d'agir sur ces facteurs.

De votre côté, est-ce que vous voyez cela comme étant utile? Ayant étudié un certain nombre de communautés anglophones en évolution au Québec, est-ce que vous croyez plutôt que, la tendance ayant acquis une inertie ou un "momentum" historique, aucun changement de politique gouvernementale ne saurait influer?

M. Caldwell: Bien que j'admette l'importance des facteurs politiques comme la législation linguistique, le sentiment d'isolement, si j'étais obligé de m'accrocher à un facteur déterminant, je choisirais facilement l'économie. Pour moi, l'émigration du Québec se fait lorsque les conditions

économiques sont pires ici qu'ailleurs; lorsque les conditions économiques sont meilleures ailleurs qu'ici, à l'inverse, c'est la même chose. Les gens quittent dans un processus qui est normal: il y a une mobilité de la main-d'oeuvre parce qu'ils ne peuvent pas trouver d'emploi ici. L'histoire du Québec est assez éloquente à cet égard. A mon avis, le facteur le plus important pour adoucir ce courant d'émigration serait une certaine expansion économique. Cette expansion économique dépendant elle-même d'une certaine croissance démographique, alors, on se retrouve dans un cercle assez vicieux. L'émigration mine ce seuil critique démographique qui produirait une certaine expansion économique. Par manque de cette activité économique, il y en a qui partent. La seule chose qui nous sauve, c'est quand cela devient pire ailleurs. Les gens arrêtent de quitter le Québec lorsque c'est pire ailleurs. L'AIberta est un bon exemple.

À mon avis, l'émigration du Québec, que ce soit francophone ou anglophone... Les francophones ont tendance à sous-esti-mer l'émigration francophone. Comme intellectuels, on hésite à reconnaître des phénomènes comme le courant vers la Floride qui, sans être étranger à cette influence américaine dont parlait le député de Saint-Jacques... Excusez?

M. Proulx: Vous avez dit Saint-Jacques ou Saint-Jean?

M. Caldwell: Saint-Jean, je m'excuse. Pour moi, la question est avant tout économique et cette question économique, dans le cas du Québec, dépend du maintien d'une certaine croissance démographique.

Le Président (M. French): M. le député de Saint-Jean. Vous n'avez pas demandé à intervenir?

M. Proulx: Monsieur avait dit Saint-Jacques.

Le Président (M. French): J'ai compris, mais je pensais que vous vouliez intervenir.

M. Proulx: J'écoute attentivement. J'apprends.

M. Caldwell: M. le Président, est-ce que je peux faire une réflexion?

Le Président (M. French): Allez-y.

M. Caldwell: Je dois admettre que mon mémoire est un peu émotif, mais j'aimerais parler un peu de ce que je vois dans l'Estrie. Je vis dans l'Estrie et je suis là depuis 1971. Rien n'a bougé dans l'Estrie depuis 1971 et surtout la campagne est en train de se dépeupler. Je vois ce paradoxe d'un paysage qui, en termes mondiaux, est très riche en ressources en terres cultivables, en lots, en espace, qui est situé entre deux des grandes métropoles du monde occidental, Montréal et New York, où on a tout ce qu'on peut souhaiter sur la surface du monde: paix, ressources, prospérité, services sociaux. Il n'y a personne qui meurt de faim ou de peur dans cette région et c'est en train de se vider. Il faut vraiment se poser des questions. Si ce même processus gagne le Québec en général pour ce qui est de la nation, il y a des préoccupations sérieuses.

M. Proulx: Quelle région se vide dites-vous?

M. Caldwell: Le sud et l'est de Sherbrooke.

M. Proulx: Pour quelle raison? Est-ce que ce sont les anglophones qui quittent ou les francophones?

M. Caldwell: Les deux et j'aimerais insister là-dessus. Par exemple, on ignore le fait que la population des cultivateurs anglophones au Québec a mieux résisté au déclin rural entre 1971 et 1981. Entre 1971 et 1981, la population des cultivateurs francophones a subi un déclin de 13% et les anglophones 2%. Cet exode des régions périphériques est aussi le fait des francophones.

M. Proulx: Est-ce que je peux parler, M. le Président?

Le Président (M. French): Allez-y, M. le député.

M. Proulx: On ne reste pas loin. De Saint-Jean à Sherbrooke, il y a à peu près 70 milles. Les belles fermes existent à peu près de Saint-Eustache jusqu'à Farnham et Granby. À part cela, je pense que les fermes, chez vous, ce ne sont pas des belles fermes comme on en rencontre dans notre région, dans ce qu'on appelle le triangle d'or, dans la vallée du Richelieu.

Le Président (M. French): Le chauvinisme local encore!

M. Proulx: Pardon?

Le Président (M. French): Je vous taquine. Allez-y, M. le député. Je disais: Le chauvinisme local encore!

M. Proulx: Ce n'est pas du chauvinisme local. C'est comme cela que vous allez apprendre des choses. Vous êtes allé à Oxford. Vous êtes un gars de Montréal, sortez un peu à la campagne. Les plus belles fermes sont dans notre région. Les plus

belles fermes, c'est dans la région de Saint-Eustache, la région de Pierre de Bellefeuiile, dans cette région. Dans la région de Laprairie, Huntingdon, ce sont les plus belles fermes qu'il y ait.

M. Dauphin: Les plus belles fermes ou les plus belles femmes?

M. Proulx: Fermes et femmes aussi. Il y a des belles femmes aussi.

Le Président (M. French): Le député de Marquette pense souvent aux femmes.

M. Proulx: II peut y avoir un exode dans ce sens. Il y a un autre phénomène qui arrive, c'est que, je l'ai dit l'autre fois, il y a beaucoup de fermiers qui vendent leur ferme à des étrangers suisses-allemands. Je ne sais pas si vous avez le même phénomène chez vous. Aussi, il y a beaucoup de gens -je pourrais nommer des parlementaires, ici -qui ont des maisons de campagne à Sherbrooke et dans la région, des fermes qui sont transformées en maisons d'été. Ce sont des "gentlemen-farmers", des gens hautement connus ici dans cette boîte.

Des voix: Nommez-les.

M. Proulx: Non. Il y a beaucoup de cela chez nous, vous savez cela, des fermes qui se sont vendues, il y a 15 ou 20 ans, 15 000 $, 25 000 $ ou 30 000 $ et aujourd'hui cela vaut 150 000 $. Vous êtes au courant de ce phénomène.

M. Caldwell: Oui.

M. Proulx: Est-ce exact?

M. Caldwell: Ce phénomène joue, mais il y a aussi des villages qui se dépeuplent.

M. Proulx: Pour ce qui est des anglophones, je me demande si, pour un jeune anglophone qui vient de Sherbrooke et qui veut progresser dans la société, qui est ambitieux, qui va à l'université et qui va à Montréal, la voie normale pour accéder aux postes les plus hauts dans la société, ce n'est pas d'aller à Montréal. Ce n'est pas là que sont les études, ce n'est pas là qu'est le milieu, ce n'est pas là que sont toutes les structures d'accès afin de monter dans la société? Il n'y a pas ce phénomène?

M. Caldwell: Ce phénomène a sûrement joué et toute une catégorie, en moyenne, d'anglophones n'existe plus parce que ce phénomène a tellement joué. Il existe, comme y faisait allusion Royal Orr avant, une population rurale anglophone pour laquelle ces canaux de promotion sociale n'existaient pas avant, c'est-à-dire la catégorie de personnes dont vous parlez. Cela n'inclut pas, cela n'englobe pas la totalité de la population. Lorsqu'on parle de ce dépeuplement, évidemment c'est relatif. Certaines de ces régions sont restées stagnantes, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de décroissance, mais, dans d'autres, il y en a eu. Ce processus était plus important dans les Cantons de l'Est en région rurale chez les francophones que chez les anglophones.

M. Proulx: Quelle est l'université chez-vous, à Sherbrooke? C'est Lennoxville?

M. Caldwell: II y a une université anglophone, Bishop, à Lennoxville.

M. Proulx: Bishop. Est-ce que c'est une université dont la clientèle augmente, est stable ou diminue?

Le Président (M. French): Ce n'est pas une clientèle locale, je pense.

M. Caldwell: Non, ce n'est pas une clientèle locale.

Le Président (M. French): C'est une clientèle montréalaise surtout, je pense.

M. Caldwell: Oui. Les universités anglophones du Québec ne se sont pas intéressées tellement à la population anglophone indigène jusqu'à dernièrement, M. le député. Les universités anglophones du Québec - sauf, peut-être, Sir George Williams - McGill et Bishop n'étaient pas tellement intéressées à l'essor de la population anglophone indigène.

M. Proulx: Elles étaient intéressées à quelle population?

M. Caldwell: McGill s'intéressait à une clientèle internationale. Bishop s'intéressait à une clientèle assez restreinte en termes de couches sociales.

M. Proulx: Lesquelles?

M. Caldwell: Celles auxquelles vous faisiez allusion, tout à l'heure, qu'on trouvait à Westmount dans le passé.

M. Proulx: Concordia?

M. Caldwell: Concordia, c'était différent avec Sir George Williams; elles avaient une vision très différente.

M. Proulx: Plus populaire en un sens, oui?

M. Caldwell: Oui.

Le Président (M. French): Plus

allophone aussi.

M. Caldwell: Oui.

Le Président (M. French): Plus francophone.

M. Caldwell: Oui.

M. Proulx: J'ai un étudiant à Saint-Jean qui va... Comment s'appelle l'école d'agriculture anglophone à Montréal?

Le Président (M. French): Macdonald.

M. Proulx: Macdonald. C'est une institution anglophone.

Le Président (M. French): Qui fait partie de l'Université McGill, d'ailleurs.

M. Proulx: C'est cela. Il y a 16 étudiants dans la classe et 16 étudiants francophones...

Le Président (M. French): C'est complètement francophone.

M. Proulx:... et le professeur est francophone.

Le Président (M. French): C'est complètement francophone.

M. Proulx: C'est un drôle de phénomène. Est-ce que cela vous surprend, M. le Président?

Le Président (M. French): Non, cela ne me surprend pas. M. Caldwell, probablement, le sait aussi bien que moi, mais l'évolution a fait en sorte que l'institution se francise quasi naturellement. Je pense qu'elle est à 80% ou 90% francophone actuellement, puisque les jeunes anglophones qui ambitionnent d'avoir leur propre terre et tout cela ont un peu tendance à se tourner vers les opportunités éducatives de Guelph ou d'autres institutions de l'Ontario et à poursuivre leur carrière ailleurs. Je ne sais pas si c'est absolument le cas. Peut-être que notre invité connaît mieux la situation. (17 h 30)

M. Caldwell: Je vais me désister à commenter cette question; je ne me sens pas assez bien placé. Mais j'aimerais revenir à cette question de la dépopulation rurale. Évidemment, pendant une période, dans ces régions périphériques, où il y a eu une expansion du secteur public, on a pu absorber la population francophone. Mais à moins d'une expansion économique parallèle ou aussi importante dans l'avenir, les jeunes francophones vont être obligés de quitter le Québec, comme ils l'ont fait entre 1971 et 1975. On n'est pas à l'épreuve d'une importante émigration francophone, de nouveau, si la situation économique devait s'aggraver. Ce n'est apparemment pas le cas cette année. Mais je pense qu'on n'attache pas assez d'importance à l'étendue de l'émigration du Québec francophone.

Le Président (M. French): M. le député.

M. Proulx: On parlait des Cantons de l'Est, c'est un peu notre région et la vôtre; ce n'est pas loin l'une de l'autre. Je dois dire que chez nous il s'est bâti deux écoles primaires: à Saint-Luc, une école de 2 000 000 $ et à L'Acadie, paroisse de Saint-Jean, il s'est bâti une école de 2 000 000 $. À Montréal, il se ferme des écoles, je pense, régulièrement, alors que sur toute la rive sud la population augmente. Est-ce que c'est la même chose chez vous? Est-ce qu'il y a de la construction d'écoles? C'est stable? Mais chez nous, construction de deux écoles primaires. Cette année cela m'a étonné. Ce sont deux de mes réalisations dans mon comté.

M. Payne: On a ouvert quatre écoles dans cinq ans.

M. Proulx: Pardon?

M. Payne: On a ouvert quatre nouvelles écoles dans cinq ans.

M. Proulxs Primaires? M. Payne: Primaires. M. Proulx: Chez vous!

M. Payne: Trois écoles primaires et un agrandissement d'école secondaire.

M. Proulx: Voyez-vous, on n'est pas loin de chez vous, comprenez-vous? Saint-Jean et chez vous, ce n'est pas loin.

M. Caldwell: Oui, mais, M. le député, vous êtes quand même à l'ouest de l'axe Granby-Sherbrooke. Vous êtes à l'ouest de cet axe-là. Vous êtes plus proche de Montréal. Je parlais de la région qui était à l'est et au sud de Sherbrooke.

M. Proulx: C'est loin. M. Caldwell: Oui.

Le Président (M. French): Cela doit être le problème, si c'est loin.

M. Proulx: Pardon?

Le Président (M. French): Est-ce qu'il y a d'autres régions au Québec qui subissent le même sort? La Gaspésie, par exemple?

M. Caldwell: Ce n'est pas une question sur laquelle je me sens bien renseigné, mais j'ai nettement l'impression qu'il y a certaines régions périphériques, comme la Gaspésie et peut-être l'Abitibi, où on a de la difficulté à soutenir une croissance démographique.

Le Président (M. French): Y a-t-il des fermes vacantes et des villes réellement vidées?

M. Caldwell: Oui. Faites le tour de La Patrie, Notre-Dame, Bury, Sawyerville, Scotstown, dans ces villages, il existe maintenant des maisons abandonnées, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Vous pouvez acheter d'énormes maisons dans ces villages pour 4000 $ ou 5000 $; elles valaient de 15 000 $ à 20 000 $ il y a dix ans. Il y a dix ans, il y a eu, effectivement, une pression démographique, des gens qui venaient de Montréal, qui voulaient s'établir à la campagne. Mais cette pression démographique n'est plus là et on voit les conséquences au niveau économique, à l'ouest et au sud de Sherbrooke. J'étais frappé, j'ai fait le tour de cette région-là, il y a quelques semaines. Je l'avais fait en 1971, juste avant de m'établir dans cette région. Il y a réellement un sentiment de déclin qui n'existait pas à ce moment-là. H y a beaucoup de facteurs. La consolidation agricole y est pour quelque chose. Maintenant, il y a une crise agricole. Il y a la fécondité qui est un facteur, c'est certain. Il y a le déclin de certains secteurs mous et il y a le sort de toute l'industrie forestière. Il y a un ensemble, une gamme de facteurs. Mais n'empêche que je me trouve devant le paradoxe d'une région, pour parler de ressources naturelles, où nous avons tout, c'est une localisation privilégiée en termes mondiaux et cela se vide. On voit de grands espaces où il n'y a plus personne.

Le Président (M. French): Cela me touche plus particulièrement puisque le premier French s'est rendu à Québec via Sawyerville. Donc...

M. Proulx: Le premier French. C'est vous, cela?

Le Président (M. French): Voilà! M. Caldwell: Et Island-Brook.

M. Proulx: Votre ancêtre, c'est un Français ou un Anglais?

Le Président (M. French): C'était un Américain.

M. Proulx: Un Américain?

Le Président (M. French): Oui.

M. Proulx: Vous êtes mélangé pas mal!

Le Président (M. French): C'est cela. Allez-y, M. le député.

M. Proulx: Vous parlez de La Patrie. Je suis allé à La Patrie, c'est tout proche des lignes américaines.

M. Caldwell: Oui.

M. Proulx: C'est très loin des grands centres. C'est loin de Sherbrooke comme centre...

Le Président (M. French): C'est loin, c'est établi!

M. Caldwell: C'est cela.

M. Proulx:... culturel, universitaire et tout cela. C'est à quelques milles des lignes américaines, je pense. Je dois dire que, pour les gens qui restent là, évidemment, s'il y a un jeune qui pense à l'avenir, que pense-t-il? Le jeune qui veut étudier, qui veut aller à l'université, il pense à s'en aller à Sherbrooke ou il pense à s'en aller à Montréal.

Une voix: Oui.

M. Proulx: Maintenant, est-ce qu'il y a beaucoup de gens chez vous, dans cette région, qui vont encore travailler aux États-Unis? Est-ce que cela existe encore? Parce que La Patrie, c'est à cinq ou six milles des frontières du New Hampshire. C'est cela?

M. Caldwell: Oui. C'est cela. Il y a beaucoup de gens qui vont travailler aux États-Unis, dans l'industrie forestière.

M. Proulx: Est-ce que les gens déménagent aux États-Unis, dans ce coin-là? Est-ce que les gens s'en vont aux États-Unis ou bien s'ils y vont pour travailler?

M. Caldwell: Oui. Les liens économiques sont assez importants. Il y a des gens qui travaillent aux États-Unis lorsqu'ils ne trouvent pas de travail au Québec.

M. Proulx: II y a une belle expérience à faire à La Patrie, ceux qui vont là, la fameuse côte.

M. Caldwell: Oui.

M. Proulx: Comment cela s'appelle-t-il?

M. Caldwell: Magnétique.

M. Proulx: La côte magnétique. Alors, il y a deux côtes magnétiques au Canada, une en Nouvelle-Ecosse et l'autre à La

Patrie. Vous arrivez là et vous avez l'impression que votre auto est de même et votre auto est de même. Alors, vous avez l'impression que vous montez, mais vous descendez. N'est-ce pas?

M. Caldwell: C'est vrai. Mon fils m'a amené là, il y a trois semaines.

M. Proulx: Pardon?

M. Caldwell: Mon fils m'a amené là pour voir cela, il y a trois semaines. C'est vraiment extraordinaire et on ne prend pas assez note de cela.

Le Président (M. French): Cela nous prend des entrepreneurs exotiques pour l'exploiter.

M. Proulx: Monsieur, je passe tous mes étés ici. Je ne vais pas à la Marceloupe, moi. Je visite mon Québec, de fond en comble. Il me reste deux choses à visiter: la Baie-James et les Îles-de-la-Madeleine. J'ai visité toutes les régions du Québec et cette fameuse côte magnétique. Mais il n'y pas grand monde dans ce coin-là.

Le Président (M. French): Pour moi, il n'a pas visité Westmount, par exemple.

M. Proulx: J'y suis ailé dimanche. Je m'ennuyais et je suis allé passer le dimanche après-midi à Westmount. C'était bien tranquille.

Le Président (M. French): Vous faites bien.

M. Caldwell.

M. Caldwell: En passant, La Patrie était une colonie, un site de colonisation pendant les années trente.

M. Proulx: C'était un quoi?

M. Caldwell: Un site de colonisation. C'était une des fameuses colonies des années trente. La Patrie a été établie pendant les années trente comme une colonie.

M. Proulx: À cause de l'influence des évêques.

Le Président (M. French): Par Vautrin. En culottes.

M. Proulx: On s'en souvient, lors de la crise, les évêques disaient: Allons conquérir les fermes. On les envoyait en Abitibi et on les envoyait dans cette région.

M. Caldwell: C'est cela.

M. Proulx: Est-ce que vous faites allusion à ce phénomène? Les terres, en Abitibi, ce n'est pas fameux non plus; ils ont des problèmes particuliers au point de vue de la production agricole, je pense.

M. Doyon: On pourrait souligner, M. le Président, qu'il y a Piopolis, dans ce coin, qui a été fondée par les zouaves, Piopolis qui existe sur le bord du lac Mégantic...

M. Proulx: Qu'est-ce que c'est cela?

M. Doyon:... et qui n'est pas surpeuplée non plus.

M. Proulx: C'est une ville.

M. Doyon: C'est un très bel endroit par contre. Piopolis est une municipalité...

M. Proulx: Par les zouaves.

M. Doyon:... qui a été fondée par les zouaves, oui. Les terrains ont été donnés par le gouvernement pour récompenser les zouaves d'être allés défendre le pape.

M. Proulx: Quel pape?

M. Doyon: Je ne me souviens plus de quel pape c'était.

M. Proulx: En 1871, c'était Léon XIII.

Le Président (M. French): M. le député...

M. Doyon: Là on est loin de la démographie.

Le Président (M. French):... le "travelog" est fascinant. Je voudrais tout simplement revenir à un autre volet de votre exposé, M. Caldwell, c'est votre optimisme quant à l'efficacité de l'éducation et de la socialisation en français des goupes divers qui se trouvent actuellement à l'école française.

M. Caldwell: Oui.

Le Président (M. French): Avez-vous des données là-dessus? Avons-nous des données là-dessus? Nous allons entendre, bien sûr, M. Veltman, demain. Je sais qu'il travaille là-dessus. Avez-vous d'autres données qui nous permettraient d'avoir des assises quelque peu?

M. Caldwell: Non. Je sais qu'il y en a d'autres et ce serait intéressant de les entendre. Ce que je dis, c'est très subjectif; c'est ce que j'ai lu dans d'autres sources, ce que j'ai vu dans les écoles des Cantons de l'Est. Je voulais souligner qu'il y a là un fait nouveau dans l'histoire du Québec: il y a des

immigrants qui s'introduisent dans cette société par la voie de l'école française. La loi 101 a voulu cela et, jusqu'à un certain point, cet objectif, il me semble, a été atteint. Si c'est effectivement le cas, l'immigration ne serait peut-être pas la menace qu'elle était dans le passé quant au caractère culturel du Québec.

Justement, les fermiers dont on parlait tout à l'heure, les fermiers suisses-allemands, tous leurs enfants passent par l'école francophone parce qu'ils tombent sous le coup de la loi 101. C'est un fait nouveau pour cette région et je soupçonne que, jusqu'à un certain point, c'est le cas à Montréal. Évidemment, pour que cela se réalise, pour que cette percée se concrétise, il va falloir un certain enthousiasme et une certaine confiance dans la population francophone du Québec. Il va falloir qu'elle n'abandonne pas cet effort d'affirmation au moment où les immigrants ont été francisées. Évidemment, ils étaient contraints de le faire, mais ils vont se sentir trahis si la population francophone décide que certaines contraintes ne sont plus nécessaires, s'ils perdent leur propre confiance dans l'avenir de cette société. Si ces immigrants ou ces enfants d'immigrants ne trouvent pas d'emploi au Québec, ils vont regretter cela. S'ils trouvent des emplois, au Québec, en français, ils vont être rétrospectivement heureux du fait qu'ils ont été socialisés à l'école en français.

Ce que je voulais souligner, M. le Président, c'est que je trouve que c'est un phénomène extraordinaire, nouveau et inédit dans l'histoire du Québec et auquel peut-être on n'a pas assez porté attention. Je sais qu'il y a beaucoup d'études en cours sur cette question. Je sais que cela se présente autrement à Montréal où il y a de grandes concentrations d'un groupe ethnique dans une école. Ce n'est pas le cas dans les Cantons de l'Est. Ce qu'on a vu de la francisation des Suisses allemands, des Suisses français, des Indochinois, des Allemands et mêmes les nouveaux anglophones, c'est quelque chose qu'on n'aurait pas cru possible il y a quinze ans.

M. Proulx: Qui sont les nouveaux francophones? Ils viennent d'où? Qui sont-ils? Viennent-ils du Québec ou d'ailleurs?

M. Caldwell: Les Suisses francophones, par exemple.

M. Proulx: Les Suisses francophones.

Le Président (M. French): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: M. Caldwell, dans votre exposé, vous nous faites le raisonnement suivant, qu'on ne peut pas parler d'expansion économique, au Québec sans une démographie qui est elle-même en expansion et qui est positive.

M. Caldwell: Oui.

M. Doyon: D'un autre côté, vous nous dites que, pour avoir une immigration significative et qui va servir à cette expansion économique, il faut que cette expansion économique soit déjà sur place.

M. Caldwell: Non, je n'ai pas dit cela. C'est justement la discussion que M. French et moi avons eue. C'est évident, la plupart des gens disent: Pour avoir des immigrants, il faut avoir des emplois à leur donner. C'est cela que le gouvernement du Canada est en train de faire maintenant. Au Canada, depuis un certain nombre d'années, on mesure l'immigration en fonction des emplois disponibles. Sans nier l'interdépendance des deux phénomènes, je suis en train de suggérer que l'expérience a peut-être révélé que l'immigration a servi à créer des emplois et que, peut-être même, on se soucie trop des emplois disponibles. Ils vont peut-être créer des emplois. Si on accepte ce postulat qu'il faut une certaine expansion démographique avant d'avoir l'expansion économique, on devrait penser à la possibilité de simplement accueillir plus d'immigrants, ayant confiance que cela amènera l'expansion économique.

M. Doyon: Vous êtes prêt à briser le cercle...

M. Caldwell: C'est cela.

M. Doyon:... en prenant le risque d'une expansion démographique par la voie de l'immigration, si nécessaire.

M. Caldwell: C'est cela.

M. Doyon: Permettre l'intégration de ces immigrants quitte à prendre la gageure que les emplois et l'expansion économique s'ensuivront.

M. Caldwell: C'est cela, surtout étant donné que nous avons tant investi dans des infrastructures sociales qui peuvent être rentabilisées et qu'on n'a plus d'enfants. Je dramatise. On a des hôpitaux, on a des écoles, on a des routes, on a des institutions, on a des travailleurs sociaux qu'on a formés et qu'on ne peut plus engager. On a tout cet investissement collectif qui ne sert pas et on risque de le perdre aussi. On peut exploiter cet acquis qu'on a déjà en prenant ce risque.

M. Doyon: Est-ce que vous êtes prêt à convenir, comme certains intervenants préalables, que le Québec, comme toutes les

sociétés industrialisées, est, finalement, en compétition avec d'autres sociétés du monde occidental...

M. Caldwell: Oui.

M. Doyon:... pour cette ressource première limitée, évidemment, qu'est la population humaine? On est en concurrence les uns avec les autres et à ce moment on devrait orienter notre demande de ressources humaines, si vous voulez, du côté des pays avec lesquels on n'est pas en compétition, des pays en voie de développement, disons, c'est-à-dire que ni l'Allemagne, ni l'Angleterre, ni la France ne sont prêts à se voir dépeupler au profit du Canada ou du Québec... (17 h 45)

M. Caldwell: C'est cela, oui.

M. Doyon:... puisqu'on est en concurrence avec eux. Est-ce que, de ce côté, il n'y a pas un risque d'intégration plus difficile? C'est un peu indécent de parler dans ce sens, mais, pour qu'un immigrant devienne rentable pour la société à laquelle nous appartenons, il faut qu'il puisse être intégré. Si on prend quelqu'un qui est trop loin de ce qu'est notre société, les difficultés d'intégration sont accrues.

M. Caldwell: C'est sûr et c'est une question de degré. Ces difficultés sont là, je les accepte. Il n'y aura plus d'immigration importante de l'Europe; il y a très peu de Grecs qui arrivent, par exemple. Je prends le cas des Indochinois. C'est une situation ponctuelle qui s'est présentée, on a sauté sur l'occasion et nous avons maintenant une certaine population indochinoise au Québec qui présente des difficultés d'intégration. C'est une minorité qu'on dit visible. Est-ce que nous allons réussir à le faire? Je ne le sais pas.

Je prétends qu'on peut faire mieux qu'on n'a fait, à peu près 15 000 par année, je crois, donc à peu près un tiers de l'objectif, pendant cinq ans. On peut peut-être faire mieux qu'on n'a fait lorsque l'enjeu est tellement important et lorsqu'on a le capital social pour le faire, lorsqu'on a le personnel pour le faire maintenant. Le COFI est un bon exemple. Le COFI n'existait pas avant. Le COFI est entré en fonction avec les Indochinois. On a les ressources pour le faire et on est devant un enjeu démographique où ce serait souhaitable qu'on le fasse. Je suggère qu'il vaut la peine de se pencher sur la possibilité de faire beaucoup plus qu'on n'a fait dernièrement.

M. Doyon: Quitte à prendre le risque, mais il faut équilibrer les coûts-bénéfices, évidemment, pour la société. Vous penchez du côté de la thèse qui veut que les avantages qu'on a des chances de retirer d'une arrivée plus considérable de personnes qui viendraient de ces pays seraient finalement, au bout de la ligne, en bout de course, bénéfiques pour la société québécoise.

M. Caldwell: Oui, je prétends que le risque est moins élevé maintenant qu'il y a vingt ans alors que l'immigration passait à peu près toute du côté anglophone. La société québécoise s'est organisée pour que ce ne soit plus le cas. Maintenant, on peut prendre ce risque si, effectivement, on s'est organisé pour que l'immigration ne devienne pas anglophone tout de suite.

J'ajouterais qu'il n'est pas question de décider en toute quiétude si on veut prendre un risque ou non. Je pars du postulat que, sans expansion démographique, l'avenir de la société québécoise n'est pas rose parce que l'histoire nous a montré que, lorsqu'on entre dans ce cycle de déclin, les francophones vont partir. Qu'est-ce qui retient les francophones?

Une voix: Pour où?

M. Caldwell: Pour l'Amérique. Lorsqu'ils ont été socialisés, comme le député de Saint-Jean l'a signalé, si les Américains les accueillent, s'ils leur permettent d'entrer, ils vont partir.

M. Doyon: Finalement, le choix véritable n'existe pas.

M. Caldwell: Pour moi, il n'y a pas de choix véritable en attendant une hausse de la fécondité.

Le Président (M. French): M. le député de Saint-Jean.

M. Proulx: Une question précise. J'ai parlé à mon collègue, à ma droite, et il me disait que dans son comté quatre écoles ont fermé depuis un an.

M. Dauphin: Trois ou quatre ans.

M. Proulx: Depuis quatre ans, quatre écoles. Chez nous, il se bâtit deux écoles de 18 classes dans ma région. Chez vous, est-ce que les écoles ferment? Est-ce qu'on en construit? Est-ce qu'on en ferme? Est-ce stable? C'est la seule façon, je pense, de juger de la natalité.

M. Caldwell: La population scolaire décline dans le Québec. Il y a des démographes ici à qui pourrait s'adresser cette question. Dans notre région, le déclin démographique au niveau de l'école est assez marqué et c'est pour cela qu'on a des professeurs en disponibilité au Québec. Sur l'ensemble du Québec, on en a combien?

27 000 professeurs en disponibilité?

M. Proulx: On a dit qu'il y en avait 5000, à peu près. Au début de l'année, on en a 5000 et, en septembre, ils sont tous placés.

Le Président (M. French): C'est-à-dire qu'il n'y a pas de professeurs essentiellement en disponibilité, d'après vous, M. le député de Saint-Jean.

M. Proulx: Sur la liste, il y en a 60, mais, en octobre ou en novembre, ils sont tous placés. Des professeurs disponibles, sur une tablette, cela n'existe pas.

M. Caldwell: Mais pour parler de notre région, il y a contraction de la population scolaire francophone et anglophone. Je ne me risquerais pas pour l'ensemble du Québec, mais il me semble qu'au niveau secondaire il y a une contraction importante au Québec.

Le Président (M. French): 600, nationalement, M. le député.

M. Proulx: Répétez, 600?

M. Payne: En disponibilité?

M. Proulx: Où.

M. Payne: Dans le Québec.

M. Proulx: Professeurs anglais ou français?

M. Payne: L'ensemble.

M. Proulx: Au début, l'an passé, on disait qu'il y en avait 5000.

M. Caldwell: II ne faut pas oublier que, lorsque l'on parle de professeurs en disponibilité, on engage très peu de nouveaux professeurs. Il y en a qui meurent ou qui prennent leur retraite. Le fait qu'il y ait plus de professeurs en disponibilité ne reflète pas totalement la contraction du corps enseignant.

M. Proulx: Oui, et il y a beaucoup de députés qui sont professeurs et qui vont retourner dans l'enseignement aussi!

Le Président (M. French): Ah oui, cela est un problème sérieux qui va s'aggraver après les prochaines élections.

M. Caldwell: Oui, parce que dans une société à caractère corporatiste, ces députés ont maintenu leurs privilèges. Alors, ils peuvent revenir à leur poste et ils empêchent d'autres jeunes de relever ces défis.

Une voix: Cela n'est pas drôle pour les élèves!

Le Président (M. French): M. Caldwell, je veux vous remercier. Cela a été fort intéressant, fort provocant. Je pense que vous pouvez constater par le nombre et la variété des questions que vous avez stimulé nos imaginations et que vous avez réussi à nous intéresser au plus haut point. Merci.

M. Caldwell: Merci de m'avoir donné le privilège de venir ici.

Le Président (M. French): La commission ajourne ses travaux à 10 heures, demain matin.

(Fin de la séance à 17 h 52)

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