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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Wednesday, August 28, 1996 - Vol. 35 N° 10

Consultation générale sur le projet de loi n° 40 - Loi modifiant la Charte de la langue française - ainsi que sur la proposition de politique linguistique


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Table des matières

Organisation des travaux

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
M. Jean Garon, président
M. André Gaulin
Mme Solange Charest
Mme Liza Frulla
M. David Payne
Mme Fatima Houda-Pepin
M. François Gendron
M. André Boisclair
M. Joseph Facal
M. Daniel Paillé
M. Michel Bissonnet
*Mme Monique Vézina, MNQ
*Mme Jacqueline Hekpazo, idem
*Mme Suzanne La Ferrière, idem
*M. Michael J. Hamelin, AQ
*Mme Edina Bayne, idem
*M. Michael N. Bergman, idem
*Mme Arielle Meloul, CJC, région du Québec
*M. Jack Jedwab, idem
*M. Marc Anderson, idem
*M. François Lemieux, SSJBM
*M. Émile Bessette, idem
*M. Gilbert Gardner, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures cinq minutes)

Le Président (M. Garon): Alors, la commission est ouverte puisque nous avons quorum, et je rappelle le mandat de la commission. Le mandat de la commission de la culture est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française, ainsi que sur le document de consultation intitulé «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec».

M. le secrétaire, y a-t-il lieu d'annoncer des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Facal (Fabre) remplace M. Beaumier (Champlain); M. Beaudet (Argenteuil) remplace M. Cusano (Viau); M. Laurin (Bourget) remplace Mme Malavoy (Sherbrooke); et M. Gendron (Abitibi-Ouest) remplace M. Morin (Dubuc).


Organisation des travaux

Le Président (M. Garon): Alors, l'ordre du jour est le suivant: à 10 heures, remarques préliminaires; à 11 heures, Mouvement national des Québécois; à midi, Alliance Québec; à 13 heures, suspension; reprise à 15 heures avec Mme Josée Legault; à 15 h 30, M. Charles Castonguay; à 16 heures, Congrès juif canadien, région du Québec; à 17 heures, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; et, à 18 heures, ajournement. Nous allons tenter par tous les moyens possibles de respecter l'horaire de sorte que les gens puissent s'attendre à ce que nous avons adopté, si nous l'adoptons. Est-ce que vous êtes d'accord avec l'ordre du jour?

Une voix: D'accord.

Une voix: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Merci. Alors, pour les remarques préliminaires, M. Dumont, député de Rivière-du-Loup, m'a demandé de pouvoir intervenir pendant cinq minutes. Évidemment, ça prend le consentement de la commission, selon notre règlement, et on m'a dit, par ailleurs, que les gens n'auraient pas d'objection à prendre la moitié du temps sur le parti ministériel et la moitié du temps sur le parti de l'opposition, si ça restait en dedans de quatre ou cinq minutes.

Une voix: Juste cinq minutes.

Le Président (M. Garon): Consentement. Donc, il est 10 h 7; alors, j'invite la ministre de la Culture à prendre la parole; ensuite, le porte-parole de l'opposition officielle et, ensuite, le député de Rivière-du-Loup. Le reste du temps sera réparti entre les deux partis selon ce qu'il restera de part et d'autre, selon ce qui aura été pris, en tenant compte que, quand on aura déduit le cinq minutes de M. Dumont, le reste sera partagé entre les deux partis. Alors, Mme la ministre.


Remarques préliminaires


Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin: M. le Président, les consultations dans lesquelles nous nous engageons aujourd'hui sur la proposition de politique linguistique déposée en juin dernier à l'Assemblée nationale ainsi que sur le projet de loi n° 40 constituent un autre de ces moments significatifs de notre vie politique, un de ces moments où nous esquissons la société dans laquelle nous voulons vivre et que nous voulons léguer à ceux qui nous suivront. Elles témoignent aussi de la ferme volonté du gouvernement de donner un nouveau souffle à la politique linguistique en faisant appel à cette responsabilité qui est la nôtre de nous assurer que les générations présentes et futures puissent continuer de vivre, de travailler et de créer en français en Amérique du Nord.

Si la langue française est l'ancrage qui soude à ses origines le peuple québécois, une langue chargée d'histoire et porteuse de grande culture, elle est aussi la rampe qui le projette vers l'avenir. «Le français n'est pas un héritage lourd à porter, mais l'instrument primordial du développement, de l'économie, de la culture, de l'enseignement au Québec», écrit Fernand Dumont dans son essai, «Raisons communes», où il qualifie la langue française de «patrimoine précaire», car, «si la culture est une réalité plus englobante que la langue, cette dernière est non seulement un élément central de la vie culturelle, mais elle représente, dit-il, la faculté de rassemblement, la puissance créatrice de la personne et de la culture». S'attacher à sa défense et à sa promotion, ce n'est pas céder à quelque diversion idéaliste.

Je me permettrai d'effectuer un bref rappel historique pour que nous ayons bien en tête les jalons qui, par périodes, et chacun à sa façon, ont contribué à l'évolution de la politique linguistique à laquelle le gouvernement entend insuffler une nouvelle vigueur. En 1960, Jean Lesage plaçait en tête du programme du Parti libéral du Québec l'article par lequel il s'engageait à créer simultanément un ministère des Affaires culturelles et l'Office de la langue française, ce qu'il a fait dès l'année suivante. De 1965 à 1976, se développe une prise de conscience collective de plus en plus forte de la situation alarmante de la langue française au Québec, particulièrement à Montréal. Rappelons le rapport préliminaire de la commission fédérale Laurendeau-Dunton, qui révélait que les francophones étaient, au Québec même, l'avant-dernier groupe sociolinguistique en ce qui concerne le niveau de vie. Rappelons les batailles syndicales pour introduire le français comme langue de travail et des conventions collectives, la lutte des gens de l'air, l'unilinguisme anglais dans une grande partie de Montréal.

(10 h 10)

Cette prise de conscience collective a amené la loi 63, plus tard le rapport Gendron, la loi 22 par laquelle le gouvernement reconnaissait le français comme langue officielle du Québec, sans oublier, en 1976, la publication du livre vert du ministre Jean-Paul L'Allier, intitulé «Pour l'évolution de la politique culturelle», lequel a fortement inspiré l'action gouvernementale dans le domaine de la culture.

Peu après son accession au pouvoir, le gouvernement du Parti québécois, sous l'inspiration et la direction du Dr Laurin, a fait adopter la Charte de la langue française dont l'objectif était, et je cite, «de faire du français la langue de l'État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires». Symbole de l'affirmation du fait français chez nous, la Charte apparaît en rétrospective comme une étape charnière du processus de modernisation que le Québec a résolument amorcé au début des années soixante. À cet égard, la Charte est en quelque sorte un moment fondateur de cette prise de conscience des Québécoises et des Québécois de leur caractère distinct et de leur entrée dans la modernité.

Au départ, la Charte a été adoptée pour tenter de mettre un terme à l'inégalité socioéconomique des francophones, pour freiner le choix des nouveaux Québécois d'envoyer massivement leurs enfants à l'école anglaise et pour réduire la prépondérance de l'anglais dans l'affichage, les services et le travail, donc dans la vie quotidienne. Aujourd'hui, malgré des gains importants et évidents, malgré le fait que les progrès réalisés aient renforcé la sécurité linguistique de la majorité, le français n'est pas encore la langue commune de la vie publique, notamment à Montréal et dans l'Outaouais, comme en fait état le bilan publié en mars dernier par le Comité interministériel sur la situation de la langue française.

Cet objectif de faire du français la langue commune au Québec était déjà, doit-on le rappeler, celui que proposait, dès 1972, la commission Gendron. En 1977, le Dr Laurin reprenait le même concept dans son livre blanc intitulé «La politique québécoise de la langue française». En 1990, la ministre Monique Gagnon-Tremblay, dans l'«Énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration», poursuivait dans le même sens. Je cite: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant: faire du français la langue commune de la vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.» Sur cette notion de français, langue commune, je constate donc qu'existe un consensus qui transcende les frontières partisanes et je ne peux que m'en réjouir.

Inquiet du laxisme qui s'était graduellement introduit dans l'application des dispositions de la Charte, c'est Jacques Parizeau qui a voulu faire le point sur la situation pour, ensuite, mieux décider des mesures à prendre pour renforcer et consolider le français. Aujourd'hui, le gouvernement, sous la direction de Lucien Bouchard, prend le relais de cette démarche. Il réaffirme sa détermination de poursuivre l'objectif fondamental de 1977 et entend redonner à la Charte tout le poids de la volonté politique dont elle a besoin pour atteindre ses buts et faire rayonner le français partout au Québec. Pierre d'assise de la promotion du français, la Charte serait dorénavant appliquée comme toute autre loi. C'est à ce prix et à ce prix seul que la Charte portera tous ses fruits, et que le français s'imposera et sera respecté comme la langue officielle du Québec.

La francisation du Québec, nous le savons toutes et tous, ne saurait se faire sans les nouveaux Québécois. «Francisons ces gens venus d'ailleurs, écrit Marco Micone, acceptons que leur présence transforme la culture québécoise, et le Québec français survivra.» C'est ce qu'affirmait le premier ministre, Lucien Bouchard, lors de son discours d'assermentation en janvier dernier, et je le cite: «S'il est vrai que le peuple québécois existe, il est vrai aussi que ce peuple a une âme. Cette âme se doit d'être nourrie, métissée, enrichie, contestée, bousculée, réinventée.»

Notre démarche en est une d'ouverture, une ouverture sur le monde et le prochain millénaire. Faire du français une langue porteuse de modernité, de culture et d'enrichissement, une langue d'accueil pour tous ceux et celles qui auront choisi cette terre pour rebâtir, pour repartir à neuf, une langue surtout rentable, la langue de la décision, voilà un objectif que nous nous imposons comme société formellement déjà depuis 19 ans.

Notre objectif, voulant qu'il y ait dans tous les domaines plus de français, nous l'atteindrons, d'abord, à mon sens, en développant le statut de Montréal, métropole francophone, la seule en Amérique du Nord, ce qui constitue pour elle non pas un handicap, mais, bien au contraire, un avantage dans un monde qui doit résister à l'uniformisation et au nivellement des différences. Nous l'atteindrons aussi par plus de cohérence dans l'action de l'administration publique qui devra intégrer dans l'ensemble de ses pratiques et de ses décisions cette notion de promotion du français. En outre, nous croyons qu'il faut rétablir la Commission de protection de la langue française. Nous estimons, en effet, que c'est un outil essentiel au respect de la Charte. Le précédent gouvernement justifiait l'abolition de la Commission, notamment, par la diminution du nombre de plaintes qu'elle devait traiter. Force est de constater aujourd'hui que la situation a changé: le nombre de plaintes connaît une augmentation impressionnante puisque plus de 3 000 plaintes devraient être déposées par les citoyens cette année seulement.

Notre action vise aussi, dans ce sens, à mettre fin à la confusion des genres et à dissocier les fonctions de conseil aux entreprises et de surveillance, toutes deux cumulées depuis 1993 par l'Office de la langue française. Nous atteindrons notre objectif en redynamisant le processus de francisation des entreprises et en y associant celles de 50 employés et moins. Je rappelle à cet égard que nous avons mis sur pied un groupe de travail tripartite qui doit nous remettre son rapport avant la fin du mois d'octobre, sous la présidence du professeur Michel Grant, et qui est chargé de recommander au gouvernement des actions et des mesures concernant les entreprises de 50 employés et moins. Le groupe doit aussi examiner, à l'égard de l'ensemble des entreprises, la manière de faire respecter le droit des employés de travailler en français, la possibilité d'effectuer en milieu de travail la formation en langue française des immigrants et la meilleure stratégie pour implanter la technologie en français dans la vie réelle de l'entreprise.

Bien entendu, la Charte demeure la pièce maîtresse de la politique linguistique; elle en constitue le pivot. Elle ne peut cependant tout régler à elle seule. Une approche sociale doit aussi venir compléter la Charte dans tous les autres domaines. Plusieurs mesures concrètes inscrites dans l'Énoncé de politique visent justement à renforcer l'intégration des nouveaux Québécois à la vie collective en français, à placer la langue au coeur de l'éducation et à réaffirmer l'importance de la qualité de la langue française.

Ce souci de la qualité de la langue, s'il s'est toujours manifesté tant dans la Charte que dans l'action des organismes, a souvent marqué le pas en regard du statut et de l'usage de la langue, ce qui se justifiait du fait qu'une langue doit être utile et utilisée pour qu'elle puisse s'épanouir. Les progrès significatifs réalisés à l'égard de l'usage du français et l'évolution des mentalités quant à la norme de référence laissent entrevoir qu'il faudra dorénavant chercher davantage à articuler promotion de l'usage et qualité de la langue.

À l'ère de l'économie du savoir et des inforoutes, nous privilégions également une approche de concertation internationale pour faire contrepoids à la tendance de l'anglais à s'imposer comme la seule langue du commerce mondial et des nouvelles technologies de l'information. Le Québec fait partie de ce grand ensemble qui s'appelle la francophonie et qui est constitué de 48 pays qui ont la même langue en partage. C'est là une force, un point d'appui essentiel à notre développement. Dans ce cadre, nous cherchons à tirer le meilleur parti possible de nos rapports privilégiés avec la France. C'est ainsi qu'à l'occasion de la visite du premier ministre Juppé le Québec a signé avec la France un protocole de collaboration en matière de produits multimédias de langue française principalement destinés à la diffusion sur les inforoutes.

À l'époque de l'adoption de la Charte, on assistait à la toute première percée des micro-ordinateurs. Il était peu question de mondialisation des marchés ou d'autoroute de l'information. Il n'est donc pas étonnant que la Charte soit demeurée discrète à ce sujet. Mais aujourd'hui nous n'avons d'autre choix que de nous adapter aux réalités de cette fin de siècle et de nous assurer que le français trouvera sa place dans ce nouvel univers des communications. Il ne saurait être question que le Québec subisse la révolution technologique comme il a subi la révolution industrielle, c'est-à-dire essentiellement en anglais. La tâche ne sera pas facile, mais, tout comme nous avons réussi la révolution télévisuelle au milieu des années soixante, je suis persuadée qu'il est possible de réussir cette révolution technologique en français.

(10 h 20)

La stratégie gouvernementale pour la mise en oeuvre des inforoutes fait actuellement une place très grande au contenu et aux services qui forment, nous le savons, le noeud décisif de toute l'aventure technologique. La phase II du Fonds de l'autoroute de l'information est essentiellement axée sur des contenus et des services de langue française. Et c'est parce que c'est là que se joue en grande partie l'avenir de notre langue que nous proposons de modifier la Charte en ce qui a trait aux logiciels et aux ludiciels. Mais je précise qu'il ne s'agit pas – et c'est très clair dans l'amendement en question – de priver les Québécoises et les Québécois, notamment, de logiciels spécialisés lorsque ceux-ci n'existent qu'en version anglaise; il s'agit d'affirmer que le Québec est un marché francophone et non une simple extension du marché intérieur nord-américain.

Alors, voilà, en résumé, les grandes lignes de la proposition que nous soumettons à la consultation publique. Nous savons que notre action en matière linguistique est soumise à de lourdes contraintes politiques. Nous vivons dans un pays qui prône le bilinguisme souvent plus théorique que réel – nous le savons, les francophones hors Québec le savent – un pays où l'on prétend que les deux langues que sont l'anglais et le français seraient sur un pied d'égalité, comme si elles étaient de force égale dans le contexte mondial et nord-américain, un pays qui annonce aux nouveaux Québécois qu'ils immigrent dans un pays bilingue.

Notre politique linguistique ne peut être qu'incomplète, qu'en opposition même avec celle du gouvernement fédéral. Il en résulte cacophonie et confusion, alors que l'affirmation du français comme langue commune se doit d'être claire et sans équivoque, dans le respect, bien entendu, des droits acquis et des garanties à la communauté anglophone. Ma conviction profonde est donc que seule la souveraineté garantira le maintien de notre identité et permettra notre développement comme peuple en toute liberté.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: Merci, M. le Président. Nous sommes réunis afin de réagir à la proposition de politique linguistique déposée par la ministre de la Culture, Mme Louise Beaudoin, ainsi qu'au projet de loi n° 40. Le gouvernement a donc décidé de consulter les personnes et organismes intéressés par sa proposition de politique et son projet de loi, une consultation sur les objectifs ultimes de la politique ainsi que sur les actions et les mesures législatives qui en découlent. Parce qu'il faut bien voir que, depuis que la ministre annonçait, il y a quelques mois, qu'elle préparait ce qu'elle appelait un bouquet de mesures, les plans du gouvernement ont bien changé. En effet, c'est beaucoup plus qu'un bouquet que la ministre nous livre aujourd'hui, c'est le bouquet avec le pot. Je dis: Tant mieux si cela devait mener à une stratégie générale de promotion du français comme langue commune, qui soit mieux adaptée aux besoins, sauf que, ainsi que nous allons le démontrer plus loin, nous avons des doutes sérieux en ce qui concerne des éléments importants de la stratégie proposée.

Commençons donc par l'examen des objectifs ultimes de la proposition de politique. Le document de consultation établit clairement que l'objectif ultime de la proposition de politique est la promotion du français comme langue d'usage au Québec et comme langue internationale. Nous sommes évidemment entièrement d'accord avec cet objectif ultime et nous y souscrivons de tout coeur. Nous sommes également tout à fait d'accord avec la distinction que fait le document ministériel entre une action sociale et une action législative. La loi n'est, en réalité, qu'un des moyens d'action dont dispose le gouvernement. Celui-ci dispose, en effet, pour agir, de beaucoup d'autres moyens plus incitatifs. En particulier en ce qui concerne l'amélioration de la qualité du français, objectif dont fait largement état la proposition, les moyens législatifs sont hors de question. Nos amis français s'en sont rapidement rendu compte lors de leur dernière tentative de rectifier l'orthographe.

Par ailleurs, l'État peut jouer un rôle efficace d'encouragement, et d'encouragement actif en matière de qualité de la langue, et nous souhaitons vivement qu'il le fasse. Je dois dire d'ailleurs que, au chapitre de l'amélioration de la qualité de la langue, le document gouvernemental présente des vues à la fois ambitieuses et novatrices. Ainsi que le montre la proposition de politique, la promotion d'un français de qualité est une condition nécessaire de l'extension de son usage social. Il en est de même des perspectives ouvertes par la proposition gouvernementale en matière de stratégie visant à assurer au français le rôle qui lui revient pleinement comme langue internationale, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies de communication et d'information. On reconnaît ici d'ailleurs la marque de la ministre dont l'expérience des affaires internationales a été mise à profit.

Donc, sur les objectifs ultimes, je le répète, nous sommes entièrement d'accord et nous souscrivons pleinement aux perspectives qui sont présentées dans la proposition de politique. Évidemment – et je dois souligner que la ministre, dans ses notes préliminaires, vient de faire un peu une correction là-dessus – nous aurions souhaité que le gouvernement reconnaisse qu'avant lui d'autres ont aussi fait preuve de détermination à promouvoir le français, que, dès 1974, sous le gouvernement libéral, la loi 22 faisait du français la langue officielle du Québec pour la première fois, que des actions nombreuses ont été entreprises par des précédents gouvernements libéraux dans le but d'élargir le rôle du français à l'échelle internationale. N'oublions surtout pas que la priorité de la Charte de la langue française: faire du français la langue de travail, est issue d'un gouvernement libéral.

Soulignons, finalement, et c'est d'autant plus pertinent de le faire que le texte de la proposition de politique demeure entièrement silencieux là-dessus, que, par la loi 86, le précédent gouvernement libéral avait réussi à ramener la paix linguistique. Quant au présent gouvernement, c'est à son ambivalence que nous devons l'exacerbation des tensions linguistiques que vit actuellement le Québec. Le gouvernement du Parti québécois ne peut donc pas, en toute honnêteté, se présenter comme le seul champion des valeurs identitaires, ainsi que la proposition de politique tente d'en donner l'impression.

Et puis, M. le Président, disons-le franchement, le mérite du Parti libéral, son grand mérite en matière de politique linguistique, sa contribution la plus spécifique aura été d'assurer la promotion du français et son affirmation dans un esprit qui reconnaît la légitimité des aspirations identitaires de tous les citoyens et, au premier plan, de celles de nos concitoyens anglophones. C'est ça, l'esprit de la loi 86, une loi qui affirme la place prépondérante du français, mais en évitant tout risque d'exclusion.

Malheureusement, et c'est vraiment malheureux, on ne peut pas affirmer qu'il en soit ainsi pour la proposition de politique linguistique que dépose maintenant le gouvernement du Parti québécois. Je l'ai dit plus haut, la proposition de politique contient beaucoup d'idées valables – j'ai même dit «généreuses» – mais par moments on y affirme des choses, on y tient des propos sur l'identité qu'un esprit libéral ne peut accepter.

M. le Président, je vous en prie, ouvrez le document de consultation ministériel à la page 34 et lisez ce qu'on y affirme: «Toute langue joue un important rôle de cohésion sociale. La langue maternelle manifeste l'appartenance à une communauté et à une culture originales, différentes des autres, tout aussi riches et dignes de respect. Le fait que cette communauté soit majoritaire ou minoritaire est important à bien des égards, mais il ne modifie en rien le profond sentiment d'appartenance et de fidélité que chacun éprouve à l'égard de sa propre langue maternelle.»

Jusqu'ici, M. le Président, tout va bien, mais permettez-moi de poursuivre la lecture du texte: «On comprend alors que les Québécoises et les Québécois, tout au long de leur histoire et malgré des circonstances souvent défavorables, soient demeurés fidèles à leur langue maternelle et aient persisté à vouloir non seulement en maintenir l'usage mais aussi l'affirmer comme langue caractéristique de leur coin d'Amérique. Les Québécoises et les Québécois, à travers leur propre expérience, comprennent d'instinct et respectent profondément l'intention des membres des autres groupes linguistiques de vouloir maintenir la connaissance de leur langue maternelle et en assurer la transmission à leurs enfants.»

M. le Président, les Québécoises et les Québécois dont on parle ici, et non sans un certain lyrisme, de qui s'agit-il? Ce sont les Canadiens français, les francophones comme vous et moi, comme la ministre. Et le texte en remet, puisque, à la fin, il oppose les Québécoises et les Québécois aux autres groupes linguistiques. La référence à la distinction du nous et du eux, de l'endogroupe et de l'exogroupe, est explicite. En fait de vision ethnocentrique, il serait difficile de faire mieux.

(10 h 30)

Voilà des propos, dans un discours d'État, que le Parti libéral rejette parce qu'ils sont totalement étrangers à l'esprit libéral. Je l'ai dit, la contribution du Parti libéral aura été d'affirmer l'identité française du Québec sans exclure personne. Quant au texte que je viens de lire, faut-il le comprendre comme un lapsus dans une politique linguistique qui, par ailleurs, affirme maintes fois le besoin de solidarité et de cohésion sociale? La ministre voudra sûrement nous éclairer là-dessus.

Là où notre désaccord est cependant entier avec la proposition de politique et la loi n° 40, c'est sur la décision de rétablir la Commission de protection de la langue française. Nous pensons, en effet, que ce choix entraînera des effets contraires à l'objectif ultime de promouvoir le français et d'en faire la langue commune. Quant aux justificatifs qui fondent le choix de rétablir la Commission, ils sont, à notre avis, totalement dépourvus de crédibilité. Pour tout dire, la décision de rétablir la Commission de protection de la langue française est une décision inopportune, injustifiée, donc une mauvaise décision.

En mars dernier, un comité interministériel désigné par le gouvernement déposait un rapport dans lequel on établissait, et je cite, «que le français a fait des gains importants dans presque tous les domaines». Le Conseil des ministres estimait, de plus, qu'à la lumière des constats du Comité interministériel il ne semblait pas nécessaire d'introduire des modifications législatives à la loi 101. C'est ce que soutenait d'ailleurs la ministre dans un communiqué de presse du 3 avril dernier.

Or, voilà que nous sommes maintenant saisis d'un projet de loi qui veut non seulement rétablir la Commission de protection de la langue française mais la ressusciter en lui donnant des pouvoirs coercitifs accrus. Que s'est-il passé entre le 3 avril et le 10 juin, jour du dépôt du projet de loi? Quels nouveaux constats, quelles nouvelles enquêtes seraient venus invalider les conclusions du rapport du Comité interministériel? En d'autres mots, comment expliquer autrement que par un pur opportunisme un pareil renversement de comportement de la part du gouvernement?

Réagissant aux pressions de certains membres de son parti et motivé par son ambivalence à l'égard de la loi 86, le gouvernement prend une décision dont les effets prévisibles, je le répète, seront entièrement contraires aux résultats visés. Car, s'il faut souhaiter que la loi 101 soit appliquée comme toute autre loi, il faut néanmoins reconnaître que ce n'est pas de toutes les lois qu'on espère qu'elles contribueront, comme le veut la politique gouvernementale, à créer une solidarité à l'égard du français, une loyauté linguistique qui s'étende à toutes les Québécoises et à tous les Québécois.

Or, comment peut-on espérer atteindre ce but et renforcer en parallèle l'appareil de coercition législatif? Nous le savons bien, la coercition ne crée pas la solidarité. Nous savons que la loyauté au français, que l'on souhaite voir le plus largement partagée, requiert des rapports de confiance mutuels et de coopération active entre les locuteurs de toutes les langues. Le renforcement de la coercition législative est donc contraire à la diffusion de cette solidarité et de cette loyauté qui sont absolument nécessaires afin d'assurer la pérennité du français, sa sécurité et sa vitalité.

Quant aux arguments fournis par la ministre elle-même afin de justifier le rétablissement de la Commission de protection de la langue française, ils ne nous convainquent aucunement. Le mercredi 3 avril, la ministre demandait à l'Office de la langue française de veiller à l'application de la loi de façon plus systématique et rapide au chapitre de l'affichage commercial, ce qui lui paraissait alors une action suffisante afin de faire progresser davantage la place qu'y occupe le français. Il faut croire que la ministre a depuis changé d'avis. Elle tente maintenant de nous convaincre que, dans l'état actuel de l'exercice des rôles de conseil et de contrôle par l'Office, nous serions en présence d'une confusion des genres, sauf que ce qui est demandé à l'Office n'a rien d'exceptionnel parce qu'il le fait déjà en matière de francisation des entreprises. L'Office agit dans ce domaine en tant que conseiller, mais il veille également à contrôler l'application des programmes, ce qui pourrait même l'amener à retirer un certificat déjà attribué à une entreprise.

L'Office de la langue française n'est d'ailleurs pas seul à devoir conjuguer les fonctions de conseil et de contrôle. Plusieurs autres organismes gouvernementaux le font également. Donc, le rétablissement de la Commission de protection, et, je le répète, d'une commission de protection plus interventionniste que l'ancienne, ne repose sur aucun justificatif rationnel. L'Office de la langue française est un organisme de bonne réputation, possédant une solide tradition de qualité dans les services qu'il dispense et une vaste expérience en matière de promotion du français. Qu'on lui donne les ressources dont il a besoin, si l'on juge que celles qu'il possède déjà ne sont pas suffisantes, plutôt que de créer une nouvelle bureaucratie sans tradition établie de services et qui, qui plus est, partira perdante compte tenu de sa mauvaise réputation auprès d'importantes clientèles de la loi 101.

En d'autres mots, le gouvernement, en plus d'avoir inventé de toutes pièces une crise linguistique, décide maintenant dans son projet de loi n° 40 d'avoir recours à un dispositif administratif inopportun, injustifié, et dont il faut prévoir qu'il aura pour effet d'élargir le fossé entre la majorité francophone et les minorités linguistiques. Plutôt que de renforcer les rapports de solidarité afin de soutenir l'élan d'une loyauté élargie à l'égard du français, le gouvernement, par son action, entraînera une rupture d'équilibre et une reprise des conflits dont nous avions finalement réussi à faire l'économie.

En terminant, M. le Président, nous espérons que les audiences que nous inaugurons aujourd'hui viendront nous éclairer davantage, nous, les parlementaires, sur les grands enjeux de la proposition de politique et du projet déposé par la ministre. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Rivière-du-Loup.


M. Mario Dumont

M. Dumont: Merci, M. le Président. Alors, je vais participer aux remarques préliminaires seulement; je n'ai pas l'intention de participer à l'ensemble des travaux de la commission. Je relisais la version française, la traduction du discours du premier ministre Bouchard au Centaur, et il disait des choses intéressantes là-dedans. Entre autres, il disait: «Je crois qu'il y a eu une époque où le débat linguistique pouvait être vu comme une confrontation où il y avait nécessairement des gagnants et des perdants. Aujourd'hui, je pense que nous avons largement laissé derrière nous ces vieilles barricades linguistiques.» J'ai l'impression, aujourd'hui, M. le Président, qu'on est en train de s'affairer à reconstruire ces vieilles barricades, pour reprendre les termes du premier ministre lui-même.

L'Assemblée est convoquée à des travaux d'une commission sur la langue par un gouvernement qui a annoncé officiellement que sa priorité était à l'emploi. Au cours de l'été, à deux reprises, le président du chantier ou du comité sur l'emploi créé par ce même gouvernement, M. Jean Coutu, un homme d'affaires respecté, a à deux reprises sonné une alarme en disant: La police de la langue, les tensions linguistiques, les chicanes linguistiques sont nuisibles à l'emploi. Je ne sais pas quelle importance M. Coutu a dans les plans du gouvernement. Il semble qu'ils ne savent même pas encore à qui il va devoir remettre son rapport en temps opportun. Mais néanmoins, peu importe la considération que le gouvernement a pour ses travaux, il fait un travail sérieux, avec des gens d'affaires, pour essayer de relancer une économie qui va mal et essayer d'arrêter des pertes d'emplois qui sont lourdes.

(10 h 40)

Or, malgré cet avertissement-là, le gouvernement procède quand même sur la langue, sur des thèmes comme ceux-là, pendant qu'il n'y a aucune, mais aucune action positive en matière d'emploi. On a perdu 76 000 emplois en deux mois; il me semble qu'il y aurait une urgence de ce côté-là, au moins aussi grande que celle qu'on semblait avoir quand on relisait le discours de M. Bouchard au Centaur, où il disait: On a un équilibre en matière linguistique, les vieilles barricades sont tombées. Alors, les priorités glissent.

D'autant plus que, pour ce discours-là, au Centaur, si ma mémoire est fidèle, le premier ministre n'avait pas été invité. Le premier ministre a convoqué ses concitoyens de la communauté anglophone, il les a convoqués à une rencontre pour leur exprimer un certain nombre de points de vue, un certain nombre d'intentions. Et, depuis ce temps-là, il a fait quoi? Rien. On a créé des attentes et on n'a pas livré la marchandise. À ces gens-là, ce soir-là, qu'on avait convoqués – encore là, je le répète, on a convoqué des gens – on ne leur a jamais dit: Dans six mois, dans sept mois, vous allez avoir affaire à moi, on va avoir une police de la langue, on va vous remettre une commission. On ne leur a jamais annoncé rien de semblable.

Tout ça me semble, M. le Président, le symptôme d'un gouvernement qui a perdu le sens des priorités. On a parfois des petits exemples qui nous indiquent les obsessions du Parti québécois en matière linguistique. Des gens d'affaires, qui sont dans le domaine de la haute technologie et de l'informatique, me disaient avoir rencontré un des ministres du gouvernement récemment, et la priorité n° 1... Ces gens-là étaient inquiets d'une foule de choses, de voir partir tous les meilleurs cerveaux du Québec dans le domaine de l'informatique pour des compagnies américaines. Ils étaient inquiets d'une foule de choses, mais la préoccupation du ministre en question, c'était: Est-ce que la version française du logiciel est arrivée? Je ne suis pas en train de dire que ce n'est pas important; je suis en train de dire qu'il y a un déplacement des priorités par un gouvernement qui est supposé nous préparer un avenir, mais qui est accroché à des obsessions alors qu'il y a des morceaux gros comme ça qui passent à côté.

Je pense que le Québec a besoin d'harmonie, le Québec a besoin de jeter des ponts. «Jeter des ponts», c'était des termes du discours du Centaur. Québec a besoin de vision. Sûrement, sur plusieurs fronts, on peut promouvoir le français, entre autres sur le front de l'éducation. Mais le front de l'éducation, c'est comme le reste, c'est reporté à l'automne pour les états généraux dans un sommet où on va... On a semé des tomates, on a semé des navets, puis on va récolter ça avec toute la même faucheuse, toute la même machine à récolter, dans un sommet de trois jours, et l'éducation, qui est un élément important de la politique linguistique, est passée avec le reste là-dedans.

Je ne pense pas que le français va faire de progrès dans une approche de confrontation. Je ne pense surtout pas que le français va faire du progrès avec la création d'un nouvel organisme, d'une nouvelle bureaucratie. Mais je pense que, pendant ce temps-là et pendant que le gouvernement ne fait rien, le Québec est en train de s'appauvrir, le Québec est en train de s'affaiblir. Et je pense que ce que les jeunes du Québec souhaitent, c'est une société québécoise majoritairement française, avec un français fièrement exprimé, mais une société prospère. Et je ne suis pas résigné à cette espèce d'attitude, et je pense que les Québécois et Québécoises ne sont pas résignés à cette espèce d'attitude de dire: Bien, on va peut-être être pauvres, mais, au moins, on va être pauvres en français. Moi, je ne suis pas résigné du tout à ça.

Alors, la question pour laquelle on est convoqués n'est pas de savoir: Est-ce que le français est important ou pas? La question est de savoir: Est-ce que les politiques, est-ce que la création d'un organisme vont faire progresser significativement le français? Et, moi, je dis non à ça. Je pense que non, je pense qu'on va mettre plus d'argent dans de la bureaucratie, et l'harmonie sociale va régresser pas mal plus que le français va progresser.

Alors, je vous dis, en conclusion, que je vais voter contre ce projet de loi là. Et le taux de chômage est tellement plus élevé que le taux d'infractions à la Charte de la langue française que le gouvernement du PQ devrait revoir ses priorités, comme je l'ai dit à plusieurs reprises. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Bourget.


M. Camille Laurin

M. Laurin: M. le Président, la francisation du Québec a été, est et doit demeurer l'oeuvre collective de tous les partis politiques du Québec, dans le respect des droits des nations autochtones et de la minorité anglophone. Cet impératif est clair, simple et normal, car les partis politiques sont l'émanation du peuple québécois et doivent exprimer son identité et sa volonté.

Depuis ses origines, il y a 460 ans, ce peuple est français et il a lutté des pieds et des mains, à travers mille épreuves et embûches, pour le demeurer. Cette volonté s'est fortement exprimée à plusieurs reprises, avec des succès croissants: en 1774, en 1791, en 1840, en 1867, en 1973 avec la loi 22 et, finalement, en 1977 avec la loi 101. C'est au Parti libéral, dirigé par Jean Lesage, que nous devons l'instauration de l'Office de la langue française. C'est le même Parti libéral, dirigé par Robert Bourassa, qui a fait du français la langue officielle du Québec. Avec la loi 101, le français était proclamé langue d'usage dans toutes les sphères de la vie collective. De 1985 à 1994, le Parti libéral, dirigé par Robert Bourassa, puis Daniel Johnson, a maintenu l'essentiel de la loi 101 et lui a même apporté quelques améliorations.

Avec sa politique linguistique et la loi n° 40, le gouvernement veut maintenant consolider et renforcer la position du français, et en faire la langue commune de tous les Québécois face aux défis que posent les nouvelles technologies et la mondialisation des marchés. Même si l'anglais est devenu la langue du continent américain à près de 98 %, même si l'anglais est devenu la langue planétaire des échanges scientifiques et commerciaux, le Québec peut relever avec succès ces défis, car son vouloir-vivre collectif est plus fort que jamais, sa puissance économique de pays moderne et développé lui en donne les moyens, et parce qu'il peut compter sur des partis politiques et une majorité de citoyens qui sont prêts à mettre l'épaule à la roue.

Tout peuple, tout pays a besoin d'une langue commune, qui ne peut être que la langue officielle. Cette langue commune est indispensable pour que tous les citoyens québécois puissent communiquer entre eux. Elle constitue également l'instrument obligé de la socialisation, de la cohésion et de la paix sociale, de la participation au marché du travail, à la vie culturelle, à la vie politique à tous ses niveaux, à l'exercice d'une démocratie réelle et dynamique, à la construction d'un pays qui appartient à tous ses citoyens. Ainsi utilisée, la langue commune rend impossible la constitution de ghettos linguistiques, culturels, économiques et politiques qui appauvrissent un peuple et peuvent le menacer de dislocation.

Le français a certes beaucoup progressé depuis 1977; il serait d'ailleurs étonnant que des efforts aussi vigoureux, continus et couvrant toutes les sphères de la vie collective n'aient pas porté fruit, mais l'objectif d'alors est encore loin d'être atteint. La francisation des milieux de travail laisse encore beaucoup à désirer un peu partout, mais particulièrement dans certains secteurs où règnent les nouvelles technologies informatiques et numériques. Faute de maîtriser suffisamment le français, en raison peut-être de la carence des programmes éducatifs, trop d'anglophones se sentent exclus du marché du travail ou ne peuvent pas répondre aux exigences légitimes de leurs employeurs ou clients francophones. Le droit du citoyen québécois d'être informé et servi en français est loin d'être respecté partout.

La francisation des immigrants est lente, difficile, en raison d'obstacles constitutionnels et politiques, certes, mais aussi institutionnels et financiers. La bilinguisation de l'affichage dans les quartiers anglophones par les magasins à chaîne risque de s'étendre à tout le Québec, car les affiches sont fabriquées en série pour toutes les succursales afin de sauver des sous ou par souci de standardisation. Il est inquiétant de constater qu'un aussi grand nombre de diplômés de nos écoles secondaires s'inscrivent dans un cégep anglophone, 30 % pour les diplômés du secteur catholique et 70 % pour ceux du secteur protestant.

C'est pour redresser ces diverses situations et corriger ces tendances inquiétantes que le gouvernement a mis à jour sa politique linguistique et propose aujourd'hui des mesures qu'il a soigneusement ciblées. Il attend maintenant de savoir ce que le peuple des citoyens en pense. Il écoutera avec attention et respect, mais il agira ensuite sans délai, avec calme et fermeté, dans un esprit de justice, en s'inspirant avant tout de l'intérêt collectif, car il est la voix, l'émanation de son peuple. Ne pas faire tout ce qu'il faut pour que ce peuple vive et se développe en français équivaudrait pour lui à perdre son âme. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Merci, M. le député de Bourget. J'invite maintenant le député de Jacques-Cartier à prendre la parole.


M. Geoffrey Kelley

M. Kelley: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de m'adresser à cette commission aujourd'hui. Je pense que c'est toujours un devoir très délicat à la fois de faire la promotion du fait français au Québec, mais également toujours d'assurer la paix linguistique entre les communautés composantes de notre société. Nous avons fait ça à maintes reprises. Je pense au travail qui a été fait par l'ancien député de Mercier en 1983, qui a donné une certaine reconnaissance aux institutions issues de la communauté anglaise; toutes en même temps ont fait de la promotion du fait français au Québec une priorité. On regarde aussi la loi 86 qui a été adoptée en 1993, qui également a essayé de toujours renforcer cet équilibre entre les deux objectifs de l'État, c'est-à-dire de promouvoir le fait français, mais également d'assurer une paix linguistique, de s'assurer que la communauté d'expression anglaise, qui a fait sa part dans l'histoire, la création et le développement de la société québécoise, ait sa place et une identité qui est reconnue également.

(10 h 50)

Si j'ai bien compris la démarche faite par le premier ministre au théâtre Centaur plus tôt cette année, c'était également dans cet esprit de trouver une paix linguistique. En passant, à mon collègue, le député de Rivière-du-Loup, la communauté d'expression anglaise serait heureuse si le premier ministre et son gouvernement n'avaient rien fait depuis le fameux discours du Centaur, mais il y a eu la fermeture de pas moins de cinq hôpitaux issus de la communauté d'expression anglaise depuis mars.

Alors, malgré les larmes de crocodile sur l'importance des services de santé en langue minoritaire au Canada, comme M. le premier ministre l'a dit à ce moment, on a vu que surtout l'hôpital Jeffery Hale ici, qui était le dernier hôpital issu de la communauté anglaise dans l'Est du Québec, est maintenant fermé. Alors, il n'y a aucune démarche qui a été prise par le ministre de la Santé et des Services sociaux pour assurer l'avenir de ces services en langue anglaise dans l'Est du Québec. C'est le silence total depuis le mois de mars. Alors, le beau discours du mois de mars, c'est quelque chose du passé. Mais on a vu dans les gestes concrets que la seule offre qui avait été émise dans le discours du premier ministre, qui était une discussion sur les commissions scolaires linguistiques, maintenant est reportée à un avenir inconnu. Alors, c'est très difficile de voir... entre le discours et ce que le premier ministre a essayé de faire et les démarches qu'ils ont prises.

On a publié un bilan, au mois d'avril, qui a donné un portrait assez rassurant. Il y a toujours du travail à faire, et on est toujours très sensibles au fait qu'un petit îlot français dans l'Amérique du Nord, c'est toujours un grand défi. Je pense que j'ai participé aux travaux de cette commission pendant deux ans; nous avons regardé les enjeux dans l'autoroute de l'information, nous avons regardé les enjeux dans la télédiffusion, avec le débat sur Télé-Québec. Alors, on est très sensibles au fait que ce n'est pas facile. Il y a toujours ces enjeux à faire...

Mais, d'après le portrait qu'on voit dans ce document, ce n'est pas si mauvais que ça. Ce n'est pas la fin du monde, et on peut voir qu'il y a des choses à faire, il y a toujours du progrès à faire. Et, si on avait des ressources additionnelles, il y aurait d'autres projets de mis en place. Mais, dans son ensemble, «the sky didn't fall in». Avec la loi 86, il y a un équilibre qui a été mis en place, surtout pour l'affichage. Et des personnes modérées des deux côtés de ce débat linguistique ont cru comprendre que, peut-être, enfin, après 20 ans, on pouvait mettre le dossier de l'affichage derrière nous.

Mais ce n'est pas ça qu'on a vu cet été. J'ai lu mes journaux pendant mes vacances et tout ça, et, semble-t-il, surtout dans mon comté, il y avait une grande crise linguistique. Même la ministre a dénoncé le fait que, dans un centre d'achats dans mon comté, il y avait 157 dérogations à la Charte et c'était terrible, et c'était la fin du monde. Moi, je visite mes centres d'achats de temps en temps dans mon comté et, si je peux constater une chose, c'est qu'il y a de la confusion. Il y a beaucoup de commerçants qui m'appellent: M. Kelley, j'ai quelques personnes qui réclament ça. J'ai des représentants de l'Office de la langue française qui exigent ça. M. Kelley, qu'est-ce que je peux faire? Comment est-ce que je peux afficher? Je n'en ai aucune idée.

Il y avait l'affichage intérieur, il y avait l'affichage extérieur, il y avait deux fois plus gros, deux fois plus nombreux, etc. Nous avons changé le régime à maintes reprises. Bref, il y a confusion avant tout. Ce n'est pas une crise linguistique, ça; c'est juste la confusion des commerçants qui, dans le contexte économique actuel, ont des difficultés à faire vivre leur commerce. La chose qui les préoccupe, c'est la faillite. C'est vraiment: Est-ce qu'on aura les moyens d'aller jusqu'à Noël, et peut-être que la saison de Noël va me sauver? C'est ça, la réalité des choses. Ils n'ont pas besoin des personnes pour contester l'affichage; ils veulent juste faire du commerce. Alors, ils me demandent: M. Kelley, qu'est-ce que je peux faire? C'est quoi, le règlement? Ils n'ont pas le temps, ni le luxe...

Alors, moi, je me promène et je vois quelques affiches, surtout les affiches faites à la main pour des événements ponctuels: «sidewalk sale, back to school sale», la rentrée scolaire qui est très importante aujourd'hui. Alors, on voit quelques affiches comme ça, qui ne sont pas tout à fait conformes à la loi 101. Mais est-ce que c'est la fin du monde, ça? Moi, je ne pense pas.

Alors, je veux juste informer, rassurer la ministre: Il n'y avait pas de crise linguistique dans mon comté cet été. Et je pense que c'est une preuve, encore une fois, comme mon collègue d'Outremont l'a dit, qu'on n'a pas besoin de la création d'une commission, parce que la Commission est provocatrice, parce que la Commission, encore une fois, c'est contre les minorités. C'est juste: On n'a pas confiance en vous autres. Il n'y a pas de «trust». Alors, comme il faut vous scruter à la loupe, je dois embaucher d'autres personnes pour aller dans vos magasins en tout temps pour prendre les papiers, et c'est parce que vous n'êtes pas solidaires avec l'enjeu de protéger le fait français au Québec. Et ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas. Comme je dis, les commerçants veulent ouvrir un commerce dans l'ouest de l'île où c'est partagé entre l'anglais et le français. Ils veulent juste afficher sans causer de troubles, sans embaucher un avocat, sans embaucher tous les spécialistes et consultants, et juste faire vivre leur entreprise. Et c'est ça, la réalité des choses cet été. Alors, il n'y a pas de crise.

Et, si la ministre cherche de quoi on a besoin, je pense que, avant tout – et même le premier ministre l'a dit hier – c'est de la stabilité. Alors, au lieu de toujours changer le régime et tout ça, on a un équilibre qui existe dans la loi 86, laissez ça tel quel. Et, si elle a 5 000 000 $ de plus, il y a beaucoup de beaux projets qu'on peut faire pour promouvoir le fait français. On a discuté de l'inforoute, on a discuté de Télé-Québec, des écoles françaises. Et, si tous les besoins sont comblés dans les écoles françaises, M. le Président, l'enseignement du français langue seconde dans les écoles anglaises en a toujours besoin. Alors, si la ministre dit que tous les besoins sont comblés dans ses écoles françaises, elle peut partager ça dans les écoles anglaises pour assurer que mes enfants auront une meilleure formation en français que leur père. Ça, c'est quelque chose qui est souhaitable.

Mais, dans une chose très concrète qui m'a frappé encore une fois cette semaine, notre gouvernement a pris l'engagement, dès 1995, d'ouvrir une antenne d'un cégep francophone dans l'ouest de l'île de Montréal, qui aurait dû ouvrir ses portes en septembre 1995. L'année passée, j'ai fait une conférence de presse avec mon collègue de Nelligan dans le beau champ toujours vide parce que le gouvernement a annulé le projet, le gouvernement de M. Parizeau, en disant que ce n'était pas assez généreux. Alors, on va bonifier le projet. Alors, cette année, c'est la deuxième année où il n'y a rien. Alors, nous avons convoqué les journalistes dans un stationnement pour dénoncer encore une fois que notre projet modeste de 4 600 000 $, qui a reçu l'appui de tout le milieu... Les groupes communautaires, les commissions scolaires, toutes les municipalités de l'ouest de l'île de Montréal ont dit que, ça, c'est une priorité.

Pour un gouvernement qui vante toujours l'importance de la décentralisation et dit qu'il faut respecter les consensus des régions et des sous-régions, l'ouest de l'île a fait un consensus. Ils ont dit que, malgré les besoins qui peuvent exister dans les écoles anglaises, on veut avant tout un cégep francophone, antenne de Saint-Laurent. Et, encore une fois, ce n'est nulle part, c'est un projet qui ne va jamais voir le jour. Alors, si la ministre veut donner le 5 000 000 $ récurrent, on a un beau projet qui attend dans l'ouest de l'île de Montréal.


Auditions

Le Président (M. Garon): Merci, M. le député de Jacques-Cartier.

Comme nous sommes arrivés à 11 heures, à toutes fins pratiques, je vais inviter immédiatement le premier groupe, le Mouvement national des Québécois, à la table des témoins. Je voudrais rappeler que le temps alloué pour la période de présentation et la période d'échanges est de une heure, c'est-à-dire de 11 heures à midi, donc 20 minutes, 20 minutes, 20 minutes. Normalement, ceux qui font leur présentation prennent 20 minutes, le parti ministériel a 20 minutes et le parti de l'opposition a 20 minutes. Maintenant, si vous prenez plus que 20 minutes, bien, je couperai d'autant le moment d'intervention de chacun des deux partis. Si vous prenez, par exemple, 30 minutes, bien, il leur restera chacun 15 minutes. Si vous prenez seulement 10 minutes, ils auront cinq minutes de plus.

Et je demande au porte-parole du Mouvement national des Québécois de s'identifier et de présenter ceux qui l'accompagnent.


Mouvement national des Québécois (MNQ)

Mme Vézina (Monique): Alors, bonjour, M. le Président, Mme la ministre, M. Laurin, mesdames et messieurs. Un jour, je coprésidais une rencontre sociale avec un président d'association qui était pharmacien. Il prenait de mes nouvelles, et je lui disais que je m'ennuyais de l'adrénaline. Je lui avais demandé si ça existait, des capsules pour pouvoir nous redonner de l'adrénaline, et il m'avait répondu spontanément que seul le corps humain pouvait en fournir. Alors, j'ai ma capsule d'adrénaline, ce matin.

(11 heures)

Je suis présidente du Mouvement national des Québécoises et Québécois depuis mai dernier, donc tout récemment. J'ai invité à m'accompagner des représentantes de la mémoire institutionnelle du Mouvement national: Jacqueline Hekpazo, qui est secrétaire du comité exécutif du Mouvement national des Québécois, et Suzanne La Ferrière, qui est responsable du comité politique.

Alors, je ne sais plus si c'est un avantage ou un inconvénient de comparaître la toute première et de faire l'ouverture de votre commission parlementaire, mais ce que je sais, c'est que je suis honorée d'être celle qui, au nom du Mouvement national des Québécoises et Québécois, portera, au nom de la société civile, ce que nous avons entendu depuis les dernières années sur la situation linguistique, une société civile, donc, qui est composée de groupes de toutes formes, d'associations qui ne relèvent pas de l'État et qui ne sont pas, non plus, cantonnées dans une sphère du secteur que l'on dit privé.

Je veux, d'abord, vous rappeler que le Mouvement national des Québécoises et Québécois regroupe 15 sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste, qui sont réparties dans autant de régions, et que ces sociétés comptent quelque 180 000 membres. Le Mouvement national des Québécois est convaincu que la souveraineté est indispensable au développement économique, social et culturel du Québec. C'est pourquoi il fut de toutes les batailles, aux côtés des autres organismes nationaux et du Parti québécois, d'abord, puis du Bloc québécois, ensuite, pour faire progresser cette option.

Parallèlement à son travail d'éducation et de mobilisation sur la question constitutionnelle, le MNQ fut également actif à promouvoir le français langue nationale du Québec. Aussi s'est-il opposé, en 1993, à l'adoption de la loi 86, estimant que les Québécois doivent être les seuls à décider de leur politique en matière de langue et de culture. Le MNQ s'oppose toujours à cette loi qui constitue une capitulation du Québec face aux exigences des lois constitutionnelles canadiennes et face aux pressions des groupes qui s'opposent au caractère français du Québec. Notre mouvement reste convaincu que cette loi doit être abrogée et que la Charte de la langue française doit être l'objet d'une refonte en profondeur.

En effet, la Charte de la langue française ne répond plus à l'objectif de faire du français la langue officielle et la langue commune du Québec. Or, ni la proposition de politique linguistique du gouvernement ni les quelques modifications législatives contenues dans le projet de loi n° 40 ne suffiront, pensons-nous, à corriger cette situation. En effet, non seulement le gouvernement ne remet pas clairement et fermement en cause l'état de subordination du Québec en matière linguistique que lui impose la Constitution canadienne, mais, en plus, il se refuse à utiliser tous les moyens dont il dispose dans le cadre politique actuel. C'est pourquoi nous avons consacré la première partie de notre mémoire à rappeler les contraintes imposées au Québec par l'État fédéral en matière de langue et d'éducation. Quant à la deuxième partie, elle propose les éléments en vue d'une refonte de la Charte de la langue française.

Mais, avant d'aborder chacune de ces deux parties de notre mémoire, je tiens à rappeler que le MNQ est un mouvement national. En ce sens, il s'adresse à l'ensemble des citoyens et citoyennes du Québec. Il considère, en effet, que les différents groupes d'appartenance, ethniques, religieux, culturels ou autres, ont le droit de s'associer librement pour les fins qui leur conviennent. L'affirmation des particularismes est certes un enrichissement. Toutefois, elle ne doit pas se faire au détriment de la cohésion sociale.

Le Québec que nous voulons sera celui de tous ses citoyennes et citoyens de toutes origines et de toutes langues maternelles, unis dans un projet commun: construire la nation québécoise. Or, pour vivre ensemble, pour réaliser une oeuvre commune et pour s'enrichir de leurs différences, les citoyens doivent pouvoir se comprendre et pouvoir se parler. Le partage d'une langue commune est un élément essentiel de la cohésion sociale. Elle s'inscrit dans une culture publique commune en constante évolution et qui implique l'adhésion à des valeurs et à des institutions communes.

Dans une société où coexistent plusieurs groupes linguistiques, la langue commune ne vise pas à assimiler les groupes linguistiques minoritaires à la majorité en leur interdisant l'usage de leur langue maternelle dans les sphères privées ou communautaires. Elle vise à assurer leur accès à l'espace civique. Elle est le moyen pour chaque citoyen d'être partie prenante à la culture publique commune. Elle est l'outil par excellence de l'intégration et du dialogue interculturel. Elle est un droit fondamental pour chaque citoyen, peu importe son origine ou sa langue maternelle. Ce n'est donc pas en vertu d'un contrat moral que les citoyens québécois de toutes origines sont appelés à partager une langue commune, mais d'un contrat social qui engage tout le monde et dont l'objectif est d'assurer la pleine et entière participation de chacune et de chacun à la vie démocratique. Vous voyez, je parle plus souvent au féminin qu'au masculin.

Première partie: libérer le Québec des contraintes fédérales. Pour une vision à long terme de la question linguistique. Dans la première partie de son mémoire, le gouvernement admet volontiers que le Québec ne peut pas atteindre tous ses objectifs en matière linguistique tant et aussi longtemps qu'il reste subordonné à l'État fédéral. Toute politique linguistique qui reste soumise aux lois constitutionnelles canadiennes sera donc toujours incomplète. C'est malheureusement le cas de la proposition de politique linguistique que le gouvernement soumet à la consultation.

En effet, tout en admettant que seule la souveraineté ou des modifications constitutionnelles rendront le Québec totalement maître de sa politique linguistique, le gouvernement laisse croire que le Québec peut tirer quand même son épingle du jeu dans le cadre politique actuel. Ce faisant, le gouvernement propose une vision à court terme de la question linguistique et présente une politique attentiste dans laquelle on ne retrouve aucunement la volonté de libérer le Québec des contraintes constitutionnelles et encore moins une indication de ce que serait la politique linguistique d'un Québec libéré de ces contraintes.

Pour nous, il est clair que, pour que le français soit véritablement la langue de l'État et de la loi, donc la langue officielle, le Québec doit se libérer de l'article 133 du British North America Act. Il est également clair que, pour que l'école québécoise soit adaptée aux défis d'intégration d'une société où se vit la diversité, le Québec doit se libérer de l'article 93 de la Constitution de 1867 ainsi que des articles 23 et 29 de la Loi constitutionnelle de 1982. Enfin, pour que le Québec soit vraiment un État francophone, il faut que cesse la promotion de la pseudo-identité bilingue canadienne ainsi que l'appui inconditionnel de l'État fédéral aux groupes de pression qui s'opposent au caractère français du Québec, comme le permet l'application de la loi fédérale sur les langues officielles sur son territoire.

Le MNQ estime qu'il est essentiel que le gouvernement replace la question linguistique au coeur du débat constitutionnel. Car, en ne s'attaquant pas de front aux obstacles que lui impose l'État fédéral, en osant prétendre que le Québec peut se doter d'une politique linguistique satisfaisante dans le contexte actuel, le gouvernement oublie volontairement d'articuler les contours de ce projet mobilisateur et rassembleur qu'est la souveraineté nationale. Or, la souveraineté ne viendra pas d'elle-même, comme ça, à un moment donné. Il nous faut la préparer, l'expliquer, faire connaître les objectifs, les projets qu'elle permettra de réaliser non seulement pour obtenir et pour maintenir la mobilisation dans la société civile québécoise, mais également pour envoyer un message clair aux autres nations. Car, en effet, y a-t-il de meilleur moyen d'affirmer à la face du monde qu'une constitution nous convient que de s'y soumettre sans broncher?

Le point 2: redonner au français le statut de langue officielle de la législation et de la justice. La première contrainte imposée au Québec par la Constitution canadienne concerne la langue officielle de la législation et de la justice. Confirmant la subordination politique du Québec en matière linguistique, la Cour suprême du Canada déclarait, en 1979, que les articles 7 à 13 étaient inconstitutionnels en vertu de l'article 133 de la Constitution canadienne. En 1993, la Charte de la langue française fut modifiée en conséquence.

Quelles sont les conséquences de la soumission du Québec aux jugements des tribunaux en matière de langue de la législation et de la justice? En acceptant que ses textes législatifs et règlements aient la même valeur juridique en français et en anglais, le gouvernement du Québec accepte d'affaiblir le statut du français langue officielle du Québec. En acceptant que les personnes morales aient le droit d'utiliser le français ou l'anglais devant les tribunaux, le gouvernement dispense les entreprises d'utiliser le français dans leurs affaires légales. En acceptant que le droit d'utiliser le français ou l'anglais s'applique tout aussi bien aux juges qu'aux justiciables, aux témoins comme aux avocats ou à tout autre officier de justice, le gouvernement permet que des jugements impliquant des francophones soient rendus en anglais. En acceptant d'être soumis aux contraintes que lui impose l'article 133 de la Constitution canadienne, le gouvernement du Québec accepte le bilinguisme institutionnel imposé dans le domaine de la législation et de la justice.

(11 h 10)

La seconde contrainte imposée au Québec par l'État fédéral a trait à l'éducation qui est pourtant un champ de compétence provinciale. Le MNQ a déjà fait part de ses préoccupations quant aux limites imposées au Québec dans le domaine de l'éducation à la Commission des états généraux sur l'éducation, en août dernier, ainsi qu'en tant que membre de la coalition contre le projet Marois. Il n'est pas opportun de reprendre ici l'essentiel des positions du Mouvement dans ce domaine qui est si intimement lié à la question linguistique et à la capacité d'intégration du Québec.

Le MNQ tient, d'abord, à féliciter la ministre de l'Éducation d'avoir renoncé à un projet de réforme scolaire qui allait clairement à l'encontre des objectifs d'intégration à une même société de tous les groupes culturels et confessionnels du Québec. Le Mouvement national des Québécoises et Québécois considère qu'en raison de sa mission l'école publique est sans doute la plus importante institution dont est dotée la société québécoise. Il s'est déjà prononcé clairement pour le principe d'une école publique commune, c'est-à-dire d'une école fréquentée indistinctement par les enfants de toutes origines et de toutes croyances religieuses.

Il est clair que toute réforme élaborée en conformité avec les dispositions des lois constitutionnelles canadiennes ne saurait être satisfaisante. Le Québec doit donc être libéré de l'article 93 qui vise à protéger des privilèges accordés aux catholiques et aux protestants sous le régime d'union, ainsi que de l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui reconfirme ces privilèges. Il doit aussi être libéré de l'article 23 de la Constitution de 1982 qui lui interdit d'imaginer toute structure scolaire qui ne serait pas fondée sur une base linguistique.

Par ailleurs, toujours pour satisfaire aux exigences de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement du Québec s'est attaqué, en 1993, aux fondements mêmes de la Charte de la langue française en élargissant les critères d'accès à l'école anglaise. Il s'agit là, pour nous, d'une ingérence dans un domaine vital pour l'avenir du Québec. Le MNQ est convaincu de la nécessité d'orienter vers l'école française les enfants des familles qui arrivent de l'extérieur du Québec, de la nécessité de rétablir des critères rigoureux quant à l'accès à l'école anglaise et de la nécessité de faire du droit à l'enseignement en français un droit prioritaire pour tous les enfants du Québec, sans distinction d'origine ou de langue maternelle.

Exiger des modifications à la loi fédérale sur les langues officielles. Le dernier élément qui confirme la subordination du Québec en matière linguistique concerne l'application de la loi fédérale sur les langues officielles. Que l'État fédéral se préoccupe d'assurer des services en français et en anglais dans son propre réseau d'institutions, c'est une chose. Qu'il utilise son pouvoir de dépenser pour intervenir dans des champs de compétence provinciale en soutenant des organismes qui offrent des services bilingues et font la promotion de l'identité bilingue canadienne, c'est une autre chose.

D'une part, l'égalité des deux langues officielles au Canada est une pure fiction, j'en ai maintenant la conviction. En cherchant à protéger et à promouvoir la langue minoritaire dans chaque province, la Loi sur les langues officielles permet à l'État fédéral de donner un appui inconditionnel aux groupes de pression qui s'opposent au caractère français du Québec. Le concept de «minorité par province» n'a donc pour effet que de masquer la réalité francophone au Canada et au Québec, et de ne pas en tenir compte. Par exemple, pour obtenir la citoyenneté canadienne, on exige d'un immigrant qu'il connaisse l'une ou l'autre des deux langues officielles, peu importe l'endroit où il compte s'établir. Il s'agit là d'un signe clair de la négation du caractère français du Québec par l'État fédéral, d'une propagande qui a pour effet d'entretenir l'ambiguïté chez les nouveaux arrivants.

Ce sont les francophones qui sont minoritaires au Canada et, jusqu'à nouvel ordre, les Québécois en font partie. Si l'État fédéral admet que le Québec forme à tout le moins une société distincte et que l'élément principal qui le distingue est justement la langue française, n'y aurait-il pas lieu de le lui rappeler dans l'application de la Loi sur les langues officielles sur le territoire québécois? Le gouvernement a donc le devoir, pensons- nous, de s'engager fermement à dénoncer les obstacles imposés par l'État fédéral. Il doit entreprendre sans délai les démarches pour que le Québec ait la pleine compétence en matière de langue et d'éducation. Il doit articuler dès maintenant une vision d'avenir pour que le Québec français et souverain prenne place.

La deuxième partie que nous traitons: au niveau d'une refonte en profondeur de la Charte de la langue française. Le MNQ propose au gouvernement une refonte de la Charte de la langue française ainsi que d'autres mesures qui visent à raffermir la politique linguistique québécoise. Certaines modifications législatives requièrent des changements constitutionnels, d'autres pas. Je me contenterai de dégager très rapidement les éléments essentiels de nos recommandations dans le cadre de cette présentation.

La notion de langue commune doit apparaître clairement dans le préambule de la Charte. Le français doit être déclaré langue nationale du Québec. Le droit de toute personne à ce qu'on communique avec elle en français doit s'appliquer à toutes les personnes morales établies au Québec. Le français doit redevenir la seule langue officielle de la législation et de la justice.

Le gouvernement doit mettre fin sans délai au bilinguisme institutionnel dans l'administration, notamment en obligeant toutes les personnes morales établies au Québec à communiquer avec elle en français; en exigeant que toute personne qui occupe un poste dans l'administration ou dans un organisme qui fait partie de son réseau ait du français une connaissance suffisante à l'exercice de ses fonctions; en établissant qu'il n'est pas nécessaire d'en faire la demande pour être servi en français par l'administration ou par les membres d'un ordre professionnel; en limitant la durée pendant laquelle un membre d'un ordre professionnel qui séjourne temporairement au Québec est dispensé de connaître le français; en établissant des critères quantifiables pour la reconnaissance ou la révocation du statut bilingue de certains organismes; en refusant tout avantage ou subvention à une entreprise qui ne satisfait pas aux exigences de francisation; en révisant la loi sur la santé et les services sociaux qui introduit le bilinguisme dans tous les établissements de santé et de services sociaux au Québec.

Le droit de toute personne à travailler en français doit être rétabli et la méconnaissance d'une autre langue que le français ne doit pas être un motif de congédiement ou de mutation. De même, l'exigence de connaître une autre langue que le français pour exercer une fonction doit s'appuyer sur des critères quantifiables. Ces règles doivent s'appliquer à toute personne morale établie au Québec. L'affichage public extérieur doit être fait uniquement en français. L'utilisation d'une autre langue que le français doit être limitée à l'intérieur seulement, à condition que le français prédomine, dans les entreprises de cinq employés et moins ainsi que dans certains types de commerces. La Charte doit revenir à l'esprit initial de 1977 en matière de langue d'enseignement. Les critères d'accès à l'école anglaise pour les enfants qui ont de graves difficultés d'apprentissage doivent être revus ainsi que ceux qui concernent les enfants qui séjournent temporairement au Québec.

En conclusion, nous voulons ici rappeler que la loi 86, c'est autre chose que l'affichage; c'est un message clair à l'abandon du français comme langue commune, c'est la transformation de la dynamique qui avait été créée par la loi 101. Il est urgent de mettre la loi que j'appellerai la loi Claude Ryan entre parenthèses. Le Mouvement national recommande l'abrogation de la loi 86 et une refonte en profondeur de la Charte de la langue pour revenir à l'esprit de 101, une affirmation, nous semble-t-il, de notre volonté politique à un juste retour des choses, une politique linguistique orientée vers l'accession du Québec à la souveraineté et que la question linguistique soit au coeur du débat constitutionnel. Et nous croyons, nous aussi, que la meilleure loi 101 demeure la souveraineté. Merci, messieurs dames.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous félicite, Mme Vézina, parce qu'il est exactement 11 h 20, ce qui veut dire que le parti ministériel aura jusqu'à 11 h 40 et le parti libéral jusqu'à midi. Mme la ministre.

(11 h 20)

Mme Beaudoin: Merci, M. le Président. Mme Vézina, bonjour; mesdames, bonjour. Alors, bien sûr, tous nos remerciements au MNQ pour son engagement indéfectible, nous le savons, envers l'évolution en français de la société québécoise et envers la promotion, bien sûr, du français.

J'aimerais commencer, Mme Vézina, par vous poser une question, pour bien comprendre ce que vous venez de dire et d'expliquer, qui se retrouve dans votre mémoire, à propos de ce que vous appelez «libérer le Québec des contraintes fédérales». Vous proposez donc des changements constitutionnels. Ce qui m'intrigue un peu, c'est les moyens, en quelque sorte, à prendre. Quand vous parlez de l'article 133, quand vous parlez justement de la Charte fédérale des droits, de la loi des langues officielles, etc., est-ce que vous pensez à une réforme du fédéralisme, donc à des demandes à Ottawa dans ce sens? Et c'est ça qui m'intrigue ou que je n'ai pas très bien compris, peut-être. Comment vous pensez libérer le Québec des contraintes fédérales? Avant la souveraineté ou seulement par la souveraineté? Et, si c'est avant la souveraineté, par quels moyens vous voyez ça?

Mme Vézina (Monique): D'abord, un message en deux temps. Il faudra que le gouvernement du Québec le dise clairement, les difficultés qui sont vécues, actuellement, dans le cadre des contraintes constitutionnelles, que, vous comprendrez, à l'intérieur d'une vie passée j'ai connues et avec lesquelles j'ai dû vivre. Alors, il nous semble opportun et pertinent, comme mouvement national, que le gouvernement du Québec rappelle que l'objectif, c'est la souveraineté du Québec et que la meilleure loi 101, puisque nous sommes dans un dossier linguistique, ce sera la souveraineté du Québec. Oui, il y a des contraintes constitutionnelles; ces grandes contraintes, 133, 23, 29, sont infranchissables. Mais nous pensons qu'au fil des jours, en réaffirmant, comme peuple québécois, notre objectif qu'est la souveraineté, nous pourrions aller rechercher des pouvoirs. Il y a des pouvoirs qui sont possibles à l'intérieur des contraintes constitutionnelles, actuellement.

Bien sûr, vous me posez la question en vue d'une clarification, et je comprends que ça puisse créer de l'ambiguïté. J'ai quitté le gouvernement fédéral parce que j'ai compris qu'il fallait vite se donner un projet de société et un pays, et qu'ensuite nous pourrions justement être souverains dans notre langue, dans notre culture et devenir ce que nous sommes, différents. Alors, je ne crois pas, non, à la nécessité d'une réforme en profondeur de la Constitution canadienne. Je crois plutôt en la capacité et en la créativité qu'a ce gouvernement d'aller chercher, petit morceau par petit morceau, tout ce à quoi nous avons droit comme Québécois, comme société distincte.

Mme Beaudoin: Merci, merci, ça m'éclaire, en effet. Oui?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Si vous me permettez de rajouter quelque chose, c'est qu'il ne faut pas oublier qu'il y a quand même presque la moitié de la population québécoise qui avait voté oui au référendum. Mais, comme le disent si bien quelques groupes, c'est que le gouvernement est là pour gouverner pour l'ensemble de la population. Alors, gouverner pour l'ensemble de la population, pour le bien commun de cette population-là nécessite d'aller chercher les outils nécessaires pour réaliser son programme. Alors, dans le programme du gouvernement, il y a bien l'assainissement des finances publiques, le rapprochement des groupes culturels qui composent le peuple québécois et la relance de l'éducation.

Alors, ces trois priorités-là du gouvernement, il lui manque des outils nécessaires pour les réaliser. Et aller chercher ces outils-là, ça veut dire aller demander l'abrogation de l'article 133 de la Constitution qui oblige le bilinguisme constitutionnel; de l'article 93 qui oblige la confessionnalité des écoles à Québec, à Montréal, donc qui empêche l'intégration des immigrants; et des articles 23 et 29 qui ne font que corroborer ces articles-là. Alors, aller chercher tous ces outils-là, ça fait partie du travail du gouvernement pour assurer justement le bien de la population du Québec.

Mme Beaudoin: Merci. Par ailleurs, dans votre mémoire, vous proposez que l'utilisation d'une autre langue doit être limitée à l'intérieur seulement, mais à la condition que le français prédomine, dans les entreprises de cinq employés et moins – c'est ça? – donc dans certains commerces. Est-ce que, dans votre esprit, pour faire ça, il faut recourir à la clause dérogatoire, à la clause «nonobstant»? Et comment est-ce que ça vous inspire, si oui, si, dans votre esprit, c'est ça que ça signifie, en effet, de devoir recourir à cette clause dérogatoire ou «nonobstant»?

Mme Vézina (Monique): J'ai dû dire, au début, que je n'avais ni la formation d'une avocate ni d'une constitutionnaliste. Mais ce que nous demandons, comme mouvement national, c'est d'abroger la loi 86 et, pensons-nous, en abrogeant la loi 86, nous reviendrons à l'esprit de la loi 101. Et nous pensons, nous faisons le pari que la société québécoise est suffisamment adulte pour justement gérer cette paix sociale. Ce qui m'inquiète le plus – et ça ne répond pas tout à fait à votre question, Mme la ministre – c'est que j'entende le premier ministre du Canada commander au gouvernement du Québec de respecter la loi 86 pour une paix sociale. Mais j'ai connu ce monde-là, moi. Puis, quand on recommande des choses pour le Québec, je ne suis pas certaine que c'est toujours les bonnes choses et qu'on doive voeu d'obéissance à ces recommandations-là. Alors, il me semble qu'en abrogeant la loi 86 nous pourrions revenir justement aux choses normales. Et je ne sais pas s'il faudra avoir recours à la clause dérogatoire, mais ça me semble être le gros bon sens et ça me semble faisable. Je ne sais pas si mes collègues sont plus savants que moi au niveau constitutionnel.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Bien, c'est ça, je pense que vous l'avez bien exprimé. S'il y a l'abrogation de la loi 86, on ne sera pas obligés de demander justement toute la clause «nonobstant», etc. Donc, c'est au gouvernement de juger quelle est la meilleure solution à accorder à ce problème.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Mme la Présidente, mesdames, je suis heureux de saluer la présence du Mouvement national des Québécois. Vous nous rappelez que nous sommes l'Assemblée nationale. Et je pense que vous êtes de ceux et de celles qui ont toujours valorisé cette notion de nation au Québec, depuis 1834, Ludger Duvernay, le Mouvement national, les sociétés Saint-Jean-Baptiste. Nous avons d'ailleurs – moi, je suis député à Québec – la Société nationale des Québécois qui est une de vos 15 filiales. Vous avez 175 000 membres et plus, vous êtes une force extraordinaire. Alors, je voulais vous saluer à ce titre-là.

Vous nous rappelez que nous sommes plus qu'une province. Nous sommes souvent traités comme des provinciaux, mais, dans cette Confédération de 1867, amendée contre notre volonté par le Canada Bill, nous sommes aussi un État. Cette salle d'ailleurs en témoigne, puisque c'est l'ancienne salle du Conseil législatif qui, depuis 1967, moment où ça devenait l'Assemblée nationale, est devenu l'État du Québec. Alors, je voulais vous saluer à ce titre-là.

Et je pense qu'en particulier, Mme Vézina, vous êtes une grande modérée. Vous avez ce visage-là, vous avez cette image-là pour un mouvement qui passe pour et qui est souvent taxé de pur et de dur. Alors, je pense que vous êtes une grande modérée et, sur le fond, nous sommes tout à fait avec vous. C'est sur la forme, sur la manière que nous nous posons des questions. Et vous êtes là précisément pour nous éclairer. C'est dans ce sens-là, peut-être, que je voudrais vous poser une question qui revient, qui recoupe celle de la ministre. On a une ministre très brillante. Elle a posé exactement la question que je voulais poser.

Mme Beaudoin: Merci.

M. Gaulin: Alors, vous avez fait allusion à cette espèce de demi-pays, et je pense qu'entre autres le président du Mouvement Québec français, Guy Bouthillier, a écrit sur ce fameux «choc des langues». Et ce qui est en présence ici, ce sont des langues qui s'affrontent, des pays qui s'affrontent et des nations qui s'affrontent, et en particulier sur une plaque tournante qui s'appelle Montréal. Je pense qu'il est intéressant et important de signaler ici qu'au moment où on se parle il y a toujours 300 000 personnes dans la ville de Montréal qui ne comprennent pas la langue d'une communauté, qui s'appelle le français. Je pense que ce sont des statistiques. C'est important de le rappeler. Dans ce contexte-là, à quoi sert le bilinguisme? Qu'est-ce que ça veut dire, le bilinguisme?

Maintenant, la ministre vous posait comme question: Est-ce que vous nous demandez de recommencer des négociations constitutionnelles? On sait, par exemple, que les cinq soeurs n'existent plus; on nous les a volées, ce qu'on appelait les cinq soeurs, des pouvoirs qui étaient les nôtres. Lentement, on nous a arraché un certain nombre de pouvoirs. Alors, au plan linguistique, puisque vous dites que la meilleure loi 101 demeure encore la souveraineté, est-ce que, en attendant, il est préférable de faire le pari que le gouvernement fait en présentant la loi n° 40, par exemple, d'essayer de voir ce que ça va donner pendant un an ou bien s'il est préférable, tout de suite, d'abroger la loi 86, ce qui est dans le programme du Parti québécois actuel? Je pense que c'est là que se pose la question.

Au niveau des retombées politiques, comme on sait qu'on est un champ de combat, un combat qui s'appelle un combat linguistique, quels sont les avantages? Parce que celui qui est le vis-à-vis du combat, il a des pouvoirs aussi. Il a, en particulier, tout le pouvoir de la langue majoritaire d'Amérique du Nord. Alors, c'est ma question: Est-ce que c'est préférable d'y aller de manière stratégique ou d'y aller de manière beaucoup plus directe? Il y en a, entre autres, qui nous disent que la loi 101 a empêché, en 1980, les Québécois de dire oui à la souveraineté, parce qu'ils se sentaient suffisamment protégés. Alors, voilà ma question.

(11 h 30)

Mme Vézina (Monique): Alors, dans un premier temps, je vous remercie du témoignage que vous venez de porter à l'endroit du Mouvement national des Québécoises et Québécois. J'étais à Joliette, samedi dernier, où j'ai rencontré Ludger Duvernay. C'était le cinquantième anniversaire de la Société et je rappelais justement à l'assemblée le rôle important qu'ont joué ces hommes et ces femmes, pendant 50 ans, à protéger justement ce que nous sommes comme Québécois, à protéger notre langue et notre culture, et à instaurer une démocratie et un respect.

Je veux juste faire une parenthèse et vous dire tout le plaisir que j'ai eu depuis le mois de mai, depuis ma nomination à la présidence du Mouvement, de découvrir ce que nous sommes comme Québécois et de découvrir tout ce qu'il reste à faire. Alors, il y a beaucoup, beaucoup de travail à faire, mais la conviction profonde que j'ai personnellement et que nous portons au Mouvement national, c'est, comme vous l'avez si bien répété, que la souveraineté sera le seul moyen de nous donner justement les clés pour tous ces rêves que nous portons depuis tant d'années.

Ce que nous proposons, donc, c'est de replacer la question linguistique au coeur du débat constitutionnel, ce qui nous permettrait justement de rappeler les contraintes fédérales avec lesquelles on doit, au quotidien, jouer. Mais, face au moratoire ou à l'abrogation, nous optons pour l'abrogation de la loi 86 qui, du même coup, ferait disparaître la loi n° 40, puisque déjà, à l'intérieur de la loi 101... Moi, je pense que, même sans loi 86 abrogée, la société québécoise a évolué; il faudrait réadapter et réactualiser la loi 101, mais il y a là place pour les mesures qui sont prévues au niveau de la loi n° 40. Donc, la ferme conviction du Mouvement national, qui a été portée bien avant que j'arrive au mois de mai dernier, c'est d'abroger la loi 86, de procéder à une refonte en profondeur de la Charte de la langue française et, surtout, de replacer la question linguistique au coeur du débat constitutionnel.

M. Gaulin: Merci, madame.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Est-ce que je pourrais préciser quelque chose? En termes de politique, puisque vous posez la question, je pense que la clarté, les choses claires et nettes sont beaucoup plus politiquement rentables que justement l'attente, les délais, les moratoires. Et ce qu'il faut aussi considérer, c'est qu'il y a une majorité de la population qui a quand même élu un parti, le Parti québécois, dont les lignes essentielles du programme étaient la souveraineté, le français comme caractère indiscutable de cette société-là et un programme minimalement social-démocrate au niveau socioéconomique.

Alors, quand on dit une majorité de la population, il y a quand même une moitié de la population québécoise qui est formée par les femmes. Il y a aussi près de 1 000 000 de personnes assistées sociales aussi et il y a les communautés anglophones. Alors, tous ces groupes de personnes forment le peuple du Québec et, si la moitié seulement de la population a voté oui à la souveraineté, cette perspective-là est toujours à l'horizon. Mais, entre-temps, comme l'a dit Mme Vézina, il y a des choses qu'il faut faire et il y a des choses qui empêchent l'évolution normale de la société, entre autres, ces fameux articles de la Loi constitutionnelle.

Mme Vézina (Monique): Qu'il nous faut dénoncer.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Vézina. C'est vraiment avec plaisir que je vous accueille, comme mes collègues, à cette rencontre. Il a été un temps où vous étiez ma députée fédérale et, maintenant, compte tenu de vos racines dans le comté de Rimouski, je suis votre députée au provincial. Alors, je pense qu'il y a des atomes quelque part. Je veux aussi souligner le fait qu'une de vos sociétés quand même, la Société nationale de l'Est du Québec, est également une des sociétés qui, dans mon comté, a toujours fait partie intégrante de l'histoire de la région du Bas-Saint-Laurent et de celle du Québec.

Ceci étant dit, je reviens à votre mémoire. Je l'ai lu, là, d'un bout à l'autre, et je ne retrouve aucune mention sur l'intention du gouvernement d'instaurer la Commission de protection de la langue française. Vous n'avez pas abordé la question, vous n'en parlez pas, et je me suis demandé qu'est-ce que vous en pensez. Est-ce que vous êtes en accord, en désaccord ou, enfin, c'est quoi, votre position par rapport à cette intention gouvernementale?

Mme Vézina (Monique): Il y a quelqu'un qui a dit que, si on ne peut améliorer le silence, il vaut mieux rester silencieux. Nous sommes en accord avec une protection, un respect; les lois sont faites pour être respectées, que l'on soit un citoyen, un député ou une ministre. Ceci étant dit, même si nous sommes en accord avec cette mesure qui a été annoncée dans le projet de loi n° 40, puisque nous recommandons d'abroger la loi 86, la loi n° 40 disparaît au même moment. Nous croyons quand même à la nécessité de mettre en place des mesures et nous avions pensé que peut-être l'Office de la langue française pouvait faire cet exercice, et peut-être que les attributions de ressources humaines ou de ressources financières auraient pu être placées ailleurs.

Mais, ceci étant dit – et une de nos sociétés d'ailleurs est tout à fait en accord avec cette protection qui est inscrite dans la loi n° 40 – nous convenons qu'il est nécessaire, oui, d'avoir des mesures pour pouvoir faire respecter la loi, puisqu'une loi d'ordre public, comme nous le suggérons, doit être respectée. Mais nous n'en avons pas parlé parce qu'il allait de soi, pensions-nous, si nous réclamons notre projet de société avec l'objectif d'un Québec français et souverain, que la langue commune devienne le français et qu'il soit possible, en englobant non seulement les Québécois d'origine, mais tous les Québécois, de les encourager et de faire la promotion de la langue pour que, tous, nous puissions parler le même langage et respecter justement les lois qui sont déposées par les gouvernements qui sont démocratiquement élus.

Mme Charest: Merci, Mme Vézina, et je voudrais quand même saluer – je m'excuse, je ne l'ai pas fait – les deux dames qui vous accompagnent.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, juste une précision à Mme Vézina. Quand vous dites, donc, abroger la loi 86, ça veut donc dire revenir à la loi 101 antérieure. Donc, c'est le rétablissement automatique de la Commission de protection de la langue française.

Mme Vézina (Monique): C'est ça.

Mme Beaudoin: C'est donc automatique que ça revienne puisque l'abrogation, c'est le retour à la loi 101, et c'est la loi 86 qui a aboli la Commission qui est à l'intérieur de la Charte.

Mme Vézina (Monique): C'est pourquoi je me sens un peu en porte-à-faux, en fait, lorsqu'on me questionne sur la loi n° 40 puisque, dans notre cheminement comme Mouvement national, c'est tellement clair et facile, bien sûr, de dire au gouvernement ce qu'il faut faire. Mais, en abrogeant la loi 86, nous revenons à l'esprit de 101 qui avait, bien sûr, comme projet un projet de langue commune, avec les mesures qui s'inscrivent dans le respect de ce projet de société.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Et revenir à l'esprit de la loi 101 ne veut pas dire qu'il n'y a pas des refontes et des ajustements à faire à la loi 101. On avait des interrogations aussi au niveau des modalités justement de création de la Commission de protection de la langue française. On s'était dit: Pourquoi ne pas plutôt renforcer les ressources matérielles et financières de l'Office de la langue française? Et il n'y avait pas de contradiction entre les deux mandats, parce que, dans un organisme, il peut y avoir deux directions: la direction du conseil de surveillance et l'autre aspect. Et, s'il y avait eu plus de fonctionnaires – parce qu'il y a des articles de loi, il faut les faire respecter – s'il y avait eu le personnel et les ressources nécessaires, peut-être qu'on n'en serait pas rendus à remettre un projet de loi n° 40.

Le Président (M. Garon): Alors, le temps imparti au parti ministériel étant passé, j'invite le député d'Outremont à commencer pour le Parti libéral, l'opposition officielle.

(11 h 40)

M. Laporte: Merci, M. le Président. Mme Vézina, évidemment vous ne vous attendiez pas à ce que nous soyons d'accord avec vous sur deux prémisses fondamentales de votre mémoire, à savoir la nécessité de la souveraineté pour la pérennité du français au Québec et le jugement très sévère que vous portez sur la loi 86. Il fallait donc qu'on s'attende à ce que, là-dessus, nous soyons en plein désaccord.

Par ailleurs, je voudrais vous faire remarquer que, sur la première prémisse à l'effet que la souveraineté est une condition nécessaire, sinon suffisante de la pérennité du français, il y a plusieurs cas de situations comparables à celle du Québec dans le monde qui démontrent exactement le contraire. Il y a évidemment le cas de la Catalogne, que nous connaissons bien puisque son président est venu nous visiter au cours de l'été. Voilà un cas où le catalan, qui est une langue de diffusion beaucoup plus limitée que ne l'est le français, n'est-ce pas, se trouve dans un état de confort qui, à toutes fins pratiques, est relativement satisfaisant. À ma connaissance, pour y être allé, pour avoir écouté ce que le président Pujol nous disait, la pérennité du catalan ne semble pas, en aucune façon, mise en doute par l'absence d'une souveraineté étatique.

Évidemment, il y a aussi d'autres cas: il y a le cas des langues minoritaires en Suisse; le cas des langues minoritaires en Finlande; évidemment, le cas de la Belgique, qui est aussi un cas de coexistence, je ne dirais pas facile, mais, néanmoins, disons, réussie entre des langues, le français et le néerlandais, qui sont des langues en concurrence. Donc, là-dessus, je pense que non seulement nous ne sommes pas d'accord sur les prémisses, mais on peut s'interroger sur les fondements rationnels des affirmations que vous faites.

Deuxièmement, évidemment, sur le jugement de la loi 86, j'aime autant ne pas en parler. Là-dessus, nous n'avons absolument pas la même évaluation. Je dois dire, par ailleurs, qu'en lisant votre mémoire j'ai été très heureux d'apprendre que nous étions, tout de même, d'accord sur un point important: à la page 5 du mémoire, vous dénoncez, comme je l'ai fait au cours de mon allocution, ce que j'ai appelé le lapsus ethnocentrique du document de politique officielle et vous le faites au nom d'une vision de la réalité avec laquelle je suis parfaitement d'accord.

Vous le dites en toutes lettres; vous ne l'avez, malheureusement, pas mentionné lors de votre brève allocution, mais c'est très clair, relisez la page 5 dans laquelle vous dites: «À cet effet, il conviendrait de corriger – à la page 4 – l'approche présentée à la page 34 du document de consultation qui sous-entend que les Québécoises et les Québécois sont exclusivement celles et ceux qui ont le français comme langue maternelle.» Sur ça, madame, nous sommes entièrement d'accord. Il y a un lapsus, sur lequel la ministre voudra peut-être revenir, dans le texte, mais qui est un lapsus malheureux et même un peu dangereux dans un document d'État. Donc, d'accord là-dessus.

Par ailleurs, j'ai trois questions à vous poser, de brèves questions. La première, c'est à la page 1 de votre document, le résumé, dans laquelle vous dites: «La Charte de la langue française, substantiellement modifiée sous la pression des tribunaux et des groupes qui s'opposent au caractère français du Québec...» Madame, l'opposition des tribunaux, des tribunaux québécois, entre autres, et des groupes n'était pas au caractère français du Québec en ce qui concernait l'affichage commercial; c'était une opposition à la prohibition linguistique, une mesure dont vous ne trouverez nulle part l'équivalent dans des situations linguistiques comparables dans le monde. Et je vous défie de trouver des situations linguistiques comparables au Québec, où on aurait eu recours à la prohibition linguistique en matière d'affichage commercial. Il n'y en a pas. Et c'est à ça que ces gens-là s'opposaient plutôt qu'au caractère français du Québec. Donc, ici, ou bien vous m'expliquez ce que vous voulez dire ou bien je vous dis que, là encore, je pense qu'il est opportun de faire un correctif.

À la page 27 de votre texte, il y a un commentaire, une suggestion que vous nous faites. Le Dr Laurin étant absent, peut-être qu'on pourra lui demander d'intervenir là-dessus ultérieurement. Vous dites: «Les ordres professionnels ne devraient délivrer de permis qu'aux personnes qui ont reçu l'enseignement postsecondaire requis pour l'exercice de leur profession en français ainsi qu'aux personnes qui ont réussi tous les examens d'admission à la profession...»

Écoutez, madame, j'ai de bons amis qui sont d'extraordinaires spécialistes en médecine, à Montréal, qui ont été formés à Hong-kong, dans des familles mixtes, françaises et cantonaises, qui parlent un français convenable, mais qui n'ont pas reçu l'enseignement postsecondaire requis pour l'exercice de leur profession en français et qui, selon votre recommandation, seraient soit exclus ou dans l'impossibilité d'être inclus, compte tenu, disons, du cas de figure. Et je pense que le Québec et certaines personnes que je connais, qui ont des problèmes, qui ont des besoins de traitements médicaux – je ne voudrais pas aller dans le détail, là – seraient pénalisés par l'adoption d'une recommandation pareille.

Finalement, à la page 33 – là, je vous pose la question – vous portez un jugement sévère sur les effets de l'immersion qui, à ma connaissance, n'a strictement rien à voir avec les conclusions des recherches récentes là-dessus. Il n'y a aucune recherche connue sur l'immersion qui démontre que l'immersion aurait les effets négatifs dont vous parlez sur la langue maternelle des enfants. Évidemment, il y a des conditions exceptionnelles. On a vu des expériences d'immersion conduites dans des milieux très défavorisés socioéconomiquement et qui ont entraîné des phénomènes d'interférence linguistique importante chez les enfants.

Mais, dans des conditions sociolinguistiques et socioéconomiques normales, il y a des quantités de données, d'études qui démontrent que l'immersion peut donner lieu à des stratégies d'apprentissage de la langue seconde qui sont bien avantageuses à la fois pour les enfants qui y sont exposés et pour les langues qu'on choisit d'utiliser dans ces contextes d'expérimentation. Évidemment, il y a les études de Lambert à Montréal, mais il y a toutes les études qui ont été faites par la suite, de Lambert à McGill et toutes les études qui sont faites actuellement sur cette question à l'échelle mondiale.

Donc, la question que je vous pose, c'est sur l'affirmation selon laquelle «l'immersion, que cet article autorise – l'article 72 – est un instrument d'anglicisation». La question que je me pose, c'est: La base factuelle qui vous amène à faire une pareille affirmation, où est-elle? Moi, je ne la connais pas, je ne l'ai pas vue. Donc, je terminerai là-dessus.

Je me répète: Écoutez, à la page 1, il faudrait peut-être faire une clarification; à la page 27, je trouve que votre recommandation entraînerait des effets désastreux pour un certain nombre de personnes qui ont besoin de services spécialisés; et la dernière, à la page 33, c'est que, écoutez, je vous lis, j'ai essayé de comprendre d'où vous venait cette idée que vous communiquez ici et je ne comprends pas. Merci, madame.

Mme Vézina (Monique): Bon! Alors, je me demande si on aura le temps de répondre à toutes vos questions. Je suis contente, M. Laporte, de voir que nous avons au moins un point qui nous rejoigne, à la page 34 du document de consultation. Nous aussi, on l'a lu et on a trouvé que la page 34 nous donnait... Je pense que le titre ne convient pas avec ce qui est contenu à l'intérieur de la définition. Ça nous permet d'expliquer que, pour nous, ce n'est pas nécessaire d'opposer les Québécois d'une sorte avec les Québécois d'autres sortes, et nous pensons que la langue commune devra être celle de tous les Québécois et Québécoises. Donc c'est la langue que nous utilisons dans les affaires, dans les écoles; c'est la langue commune. Et, comme je le disais dans l'introduction de mon mémoire, libre aux personnes d'utiliser leur langue au moment où ça leur convient, mais il y a une langue commune dans l'espace de la société à occuper, que, nous, nous souhaitons être le français. Ce qui veut dire, donc, qu'il ne s'agit pas seulement des Québécois de langue maternelle qui doivent utiliser la langue commune; on doit, bien au contraire, faire en sorte que tous les Québécois et les Québécoises se rejoignent dans cet espace commun.

(11 h 50)

Lorsque vous parlez de la page 27 et des permis à être délivrés, nous resserrons même l'échéancier qui avait été de trois ans, ensuite réduit à deux, pour suggérer que ce soit un an. C'est drôle, parce que, après que notre mémoire eut été préparé – parce que je l'avais, moi aussi, questionné pourquoi on avait décidé de demander juste un an – je suis allée me promener en région et j'ai fait ma petite enquête. J'ai compris que, lorsque, par exemple, un spécialiste que l'on fait venir, qui n'a pas la langue commune qui est le français, s'installe à Chicoutimi ou à Rimouski, parce que son environnement est à 99,9 % de langue française, à l'intérieur de l'année, il ou elle a réussi à se réapproprier ce que notre langue est. Et c'est pourquoi nous pensons que peut-être c'est faisable dans l'intelligence de l'être humain lorsque l'on vit en région. Et peut-être que l'on vient de mettre le doigt aussi sur la difficulté majeure qui est: lorsque nous sommes en région, nous travaillons en français, mais, lorsque nous sommes à Montréal, nous ne travaillons pas nécessairement en français, ce qui ralentit l'apprentissage du spécialiste qui est accepté au niveau du Québec.

Pour ce qui est de votre troisième question au niveau de l'immersion, je vais laisser ma collègue Jacqueline, qui travaille dans un milieu éducatif et qui travaille même avec les jeunes qui sont directement touchés par cette recommandation que nous faisons, nous expliquer ce que nous voulons dire comme Mouvement national.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Mais, auparavant, je voudrais préciser quand même quelque chose pour M. Laporte, c'est que comparaison n'est pas raison. La situation du peuple catalan n'est pas la situation du peuple québécois et le choix du peuple catalan n'est pas forcément le même choix que le peuple québécois. Donc, ça, c'est le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à choisir le destin qu'ils veulent, et la façon dont ils le veulent.

Ensuite, concernant la prohibition linguistique, c'est plutôt au niveau de la liberté d'expression. Parce que j'essaie de résumer un peu tout ce que vous avez dit, de façon synthétique. Concernant la prohibition linguistique, qui était à l'origine de la loi 86, je voudrais juste dire que c'est au niveau de la liberté d'expression. Mais il ne faut pas confondre les droits individuels et les droits collectifs. Pour les droits individuels, il y a toujours une limite, qui est celle du droit collectif et du droit des peuples.

Concernant les permis temporaires, Mme Vézina l'a bien expliqué, c'est qu'il y a quand même des normes publiques pour pouvoir travailler ici, puis c'est la moindre des choses, quand on soigne quelqu'un, par exemple, de pouvoir converser avec lui dans la langue, etc.

Pour l'immersion, vous trouverez autant d'études qui vont dire le contraire. L'immersion, c'est un procédé d'éducation qui est très bon. Par exemple, si vous avez des enfants et qu'ils veulent aller apprendre l'espagnol, ils vont en Espagne. Trois mois d'immersion, c'est impeccable. Mais, ici, dans le contexte sociolinguistique actuel quand même, où il y a seulement 2 % sur tout le continent américain du nord au sud qui parle français, il y a une situation bien particulière. Aussi, l'immersion est bonne quand on possède très bien déjà sa langue maternelle de départ. Récemment, il y avait même une entrevue au Téléjournal , je pense que c'était hier ou avant-hier. Les jeunes enfants qui arrivent, en 10 mois, ils peuvent posséder un peu le b.a.-ba du français. Je pense que ça clôt.

M. Laporte: Si vous me permettez...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: ...de réagir, M. le Président. D'abord, il faut qu'on soit très clairs là-dessus, là: je ne suis pas en train de remettre en question le droit des peuples à l'autodétermination. Ce que je questionne, c'est la prémisse de votre exposé selon laquelle la pérennité d'une langue requiert comme condition nécessaire de réalisation l'autodétermination ou la souveraineté. Donc, c'est sur ce terrain-là que j'examine vos propos, non pas sur un terrain idéologique général. Vous me dites: Évidemment, toute situation est unique, on ne peut faire de comparaison entre rien. Eh bien, écoutez, peut-être qu'on ne peut faire de comparaison entre rien, mais il reste que des situations que j'ai dites non pas identiques, mais comparables...

Mme Hekpazo (Jacqueline): Et comparaison n'est pas raison. Ha, ha, ha!

M. Laporte: ...semblent remettre en question les affirmations que vous faites. Bon. Ça, c'est dans un premier temps. Dans un deuxième temps, sur l'immersion, évidemment je ne veux pas engager avec vous là-dessus un débat technique, un débat de spécialistes. Vous avez raison de dire qu'il y a, disons, controverse, qu'il y a, disons, des désaccords de vues, mais la masse des données supporte ce que je dis.

Ce que je trouve un peu triste dans ce document, c'est qu'il ferme la porte sur un possible d'expérimentation auquel la loi 86 avait voulu donner une légitimité et une légalité. Ça, ça m'attriste un peu parce que, étant par profession un sociologue, j'aime l'expérimentation sociale. J'aime l'expérimentation sociale dans des conditions de réussite, et votre texte là-dessus...

Mme Hekpazo (Jacqueline): Permettez-moi de souligner, s'il vous plaît...

M. Laporte: ...est désolant, à mon avis.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Je voudrais vous dire que l'immersion, je pense que tous les Québécois savent ce que ça veut dire, parce qu'on est immergés, dans tout le continent d'Amérique, du nord au sud, dans l'anglais, pour l'Amérique du Nord. Ha, ha, ha!

M. Laporte: Enfin, écoutez, on ne parle vraiment pas de la même chose, hein! Et, puis, finalement, eh bien, je reviens sur ce que je disais tantôt, c'est-à-dire que je répète que je suis heureux que, sur la question de ce que j'ai appelé le lapsus ethnocentrique, le Mouvement national des Québécois et l'opposition officielle soient en parfait accord.

Mme La Ferrière (Suzanne): S'il vous plaît, j'aimerais...

Mme Vézina (Monique): Si vous me permettez, M. le Président, on va donner la parole à Suzanne.

Mme La Ferrière (Suzanne): Au sujet de ce que vous appelez un lapsus ethnocentrique, ce que le Mouvement souhaitait souligner, c'était un manque de rigueur. Et cet ethnocentrisme ne se retrouve nullement ailleurs dans le document.

M. Laporte: Ah, ça, c'est autre chose.

Mme La Ferrière (Suzanne): Alors, on partage tout à fait la vision du gouvernement sur la langue commune et sur la définition de ce que c'est être un Québécois. C'est un manque de rigueur malheureux, mais qu'on ne retrouve nullement ailleurs, et on tient à le souligner.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Merci, M. le Président. Mme Vézina, bonjour; bonjour à vos collègues aussi. Mme Vézina, votre collègue, bon, parlait des femmes qui représentent 52 % de la population, parlait aussi d'une situation, des fois, pas toujours avantageuse pour ces femmes. Moi, je vous ramène à Montréal. Mme Vézina, vous avez représenté, au fédéral, un comté du Bas-du-Fleuve, donc vous connaissez la réalité régionale très bien. Vous connaissez celle de Montréal aussi où, finalement, le débat linguistique prend, je dirais, une intensité et une coloration peut-être un peu différente, parce que c'est là que ça se passe, à Montréal, veux veux pas.

Quand on regarde Montréal et qu'on s'aperçoit, avec une grande tristesse, tout le monde ici, que Montréal est la capitale de la pauvreté au Canada, que Montréal abrite de 800 000 à 900 000 assistés sociaux, par exemple, ou en chômage, on ne peut que déplorer – on l'a fait à plusieurs reprises quand on a étudié le ministère de la Métropole – cet état de situation. On s'aperçoit aussi des efforts énormes que Montréal déploie avec l'aide de la communauté d'affaires et du gouvernement, le comité Bérard, entre autres, pour dynamiser économiquement cette région, sachant que, si cette région, au niveau économique, périclite, la province périclite. Ça, on l'a dit assez souvent.

Donc, dans votre mémoire, vous dites: Abrogeons la loi 86, retour à la loi 101 et retour, pour toutes sortes de raisons, je dirais, peut-être à une rigidité au niveau de l'application de la Charte beaucoup plus forte qu'elle existe présentement. Tout en étant d'accord avec vous sur le visage français de Montréal, je pense d'ailleurs que c'est un atout pour Montréal d'avoir un tel visage ou d'être une communauté francophone en Amérique du Nord, c'est un atout...

Le Président (M. Garon): Il vous reste 30 secondes.

Mme Frulla: Oui. Tout en considérant tout ça, vous êtes consciente, Mme Vézina, que, si, ça, ça arrive pour Montréal, là, il y a une crise linguistique qui va se passer et, pour toute l'économie de Montréal, ce serait désastreux. Autrement dit, on le voit présentement, le débat linguistique, qui devient une confrontation linguistique à Montréal, est désastreux pour la métropole. Alors que la loi 86 avait amené une certaine paix linguistique, abolir la loi 86 avec retour à la loi 101 amène une confrontation linguistique dont Montréal, au moment où on se parle, n'a pas besoin.

(12 heures)

Mme Vézina (Monique): Trois choses, M. le Président, parce que je sais que le temps est limité. Je reviens à la case départ de mon mot d'introduction où je rappelais à cette salle et aux personnes qui nous écoutent que la loi 86, c'est autre chose que l'affichage. On parle beaucoup de cet arbre qui s'appelle l'affichage, mais il y a toute la forêt qui est couverte par la loi 86.

Deuxièmement, oui, je connais Rimouski, je connais les régions. Je connais aussi Montréal et je connais l'ailleurs, puisque, voyez-vous... Mais je vais vous donner deux exemples. J'ai attrapé à Rimouski, lors d'un passage, une circulaire qui était bilingue. Mon premier emploi était à ce que nous appelions, en 1952, «the Royal Bank of Canada». J'étais sténodactylo bilingue à Rimouski et, croyez-le ou pas, je travaillais à Rimouski, sur la rue Saint-Germain, dans un édifice restructuré pour le transformer en institution bancaire: nos documents étaient en anglais, les inspecteurs nous inspectaient en anglais, nous vivions en anglais à Rimouski.

Une voix: Ça a changé.

Mme Vézina (Monique): Ça a changé. Mais j'essaie de vous dire qu'il faut réduire la perception que la loi 86, ça se passe à Montréal. Parce que ce qui se passe à Montréal, ensuite, vient à Rimouski, à Chicoutimi, à Gaspé ou à Baie-Comeau. Alors, oui, à Montréal, il y a une situation qui est différente de celle des régions, mais, oui, il est aussi nécessaire de mettre en place des mécanismes et d'envoyer des messages clairs. Et c'est ce que nous venons porter ici ce matin. Nous souhaitons, nous, l'abrogation de la loi 86, la refonte de la Charte de la langue française, et nous demandons au gouvernement de replacer la question linguistique dans un contexte d'un pays où le français sera la langue officielle et la langue commune.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie, Mme Vézina, Mme Hekpazo et Mme La Ferrière, de votre contribution à la consultation, et j'invite maintenant les représentants d'Alliance Québec à venir à la table des témoins.

Mme Vézina (Monique): Merci, M. le Président. Merci, messieurs dames.

Le Président (M. Garon): Je rappelle le temps qui est alloué à la présentation et à la période d'échanges. Comme les représentants d'Alliance Québec ont une heure, ça veut dire 20 minutes, normalement, de présentation, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour l'opposition officielle. Et, si vous prenez plus de temps, c'est autant qui sera soustrait au temps dévolu aux deux partis, ministériel et de l'opposition; si vous en prenez moins, bien, ils pourront se partager le surplus du temps, s'ils le veulent bien. Alors, j'invite le porte-parole d'Alliance Québec à se présenter et à présenter ceux qui l'accompagnent, et, ensuite, à présenter l'allocution.


Alliance Québec (AQ)

M. Hamelin (Michael J.): Merci, M. le Président. Juste avant de commencer, on va faire une brève introduction de notre équipe ici aujourd'hui. À ma gauche, Mme Edina Bayne qui est un membre du comité exécutif d'Alliance Québec; à ma droite, Me Michael Bergman qui est le président de notre comité des affaires juridiques.

M. le Président, Alliance Québec is here today because we value the opportunity to promote and defend, on behalf of English-speaking Quebeckers, our views and our hopes. Before this most democratic institutions, Alliance Québec will never turn its back on its obligation to participate in an open and responsible forum of debate. That said, we are fundamentally disturbed that the draft legislation upon which we must comment today offers Quebeckers no vision, no more await, no hope and no common sense.

Ce projet de loi et le document de politique sur lequel il a été fondé reflètent un rejet fondamental de deux réalités que les Québécois ordinaires ont comprises depuis longtemps: les Québécois d'expression anglaise sont un élément fondamental du tissu de notre société; leurs droits et leur contribution doivent et peuvent être complètement respectés. Et le français a fait des progrès énormes. Les mesures visant à en promouvoir la stabilité et la croissance devraient refléter la confiance et la générosité de tous les Québécois. Nous nous trouvons plutôt face à un projet de loi qui non seulement ignore ces deux réalités, mais qui cherche à les nier. Nous nous trouvons plutôt ici face à des fausses promesses, à des accusations montées de toutes pièces.

Les fausses promesses: il y a une crise et cette loi la réglera. Les accusations: les Québécois d'expression anglaise sont fondamentalement responsables et seules des mesures draconiennes feront que justice soit faite. On doit se demander ce qui a motivé cette approche misérabiliste, ce manque de vision. Nous ne trouvons que quelques explications, dont aucune ne satisfait les Québécois qui cherchent du leadership et l'équité de la part de leur gouvernement.

Le premier ministre, à la veille de ces audiences, s'est interrogé sur la réinstauration de l'interdiction de l'affichage bilingue. Premièrement, cela nous amène à nous demander si ce projet de loi est déjà décidé. Mais, ce qui est plus important encore, nous devons poser une question: Ce gouvernement est-il en train de faire indirectement ce qu'il n'ose pas faire directement, soit réinstaurer l'affichage unilingue français? Il ne l'admettra pas, mais il ne peut pas rétablir l'affichage unilingue en français. Peut-être opte-t-il pour une procédure d'application de la loi qui aura pour effet de faire disparaître l'affichage en anglais.

Are this Government and his Premier simply taking their marching order from a small radical faction of the Parti québécois from whom language is and always will be a constant and convenient battlefield? It should be clear for everyone's benefit that the new debate on language started not in our communities, but within the Parti québécois. The assault of the Premier on language began with the deep line of discord woven through the Plourde-Legault Report that was the first draft of the policy document before us, «Le français, langue commune». The Conseil national du Parti québécois only echoed that line soon thereafter. That might be the state of the language issue within the Parti québécois. It is not the reality shared by most Quebeckers.

As we will note, this draft legislation is mean-spirited, politically motivated and perhaps even illegal. Quebeckers did not ask for it, we do not need it and we will not accept it.

Mme Bayne (Edina): Mais commençons par parler de quelques vérités fondamentales. Le dossier d'Alliance Québec parle de lui-même. Que ce soit la collaboration avec le gouvernement de René Lévesque, avec Gérald Godin sur les modifications à la loi 101 ou avec le gouvernement de Robert Bourassa et de Claude Ryan pour enchâsser dans la loi les décisions de la Cour suprême du Canada, Alliance Québec a toujours travaillé avec la majorité d'expression française pour trouver un terrain d'entente équitable. Nous avons travaillé consciencieusement pour assurer qu'une voix soit entendue dans les milieux intéressés des Québécois d'expression anglaise.

Évidemment, nos voix reflètent une diversité de régimes sociaux et économiques et d'opinions politiques, mais Alliance Québec exprime des préoccupations qui peuvent aussi bien être partagées par la majorité d'expression française. Alliance Québec apporte à votre comité une vue du courant dominant dans nos communautés relativement à ce avec quoi elles sont aux prises et explique pourquoi ce projet de loi ne convient pas à la réalité d'aujourd'hui. Le projet de loi actuel est totalement inacceptable.

Il est pertinent que les personnes présentes considèrent ce que le regretté Gérald Godin avait dit au sujet de la situation des communautés linguistiques du Québec au début des années quatre-vingt, peu après un référendum sur la question référendaire, à l'époque où le gouvernement du Parti québécois se trouvait face à de graves problèmes économiques: «On ne veut pas, au Parti québécois, être le gouvernement d'une partie du peuple contre une autre, mais être le gouvernement de tous les Québécois et Québécoises. M. le Président, on a eu le courage de reprendre nos cahiers et nos crayons après six ans de loi 101.» L'analyse de M. Godin est-elle toujours valide? Nous ne sommes pas les seuls à croire que cette idée était raisonnable.

Le premier ministre Bouchard a dit la même chose en public. Il l'a dit à des membres de nos communautés au théâtre Centaur en mars dernier et il a exprimé les mêmes sentiments en mai dernier lors d'un discours livré à la communauté italienne du Québec. «Au cours des dernières années, on a mal interprété la signification précise du mot "peuple", qui fait partie du peuple du Québec? Et nous hésitons parfois sur la signification d'un autre mot. Ce mot est "nous" ou "we". Aujourd'hui, je voudrais que nous nous mettions tous à la tâche pour mettre fin à ce malentendu. Lorsque le premier ministre du Québec, lorsque le gouvernement et lorsque l'administration publique disent: "Nous, le peuple du Québec", cela signifie tous les citoyens du Québec, sans distinction et sans exception.»

(12 h 10)

Le premier ministre a, ensuite, dressé la liste de nos valeurs communes en tant que Québécois, soit le respect de la diversité de nos origines, du pluralisme de notre société et le respect des droits des minorités historiques du Québec, la communauté anglophone et les nations amérindiennes. Il s'ensuit donc un effort continu pour combattre le racisme et toute forme de discrimination.

Nous nous trouvons face à un projet de loi qui ressusciterait une commission dont le seul objectif est de surveiller la langue écrite et parlée des Québécois, et de poursuivre les personnes qui commettent l'erreur d'utiliser une langue interdite. Qu'est-ce qui a changé au cours des trois dernières années, sans parler des cinq derniers mois, pour justifier la création d'un tel organisme? À quel besoin raisonnable peut-il satisfaire dans une société pluraliste démocratique? Quelle impression la création d'un tel organisme de surveillance donne-t-elle du Québec alors que nous approchons du troisième millénaire?

Here we are facing a bill that would resurrect a commission whose only purpose is to police the language, written and spoken, of Quebeckers and to prosecute those persons who err by using a proscribed tongue. What has changed in the last three years, let alone the last five months, to justify the creation of such a body? What reasonable need can it fulfill in a democratic pluralistic society? What statement will the creation of such a policing body make about Québec, as we approach the beginning of the third millennium? Merci.

M. Bergman (Michael N.): Merci. MM. et Mmes les députés, vous avez un travail important devant vous, parce que vous avez un mauvais projet de loi devant vous. Ce projet de loi n° 40, Bill 40, emphasizes the sense of exclusion for Québec's linguistic minorities. They feel, we feel that we are not coequals in the larger society of Québec which we have helped to build and continue to work hard to develop. Alliance Québec and the community at large emphatically opposes the enactment of Bill 40. Bill 40 is the antithesis of, it is oppressive of the spirit of individual liberty and open society that so many Quebeckers, for so many generations, have tried to build.

The members of this commission have no doubt read our brief. We have carefully researched our work. Many great leaders, great spokesmen of all communities have spoken to this issue before. In the past, great decision makers have said that reasonable changes to the Charte de la langue française were useful and timely. They understood the need to balance the legitimate concerns of all Quebeckers. What has changed today that the remarks of these great men and women no longer seem to be valid? Why can we not have a society where openness, necessity, assurance and security are appropriate? What is wrong today that only a few years ago seemed to be so right?

You will hear this week from the Union des artistes, an important, I would say, institution amongst Québec playwrights, actors, an important institution, a culturally important organization. They have not always been our friends in the sense that they have not always agreed with our positions. They have spoken stridently in the past against Bill 86 and bilingual signs. Yet today and this week, before this body, they will take a position saying that the proposed changes that Bill 40 promotes are negative changes to the Charter. This body, Union des artistes, is prepared to acknowledge that there is a new reality today and that this reality should be supported.

Recently, La Presse , a quote occurred from the August 24th edition, Saturday last, important quote from their brief. And I would like to read it to record: «...il importe de reconnaître que le contexte politique du Québec a évolué: alors qu'il y a 20 ans à peine il apparaissait légitime de vouloir redresser vigoureusement des tendances dont nous pouvions craindre qu'elles nous mèneraient tout droit à l'assimilation linguistique et culturelle, depuis ce temps notre confiance en nos capacités s'est affermie, nos réalisations dans les domaines d'affaires, de la culture, de la science et des sports se sont multipliées, notre désir d'assumer plus de pouvoirs et de responsabilités politiques s'est accru et intensifié.

«Cette évolution suggère l'application d'une politique linguistique compatible avec la maturité que nous avons acquise et que nous désirons continuer à développer; elle suggère donc une évolution correspondante dans l'attitude à adopter à l'égard de notre langue: moins défensive, plus affirmative, plus responsable.»

Cette déclaration de l'Union des artistes est-elle une affirmation isolée? Il semble que non. I must tell you that I always believed that the artists have been an avant-gardist society, any society on any issue, on the forefront of new ideas and new expressions. And surely this quote from the brief of the Union des artistes reflects a new mentality amongst Quebeckers.

Recently, a CROP poll was commissioned by Alliance Québec to examine certain specific concerns that we felt many Quebeckers shared. This poll was done with the general population sampling of Quebeckers and is, in 19 times out of 20, accurate within 3,5 %. What is important to Quebeckers, according to this poll? The creation of jobs, maintenance of social service programs, the environment, harmony? 86 % said: Yes, anglophone Quebeckers should have access to English language health care; 90 % said: Yes to English signs provided that French is predominant; 76 % said: Yes, Montréal is, should be a bilingual city.

Since 1971, the level of bilingualism in Québec English-speaking communities which used to be 35 % has risen, in 1991, to 60 %. In 1991, the Conseil de la langue française found and reported that 91 % of private sector employees work a majority of their time, most of their time, in French. In Montréal that figure is fully 84 % and 97 % in the rest of Québec. Surely, these figures speak to the need to a different approach. Bill 40 is a regressive, retrograde step.

M. Hamelin (Michael J.): Des progrès ont été réalisés; ce projet de loi les ignore. Venant encore de ce projet, le rétablissement de la Commission de protection de la langue française, et je cite: «La Commission de protection de la langue française a pour principal objectif la surveillance de l'utilisation de la langue dans l'affichage commercial». Ses inspecteurs peuvent entrer dans n'importe quel commerce et exiger de voir tout dossier ou programme informatique. Leurs principales activités consisteront à surveiller l'utilisation de la langue dans les activités commerciales.

Dans la loi, une notion prédominante est que le droit d'entrée, d'inspection et de saisie ou d'autres modes de prélèvement de preuves a été un droit accordé exceptionnellement en vertu de la loi. L'exercice de cette exception a été rigoureusement contrôlé par l'émission d'un mandat ou, tout au moins, par une vérification de la justification. Ni l'une ni l'autre de ces procédures ne figurent dans le texte soumis ici. La loi qui prévoit des droits extraordinaires sur les perquisitions et la saisie, la Loi sur les commissions d'enquêtes, est le modèle textuel qui correspond le mieux aux pouvoirs prévus ici. Mais ils constituent une loi d'exception visant à vérifier pendant une période limitée des aspects précis suscitant une grande inquiétude dans le public. Toutes les entreprises du Québec deviennent-elles maintenant une grande source de préoccupation? Et une équipe de surveillance dotée de pouvoirs spéciaux est-elle capable d'agir en ne tenant pas compte des lois fondamentales sur les droits des individus qu'on voit dans la Charte québécoise et la Charte canadienne?

Voilà qui soulève une question: Quel genre de société le gouvernement du Québec cherche-t-il à créer? Que veut-il vraiment faire grâce à cette loi? Nous avons expliqué que des changements sont survenus dans la société québécoise. Nous nous rappelons la reconnaissance, tardive mais réelle, des changements par le premier ministre Bouchard au théâtre Centaur, et qui a été réaffirmée ailleurs à des communautés au Québec. Le Québec a changé suffisamment pour assurer que ses projets importants comme la fondation de la Chambre de commerce de Montréal et le Bureau de commerce de Montréal reconnaissent l'importance des deux communautés linguistiques au Québec.

(12 h 20)

This law, with the $5 000 000 language enforcement agency as a centerpiece, will only polarized Quebeckers and promote a vision of intolerance that is unworthy of our past and unwanted for our future. So, why implement such changes? Bill 40 is apparently the product of a shaky compromise within the Parti québécois during its last convention. Bill 40 has no merit other than to patch over the cracks in the party and sustain the agenda. Why should the public at large be burdened by a piece of legislation that serves no other useful purpose than a narrow political expediency? Surely Quebeckers do not want the public agenda or the use of law to be contorted in this manner.

Les débats linguistiques ont déjà suscité de forts sentiments. La passion pour la langue et la culture françaises demeure aussi forte, sinon plus que jamais, mais il y a une nouvelle sensibilité au Québec aujourd'hui. Les Québécois ne voient pas la nécessité d'une loi comme celle qui nous est proposée. Une vaste communauté d'intérêts existe entre tous les Québécois francophones et non francophones. Le projet de loi n° 40 tente de raviver des craintes et des émotions qui sont négatives et ne profite qu'à un petit noyau qui a un but spécial.

Je vous remercie, et on attend les questions, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je vous félicite. Vous avez pris exactement le temps qui était prévu. Alors, nous allons aller jusqu'à 12 h 40 pour le parti ministériel et à 13 heures pour le Parti libéral. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui, très bien. Merci, M. le Président, M. Hamelin, madame, monsieur. M. Hamelin, j'aimerais commencer par une question plus générale, plus large. Bon, l'intitulé de notre document, comme le rapport d'ailleurs qui a été rendu public en mars, c'est «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec». Bon. Au Québec, la langue officielle, c'est le français, donc, depuis 1974. Et j'en ai parlé ce matin dans mes notes préliminaires, de cette notion de langue commune. J'aimerais savoir ce qu'Alliance Québec en pense de cet objectif, qui est le nôtre, de faire en sorte que le français soit la langue commune au Québec.

M. Hamelin (Michael J.): Premièrement, je pense que l'idée d'une langue commune, c'est quelque chose que, moi, honnêtement, personnellement, j'ai de la misère à comprendre. Je vais vous donner un exemple personnel. Moi, je vis la moitié de ma vie en anglais et en français dans la journée, puis, dans la soirée, à la maison, on parle anglais, puis ma femme parle ukrainien. Alors, qu'est-ce que c'est, la langue commune dans ma maison? Et je pense que c'est la réalité qui existe aussi dans la société québécoise. Il y a diverses communautés, mais il y a une communauté anglophone qui est ici pour des périodes de notre histoire, qui fait partie du Québec, qui a une place très importante. Et je crois que l'idée de dire que, si on est partie ou pas partie d'une société, il faut qu'on vive, elle est évidente.

Oui, il n'y a pas de personnes que je rencontre dans les rues qui ne reconnaissent pas que la langue de la majorité au Québec, c'est le français. Mais il y a, comme je l'ai dit, une complexité dans n'importe quelle société. Et, dans la société québécoise, il y a une communauté de 800 000 anglophones, il y a d'autres communautés. Et peut-être l'idée... Je constate que c'est important, la protection de la langue française, c'est important de promouvoir l'utilisation de la langue française, mais peut-être qu'il faut qu'on commence à trouver des moyens... Parce que le monde change chaque année. Peut-être que c'est le temps de trouver des moyens de mettre, si vous voulez, un peu de nos pouvoirs de société...

Par exemple, si la priorité, vraiment, de votre gouvernement, c'est la relance économique, voyons ce qui se passe maintenant au Nouveau-Brunswick, par exemple, avec M. McKenna qui veut faire l'utilisation de l'anglais et du français dans la région de Moncton, par exemple. On a ici, au Québec, dans la région de Montréal, une communauté où la langue française est prédominante, on a la langue anglaise, puis les autres langues. Peut-être que c'est le temps de trouver une politique un peu nouvelle sur la question de la langue, puis de vendre nos richesses au lieu de les cacher.

Mme Beaudoin: Donc, quand j'entends que vous faites référence à M. McKenna, est-ce que je dois comprendre que, dans le fond, ce que vous préféreriez au Québec, c'est que, comme au Nouveau-Brunswick... En effet, c'est la seule province qui est officiellement bilingue au Canada, puis les institutions du gouvernement fédéral, vous savez, on pourrait... Je ne veux pas rentrer dans ce débat, là, de la dualité linguistique fédérale, plus théorique que réelle dans mon esprit. Mais est-ce que je dois comprendre de ce que vous venez de dire que, dans le fond, vous préféreriez que le Québec soit une province bilingue comme l'est le Nouveau-Brunswick, officiellement?

M. Hamelin (Michael J.): Mme Beaudoin, premièrement, je commence avec le résultat du sondage qu'on a fait avec CROP, qui indiquait que, dans la région de Montréal, 70 % des Québécois, anglophones et francophones, reconnaissaient que la ville était bilingue. C'est une réalité jour à jour, là; je n'ai pas parlé d'une loi. Si, chaque fois qu'on a une réalité qui existe dans la société, il faut la constater avec une loi, ça va mettre plus de ridicule dans notre vie. La réalité qui existe, c'est qu'on a la langue majoritaire française au Québec et on a la langue anglaise. Au lieu, peut-être, de se parler de: Est-ce que vous pensez qu'il faut qu'on soit unilingue ou bilingue? bien, il y a une réalité hebdomadaire qui existe au Québec, à Montréal, soit qu'il y a une langue, la langue anglaise, qui est évidente. Je pense qu'il faut peut-être revenir et revoir notre priorité, parce que ce n'est pas les années soixante et soixante-dix, et je pense qu'on a vraiment posé le même type de questions chaque fois.

Mme Beaudoin: O.K. Non, je comprends très bien ce que vous voulez dire, que, dans le fond, ce n'est pas dans ces termes-là qu'il faudrait poser la question. Disons que je diverge profondément d'opinions avec vous, c'est bien sûr.

Et, sur cette question de la langue commune – parce que je pense qu'on ne s'est pas compris sur ce que ça signifie, une langue commune – je vais vous lire ce que Mme Gagnon-Tremblay, quand elle était, donc, ministre de l'Immigration, a donné comme définition de cette langue commune. Je pense que c'est extrêmement important, parce que tout notre document est basé sur cette notion de langue commune. Parce que, si on dit: Il y a le français majoritaire, puis il y a l'anglais, donc il y deux langues, c'est évident, comme vous dites, en quelque part...

Moi aussi, je parle anglais, j'essaie de parler anglais le mieux possible. Je l'ai appris, puis j'en suis fort heureuse, puis je parle un peu l'espagnol et j'aimerais le parler davantage. Et je suis en faveur, honnêtement, sur le plan individuel, du plurilinguisme, du multilinguisme. C'est, pour moi, ça, une valeur extrêmement positive, en commençant par l'anglais, puisque justement nous sommes en Amérique du Nord. Mais j'entends sur le plan institutionnel, sur le plan des institutions justement et de l'administration, et des relations publiques.

Alors, voici justement ce qu'on disait, en 1990, dans un document du gouvernement libéral, je cite: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant: faire du français la langue commune de la vie publique, – c'est ça qu'on dit; vous me parliez de chez vous, mais, chez moi aussi, je peux bien parler la langue que je désire, ça, c'est évident – grâce à laquelle – c'est très important – les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux – donc, dans une langue, si on veut se comprendre – et participer au développement de la société québécoise.» C'est ça, la définition que donnait, en 1990, le gouvernement libéral.

Dans le fond, votre réponse, c'est: Ce n'est pas une bonne question; alors, je n'ai pas besoin d'y répondre. Parce que c'est la question elle-même qui ne vous semble pas pertinente, là.

M. Hamelin (Michael J.): Bien, le problème, c'est le suivant. J'ai lu le texte aussi sur la question de la langue commune. Ça dépend où est-ce que le gouvernement va agir dans ce dossier-là. Moi, en principe, je ne comprends pas le concept; je vous dis ça honnêtement. Dans un deuxième temps, je pense que, clairement, il était évident pour nous qu'il ne devait pas y avoir un problème qui existe qui peut s'adresser à d'autres choses. Par exemple, si la question de la langue commune comme concept était utilisée pour faire retirer les garanties qui existent dans le réseau de santé et de services sociaux, je vous le dis franchement, aujourd'hui, j'aurais un gros problème avec ça.

Alors, je n'ai aucune idée pour quelle raison l'idée ou le concept... qu'est-ce qu'on va faire avec ça. Moi, je vous dis qu'il n'y a pas de personne que, moi, je connais personnellement qui ne sait pas que la langue qui est, par la majorité, utilisée dans les affaires, n'importe où dans notre société, c'est le français. Mais, au moins, il y avait la reconnaissance, même dans la Charte et la loi, pour la communauté anglophone, pour les institutions. Alors, si ce nouveau concept était là pour s'impliquer, si vous voulez, dans des dossiers importants pour notre communauté, écoutez, j'aurais un gros problème avec ça.

(12 h 30)

Mme Beaudoin: En terminant sur ce sujet-là, avant de vous poser une dernière question, j'ai lu tout récemment... C'est très intéressant, je vous en enverrai copie; c'est en anglais d'ailleurs, parce que ça origine de la Chambre des représentants, aux États-Unis. Il y a un projet de loi qui a été déposé à la Chambre des représentants, aux États-Unis, et qui développe très longuement ce concept de «common language for the United States». Alors, si eux ont ce sentiment, si vous voulez, qu'ils doivent élaborer un concept comme celui-là dans un projet de loi... Je ne vous dis pas que le président Clinton va apposer son seing sur le projet de loi, mais il existe – je l'ai, je l'ai lu – à la Chambre des représentants et c'est justement l'anglais, langue commune, «common language», et c'est bien expliqué, ce que ça représente. Alors, donc, on pourra en rediscuter.

Mais une dernière question, si vous me permettez. Je dois vous dire que – ça vous ne vous étonnera probablement pas, mais je voudrais essayer d'expliquer pourquoi – je suis en total désaccord avec la page 16 de votre mémoire, quand vous dites que le projet de loi n° 40, qui n'est pas seulement, en passant, et vous le savez, le rétablissement de la Commission de protection de la langue française... Il y a toute cette question qui concerne justement l'avenir de notre langue sur les inforoutes, l'avenir de notre langue dans les logiciels et dans les technologies de l'information. Il y a tout un chapitre, là, qui s'ajoute aussi.

Mais, quand vous dites, donc, concernant le rétablissement de la Commission de protection, que tout ça, ça entre en violation directe avec les droits à la vie privée et à la confidentialité enchâssés également dans le Code civil, et puis que c'est en violation directe avec la Charte des droits et libertés, je m'oppose à ce que vous dites là. Très franchement, je pense que c'est une erreur et que c'est faux. Et nous avons, bien sûr, vérifié et, donc, ce qui en est exactement, c'est que ces pouvoirs d'enquête sont en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête, même chose que pour la Loi sur la protection du consommateur, le Code municipal, la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments. Et je crois même qu'à Ottawa ils ont des pouvoirs d'inspections similaires dans la loi, par exemple, sur les oiseaux migrateurs. Donc, il y a cette loi des commissions d'enquête, qui balise et qui fait en sorte que ces pouvoirs sont tout à fait dans la norme, et ne sont absolument pas en violation avec la Charte québécoise des droits et libertés.

M. Bergman (Michael N.): Pour commencer, ce n'est pas vrai. Je vous dis que, de notre recherche, même le Code civil et la protection de la sécurité de la personne étaient violés aussi. Mais, aussi, la question, ça a été: Est-ce qu'il y avait – et, si le gouvernement va produire le projet de loi, c'est pour un but – une demande dans la société, qui demande d'avoir ce type de loi? On a le président de l'Office de la langue française, le président de l'Union des artistes, un sondage qui dit que 90 % de la population québécoise sont satisfaits avec la loi qui existe. Alors, qui a fait cette loi? Pour qui et pour quelle raison? C'est 90 % de la population, Mme Beaudoin, qui étaient satisfaits avec la loi, avec tout le respect...

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

M. Payne: Je voudrais souhaiter la bienvenue à Alliance Québec. M. Hamelin et vos collègues, on travaille beaucoup ensemble avec, je pense, efficacité dans l'ensemble. Mais vous dites essentiellement, au début de votre présentation, et j'ai repris ça: «...Alliance Québec souligne son opposition fondamentale aux amendements proposés à la Charte de la langue française [...] dans le projet de loi n° 40.» Et là on embarque dans une espèce de tirade, de harangue faisant allusion à l'accessibilité aux services de santé et aussi aux critères d'admissibilité à l'école anglaise. En plus, bien sûr, vous vous objectez, et je le comprends jusqu'à un certain point, à l'existence de la Commission de protection de la langue française. Mais je vous ferai remarquer que le projet de loi devant nous, le projet de loi n° 40, d'aucune façon, n'amende les dispositions concernant l'accessibilité aux services dans la langue anglaise dans les services sociaux. Encore moins, ça ne touche d'aucune façon l'accessibilité à l'école anglaise.

Mon collègue, le nouveau député d'Outremont, fait grand état d'un lapsus monumental; moi, j'en ai vu d'autres. Mais je reviens à vous, lorsque vous parlez de la diminution de 250 000 anglophones à 100 000 aujourd'hui, une perte pour la communauté anglophone de 60 %, vous dites. Or, la loi 101, on s'en souvient très bien, en 1976, c'était précisément – et vous étiez d'accord, jusqu'à un certain point, l'opposition – à l'effet qu'on devrait arrêter l'hémorragie de la communauté francophone vers les écoles anglaises, c'est-à-dire les Italiens, les Grecs, les Portugais. Ce n'était pas notre communauté...

It was not us, the English, that had a monopoly on the Italian, the Greek and the Portuguese community. The lost that we got in those schools from 250 000, in 1971, to 100 000, ce ne sont pas des anglophones. C'est tout un lapsus; quand vous identifiez la communauté anglophone avec les communautés culturelles, ça n'a pas de bon sens. C'est ça, le vrai lapsus, M. le député d'Outremont. Et c'est ça le fond de notre débat, aujourd'hui.

Moi, M. le Président, je voudrais avoir les commentaires de M. Hamelin et je dis ça comme anglophone. Quand vous dites: «As such, parents must be allowed...» Je vais dire ça en français pour tout le monde. Les parents devraient avoir le droit fondamental de faire des choix appropriés au nom de leurs enfants parmi les options disponibles, incluant le libre choix dans l'enseignement – je lis l'anglais – «including the choice of the language of teaching». Ça me semble, à première vue, être un retour au libre choix. Et c'est ça que j'entends, chaque jour, dans la communauté anglophone. Dieu sait comment ça va être dans la Gazette de l'avenir! Mais je ne vois pas le consensus qu'on avait en 1976-1977. Je ne vois même pas... S'il y avait – et je le conteste – un consensus avec 86, je ne le vois pas dans votre discours d'aujourd'hui. Et je voudrais que vous nuanciez vos propos, quand vous dites: «They should have the fundamental right to chose the language of their choice for teaching». Pourriez-vous le commenter?

M. Hamelin (Michael J.): Mais, si vous saviez, M. Payne, la citation que vous faites dans le mémoire était presque directement ce qui était dans la loi d'éducation, qui était que les parents avaient le choix de l'éducation de leurs enfants. Si vous me posez la première question: Pourquoi on débarque dans le débat sur les questions de santé et d'éducation? la réponse est bien simple. J'en ai déjà, un débat de 20 minutes avec votre collègue, Mme la ministre, sur la question du fameux concept de langue commune. Je vous dis que, dans le cahier de réflexion de votre parti au mois d'avril, il était évident que votre parti voulait réfléchir, basé sur la question, entre guillemets, de la langue commune, sur toutes les garanties qui existent pour les réseaux de santé et de services anglophones.

Alors, je vous signifie aujourd'hui clairement qu'on n'accepte jamais, jamais ce type d'idée, si c'est basé sur ça. Sur les questions d'instruction, je pense qu'on a des modèles pour faire reconnaître que, oui, on a besoin dans le réseau scolaire anglophone, vu le refoulement des gens, le refoulement des étudiants... Il y a les propos de Mme Chambers qui étaient tout à fait logiques. Nous avons fait sonder la population québécoise. Est-ce que ce gouvernement a tenté, d'une façon ou l'autre, de faire sonder sur les intentions des Québécois? Parce que, nous, on l'a fait.

M. Payne: Parlant justement de l'accessibilité, – puis je termine là-dessus, M. le Président, dans une minute – Alliance Québec avait soumis au premier ministre 12 cas problèmes – vous souvenez-vous, c'était un excellent échange et c'était assez technique – concernant l'admissibilité à l'école anglaise. J'ai fait analyser tout cela par le ministère de l'Éducation à la demande du premier ministre. Je serais prêt à déposer à l'extérieur de la commission, s'il faut, les détails.

Mais, des 12 dossiers qui étaient soumis, où vous dites qu'on manquait – et c'était en vertu de la loi 86; ce n'est pas la nouvelle loi – où vous vous objectez à la façon dont la loi était administrée, pour quatre, il n'y avait aucune demande d'admissibilité; trois des dossiers avaient été refusés par la personne désignée par la loi, mais il n'y avait pas de demande de révision, que la personne était normalement habilitée à faire après un premier rejet; et, pour cinq des dossiers seulement des 12, les demandes avaient été refusées par la personne désignée. Donc, cinq refus seulement.

(12 h 40)

Donc, il y a tout un débat dans un débat, sur le plan technique. Rien à faire avec le Parti québécois, le parti gouvernemental, le parti de l'opposition; c'est technique. Cinq seulement de vos cas classiques sont allés en appel, suivant les dispositions actuelles de la loi 101; 86 n'est aucunement changé, avec la nouvelle loi. Mais, moi, je pense qu'on manque d'honnêteté intellectuelle.

M. Hamelin (Michael J.): Avec tout le respect, M. Payne, comme j'ai dit, on soulève des questions sur des questions d'accès, des cas comme ça, parce que, vraiment, il y avait, comme on dit en bon anglais, un «inner shot», de la part du gouvernement, de faire quelque chose avec des dossiers à qui il était plus ou moins logique de s'adresser. Je ne sais pas où sont vos chiffres, M. Payne, mais je vous dis que les représentants d'Alliance Québec et moi-même, on a perdu cinq journées devant la commission d'appel, il y a une semaine et demie, sur ces dossiers. Je sais qu'il y avait d'autres gens qui y travaillaient.

Le problème ici, la cible du problème ici, c'est encore le message qu'un gouvernement a donné à une communauté minoritaire qu'il faut qu'elle fasse demande après demande, appel après appel pour voir, même dans ce cas-ci, le respect de la loi qui existe. Et je vous dis que, ça, ça pose, pour nous, un problème. Et je retourne à vous parce que c'est à votre parti et au gouvernement qu'il faut s'adresser pour des lacunes, des manques de travaux dans ce type de dossiers. Alors, pour moi, là, on entend des appels, chaque jour, des parents qu'il y avait des problèmes où la loi aurait permis à leurs enfants d'aller à l'école anglaise.

Le Président (M. Garon): Messieurs, le temps dévolu au parti ministériel étant écoulé, M. le député de Laporte, pour l'opposition officielle.

M. Laporte: M. Hamelin...

Le Président (M. Garon): M. le député, pardon, d'Outremont.

M. Laporte: Ah, vous savez, M. le Président, ça arrive, ça arrive. M. Hamelin, M. Bergman, Mme Bayne, bienvenue. D'abord, je dois dire, en commençant, qu'étant donné ma longue expérience d'administrateur de la loi 101 et ma longue habitude de fréquentation d'Alliance Québec, entre vous et moi, le problème de la langue commune, ça ne s'est jamais posé. Lorsque je communiquais avec Michael Goldbloom, avec Eric Maldoff, avec Royal Orr, avec vous, on communiquait toujours en français. Il arrive, à certains moments donnés, que, par mesure de civilité, d'amitié, d'affection, on converge un peu à l'anglais, mais, fondamentalement, dans un contexte typique de rapports publics, il n'y a pas de problème en ce qui nous concerne, jusqu'à maintenant.

Par ailleurs, je dois dire que je pense que vous avez raison de vous interroger sur le caractère ambigu de la notion dont on parle. Écoutez, le document en fait d'ailleurs largement état. Si, par la langue commune, on entend la langue dans laquelle on converge dans de multiples contextes de communication entre locuteurs de différentes langues et qui sont publics, je pense que, écoutez, les données sociolinguistiques nous font déjà largement état de cette convergence. Par ailleurs, si par langue commune on entend un objectif qui nous amènerait à converger toujours et partout, dans tous les contextes constitutionnels, on va se retrouver pris avec le problème que vous avez absolument bien soulevé. Étant donné que le Québec est une société qui, historiquement, a accepté une institutionnalisation de sa dualité linguistique dans des systèmes d'enseignement, dans des systèmes hospitaliers, dans des systèmes de services sociaux et ainsi de suite, qui sont des systèmes publics, on ne peut pas espérer converger toujours au français dans tous les contextes.

Moi, j'arrive d'une année sabbatique à l'Université McGill. Il est très rare que j'aie à utiliser l'anglais à McGill. J'y ai fait mes études de doctorat et, depuis 20 ans, ça a changé d'une façon... c'est le jour et la nuit. Mais, écoutez, je suis dans un contexte institutionnel public où j'observe des phénomènes de convergence à l'anglais et je n'en suis pas scandalisé. Ça fait partie de la tradition historique du peuple québécois, tradition à laquelle j'adhère et que je respecte fondamentalement.

Donc, je pense que vous avez raison de poser à Mme Beaudoin des questions sur l'ambiguïté de cette notion. Dans le texte, on essaie de la «désambiguïser». À un moment donné, on dit: La langue commune, ça signifie une, deux, trois choses. Mais, quand on a lu ça comme je l'ai fait, 10, 12, 15 et 20 fois, on reste encore pris avec ce problème d'ambiguïté, de savoir exactement ce que ça veut dire. Et, lorsqu'on parle d'un document d'État, les problèmes d'ambiguïté sont potentiellement des problèmes graves et qui pourraient même avoir des conséquences dangereuses. Donc, sur ça, moi, je comprends très bien la nature de votre interrogation. Mais j'affirme néanmoins que la convergence au français, écoutez, à Montréal... Là où j'habite, l'été, à Saint-André-de-Kamouraska, moi, je converge au français partout. Évidemment, comme je l'ai dit nombre de fois, lorsque j'étais président des organismes de la langue, il arrivait, à certains moments donnés, que, pour converger, j'y mette un peu d'efforts. Mais ça...

Regardez les données qu'on trouve sur ce qui se passe à Barcelone, vous allez voir qu'à Barcelone on converge au catalan, mais les Catalans y mettent de l'effort. Lorsqu'ils sont en contact avec les Castillans, la convergence se fait au catalan, mais les Catalans y mettent un peu du leur. Donc, sur le concept de langue commune, je pense qu'il faut comprendre un certain nombre des inquiétudes que vous manifestez. Et ça ne serait peut-être pas une mauvaise chose que la ministre en tienne compte, pour essayer de «désambiguïser» encore un peu plus cette notion qui évidemment est la notion fondamentale, l'objectif opérationnel de toute leur proposition de politique.

Donc, je ne peux pas m'empêcher de reprendre un peu les propos de la ministre, tantôt, sur le «common language» dont la Chambre des représentants américaine est en train d'être saisie. Moi, je veux bien, mais les États-Unis, à ma connaissance, et j'y ai passé plusieurs années, ça n'est pas une société qui, historiquement, s'est donné une dualité linguistique, comme c'est le cas au Québec. Donc, on est d'accord, je pense. Si vous n'êtes pas d'accord, vous me le direz, mais je vous pose la question. Je pense qu'on est d'accord sur l'idée que l'objectif ultime, ça devrait être une convergence, dans une multiplicité de contextes institutionnels, à la langue française, qui est la langue officielle du Québec, mais que, par ailleurs, il restera toujours, compte tenu de la sociolinguistique, de l'écologie des langues dans laquelle on se trouve au Québec, des contextes institutionnels où la convergence se fera. Ça pourra être à l'ukrainien, ça pourra être au mandarin, ça pourra être évidemment à l'anglais, à l'espagnol, mais toujours dans des contextes publics.

Et, je termine là-dessus, j'en ai beaucoup parlé, de cette fameuse distinction du public et du privé, avec des amis Montréalais qui en savent quelque chose. Et la conclusion est toujours la même: Pierre-Étienne, c'est loin d'être aussi clair qu'on pense, la distinction entre le privé et le public. Et, de ce point de vue là, je pense que vous avez soulevé des interrogations dont la partie gouvernementale aurait avantage à tenir compte pour, éventuellement, à réagir dans une révision peut-être un peu plus claire des notions de base de son document de consultation. Merci, M. le Président.

M. Hamelin (Michael J.): Je crois qu'il était important... C'est que, pour nous, la réalité existe. Et je pense qu'on voyait, avec le document de réflexion, que peut-être le gouvernement était à une place et la population dans une autre. Je crois que, dans les relations jour à jour, les Québécois s'entendent très bien sur des questions. Je pense que, maintenant, on va créer ou rouvrir, ou rétablir des concepts que personne, certainement, dans notre communauté ne comprend. Et, si on comprend, c'est toujours sur un espace de ce que ce concept va faire pour nos institutions, pour nos relations avec le gouvernement. Oui, je pense qu'on va créer plus de bureaucratie linguistique que nécessaire. Ça, c'est évident.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de La Pinière a demandé la parole. Mais, en vertu de l'article 132, comme elle n'est pas membre de la commission, ça me prend un consentement des deux côtés de la commission.

(12 h 50)

Des voix: Consentement.

Le Président (M. Garon): Consentement. Mme la députée de La Pinière, le consentement vous est accordé.

Mme Houda-Pepin: Merci. M. le président, M. Hamelin, Mme Bayne, je suis très heureuse, en tout cas, de voir ici exprimer votre point de vue sur cette question centrale. J'ai été interpellée particulièrement par le commentaire de la ministre concernant la langue commune et également par les commentaires qui ont été faits par M. Hamelin. Je me sens d'autant plus interpellée que j'ai participé aux consultations qui ont mené à l'énoncé de politique sur l'immigration, auquel la ministre se réfère abondamment, et également à la rédaction du contrat moral, où la question de la langue, également, est affirmée.

Donc, je voudrais juste souligner – en tout cas, comme disait mon collègue, c'est une notion très ambiguë, parce que ce n'est pas une notion à laquelle on est nécessairement habitués – que, si je me rappelle bien, l'idée derrière la langue commune, c'est vraiment pour exprimer une volonté gouvernementale, sachant que, le français étant déjà la loi officielle du Québec, mais, dans la réalité, les francophones constituant la majorité, nous avons une communauté anglophone qui a des droits linguistiques et institutionnels qui sont historiques, nous avons des nations autochtones, nous avons des Québécois qui viennent des quatre coins du monde et qui connaissent préalablement soit le français, soit l'anglais ou qui ne connaissent ni l'une ni l'autre, des autres langues.

Donc, pour converger vers une langue commune de communication, il y a eu ce concept qu'il reste à définir avec des paramètres clairs, en fait. Mais c'est ce qui explique que cette notion-là se retrouve dans l'énoncé de politique. Mais il faut aussi savoir que, derrière cette idée, il y a également une responsabilité du gouvernement qui veut s'impliquer dans la promotion du français, surtout au niveau des nouveaux arrivants.

Et, parlant de langue commune, on a visé essentiellement l'école, parce qu'on parle de l'espace public, parce que l'école est le lieu d'intégration par excellence. Et c'est par l'école et dans l'école que se transmettent l'apprentissage et la connaissance de la langue française. Mais j'abonde également dans le sens de mon collègue, c'est une notion qui mérite d'être clarifiée, d'être définie clairement dans les débats qui s'ensuivent. Et d'ailleurs nous allons en avoir un autre sur le mandat d'initiative concernant l'intégration. Et je suis persuadée que c'est des notions sur lesquelles il faudrait apporter des clarifications.

Ceci étant dit, M. le Président, je voudrais formuler une petite question, si vous le permettez. Nous avons entendu le Mouvement national des Québécois, avant vous. Et, dans leur mémoire, ils parlaient de limiter la durée pendant laquelle un membre d'un ordre professionnel qui séjourne temporairement au Québec est dispensé de connaître le français. J'aimerais entendre vos réactions là-dessus. Je sais qu'Alliance Québec s'est impliquée, notamment, dans des dossiers concernant les séjours temporaires, les dérogations et tout ça. J'aimerais vous entendre là-dessus. Quels problèmes ça pose, réellement?

M. Hamelin (Michael J.): Je pense que c'est soulever une question qui est importante, c'était l'utilisation de la loi. Qu'est-ce que c'est, le but de l'utilisation de la loi? Et on voit ça chaque journée dans les dossiers de l'éducation, les dossiers des gens qui étaient ici pour des séjours temporaires ou bien des cas où des parents ne sont pas des parents biologiques, c'étaient des parents adoptifs. Est-ce qu'on utilisait une loi afin de faire punir des gens ou est-ce qu'on utilisait une loi, qui peut-être avait des objectifs, d'une façon qui reconnaissait qu'il y avait l'aspect humain, si vous voulez? Et je pense que, peut-être, si on réfléchit, si vous voulez, sur tous les débats et sur toutes les questions linguistiques, une application de la loi qui est bien stricte, bien définie et qui n'arrive pas nécessairement à reconnaître un aspect humain dans son application, c'est une loi qui pose des problèmes plus dans les sociétés.

Alors, pour des professionnels et pour des gens, il faut trouver des moyens pour faire reconnaître que ces gens-là, c'est dans une situation spécifique et travailler avec ces gens-là. Alors, qu'est-ce que c'est, le message qu'on donne au monde entier, si on a une loi qui dit: Bon, «that's it», c'est tout, si on n'a pas un des aspects dans la loi qui peut être utilisé d'une façon humaine?

Je pense aussi que vous soulevez la question qu'on est une société assez complexe, au Québec. Ce n'est pas quelque chose de nouveau; c'est la réalité, on est une société complexe, avec différents aspects. Et je pense que, peut-être, c'est la question clé. Vous êtes ici, dans l'Assemblée nationale; nous autres, on est dans la rue avec des gens, dans des communautés. Admettons que l'apprentissage du français, l'augmentation de l'utilisation du français est le but. Si on a 5 000 000 $, vous ne trouvez pas logique, au lieu de faire engager des gens avec les pouvoirs, que... Je ne partage pas l'opinion de Mme la ministre, que, clairement, ça va être absolument devant les tribunaux. Ce n'est pas une question de ça, les pouvoirs des enquêteurs. Il n'est pas question que ça va être devant les tribunaux, à un certain moment donné. Mais, au lieu de dépenser 5 000 000 $ pour ça, vous ne trouvez pas nécessaire qu'on mette 5 000 000 $ dans des programmes de langue seconde en français, par exemple? Vous ne trouvez pas, peut-être, que c'est le temps, en 1996, qu'on commence à voir les dossiers linguistiques, voir toutes ces questions dans un domaine nouveau, créatif, si vous voulez, comme on a fait dans les années soixante et soixante-dix?

Le Président (M. Garon): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Mme Bayne, aujourd'hui, vous représentez Alliance Québec. Je sais, par ailleurs, que vous êtes très active au sein de la communauté noire anglophone, qui se trouve confrontée à la double difficulté, à la fois linguistique, pour revenir au concept de langue commune, et aussi à la difficulté de la discrimination systémique, et tout ça. Est-ce que vous pourriez nous dire comment les minorités, qui sont de différentes origines et qui ont peut-être l'anglais en commun, réagissent à ce projet de loi et à ce document qui nous est proposé par la ministre de la Culture?

Mme Bayne (Edina): Il faut souligner ce que M. Hamelin vient de dire. Les problèmes sont exactement les mêmes. Et, en plus, on vit le problème de difficultés avec la langue, soit l'anglais, par exemple. Parce que je sais que la plupart des gens issus des communautés culturelles et surtout la communauté noire, par exemple, d'expression anglaise, les gens des Caraïbes, etc., de beaucoup de pays d'Afrique ont la langue anglaise comme langue maternelle ou de communication, au Québec. Puis il y a aussi des communautés qui sont ici, qui ne sont pas de nouveaux arrivants, qui ont toujours travaillé en anglais, par exemple, et le gouvernement n'a jamais mis en place des moyens pour aider les gens entre-temps pour apprendre la langue française. C'est des gens qui ont toujours travaillé en anglais, qui n'ont pas eu de la difficulté quand ils sont arrivés, dans les années cinquante, soixante, quand les portes étaient vraiment ouvertes à l'immigration. Ils ont toujours travaillé en anglais, il n'y avait pas de mesures pour aider à l'apprentissage de la langue. Puis, ces gens-là, ils ont de la difficulté.

Ils ne sont pas impliqués dans la vie académique, par exemple, de leurs enfants. Et on a des problèmes de décrochage. On a des problèmes de gens qui sont forcés d'être inscrits dans les écoles françaises, etc. Il y a beaucoup de problèmes. Il y a quelque chose qu'on oublie toujours, qu'on a des problèmes pas seulement dans les communautés anglophones, mais qu'on a des problèmes d'alphabétisation dans la langue maternelle. Et on ne répond pas à ces questions-là. On essaie de former les gens et d'enseigner une autre langue qui, effectivement, est assez difficile à comprendre s'ils n'ont pas maîtrisé la langue maternelle. Ça, c'est la réalité pour les communautés minoritaires.

Mme Houda-Pepin: Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie M. Hamelin, M. Bergman et Mme Bayne de leur contribution, au nom d'Alliance Québec, aux travaux de cette commission.

Comme l'heure de 13 heures est arrivée, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 15 heures, cet après-midi. Et nous recommencerons avec Mme Josée Legault.

(Suspension de la séance à 13 heures)

(Reprise à 15 h 3)

Le Président (M. Garon): Comme nous avons quorum et qu'il est 15 heures, la commission reprend ses travaux et, selon l'ordre du jour que nous avons adopté ce matin, à 15 heures, nous entendons Mme Josée Legault, qui est déjà rendue d'ailleurs à la table des témoins. Alors, Mme Legault, selon l'entente entre les deux partis, le parti ministériel et le parti de l'opposition, les personnes individuelles ont 30 minutes et les groupes ont une heure, ce qui veut dire que, normalement, vous avez 10 minutes pour votre exposé, les ministériels, 10 minutes et l'opposition, 10 minutes. Tout le temps que vous prendrez en plus leur sera soustrait également. Si vous en prenez moins, bien, ils auront plus de temps pour vous questionner. Alors, à vous la parole.


Mme Josée Legault

Mme Legault (Josée): Alors, je remercie la commission d'avoir accepté de m'entendre, et je remercie le président et ses membres de me recevoir aujourd'hui. Je ferai deux petites remarques rapides au début, une petite mise au point. Je tiens, tout d'abord, pour ceux qui ne l'auraient pas compris plus tôt cette année, à dissocier officiellement mon nom du rapport gouvernemental sur la langue qui fut publié en mars 1996. Je rappellerai que Michel Plourde et moi-même avions demandé par écrit à la ministre de ne pas inclure nos noms dans la version officielle qui allait suivre notre premier rapport de janvier, une demande qui, malheureusement, ne fut pas honorée. Je prie donc humblement la ministre, si le gouvernement venait à republier ce rapport, de voir à ce que mon nom en soit exclu. Et, pour clore cette brève mise au point, je rappellerai aussi qu'en février dernier une lettre que j'avais adressée à la ministre fut coulée aux médias. Je tiens à préciser que, contrairement à certaines rumeurs que l'on a fait circuler dans les coulisses, je n'étais pas l'auteure de ce coulage.

Donc, ce 28 août 1996, après 750 pages de rapports combinés sur la situation du français, nous sommes conviés à réfléchir aux moyens aptes à faire du français la langue commune du Québec. Nous osons espérer que cet exercice ne vise pas à gagner encore du temps, mais à aider le gouvernement à retrouver sa volonté de sortir d'une ambiguïté quelque peu troublante. Tout d'abord, il faut savoir quelle loi 101 le projet de loi n° 40 entend modifier, somme toute, minimalement. Eh bien, cette loi 101 a déjà subi plus de 200 modifications depuis son adoption, dont plusieurs ont réinstauré le bilinguisme suite à des jugements imposés par les tribunaux canadiens. À cet égard, rien n'aura déstabilisé la paix linguistique au Québec autant que ces tribunaux canadiens devant lesquels les anglophones sont venus combattre systématiquement cette loi depuis son adoption.

Rappelons aussi que, derrière ces tribunaux, se cachent le gouvernement fédéral, dont le premier ministre nomme les juges des principales cours, de même que la Constitution canadienne et sa Charte des droits et libertés adoptées en 1982 sans l'approbation du Québec. Mais il faut dire que les gouvernements québécois ont, pour la plupart, fait acte d'obéissance face à ces juges nommés par Ottawa. Depuis 15 ans, ces jugements et la résignation de nos gouvernements sont comme des bouquets d'épines qui s'accumulent sur la dépouille de la loi 101. Et, maintenant, certains leaders anglophones et les disciples de M. Galganov voudraient qu'on y mette une pierre tombale bilingue.

Mais d'où venait cette loi 101 de 1977 et pourquoi l'avait-on adoptée? Parce que, en 1977, tout comme aujourd'hui, le français était et demeure minoritaire au Canada et en Amérique du Nord. Au Canada, c'est l'anglais qui est majoritaire et, au Québec, c'est la langue concurrente d'assimilation des allophones. Dans un tel contexte, quel aura été l'impact des multiples jugements qui ont affaibli la loi 101? Eh bien, je le répète, ils ont redonné à l'anglais une place accrue dans divers domaines. Ils ont aussi privé la loi 101 du temps et de la stabilité essentiels afin qu'elle puisse atteindre son efficacité optimale. En 1985, c'est-à-dire il y a de ça déjà 11 ans, le Conseil de la langue française constatait que ces jugements avaient commencé à modifier sérieusement la dynamique interne de la loi 101 et son effet d'entraînement social.

Mais, dans les faits, pour protéger une majeure partie de la Charte de la langue française, il faudrait la recouvrir du parapluie protecteur de la clause dérogatoire des chartes des droits et libertés. Cette mesure permettrait à l'Assemblée nationale de modifier la loi 101 selon la volonté du peuple québécois et non selon celle de juges non élus et nommés par Ottawa. Cette mesure vise donc à rendre à notre Parlement une partie de son pouvoir décisionnel. En décembre 1988, M. Lucien Bouchard observait d'ailleurs que «le recours à la clause "nonobstant" est un acte légal et légitime dans l'exercice d'un mécanisme inclus dans la Constitution du pays. Elle est là pour assurer la survie de certaines valeurs fondamentales au Québec et il appartient au gouvernement du Québec d'évaluer les circonstances dans lesquelles elle peut y recourir».

Quant à l'affichage, la clause «nonobstant» permettrait de stopper le retour du bilinguisme que l'on observe aujourd'hui. En fait, le problème avec la loi 86, c'est que, dans le contexte postréférendaire actuel où nous faisons face à un certain militantisme anglophone – propartition et antiloi 101 – son usage de plus en plus répandu bilinguise le visage du Québec. Nous devons donc faire un choix: ou nous acceptons ce bilinguisme – qu'il soit deux tiers français et un tiers anglais ne change rien au fait que ce visage serait bilingue – ou nous assurons la préservation du visage francophone.

Mais pourquoi stopper le retour du bilinguisme? En 1982, René Lévesque observait: «À sa manière chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: Il y a deux langues ici, le français et l'anglais, on choisit celle qu'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit.» Robert Bourassa, quant à lui, constatait, en 1989, que, «si vous avez des affiches bilingues [...] le pouvoir d'attraction de l'anglais en Amérique du Nord est d'une telle puissance que les immigrants iront automatiquement du côté anglophone». Mais, si on veut retrouver un visage français, on ne peut se contenter de passer par simple voie réglementaire, car les contestations devant les tribunaux reprendront aussitôt. Il faudra donc recourir à la clause dérogatoire.

Quant à la question la plus fondamentale entre toutes, soit celle de la démographie et des transferts linguistiques, le gouvernement semble avoir abandonné l'ambition de l'énoncé politique de 1977 du gouvernement Lévesque, qui était d'orienter les choix linguistiques des allophones, donc de favoriser leur adoption éventuelle du français comme langue d'usage. Le gouvernement se contente plutôt de calculer, et on ne sait trop encore comment, le nombre de personnes qui utilisent à l'occasion le français en public. On tente ainsi de nous dire qu'il y aurait non pas 57 % de francophones sur l'île de Montréal, ce qui est la réalité, mais plutôt 69 %. Ce chiffre est trompeur et il marque la minorisation prochaine des francophones sur l'île.

Mais le fait est que le français ne sera jamais la langue commune de la vie publique s'il ne s'impose pas, tout au moins, comme langue des transferts linguistiques chez les immigrants, ce qui, encore aujourd'hui, est loin d'être le cas. Chez les allophones arrivés avant 1976, les deux tiers ont adopté l'anglais comme langue d'usage; ils se sont donc assimilés à l'anglais. Quant aux allophones arrivés depuis 1976, seulement un quart d'entre eux ont adopté le français comme langue d'usage. Il est évident que ce très faible pourcentage est nettement insuffisant.

(15 h 10)

En passant, en sociolinguistique, le mot «assimilation» n'est pas un vocable répréhensible ou un tabou politique; il réfère, tout simplement, à un transfert de nature linguistique, lequel peut déboucher ou non sur une intégration de nature plus culturelle. Par exemple, à Montréal, on sait que la plupart des Juifs ashkénazes ont abandonné leur langue maternelle – qui pouvait être le polonais, le yiddish, l'hébreu, le russe, etc. – et qu'ils ont effectué un transfert permanent vers l'anglais. Ils se sont donc assimilés à la langue anglaise, ce qui n'a pas empêché ceux qui en ont fait le choix de conserver leur culture et leur identité juives. Pourquoi cela serait-il différent si une forte majorité d'allophones s'assimilait éventuellement au français?

Mais il paraît qu'il ne faut plus dire ces choses-là. À sa place, nous laissons le discours dominant des anglophones et du gouvernement fédéral gagner du terrain. C'est ainsi que le bilinguisme, ou l'usage de l'anglais, devient un signe de tolérance et une politique de francisation, une manifestation d'intolérance. De plus, la question linguistique est maintenant représentée comme étant trop émotive, trop explosive et, de surcroît, ne serait même pas un vrai problème. La modération, aujourd'hui, consisterait à accepter le statu quo ou à défendre les intérêts des anglophones.

Et pourtant la loi 101 de 1977 était l'opposé même de l'intolérance, puisqu'elle accordait une série de droits collectifs aux anglophones et visait, si vous me passez l'expression, à «déethniciser» la langue française en faisant de celle-ci la langue des nouveaux arrivants et non plus la langue exclusive des francophones de souche; d'où l'inscription obligatoire des enfants d'immigrants à l'école française.

Mais le document de consultation se situe à des milles de cette vision civique de la langue française. Il propose plutôt une vision où le français serait encore la langue d'une majorité canadienne-française de souche, mais une simple langue d'usage public pour les immigrants. Est-ce ici la vision qu'on nous propose? Si oui, le français ne s'en sortira pas à moyen terme, parce que les immigrants vivent ici dans un environnement de concurrence et d'ambiguïté où l'anglais, en plus de jouir de la suprématie continentale et internationale, se présente aussi, aux yeux des immigrants, à côté de la langue officielle du Québec, comme une des deux langues officielles du Canada. À cet égard, le bilinguisme institutionnel qui prévaut un peu partout dans l'administration dit aux allophones que la connaissance du français n'est pas vraiment essentielle et que l'anglais est sur un pied d'égalité avec le français.

Dans un rapport interministériel daté de juin 1993 sur les balises linguistiques que devrait adopter l'administration dans ses relations avec les allophones, on insistait pourtant sur le fait que tout doit être mis en oeuvre pour éviter que le français soit perçu comme un choix linguistique parmi d'autres. Le fait d'offrir un service dans une autre langue, disait-il, doit demeurer l'exception. Mais ce rapport ne fut jamais appliqué.

Mais quel message les Québécois recevront-ils si le gouvernement crée, tel que le recommande son document de consultation, un bureau d'information et d'aide en matière linguistique qui aurait le mandat de recevoir toute plainte de personnes qui estiment que leurs droits linguistiques ne sont pas respectés? Parce que l'administration offre de plus en plus ses services en anglais, on peut s'attendre à ce que ce soient les anglophones qui en profitent pour élargir encore plus l'usage de cette langue dans l'administration. Un tel ombudsman, qu'il le veuille ou non, oeuvrerait au renforcement du bilinguisme institutionnel plutôt que de le combattre. Par conséquent, le gouvernement ne doit pas créer ce bureau.

Enfin, nous appuyons le rétablissement de la Commission de protection de la langue française, quoiqu'il soit fort probable qu'un prochain gouvernement libéral l'abolisse à nouveau. Mais il est nécessaire de redonner au gouvernement les moyens d'appliquer une loi 101 révisée. On ne saurait prétendre que la remise sur pied de cette Commission puisse faire l'économie d'un renforcement de la loi 101 ou d'un aménagement linguistique global.

En conclusion, nous devons constater que le projet de loi n° 40, hormis le rétablissement de la Commission de protection, offre peu de mesures concrètes visant à renforcer un aménagement linguistique déjà fort miné. Notons aussi que les événements des derniers mois, comme le discours du Centaur, la politique de réconciliation, la certitude du gouvernement, du moins il y a quelques semaines, que M. Galganov n'était qu'un marginal et que la partition était peu populaire chez les anglophones, eh bien, tendent à démontrer que le premier ministre et son entourage comprennent peut-être peu ou mal ce qui se passe dans une majeure partie de la communauté anglophone en cette période postréférendaire, et leur mauvaise lecture de la réalité influe, malheureusement, sur le dossier linguistique. Bref, le discours du gouvernement Bouchard sur la langue, changeant comme le vent, se durcit peut-être quelque peu au gré des manchettes, mais les mesures concrètes non seulement ne viennent pas, mais j'avancerais aussi qu'elles ne viendront peut-être pas, pour toutes sortes de raisons.

Et pourtant imaginons une inondation. On voudrait que le gouvernement envoie des centaines et des centaines de millions de dollars, n'est-ce pas? Tout le monde trouverait cela normal. Dans le cas du français, au lieu d'envoyer l'équivalent de ces dollars, c'est-à-dire de prendre des mesures concrètes, on nous envoie de l'argent de Monopoly, c'est-à-dire des paroles. Mais, à Montréal et dans l'Outaouais, l'eau monte lentement, mais sûrement. Elle monte tant et si bien que l'on s'attend à ce que les francophones, quelle que soit leur origine, soient minoritaires sur l'île de Montréal et que leur proportion chute sous la barre des 80 % au Québec d'ici quelques brèves décennies. Pendant ce temps, les deux pieds dans l'eau, il y en a qui discutent pour savoir si l'eau monte, à quelle vitesse l'eau monte.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Legault (Josée): Il y en a même pour nier que l'eau existe ou dire que c'est l'eau elle-même qui est menacée. Quant à ceux qui insistent sur la nécessité d'agir, ce ne serait que des extrémistes. Mais rien de cela n'empêchera l'eau de monter. Ce qu'il faut faire, c'est renforcer le barrage, et renforcer le barrage signifie réaliser la souveraineté du Québec. Mais, en attendant, il faut renforcer le barrage non avec de la paille ou des paroles, mais avec du béton. Donc, cela veut dire prendre des mesures concrètes sans culpabilité et sans se faire les otages des groupes de pression anglophones ou des milieux d'affaires. Nos ambitions doivent être grandes et non petites. Quant aux anglophones, leurs droits collectifs et leurs institutions furent et sont respectées ici de manière exemplaire. Nous n'avons donc aucunement à rougir de notre volonté de préserver le seul État francophone d'Amérique, bien au contraire. Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Bonjour, Mme Legault. J'aurais une seule question. Pages 18 justement et 19 de votre mémoire – vous avez fait allusion à ça tout à l'heure – vous dites: «Par contre, si le gouvernement prend la décision sage et responsable de revenir à une formule semblable à celle comprise dans la loi 101 de 1977 – unilinguisme français adjoint d'exceptions pour certains types de commerces – il devra résister à la tentation de passer uniquement par voie réglementaire.» Et là vous expliquez pourquoi. Et, en début de page 19, vous dites: «Bref, le problème de l'anglicisation de l'affichage ne sera pas réglé. Par contre, le recours à la clause dérogatoire pour protéger la loi 101 dans sa quasi-totalité permettrait à l'Assemblée nationale de légiférer de manière efficace et responsable sans risquer l'interférence des tribunaux canadiens et de juges nommés par le premier ministre du Canada.»

Je voudrais juste vous entendre un peu plus là-dessus, si vous voulez, sur toute cette question, donc, de la clause dérogatoire, et comment vous voyez ça.

Mme Legault (Josée): Pour l'affichage?

Mme Beaudoin: Pour l'affichage, mais quand vous dites «pour protéger la loi 101 dans sa quasi-totalité».

Mme Legault (Josée): Bien, c'est qu'on sait que... Je n'ai pas dit «dans sa totalité», parce que la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits, par exemple, ne s'applique pas elle-même à toute la Charte des droits; elle couvre l'article 2 et les articles 7 à 15. Donc, la Charte de la langue française s'appliquerait nonobstant les articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et nonobstant la Charte québécoise des droits.

Et j'insiste sur le fait, parce qu'on avance toujours ça: Ah! mais la question de l'affichage, vous savez, Mme Legault, ça a été décidé en se basant aussi sur la Charte québécoise des droits, donc ce serait plus légitime. Mais je répéterais, tout simplement, que cette Charte québécoise des droits, qui est un document fort exemplaire en soi et très différent de la Charte canadienne, est quand même interprétée, pour le moment, par ces mêmes juges qui sont nommés par le gouvernement fédéral et qui en font leur propre interprétation, et une interprétation très «canadianisante», si je peux inventer un mot. Est-ce que c'est clair?

Mme Beaudoin: Oui, c'est assez clair, et...

Mme Legault (Josée): Et j'insiste là-dessus, parce qu'il est clair que, si vous passez par voie réglementaire, le lendemain matin, vous allez avoir des contestations devant les tribunaux. Ça, je pense que le gouvernement en est parfaitement conscient. Et, pendant ce temps-là, avec les nouveaux mouvements militants anglophones, on ne verra pas, non plus, le nombre des affiches bilingues s'amoindrir dans la région de Montréal. Je pense qu'ils vont tenir jusqu'à ce que la saga politico-judiciaire arrive à sa fin, c'est-à-dire au bout de quatre, cinq ans.

Mme Beaudoin: Je dois dire que j'ai toujours un peu envie de sourire quand on parle des juges nommés par Ottawa. Mon père a été juge – ha, ha, ha! – de la Cour supérieure pendant très longtemps. C'est sûr que, s'il avait été bien séparatiste, je ne pense pas qu'ils l'auraient nommé. Ça, ça me semble assez clair. Mais, ceci étant donc assez...

Mme Legault (Josée): Avec tout le respect que je dois à votre père... Ha, ha, ha!

Mme Beaudoin: Ceci étant, je dis: Bon...

Une voix: Les rébellions filiales.

(15 h 20)

Mme Beaudoin: Oui, c'est ça, les rébellions filiales. Mais c'est certainement des juges qui ont a priori un certain nombre, enfin, de valeurs, puis une vision du monde, une vision du Québec et du Canada, quand on est nommé juge par le gouvernement fédéral; même je pense que les modes de nomination se sont un peu améliorés depuis quelque temps.

Mais j'ajouterais, tout simplement, pour terminer justement sur ce sujet-là, que, politiquement et juridiquement, bien évidemment la clause dérogatoire, la Cour suprême, le comité des Nations unies, ça ne vous gêne pas, d'aucune façon. Vous dites, compte tenu de l'importance, compte tenu que c'est essentiel de procéder de cette manière-là, qu'il n'y a pas à y avoir d'inquiétude politique ou d'états d'âme, ou que ce comité des Nations unies, à l'époque, était un sous-comité sans importance et pour lequel on ne doit pas avoir de considération. J'aimerais juste vous entendre un peu plus là-dessus.

Mme Legault (Josée): Il y a beaucoup de choses dans ce que vous venez dire. Ha, ha, ha! Rapidement, sur le comité de l'ONU, je pense que je n'ai pas été la seule à le dire; le professeur Henri Brun l'a dit lui-même: c'était une décision quelque peu cavalière basée sur une argumentation de la part des anglophones qui n'était pas très solide, en tout cas qui n'était pas rigoureuse. Je pense que, quand on a lu les documents, on s'en rend très vite compte. Pour ce qui est des décisions de la Cour suprême et de la Cour supérieure, je pense que, quand on les lit, on voit aussi très rapidement le biais idéologique et politique qu'il y a là-dedans.

Ceci dit, bien sûr, il y a un prix politique à payer pour tout. Il y aura un prix politique à payer aussi à ne rien faire, et il y aura un prix linguistique et démographique à payer aussi à moyen et à long terme. Ceci dit, je ne dis pas que j'ai raison nécessairement; c'est pour ça que je dis que c'est à l'Assemblée nationale de décider. Mais, pour que l'Assemblée nationale puisse décider si elle prend ces décisions-là, elle doit avoir recours à la clause dérogatoire. Et, je le dis clairement, c'est un choix. Si la population du Québec veut vivre avec un bilinguisme qui va s'étendre de plus en plus et non de moins en moins, parfait! Si une majorité de la population ne veut pas vivre avec ça, le gouvernement doit prendre les moyens nécessaires.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: Mme Legault, bonjour.

Mme Legault (Josée): Bonjour.

M. Gendron: Je vous remercie d'être là. Ce n'est pas la première fois que les parlementaires ont la chance de bénéficier de votre réflexion ou de votre éclairage sur les questions linguistiques. Alors, merci de l'aide que vous nous donnez.

Très rapidement, en 1993, vous aviez l'occasion de rendre publique une position conjointe avec M. Julius Grey où, notamment, vous proposiez un affichage bilingue pour une période de trois ans et le droit pour un immigrant de pouvoir étudier dans une autre langue. Il me semble qu'avec la position d'aujourd'hui il y a passablement d'écart. J'aimerais que vous replaciez les choses dans leur juste contexte...

Mme Legault (Josée): Non. Ha, ha, ha!

M. Gendron: ...si je l'ai mal cité, ou que vous nous indiquiez pourquoi ce revirement de situation.

Mme Legault (Josée): Non, il n'y a pas de revirement. Premièrement, on ne disait pas qu'il fallait donner le droit aux immigrants d'étudier en anglais; on proposait, pour des raisons justement de connaissances mutuelles réelles, la possibilité de mettre sur pied des programmes d'échanges entre les écoles. Ça, ce n'est pas la même chose.

Pour ce qui est de l'affichage, vous l'avez bien dit, nous proposions une période d'essai de trois ans. Or, 1993 plus trois, ça fait 1996, par hasard. Ha, ha, ha! Et là on voit, cette année, qu'il y a, en effet, pour toutes sortes de raisons dues en grande partie au contexte postréférendaire, un retour de l'anglais. Et nous disions: Si cela se produit – et je crois que cela est en train de se produire, mais nous aurons une étude cet automne qui pourra nous le dire – eh bien, il faudra prendre des mesures plus restrictives. Alors, je ne vois pas où il y a le...

M. Gendron: O.K. Non, mais, très clairement, je veux juste...

Mme Legault (Josée): Je ne vois pas où il y a le revirement.

M. Gendron: Merci. Très clairement, ça veut dire qu'aujourd'hui, selon le contexte que vous observez, il n'y aurait pas une période d'essai pour un affichage bilingue, selon ce que vous dites aujourd'hui.

Mme Legault (Josée): Non, mais, nous, nous avons écrit ça en 1993, et ce que je vous explique, c'est que 1993 plus trois ans, ça donne 1996.

M. Gendron: Oui, oui. Ça, je n'ai pas de trouble avec ça.

Mme Legault (Josée): Ce que je dis aussi, c'est qu'il faut prendre en compte le contexte postréférendaire qu'on ne pouvait pas prédire en 1993, mais, par hasard, nous sommes quand même arrivés, vraiment par hasard, presque kif-kif au niveau de la période d'essai.

M. Gendron: Ça va. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, maintenant, le temps dévolu aux ministériels étant écoulé, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Bonjour, Mme Legault.

Mme Legault (Josée): Bonjour, M. Laporte.

M. Laporte: Disons que, sur la question de l'intégrité des juges, je n'ai pas de parti pris. Il me semble qu'il n'y a pas d'étude que je connaisse qui me rassurerait sur les affirmations que vous faites, mais, enfin, Mme Beaudoin est certainement mieux placée.

Mme Legault (Josée): Est-ce qu'il vous faut une bibliographie, M. Laporte?

M. Laporte: Mme la ministre est mieux placée que moi pour apprécier ce jugement de valeur, ce jugement idéologique.

Sur le retour à l'anglais dont vous parlez beaucoup, il y a des choses dans votre texte qui me... Bah! je ne dirais pas que ça m'irrite, mais je dirais que c'est un peu troublant. Vous parlez de stagnation du français, vous avez même évoqué l'idée d'une inondation. C'est des métaphores, ça, et les métaphores, comme j'ai essayé de le mentionner un peu ce matin, ont des implications politiques et pratiques.

Sur la question de la stagnation du français, étant donné que j'ai consacré une partie importante de ma vie à m'assurer que ce ne soit pas le cas, ce n'est pas clair qu'il y ait une stagnation du français au Québec. Dans le domaine de la francisation des entreprises, je pense qu'on peut dire que, depuis quelques années, il y a eu, dans les milieux de travail québécois ou dans certains milieux de travail québécois... On n'a pas de données, disons, absolument définitives là-dessus, mais je pense qu'on peut dire qu'il y a une certaine augmentation de l'usage instrumental de l'anglais. Et ça ne m'étonne pas, parce que, d'autre part, on constate – et ça, à mon avis, c'est un phénomène beaucoup plus important et que vous ne mentionnez nulle part – la stabilisation et le progrès que les francophones ont connus dans l'accès aux fonctions de direction et de contrôle de l'économie.

S'il fallait que le français progresse, dans les milieux de travail, à une vitesse un peu moins rapide que ce que nous avons connu au moment où la loi a été lancée, mais qu'en même temps nous assistions à une régression du contrôle et de la direction des milieux de travail par les francophones, là, je serais un peu inquiet. Parce que, juste pour vous éclairer là-dessus – et c'est très important que ça se stabilise et que ça se maintienne, le contrôle – vous savez, l'usage instrumental de l'anglais à des fins de travail par des élites, ça n'a pas beaucoup d'importance sur leur maîtrise de leur langue maternelle.

Au Conseil, on avait fait faire une étude par un sociologue belge qui nous a montré que, en Belgique, malgré une utilisation instrumentale du français ou de l'anglais, ou des autres langues par les cadres belges, il n'y avait aucune indication comme quoi les cadres en question étaient, en aucune façon, exposés à un risque d'acculturation. C'était sur l'utilisation instrumentale d'une autre langue, mais sans aucune espèce d'impact du point de vue de l'assimilation ou de l'acculturation. C'est une des seules études, à ma connaissance, que nous possédions là-dessus, mais c'est une étude à partir de laquelle je pense qu'on a intérêt à réfléchir lorsqu'on fait des diagnostics dans le genre de ceux que vous nous avez présentés.

Évidemment, vous, Mme Legault, vous n'avez aucune espèce de réticence, aucune espèce de répugnance à l'égard de la prohibition linguistique.

Mme Legault (Josée): Je m'excuse, je n'ai pas compris.

M. Laporte: À l'égard de la prohibition linguistique. La prohibition linguistique, vous en faites votre lit; c'est une chose qui vous apparaît nécessaire et, comme le disait Mme la ministre, ça ne semble vous poser aucune espèce de... Vous n'avez pas d'hésitation là-dessus. La prohibition linguistique, vous vous êtes réconciliée avec ça, et je pense que vous la prêchez allégrement dans le texte que vous nous avez remis. Sur ça, évidemment, vous le savez, vous n'êtes pas sans l'ignorer, nous sommes en désaccord profond. Vous-même, lorsque vous avez signé cet article avec Julius Grey, vous sembliez peut-être avoir un peu de réticences. Évidemment, vous nous dites: Après trois ans, je n'ai plus de réticences. Mais, moi, mes réticences, elles n'ont pas changé, madame: la prohibition linguistique, ça me fait horreur.

Mme Legault (Josée): C'est votre droit.

M. Laporte: Alors, je suis très respectueux de votre opinion là-dessus. Je terminerai sur un autre point qui revient continuellement dans vos propos, l'inondation. Vous citez l'étude de Marc Termotte qui semble nous indiquer qu'en l'an 2010 tout sera terminé, à toutes fins pratiques. C'est loin d'être sûr, madame, c'est loin d'être sûr. D'abord, il y a des gros problèmes épistémologiques de prévision. Prévoir l'avenir, hum! c'est risqué.

(15 h 30)

Deuxièmement, je vous ferai remarquer – et ça, j'ai communiqué mes propos là-dessus à M. Termotte, de toute façon, mais je n'étais pas là lorsque les jeux se sont faits – que, M. Termotte, dans son étude, il ne tient aucunement compte de ce que pourrait être l'impact éventuel sur la composition linguistique de la région métropolitaine de Montréal des orientations linguistiques des allophones, des transferts; il ne tient compte que de l'immigration. Et, si les orientations linguistiques des allophones continuent à converger au français, comme nous avons observé qu'elles le font déjà, dans les années 2010, eh bien, le poids du français à Montréal, à la fois comme langue maternelle et comme langue d'usage, ne sera peut-être pas beaucoup différent de ce qu'on observe maintenant.

D'ailleurs, j'ai des statistiques – je termine là-dessus – les statistiques de StatCan, qui m'ont été remises récemment et qui montrent – j'en parlerai tantôt avec M. Castonguay – que, à Montréal, au Québec, le poids du français, au cours des 30 dernières années, depuis 1961, oh! ça se maintient pas mal, ça se maintient pas mal. Il y a évidemment des petites variations qui peuvent tenir à la façon dont les questions sont posées, mais, en général... Par exemple, un chiffre qui n'est absolument pas connu, mais qui est tout de même à connaître, c'est que, à Montréal, au Québec, depuis 1971, eh bien, écoutez, il y a une augmentation de la proportion des personnes de langue d'usage française.

Mais, là, je termine vraiment là-dessus...

Le Président ( M. Garon): Oui, parce que Mme Legault n'aura plus de temps pour répondre.

M. Laporte: Pourquoi parler d'inondation? Je trouve que vos propos sont un peu exagérés là-dessus.

Le Président (M. Garon): Mme Legault.

Mme Legault (Josée): Est-ce que je peux répondre?

Le Président (M. Garon): Brièvement.

Mme Legault (Josée): Très rapidement.

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Legault (Josée): Ha, ha, ha! Vous me noyez sous un flot de paroles, M. Laporte! Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Legault (Josée): Je ne veux pas reprendre l'image de l'inondation! Pour ce qui est de la prohibition linguistique, je vous rappellerai – je sais que vous êtes tout nouveau au Parti libéral du Québec – que l'ancien chef, M. Robert Bourassa, n'avait eu aucune hésitation, lui non plus, en décembre 1988.

Pour ce qui est du contrôle de l'économie par les francophones – je n'ai pas pu parler de tout parce que j'ai travaillé sur un rapport, moi, qui avait 400 pages; alors, ça ne me tentait pas de le reprendre au complet – on indiquait que les francophones ont, en effet, fait des progrès considérables dans les postes importants du contrôle de l'économie, mais dans les réseaux contrôlés par des francophones. Il y a deux réseaux étanches. Ils n'ont toujours pas fait d'avancée dans les réseaux contrôlés par les anglophones; on ne les embauche toujours soit pas ou soit très peu.

Pour ce qui est des transferts linguistiques, je répète très rapidement qu'il y a seulement un quart des allophones arrivés depuis 1976 qui ont transféré au français. Parce qu'il y en a seulement un tiers qui ont fait des transferts. De ce tiers-là, 67 % sont passés au français; ça fait seulement un quart de tous les allophones arrivés depuis 1976. Un quart, ce n'est pas beaucoup.

Je trouve M. Laporte un petit peu optimiste, d'autant plus que l'on voit le nombre d'inscriptions des allophones dans les cégeps anglais augmenter considérablement depuis les dernières années et ça indique une attirance vers l'anglais. Lorsqu'ils arriveront à l'âge où ils feront leur transfert linguistique permanent, eh bien, on peut peut-être s'attendre – je ne suis pas Jojo Savard, je n'ai pas de boule de cristal – que les transferts linguistiques aillent beaucoup plus nombreux vers l'anglais que le français. Ça, ce n'est pas de la futurologie; c'est de la logique et c'est un petit peu de sociolinguistique aussi.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Mme Legault.

M. Laporte: Vous...

Le Président (M. Garon): Non, parce que vous avez pris tout votre temps pour parler!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Pas de commentaires?

Le Président (M. Garon): Pardon? Non, le huit minutes est écoulé; même qu'on a fait presque 10 minutes. Alors, je vous remercie, Mme Legault, de votre contribution à la commission.

J'invite, maintenant, M. Charles Castonguay à venir nous rejoindre à la table des témoins. M. Castonguay, comme tout à l'heure – je pense que vous étiez là quand Mme Legault a parlé – vous avez 30 minutes: 10 minutes pour vous, 10 minutes pour les ministériels, 10 minutes pour l'opposition. Le nombre de minutes pour les deux partis politiques augmente ou diminue en fonction de ce que vous prenez sur votre 10 minutes ou si vous le dépassez.


M. Charles Castonguay

M. Castonguay (Charles): Merci, M. le Président. Je remercie les membres de cette commission parlementaire de m'avoir invité à présenter de vive voix mon point de vue, mes observations sur, essentiellement, les choses qui ne se trouvent pas dans le document de consultation ni dans le bilan de la situation linguistique sur lequel s'appuie ce document. Par le fait même, ça porte un jugement sur le plan d'action qui est proposé, du fait que, comme Mme Beaudoin l'a répété maintes fois, il faut avoir les faits en main et, à partir de là, on pourra prendre des décisions en connaissance de cause. Or, il y a beaucoup de faits qui se trouvent absents de ces documents ou encore des faits inexacts, ou encore des faits déformés, des explications absentes, et j'en passe.

Je suis un peu étonné que je doive faire ce genre d'exercice presque devant le gouvernement du Québec. À une époque, on avait à le faire essentiellement par rapport à Ottawa. En 1978, j'étais à Montréal, au cinquième Congrès international de linguistique appliquée. J'ai présenté ce qui est paru depuis dans la revue Canadian Public Policy : «Why Hide the Facts? The Federalist Approach to the Language Crisis in Canada». Et, dans cette publication, dans cette communication, je dénonçais le fait que le gouvernement fédéral ne tenait pas compte des données sur l'assimilation linguistique dans l'élaboration de sa politique des langues officielles.

Je me trouve dans une situation, aujourd'hui, où je dois reprocher la même chose à ce que j'appelle, dans mon mémoire, l'appareil gouvernemental, pour ne pas nommer des noms. Il y a des personnes responsables pour ces bilans, pour ces documents, et vous les connaissez mieux que moi. Nous avons affaire maintenant, à Ottawa et à Québec, à deux appareils gouvernementaux qui paraissent occupés à gérer le rapetissement du fait français au Canada, au Québec et à Montréal.

Sans un exposé correct des faits, on ne saura jamais mettre fin à la contestation du modèle de société francophone qu'on cherche à établir au Québec. Le traitement incomplet, inexact et euphorisant de plusieurs aspects importants dans le document de consultation et le bilan de la situation laissent l'impression que l'appareil gouvernemental a répondu servilement à un mot d'ordre politique de ne pas faire de vagues. Dans le bilan et le document de consultation, on multiplie les comparaisons de la situation avant 1976 et après 1976. Ça en devient une véritable litanie. Deux points dans le temps; une ligne droite qui rejoint deux points habituellement, d'après Euclide. C'est simpliste, pour dire le moins.

Ces comparaisons ne sont jamais accompagnées d'une explication de phénomènes extrinsèques aux lois linguistiques qui ont pu, peut-être, influer sur la situation. Je vous en donne deux exemples. L'essentiel de l'amélioration de l'assimilation des immigrants allophones vers le français s'est opéré avant 1976. On ne le saura jamais avec un seul point, avant 1976. M. Marc Termotte a démontré ça dans son livre, avec Danielle Gauvreau, publié en 1988 au Conseil de la langue française.

Dès la cohorte d'immigrants allophones arrivés dans les années 1971 à 1975, plus de la moitié qui changeait de langue optait pour le français. C'était un fait établi auparavant. On ne nous explique pas ça dans ces documents. Qu'est-ce qui explique ça? J'ai fait de la recherche plus tard, au Conseil de la langue française, dans un livre qui est paru. J'ai fait une conférence de presse avec M. Laporte, que je vois présent aujourd'hui, le 11 mai 1994, à Montréal, pour livrer l'essentiel de ma recherche et une mise à jour avec les données du recensement le plus récent, celui de 1991.

(15 h 40)

Ça confirmait, effectivement, ce que Termotte et Gauvreau ont trouvé, c'est-à-dire: le changement est dû à un changement de composition linguistique dans l'immigration, tout simplement, à la présence, par exemple, de personnes d'origines haïtienne, vietnamienne, cambodgienne, des réfugiés d'Amérique centrale, ainsi de suite, qui sont portés à se franciser davantage que les personnes de langue germanique ou slave, etc., qui formaient le gros du peloton de l'immigration auparavant. Cette nouvelle immigration, déjà au début des années soixante-dix, formait plus de la moitié des nouveaux arrivants; ainsi, ça s'est maintenu jusqu'à maintenant. Et c'est ce qui explique la majeure partie de l'amélioration de l'attraction du français auprès des immigrants, c'est la nature, la composition linguistique de cette immigration.

Un autre exemple. Je viens d'entendre parler, encore une fois, des grands progrès du français langue de travail dans la région de Montréal, des francophones dans les postes de cadres, peut-être de la résorption des écarts de salaire entre les francophones et les anglophones; tout ça avant 1976, après 1976. Or, il s'est passé quelque chose quasiment tout de suite après 1976, sorte d'année sainte, d'après ce bilan et ce document de consultation: il y a eu le départ d'un nombre important d'anglophones bien rémunérés, cadres de sièges sociaux, en direction de Toronto, et souvent unilingues anglais également. Ce qui explique, par défaut, par un genre de tamisage migratoire, pourquoi, entre le début des années soixante-dix et la fin des années soixante-dix, il y a eu un changement majeur dans ces genres de phénomènes.

Regardez la situation dans les années quatre-vingt, c'est ça qui nous intéresse. On est en 1996 maintenant; 1976, là, c'est loin. J'ai témoigné ici en 1974, on parlait de la loi 22. Le vieux est rendu vieux, là: 1976, c'est il y a 20 ans. La plupart... En tout cas, vous voyez ce que je veux dire. Ce qui importe, c'est de savoir ce qui s'est passé dans les cinq, 10, 15 dernières années. Là-dessus, le bilan est nul. En ce qui concerne le progrès, supposément, du français langue de travail à Montréal, il n'y en a pas eu entre les sondages, entre les enquêtes de 1979 et de 1989. M. Laporte le sait très bien, il présidait le Conseil.

Et, l'an dernier, en 1995, il y a eu une étude majeure sur la langue de travail qui a montré la stagnation de l'usage du français langue de travail chez les travailleurs francophones dans le secteur privé, dans la région de Montréal. Cette observation est bousillée dans les pages 72 et 73 du bilan. Regardez ça et essayez de comprendre ce qu'ils ont fait. Ils ont fait la litanie avant 1976, après 1976. Regardez le graphique, il ne tient pas debout. Qu'est-ce qui se passe? Est-ce qu'il y a eu des naufrageurs à l'oeuvre? C'est ce que je crois, malheureusement.

Et je dois regretter de dire qu'il semble y avoir eu un effort systématique de dissimulation des faits peut-être les plus importants, portant sur les indicateurs de la situation linguistique les plus importants, ceux sur les années quatre-vingt. Et c'est ça qui nous concerne. C'est ça la nouvelle donne avec laquelle on doit travailler. Un référendum a été perdu en 1980, il y a eu un coup de force constitutionnel en 1982. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin. Les règles du jeu ont changé. On retourne à un Québec bilingue. Et vous connaissez le reste. C'est ça, la réalité dans laquelle nous sommes. Arrêtons de faire des comparaisons avant 1976, de grâce!

Cette litanie, donc, dissimule, avant 1976 après 1976 – excusez-moi si je m'emporte; je suis un anglophone d'habitude assez calme, mais, quand je parle français, ça m'arrive – des tendances inquiétantes pour le français durant les années quatre-vingt. On détourne, par exemple, notre attention du fait que le poids des francophones au Québec et dans la grande région de Montréal a commencé à baisser à partir de 1986.

M. Laporte était présent avec M. Claude Ryan, en 1992, lors du lancement de l'édition 1992 des «Indicateurs de la situation linguistique au Québec» par le Conseil de la langue française. M. Ryan a donné un discours. Il a affirmé que le poids des francophones au Québec continuait à augmenter. C'était faux. Les données du recensement venaient de sortir trois semaines auparavant, le recensement de 1991; ça montrait le contraire. M. Laporte n'a jamais corrigé le tir de son ministre responsable de la loi 101, à ce que je sache. Un naufrageur.

On cherche, dans le bilan, plus ou moins à nous faire penser que le problème se situe essentiellement sur l'île de Montréal. Ce n'est pas essentiellement sur l'île de Montréal; ça se trouve également dans la grande région de Montréal et, donc, aussi pour ce qui est de l'ensemble du Québec. Il y a baisse, effectivement, depuis 1986 et, je mettrais ma main au feu, le nouveau recensement qui vient d'avoir lieu, en mai cette année, va montrer que ça continue à baisser. Avec le niveau d'immigration record, depuis la Seconde Guerre mondiale, que le Québec a accueilli pendant les années 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 – du jamais vu et des votes, n'est-ce pas, rapide, vite fait – on peut bien s'attendre à ce que la baisse du poids des francophones se soit poursuivie, et on verra dans quelques mois qui a raison.

Et, moi, j'estime que prévoir l'avenir, c'est difficile. Justement à cause de ça, il faut être prudents devant l'avenir. On joue avec l'avenir du fait français en Amérique. Depuis quatre siècles, c'est une histoire, c'est une aventure qui a été en expansion continuelle. Et là, depuis un quart de siècle, depuis longtemps maintenant, déjà, on a affaire à une nouvelle donne, une sous-fécondité qui ne remonte pas et l'assimilation qui continue. On est devant une autre perspective, et il faut être très prudents, à ce moment-là. On ne peut pas prendre de chance en espérant que l'avenir va nous réserver des bonnes surprises. Je crois que ce n'est pas très prudent et même irresponsable de prêcher ce genre de politique.

On cache, dans le bilan, le fait que le français n'a pas progressé au cours des années quatre-vingt – je l'ai déjà dit – comme langue de travail des francophones à Montréal. On cache, dans le bilan et le document, le fait que la part du français dans l'assimilation des allophones n'a pas progressé par les immigrants allophones arrivés depuis 1980. C'est resté au même niveau: 67 %, 68 %. Le français est en perte de vitesse. Il y avait un mouvement de plus en plus de francisation; ça stagne depuis maintenant trois cohortes d'immigration quinquennales. On a atteint le sommet avec la cohorte 1976-1980. Les immigrants allophones arrivés au début des années quatre-vingt et à la deuxième moitié des années quatre-vingt ne se francisent pas plus que ceux qui sont arrivés dans les années 1976-1980. Il n'y a plus de progrès.

Et c'est quoi, l'objectif, dans le fond: 67 % de francophones, 33 % d'anglophones? Bien, le Québec est à 90 % francophone et à 10 % anglophone. Mettons que la part équitable des choses, ça serait 90 % d'allophones francisés pour 10 % d'anglicisés. Ou encore jouons donc le jeu comme le Canada anglais: 100 % d'allophones francisés, 0 % d'anglicisés. À l'extérieur du Québec, au dernier recensement, on a compté 1 632 000 allophones anglicisés; 7 000 francisés italiens, haïtiens, vietnamiens. C'est ça, l'assimilation, et c'est ça, peut-être, ce qu'on devrait viser.

Le gouvernement actuel ne semble pas avoir d'objectif. Peut-être qu'il faudrait s'en donner. Jusqu'à quel point est-ce qu'on peut parler d'une politique qui a réussi ou qui n'a pas réussi, ou qui encore a porté ses fruits, quand on ne sait pas quels sont les objectifs de cette politique? Moi, évidemment je pense à des objectifs chiffrés. J'ai entendu un ministre parler de: Oui, on va maintenir 50 % de francophones sur l'île de Montréal. Attention! Quelle sorte de francophones: langue première ou langue seconde? Et, pour le Québec, est-ce qu'on va essayer de maintenir 80 % de francophones au Québec? Discutez-en. Est-ce que ça serait équitable pour la communauté anglophone et les allophones? Peut-être que oui. Peut-être que ça pourrait être un consensus. Précisez vos objectifs. À partir des objectifs, on va pouvoir mesurer le degré de succès ou d'échec d'une politique. Mais, comme c'est là, on navigue à vue. Et on peut dire à peu près n'importe quoi; on vient de l'entendre, tout à l'heure.

Le Président (M. Garon): Voulez-vous laisser la chance, un peu...

M. Castonguay (Charles): Oui.

Le Président (M. Garon): ...aux gens de vous poser des questions?

M. Castonguay (Charles): J'essaie de terminer. Du point de vue des comparaisons avant 1976, après 1976, il y a aussi des lacunes, il y a des choses absentes. On cache le fait que l'anglicisation a augmenté. Parmi les allophones nés au Québec, leur anglicisation et la part de l'anglais dans leur assimilation est passée de 68 %, en 1971, à 75 % 10 ans plus tard et est restée à 76 % au dernier recensement.

(15 h 50)

Pire, on cache... Ce n'est pas dans le bilan, ce n'est pas important. Les allophones nés au Québec, ce n'est pas important. Je ne comprends pas. On cache le fait que l'anglicisation des francophones, dans le West Island et dans le West Québec, c'est-à-dire la partie ouest de la région de l'Outaouais, semble être restée aussi élevée en 1991 qu'en 1971. Voilà des comparaisons, n'est-ce pas, qui chevauchent l'année sainte 1976, qui ne sont pas faites et qui concernent, tout de même, ces francophones du West Island et du West Québec.

On cache le fait que l'école française pour tous est à peu près l'unique disposition de la loi 101 à avoir fait augmenter de façon sensible l'assimilation des allophones au français. Ça, je l'ai démontré dans ce livre que j'ai rendu public, avec M. Laporte, en 1994, et qui ne se trouve même pas dans la bibliographie du bilan. Ça s'intitule «L'assimilation linguistique: mesure et évolution 1971-1986». Peut-être que ça ramasse la poussière, ici, en bas de la côte, au Conseil de la langue française.

On ne nous dit rien de l'anglicisation de plus d'un quart de million de francophones à l'extérieur du Québec, ni du fait que cette anglicisation s'accélère. On ne dit pas que le poids des francophones au Canada est passé de 29 %, en 1951, à 24 %, en 1991, et que la diminution, la baisse est de plus en plus rapide. Comme si ça ne nous concernait pas, comme si tout cela n'avait aucune incidence sur la position du français au Canada ou au Québec.

Au lieu de faire ces constatations concernant les deux indicateurs qui sont peut-être les plus importants de la situation linguistique: l'assimilation linguistique, d'une part, la langue de travail, de l'autre, on nous lance à la poursuite d'un faux-fuyant. Pour renforcer l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on parle de l'indicateur du français «langue d'usage publique», sans contexte ou tous les contextes confondus: langue de travail, langue du supermarché, métro, dépanneur, cinéma, etc. Ça mange quoi en hiver?

C'en est devenu une véritable maladie que j'appelle l'«indicativite» de l'appareil gouvernemental. Cette maladie est en soi un symptôme, est en soi une indication de désarroi, de manque de vision et de manque de perspective, qui trahit à quel point, derrière son verbiage creux, la politique linguistique du Québec est à la dérive.

Compte tenu de l'usage qu'on a fait des indicateurs sur la langue d'assimilation, la langue de travail, on frémit devant la proposition qui est dans le document de consultation. J'ouvre les guillemets: «Le gouvernement veut se doter d'indicateurs qui lui permettront d'évaluer de très près l'impact des mesures de politique linguistique qui seront adoptées après consultation. Il se propose par ce moyen d'adapter rapidement la politique linguistique à l'évolution de la situation de la langue française.» On n'a plus de politique, là; on a des indicateurs. C'est un peu comme gouverner à partir des sondages. C'est littéralement gouverner à partir d'enquêtes et de sondages dont les résultats sont difficilement compatibles, difficilement comparables, sujets à des grosses marges d'erreur, en général, ainsi de suite. On nous promet donc une politique à configuration variable, à la merci des manipulations d'indices et des manipulateurs d'indices. La navigation à vue avec, à la barre, des naufrageurs.

J'en ai parlé assez longuement, je crois, M. le Président, dans mon mémoire. À la page 12, il y a peut-être une pensée qu'il vaudrait la peine de dire très haut: L'insistance avec laquelle on agite cette trouvaille de fin de siècle – cet indicateur de français langue d'usage publique – ça me rappelle étrangement l'enthousiasme que met l'appareil gouvernemental canadien à vanter la diffusion de la connaissance du français comme langue seconde au Canada, «coast to coast», au moyen des fabuleux cours d'immersion pour anglophones et autres, démarche qui sert à dissimuler l'échec retentissant du même gouvernement à freiner l'assimilation, si jamais c'était son objectif, et même peut-être la disparition des francophones, langue première, à l'extérieur du Québec. C'est les francophones, langue première, qui sont les plus grands utilisateurs du français langue d'usage publique. Regardez cela baisser au Québec, dans la grande région de Montréal, sur l'île de Montréal, vous allez voir baisser également l'utilisation du français en public dans ces territoires.

C'est pour ça que je m'élève avec tant de verdeur, peut-être, devant des fausses affirmations dans le genre: Le poids du français continue à augmenter; les francophones continuent à augmenter au Québec. Pas plus tard qu'au mois d'octobre, Jacques Henripin et Jack Jedwab, signaient un article dans La Presse qui affirmait que le français continuait – le poids des francophones langue maternelle, langue première – à augmenter à Québec et dans la région de Montréal, quoique un peu plus lentement qu'avant. Mais ce sont des contrevérités, pour être poli.

Et ce n'est certainement pas devant une commission parlementaire, probablement, qu'on peut vraiment avoir un débat, n'est-ce pas, là-dessus; c'est dans des colloques, etc., dans des commissions d'enquête, ainsi de suite. On a notre petit tour de piste et on s'en va. Et j'ai déjà pris trop de temps. Alors, je m'excuse et je suis sûr que M. Laporte brûle, et d'autres aussi peut-être, de me poser quelques questions. Je regrette si j'ai trop parlé.

Le Président (M. Garon): Bien, ils ne pourront pas vous en poser...

M. Castonguay (Charles): J'en avais trop à dire.

Le Président (M. Garon): Ils vont pouvoir vous en poser chacun pour cinq minutes. Alors, M. le ministre.

M. Boisclair: Je voudrais vous remercier pour votre présentation. On avait eu l'occasion de lire les grandes lignes de votre mémoire dans un article qui a été récemment publié dans Le Devoir . Vous comprenez que, comme ministre responsable de l'Immigration, je suis particulièrement interpellé par les affirmations qui sont les vôtres. Essentiellement, je comprends de votre critique que la comparaison des cohortes 1976, des cohortes d'immigrants qui sont rentrées avant 1976 par rapport à celles qui sont rentrées après 1976, est un indicateur qui vient cacher des réalités que vous affirmez plus complexes et, entre autres, le fait que les transferts linguistiques sont freinés de l'ordre d'environ 70 %, en tout cas, depuis les 15 dernières années. Vous indiquez essentiellement aussi que la réalité des années quatre-vingt doit être évaluée et regardée de façon plus pointue. Je comprends que nous nous étions donné un certain nombre d'objectifs de faire une comparaison entre ce qui s'était passé avant 1976 et après 1976. Je comprends aussi que la réalité est plus complexe et qu'à cet égard il y a des affirmations qui sont importantes, que vous nous présentez et dont on doit tenir compte.

La question qui me vient à l'esprit à ce moment-ci est de deux ordres. D'abord, sur l'utilisation des cohortes. C'est un sujet qui est pointu, mais je pense qu'il faut prendre quelques instants pour aller au fond des choses. Je comprends bien que, au milieu des années soixante-dix, effectivement, dans un certain nombre de transferts linguistiques, les statistiques peuvent cacher le fait que de nombreux anglophones ont quitté le Québec au profit de l'immigration interprovinciale. Je comprends cependant aussi que, au même moment, les bassins dans lesquels nous sommes allés recruter les immigrants sont fort différents de ceux qui ont prévalu au milieu des années soixante-dix. Même encore il y a un effet de bassin qui est important et qui, je pense, nous permet de regarder les choses d'un autre oeil.

Les prétentions qui sont les nôtres, qui nous sont présentées... Peut-être pourriez-vous nous instruire sur ces questions. On nous indique que, plutôt que de suivre les différentes cohortes d'immigration, si on suit une cohorte dans le temps parmi les différents recensements, on note une progression de l'attraction du français. Je donne un seul chiffre qui, à mon avis, explique quand même un certain nombre de choses. On nous indique que, effectivement, les transferts linguistiques ne dépassent pas 71 %, en 1991, chez les cohortes d'immigrants allophones qui sont arrivées depuis 1976. Vous nous avez rappelé cette statistique tout à l'heure. Mais rappelons que, si on regarde ce seul chiffre, pour ceux qui sont arrivés avant 1976 et qui vivent toujours au Québec, les transferts linguistiques étaient de 29 %. Il faut quand même dégager, je pense, un certain nombre de tendances qui sont positives. On m'indique aussi que, si plutôt que de procéder de cette façon en regardant les cohortes d'immigration pour un même recensement, on suit une même cohorte à travers plusieurs recensements, on observe une amélioration de l'attraction relative du français au cours des années quatre-vingt parmi les cohortes relativement récentes, par cette autre méthode d'analyse que celles qui sont présentées.

Je ne voudrais pas entrer dans un débat statistique sur lequel nous pourrions longtemps nous étendre, mais j'ai deux questions sur lesquelles je voudrais vous entendre. La première: il est clair que, pour les gens qui se sont joints récemment à la société d'accueil, le transfert linguistique, un transfert complet, l'utilisation du français comme langue parlée à la maison peut être un processus long, peut être un processus complexe. Cependant, le fait que, par exemple, ces personnes sont, dans la vie de tous les jours, au travail, comme bien des études le confirment – sur le travail, on pourrait citer le vêtement et plusieurs autres – que les gens vivent, participent à la vie française, ça aura certainement un effet sur les descendants, par le fait que, déjà, dans les loisirs, au travail, dans la vie de tous les jours, ils utilisent le français, même si la langue parlée à la maison n'est pas le français. Est-ce que vous pouvez nous indiquer comment vous voyez ces transferts possibles pour les générations à venir? Première chose.

(16 heures)

Deuxième question. Vous questionnez les niveaux d'immigration de la fin des années quatre-vingt, mais vous n'êtes pas sans savoir que les immigrants qu'on sélectionne connaissent le français à près de 80 % chez les travailleurs indépendants. Et vous n'êtes pas sans savoir aussi que l'effet d'une diminution des niveaux d'immigration, c'est la diminution du poids des indépendants dans la composition de nos mouvements d'immigration. Donc, il y a un beau piège sur lequel, peut-être, vous pourriez nous instruire, alors que nous sommes à faire une planification au niveau de l'immigration pour les trois prochaines années.

Le Président (M. Garon): Mais ça devra être très bref, M. Castonguay, parce que le temps est déjà écoulé. Le ministre a...

M. Castonguay (Charles): Oui.

Le Président (M. Garon): Alors, je ne me ferai plus faire le coup, parce que je dois vous dire qu'à l'avenir...

M. Boisclair: Je m'excuse, parce que je n'ai pas... «J'ai-tu» pris cinq minutes? Oui?

Le Président (M. Garon): ...quand les gens vont prendre tout leur temps pour parler, il n'y aura pas de réponse. C'est la dernière fois, parce que ça fait deux fois que ça arrive.

M. Boisclair: Je m'excuse vraiment. Je ne voulais pas faire un exposé ici.

Le Président (M. Garon): Parce que les partis ont convenu de donner tant de temps.

M. Boisclair: Oui.

Le Président (M. Garon): Alors, si quelqu'un prend son cinq minutes en parlant, bien, il n'y a plus de partie pour les réponses.

M. Boisclair: Ce n'est pas... Je m'excuse.

Le Président (M. Garon): Non, mais je le dis parce que ça fait deux fois que ça arrive, une fois de chaque côté. Là, je ne pourrai plus parce que, autrement, on va finir à 18 h 30, 19 heures.

M. Castonguay (Charles): L'usage du français en public, au travail, au cinéma, au supermarché, c'est une chose. Les francophones hors Québec ont utilisé l'anglais au travail, au cinéma, au supermarché et ils l'utilisent encore. Pendant longtemps, ça n'a pas changé grand-chose, ils ne s'assimilaient pas. Ils avaient un sentiment d'identité. La notion d'identité canadienne-française, là, est pas mal amochée. Graduellement, ils se sont vus comme étant des genres de bilingues et, finalement, l'anglicisation s'ensuivit, mais ça a pris un certain temps. Leur loyauté, leur allégeance n'allait pas à la langue qu'ils parlaient obligatoirement comme langue de travail ou comme langue de transaction commerciale ou de transaction avec leurs gouvernements municipaux, scolaires ou provincial, etc.

Je pense qu'on gagne l'allégeance, on gagne le coeur. On parle le français par coeur, pour ainsi dire, au Québec, lorsqu'on commence à le parler à la maison. Ça, c'est un signe... Je vais utiliser l'anglais: c'est un «token» d'identification, de transformation de son identité qui est normal, qui serait normal dans une société d'accueil qui est fière d'être ce qu'elle est et qui a certaines attentes vis-à-vis des gens qui lui arrivent.

Ce qui peut se passer à Montréal est très, très délicat. Ça ne s'est jamais vu, n'est-ce pas, que le français, peut être, en l'an 2005 ou 2010... Il y en a qui pensent que ce n'est pas très important que le poids des francophones puisse continuer à baisser. Si on continue à parler français, la langue d'usage publique, bon, c'est l'euphorie, n'est-ce pas, on mousse ça et, bon, on survit. Certainement, les années passent, mais justement les années passent et on ne peut plus les rattraper. Et, si ce n'est pas suivi d'indications claires que le français continue à progresser et à gagner de plus en plus de coeurs sur le plan de la langue d'identification au foyer, je crois que c'est très grave.

Et je veux juste vous mentionner, M. le ministre, que, quand vous comparez les données d'un recensement à un autre, il faudrait faire très attention. Moi, je n'ai pas constaté ce que vous avez mentionné en ce qui concerne une progression continue de la part du français dans l'assimilation des allophones. C'est une question technique, il ne faut pas en discuter ici. Leur questionnaire de 1991 a beaucoup changé la façon de répondre des gens. Et, compte tenu de ça, c'est extrêmement délicat d'utiliser ce recensement-là en comparaison avec, par exemple, le recensement de 1981 ou de 1986.

Pour ce qui est des niveaux d'immigration, bien, là, les niveaux d'immigration du Québec actuellement sont fort élevés, je crois, proportionnellement à la population d'accueil quand on se compare avec d'autres pays. Quel est le niveau d'immigration idéal? Probablement pas le 50 000 qu'on maintenait sous prétexte de conserver le poids du Québec au Canada. Quelle fumisterie, avec 50 000 immigrants par année! Doublez-moi ça, vite! Dans la situation actuelle, impossible!

Les démographes, là-dessus, sont tous très clairs et formels: le poids du Québec dans l'ensemble canadien est à la baisse et continuera à baisser jusqu'à nouvel ordre. Jusqu'à nouvel ordre, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'économie de Montréal éclose et porte des fruits incroyables, etc., et qu'on puisse les accueillir, et qu'il y ait des emplois pour ces gens, qu'on puisse les loger, etc. Et, jusqu'à nouvel ordre, l'action se passe un peu plus à l'ouest et le Canada devient de plus en plus déséquilibré de ce point de vue. Je vous ai entendu faire un discours, il n'y a pas très longtemps, où vous sortiez la vieille rengaine que les libéraux utilisaient pour justifier les niveaux d'immigration des années 1989, 1990, 1991, 1992, 1993. Je n'en suis pas encore revenu.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui, M. le Président. La difficulté que nous éprouvons à discuter avec vous, professeur Castonguay, c'est qu'on serait beaucoup plus à l'aise de le faire dans une salle de cours ou dans un colloque que dans une enceinte comme celle-ci où les règles du jeu nous contraignent. Mais je m'en tiendrai à vous poser deux questions. La première, c'est que j'ai ici des données devant moi, mais, là, je ne voudrais pas qu'on tombe dans la technique que vous venez presque d'invoquer au sujet des comparaisons de recensements, là. Mais j'ai des données sur l'évolution de la population du Québec par langue d'usage, donc langue d'usage à la maison, entre 1971 et 1991.

Ce que vous dites dans votre rapport sur la langue maternelle, oui, ça va; vous mentionnez, vous montrez qu'il y a une petite baisse. D'ailleurs, cette petite baisse-là, elle est à peu près partout, dans tous les pays occidentaux; au Canada, les anglophones baissent aussi. Donc, c'est vraiment une baisse dans la langue maternelle à l'avantage des allophones. Donc, on voit vraiment comment l'enjeu, ce sont les orientations linguistiques des allophones.

Mais, en ce qui concerne la langue au foyer, les données que j'ai devant moi m'indiquent que le français, depuis 1971, progresse. Il est passé de 80,8 % à 83 %. Donc, lorsque vous parliez tantôt de M. Ryan, mon ancien ministre, et de mon silence face à ses propos, je pense que c'était ce dont il s'agissait dans le contexte, là. Donc, j'ai une statistique qui me dit: Voici, pour ce qui est du poids du français comme langue d'usage, là, ce poids du français s'est accru. Donc, dans ce sens-là, je pense qu'on peut être un petit peu... je ne dirais pas rassuré parce qu'il ne faut jamais l'être; il faut toujours être vigilant. Mais il y a un indice, ici, de l'élan... Il y a un élan, et j'aimerais vous entendre commenter ce premier indice.

Ma deuxième question, mais, là, vraiment, si on était dans un colloque, on serait beaucoup plus confortables... Et, vous le savez, j'ai toujours eu des réserves tenaces sur le modèle que vous utilisez de la dynamique d'interchanges linguistiques qui accorde une telle place au poids démographique des personnes, de langue maternelle dans ce cas-ci, comparativement à d'autres facteurs que les sociolinguistes ont mis en évidence, par exemple le facteur prestige social du groupe et de la langue.

Au Québec, au cours des 40 dernières années – ce n'est pas une question entre 1976, puis avant, là; le prestige, ça ne change pas dans des décennies – le prestige des francophones, du groupe dont cette langue est soit la langue maternelle ou la langue d'usage, ce prestige s'est grandement accru. Les études de prestige le montrent. Donc, ce prestige devrait avoir un effet sur la puissance d'attraction du français. C'est pour ça que j'ai mentionné, dans le cas de Mme Legault... Et je m'excuse, mais, moi, quand on me dit: Mais c'est seulement dans certains réseaux, j'aimerais avoir les preuves, parce que j'en connais, des réseaux qui étaient traditionnellement contrôlés par des anglophones et qui sont maintenant complètement contrôlés par des francophones.

Je dis: Le modèle que vous utilisez – mais, là, il faudrait être dans un colloque – moi, j'ai beaucoup de réserves sur ce modèle-là, puis je voudrais vous entendre réagir sur ce que, nous, les sociologues ou les sociolinguistes, on a identifié comme le rôle stratégique des changements de rapports de prestige sur la pérennité des langues, sur les rapports de dynamique de langues. Et ça, vous n'en faites jamais mention. Donc, mes deux questions, vous les avez comprises; j'attends vos réponses.

(16 h 10)

M. Castonguay (Charles): Je pense que vous étiez directeur de la recherche à la commission Gendron?

M. Laporte: Bien sûr, oui.

M. Castonguay (Charles): Et c'est étrange, le discours, à cette époque, était le suivant: Il faut faire du français la langue de la piastre, la langue qu'il est payant d'apprendre, la langue de travail. Vraiment, l'élan était là-dessus. Qu'est-ce qui est arrivé? C'est rendu une langue prestigieuse comme le latin, qu'on va marmonner à l'église jusqu'à ce qu'on décide de faire un aggiornamento parce qu'on n'en a plus besoin.

M. Laporte: Je ne vous comprends pas.

M. Castonguay (Charles): S'il vous plaît, je veux prendre le temps pour répondre que vous avez pris pour poser vos questions. Le prestige, ça, c'est du naufrageage; ça, c'est de la déviation. Vous êtes un artiste, M. Laporte. Je vous ai regardé aller, effectivement, depuis au moins 20 ans, dans des colloques, en dehors des colloques, en tête-à-tête même, et, c'est formidable, vous avez l'art de faire dévier la discussion sur des sujets qui ne sont pas pertinents. Le prestige se mesure en termes d'adhésion, à mon avis. «I wanna count my chickens when they're hatched.» O.K.? Alors, lorsque le français fera sentir son prestige au niveau de langue d'assimilation, on n'en parlera plus, et je vais faire autre chose, je vous le promets.

L'anglais dans les autres pays du monde, M. Laporte, l'anglais au Canada anglais se porte parfaitement bien. Vous avez dit qu'à cause de l'immigration massive, etc., à Montréal, à Toronto, ailleurs, c'est partout pareil. C'est faux. L'anglais a maintenu parfaitement son pourcentage, peut-être pas selon la langue maternelle, mais selon la langue d'usage à la maison. Oui, magnifique instrument d'assimilation.

M. Ryan, lors de cette conférence de presse, je le cite, disait que le poids du français au Québec – des francophones de langue maternelle au Québec – continuait à augmenter. Je l'ai publié d'ailleurs cela, que le roi était bien nu avec à ses côtés le président du Conseil de la langue française, parce que, trois semaines avant, le recensement de 1991 avait montré le contraire: le poids du français langue maternelle avait baissé en 1991.

Ça, c'était il y a deux ans et demi. Beaucoup de choses que je dis ici, dans mon compte rendu, dans mes observations, je les ai publiées il y a deux ans et demi dans Recherches sociographiques . Je parlais de l'«indicativite» qui régnait au Conseil de la langue française, de l'abus de ces comparaisons avant 1976; il faut bien le situer. Et, après 1976, M. Laporte vient nous en donner une autre. Il nous parle de la langue d'usage à la maison en 1971. Au Québec, il paraît que c'était 80,8 %. Je ne veux pas le disputer, c'est les données de Statistique Canada. En 1991, il paraît que c'est 83 %. Je ne le dispute pas, il paraît que c'est les données de Statistique Canada.

Mais il y a des anglophones qui sont partis, il y en a 100 000 qui sont partis pendant la première moitié des années soixante-dix, avant l'élection du Parti québécois, avant la loi 101. Il y en a 130 000 qui sont sortis pendant la deuxième moitié des années soixante-dix; il y en a un autre 70 000 ou 80 000 qui sont sortis dans la première moitié des années quatre-vingt, et encore... Franchement, voilà un exemple, n'est-ce pas, d'une comparaison où on ne nous donne pas les informations nécessaires pour se faire une idée.

En plus de ça, vous faites une comparaison des résultats sur la langue d'usage au recensement de 1991 avec le nouveau questionnaire que Statistique Canada a fait entrer dans le décor. C'est le début d'une nouvelle série historique; il y a une rupture de comparabilité radicale à cause du nouveau format du questionnaire, de l'ordre des questions, de la formulation des questions. On ne peut pas faire de comparaison sur la langue d'usage, malheureusement, en 1991, par rapport aux recensements antérieurs. Je ne vois pas comment remédier au problème. Ça a été créé à Statistique Canada par leur volonté de jouer aux apprentis sorciers et d'améliorer, entre guillemets, les données statistiques. Alors, on est mal pris, là.

Alors, beaucoup de choses, à peu près tout ce que vous avez avancé ne tient pas l'eau. Et j'oserais dire que j'ai écrit à M. Pierre Georgeault, directeur de la recherche au Conseil de la langue française, aussi tôt qu'au mois d'août 1991 pour lui dire que, sur le nouveau questionnaire, attention, il faudrait que le Conseil de la langue française fasse son travail. Et ça, ça veut dire, premièrement et avant tout: Combien de francophones y a-t-il au Québec? C'est quoi, le pourcentage de francophones, d'anglophones et d'allophones? Langue maternelle ou langue d'usage à la maison, etc.?

Je lui ai écrit de nouveau au mois d'août 1992, pendant que j'étais en vacances, pour lui rappeler l'importance... Je voyais ça venir, là. On commençait à avoir des données, et de toute évidence elles n'étaient pas comparables. Je ne vois pas encore le résultat dans ce bilan. Il y a du travail qui devrait être fait, il y a des gens qui sont payés pour le faire. Et il y a un maudit problème, excusez-moi, là, au niveau de la recherche, au niveau de la constatation des faits, Mme Beaudoin. Vous ne les avez pas tous eus et vous en avez eu des tordus.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Castonguay, de votre contribution à la commission. Et, le temps étant non seulement écoulé, mais largement dépassé de part et d'autre, je vous remercie, M. Castonguay, et j'appelle le Congrès juif canadien, région du Québec, à venir à la table des témoins, en leur disant qu'il est 16 h 15, donc ils disposent d'une heure. Ça veut dire 20 minutes pour leur exposé, 20 minutes pour les ministériels et 20 minutes pour l'opposition.

Maintenant, je dois vous avertir immédiatement que, quand le 20 minutes sera terminé, les questions seront finies là, il n'y aura pas de réponse. Parce que, là, le truc est facile: on peut prendre tout le temps pour parler, puis on pose les questions à la fin de son allocution, alors que, en commission parlementaire, le temps alloué à un parti comprend les réponses. Autrement, on ne sera pas capables de gérer ça. Je comprends qu'aujourd'hui c'était une plus courte journée; demain, ça va être une journée qui va durer du matin jusqu'au soir. Alors, immédiatement, je pense qu'il faudrait poser les questions au début. Les parlementaires auront l'occasion de donner leur opinion éventuellement lors de l'étude des projets de loi.

Alors, je demande au représentant du Congrès de se présenter et de présenter les gens qui l'accompagnent, et je l'invite à faire son exposé.


Congrès juif canadien (CJC), région du Québec

Mme Meloul (Arielle): Merci. Permettez-moi de me présenter. Mon nom est Arielle Meloul. Je suis secrétaire du Congrès juif canadien, région du Québec. À ma droite, j'ai Jack Jedwab, directeur général du Congrès juif canadien, région du Québec, et, à ma gauche, M. Marc Anderson, associé aux Relations communautaires du Congrès juif canadien, région du Québec.

Mmes et MM. les commissaires, permettez-nous, tout d'abord, de vous remercier d'avoir choisi de nous entendre aujourd'hui sur la proposition de politique linguistique soumise à la consultation par le gouvernement du Québec. Comme vous le savez certainement, le Congrès juif a toujours appuyé les objectifs de préservation et de promotion de la langue française. Cet appui s'est d'ailleurs clairement manifesté à maintes reprises, tant dans nos activités que dans les mémoires qu'a soumis notre organisme au fil des années.

Toutefois, nous insistons aujourd'hui, comme toujours, sur le fait que toute mesure prise par le gouvernement du Québec en faveur du renforcement de la langue française doit absolument et sans exception être compatible avec les principes et l'esprit des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne. Il nous semble également nécessaire d'ajouter que la décision du gouvernement du Québec quant à la politique linguistique doit tenir compte des intérêts de l'ensemble des Québécois, quels que soient leurs origines ou leur héritage linguistique. En effet, la réalité linguistique n'affecte pas seulement les francophones, mais tous les Québécois. Les opinions et les perceptions de tous les groupes linguistiques doivent donc être prises en considération.

Par ailleurs, comme la plupart des Québécois, c'est avec grand plaisir que nous avons accueilli les résultats des plus récentes recherches sur la situation de la langue française au Québec. Ces recherches révélaient que le français avait fait des progrès majeurs sur tous les plans depuis 20 ans. Ainsi, il serait possible de se faire servir en français à Montréal dans 95 % à 100 % des cas et, au total, 94 % des Québécois connaissent maintenant le français. Ces progrès, comme l'affirment plusieurs commentateurs et analystes de la situation linguistique au Québec, auraient été impensables il y a seulement une trentaine d'années.

(16 h 20)

Malgré tout, le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec une proposition qui fait longuement état du «nouveau souffle» qu'il désire apporter à la politique linguistique québécoise. Pour ce faire, les auteurs du document de consultation articulent leurs recommandations autour de quelques principes, créant ainsi deux ordres d'arguments qu'il est nécessaire de distinguer pour les fins d'analyse. En effet, les principes qui fondent la proposition de politique linguistique révèlent les attentes croissantes de certains à l'égard de l'acquisition et de l'usage du français par la population, et trouvent parfois leur source dans une vision étroite de la société québécoise. Toutefois, les recommandations qui en découlent traduisent, à quelques exceptions près, une vision différente de la question.

La proposition de politique linguistique fait longuement état d'un nouvel objectif à l'égard du comportement linguistique des Québécois, qui est celui de faire du français la langue commune de la vie publique. Cette définition a récemment été précisée sans équivoque par la nouvelle présidente du Conseil de la langue française, qui déclarait, et je cite, que «la langue commune, c'est la langue [...] de communication utilisée dans tous les secteurs d'activité à l'extérieur de la maison».

Ainsi défini, l'objectif de faire du français la langue commune de la vie publique nous apparaît pour le moins problématique. En effet, en obligeant le législateur à définir les limites des sphères privées et publiques, cet objectif pourrait nous engager sur un terrain dangereux et devenir la source d'un long et houleux débat sur la question des droits et libertés des personnes.

Par ailleurs, il est aussi inquiétant de constater que, dans le cadre de la proposition de politique linguistique, on semble restreindre la signification des termes «Québécois» et «Québécoises» aux seuls francophones. Ainsi, par exemple, le document énonce, et je cite encore: «Les Québécoises et les Québécois d'aujourd'hui sont les héritiers de cet acharnement», c'est-à-dire à faire du français la langue officielle et la langue commune de tous les citoyens, oubliant qu'il existe un grand nombre de personnes tout aussi québécoises que les autres et pour qui la langue ne revêt pas une telle importance.

Cette vision étroite revient même lorsque le document tente de faire preuve d'ouverture: «Les Québécoises et les Québécois, à travers leur propre expérience, comprennent d'instinct et respectent l'intention des membres des autres groupes linguistiques de vouloir maintenir la connaissance de leur langue maternelle et en assurer la transmission à leurs enfants.» Notons que cette phrase n'a de sens que si les termes «Québécoises» et «Québécois» sont synonymes de «francophones». Il est regrettable que de telles distinctions animent les principes gouvernant la proposition gouvernementale.

Les éléments que nous avons cités en exemple, et de nombreux autres, se combinent et donnent aux principes que les auteurs prétendent être au fondement de la société québécoise un ton d'affrontement. Or, dans la mesure où le gouvernement désire atteindre un consensus linguistique, il nous semble qu'il existe certaines contradictions entre les propositions écrites et les actions qu'on entend mener. En fait, il nous semble plutôt que la plus grande menace à l'égard du consensus linguistique est la proposition de politique soumise à la consultation.

Au plan des recommandations, les mesures visant à maintenir et à accroître la population francophone à Montréal sont problématiques, car elles se fondent sur une perception bien particulière de la situation linguistique de Montréal. En effet, le seul fait d'isoler l'île de Montréal de la grande région métropolitaine pour des fins d'analyse sociolinguistique représente un choix méthodologique fort discutable. Déjà, au plan géographique, il ne fait aucun sens d'inclure la population de Dollard-des-Ormeaux, par exemple, parmi les Montréalais, tout en excluant la population de Longueuil. De plus, il ne fait aucun sens d'exclure de la même équation les centaines de milliers de personnes de l'extérieur de l'île de Montréal qui y transitent tous les jours afin d'accomplir leurs tâches professionnelles ou personnelles et qui contribuent ainsi à la vigueur de la langue française sur le territoire de Montréal.

On peut déplorer le fait que l'île de Montréal soit victime de l'étalement urbain, comme toutes les grandes métropoles d'Amérique du Nord. Il est également légitime de chercher des moyens afin de revitaliser la métropole. Toutefois, il ne faut pas confondre ce problème, qui est bien réel, avec une perception de la situation linguistique relevant de choix méthodologiques discutables et ainsi choisir des solutions qui auraient pour effet de stigmatiser les francophones, les rendant seuls responsables de la relance de Montréal.

En somme, à la lecture du document de consultation, nous croyons qu'il est légitime de s'interroger non seulement sur l'opportunité de rouvrir le débat linguistique, mais également sur la pertinence de la proposition de politique linguistique soumise à la population. En effet, le document traduit davantage un changement d'attitude à l'égard de la question linguistique plutôt que des modifications législatives et réglementaires en matière de langue.

Par ailleurs, le Congrès juif canadien, région du Québec est convaincu que ce changement d'attitude n'est pas nécessaire afin d'assurer le maintien et la progression de la langue française au Québec. En effet, nous vivions jusqu'à tout récemment dans un état d'équilibre linguistique et dans un climat d'accommodement acceptables pour la majorité des Québécoises et des Québécois. Il était entendu que tous devaient éventuellement apprendre le français et il était généralement reconnu qu'il est très difficile, voire impossible, de réussir au Québec sans une connaissance suffisante de la langue française.

La réouverture du dossier linguistique a cependant légitimé les interventions de ceux qui désirent exploiter les insécurités linguistiques des francophones à des fins contraires au consensus linguistique et à l'harmonie sociale. Rappelons que les insécurités linguistiques existent chez tous les groupes et que la préservation d'un climat social favorable à l'épanouissement des citoyens et de la collectivité requiert l'adhésion d'une vaste majorité aux projets qui sont mis de l'avant. En dernière analyse, il nous semble que la proposition de politique linguistique ne peut mener à un tel consensus. Je vous remercie.

Le Président (M. Garon): Merci, madame. M. le ministre.

M. Boisclair: Je voudrais vous remercier de votre présentation. Soulignons aussi que le gouvernement... Je pense que ma collègue pourrait elle-même en témoigner et vous dire jusqu'à quel point nous sommes heureux de l'entente récente avec l'Office de la langue française sur les produits kascher; peut-être est-il pertinent de le souligner à ce moment-ci.

Nous avons eu l'occasion de nous croiser dans d'autres instances, dans d'autres lieux, et d'échanger sur les questions qui nous préoccupent, particulièrement la question linguistique. Je m'étonnais – et je le dis bien honnêtement, pour connaître les positions du Congrès sur les questions de l'intégration, pour connaître aussi l'appui que vous avez donné à l'énoncé de politique sur les questions d'immigration et d'intégration publié par Mme Gagnon-Tremblay – de voir qu'aujourd'hui vous remettez en cause le fait que nous nous fassions les défenseurs, et ce, au-delà de toute considération partisane... Des deux côtés de cette table, nous allons nous entendre. Vous remettez en cause cet objectif de faire du français la langue commune de la vie publique. Je note là un virage sur lequel j'aimerais vous entendre, puisque cet objectif était bien précisé dans l'énoncé de politique.

(16 h 30)

Autre chose aussi, vous vous questionnez sur l'opportunité, à ce moment-ci, de faire un débat sur la question linguistique. Vous invoquez, entre autres, la situation économique. Je me permets de souligner que, pourtant, lorsque vous étiez venus en 1993, en commission parlementaire, M. Shacter, qui était à l'époque le porte-parole du Congrès, indiquait qu'il était tout à fait pertinent... Et je peux même le citer. M. Shacter disait qu'il était clair que le débat linguistique, de par sa nature intrinsèque, est susceptible de se poursuivre dans l'avenir alors que les conditions au sein du Québec évoluent. Le fait de réexaminer la situation linguistique dans le temps témoigne d'une saine démocratie et démontre l'intérêt et le respect du gouvernement envers la position de tous les citoyens. Alors, je voudrais aussi, en plus de vous entendre sur cet objectif de faire du français la langue commune, vous demander si vous êtes toujours d'accord avec cette position qui était défendue par M. Shacter, il y a pourtant de ça trois ans.

M. Jedwab (Jack): D'abord, permettez-moi de répondre aux deux questions. J'ai eu la chance de travailler non seulement avec certains d'entre vous du côté gouvernemental et du côté de l'opposition à l'époque de l'adoption de la politique sur l'immigration et l'intégration, mais j'ai eu la chance de travailler un peu avec Mme Gagnon-Tremblay et le cabinet qui était responsable de la formulation de la politique. Jamais, à ce que je sache ou à ce que j'ai compris à l'époque, ni nos collègues, l'objectif n'était de faire en sorte que le français soit la langue stricte commune de la vie publique et que les autres langues soient reléguées à l'usage privé, tel que semble être la distinction faite dans ce document.

C'est vrai qu'on a appuyé l'objectif de faire en sorte que l'ensemble de la population du Québec soit capable de parler et de communiquer en français. Nous restons toujours fermement en appui de cette proposition, mais on n'est pas entrés dans des distinctions – ce qu'on fait actuellement – quant à l'usage de la langue française exclusivement dans les sphères publiques alors que les autres langues sont reléguées à la vie privée. Justement, cette idée est irréaliste, vous serez certainement d'accord avec moi, et il y a un message extrêmement imprécis, dans le document actuel, qu'on a cité dans notre mémoire quant à cette notion qu'on semble avancer.

Actuellement, si vous me permettez, il semble y avoir deux écoles de pensée au Québec, au moins: l'école n° 1 qui dit que le progrès du français est important. Il y a du progrès, c'est clair, dans de nombreux domaines. Il y a encore du progrès, et certainement positif, c'est sûr, et il y a des moyens de le faire. Mais l'objectif de faire en sorte que le français soit de mur à mur la langue d'usage partout au Québec, incluant Montréal où il y a une réalité démolinguistique et sociologique pluraliste, est une attente qui a pour effet de mousser les insécurités de la population francophone et de créer des objectifs irréalistes, étant donné notre portrait démographique qui inclut des personnes autres que francophones.

M. Boisclair: Très rapidement, je ne voudrais pas rentrer dans un débat, parce qu'il y a bien des choses sur lesquelles nous pourrions convenir, mais je me permets, tout simplement, de citer au texte – et la ministre le faisait ce matin – l'Énoncé de politique. On y écrit: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur les principes suivants: faire du français la langue commune de la vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.»

M. Jedwab (Jack): D'accord avec vous. La capacité de communiquer, pour l'ensemble de la population du Québec quelle que soit son origine, en langue française est extrêmement importante. Nous encourageons fortement l'apprentissage du français chez les membres de notre communauté, chez les membres des autres communautés; je pense au travail qu'on a fait ensemble depuis une vingtaine d'années. Mais de créer un objectif parmi la population que la langue de la vie publique commune soit exclusivement le français, c'est irréaliste, et nous constatons que ça peut amener des situations très dangereuses en ce qui concerne la cohabitation linguistique.

Également, il faut l'admettre, nous considérons que c'est un atout d'apprendre et d'utiliser des langues autres que le français. Nous le savons fort bien; sur le plan individuel, nous considérons que le bilinguisme est un atout. Nous ne sommes pas seuls à cet égard. Je peux vous dire que, pendant que nous disons que c'est essentiel d'apprendre le français, l'Université de Montréal, vous l'avez probablement constaté chaque semaine dans La Presse , a sa petite publicité: «L'anglais, un must.» J'ai même mis le couple, le monsieur et la madame, parce que c'est deux différentes pages, parce que c'est considéré comme étant important de non seulement être équipé avec la langue française, mais également d'être capable de parler la langue anglaise, j'imagine. C'est l'Université de Montréal, pas moi, qui le fait, et elle dit même qu'avec ces cours-là on serait en mesure de faire affaire en anglais. Alors, c'est ce avec quoi il faut qu'on compose dans la société, une cohabitation linguistique entre les divers membres de la société.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Je remercie le Congrès juif canadien pour un mémoire qui, s'il contient des affirmations que je ne peux évidemment endosser, garde toujours un ton courtois et modéré.

Deux courtes questions pour peut-être un petit peu rattraper notre retard. Vous dites, à la première page de votre mémoire, et je cite: «...toute mesure prise par le gouvernement du Québec en faveur du renforcement de la langue française doit absolument et sans exception être compatible avec les principes et l'esprit des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne.» Entendez-vous par là – et, si oui, étayez-le précisément – que le projet de loi n° 40 contient des éléments contraires à l'esprit des chartes ou est-ce simplement une mise en garde générale que vous faites? Si oui, en quoi?

Et la deuxième question n'est pas vraiment une question comme un commentaire que je formule et auquel vous pourriez réagir. Est-ce qu'il n'y a pas une sorte de vice de raisonnement ou, à tout le moins, une apparence de contradiction dans le fait de dire qu'un gouvernement ne devrait pas agir en matière linguistique s'il n'existe pas un consensus, ce que vous faites à la page 13 de votre mémoire, et en même temps de dire, quelques pages plus tôt, que les mesures mises de l'avant sont, somme toute, très modérées et modestes dans leur portée?

Si elles sont, en effet, modérées et modestes, en quoi entraînent-elles le bouleversement ou la fragmentation de ce consensus, comme vous l'appelez? Je ne peux pas comprendre comment vous en appelez à la prudence et, en même temps, vous reconnaissez que les mesures proposées sont très modestes. Je soumets que vous confondez consensus et unanimisme et que, si un gouvernement ne devait agir que quand se trouvent réunies toutes les conditions que vous souhaitez, il se condamne à l'immobilisme.

M. Anderson (Marc): D'abord, au niveau de la mise en garde que vous retrouvez en première page, oui, c'est une mise en garde générale, mais qui touche aussi de façon spécifique la partie des principes du document de consultation qui a été émis par le gouvernement pour la consultation actuelle. Ensuite, sur la nécessité d'un consensus, ce ne sont pas nos mots; ce sont les mots qui sont inscrits, encore une fois, dans le document «Le français, langue commune», et, si on y fait référence, c'est spécifiquement dans ce contexte-là.

M. Facal: Fort bien. Je comprends ce que vous dites à propos de l'Énoncé, mais, dans le texte du projet de loi n° 40 qui, lui, propose un certain nombre de mesures spécifiques...

M. Anderson (Marc): Oui, en fait, si vous lisez...

M. Facal: ...qu'y a-t-il là qui vous heurte?

M. Anderson (Marc): Oui. Je m'excuse. Si vous lisez plus loin dans notre mémoire, vous allez constater que, dans la section des recommandations, en effet, nous disons que les recommandations sont «relativement modérées». Par contre, ce sur quoi nous voulons faire porter l'attention, c'est sur la vision étroite qui anime parfois les principes qu'on dit être au fondement de la société québécoise. C'est là-dessus qu'on a un problème – on en a parlé tantôt – sur la question de restreindre la définition de «Québécoise» et de «Québécois» au fait d'être francophone, entre autres.

M. Boisclair: À quelle place c'est écrit dans l'Énoncé de politique?

M. Jedwab (Jack): Ainsi, je pense que c'est important, comme on l'a dit tantôt, la notion de ce qui est public et de ce qui est privé, et de ce qui constitue la langue d'usage de la vie publique. Est-ce que ceci veut dire que, dans un hôpital, je ne serai pas capable de parler anglais avec un de mes collègues ou yiddish, si je le veux, entre nous, parce que c'est dans un endroit public ou dans un restaurant? C'est extrêmement...

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Jedwab (Jack): Mais, excusez-moi, avec grand respect. Oui, c'est facile, mais c'est extrêmement imprécis dans le document.

M. Boisclair: Franchement! Franchement!

M. Jedwab (Jack): C'est imprécis, parce que l'idée fait en sorte qu'on tente de donner l'impression que, dans le domaine public, quelle que soit son origine, on doit parler le français. C'est l'impression qu'on donne. C'est clair. Vous pouvez rigoler si vous voulez...

Une voix: Ah!

Une voix: Il charrie.

(16 h 40)

M. Jedwab (Jack): ...mais c'est une préoccupation légitime de la part de nombreux Québécois qui ne sont pas de votre avis sur l'approche quant à la question linguistique. Que vous le vouliez ou non, c'est l'impression. Si vous êtes prêts à dire clairement ce qui est, pour vous, la vie publique commune, ce que ceci veut dire, on serait en mesure de clarifier ça. Mais c'est extrêmement important et ça peut porter sur les droits de la personne. C'est clair qu'il peut y avoir des situations où ça touche les droits de la personne.

Mme Meloul (Arielle): Je pense que ce que Jack veut dire, finalement, c'est que, quand il y a de l'ambiguïté, il y a toujours un potentiel d'être mal interprété ou de ne pas savoir comment ça va être interprété. Donc, comme vous le savez, le Congrès juif canadien se soucie énormément – d'ailleurs, c'est son mandat principal – de protéger les droits de la personne. Donc, je pense qu'il n'y a pas d'accusation ici. Ce qu'il veut dire, c'est que, dans l'ambiguïté, il y a toujours un potentiel d'être mal interprété. Et, tant que vous ne pourrez pas nous définir ce que vous voulez dire, on se doit de le souligner et de montrer qu'il y a de l'ambiguïté potentielle.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Pour revenir sur cette question-là, est-ce que vous voulez me dire sérieusement que vous êtes inquiets pour le réseau des écoles anglophones, pour le réseau des institutions hospitalières, enfin, etc.? C'est ça, là? Vous dites que, dans un endroit public, dans une rue – par exemple, on est sur la rue Sainte-Catherine au coin de Peel – si, là, vous ne pouvez pas parler une autre langue... C'est ça que ça vous donne comme sentiment en lisant cet Énoncé de politique et puis le projet de loi? Puisque vous avez donné cet exemple-là, dans un...

M. Jedwab (Jack): Oui, puis c'est extrêmement difficile à dire. Excusez-moi de donner un exemple extrême. Mais, quand il y a de l'imprécision, ça mène à toutes sortes de notions. Est-ce que, pour vous, Mme Beaudoin, un corridor d'une école francophone est une place publique ou un endroit privé?

Mme Beaudoin: Écoutez, très franchement...

M. Jedwab (Jack): Non, mais répondez à la question. Si vous dites: Oui, c'est un endroit privé, alors c'est rassurant.

Mme Beaudoin: Non, mais...

M. Jedwab (Jack): Je considérerais ça rassurant pour beaucoup de personnes, parce qu'il y avait un débat là-dessus, vous vous en souvenez fort bien, ça fait trois, quatre ans, à la Commission des écoles catholiques de Montréal où certaines personnes ont dit: À l'intérieur de l'école, c'est un endroit public et tout le monde doit parler le français, même à l'extérieur des salles de cours.

Mme Beaudoin: En tout cas, je dois dire que ce que j'entends surtout au Protestant School Board of Greater Montréal, c'est l'inverse de la part des comités de parents du secteur francophone, hein, honnêtement! Mais je voudrais juste citer une...

M. Jedwab (Jack): Mais, Mme Beaudoin, est-ce que vous êtes prête à répondre à la question?

Mme Beaudoin: Oui, oui. On peut parler, dans un endroit public, la langue que l'on veut avec une autre personne. C'est pour ça que je veux vous donner une définition qui origine... Alors, à ce moment-là, l'ancien directeur de la recherche de la commission Gendron ne pourra pas me contredire, puisque c'est la première recommandation de la commission Gendron. Le ministre, tout à l'heure, vous a cité la ministre Gagnon-Tremblay, n'est-ce pas, et vous aviez accepté, à l'époque, d'après ce que je comprends dans l'Énoncé de politique du ministère de l'Immigration, une définition. Le ministre actuel, donc, a cité Mme Gagnon-Tremblay, et, moi, je vais y retourner.

C'est parce que ce n'est pas nouveau, là. Vous arrivez tout d'un coup à contester cette notion-là, et elle est inscrite depuis plus de 20 ans dans toutes les études québécoises, dans les documents officiels des gouvernements qui se sont succédé. Je vous lis donc cette première recommandation de la commission Gendron dont le député d'Outremont était le directeur de la recherche: «faire du français la langue commune des Québécois, c'est-à-dire une langue qui, étant connue de tous, puisse servir d'instrument de communication dans les situations de contact entre Québécois francophones et non francophones». Voilà!

M. Jedwab (Jack): Encore, on n'a pas circonscrit les instances dans lesquelles ça peut avoir lieu, comme vous n'avez pas répondu à la question que j'ai posée tantôt et qui était importante.

Mme Beaudoin: Écoutez, c'est écrit à la page 35 aussi.

M. Jedwab (Jack): Mais on n'a jamais...

Mme Beaudoin: Écoutez, je ne sais plus sur quel ton vous le dire.

M. Jedwab (Jack): ...dans les délibérations auxquelles j'ai participé, créé une impression que la vie publique incluait, par exemple, tel que la récemment nommée présidente du Conseil de la langue française l'a défini dans le dernier numéro du Bulletin du Conseil de la langue française , tout ce qui est à l'extérieur de la maison. Tout ce qui est à l'extérieur de la maison, pour elle, constitue la vie publique, et c'est là qu'il faut utiliser le français, quelle que soit l'origine linguistique d'une personne donnée.

Vous ne pouvez pas être d'accord avec ça, si je comprends bien. Alors, on s'attend à ce que vous exprimiez votre désaccord là-dessus pour clarifier les ambiguïtés créées par de tels propos. Je crois que c'est extrêmement important pour l'ensemble des Québécois, parce que, sinon, des attentes vont exister, qui sont irréalistes, qui vont mener à des conflits entre Québécois d'origines diverses.

Le Président (M. Garon): Alors, je passe à l'opposition officielle. Mme la députée.

Mme Frulla: J'ai une remarque, M. le Président, et peut-être aussi une question. D'abord, bienvenue et merci de votre présentation. On revient souvent à la définition de «langue commune» et on a spécifié, ce matin, que, des fois, essayer de définir, dans la meilleure volonté, peut aussi restreindre. Quand on revient à la définition – par exemple, on dit la définition qu'en donnait Mme Monique Gagnon-Tremblay – bien, comme on est responsable d'un secteur, mais qu'on fait toujours partie d'un tout, Mme Tremblay faisait partie aussi d'un gouvernement qui avait sa définition qui intégrait une certaine idéologie. Et, quand on essaie de définir, on peut donner une connotation. Je pense que, en ce sens-là, il serait peut-être – et corrigez-moi si j'ai tort, j'aimerais vous entendre là-dessus – prudent soit de spécifier ou encore de laisser une définition, dans un correctif, peut-être un peu plus large.

Je reviens à un autre exemple que nous avions. Quand on a fait la politique culturelle, on essayait de définir «culture» et, à un moment donné, on s'est dit: Soit qu'on restreint ou soit que ça devient tellement large qu'on va, tout simplement, patauger dans tout ça. Alors, j'imagine que ça ne nous servirait à rien, finalement, parce que notre définition ne pourrait jamais décrire ce qui se passe réellement. Et j'ai l'impression que, dans les discussions de ce matin et la discussion que vous nous apportez cet après-midi, toute cette notion de «langue commune» a été interprétée selon les différents groupes et peut être interprétée aussi à tort par rapport aux volontés exprimées dans les politiques.

Alors, est-ce qu'il faudrait – c'est ma question – laisser la définition ou encore la spécifier, ou la préciser davantage pour que l'ensemble des groupes qui forment le Québec soit à l'aise?

M. Jedwab (Jack): Non, mais je crois que c'est extrêmement important de le préciser quelque part, parce que, avec les débats récents qu'on a vus dans les services sociaux, la santé et les hôpitaux, les gens se posent des questions quant à ces notions de ce qui constitue la vie publique. Quelle est la place, dans la vie publique, des langues autres que le français? Il y a une place pour les langues autres que le français dans la vie publique, c'est clair. S'il n'y en a pas, il faut le dire hautement. Là, on va tout mettre sur la table. Alors, c'est extrêmement important de clarifier ça pour l'ensemble de la population du Québec et de ne pas créer des attentes, parce que, actuellement, j'ai l'impression qu'on tente dans la politique de créer des attentes, de donner l'impression que l'objectif, c'est le français mur à mur et pas seulement le progrès du français. Si c'est le cas, ça mène vers des conflits intergroupes très, très sérieux.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Merci aux représentants du Congrès juif canadien pour leur présentation. Vous avez basé la plupart de votre mémoire sur le bilan. Mais, plus précisément sur le projet de loi n° 40, avez-vous des recommandations à formuler sur la recréation de la Commission de protection de la langue française?

(16 h 50)

M. Jedwab (Jack): Je peux vous dire que, malgré la citation de M. Shacter, qui a été faite tantôt, que c'est sain dans une démocratie de faire des débats régulièrement – je ne sais pas l'interprétation qui a été donnée aux propos de M. Shacter, le contexte était important – notre préférence serait de ne pas être là aujourd'hui, de ne pas avoir ce débat et de rester avec la situation telle qu'elle était avant l'ouverture du débat, encore une fois, dans le contexte postréférendaire. Ceci veut dire, pour nous, que toute mesure qui cherche à renforcer de façon trop sévère les mesures pour présumément protéger la langue française peut amener un certain déséquilibre dans l'harmonie interlinguistique.

Permettez-moi de vous donner un exemple à côté de la question pour un instant. Tout ça semble tourner autour de la question de l'affichage commercial, notamment à Montréal. Justement, la loi 86, qui offrait la possibilité d'afficher dans des langues autres que le français dans une taille un peu moins grande que le français, a été perçue largement comme une mesure modérée. On n'a jamais donné un rationnel, une justification pour l'affichage unilingue commercial quant à un instrument d'intégration de la population allophone qui semble, pour ma part, être la population cible dans les propos et dans les analyses qui ont été fournies sur cette question.

Je ne vois pas, on n'a pas vu depuis une vingtaine d'années une étude qui a démontré que l'affichage commercial unilingue francophone avait un impact important sur les allophones quant à leur apprentissage du français. Jamais, parmi les milliers d'études qu'on a faites sur la question linguistique au Québec, on n'a prouvé que, si apparaissent des langues autres que le français sur les affiches commerciales, ça constituait une menace pour la langue française. Alors, on était, à ce point, je crois, dans une période de stabilité qu'on tente de déséquilibrer.

Il y a un petit sondage. Comme les gens aiment utiliser des chiffres démographiques, les sondages, etc. – tout le monde semble être équipé avec son propre sondage – j'ai récemment vu un petit sondage qui indiquait que l'affichage bilingue va encourager les immigrants à moins apprendre le français. Francophones: 60 % croient que c'est le cas. Anglophones: 7 % croient que c'est le cas. Allophones, la population cible: 21 % croient que l'affichage bilingue va encourager les immigrants à moins apprendre le français. Ceci veut dire que presque 80 % croient que l'affichage unilingue commercial n'a quasiment aucun impact sur leur apprentissage du français. Ce n'est pas un sondage que j'ai fait. Justement, ce sondage a été fait par mes collègues de la Société Saint-Jean-Baptiste que vous allez entendre très bientôt.

C'est important, le fardeau de la preuve quant à l'importance de l'affichage commercial pas comme instrument afin de préserver le visage linguistique intègre du français – parce que ce rationnel serait de la xénophobie – mais afin de prouver que ceci a un impact sur la protection de la langue française et quant à l'apprentissage du français par les allophones. Vous pouvez rire, mais les gens ont des opinions là-dessus, et la preuve n'a jamais été faite, ni par le gouvernement actuel ni par le gouvernement antérieur, quant à l'impact de cette mesure qu'on pense sérieusement à remettre en place. Certains organismes proposent de revenir là-dessus, tandis que, pour ma part, je crois que l'objectif ou l'impact majeur de l'affichage commercial unilingue français, c'est d'embarrasser le Québec à l'extérieur de la province et à travers le monde. Alors, j'espère que le gouvernement ne va pas revenir à cette formule qui va créer une tension intergroupes très, très majeure, plus que ce qui existe à l'heure actuelle.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Oui. Juste une deuxième question. À la page 11 de votre mémoire, vous avez mentionné l'étalement urbain et le fait de prendre juste l'île de Montréal. On a eu beaucoup de chiffres et de statistiques aujourd'hui, mais c'est quoi, l'état de santé du français dans la région de Montréal dans son ensemble au lieu d'isoler l'île de Montréal uniquement?

M. Jedwab (Jack): Comme on l'a vu, ça dépend de quelle façon on mesure ça. Évidemment, quant à la question des transferts linguistiques, ça peut vous étonner, même si je ne suis pas d'accord avec ce que je considère les petites fantaisies de M. Castonguay, je suis un peu d'accord parfois avec le fait que c'est très difficile de faire des comparaisons entre différents recensements quant aux données qui sont fournies. Mais une chose est claire: les transferts linguistiques, en majorité, pour les immigrants qui sont arrivés depuis 1976, sont fortement favorables à la langue française. Je pense que c'est une donnée positive.

Justement, pour ne pas se limiter à Statistique Canada, j'ai amené avec moi une étude, qui a été fournie par un collègue du Conseil scolaire de l'île de Montréal, qui vient d'être produite, en juin 1996, concernant les élèves qui ont commencé l'école en septembre 1994 sur la question des transferts linguistiques dans les écoles francophones. Dans la Commission des écoles catholiques de Montréal, écoles du secteur francophone, les allophones, c'est-à-dire les gens issus de langues autres que français, anglais, à 93 %, ceux qui ont effectué des transferts ont choisi le français. Je pense que c'est un chiffre important. Ce n'est pas Statistique Canada; c'est le Conseil scolaire de l'île de Montréal.

J'ai d'autres chiffres semblables pour les autres commissions scolaires sur l'île de Montréal, sur le territoire. Il y a menace de minorisation supposée du français sur l'île, si on se concentre sur l'île. Comme on a dit, on s'objecte à cette formulation. Si on ajoute Longueuil à l'île – ce qui, je pense, peut arriver un jour; on ne sait jamais avec la commission Pichette, peut-être qu'un jour M. Pichette va dire: Ajoutez Longueuil à l'île de Montréal – vous allez totalement changer le portrait sur l'île de Montréal. Ou on peut enlever certaines parties du West Island de l'île; on va avoir des chiffres totalement différents. Si on veut étudier ça d'une façon morcelée, certainement, les francophones dans le West Island vont dire qu'ils sont en minorité dans le West Island. Ce n'est pas étonnant, étant donné la réalité du West Island. Mais il faut regarder le portrait dans son ensemble.

C'est clair que le français progresse, selon les chiffres que je viens de vous fournir. Je suis prêt à les distribuer à l'ensemble des commissaires. C'est clair qu'il y a des gains majeurs pour le français, et c'est important de ne pas, à ce moment-là, déstabiliser la situation, parce qu'il y a des extrémistes qui veulent mousser, comme on a dit tantôt, les insécurités de la population pour des fins qui sont difficiles à identifier.

Le Président (M. Garon): C'est tout? Alors, je vous... M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui, monsieur... D'abord, merci pour cette excellente présentation. Je le répète: Je pense que c'est un signe de courage de votre part, Me Arielle Meloul, de vous interroger publiquement comme ça sur des notions fondamentales qui gèrent le texte. Je pense que c'est courageux de le faire. Et je pense que c'est dans l'intérêt du Québec et de la politique linguistique, comme je le mentionnais ce matin, que ces notions-là soient «désambiguïsées».

Évidemment, hier, en venant ici, à Québec, je lisais dans un livre en anglais – je m'excuse – un article de Josh Fishman, qui est un grand sociologue, un grand sociolinguiste américain. Je vous dis que, lui, il fait une comparaison entre la promotion de l'hébreu moderne, du français au Québec et du catalan, puis son évaluation, c'est pas mal plus positif que celles de Mme Legault et de M. Castonguay! Évidemment, M. Fishman n'utilise pas des notions de «transfert» pour signifier l'assimilation. Ce qui l'intéresse, c'est un phénomène beaucoup plus dur que ça; c'est ce qu'il appelle la transmission intergénérationnelle des langues.

Et, sur cette question de la transmission de la langue au Québec, nous n'avons – vous serez d'accord avec moi, monsieur, je l'espère; je vous pose la question – aucune indication de quelque situation d'érosion, d'inondation et de tout ce que vous voudrez. Donc, il faut manipuler ces concepts... M. Castonguay nous dit: «Transfert», ça veut dire assimilation, anglicisation. Dans certains cas, c'est des formes de bilinguisme qui n'entraînent pas nécessairement des phénomènes d'assimilation. Il faut être rigoureux dans l'usage qu'on fait des concepts et des notions.

Et, je reviens là-dessus, je trouve que c'est très utile que vous nous rappeliez à ce devoir dans le mémoire que vous nous avez soumis. Mais j'aimerais néanmoins, si vous avez encore un peu de temps, vous entendre sur cette question des conditions de la vitalité du français à Montréal qui vous rendent, disons, plus optimistes que ce qu'on a entendu jusqu'à maintenant.

M. Jedwab (Jack): Dans de nombreux domaines, dans le secteur du travail, il y a des progrès importants. De plus en plus, quand on compare avec la situation depuis une vingtaine d'années, les anglophones utilisent le français en ce qui concerne le domaine du travail. Les allophones, à un pourcentage très, très élevé maintenant, connaissent le français et parlent le français de plus en plus. C'est des progrès. À un moment donné, il faut qu'on se demande ce qu'on veut de plus. Il faut être très, très clair. Qu'est-ce qu'on veut que les anglophones et les allophones fassent d'autre qu'apprendre et parler le français? On veut justement, j'imagine, qu'ils s'assimilent totalement dans un temps très rapide. J'ai l'impression que c'est le désir de certains, qui est irréaliste. Et il faut être extrêmement prudent là-dessus.

(17 heures)

Mais même les notions en tant que telles deviennent de moins en moins claires. Permettez-moi de vous souligner un exemple personnel. Quand les gens viennent, qui sont responsables pour le recensement, et qu'ils me demandent: M. Jedwab, quelle est votre langue maternelle? je dis, comme c'est la première langue que j'ai apprise et que je continue à parler, que c'est le yiddish. Alors, je suis un allophone. Vous imaginez, je suis un allophone! Mais, comme ma femme est francophone et qu'on parle le français à la maison, la langue qu'on parle à la maison, c'est le français. Quand les gens viennent pour le recensement et qu'ils disent: M. Jedwab, quelle langue est-ce que vous parlez le plus souvent à la maison? je dis: Le français. Alors, je suis un francophone.

La seule exception, c'est que je pense en anglais, mais on n'a pas d'indicateur, à l'heure actuelle, qui mesure dans quelle langue on pense. Peut-être qu'on peut s'attendre à ce que certains démographes vont nous dire que c'est extrêmement important de mesurer ça, parce qu'elles vont seulement avoir une loyauté quand elles pensent dans la langue française, les personnes qui ne sont pas francophones, et leur loyauté est extrêmement importante à cet égard.

Mais, moi, je considère qu'on va vers une situation où le français progresse. On appuie la progression, la promotion du français. Il y a une espèce de stabilité qui semble installée. C'est vrai qu'il y en a certains qui ne sont pas confortables dans une situation de cohabitation linguistique. Ils ne sont pas contents qu'autour d'eux il y ait trop de non-francophones dans un territoire donné. Ils vont l'exprimer autrement, je suis sûr, mais c'est une préoccupation de certains. Mais, c'est ça, la réalité, c'est ça, la cohabitation. On ne peut pas s'attendre à ce qu'on arrive dans une municipalité et que tout se transforme sur le plan démolinguistique ou sociolinguistique parce qu'il y a un certain nombre de personnes qui insistent que le territoire leur appartient. Le territoire appartient à l'ensemble de la population du Québec, quelle que soit son origine linguistique.

Ceci étant dit, nous encourageons fortement, et nous allons continuer à le faire, que l'ensemble des Québécois et Québécoises apprennent et parlent le français, mais soient confortables de parler les langues avec lesquelles ils s'identifient également dans les lieux publics et dans les lieux privés, quand ceci a lieu.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Mme la représentante et MM. les représentants du Congrès juif canadien, région du Québec, de votre contribution à la consultation demandée par le gouvernement.

J'invite la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à s'approcher de la table des témoins.

Alors, je vais demander au porte-parole de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de se présenter et de présenter les gens qui l'accompagnent, en lui disant: Vous avez une heure, c'est-à-dire, normalement, autour de 20 minutes pour votre exposé, 20 minutes pour le parti ministériel et 20 minutes pour l'opposition officielle.


Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM)

M. Lemieux (François): Merci, M. le Président. Je remercie cette commission de nous recevoir et de faire cette consultation sur la politique linguistique qu'entrevoit de mettre en place le gouvernement du Québec. M. le ministre, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés, je suis accompagné, à ma gauche, par le vice-président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, M. Émile Bessette; à ma droite, par le deuxième vice-président, M. Michel Côté, et par le directeur général de la Société, M. Gilbert Gardner. Mon nom est François Lemieux et je suis le président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

Il y a, au Québec, un peuple de langue française. La Charte de la langue française l'énonce clairement dans son préambule. Cette Charte a permis à la langue française de se revitaliser et d'être un véritable outil de développement. Elle a permis aux Québécois de retrouver une dignité perdue. Elle a redonné au Québec un visage français.

Le Québec doit composer avec le voisinage immédiat d'une culture de langue anglaise, la plus puissante au monde. Il doit tenir compte que cette langue anglaise est parlée par plus de 285 000 000 de personnes en Amérique du Nord, alors que seules 7 000 000 de personnes parlent le français. L'assimilation linguistique a pour conséquence, dans le reste du Canada, que plus du tiers de ceux qui ont le français pour langue maternelle ne le parlent plus à la maison.

Selon les projections démographiques, la population du Québec qui aura le français pour langue d'usage tombera, d'ici 15 ans, sous la barre des 80 %. La proportion de la population du Québec continuera à diminuer au Canada. Le Québec doit, en conséquence, se doter des moyens pour assurer l'intégration des nouveaux arrivants à sa culture, une culture de langue française. Pour y arriver, il est essentiel qu'il ait une politique sans ambiguïté, assurant la protection et la promotion du français, une politique aux objectifs clairs et traduisant une volonté ferme.

C'est ce que la Charte de la langue française, promulguée en 1977, avait permis. La Charte avait été conçue pour répondre à deux grands objectifs: assurer les droits des Québécois à vivre en français et faire de la langue française la langue commune de tous les Québécois. La loi 101 faisait du français non pas une langue officielle, mais plutôt la seule langue officielle du Québec.

Cependant, les affaiblissements à la loi 101, que lui ont fait subir les jugements des tribunaux et les modifications législatives, ne lui ont pas permis d'atteindre ses objectifs. Les tribunaux ont soit invalidé, soit interprété 15 articles de la loi 101 de telle sorte que, d'une loi qui rendait le français incontournable, elle est devenue une loi qui permet le bilinguisme. De nombreuses modifications législatives du Parlement du Québec ont eu le même effet. La loi 86, adoptée en 1993, est venue non seulement consacrer ces affaiblissements de la Charte, mais elle a ajouté d'autres reculs qui hypothèquent gravement l'avenir du français au Québec.

On ne peut qu'appuyer la plupart des analyses et constats sur lesquels se fonde la proposition de politique linguistique. Cependant, il est impossible d'atteindre l'objectif que fixe le gouvernement de «combattre l'esprit de démission et le glissement vers le bilinguisme institutionnel» sans abroger la loi 86. La loi 86 a modifié 84 des 215 articles de la loi 101. Elle a placé l'anglais et le français sur le même pied et elle a affaibli la force d'attraction du français. En abrogeant aujourd'hui la loi 86, on ne renforcerait même pas la loi 101; on atténuerait son affaiblissement.

Voici quelques exemples des effets de cette loi sur la situation du français langue officielle.

La loi 86 a modifié les articles de la Charte qui faisaient de la langue française la seule langue des lois et des tribunaux. Même si ces articles étaient inopérants, ils avaient été maintenus dans la loi afin de réaffirmer la volonté du gouvernement du Québec de faire du français la seule langue officielle. La loi 86 a fait que, pour avoir une décision en français d'un tribunal, il faut en faire la demande lorsqu'elle est rendue en anglais.

La loi 86 enlève l'obligation faite au gouvernement de ne s'adresser aux personnes morales, au Québec, qu'en français. Le gouvernement se comporte comme si le français n'était pas la langue officielle du Québec, mais une des langues officielles.

La loi 86 autorise l'affichage en anglais dans la signalisation routière lorsque la santé et la sécurité l'exigent, sans qu'il ait été démontré, par le passé, que la sécurité routière avait été compromise. La loi 86 permet au gouvernement de bilinguiser son propre affichage quand il le veut, par la seule modification de sa réglementation. Il peut ainsi outrepasser les principes fixés par la loi et, depuis l'adoption de la loi 86, il ne s'en est pas privé.

La loi 86 a remis au gouvernement le soin de retirer le statut bilingue aux organismes scolaires, municipaux et aux établissements de santé et de services sociaux qui ne répondent plus aux critères requis par la loi. Cette responsabilité relevait auparavant de l'Office de la langue française qui était à l'abri des pressions politiques, ce qui n'est évidemment pas le cas pour un gouvernement.

La loi 86 a porté de trois à quatre ans la durée durant laquelle un étranger pouvait venir exercer une profession au Québec sans connaître le français. Elle a, de plus, retiré à l'Office le pouvoir de réglementation dans ce domaine.

La loi 86 stipule que, pour obtenir la version française d'une décision arbitrale rédigée en anglais, il faut au préalable en faire la demande et que la traduction est aux frais des parties en cause. En d'autres termes, non seulement il faut réclamer du français, mais il faut payer pour l'avoir.

La loi 86 autorise la généralisation de l'apparition de l'anglais dans l'affichage commercial. Pourtant, il avait été entendu que l'unilinguisme était la seule voie qui permettait l'affirmation visuelle du français.

La loi 86 autorise aussi, au Québec, l'affichage en anglais des raisons sociales des compagnies québécoises. La loi 101 originale permettait à des compagnies d'avoir une version anglaise de leur raison sociale pour faire des affaires à l'extérieur du Québec. La loi 86 nous ramène, ici, au Québec, à l'époque du «chicken place du poulet».

(17 h 10)

La loi 86 permet l'enseignement en anglais de différentes matières dans les classes françaises, autorisant ainsi l'immersion en anglais. La loi 86 a rendu automatique l'accès à l'école anglaise pour les étrangers lorsqu'ils en font la demande. Auparavant, le ministère de l'Éducation avait la possibilité de refuser les demandes qui faisaient l'objet d'abus.

La loi 86 a aboli la Commission de protection de la langue française et retire à l'Office de la langue française son pouvoir de réglementation. On ne distingue plus ainsi le pouvoir quasi judiciaire de la Commission de protection de la langue française de la mission de promotion, d'aide et de soutien que doit avoir l'Office de la langue française.

La loi 86 a fait qu'une entreprise ne commet plus une infraction si elle ne possède pas un certificat de francisation pour lequel elle est éligible. Il est difficile de concevoir comment une loi qui ne prévoit pas de sanction puisse être appliquée.

La seule abrogation de la loi 86 n'est pas suffisante. Amender d'autres dispositions de la loi 101 qui se sont avérées inapplicables, qui ont été annulées par des jugements de tribunaux ou qui ont fait l'objet de modifications législatives pour en neutraliser les effets ne sera pas suffisant non plus. Nous énumérons néanmoins ici, à titre d'exemples, des modifications incontournables qui justifient la refonte complète de la loi.

Selon la loi, un organisme public, une municipalité, un établissement scolaire ou un établissement de santé et de services sociaux peut fournir en anglais des services à des «personnes en majorité d'une langue autre que le français». Cela revient à dire que le Québec a une population constituée de francophones et de non-francophones, et que les non-francophones sont tous des anglophones. Cela revient à nier l'intégration des allophones au Québec français.

L'interprétation qu'ont faite les tribunaux de l'obligation d'un employeur de communiquer avec ses employés en français rend, en pratique, cette disposition de la loi 101 inapplicable. En effet, selon la cour, un employé doit formuler une demande à son employeur pour qu'il communique avec lui en français. Peu de travailleurs oseront faire cette demande afin de ne pas perdre de chance d'avancement. Dans le contexte actuel, la loi ne garantit pas ainsi le droit de travailler en français.

Selon la loi, les catalogues, les brochures et toute publication de même nature doivent être rédigés en français, sans en prescrire l'usage exclusif. Cette disposition n'exige même pas la prépondérance du français, si bien qu'au Québec des dépliants bilingues sont distribués à toutes les portes. Pendant un certain nombre d'années après l'adoption de la loi 101, les circulaires étaient unilingues françaises. Lentement, mais sûrement, les circulaires se sont anglicisées et sont devenues bilingues à l'échelle de tout le Québec. Cela démontre éloquemment le sort qui attend l'affichage au Québec, avec ou sans le concours d'activistes.

La loi 101 confirme le droit à recevoir un enseignement en français. Un jugement de la Cour supérieure rendu en août 1996 stipule cependant qu'au Québec le droit à une école française distincte n'est pas reconnu, alors que le droit à une école anglaise, lui, existe. Dans les autres provinces canadiennes, ce droit est pourtant reconnu aux francophones. À l'école secondaire Dorval, des étudiants, en majorité nés à l'extérieur du Canada, se sont vu refuser le maintien de leur école française. Ils sont forcés d'emménager dans une école de 1 000 élèves de langue anglaise, alors qu'ils ne sont que 600 de langue française. Leurs recours judiciaires ont confirmé qu'ils n'avaient pas le droit à une école française. Et tout porte à croire que cette anglicisation de l'école française s'étendra ailleurs.

Les collèges d'enseignement général et professionnel sont des institutions d'enseignement publiques ou financées en bonne partie par des fonds publics. Le rapport du Comité interministériel sur la situation de la langue française rappelait que les allophones choisissent majoritairement de faire leurs études en anglais au cégep. D'autre part, les allophones qui ont fréquenté l'école secondaire française suite aux dispositions de la loi 101 fréquentent de moins en moins le cégep français. En 1983, ils étaient plus de 80 % à fréquenter le cégep français; en 1994, seuls 64 % choisissaient l'enseignement en français. L'État doit être cohérent. En conséquence, l'obligation de fréquenter l'école française doit être étendue au niveau collégial.

La loi 101, telle qu'elle est devenue et qu'elle a été interprétée par les tribunaux, ne protège pas les droits linguistiques fondamentaux. Nous avons précédemment évoqué de nombreux exemples. La loi 101, telle qu'elle est devenue, instaure le bilinguisme à l'échelle du Québec. Elle nie ainsi le statut du français seule langue officielle du Québec. Elle ne traduit plus cette volonté de faire du français la langue officielle. Il n'y a rien dans la proposition linguistique qui arrête ce mouvement irréversible.

De nombreux Québécois de langue anglaise refusent, encore aujourd'hui, d'adhérer à ce principe. De nombreux groupes et médias anglophones alimentent d'ailleurs ce sentiment. Le groupe Alliance Québec non seulement le réaffirme régulièrement, mais, par de nombreux recours judiciaires, il a tenté de modifier substantiellement la Charte de la langue française pour en trahir l'esprit, et il a réussi.

Depuis la promulgation de la loi 101 en 1977, beaucoup d'événements sont survenus. La Loi constitutionnelle de 1982 a été imposée au Québec, l'application de la loi a été source d'expérience, les tribunaux ont invalidé ou interprété des parties de la loi, des législations l'ont modifiée et, récemment, un bilan de la situation linguistique au Québec a été fait.

Le commerce international et surtout l'Accord de libre-échange nord-américain nous mettent en contact encore plus étroit avec la langue anglaise. Les compagnies américaines sont plus nombreuses sur le territoire québécois. Et, pour les compagnies multinationales en particulier, il est important que notre législation soit claire. Il est nécessaire que les objectifs que nous souhaitons rencontrer pour assurer l'avenir du français au Québec soient bien définis.

Il y a les contraintes des articles 133 et 23 de la Constitution du Canada et, bien sûr, l'article 93. Il y a les contraintes de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Québec se trouve dans un carcan qui lui interdit d'assurer sa francisation. Ce carcan concourt même ouvertement à son anglicisation en niant la situation linguistique dans laquelle le français évolue en Amérique du Nord. Seule la souveraineté du Québec évidemment nous en libérera.

Entre-temps et plus que jamais, le gouvernement du Québec doit réaffirmer haut et fort sa volonté de faire du Québec un État français, de faire du français la seule langue officielle et la langue commune des Québécois. Il doit, selon nous, abroger la loi 86, retirer sa proposition et faire une refonte complète de la Charte de la langue française.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Bonjour, M. Lemieux, M. Bessette, M. Gardner. Merci pour ce document que j'étais justement, en même temps que je vous écoutais, M. Lemieux, à regarder, à relire, parce que je pense qu'il est quand même très intéressant et très fouillé, très documenté. Et, quand vous nous donnez des exemples, ils sont très précis, ils sont très évocateurs. Et je sais qu'à la Société Saint-Jean-Baptiste, bien sûr, vous êtes d'ardents défenseurs de la langue française et puis vous êtes aussi d'excellents observateurs de la scène linguistique.

Je voudrais revenir sur la clause dérogatoire justement. Vous êtes très conscients – vous le dites dans votre mémoire – que l'abrogation de la loi 86... Vous demandez au gouvernement, donc, de réinvoquer la clause «nonobstant» et de rétablir l'affichage unilingue en français. Vous avez expliqué justement que la loi 86, ce n'était pas que l'affichage, qu'il y avait énormément d'autres dispositions, et vous les avez évoquées. Donc, vous n'avez aucune hésitation, de votre côté, du côté de la Saint-Jean-Baptiste, à nous recommander très fortement, instamment d'utiliser la clause «nonobstant»?

M. Lemieux (François): Comme on l'avait fait d'ailleurs, à la fin des années quatre-vingt, auprès du gouvernement libéral de l'époque. Nous avions réclamé l'utilisation – et on l'a fait en 1993 évidemment – de la clause «nonobstant» pour soustraire l'affichage – il y aurait probablement peut-être aussi les annuaires – des dispositions de la Constitution canadienne. À nos yeux, la clause «nonobstant» a été prévue dans la Constitution canadienne justement pour ce genre d'usage là, pour soustraire les Parlements à l'influence indue des tribunaux. C'était nommément la raison pour laquelle ça avait été inscrit là.

Mme Beaudoin: D'accord. Vous parlez, page 31... «Le droit linguistique a évolué», dites-vous dans le milieu de la page 31. «La France, entre autres, a inscrit dans sa constitution que "la langue de la République est le français" et a refondu sa propre loi relative à l'emploi de la langue française. C'est ainsi que la loi française est d'ordre public. En conséquence, des poursuites sont entreprises sur la seule initiative de l'État. Des organismes privés sont nommément désignés pour veiller à l'application de la loi.» Alors, justement, est-ce que c'est une des recommandations que vous nous faites, là? Qu'est-ce que ça veut dire en quelque sorte ou qu'est-ce que ça voudrait dire si la Charte de la langue française était d'ordre public?

Je vous ferai remarquer cependant que j'ai vécu en France assez longtemps avant et après les différentes dispositions. Et même, la dernière fois où j'y suis allée, j'ai trouvé que c'était pire qu'à Montréal en ce qui concernait l'affichage. Je dis cependant que la situation des Français n'est pas la même que la nôtre. Quand on est plus de 60 000 000 dans un territoire en quelque sorte qui est l'Europe où il y a une quinzaine de pays, où il y en a justement des petits, des moyens et des grands, et même quand on parle des Wallons ou de la Communauté française de Belgique dont les frontières sont communes avec la France ou encore de la Suisse romande dont les frontières sont communes avec la France, on se retrouve dans une dynamique qui est complètement différente et qui est celle d'ailleurs du plurilinguisme en Europe.

La grande bataille, on le sait, par rapport à l'anglais, c'est de faire en sorte que justement – et c'est ce que disent les Français – il y ait au moins deux langues qui soient apprises à l'école de façon suivie, de telle sorte qu'il n'y ait pas que l'anglais, mais qu'il y ait toujours une autre langue. Donc, la situation en France est bien différente. C'est sûr que, pour l'affichage, ils ne se sont pas forcés beaucoup, beaucoup, bien honnêtement, là. Parce qu'on parle beaucoup de la mondialisation des marchés, mais la mondialisation de la laideur, on n'en a pas encore fait tout le tour. À l'occasion, ha, ha, ha! quand on se promène dans les différents pays du monde, on voit toutes sortes de choses qui se ressemblent et qui ne sont pas nécessairement très jolies sur le plan, j'entends, de l'affichage, bien sûr, et des raisons sociales, etc.

(17 h 20)

Donc, je reviens à cette idée. Quand vous dites: «C'est ainsi que la loi française est d'ordre public», quels avantages ça donnerait? Est-ce que c'est une bonne idée que vous transposeriez au Québec?

M. Lemieux (François): Écoutez, comme je l'avais déjà évoqué par le passé, il y a, à mon sens, dans la Charte de la langue française, des irritants, et c'en est un, irritant. Ça veut dire que la Charte de la langue française, pour son application, est fondée sur la dénonciation et la délation, c'est-à-dire que ce qu'on demande aux citoyens, c'est de faire eux-mêmes les constats, de faire eux-mêmes des plaintes pour assurer l'application de la loi. Compte tenu surtout de l'importance que représente la langue française, ici, au Québec, depuis le tout début, et j'espère qu'elle sera maintenue, moi, je crois que c'est la responsabilité du gouvernement lui-même de s'assurer de l'application de la loi, évidemment avec le concours, en plus, des citoyens, comme c'est le cas pour n'importe quelle autre loi.

Mme Beaudoin: Une dernière petite question très rapide. Est-ce que vous pensez qu'elle est très bien appliquée, cette loi, en France? Êtes-vous allé voir?

M. Lemieux (François): Disons simplement qu'il y a, effectivement, comme vous le signaliez, le contexte français qui est différent du nôtre. Ça, ça m'apparaît évident, ne serait-ce que parce que les besoins de la vitalité du français au Québec sont plus élevés encore qu'en France, que parce que les prises de conscience, en France, semblent plus longues à se faire. Je regardais encore M. Pivot qui signalait à un écrivain que le titre de son livre était unilingue anglais. Il lui demandait pourquoi. Il y a eu un silence gêné chez les autres écrivains. Évidemment, comme on n'est pas placés dans la même situation, à ce titre, on ne peut pas comparer. Mais ce qu'on peut comparer, par contre, c'est la différence effective de la loi en France de celle qui serait ici. Mais je n'ai pas de doute que, si on déclarait la loi québécoise d'ordre public, son efficacité serait sûrement incomparable à celle qu'on a, en fait, en ce moment en France.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost.

M. Paillé: Dans le sens de l'évolution, parce que, quand on écoute, on a peut-être tendance, et en lisant votre document... On se dit: On devrait revenir à la voie un peu plus musclée de 1977. Et puis, moi, j'ai un peu... pas de la misère, mais j'essaie de voir comment, en fonction de ce qu'on appelle la nouvelle économie, toutes les technologies, toute l'informatique, l'économie du savoir dont on parle maintenant... Et on a vu que, dans certains cas, pour les jeux électroniques, Internet, tout ça, la communication est rendue beaucoup plus facile. Alors, ça, ça n'existait pas, c'est nouveau.

Il n'y a pas aussi seulement l'affichage, mais il reste qu'il y a des cas que, moi, je ne peux pas accepter au niveau de l'affichage, et j'aimerais avoir votre interprétation là-dessus. Il y a les noms qu'on ne traduit pas; évidemment, Eaton, c'est Eaton. Mais j'ai toujours été un peu étonné positivement de voir Office Depot devenir Bureau en gros. Ce n'est pas tout à fait élégant, mais c'est un peu mieux que Office Depot ou Crown Plaza ou Five Stars, au lieu de Sheraton, à Laval.

Mais, au niveau des entreprises, quand l'entreprise fait face – puis, bon, j'ai une déformation de ce côté-là – à une libéralisation des marchés, à une maximisation de la communication... Maintenant, ton client, il peut être n'importe où dans le monde. Ton fournisseur, il peut être n'importe où dans le monde. Ton actionnaire est n'importe où dans le monde. Ton employé, il est un peu plus proche, mais ça va venir qu'il va être un peu partout. Quand on regarde que les marchés se libèrent, qu'il y a des déréglementations, que les entrepreneurs, comme je les connais, nous disent: Essayez donc de déréglementer, de délégiférer, de nous sacrer un peu plus la paix, est-ce qu'il y aurait moyen – puis, là, on vient d'en parler, d'une loi d'application générale et publique, et universelle – autrement que par des mesures de législation plus coercitives, de faire en sorte que l'utilisation du français soit plus rentable pour une entreprise? Et, à ce moment-là, on n'aurait même pas besoin de légiférer. Est-ce que ce serait possible ou non, ou si, vous, vous dites: Compte tenu de l'expérience, il faut faire ce que vous demandez? Ce n'est pas une opinion que j'émets. Je veux juste être certain que ce que vous dites, c'est vraiment ça: il faut vraiment une application serrée.

M. Lemieux (François): Là, il y a deux aspects à votre question. Il y a l'évolution de l'économie et des technologies...

M. Paillé: C'est en fonction de l'évolution des technologies que, moi, je me dis: En 1977, O.K., on a fait la loi 101, mais, là, ça a tellement changé que je me demande si aussi ça, ça a changé ou si, non, ça, c'est fondamental et on doit le garder.

M. Lemieux (François): D'abord, pour l'évolution des technologies, écoutez, on ne vit pas la première évolution technologique. Au début du siècle est arrivée la radio qui, il me semble, avait un impact sur la langue...

M. Paillé: Le téléphone.

M. Lemieux (François): ...est arrivé le téléphone, est arrivée la télévision. D'ailleurs, incidemment, la télévision, ça se dégrade un peu en ce moment. Il me semble que la télévision, même de langue française, est moins efficace qu'elle l'était à ses débuts. Imaginez! Mais il y a eu – je ne sais pas, moi – l'avion, le train. Beaucoup de ces technologies se sont d'abord développées en anglais. L'atout de la technologie moderne des logiciels, c'est qu'elle nous permet, par définition, d'utiliser notre langue, d'utiliser quelque langue qu'on souhaite. C'est une technologie de communication. Alors, évidemment, là comme ailleurs, il faut prendre les moyens pour l'investir et là, effectivement, je vous rejoins beaucoup, d'abord et avant tout par la volonté des milieux économiques d'y pénétrer en français. Autrement, ils ne seront pas profitables.

L'autre aspect de votre question. Vous m'avez cité un exemple que je venais moi-même d'évoquer. La Charte de la langue française avait été, à mon sens, bien pensée. C'est-à-dire que, si vous vouliez faire des affaires à l'extérieur du Québec, vous pouviez évidemment vous donner une autre raison sociale pour une entreprise établie au Québec. Parce que évidemment une multinationale qui vient ici pouvait continuer à utiliser sa raison sociale. Certaines, par contre, ont volontairement, si je ne me trompe pas, choisi de traduire leur raison sociale, ici, au Québec, et je leur en sais gré, comprenant, elles, la situation particulière dans laquelle le français était placé ici, en Amérique du Nord. Mais c'était volontaire à cette époque-là. Par contre, ce qui est arrivé avec la loi 86, c'est qu'on autorise les compagnies québécoises à utiliser leur raison sociale anglaise au Québec même. C'est une des choses qu'on dénonce, une des choses qu'on reproche...

Pour ce qui est de la réglementation, vous savez comme moi que, quand une compagnie s'installe dans un pays, la première question qu'elle se pose, c'est: On fonctionne comment? Et le meilleur indice pour le savoir, c'est la réglementation, les lois qui sont sur place. Ce qui est compliqué, c'est quand les lois sont difficiles à comprendre, à saisir ou à appliquer, ce qui est exactement arrivé avec la loi 101. Si on prend l'exemple de l'affichage – et j'évoquais, tantôt, des règlements du gouvernement sur la question de l'affichage – il y a un règlement sur l'affichage qui demande que le français ait une place au moins comparable à celle d'une autre langue. Imaginez où en est rendue la Charte de la langue française. Là, ce qu'on fait, c'est qu'on souhaiterait que le français – on l'impose même – soit aussi important que... Écoutez, ça ne fonctionne plus, là. Et ça veut dire que c'est l'affichage bilingue sans prédominance.

Alors, si vous essayez de vous retrouver dans la réglementation, évidemment plus vous compliquez, plus il y a des exceptions, plus il y a des cas dits particuliers, plus c'est difficile de s'y retrouver et plus, effectivement, quelqu'un qui est en affaires trouve la situation compliquée. Moi, à mon sens, d'après ce que je sais du milieu économique, des milieux de l'entreprise, c'est qu'il est important que les règles soient simples et claires. Ce n'est pas ce à quoi on en est arrivés.

M. Paillé: Donc, pour vous, si on sait qu'au Québec c'est en français, qu'il y a 7 000 000 de clients, on va faire des affaires en français.

M. Lemieux (François): Oui, mais si, en plus, les règles le confirment.

M. Paillé: Oui, c'est ça.

M. Lemieux (François): Mais, si on dit, par contre, à une compagnie: Vous êtes au Canada et vous avez 20 000 000 et quelques d'anglophones, en conséquence, faites ça en anglais parce que c'est eux qui sont la majorité de votre marché et que vous aurez des campagnes de boycottage au Canada si, au Québec, vous ne mettez pas suffisamment d'anglais, là, je comprends aussi le réflexe des compagnies. Mais qui doit prendre position, si ce n'est pas le gouvernement du Québec?

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Très brièvement, puisqu'il reste du temps, je voulais profiter du fait que la Société Saint-Jean-Baptiste était là, peut-être, pour signaler le travail qu'a fait un de ses anciens présidents, François-Albert Angers, qui nous a donné «Les droits du français au Québec» et qui, même s'il est aujourd'hui octogénaire, est quelqu'un qui est resté très vigilant et très actif. Il m'est arrivé, au moins deux fois, de recevoir des lettres de M. Angers, comme député à l'Assemblée nationale, pour nous dire, entre autres, qu'il était très important de faire le combat que nous faisons, c'est-à-dire un combat linguistique comme étant une nation, et, à ce moment-là, d'en revendiquer les droits. M. Angers a été professeur aux HEC. Il avait été d'ailleurs le professeur de M. Parizeau. Et il a été aussi un maître du coopératisme, ici.

(17 h 30)

Mais je voudrais profiter, peut-être, M. le président, de la présence de votre vice-président, M. le professeur Bessette, qui a fondé l'association québécoise des profs de français et qui a été président de la Fédération internationale des professeurs de français, pour lui poser une question, si vous le permettez, sur l'effet psychologique que donne la situation linguistique de Montréal, c'est-à-dire autant par l'affichage que par le fait que – ce que j'ai signalé ce matin – il y a à Montréal à peu près 300 000 personnes qui ne peuvent pas communiquer dans ce qu'on appelle la langue commune, langue commune dont on s'est aperçu, par certaines auditions aujourd'hui, qu'elle était difficilement comprise par des gens, c'est-à-dire une langue de communication, comme l'italien l'est en Italie ou comme le français ou l'allemand l'est en France ou en Allemagne. Alors, quel est cet effet de tour de Babel ou de laisser-faire linguistique sur l'enseignement du français à Montréal?

M. Bessette (Émile): Sur l'enseignement du français, on a des exemples assez pénibles. Quand je dis «pénibles», je me réfère aux rapports que nous font des enseignants, des professeurs de français, sur l'île de Montréal, dans des écoles – bon, appelons-les multiethniques, mais je n'aime pas ce terme – dont les élèves ont pour langue maternelle un très grand nombre de langues qui ne sont ni l'anglais ni le français.

La situation, dans bien des écoles françaises de l'île de Montréal, c'est que vous avez là une majorité d'élèves dont le français n'est pas la langue maternelle et une minorité, parfois une petite minorité d'élèves dont le français est la langue maternelle. Dans ces écoles-là, il ne faut pas se faire d'illusions, la langue de communication, la lingua franca, c'est l'anglais. C'est la langue qu'on entend dans les corridors, c'est la langue qu'on entend dans les cours de récréation et c'est, malheureusement, aussi parfois – j'ai eu des rapports là-dessus – la langue que l'on entend dans la salle de cours. Ça peut aller jusque-là.

Dans les écoles, au contraire – les écoles françaises, je dis toujours – où les élèves dont le français est la langue maternelle sont en majorité et les autres en minorité, la langue de communication devient, pas exclusivement le français, hein, il ne faut pas se faire d'illusions, mais, de façon tout à fait prévalente, prédominante, le français.

Si je dis cela, c'est pour en arriver à un principe beaucoup plus général. C'est que tout état de bilinguisme est un état transitoire – ce n'est pas moi qui le dis; vous savez probablement qui l'a dit, un grand linguiste français, mais basé sur une expérience de bien des pays et de bien des décennies – qui joue forcément, à plus ou moins long terme, en faveur de la langue la plus forte. Or, inutile de se faire d'illusions, la langue la plus forte en Amérique du Nord, ce n'est pas le français; c'est l'anglais. Tout le monde sait ça.

C'est pour ça qu'il faut s'opposer, je dirais, en principe, à l'installation du bilinguisme dans notre pays du Québec. L'exemple que j'ai donné des écoles n'est qu'une conséquence de ce principe général, et on pourrait les multiplier. Évidemment, a fortiori, quand on a sous les yeux le cas de l'école Dorval, nous sommes sûrs que le principe va s'appliquer et avec une grande rapidité, soyez-en certains. Alors, le bilinguisme, c'est le cheval de Troie, ne l'oublions jamais. On peut jouer à discuter à savoir s'il y a eu recul, avancée, si on a de l'eau jusqu'ici ou si on en a jusque-là ou jusque-là, ce n'est pas ça, le problème, ce n'est pas ça, la question. Il faut avoir des vues à long terme.

L'expérience a bien montré, encore une fois, que le bilinguisme conduit à l'extinction, à l'effacement ou à la folklorisation linguistique et culturelle du plus faible. Exemple, la Louisiane, la Nouvelle-Angleterre. Exemple en cours, les communautés francophones hors Québec et même celle des Acadiens, où le taux d'assimilation, une fois qu'on a mis en lumière ce qu'on essaie toujours de cacher, se situe aux alentours de 12 % à 15 % par année. C'est sûr qu'il y aura encore longtemps des Acadiens qui vont parler français, mais dans quel humus et dans quel contexte culturel?

Est-ce que c'est ça que nous voulons: la folklorisation, la faiblesse culturelle, survivre à peine, nous tâter chaque matin pour savoir si l'eau a monté ou a descendu un peu? Ce n'est pas ça, un idéal linguistique et culturel. Et c'est pour ça qu'il faut repenser la législation linguistique à partir non pas de textes de loi qui sont des lois de bilinguisation – enfin, il y en a au moins une, la 86 – mais à partir de textes de loi qui soient des lois de protection, de développement, d'illustration du français dans ce pays. Voilà.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Bessette. Je vais demander au député d'Outremont, le temps étant écoulé pour les députés ministériels... Le député d'Outremont, pour l'opposition.

M. Laporte: M. le Président, qu'est-ce qu'on peut entendre? Les études qui ont été faites sur le bilinguisme stable. Bon, enfin, peu importe. Avant de poser ma question à M. Lemieux, et à MM. Bessette, Côté et Gardner que je salue avec plaisir, il faut, tout de même, prévenir la construction d'un autre mythe. Le député de Gaulin, le député de Taschereau c'est-à-dire, M. Gaulin...

Le Président (M. Garon): Ça viendra peut-être.

Une voix: Ça va venir.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Écoutez, j'ai des chiffres devant moi, M. Gaulin. Vous avez raison, M. Gaulin. Vous avez raison, il y a actuellement, en 1991 – j'ai les chiffres de 1991 – au Québec – c'est vraiment des données pour le Québec – 373 755 personnes qui ne parlent que l'anglais. Mais regardons ça en contexte, M. Gaulin.

M. Gaulin: Adressez-vous au président, s'il vous plaît.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont, il faut vous adresser au président.

M. Gaulin: Oui, c'est une règle.

M. Laporte: Bon. M. le Président, si vous regardez ça en contexte, en termes de pourcentage et du point de vue historique, en 1941, il y en avait 12,3 % de ces personnes qui étaient unilingues anglaises. En 1991, il y en a 5,5 %. Donc, tout est relatif, dépendamment de la base de calcul dont on se sert. Mais je voudrais vous faire observer que, si on regarde ça du point de vue des gens qui sont bilingues, «French and English», anglais et français, c'était 26 %, en 1941, et c'est rendu 35,4 %, en 1991. Donc, ce que vous dites, c'est vrai pour l'ensemble du Québec. Je pense qu'à Montréal c'est un peu moins fort que ce vous disiez tantôt. Il faut, tout de même, «contextualiser» ça. Il ne faudrait pas donner l'impression qu'on s'en va vers un grand trou noir épouvantable.

Maintenant, pour ce qui est de nos amis de la Société Saint-Jean-Baptiste, moi, j'ai lu votre rapport avec le plus grand intérêt parce que c'est intéressant, votre rapport, il y a beaucoup de choses dans ce rapport. Dans un premier temps, je me suis dit: Ces gens-là, je les comprends; au fond, ce qu'ils souhaitent, c'est revenir à la loi du Dr Laurin. Mais, après ça, je me suis mis à vous relire et je me suis dit: Mais non, le Dr Laurin donnait à la communauté anglophone du Québec plus d'oxygène que les gens de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui d'ailleurs ne font aucun état, dans leur mémoire, des progrès de la langue française, mais, là, en aucune façon.

(17 h 40)

À la page 23 – et c'est intéressant parce qu'il y a d'ailleurs des petites nuances qui sont faites dans le document du français langue seconde que vous ne faites pas, vous, dans votre document – vous dites: «La loi 101 doit être amendée afin que les règles qui régissent l'admission aux niveaux primaire et secondaire soient étendues au cégep.» Le Dr Laurin, lui, il leur donnait plus d'oxygène que ça, à nos amis anglophones.

Et là évidemment vous vous servez du tableau de la page 140 du rapport de la ministre de la Culture. Et, au tableau de la page 140, lorsqu'on compare les données de 1983 pour la fréquentation des cégeps par des étudiants qui sont allés à l'école primaire et secondaire en français, chez les allophones, c'est vrai qu'on est passé de 81 % à 64 %. Mais ce que vous ne dites pas dans votre texte, c'est que le 64 % en question, c'est une petite remontée par rapport à 1992 qui était à 63 %. Donc, on ne sait pas ce qui va arriver dans les années à venir. Vous, vous avez, à la Société Saint-Jean-Baptiste, ce que, moi, je n'ai pas, c'est-à-dire un don de voyance. On va voir ce que le gens du Conseil de la langue française nous diront bien, dans trois ans ou dans quatre ans. Peut-être que ça aura monté.

Et, ensuite de ça, ce que le texte nous dit, mais en toutes lettres, c'est écrit ici, il nous dit: Vous savez, la raison pour laquelle ça a baissé, c'est que les gens qui avaient fréquenté l'école primaire et secondaire en français avant, ils l'avaient fait volontairement à l'époque de la loi 63, alors que ceux qui l'ont fait par la suite, ils l'ont fait par obligation légale, donc suite à la coercition. Et ils disent: La coercition, dans ce sens-là, ça n'a peut-être pas aussi bien marché qu'on le pensait, parce qu'il y a eu une petite baisse. Et vous autres, vous dites: La coercition ne marche pas? On va en mettre encore davantage. Alors, il n'y a vraiment plus beaucoup d'oxygène pour les gens de la communauté anglophone de Montréal et aussi pour les allophones, dans votre proposition.

Il ne faut pas se méprendre. Vous ne voulez pas revenir à la loi du Dr Laurin; vous voulez une loi encore plus dure, plus ferme, plus jacobine. Et ça, pour un esprit libéral comme le mien, ça ne fonctionne pas. Je me dis: Je les «ai-tu» compris? Je vous ai lu quatre fois et je me suis dit: Je les ai compris. Mais, mon Dieu que j'ai de la difficulté à accepter les motifs, les raisons de comprendre, les motifs, les raisons, vous qui ne parlez absolument pas de l'avancement de la langue française, de comprendre pourquoi vous voulez arriver à une telle dureté.

Et c'est la question que je vous pose: Pourquoi voulez-vous... Monsieur notre collègue d'en face nous disait tantôt vouloir une loi un petit peu plus musclée. Mais, là, c'est plus musclé que la loi 101. Et la question que je vous pose, c'est: Vingt ans après l'application d'une loi 101 qui a incontestablement produit des effets de renforcement de la langue française au Québec, tout le monde l'accepte, pourquoi voulez-vous une loi qui soit encore plus dure? C'est ça, ma question.

M. Lemieux (Francois): Pour ce qui est des dons de voyance, évidemment je présume que, quand on est à un conseil consultatif comme à la présidence du Conseil de la langue française, c'est exactement ce qu'on demande à un organisme, c'est-à-dire de donner un avis au gouvernement pour savoir où il doit se diriger et, en conséquence, être capable d'évaluer ce qui va arriver dans l'avenir.

Évidemment, la vitalité de l'anglais nous préoccupe, effectivement, moins que la vitalité du français au Québec et même au Canada, depuis toujours et depuis longtemps. Et, de par notre expérience, on a pu constater qu'au fil des décennies et des siècles, oui, le français a décliné et il a besoin d'un soutien. Effectivement, je n'ai pas évoqué en détail les progrès qu'avait fait le français. Mon souci, c'était de m'assurer, d'abord, qu'on puisse reprendre ces progrès du français et surtout qu'on puisse en arriver à une qualité de l'efficacité du français au Québec qui répond aux besoins du peuple québécois.

Je suis d'accord avec vous pour dire que, dans les 10 premières années ou surtout, probablement, les six ou sept premières années de la Charte de la langue française, elle a été extrêmement efficace, soit avant le moment où on a commencé à l'affaiblir par différents moyens. Ça, par contre, on en a fait la démonstration, je crois, dans notre mémoire.

Et ce qu'on dit, c'est qu'il y a des choses à mesurer, puis à évaluer. Moi, je ne crois pas vraiment que les anglophones ou l'anglais a subi des graves reculs au Québec. Et je ne pense pas qu'on va étrangler la langue anglaise, ici, au Québec, en s'assurant de favoriser la promotion du français ici, au Québec. Je ne crois pas à ça. J'ai plutôt, et nous avons la perception, et semble-t-il que c'est partagé par la population, que, dans les 10 dernières années, il y a eu une anglicisation tant de Montréal, à mon sens, qu'à l'échelle du Québec.

J'ai donné, tantôt, l'exemple des circulaires. Les circulaires étaient unilingues françaises, effectivement, jusqu'en 1982 ou 1983. Suite à un jugement, elles sont devenues bilingues, pas juste à Montréal, dans tout le Québec. Alors, oui, effectivement, on trouve que ce n'est pas suffisant. Et les objectifs, je pense que vous l'avez évoqué, vous avez parlé de 63 % et du grand redressement qu'il y a eu, en 1994 ou 1995, à 64 %. C'est à 90 % – je pense que quelqu'un d'autre l'a dit avant moi – que les allophones devraient fréquenter le cégep français, comme c'est le cas pour le reste de la population ou comme ce serait le cas dans une situation où le français serait la langue normale et usuelle de tous, ici, au Québec, la langue commune. Et c'est cet objectif-là qu'il faudrait viser. Et je ne pense que ce soit étrangler qui que ce soit de le faire.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jeanne-Mance.

M. Bissonnet: M. le Président, messieurs, moi, mon comté est le comté de Jeanne-Mance. C'est un comté qui a près de 50 % d'allophones. Moi, je suis un gars de terrain; je ne suis pas un gars à grands discours. Je suis un gars de terrain, je suis un gars qui se tient avec le monde ordinaire, qui est au courant de ce qui se passe dans son comté. Moi, comme député, dans mon bureau de comté, ça se fait tout le temps en français, comprenez-vous? Ça se fait des fois en italien, à l'occasion, quand ce sont des Italiens qui sont arrivés ici avant les années cinquante, 1954, qui ont de la difficulté à s'exprimer. Ils ne parlent pas anglais du tout, ces Italiens; ils parlent français. Ils ont de la difficulté. Alors, évidemment, j'ai appris l'italien pour les aider, comprenez-vous, et ça me fait plaisir. Là, je suis après apprendre le créole, je suis des cours, je commence la semaine prochaine, après cette commission.

Dans notre comté, on a des écoles comme vous avez dit, et je vais vous les nommer. D'ailleurs, la statistique de la Commission des écoles catholiques de Montréal... À 93 %, selon les statistiques et selon ce que le Congrès juif nous a dit, les allophones vont par obligation – et vous le savez très bien, M. le ministre – à l'école française. Alors, moi, j'ai l'école Alphonse-Pesant dans mon comté. Ils viennent ici, à Québec, ceux de sixième année. Là, il y a des Salvadoriens – l'Amérique centrale est représentée dignement, l'Amérique du Sud aussi: Chili, Pérou – des Haïtiens, des Croates, puis des Québécois francophones qui restent dans leur arrondissement. Et je voudrais que vous veniez avec moi dans deux semaines, M. Bessette. Il y a l'école La Dauversière aussi. Ils sont venus ici, on n'a pas parlé en anglais. Ils ne se parlaient pas en anglais entre eux autres; ils parlaient français.

Les circulaires. Dans mon comté, on reçoit le Multimédia-Sac à toutes les semaines. C'est tout en français; ce n'est même pas bilingue. À l'hôtel de ville de Saint-Léonard, tout est en français à 100 % dans les discussions des membres du conseil avec ceux qui assistent aux assemblées. Alors, moi, je me pose comme question... Et je vais faire venir le document sur l'île de Montréal, pour les allophones qui vont d'obligation à l'école française. Dans l'est de Montréal, les dépanneurs... Dans le comté de Gouin, comment est-ce qu'il y a de dépanneurs qui sont coréens, vietnamiens? Ils parlent quoi? Français.

(17 h 50)

Moi, je suis dans Saint-Léonard. Je trouve que la situation du français s'est améliorée. Évidemment qu'il y a des enfants qui vont à l'école anglaise. Pourquoi? Rappelons-nous, en 1956, pourquoi les immigrants italiens sont allés à l'école anglaise. Parce qu'on les a envoyés là. Alors, moi, je trouve que ça s'améliore. Et je parle avec beaucoup de gens et je suis dans un comté... Et la fête de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, on fête ça. C'est la communauté italienne qui fait la fête de la Saint-Jean-Baptiste au parc De La Dauversière, la communauté haïtienne également. Et, dans le district Saint-Michel, paroisse Saint-René-Goupil, c'est tous les allophones et les Canadiens français qui fêtent la fête du Québec, la fête de la Saint-Jean-Baptiste. En tout cas, moi, je suis avec les allophones. Je suis convaincu qu'avec les lois que nous avons ils sont obligés d'aller à l'école française. Mais ils sont assimilés, là. On a un député ici qui vient de quel pays?

M. Facal: L'Uruguay.

M. Bissonnet: L'Uruguay. Il parle bien français. Il s'est assimilé.

Une voix: Gracias!

M. Bissonnet: En tout cas, moi, ce que je veux dire, je voudrais que vous analysiez ça dans les écoles, sur l'île de Montréal. On dit que le problème est là. Et ce matin, ici, on a dit – mon collègue, ici, le député de Jacques-Cartier: Quelle est votre position, vous, sur la venue d'un cégep francophone dans l'ouest de la ville? Et notre président connaît très bien ce dossier-là. Et ce n'est pas encore en marche. Alors, si on veut améliorer le français, surtout dans l'ouest de Montréal, pensons-y. Je vous remercie de votre écoute. Ça m'a fait plaisir. Mais je vous attends dans les écoles, là, vous.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bissonnet: Notre ami de Radio-Canada va venir. On va voir ça devant tout le monde.

M. Bessette (Émile): Si vous me permettez, je ne dirai qu'un mot. Il est bien sûr qu'à côté d'un exemple négatif on peut en mettre un positif. Je n'ai pas dit que toutes les écoles...

M. Bissonnet: Je n'ai pas dit ça.

M. Bessette (Émile): ...vivaient le problème que j'ai dénoncé il y a un moment. Que voulez-vous, on pourrait s'éterniser, de cette façon-là. Ça ne change rien au fait que l'aménagement linguistique sur un territoire, c'est un jeu de force. Ça n'a rien à voir avec le nationalisme, l'idéologie et tout ce que vous voudrez; c'est un jeu de force. Et ça nous ramène toujours au principe que j'énonçais auparavant: le bilinguisme sur un territoire donné est un état transitoire qui finit toujours, à plus ou moins long terme ou à plus ou moins bref terme, par jouer en faveur de la langue la plus forte. Je pense qu'il n'y a rien à ajouter là-dessus. Et il me semble que ça doit inspirer les actions à prendre.

Quelles actions précises faut-il prendre? Ça, c'est une autre question. Mais il faut avoir des principes dans la tête, puis il faut avoir des objectifs, si on veut développer enfin une politique cohérente. Et, quand nous demandons de repenser la législation linguistique, c'est pour avoir une cohérence; ce n'est pas pour étouffer celui-ci ou celui-là, pour lui enlever l'oxygène ou je ne sais pas quoi. Ça, ce sont des accusations bien faciles, trop faciles. Ce n'est pas ça du tout, l'intention.

M. Lemieux (François): On a signalé dans notre mémoire la situation de l'école Dorval. Effectivement, non seulement des allophones vivaient dans une école française – quoique, dans ce cas-là, ce n'était pas évident que ça vivait toujours en français dans les corridors – néanmoins, ils ont même manifesté une volonté de maintenir leur école française. Mais le sort en a décidé autrement. Ils se retrouvent maintenant dans une école anglaise et ils auront à vivre en anglais à l'école. Je pense qu'il y a des responsabilités qui doivent se prendre pour régler ce genre de situation. C'est pour ça qu'on évoquait, entre autres, que le statut de l'enseignement en français soit garanti, s'étende à l'école française au Québec, plutôt que simplement à ce qui se passe dans une classe.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

M. Gardner (Gilbert): S'il vous plaît, juste une petite remarque.

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Gardner (Gilbert): On a fait grand état aujourd'hui, et peut-être avec raison, du contenu de la page 34. Tantôt, M. Bissonnet, vous énumériez les personnes qui fréquentent l'école Pesant. Vous disiez qu'il y avait beaucoup de Chiliens, beaucoup d'Haïtiens et vous avez dit qu'il y a des Québécois aussi. Mais je pense que ces Haïtiens sont aussi des Québécois.

M. Bissonnet: Ce sont tous des Québécois, ceux qui vont à cette école-là.

M. Gardner (Gilbert): Et j'espère que ça ne représente pas la position du Parti libéral.

M. Bissonnet: Ce sont tous des Québécois francophones. Écoutez, si vous voulez que je vous parle des Québécois, j'en suis un. Pour moi, tous ceux qui sont ici sont des Québécois. C'est ce qu'on a dit depuis le début. On est tous des Québécois. Monsieur est un Québécois. Et voilà.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Merci, M. le Président. Rapidement, parce que le temps file. Je vous pose un peu la même question que je posais à Mme Vézina ce matin: Est-ce que vous avez analysé l'impact de votre proposition qui, en fait, dit d'abroger la loi 86, que le gouvernement retire sa proposition de loi n° 40 pour faire une refonte complète de la Charte de la langue française? Est-ce que vous avez analysé cet impact-là sur l'économie de Montréal, l'effet de vos recommandations sur l'économie de Montréal?

M. Lemieux (François): Un des constats qu'on peut faire, entre autres, du progrès qu'on m'invitait à constater de la langue française au Québec, c'est, effectivement, la prise en main de leur économie par des Québécois de langue française. Et je crois que c'est évident, oui, le revenu moyen des francophones au Québec a augmenté de façon substantielle, entre autres, et, d'après moi, surtout à cause de la Charte de la langue française. Je crois que l'efficacité d'une reprise économique ou d'un renforcement économique, entre autres, de Montréal passe par une reprise en main par les Québécois ou qu'ils doivent continuer de prendre en main leur économie à Montréal et que, au contraire, c'est en insistant sur l'importance de la langue française au Québec qu'on va y arriver. Et ce qui est surtout important, quant à moi, c'est que le statut de la langue soit clair. À force de le faire réduire, de le faire réaugmenter et de le faire... bien, là, c'est bien évident que tout le monde y perd son latin. Et ça, ça a un impact, enfin, je crois que ça peut avoir un impact sur l'économie.

Mme Frulla: C'est une question, vraiment... Parce qu'on le vit à Montréal, effectivement, et on le vit dans un climat... À un moment donné, on a parlé de combat linguistique. Ça me met un peu mal à l'aise, parce que, finalement, l'espèce de vigilance linguistique que l'on prête à tout le monde avec les lois ou, enfin, avec les mesures et même la bonne volonté de tous de faire, effectivement, du français la langue du Québec, la langue officielle du Québec ... Mais, cela dit, on s'aperçoit du climat de confrontation qui s'établit à Montréal. Et, veux veux pas, il y a, oui...

Et, vous avez raison, la stabilité économique de Montréal, effectivement, vient d'une source, c'est-à-dire des francophones qui se prennent en main, qui prennent en main leur économie aussi, mais aussi elle est obligée d'attirer d'autres capitaux d'autres sources. Et, bien souvent, ce que l'on entend, c'est: Ne nous mettez pas des contraintes supplémentaires. On respecte ce que vous avez présentement, on respecte vos lois, mais ne nous mettez pas des contraintes supplémentaires. Parce que, à ce moment-là, un investisseur, vous le savez comme moi, peut choisir. Si un peuple a droit à son autodétermination, personne ne le conteste, un investisseur peut choisir d'investir à une place ou une autre.

Et, quelque part, il y a eu tout ça aussi, cette discussion par rapport à certaines contraintes qui ne sont pas que l'affichage, mais des contraintes globales qui font en sorte que, si on durcit la loi... Je ne parle même pas du projet de loi n° 40, parce qu'on dit de l'abroger, mais de revenir à la loi 101 et plus que ça. Mettre quand même des mesures qui sont assez fortes, ne craignez-vous pas, finalement, que ça peut faire fuir aussi des capitaux que nous avons et que ça peut aussi faire hésiter des investisseurs étrangers à investir au Québec? On a beau dire que c'est un marché de 6 000 000, quelque part, il y a des façons de contourner tout ça, c'est-à-dire de ne pas s'établir au Québec et d'exploiter le marché pareil.

M. Lemieux (François): Vous savez, dans les 35 dernières années, à mes yeux, il y a eu un moment où il y a eu une véritable paix linguistique, c'est entre 1977 et à peu près 1981-1982, une paix linguistique telle que même une commission fédérale, qui s'appelait la commission Pepin-Robarts, reconnaissait à la loi 101 sa légitimité, son influence et son importance. Il y a eu peut-être une petite accalmie entre 1993 et 1996, mais, à nos yeux, elle était imputable au fait que le parti au pouvoir était en train de changer et que le parti qui venait au pouvoir avait promis l'abrogation de la loi 86. C'est la raison pour laquelle tout le monde est resté sur son quant-à-soi. Une partie de la guerre linguistique qu'on connaît actuellement est fondée sur la volonté ou les réclamations, ou les campagnes faites, entre autres, en ce moment, par la communauté anglophone pour voir plus d'anglais présent ici, au Québec. Je pense qu'on ne peut pas...

(18 heures)

Mais je reviens à ce que je disais tantôt. Il y a un autre facteur aussi que j'ai relevé. Évidemment, quand on appliquait une loi qui prônait l'unilinguisme avec tolérance, on avait moins de risques de provoquer des sursauts que lorsqu'on veut appliquer une loi qui fait la promotion du bilinguisme avec intolérance. C'est bien évident que les résultats sont bien différents et les réactions des gens sont bien différentes.

Moi, ce que je crois surtout, c'est qu'il faut s'assurer que les règles soient claires. Et je suis convaincu que... Vous savez, que ça se passe ici en français ou en italien en Italie, les compagnies ont à vivre avec la langue dans le pays où ils vont et elles s'ajustent en conséquence. Je ne pense pas que ça puisse poser de problèmes. Sinon, elles ne s'établiraient nulle part ailleurs. Et ce qui est important c'est que les règles soient claires, c'est tout. Une compagnie japonaise qui va s'établir à Vancouver va fatalement le faire en anglais; elle ne le fera pas en japonais. Qu'est-ce que vous voulez, c'est comme ça. C'est pour ça qu'elle va investir là. Mais c'est clair, en Colombie-Britannique, c'est en anglais qu'il faut opérer. Au Québec, si ce n'est pas clair que c'est en français qu'il faut opérer, c'est là qu'on a des problèmes.

Le Président (M. Garon): Alors, puisque 18 heures sont atteintes, je remercie les représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

Et, comme nous avons épuisé l'ordre du jour qui était prévu pour la journée, j'ajourne les travaux de la commission à demain, jeudi, le 29 août 1996, à 10 heures.

(Fin de la séance à 18 h 2)


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