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Version finale

30th Legislature, 2nd Session
(March 14, 1974 au December 28, 1974)

Tuesday, June 25, 1974 - Vol. 15 N° 106

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 22 — Loi sur la langue officielle


Journal des débats

 

Commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications

Etude du projet de loi no 22 Loi sur la langue officielle

Séance du mardi 25 juin 1974

(Dix heures quarante et une minutes)

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs !

La commission de l'éducation, des affaires culturelles et des communications entendra aujourd'hui les organismes suivants: dans l'ordre, la Chambre de commerce du district de Montréal, la Fédération des commissions scolaires, l'Association fédérative des étudiants de l'Université de Sherbrooke, l'Association des professeurs de l'université Laval, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et l'Alliance des professeurs de Montréal.

M. MORIN: M. le Président, puis-je vous demander quelles raisons ont été données par le Congrès juif canadien pour expliquer son absence aujourd'hui?

M. CLOUTIER: M. le Président, c'est à la demande du président, qui est actuellement absent.

M. MORIN: Si j'ai bien compris, ce n'est que partie remise, le Congrès juif canadien comparaîtra plus tard.

M. CLOUTIER: Nous suivrons le processus habituel dans les convocations.

M. MORIN: II n'est pas question d'écarter le congrès?

M. CLOUTIER: II n'est question d'écarter aucun groupe dans le cadre des règlements et dans le cadre du cheminement normal de la commission.

M. MORIN : Bien, M. le Président, merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, j'invite immédiatement le représentant, le porte-parole de la Chambre de commerce du district de Montréal, M. Grégoire Tremblay, à prendre place en avant et à nous présenter, s'il vous plaît, pour les besoins du journal des Débats, les personnes qui l'accompagnent.

Chambre de commerce du district de Montréal

M. TREMBLAY (Grégoire): II peut être utile qu'on s'identifie. Grégoire Tremblay, membre permanent de la Chambre de commerce de Montréal, sauf que je serai, en tant que président de la Chambre de commerce de Montréal, le porte-parole, au nom de la chambre. Je suis accompagné de trois personnes. A ma gauche, M. Jacques Tremblay, qui est directeur adjoint de la Chambre de commerce de Montréal, M. Pierre Shooner, qui est le directeur général de la Chambre de commerce de Montréal et, à ma droite, M. Maurice Forget, qui est le président du comité sur la situation de la langue française au Québec, comité formé par la Chambre de commerce de Montréal, qui a aussi étudié, avec son comité, le projet de loi 22 et qui a soumis ses recommandations à la Chambre de commerce de Montréal, à son conseil d'administration, qui a approuvé les notes que nous avons devant nous.

La Chambre de commerce du district de Montréal est heureuse que le gouvernement ait exprimé ses intentions en matière de politique linguistique. La chambre croit que l'incertitude et l'instabilité sont nuisibles au développement; par contre, elle est assurée que les milieux d'affaires sauront, comme ils l'ont toujours fait dans le passé, s'adapter à une politique claire, si les règles du jeu en sont connues et stables.

La chambre aurait préféré, comme elle l'a exprimé dans son mémoire sur le rapport Gendron en septembre dernier, que le gouvernement procède, non par une législation qui se veut globale, mais plutôt par une déclaration générale de politique, confirmée ensuite par des lois adaptées à des domaines spécifiques. Par exemple, il y a une certaine incohérence entre ce projet de loi qui propose une division de l'enseignement selon la langue, alors que nos lois sur l'enseignement sont fondées sur une division selon la religion.

Il faut souligner au départ que la Chambre de commerce de Montréal a concentré ses énergies, depuis deux ans, sur la situation des francophones dans l'entreprise, au Québec, plutôt que sur la situation de la langue française au sein de l'entreprise. Sans vouloir négliger l'importance des considérations portant sur la langue de travail, il nous est apparu, depuis longtemps, que la domination par la minorité anglophone du secteur économique est à l'origine des problèmes socio-économiques de la majorité francophone. C'est donc à ce phénomène que la Chambre de commerce de Montréal s'est attaquée en priorité suggérant les mesures incitatives propres à faire évoluer la situation.

La Chambre de commerce de Montréal a aussi, par ricochet, traité de certains aspects couverts par le projet de loi sur la langue officielle. Quoi qu'il en soit de cette proposition que la chambre a exprimée antérieurement, elle veut soumettre à l'attention de la commission parlementaire des commentaires qu'elle situe dans le cadre de l'actuel projet de loi.

Les commentaires de la chambre porteront

sur deux points qu'elle juge fondamentaux: la portée du projet de loi 22 relativement aux entreprises invitées à poursuivre les objectifs de francisation mentionnés dans ce projet de loi, et, le statut et le rôle de ce que le projet de loi appelle la Régie de la langue, notamment les conditions pour que le prestige et l'autorité de la régie représentent un instrument nouveau dans la poursuite des objectifs de francisation et de francophonisation.

On aura compris, à la lecture de notre mémoire, que les commentaires de la chambre sont loin de couvrir l'ensemble du projet de loi 22. Les délais accordés pour la présentation d'un mémoire n'ont pas permis d'arrêter des propositions sur l'ensemble du projet. En conséquence, la chambre a choisi de concentrer ses efforts sur les quelques propositions qu'elle a jugées plus fondamentales.

Il ne faudrait donc pas présumer trop hâtivement de l'accord ou du désaccord de la chambre en regard des articles n'ayant fait l'objet d'aucun commentaire. II reste que la chambre continue d'endosser les propositions contenues dans le document intitulé: La Chambre de commerce de Montréal et le rapport Gendron.

Dans les recommandations qui suivent, la chambre affirme les principes suivants:

La chambre croit en l'importance de favoriser davantage l'usage du français dans les entreprises et la présence de francophones dans le milieu des affaires, notamment dans les postes de direction des entreprises pour leurs opérations au Québec;

Elle croit que le mouvement de francisation et de francophonisation de l'entreprise doit être orienté et soutenu de préférence par la persuasion ou la contrainte morale, plutôt que par des mesures coercitives et la menace de pénalités précises;

Elle croit qu'il est essentiel de préserver la division du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire; dans le contexte de la loi sur la langue officielle, elle croit que ce principe s'applique à la division du pouvoir exécutif du conseil des ministres, d'une part, et du pouvoir d'enquête et de recommandation de la régie, d'autre part;

Elle croit important de doter la régie de pouvoirs lui permettant de faire une lecture complète et objective de la situation de la langue française et de faire connaître publiquement les résultats de ses observations.

Quant au projet de loi — si nous couvrions les articles que nous avons jugé bon de traiter — nous nous retrouvons à l'article 31 qui se réfère à des dispositions voulant que des subventions soient accordées à des entreprises qui adoptent ou appliquent un programme de francisation et nous demandons de biffer cet article.

Le projet de loi prévoit des subventions discrétionnaires envers les entreprises qui feraient demain des efforts de francisation, alors que nombre d'entreprises ont déjà accompli, sans subvention, une tâche satisfaisante dans ce domaine.

Pour leur part, les entreprises francophones font, sans subvention spéciale, les travaux nécessaires pour pénétrer le marché anglophone.

Enfin, c'est une responsabilité normale, pour une entreprise, de s'intégrer au milieu dans lequel elle s'implante et de présenter son produit ou ses services dans la langue de ses clients.

Le gouvernement offre, par l'Office de la langue française ou par les organismes similaires qui remplaceront ou remplaceraient l'Office après l'adoption de la loi sur la langue française, diverses formes d'assistance technique qui tiennent lieu de subventions à la francisation.

Quant à l'article 32, qui se réfère à l'émission de certificats par le lieutenant-gouverneur en conseil, nous demandons aussi qu'un tel article soit rappelé.

La chambre s'inscrit en faux contre cette notion de certificats, surtout lorsque ces certificats sont émis par le lieutenant-gouverneur en conseil.

Tel que conçu dans l'actuel projet de loi, le certificat équivaut à une attestation de bonne conduite en matière linguistique. Cette attestation doit relever, non pas d'un pouvoir politique, mais d'un pouvoir qui pourrait, par analogie, être qualifié de judiciaire.

En ce sens, il doit appartenir à la Régie de la langue française de faire des contestations, d'établir des faits et d'exprimer des jugements sur la façon dont la loi est appliquée par les diverses institutions de notre société.

S'il est normal que le pouvoir politique établisse les règles de conduite, il devient abusif de lui voir confier le rôle d'arbitre et de juge en cette matière. Cette distinction classique des pouvoirs est essentielle au bon fonctionnement d'une démocratie.

La chambre, de plus, s'oppose à l'émission de certificats qui conditionneraient le droit de certaines entreprises à recevoir des subventions ou privilèges. Nos commentaires, à cet effet, apparaissent aux articles 33 et 34.

Les articles 33 et 34 réfèrent au droit des entreprises de recevoir des privilèges et des droits qui sont conditionnés ou qui pourraient être conditionnés par le fait que les entreprises en question possèdent un certificat qui leur aurait été délivré par le lieutenant-gouverneur en conseil. Nous demandons que ces articles 33 et 34 soient biffés.

S'il n'appartient pas à l'Etat, ainsi que nous l'avons mentionné plutôt, d'émettre des certificats, il n'est pas non plus souhaitable de soumettre les transactions entre l'Etat et les entreprises au rapport favorable émis par la Régie de la langue française en faveur de telles entreprises, ni nécessaire de prévoir des pouvoirs spéciaux pour permettre au gouvernement d'utiliser le poids économique de l'Etat dans ses négociations avec les entreprises.

D'une part, il appartient à la Régie de la langue française de faire connaître la situation des entreprises en regard de la politique linguistique. Par ailleurs, la décision du gouvernement

de transiger avec des entreprises doit tenir compte, bien sûr, de sa politique linguistique et des rapports de la Régie de la langue française de la même manière qu'il doit tenir compte des facteurs régionaux et des règles concernant les soumissions publiques, la qualité des services, etc.

Par exemple, le gouvernement a déjà, par sa politique d'achat, des occasions d'inciter les agents de développement à poursuivre des objectifs communautaires. Par ailleurs, exclure de façon automatique toute négociation avec une entreprise n'ayant pas démontré à la satisfaction de la Régie de la langue française son engagement vis-à-vis de la politique linguistique du gouvernement pourrait obliger celui-ci, à la limite, à transiger avec une firme étrangère encore beaucoup moins intégrée au Québec ou à accepter les offres de services à des prix excessifs.

Les articles 35 et 47 qui réfèrent au programme de francisation ou au contenu des programmes de francisation pour qui veut obtenir un certificat, nous demandons de généraliser la portée de ces articles et les reporter dans le chapitre qui traite des devoirs de la régie.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi 22 fixe des objectifs de francisation seulement aux entreprises qui font affaires avec l'Etat et qui ont besoin de subventions ou de privilèges. La chambre propose que les objectifs de francisation et de francophonisation soient fixés pour toutes les entreprises du Québec.

A l'article 62 qui identifie le rôle de la régie, nous désirons apporter une idée particulière qui se relie plus particulièrement à l'alinéa d) qui dit, originellement, dans l'article actuel: "... de mener les enquêtes prévues par la présente loi afin de vérifier si les lois et les règlements relatifs à la langue française sont observés". Nous aimerions voir compléter cet alinéa par l'idée suivante: Faire les enquêtes, sondages ou recherches permettant de connaître la situation exacte des langues au Québec et rendre publics les résultats de ces travaux.

A l'alinéa g), tel qu'on le lit présentement dans le projet de loi 22, nous lisons donc: "... de délivrer — et c'est le rôle de la régie — les certificats visés aux articles 32 à 34". Nous aimerions remplacer cet alinéa par l'idée suivante: Approuver les programmes de francisation et de francophonisation que se donne une entreprise pour atteindre les objectifs proposés à l'article 65.

Ces corrections sont conséquentes aux principes exposés précédemment à l'article 65. L'effet direct de nos recommandations est de donner une plus grande autonomie à la régie vis-à-vis du conseil des ministres, autonomie qui est la première condition pour que la régie représente une force morale. L'autre condition est la qualité reconnue et le prestige de ses membres, et d'abord de son président.

Nous nous permettons ici une parenthèse pour dire que l'efficacité de la tâche exécutée par un commissaire dépend largement des qualités de la personne qui assume cette fonction. Il faut donc souligner l'importance de désigner à ce poste une personne dont la compétence et l'expérience dans l'administration des entreprises sont reconnues par les entreprises elles-mêmes.

Relativement à l'article 63 qui prévoit pour la régie un certain nombre de pouvoirs, nous lisons présentement dans le projet de loi actuel en f): "La régie peut, avec l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, conclure des ententes avec tout autre organisme ou tout gouvernement afin de faciliter l'application de la présente loi".

Nous aimerions lire: Après en avoir informé le lieutenant-gouverneur en conseil, conclure des ententes avec tout autre organisme ou tout autre gouvernement afin de faciliter l'application de la présente loi. Nous aimerions insérer un nouvel alinéa qui pourrait se lire : Etablir les normes et les règlements à propos des catégories d'entreprises qui devront soumettre les programmes visés à l'article 65.

La nouvelle rédaction de l'alinéa f ) vise le même objectif que nous avons exprimé auparavant: Préserver l'autonomie de la régie afin de préserver son prestige et son autorité. Le nouvel alinéa donne à la régie les pouvoirs nécessaires pour accomplir les devoirs qui lui sont attribués par l'article 65 amendé. L'article 65 se lit présentement: "Les entreprises qui adoptent un programme visé aux articles 35 et 47 le soumettent à la régie. Si la régie est d'avis que le programme est suffisant pour la réalisation des objectifs recherchés et que l'entrepris l'applique efficacement, elle transmet la demande au ministre pour son approbation". Nous recommandons des modifications à l'article 65 pour qu'on puisse y lire: Les entreprises, pour leurs opérations au Québec et compte tenu de leur situation particulière, doivent se donner des programmes de francisation et de francophonisation portant notamment sur — et on retrouvera ce qui est apparu à d'autres articles, mais non à l'article 65 — la connaissance de la langue officielle que doivent posséder les dirigeants et le personnel, la présence des francophones aux divers échelons de l'administration et notamment — et quand nous terminons cette phrase, c'est du neuf — dans le principal centre de décision; c) La langue des manuels, des catalogues, instructions écrites et autres documents distribués au personnel de langue française — c'est ce qui apparaît déjà sous le projet de loi actuel — d) les dispositions que doivent prendre les entreprises pour que les membres de leur personnel puissent, dans leur travail, communiquer en français entre eux et avec leurs supérieurs — c'est identique au projet de loi actuel — ainsi que e) la terminologie employée.

Nous poursuivons: La régie peut demander à une entreprise ou à des catégories d'entreprises de lui soumettre les programmes visés à cet article. Elle les approuve ou recommande des

corrections, selon le cas. Nous croyons que nous soumettons ici une modification majeure au projet de loi.

Le projet de loi 22 accuse une faiblesse importante qui résulte de la décision du gouvernement de procéder dans le domaine linguistique, par voie de législation globale voulant régir tous les domaines à la fois plutôt que par une déclaration générale de politique, assortie de lois adaptées à des domaines spécifiques.

Comme une législation est nécessairement contraignante et accompagnée de mesures punitives pour qui l'enfreint, le gouvernement a choisi de limiter la portée du projet de loi aux catégories d'entreprises sur lesquelles il détient un contrôle efficace par le biais de son pouvoir économique. Il en résulte cependant qu'il s'éloigne de son objectif d'amener les entreprises en général à s'engager dans un processus de francisation et de franco phonisation. Cette approche nous semble inacceptable et contredit un des attendus du projet de loi. L'attendu en question se lit comme suit: "Les membres du personnel des entreprises doivent pouvoir, dans leur travail, communiquer en français entre eux et avec leurs supérieurs."

La chambre recommande donc de donner une portée générale aux objectifs de francisation de l'entreprise, même si une telle mesure demeure incitative. Une telle modification, d'ailleurs, n'empêche aucunement le gouvernement d'utiliser son poids économique dans le cas des entreprises voulant transiger avec lui.

Nous avons cru bon, de plus, de préciser ces objectifs sur un point La formule "une présence francophone dans l'administration" nous semble trop vague. La chambre croit que c'est au sommet de la hiérarchie d'une entreprise que l'influence des francophones doit plus précisément se faire sentir.

L'intervention de la régie n'est pas coerciti-ve. La régie, en effet, n'a pas le pouvoir de distribuer des privilèges ni d'imposer des pénalités. Cependant, ces rapports publics représentent une forme de pression morale non négligeable. Evidemment, il est important que l'objectivité et l'autorité de la régie soient d'abord clairement établies. C'est pourquoi la chambre insiste, d'une part, sur l'importance du choix des membres de la régie et, d'autre part, d'assurer à ces personnes un statut d'indépendance.

A l'article 66, le projet de loi indique: "La régie délivre le certificat susvisé après approbation du ministre. La régie peut, avec l'accord du ministre et pour des raisons valables, retirer le certificat." Pour des fins de concordance, nous croyons utile de voir biffer l'article 66.

A l'article 99, il y a une nuance qui nous semble importante, quand on lit dans le projet actuel: "La régie peut, si elle juge qu'il n'est pas donné suite à ses recommandations...", etc. Nous devrions lire, quant à nous: La régie doit, si elle juge qu'il n'est pas donné suite à ses recommandations, exposer la situation dans son rapport annuel; elle peut, si elle le juge à propos, soumettre un rapport spécial au ministre, qui le dépose sans délai à l'Assemblée nationale.

Pour que l'on rejette les formules de coercition, il faut se donner la force morale de l'information publique. H est du devoir de la régie de nommer les entreprises qui, sans raison jugée valable par la régie, n'ont pas appliqué une politique conforme à la volonté du législateur.

Le devoir de la régie est de faire connaître les faits au meilleur de son jugement. Cela n'implique pas ipso facto des mesures punitives ni n'empêche qu'un jugement plus favorable soit porté à d'autres points de vue envers la même entreprise. C'est pourquoi le jugement de la régie, malgré toute l'autorité morale qu'il doit avoir, n'a pas le caractère odieux que l'on pourrait attacher au certificat prévu par l'article 32 de l'actuel projet de loi.

C'est la fin des commentaires de la Chambre de commerce de Montréal.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, M. Tremblay, j'invite immédiatement le ministre de l'Education à commencer la période de questions.

M. CLOUTIER: M. le Président, je désire remercier la Chambre de commerce du district de Montréal pour la présentation de son rapport. Même s'il est assez critique pour le projet de loi, je constate qu'il a quand même été fait dans l'esprit dont je parlais la semaine dernière, c'est-à-dire dans un esprit positif où un groupe cherche à apporter un éclairage à un projet en fonction de ses opinions.

Je me réserve, au cours du débat, le droit de répondre à un bon nombre de questions qui sont soulevées par ce mémoire. Je pense, en particulier, à la distinction entre francisation et francophonisation. Je pense également au programme de francisation qui se base sur l'émission de certificats; soit dit en passant, c'est là une technique qui est utilisée par bien des gouvernements et même dans la loi sur le tamisage des investissements étrangers, la loi canadienne récente, on se base sur des approches assez similaires.

Je me réserverai également de bien démontrer que l'objectif de la loi est clair, même s'il n'entrafne pas nécessairement pour toutes les entreprises des programmes qui sont des programmes d'incitation positive. En fait, les buts sont inscrits dans le préambule, apparaissent dans tout le cheminement des articles, mais il est bien évident que nous n'intervenons de façon assez précise que pour une certaine catégorie d'entreprises.

J'aurai donc une seule question. J'ai l'impression, à la lecture de ce mémoire, que même si l'on est d'accord sur les objectifs poursuivis par le projet de loi, on tente par des amendements à lui enlever à peu près toute sa

dynamique, c'est-à-dire tous ses instruments qui visent à obtenir ou à atteindre les objectifs. Il s'agit en ce moment uniquement du secteur des affaires, du secteur du travail, auquel vous avez voulu vous confiner.

Ma question serait donc la suivante: Est-ce que, tout en admettant les objectifs, tout en renforcissant le rôle de la régie, vous n'en arrivez pas uniquement à des techniques de persuasion? Est-ce que vous ne souhaitez pas au fond que le gouvernement dise qu'il faut que les entreprises se francisent et qu'ensuite vous comptez sur la bonne volonté pour qu'il en soit ainsi, non seulement la bonne volonté, mais également la force morale d'une régie qui pourrait attirer l'attention de l'opinion publique si les entreprises ne se conformaient pas aux buts très généraux que la loi, à ce moment-là, mettrait de l'avant? J'aimerais avoir vos commentaires sur ce sujet.

M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, mon premier commentaire est pour dire que, contrairement à ce qu'on croit ou à ce qu'on indique, à savoir que nos propres positions semblent vouloir rétrécir la portée du projet de loi, l'un des principaux commentaires que nous avons faits des principaux amendements que nous suggérons est de porter l'intention du projet de loi, non plus à une catégorie d'entreprises qui veulent traiter avec le gouvernement, mais d'étendre son intention au niveau de toutes les entreprises du Québec.

M. CLOUTIER: Je m'excuse de vous interrompre, mais c'est ce que je disais au début de mes commentaires. Cette intention, elle y est. Ce que vous souhaitez, cela y est; mais une fois que vous avez fait cela, qu'est-ce que vous faites ensuite?

M. TREMBLAY (Grégoire): Très bien. Quand vous dites que la position de la chambre veut restreindre le gouvernement dans la portée économique ou le poids qu'il possède pour obtenir les objectifs, nous disons simplement dans nos commentaires qu'il n'y a pas besoin et qu'il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans le projet de loi pour faire porter le poids économique du gouvernement. Le gouvernement exerce déjà un poids économique lorsqu'il donne des subventions, des privilèges aux entreprises, ne serait-ce que par une politique d'achat, par des facteurs régionaux, et nous croyons seulement qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir un certificat et de montrer patte blanche pour que le gouvernement puisse amener les entreprises à traiter avec le gouvernement.

M. CLOUTIER: M. le Président, là vous m'étonnez, parce que vous semblez critiquer le projet de loi pour ses aspects trop discrétionnaires. Si nous procédions de cette façon, est-ce que ce ne serait pas encore plus discrétionnaire?

M. TREMBLAY (Grégoire): II y a deux points, je pense, qu'il faut établir ici: le premier, c'est que nous nous opposons à ce que le lieutenant-gouverneur en conseil émette les certificats. Nous croyons qu'étiqueter une entreprise, à savoir qu'elle respecte les objectifs du gouvernement ou du législateur, appartient à un pouvoir quasi judiciaire, celui de la régie de faire une lecture objective sur la valeur des programmes de francisation dans une entreprise. C'est un premier point. Donc, il ne devrait pas appartenir au lieutenant-gouverneur en conseil d'émettre des certificats et de juger de la bonne conduite des entreprises en regard du programme de francisation.

En dehors de cela, nous disons que le gouvernement doit tenir compte des rapports de la régie lorsqu'il traite avec une entreprise, à savoir si cette entreprise se conforme à l'intention du gouvernement de vouloir se franciser et d'appliquer l'esprit de sa législation. Il ne fait nul doute que, sans qu'il y ait une législation particulière qui amène le gouvernement à préférer une entreprise québécoise plutôt qu'une entreprise de l'Ontario, par exemple, dans les transactions avec différentes entreprises, elle fait exercer son poids économique et elle peut le faire exercer tout autant au niveau linguistique, en utilisant les rapports de la régie et en faisant peser le poids de cette volonté de l'entreprise de se franciser lorsque le gouvernement accorde un contrat à telle entreprise.

Elle peut donc exercer le pouvoir sans même qu'on l'identifie textuellement dans la législation, comme on le fait présentement.

M. CLOUTIER: Bon, alors, est-ce que je trahirais votre pensée ou la pensée de la chambre de commerce, en disant que, ce que vous souhaiteriez au fond, c'est une loi qui établisse les objectifs, lesquels sont — je le répète — dans le projet de loi, surtout si vous lisez le préambule, et qu'ensuite vous laisseriez les forces économiques, la bonne volonté, la persuasion morale intervenir?

M. TREMBLAY (Grégoire): II y a quand même une contrainte morale à laquelle nous nous sommes référés. Non, d'abord il y a la contrainte morale qui veut que l'entreprise qui est nommée à l'Assemblée nationale se voit étiquetée d'une façon qui n'est pas, normalement, particulièrement appréciée par l'entreprise en question.

Deuxièmement, je suis obligé de me répéter, M. le Président, pour dire que les mesures incitatives que prévoit le gouvernement pour amener les entreprises à se franciser, une de ces mesures incitatives est l'obtention d'un certificat, c'est-à-dire, la bonne volonté, la preuve de la bonne volonté des entreprises de se franciser. On conditionne, jusqu'à un certain point, pour le gouvernement, les transactions avec l'entreprise et c'est, je pense, ce que vous appelez, M. le ministre, une mesure incitative. Nous croyons

qu'elle doit demeurer, mais il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans le projet de loi, parce que ce n'est qu'une forme de persuasion parallèle à bien d'autres formes de persuasion et de contrainte morale lorsque le gouvernement transige avec les entreprises. Nous n'enlevons pas un pouvoir qu'a présentement le gouvernement en éliminant le certificat. Il serait normal que — cela a été dit à peu près textuellement plus tôt — le gouvernement, lorsqu'il transige avec les entreprises, conserve à l'esprit cette dimension linguistique de la volonté d'une...

M. CLOUTIER: C'est exact.

M. TREMBLAY (Grégoire): ... entreprise d'avoir un programme de francisation.

M. CLOUTIER: Alors, je termine avec deux remarques. Cela vous paraîtrait moins discréti-tionnaire que ce qui existe actuellement, et ensuite, alors que vous considérez les certificats, suivant votre expression, comme des certificats de bonne conduite linguistique, vous n'auriez pas objection à ce qu'on fasse une espèce de palmarès public à l'Assemblée nationale en donnant la liste des compagnies délinquantes. Cela revient à peu près à cela.

M. TREMBLAY (Grégoire): Nous n'avons aucune objection à ce faire, tout au contraire, nous pensons que c'est là la principale contrainte morale.à laquelle nous nous sommes référés pour faire en sorte que les entreprises soient forcées moralement de se donner un programme de francisation. La Chambre de commerce accepte et propose que le rapport annuel fasse état des entreprises qui ont accepté ou n'ont pas accepté de collaborer dans la politique linguistique du gouvernement.

M. CLOUTIER: Alors, je ne trahissais donc pas votre pensée lorsque je tentais de la résumer tout à l'heure en disant que vous êtes d'accord sur les objectifs et même des objectifs renforcés, mais vous souhaiteriez, ensuite, que ce soit l'incitation, la bonne volonté, la persuasion morale, les forces économiques qui jouent spontanément vers l'obtention de ces objectifs.

M. TREMBLAY (Grégoire): A poser la question comme vous le faites, M. le ministre, je pense que vous tentez de conclure que la position de la chambre est plus faible en termes de la persuasion aux entreprises pour se franciser. Si c'est là l'intention, je pense que oui, vous trahissez ma pensée.

M. CLOUTIER: Non, ce n'est pas l'intention. Ce que je poursuis, c'est de vous permettre vraiment de bien expliquer votre point de vue. Je vous serais reconnaissant, si vous n'êtes pas d'accord sur ce que j'ai dit textuellement, de me corriger. Je ne suis pas là du tout pour vous mettre en difficulté, soyez-en absolument convaincu.

Je ne cherche rien à prouver. Je cherche à avoir les témoignages les plus clairs possible de la part de ceux qui nous font le plaisir de comparaître. Ce que j'ai dit, c'est ceci: Vous êtes d'accord sur les objectifs de francisation. Vous aimeriez même qu'ils soient plus clairs, plus généraux...

M. TREMBLAY (Grégoire): Surtout étendus à toutes les entreprises.

M. CLOUTIER: ... surtout étendus, bien que je prétende qu'ils le sont actuellement.

M. TREMBLAY (Grégoire): D'accord!

M. CLOUTIER: Mais, dans votre optique, vous aimeriez que ce soit peut-être formulé d'une façon différente. Une fois que nous avons fait cela, vous laissez les forces spontanées, forces morales et forces économiques jouer. Ce n'est pas tout à fait cela?

M. TREMBLAY (Grégoire): Je pense que non et j'aimerais indiquer à nouveau que le pouvoir que se donne le gouvernement, par le projet de loi 22, de pouvoir transiger avec des entreprises ayant obtenu le certificat et, donc, ayant montré patte blanche sur le plan linguistique, je dis que ce pouvoir n'est pas diminué ou éliminé quand on enlève la référence au certificat dans le projet de loi. C'est encore un pouvoir économique que possède le gouvernement et qu'il doit exercer.

Je dois finalement indiquer, parce que vous avez semblé surpris que je me réfère au fait qu'on puisse nommer — je l'ai interprété comme tel — à l'Assemblée nationale les entreprises ayant ou n'ayant pas suivi la politique linguistique, que ceci est tout à fait conforme à une position de la Chambre de commerce sur le rapport Gendron et qui disait textuellement: "L'une de ses tâches — on parlait de la Régie de la langue française, non, on parlait probablement de l'Assemblée nationale ou du rapport de la Régie de la langue française — sera de nommer les entreprises qui ne se seraient pas conformées à la politique du gouvernement".

M. CLOUTIER: Remarquez que cela m'a étonné aussi à l'époque. Alors, il n'y a rien de nouveau dans ma réaction. Je suis entièrement d'accord sur ce que vous avez dit, et, en fait, ce que j'avais dans l'esprit, quand je parlais de pouvoir économique, c'était exactement cela. Parce qu'il est bien évident que le gouvernement a le pouvoir de subventionner les entreprises et, en fait, nous avons toujours tenu compte d'un ensemble de facteurs. L'intérêt, à mon sens, de ce projet de loi est qu'on institutionnalise tout cela de manière à créer une dynamique qui nous permette d'obtenir des objectifs. Et nous croyons que laisser agir tout simplement la bonne volonté ou les forces économiques telles qu'utilisées jusqu'ici ne serait pas suffisant. Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: M. le Président, je voudrais d'abord constater avec nos invités que l'incertitude est nuisible au développement économique. L'incertitude en matière linguistique constitue, effectivement, une pierre d'achoppement pour les sociétés, même étrangères, qui seraient intéressées à faire affaires au Québec.

Je voudrais vous entretenir, tout d'abord, de ce que vous appelez la francophonisation des entreprises, c'est-à-dire la présence des Québécois francophones dans les postes de direction des entreprises.

Vous dites, à la page 11 — et cette phrase résume fort bien votre pensée, je crois — : "La chambre croit que c'est au sommet de la hiérarchie d'une entreprise que l'influence des francophones doit plus précisément se faire sentir". Et dans un document confidentiel que vous remettiez au premier ministre et dont la Presse a fait état, le 9 mai dernier, vous avez démontré que le pourcentage des francophones aux cinq premiers rangs de la direction générale de 105 grandes entreprises du Québec que vous avez recensées, n'était que de 18 p.c. Vous avez constaté également, selon le compte rendu donné par M. Vennat dans la Presse, que, si l'on atteint ce pourcentage de 18 p.c., c'est grâce aux douze entreprises de plus de 800 employés contrôlées par des francophones, lesquelles embauchent 95 p.c. des cadres francophones.

Vous avez constaté que, si l'on se tourne vers les 93 entreprises du Québec contrôlées par les anglophones et embauchant 800 employés ou davantage, le nombre de francophones à la direction générale n'est plus que de 7 p.c. Et vous concluiez, de ce document soi-disant confidentiel, que la cause principale des problèmes linguistiques du Québec était, selon vos propres mots, "la domination économique et plus précisément l'omniprésence des anglophones dans les centres de décision des grandes entreprises économiques opérant au Québec".

Ces constatations vous faisaient rejoindre certains faits que la commission Gendron avait mis en lumière dans ses dossiers concernant les salaires payés aux francophones, sur la présence des francophones aux divers paliers de salaire dans les entreprises; c'est une question sur laquelle je voudrais peut-être revenir tout à l'heure.

Vous avez donc, messieurs de la Chambre de commerce de Montréal, à plusieurs reprises, mis l'accent sur le peu de représentants francophones dans les grandes affaires. Vous avez même souligné qu'il s'agissait là d'une situation d'urgence. Je ne pense pas trahir votre pensée; j'emprunte ces mots au compte rendu de la Presse, où l'on parle de "l'urgence de la situation". C'est en raison de l'urgence de cette situation que votre chambre a entrepris la compilation de ce dossier.

D'autre part, messieurs, l'autre jour a compa- ru devant cette même commission, le Board of Trade, à qui j'ai fait part des faits que vous aviez constatés, et auquel j'ai posé des questions sur les remèdes qu'il conviendrait d'apporter à cette situation. Je n'ai pu obtenir à peu près aucune réponse de ces messieurs sauf "business is business". On nous a laissé entendre qu'il n'y avait pas suffisamment de francophones pour occuper les postes de direction que vous convoitez pour les francophones. On nous laissait entendre également que peut-être les francophones n'étaient pas assez compétents et qu'il ne fallait jamais perdre de vue que "business is business".

Messieurs, devant l'urgence de la situation telle que vous la décrivez, devant la réticence des milieux anglophones, des divers milieux anglophones qui ont comparu devant cette commission, je m'interroge fortement sur les pressions morales, les contraintes morales que vous préconisez sur votre politique "d'intervention non coercitive, d'incitation, de persuasion". Votre mémoire est essentiellement fondé sur cette gamme de mots. J'aimerais vous demander si vraiment vous êtes convaincus que votre système de persuasion morale est suffisant pour arriver aux objectifs que vous vous êtes fixés dans votre mémoire au premier ministre?

M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, non, je ne suis pas convaincu. Je suis optimiste, mais non convaincu.

M. MORIN: Mais qu'est-ce qui vous fait opter dès l'abord pour des mesures purement incitatives, alors que vous connaissez sans doute très bien le milieu des affaires? Je vois un hiatus, un fossé très profond entre vos objectifs, d'une part, et les moyens que vous vous donnez pour les réaliser, d'autre part. Vous êtes des lions au plan des objectifs, et vous redevenez des moutons traditionnels au plan des moyens.

M. TREMBLAY (Grégoire): C'est le traditionnel qui m'a un peu frotté l'oreille. M. le Président, si nous connaissons l'état de la situation, les faits tels qu'ils nous sont présentés en 1973/74, on peut établir les chiffres et les données dont M. Morin a fait état il y a un moment. Ce qu'on connaît moins, c'est l'évolution. C'est une première remarque. Une deuxième, c'est que nous désirons depuis longtemps qu'il y ait une politique dans le domaine linguistique au Québec, chose qui n'existait pas jusqu'à présent. Nous avons insisté pour qu'une régie puisse être en mesure de faire une étude complète et objective, période après période, année après année, et puisse transmettre à la population, en même temps qu'à l'Assemblée nationale, l'état de la situation, mais dans une période dynamique, c'est-à-dire en 1974, 1975, 1976. On pense que, n'ayant pas eu jusqu'à maintenant une politique évidente et précise dans le domaine linguistique, n'ayant pas été en mesure — ce qui sera le cas bientôt avec une

régie — d'avoir une lecture de la situation d'une façon dynamique, nous croyons que ces mécanismes, ajoutés à ceux de la persuasion...

Nous avons noté, dans un mémoire précédent, l'importance qu'avait le premier ministre, le prestige attaché à la tâche du premier ministre, l'importance qu'il y avait de persuader les cent plus grandes entreprises qui sont quand même les plus grands employeurs au Québec et l'importance de donner un droit égal à tous les Québécois dans le domaine économique. Nous croyons que tous ces mécanismes, étant mis en place — et c'est de là que vient l'optimisme — permettront de faire probablement évoluer la situation beaucoup plus rapidement et, si ce n'était pas le cas, tout au moins de connaître le portrait de la situation dans une voie dynamique des choses.

En 1975/76, il n'est pas certain que la Chambre de commerce tienne les mêmes propos. Elle croit qu'il y a un devoir, à ce moment-ci, d'utiliser d'abord, à travers les mécanismes qu'on met en place, la persuasion pour amener les hommes d'affaires, les industriels du Québec, à faire une plus grande place aux francophones dans le domaine industriel. Si vous me dites: Et si cela ne donnait pas de résultats? On verra dans le temps. C'est de là que vient l'optimisme. Qu'on se donne les mécanismes voulus, les outils voulus et qu'on ait une politique claire. A ce moment-là, si la situation n'évolue pas dans le sens que le Québec le désire, une loi, ce n'est pas un mécanisme gelé, c'est une forme qui peut être progressive et on croit qu'il faudra prendre les mesures à ce moment-là, si celles prévues présentement ne donnaient pas les résultats escomptés.

M. MORIN: M. le Président, je suis heureux de constater que, dans l'hypothèse où le projet de loi, surtout édenté, comme vous le concevez, se révélait insuffisant, vous envisageriez d'aller plus loin. Mais est-ce que je pourrais vous demander un peu plus de détails sur votre pensée à ce sujet? Quel genre de sanctions mettriez-vous de l'avant à ce moment?

M. TREMBLAY (Grégoire): Si j'étais pessimiste, probablement que j'aurais déjà réfléchi à ces mesures; me disant optimiste, non, la Chambre ne s'y est pas attardée. Je pense que nous avons dessiné par ailleurs un objectif et, si les outils ne nous permettent pas d'atteindre l'objectif, il faudra penser à d'autres mécanismes. Non, je regrette de ne pas être en mesure de vous indiquer que, dans une situation hypothétique comme celle-là, quels pourraient être les moyens que nous aimerions recommander.

M. CHARRON: Pourtant, vous faites une affirmation importante dans votre mémoire au moment où vous dites que vous reprochez au projet de loi 22 de fixer des objectifs de francisation qui portent uniquement aux entre- prises qui font affaires avec l'Etat, et qui ont besoin de subventions, de privilèges, vous lui reprochez de ne pas s'étendre aux autres. Le ministre soutient le contraire, sans jamais l'avoir prouvé. Alors, je voudrais vous demander si, dans cette optique, pour être conforme à votre propre proposition, vous devez déjà penser à des mesures plus qu'incitatives et autres que le simple jeu du pouvoir économique si vous voulez faire étendre ces mesures à toutes les entreprises. Actuellement, l'incitation, sur laquelle vous vous basez et sur laquelle est basée le projet de loi, peut toujours jouer par le biais économique avec les entreprises faisant affaires avec l'Etat, mais, vous-mêmes, vous lui reprochez de ne pas s'étendre à un nombre suffisant d'entreprises. Alors, pour les autres entreprises, quelles seraient les mesures que vous proposeriez maintenant et seraient-elles toujours uniquement incitatives, comme vous aimez nous le répéter de façon optimiste?

M.TREMBLAY (Grégoire): Je peux, M. le Président, indiquer tout de suite que les mesures que nous prônons pour les autres entreprises autres que celles voulant traiter avec l'Etat... Nous proposons les mêmes objectifs, à savoir que notre position — je pense à l'article 65 — indique que toutes les entreprises devraient entreprendre un programme de francisation. En termes d'objectif, il est le même que d'autres entreprises qui voudraient traiter avec l'Etat. Evidemment, la contrainte morale demeure la même que pour les autres entreprises, celles qui ont traité avec l'Etat. Je constate avec vous que le poids économique n'existe pas pour celles qui ne négocient pas avec le gouvernement. Il y a donc là une distinction que j'admets, évidemment. On s'est attardé davantage aux objectifs.

Je me surprends, j'ai l'impression, M. Charron, que vous reprenez en d'autres mots les propos de votre collègue, à savoir que vous aimeriez nous amener à préciser quelles pourraient être les mesures que nous aimerions voir intégrées au projet de loi ou à une loi, si les mesures actuelles ne donnaient pas de résultat; mon domaine étant un peu celui du travail, je sais fort bien que les anciennes lois du travail ont été modifiées à peu près tous les deux ans et le code du travail est à la veille de l'être de nouveau. C'est très dynamique, une loi, et une loi est dynamique pour qu'elle puisse s'adapter à des situations précises. Il y a un mémoire précédent, toujours le même incidemment, où on disait qu'il serait utile que la régie fasse le point sur la situation d'évaluer l'efficacité des politiques utilisées et de décider, s'il y a lieu, de chercher de nouveaux moyens d'action. Autant vous trouvez mon optimisme un peu farfelu, autant je trouve que poser carrément la question en prenant comme hypothèse que la situation n'évoluera pas, c'est aussi prendre une position un peu étroite.

M. FORGET (Maurice): M. le Président, il y aurait peut-être lieu de souligner que le moyen

incitatif le plus puissant suggéré par la chambre, c'est justement le fait que la régie doit dénoncer, au moins dans son rapport annuel, les entreprises qui ne se conformeraient pas à la politique linguistique du gouvernement. A mon sens, il n'y a pas une compagnie, une entreprise sérieuse, qui voudrait voir son nom affiché de cette façon, les répercussions dans ses affaires au Québec pourraient être désastreuses. Je pense que c'est un moyen incitatif très fort, ce n'est peut-être pas le lion qu'a mentionné M. Morin, c'est peut-être un bouledogue.

M. MORIN: Vous semblez tenir pour acquis que la Régie de la langue jouirait d'un prestige considérable. En tout cas, cela me paraît être une condition de cette force de persuasion dont vous avez parlé. Toutefois, je suis obligé de vous dire que ce n'est plus de l'optimisme, cela; c'est plutôt de la naiveté, compte tenu de l'expérience québécoise à l'égard de toutes les commissions dont nous sommes déjà j'allais dire affligés. Très peu de commissions, à ma connaissance — peut-être pourriez-vous me donner des exemples qui pourraient renforcer vos dires — jouissent d'un tel prestige, très peu de commissions ne sont pas serviles à l'endroit du gouvernement. Comment feriez-vous pour assurer l'indépendance, l'autorité morale d'une telle commission, compte tenu du contexte québécois dans lequel nous vivons et du gouvernement actuel?

M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, on a identifié les mesures qui nous semblent propres à assurer cette autonomie et cette compétence. On a même dit — je le soulignais en parenthèse tantôt, c'était un peu hors contexte — qu'il est essentiel que la régie puisse avoir ce caractère d'indépendance, d'autonomie et de compétence. Par ailleurs, quand vous me rapportez l'expérience des régies ou des commissions qui existent présentement en qualifiant ces commissions de peu efficaces, je regrette de ne pas avoir de commentaire, je ne connais pas ce sujet suffisamment et peut-être que mes collèges aimeraient ajouter des commentaires. Nous identifions, quant à nous, l'importance qu'elle soit autonome, qu'elle soit compétente, qu'elle soit efficace et si, à cause des nominations ou à cause des procédures administratives, il n'en est pas ainsi, il m'apparaît que c'est à regret. Je ne connais pas suffisamment le succès, la compétence ou l'efficacité des commissions qui existent présentement pour vous donner des exemples ou faire échec à votre proposition.

M. MORIN: Je crains bien qu'avec le peu de pouvoirs que vous reconnaissez à cette commission, très peu d'hommes compétents soient attirés par des postes de ce genre; ne seront attirés que des personnes qui, de toute façon, seraient inefficaces.

Vous ne pouvez, d'autre part, édenter une commission, lui donner un pouvoir purement incitatif et, d'autre part, vous attendre que des hommes de valeur, des hommes efficaces soient intéressés à venir oeuvrer dans un cadre comme celui-là. Vous ne trouverez personne de valable pour faire ce travail; c'est du moins ce que je crains.

J'aimerais conclure en disant que la prise de conscience qui se fait jour à la Chambre de commerce de Montréal et qui vous porte à souligner l'urgence de "québéquiser" l'entreprise au Québec nous est très sympathique. Je suis sûr qu'elle l'est à l'ensemble des Québécois; mais j'estime que, pour ce qui est des moyens par lesquels vous entendez en arriver à vos objectifs, on doit vous appliquer ce que vous avez conclu vous-même dans votre document confidentiel, à savoir qu'il fallait éviter une action qui serait "purement symbolique". Ce que vous êtes venu nous proposer ce matin est une action qui, à nos yeux, demeure purement symbolique. J'ai terminé, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Laporte.

M. DEOM: M. le Président, il y a un point que j'ai déjà souligné devant d'autres organismes et sur lequel j'aimerais revenir, c'est celui de la francophonisation. Le mémoire de la Chambre de commerce insiste beaucoup sur ce problème de la francophonisation. Quant à moi, je considère que la langue ne devrait pas être un moyen pour les francophones de reprendre le pouvoir économique et je me demande si, quand on utilise la langue ou qu'on propose d'utiliser la langue, ce n'est pas un peu de la prostitution culturelle.

Sur le plan de la francophonisation, je pense que le gouvernement du Québec a d'autres instruments — et il y en a beaucoup — qui pourraient éventuellement lui permettre d'agir sur le phénomène de la francophonisation. J'ai un certain nombre de questions, M. le Président, parce qu'il y a certaines contradictions, me semble-t-il, dans le mémoire de la Chambre de commerce.

La première est à la page 5, quand la chambre nous recommande de laisser au gouvernement le soin d'utiliser la politique linguistique et les rapports de la régie de la même manière qu'il doit tenir compte des facteurs régionaux et des règles concernant les soumissions publiques, etc. J'ai l'impression qu'il y a une contradiction flagrante avec ce que la chambre propose dans son introduction, à la page 1, où elle dit: "Elle est assurée que les milieux d'affaires sauront, comme ils l'ont toujours fait par le passé, s'adapter à une politique claire, si les règles du jeu en sont connues et stables".

Comment réconciliez-vous ces deux positions que vous prenez? D'autre part, vous

demandez que le gouvernement établisse une politique avec des règles du jeu claires et stables, et, d'autre part, vous laissez, d'une façon qui est très floue, le gouvernement utiliser la politique linguistique comme il peut utiliser la politique d'achat, les 10 p.c. préférentiels, sans définir des règles précises et claires.

M. TREMBLAY (Grégoire): M. le Président, il y a déjà une première précision qui est apportée. Jusqu'à maintenant, nulle entreprise ne pouvait appréhender ou ne pouvait connaître la position du gouvernement à l'égard des octrois de privilèges, de subventions, compte tenu du domaine linguistique. Une entreprise qui n'aurait pas eu de programme de francisation pourrait s'opposer à ce que le gouvernement ne l'ait pas fait, pour lui préférer une autre entreprise.

Déjà, indiquer dans notre mémoire que cela devient une considération, à savoir la bonne conduite sur le plan linguistique pour l'octroi de privilèges et de subventions, est une précision par rapport à ce qui existait jusqu'à présent. C'est déjà là une clarté qui n'apparaissait pas jusqu'à maintenant.

Si votre question va un peu plus loin en disant: Est-ce que le gouvernement devrait identifier suivant quelle modalité elle tiendra compte de la dimension linguistique? Probablement, sans le savoir, lorsqu'elle tient compte de facteurs régionaux, lorsqu'elle tient compte, dans sa politique d'achat, par exemple, de certains critères ou normes, elle a dû les définir ou ils doivent être connus. C'est sans doute une politique identifiée pour que les entreprises sachent à quoi s'en tenir. Je suppose que, en parallèle, elle définirait un peu ces normes, ces critères qui amèneraient le gouvernement à prendre en considération la dimension linguistique.

M. DEOM: M. le Président, je trouve encore là une contradiction, parce que ce que je conclus de ce que vous me dites, c'est que vous préféreriez qu'on procède par voie de réglementation pour déterminer quand la politique linguistique doit s'appliquer dans l'octroi des contrats. Tantôt, vous nous avez pourtant dit qu'on utilisait beaucoup trop le pouvoir de réglementation. Mais, par ailleurs, si on n'établit nulle part cette chose, vous n'avez pas l'impression que vous jouez justement contre une des aspirations fondamentales de l'entreprise qui est d'avoir des règles du jeu précises? Pour un gouvernement, la loi est un énoncé de politique.

M. TREMBLAY (Grégoire): C'est là, M. le Président, qu'on a fait d'abord la distinction entre le législatif et le judiciaire ou le quasi judiciaire. D'une part, il nous semble qu'il n'appartient pas au gouvernement, une fois qu'il a légifiéré, de se porter juge quant à savoir quelle entreprise poursuit les programmes de francisation préconisés par le gouvernement. Ce doit être un organisme différent, qu'on appelle ici la régie, et non plus le lieutenant-gouverneur en conseil. C'est une première constatation ou considération.

En deuxième lieu, on dit simplement que la considération linguistique doit être une considération du type de celle qui existe déjà en ce qui concerne la politique d'achat du gouvernement, sa politique de favoriser les facteurs régionaux pour l'octroi de contrats. Je ne connais pas dans les détails comment fonctionnent ou quels sont les normes et les critères et comment ils sont définis. Par exemple, dans la politique qui tient compte des facteurs régionaux, on dit simplement que c'est au même type de normes ou de critères qu'on fait référence.

M. DEOM: C'est cela. Vous suggérez qu'on procède par arrêté en conseil?

M. TREMBLAY (Grégoire): Est-ce que c'est le cas pour...

M. DEOM: Oui.

M. TREMBLAY (Grégoire): ... les autres facteurs, les autres considérations?

M. DEOM: Oui. Vous seriez d'accord...

M. TREMBLAY (Grégoire): Cela identifierait les règles du jeu?

M. DEOM: ... si je comprends bien, pour que le certificat de francisation, dans la mesure où le gouvernement le juge à propos, il le retire de la loi, mais qu'il le réintroduise dans la réglementation?

M. TREMBLAY (Grégoire): Mais quant à savoir, M. le Président, quelle est l'entreprise qui suit et qui va dans la ligne de la politique du gouvernement, on dit que ce n'est pas au gouvernement à l'établir, que c'est à un corps neutre à l'établir. Une fois qu'il l'a établi, on dit que le ministre ou le lieutenant-gouverneur en conseil doit ou peut recevoir des avis de la régie. Mais quant à établir les normes de conduite, si cela se fait normalement par arrêté en conseil, je vois que cela se ferait aussi par arrêté en conseil, mais vous ne jugeriez pas, à ce moment-là, quelle est l'entreprise qui applique la politique du gouvernement, c'est la régie qui le ferait. C'est là, à mon sens, la grande distinction.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, le temps est maintenant écoulé. Nous remercions, au nom de la commission, les représentants de la Chambre de commerce du district de Montréal de leur présentation.

M. TREMBLAY (Grégoire): Merci de nous avoir entendus.

LE PRESIDENT (M. Gratton): J'invite maintenant M. Jean-Gilles Jutras, porte-parole

de la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec, à bien vouloir se présenter et nous présenter les gens qui l'accompagnent, s'il vous plaît.

M. FORTIN: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Jutras.

Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec

M. FORTIN: Messieurs, je serai le porte-parole de la Fédération des commissions scolaires à titre de président général de cet organisme. Je me présente donc, Gilles Fortin.

Il me plaît également de vous présenter la délégation de la fédération. A ma gauche, M. Ulric Blackburn, premier vice-président de cet organisme, ainsi que M. Côté, deuxième vice-président de cet organisme; M. Laplante et Mme Gobeil, membres de l'exécutif de cet organisme. Egalement à ma droite, M. Sabourin, directeur du service des communications de la fédération, ainsi que M. Philippe Arcand, membre du conseil d'administration.

L'organisme que nous représentons, M. le Président, regroupe...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je veux tout simplement vous rappeler que vous disposez de 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire.

M. FORTIN: II sera très court, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci.

M. FORTIN: L'organisme que nous représentons, M. le Président, regroupe les 234 commissions scolaires catholiques du Québec, administrées par plus de 2,300 commissaires élus par la population.

La Fédération des commissions scolaires est d'avis que le Québec doit déclarer que le français est la langue officielle, ainsi que le promulgue l'article 1 du projet de loi.

La fédération n'entend pas se prononcer sur l'opportunité de l'ensemble du projet de loi 22. Elle tient cependant à faire quelques remarques qui touchent particulièrement le chapitre 5 du projet, traitant de la langue d'enseignement. Nous avons également apporté certaines recommandations de modifications et formulé des motifs à l'appui de ces suggestions, dans les autres parties du projet de loi.

Nous tenons aussi à préciser que nos réflexions et nos recommandations tiennent compte obligatoirement de la résolution que l'assemblée générale de la fédération a adoptée à son dernier congrès en novembre 1973 et que nous avions transmise au ministre de l'Education, M. François Cloutier.

J'attire votre attention sur le contenu de cette résolution qui est annexée au document que nous vous présentons ce matin.

Même si cette résolution se référait à la Loi pour promouvoir la langue française (chapitre 9 des lois de 1969, loi 63), la position que la fédération défend ne change pas et c'est ce qui ressort de notre analyse du projet de loi 22.

J'attire également votre attention, M. le Président, sur le fruit des réflexions du conseil d'administration à une réunion qu'il a tenu le 11 juin sur le document que nous vous présentons ce matin.

Pour faciliter notre propre réflexion et pour aider les membres de la commission, nous avons utilisé un document de travail de trois colonnes. Le texte du projet de loi est suivi, en deuxième colonne, du texte proposé et, en troisième section, des motifs appuyant nos recommandations.

Alors, au titre I, la langue officielle du Québec, nous sommes donc d'avis que l'Assemblée nationale doit déclarer le français comme la langue officielle du Québec.

A l'article 9, nous apportons la modification suivante, à savoir que nous suggérons que la majorité des administrés qui sont de langue anglaise et qui rédigent... En fait dans le texte de la résolution de l'article 9, seuls les 10 p.c. changent. C'est la majorité. Les motifs à l'appui de ce changement : II s'agit de rendre cet article conforme à l'article 13 du projet de loi.

A l'article 11, nous suggérons d'employer le mot "peut" plutôt que "doit".

A l'article 14, afin d'assurer une meilleure communication, nous suggérons de biffer la fin du troisième paragraphe, ainsi que le quatrième paragraphe de cet article.

Nous nous retrouvons au chapitre V de la loi. L'article 48: La langue d'enseignement.

Ce que nous suggérons à cet article: La langue d'enseignement est la langue officielle. L'enseignement se donne en langue française dans les écoles régies par les commissions scolaires, les commissions scolaires régionales, le Conseil scolaire de l'île de Montréal, les corporations de syndics, les collèges d'enseignement général et professionnel, les universités et les institutions privées d'enseignement recevant des subventions de l'administration publique.

Ces organismes peuvent donner l'enseignement en langue anglaise. Ils ne peuvent, cependant, ni commencer, ni cesser l'enseignement de cette langue sans l'autorisation préalable de la Régie de la langue française. Tout organisme et institution privée d'enseignement recevant des subventions de l'administration publique peuvent aussi donner l'enseignement dans leur langue aux Indiens et aux Inuit.

Le premier paragraphe ajouté à cet article est tout simplement pour clarifier le point de vue que je vous ai mentionné auparavant. Le deuxième paragraphe inclut les institutions privées et, à notre avis, nous avons ajouté qu'il n'y a pas seulement la commission scolaire du Nou-

veau-Québec qui, présentement, peut avoir une clientèle scolaire amérindienne ou inuit.

A l'article 49, à compter du moment de l'entrée en vigueur de la loi, tous les élèves reçoivent leur enseignement dans la langue officielle, sauf ceux qui fréquentent déjà une école anglaise et ceux dont la langue maternelle est l'anglais. Toutefois, ces élèves peuvent opter pour l'enseignement du français. C'est la suggestion que nous faisons à l'article 49 et, ensuite à cette suggestion de modification à l'article 49, à notre avis, il nous paraît nécessaire de biffer l'article 50 et l'article 51 tels que présentés dans le projet de loi.

A l'article 52 du même chapitre: "Les programmes d'études doivent assurer la connaissance de la langue française, parlée et écrite, aux élèves qui reçoivent l'enseignement en langue anglaise, et le ministre de l'Education doit prendre les mesures nécessaires à cet effet". Les programmes d'études doivent assurer la connaissance de la langue anglaise aux élèves qui reçoivent l'enseignement en langue française, et le ministre de l'Education doit prendre les mesures nécessaires à cet effet.

Cette modification est apportée suite à la résolution de l'assemblée générale que je vous ai mentionnée tout à l'heure.

A l'article 62, nous suggérons d'ajouter: "... établir des critères d'identification de la langue maternelle anglaise", au paragraphe i) qui serait, en fait, un nouveau paragraphe à l'article 62.

A l'article 67, nous proposons la modification du dernier paragraphe: Ces listes servent d'unique critère pour l'application des articles 9, 13 et 53. Rien, à notre avis, ne justifie que ces listes soient incontestables, et l'autonomie des commissions scolaires, en regard des disparités auxquelles elles ont à faire face, exige qu'elles puissent être contestées.

A la section II: Composition et activités de la Régie de la langue française, à l'article 68, nous suggérons ce qui suit: La Régie de la langue française est composée de neuf membres. Le président et les deux vice-présidents sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. Les autres membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, après consultation des associations ou organisations les plus représentatives des parents, des éducateurs et des groupes socio-économiques. Le président et les vice-présidents sont nommés pour plus de dix ans et les autres membres pour plus de cinq ans".

Les modifications proposées visent surtout à rendre la Régie de la langue française plus représentative des différents paliers de la population du Québec.

A l'article 128: Les articles 48 à 52 s'appliquent à compter du 1er novembre 1974, mais les règlements prévus à ces articles doivent être adoptés et publiés avant cette date, et également en annexe. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons mentionné les institutions privées. Or, il faudrait qu'elles soient incluses.

Nous suggérons qu'elles soient incluses à l'annexe.

Telles sont nos réflexions, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. J'invite le ministre de l'Education à poser la première question.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie la Fédération des commissions scolaires pour la présentation de son rapport. C'est un mémoire qui m'importe au plus haut point car les relations que le gouvernement entretient avec cet organisme, qui est, aux termes de la loi, un de ses partenaires, et les relations que le ministre de l'Education entretient de son côté, sont suivies et excellentes. Je ne ferai pas de commentaire, le débat me permettra de préciser les quelques points qui peuvent peut-être être plus ou moins compris. Je me contenterai de deux questions. Elles porteront incidemment sur le secteur qui intéresse la fédération, c'est-à-dire le chapitre V qui traite de la langue d'enseignement. Ma première question est la suivante : Je crois comprendre que la fédération souhaiterait la disparition de la liberté de choix en ce qui concerne les francophones. C'est le texte de la résolution qui m'avait d'ailleurs été soumis. Est-ce que ceci ne signifierait pas que les francophones auraient moins de droits que les anglophones, lesquels, eux, conserveraient cette liberté de choix? Est-ce qu'on ne se trouverait pas, pour des citoyens canadiens, à avoir deux catégories?

M. FORTIN: A notre avis, M. le Président, l'intérêt de la collectivité prime sur les intérêts des individus. Or, suite à votre interrogation, M. le ministre, je crois que nous couvrons l'interrogation que vous vous posez par les suggestions faites à l'article 52.

M. CLOUTIER: Est-ce que mon interprétation était exacte?

M. FORTIN: Pardon?

M. CLOUTIER: Ce que je viens de dire était-il exact? Est-ce que je vous ai bien compris?

M. FORTIN: Oui.

M. CLOUTIER: Parfait. Maintenant, ma deuxième question est la suivante: Je crois comprendre, et là encore vous me corrigerez si je me trompe, que vous dirigez les immigrants vers le secteur francophone, mais uniquement les immigrants qui ne connaissent ni le français, ni l'anglais, comme d'ailleurs dans la rédaction actuelle de la loi, non pas les immigrants dont la langue maternelle est l'anglais.

M. FORTIN: Oui, c'est bien cela, M. le ministre.

M. CLOUTIER: C'est bien exact. Comment allez-vous procéder pour faire cela?

M. FORTIN: Je pense qu'il est un fait acquis, c'est que le Québec est à majorité française. Je ne vois pas d'Etat ni de pays au monde qui traitent leurs immigrants, les immigrants, de la façon que le Québec a en vue de traiter ces mêmes groupes. A notre avis, M. le ministre, le Québec est français...

M. CLOUTIER: M. le Président, nous sommes d'accord sur ces principes.

M. FORTIN: ... et les immigrants — je m'excuse, M. le ministre — qui ont à immigrer au Québec doivent savoir qu'ils s'intègrent à une population française.

M. CLOUTIER: Comment allez-vous procéder? Nous en sommes au niveau des mécanismes, parce que vous dites, au fond, exactement ce que dit le projet de loi 22. Dans le projet de loi 22, il est clair que nous orientons vers le secteur francophone les immigrants qui ne parlent ni anglais, ni français, alors que ceux qui parlent anglais peuvent continuer d'opter, s'ils le souhaitent, pour le secteur anglophone. C'est exactement votre position. Comment allez-vous procéder pour en arriver à cela?

M. FORTIN: A l'article 62, M. le ministre, nous suggérons d'ajouter un paragraphe, le paragraphe i) qui se lit ainsi: Etablir les critères d'identification de la langue maternelle anglaise, et également tous les critères d'identification des autres langues. Ce qui se laisse supposer par des règlements.

M. CLOUTIER: Quels sont ces critères?

M. FORTIN: Nous ne nous sommes pas attardés pour trouver les critères. Nous croyons...

M. CLOUTIER: Nous, nous nous y sommes attardés depuis des années et nous avons eu énormément de difficultés à définir ces critères. Nous avons envisagé plusieurs centaines d'hypothèses. C'est d'ailleurs ceci qui nous a amenés vers une modalité, qui est actuellement celle de la rédaction de la loi, les tests. Or, nous avons une de vos commissions scolaires, la commission scolaire Chomedey de Laval, qui est venue présenter un témoignage intéressant démontrant que des tests analogues sont utilisés depuis des années et permettent, d'une part, de s'assurer que, sur le plan pédagogique, un transfert est justifié, et, d'autre part, de restreindre les transferts dans une proportion assez importante. En fait, cette commission scolaire a reçu 350 demandes de transfert l'année dernière, du secteur francophone au secteur anglophone, et n'a accepté que 150 transferts, après les tests et les procédures d'intégration.

Ma question est la suivante". Est-ce qu'à la lumière de cette expérience et sur la base de la rédaction actuelle de la loi, cette procédure de tests vous paraît utilisable, vous parait souhaitable, permettant, à ce moment-là, d'éviter l'écueil de la définition de la langue maternelle?

M. FORTIN: Franchement, M. le ministre, nous ne nous sommes pas préparés à répondre sur des critères. A notre avis — et je le répète — la langue française étant la langue officielle, nous supposons qu'elle le sera au Québec, je pense que tout citoyen venant résider au Québec devra faire de la langue française sa langue maternelle ou sa langue prioritaire.

M. CLOUTIER: J'en conclus donc que vous n'êtes pas, a priori, hostiles aux modalités qu'a proposées le gouvernement dans le texte de la loi?

M. FORTIN: Je ne puis me prononcer sur ces modalités, M. le ministre.

M. CLOUTIER: Bon! Mais, en fait, ce qui vous importe au premier titre, ce sont les principes.

M. FORTIN: Les principes.

M. CLOUTIER: Or, les principes que vous énoncez en ce qui concerne les immigrants sont exactement ceux de la loi 22. Vous en êtes conscients?

M. FORTIN: Non.

M. CLOUTIER: Ah bon! Alors, on va recommencer. La loi 22 dit que les immigrants, qui n'ont pas une connaissance suffisante ni de l'anglais ni du français, sont orientés vers le secteur francophone. Vous dites exactement la même chose. Vous dites que les immigrants qui sont de langue maternelle anglaise vont vers le secteur anglophone. Il en découle que ceux qui ne sont pas de langue maternelle anglaise vont dans le secteur francophone. Quelle différence voyez-vous entre ces deux positions?

M. FORTIN: Je suppose, M. le ministre, que les règlements qui suivront cette loi-cadre prévoiront ces critères, tout en pensant et en se disant que les petits Canadiens français qui se retrouvent dans les autres provinces n'ont pas à subir les critères dont nous, nous voulons gratifier les futurs immigrants, donc les futurs citoyens du Québec.

M. CLOUTIER: Nous sommes entièrement d'accord là-dessus, mais je viens d'énoncer la position de la loi 22 et votre position. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour admettre qu'elles sont identiques, sauf que la loi 22 propose des modalités sous forme de tests et

que vous ne proposez pas de modalités parce que vous n'avez pas voulu vous attarder à cet aspect.

M. FORTIN: C'est cela.

M. CLOUTIER: C'est très bien. Une dernière question. De quelle façon la prise de position que vous énoncez au chapitre de la langue d'enseignement a-t-elle été obtenue? De quelle manière avez-vous consulté vos différentes commissions scolaires, par exemple?

M. FORTIN: Je me suis référé tout à l'heure, M. le ministre, à une résolution de l'assemblée générale de la fédération, en novembre 1973. Cette résolution est venue à la suite de réflexions que les commissions scolaires se sont vu — peut-être pas imposées — mais suggérées et cette résolution a été votée en assemblée générale au mois de novembre, comme je l'ai dit, et le conseil d'administration, qui est composé des représentants des différentes régions du Québec, donc de commissaires d'écoles venant des différentes régions du Québec, le 11 juin dernier, a eu cette réflexion qui a donné suite au document que nous vous présentons ce matin et c'est en respectant le contenu de la résolution de l'assemblée générale que nous en sommes venus à ces conclusions.

M. CLOUTIER: II y a eu un accord sur la résolution à l'assemblée générale.

M. FORTIN: C'est cela.

M. CLOUTIER: Vous me l'avez d'ailleurs présentée dans ce contexte, j'y étais, je le sais. A partir de ces principes incorporés dans la résolution, vous avez tiré un certain nombre de conclusions.

M. FORTIN: C'est cela.

M. CLOUTIER: II y a peut-être, soit dit en passant, des conclusions qui débordent un peu la résolution, en particulier en ce qui concerne l'enseignement privé, en ce qui concerne le niveau collégial, le niveau universitaire. Cela n'apparaît pas dans la résolution.

M. FORTIN: D'accord.

M. CLOUTIER: Bon, parfait. Alors, je vous remercie beaucoup.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, M. Fortin, messieurs, madame, je suis très content aussi au nom de l'Opposition de vous accueillir à la commission parlementaire. Je pense qu'on a eu l'occasion, sans le savoir et de loin, de travailler ensemble et d'être aussi à l'occasion des asso- ciés. Je dois vous dire que le fait que vous ayez répété, en annexe de votre mémoire, la résolution adoptée à votre congrès de novembre dernier n'est pas sans importance, comme vous avez pu le constater à la façon dont le ministre a posé ses questions.

Il me paraît évident que ce que la fédération avait décidé à ce moment-là, la position claire qu'elle avait prise, jointe à un mouvement de protestation généralisé contre cette mesure pratique du libre choix, avait eu son importance et elle garde encore toute son importance aujourd'hui. Je pense que plusieurs commissions scolaires avaient pris, une après l'autre, des positions différentes qui se rejoignaient dans leur objectif, mais qui n'avaient pas le caractère de force que votre résolution a donné à ce moment-ci. Nous espérions bien à ce moment-là que l'addition de votre voix, celle de la Fédération des commissions scolaires, de façon aussi catégorique et aussi claire que le texte de votre résolution et encore aujourd'hui le texte des amendements suggérés, allait finir par ébranler un gouvernement qui, sur ce point, était complètement isolé. Ce n'est malheureusement pas le cas et on retrouve encore aujourd'hui, comme vous le soulignez vous-mêmes, dans le chapitre V de la loi 22 proposée à l'Assemblée nationale, la mesure pratique qui était contenue au bill 63. Je n'ai que quelques questions à vous poser.

Si vous n'avez pas parlé d'autres chapitres ou si vous n'avez proposé, en fin de compte, des amendements qu'aux endroits bien précis où vous vous sentiez directement concernés, est-ce parce que l'ensemble, le reste du projet de loi vous parait acceptable dans sa forme actuelle ou si vous auriez aussi des modifications à suggérer, mais que vous avez choisi de ne pas le faire?

M. FORTIN: M. le Président, il est bien clair dans notre esprit que si une commission comme celle-ci a des objectifs de consultation des différents organismes de la population, il nous a paru inopportun, pour le monde scolaire, de nous pencher sur des problèmes qui, nous le croyons, peuvent être couverts par d'autres organismes mieux préparés dans leurs secteurs respectifs à défendre des positions comme celles que nous défendons au niveau du chapitre V.

M. CHARRON: Mais, si je conclus, ça ne veut pas dire — si je comprends bien votre réponse — que nous n'auriez pas, le voudriez-vous, de suggestions à faire?

M. FORTIN: Individuellement, j'en aurais peut-être, mais le conseil d'administration et l'assemblée générale ne se sont pas penchés sur la chose.

M. CHARRON: D'accord. Prenons-les une à une, si vous me permettez. D'abord, à l'article 9 où vous êtes, encore une fois, concernés, puisqu'on fait directement mention des organis-

mes scolaires, vous suggérez que le bilinguisme que prévoit la loi 22, à l'article 9, ne soit occasionné que par la présence d'une majorité d'administrés de l'organisme, qui seraient de langue anglaise, plutôt qu'au moins 10 p.c. Je veux vous poser deux questions. Quelle est, dans votre responsabilité d'administrateur scolaire, votre définition d'administré aux termes de cette loi? Deuxièmement, si votre amendement suggéré à l'article 9 ne devait pas être retenu, comme il faut s'y attendre, par le gouvernement en place, et qu'il choisit sa propre version à l'article 9, comment vous et vos collègues, commissaires d'écoles, adminis-treriez-vous l'application de cette loi, si au moins 10 p.c. des administrés sont de langue anglaise?

M. FORTIN: II est bien entendu que les pouvoirs des commissions scolaires, si je réponds premièrement à votre dernière question, sont restreints à l'administration régionale ou locale de la chose scolaire. Il va sans dire que, les commissions scolaires relevant en partie du gouvernement, puisque le ministre de l'Education est le premier responsable et qu'eux sont les responsables du milieu, il nous faudra sans aucun doute nous conformer aux règlements qui seront promulgués suite à cette loi. Cependant, je crois en une démocratie au Québec et j'ose croire que nos représentants à l'Assemblée nationale tiendront compte jusqu'au bout du principe démocratique que peut laisser supposer ce que nous suggérons: la majorité.

En ce qui concerne la première question, comme administré d'une commission scolaire, je suis père de famille, j'ai des enfants et je veux le meilleur pour eux. Le début de notre résolution de l'assemblée générale dit bien — et il nous place dans un contexte de réalisme — que nous sommes au Québec, que nous ne voulons pas être un ghetto, mais que nous voulons surtout demeurer ce que nous sommes, tout en tenant compte des implications et des contraintes qui nous sont imposées par le contexte nord-américain.

Comme père de famille, comme administré de la commission scolaire, je compte donner à mes enfants toutes les possibilités de vivre avec leur culture française, leur langue française, mais tout en faisant face aux obligations auxquelles ils auront à faire face dans le contexte nord-américain. Il n'est pas dit que ces jeunes vivront toujours au Québec, comme il n'est pas dit qu'il vivront toujours au pays, au Canada ou aux Etats-Unis. C'est ma position.

M. CHARRON: Les administrés de la commission scolaire, est-ce que ce sont les enfants ou leurs parents?

M. FORTIN: Les administrés de la commission scolaire ne sont pas tous des parents. Une partie, ce sont des parents, l'autre, des citoyens propriétaires qui, peut-être, ont fait des efforts dans le passé comme parents pour faire instruire leurs enfants. Il est bien clair que, dans une commission scolaire, nous ne pouvons pas tenir compte de chacun des désirs de chacun des parents. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le point de vue de la collectivité doit primer sur les points de vue individuels, tout en essayant de satisfaire les uns et les autres le plus possible.

M. CHARRON: Abordons maintenant, si vous voulez, le chapitre V de la langue d'enseignement. Quelles sont les raisons principales qui vous ont fait inclure les collèges d'enseignement général et professionnel, les universités et les institutions privées d'enseignement recevant des subventions de l'administration publique?

M. FORTIN: A mon avis, si une loi est adoptée par un gouvernement, tous les organismes qui relèvent du gouvernement doivent être impliqués les premiers dans ces mêmes lois. A ce que je sache, les CEGEP, les collèges d'enseignement général et professionnel, sont des organismes scolaires financés à 100 p.c. par le gouvernement, les institutions privées font l'objet d'une loi, la loi 56, et les universités sont subventionnées en partie également par le gouvernement. A notre avis, il serait peut-être arbitraire de ne pas les inclure au même titre que les institutions du secteur public de l'éducation aux niveaux élémentaire et secondaire.

M. CHARRON: Si on n'incluait pas les collèges d'enseignement général et professionnel, seriez-vous d'accord pour dire qu'à la fin du secondaire, par exemple, la possibilité pour un étudiant de passer d'un secteur d'enseignement à l'autre pourrait se produire, à la fin de son secondaire V, au moment où il se présente au collège?

M. FORTIN: Certainement. Il y a une foule de contraintes qui sont imposées aux étudiants du collégial où les enfants auraient des difficultés à passer du secondaire au collégial, s'il n'y avait pas une continuité assurée dans une politique cohérente.

M. CHARRON: Actuellement, vous êtes des administrateurs scolaires et vous avez à appliquer la loi 63. Je vois que vous avez demandé, dans votre mémoire, la disparition de l'article 50, à partir duquel il appartient à chaque commission scolaire, commission scolaire régionale, corporation de syndics, de déterminer la classe, le groupe ou le cours auxquels un élève peut être intégré, eu égard à ses aptitudes dans la langue d'enseignement. C'est déjà un pouvoir que les commissions scolaires ont actuellement, celui de placer les étudiants au niveau où les commissaires jugent l'enfant apte à être inscrit. Est-ce exact?

M. FORTIN: Oui.

M. CHARRON: Et vous ne considérez pas que ce pouvoir, qui vous est donné actuelle-

ment en vertu d'un règlement, a intérêt à figurer dans la loi? Mais cela ne veut pas dire que vous voulez renoncer... J'essaie d'interpréter, vous me direz si j'ai tort ou raison. Parce que vous demandez la suppression de l'article 50, cela ne veut pas dire que vous voulez perdre ce droit de procéder vous-mêmes à la classification des étudiants.

M. FORTIN: Nous sommes bien assurés que beaucoup de règlements viendront faire l'objet de cette loi-cadre et, à ce moment-ci, nous avons suggéré d'enlever l'article 50, surtout en concordance avec ce que nous avons suggéré préalablement aux articles 48 et 49 seulement.

M. CHARRON: D'accord. J'entendais tantôt le ministre vous poser la question sur les immigrants. Si on adoptait une position claire et cohérente, et si l'Assemblée nationale décidait que, ici comme partout ailleurs, comme dans tous les pays du monde, tous les immigrants soient dirigés à l'école de la majorité, est-ce que la Fédération des commissions scolaires considérerait cette décision de l'Assemblée nationale comme néfaste ou mauvaise, en sachant qu'elle irait à l'encontre d'une recommandation que vous avez faite voulant maintenir la distinction entre deux catégories d'immigrants?

Mais si nous prenions et si nous parvenions, à l'aide des autres groupes qui sont venus à la table de cette commission réclamer, autrement dit, le statut normal du Québec dans ce domaine comme dans tous les autres domaines, à réclamer que tous les immigrants fréquentent l'école de la majorité, est-ce que votre groupe considérerait cette décision, prise par l'Assemblée nationale, comme une très mauvaise décision ou si vous partageriez la décision de la majorité en y apportant votre consentement?

M. FORTIN: Vous me demandez d'anticiper sur une réaction que pourraient avoir les commissaires d'écoles de la province. C'est très difficile pour moi. Si je retiens que la Fédération — et je me plais de le dire ici — des commissions scolaires s'est démocratisée, je compte à ce moment-ci que les commissaires d'écoles pourront, s'ils le veulent, se prononcer dans le sens où vous parlez ou dans le sens contraire.

M. CLOUTIER: M. le Président, si je peux me permettre d'insister. La question du député de Saint-Jacques est très importante. En fait, il veut savoir pourquoi vous avez fait cette distinction, pourquoi vous avez décidé, dans vos recommandations, que les immigrants de langue anglaise iraient vers le secteur anglophone alors que les autres iraient vers le secteur francophone. Vous deviez avoir une raison.

M. FORTIN: II y a certainement le droit acquis d'un certain milieu anglais au Québec. Cependant, en ce qui concerne les autres immigrants d'autres nationalités, à notre avis... Tout comme le petit Canadien français, que mon enfant pourrait être, s'il se présentait en Italie ou dans un autre pays, il aurait à s'intégrer à l'école de la langue du pays où il s'intégrerait, où il immigrerait. Dans notre esprit, il y a un certain secteur anglophone au Québec et je pense que nous devons respecter les anglophones, surtout si on considère qu'ils prétendent avoir des droits acquis. A ce moment-ci, nous voulons les respecter, tout simplement.

M. CHARRON: Je ne devais pas insister plus longuement sur cette question. C'était seulement pour vérifier son importance. Le ministre a évidemment sauté dessus, parce que c'était le seul point, je pense, dans tout le chapitre, où vous étiez d'accord avec lui.

M. CLOUTIER: Je voulais vous aider à préciser la question.

M. CHARRON: Mais il y a un endroit où le ministre a eu de la difficulté à établir ses sophismes, c'est sur la question très claire sur laquelle il ne vous a guère posé de questions, sur votre affirmation et la modification que vous apportez à l'article 49. Vous proposez que désormais il n'y ait qu'un secteur anglophone au Québec qui ne soit fait que pour ceux qui sont de langue maternelle anglaise ou ceux qui fréquentent déjà une école anglaise, c'est-à-dire que vous seriez d'accord pour qu'actuellement le nombre de places-élèves qu'occupe le secteur anglophone au Québec — les 15.6 p.c. de places-élèves qu'occupe le secteur anglophone au Québec — soit maintenu et qu'au fur et à mesure où les francophones déjà inscrits dans ce secteur en sortiront, à l'autre bout du secondaire V, disons, étant donné que vous coupez le robinet de l'immigrant, en tout cas, du côté non anglophone, vous proposez que, progressivement, ce secteur anglophone rejoigne la taille de la minorité anglaise du Québec, soit à peu près 13 p.c. ou 14 p.c. Est-ce que j'interprète bien votre position sur l'article 49 en disant que c'est votre conception?

M. FORTIN: Oui, vous interprétez bien notre position; mais, également, à l'article 48, au deuxième paragraphe, il n'est pas dit que le secteur anglophone ne continue pas son opération telle qu'il la connaît actuellement.

M. CHARRON: Comment dites-vous? Il n'est pas dit que...

M. FORTIN: Les collèges d'enseignement, les commissions scolaires — parce que nous admettons qu'il y a également des commissions scolaires anglaises au Québec — ces organismes continuent leurs opérations pour leurs enfants de langue anglaise...

M. CHARRON: D'accord.

M. FORTIN: ... tel que cela existe actuellement.

M. CHARRON: Quand vous vous prononcez pour que le secteur anglophone soit limité, autrement dit, existe pour ceux pour qui il a été inventé, c'est-à-dire ceux qui sont de langue maternelle anglaise, et vous respectez ceux qui sont déjà inscrits dans le système — ce que je comprends parfaitement — avez-vous l'impression que vous préconisez en même temps un libre choix quand vous prenez une position aussi claire que cela? Si quelqu'un venait vous dire après un énoncé aussi clair que celui-là: Oui, mais c'est le libre choix qui est au fond de cela, quelle serait votre réaction?

M. FORTIN: Je n'affirmerais pas que c'est le libre choix. Je pense que c'est le contenu des lois qui nous régissent actuellement ou du moins la constitution qui nous régit actuellement.

M. CHARRON: Vous dites que vous voulez modifier l'article 52 pour qu'on inscrive, dans le projet de loi, l'obligation de donner un enseignement de l'anglais dans les écoles françaises. Notez bien qu'on discutera du fond de la question après. Je vais très bien l'aborder. Est-ce que vous n'estimez pas que ce genre de politique ou de prise de position politique n'a pas lieu d'apparaître dans une loi, puisqu'il s'agit en fin de compte d'un contenu de programme, quelle que soit l'importance relative qu'on accorde à ce programme par rapport à un autre? Il reste que, pédagogiquement parlant, si vous voulez, c'est une décision de construction de programme scolaire, d'une année scolaire ou d'une autre, etc., est-ce que vous trouvez que c'est justifiable de porter cela dans un texte de loi?

M. FORTIN: Un contenu de programme peut être efficace, peut être moins efficace. Si nous nous référons aux attendus de notre résolution qui nous place dans un contexte, nous désirons que nos enfants soient bien prémunis contre les difficultés auxquelles ils auront à faire face dans le contexte nord-américain. Or, un programme d'anglais, peut-être de langue seconde, tel que nous en retrouvons dans nos écoles actuellement, ne leur permet certainement pas de faire face aux obligations qu'ils auront à...

M. CHARRON: Je suis d'accord sur le fond. Remarquez bien que je suis d'accord sur la nécessité d'améliorer l'enseignement de l'anglais dans les écoles, de donner un meilleur enseignement de l'anglais actuellement. Mais est-ce que cette prise de position, que vous et moi — et je pense bien beaucoup de Québécois— avons quant à l'utilité évidente de la connaissance d'une langue seconde, a à apparaître dans la loi?

M. FORTIN: Dans le contexte du Québec actuel, oui.

M. CHARRON: Et vous voulez également porter l'obligation de la connaissance de la langue française dans les écoles anglaises également dans le texte de la loi, comme l'article 52 le fait, comme la loi 63 le faisait à l'article 1.

M. FORTIN: II n'est pas écarté que, pour un enfant, une langue seconde soit néfaste. Il s'agit de communication. Cela pourrait être l'espagnol, cela pourrait être l'italien, cela pourrait être n'importe quelle autre langue. Or, une langue seconde pour un enfant, qu'il soit Canadien français, Français de langue maternelle ou Anglais ou autre, ne peut pas leur être néfaste. Alors, si un programme seulement, tel que ceux que nous connaissons actuellement, est exigé dans les écoles, nous ne croyons pas que ce soit efficace.

M. CHARRON: Puisque nous sommes sur ce chapitre, M. le Président, est-ce que... Il me reste une minute? Bon! J'ai une dernière question.

Puisque nous sommes sur ce chapitre de l'enseignement de la langue seconde, depuis avril 1973, le ministre de l'Education a présenté ce qu'il a appelé le plan de développement des langues. Cela ne s'est pas fait sans problème, parce qu'il est arrivé qu'une décision importante quant à l'application de ce plan de développement des langues relevait des commissions scolaires. Certaines commissions scolaires ont préféré se prévaloir d'autres dispositions pour augmenter, par exemple, la qualité de l'éducation physique ou de la musique, à certaines occasions. D'autres ont préféré appliquer, presque à la lettre, les recommandations du plan de développement des langues et mettre le plus d'énergie possible dans l'enseignement de la langue seconde.

Si je vous demandais, M. Fortin, en tant que président de cet organisme, de nous faire un tableau quant à l'application de cette directive qu'était le plan de développement des langues, aux difficultés que vous avez rencontrées et aux améliorations que vous voudriez que cette commission recommande au ministre d'apporter à son plan de développement.

M. FORTIN: Mes remarques au sujet de l'application de ces directives regardent les grandes disparités que nous retrouvons au Québec. Il est bien clair qu'il y a des milieux au Québec qui sentent beaucoup moins l'importance d'apprendre une langue seconde que d'autres milieux, et je peux dire qu'au niveau de la Fédération des commissions scolaires, donc des commissaires d'écoles qui viennent de tous les coins de la province, les opinions sont partagées, et c'est dans ce contexte du libre choix de l'option ou de la spécialisation que les enfants voulaient obtenir, dans un milieu comme dans

l'autre, que nous avons fait des revendications auprès du ministre de l'Education sur ce que vous venez de parler. C'est tout simplement dans cette optique. Nous n'excluons pas la possibilité pour une commission scolaire X de privilégier l'anglais aux arts plastiques ou à la musique. Ce sont des besoins auxquels ils ont à faire face dans leur milieu, personnellement.

M. CHARRON: Mais est-ce que...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je m'excuse auprès du député. Il faudrait que cela soit très court.

M. CHARRON: La réponse sera un oui ou un non. Est-ce que vous estimez souhaitable qu'une politique de cette importance connaisse des variantes d'une commission scolaire à l'autre ou considérez-vous que l'importance de la question est telle que cela devrait être uniforme dans le Québec?

M. FORTIN: J'ai bien dit tout à l'heure qu'une loi-cadre impliquait beaucoup de règlements et, à ce moment, probablement que dans les milieux il y aura des règlements qui donneront la possibilité de faire face à des obligations particulières.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'aimerais reprendre deux ou trois points de votre mémoire. A l'article 11, il est dit que: "Toute personne a le droit de s'adresser...", et vous remplacez "a le droit" par "peut". Dans votre esprit, est-ce que cette personne a le droit de recevoir une réponse de l'administration publique dans la langue qu'elle peut choisir pour...?

M. FORTIN: A notre avis, le mot "doit" nous semblait beaucoup trop absolu, surtout en faisant face, comme je le disais tout à l'heure, aux grandes disparités que connaît le Québec. "Peut", c'est un privilège, oui. Le sens de "peut" peut vouloir dire un privilège. Cependant, il serait, je pense, arbitraire d'imposer aux administrations scolaires l'obligation de répondre en anglais à toute personne qui serait seule de langue anglaise. C'est dans cet esprit que...

M. VEILLEUX: Dans votre esprit, une personne, est-ce une personne physique ou une personne morale, c'est-à-dire que si un individu ou une compagnie quelconque faisait affaire dans un territoire, à la commission scolaire, est-ce que, dans votre esprit, il pourrait lui aussi communiquer dans l'une des deux langues ou si toute personne dans votre esprit est un individu?

M. FORTIN: Une compagnie pourrait communiquer dans les deux langues.

M. VEILLEUX: Dans votre esprit, cela peut aller jusqu'à une compagnie. Vous avez répondu tout à l'heure au ministre en disant: On laisse le libre choix de l'enseignement aux anglophones, qu'il s'agisse de ceux qui résident présentement au Québec ou de ceux qui, éventuellement, viendraient demeurer au Québec.

D'autre part, les francophones et les immigrants francophones ou les immigrants d'une langue maternelle autre que l'anglais n'ont plus le choix. C'est le réseau français de l'école. Mais vous laissez une provision dans votre article 49 lorsque vous proposez des amendements en disant: On enlève ce libre choix à tous les francophones, sauf à ceux qui sont déjà dans le secteur anglophone.

M. FORTIN: J'ai bien dit tout à l'heure que nous étions régis par des lois, par une constitution et c'est tout simplement dans cette optique que cette suggestion nous est venue.

M. VEILLEUX: Mais je vous ai bien compris en disant que le libre choix était pour les gens de langue anglaise et pour les francophones déjà dans le réseau anglais des écoles. Tous les autres perdent leur libre choix.

M. FORTIN: Oui. C'est cela. M. VEILLEUX: C'est cela? M. FORTIN: Oui.

M. VEILLEUX: Est-ce que, lorsqu'est arrivé le temps d'inscrire des amendements comme celui-là à l'article 49, vous avez l'impression qu'à ce moment vous répondiez réellement à ce que demandaient les administrés de vos commissions scolaires ou non?

M. FORTIN: Du tout. Ce ne sont pas toujours des propositions, ce sont des suggestions qui sont faites.

M. VEILLEUX: Oui. En tant que Fédération des commissions scolaires, vous avez dû vous poser la question, lorsque vous avez discuté à votre congrès de la proposition? Quels étaient les motifs qui pouvaient amener, à un certain moment, les parents francophones à choisir le secteur anglophone pour leurs enfants au lieu du secteur francophone? Est-ce que je pourrais avoir là-dessus votre opinion sur les motifs qui pourraient éventuellement ou qui ont pu, à venir jusqu'ici, pousser les parents à choisir le secteur anglophone plutôt que le secteur francophone pour leurs enfants?

M. FORTIN: Oui, nous nous sommes penchés sur ce problème. Les motifs sont clairement définis au début de la résolution dont on vous a parlé tout à l'heure. Cependant, la faiblesse de l'enseignement d'une langue seconde dans les écoles françaises du Québec fait que,

devant ces réalités que nous avons données en attendus, les parents peuvent vouloir choisir le secteur anglais plutôt que le secteur français pour leurs enfants de langue maternelle française.

M. VEILLEUX: Mais, dans votre esprit, cela peut prendre combien de temps, au niveau des commissions scolaires, pour améliorer l'enseignement de la langue seconde qui est, dans vos commissions scolaires, la langue anglaise?

M. FORTIN: Cela peut se faire très rapidement.

M. VEILLEUX: Oui, mais dans le plan de développement des langues que le ministère de l'Education a proposé aux administrations des commissions scolaires, est-ce que, selon la réception qui a été faite dans les milieux — je ne dis pas les commissaires d'écoles, à ce moment, pour l'application quand même d'un plan de développement des langues, il faut retourner aux employés-cadres des commissions scolaires — dans votre esprit, la réponse de ces gens a été telle que cela peut nous laisser présager une très nette amélioration de la langue seconde dans le secteur francophone dans un avenir très rapproché?

M. FORTIN: II faudra, bien entendu, prévoir beaucoup de mécanismes nouveaux à mettre en place. Je n'aborderai pas le problème de la loi sur le développement des langues, c'est cela?

M. VEILLEUX: Le plan de développement...

M. FORTIN: Le plan de développement des langues, parce qu'à notre avis il nous paraît insuffisant...

M. VEILLEUX: Dans quel sens?

M. FORTIN: ... tel qu'il nous a été présenté.

M. VEILLEUX: Est-ce qu'il est insuffisant dans la présentation ou dans son contenu même?

M. FORTIN: Dans son contenu et son application. D'abord, il nous faut des professeurs, il faut former des professeurs, préparer des professeurs à l'enseignement d'une langue seconde. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a toute une programmation à préparer, un cheminement à faire. C'est la première étape, à notre avis.

M. VEILLEUX: Est-ce que cela peut, comme commissaire d'écoles, vous causer, à un certain moment, des problèmes si vous vous spécialisez ou si le gouvernement, dans son plan de développement des langues, spécialise des professeurs de langue seconde? Est-ce que, dans votre esprit, cela pourrait aller, pour ces enseignants, cette spécialité d'enseignement exclusif de la langue seconde ou si on peut leur donner une charge supplémentaire pour combler les fameux ratios?

M. FORTIN: C'est assez difficile de répondre. Il y a tout un cheminement à faire pour répondre à votre question. Vous allez très loin dans votre question. Je ne sais pas si c'est l'objet de la commission de faire enquête sur ce point.

M. VEILLEUX: Je vous pose la question, parce que, dans mon esprit, la proposition sur laquelle vous vous basez pour apporter les amendements est quand même la pierre d'assise des décisions que vous avez pu prendre à la Fédération des commissions scolaires pour suggérer des amendements. Un de ces points, ce n'est pas moi qui vous l'ai fait dire, c'est vous qui l'avez répété, un des motifs — je ne dis pas le seul motif, mais un des motifs principaux qui pouvaient amener à un certain moment les parents à choisir le secteur anglophone plutôt que le secteur francophone — était l'enseignement de la langue seconde, qui pouvait être défectueux, jusqu'ici. Il faut enlever cette défectuosité. Si vous enlevez le libre choix aux parents francophones au 1er septembre 1974, parce que, dans vos amendements, vous vous en tenez au 1er septembre 1974, est-ce que vous avez la très nette impression, cela revient à cela, que, le 1er septembre 1974, le motif principal qui a fait choisir aux parents francophones le secteur anglophone, c'était un enseignement défectueux de la langue seconde?

Est-ce que vous avez la très nette impression qu'à partir du 1er septembre cet enseignement va être tel qu'on puisse se permettre d'enlever le libre choix aux parents francophones?

M. LAPLANTE: Est-ce que je peux vous répondre là-dessus?

M. VEILLEUX: Oui.

M. LAPLANTE: Sur le développement des langues, lorsque les commissions scolaires auront le droit de disposer de l'argent qu'elles reçoivent du ministère, non pas en les obligeant d'acheter de l'audio-visuel alors que, probablement, elles n'en auraient pas besoin, mais laisser la latitude aux commissions scolaires de faire leur propre développement des langues... Celles qui ne peuvent pas le faire, accepter l'aide du ministère, mais, actuellement, nous n'avons pas cette liberté. Nous n'avons pas la liberté de prendre des professeurs spécialisés hors norme. C'est une chose qui aiderait actuellement les commissions scolaires.

Lorsque vous parlez de l'intégration du milieu francophone, comme francophones, nous nous devons de donner l'exemple, d'abord, d'intégrer nos écoles francophones. C'est en premier lieu. Au sujet des anglophones qui

s'en viennent, des anglophones qui sont actuellement dans nos écoles, si on le met à partir de ces anglophones qui ont le droit de s'intégrer à un secteur anglais, c'est qu'ils ont des enfants, la plupart du temps, qui ont déjà commencé des études en anglais, mais, pour tout autre immigrant, je ne crois pas que ce soit une utilité d'aller à l'école anglaise.

Si je vous donne les chiffres que nous avons depuis 1965 sur une commission scolaire donnée, malgré la diminution des écoles privées, il y a eu en 1965, malgré un recul de la langue maternelle de trois mois pour nous permettre d'accepter ces enfants, on s'aperçoit que, de 1965 à 1973, on a eu une diminution de 20,882 élèves. Même phénomène dans le secteur anglais, de 1965 à 1973, on a 4,943 Anglais de plus. Ce sont deux "balances" qui ne marchent pas pour nous.

M. VEILLEUX: Je termine, M. le Président, parce que mon temps est écoulé, mais on aurait pu discuter longuement du matériel didactique approprié à l'enseignement des langues. On pourra en discuter après. Je termine en disant que, si je vous interprète bien, compte tenu des facteurs que vous avez pu apporter, le secteur francophone n'est pas équipé pour donner un enseignement valable de la langue seconde, pour le 1er septembre 1974.

M. LAPLANTE: Non, il n'est pas prêt. Je suis d'accord sur cela.

M. VEILLEUX: D'accord.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs de la fédération, merci infiniment de votre présentation. La commission va maintenant suspendre ses travaux jusqu'à environ 16 heures, c'est-à-dire après la période des questions en Chambre, et le premier organisme à se faire entendre sera l'Association fédérative des étudiants de l'Université de Sherbrooke.

La commission suspend ses travaux à cet après-midi, 16 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 38)

Reprise de la séance à 15 h 56

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs !

J'invite immédiatement Mlle Isabelle Néron, porte-parole de l'Association fédérative des étudiants de l'Université de Sherbrooke, à bien vouloir prendre place en avant. Il n'y a personne qui s'appelle Mlle Isabelle Néron?

M. MORIN: De toute évidence.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Pourriez-vous vous identifier et identifier ceux qui vous accompagnent de façon à ce que le journal des Débats...

Association fédérative des étudiants de l'Université de Sherbrooke

M. LAVALLEE: Mon nom est Jacques Lavallée, président de la Fédération des étudiants. Je suis accompagné de Marc Létourneau, à l'extrême droite, vice-président de la fédération, de même que Gaétan Faucher, responsable du dossier sur le bill 22 pour la fédération, et Michel Berthiaume, à ma gauche, vice-président de la fédération.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je vous rappelle simplement que vous disposez de vingt minutes pour votre présentation et il y a une période de questions de 40 minutes ensuite.

M. LAVALLEE: L'association fédérative est le regroupement des dix facultés dûment incorporées qui se sont réunies en assemblée spéciale cet été pour se pencher sur le projet de loi 22. Considérant que la langue est un droit collectif qui prédomine sur les droits individuels;

Considérant qu'un projet de loi sur la langue officielle doit porter sur la langue de la majorité;

Considérant qu'il est du devoir d'un gouvernement d'assurer le respect du droit collectif;

Considérant que le contexte socio-économique et historique du Québec fait que la langue de la majorité est menacée;

Considérant que les menaces d'instabilité économique et des fuites de capitaux rattachées au problème de la langue ne sont qu'un mythe maintenu par la minorité possédante;

Considérant qu'il appartient à l'entreprise privée de payer pour la francisation et non au gouvernement;

Considérant qu'il est important de rétablir un équilibre et d'affirmer les droits de la majorité:

Nous réclamons l'unilinguisme français et exigeons que le projet de loi 22 soit profondément transformé.

A la suite d'une période de francisation intensive de cinq ans, le français deviendra la

seule langue officielle de l'administration publique, de l'administration municipale, des commissions scolaires et de l'ensemble des institutions à caractère public, des raisons sociales et de l'affichage. Le français sera effectivement la langue du travail et des communications dans toutes les entreprises et pour toutes les conventions collectives.

J'aimerais noter certaines petites erreurs techniques qui se sont glissées lors de l'envoi du rapport précipité. Au chapitre II, on avait inscrit: deuxième paragraphe: supprimer. Il faudrait lire plutôt: Ajouter: "pour la période de francisation de cinq ans seulement," et conserver le paragraphe.

Au chapitre III, à l'article 35, il faudrait lire: "adoptés et appliqués" et, concernant la fin du rapport, la demande de l'Association federative des étudiants de l'Université de Sherbrooke, on devrait lire "guide d'implantation du français en usine" plutôt que "manuel de l'implantation du français".

Critique du projet de loi 22. A partir de principes généraux, nous avons passé en revue les articles 6 à 52 du projet de loi et nous apportons les corrections suivantes:

Concernant la langue de l'administration publique. Le français doit être présent partout dans l'administration publique. Les textes anglais ne sont que des textes d'accompagnement, le texte français, celui qui est officiel et authentique. Doivent être rédigés en français les textes et documents officiels émanant de l'administration publique. Sont réputés officiels les textes et documents que la loi déclare authentiques en raison de leur caractère public, notamment les écrits visés à l'article 1207 du code civil.

Les autorisations, les avis et les autres documents de même nature, article 8. Les textes et documents officiels peuvent être accompagnés d'une version anglaise. En pareil cas, seule la version française est authentique.

L'article 9 est supprimé.

Article 10: L'administration publique doit utiliser la langue officielle pour communiquer avec les autres gouvernements du Canada et, au Québec, avec les personnes morales.

L'article 11 est supprimé.

Article 12: La langue officielle est la langue de la communication interne de l'administration publique, des organismes municipaux et scolaires.

Article 13 est supprimé.

Article 14, premier paragraphe: Nul ne peut être admis ou promu à une fonction administrative dans l'administration publique s'il n'a de la langue officielle une connaissance appropriée. Deuxième paragraphe, supprimé. Troisième paragraphe, supprimé.

Article 15: En assemblée délibérante, dans l'administration publique, les interventions dans les débats officiels doivent être faites en langue française.

Article 16: Le ministre de la Justice doit faire en sorte que les jugements prononcés par les tribunaux le soient dans la langue officielle.

Article 17: Les contrats conclus au Québec par l'administration publique ainsi que les sous-contrats qui s'y rattachent doivent être rédigés dans la langue officielle. Ils peuvent aussi être rédigés à la fois en français et en anglais ou, lorsque l'administration publique contracte avec l'étranger, à la fois en français et dans la langue du pays intéressé. Seule la version française est authentique.

Concernant le chapitre II de la langue des entreprises d'utilité publique et des professions. Première partie: Les principes appliqués à l'administration publique sont transposés et prolongés à la langue des entreprises d'utilité publique et des professions. Pour la fin du chapitre, nous voyons déjà des articles traitant de la langue du travail qui doit être le français pour tous.

Article 18 : Les entreprises d'utilité publique et les corps professionnels doivent faire en sorte que leurs services soient offerts au public dans la langue officielle.

Article 19: Les entreprises d'utilité publique et les corps professionnels doivent utiliser la langue officielle pour s'adresser à l'administration publique.

Article 20: Les entreprises d'utilité publique et les corps professionnels doivent émettre dans la langue officielle les avis, communications, formulaires et imprimés qu'ils destinent au public; le présent article s'applique également aux titres de transport.

Les textes et documents susdits peuvent néanmoins être accompagnés d'une version anglaise pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 21 : Les corps professionnels ne peuvent délivrer de permis en vertu du code des professions, à moins que les intéressés n'aient de la langue officielle une connaissance appropriée à l'exercice de la profession envisagée.

Cette connaissance doit être prouvée suivant les normes fixées par les règlements adoptés à cet égard par le lieutenant-gouverneur en conseil.

Article 22 : Les corps professionnels peuvent toutefois délivrer à des personnes qui ne connaissent pas suffisamment la langue officielle une autorisation temporaire valable pour une période d'un an non renouvelable.

Deuxième paragraphe, supprimé.

Article 23, supprimé.

Chapitre III: La langue du travail.

Le français devient la langue du travail pour tous. Une période de cinq ans est laissée pour effectuer la francisation. Les Québécois ne doivent pas payer pour la francisation. Les certificats sont une façon de signaler les entreprises qui sont normales et utilisent le français. Ceci entraîne des coûts inutiles pour les contribuables.

Article 24: Les employeurs doivent rédiger en français les avis, communications et directives qu'ils adressent à leur personnel.

Les textes et documents susdits peuvent cependant être accompagnés d'une version anglaise lorsque le personnel est en partie de langue anglaise pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 25: Les conventions collectives doivent être rédigées en français, tout comme les écrits accessoires et ceux y donnant suite; les négociations et les séances de conciliation doivent être conduites en français.

Article 26: Si, au cours d'une assemblée régulièrement convoquée, les salariés d'une association accréditée en décident ainsi à la majorité des voix de ceux qui sont présents, les conventions et écrits visés à l'article 25 sont rédigés en anglais et cette langue est utilisée pour les négociations et les séances de conciliation.

Toutefois, les conventions collectives ne peuvent être déposées en vertu de l'article 60 du code du travail que si elles sont accompagnées d'une version française. Ces dispositions valent pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 27 : En présence de plusieurs associations accréditées devant négocier ensemble et dont l'une désire négocier en français, on procède dans cette langue. Ces dispositions valent pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 28: Les griefs peuvent être formulés par les salariés en français ou en anglais.

Si le grief donne lieu à arbitrage, les actes de procédures sont rédigés, les séances tenues et les décisions rendues en français. Ces dispositions valent pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 29: Si, au cours d'une assemblée régulièrement convoquée, les salariés d'une association accréditée en décident ainsi à la majorité des voix de ceux qui sont présents, la langue anglaise doit être utilisée dans les matières visées au deuxième alinéa de l'article 28.

Toutefois, les décisions arbitrales rendues ne peuvent être déposées que si elles sont accompagnées d'une version française. Ces dispositions valent pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 30: Les formalités que doivent suivre les associations accréditées pour se prévaloir des articles 26 et 29 sont prévues au code du travail.

Article 31, supprimé et remplacé par: L'Etat devrait imposer une amende aux entreprises qui n'opèrent pas la francisation dans les délais prévus.

Articles 32, 33, 34 sont supprimés, car nous sommes contre le fait que l'Etat donne des subventions à la francisation de l'entreprise privée.

Article 35, supprimé et remplacé par: Les programmes de francisation doivent être adoptés et appliqués par toutes les entreprises.

La langue des affaires: Le français devenant la seule langue du Québec, il est normal que la publicité et l'affichage prennent une image française.

Article 36: La personnalité juridique ne peut être conférée, à moins que la raison sociale adoptée ne soit en langue française. La modification des raisons sociales est soumise aux mêmes règles. D en est de même de l'enregistrement des raisons sociales effectué en vertu de la Loi des déclarations des compagnies et sociétés (Statuts refondus, 1964, chapitre 272).

Article 37: Peuvent figurer dans les raisons sociales, conformément aux autres lois, les noms propres ou les expressions formées de la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres. Cependant les combinaisons artificielles de lettres et de syllabes doivent provenir d'expressions françaises.

Article 38, supprimé.

Article 39: Doivent être rédigés en français les contrats d'adhésion, les contrats où figurent des clauses types imprimées ainsi que les bons de commande, les factures et les reçus imprimés ou à la fois en français et en anglais pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Article 40: L'étiquetage des produits doit se faire en français. Il en est de même des certificats de garantie et des notices qui accompagnent les produits, ainsi que des menus et cartes de vins.

Article 41, premier paragraphe: Les contrats auxquels adhèrent les consommateurs doivent être lisiblement rédigés en français, toutefois, tout consommateur adhérant à un contrat peut exiger que celui-ci soit rédigé également en anglais pour la période de francisation de cinq ans seulement.

Deuxième paragraphe, supprimé.

Article 42: Sont visés par l'article 41 les contrats formés avant que le consommateur reçoive les biens ou services en faisant l'objet ou en effectue le paiement. On entend par consommateur toute personne physique adhérant à un pareil contrat sans pour autant pratiquer un commerce.

Article 43: L'affichage public doit se faire en français. Le présent article s'applique également aux annonces publicitaires écrites, notamment aux panneaux-réclame et aux enseignes lumineuses.

Article 44: L'article 43 ne s'applique pas nécessairement aux annonces publicitaires paraissant dans les journaux ou périodiques publiés dans une autre langue que le français.

Article 45: Les propriétaires de panneaux-réclame ou d'enseignes lumineuses installés avant le 1er juillet 1975 disposent, à compter de ladite date, d'un délai de cinq ans pour se conformer à l'article 43.

Article 46: Tout tribunal de juridiction civile peut, à la demande du procureur général, formulée par voie de requête, ordonner que soient enlevés ou détruits, dans un délai de huit jours à compter du jugement, les annonces, notamment les panneaux-réclame et les enseignes lumineuses, contrevenant aux dispositions de la présente loi et ce, aux frais des intimés.

La requête peut être dirigée contre l'annonceur ou contre quiconque a placé ou fait placer l'annonce.

Article 47, supprimé.

La langue de l'enseignement. L'enseignement doit fournir aux étudiants la connaissance nécessaire de la langue pour vivre et travailler au Québec; le français devenant la seule langue utilisée après la période de francisation de cinq ans, tout enfant recevra l'enseignement en langue française.

Article 48: L'enseignement se donne en langue française dans les écoles régies par les commissions scolaires, les commissions scolaires régionales et les corporations de syndics.

Cependant, les organismes dispensant déjà l'enseignement en langue anglaise pourront continuer de le faire. Néanmoins, ces organismes devront se franciser d'ici cinq ans.

La Commission scolaire du Nouveau-Québec peut aussi donner l'enseignement, dans leur langue, aux Indiens et aux Inuit. Les enfants des immigrants recevront l'enseignement en langue française.

Article 50: II appartient à chaque commission scolaire, commission scolaire régionale et corporation de syndics de déterminer la classe, le groupe ou le cours auquel l'élève peut être intégré, eu égard à ses aptitudes dans la langue d'enseignement.

Article 51 : Toute langue autre que la langue française peut être enseignée comme langue seconde dans les écoles.

Article 52: Pendant la période de francisation de cinq ans, les programmes d'étude doivent assurer la connaissance de la langue française parlée et écrite aux élèves qui reçoivent l'enseignement en langue anglaise et le ministre de l'Education doit prendre les mesures nécessaires à cet effet.

Pour terminer l'exposé, nous tenons à signaler une demande de l'AFEUS au ministre de l'Education à l'effet de rendre public le guide d'implantation du français en usine préparé à coût de milliers de dollars par l'Office de la langue française. Nous croyons savoir que 20 exemplaires de ce manuel, gardé secret jusqu'à ce jour, circulent au Québec et que le ministre en possède une copie.

Nous demandons que ce travail effectué avec les deniers publics soit présenté à toute la population.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs. J'invite immédiatement le ministre de l'Education à poser la première question.

M. CLOUTIER: M. le Président, je désire remercier l'Association fédérative des étudiants de l'Université de Sherbrooke pour la présentation de son mémoire. Je me réjouis que des étudiants se soient donné la peine de se pencher sur ce projet de loi et de l'étudier. Je pense que c'est là une démarche tout à fait valable. Je me réjouis également du fait qu'au lieu de crier au scandale et de protester et de demander le retrait du projet de loi, comme certains groupes l'on fait, ces étudiants ont voulu tenter de bonifier en fonction de leurs idées à eux le projet de loi présenté par le législateur.

Il ne peut pas y avoir d'autres façons d'approcher un problème comme celui-là et je pense que c'est un signe de maturité que je tiens à souligner. Ceci dit, je ne suis pas, bien sûr, d'accord sur toutes les prises de position, même si j'avoue qu'il y a là une logique. Avant de poser ma question, je voudrais faire un court commentaire concernant la représentativité du groupe. Vous comptez combien d'étudiants?

M. LAVALLEE: En période d'été, il y a 400 étudiants sur le campus.

M. CLOUTIER: Est-ce que vous représentez ces 400 étudiants?

M. LAVALLEE: Oui, en effet, monsieur.

M. CLOUTIER: Vous les représentez dans le cadre de quelle structure?

M. LAVALLEE: Dans le cadre de l'Association fédérative des étudiants qui est composée de dix associations de faculté.

M. CLOUTIER: Tous les étudiants sont membres de ce...

M. LAVALLEE: Tous les étudiants sont membres et cotisants au début de chaque année.

M. CLOUTIER: C'est cela. Alors, cela représente à peu près 400 étudiants. L'étude que vous avez faite de la loi a été présentée à une assemblée régulière de ce groupe?

M. LAVALLEE: Une assemblée spéciale convoquée en été, parce que le projet a été présenté en été, avec les étudiants.

M. CLOUTIER: II a été présenté dans le cadre normal de la session, c'est-à-dire il y a à peu près un mois et demi ou deux mois, comme le sont un tas de lois. Alors, je vous remercie donc.

Avant de vous poser ma question, je voudrais simplement dire que je n'ai aucune objection à rendre public ce guide d'implantation du français. En fait, j'avais même envisagé une conférence de presse à un moment donné, de manière à lui donner l'importance qu'il mérite et j'ai remis cette conférence de presse parce que nous avons décidé de présenter le projet de loi 22. Je compte, en commission élue, lorsque nous discuterons du projet de loi, article par article, en faire état. Il n'y a rien de mystérieux là-dedans. C'est tout simplement le résultat des études que j'ai fait faire depuis deux ans dans le cadre du programme de refrancisation de l'en-

treprise. Il s'agit d'un document très technique qui porte sur les communications au sein de l'entreprise, qui comporte ce qu'on appelle un cheminement critique pour identifier les points où la refrancisation peut porter. C'est un document qui sera utile aux différentes entreprises qui voudront entreprendre un des programmes de refrancisation que propose le projet de loi. C'est avec plaisir que je donnerai suite à votre demande. Si je n'ai pas voulu le faire avant, c'est que je crois que j'ai quand même le droit de choisir le moment qui me paraît le plus opportun. Je crois que ce document ne doit pas être vu de façon isolée. Il faut le voir véritablement dans le cadre de tous les programmes de refrancisation.

Ma question est la suivante: II semble que vous avez enlevé du projet de loi tel que rédigé à peu près tous les articles où il est question de l'anglais, en quelque sorte, tous les articles qui donnent un minimum de garantie à la minorité anglophone au Québec. Est-ce que je me trompe?

M. FAUCHER (Gaétan): Vous avez raison.

M. CLOUTIER: Alors je ne me trompe pas. Je suis obligé de vous demander une première question: Ne croyez-vous pas que le gouvernement élu représente tous les citoyens du Québec?

M. FAUCHER (Gaétan): C'est ce que nous croyons.

M. CLOUTIER: Vous le croyez également. Alors, cela signifie que ce gouvernement élu représente les anglophones, les francophones. N'est-ce pas?

M. FAUCHER (Gaétan): Oui, surtout la majorité francophone.

M. CLOUTIER: II représente tous les citoyens du Québec, il représente par conséquent une majorité et une minorité, de même qu'il y a ici à cette commission une majorité, une minorité, de même qu'il y a à l'Assemblée nationale une majorité qui est la majorité libérale et une minorité qui est constituée de la minorité péquiste et de la minorité créditiste. Vous êtes bien de cet avis-là.

Alors, cela signifie que, dans une société, comme d'ailleurs dans un Parlement, il y a une majorité et une minorité. Peut-être peut-on en conclure que, lorsqu'on légifère, il faut légiférer en tenant compte de la majorité et de la minorité. C'est peut-être là que nous allons cesser d'être du même avis.

M. FAUCHER (Gaétan): Nous sommes du même avis en partant avec, peut-être, des prémisses différentes. On se dit que, pour faire une loi sur la langue, on doit faire la loi pour la majorité.

M. CLOUTIER: Pour la majorité, alors ce que...

M. FAUCHER (Gaétan): Ensuite, on pourra faire une loi pour les minorités.

M. CLOUTIER: Ah bon!

M. FAUCHER (Gaétan): Dans notre optique, la loi sur la majorité portait sur la langue française, par la suite pourront venir des mesures concernant la langue anglaise.

M. CLOUTIER: Mais peut-être pouvez-vous imaginer un peu l'état d'esprit d'une minorité qui se voit, brutalement, par un projet de loi, privée en somme de tous ses droits, y compris même les droits les plus fondamentaux que tous les pays du monde, tous les gouvernements au monde ont toujours reconnu, c'est-à-dire le droit de parler leur langue lorsqu'ils s'adressent aux pouvoirs publics. Parce que n'oubliez pas que vous demandez également l'abrogation de l'article 11 et tout ce que l'article 11 fait, c'est de permettre aux gens de s'adresser à l'administration publique dans leur langue, en français ou en anglais.

M. MORIN: Puis-je vous interrompre une seconde? Avez-vous dit que c'était le cas dans tous les pays du monde?

M. CLOUTIER: Dans tous les pays où l'on trouve des minorités. Toutes les législations linguistiques que nous avons étudiées comportent des régimes spéciaux.

M. CHARRON: A Moncton, Monsieur...

M. CLOUTIER: II est bien évident que lorsque le problème ne se pose pas, je parle d'un pays homogène sur le plan linguistique comme la France, la question ne se pose pas, par la force des choses. Mais toutes les législations linguistiques comportent des dispositions qui vont plus ou moins loin pour protéger leurs minorités, parfois des régimes spéciaux de ce point de vue.

M. MORIN: Tous les pays qui ont des minorités, M. le ministre?

M. CLOUTIER: Non, pas tous les pays qui ont des minorités, bien sûr, mais tous les gouvernements qui... Non, je n'irais pas jusque-là non plus. Nous aurons l'occasion d'échanger nos points de vue, lors du débat, mais je voudrais reformuler ma question de façon très claire. Vous avez admis que le gouvernement représente tous les citoyens du Québec, mais vous avez aussi admis que votre façon de transformer la loi ne va que dans le sens des intérêts de la majorité.

M. LAVALLEE: On a dit, dans les considé-

rants, que la langue est un droit collectif qui prédominait sur les lois individuelles et aussi que c'était du devoir d'un gouvernement d'assurer le respect du droit collectif.

M. CLOUTIER: J'essaie de vous faire comprendre — et je vais m'arrêter là — qu'il existe, qu'il le veuille ou non, une minorité qui est une minorité importante, une minorité de 20 p.c. ici et j'essaie également de vous faire comprendre que vous la privez de tous ses droits, y compris des droits sur le plan individuel. Parce que la loi 22, tout ce qu'elle fait, c'est de créer deux régimes spéciaux, un régime spécial en ce qui concerne les corporations municipales et un régime spécial en ce qui concerne le secteur d'enseignement. Tout le reste comporte uniquement des protections minimales concernant les droits individuels. Vous êtes conscients de ça.

M. FAUCHER (Gaétan): Concernant les droits individuels, on considère, comme ça vient d'être dit, que les droits collectifs priment. D'ailleurs, il y a un jugement du tribunal international des droits de l'homme — tribunal de l'Europe — qui vient de se prononcer là-dessus et qui dit que, pour une question linguistique, la langue d'enseignement, par exemple, les droits de la collectivité existent, les droits individuels ne sont pas présents.

M. CLOUTIER: Le chef de l'Opposition va vous donner quelques explications là-dessus tout à l'heure.

M. FAUCHER (Gaétan): Ensuite, j'aimerais ajouter que, dans l'attitude que nous avons prise, nous voulons une loi qui traite de la langue de la majorité et une loi traitant sur la minorité pourra venir plus tard. Je voulais dire aussi...

M. CLOUTIER: ... la minorité entre les deux lois?

M. FAUCHER (Gaétan): ... que, comme certains groupements anglophones l'ont demandé, ils voudraient être traités au Québec comme ailleurs dans le pays. Si on fait la transposition ailleurs dans le pays, on devrait les traiter comme les minorités, notre proposition leur donne les mêmes droits que dans certaines autres provinces.

M. CLOUTIER: Avez-vous l'impression que votre approche est une approche juste et équitable? C'est ma dernière question.

M. LAVALLEE: C'est une approche pour rétablir une situation qui, à partir du bill 63, a été compromise. C'est une approche qui est peut-être rigide et dure, mais si on tient compte des récents chiffres publiés, par exemple, par votre ministère dans la région des Cantons de l'Est, au sujet du passage des francophones à l'école anglaise, par rapport aux anglophones à l'école française, on considère que la situation de la langue est menacée et particulièrement dans notre région. Je ne sais pas si vous êtes conscient des chiffres qui ont paru récemment au mois de mai.

M. CLOUTIER: Je les connais très bien, je ne veux pas entreprendre de débat, mais je ne suis pas sûr que votre interprétation soit tout à fait exacte. D'ailleurs, n'oubliez pas qu'il n'y a pas que le chapitre de la langue d'enseignement. Il y a également les quatre autres chapitres qui donnent au projet de loi 22, une espèce d'équilibre. La question que je vous posais ne portait pas seulement sur le chapitre de la langue d'enseignement, mais sur les droits d'une minorité qui existent ici au Québec et j'ai cru comprendre que, par votre approche, vous déniez ces droits à cette minorité, de manière à légiférer uniquement en fonction des aspirations de la majorité. C'est à peu près ça. Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, messieurs de Sherbrooke, merci beaucoup de vous être dérangés et d'avoir apporté ce mémoire à la commission parlementaire. Mais c'est un peu dommage que tout à l'heure, une intervention du chef de l'Opposition ait coupé la parole au ministre de l'Education car il était en voie de vous édifier un de ces sophismes comme lui seul est capable d'en faire.

M. CLOUTIER: M. le chef de l'Opposition, rappelez donc votre jeune député à l'ordre. Vous y avez réussi jusqu'ici, c'est pour ça que ça va bien.

M. CHARRON: M. le Président, le ministre de l'Education, qui, désespérément, dans chacun des mémoires, essaie de trouver un appui quelconque à son projet de loi, a voulu se rabattre, dans votre projet, sur certains amendements que vous suggérez et qui, à son avis, lui apparaissent outranciers.

Il vous a posé la question en vous signalant que vous faisiez disparaître à peu près toutes les allusions à l'anglais qui existent dans le projet de loi 22, que vous faisiez ainsi disparaître un minimum de garanties individuelles. Est-ce que j'interprète bien votre pensée en disant que, si vous aviez considéré que le projet de loi 22, dans toutes ses allusions à l'anglais, s'en tenait au minimum de garanties individuelles, vous les auriez probablement maintenues, mais que vous conceviez que le ministre a une conception élastique du minimum de garanties individuelles et qu'il donnait effectivement par la bande, un statut égalitaire à l'anglais, après avoir proclamé, à l'article 1, qu'il n'y avait que le français de langue officielle au Québec.

M. FAUCHER (Gaétan): C'est un peu cela. En fait on a pris une position que certains qualifieront de radicale, mais en constatant ce qui se fait depuis 1969 comme projets de loi, aussitôt qu'il est question de la langue, il y a tellement de concessions de données de part et d'autre. Quand on voit les statistiques qui disent que le français est de plus en plus menacé et risque peut-être de disparaître, il nous semble que pour vraiment arriver à un équilibre et faire que le français demeure vraiment une langue vivante au Québec et utilisée par tous, il faut prendre une position radicale, si on veut rétablir les faits.

M. CHARRON: Je ne pense pas que vous ayez à vous sentir coupable d'avoir une position radicale, d'autant plus que dans nos trois semaines d'audition, vous êtes loin d'être les seuls à avoir préconisé un redressement aussi vigoureux en faveur du français dans la position actuelle.

Lorsque vous mentionnez, au chapitre de la langue d'enseignement, que vous visez à une disparition progressive du secteur anglophone, rrême pour ceux qui sont de langue maternelle anglaise et québécois, vous avez édifié cette position à partir de quel principe?

M. FAUCHER (Gaétan): D'un principe de l'unilinguisme intégral, global. Après cinq ans au Québec, on doit y arriver, si l'on veut vraiment que cela aille comme ça. C'est la position qui a été prise. Vous venez de dire que ce n'est peut-être pas une position radicale, pour reprendre des propos que j'ai entendus ce matin, on dirait que c'est peut-être une position qui permet d'avoir un dynamisme, parce que la transformation va s'établir en cinq ans. C'est une position qui permet aussi de rétablir la sécurité. Tout le monde va savoir où on s'en va, on s'en va vers du français. La même chose pour les minorités. Si la langue de travail devient vraiment le français, on ne veut pas former des ghettos anglophones. On ne veut pas former des citoyens qui, n'ayant pas les possibilités réelles, vont avoir des problèmes à se placer, alors on fait disparaître tout cela.

M. CHARRON: Considérez-vous que la loi actuelle va faire du français la langue de travail?

M. FAUCHER (Gaétan): Non.

M. CHARRON: Admettez-vous avec moi qu'en excluant au départ que la question des écoles pour la minorité anglaise n'est pas une question de droit, que cette minorité n'a pas droit à ces écoles, que ce n'est pas un droit acquis.

Enlevons tout le côté juridique sur lequel plusieurs groupes sont venus sangloter depuis le début des travaux de la commission parlementaire et envisageons le fait comme une décision prise et reprise.

Etes-vous d'accord avec moi pour dire que si nous nous trouvions dans une situation où nous ensemble, Québécois, avions à décider si oui ou non nous établissons des écoles pour la minorité de 13 p.c. d'anglophones qu'il y a au Québec, la question serait tout autre. Si on en venait à décider de créer des écoles pour une minorité, probablement qu'on aborderait la question exactement comme vous le faites maintenant, parce qu'il n'y a pas un pays au monde qui l'a abordée d'une façon différente.

Tout à l'heure, je vous entendais répondre au ministre de l'Education que vous auriez pu qualifier votre projet de normal, puisqu'il a été suivi par n'importe quelle société.

Le problème est différent, parce que nous avons à discuter,, non pas de l'installation d'écoles pour la minorité, mais de regarder un fait qui existe déjà — ces écoles — et la décision que nous avons à prendre n'est pas de créer ces écoles, mais de les retirer ou de les laisser.

Dans ce sens, l'existence passée, la tradition ou, si vous le voulez, la concession à l'histoire et à la géographie que le Québec a faite à ce chapitre limité du droit à une culture de s'entretenir dans un secteur d'enseignement qui est dans sa langue, on l'aborde maintenant d'une façon tout à fait différente de la première hypothèse où on devait l'aborder de but en blanc et dire: Est-ce que l'on crée des écoles ou est-ce qu'on ne crée pas des écoles pour une minorité?

M. FAUCHER (Gaétan): Dans ce sens, il n'y a pas de problème. Si vraiment la langue du travail, la langue utilisée partout est le français, ce sera une question tout autre de dire: On a des écoles anglaises pour une minorité. C'est un problème tout autre, mais dans le contexte actuel, c'est un peu comme trop souvent, selon nous, les étudiants, on fait des concessions constamment au Québec pour une minorité. Cela crée un climat d'insécurité pour la majorité même.

M. CHARRON: Avez-vous l'impression que le projet de loi actuel va changer beaucoup de choses s'il doit être adopté comme il est libellé dans la région dont vous provenez?

M. FAUCHER (Gaétan): De prime abord, est-ce qu'il va changer beaucoup de choses? Je ne le sais pas tellement. Il y a 91 p.c. de francophones dans la région et, depuis trois ou quatre ans, c'est à un taux de 4 p.c. et 6 p.c. qu'il y a un passage qui se fait du français à l'anglais dans les écoles. Par exemple, pour prendre ce secteur, je ne vois pas en quoi le projet de loi pourrait le modifier, ce passage régulier de francophones au milieu anglophone, si on prend ce secteur. A ce moment-là, je ne pense pas que le projet de loi modifie les choses tellement.

M. CHARRON: A l'exception du chapitre de l'enseignement, en particulier, pour ce qui est

de l'environnement social et culturel de la région de l'Estrie, est-ce que le projet de loi, à votre avis, dans toutes ses clauses et ses échappatoires, change quelque chose à la situation de force qu'occupe l'anglais dans la vie des Cantons de l'Est?

M. FAUCHER (Gaétan): ... peut-être permettre de prolonger, dans plusieurs municipalités, des Cantons de l'Est, où on retrouve sûrement les 10 p.c. d'anglophones qui permettent que l'administration continue de se faire en anglais pour un petit nombre. On peut se retrouver avec 88 p.c. ou 89 p.c. de francophones et, à cause d'un effet historique, on va encore se retrouver avec l'anglais comme langue de l'administration municipale dans beaucoup de corporations municipales. Cela ne modifiera pas grand-chose au contexte actuel.

M. CHARRON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: Messieurs, je ne sais si vous êtes familiers avec l'étude rédigée en 1973, plus précisément en février 1973 par le professeur Gary Caldwell de l'université Bishop sur la population de langue anglaise au Québec et sur celle de l'Estrie en particulier. A cette époque, il constatait que de 10 p.c. à 15 p.c. des élèves des écoles anglophones étaient en réalité des francophones.

Dans les études qui ont été faites par le bureau régional du ministère de l'Education en mai 1974, il semble que le pourcentage soit beaucoup plus élevé. J'ai cru voir dans les extraits de ce rapport, que dans les écoles protestantes, on trouvait 28.2 p.c. d'écoliers catholiques, d'élèves catholiques, dis-je. Cela constitue un pourcentage évidemment beaucoup plus élevé que dans le reste du Québec.

Est-ce que vous connaissiez ces chiffres du professeur Caldwell et du ministère qui semblent démontrer qu'il y a une accélération rapide du processus d'anglicisation? Je pensais, en particulier, aux chiffres publiés par le ministère de l'Education et qui montrent la proportion des élèves de langue française dans les écoles primaires et secondaires de langue anglaise des Cantons de l'Est. En 1971/72, on comptait 787 francophones sur 8,068 élèves, soit 9.4 p.c. En 1972/73, le nombre était passé à 1,210 francophones, soit à 15.2 p.c. et enfin, pour l'année courante, 1973/74, le chiffre est de 1,477 francophones sur 7,664 élèves, soit 19.3 p.c.

L'accélération de la tendance est étonnante et il semble que le mouvement soit plus précipité que dans le reste du Québec. Vous êtes-vous penchés sur ces chiffres? Pouvez-vous nous dire si vous avez eu l'occasion de les vérifier?

M. LAVALLEE: Nous nous sommes en effet penchés sur ces chiffres. C'est ce à quoi nous faisions allusion, M. le ministre, au début quand on parlait des passages du français à l'anglais et de l'anglais au français. Quant à l'analyse, elle a été publiée à la fin de mai 1974 et c'est très récent. Nous ne l'avons pas approfondi. Nous avons fait confiance aux chiffres du ministère.

M. MORIN: Cette accélération du passage des élèves francophones vers les écoles anglophones, qui est beaucoup plus forte que ce à quoi je m'attendais pour l'Estrie, est-elle perceptible dans la vie courante d'une ville comme Sherbrooke, par exemple?

M. FAUCHER (Gaétan): Je pense qu'on peut dire que c'est perceptible au sens où on a l'impression que, dans tous les Cantons de l'Est, il y a une présence anglophone pas mal grande. Quand on regarde les chiffres réels, la plus grande surprise qu'on a est de constater qu'il y a quand même entre 85 p.c. et 92 p.c. de francophones dans les municipalités. Tout le monde a l'impression qu'il y a beaucoup d'anglophones. Il y a encore plusieurs municipalités qui fonctionnent encore avec l'anglais. Les noms sont anglais partout. C'est peut-être ce qui fait que les gens ont l'impression d'être dans un milieu vraiment noyé d'anglophones quand, en réalité, ce n'est pas le cas, et le fait d'avoir cette impression les fait passer au niveau anglophone plus facilement que dans d'autres régions. C'est une hypothèse.

M. MORIN: Est-ce que, dans la rédaction de votre mémoire, vous avez tenu compte de ces chiffres et de l'accélération qu'ils révèlent?

M. FAUCHER (Gaétan): C'était un sentiment que la plupart des gens vivaient, avaient. C'est ce qui a amené aux considérations que l'on a faites.

M. MORIN: Donc, si j'ai bien compris, si votre mémoire propose des solutions qui veulent une francisation très poussée, c'est en fonction du problème grave que vous affrontez dans l'Estrie.

M. FAUCHER:(Gaétan): En partie, oui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je m'excuse auprès du député de Sauvé, mais par erreur tantôt, j'aurais dû, selon l'entente, reconnaître le député de Rouyn-Noranda, avant de reconnaître le chef de l'Opposition. J'aimerais accorder quelques questions au député de Rouyn-Noranda, quitte à revenir au chef de l'Opposition.

M. MORIN: Non, j'ai terminé, M. le Président, merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: J'ai compris tantôt que vous représentiez quelque 400 étudiants...

M. LAVALLEE: D'été, monsieur.

M. SAMSON: C'est bien cela la question? C'est bien la réponse que vous avez donnée?

M. LAVALLEE: Pardon?

M. SAMSON: Est-ce que c'est bien la réponse que vous avez donnée? Vous avez dit en été.

M. LAVALLEE: En été, oui.

M. SAMSON: Cela veut dire qu'en d'autres saisons vous en représentez plus que cela.

M. LAVALLEE: Nous en représentons 4,000. M. SAMSON: Jusqu'à combien cela va-t-il? M. LA VALLEE: Cela va jusqu'à 4,000.

M. SAMSON: Jusqu'à 4,000 étudiants. En ce qui concerne le présent mémoire, est-ce que j'ai bien compris aussi que vous aviez eu une assemblée spéciale...

M. LAVALLEE: Oui.

M. SAMSON: ... pour étudier le projet de loi 22 et présenter votre mémoire? Aviez-vous convoqué tous les étudiants à cette assemblée spéciale?

M. LAVALLEE: Oui.

M. SAMSON: Combien y en avait-il de présents?

M. LAVALLEE: Par les journaux locaux, on a convoqué les gens qui étaient sur place et qui étaient effectivement membres de notre fédération, en tant qu'étudiants coopératifs. On avait à peu près 80 étudiants sur les 400 possibles.

M. SAMSON: Environ 80 étudiants présents. J'ai cru comprendre qu'on parlait beaucoup tantôt, en fonction de votre mémoire, des besoins créés par votre région, les Cantons de l'Est. Est-ce que je dois comprendre que votre association représente surtout les Cantons de l'Est, uniquement les Cantons de l'Est ou d'autres régions aussi en fonction peut-être des étudiants qui viennent d'ailleurs à Sherbrooke?

M. FAUCHER (Gaétan): L'association représente tous les étudiants. C'est une association générale. Pour la période d'été, il y a des étudiants qui sont là à un cours coopératif et il y a aussi des étudiants qui demeurent à Sherbrooke, qui étaient aussi invités — même s'ils ne sont pas étudiants pendant la période d'été — à participer aux délibérations sur l'étude du projet de loi et c'est peut-être dans ce sens que l'association a pu percevoir des problèmes locaux ou régionaux. Mais, en fait, l'association représente tous les étudiants de l'université, quelles que soient les provenances.

M. SAMSON: Et qui viennent généralement de toutes les régions, ou à peu près, du Québec.

M. FAUCHER (Gaétan): A peu près, oui.

M. SAMSON: A votre cinquième "considérant", "... considérant que les menaces d'instabilité économique et de fuites de capitaux rattachés au problème de la langue ne sont qu'un mythe maintenu par la minorité possédante...", je ne sais pas à quelle date exactement vous avez rédigé ce mémoire, mais aviez-vous tenu compte, à ce moment, de nouvelles parues voulant que plusieurs sièges sociaux étaient déjà transférés de la région de Montréal vers Toronto, par exemple, ou étaient en voie d'être transférés ou avaient des intentions de transférer ou est-ce que cela est venu après?

M. FAUCHER (Gaétan): On se trouve à l'avoir considéré en utilisant, dans notre "considérant" le mot "mythe". On a l'impression qu'en fait ce sont souvent les choses qu'on essaie d'entretenir. En discutant du problème, on a pensé que c'était beaucoup plus l'insécurité, le climat social qui est incertain qui pouvait faire changer les sièges sociaux qu'une question linguistique. Quelle que soit l'option prise, si la situation est claire et nette concernant la langue, il n'y a pas de raison pour que les sièges sociaux changent de place parce qu'il faut qu'ils modifient la langue de travail. On pense que, même avec une idée comme la nôtre, concernant l'unilinguisme, les choses devenant très claires — c'est le français, rien d'autre — il n'y a pas de raison pour que le climat social soit perturbé à cause de cela et que les sièges sociaux changent de place.

M. SAMSON: Selon vous, lorsque vous parlez de mythe, si je comprends bien, c'est un mythe concernant les raisons de ces changements, mais vous ne contestez pas le fait qu'il y a eu des changements de sièges sociaux ou qu'il y en aura peut-être.

M. FAUCHER (Gaétan): II y a des chiffres qui disent qu'il y en a eu. On ne peut pas les contester.

M. SAMSON: Compte tenu du fait que vous savez qu'il y a eu des changements, des transferts de sièges sociaux — remarquez bien que je ne peux pas prendre une position à votre place; j'essaie d'obtenir le maximum de renseignements possible — votre association maintient que ce n'est pas la question linguistique qui serait la raison de ces changements.

M. FAUCHER (Gaétan): C'est ce que nous pensons.

M. SAMSON: Dans un autre ordre d'idées, le français, langue de travail, croyez-vous que les raisons économiques, finalement, ou les questions économiques, si vous aimez mieux, favorisant davantage le français comme langue de travail ou comme langue de l'économie, n'amèneraient pas automatiquement ces besoins du français, comme langue, dans tous les autres domaines? Considérez-vous, vous aussi comme d'autres associations le considèrent, que c'est d'abord la question économique qui fait que nous ayons un besoin d'une langue et que, si ce point, d'abord, est réglé, les autres se régleront presque automatiquement ou plus facilement?

M. FAUCHER (Gaétan): Pour une étude tant soit peu sérieuse du problème linguistique, je pense que c'est la conclusion première qui saute aux yeux. On peut l'entendre dire, mais quand on commence à étudier vraiment le problème, à regarder un projet de loi comme celui-là, on s'aperçoit que, si vraiment la langue du travail devient le français pour tout le monde et à tous les échelons, toutes les communautés linguistiques du Québec vont choisir le français comme langue d'enseignement aussi, parce que cela va être le seul moyen de travailler.

M. SAMSON: A ce moment, est-ce que vous croyez que permettre davantage à des Canadiens français comme tels de participer directement à la vie économique, plus que cela ne se fait présentement, ne serait pas un moyen plus concret d'arriver à ce que finalement le français soit partout un besoin, plutôt qu'une imposition par une loi? Ici, je fais une parenthèse pour vous donner mon opinion, pour mieux vous faire comprendre mon point de vue. Si on impose finalement le français par une loi, on n'est pas certain qu'il sera respecté; alors que, s'il est devenu nécessaire par des moyens qui sont ceux de l'économie, même sans loi, il serait alors peut-être plus respecté. C'est pour vous faire mieux comprendre mon point de vue que j'ai dû vous donner ma position là-dessus, mais je voudrais connaître la vôtre.

M. FAUCHER (Gaétan): Idéalement, je pense qu'on ne peut pas être contre la position que vous venez d'énoncer. En pratique, concrètement, d'accord si le français est langue du travail, il n'y a plus de problème, le reste va suivre. Mais comment arriver au français, langue du travail? C'est là qu'on s'est posé une question. On a pensé qu'il fallait plus que des moyens incitatifs. L'expérience des dernières années, quant à nous, semblait montrer que les moyens incitatifs n'étaient pas suffisants, qu'il fallait utiliser des moyens beaucoup plus sérieux et plus exigeants pour les entreprises.

LE PRESIDENT (M. Gratton): On me per- mettra de vous faire remarquer que le temps de l'Opposition est écoulé. Peut-être pour une dernière courte question.

M. SAMSON: Je suis intéressé à connaître un point de vue de la part des étudiants de Sherbrooke. Quant à votre position d'unilinguisme total, vous avez parlé tantôt de deux bills, un bill où on fait le français, langue officielle uniquement, et un autre bill, où on ferait, où on émettrait des droits pour les minorités. Ne trouvez-vous pas qu'il serait peut-être difficile, sans que je vous donne ma position là-dessus, de discuter de ces deux choses, puisque vous semblez vouloir discuter des deux, c'est-à-dire, du français, langue officielle d'une part, et des droits aux minorités d'autre part? Puisque vous semblez attacher de l'importance au fait qu'il faut légiférer pour les deux, compte tenu de cela, vous ne trouvez pas qu'il vaut mieux en discuter en même temps, parce que l'un est rattaché à l'autre? On ne peut pas les dissocier facilement, si on veut parler des deux. Si on ne veut pas parler des deux, c'est une autre chose, évidemment.

M. FAUCHER (Gaétan): C'est-à-dire que la position et la démarche que les étudiants ont prises, c'est d'abord de parler de la langue de la majorité. On n'a pas effectivement dit qu'elle pourrait être une loi sur les minorités, on n'a pas discuté en détail de ce que pourraient être les conditions, les privilèges accordés ou les droits accordés. On s'est penché sur la loi de la majorité. Dans cette optique, on se disait qu'on doit rétablir les choses d'abord, ensuite on pourra regarder les choses, mais on ne les a pas regardées. C'est pour cela que pour nous autres...

M. SAMSON: En terminant, M. le Président, est-ce que vous iriez aussi loin que d'étudier aussi le reste en ce qui concerne les minorités, ou bien si vous préférez vous arrêter là et dire: Les minorités, quelqu'un d'autre en parlera plus tard?

M. FAUCHER (Gaétan): Avec des délais plus longs, ce serait certainement possible d'étudier cela.

M. SAMSON: Alors, vous voulez immédiatement le français langue officielle, pas autre chose que cela, avec prévision pour plus tard de penser à autre chose.

M. FAUCHER (Gaétan): C'est parce qu'on n'a pas étudié l'autre question.

M. SAMSON: Si je vous comprends bien, est-ce que je conclus cela?

M. FAUCHER (Gaétan): On n'a pas étudié l'autre question. On n'a pas eu le temps d'aller plus en détail dans les autres sections. On a regardé cette section et on s'est attaché à cela pour l'instant.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député d'Anjou.

M. TARDIF: M. le Président, la présentation de votre mémoire suscite en moi quelques questions quant à la situation à Sherbrooke et dans la région environnante, c'est-à-dire la région des Cantons de l'Est. Trop souvent, hélas! à Montréal, on voit des affiches unilin-gues anglaises.

Est-ce que c'est la même situation qui se produit dans les Cantons de l'Est?

M. LAVALLEE: Oui. En général, la situation de l'affichage unilingue anglais est à peu près proportionnelle au nombre d'unilingues anglais dans les villes, c'est-à-dire que, s'il y a 20 p.c. d'anglophones dans une certaine ville, il y a à peu près aussi 20 p.c. d'affichage unilingue anglais.

M. TARDIF: En général dans les Cantons de l'Est.

M. LAVALLEE: Oui.

M. TARDIF: Est-ce qu'il est possible dans les Cantons de l'Est d'obtenir partout et sans exception des services en français dans les entreprises d'utilité publique et des professionnels? Ou y a-t-il certains professionnels qui sont encore unilingues anglais et y a-t-il certaines entreprises d'utilité publique qui sont encore unilingues anglaises et qui n'offrent pas leurs services en français?

M. LAVALLEE: Je ne sais pas.

M. TARDIF: Vous n'êtes pas au courant de cela.

M. LAVALLEE: Non.

M. TARDIF: Dans l'administration publique, je pense qu'il y a de petites municipalités, si je ne me trompe, dans les Cantons de l'Est, qui ne sont pas tellement populeuses et qui ont déjà eu une majorité de gens de langue anglaise. Est-ce qu'il est possible de communiquer avec ces municipalités en français et est-ce qu'un employé peut faire son travail en français ou faut-il nécessairement connaître l'anglais ou travailler en anglais au sein de ces administrations municipales?

M. FAUCHER (Gaétan): Les municipalités de Lennoxville et Stanstead, par exemple, refusent de parler français au conseil de ville. Apparemment, aussi — c'est à vérifier — peut-être que dans certaines de ces municipalités il y aurait une espèce de contrôle indirect effectué pour empêcher trop de francophones de s'établir dans des municipalités, et même les empê- cher d'acquérir des terrains ou des résidences. Encore là, ce sont des choses qui sont difficilement vérifiables, sauf la question du conseil de ville.

M. TARDIF: J'aimerais que vous m'expliquiez ceci. Dans le domaine de l'affichage, deuxièmement, dans le domaine de l'administration publique, et, troisièmement, dans le domaine des entreprises publiques et des professionnels, comment pouvez-vous dire, comme vous l'avez fait tout à l'heure en réponse à une question du député de Saint-Jacques, que le projet de loi no 22 n'améliorerait pas la situation actuelle, si on pense que l'article 43 rend l'affichage français obligatoire, si on pense également que l'article 12 rend obligatoire l'utilisation du français dans le domaine de l'administration publique, et si on pense également que les articles 18 et 21, 22, 23 rendent également obligatoire l'utilisation du français dans le domaine des entreprises d'utilité publique et des corps professionnels? J'aimerais que vous me disiez comment il se fait que le projet de loi no 22 n'apportera aucune amélioration à la situation actuelle quand vous venez de me dire vous-mêmes qu'actuellement il y a des lacunes dans ces domaines et que le projet de loi prévoit l'utilisation obligatoire du français, parfois concomitante avec l'anglais, je l'admets bien, dans les secteurs que je viens de vous mentionner.

M. FAUCHER (Gaétan): Nous n'avons pas dit qu'il n'apportait aucune modification ou amélioration. Nous avons dit qu'il ne changerait pas substantiellement le climat de la région. Si l'on prend l'article 9, par exemple, l'article 9 va permettre aux municipalités où les débats sont unilingues anglais au conseil municipal de les poursuivre. On peut prendre certains secteurs où cela va être amélioré, les articles qui ont été mentionnés peuvent améliorer substantiellement peut-être, mais dans le climat général qui est déjà présent, les gens ont l'impression de vivre dans un milieu passablement anglophone, malgré qu'il y a peut-être 10 p.c. ou 15 p.c. d'anglophones, et ce climat ne sera pas modifié par le peu d'affiches qui sont là.

M. TARDIF: Comment pouvez-vous dire qu'il n'y aura pas d'amélioration si partout, selon le projet de loi no 22, le français va exister? Je ne nie pas le fait que l'anglais également à certains endroits, pour ceux qui le voudront, va continuer à exister. Je ne le nie pas, mais cela serait tout simplement aller à l'encontre du texte écrit que de dire qu'il n'existera pas d'anglais. Mais, je vous le demande, comment pouvez-vous m'expliquer qu'il n'y aura pas une amélioration du climat si partout il y a de l'affichage en français, si partout on peut recevoir les soins d'un professionnel en français, si partout également on peut recevoir les services d'une entreprise d'utilité publique en

français, si partout également on peut recevoir une réponse et communiquer en français avec une administration publique? J'aimerais que vous me disiez comment vous pouvez dire qu'il n'y aura pas de changement ni dans les faits, ni dans le climat.

M. FAUCHER (Gaétan): On ne dit pas qu'il n'y aura pas de changement dans les faits...

M. TARDIF: C'est ce que vous avez dit tout à l'heure en réponse au député de Saint-Jacques, qui, évidemment, par une question un peu tendancieuse et suggestive, vous a amené à répondre de cette façon. Maintenant, étant donné que vous avez fait votre lit par cette réponse, j'aimerais que vous m'expliquiez comment on peut prétendre qu'il n'y aura pas de changement par l'adoption du projet de loi no 22 dans ces domaines en particulier.

M. FAUCHER (Gaétan): Je pense que vous essayez de mettre une couverture qui vous convient bien sur notre lit. On n'a pas dit qu'il n'y aurait rien de changé dans les faits.

On n'a pas dit que cela n'améliorait rien, on a dit que le climat global resterait un climat anglophone, c'est-à-dire que l'ensemble des modifications qui sont là, étant donné que l'anglais va continuer d'être présent, n'améliorera pas cette impression générale qu'ont les gens de la région d'être dans un climat où il y a beaucoup de présence anglaise quand, en fait, il n'y en a pas beaucoup. Il y a eu une évolution depuis plusieurs années, une centaine d'années, qui a fait que les francophones ont passé de 26 p.c. à 90 p.c, mais les gens ont encore l'impression d'être dans un milieu passablement anglophone. Le fait d'ajouter du français, d'accord, ça peut améliorer certaines choses, mais ça n'enlève pas l'anglais qui donne une fausse impression aux gens, l'impression d'être dans un milieu anglophone. C'est le sens de la remarque que le projet de loi 22, pour nous, n'améliore pas suffisamment la situation, le climat général.

M. TARDIF: Vous admettez que, malgré tout, il va y avoir des améliorations qui vont être apportées par l'adoption éventuelle du projet de loi, d'accord.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, la commission vous remercie de votre présentation. J'invite immédiatement l'Association des professeurs de l'université Laval à bien vouloir se présenter à la table, s'il vous plaît. Le porte-parole de l'association est bien M. Marcel Baril?

Association des professeurs de l'université Laval

M. BOUCHARD: Non, je m'excuse, M. Baril est absent à cause d'un congrès sur un autre continent. C'est moi qui présiderai la délégation. Je suis Guy Bouchard, président de l'Association des professeurs de l'université Laval. Je vous présente mes collègues, à ma gauche, M. Moisan; à ma droite, M. Jean-Marcel Paquet et M. Jean-Yves Savard, tous membres de l'association à divers titres. Le mémoire qui a été préparé à la demande du conseil d'administration de notre association sera présenté par M. Moisan.

M. MOISAN: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je voudrais vous rappeler que vous disposez de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire.

M. MOISAN: Je vous demanderais de m'avertir une minute avant la fin, s'il vous plaît.

M. MOISAN: L'association des professeurs m'a demandé de défendre surtout la partie linguistique de notre mémoire et c'est ce à quoi je m'attacherai aujourd'hui. Dans le mémoire que vous avez reçu, l'Association des professeurs de l'université Laval, inquiète de certaines prises de position sur la langue, a voulu rappeler certaines vérités élémentaires. Dans cette présentation, nous voudrions, non pas renier ces vérités élémentaires, elles sont plus que jamais d'actualité, mais apporter à notre argumentation des preuves et des appuis supplémentaires.

Le texte de présentation complète donc le texte que nous vous avons remis. Au texte du mémoire sur l'unilinguisme, nous aimerions ajouter quelques chiffres tirés du recensement de 1961 et compilés par Joy dans Languages in Conflict, 1967. Si on regarde la liste des villes où il n'y a que des anglophones unilingues et la liste des villes où il n'y a que des francophones unilingues ou des Canadiens bilingues, on se rend compte d'une chose, c'est à la page 12 du livre que je viens de vous citer, que plus une ville est peuplée de francophones, plus le nombre de bilingues augmente et inversement plus le nombre d'anglophones est élevé, plus le nombre de bilingues diminue. Si l'on consulte des chiffres pour tout le Canada, on se rend compte que le nombre de francophones bilingues est plus important que le nombre d'anglophones bilingues. N'allez pas croire qu'il s'agit là de vertus ou d'un don particulier de la part des francophones, les anglophones ne sont pas plus allergiques à l'étude des langues étrangères que les Québécois francophones, ils ne sont pas plus bornés non plus, ils font tout simplement partie de la classe dominante et on retrouve au Québec la situation de tous les pays colonisés du monde. Ce sont les dominés qui deviennent bilingues. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.

Il est donc faux de croire qu'un pays bilingue est le plus propice à l'étude de la langue de l'autre. Mackey va même jusqu'à prétendre, dans "Le bilinguisme, phénomène

mondial", à la page 11, qu'il y a moins de bilingues dans les pays bilingues que dans les contrées dites unilingues. L'unilinguisme d'Etat n'est donc pas un obstacle à l'apprentissage d'une langue seconde, pas plus que cet unilinguisme n'est un empêchement à la reconnaissance, par l'Etat en question, de droits particuliers et privilégiés bien définis à une minorité.

Si l'on en croit, Falch, "Contribution à l'étude du statut des langues en Europe", à la page 72, "Onze pays européens n'ont qu'une langue officielle sur leur territoire national, mais ils accorderont cependant une protection, plus ou moins étendue selon les pays, aux différentes langues minoritaires".

Mais protection ne veut pas dire place égale ni prioritaire. Dans ces pays, la minorité protégée n'a en aucune façon le pouvoir économique de la minorité anglaise du Québec ni le puissant appui périphérique dont cette minorité jouit en Amérique du nord.

En fait, et sans exagération, l'on peut presque dire — et, M. le Président, il s'agit d'une image, veuillez me coire — que la minorité anglaise du Québec constitue une tête de pont de la majorité anglo-saxonne de l'Amérique du Nord. Il ne s'agit pas, bien sûr, malgré ce vocabulaire, de partir en guerre. Mais comment ne pas être inquiets devant ces bonnes gens anglophones et francophones qui nous incitent au bilinguisme avec d'autant plus de vigueur qu'ils sont ignorants et du bilinguisme et de ses conséquences?

Taxer d'ignorance cette attitude est sans doute bien naïf. Les associations d'enseignants anglophones qui ont défilé devant vous doivent bien avoir quelques membres au fait des questions linguistiques ou, du moins, des questions traitant du bilinguisme. Même pour un Anglo-Saxon unilingue, l'ignorance en ce domaine, surtout pour un professeur, est incompréhensible et inacceptable, car la langue la plus utilisée dans ce domaine de recherche est l'anglais.

Il faut voir plutôt carrément, dans ces appels, une volonté plus ou moins consciente, plus ou moins inconsciente, mais bien orchestrée de nous assimiler, car l'on sait bien, comme le dit élégamment Vinay "que le bilinguisme au Canada, c'est l'obligation imposée aux Canadiens français de parler anglais. Quant aux appels à devenir bilingues lancés par des francophones, ils témoignent d'une vérité vieille comme la colonisation elle-même. Dans tout peuple colonisé, il se trouve toujours des indigènes pour propager naïvement ou par intérêt les idées des colonisateurs". J'invite à ce propos les membres de la commission parlementaire à lire les écrits de Albert Lamy.

Malherbe, qui n'est pas francophone malgré son nom, qui est un linguiste qui a beaucoup étudié la situation en Afrique du Sud, rappelait aux congressistes réunis à Moncton, lors du colloque sur la description et la mesure du bilinguisme, le témoignage suivant d'un chef bantous. Voici ce que disait ce chef bantous: "Cest une bonne chose que de connaître une langue maternelle. Si je la connais, je ressemble à un poulet qui picore dans sa basse-cour. Mais si je connais la langue de l'homme blanc, en l'occurence l'anglais, je suis comme un aigle qui plane".

Je ne voudrais pas être malicieux, mais je ne peux pas faire autrement que de rapprocher cette déclaration de toutes celles qui circulent au Canada et au Québec sur les valeurs respectives de l'anglais et du français; ces déclarations témoignent...

M. MORIN: Je commence à comprendre plusieurs déclarations du ministre de l'Education?

M. CLOUTIER: Pourquoi? J'aimerais bien savoir.

M. MOISAN: M. le Président, j'ai besoin de mes 20 minutes.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Allez-y.

M. MOISAN: Ces déclarations témoignent tout simplement...

M. CLOUTIER: C'est un rappel au chef de l'Opposition.

M. MOISAN: Ces déclarations témoignent tout simplement de l'ignorance de leurs auteurs et de leur chauvinisme et je citerai ici un de nos collègues qui fait autorité, je pense, dans le domaine du bilinguisme, M. Mackey, qui dit ceci: "On peut se demander alors si les gens dont la langue d'origine est une des langues prioritaires ont un besoin quelconque de bilinguisme. Puisque leur langue est celle du pays où ils vivent et travaillent, c'est aussi le langage qui leur permet d'acquérir les connaissances dont ils ont besoin et enfin, puisque c'est une langue parlée et comprise dans plus d'un pays qu'ils aimeraient peut-être connaître, pourquoi auraient-ils besoin d'une autre langue? De telles considérations amènent ces gens à donner une importance exagérée à leur langue d'origine. Un tel chauvinisme linguistique, bien souvent, trouble ceux qui se sont donnés la peine d'apprendre cette langue comme deuxième langue, en plus de la leur, peut-être moins importante. "Si les Hollandais apprennent l'anglais, pourquoi les Anglais n'apprennent-ils pas le hollandais?

Est-ce que, parce que l'Anglais est supérieur au hollandais — et je cite toujours — il est vrai que l'on peut considérer l'anglais comme une grande langue et cela pour plusieurs raisons, mais aucune de ces raisons n'est d'ordre linguistique. "En tant que langue, l'anglais n'a pas plus d'importance pour le linguiste que n'importe laquelle des quelque 3,000 autres langues parlées en différents points du globe. De plus,

aucune langue n'a le monopole du savoir universel. C'est pour cette raison que Milton incitait les Anglais à apprendre l'italien, langue qui dominait à l'époque et dans laquelle la reine Elizabeth et Marie Stuart publièrent des édits".

Il n'y a donc pas de langue propre à telle ou telle activité. Dire que le français est la langue de l'humanisme et l'anglais celle de la vie moderne relève de la pure fantaisie. Le russe serait la langue de quoi alors? Et le chinois? La langue de la révolution culturelle, sans compter que ce n'est pas élégant envers les Anglo-Saxons dont la littérature est l'une des plus riches de l'Occident.

On le voit donc, ces déclarations sont le témoignage d'un attrait irrationnel pour la langue anglaise. Alors qu'en fait ce n'est pas par sa vertu propre que cette langue est devenue prépondérante, mais par le fait que ceux qui utilisent cette langue sont plus de 200 millions, possèdent une force économique exceptionnelle et sont tout autour de nous prêts à nous assimiler si nous devenons bilingues.

Je rappellerai ici le témoignage à ce propos de Monique Béziers qui écrit, dans "Le bilinguisme, essai de définitions et guide bibliographique". Si, par exemple, deux langues culturelles, de grande diffusion, cohabitent et si l'une est appelée langue mondiale, le comportement linguistique du bilingue qui les emploie en sera profondément affecté. L'autorité sociale, économique et politique d'une langue, par exemple, de l'anglais des Etats-Unis peut être si influente qu'une symbiose à chance égale pour deux communautés linguistiques, par exemple, au Canada, s'avère être exclue.

Il est bien évident que, dans ces cas, ce sont au moins les différences des langues concernées que les réalisations politiques et économiques de ceux qui les parlent qui déterminent l'évolution de leur rapport. Croire que dans leur magnanimité les Anglo-Saxons deviendront bilingues à leur tour et que nous formerons tous ensemble une grande nation unie relève d'une incroyable candeur.

Tous les auteurs sérieux qui se sont intéressés au bilinguisme sont unanimes à déclarer que le bilinguisme universel est l'étape ultime avant l'assimilation. Nous allons citer deux extraits d'un de nos collègues, toujours M. MacKey. Nous aurions pu cependant ajouter les noms de Monique Béziers, de Maurice Van Wartburg, de Martinet, de Falch, de Lefebvre, de Vinay, etc.

Le bilinguisme, écrit MacKey, est maintenu par deux blocs unilingues. Si l'un des blocs devient bilingue, l'autre jouit d'une suprématie linguistique et peut alors assimiler la communauté bilingue. Tel a été, dans le passé, le destin de plusieurs communautés bilingues. Aussi, les nations bilingues voient-elles dans l'unilinguisme régional le moyen de préserver leur bilinguisme national. Quelques pages plus loin, MacKey ajoute, en donnant toute une série de peuples qui sont devenus bilingues avant d'être assimilés: Le bilinguisme a pour résultat l'élimination complète de l'une des deux langues.

Nous pourrions donc, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, citer beaucoup d'autres extraits de linguistes de réputation internationale. Nous avons cité tout à l'heure le nom de Van Wartburg. Van Wartburg est l'un des grands philologues de la première moitié du XXe siècle. Il est de ce fait, aussi, un historien de la langue.

Dans "Evolution des structures de la langue française", il a dressé, non seulement un tableau de l'évolution du français, mais il a consacré plusieurs pages à expliquer comment le latin, d'abord, et le français, ensuite, sont devenus prépondérants. L'étape intermédiaire, par laquelle passa le peuple dépossédé de sa langue, fut le bilinguisme. Le mécanisme de cette assimilation a été fort bien expliqué par Martinet dans son livre "Langues et fonctions".

Partant d'observations faites en Savoie, territoire franco-provençal, Martinet s'est rendu compte que le parler de la région s'est morcelé en une foule de parlers locaux, parce que la jeune génération ayant appris le français, ne sentait plus le besoin de parler avec leurs congénères des autres villages une langue commune, puisque le français devint cette langue commune.

Le bilinguisme a donc eu pour effet de favoriser la dialecte national comme instrument de communication de toute la région au détriment du dialecte local qui s'est ainsi désagrégé en de multiples parlers locaux avant de disparaf-tre. Ce qu'il y a de fort intéressant à l'étude de Martinet, c'est ceci: II est des régions où le dialecte local a pu maintenir son unité parce qu'il était perçu comme nécessaire pour communiquer avec des gens d'autres frontières. Martinet nous invite, dans cet article dont je vous ai parlé, à étudier — je ne demanderai pas cela à la commission, ce n'est pas son rôle nécessairement — les phénomènes qui font, les lois qui font qu'un dialecte comme cela est assimilé par un autre. Il cite les exemples du basque et du catalan qui se maintiennent plus longtemps sur le territoire français que le breton, justement parce qu'ils sont appuyés. Je pense que l'exemple est intéressant pour nous en Amérique du Nord.

La meilleure façon de maintenir le français hors du Québec ne serait donc pas de créer un bilinguisme "from coast to coast" — M. Trudeau l'a dit, hier, une espèce de bilinguisme moucheté... une meilleure façon de nous assimiler, à moins de ne rien connaître aux lois de la linguistique — bilinguisme désintégrateur, et pour le Québec, et pour les minorités hors du Québec, mais bien de faire de l'Etat québécois un territoire francophone fort, sur lequel pourront prendre appui les minorités. L'unilinguisme étatique au Québec, loin d'être une cause de la mort des minorités, est la seule chance de leur survie.

En somme, une langue survit lorsqu'elle est jugée assez importante pour être parlée par un grand nombre, par tous les gens de la commu-

nauté qui la parlent, quoi. S'il y a 5 p.c. aujourd'hui, 10 p.c. qui commencent à parler, dans leurs relations l'anglais, demain ce sera 15 p.c, demain, ce sera 20 p.c. A ce moment, la langue commune se désagrégera. Regardez le franco-américain. Regardez le louisianien. Regardez ce qui se passe dans l'Ouest. On est en train d'avoir des parlers régionaux si on ne fait pas attention.

Donc, une langue se maintient si elle est parlée par une grande communauté. Elle se maintient aussi si elle trouve des appuis dans l'aire géographique immédiate. Au Québec, la langue majoritaire ne peut s'appuyer sur aucune majorité toute proche, mais au contraire, doit servir d'appui à des minorités déjà fortement ébranlées. Le Québec doit donc rechercher des appuis au-delà des immensités de l'océan Atlantique, comme le dit Herremans, alors que la minorité anglaise peut s'appuyer sur le Canada anglais et sur le plus grand pays du monde de langue anglaise. Donc, le français au Québec se situe à peu près comme le flamand en Belgique, majoritaire dans un petit coin de pays, il est minoritaire à l'échelle d'un continent. Contrairement à la Belgique toutefois à la Suisse aussi, nous n'avons jamais eu le courage de tirer les leçons de l'histoire linguistique. Au Canada, il n'y eut jamais de politique linguistique réelle. Si nos politiciens aujourd'hui même avaient le véritable souci de sauvegarder un Québec français fort et de permettre l'établissement des communautés francophones périphériques, il y a longtemps qu'au-delà des slogans faciles, on aurait convoqué une conférence fédérale-provinciale pour créer au Canada des zones linguistiques unilingues avec droits protégés et limités à la minorité qui s'y trouve.

La majorité anglo-saxonne qui dirige, en fait, les pays, n'avait aucun intérêt à s'empêcher d'assimiler la minorité française. Quant aux francophones qui avaient quelques pouvoirs, ils avaient et ont toujours eu une majorité mercantile. Ce n'est pas pour rien que les appels au bilinguisme viennent des anglophones et des hommes qu'on appelle d'affaires. Et pendant que nos politiciens parlaient d'harmonie, de Canada uni, pendant que certains éditorialistes laissaient courir la plume de leur ignorance ou de leur naiveté, pendant que des journaux lançaient des campagnes de survie, véritable opium de la conscience québécoise, pendant ce temps, les minorités hors du Québec que devait protéger, voire épanouir, notre belle assurance, se faisaient consciencieusement bouffer.

Les études de Joy sur le recensement de 1961 sont tristement convaincantes. Déjà dans un rapport soumis à la commission BB sur l'utilisation de la langue française au Nouveau-Brunswick, Roger de la Garde avait démontré que le Nouveau-Brunswick urbain, et moindrement toutefois le rural, exactement comme en Gaule autrefois, était en train de s'assimiler.

Les auteurs de Bureaucratic Careers, mémoire également fait pour notre BB nationale, ont également noté une assimilation progressive des fonctionnaires fédéraux francophones travaillant dans la région de Hull-Ottawa.

Les études plus récentes de Castonguay, de Castonguay-Miron, de Lefebvre, ont démontré que le glissement atteint maintenant le Québec, sans compter que les questionnaires des recensements ne poussent toujours pas leur affinement aussi loin que certaines enquêtes où l'on s'informe de la langue de travail, de l'enseignement, de la langue du conjoint, de la langue des meilleurs amis du milieu familial. Même lorsque les recensements nous fournissent des chiffres sombres, la situation véritable est toujours plus désespérante.

En somme, lorsqu'on déclare que l'on est d'origine française et que l'on parle le français — la phrase suivante est voulue stylistiquement — il s'agit de savoir quelle est la place réelle de ce français. Si c'est le "candy" que donnent certains boss du pouvoir, de pouvoir prendre son lunch en français, aussi bien dire que c'est foutu pour nous.

Nous sommes alors dignes d'entrer dans l'histoire, dans l'histoire des langues, comme peuple qui fut dépossédé de sa langue. II est heureux en ce sens que cette commission siège. Elle permettra à la postérité et surtout aux historiens de la langue de constater que tous n'étaient pas dupes, d'aucuns seront morts dans l'ignorance, certains dans la complicité, d'autres, enfin, dans la lucidité. Même si c'est plus pénible pour nous, nous préférons être dans le dernier groupe.

M. le Président, s'il me reste 30 secondes, je pourrais répondre tout à l'heure à des questions sur la langue d'enseignement. Mon texte continuait sur la langue d'enseignement et je voulais également rappeler à la commission un magnifique travail qui a été fait pour le compte de la commission Gendron par le doyen de la faculté des lettres et c'est le rapport de synthèse sur l'enseignement du français, langue seconde aux ouvriers francophones.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: Je remercie l'Association des professeurs de l'université Laval pour son savant exposé. J'ai lu avec intérêt le mémoire qui a été présenté à la commission. A certains moments, j'aimerais bien moi aussi être professeur d'université. Il me serait plus facile de construire une société, un peu dans l'absolu. Hélas, l'homme politique doit partir des situations qui existent, quelles que puissent être les erreurs du passé, et doit également tenir compte de la société telle qu'elle est, avec sa structure démographique, avec ses traditions. Il en découle que sa marge de manoeuvre est un peu plus faible.

Ceci dit, je voudrais tout simplement vous demander combien de membres compte votre association.

M. BOUCHARD: Environ 750.

M. CLOUTIER: Environ 750. Ce mémoire a été voté par votre assemblée générale ou une assemblée régulière comme pour...

M. BOUCHARD: Par le conseil d'administration qui exerce les pouvoirs.

M. CLOUTIER: Par le conseil d'administration qui exerce les pouvoirs.

M. BOUCHARD: C'est lui qui a donné l'articulation du mémoire et qui l'a autorisé.

M. CLOUTIER: C'est cela. Mais les membres n'ont pas été consultés.

M. BOUCHARD: Non.

M. CLOUTIER: Non. Vous avez cependant des raisons de croire que la majorité de vos membres sont d'accord sur cela.

M. BOUCHARD: Evidemment.

M. CLOUTIER: Mais il n'y a pas eu d'approbation formelle.

M. BOUCHARD: Pour la simple raison que le délai était trop court et que l'été, en milieu universitaire, il ne faut pas faire d'assemblée générale.

M. CLOUTIER: Oui. C'est tout à fait compréhensible. Combien de membres compte von-tre conseil d'administration?

M. BOUCHARD: 23 membres.

M. CLOUTIER: Parfait. Est-ce que vous pensez qu'il peut y avoir une solution linguistique au Québec en dehors de la perspective de l'indépendance, par exemple?

M. MOISAN: Si je peux répondre à cela... M. CLOUTIER: Oui.

M. MOISAN: Dans mon mémoire, tout à l'heure, au moins dans mon exposé, j'ai essayé de me situer proprement en dehors de l'indépendance.

M. CLOUTIER: Oui.

M. MOISAN: Peut-être que le mémoire paraît pessimiste, mais je le suis réellement.

M. CLOUTIER: Non, mais...

M. MOISAN: Quand je fais une analyse qui se veut de linguistique historique, je ne peux faire autrement que de constater tout ce qui s'est passé ailleurs. Cela ne sera pas immédiatement. Les Egyptiens ont pris 4,000 ans avant d'être assimilés. Ils l'ont quand même été. J'ai proposé dans le mémoire une autre méthode d'approche qui est celle canadienne, si vous voulez.

M. CLOUTIER: Vous paraît-elle compatible avec le cadre actuel ou ne la voyez-vous que dans une perspective de l'indépendance?

M. MOISAN: Quand j'ai parlé de zones linguistiques à l'intérieur du Canada, je ne me situais pas nécessairement dans la dialectique de l'indépendance. Je n'ai pas parlé de cela dans mon mémoire, mais dans mon exposé. Je crois, en tout cas, avec Castonguay d'Ottawa que c'est le minimum que l'on peut faire des zones linguistiques unilingues.

M. CLOUTIER: Vous dites "je". Mais ce "je" couvre tous les membres de votre association.

M. MOISAN: Quand j'ai fait mon exposé, je l'ai lu hier aux membres de l'exécutif et ils l'ont approuvé.

M. CLOUTIER: Parfait. J'aurais donc, à la lumière de tout cela, deux questions seulement.

Ma première question est en rapport avec une affirmation de la page 5 de votre mémoire. Vous parlez d'une loi, en vous référant au projet de loi 22, qui permet la minorisation du groupe francophone au Québec.

M. MOISAN: Tout simplement, pour moi, selon les prémisses de l'étude que je fais sur le plan historique, dès qu'une loi met en situation de bilinguisme, même si on veut donner un petit caractère qui se veut le moindrement prioritaire, dès qu'on met une situation de bilinguisme avec la force énorme du continent nord-américain, on impose pratiquement, ce n'est peut-être pas votre intention, mais on impose en effet l'usage de l'anglais. Si on peut avoir des contrats pour un consommateur dans les deux langues et que, selon — je ne me souviens plus — l'article 119, je m'excuse de ne pas le citer textuellement, mais selon l'article 119, je pense, si c'est le contrat qui est rédigé le plus favorablement, tous les consommateurs vont avoir tendance à demander des contrats bilingues.

M. CLOUTIER: Bien, c'est cela.

M. MOISAN: C'est une question de bilinguisme. On parlait tout à l'heure d'affiches. Le député, je pense, est parti...

M. CHOQUETTE: D'Anjou.

M. MOISAN: D'Anjou est parti. Il parlait de bilinguisme. S'il y a dans le domaine de l'affichage deux langues, vous avez nécessairement un décalque sur l'autre. C'est extraordinaire.

M. CLOUTIER: Oui, ceci m'amène à ma deuxième question. A la page 8 de votre mémoire, vous dites que le bill 22, à vos yeux, est mensonger dans son titre, parce qu'il consacre, dans l'ensemble de ses 130 articles, le français et l'anglais comme langues officielles du Québec. Je voudrais bien, et je m'arrêterai là, que vous m'expliquiez en quoi ce projet de loi consacre le français et l'anglais comme langues officielles. Bien sûr, je vous concéderai avant de partir que l'anglais conserve un certain nombre de droits. Il s'agit de régime particulier, compte tenu de notre minorité, ou il s'agit de droits reconnus de façon générale sur le plan des communications individuelles. Ce n'est pas l'intention du gouvernement de consacrer le bilinguisme. L'analyse de ce projet de loi montre clairement que la priorité est donnée au français partout, mais étant donné que malheureusement nous n'avons pas cette marge de manoeuvre des professeurs d'université comme je disais tout à l'heure — remarquez que je l'ai déjà été, je le redeviendrai peut-être un jour — étant donné que le législateur doit tenir compte, lui, de la réalité, je me demande si vous pourriez m'énumérer les articles qui instituent le français et l'anglais, langues officielles?

M. MOISAN: Je me suis amusé à faire, pas une analyse de texte, du rouge, j'en ai mis partout où il y avait la possibilité d'employer l'anglais. Lorsque, dans une municipalité...

M. CLOUTIER: Mais c'est cela que je vous pose. Est-ce du bilinguisme? La possibilité d'utiliser l'anglais sur le plan des communications individuelles dans un pays civilisé...

M. MOISAN: Non.

M. CLOUTIER: ... où il y a une minorité, ne constitue pas en soi un bilinguisme institutionnalisé.

M. MOISAN: Le bilinguisme, c'est lorsqu'une ville, un gouvernement, envoie automatiquement des avis, les comptes de taxes, des trucs comme cela, dans les deux langues. Automatiquement, c'est du bilinguisme. Il est certain que, dans tous les pays, pas tous les pays du monde, parce que je vais me faire réprimander par M. Morin, mais que, dans beaucoup de pays du monde, la personne qui est poursuivie peut se défendre dans sa langue, quitte à avoir un système de traduction — je pense que M. Choquette est très au courant là-dessus —. Ce que je veux dire, à chaque fois qu'on peut mettre devant les yeux du citoyen les deux langues d'une nation, on fait du bilinguisme.

M. CLOUTIER: A vos yeux.

M. MOISAN: Pas seulement à nos yeux, mais lorsqu'on peut lire.

M. CLOUTIER: Je vous remercie, mais vous avez très bien répondu. Ce n'est pas le but d'engager un débat, j'essaie de vous aider à préciser votre pensée, quelle qu'elle puisse être. J'ai toujours cette attitude vis-à-vis de tous les gens. Je n'ai pas à me demander jusqu'à quel point je suis d'accord ou je ne suis pas d'accord pour l'instant. Alors, à vos yeux, il n'y a pas dans cette loi de priorité accordée au français?

M. MOISAN: Non.

M. CLOUTIER: Parfait.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: Messieurs, je crois que c'est avec raison que vous vous êtes souciés des effets du projet de loi 22, même s'il ne s'applique, en apparence, qu'au niveau primaire. Comme vous l'avez fait observer à la page 5 de votre mémoire, toute l'érosion qui se fait à l'élémentaire, au secondaire et au collégial ne pourra qu'avoir, tôt ou tard, des conséquences au niveau universitaire. Me tournant vers le tableau no 1 que vous avez inscrit en appendice de votre mémoire, j'aimerais vous demander d'abord de préciser s'il s'agit seulement des nouvelles inscriptions pour l'année courante ou du nombre total des étudiants qu'on trouve dans les universités?

M. MOISAN: Ecoutez, si ces chiffres sont justes, et on nous les a donnés comme justes, ils ne couvrent que les inscriptions de première année en 1973 au premier cycle seulement.

M. MORIN: Bien. Je me suis amusé à calculer quelques pourcentages, à partir des chiffres que vous donnez, dans ce tableau, pour constater que les universités anglophones reçoivent presque 30 p.c. des nouvelles inscriptions.

M. MOISAN: Si on compte les francophones qui passent au réseau anglais et les immigrants.

M. MORIN: C'est juste. Si on compte le nombre, somme toute assez élevé, de francophones, puisqu'il est de 669 sur 5,185 étudiants, nous arrivons à près de 30 p.c. des nouvelles inscriptions pour les universités anglophones, donc à 70 p.c. d'inscriptions nouvelles pour les universités francophones. Après l'effort des dix dernières années, l'effort considérable qui a été fait aux niveaux primaire, secondaire et collégial pour améliorer la proportion de francophones aux études et pour améliorer le sort des universités francophones, ces chiffres sont vraiment désolants. Je ne les croyais pas si graves que cela.

Est-ce en partie ces chiffres qui ont motivé votre mémoire, est-ce cette prise de conscience des réalités qui explique votre mémoire?

M. MOISAN: Je dirai deux choses. Dans l'association des professeurs, il se trouve d'une

part des gens qui s'intéressent à la linguistique, il va de soi, puisqu'il y a des professeurs d'université qui sont linguistes et qui font partie de l'association. Depuis longtemps on était inquiet de l'espèce d'exubérance verbale qu'il y avait au Québec sur la linguistique. Tout le monde disait à peu près n'importe quoi. On a voulu profiter de cette commission pour établir des faits linguistiques, d'une part. D'autre part, lorsque ces chiffres sont venus sous nos yeux, on a été fort étonné. En tout cas, j'ai été étonné qu'il n'y ait pas — si M. le ministre peut me dire où me les procurer, je serait fort heureux — de chiffres nous donnant l'origine ethnique de la clientèle des universités anglophones. Pour nous, cela a des conséquences absolument dramatiques. On sait très nettement que dans certains secteurs, dans les universités, la clientèle francophone diminue. Il y a donc eu, en un certain nombre d'années, une arrivée massive d'étudiants, l'engagement de jeunes "profs", mais bientôt nous serons de vieux "profs", et il n'y aura plus de jeunes "profs" pour nous rappeler des vérités, pour nous dire de nous moderniser. Cela, c'est grave, quand il n'y a pas un renouvellement des cadres, d'une part.

Je suis étonné qu'un ministère de l'Education n'ait pas publié ces chiffres, n'ait pas fait comme le Conseil des arts avec ses anciens docteurs qu'il avait subventionnés, leur demander quel salaire ils gagnaient... On aurait bien pu faire une étude intéressante à partir des finissants des universités anglophones, savoir si les gens qui étudient en anglais, comme l'a prouvé le rapport de Buraucratic Careers à Ottawa, plus ils étudient en anglais, plus ils ont une chance d'être assimilés au monde anglophone. Je pense que c'est la responsabilité du ministère de l'Education et de nous fournir les chiffres et de faire des études semblables. Cela est grave pour une nation.

M. MORIN: Ce qui m'inquiète, c'est que, pour utiliser une expression qu'on trouve dans votre mémoire, quand "les bébés du bill 63" arriveront au niveau universitaire, j'ai l'impression que la situation deviendra encore plus catastrophique. Si je comprends bien, il y a une sorte d'accélération du processus. Est-ce exact?

M. MOISAN: Je ne sais pas. Je ne dirais pas que c'est — il faut être honnête — uniquement à cause des étudiants francophones ou d'immigrants qui vont dans le secteur anglophone, il y a également une baisse normale, je pense, d'inscriptions à l'université. Mais je dis — consultons n'importe quel pays du monde — qu'il y a une exagération, je dis bien une exagération, donnée à l'élément anglophone dans l'enseignement universitaire. Maintenant, on nous parle de Concordia. Ce n'est pas cela qui va unir ou réjouir le coeur des Québécois.

M. MORIN: Je voudrais maintenant passer aux solutions pratiques en ce qui concerne la langue d'enseignement. Je n'ai pas l'intention de vous interroger sur les autres secteurs; j'imagine que votre expertise ou vos connaissances vous préparent avant tout à répondre à des questions sur la langue d'enseignement.

Pour ce qui est des immigrants, anglophones d'abord, puis non anglophones, par la suite, quelle solution préconiseriez-vous?

M. MOISAN: Je pense que la position de l'APUL, sur le sujet indépendamment du plan linguistique, sur le plan social et humain tout simplement, c'est de faire en sorte que ces immigrants soient nettement intégrés au système francophone, quelle que soit leur origine ethnique.

M. MORIN: Pour les étudiants québécois francophones, la solution est-elle la même?

M. MOISAN: Evidemment.

M. MORIN: C'est que beaucoup de personnes, dont un certain nombre du côté gouvernemental — peut-être pas le ministre de la Justice qui l'autre jour a pris une position différente et s'est désolidarisé du gouvernement sur ce point — beaucoup pensent, du côté ministériel, que les francophones...

M. CHOQUETTE: Je proteste, j'ai apporté une nuance.

M. MORIN: ... devraient conserver ce qu'ils appellent "la liberté de choix".

M. MOISAN: C'est une nuance qui nous avait bien réjoui, M. Choquette, quand même.

M. CHOQUETTE: Tant mieux.

M. MORIN: A moins que le ministre ne s'apprête, avec un "toutefois", un "cependant", un "néanmoins" ou un "sauf que" à nuancer sa pensée à nouveau.

M. CHOQUETTE: Pour un ancien de McGill, vous devriez parler de vos expériences...

M. MORIN: Je ne suis pas seulement ancien de l'université McGill...

M. CHOQUETTE: Vous devriez faire part à nos interlocuteurs comment se séjour dans cette université vous a rendu encore plus francophone.

M. MORIN: Comme, apparemment, c'est le cas pour le ministre de la Justice, puisque nous étions confrères.

M. CLOUTIER: II ne faut pas confondre le transfert dans le secteur anglophone avec l'anglicisation, c'est ça, l'erreur.

M. MORIN: Ce n'est pas le problème dont on est venu nous parler, M. le ministre. Ce dont ces messieurs sont venus nous parler, c'est la chute du nombre d'étudiants qui entrent dans les universités francophones, donc tôt ou tard de l'appauvrissement du recrutement des professeurs, qui est un problème très réel. Cela aboutie à l'asphyxie des universités francophones.

M. CLOUTIER: C'est là que l'excellence et une certaine concurrence doit jouer.

M. MOISAN: Oh, pardon! Je m'excuse, M. le ministre mais la concurrence au niveau de la recherche ne joue plus. Vous savez très nettement que, souvent, les subventions, enfin l'engagement des professeurs est lié à la venue de nouveaux étudiants. Or, si tous les professeurs consacrent leur temps à l'enseignement et qu'il n'y en a pas qui sont dégagés pour la recherche, c'est dramatique et c'est un cercle vicieux. Plus il y a de recherche dans une université, plus la recherche se fait en français et plus le français devient prépondérant, plus il y a de la recherche dans l'université, plus elle est attirante pour les étudiants aussi.

M. CLOUTIER: Ah bien! je m'excuse, là. Je ne crois pas que ce soit le lieu pour avoir un débat là-dessus, mais il y a très certainement des problèmes, vous n'avez pas tort. Mais ce n'est pas nécessairement une loi linguistique qui doit les régler.

M. MORIN: M. le Président, j'aurais une dernière question. Quelle serait la solution dans le cas des anglophones, j'entends des Québécois anglophones ou de ceux qui sont déjà dans le système scolaire anglophone, d'origine étrangère, par exemple?

M. PAQUET: Dans le cas des immigrants d'origine anglaise ou de langue maternelle anglaise, je crois qu'il n'est pas question de leur accorder des droits acquis puisqu'ils n'ont pas de droits acquis en arrivant ici. Ils peuvent très bien, à ce moment-là, aller dans les écoles françaises.

M. MORIN: Je vous interromps une seconde; même les Québécois d'origine britannique établis ici n'ont pas constitutionnellement de "droits acquis".

M. PAQUET: C'est-à-dire que ce qu'on appelle les droits acquis n'est pas valide en droit québécois, on le sait bien, mais puisqu'on en parle, et si on se fonde sur les droits acquis pour accorder éventuellement à la minorité anglophone un système scolaire, il faudra bien insister sur le fait que ces droits acquis, si on les reconnaît, ne doivent pas être les droits des anglophones qui viendraient éventuellement. Alors, on pourrait tout simplement laisser aux prorata de la population, un système scolaire anglophone, subventionné évidemment par les pouvoirs publics et qui ne serait pas autorisé à recevoir, dans ses écoles, des étudiants dont la langue maternelle est le français ou tout autre langue que l'anglais. Il n'y a pas lieu, dans ce cas, de prévoir une loi pour protéger, parce qu'on l'a dit assez souvent, que la société québécoise était tolérante et on pourrait à la rigueur, utiliser l'incitation et des certificats de bonne conduite aux commissions scolaires qui accueilleraient éventuellement des classes anglaises pour les Anglais d'origine.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: Merci, M. le Président. Vous avez souligné tantôt quelque chose comme prendre le "lunch", en français, j'imagine que votre idée va plus loin et que, comme certains autres groupements, vous attachez de l'importance à ce qu'on puisse le gagner aussi en français ce "lunch", pas seulement le prendre en français. Cela veut dire que vous attachez sûrement de l'importance — vous me direz non si j'ai mal compris— au fait que la langue de travail est importante et que la langue de l'économie est importante. Pour cela, il faut prendre un certain contrôle sur l'économie.

M. MOISAN: Nous avions un collègue aujourd'hui, Jean Samson, qui s'intéresse particulièrement à cette question, qui a même fait des travaux pour la commission Gendron. Il devait être ici. Comme on pensait de passer naïvement à dix heures — et on ne veut accuser personne — on pensait qu'on était convoqué pour dix heures, mais c'était tout le monde qui était convoqué pour dix heures — il s'était rendu ici et pourrait répondre beaucoup mieux que moi à cette question.

Je ne suis pas président de l'Association des professeurs. Alors, je ne voudrais pas parler au nom de l'association. Si je dis quelque chose sur quoi le président n'est pas d'accord, il me le dira et vous m'excuserez. Personnellement, je crois fondamentalement qu'en tout ce qui concerne la langue de travail, en tout ce qui concerne les communications internes d'une entreprise, rien n'interdit, d'après un calendrier convenable, de faire tout cela en français, langue verticale comme langue horizontale. Rien ne l'interdit, absolument pas. Il y a de petits pays qui l'ont bien réussi. M. Choquette, à la télévision, citait l'exemple de la Finlande qui avait particulièrement bien réussi à rendre en finnois les communications internes de l'entreprise.

M. SAMSON: J'ai remarqué tantôt que, lorsque le ministre vous posait certaines questions, à savoir si vous aviez eu le temps de consulter tous les membres de votre association, vous avez mentionné qu'étant donné la période,

c'est-à-dire l'été, il n'est pas facile pour vous de faire ces communications. Est-ce que cela veut dire —parce qu'on a entendu cela souvent depuis quelque temps — que vous auriez préféré que ce projet soit présenté plutôt dans une autre période, soit l'automne, l'hiver ou le printemps, à une période où cela serait plus possible pour vous de faire de plus amples consultations avant de présenter vos mémoires?

M. BOUCHARD: Bien sûr, parce que l'été est la pire saison. Il est impossible de rejoindre les gens pour toutes sortes de raisons, à commencer par les vacances, en continuant par les congrès, les colloques, les missions à l'étranger et la recherche, tout cela se fait l'été. Alors l'été, c'est impensable.

M. SAMSON: Ceci dit, finalement, compte tenu que le bill est déjà devant nous, est-ce que vous iriez jusqu'à suggérer qu'D soit reporté à l'automne?

M. BOUCHARD: Cest-à-dire que cela pourrait donner l'occasion à ceux qui ne l'ont pas eue, de se prononcer, ce qui serait peut-être un avantage, mais la position de l'association n'est pas de le retarder, c'est de l'enlever, de le retirer.

M. SAMSON: De le retirer complètement. M. DEOM: II n'est pas d'accord avec vous?

M. SAMSON: Oui, sûrement, là-dessus. Mais j'attache une certaine importance, et vous le comprendrez, à ce que les groupements puissent consulter l'ensemble de leurs membres. Dans votre cas, je comprends bien que cela n'a pas été facile, même impossible de le faire. S'il est retiré, on n'en parlera plus, cela va régler plusieurs problèmes. Mais, pour le moment, il ne semble pas que le ministre veuille le retirer. Si on considère que les libéraux ont quand même la majorité en Chambre et s'ils ont décidé de ne pas le retirer, ils ne le retireront pas, est-ce que, compte tenu de ce contexte, il ne serait pas préférable pour vous de demander qu'il soit reporté à l'automne?

Je sais que cela ne changera peut-être pas votre mémoire, mais, quand même, vous allez convenir avec nous qu'il vaut mieux une consultation globale que l'acceptation d'un comité d'administration, par exemple. A cette commission, je pense que tout le monde tente de savoir quelle est la représentativité du groupe qui se présente devant nous.

Si ce groupe nous dit: On a fait une assemblée spéciale, on a eu tant de personnes, évidemment, c'est au crédit du groupe qui se présente devant nous. C'est toujours mieux.

M. BOUCHARD: II n'y a pas de problème. Bien sûr, si on avait le temps, on ferait la consultation. Obtenez-nous-le et on fera la consultation.

M. SAMSON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Gouin.

M. BEAUREGARD: M. le Président, peut-être, pour continuer dans l'ordre d'idées du député de Rouyn-Noranda, vous dites que votre mémoire a été approuvé par votre conseil d'administration de 23 membres. Est-ce que je peux vous demander si le mémoire lui-même a été approuvé ou seulement le principe du mémoire? Peut-être l'avez-vous déjà dit?

M. BOUCHARD: C'est que le comité d'administration, le conseil d'administration a dicté des articulations du mémoire. C'est lui-même. Si vous regardez la prise de position qui est énoncée pour rejoindre le mouvement contre le bill 22, à ce moment-là, ce qui se trouve dans le mémoire, ici, ce sont seulement des conséquences de cela.

M. BEAUREGARD: Est-ce que votre conseil d'administration était unanime — est-ce que je peux vous demander cela? — à approuver ce principe?

M. BOUCHARD: Les membres présents étaient... Ecoutez, il faudrait que je vérifie, je n'ai pas apporté la chose avec moi. Il n'y avait pas d'opposition. Il y a peut-être eu une abstention. Ce serait à vérifier.

M. BEAUREGARD: Non pas dans votre mémoire, mais dans votre exposé, j'ai cru comprendre que vous vouliez dire que vous ne voulez pas d'un genre de bilinguisme intégral au Québec et que vous croyez que le bilinguisme est une étape vers l'unilinguisme anglais.

M. MOISAN: Ce n'est pas moi qui le crois, c'est l'histoire de la linguistique qui le croit.

M. BEAUREGARD: Quelle place feriez-vous, à ce moment-là, à l'anglais à l'heure actuelle dans le Québec, disons dans le monde du travail?

M. MOISAN: Ecoutez. Dans le monde du travail, j'ai dit tout à l'heure que, pour moi, je conçois que, pour toutes les relations internes de l'entreprise, cela doit se faire en français et uniquement en français. Il y a des cas particuliers. Admettons qu'il y aurait des immigrants italiens et espagnols dans une industrie, on ne peut pas leur demander, du jour au lendemain, d'être capables de parler et de recevoir des instructions en français. Il y a des étapes humaines à franchir, mais, une fois ces étapes franchies, tout le monde devrait parler, dans les communications internes, aussi bien dans le travail... J'étais — il ne faut pas faire d'annonce; je ne sais pas si on a le droit à l'Assemblée nationale — l'autre jour, à CBS, près de chez moi, à une espèce de centre de bricolage. C'est

là qu'Ds font de la "bricolation". C'est fort heureux comme terme, en passant. Dans ce centre de bricolage, on posait de la publicité pour diriger les gens. Les quatre ouvriers qui plaçaient le panneau publicitaire étaient obligés de parler anglais parce que la personne qui les dirigeait était anglaise. Cela est inacceptable.

M. BEAUREGARD: Vous parlez d'un centre de bricolage. La situation est peut-être assez facile à corriger. Si, par contre, vous pensez à des compagnies multinationales, par exemple, qui sont établies au Québec à l'heure actuelle et dont certaines ont leur siège social à l'extérieur du Québec, est-ce que vous pensez que les communications internes de la compagnie, par exemple, entre le Québec et le siège social à Toronto devraient se faire en français?

M. MOISAN: Vous me posez des questions et je n'ai pas étudié toutes les questions. A première vue, en tout cas — je ne parle pas au nom de l'APUL avec de telles questions; je ne dis pas que vos questions sont idiotes, mais je ne peux pas répondre au nom de l'APUL; je m'en excuse; je réponds en mon nom personnel — c'est que...

M. BEAUREGARD: C'est parce que vous prenez une position très catégorique.

M. MOISAN: Oui, les communications...

M. BEAUREGARD: Nous, nous travaillons également pour le développement du Québec et ce qu'on essaie de se demander, c'est quel est le meilleur intérêt des Québécois.

M. MOISAN: Je pense que, dans ces conditions, lorsque le bureau chef de General Motors établi au Québec, par exemple, envoie des directives au bureau chef à Québec ou enfin, au Québec, je ne vois aucun désavantage pour la langue que ces directives viennent en anglais, parce que ce sont des directives de communications externes. Ecoutez, j'ai l'impression, quand General Motors en France reçoit des directives de General Motors aux Etats-Unis, qu'elle doit les recevoir en anglais. J'en ai bien l'impression. Cela n'empêche pas les ouvriers français ou finlandais, si c'est en Finlande, ou espagnols si c'est en Espagne, de monter les voitures avec l'outillage lexical français.

M. BEAUREGARD: D'accord! Les ouvriers peuvent...

M. DEOM: En allemand...

M. MOISAN: Vous pouvez toujours citer des exemples malheureux, mais enfin on ne veut pas dire de les imiter.

M. DEOM: Vous prenez General Motors Strasbourg, alors, je vous dis que c'est en allemand.

M. MOISAN: Vous savez où situer Strasbourg.

M. DEOM: Oui, je sais. M. MOISAN: Bon! Alors?

M. DEOM: Je veux simplement préciser, parce que j'y suis allé.

M. CLOUTIER: Vous savez où est situé le Québec, aussi?

M. MORIN: Vous êtes allé à Strasbourg, M. Déom?

M. MOISAN: C'est justement parce que le Québec est situé en Amérique du Nord, M. le ministre, qu'il...

M. MORIN: II a voyagé le ministre, le député dis-je !

M. BEAUREGARD: Quels droits recon-naftriez-vous à la minorité anglophone du Québec?

M. MOISAN: Je l'ai dit dans la présentation, n'est-ce pas? Les droits d'étudier dans sa langue et de parler français avec nous.

M. BEAUREGARD: Donc, aucun droit en ce qui concerne la langue de travail ou aucune situation privilégiée...

M. MOISAN: Non! Sauf pour les immigrants qui viendraient d'arriver, et qui auraient besoin d'une étape intermédiaire.

M. BEAUREGARD: Le Parti québécois a publié, en fin de semaine, un contre-projet de loi 22 où l'anglais a tout de même une certaine place, est-ce que je peux vous demander si vous seriez contre, également, le projet du Parti québécois?

M. MOISAN: Ecoutez. Vous me posez une question un peu piège. D'une part, parce que l'Association n'a pas eu à étudier... M. le Président, je pense que je ne peux pas répondre. Je peux répondre à titre personnel.

M. CLOUTIER: Vous n'êtes pas obligé de répondre, du tout.

M. BEAUREGARD: Vous n'êtes pas obligé de répondre.

M. MOISAN: Je ne peux pas répondre au nom de l'Association.

M. CLOUTIER: Je protège toutes les organisations. Vous êtes absolument libre.

M. MOISAN: J'ai mon idée là-dessus, par exemple. C'est une autre affaire.

M. BEAUREGARD: Est-ce qu'on peut savoir votre idée personnelle? Avez-vous objection â donner votre idée personnelle?

M. MOISAN: Bon! Ecoutez, j'ai lu le projet de loi. Je ne peux pas dire que je l'ai étudié avec autant d'attention que celui-là. Les vacances ne m'en ont pas laissé le temps. H fallait que je prépare mon exposé d'aujourd'hui aussi.

M. BEAUREGARD: II est sans doute moins...

M. MOISAN: Mais, il y a une seule phrase qui m'apparaft un peu optimiste dans ce projet. C'est quand on dit que tous les Québécois auront l'usage... connaîtront l'anglais. Cela me paraît un peu optimiste. Dans tous les pays du monde, le nombre des bilingues est assez restreint.

M. VEILLEUX: Si mon collègue de Gouin me laisse...

M. BEAUREGARD: Sûrement, monsieur.

M. VEILLEUX: Dans le domaine de l'enseignement, vous mentionnez que ce secteur d'enseignement serait exclusif aux anglophones qui vivent au Québec, que tous les immigrés devraient aller dans le secteur francophone. A quel endroit situez-vous l'immigré qui est ici depuis un certain temps et qui a acquis sa citoyenneté et qui est de langue maternelle anglaise?

Est-ce que lui, au moment de l'acquisition de sa citoyenneté, pourrait avoir le choix, dans votre esprit, ou le simple fait qu'il soit immigrant lui enlève-t-il ce droit qu'on conserverait dans un projet de loi qui consacrerait le secteur anglophone?

M. PAQUET: Evidemment, si un immigrant de longue date est citoyen canadien, qu'il a déjà entrepris ses études en anglais, il est considéré comme anglophone et il pourrait très bien continuer ses études en anglais. Mais étant donné la force que constituerait la proclamation du français, seule langue officielle et langue de travail, il est fort possible qu'on verrait, dans les années qui suivraient une telle loi, un mouvement vers l'intégration au secteur francophone, même de la part d'immigrants qui ont déjà entrepris leurs études en anglais.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, le secteur anglophone serait pour les anglophones du Québec déjà dans le système.

M. PAQUET: Oui.

M. VEILLEUX: Quant aux autres, dont les parents vivraient présentement au Québec et qui sont de langue maternelle anglaise et qui auraient des enfants à six heures ce soir — si le projet de loi était voté à 5 h 30 — ceux-là ne pourraient pas aller dans le secteur anglophone, mais devraient aller dans le secteur francophone? Est-ce que j'ai bien compris?

M. PAQUET: Ils ne sont pas citoyens canadiens parce qu'il faut bien, à un certain moment, marquer une limite...

M. VEILLEUX: Je parle des citoyens canadiens.

M. PAQUET: Ils pourraient très bien continuer à les envoyer dans des écoles anglaises, mais on suppose à ce moment, que si le français devient la seule langue officielle, que le français devient la véritable langue de travail, à la longue, sur une ou deux générations, les anglophones vont s'assimiler, pour une part sûrement importante, ou tout au moins apprendront le français.

M. VEILLEUX Dans votre esprit, cela serait une manière détournée de faire disparaître peu à peu le système anglophone, compte tenu que la revanche des berceaux peut être extrêmement difficile.

M. PAQUET: Non pas de le faire disparaître, puisqu'il continuera très probablement aussi longtemps que nous avons duré nous-mêmes, mais il faudrait qu'il soit à sa juste mesure et je pense que, étant donné la force et l'impact que créerait l'institution du français, seule langue officielle et langue de travail et langue d'affichage, et de tout, finalement, il est certain que le secteur anglophone diminuerait à la longue.

M. VEILLEUX: Et l'immigrant anglophone, non citoyen canadien devrait aller dans le secteur francophone?

M. PAQUET: Dans le secteur francophone.

M. VEILLEUX: Même après l'acquisition de sa citoyenneté, il devrait rester dans ce secteur?

M. PAQUET: Même après l'acquisition de sa citoyenneté.

M. VEILLEUX: D'accord. Je ne suis pas d'accord nécessairement sur ce que vous dites, mais je suis d'accord...

M. PAQUET: Avec la logique.

M. VEILLEUX: J'ai bien compris ce que vous avez dit.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de la Justice.

M. CHOQUETTE: Je voudrais poser quelques questions, si vous permettez. Vous nous avez parlé de sociétés bilingues qui, inévitable-

ment, glisseront vers l'unilinguisme. Vous nous avez cité certains exemples dans l'histoire, niais vous ne nous avez donné aucun exemple moderne ou contemporain. Est-ce que vous avez des exemples à nous citer depuis deux siècles de sociétés où, en fait, il y aurait eu un certain bilinguisme, mais où ces sociétés auraient évolué tranquillement vers l'unilinguisme?

M. PAQUET: Le Breton, le catalan, l'occitan, l'alsacien, qui est en voie d'unilinguisation.

M. MORIN: Le flamand, en France.

M. PAQUET: Le flamand en France, oui, justement, dans les Flandres.

M. CHOQUETTE: Mais est-ce qu'on ne se trouve pas dans tous ces cas devant des sociétés assez peu nombreuses, très marginales, sans appui politique aucun, sans avoir une organisation sociale structurée, ce qui n'est pas la situation au Québec?

M. PAQUET: II est sûr que la situation n'est absolument pas comparable, puisque nous possédons nos institutions politiques.

M. CLOUTIER: C'est cela, ce sont des sociétés sans gouvernement.

M. PAQUET: Mais tout reste à la merci de ceux qui quand même sont au pouvoir.

M. CLOUTIER: Vous n'avez qu'à élire ceux que vous voulez avoir ! C'est ce que le peuple a fait jusqu'ici.

M. CHOQUETTE: Ce n'est pas seulement une question de pouvoir. Je crois que c'est une question de volonté collective de vivre, et qu'une société qui a des institutions politiques, qui a un système d'enseignement, qui a des modes de communication établis, qui a une certaine base culturelle, une littérature, a des chances de survivre et même de concurrencer un milieu considéré hostile au plan culturel. Ce qui n'est pas le cas des sociétés que vous m'avez mentionnées, qui étaient très fortement minoritaires.

Je me demande si, en fait, vous n'êtes pas, jusqu'à un certain point, un peu pessimiste, lorsque vous parlez de la situation québécoise comme d'une situation où il faut presque se sentir défaitiste, et que, pour prouver votre thèse, vous nous parlez plutôt des minorités françaises ailleurs au Canada, qui sont nettement moins organisées que la société française du Québec.

M. MOISAN: Au début, les Acadiens, quand même, pouvaient avoir un certain degré d'organisation. Cette érosion, quand elle se fait, gagne même les institutions, à un moment donné. L'assimilation n'est pas pour demain. Je ne la prévois même pas avant ma mort. C'est certain. C'est peut-être pour dans deux ou trois cents ans. C'est long, ces trucs. Mais, si immédiatement, on ne met pas une barrière à cette anglicisation, à cette assimilation, nous sommes sur la bonne voie. Il ne faudrait pas se réveiller, à un moment donné, et dire: Ah Seigneur! Qu'est-ce qui nous arrive? Regardez ce qui arrive aux Franco-Américains présentement.

M. CHOQUETTE: La situation des Franco-Américains est de la même nature que celle des Basques, des Bretons, des Flamands et de tous ceux que vous nous avez énumérés. Les seuls droits qu'ils ont, en pratique, c'est de parler le français à la maison et autrefois, d'avoir des "parochial schools" et c'est à peu près la seule étendue de leurs droits dans le Massachusetts, le Maine, le Connecticut et tous les Etats de la Nouvelle-Angleterre.

M. MORIN: Est-ce que je peux vous poser une question, M. le ministre? Vous avez dit que, lorsque les peuples ont des institutions, ils résistent mieux. Mais est-ce qu'ils résistent tellement plus longtemps? Je vous donne l'exemple des habitants de la vallée d'Aoste, en Italie, qui ont un gouvernement, ainsi qu'un statut spécial et où le français est en perte de vitesse. Je vous donne l'exemple de la Silésie, qui avait également un statut spécial, garanti par la Société des nations, cela n'a pas empêché les Allemands de Silésie de disparaître.

M. CHOQUETTE: On sait qu'il est arrivé une guerre et que les populations allemandes ont été déplacées au gré des gouvernements. Il s'agit quasiment d'opérations de déplacement...

M. MORIN: Pas dans le cas de la vallée d'Aoste.

M. CLOUTIER: De toute façon, le comité polonais l'a confirmé.

M. CHOQUETTE: Comme j'ai dit, je ne désire pas être éclairé par le chef de l'Opposition, mais par les professeurs de l'université Laval, aujourd'hui.

M. MORIN: Fort bien, mais...

M. CHOQUETTE: Peut-être qu'une autre fois...

M. MORIN: Je ne voudrais pas que le ministre les induise en erreur.

M. CHOQUETTE: Maintenant, je vais induire les professeurs en erreur alors que je les consulte comme des experts.

M. MORIN: Vous leur posez des questions tendancieuses.

M. CHOQUETTE: Un instant. Par conséquent, le phénomène possible de l'assimilation des Québécois francophones est, d'après vous, une possibilité, mais une possibilité à très long terme, si je comprends bien ce que vous me dites.

M. MOISAN: C'est-à-dire...

M. PAQUET: C'est-à-dire, n'employons pas le mot "assimilation", employons simplement le mot de "louisianisation". Tout à l'heure, vous avez invoqué, M. le ministre, en parlant de la force du Québec, vous avez parlé de culture, de littérature. Vous avez été incapable de parler d'économie.

M. CHOQUETTE: Je le sais.

M. PAQUET: Or la culture d'un peuple s'exprime aussi dans son régime économique.

M. CHOQUETTE: Je suis parfaitement d'accord avec vous et j'aimerais que la situation soit exactement à l'inverse de ce qu'elle est à l'heure actuelle, mais je suis obligé d'accepter les faits tels qu'ils sont et de prendre l'économie telle qu'elle est. C'est la raison pour laquelle je ne l'ai pas mentionné. Il est incontestable que, si nous avions une force économique qui était à la hauteur de notre représentation démographique au Québec, le problème ne se présenterait pas du tout sous l'angle qu'il a à l'heure actuelle. Je suis parfaitement d'accord. Est-ce que vous avez tenu compte du fait que le taux de francisation des anglophones au Québec est plus élevé que le taux d'anglicisation des francophones au Québec? Est-ce que vous savez que le taux des assimilés par les francophones est plus élevé que le taux des assimilés par les anglophones? Si on exclut l'immigration. Excluez l'immigration parce que l'immigration est un apport en général aux anglophones. Est-ce que vous savez que les Québécois francophones ont plus assimilé dans le passé — je ne dis pas dans les années actuelles — qu'ils n'ont été anglicisés?

M. CHARRON: Ce n'est pas vrai dans toutes les régions.

M. CHOQUETTE: Ce sont des chiffres officiels.

M. PAQUET: Oui.

M. CHOQUETTE: Je pense qu'on ne pourra pas mettre en doute ce que je dis.

M. PAQUET: Dans ces chiffres officiels il y a même une aberration assez extraordinaire dont vous avez pu vous rendre compte vous-même, c'est qu'il y a économiquement en dessous du Canadien français unilingue, du point de vue du salaire, l'unilingue français d'origine britannique. En dessous de nous, c'est-à-dire qu'un anglais d'origine britannique qui s'est assimilé aux Canadiens français, qui est aujourd'hui unilingue français est économiquement en dessous des Canadiens français unilingues.

M. CHOQUETTE: Est-ce que vous parlez du leader de l'Opposition, M. Robert Burns?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.

M. CHOQUETTE: Si vous me permettez, M. le Président, je voudrais poser une dernière question.

LE PRESIDENT (M. Gratton): On a déjà dépassé le temps réservé au parti ministériel depuis au-delà de cinq minutes. Nous devons suspendre à six heures.

M. CHARRON: Je regrette, M. le Président, de devoir interrompre le ministre de la Justice. Il ne vient pas souvent en commission, mais il apporte toujours une contribution intéressante. Cette intervention du ministre de la Justice était engagée sur quel point critique d'assimilation? On ne peut prévoir une assimilation dans les années à venir parce que, effectivement, le Québec est doté politiquement, socialement et culturellement, bien mieux que certains groupes ethniques européens que vous avez mentionnés, je suis parfaitement d'accord sur ça. Je ne crois pas que le français soit en danger à Sainte-Perpétue, cet après-midi, pas plus qu'il ne l'est dans... Mais pour une société dans son ensemble, lorsque la vie active, le pouls culturel de sa métropole, par exemple est affecté, lorsque le rythme de vie est affecté, lorsque la façon de vivre dans la plus grande ville d'une société, qui regroupe dans sa région périphérique plus de la moitié de la population du Québec est affectée lorsque cette société a une évolution démographique prévisible qui dit que, dans sa métropole, à moins d'un revirement considérable d'ici une quinzaine d'années, assimilation, développement économique, etc, etc, sont en jeu, il se peut que cette métropole soit perdue. En ce sens, pour faire suite aux interventions du ministre de la Justice, sans être obligé d'attendre que le signal d'alarme s'allume à Sainte-Perpétue ou à Dolbeau, que je considère comme un vrai coin québécois, pour qui plusieurs des problèmes que nous abordons sont tout à fait étrangers, je ne leur en fais pas le reproche, mais quant à la responsabilité gouvernementale, qui doit envisager une société dans son ensemble, ne peut-on pas affirmer que l'évolution culturelle d'une métropole de cette société apparaît comme le baromètre du point critique?

M. PAQUET: II y a un baromètre, je crois plus important. Il faut considérer qu'une population est en voie d'assimilation à partir du moment où, dans son idéologie dominante, elle conçoit la langue de l'autre comme étant la

langue la plus importante. C'est-à-dire que, même si elle ne parle pas encore cette langue, cette langue constitue un attrait certain et, à la longue, je pense qu'on est sur la voie de l'assimilation.

M. CHARRON: Et c'est exactement ce que fait la loi 22, je crois.

M. PAQUET: Oui, qui est une apologie, finalement, de la langue anglaise.

M. BOUCHARD: II y a un autre élément qu'il faut relever. Si on reprend l'argumentation du ministre, il a commencé par dissocier les communautés qui étaient assimilées pour prendre les dernières et il se trouve que les dernières sont de petites communautés sans institutions repérables. Mais cela ne veut pas dire que, dans le passé, il n'y a pas eu des sociétés plus complexes, avec des institutions et une langue, qui ont perdu et leurs institutions et leur langue.

M. CHARRON: Voilà...

M. CHOQUETTE: Oui, mais ce que j'aimerais demander c'est ceci: Si on pouvait faire un parallèle entre les cas d'assimilation massive, qui se sont passés sur des périodes de siècles, et les conditions qui existent actuellement où les moyens de communication, d'éducation et d'instruction sont beaucoup plus développés qu'au Moyen Age, que dans la période du premier au dixième siècle... On ne peut pas dire: Aujourd'hui, il s'est produit telle chose au point de vue de la Provence; on est passé du latin à la langue un peu bâtarde et de là au français. On ne peut pas dire que cela pourrait se produire comme cela, dans les conditions actuelles, alors qu'aujourd'hui les communications sont intenses entre les individus.

M. BOUCHARD: C'est exact, mais les communications jouent dans les deux sens, et contre l'assimilation et pour l'assimilation. C'est un pur moyen; s'en sert qui veut.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, la commission vous remercie pour votre présentation et suspend ses travaux jusqu'à ce soir, 20 h 15, alors que le premier groupe sera la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 h 15.

(Suspension de la séance à 17 h 58)

Reprise de la séance à 20 h 21

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs!

Je pense que normalement nous devrions débuter, mais étant donné qu'il n'y a pas encore de représentant du Parti québécois, je pense que vous nous permettrez d'attendre encore deux ou trois minutes.

A l'ordre, messieurs!

Est-ce que le porte-parole officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est bien M. Gérard Turcotte?

M. SENECAL: Non, c'est moi, Yvan Sénécal, président de la société.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Sénécal, je vous inviterais, premièrement, à nous présenter les gens qui vous accompagnent et également à vous rappeler que vous disposez de vingt minutes pour faire votre présentation.

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

M. SENECAL: D'accord. A ma gauche, Mlle Raymonde Couillard, membre du conseil d'administration; Mme Solange Léonard, secrétaire général; M. Gérard Turcotte, secrétaire exécutif. A ma droite, le Dr Maurice Dufresne, président de notre comité des prises de position et membre du bureau; M. Guy Bouthillier, professeur de science politique à l'Université de Montréal et également membre de notre comité des prises de position et M. Marcel Henry, trésorier général de la Société Saint-Jean-Baptiste.

En me cherchant un texte pour mettre en exergue, parce que cela fait bien, n'est-ce pas, j'ai trouvé ceci qui a été prononcé il y a exactement cinquante ans lors d'un colloque — on appelait cela des journées d'étude, dans ce temps-là — le 24 juin 1924 par le chanoine Groulx. Il avait dit à peu près ceci: "Nos gouvernants, ayant fait de la dualité ethnique du Québec un dogme supposément imposé par le régime confédératif, il faut à la nation québécoise un gouvernement moral parallèle pour assurer la défense et la protection de ses intérêts nationaux".

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s'est toujours vivement préoccupée du statut de la langue française au Québec, la considérant comme un élément essentiel et un instrument indispensable au progrès de la nation. Dans l'opinion publique et depuis sa fondation, elle a toujours joué un rôle d'avant-garde dans la défense et le rayonnement de la langue et de la culture française, non seulement au Québec, mais au Canada d'outre-frontières. Son action dans ce domaine s'est toutefois intensifiée ces

dernières années, bien avant les débats sur les projets de loi 85, 63 et 28, soit depuis son mémoire à la commission Parent, en 1962 qui recommandait l'école française pour tous, depuis la résolution de son congrès général de 1965, réclamant le français comme seule langue officielle du Québec, depuis son mémoire sur le statut de la langue française au Québec, présenté au premier ministre Johnson en 1967 et depuis son mémoire de 1970 à la commission Gendron jusqu'à ses campagnes récentes et actuelles en faveur de l'intégration des Néo-Québécois au Québec francophone, sans oublier sa participation aux prises de position d'ordre linguistique du Mouvement national des Québécois et son rôle déterminant au sein du Mouvement Québec français.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ne comparait pas pour la première fois devant une commission parlementaire pour y exposer ses vues sur les questions que touche le projet de loi 22. Elle l'a déjà fait à l'occasion du projet de loi 85 en 1969, puis de la conjugaison des projets de loi 63 et 62 en 1970, et du projet de loi 28 en 1971.

En chacune de ces circonstances, l'Assemblée nationale a dû constater, si elle se préoccupe vraiment de l'opinion publique, quels remous violents, contradictoires, complexes ont résulté de ces séries de projets dont un seul jusqu'ici a pu être passé — la loi 63 — et dont l'adoption, en dépit de toutes les protestations populaires, parait n'avoir pas été étrangère à la défaite du gouvernement d'alors, qui avait dû, de toute façon, reculer ensuite sur la loi 62 comme sur la loi 85.

On comprend mal que le gouvernement actuel, qui avait dû reculer, lui aussi, sur la loi 28, revienne à la charge avec le projet de loi 22, similaire aux 85, 63, 62 et 28, qui soulève, c'est évident, les mêmes courants d'opposition.

Voilà donc de nouveau aujourd'hui la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal devant une commission parlementaire pour dénoncer, cette fois, le projet de loi 22 qui mérite le même sort que ses prédécesseurs.

MM. Dufresne et Bouthillier se feront nos porte-parole et répondront ensuite à vos questions.

M. DUFRESNE: M. le Président, M. le ministre, avant d'entamer la lecture du mémoire, je désire, en mon nom personnel, ainsi qu'au nom de mes collègues, remercier la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications d'avoir bien voulu nous convoquer, même à cette heure tardive, afin de nous permettre de présenter nos vues.

Dans un mémoire sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec présenté en 1970, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a fait connaître ses vues qui n'ont pas changé depuis. A l'occasion de la publication du projet de loi no 22, intitulé Loi sur la langue officielle, nous désirons faire ressortir ce qui a été retenu des recommandations soumises à la commission d'enquête et démontrer ainsi que ce projet de loi ne répond que très mal aux aspirations de la SSJB-M.

Les deux grands objectifs essentiels proposés alors se lisaient comme suit : 1. Conférer à la langue française le statut de la langue nationale et, par une législation appropriée, en faire la véritable et seule langue officielle du Québec, afin de la rendre non seulement utile, mais indispensable et suffisante dans tous les domaines de la vie collective. 2.Assurer la restauration de la qualité du français parlé et écrit au Québec afin de le conformer au français international et d'en faire l'instrument d'une civilisation dynamique et progressive.

Nous disions alors qu'en matière de langue, il existe un état d'urgence et qu'il faut exercer à la fois une extrême vigilance et une politique d'autodéfense dynamique de la langue. Or, que trouvons-nous dans le projet de loi 22? Quelques déclarations de principe qui répondraient aux besoins décrits plus haut si elles n'étaient rognées dans leur portée et vidées de leur sens, sinon carrément contredites par une foule de "toutefois", de "néanmoins", de "mais", de "cependant", qui, à toutes fins pratiques les rend inefficaces. A titre d'exemple, qu'est-ce qu'une langue officielle qui, comme le stipule l'article 8, doit reculer devant une minorité de 10 p.c? Minorité qui peut même, selon l'article 9, ne pas atteindre ces 10 p.c. Quelle est la langue qui peut prétendre être officielle lorsqu'un citoyen sur dix a le droit de s'en passer et peut imposer la sienne aux neuf autres?

Nous préconisons une politique d'autodéfense dynamique, mais que nous offre ce projet de loi? De vagues mesures incitatives, comme l'octroi de certificats aux entreprises qui voudront bien se conformer à la loi. Cet article 32 nous semble le comble du ridicule. Si le gouvernement persévère dans cette veine et qu'il accorde des bons points à ceux qui respectent la loi, quand aurons-nous droit à une prime pour avoir payé notre impôt ou pour avoir roulé en deça de la vitesse permise? La seule récompense à laquelle devrait avoir droit toute personne qui respecte la loi est de contribuer à la bonne marche du pays. Le reste est superflu.

H est un point que le législateur a passé sous silence, mais au sujet duquel nous aimerions connaître ses vues. Quel sort a-t-on réservé aux maisons de commerce québécoises, à raison sociale française, à personnel et à direction francophones, qui pratiquent depuis des années ce que l'on s'est enfin résolu à quémander aux multinationales étrangères et anglophones? Ces maisons canadiennes-françaises ou mieux québécoises, qui ont eu à lutter d'arrache-pied pour soutenir la concurrence des maisons anglo-canadiennes et américaines, voient maintenant leur propre gouvernement prêt à verser des subventions à leurs concurrents et ces subven-

tions seront puisées à même les fonds publics, fournis par les impôts que ces commerçants francophones auront payés.

Tant de sollicitude à l'égard des anglophones révèle une attitude à la fois naive et insultante. Naive, puisque depuis deux siècles nous n'avons jamais obtenu quoi que ce soit dans le domaine de la langue, lorsque nous avons fait appel à leur bonne volonté.

A titre d'exemple, n'existe-t-il pas une minorité irréductible qui peuple Westmount, Notre-Dame-de-Grâce et Ville Mont-Royal, et qui refuse obstinément de reconnaître le fait français au Québec? Insultante à l'égard des francophones du Québec, puisque en aucune circonstance, a-t-on eu recours à leur égard à une semblable bonne volonté agissante et concrète dans la promotion du français. Qu'a-t-on vu plutôt? L'adoption de l'infâme loi 63 qui, bien qu'elle soit abrogée, se retrouve et persiste encore sous une forme déguisée dans plusieurs articles de la présente loi ou du présent projet. Qu'a-t-on observé en plus? La fermeture avec une persévérance et un acharnement monotone d'une foule d'écoles où l'enseignement était dispensé en français.

Ce projet de loi donc qui, sous un titre trompeur, prétend conférer au français le statut de la langue officielle au Québec, impose en réalité le bilinguisme à la population francophone. Voyez les articles 11, 13, 14, 15, 16, 20, 22, 24, 38, 41 et autres pour vous en convaincre. Or, des spécialistes de la langue se sont déjà prononcés sur les dangers d'imposer fortement une langue seconde. Antoine Meillet, l'un des plus prestigieux d'entre eux, a écrit: "Le changement de langue a pour effet, là où il a lieu, que la population qui a adopté ainsi un parler étranger, est bilingue durant un temps plus ou moins long. Alors l'ancienne langue tente à se dégrader et la langue adoptée, qui est le moyen général de communication, tente à devenir universelle... "On ne peut se permettre de négliger des avertissements semblables. Par les privilèges outrés qu'il accorde à la langue anglaise, le projet de loi 22 dessert singulièrement le français, tant pour le temps présent que pour les années à venir.

Dans son mémoire de 1970, la SSJB-M déclarait: "Pour que le français soit véritablement langue nationale au Québec, cette politique de la langue française couvrira la législation, l'école, le monde du travail, les organes de diffusion de la langue parlée et écrite, l'immense domaine de la publicité et de l'affichage, avec le souci constant de la qualité et de la correction de la langue, mais plus encore avec la volonté d'en rendre l'usage indispensable partout." Or, si l'on retrouve dans le projet de loi 22 des têtes de chapitre qui correspondent à l'énumération citée plus haut, si l'on perçoit dans l'énoncé des grands principes l'usage d'un vocabulaire qui ressemble comme un calque à celui du mémoire de la SSJB-M, il ne faut pas pour autant conclure que l'un soit la suite logique de l'autre.

Bien au contraire, par des restrictions multiples et des exceptions accumulées à tout propos, il ne reste à l'article 130 qu'une coquille vide et creuse du grand principe contenu dans l'article 1.

L'article 103 du projet de loi prévoit des sanctions importantes contre tout membre de la régie ou de son personnel qui se sera rendu coupable d'indiscrétion dans l'exercice de ses fonctions. N'est-il pas aberrant de constater la rigueur exemplaire avec laquelle on s'apprête à sévir contre un malheureux fonctionnaire, probablement francophone, qui se sera rendu coupable d'un tel délit, alors que, nulle part dans cette loi, trouve-t-on la moindre sanction à l'égard des compagnies anglophones multinationales qui jugeront bon de ne pas observer les articles de cette loi? Jamais mentalité de roi nègre n'a été si bien mise en évidence. Jusqu'où n'ira-t-on pas pour se ménager les bonne grâces du colonisateur?

En plus des innombrables restrictions que l'on découvre à la lecture de chaque chapitre du texte du projet de loi, il faut ajouter la quantité encore inconnue d'ambiguités, de passe-droits, de privilèges impliquée dans le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre dont on ne sait même pas qui il sera lorsque les règlements de cette loi auront été rédigés et seront prêts à être appliqués.

A la lecture des articles 31, 48, 51, 66, 87 et autres, il semble à l'observateur averti que les innombrables cas d'espèces qui devront être soumis au ministre, en raison de la tortuosité de la loi dans sa forme actuelle, formeront autant d'occasions d'empiéter davantage sur le domaine déjà bien réduit du français et ne serviront en fait qu'à administrer le coup de grâce de l'assujettissement et de l'assimilation de la population francophone du Québec.

Malgré les déclarations ronflantes que l'on trouve en tête de chapitres, cette supposée loi sur la langue officielle ne fait, en réalité, que confirmer légalement les empiétements que la langue anglaise a perpétrés au Québec à nos dépens, grâce à une tolérance et à un esprit de pseudo-bonne entente, sournoisement encouragés à notre détriment. Sous le titre fallacieux du "français langue officielle", ce projet de loi ne tend qu'à favoriser la pénétration dans notre milieu de la langue étrangère, en lui accordant des privilèges qui, dans de nombreux cas, la mettent sur un pied d'égalité avec la langue prétendue officielle, alors que les circonstances sociologiques et démographiques ne le justifient absolument pas.

Nous prévoyons qu'encore une fois on fera appel à notre esprit de tolérance, à nos vertus civiques et qu'on poussera même l'ironie jusqu'à nous parler du fameux "fair play", sorte d'argument ultime dans ce domaine. Tous ces prétextes ayant été maintes fois invoqués dans le passé pour nous faire avaler couleuvres et crapauds, nous n'en serons pas indûment étonnés.

Nous aimerions cependant souligner que,

puisque nous avons pratiqué ces vertus à sens unique pendant 200 ans, il serait grand temps que la minorité anglaise, à qui, généralement, on en attribue l'invention, nous en fasse une démonstration afin de nous prouver que non seulement elle sait les imposer à ses voisins mais qu'à l'occasion elle peut elle-même les pratiquer.

M. BOUTHILLIER: M. le Président, toute politique linguistique digne de ce nom doit s'établir sur le principe que le Québec est un pays français et que, par conséquent, tout ce que le Québec comporte de vie et de vitalité doit pouvoir s'exprimer en français. C'est un principe simple, clair et vrai que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a réaffirmé dans son mémoire de 1970, exprimant ainsi le secret mais tenace désir de l'immense majorité des Québécois et sans doute de leurs représentants à l'Assemblée nationale.

Ce principe éclaire la seule voie que peut suivre une Assemblée vraiment nationale: toute politique linguistique doit tendre à rapprocher les minorités de la majorité en élevant les premières à la dignité de la seconde par l'accès généralisé à la langue du pays. La francisation, loin d'être pour les éléments allogènes une contrainte, doit être pour eux un honneur et plus encore un droit fondamental. Le Québec n'a pas le droit de refuser aux minorités les conditions linguistiques d'une participation pleine et entière à la vie de la majorité. Proclamons-le haut et fort: Tout ce qui vit au Québec a un droit inaliénable à la vie française. C'est là la seule politique conforme au principe d'égalité qui doit guider le législateur. Le français est la loi du Québec, tous les Québécois ont un droit égal à la langue et à la vie française. Par conséquent, tout ce qui, dans ce projet de loi et ailleurs, tend à maintenir des éléments allogènes séparés de la majorité par la langue, les moeurs et la mentalité est de nature discriminatoire et doit donc être combattu.

Certes, la mise en oeuvre du principe de francisation se heurtera à des obstacles. Elle suppose donc un peuple et un Etat vigilants décidés à s'attaquer avec vigueur et sans compromission aux préjugés et aux mentalités nés d'une autre époque. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Donner et retenir ne vaut, on ne peut donc changer et maintenir à la fois, ce qui disqualifie ce projet de loi qui cherche précisément à ménager la chèvre du français et le chou de l'anglais. Gouverner, c'est choisir; il faut choisir et en tirer ses conclusions. On ne fait pas d'omelette sans briser quelques oeufs, comme le dit le vieux proverbe. Le Québec doit être français; ceux des éléments allogènes qui refusent le français, ceux parmi eux qui dissimulent leur mépris du français sous le thème fallacieux des droits acquis et l'argument bizarre du contexte nord-américain doivent savoir qu'ils s'enlèvent ainsi le droit au titre de Québécois et s'interdisent tout recours à la protection de l'Etat québécois. Cette politique d'affirmation linguistique est du reste conforme à la pratique et à la sagesse dès nations.

Pour s'en convaincre, il suffit de voir la politique implacable suivie par certains Etats amis en ces matières: Belgique, Grande-Bretagne, Israël. Messieurs, quand donc se lèvera parmi vous un Eliézer Ben Yehuda de la francisation?

Les Québécois sont fiers de leurs titres français. Ils ne sont pas moins fiers de leur qualité d'Américains du nord. Encore doivent-ils être dignes de leur appartenance à ce continent prodigieux où l'on sait depuis 1776 qu'il ne se bâtit rien de solide sur les sables mouvants de l'humiliation collective et de l'à-peu-près national.

Pour les raisons que nous venons d'exposer, ainsi que pour celles que de nombreux autres organismes ont fait valoir et que nous n'avons pas jugé nécessaire de répéter, nous déclarons respectueusement que le projet de loi 22 sur la langue officielle, loin de servir la cause du français au Québec, l'engage plutôt dans une impasse d'où elle ne sortira qu'amoindrie, affaiblie et diminuée; qu'au contraire, la langue anglaise, qui représente la plus sérieuse menace à la survivance du français au Québec, se voit accorder de nouveaux avantages et un prestige accru.

Comme il ne relève pas de notre compétence de présenter à ce stade-ci de la session parlementaire un nouveau projet de loi détaillé, nous demandons que le projet de loi 22 soit retiré et qu'il soit remplacé par une législation plus conforme au désir de la majorité éclairée et répondant mieux aux besoins de l'heure. Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, messieurs, l'honorable ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour la présentation de son rapport. Je n'ai pas de question pour l'instant.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, messieurs de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, vous savez que nous en sommes à notre troisième semaine d'études et il est à peu près incontestable maintenant que plusieurs des arguments servis par les différents groupes qui se succèdent à cette table en viennent, à l'occasion, à reprendre, les uns après les autres, je dois le dire, la charge et l'assaut contre ce projet de loi qui a été éminemment de fois, je ne sais combien de fois, plus dénoncé à cette table qu'applaudi. Et encore les groupes applaudis, faut-il bien vérifier les motifs qu'ils avaient. Ce projet de loi a donc été critiqué de gauche à droite et de haut en bas depuis le temps.

Certains arguments ont sorti par leur qualité et par le fait qu'effectivement, je crois, ils touchaient la réalité du projet de loi. Jusqu'ici jamais aucun des organismes et encore moins le parti ministériel n'a fourni d'argument pour faire le contrepoids.

Tout cela, à mon avis, ne milite pas, dans un sens contraire que de dire : Maintenant que nous avons regardé de haut en bas et de gauche à droite le projet de loi, cette commission, qui a soif de vacances, pourrait se dire suffisamment informée et hâter les travaux. Ce n'est pas vrai et je pense que le témoignage que vient de faire la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en est un exemple.

Il y a souvent des arguments qui reviennent, c'est vrai, et on ne peut reprocher à aucun groupe de les faire. Nous-mêmes, nous sommes les premiers à le faire, mais chaque organisme — et je pense que les membres des media d'information qui suivent nos travaux ont eu l'occasion de le remarquer — éminemment plus nombreux sont ceux qui dénoncent le projet de loi, apporte une contribution et invite la commission à réfléchir sur un aspect en particulier. Sans aucune prétention, je crois avoir découvert et, en fin de compte, retrouvé plus clair que cela ne l'était dans aucun autre témoignage, je pense, la contribution essentielle que vous faites à nos travaux ce soir et c'est là-dessus que j'aimerais, pendant quelques minutes, discuter avec vous.

Le chapitre que M. Bouthillier a lu, à la page 7. Le principe selon lequel vous affirmez, pour la première fois peut-être de façon aussi catégorique que des groupes l'ont fait, que: "La francisation, loin d'être pour les éléments allogènes une contrainte, doit être pour eux un honneur et, plus encore, un droit fondamental: Le Québec n'a pas le droit de refuser aux minorités les conditions linguistiques d'une participation pleine et entière à la vie de la majorité. Proclamons-le haut et fort: tout ce qui vit au Québec a un droit inaliénable à la vie française." Le style de cette phrase prête, évidemment, à commentaires et méritera certainement certains ricanements de certains opinants, mais je pense que vous touchez un élément fondamental, effectivement, dans la discussion en cours.

On a éclairci entre nous la question, je pense, depuis tellement de séances, des droits acquis. Plus personne à peu près n'en parle, excepté le ministre de l'Education. Même son collègue de la Justice est venu dire qu'il ne s'agissait là que d'une mesure pratique.

M. CLOUTIER: M. le Président, c'est une question de règlement. Je n'ai pas l'habitude de rétablir des faits, parce que je passerais mon temps à parler.

Je n'ai jamais prononcé, depuis le début des travaux de cette commission, l'expression "droits acquis". Je vous mets au défi de retrouver cela dans le journal des Débats, et, de toute façon, je ne crois pas qu'il y ait des droits acquis. J'adopte entièrement le point de vue de la commission Gendron à cet égard. Le problème se situe ailleurs.

M. CHARRON: Alors, le ministre de la Justice a qualifié le libre choix de mesure pratique. Mais personne n'en est venu à parler de cette intégration en respectant l'identité des minorités à la vie française du Québec comme étant non seulement une chose acceptable, mais même souhaitable, qu'ils participent à la vie de la majorité.

Ce matin, le ministre, dans ses sophismes traditionnels, disait à des groupes qui disaient: II faudrait laisser le libre choix aux anglophones d'envoyer leurs enfants à l'école de la majorité, mais de le retirer aux francophones ce prétendu droit, cette mesure pratique par laquelle ils augmentent le nombre de la minorité. Et le ministre, s'insurgeant comme défenseur des droits humains, dit: Mais quoi, vous voulez permettre aux anglophones d'avoir plus de droits que les francophones en auraient sur cette terre, oubliant, dans son sophisme, que nous parlons de majorité et de minorité, et qu'il est tout à fait normal qu'une minorité ait le droit, comme vous le réclamez, de s'assimiler au groupe majoritaire.

Or, ma question a été une longue préparation, mais j'aimerais que, sans hésiter, vous, également, n'importe lequel de vous, messieurs, élaboriez ce que je crois être votre contribution essentielle aux travaux de ce soir, cette réflexion que vous avez faite quant à ce devoir ou à cette ouverture que nous devons avoir à l'égard de la minorité dans le respect de nous-mêmes.

M. BOUTHILLIER: M. le Président, est-ce le temps de répondre?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Oui, oui, je vous en prie.

M. BOUTHILLIER: Nous partons du principe très simple qui a été affirmé dans plusieurs déclarations dont, je crois, des déclarations tout à fait officielles qui viennent de très haut, même si quelquefois elles viennent de très loin. Dès que le Québec est un pays français, il doit être un pays vivant, naturellement, normalement en français.

Si cela est vrai, je crois qu'il en découle une conséquence très directe, très précise et très concrète, que tous les habitants de ce territoire qui s'appelle Québec ont un droit absolu à vivre cette vie en français. Refuser à ces parties de la population de ce pays le droit, leur refuser l'occasion, les moyens de se préparer à vivre concrètement en français, je crois que c'est amoindrir cette minorité. Je crois qu'il faut employer là, jamais auparavant j'avais entendu l'expression employée en ce qui concerne cette chose bien précise, je crois qu'il faut parler

d'attitude discriminatoire à l'égard de ces groupes à qui l'on refuserait les moyens de vivre la vie en français. Voilà, je pense, très simplement ce que l'on voulait dire dans le passage que vous avez cité tout à l'heure.

M. CHARRON: Ce qui ne veut pas dire que vous souhaitez pour ces minorités l'extinction de leur vie culturelle propre. Je crois que vous allez, vous aussi, comme tous ceux qui ont pris des positions de ce genre, avoir à subir les contre-attaques où très souvent on dira que vos positions frisent le racisme ou le génocide, comme on a entendu certains groupes anglophones le dire à cette même table où vous êtes actuellement, que c'était ce que le gouvernement pratiquait avec la loi 22, imaginez-vous donc!

Or, dans ce respect de la vie culturelle propre des minorités, quel est à votre avis ce partage entre le fait que cette minorité doit coexister avec la majorité pour son plus grand avantage, comme vous le signalez, et qu'en même temps elle doit aussi se maintenir? Est-ce que cela veut dire, par exemple, qu'une minorité importante de 10 p.c. à 15 p.c. de Québécois aurait droit, selon vous qu'on lui reconnaisse cette possibilité de maintenir un secteur anglophone d'éducation ou si cela ne l'implique pas, à votre avis?

M. BOUTHILLIER: Concrètement, il faudrait d'abord identifier la ou les minorités. S'agit-il d'une minorité qu'on appellerait anglophone et qui englobe 20 p.c. de la population? S'agit-il, au contraire, d'une minorité d'origine anglo-saxonne autour de laquelle s'agglutinent d'autres minorités? Une fois qu'on a identifié les minorités, il faudrait se demander quel est l'objectif, quelle est la volonté collective de ces minorités. Veulent-elles continuer à demeurer comme telles? La chose n'est pas évidente. Elle peut l'être en ce qui concerne les Anglo-Saxons de tradition. C'est probablement plus douteux en ce qui concerne la minorité italienne, la minorité grecque, la minorité turque, etc.

A partir du moment où on a fait ces deux opérations, il faut, je pense, appliquer les principes que nous avons appliqués. Nous disons: Voilà, vous êtes Québécois, mais vous êtes une minorité anglophone et vous voulez continuer à maintenir votre identité d'anglophones. Vous êtes Québécois, donc, préparez-vous à vivre la vie de Québécois par la francisation, en acceptant la francisation, etc. Vous êtes anglophones ou anglo-saxons et il se trouve que vous voulez maintenir des éléments de votre culture, des éléments de votre identité: Très bien. Si vous acceptez et dans la mesure où vous acceptez de jouer la règle du jeu québécois, l'Etat québécois saura vous protéger. Et selon cette mesure, il y a une dialectique entre des éléments de francisation par l'école, par l'Etat, par le travail et des éléments de sécurité culturelle que l'on pourrait aménager fort bien.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.

M. CLOUTIER: Le député de Saint-Jacques a posé une question importante. Je me demande si vous avez répondu. Il vous a demandé si vous étiez d'accord pour le maintien d'un secteur anglophone d'éducation.

M. BOUTHILLIER: C'est exactement...

M. CLOUTIER: Je crois qu'on doit répondre par oui ou par non.

M. BOUTHILLIER: Ce que je veux dire, c'est qu'à partir du principe que nous avons énoncé ici, que l'école au Québec doit préparer tous les habitants du Québec à vivre leur vie en français.

M. CLOUTIER: Vous n'êtes pas partisan d'un secteur anglophone d'éducation.

M. BOUTHILLIER: Je serais, personnellement — et je crois que c'est un avis qui sera partagé par la société ici — partisan de plusieurs formules que l'on peut imaginer et je serais partisan d'une intégration scolaire, étant entendu que, dans le cadre intégré du régime scolaire québécois unique, on pourrait aménager des poches de vie anglo-saxonne.

M. CLOUTIER: Vous n'êtes donc pas d'accord sur le contre-projet du PQ qui maintient, suivant une formule un peu compliquée, un secteur anglophone d'éducation?

M. BOUTHILLIER: Je ne suis pas venu discuter ici du contre-projet du PQ.

M. HARDY: Pourquoi? Cela fait partie de l'ensemble de la discussion.

M. BOUTHILLIER: Je suis venu discuter ici d'un document qui porte le nom: Projet de loi 22.

M. CLOUTIER: D'ailleurs, vous êtes parfaitement libre de répondre ou de ne pas répondre. Je me suis simplement contenté de poser la question, ce qui est aussi mon droit. Je ne vous en veux absolument pas. Vous avez parlé, en cours de route, de pays français. Est-ce que c'est parce que vous situez votre conception linguistique dans l'optique de l'indépendance?

M. DUFRESNE: M. le ministre, si la réalisation de l'unilinguisme français ou du français au Québec tient à l'indépendance, peut-être faudrait-il envisager sérieusement cette condition si elle doit être posée.

M. CLOUTIER: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: Je voulais poser une question qui va peut-être un peu dans le sens de la question qui vient d'être posée. Avant la réponse qui vient d'être donnée, j'aimerais peut-être poser une question supplémentaire. Dans votre optique rendre le français langue officielle au Québec peut-il se faire dans le contexte actuel?

Vous avez dit: S'il faut aller à l'indépendance. Mais est-ce que vous croyez que cela peut se faire dans le contexte politique actuel?

M. DUFRESNE: Cela peut être entrepris, mais évidemment que la réalisation n'en sera pas pour demain matin. Ce sera un processus qui devra se faire par étapes, puisqu'il y a, évidemment, une minorité importante qui doit modifier ses habitudes. On ne peut exiger que ces gens, qui ont vécu d'une certaine manière depuis plusieurs années, soient subitement forcés à changer d'une façon draconienne leur mode de vie, du jour au lendemain. Je crois qu'avec une planification efficace, il y aura moyen de réaliser et d'atteindre cet objectif dans un délai relativement court.

M. SAMSON: Croyez-vous que cela peut se faire sans aller à l'indépendance comme vous avez dit tantôt? Vous avez dit: S'il faut aller là, il faudra y aller. Croyez-vous quand même que cela peut se faire sans qu'on aille là?

M. DUFRESNE: J'imagine que c'est tout à fait possible.

M. SAMSON: Vous imaginez que c'est possible.

M. DUFRESNE: Encore faut-il le tenter.

M. SAMSON: Oui, d'accord. Il y a une autre chose qui m'intéresse énormément. Vous avez dit à la page 1 de votre mémoire, article 2: "Assurer la restauration de la qualité du français parlé et écrit au Québec, afin de le conformer au français international et d'en faire l'instrument d'une civilisation dynamique et progressive". Est-ce que, par là, vous voulez dire que même dans le contexte du français à l'enseignement, il faudrait faire plusieurs efforts pour en arriver à ce que, finalement, le français soit mieux enseigné dans le système actuel de l'enseignement? C'est cela que vous avez voulu dire?

M. DUFRESNE: Vous avez parfaitement bien lu, M. le Président.

M. SAMSON: Bon, d'accord. Je pense que c'est M. Bouthillier qui a dit tantôt que l'école doit préparer les enfants à une vie totale en français, c'est à peu près cela, en tout cas. L'école doit nous mieux préparer à une vie complète en français. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait quand même aller plus loin et permettre, par des moyens d'un meilleur contrôle de notre économie, d'assurer que le français soit finalement une langue qui sera rentable économiquement? Si, d'une part, on tient pour acquis que vous voulez qu'on prépare tout le monde à une vie complète en français, il faudrait que, d'autre part aussi, je pense, si on suit la logique, on en arrive à assurer que cela se fera, mais que cela sera économiquement rentable aussi pour la bonne raison que si on est encore obligé de travailler dans une autre langue ou de faire des affaires dans une autre langue, cette préparation n'aura pas valu grand-chose. Est-ce que je comprends bien si j'en déduis que vous voulez aussi que cela aille aussi loin que prendre le contrôle du notre économie dans un sens qui permettrait que cette langue soit aussi rentable?

M. BOUTHILLIER: Est-ce que c'est une question?

M. SAMSON: Oui, c'est une question.

M. BOUTHILLIER: M. le Président, une politique linguistique se fait sur plusieurs plans à la fois, notamment sur le plan de la langue de l'Etat, de la langue de l'école, de la langue de l'économie, ou du travail, si vous voulez. Une véritable politique suppose une action sur chacun de ces plans. D'autre part, il est évident que, pour chacun de ces plans, les calendriers pourront varier. Il est vrai aussi que les méthodes pourront varier d'un plan à l'autre. Puisque nous parlons ici de loi, puisque nous parlons ici d'une décision qui doit être prise par l'Etat du Québec, il est évident que l'Etat du Québec, dans la situation actuelle, d'ores et déjà, dispose de moyens, si vous voulez, a une prise plus directe sur les réformes concernant la langue de l'Etat et des réformes concernant la langue de l'école que, sur les réformes concernant la langue de l'économie et la langue du travail qui supposent des concours extérieurs au gouvernement du Québec, qui supposent les concours des dirigeants des entreprises. Nous sommes ici en présence des dirigeants de l'Etat.

Ils ont une décision à prendre à l'heure actuelle, ils ont une prise directe sur la langue de l'Etat et la langue de l'école. On est en droit de s'attendre qu'ils agissent le plus rapidement possible, le plus directement possible sur ces secteurs. Qu'ils agissent aussi sur l'autre, c'est évident, mais on peut s'attendre que leur action, on peut s'attendre que leurs méthodes aboutissent à des résultats sur une période plus longue. Mais, d'ores et déjà, l'Etat, ici, les gens qui sont ici et qui constituent un Etat disposent des moyens pour agir très rapidement en faveur de la francisation de la langue de l'Etat et de la langue de l'école.

M. SAMSON: A la page 5, deuxième paragraphe, vous mentionnez que des sanctions sont prévues pour les petits et qu'il n'y a pas de sanction pour les gros. Je résume assez bien votre pensée, je pense.

M. DUFRESNE: En effet, oui.

M. SAMSON: Est-ce que, dans cette optique, vous auriez des suggestions à faire quant aux sanctions devant apparaître dans le projet de loi 22 pour les contrevenants?

M. DUFRESNE: M. le Président, c'est à la lecture de la loi que je me suis interrogé en essayant de me mettre dans la peau d'un dirigeant d'entreprise qui désirerait résister aux mesures incitatives, qui ne seraient peut-être pas suffisamment incitatives pour lui, et voir ce qui pourrait m'arriver. Alors, à la lecture des différents articles, je n'ai rien trouvé. Je me suis demandé si un certain nombre d'entre eux, devant l'effort que cela pourrait leur demander, les ennuis, les tracas que cela pourrait peut-être leur causer, ne jugeraient pas préférable, tout simplement, de passer outre et de ne pas s'en occuper. Alors, c'est la raison pour laquelle j'ai trouvé étrange qu'on soit prêt à punir d'une façon exemplaire un fonctionnaire public alors que d'autres coupables n'auraient vraiment rien à craindre à transgresser la loi.

M SAMSON: J'aimerais savoir si vous avez poursuivi vos études jusqu'au point d'apporter certaines suggestions à la commission concernant ces sanctions dont vous n'avez pas...

M. DUFRESNE: Je vous dirai que je n'ai pensé à aucune sanction qui pourrait s'exercer et je crois que ce n'est pas nécessairement de notre domaine, mais j'ai trouvé étrange qu'il n'y en ait pas.

M. SAMSON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Laporte.

M. DEOM: M. le Président, pour faire comme le président de la Société Saint-Jean-Baptiste à la page 9, j'ai l'impression que c'est une phrase qu'on a entendu répéter depuis 200 ans. Quand on dit "qu'au contraire, la langue anglaise qui représente la plus sérieuse menace à la survivance du français au Québec", j'ai l'impression qu'on a entendu cette phrase ou que quelqu'un l'a dite. Peut-être qu'il faudrait que je fouille dans l'histoire, mais c'est une phrase qu'on a entendue très souvent. Pourtant, la langue française ne se porte pas plus mal, j'ai l'impression, aujourd'hui qu'il y a 200 ans pour une raison très simple, c'est qu'elle a été protégée pendant ces 200 ans par des barrières sociologiques qui étaient le clergé, son taux de natalité et le caractère rural de sa population. Depuis 1960, la langue s'est retrouvée dans un vacuum sociologique. Le bill 22 propose de lui donner maintenant une barrière juridique, comte tenu du contexte géographique dans lequel on se situe et dont il est difficile de faire abstraction. Est-ce que le fait d'accorder un certain nombre de privilèges —vous appelez cela ainsi — à la langue anglaise va changer quelque chose à la barrière juridique que l'on donne maintenant, par le bill 22, au français?

M. DUFRESNE: M. le Président, je me demande si le dernier intervenant n'a pas noté une certaine détérioration de la langue française au Québec depuis l'avènement des grands moyens de communication comme la radio et la télévision, sans parler du cinéma, qui nous poursuivent constamment, jusque dans nos foyers, à longueur de journée, qui nous viennent non seulement de notre propre territoire, mais des territoires avoisinants et où la proportion de programmes de langue anglaise est souvent supérieure à la proportion de programmes en langue française. Je crois que, si nous nous interrogeons personnellement, nous nous apercevons qu'il y a eu effectivement l'apparition de ce qu'on a qualifié, il y a déjà plusieurs années, de jouai; ce n'était pas nécessairement une nouveauté, mais je ne me sens pas aussi sûr que l'interlocuteur au sujet de la bonne santé de la langue française. Il existe une minorité qui fait son possible pour s'exprimer dans le meilleur français possible. Par ailleurs, il suffit d'entendre parler l'homme de la rue pour se rendre compte qu'il y a des progrès énormes à faire avant d'atteindre la qualité du français international que nous recommandons.

Maintenant, je crois que la barrière linguistique dont il est question peut peut-être contribuer quelque chose à ce redressement, mais si on entend depuis 200 ans tellement de bouches dire que la langue anglaise est peut-être la menace la plus sérieuse à la survivance du français, c'est peut-être parce que c'est vrai. Après tout, tout le monde ne peut pas avoir tort continuellement; ce n'est pas moi qui l'invente, il y en a d'autres qui l'ont dit avant moi. Alors, je considère que ce projet de loi que l'on nous propose est insuffisant et surtout que les moyens que l'on cherche à employer pour atteindre les objectifs qu'on s'est fixés risquent fort de tomber court.

M. BOUTfflLLIER: M. le Président, est-ce que je peux ajouter...

M. DEOM: Je veux juste souligner que vous ne répondez pas à ma question. Peut-être que je me suis mal exprimé. D'un côté, la langue française a été munie d'un système de protection sociologique pendant 200 ans. De l'autre côté, à cause de la disparition de ce système de protection, le bill 22 propose de lui donner un système de protection juridique. Ce que je vous demandais, c'est si le fait d'accorder un certain nombre de droits individuels à l'anglais va ajouter au système de protection de la langue anglaise. Parce que la langue anglaise a un système de protection sociologique qui va continuer à fonctionner indépendamment, que vous fassiez une loi ou non, ou que vous fassiez

une loi uniquement sur la langue officielle. Il est là, le système de protection, et c'est le continent américain.

D'un côté, je vous demande si le fait d'inclure la reconnaissance des droits individuels à l'anglais dans le bill 22 va changer la portée, la dynamique du système de protection juridique qu'on propose pour le français?

M. BOUTHILLIER: M. le Président, je vais tenter de répondre à cette question. Il est certain que, vu la situation historique et géographique dans laquelle le Québec se trouve, il faut agir avec fermeté et pour tout dire, avec intransigeance sur le plan de la défense et de la promotion de la langue de la majorité.

Je ne veux pas porter de jugement sur l'évolution de la qualité du français au Québec. Je ne suis pas linguiste et même les linguistes auraient beaucoup d'études à entreprendre pour répondre à cette question. Mais je vais, si vous voulez, m'adresser à un exemple étranger qui montre combien les états "normaux" sur le plan linguistique, prennent des mesures très nettes, très précises pour assurer la protection de leur langue sur leur territoire, si vous voulez, j'appelle votre attention sur un fait qui s'est produit il y a deux ans en Grande-Bretagne.

Il s'agit d'une situation qui s'est produite dans une banlieue de Londres, la banlieue de Southall où s'était rassemblée, au travers des années, depuis la guerre, une concentration assez forte d'immigrants venus, je le précise, des pays du Commonwealth, des pays asiatiques et des Antilles.

Voilà donc cette minorité d'immigrants, d'éléments allogènes en plein coeur de Londres qui commence à faire des enfants, qui envoie ses enfants dans les écoles des quartiers où elle se trouve et, ayant fait sans doute beaucoup d'enfants, se retrouve majoritaire dans les écoles des quartiers où ils fréquentent des petits Anglais nés de mères anglaises, ayant l'anglais pour langue maternelle, etc.

Le gouvernement, les autorités scolaires de Londres se sont alarmés, se sont inquiétés de la situation. Pourquoi? Ont-ils craint que ces immigrants n'installent à Londres des poches de vie étrangère? Non, pas du tout. Ils ont craint pour la qualité de la langue parlée par les petits Anglais de Londres. Ils ont craint une détérioration de cette qualité de la langue au contact d'éléments allogènes. Ils ont pris une mesure draconienne compte tenu du contexte. Ils ont pris une mesure qu'ils ont appelé la "policy of dispersal". Ils ont établi un plafonnement dans les écoles du quartier; il n'y aura que 40 p.c. d'enfants d'immigrants. Les autres seront dispersés et ils le sont effectivement, avec le résultat que des enfants doivent parcourir jusqu'à cinq milles par jour pour aller à leur école. Si vous voulez un complément d'information, je vous renvoie au Montréal Star qui a eu la bonne idée, lui, semble-t-il d'attirer notre attention là-dessus, en date du 29 mars 1972. Merci.

M. VEILLEUX: Pour continuer...

M. CLOUTIER: Ce n'est pas que le gouvernement britannique a pris des mesures de discrimination contre ces immigrants du Commonwealth.

M. VEILLEUX: Pour continuer dans la veine du député de Laporte, selon les propos que vous venez de tenir, est-ce que, si je comprends bien et si on veut être clair, compte tenu de l'exemple que vous venez de donner et qui s'est passé à Londres, dans votre esprit, on devrait faire la même chose aux minorités qui se retrouvent au Québec?

M. BOUTHILLIER: Ce que je dis — et voilà l'utilité d'apporter cet exemple ici c'est que si une majorité comme la majorité anglaise sent le besoin d'être extrêmement vigilante pour défendre sa langue ou la langue parlée par quelques milliers ou par quelques dizaines de milliers d'autochtones sur son propre territoire, à plus forte raison, me semble-t-il, le Québec, dans la situation que nous connaissons tous, doit prendre des mesures extrêmement rigoureuses pour assurer la défense et la promotion de sa langue.

M. VEILLEUX: Je suis d'accord. Il y a plusieurs fois que vous dites qu'on doit prendre des mesures assez fortes pour protéger. Nous avons un projet de loi 22. Vous avez dit tout à l'heure au ministre de l'Education: Pour nous, il n'est aucunement question de discuter autre chose que le projet de loi 22.

Vous prenez le projet de loi 22, au chapitre de l'enseignement, où on donne et on laisse une reconnaissance, comme principe, au secteur anglophone au Québec. Moi, je vous pose carrément la question. J'aimerais avoir une réponse, si possible, une véritable réponse à la question que je vais vous poser. Est-ce que vous êtes d'accord sur le principe? Dans les modalités, on en rediscutera tout à l'heure. Mais êtes-vous d'accord sur un principe comme celui-là qui reconnaît le secteur francophone et qui conserve le secteur anglophone? Même si on ne conservait le secteur anglophone qu'aux seuls anglophones vivant présentement au Québec, moi, je vous pose la question: Etes-vous d'accord sur un principe comme cela ou si vous ne l'êtes pas?

M. BOUTHILLIER: Nous sommes...

M. VEILLEUX: Parce qu'il y a des groupes qui sont venus ici et qui nous ont dit: Nous, c'est un seul réseau d'enseignement francophone qu'on veut au Québec. Moi, je vous pose la question: Est-ce cela qu'on doit établir au Québec ou si on doit conserver, si ce n'était qu'à la minorité anglophone, comme gouvernement, un secteur anglophone d'enseignement? Je vous pose la question.

M. BOUTHILLIER: M. le Président, je pense que je référerais M. le député à ce que l'on disait tout à l'heure, à la réponse que l'on faisait tout à l'heure, à savoir qu'en partant des principes que vous savez, ils sont Québécois, la langue du Québec et le Québec, il faut faire en sorte que l'école les intègre à cette vie. Dans la mesure où ils acceptent de jouer le jeu du Québec, le Québec, en retour, peut accepter de leur reconnaître certains privilèges linguistiques ou scolaires.

Il est entendu qu'à ce moment-là il faudra définir les modalités. Il est entendu qu'on pourra prévoir, si vous voulez, que ces écoles où il y aura des éléments de vie anglophone soient quand même des écoles qui préparent à la vie québécoise...

M. VEILLEUX: Très bien.

M. BOUTHILLIER: ... par la langue, par les moeurs et la mentalité.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, vous acceptez, au moins pour la minorité anglophone, un réseau anglophone.

M. SENECAL: A l'intérieur du secteur francophone.

M. VEILLEUX: C'est un secteur unique... M. SENECAL: Oui.

M. VEILLEUX: ... francophone que vous voulez.

M. SENECAL: Certainement.

M. VEILLEUX: C'est cela que je voulais savoir de vous, si vous étiez pour un secteur unique francophone.

M. SENECAL: Sans l'ombre d'un doute.

M. VEILLEUX: C'est tout ce que je voulais savoir. Vous avez répondu à ma question. C'est l'unilinguisme; en d'autre mots, c'est l'assimilation.

M. SENECAL: Cela m'a pris du temps moi-même à voir ce que vous me demandiez.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, c'est l'assimilation complète des minorités au secteur francophone au Québec. C'est ce que vous voulez.

M. SENECAL: Oui.

M. VEILLEUX: C'est tout, cela répond à ma question.

M. DEOM: Ma question traditionnelle, M. le Président, comment avez-vous préparé ce mémoire?

M. SENECAL: Je pense, M. le Président, que nous avons déjà répondu à cela dans mes remarques préliminaires. Dans notre cas, c'est presque gênant de se faire poser la question, parce que cela fait déjà presque huit années que nous parlons de ces questions à un tel point que, pour nous, cela sonne un peu comme du ramassis. Dans nos divers congrès, des résolutions, etc., vous avez vous-mêmes, enfin, le gouvernement... Le gouvernement a changé de couleur, mais les divers gouvernements ont reçu nos mémoires...

M. HARDY: On change de couleur parfois... M. SENECAL: Pardon?

M. HARDY: A la société aussi, on change de couleur.

M. SENECAL: Je suis heureux, M. le Président, qu'on me pose cette question, parce qu'il y a un fait, je pense, qui est remarquable dans le cas de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. C'est que, malgré des changements à la direction de la société, c'est drôle comme il y a eu une constante au sujet de la langue. Je crois que c'est très remarquable et je crois que c'est très significatif. Il y a eu une constante très remarquable et ces rapports ont été déposés au gouvernement au long des années. J'en ai parlé dans mes remarques d'introduction. Vous allez remarquer qu'il y a une constante, à mon sens, très remarquable.

M. DEOM: Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la position que vous avez prise depuis 1968, mais la position que l'association a prise sur le bill 22, parce qu'on est face à un document très concret qui est un projet de loi. On est ici pour savoir comment les individus ou les groupes peuvent interpréter de façon complètement différente le même article de loi. Ce que je vous demande est: Est-ce que le bill 22 a été soumis à votre assemblée générale et est-ce que c'est de cette assemblée que découle votre prise de position?

M. DUFRESNE: M. le Président, le mémoire qui vous a été soumis ce soir n'a pas été soumis à l'Assemblée générale comme telle puisque le temps ne le permettait pas et que notre congrès était déjà passé.

Mais il est fondé sur des principes qui ont été énoncés, qui ont été débattus, qui ont été adoptés à la majorité, dans un nombre considérable d'assemblées, de congrès annuels généraux des années précédentes, et on peut dire que ce qu'on y retrouve a déjà été approuvé plusieurs fois par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en assemblée annuelle générale.

M. SENECAL: J'ajouterais même, M. le Président, là-dessus, que le député de Laporte peut se consoler. Nous avons même pris la peine

d'ajourner le dernier congrès plutôt que de le clôturer dans l'espoir que ce fameux projet de loi serait déposé dans les délais que le gouvernement avait annoncés à l'époque. Ces délais n'arrivant pas, il a bien fallu tenir la deuxième étape de notre congrès, mais il n'est toujours pas clôturé.

M. VEILLEUX: J'aurais une dernière petite question à vous poser...

LE PRESIDENT (M. Gratton): La dernière.

M. VEILLEUX: ... en lisant la dernière ligne de votre mémoire. C'est écrit: Remplacé par une législation plus conforme aux désirs de la majorité et répondant mieux aux besoins de l'heure. Quand vous avez lu le mémoire, si on retrouve le journal des Débats, vous avez dit: "Aux désirs d'une majorité éclairée". Pourriez-vous m'éclairer sur ce que peut être la majorité éclairée dans votre esprit?

M. BOUTHILLIER: Cela nous paraissait aller de soi.

M. VEILLEUX: Pardon?

M. BOUTHILLIER: Cela nous paraissait aller de soi que la majorité dont on parlait était éclairée.

M. VEILLEUX Est-ce que, dans votre esprit, l'ensemble de la population peut constituer une majorité éclairée?

M. BOUTHILLIER: Si on veut bien se donner la peine de l'éclairer, si on veut bien se donner la peine de l'informer, si on veut bien prendre la peine de cesser de lui raconter toutes sortes d'histoires, depuis le temps qu'on nous raconte des histoires sur la langue ici. Si on voulait bien, un jour, établir un débat sérieux, je pense qu'effectivement on pourrait parler d'une majorité éclairée.

M. VEILLEUX: Monsieur, je suis exactement du même avis que vous. On devrait discuter d'un projet de loi sur la langue en faisant abstraction de toute émotivité. Quelles que soient les parties qui en discutent, je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire qu'à ce moment, la majorité de la population serait plus éclairée qu'elle peut l'être, compte tenu de l'émotivité que les gens, en règle générale, que ce soit n'importe quel côté, semblent vouloir mettre, lorsqu'on discute du problème de la langue.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Dernière question, environ deux minutes...

UNE VOIX: M. le Président, pourquoi permettez-vous que le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste soit débattu par un type à l'accent européen?

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! J'invite le chef de l'Opposition à poser une dernière question. Il reste deux minutes au côté de l'Opposition.

M. MORIN: M. le Président, nos invités ont mentionné dans leur mémoire la sagesse des nations sous la forme de divers exemples étrangers. Vous mentionnez la politique implacable suivie par certains Etats comme la Grande-Bretagne, la Belgique, Israël, et à propos de ce dernier pays, vous faites appel aux mânes d'Eliézer Ben Yehuda. C'est une évocation que j'aurais aimé entendre dans la bouche du Congrès juif canadien qui, malheureusement, ne s'est pas présenté ce matin.

C'est en effet en grande partie grâce à l'action de Ben Yehuda et à son Conseil de la langue hébraïque si l'hébreu est devenu, de langue littéraire et liturgique, une langue vivante, une langue parlée tous les jours dans la rue en Israël. L'hébreu est devenu, grâce à cet homme, grâce aussi à Frischmann et à Dolitsky, une véritable langue nationale. Comme question de fait, c'est devenu l'expression même de la renaissance nationale, en même temps que sa raison d'être.

Pourriez-vous nous décrire brièvement les politiques rigoureuses qui ont été mises en oeuvre dans certains pays? Vous avez déjà mentionné l'exemple de la Grande-Bretagne, mais peut-être conviendrait-il de s'étendre également sur Isarël, et éventuellement aussi, mais peut-être plus brièvement sur la Belgique, dont nous avons déjà parlé. L'exemple d'Israël risque d'être utile à plus d'un titre, puisque, sans doute, viendront témoigner devant cette commission, d'ici quelques jours, voire quelques semaines, des représentants de la minorité juive de Montréal. Il serait donc utile peut-être que vous nous brossiez un tableau rapide de la situation dans ce pays.

M. BOUTHILLIER: Rapidement, si vous voulez, M. le Président, je rappellerai qui était Eliézer Ben Yehuda, qui n'est, après tout, pas un personnage familier sous le ciel québécois. Ben Yehuda est né en 1858, mort en 1922, voilà qui le situe dans le temps.

Ben Yehuda était publiciste, lexicographe et surtout, bien sûr, patriote juif israélien.

Il a vécu en Israël très jeune et il était dans un pays où on parlait un nombre incroyable de langues. Il en est arrivé à la conclusion que le seul ciment possible pour l'unité nationale de ce pays, que la seule façon de raffermir le sentiment national juif était de donner à ce peuple juif, comme langue nationale, comme langue pouvant exprimer l'amour, la guerre, la paix, etc., la langue traditionnelle du peuple juif, c'est-à-dire l'hébreu.

Vous imaginez qu'il s'est trouvé devant un problème technique immense. Il fallait faire de cette langue, qui n'était plus qu'une langue, une espèce de latin, une langue liturgique, une

langue pouvant exprimer la vie moderne, la vie du XXe siècle.

Cela ne l'a pas arrêté, bien entendu. Il s'est mis à la tâche et il a inventé les néologismes qu'il fallait pour élever la vieille langue hébraïque à la dignité et à l'utilisation d'une langue du XXe siècle.

C'était un problème qu'il a résolu. Vous trouverez son dictionnaire qui montre bien comment il a trouvé solution à ce problème.

A côté de ce problème technique, et c'est là-dessus que je voudrais appeler l'attention des membres, il s'est heurté à un obstacle psychologique, autrement dit politique, autrement plus grave. Il s'est heurté au scepticisme et à l'incrédulité des siens, de ceux-là mêmes pour lesquels il voulait cette réforme. Il a constaté que le propre peuple juif ne voulait pas, ne croyait pas à la possibilité de faire de l'hébreu la langue nationale.

Or, il a employé la seule méthode, la seule attitude capable précisément de briser les idées reçues, capable de heurter de plein fouet ces vieilles mentalités. Il a eu une attitude d'intransigeance extrêmement rigoureuse.

D'abord, sur le plan personnel, sur le plan du comportement personnel, par exemple, Ben Yehuda était un homme qui refusait l'accès chez lui à quiconque n'acceptait pas de lui parler en hébreu. Voilà pour le plan personnel.

Sur le plan public, il a lutté d'arrache-pied, constamment, contre les siens, et c'est ce qui est le plus intéressant. Je pense que, s'il avait fait un sondage d'opinions, il aurait reçu une réponse tout à fait négative, je me permets de le souligner au passage. Il a lutté contre les siens pour leur imposer, pour leur faire comprendre, à valeur d'exemples, la possibilité de faire de l'hébreu la langue de tous les jours. Il n'a reculé devant aucune méthode, y compris l'autodafé.

Voilà, brièvement, la vie, l'action de Ben Yehuda. On me signale qu'il y a des biographies sur le personnage. Je vous remercie, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, nous vous remercions pour la présentation de votre mémoire. J'invite immédiatement l'Alliance des professeurs de Montréal à bien vouloir se présenter à la table, s'il vous plaît.

MME LEONARD: Je m'excuse, M. la Président. Est-ce que je pourrais, s'il vous plaît, vous demander une faveur? Je suis Solange Léonard, serétaire générale de la Société Saint-Jean-Baptiste. J'ai écrit un mémoire et je crains de ne pas être appelée à temps. Je crois que la commission parlementaire va se terminer avant. J'aimerais le lire. Il n'a que deux pages. Cela va vous prendre deux minutes. Je voudrais, s'il vous plaît, exposer le point de vue féminin de la Société Saint-Jean-Baptiste. Est-ce que je peux, s'il vous plaît?

LE PRESIDENT (M. Gratton): On s'excuse...

MME LEONARD: Vous n'avez aucune question à poser. Vous n'avez qu'à écouter.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je comprends, Madame, mais vous comprendrez que, si on acceptait de créer ce précédent, nous nous exposerions à avoir des requêtes semblables tous les jours et pour toute chose.

MME LEONARD: Est-ce que...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A moins d'obtenir la consentement unanime des membres de la commission, je devrai vous refuser...

MME LEONARD: Est-ce que vous avez entendu le point de vue des mères de famille à cette commission?

LE PRESIDENT (M. Gratton): J'avoue que je n'en sais rien.

M. MORIN: Est-ce qu'on peut le considérer comme faisant partie du mémoire de la SSJB?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce que j'ai le consentement unanime des membres de la commission?

M. MORIN: Vous avez le mien, celui de l'Opposition. Nous pouvons peut-être considérer que ce mémoire fait partie de la présentation de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

MME LEONARD: Si on ne l'a pas inclus dans le mémoire, M. le Président, c'est parce que c'est un mémoire qui était composé et conçu par des hommes et le mien ne pouvait pas, étant conçu par une femme, être inséré. Vous comprenez.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Vous comprendrez, madame, qu'on a déjà dépassé de plus de dix minutes le temps alloué à la Société Saint-Jean Baptiste.

MME LEONARD: Deux minutes.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je dois demander à la commission de me donner une directive. Est-ce que c'est du consentement unanime de la commission?

M. HARDY: Je doute, j'ai une conception plus évoluée que cela du rôle des femmes dans la société. Je ne vois pas comment votre perception du problème de la langue soit tellement différente, à moins que ceux qui vous ont précédé tantôt, soient à ce point conservateurs qu'ils ne puissent pas englober le point de vue féminin dans leur présentation. D'autre part, je pense bien, madame, si c'est simplement pour en faire la lecture, que vous pouvez le déposer et que tous les membres de la commission pourront lire votre mémoire, le prendre en considération et que votre point de vue sera

sûrement aussi bien respecté que si vous en faisiez la lecture. M. le Président a signifié tantôt que ce serait un précédent, il y a un autre organisme qui doit se faire entendre maintenant. Je pense que nous n'avons pas à bouleverser le calendrier de nos travaux. D'autant plus, encore une fois, je le répète, que votre mémoire, en le déposant, sera pris en considération par tous les membres de la commission.

MME LEONARD: Mais je...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, madame, je retiens la suggestion du ministre des Affaires culturelles, je vous inviterais à déposer auprès du secrétaire des commissions, M. Pouliot qui est derrière moi, votre mémoire qui sera présenté à tous les membres de la commission et qui, j'en suis certain, recevra toute l'attention qu'il mérite. Alors, j'invite, encore une fois, l'Alliance des professeurs de Montréal.

MME LEONARD: Vous êtes très durs vis-à-vis des femmes du Québec, permettez-moi de vous le dire, parce qu'il n'y a pas un organisme féminin qui s'est fait entendre...

LE PRESIDENT (M Gratton): A l'ordre, madame! Je m'excuse...

MME LEONARD: Je proteste au nom de toutes les femmes du Québec, je proteste. Je vous avertis, vous vous...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plait! Je m'excuse, je ne peux pas vous permettre de faire des représentations semblables. Si vous insistez, je devrai suspendre les travaux de la commission. Alors, j'invite l'Alliance des professeurs de Montréal à bien vouloir prendre place à la table, s'il vous plaît.

Est-ce que le porte-parole de l'alliance est bien M. Robert Chagnon?

M. CHAGNON (Robert): C'est bien cela, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, M. Chagnon, je vous demanderais s'il vous plaît de nous présenter ceux qui vous accompagnent et de noter que vous avez à votre disposition une vingtaine de minutes pour faire votre présentation.

Alliance des professeurs de Montréal

M. CHAGNON (Robert): Vous me permettrez d'abord, M. le Président, de vous présenter les membres de notre délégation. A ma droite, Mlle Huguette Lamarre, et à ma gauche Mlle Pierrette Beaudoin et M. Bernard Laplante.

Des remarques préliminaires: compte tenu du délai extrêmement court que nous avons eu pour vous présenter un mémoire, entre la présentation du projet de loi 22 et ce moment, nous n'avons pas cru bon de reprendre dans notre mémoire les positions exprimées par deux organismes dont nous sommes membres et dont nous partageons, à la fois les analyses et les recommandations, soit la Corporation des enseignants du Québec et le Mouvement Québec français. Nous vous présentons ce soir le point de vue d'un organisme qui regroupe des gens qui oeuvrent quodidiennement dans le milieu de l'éducation à Montréal. C'est un témoignage d'expérience que nous vous soumettons, plus que des analyses savantes. Notre mémoire comporte un certain nombre de remarques générales sur le projet de loi 22 et des remarques particulières auxquelles nous nous attachons sur la langue d'enseignement.

Le droit naturel des peuples à diposer d'eux-mêmes porte comme corollaire celui du droit à acquérir les instruments nécessaires à la survie et au développement d'une identité nationale propre. La langue est sans doute à cet égard l'élément, à la fois le plus apparent, le plus quotidien, le plus signifiant. En ce sens, un projet de loi sur la langue au Québec d'aujourd'hui n'a de véritable cohérence à nos yeux que dans la mesure où il permet à la majorité française de vivre en français. Il n'a de sens que dans la mesure où il reconnaît explicitement à l'Etat la responsabilité première de protéger cette identité nationale et où il prévoit et facilite les interventions qui s'avéreront nécessaires à cet égard.

Vivre en français au Québec, cela veut dire le droit absolu pour chacun des membres de la collectivité francophone de se livrer aux activités normales d'une vie humaine au plan du travail et du loisir, au plan social, économique et politique sans que la connaissance d'une langue étrangère ne soit nécessaire pour autre chose qu'une richesse culturelle additionnelle et un moyen de communiquer avec d'autres collectivités nationales. Inutile de gloser sur le fait qu'au Québec, à tous égards, on est fort loin d'un tel état de choses.

Sur un autre plan, d'ailleurs, il apparaît nécessaire à l'Alliance des professeurs de Montréal de dégager un préalable et de s'interroger sur le genre de contexte socio-politique qui compose la toile de fond du projet de loi 22.

Il est clair que, dans une optique pancana-dienne, la démarche de ce projet de loi qui est devant nous, visant à protéger les droits du français est en droite ligne issue d'une philosophie de type "B&B" et, par conséquent, trouve par là sa justification, étant donné que, "a mari usque ad mare", les francophones sont effectivement une minorité.

Il nous apparaît tout aussi clair qu'un Québec majoritairement francophone devrait être en mesure d'adopter une législation linguistique qui soit autre chose qu'un décret sur l'officialité de la langue française, officialité assortie par la

suite d'une longue série de réserves la rendant, à toutes fins utiles, inopérante. Nous pensons qu'il n'est dans le projet de loi 22 qu'un seul article vraiment indispensable et c'est celui qui détermine quelle est la langue officielle et que compte tenu de la présence au Québec d'une minorité anglophone, les autres articles de la loi devraient définir les limites à l'intérieur desquelles l'anglais est reconnu au Québec et ce de façon explicitement limitative. Nous pensons de plus qu'il faudrait prévoir les modalités de telle ou telle forme de coercition que le législateur entendrait retenir.

C'est dans cette perspective à nos yeux qu'il faut situer le projet de loi 22. Au point de départ, nous considérons de plus les silences du projet de loi beaucoup plus inquiétants que ses déclarations de principe. En effet, le ministre de l'Education n'ayant pas jugé utile d'apporter quelque précision que ce soit en ce qui a trait au type de réglementation qui sous-tendrait la loi, on en est réduit à des conjectures sur ce plan. Cette carence revêt un caractère d'autant plus grave qu'aux termes du projet déposé, la référence aux règlements se retrouve à tous les articles importants.

Pour évaluer de façon prospective ce que pourrait être cette réglementation, l'Alliance des professeurs de Montréal en est réduite à supposer qu'elle se situerait dans la ligne logique des gestes déjà posés en cette matière par le gouvernement au pouvoir depuis quatre ans. Cette hypothèse n'offre rien de rassurant si l'on tient compte du caractère mesquin et partiel de ce qui lui tient lieu de politique linguistique.

De ce fait, le débat sur le bill 22 prend donc un certain caractère d'irréalité, puisqu'en fait le gouvernement se garde le pouvoir de statuer par décrets dépourvus de toute forme de contrôle démocratique.

Cela pourrait lui permettre, dans l'avenir, de continuer à miser gagnant sur les deux tableaux, en affichant, au plan des principes, une vigueur qui risque d'être démentie dans les faits par l'adoption en catimini de décrets démissionnaires. C'est ainsi que, dans la pratique, on risque de se retrouver au point de départ. C'est ainsi que dans la pratique, le statut officiel du français n'empêchera pas l'entreprise de conserver à l'anglais une place privilégiée au niveau de la direction ni de faire de la connaissance de l'anglais un critère capital d'embauche et de promotion, ce qui nous apparaît inacceptable.

Certes, sur certains points, on peut noter des aspects positifs du projet de loi 22. L'alliance a noté avec satisfaction, par exemple, la francisation de l'affichage qui a été, dans le passé, l'une de nos revendications. Mais les aspects positifs sont si peu nombreux, ont un caractère si partiel et si limité, que le législateur se sent obligé de présenter comme des victoires nouvelles des faits acquis depuis des années, tels l'étiquetage et le français langue de travail dans l'administration publique.

L'alliance, en plus d'exprimer sa déception devant le projet de loi 22, en plus de souligner l'humiliation collective que propose aux Québécois leur propre gouvernement, regrette que ce projet de loi serve, en fait, à consolider les privilèges de la minorité dominante. En matière linguistique, nous n'hésitons pas à affirmer que le gouvernement s'est fait marchant d'illusions.

Quant à la langue d'enseignement, sans entrer dans la dialectique de l'oeuf et de la poule, il est évident que pour nous, enseignants francophones, toute loi sur le statut du français doit s'appuyer sur un chapitre fondamental, celui qui traite de la langue de l'enseignement. Notre travail d'enseignant n'a de portée qu'à long terme : cette constatation d'une réalité bien évidente nous amène à considérer comme mineures, anecdotiques, des lois sur l'étiquetage des savonnettes ou sur la raison sociale des entreprises d'extermination des rats. L'enseignement, parce qu'il prépare la prochaine génération, a beaucoup plus d'importance à nos yeux.

Qu'on s'abstienne de qualifier cette attitude d'arrogante. D'autres domaines ont autant d'importance que l'enseignement. Nous pensons entre autres aux domaines des communications de masse, la télévision par exemple, dont le rôle formateur d'école parallèle saute aux yeux des observateurs les moins avertis et sur lequel le projet de loi 22 est étrangement muet. Il est pour le moins étonnant de constater qu'un projet de loi sur la langue officielle ignore ce champ qui a quelque importance pour le patrimoine national que le gouvernement du Québec a le devoir de préserver. Oubli involontaire ou ignorance délibérée? Nous savons bien, en tout cas, que nous entrons là dans le champ épineux des relations fédérales-provinciales, mais il reste que l'absence d'un chapitre sur les communications affaiblit considérablement le projet de loi.

Pour éviter de répéter des argumentations connues de tous, nous nous contenterons de rappeler certaines réalités indiscutables quant à la langue d'enseignement. Le Québec a le droit de légiférer quant à la langue d'enseignement, par exemple de décréter que le français est la seule langue de l'enseignement ou qu'il ne doit y avoir au Québec qu'un seul réseau d'enseignement.

Deuxièmement, l'école actuelle sert à angliciser les immigrants et, par conséquent, contribue à la minorisation des Québécois francophones. Il suffit de lire les statistiques publiées par la Commission des écoles catholiques de Montréal ou celles, plus anciennes, que rapporte le comité interministériel sur l'enseignement des langues aux Néo-Canadiens, qui datent de 1967.

La répartition des enfants néo-canadiens entre le secteur anglais et le secteur français de la CECM a évolué de la façon suivante. Nous vous citons les chiffres en détail, qu'il me suffise de dire qu'on est passé, entre 1931 et 1968, de 52.4 p.c. d'immigrants dirigés vers le secteur français à 10.7 p.c. en 1967/68.

Si on ne s'en tient qu'à la Commission des écoles catholiques de Montréal, en septembre 1973, les trois quarts des élèves des classes

anglaises déclarent ne pas parler anglais à la maison. Cette proportion illustre bien l'attirance des classes anglaises sur les non-anglophones et sur les immigrants en particulier. Par contre, les classes françaises sont composées de francophones dans une proportion de 94.6 p.c.

Si on tient compte des effectifs du PSBGM, il n'est pas exagéré de dire que plus de 90 p.c. des immigrants envoient leurs enfants dans les écoles anglaises de Montréal. Cette attirance de l'école anglaise sur les immigrants au détriment de l'école française est clairement identifiable quand on examine l'évolution du choix linguistique de la communauté italienne. Nous citons toujours des chiffres publiés récemment par la Commission des écoles catholiques de Montréal. En 1949, 1,632 Italiens fréquentaient le réseau français de la CECM...

LE PRESIDENT (M. Veilleux): M. Chagnon, si vous voulez m'excuser, on nous appelle pour voter. Si vous voulez attendre, nous allons revenir immédiatement après le vote, vous pourrez continuer.

M. CHAGNON: II me semble que c'est le gouvernement qui a demandé que la commission parlementaire siège en même temps que l'Assemblée nationale.

LE PRESIDENT (M. Veilleux): Si vous voulez me permettre de vous expliquer le mécanisme, lorsque les membres de l'Opposition, cinq membres, demandent le vote enregistré, tous les députés présents doivent s'y rendre, sinon, les déclarations sont faites dans les journaux et ça peut nuire aux membres de la commission. On va s'y rendre immédiatement; dans deux ou trois minutes, nous allons être de retour.

M. CLOUTIER: Voilà le leader du PQ, regardez.

(Suspension de la séance à 21 h 45)

Reprise de la séance à 21 h 52

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre messieurs! M. Chagnon, je vous invite à continuer votre présentation en vous faisant remarquer qu'il reste environ dix minutes.

M. CHAGNON (Robert): J'en étais à citer, M. le Président, certains chiffres publiés par la Commission des écoles catholiques de Montréal en ce qui concerne l'assimilation des immigrants au réseau d'écoles anglaises.

En 1949, 1,632 Italiens fréquentaient le réseau français de la Commission des écoles catholiques de Montréal, soit près de 100 p.c. En 1973, 1,647 Italiens, 15 de plus, fréquentent ce même réseau. En 1949, 1,730 Italiens fréquentaient le réseau anglais et en 1973, 19,800 fréquentent ce même réseau anglais.

Depuis 1960, le nombre d'Italiens dépasse le nombre d'anglophones dans les classes anglaises de la Commission des écoles catholiques de Montréal. En 1973, les italophones constituent 45.4 p.c. des effectifs du réseau anglais de la CECM, alors que les enfants de langue anglaise ne constituent que 26.1 p.c. des effectifs de ce réseau.

La situation, si elle n'était tragique, serait ridicule. On a demandé des efforts fiscaux énormes aux Québécois pour les doter d'un système d'enseignement qui anglicise les immigrants et contribue à transformer en minorité les Québécois francophones.

Une troisième constatation. L'Etat québécois, conscient de ce rôle anglicisant de l'école, a tablé jusqu'à maintenant sur des mesures incitatives. Ainsi les classes d'accueil, les maternelles à temps plein pour les immigrants et les centres d'orientation et de formation des immigrants, dans lesquels — je parle des COFI — le gouvernement fédéral a tout de même quelque mérite.

Encore, qu'on puisse s'interroger sur la volonté du gouvernement québécois de faire en sorte que ces mesures incitatives aient quelque chance de succès, puisqu'il ne fait pas grand-chose pour amener les enfants d'immigrants dans les classes d'accueil, laissant le gros de l'effort — le recrutement entre autres — aux commissions scolaires, telles la Commission des écoles catholiques de Montréal, puisqu'il laisse s'éterniser le conflit des Centres d'orientation et de formation des immigrants qui est maintenant dans son sixième mois de grève; puisqu'il ferme les maternelles à temps plein, lesquelles ont fonctionné l'an dernier à la CECM et dont le ministère avait suggéré l'ouverture.

Faut-il rappeler en particulier que l'alliance s'inquiète de l'article 117 du bill 22 qui met un terme à la seule obligation de francisation des immigrants.

Ici, M. le Président, je me permets de rappeler le texte de cet article du bill 63 qui constitue, encore une fois, la seule pièce de législation qui faisait obligation à un organisme public de franciser les immigrants. C'était un

paragraphe e) ajouté à l'article 3 de la Loi du ministère de l'Immigration qui faisait obligation au ministre de l'Immigration de prendre, de concert — je cite le texte — avec le ministre de l'Education, des dispositions nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au Québec acquièrent dès leur arrivée, ou même avant qu'elles quittent leur pays d'origine, la connaissance de la langue française et qu'elles fassent instruire leurs enfants dans des institutions d'enseignement où les cours sont donnés en langue française.

On ne peut pas dire que l'application de cet article, les dernières années, a donné des résultats merveilleux, sauf en ce qui concerne les adultes qui, eux, étaient dirigés vers les COFI, où on les obligeait à prendre d'abord des cours de français, et ensuite, de façon minoritaire, on leur permettait de prendre des cours d'anglais dans la mesure où ils faisaient la preuve qu'ils en avaient besoin pour leur travail.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le gouvernement québécois manque singulièrement de suite dans les idées ou qu'il a inventé un nouveau mode de gestion ayant pour modèle la polka, un petit sautillement à gauche et trois petits sautillements à droite. Selon cette dernière hypothèse, le gouvernement québécois se contenterait de se gargariser de grands principes qui déchaînent des passions féroces. Droits individuels et droits collectifs, loi pour favoriser l'enseignement du français sans brimer la langue anglaise, on peut se demander comment on peut favoriser l'une sans défavoriser l'autre, loi sur la langue officielle. Ces principes établis, effrayé de son audace, le gouvernement québécois s'empresse de ne rien faire, sinon éventuellement préparer un nouveau projet de loi, ce qui amuse les foules et rassure les élites.

L'un des nombreux paradoxes dans lesquels nous sommes habitués à vivre comme enseignants francophones est que, dans l'Etat du Québec, terre où la plus grande part de la population est francophone et dont les fonctionnaires parlent français, nous formons des francophones tout en sachant fort bien que nous les condamnons à devenir des citoyens de deuxième zone. Etre francophone au Québec, c'est être assuré de faibles revenus compensés par un fort endettement, revenus à peine plus élevés que ceux des immigrants italiens ou des Inuit.

Si l'homme ne vivait que de pain, nous devrions suggérer aux élèves francophones d'aller à l'école anglaise. C'est ça la réalité dans la Belle Province.

Le plus étonnant est que cette réalité est injuste et économiquement injustifiable. Cette réalité relève du mythe puisque, en fait seulement 5 p.c. à 7 p.c. des Québécois devraient avoir besoin de posséder la langue anglaise en plus du français pour gagner leur vie: tel serait le cas d'emplois qui commandent des relations quotidiennes avec 1'Alberta ou la Caroline du Sud. Mais, par une aberration bizarre, on croit que l'anglais est nécessaire donc il est nécessaire.

La minorisation des francophones au Québec est un fait facilement explicable. On comprendra qu'elle nous inquiète. Il y a, bien sûr, la dénatalité. Le Québec rural est devenu industriel en perdant ses berceaux. On peut le déplorer et tenter d'encourager une vraie revanche des berceaux à coup d'allocations familiales. La dénatalité québécoise est un phénomène qui correspond à un phénomène occidental de dénatalité dont l'analyse déborde le cadre du présent mémoire.

Le deuxième facteur, la minorisation des francophones, est dû à l'anglicisation des immigrants. Cet aspect revêt des allures de catastrophe à Montréal où se trouvent d'ailleurs les communautés anglophones ou allophones les plus prospères.

Les statistiques, reproduites en annexe, illustrent assez bien, par ailleurs, l'ampleur du phénomène.

Elles soulignent le caractère suicidaire de notre laisser-faire linguistique et, à ce titre, elles devraient nous inciter tous à considérer qu'il y a là un état d'urgence national.

Pour les enseignants de Montréal, ces statistiques remuent en plus un fer douloureux dans notre plaie. Nous voyons, d'une part, la prospérité des classes anglaises de Montréal, prospérité acquise grâce aux immigrants. Nous voyons, d'autre part, les classes françaises se vider et des enseignants francophones se retrouver chômeurs faute d'élèves et à cause du manque de planification du ministère de l'Education. On peut rappeler que les universités forment de pleins bataillons d'enseignants, alors que les commission scolaires de la région de Montréal doivent congédier du personnel.

Au moment où 300 enseignants ont été congédiés par la CECM le 1er mai dernier, nous sommes obligés de constater que, si les immigrants et les francophones de Montréal envoyaient leurs enfants dans les classes françaises, il y aurait, en 1973/74, 13,785 élèves de plus dans les classes secondaires françaises de la CECM et 18,437 de plus dans les classes élémentaires, ce qui donnerait au secteur français de la Commission des écoles catholiques de Montréal du travail pour 1,506 professeurs de plus alors qu'on en met à pied près de 300, je me permets de vous le rappeler.

A l'analyse des mêmes chiffres, on peut noter que si les francophones seulement qui sont dans les classes anglaises de la Commission des écoles catholiques de Montréal étaient rapatriés dans les classes françaises, ils augmenteraient celles-ci de 5,103 élèves, soit du travail pour 245 professeurs francophones.

Il ne peut qu'être évident, si on applique à une telle situation, les leçons de l'histoire, qu'un petit peuple comme le nôtre ne saurait survivre indéfiniment à une telle érosion. Par une ironie cruelle des choses, mais plus encore par l'incurie des gouvernants, les Québécois

paient présentement l'instrument de leur perte collective puisqu'ils ont regardé passivement leurs administrateurs scolaires tant du ministère de l'Education que des commissions scolaires participer à la mise en minorité des francophones. Il y a là, bien sûr, au plan national, un désastre de première grandeur, dont nous n'avons fait qu'effleurer les contours.

Mais l'Alliance des professeurs de Montréal, à titre d'organisme syndical, doit également souligner des considérations socio-économiques. L'Alliance ne saurait se satisfaire d'une approche désincarnée qui ne tiendrait pas compte en tout premier lieu du facteur humain. Il est opportun, en effet de rappeler qu'à travers toute la province les enseignants font présentement face à des problèmes de sécurité d'emploi, problèmes qui se traduisent par des congédiements.

Nos recommandations, M. le Président, compte tenu que le projet de loi 22 ne concède au français qu'un statut de langue officielle illusoire et fallacieux, compte tenu que le projet de loi 22 reconnaît explicitement des privilèges injustifiés aux anglophones du Québec, compte tenu que le projet de loi 22 laisse aux parents un libre choix individuel de la langue d'enseignement, compte tenu qu'il reconnaît aux immigrants le droit de grossir les rangs de la minorité anglophone au détriment de la majorité francophone, compte tenu que ce projet de loi confère au ministre de l'Education un pouvoir de réglementation qui nie les principes mêmes de la démocratie, face à une question de survie pour les Québécois francophones, nous demandons le retrait du projet de loi 22 dans sa forme actuelle et la rédaction d'un nouveau projet de loi qui proclame de façon définitive le français seule langue officielle au Québec, qui prévoit de façon restrictive les limites et les modalités de la reconnaissance de l'anglais dans le domaine de l'enseignement, du travail, du développement culturel, des organisations professionnelles et de l'administration publique.

Nous demandons également le dépôt simultané de la réglementation afférente à un tel projet de loi, et nous soulignons la nécessité que cette réglementation prévoie des sanctions inhérentes à toute action gouvernementale cocerciti-ve.

Nous demandons que tout projet de loi sur la langue maintienne l'obligation actuellement faite au ministère de l'Immigration de mettre en place et de développer des structures et des services propres à assurer la francisation des immigrants.

Nous demandons le rapatriement à l'école française de tout enfant dont la langue est autre que l'anglais et que des mesures soient prévues pour faciliter la réinsertion dans le milieu francophone des enfants touchés par un tel changement.

Nous demandons qu'à l'avenir tout nouvel immigrant soit dirigé vers l'école française, quelle que soit sa langue maternelle et enfin, nous demandons que la commission ne termine pas ses travaux avant de s'être déplacée dans les régions pour entendre la représentation d'individus ou de groupes qui ne peuvent pas se payer l'appareillage technique nécessaire à une comparution devant cette commission, ici à Québec.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: Je remercie l'Alliance des professeurs de Montréal pour la présentation de son mémoire. Mes commentaires seront relativement brefs étant donné que l'Alliance des professeurs de Montréal s'est réclamée déjà des prises de position de la CEQ et du Mouvement Québec français avec lesquels nous avons longuement discuté et que j'ai eu l'occasion d'interroger.

Cependant, je voudrais tout de même apporter des éclaircissements sur trois points et, ensuite, poser une question.

Le premier point concerne l'article 117. Je me suis déjà expliqué à ce sujet. Il s'agit d'une erreur technique qui sera corrigée. La loi 63 consistait en des amendements aux lois de trois ministères, le ministère de l'Education, le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Immigration.

Les juristes, lorsqu'ils ont eu à abroger la loi 63, sont allés chercher dans les trois lois les amendements pertinents et, ce faisant, ils se sont trouvés à abolir le paragraphe e) que l'on a lu. Cela n'a jamais été l'intention du gouvernement de le faire disparaître et, comme il y a en ce moment une loi qui est en préparation à propos du ministère de l'Immigration de deux choses l'une: ou cette loi sera prête et incorporera l'essence de cet alinéa e) ou si elle n'est pas prête, nous allons tout simplement, en commission élue, réintroduire le paragraphe e). Il n'y a donc vraiment aucun problème, mais je vous remercie de me donner l'occasion d'apporter cette précision.

En ce qui concerne le champ de la télévision, il va de soi que nous ne l'avons pas couvert pour une raison extrêmement simple. Il ne s'agit pas d'une juridiction provinciale et nous avons voulu aller le plus loin possible dans le cadre de nos pouvoirs.

Enfin, il y a cette question de la sécurité d'emploi. Personne plus qu'un ministre de l'Education, qui a la responsabilité d'un secteur, ne peut être conscient de ce problème. Il y a un problème réel. C'est un problème qui relève des négociations des conventions collectives.

Je suis moins sûr, cependant, que le problème doive être compris en termes de calculs qui sont présentés. Pour apporter une législation linguistique, il faut prendre la mesure des problèmes et tenter de les corriger.

Qu'il y ait des difficultés de sécurité d'emploi ici au Québec, c'est exact. Qu'il y ait des problèmes de congédiement, c'est exact. Je sais que l'Alliance des professeurs et la CEQ en

parleront lors de la prochaine négociation des conventions collectives, mais cela n'est probablement pas — et je ne vous demande pas d'en convenir — par le biais d'une législation linguistique que l'on peut régler un problème de cet ordre.

Ma question est la suivante —elle n'apportera peut-être pas de très longs commentaires. A la page 2 de votre mémoire, il y a une phrase que je cite intégralement: "Nous pensons qu'il n'est dans le projet de loi 22 qu'un seul article vraiment indispensable et c'est celui qui détermine quelle est la langue officielle et que compte tenu de la présence au Québec d'une minorité anglophone, les autres articles de la loi devraient définir les limites à l'intérieur desquelles l'anglais est retenue au Québec et ce, de façon limitative".

C'est exactement ce que le gouvernement fait par le projet de loi 22. D'ailleurs, il suffit d'aller le demander aux anglophones qui sentent bien que les règles d'usage qui gouvernent l'anglais sont des règles restrictives par rapport aux principes qui sont clairement établis en ce qui concerne le français.

Alors, par rapport à cette phrase, la position du gouvernement est exactement ce que nous faisons et j'aimerais que vous me disiez quels sont les éléments ou les points dans le projet de loi 22 qui semblent contredire ce principe que nous faisons nôtre.

M. CHAGNON (Robert): Je suis obligé de référer le ministre de l'Education au mémoire soumis par le Mouvement Québec français où on établit au moins à quatorze article le nombre de dispositions où le projet de loi 22 établit par législation, de façon législative, des droits pour la langue anglaise, alors que l'article 133 de la constitution canadienne limitait ces droits officiels à la langue de l'Assemblée nationale et â la langue des tribunaux.

M. CLOUTIER: M. le Président, est-ce que vous considérez qu'il y a dans le projet de loi 22 — et ce sera ma dernière question, c'est une question subsidiaire à celle que je viens de vous poser — une priorité donnée au français, compte tenu du fait que nous déterminons des règles d'usage pour l'anglais, étant donné la présence de notre minorité anglophone? Est-ce qu'il n'y a pas une priorité donnée au français dans le projet de loi 22?

M. CHAGNON (Robert): Vous avez dans le projet de loi 22 une priorité aussi théorique que celle que vous accordiez dans la loi 63. Je me demande ce qu'il y a de nouveau dans le projet de loi 22 qui n'existait pas auparavant dans les faits. Vous donnez en plus à la langue anglaise par législation, encore une fois, des droits qui n'existaient dans aucune loi, sauf dans le bill 63 quant à la langue d'enseignement. Je n'appelle pas cela donner la priorité au français. J'appelle cela faire reculer le français.

M. CLOUTIER: Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je veux également remercier le président de l'Alliance et ceux qui l'accompagnent, de s'être déplacés pour nous présenter ce mémoire. Vous avez vous-même fait référence au fait que l'Alliance est un syndicat affilié à la centrale de l'enseignement du Québec et d'autre part, vous avez été également solidaire de la position énoncée par le MQF, ce qui ne devait pas, je crois, vous empêcher de venir nous présenter ce mémoire ce soir, parce que j'ai surtout l'intention de poser des questions sur votre contribution particulière comme enseignants dans la ville de Montréal. Vous étiez présents, je pense à nos travaux cet après-midi, quand, vers la fin de la séance, nous établissions avec les professeurs de l'université Laval qui ont déposé un mémoire cet après-midi le fait que la situation linguistique d'une collectivité, dans la métropole au coeur de la ville, est en quelque sorte le baromètre à partir duquel, si le point de non-retour est franchi, quelle que soit la survivance française dans les Cantons de l'Est ou en Gaspésie, par exemple, surviendrait inoxérable-ment le déclin.

Vous apportez des chiffres, M. Chagnon, qui sont nouveaux, je crois, en particulier, ce calcul que vous faites quant aux emplois sauvés et d'autres littéralement créés qu'occasionnerait une politique linguistique qui limiterait le secteur anglophone de l'éducation uniquement à ceux qui sont de langue maternelle anglaise ou ceux qui sont déjà inscrits dans le système. Si, pour ceux qui sont déjà inscrits dans le système, on faisait cette projection et si l'action avait été posée auparavant, cela nous amènerait aux chiffres que vous nous avez donnés. Je voudrais vous demander si, au cours de vos discussions avec la Commission des écoles catholiques de Montréal, Mme Lavoie-Roux que nous entendrons demain à cette même table où vous êtes, devant les mises à pied d'enseignants à chaque année, à la fin de chaque année scolaire, invoque dans les raisons patronales de ce geste la politique linguistique du gouvernement.

M. CHAGNON (Robert): Timidement, comme à peu près tout ce qu'a fait la Commission des écoles catholiques de Montréal sous l'aile protectrice du ministère de l'Education. A chaque fois qu'on a eu des revendications à présenter à la commission, en termes de sécurité d'emploi, ou en termes de politique linguistique, la CECM nous a appris que l'emprise du ministère de l'Education est telle sur les commissions scolaires du Québec qu'elles sont privées de tout pouvoir efficace, qu'elles sont obligées par exemple, de fermer des écoles françaises dans des milieux où la présence francophone est seule, si bien que les écoles

anglaises attirent déjà géographiquement les enfants d'immigrants et même des enfants francophones dans leurs murs.

Il suffit pour cela de consulter ce rapport que la CECM a remis dernièrement au public qui s'appelle "Langue parlée" et où on retrouve dans certaines écoles des chiffres aussi aberrants que les suivants — je vais me contenter de vous citer ceux-ci — à l'école St. Aloysius, qui est dans la partie ouest de la CECM...

M. CHARRON: Est-ce que c'est dans la région B?

M. CHAGNON (Robert): C'est dans la région A, au niveau élémentaire. On retrouve à cette école 54.5 p.c. d'enfants qui ont comme langue maternelle le français alors qu'on en retrouve 25.5 p.c. dont la langue maternelle est l'anglais. Je pourrais vous énumérer tout une série d'écoles comme celles-là. Je vous réfère particulièrement au tableau A de notre mémoire...

M. CHARRON: Oui, c'est ce que j'ai là.

M. CHAGNON (Robert): ... où on établit que les parlant anglais sont minoritaires par rapport aux non-parlant anglais dans 43 écoles anglaises sur 77, où les francophones sont plus nombreux que les parlant anglais dans neuf écoles sur les 77.

M. CHARRON: Mais lorsque vous faites état de chiffres comme ceux que vous apportez ce soir, est-ce que vous les utilisez dans vos négociations avec la Commission des écoles catholiques de Montréal, par exemple, quant au passage de francophones au secteur anglophone tel que béni par la loi 63 et rebéni par la loi 22? Est-ce que vous invoquez ce transfert et avez-vous là-dessus l'appui de la CECM?

M. CHAGNON (Robert): Nous n'avons réussi à ce jour à nous gagner qu'un appui fort timide, encore une fois, de la Commission des écoles catholiques de Montréal sur ce plan, puisqu'elle nous réfère sans cesse au ministère de l'Education en ce qui concerne les négociations. Je trouve que le ministre de l'Education y va allègrement en nous disant: Ce n'est peut-être pas un problème qu'il faudrait régler par un projet de loi linguistique. Je voudrais qu'il vienne parler aux enseignants de Montréal, leur dire cela, le dire à des enseignants qui, quotidiennement, ont de la difficulté à motiver les enfants quant à l'enseignement d'un français...

M. CLOUTIER: II ne s'agit pas de cela.

M. CHAGNON (Robert): ... correct parce que même nos dirigeants nous disent quotidiennement qu'il faut savoir l'anglais...

M. CLOUTIER: Pardon, M. Chagnon, il ne s'agissait pas de cela.

M. CHAGNON (Robert): ... pour réussir dans la vie. Vous allez me laisser finir, M. le ministre?

M. CLOUTIER: Pardon, il ne s'agissait pas de cela. Il s'agissait du nombre de postes. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

M. CHAGNON (Robert): Je trouve que vous y allez allègrement encore une fois de venir dire cela à des enseignants qui ont des difficultés quotidiennes à motiver les enfants et des enseignants qui, en plus, perdent leur poste à la fin de l'année. L'effet combiné de votre décret et de votre politique linguistique se solde aujourd'hui par la perte de 1,500 emplois pour les enseignants francophones. Je fais là une intervention qu'on pourra qualifier d'intéressée, mais c'est quand même une réalité que les enseignants voulaient vous présenter comme membres de l'Assemblée nationale. C'est cela que, dans les écoles de Montréal, on ressent, quant à nous, du côté des enseignants et maintenant du côté des parents, puisque vous savez sans doute que le comité central des parents de la CECM a pris également position contre le libre choix de la langue d'enseignement même pour les enfants de langue maternelle française. Alors, c'est comme cela que l'on voit le problème, c'est comme cela qu'on subit les effets de législation ou d'absence de législation, en tout cas d'absence de politique de la langue au Québec.

M. CHARRON: Est-ce que l'alliance a accepté ou participé à des programmes qui auraient été mis en place par la CECM quant à l'enseignement de la langue seconde dans les écoles françaises? Je veux parler de l'anglais tel qu'enseigné dans les écoles françaises. Quel est le bilan de cette expérience dans le plan de développement des langues depuis avril 1973 que vous pouvez faire ce soir?

M. CHAGNON: Tout en étant convaincu que les enfants doivent recevoir un enseignement de qualité de la langue anglaise à l'école, il faut se reporter au contexte pour comprendre — je n'ai pas peur de l'affirmer — leur manque d'enthousiasme devant le programme de perfectionnement de l'enseignement de la langue anglaise dans les écoles françaises.

Il y a, d'une part, le fait qu'on souligne depuis plusieurs années, c'est-à-dire que les effets pédagogiques de l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire, dans un pays où la langue maternelle est menacée, sont tellement peu connus qu'il y a même des présomptions à l'encontre de cette pratique et que c'est sans enthousiasme, encore une fois, que les enseignants vont marcher dans un programme qui

prévoit qu'on va intensifier l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire. Notre position là-dessus, c'est que l'enseignement de l'anglais devrait se faire au secondaire, comme c'est le cas de langues secondes dans d'autres pays où on réussit quand même, au secondaire, à le montrer convenablement.

Le deuxième élément du contexte, c'est que le dit plan Cloutier a fait en sorte qu'on a consacré, depuis l'an dernier, des ressources fantastiques, toutes propositions gardées, au perfectionnement de l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises alors que, depuis quatre ans, on réclame des mesures analogues pour l'implantation véritable du nouveau programme de français à l'élémentaire et au secondaire. Je parle du fameux programme-cadre. Or, depuis quatre ans, les enseignants sont obligés, jour après jour, de fabriquer du matériel à même des stencils et des feuilles qu'on fournit à la pièce par l'école. On nous dit même, au mois de mars, qu'il ne reste plus de papier et, pourtant, il faut fabriquer nos instruments de travail.

Avec le plan Cloutier, on reçoit tout à coup une avalanche d'équipement pédagogique pour l'enseignement de l'anglais et, en plus de ça, on se paie le luxe d'envoyer des enseignants se recycler, à temps plein, dans les universités, alors que, depuis quatre ans, on demande des mesures analogues pour l'enseignement du français. Pour nous, le plan Cloutier, à ce point de vue, c'est une fumisterie. Cela n'était fait, à notre avis — à moins qu'on ait des preuves contraire d'ici peu de temps, parce que là, on désespère — que pour justifier des dépenses exorbitantes pour l'enseignement de l'anglais, sans connaître les effets pédagogiques de cet enseignement à l'élémentaire.

M. CHARRON: Je m'excuse, M. Chagnon, mais je dois m'en aller sur un autre champ de bataille. Le chef de l'Opposition pourra continuer à vous questionner. Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: M. le Président, mes questions seront plus que brèves. Malheureusement, je dois m'excuser si je n'ai pu assister à la présentation du mémoire. Justement, j'étais retenu en Chambre, j'ai eu deux interventions à faire et c'est assez difficile de se diviser. On est déjà assez peu nombreux comme ça, vous le comprendrez.

Cependant, je remarque, dans vos recommandations, au point 1, que vous demandez le retrait du bill 22 dans sa forme actuelle et vous suggérez qu'un nouveau projet de loi soit présenté. Est-ce que vous avez une suggestion à faire quant au calendrier, c'est-à-dire à la date où un nouveau projet de loi, suivant vos suggestions, devrait être présenté?

M. CHAGNON (Robert): Je suppose qu'avec la quantité de mémoires qui sont présentés devant cette commission, le gouvernement aurait suffisamment de suggestions pour rédiger rapidement un nouveau projet de loi. Evidemment, il est de coutume qu'on prenne beaucoup de temps pour rédiger ce genre de projet de loi, surtout quand c'est pour ne le présenter que dans les mois ou les jours qui précèdent les grandes vacances d'été.

Evidemment, dans cette hypothèse, cela prendrait bien une autre année pour en avoir un nouveau.

M. SAMSON: J'ai vu quelque part que vous demanderiez, advenant un nouveau projet de loi, le dépôt simultané de la règlementation. C'est donc dire que vous êtes inquiets, si je comprends bien, de la règlementation qui pourrait suivre le projet de loi, soit celui-ci ou un autre dans les mêmes conditions, de la même façon.

M. CHAGNON (Robert): C'est clair, si on cite par exemple le problème de la langue d'enseignement. Quand on laisse aux commissions scolaires et aux ministres le soin d'établir les conditions auxquelles un enfant va pouvoir aller à l'école anglaise en particulier parce que c'est notre principal problème en tant que francophones, on voudrait bien savoir de quel ordre sera cette règlementation. On s'inquiète, de plus, du fait que le gouvernement continue de subventionner, à grands frais, des institutions privées qui se feraient non seulement un devoir, mais un plaisir de faciliter le passage des enfants francophones à l'école anglaise en peu de temps.

M. SAMSON: Est-ce que vous avez aussi, comme la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal vient de le faire, à suggérer qu'on améliore l'enseignement du français?

M. CHAGNON (Robert): II est clair...

M. SAMSON: Je m'excuse, peut-être que vous l'avez dit dans la présentation de votre mémoire, mais malheureusement, je n'étais pas présent.

M. CHAGNON (Robert): On assiste, ces temps-ci, à une avalanche de témoignages autant de la part de parents que de la part d'enseignants qui disent que nos écoles ne sont vraiment pas équipées actuellement pour donner toute la qualité d'enseignement du français qu'on devrait donner. Je fais référence, entre autres, au fait qu'on ait lancé un beau nouveau programme, avec des beaux nouveaux objectifs sans donner aux enseignants les moyens de répondre aux exigences modernes de cet enseignement. Là-dessus, l'enseignement du français est déficient actuellement dans les écoles; les enseignants s'en rendent compte, mais encore une fois, ils réclament depuis quatre ans les moyens d'y remédier.

M. SAMSON: Est-ce que c'est déficient seulement par un manque de collaboration ou s'il n'y a pas aussi un autre genre de déficience? Est-ce que selon vous — je n'ai pas de statistiques là-dessus, je vous demande votre appréciation — tous les enseignants sont prêts à donner un meilleur enseignement français? Est-ce que c'est seulement de l'aide dont ils ont besoin ou s'ils ont besoin eux aussi d'être mieux préparés?

M. CHAGNON (Robert): C'est tellement vrai que les enseignants sont prêts à le faire qu'ils se tuent à créer eux-mêmes du matériel qu'on ne leur fournit pas depuis quatre ans, d'une part. D'autre part, il y a un certain nombre d'enseignants qui souhaiteraient avoir sur le terrain l'aide nécessaire en termes de complément de formation, parce qu'on leur a lancé au visage un nouveau programme. Vous avez des fonctionnaires à la tonne, et au ministère de l'Education et à la CECM, qui travaillent à définir ces objectifs dans des termes tels qu'un philosophe pourrait en jouir pendant des semaines, mais qui, pour les enseignants, veulent dire la plupart du temps une surcharge épouvantable en termes de recherche et en termes de confection de matériel.

M. SAMSON: A l'article 3, vous demandez que tout projet de loi sur la langue maintienne l'obligation actuellement faite au ministre de l'Immigration de mettre en place et de développer des structures et des services propres à assurer la francisation des immigrants. Est-ce que vous avez des suggestions à faire pour permettre que cela se fasse mieux que cela se fait actuellement? Quelles seraient vos suggestions de ce côté?

M. CHAGNON (Robert): Le moins qu'on puisse dire, d'une part, c'est qu'on s'étonne, qu'on s'inquiète même du fait que cette erreur administrative dont parlait le ministre de l'Education tout à l'heure ne soit pas corrigée immédiatement par le gouvernement.

M. CLOUTIER: Vous voulez dire l'article 117?

M. CHAGNON (Robert): Deuxièmement... M. CLOUTIER: L'article 117. M. CHAGNON (Robert): Oui.

M. CLOUTIER: Ecoutez, ce n'est pas une loi, c'est un projet de loi. Par conséquent ce qui est valable, c'est encore la loi 63 avec les amendements aux trois ministères. Il n'y a aucun problème. Cela, je suis obligé de vous le dire, c'est un projet de loi.

M. CHAGNON (Robert): Vous nous permettrez quand même de nous inquiéter, M. le ministre.

M. CLOUTIER: Je ne vous empêcherai pas de vous inquiéter.

M. CHAGNON (Robert): Deuxièmement, j'aurais peut-être quelques remarques à faire en ce qui concerne les classes d'accueil qui, même sous le régime de cette disposition que j'ai citée tout à l'heure, ont été vraiment négligées du côté francophone, en particulier à la Commission des écoles catholiques de Montréal. Alors qu'on a laissé depuis longtemps le PSBGM, le Protestant School Board of Greater Montréal, qui est théoriquement protestant, mais, comme vous le savez, pratiquement anglophone, occuper à peu près toute la place sur le plan des classes d'accueil, on n'a fourni à la CECM que des moyens de parents pauvres pour intégrer les enfants d'immigrants au secteur francophone.

M. SAMSON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'aimerais reprendre un peu dans la même veine que le député de Saint-Jacques et, tout à l'heure, le député de Rouyn-Noranda. Nous avons eu l'occasion de discuter avec l'Association des professeurs de français du Québec de l'amélioration de l'enseignement du français comme langue maternelle dans le secteur francophone. Est-ce que, dans votre esprit, en plus de cette amélioration de la matière qu'on appelle le français, qui est quand même restreinte à un certain nombre de périodes chaque semaine, cette amélioration, ces efforts d'amélioration devraient aller dans les autres matières, que ce soient les sciences, la chimie, la physique, les sciences naturelles? Qu'il y ait des efforts, est-ce que, dans votre esprit, cela devrait aller jusque-là, dans ces matières, non seulement de la part des enseignants, mais qu'on tienne compte, à un certain moment, du français écrit dans ces matières, quand l'examen ne se restreint pas à répondre à un vrai ou à un faux?

M. CHAGNON (Robert): Je ne sais pas si je comprends bien votre question. Vous suggérez que, comme mesure pour améliorer l'enseignement de la langue, on tienne compte un peu plus du français écrit dans d'autres matières?

M. VEILLEUX: Est-ce que, dans votre esprit, l'amélioration de la langue doit aller jusque-là? Quand arrive, par exemple, la période d'histoire ou de géographie, qu'on ne tienne aucun compte du français qui peut se parler, soit de la part des élèves dans ces cours, soit de la part du professeur, est-ce que cela doit aller jusque-là, cette recherche de l'amélioration de la langue?

Vous n'avez pas l'impression, M. Chagnon, qu'à certains moments, pour le professeur qui enseigne la matière, le français, dès que l'élève sort de la classe où s'enseigne le français, l'élève

a l'impression, lorsqu'il arrive dans les autres classes, que le français n'est pas nécessaire, qu'il n'est pas nécessaire de bien connaître le français pour assister ou participer aux autres leçons. Est-ce qu'un effort devrait être fait dans ces matières?

M. CHAGNON (Robert): C'est, je pense, avant tout, une question de motivation sur le plan social, et non pas uniquement sur le plan scolaire. On pense trop que l'école doit être un milieu fermé, et que dans la mesure où les enfants sont enfermés là, il suffit que l'enseignant dise quelque chose pour que l'enfant y aille de toute sa motivation. Ce n'est pas comme cela que cela se passe dans les écoles. Les écoles se ressentent plus que jamais des effets du climat social et le climat social, au Québec, face au problème linguistique, c'est un climat qui se pourrit actuellement. C'est un climat où on insiste bien plus sur la nécessité de parler l'anglais que sur la nécessité de parler français. Le jour où on sera capable, collectivement, de motiver les enfants et les adolescents à bien parler français, le problème ne se posera plus pour la géographie et les mathématiques. Sauf que là vous faites reposer tout le poids de l'effort, encore une fois, sur l'enseignant qui est en classe. Je veux dire: Allez lui dire cela actuellement que c'est ce que vous voulez, qu'il porte tout ce poids.

M. VEILLEUX: Je pense, M. Chagnon, que je me suis mal exprimé ou qu'on s'est mal compris. Je veux dire, quant à l'effort de l'enseignement du français. Est-ce que, dans votre esprit, cela doit exclusivement, compte tenu des facteurs sociaux que vous avez mentionnés qui peuvent entourer l'école, cet effort doit être concentré uniquement lorsque le professeur enseigne la matière qu'on appelle le français, ou si tous les professeurs de l'école qui enseignent dans la langue parlée qu'on appelle le français, doivent, eux aussi, faire un effort? La commission scolaire ou les enseignants, les directions d'écoles, le ministère de l'Education s'il le faut, doivent-ils faire des efforts pour améliorer aussi, dans ces matières, l'enseignement qu'on appelle le français?

M. CHAGNON: Tous les vieux manuels de pédagogie reconnaissent ce principe.

M. VEILLEUX: Bon! Maintenant vous avez mentionné des statistiques tout à l'heure —je pense que c'est surtout à Montréal qu'on remarque le problème du passage de francophones dans le secteur anglophone — j'aimerais, de votre part, de la part de l'Alliance, connaître les raisons qui peuvent amener, à un certain moment, un parent francophone à choisir, pour son enfant, le secteur anglophone.

M. CHAGNON (Robert): Votre évaluation de ces motivations est probablement aussi bonne que la mienne, sinon que nous sentons quotidiennement la pression qui s'exerce sur les parents devant, encore une fois, ce mythe qu'il est nécessaire de bien connaître l'anglais et de l'apprendre dès l'élémentaire pour bien faire sa vie. Cela, c'est une réalité sociale quotidienne dans la région de Montréal. Or, cette conviction actuellement, même le gouvernement québécois l'entretient. Il faudrait aller plus loin et se demander pourquoi certaines de nos élites ont intérêt à entretenir cette illusion, parce que cela n'est pas vrai.

M. VEILLEUX: D'après vous, le principal motif qui fait qu'un choix comme celui-là est fait par des parents francophones est ce mythe qu'on semble entretenir de l'obligation de savoir l'anglais pour travailler.

M. CHAGNON (Robert): Je pourrais compléter, si vous permettez, en vous parlant à nouveau d'un phénomène qui est marginal, bien sûr, mais qui revêt une importance très grande dans certains milieux, c'est précisément l'absence d'école francophone dans certains milieux maintenant que la CECM commence à être obligée d'en fermer. Et le facteur géographique lui-même commence à jouer à ce niveau et c'est un facteur qu'il ne faut pas minimiser si on veut regarder un peu vers l'avenir.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, on se retrouve dans la ville de Montréal, dans des quartiers, où il n'y a plus d'école francophone. C'est cela?

M. CHAGNON (Robert): Oui et où on retrouve, maintenant, une majorité de citoyens anglophones parce que justement il y a une majorité d'immigrants dans ces quartiers qui ont envoyé leurs enfants dans les écoles anglaises.

M. VEILLEUX: Je termine, M. le Président, en posant une dernière question à M. Chagnon et qui a trait à une des recommandations que vous faites à la fin, celle de l'établissement d'un seul réseau d'enseignement francophone au Québec dans lequel on doit voir à rapatrier à l'école française, notamment, tout enfant dont la langue est autre que l'anglais et nécessairement les francophones qui ont passé depuis un certain temps ou qui s'apprêtent à passer au secteur anglophone. Est-ce que vous verriez cet établissement d'un réseau unique francophone — et ce rapatriement par le fait même — échelonné sur une certaine période de temps ou cela doit-il se faire d'une façon, pour moi assez cassante, à savoir qu'à partir de telle date, par exemple, au 1er septembre 1975 ou au 1er septembre 1976, cela doit être ça ou si, dans votre esprit, cela doit s'échelonner sur un certain temps?

M. CHAGNON (Robert): Institutionnelle-

ment parlant, cela devrait se faire du jour au lendemain, c'est-à-dire pour autant que les structures sont concernées. Cela fait longtemps qu'on demande ça. On a eu l'occasion de le demander dans notre mémoire sur le projet de loi 62, sur le projet de loi 28 et ce qu'on a exprimé publiquement sur le projet de loi 71 et on va continuer de réclamer qu'il n'y ait qu'un seul réseau d'enseignement au Québec, un réseau qui sera contrôlé par la majorité francophone.

Pédagogiquement parlant, il est évident que ces mesures doivent s'étendre sur un certain nombre de jours, de mois, d'années. Tout dépend de l'endroit où l'enfant en est rendu dans ses études. Et là-dessus, cela n'est pas nous qui allons lésiner.

M. VEILLEUX: Est-ce que, dans un tel réseau, l'enseignement de la langue seconde doit être pour tous l'anglais ou si plusieurs langues secondes pourraient être enseignées au choix de l'étudiant ou des parents de l'étudiant?

M. CHAGNON (Robert): II y a déjà d'autres langues secondes que l'anglais qui sont offertes aux étudiants du secondaire dans plusieurs polyvalentes à Montréal.

C'est quelque chose d'absolument normal et quand je me référais tout à l'heure à des expériences d'autres pays, on peut citer des expériences américaines où des étudiants du secondaire, et uniquement à compter de la première année du secondaire, réussissent en quatre ou cinq ans à apprendre très convenablement deux langues secondes, sauf que leur langue maternelle, ils la possèdent quand ils abordent des langues secondes.

M. VEILLEUX: Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition. Il reste environ deux minutes.

M. MORIN: M. le Président, j'aimerais demander à nos invités quelques détails complémentaires sur les affirmations qu'ils font dans leur mémoire au sujet des pertes de postes d'enseignants. A la page 10 de votre mémoire, vous indiquez que, pour ce qui est du secteur anglophone des écoles catholiques de Montréal, si les élèves qui sont fils ou filles d'immigrants étaient rapatriés au secteur francophone, aux niveaux élémentaire et secondaire, cela représenterait 1,500 postes de professeurs francophones de plus et que si les francophones étaient rapatriés à leur tour, cela représenterait 245 professeurs ou postes de plus, soit en tout 1,745 postes. Si j'ai bien compris, ce tableau ne tient pas compte des francophones qui sont inscrits dans le secteur protestant. Est-ce que vous pourriez nous dire combien cela représenterait de postes si les francophones qui se trouvent dans le réseau protestant étaient eux aussi rapatriés vers des écoles francophones?

M. CHAGNON (Robert): D'abord je dois vous dire que les 245 professeurs dont nous parlons au dernier paragraphe, c'est un chiffre qui est déjà inclus dans les 1,506 du paragraphe précédent. Quant aux statistiques du réseau protestant, vous savez sans doute qu'on est fort avare de ce côté de statistiques concernant la langue d'enseignement. Or, il nous est malheureusement impossible de donner des chiffres sans nous tromper. Je pense qu'il faudrait bien, à un moment donné, que le PSBJM fasse la même chose que la CECM et publie ses chiffres. Encore une fois, on aurait de la difficulté actuellement à faire une approximation au millier près.

M. MORIN: Bien. Votre réponse...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Une autre question.

M. MORIN: ... est-elle la même pour ce qui est des écoles anglophones du reste du Québec?

M. CHAGNON (Robert): Quant au réseau protestant?

M. MORIN: Oui, ou quant au réseau anglophone catholique dans le reste du Québec? Puisque vos chiffres nous indiquent qu'à Montréal...

M. CHAGNON (Robert): Oui, nos collègues nous disent qu'ils ont une certaine difficulté à obtenir des statistiques là-dessus, même dans les autres commissions scolaires catholiques du Québec, quoique la Fédération ait publié lors de son dernier congrès des chiffres quand même assez significatifs sur ce plan. Au moins quant au phénomène de transfert des écoles françaises aux écoles anglaises.

M. MORIN: Vous n'êtes pas en mesure de nous dire combien de postes de professeurs cela peut représenter?

M. CHAGNON (Robert): Malheureusement pas.

M. MORIN: En ce qui concerne la CECM en particulier, que prévoyez-vous pour l'avenir? Vous nous avez donné des chiffres fondés sur le rapatriement, cette année, des étudiants. Est-ce que vous avez pu vous pencher sur les perspectives d'avenir, à supposer que la situation actuelle se perpétue, soit sous l'empire du bill 63 soit sous l'empire du bill 22? Est-ce que la CECM, dans ses négociations avec votre syndicat, a évoqué des projections de ce genre?

M. CHAGNON (Robert): La CECM a publié la semaine dernière des chiffres assez éloquents sur le phénomène de la dénatalité qui montrent que, de 230,000 élèves en 1971, on sera passé à un peu plus de 100,000, à peine, en 1976. Ce

phénomène de dénatalité qui est normalement compensé par un phénomène d'immigration... Je n'ai pas besoin de vous dire à quel avenir cela nous mène si on laisse les immigrants qui viendront remplacer en partie — parce qu'il y a un phénomène d'urbanisation aussi — les Québécois manquants. Je n'ai pas besoin de vous dire que, dans un avenir prochain, pour la région de Montréal, c'est un phénomène de minorisation accélérée pour les francophones. Evidemment, en ce qui concerne les enseignants, c'est la perspective d'un marasme quant à leur sécurité d'emploi.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, merci, messieurs, mesdames, merci au nom de la commission.

M. MORIN: M. le Président, avant que nous ajournions nos travaux, j'aurais une requête à vous adresser en vertu de l'article 3 de nos règles de pratique. Selon cet article, après l'expiration de la date où les mémoires doivent être présentés, le secrétaire des commissions en dresse la liste, qu'il fait parvenir à chaque membre, accompagnée des mémoires et des résumés. El nous conviendrait, à ce stade de nos travaux d'obtenir un exemplaire, de tous les mémoires et de tous les résumés. Grâce à la bienveillance du ministre, nous avons déjà obtenu la liste; maintenant nous aimerions pouvoir prendre connaissance des mémoires, de l'importance qu'ils offrent, afin de pouvoir évaluer le chemin qu'il nous reste à parcourir au sein de cette commission.

M. CLOUTIER: M. le Président, oui, tout à fait d'accord. D'ailleurs, le secrétaire des commissions m'avait dit qu'il avait commencé à faire toutes les photocopies. Il y a plus d'une centaine de mémoires, cela prend un certain temps, mais je vais m'assurer qu'on puisse au moins distribuer les mémoires disponibles jusqu'ici.

M. MORIN: M. le ministre, est-ce que cela pourrait être fait dans le courant de la matinée, demain matin?

M. CLOUTIER: Je vais vérifier immédiatement auprès du secrétaire. Le secrétaire m'informe qu'il peut en faire parvenir une cinquantaine presque incessamment et il me rappelle que, d'ailleurs, il a réussi à répondre aux besoins de la commission régulièrement, deux ou trois jours à l'avance, depuis le début.

M. MORIN: De ce point de vue, je n'ai que des félicitations à adresser au secrétariat des commissions. Mais le point que je soulève intéresse l'avenir de nos travaux.

M. CLOUTIER: Oui, bien sûr. Il me parle d'une cinquantaine, ce qui me parait couvrir une partie très importante, sinon la totalité des mémoires qui restent.

M. MORIN: Le principe que je voudrais faire reconnaître, c'est que tous les mémoires nous soient communiqués, si possible.

M. CLOUTIER: Je suis entièrement d'accord sur ce principe.

M. MORIN: Pourrions-nous compter les avoir tous pour jeudi ou vendredi, de façon que nous puissions, au cours de la prochaine fin de semaine, les parcourir et être en mesure d'évaluer le travail qui nous attend?

M. CLOUTIER: Je constate que vous aurez une fin de semaine studieuse et je vais m'y employer.

M. MORIN: Toutes nos fins de semaine ont été studieuses jusqu'ici, M. le ministre.

M. CLOUTIER: Oui et ce ne sont pas les dernières.

M. MORIN: Nous ne pouvons malheureusement pas, comme vous, aller à la pêche.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Avant que la commission n'ajourne ses travaux, j'aimerais aviser les membres des organismes qui feront des présentations demain, soit la Commission scolaire Lake Shore, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, la Commission des écoles catholiques de Montréal, The Protestant School Board of Greater Montreal, la Federation des associations de parents de l'enseignement privé et The Presbyterian Church in Canada. La commission ajourne ses travaux à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 22 h 49)

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