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Version finale

31st Legislature, 6th Session
(November 5, 1980 au March 12, 1981)

Tuesday, December 9, 1980 - Vol. 23 N° 5

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution canadienne


Journal des débats

 

(Douze heures quatorze minutes)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît;

Nous allons permettre les photos encore quelques instants. Vous savez que c'est la tradition, durant les commissions parlementaires, de permettre les photos au début et de les permettre, ensuite, quand nous invitons de nouvelles personnes à venir s'asseoir à la table. Je demanderais, à tout le moins, que les lumières ne s'allument pas et qu'on ne fasse pas de prises de vues pendant les interventions.

M. Paquette: Mme la Présidente. La Présidente (Mme Cuerrier): Oui.

M. Paquette: Est-ce qu'on a l'accord du Parti libéral pour la prise de photos?

La Présidente (Mme Cuerrier): II est de tradition, M. le député.

M. Morin (Louis-Hébert): ...

La Présidente (Mme Cuerrier): ...que, durant une commission parlementaire, on ne prenne pas de photos pendant les interventions, mais au moment des déplacements seulement.

M. Ryan: On n'a pas besoin de cela pour gagner, nous autres.

M. Le Moignan: Mme la Présidente.

M. Ryan: On n'a pas besoin de photographes pour gagner.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît;

M. Le Moignan: Mme la Présidente, question de règlement préliminaire.

M. Forget: C'est assez évident que le ministre des Affaires intergouvernementales se trouve beau.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je vais tout de même ouvrir la commission, à moins que vous n'ayez une question avant.

M. Le Moignan: Non, c'est une question d'ordre général.

La Présidente (Mme Cuerrier): Oui.

M. Le Moignan: Je voudrais savoir si les membres de la commission sont consentants pour que les journalistes puissent prendre des enregistrements sonores pendant nos délibérations.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je tiens toujours en réserve la décision du président de l'Assemblée pour dire aux gens et aux membres de la commission que les journalistes ont toujours le loisir de prendre les débats à l'aide de leur "perroquet", dans leur bureau. Ici, ils peuvent aussi prendre les débats de l'assemblée. Je vais vous lire la décision du 9 mai 1979 qui s'adressait à un journaliste de la tribune de la presse, M. Louis Falardeau. "Le comité consultatif sur la diffusion des débats s'est réuni mercredi, le 11 avril - c'est daté de mai 1979 - pour discuter du problème soulevé par votre lettre du 6 avril dernier concernant la diffusion du son des commissions parlementaires. À cette réunion, il fut convenu que le son des commissions parlementaires dans les salles 81-A, 91-A, 101-B et le salon rouge serait maintenant libéré, que les journalistes pourront donc suivre, sur leur "perroquet", tous les media ne transmettant ni en direct ni en différé le son de ces commissions. Seul le son en provenance du salon bleu peut être utilisé, radiodiffusé ou télévisé. À la suite de cette décision, j'apprécierais donc que cette directive soit scrupuleusement respectée. Veuillez accepter, M. Falardeau, mes salutations distinguées." C'est signé du président de l'Assemblée nationale.

M. Le Moignan: Si je comprends bien, même s'ils le prennent sur le "perroquet", ils n'ont pas le droit de le diffuser au public après.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est cela, vous avez raison. Ils peuvent l'utiliser, mais pas le diffuser.

La commission de la présidence du conseil se réunit aujourd'hui pour entendre les représentations de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution du Canada.

Il y a une entente à savoir que M. de Bellefeuille, le député de Deux-Montagnes remplacerait M. Bertrand, de Vanier, comme membre de la commission et que M. Bertrand agirait comme intervenant. Les membres de la commission de la présidence du conseil pour aujourd'hui sont: M. Charbonneau, (Verchères), M. Dussault (Châteauguay), M. Laberge (Jeanne-Mance) est remplacé par M. Charron (Saint-Jacques); M. Le Moignan (Gaspé), M. Levesque (Bonaventure), M. Morin (Louis-Hébert), M. Paquette (Rosemont), M. Ryan (Argenteuil).

Les intervenants sont M. Biron (Lotbinière), comme je le disais tantôt M. Bertrand (Vanier), M. Laberge (Jeanne-Mance) remplace M. Fallu (Terrebonne); M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Forget (Saint-Laurent), M. Guay (Taschereau), Mme LeBlanc-Bantey (Iles-de-la-Madeleine) et M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce). Est-ce que vous allez me proposer un rapporteur pour cette commission?

M. Ryan: Madame...

La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: ... sur la composition de la commission, je voudrais vous informer que M.

Jean-Claude Rivest remplace aujourd'hui M. Gérard D. Levesque.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est déjà fait, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Cet après-midi, M. le député de D'Arcy McG.ee remplacera M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

La Présidente (Mme Cuerrier): D'accord.

M. Dussault: Comme rapporteur, je proposerais le député de Rosemont, M. Paquette.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Paquette, député de Rosemont, sera le rapporteur de cette commission. Maintenant, j'aimerais donner la parole...

M. Ryan: Dernière précision, Mme la Présidente. La députée de Prévost remplacera le député de Saint-Laurent pour la séance de cet après-midi aussi.

La Présidente (Mme Cuerrier): La députée de Prévost remplacera M. le député de Saint-Laurent cet après-midi. J'ai l'intention de donner la parole à un représentant de chacun des partis politiques, évidemment, comme nous le faisons habituellement au début d'une commission. On m'a dit que M. le ministre des Affaires intergouvernementales avait une communication à faire à cette commission, ce qui pourrait donner lieu à une ou deux brèves questions. Nous aurons probablement terminé nos travaux pour ce matin pour les reprendre cet après-midi.

M. le premier ministre.

Remarques préliminaires M. René Lévesque

M. Lévesque (Taillon): Mme la Présidente, je vais être très bref. On avait été un peu surpris, au mois d'août, que je ne sois pas a la commission parlementaire qui se préoccupait de ces questions-là. Il arrive que des contraintes m'empêchent de participer parfois, mais j'essaie de suivre le mieux possible. Pour des raisons que tout le monde comprendra, je ne pourrai pas participer aux travaux demain non plus parce que je vais être en instance de départ, bien accompagné, comme l'a souligné M. le député de Jean-Talon ce matin. Mais je tenais quand même absolument à participer à l'ouverture de cette commission parce que je crois qu'elle a une importance stratégique que personne ne pourra exagérer.

La tribune que l'Assemblée nationale inaugure aujourd'hui, évidemment, est ouverte d'abord aux parlementaires puisque ce sont eux qui l'ont constituée, mais je dirais qu'elle est ouverte aussi et surtout, peut-être, aux groupes et aux citoyens, partout au Québec, qui veulent participer parce qu'on est à un moment particulièrement grave, lourd de conséquences pour le Québec au point de vue constitutionnel, au point de vue politique au sens le plus élevé du mot. C'est probablement le moment le plus grave, à certains points de vue, qu'on ait jamais vu sous le régime actuel depuis 113 ans. Là-dessus, au-delà des problèmes qu'on peut avoir lorsqu'il s'agit de s'exprimer unanimement dans cette enceinte et sur lesquels je ne reviendrai pas ce matin, je crois pouvoir dire - je l'ai entendu encore évoquer par le chef de l'Opposition officielle tout à l'heure à propos d'une loi de référence à la Cour suprême - que tous ici, tous ceux et toutes celles qui représentent des partis reconnus à l'Assemblée nationale, sont quand même d'accord pour s'opposer, le plus vigoureusement possible, le plus efficacement possible aussi, il faut l'espérer, à un projet qui n'est pas un projet de rapatriement comme on le présente, mais un projet de chambardement constitutionnel qui est unilatéral, qui prétend passer par-dessus la tête des tribunaux, par-dessus la tête aussi d'une majorité des provinces et, éventuellement, aller se faire compléter par un Parlement étranger.

Je crois que nous savons tous que le projet du premier ministre fédéral, à mesure qu'on en discernait mieux les tenants et les aboutissants, a créé un malaise de plus, en plus profond, cela c'est vrai partout au Canada - on le voit de plus en plus clairement - singulièrement et de plus en plus au Québec parce que je crois que le Québec a le droit de se sentir plus dangereusement visé, à certains points de vue, que quiconque par ce projet fédéral. Or, il arrive que l'autre tribune parlementaire, qui est présumément ouverte aux citoyens et aux groupes qui les représentent, qui est celle du comité mixte de la Chambre et du Sénat à Ottawa, ne s'est pas montrée particulièrement accueillante, c'est le moins qu'on puisse dire, aux groupes et aux citoyens du Québec, sauf - il faut espérer que c'est une pure coïncidence, mais c'est un fait - pour ceux qui endossent d'emblée le coup de force fédéral et qui, même dans certains cas, voudraient en avoir davantage.

En pareille circonstance, la tenue de notre commission québécoise, ici, devenait encore plus indiquée; on peut même dire que cela devenait un impératif véritable. Elle va donc s'ouvrir aujourd'hui par une mise en situation - c'est ce que Mme la Présidente évoquait tout à l'heure -d'abord, afin qu'on ait la perspective, le plus clairement possible, le plus complètement possible, en répondant aux questions ou aux demandes d'informations que l'Opposition ou les oppositions pourraient exiger de façon qu'on se situe vraiment dans la perspective de ce qui se passe, pour commencer. Autrement dit, qu'on voie bien ce qui est arrivé jusqu'ici, ce que nous avons fait, nous, comme gouvernement, avec la responsabilité qui nous incombe jusqu'à présent, ce qui va être fait dans les jours ou les semaines qui viennent, autant qu'on puisse le voir clairement. Celui qui ouvrira cette mise en situation, je pense que c'est normal, c'est celui de mes collègues qui s'est dépensé - on peut même dire qu'il s'est épuisé à l'occasion - depuis la fin de mai, à peu près sans arrêt sur ce dossier et sur l'évolution de plus en plus inquiétante des positions fédérales, c'est-à-dire le

ministre des Affaires intergouvemementales.

Moi, j'aimerais mieux m'en tenir à ces brefs propos d'ouverture. Je crois que le coeur de la question sera évoqué tout à l'heure avec ceux qui l'entourent et aussi, au besoin, ceux qui travaillent dans les équipes qu'on a constituées par l'entremise du ministre des Affaires intergouvernementales.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Mme la Présidente, il nous fait plaisir, du côté de l'Opposition officielle, de participer à cette démarche qu'on propose à la commission parlementaire de la présidence du conseil. Je pense que le sujet en vaut la peine. Même si nous nous exposons, dans la partie initiale du travail de la commission, à certaines redites inévitables, je pense qu'il vaut la peine de pousser la démarche plus loin afin que nous ayons l'assurance que tout aura vraiment été fait afin que les intérêts du Québec soient défendus avec le plus de force possible.

Avant que je n'aborde des questions reliées de manière plus immédiate aux objectifs du travail de cette commission, je voudrais rappeler bien clairement la position du Parti libéral du Québec et de l'Opposition officielle sur le projet de résolution fédérale.

J'ai entendu toutes sortes de propos déformés à ce sujet au cours des dernières semaines, autant à l'Assemblée nationale qu'à l'extérieur. Je pense qu'il est bien important que la position de mon parti soit établie clairement. Je vais essayer de le faire sans partisanerie inutile, mais c'est toujours plus difficile de respecter intégralement cette règle, même quand on nous y invite, quand on se souvient que, la veille ou le lendemain, les propos partisans reprennent de plus belle et finalement on ne sait pas laquelle des deux théories ou laquelle des deux interprétations a cours dans l'esprit des citoyens.

En ce qui touche mon parti, dès le début, dès le lendemain du soir où le premier ministre du Canada a exposé son projet de modification constitutionnelle, nous avons fait connaître très clairement nos positions. Elles n'ont pas changé en cours de route sur le fond du problème mais je pense pouvoir les résumer dans trois propositions très simples que je rappelais l'autre jour à l'occasion d'un discours que j'ai fait devant le National Press Club, à Ottawa, et que je formulerai ainsi. D'abord, pour nous, nous avons au Canada un système fédéral de gouvernement sous lequel chaque ordre de gouvernement est soumis à une constitution qui lie également les uns et les autres et dont la propriété n'appartient en exclusivité à aucun des deux ordres de gouvernement.

Deuxièmement, en vertu de cette constitution, chaque ordre de gouvernement se voit conférer des responsabilités définies et jouit également de pouvoirs précis pour s'acquitter de ses devoirs. À l'intérieur de ses pouvoirs propres, chaque ordre de gouvernement est souverain, c'est-à-dire qu'il possède la plénitude de l'autorité politique. Et, enfin, aucun changement substantiel ne peut être apporté à la loi fondamentale du pays sans l'accord des deux ordres de gouvernement. Dans les questions qui relèvent pour ainsi dire de sa constitution interne, chaque ordre de gouvernement peut de sa propre initiative apporter des changements au texte constitutionnel, mais quand il s'agit par contre de changements susceptibles d'affecter l'équilibre des rapports fédéraux-provinciaux, ces changements ne sauraient intervenir sans l'accord des deux ordres de gouvernement à ce sujet.

Le projet fédéral qui est présentement à l'étude au Parlement fédéral introduit des amendements substantiels dans l'ordre constitutionnel existant. Par exemple, en matière d'amendements, le projet fédéral va beaucoup plus loin dans le sens de l'affirmation d'une prépondérance fédérale que tout ce que nous avons connu jusqu'à maintenant. Je me passe de détails pour le moment, mais il me semble que ceci est très clairement perçu par un nombre croissant de citoyens.

Deuxièmement, en matière de droits fondamentaux et de droits linguistiques, le projet fédéral, s'il devait être adopté dans sa forme actuelle, impliquerait logiquement et fatalement une réduction des pouvoirs législatifs détenus jusqu'à maintenant par les provinces. Vous savez que mon parti souscrit au principe d'une charte des droits. Contrairement au parti ministériel nous croyons que ce serait un progrès pour la démocratie canadienne, mais nous soutenons en même temps que l'inclusion d'une telle charte dans la constitution du pays devrait faire suite à un accord intervenu entre les deux ordres de gouvernement à ce sujet.

Il nous apparaît que c'est un objectif hautement désirable, mais pas au point qu'on devrait renverser la règle fondamentale de l'accord nécessaire des deux ordres de gouvernement pour l'adoption d'une telle modification constitutionnelle. (12 h 30)

Enfin, le projet fédéral introduit une autre dimension inédite. C'est celle du recours à l'intervention du Parlement britannique pour l'insertion dans la constitution canadienne de modifications qui n'auraient pas fait l'objet d'un accord préalable des provinces.

Il appartiendra aux tribunaux, dans les démarches qui sont maintenant instituées ou qui le seront prochainement, d'aller au fond des prétentions de chaque ordre de gouvernement à ce sujet. Mais, a priori, dans l'état actuel de nos connaissances, nous soutenons que des changements susceptibles de diminuer en particulier les pouvoirs des provinces ne doivent pas être apportés et surtout ne doivent pas être soumis à l'approbation du Parlement britannique sans qu'il y ait tout d'abord au Canada un accord entre les deux ordres de gouvernement intéressés.

Vous savez que, pour ce qui touche le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement, j'ai déjà rappelé à la Chambre que notre parti souhaiterait une attitude plus souple de la part des gouvernements concernés, y compris évidemment celui du Québec. Nous avons suivi les uns et les autres depuis nombre d'années une ligne de conduite extrêmement rigide en ces matières. Il me semble que voici un aspect sur lequel il faudrait chercher honnêtement une ligne de compromis qui pourrait faire avancer des choses. Quand le premier ministre du Canada -

c'est impossible qu'une personne ou un côté ait tort complètement dans une affaire; il y a toujours des points sur lesquels un côté, même celui auquel on s'oppose, peut avoir raison - nous dit que nous devons entrer plus résolument dans une dynamique de chanqement, je pense qu'il exprime une conviction qui répond à un état d'esprit très largement répandu et à un besoin objectif également de ce pays qu'on appelle le Canada. Il me semble que cela implique une responsabilité de la part des autres détenteurs de pouvoirs au Canada, celle de faire leur part pour qu'on essaie de répondre à ce besoin objectif du pays et qu'on ne cherche pas uniquement refuge dans des lignes de repli d'une nature extrêmement négative.

Ceci étant dit, je pense qu'au fond du1 problème il y a deux conceptions du bien national ou du bien commun. Je n'aime pas trop le mot "national" quand on en abuse au niveau du Québec. Je ne l'aime pas davantaqe quand on en abuse au niveau du gouvernement fédéral non plus. Il me semble que, dans un régime fédéral, surtout dans un type de société diversifiée comme celle où nous vivons, que cela fasse l'affaire des uns ou que cela ne fasse pas leur affaire, c'est un mot dont on doit user avec beaucoup de prudence et de discernement. Je trouve que... À quelle heure dois-je terminer? J'ai commencé à 12 h 20.

Une voix: Oui, c'est cela.

M. Ryan: Je trouve qu'on doit en user avec beaucoup de modération et de respect. I! me semble qu'il y a des conceptions fondamentalement différentes, voire opposées, pour ce qui touche la responsabilité du bien commun de tout le Canada. Le gouvernement fédéral soutient que c'est sa responsabilité propre à lui et qu'aux provinces incombent les affaires de caractère local. M. Trudeau le disait récemment dans un discours qu'il a fait à Toronto: Les affaires locales aux Parlements locaux; les affaires nationales au Parlement national. C'est une formule qui pouvait valoir au début de la fédération canadienne, en 1867, quand nous avons commencé, mais, depuis ce temps-là, les choses se sont développées d'une manière que personne ne pouvait prévoir. Les provinces sont devenues dans les domaines de leur compétence de véritables États. Les plus grandes d'entre elles en particulier, au moins quatre ou cinq, ont le pouvoir objectif, les ressources humaines, physiques, financières même qui pourraient leur permettre de tenir très bien leur place dans la famille des États souverains, si nous trouvions ensemble que c'était la meilleure façon pour chacune de déterminer son avenir. Dire par conséquent que le bien commun du pays, c'est l'affaire du fédéral, tandis que c'est seulement le bien particulier des provinces ou des collectivités locales qui est la responsabilité des provinces, je pense que c'est percevoir la réalité d'une manière hautement discutable.

Les affaires d'éducation, par exemple, sont la responsabilité des provinces. Personne ne dira que les affaires d'éducation ne concernent pas directement le bien commun de tout le pays. C'est une dimension du bien commun du pays qui est conférée à la responsabilité des provinces. D'autres dimensions nombreuses et très importantes sont confiées à la gestion du gouvernement fédéral, mais, tant que nous n'accepterons pas cette loi de complémentarité organique et essentielle entre les deux ordres de gouvernement et que nous serons enclins à penser qu'il y a un ordre qui est supérieur à l'autre, je pense qu'il sera très très difficile de trouver des solutions harmonieuses aux problèmes actuels. Dans notre document constitutionnel, nous soutenons, nous du Parti libéral, le principe de l'égalité des deux ordres de gouvernement, chacun dans son domaine de compétence propre, et c'est la base sur laquelle nous voulons travailler au sein de cette commission, c'est-à-dire chercher des solutions à l'impasse actuelle.

Parmi les points qu'il nous intéresse d'approfondir, il y a évidemment les bases juridiques et la position défendue par le gouvernement. Nous aurons l'occasion, au cours de la séance de cet après-midi - si j'ai bien compris - de recevoir ceux qui ont la charge de préparer le dossier du gouvernement de ce point de vue. Je pense que c'est bien important, sans que nous prétendions nous substituer aux tribunaux, évidemment, que nous soyons informés à fond des sources sur lesquelles on entend s'appuyer, des travaux qui sont présentement en marche afin d'assurer une solide défense des intérêts du Québec. De ce côté-ci, il semble bien que l'ordre du jour qu'on a prévu répondra à nos attentes. En tout cas, nous attendons cette phase du travail avec beaucoup d'intérêt. Nous voulons être informés aussi de la nature exacte des démarches qui sont présentement envisagées ou en voie de préparation du côté du gouvernement, à quelque niveau que ce soit, ainsi que, dans toute la mesure du possible, des coûts et des autres implications de ces projets ou de ces démarches.

En ce qui concerne les organismes qui veulent se présenter devant la commission, nous n'avons pas d'objection à les entendre, évidemment, mais j'espère qu'ils apporteront une contribution valable au travail de recherche qui a été entrepris. Il y a bien des choses qu'on a entendu redire à maintes reprises au cours des dernières années. S'il s'agissait simplement de venir réciter devant la commission des choses mille fois entendues sous la même forme et avec les mêmes arguments, on comprendra que nous serons pressés de passer à autre chose. Mais, encore là, nous suivrons l'ordre des démarches qui sera proposé avec beaucoup d'intérêt. J'ose souhaiter qu'il soit possible d'entendre ici un éventail d'opinions qui sera plus représentatif de toutes les tendances d'opinions que nous avons au Québec que ce que laisse entrevoir la première liste d'organismes que nous allons entendre. Je n'ai pas d'objection à les entendre du tout, mais je crois que l'éventail des opinions politiques et constitutionnelles au Québec est beaucoup plus large que cela.

C'est une chose que je voudrais rappeler avant de m'acheminer vers la conclusion de mes propos, Mme la Présidente. Il faut que nous admettions en partant qu'il y a diversité réelle et très répandue d'opinions sur ces questions. Si nous voulons parler au nom de l'ensemble de la collectivité québécoise, nous devons laisser de côté nos rêves d'unanimité artificielle pour assumer toutes les dimensions de cette réalité politique qui est propre au Québec, essayer au moins de l'entendre, de la comprendre et de

l'incorporer si possible dans nos vues. C'est une démarche que nous, de l'Opposition officielle, avons la responsabilité première d'assurer dans les travaux de l'Assemblée nationale et de ses commissions. Vous pouvez être assurés que nous ne ferons pas défaut à notre devoir en ce qui touche cette dimension de notre rôle.

Nous aimerons également connaître les projets et propositions du gouvernement en ce qui touche deux aspects capitaux de la situation actuelle. D'abord, ce que le gouvernement envisage de faire afin d'acheminer le problème vers une solution positive et imprégnée par le véritable esprit fédéral nous intéresse au plus haut point. On a obtenu des éléments que j'appellerais très partiels, très fragmentaires au cours des travaux de la commission de l'automne dernier. J'espère qu'on voudra pousser plus loin les renseignements qu'on daignera nous communiquer de ce point de vue et, évidemment, par-delà le problème immédiat que pose le projet fédéral, nous sommes toujours intéressés à connaître les secrets de la démarche gouvernementale en ce qui touche le problème beaucoup plus large du renouvellement du fédéralisme canadien. Notre ligne d'intérêt à nous, en conformité avec la volonté exprimée par la majorité de la population lors du référendum du 20 mai dernier, est de chercher loyalement, positivement et constructivement le renouvellement du fédéralisme canadien par-delà les conflits immédiats ou les chicanes plus ou moins aiguës qui peuvent surgir dans le présent souvent confus où nous devons nous débattre. Nous ne perdons jamais de vue cet objectif. Nous nous disons que les personnes passent, que les gouvernements passent, que les écoles de pensée évoluent elles aussi. Mais l'objectif fondamental que nous poursuivons, tant que la population n'aura pas indiqué qu'elle veut chercher son avenir dans une autre voie, nous ne le perdrons pas de vue et nous essaierons de la servir de la manière la plus constructive et la plus positive qui soit.

Et j'espère que le gouvernement, au cours des travaux de la commission, ne voudra pas se servir de la commission uniquement comme d'une tribune pour propager une façon de voir le problème, et qu'ensemble, nous pourrons nous attacher à l'essentiel de cette démarche qui est voulue par la majorité de nos concitoyens.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente. Je crois que les délibérations que nous entreprenons ce matin arrivent à un moment très opportun, alors que les manchettes des journaux sont très préoccupées, depuis quelques semaines et même quelques mois, à essayer de scruter un peu ce débat qui, jusqu'à un certain point, sépare le gouvernement fédéral de la plupart des autres provinces canadiennes.

Alors qu'un nombre très grandissant de Québécois et de Québécoises commencent de plus en plus à prendre conscience de l'enjeu de la réforme unilatérale qui nous est soumise par le gouvernement canadien, et surtout en vue de mettre fin à l'impasse constitutionnelle, je suis très heureux que nous, les parlementaires de l'Assemblée nationale, nous ayons jugé bon d'offrir à cette population québécoise un forum privilégié où la discussion sera entièrement libre et ne visera qu'un seul but. En ce qui nous concerne, nous de l'Union Nationale, ce but est d'essayer d'informer les citoyens, de leur expliquer toutes les facettes possibles et imaginables, non seulement de la démarche fédérale, mais aussi des raisons qui incitent le Québec de même que les autres provinces à poser des gestes et aussi à continuer à poser d'autres gestes pour contrecarrer cette offensive que j'ai qualifiée déjà, à l'Assemblée nationale, d'odieuse, d'injuste, d'arbitraire et d'inacceptable.

Évidemment, c'est odieux quand on pense à ce geste posé par un ordre de gouvernement qui essaie d'imposer ses vues contre le gré de l'un ou de plusieurs gouvernements, soit locaux ou provinciaux. On a traité également de geste odieux le fait de soumettre à un Parlement étranger des amendements, d'aller agir à notre place, alors que nous avions demandé, au début, que tous ces changements soient faits plutôt ici, au Canada. Il nous apparaît tout à fait logique également de commencer nos travaux par la comparution - si le terme est exact - d'experts juridiques et autres qui sont à l'emploi du gouvernement québécois et qui auront à nous renseigner un peu sur le sens, sur la portée et aussi sur l'importance des initiatives gouvernementales jusgu'à ce jour.

On sait gu'en ce moment, le Québec a engagé la bataille sur plusieurs fronts en même temps. On a mentionné les tribunaux, que ce soit ceux du Québec ou d'ailleurs. Il se fait actuellement aussi une campagne de publicité à la radio, à la télévision. Il y a, dans certains coins de la province, des manifestations populaires, il y a des dépliants qui sont transmis par la poste et distribués dans les foyers. Il y a eu ce débat que l'on connaît à l'Assemblée nationale, et il y a en ce moment cette commission parlementaire qui nous regroupe afin d'essayer surtout de faire la lumière, d'y voir clair nous-mêmes, pour essayer aussi de renseigner davantage la population québécoise. Alors comme formation politique, nous sommes fiers d'avoir contribué à sensibiliser la population et nous voulons continuer d'oeuvrer dans le même sens. On sait que nous avons été les premiers à dénoncer le coup de force que cherche à nous imposer le gouvernement Trudeau. Nous avons demandé, également, dès l'automne, la convocation d'urgence de l'Assemblée nationale du Québec, toujours dans le but de mieux informer les Québécois. fl2 h 45)

Troisièmement, nous avions mis de l'avant cette idée d'une action commune de tous les partis politiques à l'Assemblée nationale, en vue de combattre ce geste unilatéral d'Ottawa. Si nous l'avons fait, de façon très rapide, dès le 3 octobre dernier, dès le lendemain de l'annonce officielle des intentions du gouvernement fédéral, c'est parce que nous avons vite compris que ce geste niait, en quelque sorte, catégoriquement plus de guinze années d'efforts, de négociations par tous les gouvernements du Québec pour renouveler en profondeur la constitution canadienne et, particulièrement, là où cela compte le plus, sur cette fameuse question de répartition des pouvoirs.

C'est donc avec grand intérêt que nous prendrons connaissance des observations et des recommandations des différents groupes qui auront à nous soumettre des mémoires. J'espère que toutes les mesures ont été prises pour nous fournir le plus large éventail possible d'opinions et de positions et qu'aucune discrimination ne viendra ternir le déroulement de nos travaux. Je pense en ce moment, par exemple, à M. Gilles Loiselle qui pourrait nous renseigner très bien sur le travail du "select committee" de Londres. Je ne sais pas s'il est l'un des intervenants ou l'un des témoins. Mais un personnage comme celui-là, je pense qu'il aurait été très bon de l'avoir, en même temps, également, que d'autres groupes de citoyens qui sont en désaccord avec la position du gouvernement gui voient peut-être des avantages, eux, à laisser le fédéral agir seul et faire un rapatriement unilatéral. Ces groupes ne seront peut-être pas nombreux, mais si jamais ils se présentaient, il serait bon que nous puissions connaître leurs points de vue.

Avant de terminer, je voudrais exprimer un regret. Nous avions souhaité que nos travaux soient télévisés. Or, ce souhait n'a pas recueilli le consensus nécessaire, comme l'avait demandé la présidence. Je pense qu'il aurait été préférable que nous ayons pu bénéficier de ce service public, pas nécessairement pour les parlementaires, mais pour nos concitoyens, qui, dans le moment, auraient grand intérêt à prendre connaissance de nos délibérations. C'est un handicap, il me semble, qui nous 'défavorise, dans un certain sens, par rapport à la commission mixte qui siège présentement à Ottawa et qui siégera jusqu'au 6 février. En même temps, les débats de cette commission sont rendus publics au fur et à mesure des délibérations. À ce sujet, notre formation politique, l'Union Nationale, a demandé à comparaître et nous avons la conviction que notre demande sera agréée par la commission mixte du Parlement du Canada. Merci Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Claude Morin

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente. Je vois qu'il reste à peu près un quart d'heure. Je vais essayer de ramasser ce que j'ai l'intention de dire pendant ce temps. Il se peut que je n'aie pas fini. Je ne sais pas quelle est la limite de temps que j'ai à ma disposition; cela préparera les interventions et les questions cet après-midi, qui seront adressées à ceux que nous avons comme experts et comme fonctionnaires. Je vais aller jusqu'à 13 heures et on verra où j'en serai, puis on avisera.

Mme la Présidente, je voudrais très brièvement - pour qu'on se situe dans le même contexte et, ensuite, j'arriverai à certains documents que je veux déposer - relater, ne serait-ce que par des dates, certains événements des six derniers mois. Cela me paraît capital pour qu'on voie d'où nous sommes partis et où nous en sommes arrivés.

Je rappellerai d'abord le premier cas que nous avons eu, à la fin du mois de mai, tout de suite après le référendum, soit une tournée du ministre fédéral, M. Chrétien, qui a été dans toutes les provinces du Canada et qui a demandé à me voir moi-même, dès le lendemain du référendum, en prévision d'une reprise des pourparlers constitutionnels. Cela n'était pas un moment particulièrement bien choisi. Alors plutôt que de recevoir M. Chrétien le lendemain du référendum, comme il le voulait, je lui ai proposé de le recevoir au début de l'autre semaine. Malheureusement, il était en vacances à ce moment-là et je suis le seul ministre responsable du dossier constitutionnel qu'il n'a pas vu au Canada.

Cependant, cette première tournée de M. Chrétien a conduit à la réunion qui a eu lieu -c'est une autre date, celle-là - le 9 juin, à Ottawa, qui a réuni les premiers ministres des provinces avec le premier ministre fédéral et c'est au cours de cette réunion que douze sujets de discussion ont été retenus. Je passe vite là-dessus parce que les gens s'en souviennent de ces douze sujets. Il y en avait dix gui provenaient de conférences antérieures et deux sujets étaient nouveaux, dont un qui était une déclaration de principes, qui a d'ailleurs été rendue publique à ce moment-là, à laquelle se sont opposés de très nombreux Québécois de tous les partis politiques. Deuxièmement, il y avait un autre sujet nouveau qui s'appelait à l'époque Pouvoirs sur l'économie et dont on a perçu, au cours de l'été, l'ampleur parce que ça représentait, on a pu s'en rendre compte, une offensive fédérale contre les pouvoirs provinciaux en matière économique.

Ces douze sujets ont donc été retenus à l'ordre du jour de nos travaux pour l'été. À ce moment-là, le 9 juin, un horaire que beaucoup ont qualifié par la suite, avec raison, d'infernal a été imposé aux ministres chargés du dossier constitutionnel, lesquels se sont réunis le 17 juin à Ottawa pour établir le travail de l'été. Cela a donné lieu à ceci: trois semaines intensives de réunions au mois de juillet; une à Montréal, une à Toronto et une à Vancouver, suivies d'une quatrième semaine intensive à la fin du mois d'août pour terminer le processus. Quand je dis réunions intensives, je veux dire que c'étaient des réunions les mardi, mercredi, jeudi et vendredi et très souvent le soir aussi, de sorte qu'il n'y a jamais eu, je pense, une fréquence de rencontres avec une telle intensité dans toutes les années dont j'ai pu avoir connaissance des relations fédérales-provinciales.

Je voudrais dire ici un mot - c'est une parenthèse que j'ouvre parce qu'elle m'apparaît importante - sur la position ou l'approche que le gouvernement du Québec a adoptée à l'époque, au début des pourparlers constitutionnels, à l'été. Je veux dire qu'il y a cinq catégories de principes qui nous ont guidés - si je peux m'exprimer ainsi - ou cinq attitudes. Une d'abord qui portait sur le respect, d'après nous, de certains principes essentiels. C'est pour ça qu'ils ont été mentionnés par le premier ministre du Québec, d'ailleurs, dès le 9 juin à Ottawa. Il y en a deux de ces principes essentiels qui sont redevenus d'actualité ces jours-ci.

Premièrement, si on devait avoir une nouvelle loi fondamentale au Canada, il y avait quand même deux choses qui nous paraissaient essentielles de maintenir ou de reconnaître: d'abord, qu'il existe au Québec une société distincte avec ses caractéristiques propres. Je pense que ça fait l'unanimité. On voulait que ce

soit reconnu parce que c'est le Québec qui est à l'origine, depuis des années, de la demande d'une nouvelle constitution canadienne. Il n'était que normal qu'au moment où on s'engageait dans ce qui devait être une entreprise sinon de longue haleine, parce que l'haleine n'a pas été très longue, au moins aussi fouillée que ce qui devait avoir lieu l'été dernier, on reconnaisse au moins le cas particulier du Québec.

Deuxièmement, cette société distincte, ce peuple québécois devait maintenir son droit de disposer de lui-même librement, c'est-à-dire le droit à l'autodétermination. Donc, première série de positions, si vous voulez, portant sur des principes essentiels qui nous paraissaient fondamentaux, qui nous paraissent encore fondamentaux.

La deuxième série de principes portait, elle, sur le partage des pouvoirs. Il y avait douze sujets à l'ordre du jour. Sur chacun des ces sujets, sur les onze qui portaient sur le partage des pouvoirs, nous avons établi des positions que nous avons toutes rendues publiques au cours de l'été, de sorte que la population soit bien informée. Elles ont été essentiellement guidées par un principe qui était que la nouvelle ronde de discussions constitutionnelles ne devait pas et ne pouvait pas conduire à une diminution des pouvoirs du Québec. Pour nous, c'est une règle fondamentale que nous avons maintenue tout l'été.

Je rappelle seulement ici qu'il y a eu une commission parlementaire cet été. Nous aurions peut-être voulu la tenir au début du mois de juillet avant même que les négociations soient entreprises, mais, pour diverses raisons, elle n'a pas pu avoir lieu. Donc, elle a été tenue les 15 et 16 août. À cette époque, on a quand même expliqué les positions que nous avions adoptées sur chacun des points à l'ordre du jour; enfin, on aurait voulu le faire pour chacun des points à l'ordre du jour, mais on a été en mesure d'en regarder seulement quatre ou cinq parce que le temps ne nous a pas permis d'aller plus loin. On se souviendra de cette réunion qui, d'ailleurs, avait eu lieu dans cette salle-ci. Cela concerne le partage des pouvoirs.

Une autre approche que nous avons maintenue concerne notre méthode ou, si vous voulez, notre attitude par rapport aux autres gouvernements et particulièrement par rapport aux autres gouvernements provinciaux. Nous avons systématiquement, dès le départ, essayé d'établir, sur ces douze sujets, une coordination et même des positions les plus communes possible avec les autres gouvernements provinciaux. Ce que je considérais, moi, comme peut-être une des choses les plus difficiles à réaliser, c'est-à-dire cette possibilité de position commune, s'est avéré beaucoup plus facile à réaliser que je ne l'aurais cru, pas tellement parce qu'on a été particulièrement brillants, nous-mêmes, encore qu'on ait fait notre possible de ce côté-là, mais parce que je dois dire qu'il est intervenu un élément dans le contexte global politique qui a aidé à cette cohésion des provinces. C'est que, dès ce moment-là, les provinces se sont rendu compte que le gouvernement fédéral mijotait quelque chose d'ultra-rapide et de totalement déterminé, quels que soient les résultats des négociations de l'été. Donc, je dirais que les provinces, s'étant senties menacées à la suite de déclarations faites par M. Trudeau, surtout par M. Chrétien, un peu par M. Lalonde et d'autres aussi, notamment au congrès libéral de Winnipeg, ont vu qu'il s'en venait une action unilatérale possible et, par conséquent, ont manifesté plus de cohésion que cela n'aurait été le cas autrement.

L'autre facteur qui a été présent, c'est que beaucoup de provinces ont manifesté des vues similaires à celles du Québec en matière de partage des pouvoirs non pas sur l'ensemble des sujets, je dois le dire, mais sur quelques-uns d'entre eux, notamment les richesses naturelles, les richesses minières en bordure des côtes, les communications, etc. Donc, sur la méthode suivie, nous avons voulu réussir et nous avons réussi, avec les autres, à établir des positions communes auxquelles je reviendrai tout à l'heure, parce que cela a été un élément majeur de la négociation.

L'autre guide que nous avons eu, c'est que nous avons tenu à tenir le public le plus constamment et le plus adéquatement informé possible, de sorte que nous avons tout de suite, dès que nous les faisions valoir au sein des comités qui se tenaient à huis clos, rendu nos positions publiques. Tout cela a été accompagné chaque jour, systématiquement, par moi-même ou, à l'occasion, par les ministres qui m'accompagnaient - je pense au leader parlementaire, M. Charron et au ministre de la Justice, M. Bédard - d'une conférence d'information donnée à la presse. J'avais obtenu à cet égard, appuyé notamment par le Nouveau-Brunswick et d'autres de mes collègues des autres provinces, qui s'en tenaient, eux, davantage au huis clos, je ne dirais pas la permission, mais cette complicité, je pense, qu'il était nécessaire d'avoir, qu'eux me laissaient m'exprimer au nom du gouvernement du Québec alors qu'eux ne sentaient pas nécessairement, comme gouvernements provinciaux, le besoin d'exprimer eux-mêmes leurs positions. Cependant, le gouvernement fédéral aussi, chaque jour, exprimait sa position de sorte que, je pense, contrairement aux règles habituelles suivies en huis clos qui ont joué des tours au Québec dans le passé, notre désir d'informer systématiquement la population a amené le fédéral à faire la même chose, de sorte que les gens, même si c'était en plein milieu de l'été - cela aussi faisait partie de la stratégie fédérale, on y reviendra tout à l'heure - ont quand même pu suivre mieux nos travaux qu'ils n'auraient pu le faire autrement.

Finalement, un autre guide que nous avons eu, il s'agissait de déterminer quelle serait notre position compte tenu du résultat du référendum. J'ai été très clair à cet égard dès la première réunion, le 8 juillet, dans une déclaration que j'ai rendue publique, d'ailleurs, à l'époque; je ne l'ai pas ici avec moi, mais on peut facilement la retrouver. J'ai dit que nous respections le résultat du référendum et que, comme on n'avait pas été donné au gouvernement du Québec le mandat de négocier la souveraineté-association, ce n'était pas ce que nous viendrions faire pendant l'été. (13 heures)

Cependant, comme M. Lévesque l'a dit à l'occasion de la conférence publique du début de septembre, il y a plusieurs types de fédéralisme; il y en a qui sont moins acceptables que d'autres, ou d'autres plus tolérables. Si je résume, tout en étant incomplet, je pourrais dire qu'il y a deux catégories de fédéralisme, si je peux m'exprimer

ainsi. Une qui est celle que partage M. Trudeau de façon constante depuis toutes les années qu'on le connaît et que je le connais, c'est un fédéralisme centralisé, dominateur et vraiment peu respectueux des principes mêmes du fédéralisme. On en voit la preuve et, d'ailleurs, c'est ce qui nous réunit ici aujourd'hui.

Il y a un autre type de fédéralisme qui en est un de complémentarité, qui est décentralisé, et c'est celui que partagent la majorité des provinces. Notre raisonnement, très pragmatique, très simple, était le suivant: étant donné que nous devons maintenir le régime fédéral et que nous devons vivre à l'intérieur du régime fédéral, le mieux est de trouver le meilleur régime fédéral qui convienne et ne pas nous laisser imposer la conception qu'a M. Trudeau de ce fédéralisme. Nous avons donc opté avec les autres provinces pour le fédéralisme décentralisé, toujours en tenant compte de ce principe absolu que nous avions, de ne voir en aucune manière les pouvoirs du Québec diminués.

Il n'y a aucune contradiction, d'ailleurs, entre cela et la recherche de la souveraineté-association puisque, en ce qui concerne au moins le partage des pouvoirs, la souveraineté-association est un transfert de pouvoirs beaucoup plus massif bien sûr qu'un fédéralisme décentralisé; mais si, par un fédéralisme décentralisé, vous transférez des pouvoirs, même partiels, vous avez une sorte d'acompte sur ce que peut être la souveraineté-association. De la sorte - si je peux exprimer mon opinion par une sorte d'image que je ferais - il ne s'agit pas de choisir de s'en aller à droite alors qu'on voudrait s'en aller à gauche, mais plutôt d'aller moins loin que là où on voudrait aller normalement et, par conséquent, il n'y a pas de contradiction. C'est comme quelqu'un, par exemple, qui veut aller de Québec à Montréal, qui ne peut pas aller à Montréal pour diverses raisons, mais le fait qu'il aille, par exemple, à Victoriaville ou à Drummondville, le rapproche de Montréal et, par conséquent, il n'y a pas de contradiction entre un voyage à Drummondville et un voyage à Montréal dans cette perspective. Cela l'éloigne du statu quo, justement.

Ce sont les guides que nous avions pour notre délégation au cours de l'été. Il y a eu - je reviens à ma chronologie, si vous voulez bien -trois semaines de discussions intensives en juillet. À la commission parlementaire des 15 et 16 août que tout le monde connaît puisque la plupart de ceux qui sont ici présents y étaient, nous avons fourni tous les documents que nous avions à notre disposition à l'époque; nous avons continué par la suite. Il y a eu la conférence interprovinciale des premiers ministres où le point à été fait, à Winnipeg, la troisième semaine d'août. La quatrième semaine d'août, il y a eu la réunion à Ottawa des ministres chargés du dossier constitutionnel. Tout cela s'est terminé par cette conférence télévisée, de cinq ou six jours, des premiers ministres à Ottawa au début de septembre où on a vu, d'une part, que la position commune des provinces s'était maintenue d'une façon surprenante, je dirais, parce que je n'ai pas vu cela souvent dans le passé, pendant toutes les années que j'ai été dans ce domaine, et, deuxièmement, qui a été, comme conférence fédérale-provinciale, un peu rendue célèbre - je pense qu'on en parlera dans l'avenir un peu à cause de ce que je vais mentionner - par la mise à jour d'une stratégie secrète du gouvernement fédéral, ce qui démontrait clairement qu'à Ottawa on s'attendait à un échec et qu'on avait prévu comment tenir compte de cet échec par une action unilatérale.

On avait même prévu, en donnant des conseils à M. Trudeau, de faire passer les premiers ministres des provinces comme des attardés sociaux qui s'opposaient aux vues ouvertes, positives et éclairées du grand frère fédéral. Ce document secret, dont j'ai eu connaissance et qui m'a été effectivement remis, était tellement dans une certaine mesure invraisemblable que, dans les premières minutes où je le parcourais, j'ai cru à un faux, à ce qu'on appelle dans certains milieux de l'intoxication, en ce sens que je ne pouvais pas croire que c'était possible que le gouvernement fédéral ait écrit un tel document, quoique j'aurais dû m'en douter, mais il confirmait tout ce que nous avions soupçonné; quand je dis nous, je ne parle pas uniquement de la délégation du Québec, je parle des délégués des autres provinces au cours de l'été.

On s'est rendu compte qu'on était à la veille d'un coup de force et je me souviens ici même que j'en avais parlé, non pas du document secret que nous n'avions pas, mais de la possibilité qu'Ottawa procède à sa façon, sans tenir compte des vues des provinces et ce dès la commission parlementaire des 15 et 16 août.

Ce document secret a été distribué à peu près à tout le monde et je l'ai ici dans mes dossiers, si on veut s'y référer, mais cela démontre clairement qu'on était devant une entreprise qui ne visait pas, mais absolument pas, à correspondre aux promesses référendaires faites aux Québécois le 20 mai et qui ne visait absolument pas à renouveler le fédéralisme d'une façon qui aurait été le moindrement acceptable à un commun dénominateur québécois. Cela a continué et je vais arrêter avec cela, Mme la Présidente, quitte à reprendre cet après-midi, parce que je veux déposer des documents. Cette démarche fédérale a pris forme par les déclarations du premier ministre du Canada le 2 octobre dernier.

Je voudrais, pour terminer maintenant, quitte à ce que je revienne, parce que je veux les remettre à tous les membres, formellement déposer devant la commission ici les documents suivants qui viennent un peu illustrer tout ce que j'ai dit, dans l'actualité, j'entends, parce qu'il ne s'agit pas de refaire toute l'histoire des derniers mois. Je voudrais déposer une copie en anglais et en français - parce que nous l'avons traduit depuis - du document remis au "select committee" de la Chambre des communes de Londres. Alors, chacun en aura a sa disposition, de même que les journalistes. Je donne la copie française et anglaise aussi d'un document qui a déjà été formellement déposé à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire le factum du Québec devant la Cour d'appel du Manitoba. Je donne aussi un exemplaire d'un "background brief", avec résumé en français, c'est-à-dire d'un document que la délégation générale du Québec à Londres -cela n'a pas encore été distribué à qui que ce soit - a fait parvenir au cours des dernières semaines aux parlementaires britanniques et à ceux que cela intéresse de connaître ce qui se

passe ici pour les informer de la situation.

Chaque personne ici aura à sa disposition ces textes. Il est possible, en cours de route, qu'on donne d'autres textes. Exemple: je serai en mesure demain - parce que je n'ai pas le droit de le faire aujourd'hui - de déposer deux opinions juridiques qui sont remises au moment même où je vous parle au "select committee" à Londres de deux juristes britanniques, M. Lauterpacht et M. Wade, et qui vous seront remises demain et, aussi, un autre document que nous n'avons pas, mais qui serait disponible, du Dr Marshall, qui a été aussi devant le comité britannique. Tous ces documents, vous verrez, concordent pas mal avec la prise de position que le Québec a fait valoir là-bas.

Je voudrais aussi - c'est la dernière chose que je dis, Mme la Présidente, pour que le monde soit un peu guidé sur la suite de nos travaux -dire que cet après-midi seront disponibles, pour répondre aux questions, outre moi-même, bien sûr, M. Robert Normand, le sous-ministre des Affaires intergouvernementales, qui pourra nous parler de l'action que nous avons entreprise auprès des autres gouvernements et à Londres. Mais je dois dire qu'à mon grand regret M. Loiselle, pour des raisons strictement personnelles et familiales, ne peut pas être avec nous aujourd'hui. Nous lui avions demandé de venir, mais il ne peut pas être avec nous aujourd'hui. Alors, M. Normand pourra, puisqu'il suit les opérations quotidiennement à Londres, nous faire part de ce que nous faisons là-bas avec les autres provinces et avec le gouvernement britannique.

Nous avons aussi M. Yves Pratte, qui est le conseiller du gouvernement et qui a été, en grande partie, responsable de ce document qui vous est remis, à qui vous pourrez poser les questions que vous voulez sur ce document, bien sûr. Nous avons aussi Me Jean-K. Samson, qui était à Winnipeg jusqu'à hier, je pense, pour notre présentation devant la Cour d'appel de Winnipeg, et d'autres, si c'est nécessaire, de mon équipe seront à votre disposition, parce que je pense que c'est important qu'on sache à quoi s'en tenir au point de départ sur l'action du gouvernement du Québec. Je dis que, moi-même, je serai à la disposition de la commission pour tout renseignement supplémentaire.

Mme la Présidente, j'ai à peu près terminé - je viens de regarder mes notes - mon petit exposé chronologigue. Je n'ai pas besoin de rappeler la résolution à l'Assemblée nationale ni le fait qu'on a une commission parlementaire aujourd'hui et je pense que je vais terminer pour le moment mes remarques ici, Mme la Présidente, quitte, si c'est nécessaire, à l'heure où nous reprendrons, à revenir avec des compléments d'information si on le juge à propos.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je voudrais simplement faire un rappel à cette commission. Quand on parle de dépôt de documents, il est bien sûr que nous parlons toujours de la mise à la disposition des membres de la commission des documents dont il est guestion. Je rappelle aussi qu'ont été invités à se présenter devant la commission: M. Robert Normand, Me Yves Pratte, conseiller du gouvernement, M. Robert Normand, sous-ministre aux Affaires intergouvernementales et M. Jean Samson, directeur du service juridique du ministère des Affaires intergouvernementales.

Sur ce, nous suspendons les travaux de cette commission jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 10)

(Reprise de la séance à 15 h 23)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution est appelée à reprendre maintenant ses travaux pour entendre M. Robert Normand, sous-ministre au ministère des Affaires intergouvernementales. Ensuite, nous appellerons Me Yves Pratte, conseiller du gouvernement. Subséguemment, nous demanderons à M. Jean Samson de se présenter à la commission. Pour la suite des travaux, il a été prévu, avions-nous dit, une ou deux questions de la part des oppositions à la suite de l'intervention de M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Ryan: Je voudrais, si vous le permettez...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Si vous me permettez, Mme la Présidente, je voudrais que vous me précisiez ce que vous voulez dire. Il avait été entendu qu'il y aurait une ou deux questions des oppositions au ministre des Affaires intergouvernementales. Je ne sais pas si cela s'applique aux témoins qui vont suivre également, mais qu'est-ce que vous entendez par cela?

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est qu'au départ - nous avions parlé de l'organisation de nos travaux ce matin - nous avions convenu gu'après - j'allais dire le dépôt de document -ces documents qui vous ont été fournis, vous pourriez avoir une ou deux questions au ministre des Affaires intergouvernementales. Je pense que nous serons très souples quant aux invités que nous recevrons cet après-midi.

M. Ryan: C'est parce que l'exposé que le ministre des Affaires intergouvernementales a fait ce matin était bref, mais il contenait des points très importants sur lesquels, je pense, il serait nécessaire que nous l'interrogions un peu, à ce stade-ci du travail de la commission. Cela ne me fait rien que cela vienne à un stade ultérieur, mais je ne voudrais pas que ce soit noyé. Je vais vous poser quelques interrogations qui se posent dans mon esprit à la suite de l'exposé. Je vais vous les formuler toutes ensemble. Si cela peut tenir dans une intervention de ma part, je n'ai pas d'objection. Mais cela serait à la condition que les réponses soient satisfaisantes sur chacun des points. Très bien.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle, vous avez la parole.

Questions au ministre

M. Ryan: Très bien. Tout d'abord, le ministre, ce matin, nous a résumé les principes

qui avaient guidé le gouvernement dans sa participation à la démarche visant à la révision du système fédéral canadien au cours des mois d'été et d'automne. Il a énuméré une série de principes que je ne veux pas reprendre, mais il y en a quelques-uns qui soulèvent des difficultés dans mon esprit et sur lesquels je voudrais des éclaircissements. Par exemple, le ministre a dit: Une règle fondamentale en matière de partage des pouvoirs dont on s'est inspiré au gouvernement, jusqu'à maintenant, c'est un nouveau partage des compétences législatives ne saurait entraîner une quelconque diminution des pouvoirs du Québec. Je pense qu'il serait important qu'on ait des précisions là-dessus. Est-ce que cela veut dire que le gouvernement interprète littéralement cette affirmation à la manière de syndicats qui abordent une négociation en disant: Tout ce que nous avons acquis jusqu'à maintenant, il n'est pas question que ce soit remis en cause d'aucune manière, on veut seulement des gains nouveaux; c'est la base même de la négociation si le gouvernement est prêt à examiner les problèmes nouveaux qui ont surgi dans la fédération canadienne dans leur contenu objectif? Il pourrait arriver que la somme des pouvoirs qui découleraient d'un nouveau partage des compétences serait plus élevée que celle qui existait au départ mais que, sur tel ou tel point particulier, il y aurait un changement de compétence dicté par la nature même des choses. Est-ce une perspective fermée ou si on doit s'attendre à une interprétation plutôt libérale de ce principe-là qui était affirmé?

Deuxièmement, le ministre a fait une affirmation qui m'a beaucoup intéressé. Il dit qu'on est en présence de deux conceptions du fédéralisme. Je pense qu'il n'y a pas de problème là-dessus. Une conception met davantage l'accent sur la décentralisation et sur l'égalité et la complémentarité des deux ordres de gouvernement. Le gouvernement actuel dit qu'il se raccroche à cette conception plutôt qu'à celle qui veut asseoir de manière plus forte la prépondérance du pouvoir fédéral. Je ne pense pas qu'il y ait de difficulté à ce moment-ci. Mais le ministre ajoute que dans la poursuite de cette forme de fédéralisme, le gouvernement croit être capable de faire en sorte qu'il n'y ait pas de contradiction entre sa démarche et celle que comporterait la recherche de la souveraineté-association. Nous l'avions tous compris implicitement à voir agir le gouvernement au cours des derniers mois.

Je pense que ça demande des explications parce que nous, du côté de l'Opposition officielle, avons toujours considéré qu'entre l'option du gouvernement et celle du fédéralisme renouvelé, il y avait une différence de nature et pas simplement de degré. On ne serait pas allé en référendum seulement pour une différence de degré, me semble-t-il. Il me semble que si vous entrez dans la démarche qui consiste à rechercher un renouvellement du fédéralisme, vous entrez dans une démarche qui va comporter une disposition à donner et pas seulement la recherche d'avantages pour notre camp. En somme, on ne voudrait pas retomber indirectement dans l'ornière du fédéralisme rentable qui se limite à voir seulement l'intérêt de chaque partie constituante, sans voir l'intérêt et le bien de l'ensemble. Je voudrais que vous nous précisiez quelle est l'attitude du gouvernement actuel sur cette question extrêmement délicate.

Le troisième point sur lequel le ministre est passé rapidement, et je ne veux pas insinuer quoi que ce soit au chapitre des motifs à ce sujet, c'est le consensus qui s'était apparemment produit entre les gouvernements provinciaux, vers la fin de la conférence fédérale-provinciale, en septembre dernier. Le ministre nous a remis en temps utile un document résumant l'essentiel de ce consensus-là, mais le document, à la lecture, n'est pas toujours aussi clair qu'il pourrait sembler. Souvent, on voit que c'était une approche qui manquait de précision. Je pense que ce serait important que le ministre nous donne des indications additionnelles sur la nature exacte de ce consensus qui s'était apparemment produit entre !es provinces et sur ce qui est arrivé à compter du moment où les points de ce consensus ont été soumis à l'attention du premier ministre fédéral.

Les derniers points sur lesquels j'aimerais obtenir des précisions, c'est l'attitude actuelle du gouvernement pour ce qui concerne le rapatriement de la constitution et la recherche d'une formule d'amendement et le moment où pourrait intervenir le rapatriement accompagné d'une formule d'amendement acceptable au Québec. (15 h 301

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je pense qu'il ne faudrait pas détourner cette commission de son mandat te! que défini, ce qui fait que nous sommes réunis ici aujourd'hui. Ce n'est pas du tout une commission comme celle qui s'est tenue l'été dernier alors que, des questions comme celles qui viennent d'être posées par le chef de l'Opposition avaient été élaborées et abordées. Ce matin, j'ai essentiellement -c'était cela l'objectif d'ailleurs, comme je voudrais qu'on continue peut-être cet après-midi -donné la toile d'arrière-plan sur les événements qui se sont produits et qui nous ont conduits là où nous en sommes aujourd'hui, quitte par la suite - c'est ce que nous devons faire cet après-midi, je crois - à ajouter de la part de nos experts des renseignements supplémentaires. Or, les questions qui me sont formulées à la suite de ma très brève intervention de ce matin, qui a duré, je pense, seize minutes, parlent, traitent d'un élément de mon intervention qui a peut-être duré cinq minutes, où j'ai repris essentiellement ce que j'avais dit l'été dernier à la commission parlementaire quant aux principes qui nous guidaient.

Disons que je vais donner une réponse rapide à certaines des questions qui ont été mentionnées par le chef de l'Opposition, mais je ne veux pas que nous perdions de vue la raison d'être de cette commission qui est d'écouter le public, en commençant par écouter certains experts qui travaillent avec nous sur les questions qui nous opposent maintenant à la démarche unilatérale du gouvernement fédéral.

Très rapidement - je pense que c'est tout un autre débat - il est exact, premièrement, que, comme position fondamentale, nous considérerions tout à fait absurde que quelque fédéralisme

renouvelé qui puisse exister - je parlais à ce moment-là l'été dernier; le fédéralisme renouvelé, on a vu ce que cela a donné dans l'intervention unilatérale fédérale - ne pouvait pas, en définitive, conduire à une diminution des pouvoirs du Québec. C'est cela que nous avons comme principe de base. Quand je dis "en définitive, ne doit pas conduire a une diminution des pouvoirs du Québec", je parle, bien sûr, globalement. Il peut y avoir des aménagements en cours de route, mais la somme totale des attributions du Québec, en définitive, doit être supérieure à ce qu'elle est avant que le processus de révision constitutionnelle ne commence. Cela me semble tout à fait élémentaire comme position de base parce que toute autre approche voudrait dire, soit qu'on considère que le Québec a déjà trop d'attributions, soit qu'on accepte d'avance que le processus de révision constitutionnelle diminue le Québec. Nous n'acceptons pas, comme politique gouvernementale, cette façon de voir les choses. C'est pour le moment tout ce que je vais dire à ce sujet.

En ce qui concerne le fédéralisme rentable dont vous avez parlé, il est bien sûr que nous n'avons pas envers le fédéralisme une approche dite de fédéralisme rentable. C'était celle qu'avait le Parti libéral avant. Ce n'est pas une position que nous avons prise. Au contraire. Je suis moi-même une des personnes qui ont le plus critiqué cette approche de fédéralisme rentable parce qu'on réduisait le système fédéral essentiellement à une comptabilité et je pense que c'est à la fois moins et plus que cela. Ce que j'ai dit ce matin - d'ailleurs je me souviens très bien de mes mots - c'est qu'il y a plusieurs façons d'envisager le fédéralisme. Il y a deux grandes catégories. En simplifiant, il y a celle de M. Trudeau et du gouvernement fédéral, qui est un fédéralisme dominateur, et celle des provinces qui est un fédéralisme de complémentarité et décentralisé. À choisir entre les deux, nous choisissons la deuxième forme de fédéralisme et c'est celle à laquelle nous nous sommes ralliés avec les autres provinces cet été.

Troisièmement, vous avez parlé du consensus qui est intervenu cet été. Nous avons à l'époque - si on ne l'a plus, cela me fera plaisir de le distribuer de nouveau - rendue publique la base du consensus qui est intervenu au niveau des provinces l'été dernier et, plus précisément, le vendredi avant la rencontre à huis clos avec le premier ministre fédéral. Je l'ai encore ici. Je pourrai en distribuer des copies si c'est utile. Il s'agit d'un résumé que vous avez reçu, d'un aide-mémoire. C'est sûr qu'il ne peut pas être complet. Il est impossible, pour des raisons que n'importe qui va facilement comprendre, en l'espace de quelques heures, de rédiger un document complet à l'intention du premier ministre fédéral, que toutes les provinces ensemble lui auraient remis. Je vous rappelle encore que cela a été fait le jeudi soir et le vendredi matin de la conférence fédérale-provinciale des premiers ministres, donc, à l'intérieur de quelques heures. Ce que je considère remarquable dans ce texte qu'on a réussi à fabriquer, c'est qu'en aussi peu de temps il soit demeuré autant de domaines où le consensus interprovincial a été maintenu. Ce n'est pas complet. Nous l'avons même dit à l'époque. C'est un aide-mémoire.

Ce qui s'est passé au cours de la réunion à huis clos des premiers ministres avec le premier ministre fédéral, je n'en étais pas témoin, n'ayant pas été, puisque je n'étais qu'un ministre, pas plus que les autres ministres des autres provinces, admis à cette réunion. Ce que j'en sais par toutes les sources qui nous ont été disponibles, c'est qu'il a adopté une attitude intransigeante et qu'il avait décidé, à ce moment-là de ne pas céder en quoi que ce soit aux provinces en ce qui a trait aux demandes, même celles qui faisaient l'unanimité des provinces.

Nous avions à cette époque - on l'avait dit publiquement - un ensemble qui, sans être flamboyant, pouvait, à la rigueur, représenter un premier résultat valable des discussions de cet été. Mais ce que j'en sais, n'ayant pas été moi-même témoin - je le sais non seulement du premier ministre du Québec, mais d'autres premiers ministres - c'est que l'attitude fédérale a été tout à fait intransigeante et même, je dirais, arrogante. Je n'étais pas témoin. Je n'étais pas présent.

Vous me demandez, quatrièmement, comme question, ce que nous avons à dire en ce qui a trait à la formule d'amendement et aux autres solutions possibles pour dénouer l'impasse actuelle. Je ferai deux commentaires là-dessus.

Premièrement, l'impasse actuelle a été créée par le gouvernement fédéral. C'est devenu un fait historigue qu'on peut démontrer n'importe quand. On n'a qu'à revoir les bobines de la télédiffusion directe du mois de septembre et on va voir qui, à ce moment-là, a présenté les vues les moins susceptibles d'entraîner l'adhésion. Je pense que c'est le gouvernement fédéral. C'est à cette époque-là, d'ailleurs, que le premier ministre du Québec a reçu des félicitations publiques de trois premiers ministres d'autres provinces sur l'attitude que nous avions et qu'il avait lui-même adoptée au cours des jours et des semaines qui précédaient.

Deuxièmement, je peux dire ceci: Au moment où nous parlons - et c'est tout ce que je veux dire pour aujourd'hui parce que ce n'est pas le but de la commission; j'aurai peut-être l'occasion à d'autres moments d'y revenir - il a été décidé entre les six provinces qui s'opposent au geste fédéral - cela a été décidé hier à la suite de longues conversations et de rencontres qui ont eu lieu, dont peut-être M. Normand nous parlera tantôt - au cours d'une conférence téléphonique entre six premiers ministres, qui s'est tenue à 13 h hier et à laquelle, bien sûr, M. Lévesque participait, qu'une rencontre des ministres des Affaires intergouvernementales ou de ceux chargés du dossier constitutionnel - ils n'ont pas tous le même titre d'une province à l'autre - aurait lieu au mois de janvier pour faire le point quant à la suite des événements, laquelle réunion de ministrea précéderait probablement, et très probablement, une réunion de premiers ministres de provinces - toujours ceux des provinces contestatrices, si je peux m'exprimer ainsi - quelque part au début de février.

C'est là que nous en sommes rendus. Nous sommes en négociation avec les autres et cela ne m'est pas possible aujourd'hui d'aller plus loin à cet égard avant que j'aie repris personnellement contact avec mes collègues des autres provinces. Mais je puis dire - et je veux l'affirmer - que la cause du problème actuel est double: d'abord, des

promesses qui n'ont pas été tenues au moment du référendum par le gouvernement fédéral et ses plus hauts représentants et, deuxièmement, une attitude intransigeante par la suite dont des milliers et probablement des millions de citoyens canadiens et québécois ont été témoins à la télévision. C'est là que nous en sommes rendus.

Il y a effectivement un blocage, mais la solution qu'a prise le gouvernement fédéral a été de recourir à une action unilatérale. Il ne faudrait pas aujourd'hui - je ne dis pas que c'est ce que vous avez fait, M. le chef de l'Opposition - rendre les provinces responsables d'un coup de force fédéral et unilatéral qu'Ottawa avait planifié de longue main. Il ne faudrait pas qu'aujourd'hui on nous demande à nous de résoudre l'écheveau que le gouvernement fédéral s'est tissé autour de lui-même et qui, je pense, est en train maintenant, probablement, d'après toutes les indications qu'on peut avoir, de conduire à une démarche fédérale qui va, en définitive, si on se tient de notre côté et du côté des provinces, être condamnée à l'échec.

C'est là où nous en sommes, mais je pense que, pour le moment, c'est ce que je me contenterai de dire, non pas parce que je veux absolument qu'on passe à autre chose, mais je pense qu'on doit passer à autre chose à cause de la nature de cette commission-ci. Je me dis aussi que nous aurons l'occasion de reprendre ces questions entre nous, par exemple, à des périodes de questions à l'Assemblée nationale ou à l'occasion d'une commission qui pourra avoir lieu strictement sur ce sujet en temps opportun. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui.

M. Ryan: Je voudrais signaler, Mme la Présidente, que le ministre propose une interprétation très restrictive du mandat de la commission. Il me semble que si on étudie le projet fédéral, il faut qu'on soit bien saisi de ce qui l'a précédé et causé, de la manière aussi dont on pourra sortir de cette impasse. Je pense bien que, sur le projet lui-même, la commission ne pourra pas éclairer beaucoup les députés. En tout cas, si c'est un exercice de propagande qu'on envisage pour garder le public en haleine, il faut le dire franchement. Mais, nous autres, je pense que nous sommes plus intéressés à résoudre le problème du renouvellement du fédéralisme qu'à faire une action uniquement négative. Il me semble que les questions qui ont été posées se rattachent à cette compréhension du mandat qui essaie d'inclure les causes du malaise actuel et les aboutissements possibles dans un sens plus acceptable au Québec.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le chef de l'Opposition, Mme la Présidente, les causes du malaise actuel - écoutez! - à moins qu'on cherche des raisons que personne ne voit aujourd'hui, sont très simples. Elles tiennent aux événements qui se sont passés et, essentiellement, à deux attitudes. Il y a des promesses qui n'ont pas été tenues, il y a des gens qui ont été trompés. Ce n'est pas nous qui l'avons dit, c'est M. Clark à Ottawa, en premier, et même à Québec des représentants de votre parti. Deuxièmement, un coup de force fédéral a été préparé et c'est le fédéral lui-même qui nous met dans la situation où tout le Canada est maintenant. Il ne faudrait pas penser que c'est ici même, à cette table, que nous avons la solution à tous les problèmes quand, du côté fédéral, encore vendredi dernier, le premier ministre du Canada disait qu'il ne changerait pas d'avis en substance sur sa démarche. Par conséguent, la meilleure façon de faire cesser le problème actuel, ce serait que le gouvernement fédéral retire complètement son projet et qu'on continue là où on était rendu - on l'a dit à plusieurs reprises - au mois de septembre, avant cette conférence ratée dont tout le monde se souvient.

La Présidente (Mme Cuerrier): Avant d'accorder la parole à M. le chef de l'Union Nationale, j'aimerais juste rappeler la motion qui a été adoptée à l'Assemblée nationale en tant que mandat de cette commission. C'est bien: La commission de la présidence du conseil et de la constitution se réunira pour entendre les représentations de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution du Canada.

M. le chef de l'Union Nationale et député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente. J'aurais trois brèves questions à la suite de certains propos prononcés par le ministre à la suspension ce midi.

Le ministre, je pense, a mentionné que M. Gilles Loiselle, délégué général du Québec à Londres, était dans l'impossibilité de venir siéger à ce moment-ci. Si je comprends bien, si les travaux reprennent au cours du mois de janvier, comme M. Loiselle a dû tâter le pouls des Londoniens, le pouls de Sa gracieuse Majesté, en ce qui a trait à ses ministres, au gouvernement, je crois qu'il serait très bien placé pour nous renseigner. Est-ce que le ministre peut nous dire si M. Loiselle va venir ici?

M. Morin (Louis-Hébert): Je pense, M. le chef intérimaire de l'Union Nationale, que c'est simplement une coïncidence de date et pour des raisons strictement personnelles et familiales; il arrive qu'hier, aujourd'hui et demain le délégué général du Québec à Londres n'est pas disponible. Si la réunion avait eu lieu à un autre moment, il n'y aurait pas eu de problème et je suis convaincu gu'à une réunion ultérieure, selon les besoins et si la commission le juge opportun, cela nous ferait tout à fait plaisir de le faire venir ici et- je suis convaincu qu'il serait heureux de collaborer avec la commission. Il n'y a pas de problème de ce côté-là. C'est simplement des questions, comme cela arrive dans la vie de chaque individu, qui parfois, parce qu'elles sont familiales, sont plus importantes que celles du gouvernement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Votre brève question, M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Pour enchaîner sur le même sujet, je pense que M. Pratte, que nous allons probablement entendre, a fait des voyages à Londres.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui.

M. Le Moignan: Donc, il a peut-être eu des

contacts avec M. Loiselle et le "select committee".

M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela. J'aurais dû compléter ma réponse, je m'excuse. Je peux vous dire que, de toute façon, avec la présence ici de ceux que nous avons aujourd'hui, M. Normand, M. Pratte et ses collègues, nous aurons aujourd'hui, dans la mesure où c'est possible de le savoir, et je pense que c'est possible, tous les renseignements qu'aurait pu nous donner M. Loiselle, sauf que cela aura le désavantage, dans certains cas, de venir indirectement de nous plutôt que directement de lui. Au fond, c'est en substance la même chose. Vous aurez toutes les réponses.

M. Le Moignan: Dernière question, Mme la Présidente. À l'heure actuelle, tout le monde ici s'oppose à un rapatriement unilatéral de la constitution. En même temps, j'ai mentionné ce matin que le but de nos travaux, c'était peut-être aussi d'essayer de leur donner un caractère positif, à cause de la présence des experts ou de ceux qui viendront nous rencontrer. Quelle serait l'attitude du gouvernement du Québec advenant le cas où le gouvernement Trudeau limiterait son geste, à ce moment-ci, à deux choses? Premièrement, le rapatriement sans aucun changement constitutionnel. Deuxièmement, la règle de l'unanimité jusqu'à ce qu'un accord ait lieu sur une formule d'amendement. Est-ce que ce sont des choses qui semblent possibles actuellement? (15 h 45)

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, la question que soulève le chef intérimaire de l'Union Nationale fait partie de ces hypothèses qui ont été, je pense, depuis deux mois, maintes fois mentionnées soit au cours des conversations téléphoniques que j'ai eues avec mes collègues des autres provinces, soit au niveau des sous-ministres et d'autres fonctionnaires où vient souvent l'idée suivante: Y a-t-il quelque chose qu'on pourrait faire, au niveau des provinces, qui bloquerait de façon définitive, à Londres et même ici au Canada, le coup de force fédéral? C'est une des possibilités qui ont été mentionnées, celle que vous dites exactement, avec des variantes. Je vais vous en donner une autre, la proposition des conservateurs fédéraux, par exemple, qui dit: On pourrait rapatrier la constitution avec la formule d'amendement de Vancouver, et je vous rappelle que sa caractéristique essentielle et intéressante à certains égards, c'est qu'elle permet à une province, qui ne veut pas être soumise à un amendement constitutionnel que les autres désirent, de ne pas y être soumise. Il y a encore des raffinements à apporter à la formule, mais ils ont beaucoup travaillé cela l'été dernier. C'est la proposition de M. Clark. Cela supposerait, cette formule de Vancouver, par exemple, qu'on prévoie une compensation pour une province non participante à une modification constitutionnelle qui conduirait des pouvoirs, disons, de provinces vers Ottawa. C'est une variante de la même hypothèse.

J'ai deux commentaires à vous faire là-dessus. Le premier, c'est que si c'est ça, à quoi conduisent tout le travail et toute la discussion des derniers mois et des dernières années en matière de renouvellement du fédéralisme? C'est presque dérisoire. Si en définitive tout ce qui s'est dit, fait, pensé, conçu, mijoté au Canada et dans les provinces depuis des mois et des années, cela conduit, au fond, à rapatrier ou à importer un vieux texte qui est l'importation, à toutes fins utiles, du statu quo, surtout avec la règle de l'unanimité, à ce moment, on est exactement comme on était avant, avec la seule chose qui est très différente, cependant, c'est qu'il y a des gens qui auront l'impression qu'on vient de changer le système.

Cela ne serait pas vrai. Ce serait une sorte d'illusion qu'il faudrait combattre parce que cela n'est pas ce que les Québécois ont voulu. Traditionnellement, ce n'est jamais cela que les Québécois ont demandé. J'ai remarqué d'ailleurs, du côté du Parti libéral - et je ne veux pas du tout faire de politique ici, c'est un fait que je mentionne - qu'il semblerait que, du côté du rapatriement, on ait modifié l'approche antérieure qui consistait à dire, comme cela a été dit ici même à cette table au mois d'août, que le rapatriement n'avait de sens que s'il était au préalable précédé par des changements substantiels, pas nécessairement toute la constitution nouvelle, mais des changements substantiels en matière, notamment, de partage des pouvoirs. Je me souviens qu'on a eu une discussion intéressante là-dessus. Là, il semblerait que cela ait évolué de ce côté.

Je réponds à votre question en vous disant que c'est une hypothèse à laquelle le Québec n'a pas adhéré, pour la bonne raison que l'hypothèse n'a jamais été fondamentalement étudiée. Elle peut revenir comme "solution" possible, avec des variantes ou non, mais d'avance je vous dis que si c'est ça le fédéralisme renouvelé, ce n'est pas grand-chose. Deuxièmement, c'est probablement une des questions qui seront regardées aux mois de janvier et février, aux réunions nouvelles qui sont annoncées.

J'ai dit tantôt, parce que je voudrais me corriger partiellement, que la réunion réunirait les ministres et les premiers ministres des provinces qui s'opposent au geste fédéral. Il est possible que d'autres s'y joignent aussi, mais je ne peux pas m'engager davantage dans ça. Il n'est pas exclu qu'il y ait plus de six provinces, mais je ne sais pas encore. Disons qu'en ce qui concerne l'hypothèse que vous mentionnez, je pense que le jugement qu'on doit réserver à une hypothèse, c'est qu'on verra, si elle se présente, ce qu'il y aura à faire et de quelles garanties il faudrait que ce soit théoriquement accompagné pour le Québec advenant l'hypothèse. Mais je dois dire que nous n'en sommes pas là, que ça n'a jamais été formellement proposé encore. Néanmoins cela a été mentionné dans des conversations et ce n'est pas la première fois; dès l'été dernier, je dirais qu'au cours de nos réunions de cet été, des provinces disaient: On rapatrie la constitution. Point. Tandis que le gouvernement fédéral a ajouté les éléments que vous savez, une formule d'amendement, accompagnée d'un référendum bizarre, et, deuxièmement, une charte des droits qui bouscule les compétences des provinces, ce que la majorité des provinces a fini par dire. C'est là où nous en sommes, M. le chef intérimaire de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Si je comprends bien, le Québec n'est pas prêt à rapatrier la constitution

unilatéralement et sans amendement.

M. Morin (Louis-Hébert): Je ne veux pas me prononcer sur une hypothèse qui a, au moment où je vous parle, au moins deux ou trois variantes. J'attends de voir ce qui va se produire. Nous en discuterons au Conseil des ministres. Je ne peux pas engager le gouvernement du Québec à accepter ou à refuser ou à quoi que ce soit, en supposant que l'hypothèse dont vous parlez se manifeste formellement, mettons, par exemple, au cours d'une réunion des ministres au mois de janvier. Il peut y avoir d'autres éléments d'ici ce temps-là. Par exemple, qui aurait dit, il y a une semaine, que le gouvernement fédéral, qui avait lancé son train d'enfer pour le 9 décembre, se verrait dans l'obligation de reculer et finalement d'accorder deux mois de plus. Alors il peut se produire des choses d'ici à ce que nous nous voyions et nous en tiendrons compte.

La Vice-Présidente: À ce moment-ci, au nom de la commission de la présidence du conseil et de la constitution, j'inviterais M. Robert Normand, sous-ministre au ministère des Affaires intergouvernementales, à bien vouloir venir s'asseoir avec la commission de la présidence du conseil. M. Robert Normand.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je ne sais comment on procède dans ces cas-là. Est-ce qu'il ne serait pas plus utile qu'au départ je situe moi-même, comme ministre - quitte à ce qu'il y ait autant de questions qu'on voudra par la suite - l'intervention de M. Normand et les sujets que j'aimerais personnellement qu'il aborde pour compléter - puisqu'on est à l'époque des renseignements qu'on se donne mutuellement -mais propres propos sur lesquels j'aimerais qu'il nous donne quelques renseignements que je n'ai pas abordés ce matin. Ensuite les questions pourront suivre. Il sera suivi d'ailleurs par M. Pratte.

La Présidente (Mme Cuerrier): Très bien, M. le ministre.

M. Morin (Louis-Hébert): Ce que je veux dire essentiellement, c'est ceci. Nous avons comme action au gouvernement du Québec - c'est à ce sujet-là que j'aimerais que M. Normand me fournisse des précisions supplémentaires - d'abord une action interprovinciale, dont je viens de parler, à la suite d'une question qui m'était posée par M. Le Moignan; deuxièmement, nous avons une action à Londres, avec les autres provinces. Nous avons une action devant les tribunaux ici au Canada. Nous avons une action aussi auprès des Britanniques au plan judiciaire. M. Pratte pourra compléter cela tout à l'heure.

J'aimerais personnellement, si vous étiez d'accord, que M. Normand nous parle de l'action interprovinciale et, à la suite de cela, de notre action à Londres.

La Présidente (Mme Cuenïer): Monsieur...

M. Rivest: Je m'excuse auprès de M. Normand. D'après la façon dont le ministre vient de décrire le travail et les témoignages que les témoins vont venir rendre devant la commission, dans l'esprit du ministre, autant M. Normand que

M. Pratte vont-ils simplement venir donner ici une description des démarches qui ont été entreprises? Est-ce que, dans l'esprit du mandat de la commission, les membres de la commission seront autorisés à obtenir de M. Normand, M. Pratte et des autres témoins qui viendront par la suite, les groupes, etc., des opinions au mérite sur chacun des aspects fondamentaux qui sont en cause par la résolution fédérale, par exemple, sur le caractère unilatéral de la demande, l'aspect juridigue, les fondements juridiques, les éléments de contestation juridique du caractère unilatéral, deuxièmement, la portée et l'interprétation juridique que les conseillers du gouvernement et que le gouvernement se font des dispositions de la Charte des droits et libertés qui sont incluses dans la charte? Autrement dit, est-ce que, dans l'esprit du ministre, M. Normand va venir simplement nous expliquer qu'il a pris contact avec tel nombre de gouvernements au Canada, qu'il a eu tel type de recontre, etc.? Est-ce qu'on va aller au fond de la question?

J'ai cru comprendre d'après l'intervention du ministre que, dans son esprit... La présidente a tenu à relire le mandat de la commission pour bien circonscrire l'ensemble des démarches de la commission, c'est-à-dire qu'on ne peut sortir du texte ou du contenu de la résolution fédérale. Je me demande si, à l'intérieur de la résolution fédérale, on pourra, tout au long des travaux de la commission, faire une analyse au fond des différents éléments inclus dans le projet de résolution fédérale.

M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que c'est assez facile et complexe en même temps que de répondre à la question que vous posez. Dans mon esprit, il est clair - je pensais l'avoir dit - que quand j'ai délimité un peu les domaines de responsabilité de M. Normand, c'était simplement pour qu'au point de départ on puisse faire la distinction, c'est-à-dire, d'une part, qu'il y ait une action interprovinciale et une action à Londres sur lesquelles il serait peut-être intéressant que nous ayons, comme membres de la commission, des renseignements factuels.

D'autre part, cependant, pour ce qui concerne l'action judiciaire, si je peux m'exprimer ainsi, et aussi notre démarche et le contenu du document que nous avons déposé et que vous avez maintenant au "select committee", il est tout à fait attendu et je suis sûr que cela doit arriver et que cela va arriver que nous allions plus loin et que les membres de la commission posent des questions sur le fond des choses aux intervenants ici avec, cependant, cette précaution normale que la responsabilité politique revient quand même au gouvernement du Québec. Je m'expligue.

En ce qui concerne les démarches que nous avons faites auprès du gouvernement britannigue, elles l'ont été à ma demande, par notre délégué général, sur les instructions du sous-ministre. En conséguence, les guestions d'ordre politigue devraient plutôt m'être adressées à moi, comme responsable du ministère, ou à Me Marc-André Bédard, ministre de la Justice, comme responsable de la démarche politique du gouvernement, parce qu'il y a une démarche politique de ce côté comme il y a une démarche politique d'ailleurs à la commission elle-même. Je ne voudrais pas, par exemple - et je pense que tout le monde va comprendre, j'ai moi-même été dans ce cas-là

pendant huit ans et demi et cela m'est arrivé de présenter des choses devant des députés et des ministres - que la responsabilité politique des gestes ou des décisions soit imputée à d'autres qu'au personnel politique, plus particulièrement au ministre lui-même. Par conséquent, je pense qu'il y a des questions d'ordre politique qui devraient plutôt m'être adressées à moi, à M. Bédard ou à d'autres qu'au sous-ministre lui-même. Nous en avons parlé d'ailleurs. Je pense que vous êtes d'accord avec ça.

M. Rivest: Oui, sauf qu'il y a une certaine ambiguïté, étant donné la façon dont le ministre et la présidente ont interprété le mandat. Les questions d'ordre politique qu'on devrait adresser au ministre à la suite des réponses qu'a obtenues le chef de l'Opposition m'apparaissent extrêmement minces. Qu'est-ce que vous entendez par les questions d'ordre politique? Le chef de l'Opposition vous a posé des questions au départ afin que vous vous situiez comme gouvernement du Québec. Vous vous situez dans quelle perspective? On a essayé d'avoir des éléments additionnels pour savoir dans quelle perspective politique, justement. Je sais très bien que je n'irai pas demander à votre sous-ministre ou aux conseillers juridiques du gouvernement, et le chef de l'Opposition non plus, le genre de questions et vous avez dit: Non, le mandat, c'est simplement pour entendre des gens.

M. Morin (Louis-Hébert): Excusez, Mme la Présidente.

M. Rivest: II y a un malentendu.

M. Morin (Louis-Hébert): II y a un malentendu. Ce que j'ai dit tout à l'heure - et je l'ai démontré moi-même ce matin dans mon intervention et dans mes réponses - c'est qu'il va de soi qu'il est plausible - et ceci a été fait -que d'une part je vous dise: La perspective que nous avons adoptée comme gouvernement au début et pendant ces négociations, ce que j'ai fait ce matin, et que tout à l'heure je réponde aux questions du chef de l'Opposition relatives à cette intervention que j'ai faite ce matin. Ce que j'ai dit, c'est: Très bien, vous allez le faire, mais il ne faudrait pas perdre de vue que notre raison principale d'être ici, c'est d'écouter ce que les gens ont à nous dire sur la démarche fédérale. Je n'ai pas le texte devant moi. Cela n'exclut pas -et ce serait ennuyeux si ça l'excluait - qu'on se pose mutuellement des questions, qu'on s'informe mutuellement et qu'on réfléchisse ensemble. Au contraire. Si on était ici seulement pour écouter des gens sans commentaires, ce ne serait pas particulièrement stimulant.

Ce que je voulais dire dans le cas qui vient de nous occuper, c'est que les décisions politiques qui devaient être prises au niveau des démarches que nous avons faites, que ce soit n'importe où, l'ont été par le ministre et je ne voudrais pas à ce moment-là qu'on en impute, en bien ou en mal, la responsabilité, par exemple, au sous-ministre, ce qui ne l'empêche pas de répondre -et je pense que vous allez le voir - aux questions que vous aurez à poser sur à peu près tous les sujets. Mais, par moment, il peut arriver - vous savez très bien ce que je veux dire - qu'une décision politique prise par nous doive revenir à ceux qui l'ont prise. (16 heures)

Tout à l'heure, j'ai quand même répondu, je pense, aussi précisément que je pouvais le faire sans déborder trop le sujet aux questions qui m'étaient posées par le chef du Parti libéral et je pensais avoir répondu adéquatement parce que, dans mon esprit, ce n'était pas l'objet de notre réunion aujourd'hui d'essayer mutuellement, en quelque sorte, de se dire: Vous avez fait ceci, vous auriez dû faire autre chose, parce qu'à ce moment-là je pourrais très bien dire, moi aussi: Vous avez pris une position sur le rapatriement que je ne comprends pas, comment se fait-il que? Ce n'était pas à un dialogue entre nous qu'on devait procéder, et c'est pour cela que j'ai volontairement limité l'amplitude de mes réponses politiques.

M. Ryan: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: ...je tiendrais seulement à signaler que, sur les quatre questions que j'avais posées tantôt, j'estime qu'il y en a une qui a reçu une réponse satisfaisante et que les trois autres ont reçu des bouts de réponse qui ne m'ont aucunement satisfait.

M. Morin (Louis-Hébert): On n'est pas obligés d'être satisfaits au même moment. Il peut y avoir une satisfaction qui s'étend dans le temps. On verra.

M. Rivest: J'aimerais donner un exemple pratique, de façon que ce soit bien clair si on doit s'adresser au ministre ou aux témoins invités par la commission, par exemple, le sous-ministre. Par exemple, est-ce qu'on peut obtenir, au niveau de cette commission, une position ferme du gouvernement, à savoir si c'est une bonne chose ou une mauvaise chose que l'on enchâsse dans une future constitution canadienne les droits et libertés fondamentales? Je ne veux pas discuter du fond, mais à qui s'adresse-t-on? Est-ce que c'est un problème politique? M. Normand peut me donner les avantages et les inconvénients juridiques. Mais, au niveau de la commission, pour l'information du public sur cette question - je prends juste cet exemple - est-ce que, un jour ou l'autre, dans le déroulement des travaux de la commission, vous allez être en mesure de nous dire: Oui, on est d'accord ou non, on n'est pas d'accord ou bien on est d'accord pour tel et tel type de droits, mais on a des réserves pour tel ou tel autre?

M. Bédard: Mme la Présidente, peut-être que je pourrais suggérer que la manière de procéder avec le plus de célérité serait de commencer à auditionner les gens et de poser les questions.

M. Rivest: J'aime mieux que les règles du jeu soient établies.

M. Bédard: Me permettez-vous de terminer? Concernant votre question, je pense qu'il vaudrait mieux commencer à entendre les témoins et, ensuite, poser les questions qu'on croit valables.

Pour ce qui est de la question précise que vous avez posée pour savoir s'il y a avantaqe à ce qu'il y ait un enchâssement des droits et libertés dans une constitution, cela me semble être une question tout à fait pertinente qui devrait être posée en particulier à M. Pratte parce qu'il l'a étudiée. Et on pourra vous répondre, nous aussi.

M. Morin (Louis-Hébert): Et si vous me la posez à moi, je dirai qui m'a convaincu de l'opinion que j'ai maintenant du sujet. Vous serez intéressé à le savoir.

La Présidente (Mme Cuerrier): Est-ce que nous pourrions trancher la question? Si nous établissions un parallèle avec la question avec débat du vendredi où, à l'article 162Ac, on dit: "Le ministre peut se faire accompagner des fonctionnaires de son choix et les autoriser à prendre la parole et ils parlent alors en leur nom."

M. Morin (Louis-Hébert); C'est cela.

M. Rivest: Est-ce que ce sont des fonctionnaires ou si ce sont des témoins? Est-ce que le ministre va parler au nom de tous les experts qui vont être devant la commission?

M. Bédard: Le député de Jean-Talon est quand même capable de faire certaines distinctions. Est-ce que la meilleure manière de procéder n'est pas de commencer à auditionner, à entendre ce que les témoins ont à dire?

M. Rivest: On veut savoir où on va.

M. Bédard: C'est peut-être confus dans votre esprit, mais vous venez de poser une question qui semblait amener la confusion dans votre esprit. On y a répondu tout de suite. Vous n'avez qu'à poser la question à Me Pratte qui est chargé du dossier juridique et il sera très intéressé, s'il le désire, à donner son opinion sur la question de l'enchâssement des droits et libertés.

La Présidente (Mme Cuerrier): Cette intervention du ministre de la Justice m'amène à conclure que nous avons l'accord de la commission pour qu'il intervienne. M. le chef de l'Opposition officielle, vous aviez quelque chose à ajouter. J'aimerais bien que nous puissions entendre M. Robert Normand immédiatement après.

M. Ryan: J'ai seulement une question à vous poser, Mme la Présidente. Est-ce que vous prévoyez un stade dans la discussion où les questions de politique fondamentale que j'ai commencé à adresser au ministre tout à l'heure pourront lui être posées avec des chances qu'elles reçoivent une réponse convenable? Si vous nous dites que cela viendra à un autre stade, moi, cela ne me fait rien que ce soit maintenant ou plus tard. Si vous vouliez que nous attendions, cela va très bien, mais je voudrais avoir cette assurance. Je voudrais avoir l'assurance aussi que le travail que nous faisons ne sera pas l'objet d'une interprétation tellement restrictive qu'on serait pris dans une espèce de canal qui nous conduit obligatoirement à des conclusions négatives et stériles. Je veux qu'on fasse un travail constructif. Si j'ai cette garantie, il n'y a pas de problème. Si je ne l'ai pas, je vais être très éclairé quant à la portée du travail de la commission ici et je tirerai mes propres conclusions.

M. Bédard: Je pense qu'il ne s'agit pas d'être restrictif. Il s'agit d'y aller de la façon la plus élaborée possible. Quant aux questions que vous aurez à poser, il me semble qu'on ne peut pas nous demander d'avance de dire qu'on aura une réponse à toutes les questions. À mesure qu'elles seront posées, on y verra.

M. Ryan: J'adressais ma question à Mme la Présidente qui, tantôt, a indiqué une ligne de conduite.

La Présidente (Mme Cuerrier): Ce que j'allais vous répondre, M. le chef de l'Opposition officielle, c'est que nous tâcherons de nous en tenir au mandat de la commission, que vous pourrez relire. D'ailleurs, j'avais déjà donné une interprétation quant aux interventions de M. Robert Normand en vous citant l'article 162Ac de notre règlement.

M. Robert Normand.

Audition de témoins M. Robert Normand

M. Normand (Robert): Mme la Présidente, je vous remercie. Vous me permettrez, avant de commencer, d'abord de remercier mon ministre pour le parapluie qu'il m'a offert et qui pourrait être fort utile pour me mettre à l'abri des questions qui seraient à caractère trop politique dans le cadre de la nature de cette commission, de cette institution.

Si vous me permettez, je ferai un court exposé sur la concertation interprovinciale des derniers mois et, également, sur l'action que nous menons à Londres depuis quelques mois, et ensuite je serai à votre disposition pour répondre aux questions que vous jugerez à propos de me poser.

En ce qui concerne la concertation interprovinciale, c'est devenu, je pense, une nouvelle donnée du fonctionnement du fédéralisme canadien au cours des dernières années, plus particulièrement au cours des derniers mois, où cette concertation interprovinciale s'est intensifiée singulièrement. Cette concertation a pour objet, d'abord, un échange d'informations entre les provinces qui y ont intérêt. Elle vise également à assurer une coordination de l'action des provinces qui y ont intérêt et, elle permet également, à l'occasion, l'élaboration de politiques communes. Cette concertation interprovinciale a été particulièrement importante dans les moments qui ont précédé le vendredi de la dernière conférence fédérale-provinciale des premiers ministres à Ottawa et qui a permis l'établissement du texte auquel le chef de l'Opposition faisait allusion tout à l'heure, c'est-à-dire cette sorte de consensus interprovincial que les premiers ministres ont amené chez M. Trudeau, le vendredi matin de cette conférence constitutionnelle.

Cette concertation a également permis la

tenue à Toronto d'une réunion des premiers ministres des provinces, après l'annonce par M. Trudeau du projet qu'il entendait soumettre au Parlement fédéral. Elle a également permis une rencontre des ministres de la Justice à Winnipeg, au milieu du mois d'octobre, de façon à organiser la contestation devant les tribunaux par les six provinces qui en font partie. Elle a aussi permis la tenue d'une réunion à Winnipeg des fonctionnaires des six provinces contestataires le 17 novembre dernier. Cette réunion a été, je pense, fort utile. Elle a permis de faire le point un mois, ou à peu près, après le dépôt du projet fédéral par M. Trudeau sur un certain nombre de sujets. Par exemple, on a pu faire le point sur l'action commune devant les tribunaux. Jean K. Samson, qui est notre conseiller juridique au ministère, pourra vous en parler de façon plus élaborée un peu plus tard dans cette journée.

Elle nous a permis également de constater qu'un certain nombre d'Assemblées nationales ou législatives s'apprêtaient à adopter ou avaient adopté des résolutions d'un caractère analogue à celles que le Québec a adoptées également. C'est ainsi que l'Alberta a adopté une résolution qui va dans ce sens; Terre-Neuve a fait de même et la Colombie-Britannique, dont le Parlement s'est réuni la semaine dernière, je pense, doit faire de même également.

En ce qui concerne les commissions parlementaires analogues à celle-ci, le Manitoba en a constitué une qui a siégé de façon itinérante, je pense, aussi à travers le Manitoba. L'Alberta vient d'en constituer une avec le mandat de recevoir des représentations ou d'aller chercher des opinions un peu partout au Canada. Il est fort possible que cette commission s'amène au Québec au cours des prochaines semaines ou des prochains mois. Également, il y a celle du Québec dont nous avons fait part à nos collègues. À cette époque, il s'agissait d'une hypothèse, elle s'est concrétisée depuis.

Cela nous a permis également de savoir un peu à l'avance quelles étaient les provinces qui se rendaient comparaître devant le comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat à Ottawa. C'est ainsi que la Colombie-Britannique, l'Alberta, Québec, Terre-Neuve et l'Ontario semblent avoir décidé de ne pas comparaître devant ce comité, tandis que les provinces de l'Est, l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, décidaient d'y aller, de même que la Saskatchewan.

Cela nous a aussi et surtout permis de pouvoir faire le point sur l'action qui était possible pour les provinces à Londres. J'avais demandé à ce moment à Gilles Loiselle, notre délégué général du Québec à Londres, de venir nous faire valoir le point de vue qui était le sien par sa présence à Londres, d'essayer de nous donner le pouls du climat qui existait à Londres. Comme les provinces ne sont pas toutes aussi bien représentées que le Québec à Londres, cela a permis à mes collègues des autres provinces de se faire une meilleure idée de ce qui se faisait, de l'état des mentalités et aussi des possibilités qui s'offraient à nous. C'est ce qui a d'ailleurs permis aux provinces de se concerter pour déposer des mémoires harmonisés devant le comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères qui siège à Londres. En somme, cela a été un peu le point d'appui ou le point d'impact de la concertation interprovinciale au cours des derniers mois. Cette concertation se fait par échanges soit de télégrammes, soit de lettres, soit de téléphones, de téléphones-conférences ou de réunions, dans quelques cas, entre les agents des provinces soit au niveau des sous-ministres ou même au niveau ministériel comme cela se fait fréquemment. Je pourrai revenir, dans la période des questions, sur d'autres aspects qui pourraient vous intéresser et que j'ai peut-être omis de couvrir en ce qui concerne cette concertation interprovinciale.

En ce qui concerne notre action à Londres, j'ai demandé à Gilles Loiselle, au début du mois d'octobre, de venir à Québec afin de discuter avec nous des possibilités d'action du Québec à Londres. Bien sûr, le problème constitutionnel auquel nous faisons face présentement se déroule surtout et se réglera, j'espère, surtout au Canada, mais je n'exclus pas, nous ne devons pas exclure la possibilité qu'il puisse un jour atteindre Londres et il fallait appliquer à cet égard une certaine sorte de médecine préventive au cas où ces démarches pourraient se concrétiser à cet endroit.

Nous avons donc conçu un plan d'action diversifié, plan d'action d'ailleurs que nous remanions périodiquement en fonction de l'évolution de la situation et qui nous a incités à accorder à ce dossier une attention prioritaire pour notre délégation générale à Londres présentement. Nous avons, dans un premier temps, recruté du personnel juridique. Un jeune juriste québécois qui est présentement à Londres, pour y rédiger une thèse de doctorat, a accepté de nous prêter ses services pendant quelques mois afin de nous donner un appui additionnel; il s'agit de Me Frémont.

Nous avons également réussi à réunir une bonne brochette des meilleurs constitutionnalistes de Grande-Bretagne de façon à pouvoir nous aviser dans les méandres de la procédure constitutionnelle et parlementaire britannique. Nous avons également retenu les services d'une firme d'avocats à Londres, la firme Simmons & Simmons, et nous avons retenu les services d'un agent parlementaire, un M. Cash. Notre action a porté principalement sur le gouvernement, le Parlement et les media.

Notre action auprès du gouvernement. Les contacts n'ont pas été très fréquents. Cependant, M. Loiselle a pu rencontrer à diverses occasions, par exemple, à l'occasion de réunions sociales, particulièrement, plusieurs ministres du gouvernement britannique, y compris Mme Thatcher et Lord Carrington, le ministre britannique des Affaires étrangères. Ces réunions ne permettent certes pas de pouvoir faire valoir l'ensemble du point de vue des Québécois adéquatement, mais elles permettent de sensibiliser les autorités gouvernementales britanniques aux positions québécoises; elles permettent également de rappeler que nous existons.

Il faut se rappeler que la Grande-Bretagne possède à Ottawa un haut-commissariat dont c'est le mandat d'informer le gouvernement britannique sur l'évolution de la situation et tout me laisse croire que les représentants britanniques en poste au Canada font leur boulot adéquatement à cet égard, de sorte qu'il ne nous a pas semblé nécessaire d'embarrasser le gouvernement

britannique ou d'avoir des contacts trop fréquents qui auraient pu être considérés comme impertinents. Je pense que le moment où nous sommes, dans l'évolution de ce dossier, ne justifie pas que nous ayons une action plus intense présentement, quitte, cependant, à ce qu'on puisse la reprendre dans ce sens lorsque le contexte pourra le justifier, si tel devient le cas.

J'ai pu sentir cependant, au cours des derniers mois, une évolution assez significative, je pense, dans l'attitude des dirigeants britanniques en ce qui concerne le problème constitutionnel canadien. C'est ainsi qu'au cours de l'été dernier, ou même au début de l'automne, les ministres britanniques qui se prononçaient sur le sujet tenaient à ce que j'appellerais la thèse orthodoxe, c'est-à-dire que, si le Parlement fédéral adressait à Sa Majesté une demande de législation, le gouvernement britannique se sentirait une sorte d'obligation quasi juridique de donner suite à la demande qui lui serait faite et de la faire adopter par le Parlement. Je pense que l'attitude des ministres britanniques qui ont eu à se prononcer sur ce sujet au cours des dernières semaines est plus évasive, plus neutre à cet égard. Il en a été ainsi de M. Ridley, qui est le ministre adjoint de Lord Carrington aux Affaires étrangères, qui, encore interrogé la semaine dernière par les députés de l'opposition a refusé de se prononcer de quelque façon sur la teneur du débat constitutionnel qui se déroule au Canada, en invoquant que ce débat faisait déjà l'objet de discussions à Ottawa, d'une part, et au sein du "select committee" britannique, d'autre part. Je pense que ce glissement d'attitude, même s'il est mince, peut quand même être significatif en l'occurrence. Nous avons également eu une action, non seulement auprès du gouvernement, mais aussi auprès des parlementaires britanniques, étant donné qu'ultimement, ce seraient eux qui pourraient être appelés à décider sur ce sujet. C'est ainsi que M. Loiselle a organisé plusieurs déjeuners et rencontres avec des membres du Parlement britannique des deux Chambres et leur a fourni un certain nombre de documents pour les sensibiliser davantage, documents que le ministre a déposés ce matin devant cette commission. (16 h 15)

Nous avons eu également des contacts assez étroits avec un groupe qui s'appelle The All Party Group et qui réunit des membres de la Chambre basse de tous les partis intéressés par le problème qui est susceptible de leur être soumis. Il existe également un autre groupe de députés britanniques qui s'appelle le groupe de 1922. Je dois vous avouer que je ne connais pas les origines de cette appellation, mais il semble un groupe assez influent en Grande-Bretagne et nous sommes en étroite relation également avec les principaux membres de ce groupe. Nous avons eu également des contacts variés avec les divers partis politiques de Grande-Bretagne. C'est ainsi que les libéraux, dans un premier temps, nous ont répondu qu'ils favorisaient les thèses du gouvernement fédéral. Mais, après que nous leur ayons exposé l'envergure du problème qui se présentait, j'ai senti là aussi un certain glissement qui faisait en sorte qu'à tout le moins, on pouvait nous prêter une oreille peut-être plus favorable que celle qu'on nous avait indiquée au départ.

En ce qui concerne le Parti travailliste, je sais qu'ils ont eu des réunions assez fréquentes récemment sur le sujet et, pour des motifs de politique interne que vous comprendrez facilement, j'ai tout lieu de croire que, si le gouvernement britannique décidait de forcer la main du Parlement, d'introduire et de faire passer une résolution qui émanerait du Parlement canadien, il est fort plausible que le groupe travailliste puisse afficher une opposition assez forte au sein du Parlement britannique. Ce sont du moins les renseignements qui me parviennent et qui sont à cet effet. En ce qui concerne le Parti conservateur, beaucoup de contacts ont été faits avec de nombreux membres, surtout sur une base individuelle jusqu'à présent. En d'autres termes, notre action a été surtout une action de sensibilisation visant à démontrer au Parlement britannique et à ses membres l'envergure du problème qu'ils pourraient accueillir éventuellement, au terme des débats qui pourraient se dérouler ou qui se déroulent ici au Canada.

Nous avons eu également une action assez forte auprès de ce comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères dont je parlais tout à l'heure. Il s'agit d'un comité dont les membres travaillent sérieusement et qui a été constitué à la suite d'une réforme des organismes du Parlement britannique qui a été instituée il y a un peu plus d'un an. Les membres de ce comité nous ont invités, par avis public, à déposer un mémoire, ce que nous avons fait. Nous nous sommes concertés avec les autres provinces contestataires au Canada, de façon à harmoniser la teneur de ces mémoires et ensuite la rédaction en a été faite à Londres par Me Pratte que vous pourrez interroger davantage sur ce sujet, lequel a eu des contacts avec également des représentants d'autres provinces aux fins qu'ensemble, nous puissions déposer, auprès des membres de ce "select committee", une position qui tienne compte bien sûr des positions des gouvernements que nous représentons, mais qui puisse quand même constituer un ensemble de positions conciliables l'une par rapport à l'autre.

Cinq provinces ont ainsi déposé un mémoire devant ce "select committee" et la sixième, le Manitoba, a indiqué par télégramme qu'elle était généralement d'accord avec la teneur des mémoires dont il s'agissait. Ces mémoires devraient normalement être étudiés par le "select committee" au cours des jours suivants. Le "select committee" siège effectivement demain pour entendre deux constitutionnalistes dont nous avons les textes qui vous seront remis demain, M. Lauterpacht ainsi que M. Wade. Demain également, le "select committee" entendra des fonctionnaires des fonctionnaires du Foreign Office britannique de façon à les interroger davantage sur les aspects juridiques du problème en cause.

Il est vraisemblable, me dit-on de Londres, que ce comité, qui semble trouver plaisir à se pencher sur ce problème, puisse étendre son mandat à la fois dans son amplitude ainsi que dans le temps. Il est donc possible que le "select committee", qui s'est penché, jusqu'à présent, exclusivement sur les aspects techniques du problème, puisse également aborder, dans un deuxième temps, les aspects politiques du

problème canadien qui pourraient lui être soumis. Il est possible également, conséquemment, que le mandat du comité à cet égard soit allongé dans le temps pour, je présume, faire pendant aux décisions qui ont été annoncées à Ottawa, la semaine dernière.

Il m'a semblé que l'ensemble des mémoires canadiens soumis au "select committee", d'après les premiers échos que j'ai pu en avoir, démontrait aux Britanniques que les provinces avaient une approche sérieuse et faisait découvrir aux Britanniques l'ampleur du problème dont il s'agit, non seulement sur un plan politique, mais, aussi, sur un plan juridique. M. Pratte pourra vous entretenir davantage sur ce sujet tout à l'heure.

Je pense que, de façon générale, les parlementaires britanniques, lorsqu'on les contacte, ont été étonnés de voir l'ampleur du problème qu'ils auraient à trancher si jamais le problème leur parvenait, tant dans les aspects juridiques que dans les aspects politiques du sujet.

Nous avons également eu une action assez intense auprès des divers media britanniques. Nous avons ainsi rencontré plusieurs journalistes britanniques en Grande-Bretagne, un certain nombre d'entre eux sont venus nous rendre visite au Canada également. À Québec, j'en ai reçu sept, il y a environ deux semaines, deux autres la semaine dernière. Je pense que la roue s'est mise à tourner et qu'au cours des prochaines semaines nous devrions en recevoir d'autres également, ce qui indique l'intérêt des media britanniques pour le problème dont il s'agit.

Nous avons également eu des rencontres avec les représentants britanniques qui oeuvrent au Canada, soit le haut-commissaire à Ottawa, le consul général à Montréal et le consul à Québec. Nous avons eu également à Londres des contacts avec les représentants des autres provinces, je l'ai indiqué tout à l'heure, pour les fins de la préparation de nos mémoires devant le "select committee".

C'est un peu, tracé à grands traits et à vol d'oiseau, l'ensemble des actions que nous avons entreprises à Londres jusqu'à présent. Nous réajustons notre tir périodiquement en fonction de l'évolution de la situation, sans vouloir présentement embarrasser le gouvernement britannique, mais en voulant, bien sur, le sensibiliser à l'ampleur du problème dont il s'agit.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle, vous aviez une question, parait-il?

M. Ryan: II y en a plus qu'une.

La Vice-Présidente: Plus qu'une. M. le chef de l'Opposition officielle, vous avez la parole.

M. Ryan: Juste avant d'interroger le sous-ministre sur des points qu'il a traités, je voudrais lui demander s'il est aussi responsable de l'action auprès des media et de l'opinion publique au Québec. Si oui, de compléter peut-être son exposé sur ce point-là si, dans son esprit, ça vient à ce moment-ci.

La Vice-Présidente: M. Normand.

M. Normand: Le gouvernement du Québec a décidé de sensibiliser la population du Québec au problème constitutionnel qui se pose présentement. À cet égard, le gouvernement a constitué un comité de trois ministres qui est responsable de déterminer le type d'action qui doit être entreprise. On m'a demandé de coordonner les travaux qui doivent résulter des décisions ministérielles à cet égard. J'ai pu recourir aux services de Roger Cyr qui était, jusqu'à il y a un peu plus d'un mois, à la délégation du Québec à Boston. J'ai pu également recourir, au cours du dernier mois, aux services de M. Jean-Paul Lallier, aux services de M. Carpentier et aux services de M. Jean Fournier.

Essentiellement, notre action, jusqu'à présent, a constitué en l'organisation ou la mise au point d'une campagne d'information en utilisant la télévision, la radio, les journaux et les panneaux-réclame. En ce qui concerne la télévision, nous avons utilisé surtout des témoignages qui nous ont été donnés par un certain nombre de personnalités québécoises. Nous avons voulu sensibiliser la population sans le faire cependant de façon agressive. Nous avons également produit pour la radio des interviews sous forme de témoignages également, d'une durée de 30 et de 60 secondes. Nous avons également publié périodiquement dans les journaux quotidiens et hebdos du Québec un certain nombre de ces témoignages-là, et les panneaux-réclame que nous avons utilisés véhiculent le même message à titre de support.

De plus, un dépliant a été publié et est distribué présentement à tous les foyers urbains du Québec, ainsi qu'à la majorité des foyers ruraux assez facilement accessibles par un mode de distribution. Il existe en français et en anglais. Il est également mis à la disposition des associations qui voudraient l'utiliser pour leurs membres.

Nous avons également, dans cette perspective d'information, mis au point au ministère un document hebdomadaire ou qui paraît deux fois par semaine quelquefois qui s'appelle Constitution Express et qui est destiné plus spécifiquement aux députés de l'Assemblée nationale. Ce document vise à ramasser dans une courte publication les données de l'évolution du problème constitutionnel canadien au cours de la semaine qui a précédé. Je présume que vous devez le recevoir à vos bureaux.

Également, une tournée ministérielle a été mise au point avec l'aide de Communication-Québec. Elle a eu lieu la semaine dernière à travers le Québec.

Nous donnons également ou nous offrons le support qui pourrait être requis au mouvement Solidarité-Québec, par exemple, ou à tout autre mouvement qui pourrait être susceptible de vouloir également sensibiliser l'opinion publique au Québec sur les données du problème actuel.

C'est un peu l'ensemble des actions qui ont été réalisées à cet égard et qui, je pense, répondent à la question du chef de l'Opposition.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée...

M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Je ne sais pas comment vous entendez que nous procédions, Mme la Présidente. Quatre sujets ont été abordés par le sous-ministre. Il y a la concertation interprovinciale,

l'action au niveau de Londres, ensuite l'action auprès de l'opinion publique et des organismes au Québec. Je ne sais pas si vous voulez que nous prenions tout cela pêle-mêle ou que nous prenions ces trois sujets-là l'un après l'autre ou si vous n'avez pas de directive à nous donner là-dessus. On attend avec tremblement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je pensais que la commission serait d'accord que nous puissions répartir les questions. Je prends simplement pour le moment le nom des gens qui veulent intervenir. M. le chef de l'Opposition officielle, vous me dites que vous avez quelques questions. Je vous demanderais si possible, comme nous le faisons habituellement en commission, de considérer une intervention d'une vingtaine de minutes au plus, pour qu'ensuite nous puissions passer à celle du chef de l'Union Nationale, peut-être une du côté ministériel, si on me demande la parole. Ensuite, je vois Mme Chaput-Rolland qui a levé la main. Veuillez intervenir le plus rapidement possible s'il vous plaît, parce que nous avons quand même à entendre Me Pratte et M. Samson.

M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: D'abord, pour ce qui touche la concertation avec les autres provinces, vous avez parlé de cinq provinces avec lesquelles s'est nouée une concertation plus immédiate. J'aimerais bien savoir quels ont été les rapports avec les autres provinces, en particulier avec l'Ontario, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick pour ce qui touche d'abord l'intervention auprès des tribunaux; deuxièmement, l'intervention auprès de la commission parlementaire mixte, à Ottawa et, troisièmement, les interventions auprès de Londres. Des démarches ont-elles été faites auprès de ces provinces? Quel est l'état actuel des rapports avec elles?

M. Normand: La concertation interprovinciale réunissait au cours de l'été, au cours du début de l'automne également non pas six, mais les dix provinces, jusqu'à la réunion des premiers ministres des dix provinces, qui s'est tenue à Toronto le 14 octobre. C'est à cette occasion que les provinces se sont partaqées en deux groupes, les provinces contestataires, qui sont les six que l'on connaît, et les autres qui ont décidé de ne pas engager la contestation ou, du moins, qui l'ont engagée, mais suivant des méthodes qui leur semblaient propres.

Conséquemment, c'est à la réunion des premiers ministres des provinces à Toronto que le partage s'est fait au sein des dix provinces. Par la suite, les contacts ont été gardés uniquement et surtout, devrais-je dire, au sein des six provinces contestataires pour harmoniser leur action commune, les autres ne désirant pas participer à ce type d'harmonisation d'action. (16 h 3D)

J'ai eu quelques contacts téléphoniques avec des représentants des autres provinces depuis, mais ils n'ont pas été très nombreux, ni très significatifs. C'est ainsi que, la semaine dernière, mon homologue de la Saskatchewan m'interrogeait sur le climat qui existait à Londres, vu qu'il songeait à ce moment à faire un voyage lui-même à Londres afin de se rendre compte par lui-même de la situation. J'ai également eu un contact une fois, mais très peu prolongé et peu significatif, avec mon collègue de l'Ontario. Essentiellement, depuis le milieu d'octobre, la concertation se fait entre les six provinces contestataires dont il s'agit. La contestation devant les tribunaux a d'ailleurs été décidée à cette réunion du mois d'octobre d'où sont sorties les six provinces désirant aller devant les tribunaux et, à ma connaissance, aucune des quatre autres ne s'est pointée à Winnipeg devant la Cour d'appel du Manitoba, par exemple.

En ce qui concerne la commission parlementaire à Ottawa, je n'ai eu d'écho direct qu'au sein du groupe des six provinces et j'ai su par voie indirecte ou en lisant les journaux ce qui arrivait pour les autres provinces dont il s'agit, les quatre autres.

En ce qui concerne l'action à Londres, je n'ai pas d'écho non plus sur le type d'action que peuvent mener ou que pourraient mener les quatre autres provinces non "contestatrices" - si je peux les appeler ainsi présentement - sauf peut-être pour la Saskatchewan qui me semble manifester un certain intérêt dans le sens d'une action à Londres, mais ça ne s'est pas encore concrétisé à ma connaissance de façon manifeste.

M. Ryan: J'ai d'autres questions là-dessus. Dans les contacts que vous avez eus, avec les autres provinces, avez-vous senti chez elles un désir d'en arriver à une solution de compromis? Des possibilités auraient-elles été mises sur la table au pours des conversations par les fonctionnaires ou les représentants de ces provinces avec qui vous avez été en contact? Deuxièmement, avez-vous eu des contacts avec le gouvernement fédéral au cours de cette période au niveau de responsabilité qui est le vôtre et qu'est-ce que cela a donné?

M. Normand: En ce qui concerne les provinces entre elles, je dois vous avouer que depuis le dépôt du projet fédéral par M. Trudeau, nous nous sommes concertés surtout sur la façon de sensibiliser nos populations et de faire échec, soit par un recours aux tribunaux ou par un recours à Londres, au projet de M. Trudeau. Notre action a surtout été négative ou défensive jusqu'à présent à cet égard. Le ministre indiquait tout à l'heure qu'il était question d'une réunion de niveau ministériel et même au niveau des premiers ministres au cours des prochaines semaines. Un délai additionnel de deux mois nous étant fourni maintenant à Ottawa, je présume qu'à compter de maintenant les hommes politiques devront se pencher sur les aspects du problème que vous évoquiez même si, à ma connaissance, ils ne l'ont à peu près pas fait jusqu'à présent, leur principale préoccupation ayant été surtout une préoccupation défensive. Il est arrivé cependant... J'ai pris connaissance d'un télex émanant de la Colombie-Britannique où on demandait à M. Trudeau un moratoire de deux mois, une reprise des discussions en indiquant la nécessité d'un rapatriement avec une formule d'amendement. Cela n'a pas eu de suite, cependant, à ma connaissance, cette demande de la Colombie-Britannique.

M. Ryan: Une demande de la Colombie-Britannique.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Maintenant, à propos du "select committee" de Londres, quel est le statut du Québec et des autres provinces devant ce comité actuellement? Je crois comprendre que vous avez déposé un mémoire au nom du gouvernement du Québec. Ils ont reçu ce mémoire. Est-il question que le Québec soit entendu ou que les provinces soient entendues? Le comité a-t-il pris une décision là-dessus ou si c'est une chose qui reste en suspens pour l'instant?

M. Normand: Le comité dont il s'agit, comme je l'expliquais, est un comité permanent de la Chambre qui s'est donné le mandat d'examiner le problème canadien, mais uniquement sous un angle très technique, c'est-à-dire quel pourrait être légalement le rôle du Parlement britannique vis-à-vis d'une demande qui pourrait lui parvenir du Parlement canadien. C'est donc uniquement cet aspect technique que le comité a abordé jusqu'à présent. Le comité a invité quiconque à se présenter devant lui et à lui soumettre des mémoires. C'est ainsi que des constitutionnalistes britanniques l'ont fait. C'est ainsi que les provinces canadiennes dont il s'agit l'ont également fait. Nous avons donc déposé des mémoires. Il appartient au comité de déterminer si le comité veut entendre ceux qui ont déposé des mémoires de façon à pouvoir les interroger davantage. Comme les mémoires dont il s'agit, qui ont été déposés par les six provinces, émanent d'organismes politiques, je pense que dans le râle technique que le comité s'était donné jusqu'à présent, ce comité ne souhaite pas, pour l'instant, voir les provinces ou des représentants de provinces comparaître devant lui, de sorte que je pense que, jusqu'à présent, le comité est heureux d'avoir reçu ces représentations de la part des provinces, mais n'a pas émis, à ma connaissance, le voeu de rencontrer des représentants des provinces.

Toutefois, j'indiquais tout à l'heure également qu'il semble que le mandat du comité pourrait être élargi et que sa durée dans le temps pourrait être étendue. Je n'exclus pas que, dans une telle perspective, si le mandat du comité devient plus politique que technique, à ce moment-là, le comité souhaite entendre les représentants des provinces, mais cela ne s'est pas fait encore, au moment où je vous parle.

M. Ryan: J'aurais d'autres questions. On y reviendra peut-être plus tard. Je voudrais revenir au troisième aspect dont vous avez traité, c'est-à-dire l'action auprès de l'opinion publique à Québec. Est-ce que vous pourriez nous dire de quel budget vous disposez pour cette action, de quelle manière vous employez ce budget, par exemple, pour les messages publicitaires à la télévision et à la radio?

Deuxièmement, vous avez dit que vous travailliez en collaboration avec certains organismes comme Solidarité-Québec. J'aimerais que vous nous donniez des indications quant aux subventions que le gouvernement a peut-être fournies à l'un ou l'autre de ces organismes et quant à l'ampleur de ces subventions. Je pense que ce serait important que vous nous disiez la nature des ressources qui ont été mises à votre disposition pour cette opération, la manière dont vous êtes en train de les utiliser et peut-être aussi, quant à y être, des précisions sur la manière dont ont été confectionnés les messages que nous entendons à la radio et à la télévision.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Normand.

M. Normand: D'accord. En ce qui concerne le budget, le comité ministériel m'a indiqué que j'avais une marge de manoeuvre pouvant se situer aux environs de $1,000,000. C'est donc l'ordre de grandeur, jusqu'à présent, des dépenses dont il s'agit. Nous avons ainsi affecté jusqu'à présent un peu plus de $220,000 à du temps à la télévision; un peu plus de $220,000 également à du temps réservé à la radio. Nous avons affecté un peu plus de $80,000 à des dépenses de publicité dans les quotidiens et les hebdos et un peu moins de $3000 pour de la publicité dans les magazines. Les panneaux-réclame nous coûtent environ $85,000. La production et la distribution des dépliants, dont je parlais tout à l'heure, coûtent un peu plus de $300,000. Et les frais de production, télévision et radio, nous ont coûté un peu plus de $150,000. Le tout pour environ un peu moins de $1,000,000 jusqu'à présent. Les factures ne sont pas rentrées de façon précise, mais je me tiens dans l'ordre de grandeur qui m'avait été imparti. Nous avons également une certaine réserve pour faire face aux comptes qui pourraient être un peu plus élevés que ceux que nous anticipons, si tel était le cas.

En ce qui concerne les subventions aux mouvements auxquels vous avez fait référence, à ma connaissance, nous n'avons pas donné de subventions à de tels mouvements qui veulent, d'ailleurs, m'a-t-on dit, garder leur autonomie par rapport au gouvernement du Québec et pouvoir fonctionner de façon autonome. Nous leur avons offert, cependant, notre aide et notre support, mais, jusqu'à présent, la demande n'a pas été forte.

M. Ryan: Est-ce que vous avez d'autres arrangements du genre de ceux qui avaient été faits avec le Conseil d'expansion économique? Est-ce que cela faisait partie de votre programme ou si cela a été fait avant?

M. Normand: Cela a été fait avant.

M. Ryan: Vous n'avez pas d'autres arrangements de cette nature, soutien technique, aide indirecte?

M. Normand: Non. Nous avons réuni un groupe de fonctionnaires il y a deux semaines, à Montréal, pour préparer la tournée ministérielle et également pour essayer de stimuler l'action du mouvement de Solidarité-Québec. Mais, comme je vous le disais, l'appel n'a pas été fort, de sorte que le groupe s'est démantelé deux ou trois jours après, je pense, et présentement c'est la situation que je vous indiquais tout à l'heure, à ma connaissance.

M. Ryan: Est-ce que vous êtes complètement informé sur des initiatives qui pourraient être prises par des ministères autres que celui dont vous avez la direction ou par des sociétés d'État, en vue d'appuyer l'action du

gouvernement dans cette campagne?

M. Normand: Je n'en connais pas, Mme la Présidente. Pas à ma connaissance.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Pour rester dans le même sujet, j'aurais peut-être quelques informations supplémentaires à demander. Qui est le grand responsable de cette campagne de publicité?

M. Normand: II s'agit d'un comité ministériel comprenant trois ministres ainsi qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires. Ce comité m'a demandé d'assurer la coordination des actions qui pouvaient y être décidées. Pour assurer cette coordination, j'ai recouru aux services d'un certain nombre de personnes que j'ai indiquées tout à l'heure.

M. Le Moignan: Est-ce qu'il y a des personnes impliquées qui ne sont pas nécessairement des fonctionnaires, en dehors du gouvernement, des firmes?

M. Normand: J'ai mentionné tout à l'heure que j'avais recouru à un moment donné aux services de M. L'Allier à cette fin; il n'est pas fonctionnaire. Les autres ont tous un statut de fonctionnaire, je crois.

M. Le Moignan: Vous avez parlé d'un budget de $1,000,000. Étant donné que la campagne de publicité va peut-être se prolonger au cours de l'hiver, est-ce que vous avez un budget de prévu pour dépasser le million si le fédéral continue également sa publicité? Est-ce que c'est prévu dans vos estimations?

M. Normand: II n'y a pas eu de décision formelle de prise encore, à cet égard, au moment où je vous parle. Je présume que si une décision était prise dans le sens que vous indiquez, a ce moment-là, les budgets seraient mis à ma disposition de façon que je puisse les dépenser conformément aux instructions qui me seraient alors données. Mais, jusqu'à présent, une décision définitive n'a pas été prise, même si c'est dans l'air, bien sûr.

M. Le Moignan: Le ministre n'est pas prêt à répondre à la question tout de suite, non?

M. Morin (Louis-Hébert): Ce qui vient d'être dit est parfaitement exact. Nous sommes en train d'examiner, étant donné le délai qui vient d'être apporté par le gouvernement fédéral, l'action d'information qui pourrait s'étendre en janvier et peut-être février. Nous avons commencé à en parler, mais il n'y a pas d'annonce ou quoi que ce soit qui soit prêt au moment où je vous parle. C'est une question que nous sommes en train d'examiner au moment même où je vous parle.

M. Le Moignan: Cela veut dire qu'il n'y a pas d'ordre d'établi. Ce n'est pas 50% du budget ou plus ou moins. Vous ne savez pas trop.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais cela dépendra - je pense que vous allez comprendre - parce qu'il y a deux facteurs qui entrent en ligne de compte: d'abord, la durée, si nous estimons la durée de cette information, et, deuxièmement, l'intensité. Alors, il y a moyen d'avoir une durée plus longue avec une intensité moindre, une intensité plus marquée avec une durée moins longue ou les deux ensemble. Les coûts varient donc. Sauf que comme - je peux vous dire d'avance - il y a, en supposant qu'il y en ait une, une continuation, comme il n'y aurait pas, de toute façon, de dépliants autant que je le sache, tout de suite cet aspect de la dépense est éliminé. Il n'y aura probablement pas de panneaux-réclame non plus; cela vient d'être éliminé. Je ne peux pas vous répondre davantage pour le moment. On est en train et je vous dis qu'on est en train de l'étudier, c'est sûr.

M. Le Moignan: ...

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, excusez-moi.

M. Le Moignan: Excusez-moi.

M. Morin (Louis-Hébert): Non.

M. Le Moignan: Je vois ici que vous avez un dépliant qui semble très bien préparé. Est-ce que cela a été fait par des fonctionnaires ou des gens de l'extérieur? Avez-vous l'intention de produire un second dépliant comme celui-ci?

M. Normand: C'est vraiment un travail de groupe à la base qui a amené le texte que vous avez là. Ce n'est pas un texte destiné à des intellectuels, si vous voulez. C'est un texte destiné à l'ensemble de la population et qui vise à sensibiliser la population. C'est donc l'oeuvre d'un travail de groupe qui est là.

En ce qui concerne la production d'un deuxième dépliant, aucune décision n'a été prise à cet effet. Même il n'est pas question présentement que nous en publiions un deuxième. Je n'exclus pas, cependant, qu'une décision puisse être modifiée dans ce sens en cours de route en fonction de l'évolution de la situation.

M. Le Moignan: Vous avez beaucoup parlé de concertation interprovinciale. Vous en avez parlé comme s'il s'agissait un peu d'une donnée, d'une règle permanente du fédéralisme canadien. On sait que, les années passées, ces fronts communs ont été de courte durée la plupart du temps. Croyez-vous que l'évolution récente de cette concertation interprovinciale revêt un caractère de permance et, si oui, pourquoi cela peut-il revêtir un tel caractère?

M. Normand: II y a deux phénomènes qui expliquent cette intensification de la concertation interprovinciale. Je ne peux jurer de sa pérennité cependant. Les deux phénomènes sont les suivants. D'abord, se sont constituées au sein de plusieurs gouvernements provinciaux des équipes de relations intergouvernementales. Il y en avait très peu qui existaient dans le passé. Il y avait, à toutes fins utiles, le Québec, l'Ontario et le gouvernement fédéral qui étaient bien équipés à cet égard. Depuis lors, la Saskatchewan s'est dotée d'une bonne équipe. L'Alberta a une équipe de grande qualité et très considérable également. Terre-Neuve s'est dotée d'une petite équipe aussi,

mais de très grande qualité. On sent poindre un peu partout la naissance de spécialistes ou de groupes de spécialistes en relations intergouvernementales. C'est ainsi qu'en Colombie-Britannique ils sont en train de s'organiser à cette fin; en Nouvelle-Écosse également. Cette existence de groupes de fonctionnaires spécialisés dans les relations intergouvernementales stimule, par voie de conséquence, la concertation interprovinciale puisque - vous connaissez bien la fonction publique - il suffit d'installer un fonctionnaire à une table pour qu'il essaie de se trouver du travail pour justifier son maintien à cette table. Il y a un peu de ce phénomène-là également qui intervient. (16 h 45)

II y a un deuxième phénomène aussi. Devant les désirs du gouvernement fédéral de vouloir réformer la constitution dans un sens qui ne correspondait pas aux besoins des provinces, il y a eu une sorte de menace, par le gouvernement fédéral, qui a pesé de plus en plus lourd au-dessus de la tête des provinces et qui les a incitées à se concerter davantage vis-à-vis de cette menace dont elles étaient l'objet. Quelle sera la durée de cette concertation? Je pense qu'il en restera un minimum que nous ne connaissions pas il y a trois ou quatre ans, par exemple; je doute, cependant, que cette concertation puisse demeurer aussi intense qu'elle l'est présentement, dépendant, évidemment, de l'évolution de la menace qui pèse présentement sur les provinces dont il s'agit. Je ne sais pas si cela répond bien à votre question, mais c'est vraiment le sentiment que j'en retire, en tout cas.

M. Le Moignan: D'après ce que vous dites, dans chacune des provinces on sent un besoin de cette concertation permanente, mais, comme le problème constitutionnel ne sera peut-être pas réglé dans les mois à venir, tout laisse indiquer qu'on va envisager de la rendre encore plus permanente, de l'étendre aux différentes provinces canadiennes, si je comprends bien.

M. Normand: Je pense que votre hypothèse est tout à fait vraisemblable. En ce qui concerne les fronts communs interprovinciaux, je dois avouer cependant qu'ils sont très ténus, qu'ils se forment ad hoc et qu'ils durent ce que durent les roses habituellement, encore que les derniers établis semblent avoir une certaine durée jusqu'à présent.

M. Le Moignan: Pour revenir à un autre aspect que vous avez touché en parlant de Londres, en parlant de cette concertation des provinces, est-ce que la concertation progresse dans le sens de la sensibilisation de la population britannique pour essayer de la rendre consciente de l'enjeu réel du projet fédéral à ce moment-ci, soit par le biais des media, soit par des rencontres ou des conférences, je ne sais trop? Si vous avez déjà fait des approches en ce sens, est-ce que vous avez déjà perçu une réaction de l'opinion politique britannique? Est-ce que cela semble être significatif, en d'autres termes?

M. Normand: En ce qui concerne la concertation interprovinciale, pour notre action à Londres, je dois vous avouer que la réunion de fonctionnaires que nous avons tenue à Winnipeg en présence de Gilles Loiselle a été très utile. La plupart des provinces, comme je l'indiquais tout à l'heure, ne sont pas représentées à Londres ou, lorsqu'elles le sont, elles le sont de façon variable en termes de qualité. Conséquemment, cette réunion a permis de sensibiliser les provinces sur les possibilités qui nous étaient offertes à Londres et j'ai senti, à la suite de cette rencontre, vraiment un regain d'énergie de la part des provinces vis-à-vis d'une éventuelle action à Londres.

En ce qui concerne notre action auprès de la population britannique proprement dite, je dois vous avouer que nous n'avons pas visé jusqu'à présent à atteindre la population britannique parce qu'en ce faisant nous nous trouverions à contester jusqu'à un certain point le gouvernement britannique. Nous nous trouverions à effectuer un certain nombre de démarches pour mettre le gouvernement britannique en difficulté. Or, je ne veux pas présumer, au moment où nous nous parlons, que le gouvernement britannique nous sera hostile; bien au contraire, je veux éviter qu'il le devienne. Conséquemment, notre action a eu comme points d'appui beaucoup plus les parlementaires britanniques et les media britanniques que la population elle-même. En ce qui concerne les media, cela a surtout été des séances ou des rencontres d'information et de sensibilisation. J'ai pu prendre connaissance d'un bon nombre d'articles au cours des derniers mois dans les journaux britanniques qui sont pour la plupart, de façon générale, je pense - c'est mon sentiment - favorables aux thèses que défendent présentement les six provinces contestataires sur le problème dont il s'agit. Incidemment, je pense qu'on n'a jamais tant parlé du Canada et du Québec dans la presse britannique qu'au cours des derniers mois.

M. Bédard: Mme la Présidente, je ne veux pas interrompre M. le chef de l'Union Nationale. Je n'ai pas eu l'occasion de le consulter, mais nous avons parlé avec l'Opposition officielle de la possibilité de suspendre le témoignage de M. Normand, parce que d'autres questions lui seront adressées, à ce qu'ont dit les membres de l'Opposition, pour entendre - on comprendra certaines contingences - Me Yves Pratte et son équipe qui sont chargés du dossier juridique.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, avec votre permission, je voudrais, à cette suspension-ci, dire - et le député de Jean-Talon va être tout à fait d'accord avec moi - que, depuis son existence, le ministère des Affaires intergouvernementales, comme vous le voyez encore aujourd'hui, a eu toujours d'excellents sous-ministres.

M. Bédard: Ne partons pas une discussion là-dessus.

La Présidente (Mme Cuerrier): II y aurait consentement de la commission pour... Oui, vous disposez encore de quelques minutes, M. le chef de l'Union Nationale. M. le sous-ministre, si vous acceptiez, puisque la commission est d'accord, que nous entendions Me Pratte et que vous puissiez revenir. La commission demande que vous vous teniez à sa disposition, s'il vous plaît. Merci

beaucoup.

J'inviterais maintenant Me Yves Pratte et son équipe à se présenter devant la commission. Me Yves Pratte est conseiller du gouvernement. J'aimerais vous demander, Me Pratte, de bien vouloir nous présenter les personnes qui vous accompagnent pour les fins du journal des Débats, puisque nous devrons en tenir compte dans un éventuel rapport, s'il vous plaît.

M. Yves Pratte

M. Pratte: Merci, madame. Je dois m'excuser d'avoir pris la liberté d'avoir demandé à deux de mes conseillers qui m'aident dans cette tâche, M. Emery à ma droite, M. Bouchard à ma gauche, de se joindre à moi, cet après-midi, pour m'aider à répondre à vos questions, parce que je suis ici uniquement parce que vous m'y avez convoqué par télégramme, hier après-midi, et votre télégramme disait que je devais être présent pour répondre aux interrogations de la commission; en conséquence de quoi, je n'ai aucune déclaration à faire et je suis à votre disposition.

M. Bédard: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Comme on le sait, Me Pratte s'est vu confier par le gouvernement du Québec la mission de diriger, de coordonner l'équipe de juristes et de plaideurs chargée d'entreprendre des procédures judiciaires qu'il a été décidé d'entreprendre avec la solidarité de cinq autres provinces et qui se concrétisent par des procédures qui sont entreprises au niveau de trois provinces. Effectivement, Terre-Neuve, Manitoba et le Québec sont, à la suite d'une décision des six provinces concernées, les provinces qui ont été désignées pour aller respectivement devant leurs Cours d'appel. Déjà, il y a des procédures qui ont été entamées au Manitoba devant la Cour d'appel. Nous avons fait une intervention, le Québec est intervenu. J'ai d'ailleurs déposé hier en Chambre le factum qui avait été préalablement déposé devant la Cour d'appel du Manitoba. Également, nous avons aujourd'hui fait connaître le mémoire qui sera déposé devant le "select committee" de Londres.

Pour ce qui est de la Cour d'appel du Québec, tel que je l'ai indiqué ce matin, au plus tard au début de la semaine prochaine et peut-être même d'ici la fin de cette semaine, le gouvernement du Québec fera connaître à la Cour d'appel les questions sur lesquelles il demanderait que celle-ci se prononce. Il y a également de prévues des interventions du Québec devant la Cour d'appel de Terre-Neuve et M. le chef de l'Opposition me disait très gentiment ce matin qu'il s'attendait que nous disions à notre équipe de plaideurs - ici nous pouvons reconnaître également Me Lucien Bouchard et Me Emery qui font partie de l'équipe avec Me Pratte - de ne pas ménager les efforts pour défendre avec succès les intérêts du Québec, face au coup de force constitutionnel du fédéral. Je pense qu'il est inutile de dire que depuis sa nomination comme conseiller principal du gouvernement, Me Pratte n'a ménagé aucun effort et a employé toutes ses énergies à constituer les dossiers et les convictions que nous ferons valoir devant les différentes cours. On pourra peut-être lui poser des questions qui sont reliées à celles qu'a déjà posées le chef de l'Opposition. Me Pratte s'est également rendu à Londres, à deux reprises je crois, et il serait peut-être la personne tout indiquée pour discourir sur l'ensemble du dossier qui est présentement devant le "select committee".

Comme on le sait, le travail de Me Pratte comporte une large part d'analyse de la situation et de ses conséquences juridiques pour le Québec, si les amendements constitutionnels tels que proposés par le gouvernement fédéral étaient adoptés. Je pense que ce qui serait le plus important maintenant, étant donné que c'est un travail d'analyse de situations, de toutes les conséquences juridiques, le plus instructif serait sûrement d'entendre l'appréciation de Me Pratte sur tous les aspects juridiques et les conséquences que pourrait avoir le projet de "réforme constitutionnelle" tel que proposé par le gouvernement fédéral.

La Vice-Présidente: Je demanderais à Me Pratte s'il a l'intention d'intervenir tout de suite ou s'il aimerait mieux avoir des questions très précises des intervenants...

M. Bédard: De brosser un tableau des actions...

M. Pratte: Je préférerais répondre aux questions, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Tantôt, nous étions très curieux de connaître les cheminements concrets de l'action du ministre et de ses fonctionnaires immédiats. Ce n'est pas parce que nous passons notre temps à faire du potinage dans cette enceinte, M. Pratte, que nous n'essayons pas, de temps à autre, de faire du travail plus sérieux. J'ai préparé à votre intention quelques questions qui portent sur le contenu même de la démarche qui va être entreprise. Je pense que ce serait de nature à nous éclairer en ce qui touche notre action politique à nous, les choses que vous pourriez avoir à nous communiquer là-dessus.

Avec votre permission, Mme la Présidente, je vais énumérer une série de questions, et si M. Pratte et son équipe voulaient nous fournir des indications au sujet de ces questions, j'en serais fort aise.

D'abord, un des sujets qui reviennent continuellement sur le tapis dans le débat actuel est celui qui porte sur la force contraignante des soi-disant conventions constitutionnelles. Nous invoquons, du côté de la thèse québécoise, une des grandes conventions qui semblaient avoir été reconnues fermement par le gouvernement fédéral, dans le livre blanc de M. Favreau sur l'amendement constitutionnel publié en 1965. Le gouvernement fédéral soutient aujourd'hui qu'il s'agissait d'une convention qui n'a pas de force contraignante devant les tribunaux. J'aimerais beaucoup que vous nous éclairiez quant au contenu et à la portée du concept de conventions constitutionnelles.

J'ai remarqué que, dans un avis qui a été produit par la Cour suprême, en réponse à une demande du gouvernement canadien, en 1979, sur un projet de loi relatif à la modification du Sénat, la Cour suprême avait fait mention, de manière explicite, de l'existence de certaines conventions constitutionnelles. Sans les ériger à l'état de loi, elle leur donnait quand même beaucoup d'importance dans son jugement. J'ai remarqué, depuis, que le gouvernement fédéral soutient que ces conventions n'avaient aucune autre force contraignante que celle que voulait bien reconnaître le gouvernement fédéral. (17 heures)

J'aimerais beaucoup que vous nous éclairiez sur la manière dont vous entendez ce concept qui me semble capital dans le débat actuel.

Deuxième question - elles ne sont pas nécessairement en ordre logique; mais vous pourrez donner des réponses avec une meilleure logique si bon vous semble; je ne serai pas du tout froissé de mon côté - le projet fédéral que nous connaissons affecte-t-il les rapports fédératifs au sens qui était défini dans l'avis de la Cour suprême en 1979? Le gouvernement fédéral, si j'ai bien compris, soutient qu'il ne modifie pas les rapports fédératifs, qu'il donne même des pouvoirs accrus aux provinces dans certains domaines et que ceux qu'il leur enlève, il les enlève également au pouvoir fédéral pour les remettre à la garde du pouvoir judiciaire. J'aimerais avoir votre réponse à cette question-ci.

Troisièmement, il y a beaucoup de débats au sujet de l'aire de responsabilité qui appartient à chaque gouvernemet en matière de modifications constitutionnelles. J'aimerais que vous nous disiez quelles sont les clauses de la constitution qui ne sont pas amendables unilatéralement par le Parlement fédéral ou par les provinces à l'heure actuelle, suivant votre jugement. Nous savons tous qu'il y a un certain nombre, un bon nombre de clauses qui peuvent être amendées soit par le Parlement fédéral, soit par des provinces, sans qu'il y ait de débat à ce sujet-là. J'aimerais que vous nous indiquiez les clauses qui, selon vous, ne font pas partie de celles qui peuvent être l'objet d'une action unilatérale de l'un ou l'autre ordre de gouvernement ou de Parlement.

Quatrièmement, on a dit - j'ai lu cela à bien des reprises - que chaque fois qu'il s'est agi de proposer au Parlement britannique des amendements constitutionnels susceptibles d'affecter l'équilibre des rapports fédératifs, le gouvernement fédéral avait toujours vu à obtenir auparavant l'assentiment des provinces. Or, il existe apparemment un certain nombre de cas où telle ne fut pas la ligne de conduite suivie par le gouvernement. Par exemple, c'est sûr que, quand on admet une nouvelle province à l'intérieur de la fédération, on peut soutenir qu'une modification importante intervient dans l'équilibre des rapports fédératifs, parce qu'il y a au moins une partie de territoire qui échappe à la juridiction d'un niveau de gouvernement pour tomber sous une autre responsabilité. Dans les cas de provinces qui ont été annexées au Canada depuis 1867, il n'y eut jamais de consultation ou d'assentiment préalable des provinces. De même, quand on a adopté une loi très importante, vers 1930, confiant aux provinces de l'Ouest la propriété de leurs resssources naturelles, il n'y eut pas de consultation avec les provinces du reste du pays.

C'était pourtant un changement majeur dans l'équilibre constitutionnel. Il est arrivé d'autres cas. Je pense qu'en 1949, quand le Parlement canadien a demandé au Parlement britannique de lui donner le pouvoir d'amender la constitution dans les clauses qui relevaient du Parlement canadien, encore là beaucoup de provinces s'y étaient opposées, mais on a procédé quand même dans la démarche auprès du Parlement britannique et celui-ci a donné son aval. De même, en 1943 et 1946, on a adopté des amendements - on les a fait adopter par le Parlement britannique également - qui modifiaient les normes de représentation à la Chambre des communes. Le Québec en particulier s'était opposé à ces amendements et, apparemment, ils furent adoptés quand même. J'aimerais que vous nous disiez où on en est au point de vue de la connaissance de la tradition qui a été suivie jusqu'à maintenant dans ces questions.

L'interprétation qui a été donnée par la Cour suprême des pouvoirs d'amendement du Parlement fédéral en vertu de l'article 91.1 à l'occasion de la demande d'avis sur la Loi relative à la modification du Sénat. Je voudrais savoir la portée exacte de l'opinion qui a été émise par la Cour suprême à cette occasion. Est-ce que c'est un avis qui visait uniquement à donner une interprétation de l'article 91.1 ou était-ce un avis de portée plus générale embrassant tout le domaine de l'amendement constitutionnel?

J'ai lu dans le mémoire que le gouvernement du Québec, sous votre responsabilité, a déposé, devant la Cour d'appel du Manitoba, une affirmation où il est dit très explicitement que, ni le Parlement fédéral, ni les provinces n'ont le droit de procéder à des modifications dans des domaines qui font partie de ceux sur lesquels vous nous fournirez des précisions tantôt. J'ai lu, d'autre part, dans le mémoire que le gouvernement fédéral a présenté à la même Cour d'appel, une affirmation absolument contraire dans laquelle le gouvernement fédéral soutient, si j'ai bien compris la prétention émise dans ce document, que le Parlement fédéral pourrait procéder à peu près à n'importe quelle modification de la constitution canadienne. J'aimerais savoir quelle est l'opinion de l'équipe que vous dirigez et, en particulier la vôtre sur cette question tout à fait fondamentale.

Finalement, une dernière question. Je m'aperçois que dans les démarches auprès du Parlement britannique, auprès du "select committee" de la Chambre des communes britannique, vous avez énormément insisté sur l'article 7 du Statut de Westminster qui contient, selon toutes les indications, une disposition très ferme voulant que les clauses de la constitution canadienne qui affectent les rapports, les pouvoirs respectifs des provinces et du Parlement fédéral ne puissent être l'objet de modifications sans que soient respectées les lois antérieures. Cela soulève des questions relatives à une autre loi. Je pense que... Comment cela s'appelle-t-il? Est-ce le Colonial Validity Act ou quelque chose comme ça? Apparemment, cette loi a une importance tout à fait centrale dans les procédures susceptibles de s'engager, en Grande-Bretagne du moins. J'aimerais que vous nous disiez quelle est la portée de cette loi et comment vous entendez

servir les intérêts du Québec autour d'un sujet comme celui-là.

Finalement, un dernier argument que nous avons entendu au cours des derniers mois se résume à peu près comme ceci. On dit: Si le Parlement fédéral adoptait une charte des droits comme document uniquement canadien, comme loi du Parlement fédéral, à ce moment-là, évidemment, c'est une loi qui pourrait être contestée devant les tribunaux comme n'importe quelle autre loi. Là, on nous dit: Comme il ne s'agit pas d'une loi, mais d'une motion qui comporte une adresse à Sa Majesté britannique et une demande faite au Parlement britannique d'adopter une loi, cette mesure, cette démarche ne pourra pas faire l'objet d'une démarche en bonne et due forme auprès des tribunaux canadiens, vu que ce ne serait pas une loi canadienne. J'aimerais que vous nous disiez ce qui en est.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Yves Pratte.

M. Pratte: Est-ce tout, M. Ryan? Je vais essayer de répondre le mieux possible à toutes vos questions, peut-être pas nécessairement dans l'ordre dans lequel vous les avez posées et si j'oublie de répondre à certaines, ne vous gênez pas pour renouveler vos questions. Je vais essayer, cependant, d'axer mes réponses sur le projet de réforme constitutionnelle qui est actuellement débattu au Parlement parce qu'il est extrêmement difficile, je pense, de donner des réponses adéquates qui ne se rattachent pas à un projet particulier parce que, à ce moment-là, cela devient de la théorie pure.

Je pense que si on examine de près les pouvoirs en matière de modification constitutionnelle, il y a au moins deux choses qui sont certaines: d'abord, les provinces ont le droit de modifier leur constitution, sauf quant à la charge ou à la fonction du lieutenant-gouverneur et, deuxièmement, le Parlement fédéral a le pouvoir de modifier la constitution du Canada, ce qui a été interprété comme signifiant la constitution fédérale. C'est le deuxième amendement de 1949 à l'article 91.1. On a pris soin en 1949 d'excepter du pouvoir d'amendement tout ce qui était de nature à toucher au moins à la compétence législative des provinces. Cela a été exclu, de sorte qu'il ressort certainement de ça que lorsqu'il y a une modification qui touche à la compétence législative de l'un ou l'autre, du fédéral ou des provinces, ce n'est de la compétence ni de l'un ni de l'autre seul en vertu de la constitution actuelle. Ni l'un ni l'autre ne peut faire la modification au Canada. Je pense que c'est une donnée qui m'apparaît à moi difficilement discutable. Il s'agit de savoir, après cela, comment peut se faire la modification, qui peut la faire, à la demande de qui et avec le consentement de qui.

À ce moment-là, je pense que l'on peut poser deux ou trois règles. La première, c'est que depuis 1867 - c'est dans le préambule de la constitution de 1867 - l'État canadien est un État fédéral. Si c'est un État fédéral, cela veut dire qu'il n'y a pas un niveau de gouvernement qui peut affecter la souveraineté de l'autre niveau de gouvernement sans le consentement de celui-ci. En d'aures mots, les provinces ne sont pas dans un état de subordination quant au fédéral, pas plus que le fédéral n'est dans un état de subordination par rapport aux provinces, chacun dans leur domaine législatif propre. Nous ne vivons pas dans la même situation que celle où on vivrait si les provinces avaient reçu leurs pouvoirs du fédéral par une dévolution.

Cela veut donc dire qu'en principe on ne peut pas concevoir, d'une part, avoir un État fédéral et, d'autre part, que l'une ou l'autre des deux parties à la fédération puisse unilatéralement procéder à la modification de la souveraineté législative de l'autre partie. Autrement, à mon point de vue, conceptuellement, c'est la négation de l'État fédéral.

Si on laisse cette argumentation peut-être un peu théorique pour en arriver à l'étude des statuts, on voit quoi? On voit d'abord qu'il y a eu le Statut de Westminster en 1931. Je regrette, M. Ryan, si je ne suis pas exactement l'ordre, mais je vais y venir. Je pense à certaines de vos questions. Il y a eu le Statut de Westminster en 1931 qui a accordé au Canada son indépendance législative. Il l'a fait d'abord en disant que le Colonial Laws Validity Act ne s'appliquerait pas à une loi adoptée par le Parlement du Canada ou par la Législature d'une province. Cela voulait dire, dans les faits, qu'à l'avenir le Parlement du Canada et la Législature de n'importe quelle province pouvaient adopter des lois contraires aux lois de Grande-Bretagne.

On a dit également que les lois de Grande-Bretagne ne s'appliqueraient pas au Canada ou à un Dominion - c'est l'article 4 - à moins qu'il n'y soit déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce qu'elle soit édictée.

Les provinces, à la suite de l'étude de ce projet à Londres, ont manifesté des inquiétudes. Elles craignaient que, par cet article 4, le Parlement fédéral n'acquière le droit de modifier unilatéralement la constitution canadienne dans les domaines qui affectaient directement les provinces sans leur consentement. C'est à la suite de ces représentations qu'à la conférence de Londres on a dit: On va accepter un article spécial pour le Canada, qui sera rédigé par les Canadiens et que vous nous direz, vous, Canada, d'insérer dans le Statut de Westminster. C'est l'article 7.

Il y a eu une conférence en 1931, à Ottawa. Le premier ministre du Canada d'alors était M. Bennett, le premier ministre de l'Ontario était M. Ferguson et le premier ministre du Québec était M. Taschereau. On a discuté et on a modifié les propositions de l'article 7, toujours dans le but d'assurer que la compétence législative, la souveraineté législative nouvelle que le statut donnait au Canada ne permettrait pas au Parlement fédéral d'accroître sa compétence dans le domaine de la modification constitutionnelle. L'article 7 a été convenu et initialé par chacun des premiers ministres provinciaux et par le premier ministre du Canada avant que le tout soit renvoyé à Londres pour adoption.

Donc, il m'apparaît une chose certaine. Du Statut de Westminster, de la compétence législative accrue du Canada, de la souveraineté internationale qu'il avait déjà obtenue, mais que cela lui reconnaissait législativement, le Parlement fédéral n'a certainement pas obtenu, en vertu du Statut de Westminster, une compétence en matière de modification constitu-

tionnelle, qu'il n'avait pas avant. Autrement, l'article 7 ne voudrait absolument rien dire. (17 h 15)

S'il suffit aujourd'hui au Parlement du Canada de demander qu'une loi britannique s'applique au Canada de façon à modifier la constitution du Canada, ce serait l'article 4 qui pourrait être interprété de cette façon-là et cela veut dire que l'article 7 n'a plus d'effet.

Plus tard, en 1949, le Parlement du Canada a adopté une adresse à la reine pour faire modifier l'article 91.1. C'était M. Saint-Laurent qui était premier ministre et qui a à peu près répété à ce moment-là ce qu'il avait dit en 1931 alors qu'il était président de l'Association du Barreau canadien. Il a expliqué qu'il voulait que le Parlement canadien ait en matière de modification constitutionnelle un pouvoir correspondant à celui que les provinces avaient en vertu de l'article 92.1. À la suite de questions qui lui étaient posées en Chambre, quand on lui demandait de dire pourquoi il y avait toutes les exceptions que l'on retrouve à l'article 91.1, à la suite de l'énoncé principal, sauf en ce qui concerne les matières entrant dans les catégories de sujets que la présente loi attribue exclusivement aux provinces, etc., M. Saint-Laurent a expliqué que le Parlement du Canada ne pouvait pas aller plus loin que le texte qu'il soumettait, sans l'assentiment des provinces. En d'autres mots, la modification constitutionnelle que le Parlement du Canada peut faire en vertu de l'article 91.1 et qu'il demandait d'avoir le droit de faire, parce que l'adresse était discutée, était le maximum que le Parlement croyait pouvoir obtenir sans le consentement des provinces.

De ceci, je pense qu'il n'y a qu'une seule conclusion. Légalement, il n'est pas possible de dire que le Parlement du Canada a directement ou indirectement la compétence constitutionnelle d'opérer ou de faire opérer une modification dans un domaine qui touche à la souveraineté législative des provinces parce que, autrement l'article 91.1 tel que modifié n'aurait aucun sens, l'article 7 du Statut de Westminster n'aurait pas de sens et l'État fédéral tel que je le conçois n'aurait pas non plus de sens.

J'en viens aux conventions constitutionnelles qui, à mon point de vue, ne sont pas la source principale de l'obligation qui existe d'obtenir l'assentiment des provinces lorsque leur compétence législative est mise en doute, touchée ou affectée. Pour moi, les conventions constitutionnelles dont on a fait grand état ne font que confirmer l'existence du droit, tel que je l'ai d'abord exprimé. Si on tenait pour acquis, par exemple, qu'il n'y aurait jamais eu aucune modification à la constitution, sauf celle résultant du Statut de Westminster et le deuxième amendement de 1949 a l'article 91.1, supposons qu'il n'y aurait jamais eu aucune modification, de telle sorte qu'il ne pourrait pas être question, à ce moment-là, de parler de conventions constitutionnelles, à mon point de vue, l'obligation d'obtenir l'assentiment des provinces serait exactement la même parce qu'elle résulte du caractère fédératif du pays, tel qu'établi dans le préambule de l'Acte de 1867, elle résulte du Statut de Westminster et elle résulte de l'article 91.1. Quant à moi, je ne peux pas croire qu'il suffise d'une adresse à la reine pour obtenir ce qu'on ne peut pas obtenir directement.

Une autre chose que je voudrais dire sur les conventions constitutionnelles, c'est que c'est évidemment un principe de droit britannique, et le Royaume-Uni ou l'Angleterre, c'est un pays unitaire, de telle sorte que les conventions constitutionnelles dont on parle, ce sont des conventions dont le gouvernement a lui-même accepté l'effet obligatoire. Je suis porté à croire que les conventions constitutionnelles dans un Etat fédératif ont un effet obligatoire encore accru parce qu'à ce moment-là elles régissent l'interaction qui doit exister entre d'autres au niveau du gouvernement. En d'autres mots, ce que je veux dire, c'est qu'une convention constitutionnelle qui s'applique et qui lie seulement un gouvernement peut probablement, avec les précautions appropriées, être modifiée par ce gouvernement-là, mais, si la convention constitutionnelle lie deux niveaux de gouvernement, je ne vois pas en vertu de quel principe un seul niveau pourrait la modifier.

Il ne faut pas se tromper. La convention constitutionnelle est plus qu'un simple usage, c'est plus qu'une simple pratique. Ce qui distingue l'usage ou la pratique d'une convention constitutionnelle, c'est qu'il résulte de la convention constitutionnelle une obligation; et là où les auteurs constitutionnels anglais ne sont pas tous d'accord, mais ce que la majorité dit, c'est que l'obligation qui résulte de la convention constitutionnelle n'est pas ordinairement sanctionnable devant les tribunaux, mais l'obligation existe. Ainsi, si l'obligation existe dans le cas d'une convention constitutionnelle qui affecte deux niveaux de gouvernement, il me paraît certain que cette obligation ne peut pas être modifiée ou que la convention ne peut pas être modifiée par un seul niveau, ce qui pourrait peut-être être fait si on avait un État unitaire. En Angleterre, il est peut-être plus facile de modifier une convention constitutionnelle parce que la convention régit seulement l'État unitaire et non pas deux paliers de gouvernement qui sont souverains chacun dans son propre domaine.

Vous m'avez posé une question, M. Ryan, au sujet de cette disposition dans le renvoi récent à la Cour suprême, où on parle des rapports fédé-ratifs. Qu'est-ce qui affecte les rapports fédératifs? Je pense que dans l'espèce, ici, c'est une phrase que je voudrais éviter. Dans le cas de la Cour suprême, de l'affaire du Sénat, du renvoi à la Cour suprême, je vais en parler le moins longtemps possible parce que j'étais parti du banc à ce moment-là et ce ne serait pas, je pense, correct que je dise autre chose que ce qui a vraiment été dit. Je ne veux pas interpréter la décision, je veux simplement signaler que, dans l'espèce, il s'agissait d'une modification au Sénat qui affectait la représentation que les provinces avaient au niveau du Sénat et cela affectait possiblement les pouvoirs du Sénat alors que le Sénat avait été conçu comme étant un endroit où les populations provinciales pouvaient et devaient être représentées.

L'expression "rapports fédératifs" pour moi, dans l'espèce, ici, eu égard au projet de modification constitutionnelle, est une expression beaucoup trop vague parce que, théoriquement, on peut prétendre que toute modification affecte les rapports fédératifs. Or, je pense qu'il faut, à mon point de vue, du moins, circonscrire le débat. Il faut se demander, premièrement, si les modifi-

cations constitutionnelles proposées touchent ou réduisent l'autonomie ou la souveraineté législative, la compétence législative des provinces. C'est, à mon point de vue, la première question. Évidemment, cela pourra résulter ou ne pas résulter de la charte des droits.

La deuxième question qui, à mon point de vue, se rapporte à la formule de modification de la constitution, est si cela porte atteinte au statut des gouvernements provinciaux au sein de la Confédération canadienne. Ce que je veux dire par là, c'est que dans le passé... Je pense, quand on regarde l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qu'il y a les Législatures provinciales qui ont reçu certains pouvoirs, le Parlement d'Ottawa qui a reçu d'autres pouvoirs. Il est certain que quand il s'agit de déterminer si ces pouvoirs doivent être réduits ou non, jusqu'à maintenant - je pense que cela résulte de la lecture de la constitution - c'étaient soit les Législatures, soit les gouvernements provinciaux, d'une part, soit le Parlement du Canada, d'autre part, qui donnaient les consentements requis quand il y en avait qui devaient être donnés. On n'a jamais pensé que les populations des provinces, pour les fins de l'autorité législative des Législatures provinciales, pouvaient être représentées par d'autres que par les Législatures provinciales ou par les gouvernements provinciaux. C'est sur ce point, je pense, que l'on peut se demander si les modifications proposées ou les formules d'amendement proposées portent atteinte non pas aux rapports fédératifs, parce qu'à mon point de vue, c'est trop vague, mais portent atteinte au statut des gouvernements provinciaux au sein de la Confédération.

Vous m'avez demandé également, M. Ryan, une question, je pense, à laquelle je ne peux pas répondre. Vous m'avez demandé quels sont les amendements, les modifications à la constitution qui peuvent être faits par le Parlement fédéral en vertu de 91.1. Je pense que c'est une question à laquelle il est impossible de répondre parce que c'est un peu trop théorique. Tout ce que je peux dire, c'est que, dans la décision relative aux renvois de la Chambre haute, il est certain que ce pouvoir de modification a été interprété de façon extrêmement stricte et a été interprété de façon qu'en vertu de 91.1 tel que modifié en 1949, le Parlement ne puisse certainement pas toucher à l'autonomie législative des provinces, non plus, à mon point de vue, qu'aux statuts des gouvernements provinciaux au sein de la Confédération. Je ne suis pas capable d'aller plus loin que cela. Tout ce que je peux dire, c'est qu'une modification, à mon point de vue, que le Parlement ne peut pas faire en vertu de 91.1, il m'apparaîtrait illogique qu'il puisse la faire seulement par le moyen d'une adresse.

Cela m'amène à un autre sujet qui est relié, je pense, à ce que vous m'avez demandé. C'est certainement relié à la démarche pour laquelle j'ai été responsable à Londres et au mémoire qui a été présenté. Quel est dans l'espèce le rôle du Parlement de Londres? On a dit, parce que le Canada est un État internationalement souverain, que le Parlement britannique ne peut pas aller derrière la demande qui lui serait formulée. C'est, à mon point de vue, un argument qui est faux et ce pour plusieurs raisons. La première, c'est que le rôle du Parlement britannique, lorsqu'il s'agit de modifier la constitution, ce n'est pas vraiment le rôle d'un Parlement ou d'une autorité étrangère en tant que pays étranger. Cela n'est pas le pouvoir impérial qu'exerce à ce moment le Parlement britannique. Il a abandonné son pouvoir impérial par le Statut de Westminster et l'amendement de 49 à 91. Si on regarde les amendements qui ont été faits depuis le Statut de Westminster, on voit que le Parlement britannique a toujours pris le soin de dire, lorsqu'une adresse lui était présentée, qu'il agissait ainsi non pas proprio motu, mais à la demande du Canada. De telle sorte que, pour employer une expression qu'on retrouve chez certains auteurs, la compétence du Parlement britannique en la matière, c'est une compétence dérivée. C'est une compétence qu'il exerce parce que c'est nous, Canada, qui la lui avons laissée ou qui avons demandé qu'il l'exerce et non pas une compétence qui résulte de son pouvoir impérial. Parce qu'il est bien certain que, si c'est la compétence impériale, alors tout est permis, mais je ne pense pas que ce soit la position constitutionnelle établie et ce n'est certainement pas la position constitutionnelle qu'a jusqu'ici prise le Parlement britannique.

J'en reviens au statut international. Si c'est une fonction qu'exerce le Parlement britannique en tant que partie du mécanisme canadien des modification de la constitution, il est bien certain que ne se pose pas, à ce moment, le problème de savoir qui est souverain. Ce n'est pas un État souverain qui se mêle des affaires d'un autre État souverain. (17 h 30)

De plus, s'il est vrai qu'à certains égards, le Canada est souverain dans ses rapports internationaux, il faut se rappeler que cette souveraineté, à l'intérieur du pays, est divisée et que la souveraineté internationale que le Canada a acquise a été jugée par le Conseil privé, autour de 1930, dans la cause de Weekly-Rest, que cette compétence internationale ne permettait pas au Parlement du Canada d'exécuter des obligations assumées par un traité de passer des lois qui porteraient atteinte à l'autonomie législative des provinces. Il m'apparaîtrait donc assez étrange que, d'une part, dans le domaine purement international, le gouvernement canadien puisse passer des traités, que le Parlement canadien puisse les ratifier et ne puisse pas ensuite, comme c'est le cas, passer des lois parce qu'elles tomberaient sous la compétence du Québec ou des provinces, mais que, d'autre part, à cause de ce même statut international, le Parlement fédéral puisse modifier la constitution. Cela m'apparaît assez illogique.

Une autre remarque, c'est quel est le rôle du Parlement britannique? Ça ne peut pas, si on veut donner un sens aux dispositions législatives confirmées par les coutumes ou les conventions ou ce que le Statut de Westminster a appelé le Statut constitutionnel consacré, Established Constitution Position, ça ne peut pas être seulement que d'agir comme "rubber stamp", parce que ça met totalement de côté les restrictions législatives qui sont dans notre constitution et ça met de côté également les rapports fédératifs parce que ça permettrait, si c'est vrai, au Parlement fédéral, de passer une adresse et dire: On demande l'abolition des provinces.

On dit, évidemment: Jusqu'ici le Parlement

britannique a toujours accédé à une demande du Parlement canadien. C'est vrai, mais il n'y a jamais eu de demande du Parlement canadien affectant la compétence législative des provinces qui n'ait pas été accompagnée du consentement de toutes les provinces. De telle sorte qu'il est inexact de dire - et le docteur Marshall l'a affirmé mercredi dernier au "select committee" -qu'il existe un précédent ou une convention constitutionnelle obligeant le Parlement britannique dans tous les cas, quelle que soit la nature de la demande, d'accéder à la demande du Canada.

Ce pourquoi cette convention existe telle qu'elle est, c'est qu'il n'y en a jamais eu qui affecte la compétence législative des provinces. D'ailleurs, il m'apparaîtrait assez illogique de dire qu'il existe une convention constitutionnelle qui oblige le Parlement britannique à sanctionner ce qui serait, à mon point de vue, une illégalité constitutionnelle. L'objet d'une convention constitutionnelle, ça ne peut pas être ça. De sorte qu'à mon point de vue, le rôle du Parlement britannique ce n'est certes pas, et je ne pense pas qu'on le prétende en Grande-Bretagne, de juger du mérite d'une demande. Ce n'est pas non plus d'être "rubber stamp". C'est simplement de s'assurer que c'est une demande conforme ou appropriée - dans le texte on a dit "proper request" - c'est-à-dire une demande qui réponde aux exigences constitutionnelles. Et si c'est une demande qui - comme, à mon point de vue, celle dont il s'agit ici - porte atteinte directement à la compétence législative des provinces, il faut le consentement des provinces, à mon point de vue.

Je ne sais pas si j'ai répondu à un certain nombre de vos questions, M. Ryan, mais je regrette d'avoir été si long.

M. Ryan: II n'y en a qu'une à laquelle vous n'avez pas répondu, c'est le projet fédéral. En quoi affecte-t-il le statut des provinces à l'intérieur de la fédération? La question était formulée autrement, mais c'est la question principale, finalement.

M. Pratte: Je pense qu'on peut regarder le problème sous deux aspects. Il y a d'abord la compétence législative, et je pense que la compétence législative est fondamentalement affectée par la Charte des droits. Toute charte des droits qui est enchâssée dans une constitution, par définition, à mon point de vue, comporte une restriction à ce qui serait, par ailleurs une autonomie législative absolue. D'ailleurs, c'est l'objet de cette Charte des droits. On dit qu'elle va avoir primauté, qu'elle va prévaloir sur toute loi contraire. D'ailleurs, constitutionnellement, je pense, conceptuellement, c'est difficile de concevoir le contraire. Si j'ai le droit d'adopter toutes les lois que je veux dans le domaine de la propriété et des droits civils, c'est une chose. Si je dis subséquemment: Vous pouvez adopter toutes les lois que vous voudrez, mais à condition qu'elles ne violent pas la Charte des droits, j'avais, au départ, 100% de compétence, il m'en reste 75%. Ce n'est pas un transfert de souveraineté, ce n'est pas un transfert de compétence, c'est une réduction de compétence.

Je pense par ailleurs qu'étant donné les champs de compétence respectifs des provinces, d'une part, et du fédéral, d'autre part, les provinces se trouvent davantage amputées de compétences législatives que le fédéral parce que leur champ d'action est tel qu'il est davantage susceptible d'être affecté.

Je voudrais vous référer, si vous me permettez, à une allocution qui était prononcée au mois de mai 1980 par un de ceux de qui j'ai beaucoup appris et que plusieurs ici connaissent, l'ancien juge Louis-Philippe Pigeon. Il prononçait une conférence à l'Université Laval qui était intitulée la souveraineté du Parlement, les chartes des droits et libertés et le pouvoir judiciaire. Évidemment, c'était après qu'il eût cessé de siéger à la cour. Il y a deux passages que je voudrais citer. Le premier, c'est le premier paragraphe: "Lorsqu'en 1947, j'ai commencé à m'intéresser au projet de déclaration canadienne des droits - ce n'est pas hier, c'est en 1947 - le regretté Jules-Arthur Gagné alors doyen de la faculté de droit me demanda de donner au comité parlementaire sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales l'opinion que celui-ci invitait tous les doyens à lui fournir. Le doyen Gagné était alors juge à la Cour d'appel et ne pouvait évidemment se rendre lui-même à cette invitation. Le professeur de droit constitutionnel lui parut tout désigné pour le faire. Je n'eus aucune hésitation à conclure qu'il n'était pas au pouvoir du Parlement fédéral de décréter une charte des droits de portée générale comme celle qui était proposée sans égard au partage de compétences législatives entre le fédéral et les provinces. Ce fut également l'opinion prépondérante et le projet fut mis de côté sans que l'on paraisse envisager la possibilité de le restreindre au domaine fédéral. Mon avis sur cette question n'avait pas changé lorsque le projet fut ressuscité sous une forme nouvelle par feu John Diefenbaker et je me prononçais dans le même sens dans l'article qui fut publié en 1959 dans la revue de l'Association du Barreau canadien."

Plus loin, M. Pigeon réfère à un article du juge Laskin qui a été publié en 1968. "The Fourteenth Amendment". C'est le titre du volume. L'article était intitulé "Constitutionalism in Canada, Legislative Power and a Bill of Rights". Dans cet article, aux pages 174 et 175, le juge Laskin disait ceci: "The possibility of an entrenched bill of rights raised deep concern about what would happen to the balance struck over the years, by judicial decision and conventional practice between national and state power. Promulgation of such a bill of rights, even if agreement on its language and range was reached, would of course flout the principle of parliamentary supremacy in a way which the mere distribution of legislative power does not. It is one thing to divide all lawmaking authority and Canada clings to a doctrine of exhaustiveness of the distribution between two levels of government. It would be a completely different thing to deny to both levels lawmaking authority in certain fields." De telle sorte que, à mon point de vue, il m'apparaît certain qu'une charte des droits quel que soit son contenu, une charte des droits qui veuille dire quelque chose, qui comporte une restriction plus ou moins importante selon du contenu de la Charte des droits, ait l'autonomie législative qui sera assujettie à la Charte des droits dont il s'agit.

La deuxième partie de la question, je pense que j'y ai répondu: Dans quelle mesure la formule d'amendement affecte-t-elle les rapports fédératifs? Encore une fois, je pense que l'expression "rapports fédératifs" n'est peut-être pas la mieux choisie dans l'espèce. Je pense qu'il faut plutôt se demander si cela affecte le statut des gouvernements provinciaux pour représenter les populations des provinces lorsqu'il s'agit d'amendements qui touchent à leur compétence législative.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères et M. le chef de l'Union Nationale. M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Mme la Présidente, dans le texte qui a été préparé pour la Cour d'appel - je ne sais pas si c'est celle du Manitoba - il est indiqué à un moment donné que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est un pacte. Je voudrais savoir, en vertu du fait que c'est un pacte, si cela a des conséquences. L'action du gouvernement fédéral actuellement modifie-t-elle la teneur de ce pacte?

M. Pratte: Je ne pense pas. Je n'ai pas le texte ici.

M. Charbonneau: Moi non plus. J'ai essayé de le retrouver tantôt. Je l'ai lu ce matin.

M. Pratte: C'est peut-être dit, je ne m'en souviens pas, mais je ne pense pas qu'on puisse tirer quelque argument juridique que ce soit de la prétendue théorie du pacte. À mon avis, il n'est pas besoin de se servir de cette théorie qui, juridiquement, m'apparaît fort discutable. Le meilleur article que j'ai lu à ce sujet, c'est la conférence de M. Louis Saint-Laurent en 1931 où il arrive exactement aux mêmes conclusions que celles auxquelles on veut en arriver par la théorie du pacte, mais par des arguments qui, selon moi, sont davantage juridiques. Il dit purement et simplement que les provinces et le Parlement, les Législatures provinciales et le Parlement, de part et d'autre, ont été investis par la constitution de certains droits et qu'il est impensable qu'on puisse les dépouiller de ces droits, quelle que soit l'origine des droits, sans leur propre consentement. Évidemment, je simplifie beaucoup son allocution. C'est beaucoup plus savant et beaucoup plus serré que cela comme raisonnement, mais je pense que c'est un résumé assez conforme.

M. Charbonneau: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: ...seulement une autre question, parce que dans l'intervention Me Pratte a répondu à plusieurs des questions que j'avais notées. Il y a simplement une chose que je voudrais lui demander. Je pense qu'il en a parlé à la fin de son intervention. J'aimerais lui demander de préciser un peu plus la portée de la notion de référendum qui est contenue dans le projet fédéral, en termes de procédure d'amendement.

M. Pratte: D'abord, évidemment, vous savez beaucoup mieux que moi que c'est une procédure assez complexe, mais tel que je le comprends -oublions la période intermédiaire de deux ou trois ans et je l'oublie - une fois cette période terminée, il sera toujours possible au gouvernement fédéral d'obtenir une modification constitutionnelle par le moyen du référendum, même si tous les gouvernements provinciaux s'opposent à la modification dont il s'agit. Dans la mesure où on permet à l'autorité centrale d'aller directement à la population des provinces, on change, je crois, le statut des gouvernements provinciaux tel qu'il existe actuellement, parce qu'actuellement la seule façon dont le consentement de la population des provinces peut être donné à une modification constitutionnelle qui requiert ce consentement, ce n'est pas par le moyen d'un vote populaire, d'un référendum ou d'un scrutin, mais par le moyen du consentement du gouvernement ou des Législatures, suivant la formule qui est employée à l'occasion.

M. Charbonneau: J'aurais une question, Mme la Présidente. Vous avez indiqué dans votre intervention qu'à votre avis les provinces étaient plus affectées que le gouvernement fédéral par la Charte des droits. Autrement dit, la diminution ou la réduction des pouvoirs affecterait plus les provinces, à cause d'un certain nombre de choses, qu'elle n'affecterait les pouvoirs législatifs du Parlement fédéral. J'aimerais que vous expliquiez cela.

M. Pratte: Ce que j'ai voulu dire par là - je me suis probablement mal exprimé - c'est que, par exemple, il est évident que la Charte des droits aura peu d'effet sur les lois qui pourraient être adoptées en matière d'affaires extérieures qui sont, à toutes fins pratiques, le domaine fédéral. En matière de droit civil, par ailleurs, ce qui est essentiellement un domaine provincial, il est bien évident que, là, la Charte des droits aura un effet considérable. Cela ne veut pas dire que théoriquement l'un est davantage amputé que l'autre, mais il est fort possible, sans en avoir fait la vérification, mais cela serait à mon point de vue logique, que, conceptuellement, on en vienne à la conclusion que l'effet pratique de la Charte des droits se fera davantage sentir à l'égard de la compétence législative des provinces qu'à l'égard de la compétence législative du Parlement, même si les règles sont exactement les mêmes pour l'un et l'autre. (17 h 45)

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: M. Pratte, concernant la réunion de Winnipeg, sur quels critères s'est-on fondé pour choisir les questions que chaque province contestataire doit soumettre à sa cour de dernier ressort? C'est peut-être une question un peu indiscrète.

M. Pratte: À Winnipeg, le Manitoba a proposé une série de questions qui ont été modifiées et qu'il voulait poser à sa Cour d'appel. Les questions que le Québec posera seront vraisemblablement légèrement différentes - cela n'est pas ma décision - mais l'essence même est toujours la même. Le critère a été de savoir:

Est-ce que vraiment, constitutionnellement, le fédéral peut faire ce qu'il veut faire et quelle est essentiellement la conséquence, s'il le fait?

M. Le Moignan: II a dû y avoir un consensus sur une façon de faire la répartition des sujets qui seront soumis par chacune des provinces à leur cour respective. Il va nécessairement y avoir une différence d'approche pour chacune des provinces et peut-être aussi pour le Québec en particulier.

M. Pratte: Pas nécessairement. Il y a, pour certaines provinces, des conditions particulières, comme, par exemple, Terre-Neuve. Lors de l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, ils ont obtenu par traité certaines garanties, dont malheureusement je ne connais pas le détail, en matière d'éducation par exemple, si mon souvenir est exact. Je sais que les gens de Terre-Neuve se demandent si les modifications constitutionnelles proposées auront pour effet de modifier ces conditions particulières de leur entrée dans la Confédération. Je ne connais pas la réponse à cette question, mais ce sera vraisemblablement une question qu'ils poseront à leur Cour d'appel, mais qui, évidemment, n'a pas d'effet pour autant que le Québec est concerné. Les questions que le Manitoba a posées ont été en fonction de sa conception du problème qui, dans le fond, est le même partout. Il s'agit de savoir comment poser la question de manière à cerner le problème de façon aussi précise que possible. La difficulté, c'est que les conventions constitutionnelles dont on a parlé imposent des obligations comme des lois. Seulement, dans certains cas, les lois sont sanctionnées par les tribunaux alors que plusieurs prétendent que les conventions ne le sont pas. De plus, les conventions constitutionnelles sont souvent difficiles à définir. Il est difficile d'en retracer l'existence, dans certains cas, tandis que, pour des lois, c'est relativement facile. C'est pour cela que le Manitoba a posé une question: Est-ce qu'il existe des conventions constitutionnelles? À mon avis, comme je l'ai déjà exprimé, ce n'est pas la source de l'obligation ou la source du droit. Je pense que c'est plus profond que cela.

M. Le Moignan: Je ne prendrai pas les trois questions du Manitoba. La première est très courte et on y dit: Est-ce que les propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral affectent la relation fédérale-provinciale? Évidemment, cela peut jouer pour toutes les autres provinces de la fédération canadienne.

Maintenant, à partir de cela, est-ce que j'exagère en disant que la position du Québec pourrait porter peut-être essentiellement sur les conséquences du geste fédéral sur la souveraineté législative des provinces et sur le statut des gouvernements provinciaux au sein de la fédération canadienne?

M. Pratte: On ne sait pas ce que sera la décision du Conseil des ministres, ce n'est pas ma décision. À mon point de vue, ce sont les deux éléments principaux qu'il conviendrait de souligner.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai des demandes...

M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Outre l'obligation pour le fédéral, que vous avez mentionnée, d'obtenir la participation, le consentement des provinces à une demande de rapatriement, vous avez dit, en vous référant également à des auteurs, qu'en principe, une charte des droits qui a un contenu ne peut faire autrement qu'affecter les souverainetés législatives, puisque celles-ci y sont assujetties. En principe, je pense que c'est la position de principe, en ce qui regarde - je pense en cela me faire l'écho de la question qui a été posée par le chef de l'Opposition - plus précisément le projet du fédéral que nous avons devant nous, qui comporte une charte, l'inclusion ou l'enchâssement d'une charte des droits et libertés, est-ce que vous pourriez nous dire quels sont les pouvoirs, les lois ou les règlements qui pourraient être affectés par cette charte, si elle était adoptée telle que nous la connaissons maintenant? Je comprends que c'est une étude très élaborée qu'il faut faire, peut-être qu'elle n'est pas complètement terminée, est-ce qu'il serait possible, avec l'étude que vous en avez faite jusqu'à maintenant, de nous donner certaines indications qui pourraient être...

M. Pratte: Directement...

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Bédard: ...de nature à éclairer les membres de la commission?

M. Pratte: Voici ce que je voudrais dire à ce sujet, M. Bédard. D'abord, l'étude n'est pas terminée. On a commencé à la faire. Mes deux collègues ont travaillé d'arrache-pied pour m'aider dans ce domaine. Il y a deux observations préliminaires et, après, je vous donnerai quelques exemples. La première est que la langue employée dans une charte des droits, à supposer que le style soit bon, ce qui n'est malheureusement pas le cas ici, est nécessairement une langue assez vague. On énonce des principes plus qu'on établit des règles extrêmement précises de telle sorte qu'il est difficile, dans le meilleur des mondes, de dire exactement comment les tribunaux interpréteront, dans un cas précis, une disposition d'une charte des droits à moins d'avoir un historique. Donc, il s'ensuit qu'une des conséquences nécessaires de l'adoption ou de l'enchâssement d'une charte des droits dans la constitution sera de mener pendant un certain temps à une situation de doute juridique.

Un grand nombre de lois ou de dispositions législatives ou réglementaires qui existent actuellement et dont personne ne doute de la validité, dont la validité n'est pas douteuse, seront, à tort ou à raison, mises en doute pendant un grand nombre d'années. C'est une chose de naître et de croître comme nation avec une charte des droits comme les États-Unis - et, encore là, on sait que cela crée bien des problèmes, ce qui ne veut pas dire que ce n'est pas bon - mais c'est une autre chose que d'avoir une charte des droits qui est imposée automatiquement sur un cadre de lois et de règlements qui n'a pas été préparé en fonction de l'existence de la charte des droits, de telle sorte

qu'au meilleur des mondes il y a, pendant une période X, une instabilité juridique que, à mon point de vue, il est impossible d'éviter avec la meilleure charte des droits possible.

Maintenant, au point de vue pratique, qu'est-ce que cela veut dire dans le concret? L'inventaire n'est pas terminé et il ne faudrait pas que vous preniez ce que je vais vous dire comme étant exhaustif et surtout non plus comme étant définitif, mais je vous réfère, par exemple, à l'article 15 de la Charte des droits, qui a trait à la prohibition ou à la non-discrimination. Tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection de la loi, indépendamment de toute distinction fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge ou le sexe. Cela, en soi, ce n'est peut-être pas très méchant. Seulement, le paragraphe 2 paraît donner une extension au texte beaucoup plus grande que celle que moi, à tout le moins, j'aurais été porté à lui donner à la première lecture, parce qu'il dit: "Le présent article n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation des personnes et des groupes défavorisés." On peut dire, on peut argumenter que, par conséquent, le paragraphe 2 était nécessaire parce que, autrement, ces programmes auraient été jugés comme étant discriminatoires au regard du paragraphe 1, de telle sorte que la règle relative à la non-discrimination dans cette optique prend une ampleur qui peut être considérable.

Je vais vous donner des exemples: En matière d'éducation, il y a une garantie de quatre sièges aux protestants et de seize sièges aux catholiques dans la composition du Conseil supérieur de l'éducation. Est-ce que c'est de la discrimination fondée sur la religion? Il y a, dans la Loi des fabriques, l'article 5b qui confère à l'évêque le pouvoir de faire des règlements pour déterminer les conditions d'admission à l'inhumation dans les cimetières catholiques romains. En vertu de la même loi, l'article 57 donne aux fabriques le pouvoir d'imposer des cotisations. Il n'y a aucune autre Église qui a ce pouvoir. Est-ce que c'est de la discrimination? On a, dans la Loi des évêques catholiques romains, le pouvoir qui est accordé aux évêques de créer des corporations et des sous-corporations pour des fins religieuses. Ce pouvoir n'est accordé à aucun membre d'aucune autre communauté religieuse. Est-ce qu'on ne peut pas prétendre que c'est de la discrimination? Vous avez également la Loi sur les Églises protestantes... Pardon?

M. Ryan: Ce n'est pas l'exemple le plus éloquent, celui-là, parce qu'il pourrait se justifier facilement, mais passons.

M. Pratte: Écoutez, je ne dis pas que c'est clair. Je dis qu'il est certain qu'on peut argumenter que c'est de la discrimination. Ecoutez, je vous souligne qu'il y a un problème. La liberté d'association qui est mentionnée à l'article 2c; est-ce qu'en vertu de cet article, chacun a les libertés fondamentales suivantes: liberté de réunion pacifique et d'association? Vous savez que, chez nous, il y a des restrictions à la liberté d'association, par exemple pour les corps policiers. Est-ce que ce sont des dispositions qui vont devenir inconstitutionnelles? Est-ce que c'est ça qu'on veut dire par liberté d'association?

Vous avez également à l'article 3: "Tout citoyen canadien a le droit de vote et est eligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. Ce droit ne peut, sans motif valable, faire l'objet d'aucune distinction ou restriction." Je comprends, que chez nous, on ait des restrictions à l'éligibilité à certaines charges publiques. Quand un avocat ou un notaire qui est membre de l'Aide juridique ne peut pas être candidat, les membres de la Sûreté ne peuvent pas être candidats, les substituts du Procureur général ne peuvent pas être candidats, est-ce que ce sont des restrictions qui sont là pour des motifs valables? J'en reviens à l'absence de discrimination. On dit qu'il ne doit pas y avoir de discrimination et que tout le monde doit être égal devant la loi, indépendamment de l'âge. Quelle est la portée que va avoir cette disposition? Est-ce qu'il sera encore possible d'empêcher les propriétaires de débits d'alcool de ne pas accueillir des gens en bas de 16 ans? La discrimination quant à l'âge, à l'article 15.1.

Ce que je veux signaler, ce n'est pas de dire que tout ce que j'ai mentionné va nécessairement et automatiquement devenir illégal. Il y en a certainement une certaine partie, mais il va certainement résulter de tout ça, à mon point de vue, une insécurité juridique qui va durer longtemps. Même dans des pays où on a des textes plus clairs que ça, qui existent depuis au-delà de 100 ans, cette insécurité juridique existe au point que, par exemple, aux États-Unis, la Cour suprême ne fait à peu près que se prononcer là-dessus, sur les libertés fondamentales, et n'a pas le temps de se prononcer sur les autres problèmes de droit. (18 heures)

C'est une conséquence. Il y a évidemment, je ne l'ai pas mentionné parce que tout le monde le sait, les incidences de cette charte-là quant au projet de loi 101. Quant à la Charte de la langue française, tout le monde le sait, je pense que c'est indiscutable.

Prenons, par exemple, la liberté de circulation et d'établissement, à l'article 6. Je m'interroge, quant à moi, sur ce que veut dire le droit de gagner sa vie, qui est mentionné à l'article 2b, surtout quand on dit que ce droit-là est subordonné aux lois d'application générale s'il n'établit entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle. Or, il y a plusieurs lois qui sont administrées par l'Office des professions qui exigent, comme l'un des critères, du membre de la profession, la résidence dans la province. Il y a, je pense, les ingénieurs, les architectes, les arpenteurs-géomètres qui doivent être résidents dans la province.

Est-ce que gagner sa vie, cela veut dire gagner sa vie au sens large ou bien cela veut dire gagner sa vie selon la profession qu'on est capable d'exercer? Je vous avoue que je n'ai pas de réponse. Tout ce que je signale, c'est que c'est une expression qui m'apparaît assez vague. Il y a également dans une expression dont je ne suis pas capable de définir la portée, à l'article 1, où on garantit, qui donne là la portée de la charte, "sous les seules réserves normalement acceptées", et là le texte français diffère du texte anglais, "dans une société libre et démocratique de régime parlementaire".

Mon objection à cela, si je peux en avoir

une, c'est que je ne sais pas ce que cela veut dire. Qu'est-ce que cela veut dire "des réserves normalement acceptées" ou en anglais "to such reasonable limits as are generally accepted" -c'est différent - "normalement acceptées dans une société libre et démocratique de régime parlementaire", à mon point de vue, cela veut dire simplement ce que celui qui a à juger a dans l'esprit à ce moment-là. C'est aussi vague que cela. Il n'y aura pas moyen de prétendre que sa décision est contraire au texte de la loi. Je pense que c'est une objection qui vaut à l'égard de plusieurs des dispositions qui sont là, c'est que c'est tellement vague qu'on ne sait pas ce que cela veut dire. À ce moment-là, vous avez comme conséquence nécessaire, même si on admet le bien-fondé d'une charte en soi et même si on admettait que cela pouvait être fait, personnellement je ne le crois pas, sans le consentement des provinces, vous allez nécessairement avoir une situation, où pendant des années, un grand nombre de lois et de règlements vont être contestés devant les tribunaux. Je ne suis pas certain que ce soit à l'avantage des justiciables et des citoyens en général dans un ordre juridique - à mon point de vue du moins - de rendre aussi instable que cela le droit qui va s'appliquer à eux.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: On peut peut-être revenir après.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai d'autres demandes. M. le député de D'Arcy McGee, M. le député de Deux-Montagnes et Mme la députée des Iles-de-la-Madeleine voulaient aussi poser des questions.

M. Le Moignan: M. le ministre avait commencé à répondre.

La Présidente (Mme Cuerrier): II vous restait une question, M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Oui.

La Présidente (Mme Cuerrier): II est l'heure de la suspension des travaux. Me Pratte pourrait-il revenir avec nous à 20 heures?

Une voix: On lui donnera un avion pour s'en retourner.

La Présidente (Mme Cuerrier): Suspension des travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 5)

(Reprise de la séance à 20 h 18)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, messieurs!

La commission reprend ses travaux à la suite de la suspension. M. le chef de l'Union Nationale, vous m'avez dit que vous aviez une question ou deux.

M. Le Moignan: Une pour M. le ministre et une autre pour M. Pratte par la suite.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Je pense que le ministre se doute déjà de ma question. C'est à la suite de ce que j'ai demandé à M. Pratte. Vous n'y étiez peut-être pas, mais ce n'est pas grave.

M. Morin (Louis-Hébert): J'ai été là tout le temps.

M. Le Moignan: Quand on pense au scénario qui s'est dessiné à Winnipeg où chacune des provinces va poser à sa Cour d'appel, à sa cour de juridiction, certaines questions, évidemment, on dirait qu'il y a une espèce d'entente là-dedans, une espèce d'approche. Est-ce qu'on peut présumer que l'approche du Québec va porter essentiellement sur les conséquences du geste fédéral sur la souveraineté législative des provinces et, en même temps aussi, sur le statut de gouvernement provincial au sein de la fédération canadienne?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Voici, M. Le Moignan...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le chef intérimaire de l'Union Nationale, en somme, ce que vous nous demandez et ce que vous me demandez à moi, c'est quelles sont les questions que le Québec va poser à la Cour d'appel.

M. Le Moignan: Etant donné que vous ne poserez pas les mêmes que les autres provinces ont déjà posées, j'imagine.

M. Morin (Louis-Hébert): Bon. Je pense qu'à ce sujet je vais carrément passer la parole à M. Pratte, parce qu'il y a des considérations juridiques qui entrent en ligne de compte. Il y a aussi tout cet aspect qu'on appelle du respect des tribunaux. Comme les questions ne sont pas encore soumises, j'aimerais mieux que M. Pratte prenne la parole sur ce sujet précis pour vous donner les tenants et aboutissants juridiques de la démarche sur laquelle vous me demandez des précisions.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: Mme la Présidente, M. le chef intérimaire de l'Union Nationale, je pense que, si l'on suit ma recommandation - ce qui est loin d'être certain - l'accent des questions serait dans le sens que vous venez d'indiquer; cela préciserait davantage que les questions qui ont déjà été posées au Manitoba, l'aspect de l'invasion, si vous voulez, ou de la restriction de l'autonomie législative des provinces, de la compétence législative des provinces, d'une part, et, pour ce qui est de la formule d'amendement, du rôle du gouvernement provincial. Disons que ce seraient

des questions dans le même sens que celles qui ont déjà été posées, mais probablement plus précises dans la mesure où vous venez de l'indiquer.

M. Bédard: Nous avons eu l'occasion d'avoir un Conseil des ministres où une discussion a été faite sur un projet de questions devant être adressées à la Cour d'appel. Je pense que Me Pratte peut être de plus en plus certain que ces questions iront dans le sens des suqgestions qui ont été faites et portées à l'attention du Conseil des ministres.

Pour ce qui est de l'autre partie de la question du chef de l'Union Nationale concernant l'entente qu'il y a eu entre les provinces, effectivement, lors de la rencontre des procureurs généraux des six provinces concernées à Edmonton, nous avons décidé d'une stratégie qui nous amenait à porter la cause devant trois Cours d'appel de trois provinces: le Manitoba, le Québec et Terre-Neuve, pour des raisons bien compréhensibles. D'abord, pour une raison d'ordre géographique puisqu'il s'agit de trois grandes régions du Canada; également, pour ne pas multiplier indûment les procédures judiciaires et dû au fait que les conditions juridiques de l'incorporation de ces différentes provinces à la fédération canadienne n'étaient pas les mêmes. Comme on le sait, le Québec, c'est en 1867; le Manitoba, c'est à l'occasion d'une loi qui a été adoptée à cet effet; concernant Terre-Neuve, c'est à l'occasion d'un référendum qui avait été tenu au niveau de la population.

Cela résume l'essentiel de la stratégie, qui n'est pas très compliquée et qui a été mise au point, mais qui suit son cours au moment où on se parle.

M, Le Moignan: En attendant, est-ce que je peux terminer ma dernière question à M. Pratte, Mme la Présidente? J'aurais une dernière question à poser à M. Pratte.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: À la suite du problème du Manitoba que nous évoquons, les procureurs du gouvernement fédéral se sont prononcés, et je vous lis un court extrait du Globe and Mail: "The federal brief cause on the Court to dismiss some of the provinces' questions because they do not deal with legal matters. It says: "The reference process is not designed to require the Court to answer questions of political science. It is designed to enable the Court to give legal advice." Mr. Twidle - c'est le procureur du Manitoba - however said there are no restrictions on what matters can be referred to the Court. He said: It is entirely proper for the Court to rule on questions dealing with the limits of governmental power." J'aimerais avoir vos commentaires sur l'avis de ces experts.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: Mme la Présidente, mes commentaires seront assez simples.

L'argumentation du gouvernement fédéral, c'est que la question de savoir s'il existe ou non des conventions constitutionnelles et s'il existe ou non des obligations qui en découlent n'est pas une question de droit, n'est pas une question légale parce que la sanction de ces obligations-là, s'il en existe, ne relève pas du tribunal. C'est, à mon point de vue, confondre deux choses: c'est confondre l'existence de l'obligation, d'une part, et la sanction de l'obligation, d'autre part. Les tribunaux ont reconnu, dans un certain nombre de cas, l'existence de conventions constitutionnelles, même si, en même temps, les tribunaux, ordinairement, admettent qu'ils ne sanctionnent pas la violation de l'obligation qui résulte de la convention constitutionnelle.

J'espère que la lumière de l'argumentation fédérale, qui n'est pas totalement imprévue... Nos questions éviteront peut-être cette situation, mais, à mon point de vue, l'argumentation fédérale confond deux choses, comme je l'ai dit, et, personnellement, cela ne me convainc pas de la même façon que, dans une cause, en 1929 ou 1930, par exemple, le Conseil privé a reconnu que, par convention, le Conseil privé était une cour, alors qu'effectivement ce n'en est pas une parce que c'est simplement un comité qui donne l'avis à la reine ou au roi; on dit: À toutes fins utiles, c'est une cour. On a un certain nombre de décisions comme cela où l'existence de la convention et des conséquences qui en découlent ont été reconnues, ce qui ne veut pas dire que, si l'obligation est violée, cela donne le droit de prendre une action et qu'il en résulte la nullité.

Or, les avocats du gouvernement fédéral à Winnipeg - c'est de bonne guerre, c'est une chose qui est fort acceptable - disent: Vous ne pouvez pas demander à un tribunal de constater l'existence d'une obligation alors que vous ne pouvez pas la sanctionner. C'est le problème. Il ne faut pas s'imaginer que, dans ce domaine-là, tout est absolument clair, que tout est absolument limpide. Ce n'est tout simplement pas vrai. La confusion, à mon point de vue, que les gens du fédéral font, c'est que, parce que ce n'est pas quelque chose qui est sanctionnable par le tribunal, que le tribunal peut déclarer nul, à leur point de vue, il n'y a pas d'obligation. À mon point de vue, c'est complètement différent. On a reconnu, par exemple, dans une cause du Sénat, si mon souvenir est exact, que le gouvernement devait démissionner s'il avait perdu la majorité en Chambre. Seulement, si un premier ministre, après avoir perdu les élections, décide de continuer à gouverner, on prétend que, même s'il viole l'obligation constitutionnelle de démissionner, les actes qu'il pose comme premier ministre vont continuer d'être valides. Mais cela ne veut pas dire que le premier ministre n'a pas l'obligation de démissionner et que cela n'est pas reconnu.

Une voix: Cela va leur donner des idées. M. Pratte: Mon exemple est mal choisi.

M. Bédard: Ne leur faites pas peur pour rien. Une chance qu'ils n'ont pas su cela avant.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Pratte, vous aviez la parole.

M. Pratte: Mon exemple était mal choisi.

M. Rivest: Cela nous met sur nos gardes.

La Présidente (Mme Cuerrier): Cela va? M. le député de D'Arcy McGee, vous avez la parole maintenant.

M. Marx: Mme la Présidente, j'ai toujours cru que nous avions une excellente cause, que nous avions une bonne cause, et je suis sûr maintenant que ce sera bien plaidé et bien défendu. La question qu'il faut se poser peut-être c'est: Est-ce qu'on va gagner? Je pense que c'est une question qu'on pose aux conseillers juridiques.

J'ai deux questions. Première question, c'est sur la cause elle-même. Ma deuxième question porte sur les effets d'une charte des droits enchâssée dans la constitution, comme la charte proposée par le gouvernement fédéral. Si je comprends bien, on a dit qu'il y a des conventions constitutionnelles qui font en sorte que le gouvernement fédéral ne doit pas proposer au Parlement de Westminster de modifier la constitution canadienne si cela affecte le partage des pouvoirs, si cela affecte les provinces. Je comprends aussi qu'il n'y a pas de jurisprudence -je trouve cela très important - où les tribunaux ont donné préséance à une convention constitutionnelle sur une loi. C'est-à-dire que, s'il y a un conflit entre une convention constitutionnelle, quelle qu'elle soit, et une loi, c'est la loi qui a préséance. Je pense que c'est l'état du droit au Canada et au Royaume-Uni et Me Pratte a bien exposé ce droit. (20 h 30)

Donc, supposons que, pour une raison ou pour une autre, le Parlement du Royaume-Uni accepte d'adopter une loi pour modifier la constitution canadienne. On a déjà dit qu'une loi aurait préséance sur une convention constitutionnelle. Ma question est la suivante: Supposons que le Parlement du Royaume-Uni adopte une loi pour modifier la constitution canadienne dans le sens décrit dans la résolution fédérale et qu'après, la Cour suprême du Canada décide que c'est inconstitutionnel, qu'une convention constitutionnelle devra empêcher le Parlement du Royaume-Uni d'adopter une telle loi, est-ce qu'on aurait un recours devant les cours canadiennes?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: M. Marx, vous posez l'hypothèse qu'il y ait une décision de la Cour suprême qui intervienne disant que c'est inconstitutionnel de faire ce qui aurait été fait. Le cas échéant, j'ai l'impression qu'il en résulterait nécessairement que la loi qui aurait été adoptée par le Royaume-Uni, même si elle pouvait être jugée théoriquement valide au Royaume-Uni, n'aurait pas d'effet au Canada. Je me souviens d'avoir lu le texte d'une conférence que prononçait le juge Rand peu de temps après avoir quitté la Cour suprême, alors qu'il s'adressait aux membres de la faculté de droit de Harvard - je suis convaincu que vous connaissez le texte beaucoup mieux que moi - dans lequel il émettait l'hypothèse à savoir: Qu'est-ce qui arriverait si le Parlement britannique, soit proprio motu, soit à la demande du Parlement du Canada, abrogeait le Statut de Westminster? Il concluait très catégoriquement que même si la loi était jugée valide par les tribunaux britanniques, ce ne serait pas une loi qui serait appliquée par les tribunaux canadiens. Je pense que c'est une question qu'il faut se poser. Il n'est pas impossible, par pure hypothèse, étant donné la théorie de la suprématie du Parlement qui a cours en Angleterre, mais avec de moins en moins de force maintenant par rapport à ce que cela avait dans le temps de Dicey, qu"on puisse dire qu'une loi passée dans les circonstances que vous décrivez puisse être jugée valable en Angleterre par les tribunaux anglais. Mais le problème, c'est que ce n'est pas une loi qui est destinée à avoir effet en Angleterre, c'est une loi qui, par définition, est destinée à avoir effet au Canada.

À mon point de vue, il faut se poser la question: Est-ce une loi qui a été adoptée conformément aux principes constitutionnels de droit canadien? Si la réponse à cela est non, j'ai l'impression qu'on peut prétendre, je ne dis pas avec 100% de chances de succès, mais fort sérieusement que c'est une loi qui ne devrait pas être reconnue par les tribunaux canadiens, à moins qu'on ne puisse dire, ce que je ne crois pas, que le Parlement britannique exerce son pouvoir impérial, parce que je pense que ce n'est pas cela. De plus en plus maintenant en Angleterre, on reconnaît que le Parlement britannique peut même s'imposer, comme vous le savez, des restrictions quant aux lois qu'il peut adopter. On en est même rendu à dire que le Parlement britannique pourrait même s'imposer à lui-même une charte des droits, malgré la suprématie. On dit même que c'est au nom de la suprématie qu'il pourrait le faire et que c'est parce qu'il est souverain qu'il pourrait se contraindre lui-même à ne pas légiférer dans un certain domaine. Mais je dois admettre gue c'est une question extrêmement difficile et que, personnellement, je préférerais qu'elle demeure hypothétique.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Cela prendrait donc une Cour suprême du Canada courageuse pour dire que la loi telle qu'adoptée qui modifie la constitution canadienne ne s'applique pas au Canada. D'accord.

J'aimerais passer à une autre question sur la charte des droits elle-même, parce que Me Pratte a dit: Supposons qu'on ait une charte des droits enchâssée dans une constitution, cela va donner ouverture à beaucoup de doute sur beaucoup de lois, etc. Il a même parlé de l'instabilité juridique. Personnellement, je n'ai pas peur de l'instabilité juridique quand cela a comme effet de favoriser les citoyens, de leur donner plus de protection. Il ne faut pas oublier que le Canada a déjà une déclaration canadienne des droits qui a été adoptée en 1960. Je ne pense pas que cela ait donné beaucoup d'instabilité juridique, quoiqu'il y ait une différence entre cette déclaration et une charte qui sera enchâssée dans la constitution. On peut dire aussi que le Royaume-Uni est lié par une charte européenne des droits et qu'il y a même d'autres pays qui sont liés par une telle charte. Je ne veux pas entrer dans le débat sur la valeur d'une charte des droits enchâssée dans la constitution parce qu'on a déjà fait ce débat dans cette commission au mois d'août, les 14 et 15 août. On peut lire les

positions du Parti québécois et du Parti libéral. Tout ce que je veux dire, c'est que, dans le livre beige, il y a un chapitre où on propose d'enchâsser une charte des droits dans la constitution canadienne une fois qu'on prendra le pouvoir et qu'on aura la possibilité de négocier avec le gouvernement fédéral.

M. Bédard: Vous avez fait la discussion.

M. Marx: II y un point que je trouve bien curieux: dans le programme du Parti québécois, ils sont en faveur d'une charte des droits enchâssée dans la constitution une fois qu'ils réaliseront la souveraineté-association, mais ils sont contre une charte enchâssée dans une constitution canadienne renouvelée. Mais c'est une contradiction qu'ils doivent résoudre eux-mêmes.

Mme la Présidente, ce qui m'a intrigué...

M. Bédard: Mme la Présidente, on reconnaît là le député qui n'est pas capable de s'empêcher de parler d'une façon partisane alors qu'on a des invités à qui il faut poser des questions.

M. Marx: Mme la Présidente, ai-je interrompu le ministre de la Justice?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee, vous avez la parole.

M. Bédard: Mesquinerie.

M. Marx: L'ai-je interrompu? Non.

M. Bédard: Mesquinerie.

M. Marx: Quand cela fait mal aux péquistes, ils invoquent des questions de règlement, de procédure et tout cela.

M. Morin (Louis-Hébert): Qu'est-ce c'est que cela?

M. Bédard: Le grand expert constitutionnaliste!

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre!

M. Marx: Cela commence à faire mal. Voilà!

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Bédard: Allez-y, le grand expert! Au contraire, je trouve que vous vous faites mal.

M. Marx: Je suis prêt à céder la parole au ministre de la Justice s'il a quelque chose à dire.

M. Bédard: Dites quelque chose qui a du bon sens. Allez-y!

M. Rivest: Prenez l'exemple de votre ministre des Affaires intergouvernementales. Il est calme, placide...

La Présidente (Mme Cuerrier): Je demanderais votre collaboration.

M. Rivest: ...debout, les mains dans les poches.

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! Je demanderais votre collaboration pour que M. le député de D'Arcy McGee puisse poser sa question.

M. Marx: Mme la Présidente, ce qui m'a beaucoup intrigué, c'est quand Me Pratte a parlé d'une charte des droits enchâssée dans la constitution qui aurait certains effets sur des lois québécoises touchant, par exemple, les fabriques. Je pense que Me Pratte a parlé d'une loi qui touche les fabriques. Vous savez que la liberté de religion existe dans la Charte des droits et des libertés de la personne du Québec. Il y a un article dans la Charte des droits et libertés du Québec qui prévoit que toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée, entre autres, sur la religion, ce qui est à peu près la même chose que l'article 15 dans la charte fédérale qui prévoit que tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection de la loi, indépendamment de toute distinction fondée, entre autres choses, sur la religion.

Est-ce que cela veut dire que, si le Québec veut adopter une nouvelle loi sur les fabriques, une telle loi irait à l'encontre de la Charte des droits et libertés du Québec? J'ai mes doutes. Franchement, j'ai mes doutes, parce que, en interprétant une charte, comme vous le savez, il faut procéder par une classification raisonnable des lois. Dans l'article 15 de la charte fédérale, on parle de l'âge de la personne, mais il y a une loi fédérale qui prévoit que les jeunes en bas de seize ans ne peuvent pas acheter de tabac. Je ne pense pas que cela irait jamais à l'encontre d'une charte enchâssée dans la constitution. Je ne pense pas qu'il y ait un juge au Canada qui dirait que la loi fédérale sur le tabac, qui empêche les jeunes d'acheter le tabac, va à l'encontre d'une charte des droits de la personne.

De la même façon, je pense qu'on a des lois d'impôt. On taxe les riches plus que les pauvres. Je ne pense pas qu'un juge va dire qu'une telle loi va à l'encontre de la charte parce qu'il y a, dans une telle loi, l'inégalité des personnes devant la loi. Je pense qu'il faut interpréter des lois en fonction d'une charte d'une façon très raisonnable et en fonction aussi de la jurisprudence canadienne. Il ne faut pas aller aux États-Unis ou ailleurs chercher la jurisprudence. Je pense que c'est clair dans un sens, ce que les juges vont faire.

Ma question est très simple. J'ai entendu des gens depuis des semaines et j'ai lu des articles où les personnes ont parlé de la portée de la charte fédérale sur les lois québécoises. Il y a, par exemple, des personnes qui ont dit ou qui ont écrit - je ne me souviens pas - qu'une telle charte, la charte fédérale, si elle est adoptée et qu'elle entre en vigueur, pourrait affecter les politiques d'achat du gouvernement du Québec.

Ils ont dit qu'une telle charte pourrait affecter les politiques de subventions du gouvernement du Québec. Ils ont dit qu'une telle charte pourrait rendre non valides des loi québécoises sur la protection des terres agricoles où on empêche des non-résidents d'acheter des

terres au Québec. Ils ont dit qu'une telle charte peut rendre invalides les programmes d'assurance-stabilisation des revenus des producteurs agricoles. Quelqu'un a même dit que la charte fédérale rendrait invalide la loi sur les petites créances du Québec. Finalement, on a même dit, dans un document du ministère des Affaires intergouvernementales, qu'un article, tel l'article 6 dans la charte fédérale, qui porte sur la liberté de circulation et d'établissement, pourrait forcer l'uniformisation des systèmes d'éducation au Canada pour que tout le monde ait une certaine mobilité.

Je vous ai donné un certain nombre de lois du Québec et j'aimerais savoir si vraiment, à votre avis, ces lois seront rendues invalides si on adopte une charte des droits enchâssée dans la constitution.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: M. Marx, bien honnêtement, votre question est trop complexe et trop longue pour que je puisse y répondre de façon bien précise. Tout ce que je veux vous signaler... (20 h 45)

M. Marx: Je m'excuse, Mme la Présidente, je ne peux pas...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, il faudrait...

M. Pratte: Voulez-vous me laisser le temps de répondre deux secondes, s'il vous plaît?

La Présidente (Mme Cuerrier): ...abréger, s'il vous plaît:

M. Marx: Je peux être plus précis, ce serait plus facile pour vous.

M. Pratte: Je vais répondre à une partie de votre question.

M. Marx: D'accord.

M. Pratte: Vous avez parlé de l'âge à l'article 15. Vous avez dit que ce serait interprété de façon raisonnable et qu'il ne fallait se référer à aucune jurisprudence américaine ou autre, sauf à une jurisprudence canadienne. Tout ce que je veux vous signaler, c'est que l'âge est un critère nouveau qui ne se retrouve nulle part, de telle sorte qu'il n'y a de jurisprudence nulle part. Tout ce que je veux vous signaler, c'est que c'est extrêmement vague. Quand on dit qu'une personne ne peut pas obtenir un permis de conduire avant d'avoir 18 ans, si c'est l'âge, est-ce qu'on fait une discrimination à l'égard de l'âge? C'est beau de dire que les tribunaux vont interpréter cela raisonnablement. Mais toute ma question, ce n'est pas de dire que c'est illégal, ce n'est pas mon propos. Tout ce que je veux vous signaler, c'est que c'est tellement vague que cela pose des problèmes sérieux d'interprétation.

Si vous en venez maintenant à la question de l'acquisition des fermes - c'est une question que vous avez posée - cela se rapporte à l'article 6. Je ne comprends pas et c'est pour cette raison que je ne suis pas capable de répondre à votre question. Qu'est-ce que cela veut dire, qu'un citoyen a le droit de gagner sa vie dans sa province et que ce droit est subordonné aux lois d'application générale, pourvu que ce ne soit pas fondé sur une distinction relative à la province de résidence? Si je suis, par exemple, un arpenteur-géomètre et que c'est cela qui me permet de gagner ma vie, et si la Loi des arpenteurs-géomètres au Québec, comme je pense que c'est le cas, exige que je sois citoyen canadien et résident du Québec, est-ce que c'est en violation de l'article 6 et en violation de l'autre article qui donne des droits non seulement aux citoyens canadiens, mais à ceux qui ont le droit de résider au Canada?

Il y a une extension, dans la charte, au citoyen canadien, d'une part, à celui qui est citoyen canadien, et à celui qui a un droit de résidence permanente au Canada. Peut-être qu'aucune des lois que vous mentionnez n'est affectée; personnellement, j'en doute fort. Je pense qu'il y en a plusieurs qui vont être mises en question. On va prétendre que si ça veut dire quelque chose, le droit de gagner sa vie, ça veut dire le droit de gagner sa vie dans son métier, pas nécessairement devenir balayeur de rue. Autrement, ça ne veut rien dire. Surtout quand on dit: Gagner sa vie, pourvu que ça n'établisse pas de distinctions fondées principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle. Mon seul propos est que cela pose des questions extrêmement sérieuses d'interprétation; c'est tout ce que j'ai à dire. Je ne suis pas capable de me prononcer pour dire qu'un certain nombre de lois, dix plutôt que vingt-cinq, vont devenir invalides ou non; je ne suis pas en mesure de le dire.

M. Marx: Une dernière petite question. Je comprends, Me Pratte, que tout se plaide. Je sais que tout se plaide. Je peux prendre n'importe quelle loi et voir 55 pépins dedans, surtout, par exemple, la loi qu'on est en train de discuter à l'Assemblée nationale sur la famille, une loi qui amenderait le Code civil.

Avez-vous fait une étude en ce qui concerne d'autres lois du Québec, peut-être des lois que j'ai énumérées, comme la loi sur les petites créances, pour nous expliquer comment la charte rendra inconstitutionnelles d'autres lois québécoises?

M. Pratte: Je n'ai pas été en mesure, le temps ne m'a pas permis, je le regrette, de faire une étude en profondeur pour pouvoir vous dire, de façon définitive, qu'à mon avis - quoi que vaille mon avis - il y a un certain nombre de lois X ou Y qui vont devenir invalides. À mon point de vue, au point de vue constitutionnel, c'est assez "irrelevant" ou ce n'est pas tellement pertinent. Au point de vue constitutionnel, ce qui est pertinent, je le soumets respectueusement, c'est de savoir si ça diminue l'autonomie législative des provinces. C'est cela, je pense, qui est important. Je ne dis pas que l'autre n'est pas important, mais je dis qu'au point de vue de la constitutionnalité de la démarche qui est proposée, il n'y aurait pas une loi qui serait affectée et cela demeurerait tout aussi inconstitutionnel, à mon point de vue,

M. Marx: Je suis tout à fait d'accord. La raison d'avoir une charte, pour lui, était sûrement la souveraineté des Parlements. Mais je m'excuse, Me Pratte, parce que le ministre de la Justice a

mentionné en Chambre, depuis des semaines, qu'il a demandé aux experts de faire une étude des lois du Québec pour voir quelles lois du Québec seront inconstitutionnelles en fonction de cette charte. J'ai pensé, malheureusement, que c'était vous qu'il avait engaqé pour faire ce travail.

M. Pratte: M. Marx, ne blâmez pas le ministre, blâmez-moi. Le fait est qu'il m'a demandé de regarder la question...

M. Marx: Ah, bon!

M. Pratte: ...seulement, je n'ai pas eu le temps.

M. Marx: Même sans avoir eu votre opinion, il a fait beaucoup d'affirmations; je vois maintenant que ce sont des affirmations tout à fait gratuites.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, le ministre de la Justice s'étant momentanément absenté, j'aurais deux commentaires à faire. Premièrement, lorsque nous avons parlé des effets possibles d'une charte des droits sur les lois québécoises, je tiens à affirmer que nous avons toujours utilisé le conditionnel.

M. Marx: Question de règlement, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): Question de règlement.

M. Marx: Oui, sur le règlement. J'ai ici les débats du 20 novembre 1980, débats de l'Assemblée nationale, à la page 247. Le ministère de la Justice a complété une étude exhaustive de l'ensemble des lois et règlements du Québec qui pourraient être affectés par le projet Trudeau. On demande cette étude depuis des semaines. Qu'est-ce qu'on a? On a des excuses.

M. Morin (Louis-Hébert): Si j'avais pu, Mme la Présidente, terminer mon intervention, j'ai dit que j'avais deux commentaires à faire. Je vais terminer le premier et vous allez voir quel est le deuxième. Le premier, c'est que nous avons utilisé le conditionnel pour parler des effets possibles d'une charte des droits sur les lois québécoises. Ce que Me Pratte a dit tout de suite en terminant à 18 heures, ce soir - cela m'a frappé - c'est l'incertitude juridique qu'entraînait une charte des droits à savoir, on ne savait pas exactement quand, mais qu'il y avait toujours une possibilité d'une décision de l'Assemblée nationale qui puisse être mise en cause en vertu d'une charte des droits. Donc, le conditionnel a toujours été utilisé par nous. Nous avons fait valoir les possibilités qui ont été confirmées d'ailleurs cet après-midi par Me Pratte de doute en ce qui concerne nos lois à venir dans des domaines précis, même en ce qui concerne nos lois actuelles.

Le deuxième commentaire, je le laisse au ministre de la Justice, qui est revenu. C'est à propos de l'étude que nous avons effectivement fait faire, mais qui n'est pas complétée pour une raison qui va être très évidente dans une seconde.

M. Bédard: D'ailleurs, lors du débat, ce que ne dit pas le député qui n'a qu'une préoccupation, celle de faire de la politique partisane - j'en ai le texte ici - que nous avons fait à l'occasion de la motion, nous avons effectivement employé le conditionnel à savoir que certaines dispositions de cette charte pourraient... et nous avons indiqué que l'étude exhaustive nous donnait certaines conclusions préliminaires. Lisez comme il faut, vous êtes mieux d'enlever vos lunettes pour regarder comme il faut. Quand nous parlions entre autres des politiques d'achat, de concessions, de construction, de contrats de service, ce n'était pas n'importe quel contrat de politique d'achat, celles qui ont des clauses de préférence par rapport à des citoyens du Québec à l'encontre d'autres citoyens. Egalement, nous avons pris ces précautions sur l'ensemble de ce que nous avons dit à l'Assemblée nationale à savoir que c'était une étude préliminaire. Or la meilleure manière et, je crois, la meilleure preuve que c'était dans mon esprit une étude préliminaire qui devait être complétée, être plus fouillée, c'est que - les membres qui sont avec nous ici pourront en témoigner - j'ai demandé, il y a à peu près une semaine, même plus, je crois, que cette étude exhaustive qui avait été faite par le ministère de la Justice soit remise entre les mains de nos juristes de manière qu'ils en analysent les données pour déboucher sur une étude plus approfondie et, je l'espère, sur un document qui nous permettrait, qu'il nous serait possible, non seulement qu'il nous serait possible, que nous avons l'intention, je pense que c'est normal, de livrer à la connaissance de tous les parlementaires. Parce que je crois que quand on parle des effets que pourrait avoir le projet fédéral concernant, non seulement les pouvoirs de la Législature du Québec, les effets que cela pourrait avoir sur certaines lois et règlements du Québec, nous nous devons d'être prudents. C'est dans ce sens que j'ai demandé une étude plus approfondie pour que tous les parlementaires soient au courant et plus que les parlementaires, que toute la population soit au courant en temps et lieu.

La Présidente (Mme Cuerrier): La parole est maintenant à M. le député de Deux-Montagnes.

M. Bédard: Arrêtez de charrier.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît.

M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais poser une question à Me Pratte, mais auparavant je voudrais faire observer au député de D'Arcy McGee qu'il n'y a pas du tout de contradiction dans l'attitude du gouvernement du Parti québécois, parce que ce n'est pas du tout la même chose de prévoir une charte des droits dans la constitution toute nouvelle d'un tout nouveau pays unitaire, d'une part, et d'autre part, en cours de route, d'imposer la charte dont il s'agit - pas n'importe quelle charte, la charte dont il s'agit - dans la proposition du gouvernement fédéral dans un pays fédéral, document qui, comme Me Pratte l'a indigué cet après-midi, apporterait certaines modifications aux pouvoirs de l'un ou l'autre ou de l'un et l'autre des deux paliers de

gouvernement. Ce sont deux choses totalement différentes et il n'y a par conséquent aucune contradiction.

La question que je veux poser à Me Pratte concerne les mécanismes référendaires qui sont prévus dans le projet fédéral. Si j'ai bien compris, Me Pratte estime que le recours au mécanisme référendaire n'est pas souhaitable comme méthode de modifier la constitution dans un pays fédéral, dans la mesure où cette méthode peut porter atteinte aux pouvoirs, à la souveraineté législative de l'un ou l'autre des deux ordres de gouvernement.

Cependant, la question est devant l'opinion publique puisque ce mécanisme référendaire figure dans le document fédéral et j'ai l'impression qu'il y figure d'une façon qui amène une certaine confusion dans l'opinion publique, à cause de la structure même de la proposition du gouvernement fédéral. Il y a deux parties du texte où on parle particulièrement de référendum, la partie quatre qui est intitulée: Procédures provisoires de modification et règles de remplacement et la partie cinq qui est intitulée: Procédure de modification de la constitution du Canada.

Pour avoir participé à un certain nombre de conversations sur la question, pour avoir lu un certain nombre d'écrits et pour avoir entendu un certain nombre d'émissions de radio et de télévision, j'ai cru constater qu'il y a effectivement une confusion dans l'opinion publique dans la mesure où les gens pensent que la partie quatre, c'est pour les deux premières années après l'entrée en vigueur de ce machin-là et que la partie cinq, c'est à partir de la fin de cette période de deux ans. Par conséquent, la partie cinq est prévue, on peut déjà compter dessus. Il y a des gens qui soutiennent dur comme fer que même à l'intérieur du mécanisme référendaire prévu ici, le Québec serait assuré d'une espèce de droit de veto référendaire parce qu'on trouve ça dans le détail de la partie cinq. Mais ce qui me frappe, c'est que la partie quatre prévoit la possibilité pour le fédéral de modifier ça avant que cela entre en vigueur, de modifier, au moyen d'un référendum, les mécanismes de la partie cinq, de telle sorte qu'une fois qu'on se trouverait dans la procédure permanente de modification, cette procédure permanente ne comporterait plus cette espèce de veto référendaire du Québec. Ce n'est pas dit dans la partie quatre que ce serait supprimé, mais la procédure de la partie quatre ne comporte pas, elle, le veto référendaire pour le Québec et, donc, ce référendum pan-canadien pourrait modifier la partie cinq de façon à priver le Québec de son veto référendaire.

Je ne sais pas si Me Pratte me suit, mais la question que je lui pose est: Quels sont les effets possibles des mécanismes référendaires prévus dans la partie quatre sur les mécanismes référendaires prévus dans la partie cinq?

Est-ce que, comme je le crois, les mécanismes de la partie quatre pourraient être utilisés par le gouvernement fédéral de façon à modifier les mécanismes de la partie cinq, de telle sorte que le Québec ne jouirait plus de ce veto référendaire?

M. Pratte: Une première observation, c'est que je n'ai jamais dit, je pense, cet après-midi qu'une chose était souhaitable ou n'était pas souhaitable. J'ai tenté d'exprimer un avis purement juridique, sans exprimer d'avis quant à l'opportunisme politique ou autre. (21 heures)

M. de Beliefeuille: N'auriez-vous pas dit que c'est indiqué ou pas indiqué?

M. Pratte: Pardon?

M. de Bellefeuille: Que c'est indiqué ou pas indiqué?

M. Pratte: Non, tout ce que j'ai dit, c'est que, pour ce qui était du référendum prévu à la partie V, à mon point de vue, cela touchait sérieusement au statut des gouvernements provinciaux tel que je concevais leur statut en vertu de la situation actuelle, mais je n'ai pas dit que c'était souhaitable ou pas souhaitable que ce soit comme cela. À ce moment-là, cela devient purement et simplement une décision politique, dans le meilleur sens du mot, que de décider si c'est souhaitable ou pas souhaitable que ce soit cela. Il faut bien se rendre compte que le référendum, c'est admis de façon générale comme un moyen de légitimer la constitution, mais cela ne veut pas dire qu'étant donné ce qui existe actuellement c'est conforme à la situation prévue dans la constitution actuelle. Je n'ai exprimé aucun avis sur la question de savoir si c'était souhaitable ou pas souhaitable, politiquement rentable ou pas politiquement rentable. Cela n'est pas mon rôle.

M. de Bellefeuille: Mais vous avez bien indiqué que ce n'est pas conforme aux lois ou à la coutume?

M. Pratte: J'ai dit qu'à mon point de vue cela portait atteinte à ce qui était le rôle actuel des gouvernements provinciaux dans la constitution actuelle, au point de vue légal.

La Présidente (Mme Cuerrïer): Mme la députée des Îles-de-la-Madeleine.

Mme LeBIanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. J'ai deux questions. La première se rapporte aux conséquences possibles, auxquelles Me Pratte a fait allusion, de l'enchâssement d'une charte des droits dans la constitution. Je dois vous dire que je n'ai pas la compétence du député d'Argenteuil pour évaluer la pertinence de vos exemples, mais, en tout cas, vous m'avez suffisamment inquiétée pour que j'aie envie de vous poser la question suivante. Selon la politique d'achat du Québec, que nous avons mise de l'avant depuis quelques années, pour qu'un pêcheur soit admissible à la construction d'un bateau, il doit d'abord faire construire ce bateau au Québec et non dans les Maritimes. D'autre part, malgré tout ce qu'on sait déjà sur le dossier de la mine de sel, le gouvernement du Québec a décidé d'investir et de créer un projet comme celui de la mine de sel au Québec. Si des citoyens d'autres provinces arrivaient à faire la preuve qu'effectivement un projet comme celui de la mine de sel au Québec va créer dans d'autres régions du pays du chômage, est-ce qu'effectivement le gouvernement canadien, d'une

façon ou d'une autre, pourrait intervenir et juridiquement nous empêcher de mettre de l'avant un projet comme celui-là en vertu du droit de gagner sa vie qu'a tout citoyen canadien dans chaque province?

M. Pratte: Mme la Présidente, il n'est pas question de savoir si le gouvernement canadien pourrait intervenir; il est question de savoir si n'importe quel citoyen pourrait prétendre que la mesure dont il s'agit est inconstitutionnelle ou illégale parce que contraire à la charte des droits. Dès le moment où il y a une charte des droits, une mesure qui viole la charte des droits devient inconstitutionnelle ou inopérante - c'est ce que dit, à la fin, l'article 25 - et toute personne qui y a intérêt - à toutes fins utiles tout citoyen, j'imagine - peut demander que ce soit déclaré inconstitutionnel ou inopérant. Donc, cela n'exige pas l'intervention du gouvernement.

Votre exemple pour ce qui a trait à des subventions données à des entreprises québécoises ou a des pêcheurs québécois, tout cela est relié à la question de savoir ce que veut dire gagner sa vie. En relation avec le paragraphe 3 de l'article 6, c'est assujetti aux applications générales pourvu que la distinction ne soit pas fondée sur la province de résidence. Je vous avoue bien franchement que je ne suis pas en mesure de vous donner une opinion précise, parce que je ne sais pas ce que cela veut dire, le droit de gagner sa vie. Je n'ai pas eu le temps d'y penser de façon suffisamment précise pour être capable de vous donner une opinion formelle. Tout ce que je peux vous dire, c'est que cela m'inquiète. Cela m'apparaît être un problème sérieux, mais je ne suis pas capable de vous dire que tout cela tomberait par-dessus bord. Cela n'est pas vrai.

Mme LeBlanc-Bantey: II reste que c'est sujet à interprétation des juges et qu'on a lieu de s'inquiéter avant. Ma deuxième question est d'un autre ordre. Supposons que le gouvernement du Québec gagne ou perde sa cause devant les tribunaux et que, peu importent les actions des différentes provinces quant au projet qu'on a devant nous, le gouvernement du Canada s'entend avec le Royaume-Uni, finalement, pour faire ce qu'il a bien envie de faire dans le moment, existe-t-il des recours sur la scène internationale, par exemple, qui permettraient aux provinces d'aller se faire entendre ailleurs? Je pense, par exemple, au tribunal international de la justice. Aurions-nous une autre façon, finalement, d'avoir justice?

M. Pratte: Non. D'après mes informations, d'après ce que je peux savoir, la réponse à cela est catégoriquement non. Il n'y a pas de recours qui serait possible d'après ce que je peux savoir actuellement au tribunal de la justice ou à des tribunaux autres que ceux qu'on connaît dans l'hypothèse que vous mentionnez.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: En droit constitutionnel et en droit international, est-il possible d'envisager une loi québécoise signifiant, avant la décision du Parlement britannique, l'intention du Parlement québécois de ne pas accepter ni reconnaître la validité d'une décision diminuant ses pouvoirs rendue sans son consentement et de surplus par le Parlement d'un pays étranger? Je précise. Selon l'avis de certains juristes, une telle loi adoptée avant une décision du Parlement britannique mettrait le Québec hors de portée par suite de toute accusation de désobéissance civile ou d'inconstitutionnalité parce qu'au départ, avant que le Parlement britannique ait statué, le Parlement québécois, souverain dans ses domaines de juridiction, signifierait qu'il ne reconnaîtrait pas la validité de la décision du Parlement britannique.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Pratte.

M. Pratte: Mme la Présidente, je vous avoue que je ne vois pas comment, parce que l'Assemblée nationale déclarerait qu'elle est souveraine, cela va la rendre plus souveraine qu'elle l'est sans le déclarer. Je ne vois pas quel effet cela pourrait avoir.

M. Charbonneau: Non. Ce n'est pas ma question. C'est de savoir si l'Assemblée nationale...

M. Ryan: ...

M. Charbonneau: Je m'excuse, M. le député d'Argenteuil. Contestez-vous le fait qu'on est souverains dans les domaines qui nous sont reconnus par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député!

M. Ryan: Je n'ai pas d'examen de catéchisme à passer avec vous.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, pourrais-je vous demander de vous adresser à la présidence, s'il vous plaît?

M. Charbonneau: Donc, Mme la Présidente, ce que je veux savoir, c'est si l'Assemblée nationale, le Parlement québécois signifie qu'il est non seulement... Ce n'est pas seulement une déclaration de souveraineté dans les domaines qui lui sont reconnus par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. C'est une déclaration, une loi qui signifie que le Parlement québécois ne reconnaîtrait pas la validité d'une intervention extérieure étrangère pour diminuer les pouvoirs dans lesquels il est souverain selon l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ce n'est pas uniquement une déclaration d'intention ou une affirmation de l'existence de cette souveraineté. Elle est affirmée par l'Acte de l'Amérique du Nord. C'est une déclaration qui indiquerait que le Parlement québécois n'a pas l'intention de reconnaître une diminution de ses pouvoirs qui serait la conséquence d'une décision du Parlement britannique.

M. Pratte: Vous me posez une question politique et non pas une question juridique.

M. Charbonneau: Écoutez, je... M. Pratte: C'est...

M. Charbonneau: La question que je vous pose, c'est à la suite de l'avis de certains juristes en droit constitutionnel et international. Ce n'est pas du tout une question politique. Je voulais savoir si, juridiquement, c'était une façon pour le Québec de se prémunir.

M. Pratte: Je ne vois pas du tout qu'au point de vue juridique ce que vous proposez changerait quoi que ce soit à la situation.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Châteauguay.

M. Oussault: Merci, Mme la Présidente. On sait que l'approche qu'a utilisée le gouvernement fédéral pour en arriver à son coup de force est celle d'une motion plutôt que d'une loi. Cela rejoint, je pense, une question qu'a posée M. le chef de l'Opposition pour laquelle il n'y a pas eu de réponse cet après-midi dans l'exposé très intéressant de Me Pratte. M. Chrétien, qui a été envoyé aux douches récemment, comme on le sait, prétend partout que, par le fait qu'on a utilisé une motion plutôt qu'une loi, cela met ce coup de force à l'abri d'un jugement de la Cour d'appel. D'après vous, le fait qu'on ait utilisé une motion pourrait-il faire que nos interventions devant les cours pourraient être inutiles en fin de compte?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: C'est une question que m'a posée le chef de l'Opposition cet après-midi à laquelle, malheureusement, j'ai oublié de répondre. La difficulté dans le cas d'une adresse par rapport à une loi, c'est qu'il est difficile au point de vue procédural d'attaquer la validité d'une adresse par rapport à la validité d'une loi. C'est pour cela que tout le monde a été d'accord, après un certain moment de réflexion, que la façon de faire décider si c'était valide ou non valide, constitutionnellement conforme aux droits ou aux conventions constitutionnelles, c'était par le moyen d'un renvoi à la Cour d'appel. Autrement, cela pose des problèmes de procédure extrêmement complexes. Mais par le moyen d'un renvoi, je pense qu'on peut arriver au même résultat que si on avait une action en déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi.

M. Dussault: Je vous remercie.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: L'aspect le plus central de l'argumentation que vous avez développée cet après-midi ainsi que dans votre mémoire à la Cour d'appel du Manitoba, c'est le rôle du Parlement britannique, à savoir que le Parlement britannique n'aurait pas un simple rôle neutre, c'est-à-dire entre, d'une part, s'immiscer sur l'opportunité des amendements qui sont proposés dans la résolution fédérale - chose que vous avez exclue - et, d'autre part, un rôle passif, c'est-à-dire automatique; aussitôt qu'il y a une adresse, il répond dans le sens positif. Vous avez dit qu'il doit - je pense que c'est exactement le sens de votre intervention - contrôler la conformité au droit constitutionnel canadien interne de l'adresse du gouvernement fédéral. Je pense que c'est fondamentalement votre approche.

Là-dessus, vous avez ensuite greffé l'idée du consentement nécessaire, autrement dit, vous vous attaquez fondamentalement au caractère unilatéral de la démarche. Je pense que c'est le coeur du problème sur le plan strictement juridique, avec le jeu de l'article 7.3 du Statut de Westminster et de 91.1.

C'est là-dessus que je voudrais avoir une explication additionnelle. Dans le jeu des exceptions, en vertu du jugement relatif à l'avis sur le Sénat, il a été bien établi que 91.1, c'est la constitution du Canada, c'est constitution fédérale. C'est fondamental, parce que je pense que le jugement de la Cour suprême l'a très bien établi.

La question que je voudrais vous poser, c'est que toute votre argumentation repose par la suite sur les exceptions à 91.1, qui touchent essentiellement... D'ailleurs, dans votre mémoire, vous ne citez à peu près que cet aspect des choses. Vous impliquez, par votre raisonnement, que les exceptions qu'on trouve après la phrase liminaire de 91.1 sont des exceptions fondamentales. On y retrouve entre autres, et c'est là-dessus que vous basez l'essentiel de votre argumentation, la structure, le partage des pouvoirs... enfin, 92, fondamentalement.

Mais il y a d'autres sujets qui sont également exceptés. Je suis d'accord avec vous. J'ai le sentiment, peut-être d'une façon très amateur - mais il me semble que c'est l'argument solide que vous avez - que cela modifie la structure des pouvoirs entre le fédéral et le provincial. Vous évoquez par la suite toute la question des droits fondamentaux où, bien sûr, persiste une quantité assez considérable d'incertitudes juridiques.

Mais est-ce que vous diriez également, parce que, si vous attachez l'idée du consentement des deux ordres de gouvernement au premier sujet excepté à la suite de la phrase liminaire de 91.1, c'est-à-dire les matières tombant sous la compétence des provinces, est-ce que vous iriez plus loin pour soutenir également que cela prendrait le consentement unanime des provinces lorsque c'est une matière qui ne concernerait que certaines provinces, c'est-à-dire le consentement des provinces concernées? C'est le deuxième élément.

Le troisième élément, quand on parle des droits scolaires, est-ce qu'à votre avis, un amendement...Ce n'est pas le cas dans la résolution fédérale, mais, néanmoins, est-ce que vous affirmeriez également que - c'est 93 qui est visé, c'est cela, et 133, les droits du français et de l'anglais. Même l'article 20, sur la durée de la session - est-ce que vous diriez que ces exceptions, au premier paragraphe de l'article 93, sont de même nature, sont à ce point fondamentales au contrat politique auquel vous vous référez, au pacte - enfin, ce n'est pas le terme "pacte" - mais à l'accord politique qui a créé la fédération? (21 h 15)

Iriez-vous jusqu'à dire que cela prend le consentement unanime des provinces, sauf la réserve lorsque que cela touche simplement certaines provinces, par exemple, pour modifier l'article 93 et l'article 133, la session du Parlement? Étant donné que toute votre

argumentation repose sur cet aspect du consentement, ne croyez-vous pas que les tribunaux pourraient dire qu'il y a différents régimes possibles? Par exemple, supposons qu'on modifie la durée de la session du Parlement canadien. Je ne sais pas si vous pourriez soutenir que cela prendrait une adresse qui serait également approuvée par l'ensemble des Législatures parce qu'elles ne seraient pas concernées. Elles auraient un intérêt, étant donné que le Parlement canadien, c'est quand même essentiel. Autrement dit, est-ce qu'il y a des différences de nature à ce point que c'est le même régime juridique qui vaut pour toute votre interprétation de l'article 91.1? Je ne sais pas si vous saisissez bien la question.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: Mon argumentation est nécessairement fondée - je pense que vous l'avez bien senti - sur la réduction de l'autonomie de la souveraineté ou de la compétence législative des provinces qui, aux termes de la Charte des droits, affecte toutes les provinces également et qui, en conséquence, à mon point de vue, exige le consentement unanime des provinces. Mais je ne suis pas prêt à dire qu'une modification législative ou une modification constitutionnelle qui n'affecterait qu'une province nécessiterait le consentement de toutes les provinces. Je ne suis pas capable d'aller aussi loin que cela.

M. Rivest: Pour les droits scolaires qui sont garantis en vertu de l'article 93, quel régime juridique le Parlement britannique serait-il appelé à contrôler, quant à la conformité aux droits constitutionnels canadiens? Est-ce que vous croyez - je vous demande cela comme ça - même pour l'article 133, par exemple, que cela prendrait l'accord, même s'il y a simplement deux provinces qui sont concernées? Est-ce que ce sont des dispositions à ce point fondamentales dans la constitution du Canada? Le partage des pouvoirs, je comprends que cela concerne les provinces, mais cela reste une catégorie. C'est la structure même. Les droits scolaires, c'est la structure, ce sont des éléments fondamentaux du pacte de 1867, les droits linguistiques également, le caractère démocratique du Parlement canadien également. Ne pourrait-on pas faire une argumentation pour dire que cela devrait être le même système juridique? Comme, dans d'autres cas mentionnés à l'article 93, on n'exige pas et on ne peut pas penser exiger le consentement de toutes les provinces, selon votre interprétation, pourrait-il y avoir un autre régime juridique que celui du consentement unanime?

M. Pratte: Pour ce qui est de l'article 93, M. Rivest, cela commence par: "Dans chaque province et pour chaque province".

M. Rivest: Pour l'article 93, cela va.

M. Pratte: Si on veut modifier cela, j'ai l'impression, à première vue, que cela comporte nécessairement le consentement de chaque province.

M. Rivest: Oui.

M. Pratte: Pour ce qui est de l'article 133, qui est l'usage de la langue française dans les Parlements du Canada et à la Législature de Québec, au départ, je ne suis pas prêt à dire que cela comporterait nécessairement le consentement de toutes les provinces.

M. Rivest: Par exemple, si on voulait... M. Pratte: Si on voulait modifier...

M. Rivest: ...abandonner l'article 133 pour ce qui concerne le Parlement canadien, ne pourrait-on pas arguer que c'est une disposition fondamentale, même si cela concerne uniquement une institution fédérale?

M. Pratte: Je pense que cela peut s'argumenter, mais je ne suis pas prêt à dire que cela comporterait nécessairement le consentement de tout le monde. Je pense que cela comporterait nécessairement le consentement du Québec parce que...

M. Rivest: Et du Manitoba.

M. Pratte: ...il est clair que l'article 133 a été fait en fonction de la nécessité d'avoir du français au Parlement fédéral, donc c'était le Québec. Est-ce que cela comporterait nécessairement le consentement de l'îÎe-du-Prince-Édouard, par exemple, pour en nommer une? Peut-être, mais je ne suis pas en mesure de me prononcer là-dessus. Dans le cas de l'article 93, je pense que, clairement, cela prend le consentement de toutes les provinces parce qu'on modifie la charte des provinces dans le domaine de l'éducation.

M. Rivest: Donc, vous concevez qu'à l'intérieur des exceptions de l'article 91.1, il puisse y avoir différents régimes juridiques qui pourraient faire l'objet d'un jugement de conformité aux droits constitutionnels canadiens de la part du gouvernement britannique. Dans certains cas, on pourrait dire que cela prend le consentement, dans d'autres, uniquement celui d'un certain nombre de provinces et, dans d'autres, peut-être uniquement celui du Parlement canadien.

M. Pratte: Je doute fort qu'une Cour dise que cela prend le consentement des neuf dixièmes des provinces ou des sept huitièmes.

M. Rivest: Mais celles qui sont spécifiquement concernées, par exemple.

M. Pratte: Dans le cas qui nous occupe, qui est la charte des droits fondamentalement, je pense qu'il n'y a aucun doute que c'est une diminution de la souveraineté législative des provinces, et qu'il n'y a aucun doute non plus , à mon point de vue, que ça prend le consentement de tout le monde. Maintenant, on peut imaginer un certain nombre de situations hypothétiques. Là, je vous avoue que selon les situations, je suis plus ou moins en mesure de vous répondre de façon bien intelligente.

M. Rivest: Pour les fins de la résolution fédérale, c'est dans ce sens-là que dans votre

mémoire vous vous en tenez simplement au fait qu'au niveau de la charte des droits cela affecte toutes les provinces. Vous n'allez pas plus loin.

M. Pratte: Je ne vais pas plus loin, parce que j'ai l'impression que ce n'est pas nécessaire d'aller plus loin. L'effet fondamental de la charte, c'est cela et pas autre chose, c'est de diminuer la souveraineté législative de toutes les provinces. Quant au reste, est-ce que cela pourrait être autre chose? Quand le problème se présentera...

M. Rivest: J'en ai... parce qu'à partir de cela, c'est là-dessus que vous établissez votre convention constitutionnelle.

M. Pratte: Ce n'est pas tout à fait cela, si vous me le permettez. Ce que je dis - je ne prétends pas avoir raison - c'est que l'analyse des textes m'amène à la conclusion que le consentement est requis, parce que c'est un droit qui est garanti par les textes. Ce qu'on appelle la convention constitutionnelle ne fait que prouver que c'est de cette façon-là que les parties concernées ou intéressées ont toujours compris les textes dont il s'agit, mais je ne fais pas, à mon point de vue, des conventions constitutionnelles la source du droit.

M. Rivest: Je comprends.

M. Pratte: Mais je fais des textes et du principe fédératif la source du droit. À mon point de vue, l'attitude des parties, l'attitude du fédéral, l'attitude des provinces confirment cette interprétation. Je suis le premier à admettre que c'est peut-être quelque chose de nouveau, cela n'a pas été présenté comme cela, mais je pense qu'il y a quelque chose de sérieux là-dedans.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, laissez faire, j'ai eu ma réponse.

La Présidente (Mme Cuerrier): Puisque vous avez eu votre réponse, M. le chef de l'Opposition officielle a demandé la parole.

M. Ryan: J'aurais trois autres questions à vous adresser, M. Pratte. D'abord, quelle serait votre opinion, dans l'hypothèse où le gouvernement fédéral laisserait tomber sa charte des droits, du projet de motion destiné au Parlement de Londres et qui inclurait seulement dans son projet le rapatriement de la constitution plus la formule d'amendement à l'unanimité, en première hypothèse? Deuxième hypothèse: le rapatriement de la constitution plus la règle de l'unanimité pour une période de deux ou trois ans et ensuite un référendum devant décider, de manière définitive, du choix d'une formule permanente d'amendement. C'est ma première question.

Deuxième question. J'aimerais que vous nous donniez une idée de l'échéancier que vous envisagez dans le cheminement des causes qui seront entendues par les tribunaux, surtout celle qui sera présentée à la Cour d'appel. Quelle durée peut-on raisonnablement entrevoir pour l'examen de cette cause et la publication du jugement et ensuite pour les démarches qui sont susceptibles de suivre au niveau de la Cour suprême? Dans quel ordre de grandeur, au point de vue du temps, ces démarches sont-elles susceptibles de se situer?

Troisièmement, d'après les contacts que vous avez eus à Londres, quelles perspectives peut-on envisager dans l'hypothèse où cette affaire serait soumise à l'attention des tribunaux canadiens, comme elle va sûrement l'être si le projet fédéral n'est pas modifié? Quelles sont les perspectives en ce qui touche l'action du Parlement britannique? Est-ce qu'on vous laisse entendre ou est-ce que vous comprenez vous-même que le Parlement britannique procédera probablement de toute façon, sans s'occuper de ce qui se passe ici, prétendant ou affectant de ne pas en être saisi, ou s'il sera influencé par cela? Dans l'hypothèse où il agirait quand même, qu'est-ce qui arriverait dans l'éventualité où les tribunaux canadiens décideraient que cette affaire n'était pas constitutionnelle? Est-ce qu'il faudrait recommencer le pèlerinage à Londres à rebours?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.

M. Pratte: M. Ryan, sur votre première question, et strictement au point de vue juridique, si la résolution ou la proposition fédérale était à l'effet de rapatrier la constitution avec une règle d'unanimité, je vous avoue que, personnellement, je ne vois pas comment on pourrait contester cette formule du point de vue juridique. Politiquement, c'est peut-être contestable pour des raisons diverses, mais au point de vue juridique, je ne vois pas comment les provinces pourraient s'opposer et dire que c'est inconstitutionnel dans le sens que c'est illégal. Pardon?

M. Ryan: Cela n'aurait pas de coup de force.

M. Pratte: Je ne vois pas comment on pourrait s'opposer à cela juridiquement. Si on dit que la règle de l'unanimité - parce que votre première hypothèse, c'est la règle de l'unanimité perpétuelle - va durer X années, deux ans ou trois ans, et après cela il va y avoir un référendum, à ce moment, je me pose la question à savoir si cela change, si cela modifie la situation des gouvernements provinciaux. On revient au même problème qu'on a discuté cet après-midi. Est-ce qu'en somme, on substitue le référendum à la décision qui est actuellement celle du gouvernement de chaque province ou des assemblées de chaque province et du Parlement fédéral?

Pour ce qui est de l'échéancier - c'est votre deuxième question - je vous avoue que vous êtes aussi bon juge que moi, vous avez autant d'expérience que moi des tribunaux. Quand on soumet une question à un tribunal, on espère toujours gagner et on espère toujours, en conséquence, que le jugement va arriver le plus rapidement possible. Cela ne serait peut-être pas correct de ma part de faire des prédictions. Je suis confiant, par ailleurs, que la Cour d'appel va agir avec autant de diligence que possible. Seulement, si on veut être réaliste, je pense bien qu'on ne pourrait pas estimer avoir un jugement

de la Cour d'appel avant l'été. On ne peut pas les blâmer actuellement. Le délai, c'est ma faute, ce n'est pas la leur. Ce n'est pas de leur faute. La question va leur être posée; arrive la période des Fêtes, il faut produire notre factum, il faut des avis aux autres procureurs généraux. Après cela, il y a l'audition et ils ont nécessairement droit à une période de réflexion pour penser au problème, de telle sorte que, d'ici à l'été, on peut espérer avoir une décision et après cela, vraisemblablement, ce serait susceptible, j'imagine, une question de cette importance, d'aller devant la Cour suprême. Là, cela prendra le temps que cela prendra, mais je pense qu'il serait irréaliste de penser que tout le problème va être réglé d'ici à l'été prochain.

M. Ryan: ... au-delà du 15 novembre 1981. M. Pratte: J'ignore ce genre de problèmes. Une voix: C'est l'urgence fédérale.

M. Pratte: Votre troisième question, c'est l'attitude de Londres. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai rencontré à Londres aucun parlementaire britannique. J'ai rencontré un certain nombre de constitutionnalistes. Il n'y en a pas un qui m'a dit que le rôle du Parlement britannique, que le Parlement britannique était obligé d'agir sans regarder. Il n'y en a pas jn qui m'a dit qu'il y avait une convention obligeant le gouvernement britannique à agir comme on l'a dit. Quelle va être l'influence du fait qu'il y a des débats juridiques, des contestations juridiques qui sont pendantes ici, c'est un jugement très personnel, mais j'ai senti que l'indépendance des Chambres et des membres de la Chambre des communes en Grande-Bretagne est telle qu'ils ne veulent pas se faire dire, directement ou indirectement, par un tribunal britannique, et peut-être encore moins par un tribunal canadien, ce qu'ils doivent faire.

Par ailleurs, ils sont par tradition tellement respectueux des institutions que je serais fort surpris que cela ne soit pas un facteur important dans leur décision et, personnellement, je serais extrêmement surpris de voir, étant donné qu'il y a des contestations que je crois sérieuses et que certains d'entre eux croient sérieuses quant à la constitutionnalité du geste, qu'ils prennent sur eux de passer l'éponge là-dessus et de décider, de prendre une décision qui pourrait être finale, qui serait susceptible d'être finale sans attendre le résultat du débat pour savoir si la démarche constitutionnelle canadienne, aux yeux du droit constitutionnel canadien, est valable ou non. Ça me surprendrait. Je ne dis pas que c'est impossible, mais ça m'apparaît contraire au tempérament que j'ai pu déceler. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. (21 h 30)

M. Ryan: J'émettais l'hypothèse également où le Parlement britannique accepterait d'adopter la résolution qui lui sera adressée et où l'affaire continuerait son cours devant les tribunaux ici qui, éventuellement, invalideraient la mesure. Qu'est-ce qui arrive à ce moment-là? Quelles sont les conséquences juridiques?

M. Pratte: Dans cette hypothèse-là, à mon point de vue, il serait possible de prétendre avec beaucoup de sérieux que la loi adoptée par le gouvernement britannique ne serait pas valable ou valide au Canada parce qu'il manquerait un élément important dans le processus de la loi, qui aurait été une demande constitutionnellement valide du Parlement canadien au Parlement britannique. Mais de là à vous dire que c'est aussi facile à résoudre que de prendre une action pour un chèque sans fonds, je vous tromperais. Je pense que c'est un argument extrêmement sérieux. Si un tribunal canadien disait - comme je pense qu'il devrait le dire - qu'une adresse dans le sens de celle qui est discutée actuellement n'est pas constitutionnellement valide au sens du droit constitutionnel canadien, je pense qu'à ce moment-là, au sens du droit constitutionnel canadien, il manquerait un élément essentiel à la validité d'une loi britannique.

La Présidente (Mme Cuerrier): On me dit que...

M. Pratte: De la même façon que si - si vous me le permettez - on présentait au gouverneur général une loi adoptée seulement par l'une des deux Chambres et qu'il la sanctionnait quand même, je pense qu'on pourrait attaquer la validité de cette loi-là en disant qu'elle n'est pas constitutionnelle, elle n'a pas reçu l'approbation des deux corps législatifs qui doivent se prononcer sur le sujet.

M. Rivest: Me permettez-vous juste une précision sur votre dernière affirmation? Est-ce qu'il n'y a pas une jurisprudence qui établit que les tribunaux refuseraient de regarder même ce fait-là, les vices de procédure d'adoption des lois?

M. Pratte: La jurisprudence est contradictoire. Il y a de la jurisprudence en Afrique du Sud, je pense, en Rhodésie, qui dit que, dans des vices purement de forme, les tribunaux n'interviendront pas. Il y a de la jurisprudence du Conseil privé relativement à ces mêmes pays où des lois avaient été assujetties à des consentements particuliers, par exemple de la majorité des deux tiers au lieu de la majorité absolue, alors que les certificats n'avaient pas été apposés et qu'il apparaissait que les lois n'avaient pas été adoptées par la majorité prescrite, et cela a été déclaré invalide, même si cela avait été sanctionné par le gouverneur général ou l'équivalent.

Je ne veux pas vous laisser l'impression que tout cela est clair comme de l'eau de roche. Je dis simplement qu'il y a un problème sérieux et je pense que c'est légalement correct de dire qu'une loi britannique qui aurait été adoptée à la suite d'une adresse déclarée inconstitutionnelle par une cour canadienne aurait de fortes chances de ne pas être valide aux yeux des tribunaux canadiens.

La Présidente (Mme Cuerrier): On me dit que ce serait la dernière question. M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: C'est une autre des questions que je vous avais posées au début de notre rencontre, à laquelle vous n'avez répondu qu'en partie cet après-midi. La question portait sur l'avis émis par la Cour suprême en rapport avec le projet

comportant la réforme de la composition et les attributions du Sénat. Vous avez dit que vous ne vouliez pas parler de cette chose-là parce que vous faisiez partie de la Cour suprême a ce moment-là, mais je vais reposer ma question pour voir si vous n'auriez pas été trop modeste au début de la rencontre.

M. Pratte: Ce n'est pas ma principale qualité.

M. Ryan: Dans son témoiqnage devant la commission conjointe du Parlement et du Sénat à Ottawa, le ministre de la Justice fédéral a dit, en réponse à une question qu'on lui posait, que cet avis émis par la Cour suprême n'avait pas de rapport avec le projet actuel. Vous avez probablement pris connaissance des déclarations qu'il a faites à ce moment-là. Ses propos ont été repris à plusieurs reprises par des porte-parole fédéraux au cours des audiences de la commission conjointe du Parlement canadien. Je voudrais vous demander si, dans votre esprit, il y a "relevancy" là-dedans, si vraiment il y a un lien entre l'avis émis par la Cour suprême en décembre 1979 et le problème dont seront saisis les tribunaux autour du projet de résolution fédéral. Deuxièmement, en quoi cela ne s'applique-t-il pas, s'il y a lieu?

M. Pratte: Dire qu'il y a un lien direct et que la décision rendue par la Cour suprême décide du problème actuel, je pense que c'est aller trop loin, mais je pense qu'il y a un lien dans le sens suivant: c'est que la Cour suprême a clairement décidé que la compétence législative du Parlement du Canada de modifier sa propre constitution était une compétence restreinte, qu'il ne pouvait pas, dans des domaines comme celui de la réforme du Sénat, réformer le Sénat, adopter une loi pour modifier ce qu'il pensait être sa propre constitution, parce que cela affectait des aspects, ce qu'on a appelé les rapports fédératifs, qui est une expression peut-être assez floue.

De cela, je pense qu'on peut déduire, par voie de conséquence nécessaire, que le Parlement ne peut pas affecter directement la compétence des provinces quand il modifie sa constitution. Si c'est cela la compétence législative du Parlement fédéral, à ce moment-là, je ne vois pas comment - et j'en reviens à ce que j'ai dit cet après-midi - on peut faire indirectement ce qui ne peut pas être fait directement. En d'autres mots, il doit y avoir dans le domaine constitutionnel quelque chose qui ressemble à l'abus de pouvoir.

Je n'ai rien trouvé, mais cela ressemble un peu à cela. Est-ce que la forme peut l'emporter sur le fond à ce point-là? J'ai de la misère à le croire. Ce n'est pas logique de dire que, parce qu'un document va s'appeler adresse plutôt que loi et que les formalités de l'adoption sont exactement les mêmes, dans un cas, c'est possible et ce sera valable, et, dans l'autre cas, ce ne sera pas valable, surtout alors qu'on prétend que le rôle du Parlement britannique est un rôle absolument automatique.

En d'autres mots, on dit: Ma décision d'adopter l'adresse sera aussi définitive, finale, que la décision d'adopter la loi. Le rôle du Parlement britannique est le même que celui du gouverneur général. C'est cela dans le fond la position du gouvernement fédéral. À mon point de vue, ce n'est pas contitutionnellement correct, parce que cela fait fi de l'article 7 du Statut de Westminster, cela fait fi de l'article 91 tel qu'il a été interprété par la Cour suprême et tel que je pense qu'on doit le lire.

La Présidente (Mme Cuerrier): II ne me reste plus qu'à remercier Me Pratte et ses collègues pour avoir bien voulu se présenter devant la commission de la présidence du conseil et de la constitution.

Je ne crois pas présumer en vous disant que les membres de cette commission ont apprécié votre témoignage. Je n'en veux pour preuve que les remarques qui m'ont été faites pendant la suspension à l'heure du dîner. Merci beaucoup, Me Pratte, merci, Me Emery et merci, Me Bouchard.

Une voix: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Cuerrier): Conformément à la décision qui a été prise par cette commission cet après-midi, je me devrai maintenant de rappeler Me Robert Normand.

J'entends des commentaires autour de moi. Voulez-vous me faire une proposition?

M. Morin (Louis-Hébert): Je vais proposer, Mme la Présidente, pour ce qui concerne M. Normand, comme il est quand même plus facilement disponible que Me Pratte, qu'il vienne si on le juge opportun, demain matin, pour continuer de répondre à certaines questions. Ou encore - je pense que c'est le chef de l'Opposition qui me disait cela tout à l'heure - il peut très bien faire une sorte de rapport d'étape au mois de janvier, quand on recommencera. Enfin, on pourra décider en temps opportun. Je suis tout à fait ouvert à n'importe quelle suggestion. Je ne sais pas si...

La Présidente (Mme Cuerrier): J'aimerais vous entendre sur cette proposition.

M. Ryan: Je crois comprendre que M. Normand doit partir en voyage demain pour une mission qui comprend peut-être trop de personnes, mais dont il sera un membre important et utile, je pense bien. Si M. Normand doit partir demain, je ne voudrais pas qu'il soit obligé de nous attendre pendant toute la matinée de demain jusgu'à la dernière minute. Si on avait quelques questions pressées à lui adresser, on pourrait peut-être le faire ce soir avant d'ajourner, quitte à le retrouver au mois de janvier quand et si la commission se retrouve à ce moment-là.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est comme on veut, mais...

M. Ryan: Je ne voudrais pas lui imposer cela, franchement. Je pense que...

M. Morin (Louis-Hébert): Son départ est dans l'après-midi de demain. On peut le prendre demain matin.

M. Ryan: Oui? Alors, au début de la séance de demain.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est comme vous voulez.

La Présidente (Mme Cuerrier): Cette commission serait-elle d'accord à ce que M. Normand revienne demain matin vers 11 h 30 après la période des questions? Est-ce bien...

M. Morin (Louis-Hébert); Non, on ne peut pas à cause des questions. À moins qu'il n'y ait pas de période des questions. Je n'ai jamais de questions. Pas de problème de ma part.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'aurais un consensus?

M. Le Moignan: J'étais rendu à Londres avec M. Normand au moment où il a été remplacé par M. Pratte. J'aimerais retourner à Londres demain matin.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est adopté. Demain, la commission de la présidence du conseil et de la constitution entendra d'abord M. Robert Normand. Elle appellera ensuite le Conseil du statut de la femme. Par la suite, elle entendra l'Association culturelle franco-canadienne de Saskatchewan dont le porte-parole est M. Pinsonneault. Le dernier groupe à être entendu est le Conseil d'expansion économique dont le porte-parole est M. Rosaire Morin.

Je vous demanderais une motion pour que cette commission, si c'est son voeu, puisse ajourner ses travaux.

M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: ...Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): Motion d'ajournement adoptée?

Une voix: Adopté.

La Présidente (Mme Cuerrier): Cette commission de la présidence du conseil et de la constitution ajourne ses travaux à demain après la période des questions de l'Assemblée nationale.

(Fin de la séance à 21 h 43)

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