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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Monday, February 29, 1988 - Vol. 29 N° 67

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Pour une politique de sécurité du revenu'


Journal des débats

 

(Quinze heures sept minutes)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place.

La commission des affaires sociales se réunit afin de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques pour étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu". Nous avons le quorum. Y a-t-il, Mme la secrétaire des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Cardinal (Châteauguay) sera remplacée par M. Doyon (Louis-Hébert). M. Chevrette (Joliette) par M. Desbiens (Dubuc). C'est tout.

Le Président (M. Bélanger): Bien. Je vous remercie. Aujourd'hui, nous recevrons Centraide Montréal, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail inc., l'Association des médecins de CLSC du Québec, l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain et la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec.

Dans un premier temps, nous recevons le groupe de Centraide Montréal qui sera représenté par M. Jean Lessard qui en est le président-directeur général, par M. Michel Giroux, par M. Jean-Guy Bissonnette et par Mme Céline Germain.

Je prierais le porte-parole du groupe, d'une part, de nous présenter son équipe et, d'autre part, de faire la présentation du mémoire. Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez droit à 20 minutes fermes pour présenter votre mémoire et ensuite il y aura 40 minutes de discussion avec les parlementaires. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: J'espère que nos invités vont comprendre si je me permets, M. le Président, au début de la séance - nous sommes encore sereins, nous commençons cette semaine - de réitérer la demande que j'ai formulée au ministre à la clôture de notre séance de jeudi dernier à l'effet d'obtenir les chiffres qui nous permettraient de nous faire le tableau le plus complet possible, le plus exact possible des jeunes de moins de 30 ans qui sont actuellement bénéficiaires de l'aide sociale. Ceux d'entre eux qui seraient admissibles au programme proposé, Soutien financier, donc considérés comme inaptes, est-ce ceux qui ont déjà des certificats médicaux? Ou est-ce d'autres? Ou est-ce moins que ceux qui ont des certificats médicaux? Ceux d'entre eux qui vivraient chez leurs parents et qui seraient soumis à la contribution parentale de 100 $ minimale qui est proposée; ceux qui, tout en vivant chez leurs parents, verraient à la fois leurs parents avoir à payer à la fois la contribution et le test de revenus. Également ceux qui sont dépendants tout en habitant à l'extérieur du foyer familial. En fait, l'ensemble des coefficients qui nous permettraient de connaître la situation réelle des jeunes bénéficiaires de moins de 30 ans.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remerde, Mme la députée. Votre demande a été entendue par M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pourrais répondre verbalement pour le moment à Mme la députée de Maisonneuve, en souhaitant que la sérénité qui nous anime ne soit pas seulement caractérisée à l'occasion de l'ouverture de la séance, mais perdure tout au long de nos travaux cette semaine.

Mme Harel: Cela va dépendre de vous, ça!

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je lui dirai que nous avons reçu ce matin au ministère - je l'en remercie - ses demandes par écrit et détaillées et que nous les actualisons. Nous tenterons de vous répondre dans les meilleurs délais. Maintenant, comme éléments de base de votre travail, les mêmes questions, dans certains cas, nous avaient été posées par votre prédécesseur en matière de critique de la sécurité du revenu, M. Jean-Pierre Charbonneau, député de Verchères et nous avions donné tous ces renseignements à l'occasion des crédits et des engagements financiers.

Maintenant, je comprends que vous les vouliez d'une façon actualisée le plus près possible de la tenue de la commission parlementaire.

Mme Harel: C'est cela.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On tente de le faire à partir des données les plus récentes et les plus exactes possible et dès que ce sera fait, nous vous les communiquerons.

Mme Harel: Mon Dieu, M. le Président, je vais profiter de l'esprit de saine collaboration qui semble régner pour demander au ministre quand iI entend déposer la définition des besoins spéciaux qu'il propose de rendre admissibles aux personnes qui seraient dans la catégorie Soutien financier et les besoins spéciaux qui ne seraient plus offerts aux personnes qui seraient dans la catégorie APTE.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): En ce qui concerne les besoins spéciaux couverts par les

bénéficiaires admissibles au programme. Soutien financier, il s'agit exactement de la même liste de besoins spéciaux que ceux qui sont actuellement couverts. En ce qui concerne les besoins spéciaux qui s'appliquent dans le cadre du programme APTE, il s'agit des besoins reliés à la santé, et les discussions se poursuivent actuellement avec le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Mme Harel: Discussions à quel sujet?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour établir la liste des besoins spéciaux existants qui s'appliquent en matière de santé.

Mme Harel: En santé, entendez-vous par là ceux couverts par la Régie de l'assurance-maladie actuellement et non pas ceux couverts par l'aide sociale?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela fait partie des discussions. Habituellement, nous utilisons et le ministère de la Main-d'Oeuvre, sous quelque gouvernement que ce soit, a toujours utilisé l'expertise du ministère de la Santé et des Services sociaux dans la couverture de ces besoins spéciaux, ceux reliés à la santé.

Mme Harel: Quand saurons-nous quels sont ceux qui sont couverts par l'aide sociale, les besoins spéciaux qui ne faisaient pas partie de ceux qui étaient couverts par la Régie de l'assurance-maladie? II y avait des besoins spéciaux qui étaient couverts par le régime de laide sociale. Prenons l'exemple de la grossesse. II y avait un supplément au moment de la grossesse. II s'agit là de besoins spéciaux qui ne sont pas couverts par l'assurance-maladie, qui I'étaient par l'aide sociale. Faut-il comprendre que les personnes aptes ne seraient plus admissibles à ces besoins spéciaux couverts par l'aide sociale?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous devez comprendre de la réponse indiquée dans le document d'orientation que tous les besoins spéciaux rattachés à la santé seront couverts. Maintenant, lorsque vous me posez la question - j'espère que je ne l'interprète pas mal -vous dites: Est-ce qu'il s'agit strictement des besoins spéciaux reconnus par la Régie de l'assurance-maladie du Québec dans les listes de médicaments? Ma réponse est non, mais même dans ce cas, il y a discussion avec le ministère de la Santé et des Services sociaux parce qu'il possède une expertise en matière de santé même pour les biens et services qui ne sont pas couverts par la Régie de l'assurance maladie du Québec parce qu'ils ont déjà eu l'occasion de faire des évaluations et nous pensons que nous pouvons retrouver là une expertise dont nous aurions tort de nous priver.

Mme Harel: En matière de santé, je vous rappelle, M. le ministre, que de nombreux organismes viennent plaider devant la commission. La santé n'est pas simplement une absence de maladie, c'est aussi un ensemble de conditions multiples autant psychosociologiques qu'économiques qui font qu'on est dans un état de santé. Je vous demande à quel moment vous pensez que ces conversations entretenues avec la Régie de l'assurance-maladie vont se terminer de façon à nous permettre de connaître de façon plus exacte les besoins spéciaux qui seront accessibles aux personnes du programme APTE.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II n'y avait pas d'échéance fixe de déterminée. Maintenant, je vais m'enquérir de l'état des travaux et du moment ou les consultations devraient prendre fin.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie Nous procédons sans autre délai à l'audition du mémoire du groupe Centraide. Je vous prierais, M. le porte-parole, de vous identifier et de bien vouloir procéder à la présentation de votre mémoire.

Centraide Montréal

M. Lessard (Jean): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs. je suis Jean Lessard. président-directeur général de Centraide Montréal. J'aimerais vous présenter à ma droite, Céline Germain, directrice des affaires gouvernementales, à ma gauche, Michel Giroux directeur général adjoint et Jean Guy Bissonnette directeur de la recherche sociale.

J'aimerais vous remercier de nous recevoir. Je vais essayer de vous faire une légère présentation qui ne sera pas, évidemment, une répétition de tout ce qu'il y a dans le mémoire. Je tiens pour acquis que vous avez tous lu ce mémoire durant la fin de semaine et que vous avez à l'esprit toutes les questions fondamentales qui peuvent se poser à I'occasion de cette présentation.

J'aimerais dire tout d'abord que cette réforme de l'aide sociale est absolument essentielle. Elle est nécessaire et urgente. Cependant la réforme de l'aide sociale soulève un certain nombre de questions. La première est celle du message que nous devons transmettre à I'ensemble de notre société. Est-ce que nous voulons une société qui se prend en charge, une société qui accepte la responsabilité et l'autonomie comme des valeurs essentielles? Est-ce que nous allons dire à l'ensemble de la société qu'il est parfaitement correct pour quelqu'un de vivre toute sa vie de l'aide sociale? Et je pense en particulier à ces jeunes de 18 à 30 ans. Comment peut-on penser que celui qui a 25 ans à l'heure actuelle puisse passer les 30 prochaines années de sa vie sur I'aide sociale?

Dans le contexte de Centraide et du

mouvement bénévole et communautaire que nous représentons et les organismes que nous finançons dont la majorité travaille avec des assistés sociaux, dans cette perspective, nous croyons qu'il est important de souligner certaines valeurs qui nous apparaissent fondamentales dans notre société. II est important que toute personne puisse remplir un emploi, que toute personne puisse, toute sa vie, être capable d'être autonome et d'être responsable. II nous apparaît majeur, à cet égard, que la réforme de l'aide sociale favorise ces valeurs, cette culture extrêmement importante.

Ce que j'aimerais dire au point de départ, c'est que le ministre, dans son document vert, indique qu'il y a là un problème important. Je pense que le problème de l'aide sociale, le problème du nombre d'assistés sociaux, est un problème beaucoup plus important que ce que le ministre en dit dans son livre. Et, à cet égard, nous avons préparé - à partir des données du ministre, évidemment - deux tableaux qui manifestent fort bien, je pense, la croissance du phénomène de l'aide sociale. Vous remarquerez ces deux tableaux, le premier étant la croissance du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale. Nous avons, pour illustrer davantage te phénomène, établi la tendance pour la période de 1971 jusqu'à maintenant. On remarque en haut de la courbe, une cloche qui est le fruit - je m'exprime peut-être mai - le résultat de la récession de 1981-1982. Il y a eu une légère diminution du nombre d'assistés sociaux depuis l'an passé. Cependant, c'est une situation particulièrement délicate et volatile. Au premier signe d'une nouvelle récession, cette courbe risque d'augmenter, mais nous dit que, sur une période de seize ans, il y a une croissance régulière du nombre d'assistés sociaux 700 000 assistés sociaux, c'est un nombre extrêmement significatif.

Nous voyons que le pourcentage d'assistés sociaux par rapport à la population totale, dans l'autre tableau, est passé de 6, 5 personnes, 6, 5 %. si vous voulez, en 1974, qui a été le creux, à presque 11 % Actuellement, il y a une personne sur dix qui vit de l'aide sociale. Cela veut dire que, chaque fois qu'on se promène dans la rue, la dixième personne que l'on rencontre vit de l'aide sociale. Si vous ajoutez à cela le nombre de personnes qui bénéficient de I'assurance-chômage, d'une façon ou de l'autre c'est-à-dire les prestations qui sont versées dans ce cas par le gouvernement du Canada, nous avons aussi un nombre de personnes presque égal. II y a presque 650 000 personnes qui vivent de l'assurance-chômage. Nous vivons dans une société ou de plus en plus de personnes vivent aux frais de l'État. Je pense que. si nous ne mettons pas en place un certain nombre de mesures des mesures extrêmement significatives et rigoureuses, nous allons nous retrouver dans un certain nombre d'années avec un problème qui va être encore beaucoup plus complexe. II y a 20 ans, l'aide sociale était vraiment le mécanisme de dernier recours et, comme le nombre de personnes visées qui vivaient de l'aide sociale était très faible, on se posait même la question. Est-ce que ces personnes devront vivre continuellement des subventions, des allocations, des prestations de l'État? On est aujourd'hui dans une situation très différente et l'une des questions que l'on peut se poser, c'est qu'au fond toutes les réformes qui ont été faites dans les années soixante ont contribué à augmenter le nombre de ces personnes qui dépendent de l'État et qui ne pourront pas, pour un certain nombre d'entre elles, vivre de façon autonome et responsable.

J'aimerais ajouter que la proposition que le ministre fait, comme nous I'indiquons dans le mémoire, est une proposition qu'il faut considérer sérieusement, mais qu'il faut améliorer et compléter. Améliorer et compléter, pourquoi? II serait surprenant, si l'on prend par exemple, le tiers des bénéficiaires qui sont, entre guillemets, aptes au travail, chefs de famille, qui ont moins d'une onzième année, c'est-à-dire, à toutes fins utiles, analphabètes fonctionnels ou analphabètes profonds. Je ne sais pas comment il sera possible de prendre ces personnes et de leur donner un niveau d'éducation et de formation leur permettant de remplir des emplois sur le marché du travail. J'aimerais souligner qu'il serait important que, dans la politique qui nous est proposée, il puisse y avoir des politiques complémentaires, particulièrement quant à l'alphabétisation, si vous voulez, et à la formation des personnes. Nous I'avons indiqué à plusieurs reprises dans le mémoire, il s'agit là d'un problème extrêmement fondamental et c'est une question sur laquelle le ministre n'a pas dit beaucoup de choses. Nous aimerions voir des propositions plus claires à cet égard et plus complètes.

L'autre chose que nous avons indiquée dans le mémoire et que je me permets de reprendre, c'est qu'il nous apparaît pratiquement impossible de prendre deux ans pour faire la réinsertion des 300 000 - eu égard au chiffre précis - chefs de famille aptes au travail. Même si le ministre multipliait ses agents d'aide sociale ou d'aide socio économique par cinq, je ne pense pas qu'il puisse le faire. Je pense que nous avons là une situation qui nécessite une implantation progressive de la politique sur une période d'années, et ceci veut dire donner aussi certaines garanties ou certains assouplissements intérimaires pour ceux qui ne pourront être visés par I'implantation de la politique. Je dirais à cet égard qu'il est important de mettre des priorités sur les populations à intégrer ou à réintégrer. Dans les propositions que nous faisons nous croyons que les jeunes de moins de 30 ans devraient faire l'objet d'une priorité absolue.

Comme je le disais tout à I'heure, il est impossible que celui qui a 25 ans passe le reste de sa vie à regarder le soleil ou, ici, la neige et les nuages et à ne rien faire. II est important

qu'il y ait à cet égard une priorité absolue.

La deuxième chose en termes de priorité, et ceci vient de notre action dans le milieu. Lorsque quelqu'un bénéficie de l'aide sociale depuis plus de deux ans, et c'est encore pire quand c'est plus de cinq ans, les personnes apprennent à vivre de l'aide sociale et il se développe ce que l'on pourrait appeler une sous-culture de la pauvreté. Les gens vivent avec cela.

Or, si l'on veut être capable d'empêcher que le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale augmente, il faut prendre immédiatement tous ceux qui ont moins de deux ans et en faire une politique systématique. Dès que quelqu'un perd son assurance-chômage et devient un assisté social il faut prendre immédiatement la personne et l'inscrire dans un programme qui peut comprendre un certain nombre de volets.

L'autre chose que j'aimerais souligner, c'est la collaboration entre le secteur bénévole et communautaire et le secteur gouvernemental. Nous croyons que, si l'on veut que la politique ait du succès, il faut plus que seulement l'intervention de l'État. II faut une collaboration, une concertation entre les divers intervenants que l'on retrouve dans les milieux. À cet égard, il serait important qu'il puisse y avoir non seulement cette collaboration entre le mouvement bénévole et communautaire et les services gouvernementaux, mais aussi avec l'industrie et avec les syndicats.

II nous apparaît extrêmement important que, si l'on veut que cette politique puisse s'implanter avec succès, il y ait une mobilisation. Ceci veut dire qu'il faut qu'il y art un consensus social au Québec en vertu duquel il est fondamental et essentiel que toute personne puisse avoir un emploi, puisse courir après un emploi, puisse devenir autonome et responsable, et se prendre en charge.

Ce n'est pas uniquement un discours. C'est aussi une réalité. II nous faut globalement, comme société, envoyer un message clair à l'ensemble de notre monde. Ce message clair c'est qu'on ne peut pas passer sa vie à ne rien faire. II faut passer sa vie à faire un travail, un travail utile. II faut que la personne humaine soit capable de se réaliser et ceci ne peut -être fait - je le souligne et je le répète parce que cela m'apparaît fondamental - sans le concours, la collaboration des divers intervenants dans le milieu.

Je voudrais aussi souligner le fait qu'une politique comme celle que propose le ministre nécessite aussi des politiques complémentaires. Je ne parle pas de développer, pour le ministre, un certain nombre d'emplois. Je parle, cependant, d'approche qui permettrait à l'ensemble des citoyens de pouvoir avoir accès plus facilement au développement de l'emploi. Comme nous parlons en même temps au ministre de là Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, je pense que nous allons dans le secteur du ministre de la Main-d'Oeuvre et j'aimerais beaucoup entendre le ministre dans les prochaines semaines parler de politiques particulières à cet égard.

Finalement, le dernier point que j'aimerais soulever est un peu plus difficile. Le gouvernement agit toujours en développant et en implantant des politiques générales et universelles. C'est l'approche, par définition, la plus parfaite de l'État. Cependant, ce type d'approche consiste souvent à essayer de découvrir l'aspirine qui permettrait de résoudre tous les problèmes auxquels l'être humain pourrait être sujet. Malheureusement, quand il s'agit du corps humain, on développe un certain nombre d'autres médicaments pour permettre de résoudre les autres problèmes. Quand on parle des assistés sociaux, on parle d'une clientèle qui est très loin d'être homogène. II s'agit d'une clientèle extrêmement variée.

On peut parler de jeunes qui n'ont jamais rempli d'emploi, qui n'ont jamais su ce que c'était arriver dans une entreprise pour travailler le matin. Vous retrouvez des personnes qui sont rendues à un certain âge pour ne pas qualifier l'âge, qui ont vécu une partie de leur vie et qui se retrouvent sans emploi. Vous trouvez des femmes, chefs de famille monoparentale, et il y en a beaucoup, dont l'époux ou le mari a oublié ou oublie de verser la pension alimentaire Vous vous retrouvez avec toute une variété d'assistés sociaux. II nous apparaît extrêmement important de développer un éventai! de programmes à partir d'une analyse beaucoup plus détaillée, beaucoup plus rigoureuse des profils d'assistés sociaux. (15 h 30)

Je sais que le système informatique du ministre ne lui permet pas de trouver toutes les réponses, mais je présume que son prochain système informatique va lui permettre de faire des analyses beaucoup plus détaillées. Ce que je suggère très fortement, ce qui m'apparaît extrêmement important, c'est que nous puissions avoir des profils qualifiés d'assistés sociaux. Si on veut être en mesure de développer des programmes appropriés, 10, 12, 20, 30, il faut être capable de se baser sur une connaissance profonde de la réalité. Or cette connaissance, nous ne t'avons pas. Nous n'avons qu'une connaissance globale de quelques gros chiffres là ou sont situés les assistés sociaux. Disons en passant que 60 % des assistés sociaux sont dans la région métropolitaine de Montréal, alors que nous n'avons que 40 % de la population totale.

II s'agit là d'un phénomène qu'il ne faut pas sous-estimer parce que le développement des sous-cultures dans une région métropolitaine comme celle de Montréal est beaucoup plus fort et beaucoup plus fondamental que ce que l'on peut retrouver ailleurs en province. Ailleurs en province, la famille joue encore un rôleiImportant et I'Église est présente. Quand vous vous retrouvez à Montréal, vous vous retrouvez dans des situations géographiques démographiques et sociales particulièrement pénibles où le consensus social devient très difficile à développer. Si l'on

veut réussir cette réforme de l'aide sociale qui nous apparaît essentielle, fondamentale et urgente. Je pense qu'il faut, M. le ministre, que nous puissions procéder à ces approches et, comme je le disais au début, votre proposition de politique, il faut l'améliorer un peu et la compléter. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie, M. le porte-parole. Je cède la parole à M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. Je remercie Centraide pour la qualité de son mémoire, la qualité de sa présentation et également pour le travail que cet organisme effectue dans Montréal et ses régions avoisinantes. Vous êtes ceux et celles qui avez à ramasser la clientèle qui passe à travers les mailles du filet de la sécurité sociale. Comme vous l'indiquez dans votre mémoire, d'année en année, vous travail devient un peu plus lourd. Donc, je comprends que vous partagiez l'opinion des membres autour de cette table en commission, à savoir qu'il faille revoir le système actuel. Maintenant, une fois qu'on s'est entendu sur la nécessité de revoir le système actuel, il faut s'entendre sur un certain nombre de principes et également sur un certain nombre de modalités qui deviennent, dans certains cas, aussi importantes que les principes quelles visent à sous-tendre.

Vous vous êtes présentés devant nous en affirmant que la réforme est essentielle, nécessaire et urgente. Vous nous avez dit que le message également que I'on devait rendre public était important. Je sais qu'il existe beaucoup de préjugés dans la population quant à la définition de cette clientèle de l'aide sociale. C'est pourquoi à peu près à chaque mémoire, je rappelle que cette clientèle est formée d'environ 100 000 ménages qui sont, à toutes fins utiles, incapables de travailler et admissibles au programme Soutien financier et que, parmi les 300 000 autres ménages, les trois quarts de la clientèle de l'aide sociale ne sont pas tous des gens qui ne veulent pas travailler, mais qui sont dans l'impossibilité de travailler. Vous aviez raison de souligner le problème d'analphabétisation parce que, à l'aide sociale, chez nos personnes capables de travailler, 36 % sont des analphabètes fonctionnels. 60 % n'ont pas complété leur cours secondaire et certains d'entre eux pourraient être placés dans la première catégorie et 40 % n'ont aucune expérience de travail. On voit donc la difficulté que ces gens-là pourraient avoir malgré la meilleure bonne volonté du monde à se procurer un emploi dans la société. Nous voulons profiter de cette commission pour transmettre ce message à l'ensemble de la population du Québec. Vous avez parlé des valeurs d'autonomie et de responsabilité. Nous partageons au gouvernement ces valeurs.

Vous avez parlé de la clientèle dans son ensemble et de sa croissance depuis 1971, depuis l'instauration du régime de l'aide sociale que nous connaissons actuellement. Vous avez raison de mentionner que le sommet de la courbe qui a été atteint en 1984-1985 nous venait de la crise économique 1981-1982, parce que lorsque la crise économique frappe une économie, traditionnellement, les gens qui entrent à l'aide sociale continuent d'y entrer, mais il ny a plus de sortie possible de l'aide sociale. C'est un embouteillage.

Pendant les douze premiers mois, les gens qui sont mis à pied deviennent des prestataires d'assurance-chômage, mais après douze mois. Ils entrent également à l'aide sociale. Donc, le système devient complètement engorgé et embouteillé. Mais vous avez également raison de mentionner qu'en 1986-1987 il y a eu une diminution de 100 000 personnes dépendantes de l'aide sociale au Québec. Mais vous avez également raison de craindre une autre possibilité de récession économique et que les mesures ne soient pas suffisamment souples pour en tenir compte.

Maintenant, je vous dirai que ce phénomène de croissance et de décroissance est relié à la conjoncture économique et au marché du travail. Mais je ne suis pas convaincu que ce soit là la seule cause. Si j'observe le phénomène de l'emploi au Québec présentement, on se rend compte qu'en même temps que le chômage diminue, l'aide sociale diminue. II y a une diminution des deux personnes non employées.

En Ontario c'est un peu un phénomène inverse. Au moment ou le chômage a diminué très rapidement et qu'on en est rendu statistiquement parlant presque au plein emploi, iI y a augmentation de l'aide sociale. Nous en sommes à évaluer si on n'est pas en train - parce qu'on les oublie, parce qu'on oublie d'améliorer leur employabilité - de marginaliser une partie de plus en plus importante de la population qui ne peut même pas profiter de l'essor économique et de la création d'emplois, lorsque la création d'emplois se produit dans une société.

Vous avez demandé de prévoir des mesures complémentaires pour notre clientèle qui est spécialement composée d'analphabètes fonctionnels, mais dite apte au travail. Je pense que vous avez complètement raison de nous le suggérer et c'est une suggestion que nous retenons au ministère de la Main-d' Oeuvre.

Vous avez parlé des 300 000 aptes au travail et d'une implantation progressive de clientèles ciblées, en ciblant préférablement les gens de moins de trente ans, les gens qui sont depuis moins de deux ans à l'aide sociale, parce qu'ils n'ont pas développé cette sous-culture que vous nous avez bien livrée.

Je pourrais faire un petit échange de chiffres. À cause des gens qui ne sont pas disponibles pour des raisons de santé temporaires, etc. ou les gens que l'on considère non disponibles dans le programme APTE, c'est

généralement 200 000 ménages qui seront invités à participer aux mesures... Mais même là, malgré le fait qu'il y en a 200 000 plutôt que 300 000, l'implantation progressive pourrait assurer des garanties à des bénéficiaires et nous permettrait d'obtenir des résultats encore plus précis en ciblant nos clientèles. Il s'agit d'une autre recommandation que nous avons l'intention de retenir.

L'implication de l'ensemble des secteurs, les secteurs qui regroupent les bénévoles, les groupes communautaires, l'Industrie, le syndicat. L'État ne peut tout faire seul. S'il y a un domaine où l'État ne peut tout faire seul, c'est bien celui-là. Au moment où nous nous parlons, tous les groupes communautaires qui se sont présentés devant nous à ce jour nous ont fait cette ouverture. Ils nous ont offert leur pleine collaboration et ils nous ont demandé de les impliquer dans les mesures d'employabilité.

Dans le domaine industriel, à ce jour, un organisme patronal est venu témoigner devant cette commission. Il s'agissait du Conseil du patronat. Là aussi, l'ouverture a été manifestée. Même dans la pratique - je l'ai indiqué la semaine dernière - sur le plan très concret, au niveau des nouvelles industries qui s'implantent au Québec, - parce que cela pose moins d'embûches, nous insistons pour que ces gens accueillent favorablement nos bénéficiaires les plus employables.

Pour ce qui est des syndicats, la CSN est déjà venue témoigner devant cette commission, les autres centrales viendront, mais nous partageons l'opinion de Centraide selon laquelle l'État ne peut seul assurer le fonctionnement d'une politique de sécurité du revenu, mais a absolument besoin de la collaboration du maximum d'intervenants. À ce jour, les groupes communautaires ainsi que le patronat nous ont manifesté une ouverture certaine et nous tenterons d'aller la chercher également du côté du monde syndical.

Sur la politique de main-d'oeuvre, vous avez raison, l'approche que je qualifierai d'aspirine, le remède qui soigne tout le monde, vous avez raison, c'est l'approche que nous avons actuellement au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu. En proposant, dans la réforme de la sécurité du revenu, une approche personnalisée, nous pensons être en mesure d'offrir un médicament mieux adapté, en tout cas, mieux dosé aux problèmes de chaque individu. Mais vous avez également raison, l'état dans lequel se trouvait le ministère quand nous en avons hérité - je n'en tiens pas rigueur au gouvernement précédent, d'ailleurs, celle qui m'a précédé, Mme Marois, l'avait dénoncé dès mon assermentatton comme ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu - les outils de travail dont nous disposions sur le plan informatique à la fin de 1985 et au début de 1986 étaient pour le moins archaïques et désuets et ne nous permettaient pas d'avoir une autre approche que l'approche aspirine. Malgré les politiques de restrictions budgétaires dans le domaine, le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu a obtenu, au cours de ta dernière année, les crédits nécessaires pour s'assurer d'une approche un peu plus subtile envers la clientèle la plus défavorisée, avec laquelle le gouvernement a à traiter.

En ce qui concerne l'approche dans la région de Montréal, là aussi, vous avez raison, nous avons déjà reçu un seul groupe provenant des régions, soit celui de Nicolet, jeudi dernier, et on constatait que les problèmes étaient différents pour les clientèles d'aide sociale en régions et sur le territoire de Montréal.

Nous avons lu attentivement votre mémoire également. Vous soulevez certaines questions précises que vous n'avez malheureusement pas eu le temps de soulever verbalement, parce que vous aussi êtes dans le carcan du temps. Vous mentionnez à la page 25 que nulle part. Il n'est fait état des coûts nécessaires à l'implantation de la politique, au recyclage des agents d'aide économique et à l'augmentation éventuelle du nombre de ces agents. Lorsque nous publions les coûts des programmes Soutien financier, APTE et APPORT, les coûts reliés à l'administration des programmes sont inclus dans le total que nous avons rendu public. Donc, dans le cas de Soutien financier, lorsque nous parlons d'un coût additionnel de 100 000 000 $, il n'y a pas d'ajout sur le plan administratif parce qu'on simplifie l'administration, mais lorsque nous parlons d'un ajout de 445 000 000 $ à APTE si tout le monde participe, les outils de fonctionnement sont pris en considération. Maintenant, si vous souhaitez avoir la ventilation, on pourrait vous la rendre disponible.

Vous parlez des structures de concertation à la page 27. Oui, cette concertation est importante entre tous les organismes, mais je tiens à indiquer que, sur le plan gouvernemental, elle a été faite et que nous sommes en train de la poursuivre à l'extérieur du gouvernement, et cette commission parlementaire est un outil précieux pour poursuivre cette consultation à l'extérieur de l'appareil gouvernemental. La période d'implantation, vous l'avez soulignée verbalement.

Vous soulevez à la page 30 de votre mémoire la question des appels, l'approche des mécanismes d'appel. Bien que nous n'ayons pas souligné cette approche dans le livre vert, dans le mémoire, c'est un aspect que nous n'avons pas oublié. Il n'est pas question de livrer le bénéficiaire de l'aide sociale à l'arbitraire d'une décision d'un fonctionnaire quel qu'il soit, et quelle que soit sa compétence.

Les questions 6 et 7, femmes enceintes et soins des enfants. Vous mentionnez à la page 31 de votre mémoire: "Nous ne comprenons pas pourquoi les femmes enceintes, à compter de la sixième semaine précédant la date prévue de l'accouchement jusqu'à la cinquième semaine

suivant l'accouchement sont financièrement pénalisées. " Et vous ajoutez, à la page 31. la question des enfants d'âge préscolaire, parce que la politique, telle que libellée, arrête à l'âge de deux ans. J'aurais des questions à vous poser quant à ces deux éléments. (15 h 45)

Vous savez que, présentement, une femme travaillant au salaire minimum peut prendre un congé payé, si je peux utliser l'expression, par l'assurance-chômage à 60 % de sa prestation pour une période de quinze semaines plus deux semaines additionnelles payées par le ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu. Donc, ceci donne à cette travailleuse au salaire minimum 17 semaines de son revenu, comblé à 60 % du salaire minimum. Je vous Indique tout de suite que cette femme a droit si - et c'est le cas lorsqu'elle est au salaire minimum - elle n'obtient pas l'équivalent de l'aide sociale, de faire combler la différence avec le revenu d'aide sociale. Je vous indiquerais également que, pour elle, lorsqu'elle travaille, c'est à cette limite que s'arrêtent, dans le moment, les contributions des programmes gouvernementaux. Ce que la politique mise de l'avant offre au moment où nous nous partons, c'est que, durant la période de la sixième semaine précédant la date prévue de l'accouchement jusqu'à la cinquième semaine, elle reçoit 90 % de l'aide sociale avec le barème de non-disponibilité et ce, jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de deux ans et qu'elle soit considérée non disponible.

Je pense que je comprends votre deuxième demande visant à allonger cette période jusqu'à l'âge préscolaire, tant qu'il y a un enfant d'âge préscolaire, mais je ne sais pas de façon précise comment interpréter votre intervention sur la seizième semaine prévue de l'accouchement jusqu'à la cinquième semaine après l'accouchement.

M. Lessard: En fait, M. le ministre, nous nous posions des questions. Nous n'avons pas été capables de comprendre quels étaient les niveaux d'harmonisation, entre guillemets, des différentes politiques du gouvernement Et, comme le temps était relativement court, nous n'avons pas passé plusieurs semaines à essayer de comprendre cette technicité qui a quand même des dimensions, je dirais, assez importantes. Je voudrais juste vous dire qu'il y en a qui vont venir de l'assurance-chômage. Il y a aussi des femmes chefs de familles monoparentales qui vont arriver en dehors du système de l'assurance-chômage. Il y a là peut-être un problème de compréhension de notre part, mais peut-être aussi un problème de présentation dans le projet de politique. Pour nous, ii s'agit là d'une interrogation assez importante. Et, d'autre part, il y a un lien à faire entre ceci et le projet de, entre guillemets, politique familiale. Je ne sais pas où ce projet en est à l'heure actuelle, mais il doit y avoir un lien entre une politique familiale de l'Etat et ces dispositions. Nous avons tout simplement posé la question plus que nous avons essayé de trouver la réponse.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Excusez... M. Lessard: Et cela vaut aussi pour...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous ai posé la question parce que vous n'êtes pas le premier groupe, loin de là, à la poser cette fameuse question, et nous en sommes à réfléchir sur les réponses précises qui devraient y être apportées. Et je vais faire comme je le fais souvent avec les groupes bénévoles, je vais encore abuser de votre bénévolat et vous demander de prendre le temps nécessaire pour vérifier cet aspect et de nous formuler vos suggestions quant à cet aspect de la problématique.

M. Lessard: D'accord, nous allons le faire, M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci beaucoup.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Malsonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. II me fait plaisir également de souhaiter la bienvenue, au nom de ma formation politique, à vous, M. Lessard, M. Giroux qui vous accompagne et M. Bissonnette qui êtes le directeur de la recherche et de la planification - c'est bien le cas - et Mme Germain. J'ai déjà eu l'occasion, il y a bien des années de cela maintenant, de travailler au Conseil de développement social sur la rue Saint-François-Xavier où se trouvait à l'origine le Conseil francophone et de comprendre - non seulement à ce moment-là, mais maintenant aussi puisque vous oeuvrez dans le quartier que je représente à l'Assemblée nationale - le soutien que vous offriez à l'engagement communautaire de personnes qui oeuvrent au mieux-être de nos concitoyens.

M. Lessard, vous avez bien cerné ce qui doit être un nouveau contrat social. Ce n'est peut-être pas le mot que vous avez utilisé, mais c'est certainement ce que vous nous avez décrit que devait être ce contrat qui tourne autour d'un partage de l'emploi ou, tout au moins, d'une accessibilité à l'emploi. J'aimerais bien avec vous revoir cette question pour vérifier si le document d'orientation qui est devant nous peut adéquatement répondre à ce qui est certainement actuellement une des aspirations les plus profondes de la société québécoise.

Quand on prend acte de tous les mémoires qui sont devant nous, on se rend compte que tous commencent, ou presque tous, par l'urgente nécessité d'une réforme et par la nécessité d'une politique de plein emploi. Vous y avez fait également écho. J'aimerais bien qu'on examine

avec vous cette question. Notamment, puisqu'il s'agit d'un projet dit-on, de sécurité du revenu, en tout cas, cela porte ce nom tout au moins. Souvent, il y a une sorte de glissement actuellement dans l'opinion publique. Le ministre lui-même appelle cela la réforme de l'aide sociale, mais c'est pour une politique de sécurité du revenu, et une politique de sécurité du revenu a un principe fondamental, c'est souvent l'harmonisation des programmes de transferts et des programmes d'imposition de façon à ce que cela puisse être payant de travailler aussi.

Je ne sais pas si c'est à vous-même, M. Lessard, ou à M. Bissonnette que je dois poser la question, mais les études que vous avez menées à Centraide vous amènent-elles à considérer que notre actuel programme politique plutôt d'imposition, notre programme en vigueur présentement, permet vraiment l'incitation au travail? Je vous pose la question parce que je pense qu'elle est fondamentale. Il ne faut pas simplement la rechercher dans la volonté des personnes, mais dans ce qu'on met en place comme société pour inciter ou "désinciter".

M. Lessard: Madame, nous n'avons pas parlé, de façon rigoureuse, d'une politique de plein emploi, d'abord parce que je ne sais pas ce que signifie une politique de plein emploi. Nous avons souligné qu'il est important pour le gouvernement de développer des politiques d'incitation à l'emploi et de développement de l'emploi. Ces politiques doivent être développées de façon à ce que les personnes soient capables de se trouver un emploi ou de façon à ce que les personnes créent leur emploi. Quand on regarde les dernières années, on se rend compte que, à la suite de la récession de 1981-1982, iI n'y a pratiquement pas d'emplois qui ont été créés dans les grandes et moyennes entreprises. Effectivement tout le développement de l'emploi au cours des cinq dernières années s'est fait rigoureusement dans la PME. Cela signifie qu'il y a eu un niveau d'initiative particulièrement remarquable dans notre société québécoise. Cela veut dire qu'il est possible pour les gens de développer des emplois et d'être capables de créer des entreprises.

Je ne sais pas comment l'État peut créer d'autres emplois que ceux des fonctionnaires. Je sais cependant que l'État peut favoriser, par un certain nombre de politiques, le développement de la petite entreprise. C'est dans ce sens qu'il faut qu'il y ait un certain nombre de mesures. Pour être capable d'assurer les emplois qui s'ouvrent, il est aussi fondamental qu'il puisse y avoir une politique de formation. Je l'ai mentionné dans la présentation tout à l'heure, avec le nombre d'assistés sociaux qui sont analphabètes fonctionnels ou analphabètes profonds et, avant que ces personnes soient capables de remplir des emplois adéquats, il va être important de les reprendre et de les former. Il va être important aussi de les inciter à se trouver des emplois, à les préparer à des emplois. C'est l'ensemble des choses dont nous parlons dans le document et que l'on appelle des programmes d'insertion sociale ou de réinsertion sociale. Ceci est fondamental et essentiel.

Mme Harel: Permettez-moi d'examiner avec vous cette question. Vous disiez: II faut nous assurer que les personnes puissent créer leur propre emploi. Ai-je bien compris? Est-ce bien ce dont il s'agit?

M. Lessard: C'est l'une des formes de création d'emplois.

Mme Harel: Bon! Pensez-vous que, compte tenu de la performance assez exceptionnelle en ternies de création d'emplois que le Québec a connue durant la présente année - on parle d'une performance record. Pourtant, comme vous avez pu le constater, le taux de chômage a à peine vacillé, il s'est à peine profilé un peu à moins des 10 %. Pourtant, tous les observateurs confirment maintenant que, à plus ou moins court terme, nous allons entrer dans une nouvelle période de ralentissement. C'est donc dire que, même en période de grande croissance, en période de performance, il y a une création d'emplois qui absorbe à peine la main-d'oeuvre et une création de chômage puisque le taux de chômage vacille à peine et si on regarde le taux d'occupation, d'activité et d'Inactivité, on se rend compte, sur les quinze ou vingt dernières années, que cela a à peine sautillé, si vous me permettez l'expression, puisque c'est à peu près toujours autour du même pourcentage que les gens sont en activité.

Comment créer ce nouveau contrat social? Je vous demande s'il faut faire porter la responsabilité sur les épaules des individus eux-mêmes dont vous disiez qu'ils sont sans doute les plus hypothéqués de notre société. Dans votre propre mémoire, d'ailleurs, vous mentionnez un chiffre très saisissant; vous dites que, selon les indicateurs du ministère de l'Éducation, encore récemment, 29 % des finissants scolaires ne complètent pas un secondaire. D'un côté, il y a un système qui produit des personnes qui auront à être prises par l'autre bout, si vous me permettez l'expression. Donc, la question que je vous pose, c'est: Est-ce que vous attribuez ou non une responsabilité à l'État en matière de création d'emplois, par exemple axée sur le développement des services sociaux et communautaires, des services de garde, des services complémentaires au maintien à domicile, des services liés à la protection de l'environnement, à la lutte contre la pollution de l'air, etc. ? Concevez-vous qu'en matière de contrat social, puisque l'objectif que vous mentionnez, avec raison, c'est que toute personne puisse remplir un emploi, l'Etat doive assumer une responsabilité en matière de création d'emplois?

M. Lessard: Vous dites plusieurs choses et vous posez plusieurs questions. Il est peut-être un peu difficile d'y répondre d'un seul trait.

Je dirais, concernant le premier point qui est extrêmement important, que nous sommes dans une société qui devient de plus en plus âgée. On est rendus à l'heure actuelle à un taux de personnes âgées de plus de 65 ans de presque 12 %. Ce taux est extrêmement élevé. Tout à l'heure, nous allons manquer de personnes pour remplir des emplois. Nous nous dirigeons vers une situation qui en sera probablement une de pénurie de main-d'oeuvre dans un certain nombre de secteurs. L'une des choses importantes auxquelles il faut faire face, c'est la formation de nos jeunes et l'entraînement, sur le marché du travail, d'un certain nombre de personnes de façon à ce qu'elles puissent remplir adéquatement les emplois.

Vous avez cité le chiffre de 29 % de décrocheurs scolaires, ceux qui ne finissent pas l'école secondaire. Vous soulevez là tout le problème de ce qu'on appelle en anglais le "throughput" du système d'éducation. Ce phénomène que l'on retrouve ici, au Québec, est malheureusement un phénomène nord-américain. Tout à l'heure, nous allons nous retrouver - nous y sommes déjà entrés - dans cette ère d'une concurrence sur le plan international et il devient fondamental que l'on puisse former cette main-d'oeuvre de demain. Je pense que la règle devrait être: il faut investir dans notre avenir. Cela veut dire qu'il faut que l'on s'occupe des jeunes de façon à ce qu'ils soient capables de remplir des postes. (16 heures)

Ce que je voudrais souligner c'est que je ne sais pas dans quelle mesure l'État a plus de ressources pour créer des emplois permanents. Je ne pense pas que l'objectif soit de créer et que nous ayons dit qu'il fallait créer de nouveaux emplois à être financés par l'État. Il y a une limite aux ressources financières et humaines que l'État doit mettre à la disposition de l'ensemble de la société. Notre objectif n'est certainement pas de continuer à développer la notion de I État-providence. Je pense que cette question de l'État-providence, c'est le monde des années soixante au moment où l'on pensait que les ressources financières et humaines étaient illimitées, que l'on pouvait faire n'importe quoi et qu'il serait possible de pouvoir assumer et assurer la croissance économique à tout le monde.

Mme Harel: M. Lessard, Je vous pose la question. S'il n'y a pas de nouveaux emplois financés par l'État et si le marché privé de l'emploi n'a pas prouvé ce qu'on peut constater présentement avec un taux de performance exceptionnelle, n'a pas démontré sa capacité d'absorber la main-d'oeuvre inactive, puisqu'il y a 300 000 chômeurs inscrits sur l'assurance-chômage, à part les 440 000 ménages qui bénéfi- cient de l'aide sociale, à qui devons-nous confier cela? Aux bénéficiaires eux-mêmes? Le problème va certainement se poser de savoir qui doit porter te fardeau et la responsabilité de ce nouveau contrat fondamental, celui de pouvoir occuper un emploi. Seulement la personne qui est en chômage?

M. Giroux (Michel): J'aimerais simplement signaler à madame...

Le Président (M. Bélanger): Pouvez-vous vous Identifier auparavant, s'il vous plaît?

M. Giroux: Oui. Michel Giroux. Je suis directeur général adjoint à Centraide.

Le Président (M. Bélanger): Merci, M. Giroux.

M. Giroux: Je veux simplement signaler à Mme Harel que, dans le mémoire que nous présentons, aux pages 12 et suivantes, nous situons dès le début l'ampleur et l'importance de la situation actuelle, le grave problème de société devant lequel nous nous trouvons, et ce ne sont pas simplement les gens qui vivent de l'aide sociale mais l'ensemble de la population qui se retrouve devant un grave problème de société qu'on doit envisager et sur lequel on doit réfléchir.

Dans un deuxième temps, on dit ceci à la page 12: II s'agit d'un problème qui appelle des interventions multiples et diversifiées. C'est à l'intérieur de cela qu'il faut trouver des politiques de l'emploi, de l'éducation, de la famille, etc. Ce n'est pas uniquement la réforme de l'aide sociale, quelle qu'elle soit qui va régler tous les problèmes de notre société. Il est bien évident qu'il s'agit d'un morceau parmi un ensemble de mesures qui doivent être prises et qui sont importantes et urgentes et qu'on pense importantes aussi. C'est un peu ce qu'on disait. L'état doit faire des choses pour développer des emplois, pour favoriser un climat économique qui permette le développement de la petite entreprise, par exemple, de sorte que des emplois nouveaux soient créés progressivement. Mais on ajoute ceci. C'est qu'en même temps qu'il doit y avoir des mesures pour créer de l'emploi, des mesures en éducation, des mesures pour la famille, en même temps il doit y avoir des mesures qui doivent aider les gens qui bénéficient de l'aide sociale à devenir capables de remplir des emplois et de les remplir adéquatement.

Au fond, on est toujours devant le même problème. Les gens nous disent: On ne peut pas développer l'emploi chez les gens parce qu'il n'y en a pas, aussi: On ne peut pas développer de l'emploi parce qu'on n'aura pas de gens qualifiés pour les remplir. Je pense que notre approche est de dire qu'il faut multiplier les différentes interventions à tous les niveaux. Quand on

regarde l'avenir de notre société - c'est un peu le message fondamental de notre mémoire - on est assez inquiet de cet avenir et on se dit: Ce n'est pas vrai, il faut absolument travailler sur tous les fronts, sur tous les plans et surtout, si on regarde notre société qui vieillit, où des jeunes devront prendre la relève, il faut les équiper le plus possible pour des formes d'emplois qui vont être de plus en plus exigeants. Les jeunes ne pourront plus occuper des emplois s'ils sont analphabètes, s'ils n'ont pas fait des études suffisamment avancées pour être capables de. C'est un peu notre approche.

Mme Harel: D'accord. M Giroux, je m'excuse de vous interrompre. On a si peu de temps qu'une fois que l'essentiel... Étant donné que je veux profiter de votre présence pour pouvoir... Combien me reste-t-il de temps M. le Président? Quatre minutes, vous voyez, c'est si peu. Évidemment, vous faites appel à une politique de formation de la main-d'œuvre. Je vous rappelle qu'avec le projet il n'y a pas autre chose que le rattrapage scolaire comme projet de formation générale. II n'y a pas là un projet de formation professionnelle. II n'y a pas là un plan de campagne de scolarisation non plus. Au moment même ou le ministère de l'Éducation annonce des coupures de 20 000 000 $ au chapitre de la formation des adultes, il n'y a pas non plus un plan d'alphabétisation. C'est sûr que tout cela, parfois on a les mots pour le dire, mais la question, c'est. Le ministre a-t-il les moyens pour le faire? Je pense que c'est une question sous- jacente à votre mémoire.

Deux questions avant de terminer. La première. Pensez-vous que, pour développer des programmes appropriés, il faille baisser les barèmes en dessous du seuil de pauvreté comme c'est le cas présentement? Vous retrouvez que dans toutes les catégories sauf à I'exception d'une, qui est celle des personnes déficientes. Celles-ci sont elles mêmes de toute façon venues nous dire que ce n'était pas parce qu'on était déficient qu'on était en mauvaise santé et elles ne sont pas tout à fait unanimes à penser que c'est le meilleur régime pour elles. Mais pensez-vous que pour développer des programmes appropriés, pour en arriver justement à ce développement des formations souhaitables, iI faille inciter en baissant les barèmes en deçà de ce qui est défini même par le ministère comme besoins essentiels de façon à inciter à participer au programme, auquel cas il n'y aurait pas I' incitation?

Finalement, votre mémoire parle de la question des agents socio-économiques. Vous parlez, dans votre mémoire, de la nécessité de bien former les agents socio-économiques du ministère qui auront à faire l'entrevue, qui auront à évaluer, qui auront à avoir une relation de confiance. D'autres sont venus avant vous plaider qu'il y avait incompatibilité entre la fonction de contrôle et la fonction d'appui, que cette incompatibilité était telle qu'elle ne permettrait pas une réelle relation d'appui ou d'évaluation pour aider la personne à entreprendre la démarche souhaitable. Je voulais également vous rappeler ceci: C'était très récent, le 12 février dernier, les agents d'aide socio-économique critiquaient ou plus encore dénonçaient le fait que les personnes embauchées pour aider les bénéficiaires de l'aide sociale à retourner au travail - elles étaient au nombre de 540, elles étaient embauchées à titre d'agents socio-économiques, je pense pour une période de trois ans, et faisaient le travail de relations d'aide - au mois d'août prochain, auront cessé leur contrat et devraient être remplacées par d'autres employés occasionnels.

Elles mettent en doute le fait qu'on puisse comme cela, à une fréquence de tous les trois ans, une fois qu'on a acquis l'expertise, une fois qu'on a atteint une sorte de qualification, être remplacé comme ça, mis de côté au moment ou l'on s'apprête à mener une réforme qui va nécessiter ce genre de soutien professionnel que devraient donner, comme vous le mentionnez, les centres Travail-Québec.

M. Lessard: Nous avons parlé, dans notre mémoire, des agents d'aide socio-économiques et nous avons suggéré que ces personnes soient entraînées, soient formées à cette nouvelle forme d'approche plus individualisée il nous semble qu'il y a là un secteur extrêmement important si l'on veut que cette politique puisse être implantée de façon professionnelle et positive. Je pense qu'il faut faire ce qu'on appelle, en anglais l'"upgrading" du personnel, il faut réentraîner le personnel de façon appropriée. La relation d'aide est différente de la relation qui s'était établie traditionnellement ou les critères mathématiques étaient appliqués de façon mathématique par les agents. Là, c'est une nouvelle forme d'application qui va être beaucoup plus personnalisée. II est évident qu'il doit y avoir un changement dans l'approche et le personnel doit être réentraîné pour réaliser ce type de politique. C'est dans ce sens que nous I'avions dit dans le mémoire.

Mme Harel: J'imagine quelles vont pouvoir compter sur votre. Oui?

Le Président (M. Bélanger): Je m' excuse,

Mme la députée de Maisonneuve, le temps est écoulé.

Mme Harel: Je vais les remercier, M. le Président.

Le Président (M. Bélanger): Je vous en prie.

Mme Harel: À ce moment-là je vais peut être vous inviter, comme le faisaient les agents d'aide socio économique à faire appel aux pressions de l'opinion publique pour ramener le gouvernement à retirer les directives qui les

visent. Il s'agit de 540 personnes qui sont en poste depuis trois ans et qui verront leur contrat se terminer au mois d'août prochain, après avoir développé leurs qualifications et leurs aptitudes à assurer cette relation d'aide. J'espère que l'opinion publique pourra vous appuyer. Je vous remercie et je remercie Centraide pour sa contribution à nos travaux.

Le Président (M. Bélanger): Merci, Mme la députée. Il reste trois minutes pour le côté ministériel. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui. J'aurais quelques questions - moi aussi, je suis limité dans le temps - mais assez précises à adresser à Centraide. Un chiffre circule chez divers organismes dans l'agglomération montréalaise, que l'on retrouve régulièrement dans les médias, la question des 50 000 individus non répertoriés, c'est-à-dire qui ne sont ni à l'aide sociale ni à l'assurance-chômage et qui font partie des sans-abri, etc. Est-ce l'évaluation que Centraide partage grosso modo pour la grande région de Montréal?

M. Lessard: Nous sommes Incapables de confirmer ou d'infirmer ce chiffre. Il n'existe pas de données et je ne sais pas comment les gens sont arrivés à déterminer ce chiffre que l'on a vu apparaître comme cela. Je ne le sais pas. Le seul chiffre de 50 000 dont je me rappelle... Il y a eu un article dans The Gazette à la fin du mois d'octobre qui mentionnait ce chiffre, mais je n'en sais pas plus.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Un autre élément avec une question rapide: vous mentionnez aux pages 26 et 27 de votre mémoire que l'unique porte d'entrée dans le système proposé est le centre Travail-Québec finalement et vous concluez à la page 27: "D'autres portes d'entrée pour un certain nombre de bénéficiaires lourdement handicapés socialement... " Auriez-vous l'obligeance de nous citer quelques exemples?

M. Lessard: On se demandait s'il ne serait pas possible dans des cas comme cela que certains mandats puissent être confiés spécialement à des organismes communautaires du milieu qui pourraient traiter de façon particulière avec un nombre d'assistés sociaux dans un secteur donné. Ces organismes pourraient, de façon beaucoup plus concrète, pratique et immédiate, aider des assistés sociaux qu'ils connaissent à pouvoir réintégrer et la société et le marché du travail.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans votre expérience auprès des clientèles, possédez-vous l'information sur la proportion ou le pourcentage d'individus que vous aidez et qui sont des assistés sociaux, des chômeurs ou des travailleurs à faible revenu ou des non répertoriés?

M. Lessard: À ce moment-ci, je ne pourrais pas vous donner de chiffres précis dans tous ces secteurs. Je pourrais vous dire que, de façon générale, nous savons à peu près ce que nos organismes font dans le milieu, mais nous n'avons jamais voulu mettre l'accent sur le comptage des personnes dans chacun des trous de ta matrice. Nous sommes un mouvement bénévole et communautaire et nous ne voulons pas que les gens passent leur temps à les compter. Cependant, l'on peut dire que, dans la majorité des organismes que nous finançons, les personnes dont vous parlez font l'objet des clientèles de ces organismes. Par définition, le mouvement bénévole et communautaire vient à l'aide des personnes qui sont les plus désavantagées de la communauté. Il est inévitable que ces personnes soient dans les catégories dont vous parlez.

Quand vous pensez, par exemple, aux personnes handicapées physiques, vous allez en trouver un certain nombre qui sont des assistés sociaux. Quand vous parlez des handicapés mentaux, il y en a là un certain nombre. Les ex-patients psychiatriques, vous avez là des personnes qui vivent de l'aide sociale dans un certain nombre de cas, mais il y en a d'autres qui n'ont probablement jamais fait de demande parce qu'elles ne savent pas comment faire des demandes. Vous en retrouvez parmi les sans-abri. Quand vous vous promenez dans le centre de Montréal, vous en retrouvez un certain nombre qui font le tour des poubelles. Je ne veux pas exagérer et dire que le nombre est extrêmement significatif, mais en l'espace de sept ou huit ans, le climat et l'ensemble de la ville ont changé de façon considérable. On pourrait peut-être essayer d'avoir dans la prochaine année des données plus précises. Vous avez probablement là une question importante, mais je ne saurais pas y répondre davantage.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie. C'est tout le temps dont nous disposions. Si M. le ministre veut profiter de quelques secondes pour remercier nos...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, en quelques secondes, à Centraide, à ses représentants, pour leur travail sérieux et constructif, pour leurs suggestions, leurs recommandations, qui ont pour but de bonifier un projet bonifiable, je vous remercie. Quant à la demande que vous a adressée Mme la députée de Maisonneuve. je soutiens qu'elle n'a pas complètement tort. Je suis aux prises, comme ministre, avec une directive du Conseil du trésor qui a été adoptée sous l'ancien gouvernement et vous comprendrez que je suis déjà en demande au Conseil du trésor pour qu'elle soit modifiée.

Je vous remercie de votre comparution.

Le Président (M. Bélanger): La commission remercie le groupe Centraide et invite à la table

des témoins le groupe du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail inc. Ce groupe est représenté par Mme Suzanne Barbeau, Mme Andrée Robert et Mme Lise Leduc! Nous allons suspendre pour deux minutes, mais; deux brèves minutes, par exemple!

(Suspension de la séance à 16 h 16)

(Reprise à 16 h 19)

Le Président (M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! Que chacun reprenne sa place.

Nous recevons présentement à la table des témoins le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail inc. Je prierais fa porte-parole de bien vouloir s'identifier et je demanderais à chacune d'entre vous, lorsque vous prendrez la parole, de vous identifier d'abord, pour les fins de la transcription du Journal des débats. ) Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire, je devrai vous interrompre à la 21e minute, et il y a40 minutes pour les discussions avec les parlementaires. Je vous prie donc de vous identifier et de bien vouloir procéder.

Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail inc.

Mme Leduc (Lise): M. le ministre, m. le Président, mesdames et messieurs les commissaires, il me fait plaisir de vous présenter les deux porte-parole du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail, Mme Andrée Robert, directrice du Centre L'Aiguillage de la région de Sherbrooke, Mme Suzanne Barbeau, intervenante, conseillère en main-d'oeuvre dans un service externe de main-d'oeuvre dans la région de Montréal et moi-même, coordonnatrice au Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail. Je cède la parole à Mme Robert.

Mme Robert (Andrée): Nous aimerions, avant de commencer l'analyse du document d'orientation, demander au ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu de s'engager à tenir une nouvelle commission parlementaire lors du dépôt de la loi qui modifiera l'actuelle Loi sur l'aide sociale, compte tenu de l'importance de ce débat et de notre ignorance des intentions du gouvernement quant à la réforme de la fiscalité, de la politique familiale, de la politique des services de garde au Québec.

En 1982, des intervenantes oeuvrant auprès des femmes dans des programmes de réintégration professionnelle se sont donné un organisme provincial important C'est par cet organisme qu'elles voulaient faire connaître leurs recommandations quant à la politique d'accès au travail pour les femmes. Depuis, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail, le CIAFT, n'a pas cessé de s'impliquer dans plusieurs dossiers, notamment ceux de l'accès à l'égalité, la formation professionnelle, les changements technologiques, le libre-échange et l'aide sociale.

À cet effet, en janvier 1984, nous avons présenté au gouvernement un mémoire intitulé "Modifier la loi d'aide sociale pour faciliter le retour au travail et aux études des femmes chefs de famille et bénéficiaires d'aide sociale". Des recommandations d'alors, seules celles concernant les facilités à offrir aux femmes chefs de famille quant à l'accessibilité à la formation ont reçu un accueil favorable débouchant sur des programmes Intéressants, des assouplissements et des ouvertures de la loi.

Aujourd'hui, dans le cadre de la consultation sur le document d'orientation "Pour une politique de sécurité du revenu", te CIAFT veut contribuer aux réflexions et discussions publiques concernant les responsabilités de l'État envers tes plus démunis. Par le présent texte, nous voulons rendre compte de l'expérience quotidienne des intervenantes dont la tâche est de soutenir la démarche de retour à l'autonomie financière de nombreuses femmes dont plusieurs sont des bénéficiaires de l'aide sociale.

Nos constats voudront souligner, d'une part, nos réactions face aux principes généraux d'équité, d'autonomie et d'intégration au marché du travail mis de l'avant par le MMSR comme étant la base de la réforme proposée. D'autre part, nous illustrerons les conséquences néfastes de certains aspects des modalités d'application de la réforme.

De plus, nous insisterons sur les dangers de certaines conceptions véhiculées, à savoir qu'il y aurait actuellement du travail pour tout le monde. Il est tout à fait erroné de croire qu'il y a des emplois pour toutes les travailleuses de bonne volonté. Enfin, nous proposerons le type d'intervention que nous souhaitons voir appliquée afin que les aspects que nous jugeons discriminants, coercitifs et punitifs deviennent des mesures incitatives, équitables, positives et stimulantes. Rappelons que tout changement à l'actuelle loi doit s'appuyer sur des principes d'équité et de respect envers les bénéficiaires.

Le CIAFT, dans ses divers dossiers, a toujours soutenu que l'intégration des femmes au marché du travail devait se traduire par une amélioration de leur qualité de vie et leur assurer tant l'autonomie qu'une sécurité financière véritable. C'est pourquoi le fil conducteur de notre analyse de la proposition de M. Paradis "Pour une politique de sécurité du revenu" sera le suivant: en quoi l'État, à travers l'établissement de cette politique, soutient-il véritablement et efficacement toutes les femmes qui tiennent à quitter l'aide sociale et à avoir accès à un emploi stable et décemment rémunéré sur le marché du travail régulier?

Le CIAFT, depuis longtemps, réclame la réforme de la Loi sur l'aide sociale. Nous visions, par le biais de cette réforme, l'amélioration de la situation des femmes prestataires de l'aide

sociale. Le contact quotidien avec celles-ci nous permet de constater, contrairement à ce que laisse entendre le texte ministériel, qu'être prestataire de l'aide sociale n'est pas une situation enviable et recherchée. Or, la lecture de la réforme proposée nous a rapidement permis de constater que l'objectif poursuivi par le MMSR, par le biais de cette réforme, ne coïncidait pas avec le nôtre. Force nous est de constater que le but poursuivi n'est pas un meilleur partage de la richesse collective, mais strictement le maintien de la diminution du nombre des prestataires. La diminution du nombre des prestataires devient une fin en sol, quels que soient les moyens utilisés, peur, force, délation, contrôle, et quels que soient les impacts sur l'organisation générale du monde du travail, notamment la détérioration des conditions de travail et la tendance à la baisse de tous les salaires.

Je vais maintenant parler du contexte socio-économique. Le document d'orientation que nous avons sous les yeux s'inscrit dans la volonté gouvernementale, maintes fois répétée, de couper les dépenses de I'État. II s'inscrit aussi dans un contexte socio économique où le taux de chômage demeure élevé chez les femmes, 10, 8 % au dernier trimestre de 1987, malgré une croissance économique continue. De plus, il faut reconnaître qu'au cours des années, le marché du travail s'est modifié créant un resserrement à l'entrée et une stagnation dans les conditions de travail.

Cette modification a amené les employeurs à augmenter leurs exigences en termes de compétence et de formation, ce qui à toutes fins utiles, exclut les femmes ayant quitté le marché du travail pour un certain temps des emplois créés par la reprise économique. À cause de leur faible niveau d'employabilité, cette pratique discrimine particulièrement les femmes prestataires de l'aide sociale. De ce fait la clientèle ciblée par la politique de sécurité du revenu est exclue de la reprise économique.

II nous paraît fallacieux, et nous remettons en question cette pratique, d'examiner l'augmentation de la clientèle ou même les modifications dans le profil des bénéficiaires par la lunette étroite de l'aptitude/inaptitude en laissant entendre que I'augmentation des bénéficiaires aptes serait due à un manque de volonté réelle de réintégrer la main-d'oeuvre active et à une certaine aisance à se complaire dans cette dépendance à l'égard de I'État.

II est inadmissible de faire porter essentiellement aux individus victimes de cette situation économique la responsabilité de leur état. C'est d'autant plus inacceptable que les solutions proposées s'inspirent d'abord de changements exigés des individus plutôt que de porter sur des modifications du cadre socio économique qui a généré les problèmes.

Faut-il rappeler aux commissaires que, quelle que soit l'envergure des mesures d'em- ployabilité ou la qualité de la formation offerte, la disponibilité d'emplois intéressants assortie de conditions d'exercices facilitants reste le facteur majeur de réussite de toute politique de main-d'oeuvre? C'est à ce problème que le ministre du Travail et ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu devrait s'attaquer en priorité.

Au premier regard, la réforme proposée comporte un certain nombre d'aspects positifs. C'est pourquoi l'augmentation de barèmes en regard du programme Soutien financier, qui s'adresse aux personnes jugées non employables, ne peut être qu'appréciée. Cependant, nous constatons qu'aucun moyen d'évaluation adéquat n'a été mis sur pied pour évaluer la non-employabilité, et notre expertise nous démontre que seule une évaluation à long terme permet de s assurer de la justesse d un tel jugement.

La nouvelle définition du conjoint de fait est certes une amélioration à l'arbitraire du système actuel. À cet égard, nous souhaitons aussi une harmonisation avec les autres programmes gouvernementaux, plus particulièrement le Régime de rentes où I'on déclare que sont conjoints de fait des personnes sans enfant ayant cohabité pendant trois ans. Cependant, si nous acceptons une telle responsabilité alimentaire entre les adultes du couple reconnu, en aucun cas nous n'accepterons une définition qui rendra le nouveau partenaire responsable des enfants issus d'une union précédente.

Au chapitre des gains de travail admissibles, la révision à la hausse est heureuse. Il s'agit d'une demande que nous avions déjà formulée. De même le programme APPORT peut permettre de combler une partie du manque à gagner des travailleuses dont le salaire ne suffit d'aucune façon à faire vivre leur famille compte tenu, entre autres, des frais de garderie grugeant ce faible revenu. Nous tenons à réitérer notre accord avec la mise en place de programmes de formation et de développement de l'employabilité ayant pour but d'accroître les possibilités des femmes d'avoir accès au travail rémunéré. Dans ce sens, nous approuvons I'intention exprimée dans le document d'assortir toute démarche de retour au travail et aux études d'une évaluation en profondeur des besoins et possibilités réelles de la personne en démarche.

Après ces considérations d'ordre général et global nous voulons aborder I'analyse du document par le biais de la réalité concrète vécue par des femmes bénéficiaires de I'aide sociale. Je cède la parole à Mme Suzanne Barbeau.

Mme Barbeau (Suzanne): Afin d'expliquer les changements survenus à la composition de la clientèle de laide sociale, le document d'orientation identifie certains facteurs qui auraient contribué à accroître le nombre de prestataires considérés aptes au travail. Parmi ces facteurs, on mentionne les changements de mentalité relativement à certaines valeurs telles le mariage

et la famille. Nous tenons à relever l'ambiguïté qui se dégage d'une telle analyse. C'est vrai, i! y a eu, au cours des dernières années, un changement de mentalité face au mariage et à la famille, mais cette évolution a permis, entre autres, aux femmes de ne plus accepter l'inacceptable. La réalité de la violence conjugale, de plus en plus révélée au grand jour, confirme pourtant que cette valeur de mariage ne devrait jamais plus primer celle plus fondamentale encore du respect de la dignité de la personne. II serait inacceptable que ce droit de rompre une union insatisfaisante soit réservé aux seules femmes qui ont les moyens de s'en prévaloir. Soyons claires, personne ne divorce pour le plaisir; les femmes qui le font savent pertinemment qu'elles auront à faire face à la pauvreté et, entre deux maux, elles choisissent le moindre.

C'est vrai, cette nouvelle réalité entraîne des coûts sociaux, mais les femmes concernées ne sont-elles pas celles qui paient le plus cher aujourd'hui le fart de s'être conformées aux attentes que la société a toujours eues à leur égard? On a toujours demandé aux femmes d'être d'abord des épouses et des mères. C'est au nom de cette fonction qu'elles ont longtemps été exclues du marché du travail. Concrètement, c'est parce qu'elles ont consacré l'essentiel de leurs énergies au soin des enfants que les femmes dont nous parlons sont maintenant déqualifiées face au marché du travail. Nous songeons ici plus particulièrement aux femmes de 45 ou 50 ans qui, après avoir donné le meilleur d'elles-mêmes pour élever une famille, doivent soudainement se trouver un emploi, un travail rémunéré et, si elles n'y parviennent pas, être pénalisées et culpabilisées.

Les questions soulevées dans le cadre de la réforme de l'aide sociale sont fondamentales. Quel projet de société allons-nous désormais privilégier? Allons-nous faire preuve de solidarité sociale et envisager des solutions respectueuses de ces femmes, de leur contribution passée et actuelle à la société ou allons-nous, au contraire, pénaliser davantage les femmes les plus pauvres, celles qui ont le moins bénéficié jusqu'à maintenant des minces acquis de nos luttes pour le droit à une réelle autonomie financière? Une telle orientation équivaudrait à établir carrément deux catégories de femmes, celles pour qui le droit au travail commence à prendre uni sens et pour qui le choix de travailler à l'extérieur ou de se consacrer aux enfants commence à se concrétiser, et les autres, les femmes pauvres et moins scolarisées qui, avant même d'avoir pu connaître le droit véritable au travail, s'y voient contraintes quelles que soient leurs conditions.

Nous ne pouvons accepter de voir ainsi trahies nos revendications pour l'accès au travail. Nous avons toujours réclamé la mise en place de conditions permettant à toutes les femmes de mieux concilier travail et maternité. Nous voulons voir progresser la mise en place de telles conditions afin que de moins en moins de femmes n'aient d'autre option que l'aide sociale pour assurer leur survie. Nous n'acceptons pas cependant que celles qui ont maintenant à composer avec cette situation soient aujourd'hui stigmatisées et identifiées comme une charge pour l'État, et que l'on passe sous silence ou banalise le fait qu'elles sont aussi des chargées d'enfants. Nous croyons que seule une attitude de solidarité et de soutien est digne d'une société qui se respecte.

Nous allons maintenant aborder rapidement les pratiques que nous voyons se développer face aux femmes bénéficiaires de l'aide sociale. J'entendais M. Paradis faire état du fait qu'il fallait reconnaître que la situation n'est pas facile pour les assistés sociaux en démarche de retour au travail. Malheureusement, dans les derniers mois, on a entendu beaucoup de commentaires, par les médias, laissant entendre, au contraire, qu'un bon nombre de bénéficiaires de l'aide sociale préfèrent dépendre des prestations de l'État plutôt que de faire l'effort de gagner leur vie. Or, de notre côté, on est en contact tous les jours avec un grand nombre de femmes en démarche de retour au travail et les intervenants que nous représentons les accompagnent et les soutiennent, et on sait qu'elles doivent lutter quotidiennement pour acquérir leur autonomie et la garder.

On est en mesure de constater les effets chez nos clientes de cette véritable campagne de discrédit dont elles sont victimes depuis la dernière année. On est témoin de la réaction aux enquêtes à domicile et à l'accroissement des diverses mesures de contrôle. IL y a un climat de peur créé par les enquêtes à domicile. De plus, l'annonce des mesures coercitives envers les assistés sociaux aptes au travail de même que des pressions directes sur les bénéficiaires sont des facteurs qui contribuent à développer anxiété et panique. Certaines femmes se sentent littéralement piégées. Elles réagissent en se lançant dans n'importe quoi pour prouver leur bonne volonté: stages, programmes de formation sans démarche d'orientation sérieuse, recherche d'emploi à l'aveuglette. À notre point de vue, exercer de telles pressions relève d'une approche du problème aussi irréaliste que méprisante et ne contribue en rien à aider la bénéficiaire dans son cheminement de prise en charge.

Toutes les femmes que nous voyons se présentent à nos bureaux animées par le même espoir. Elles ne veulent plus avoir à dépendre financièrement de l'état comme elles ont dû dépendre d'un mari par le passé. Ce qu'elles viennent chercher chez nous, et nous voulons insister là-dessus, c'est non pas la volonté ou la motivation, mais bien des moyens de parvenir à l'autonomie financière et à une meilleure qualité de vie pour elles et pour leurs enfants.

La notion même des barèmes incitatifs élimine malheureusement toute illusion quant à l'axe choisi pour intervenir sur ce problème social qu'est la pauvreté des femmes. En fait, le

gouvernement choisit de les appauvrir davantage en présumant que cette détérioration de leurs conditions deviendra un facteur unique de motivation au travail.

Les barèmes actuels sont déjà insuffisants et en deçà des besoins réels des bénéficiaires. L'extrême pauvreté des femmes chefs de famille, bénéficiaires de l'aide sociale, a été maintes fois démontrée. Dire que l'aide sociale puisse représenter un quelconque attrait démontre un éloignement et un manque de connaissance des moyens économiques réels des bénéficiaires de l'aide sociale. II ne faut jamais avoir eu l'occasion de vivre et de faire vivre deux enfants avec un revenu de 725 $ par mois pour tenir un semblable discours.

Or, une simple comparaison entre la situation qui prévalait jusqu'à maintenant et les nouveaux barèmes prévus nous amènent à faire les constats suivants en ce qui concerne les femmes chefs de famille. La réforme prévoit un appauvrissement de toutes les prestataires, quelle que soit leur situation familiale et quelle que soit aussi leur situation par rapport aux différentes étapes prévues: Neuf premiers mois, admissibles, participantes, etc.

Seulement quelques chiffres. Il est prévu qu'une femme chef de famille ayant un enfant à charge verra sa prestation diminuer de 99 $ par mois dans les neuf premiers mois ou si elle refuse de participer, et de 24 $ par mois si elle a un enfant de moins de deux ans. Dans le cas ou elle est en mesure de participer et décide de se prévaloir de cette possibilité, sa prestation sera tout de même réduite de 64 $ par rapport aux conditions financières qui prévalent jusqu'à maintenant.

Pour toutes les femmes concernées, c'est un recul dramatique de leurs conditions de vie. Tout compte fait, cette réduction de la prestation de base pour toutes les bénéficiaires vient annuler les effets positifs qu'aurait pu avoir I'augmentation des gains admissibles de travail sur tes conditions de vie des bénéficiaires.

Pour illustrer notre propos, il y a ici un petit tableau qui montre le très mince écart qui existe, une très mince amélioration du droit de gagner. C'est pourquoi la majoration des gains admissibles ne doit pas servir à justifier la baisse de la prestation de base.

Finalement, de telles mesures ne laissent aux bénéficiaires qu'une seule porte de sortie pour ne pas voir se détériorer davantage leurs conditions déjà fort précaires de survie: Trouver un emploi au salaire minimum et ce le plus rapidement possible, quelles que soient les conséquences et même si cette porte peut être en réalité un cul-de-sac, et cela, à la condition évidemment que de tels emplois existent en nombre suffisant.

Au-delà des beaux discours, la stratégie gouvernementale se révèle crûment appauvrir les bénéficiaires et les rendre responsables advenant un échec. Le gouvernement pourra toujours affirmer ensuite quelle était capable mais n'a pas suffisamment voulu. En effet, n'est-elle pas responsable de tout ce qui lui arrive? De son mariage? Des années passées auprès des enfants? De sa déqualification? Du chômage qui fait obstacle à sa réinsertion? Et pourquoi pas maintenant, responsable de son échec à cumuler la double tâche d'élever ses enfants et de travailler dans des conditions difficiles?

Nous l'avons déjà dit, maintenir une telle orientation conduit à pénaliser finalement celles qui paient déjà très cher les règles du jeu qui ont prévalu jusqu'à maintenant à l'égard des femmes, règles du jeu discriminatoires qui persistent d ailleurs aujourd hui.

Nous croyons que, fondée sur l'appauvrissement des bénéficiaires, la réforme risque finalement de consacrer un double mépris. Mépris des femmes en tant que mères mépris des femmes en tant que travailleuses.

Le Président (M. Bélanger): Mme Barbeau je m'excuse Je vous demanderais de conclure, s'il vous plaît, vos 20 minutes sont écoulées.

Mme Barbeau: Combien de temps me laissez-vous pour conclure?

Le Président (M. Bélanger): À moins qu'il y ait consentement.

Mme Barbeau: Je peux faire l'effort de résumer rapidement. J'aimerais juste savoir combien de temps.

Le Président (M. Bélanger): Alors, nous avons un consentement. S'il vous plaît continuez.

Mme Barbeau: D'accord. Comment expliquer autrement le fait que les femmes reconnues non disponibles parce que chargées d'enfants de moins de deux ans devraient vivre avec des prestations très inférieures à celles prévues pour les personnes inaptes? On dit que ces femmes ont les mêmes besoins, qu'on ne doit pas nier I'utilité sociale de cette fonction en réduisant leurs prestations. On se pose la question. Sommes nous sur la voie, en tant que société, de considérer les enfants comme un bien de consommation réservé à ceux qui en ont les moyens? Nous réitérons la nécessité de maintenir la notion de besoin comme seul critère prévalant à I octroi d une subvention.

Par ailleurs on constate que le gouvernement se prépare à décréter apte et disponible toute femme dont les enfants ont atteint deux ans et considérée en bonne santé physique et mentale. Nous croyons qu'une telle mesure banalise le problème des femmes face au marché du travail. L'État intervient actuellement vis-à-vis des femmes bénéficiaires de laide sociale comme si la société venait de subir ces derniers mois, une transformation aussi radicale que

subite en ce qui concerne la responsabilité des enfants et que c'est sereines et dégagées que les femmes devraient maintenant envisager leur retour au travail. Nous croyons qu'il faut revenir sur terre et que ce n'est pas parce que, dans les livres d'école, Yves fait maintenant la vaisselle que les femmes ont conquis les moyens d'être autonomes dans la vraie vie.

Par exemple, le fait qu'il n'existe aucun service de garde subventionné pour les enfants d'âge scolaire pendant toute la période estivale - on se fait répondre: En été, on est au chalet - est un exemple parmi d'autres que, finalement, la responsabilité des enfants est perçue comme la responsabilité individuelle de chaque femme. Reconquérir sa place sur le marché du travail après plusieurs années d'absence est un défi de taille puisqu'il! s'agit d'établir un équilibre fragile entre deux réalités contradictoires dans le contexte social | actuel. Les femmes dont nous parlons élèvent leurs enfants dans des conditions difficiles et elles doivent affronter un marché du travail fermé et Inadapté à leurs responsabilités parentales.

L'établissement d'un réseau de services de garde de qualité adapté aux besoins des familles à coût accessible est un prérequis à la participation des femmes au marché du travail de même qu'à des changements importants dans l'organisation du travail lui-même. Banaliser te problème et réduire les solutions aux mesures du programme APPORT, c'est-à-dire combler une partie du déficit en intervenant sur une partie des frais de garde, c'est bien loin des interventions exigées pour permettre un accès véritable au travail. Nous croyons que forcer un retour au travail en contraignant les femmes à une plus grande pauvreté, ce n'est pas une intervention réaliste, efficace et rentable. Une telle orientation fait preuve d'une grande méconnaissance |de ta problématique dont il est question, et nous croyons - c'est le pire - que cela risque de conduire à des échecs.

Je vais aller rapidement sur certaines mesures. Les neuf premiers mois. Ce qu'on a à en dire principalement dans le cas de la clientèle qui nous concerne, c'est que pour les femmes chefs de famille, s'il y a une période qui 'est une période difficile, c'est bien le premier mois après la séparation. Or, cela nous apparaît inapproprié de profiter de cette période pour les appauvrir davantage. Même dans l'hypothèse où les femmes de cette catégorie pouvaient ne pas avoir à vivre cette espèce de purgatoire et avoir finalement la possibilité de participer immédiatement, on croit, d'après notre expertise avec ces femmes, | que le fait de participer pour éviter de crever de faim n'est pas une garantie de succès. (16 h 45)

Les femmes avec qui on travaille visent un retour définitif sur le marché régulier du travail. Elles pensent à leur avenir. Elles planifient les 20 ou 30 prochaines années. C'est dans ce sens qu'elles nous parlent. Elles ne veulent pas retomber dans le piège de la dépendance financière dans trois mois ou dans un an. C'est pourquoi nous attachons tant d'importance à l'exploration avec la cliente de l'ensemble de sa problématique afin qu'elle puisse évaluer ses capacités tant physiques que psychologiques et choisir le bon moment pour effectuer la transition entre le foyer et le marché du travail afin de faire de sa démarche un succès. Une démarche volontaire est, à notre avis, la base d'une démarche réussie. De plus, cette démarche doit pouvoir bénéficier d'un soutien financier adéquat, s'appuyer sur des services de qualité, permettant à cette clientèle de faire la transition entre le foyer et le marché du travail.

Nous sommes d'accord, nous l'avons déjà mentionné, avec la mise en place de programmes de formation et d'employabilité. Le problème de déqualification des femmes en regard des exigences accrues du marché du travail est réel et il est urgent de le solutionner. Les femmes visent, par le travail, à améliorer leurs conditions de vie.

En tant qu'intervenantes, nous savons qu'un tel travail doit pouvoir non seulement leur apporter un salaire décent mais être conciliable avec leur réalité parentale en termes d'horaire, de transport et de conditions générales. Dans ce sens, il n'y a pas de place, à mon avis, pour pénaliser des femmes qui auraient refusé supposément un emploi dit rémunérateur. Il est Indispensable que tes programmes d'employabilité soient centrés sur un objectif de soutien et non de coercition et ce, au nom même de l'objectif qu'on poursuit.

La formation à laquelle les femmes ont droit est une formation polyvalente et qualifiante. Elles ne doivent pas encore une fois être amenées à se contenter d'emplois précaires, peu rémunérés et perpétuant la "sexisation" des emplois.

Les programmes de rattrapage scolaire et de retour aux études répondent en partie à ces exigences. Nous en souhaitons le maintien et la bonification. Nous souhaitons aussi que cesse ta confusion entre des mesures d'accès au travail, d'employabilité et des activités occupationnelles de tout ordre.

Ainsi, parmi les mesures visant à améliorer l'employabiiité, on retrouve dans le document: les travaux communautaires, les stages en entreprise et même le "grant diversion" qui consiste carrément à accomplir un travail en échange de sa prestation.

De notre côté, nous nous opposons à toute forme d'utilisation des énergies de travail de type occupationnel qui, tout compte fait, ne permet pas l'insertion sur le marché régulier du travail dans des conditions normales et dignes. Déjà, les exemples sont nombreux de cette forme d'utilisation qui finalement ne sert qu'à combler des vides là où de vrais salaires devraient être versés pour le travail accompli. On a aussi une question à vous poser sur le fait qu'il n'est pas

mentionné dans te document qu'il y a maintien des frais de garde à 100 % pendant la durée de ta participation au programme.

En ce qui concerne le programme APPORT, on a fait de nombreuses démarches pour tenter d'avoir les chiffres, d'avoir les tableaux, à tous les niveaux autant local que régional pour tenter de faire des simulations qui nous auraient permis d'avoir une appréciation juste, et on le déplore.

Toutefois, on pensé que, pour la clientèle dont il est question, il y a une certaine amélioration de la situation. Cependant, notre réserve se situe sur le point suivant: on ne voudrait pas qu'un tel programme serve à consacrer et à légitimer l'embauche des femmes au salaire minimum. Celles-ci représentent déjà un pourcentage important des travailleurs au bas de l'échelle. Le programme APPORT, en l'absence de mesures sérieuses pour transformer le rapport des femmes au marché du travail, ne pourrait que consolider cette discrimination.

Nous croyons que ce programme, en créant un grand bassin de main-d'oeuvre à bon marché, soit surtout malheureusement un cadeau fait à l'employeur qui légitimera le maintien des salaires au plus bas niveau possible et le salaire minimum à son niveau actuel. C'est ce que nous craignons.

Vous avez ici les recommandations. Nous n'avons pas à les relire.

Rapidement, en conclusion. Certains faits constatés par le gouvernement sont indiscutables: 1- Le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale a augmenté de façon dramatique; 2- Toute société respectueuse des droits humains doit fournir à ses citoyens la possibilité de retrouver un emploi rémunérateur. Cependant, les moyens proposés afin de fournir des emplois et réduire le nombre des bénéficiaires sont des plus discutables.

Je vais passer rapidement à la conclusion. On conclut en citant le texte ministériel: "La création d'emplois demeurera toujours le meilleur moyen de permettre aux bénéficiaires de l'aide sociale d'accéder au marché du travail ou d'y revenir. "

Nous souhaitons, mesdames et messieurs les commissaires, que nos recommandations contribuent à enrichir vos réflexions et nous vous remercions de la considération que vous leur accorderez. Je vous remercie pour te temps supplémentaire.

Le Président (M. Baril): Merci beaucoup, Mme Barbeau. Il restera quinze minutes de chaque côté. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, peut-être pour s'assurer que les règles de la joute sont clairement établies, le consentement de Mme la députée de Maisonneuve à ce que Mme la ministre déléguée à la Condition féminine puisse intervenir, s'il y a lieu.

Mme Harel: Certainement, M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Merci.

Mme Harel: Je réitère que la présence du ministre délégué à la famille serait utile pour qu'il nous explique en quoi c'est là une politique familiale.

Le Président (M. Baril): Merci. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je remercie l'organisme de son mémoire, de sa présentation. Vous êtes reconnues pour être un organisme qui adresse des recommandations progressives et sérieuses au gouvernement. Mais vous êtes surtout reconnues pour être des gens tenaces, et nous en tenons compte également.

Vous vous montrez d'accord avec quelques-uns des éléments ou quelques-unes des propositions mises de l'avant comme les mesures reliées à l'augmentation des barèmes du programme Soutien financier dans votre mémoire. La nouvelle définition du conjoint de fait, vous n'en avez pas parlé, mais dans votre mémoire on retrouve, sans que ce soit complètement satisfaisant, une certaine amélioration. Vous avez parié des gains de travail admissibles et la mise en place de programmes de formation et de développement de l'employabilité.

Mais je veux commencer avec vous comme je le fais partout maintenant - surtout que Mme la députée de Maisonneuve me l'a reproché; je pense que c'est peut-être la meilleure façon de commencer - en essayant de définir quelle est la clientèle à laquelle s'adresse la politique de sécurité du revenu justement pour peut-être en changer l'image qui a été véhiculée.

Sur 400 000 ménages, il y a à peu près 10 000 ménages considérés admissibles au Soutien financier, c'est-à-dire pour de longues périodes de leur vie, ces personnes ne peuvent subvenir à leurs propres besoins. Parmi les autres 300 000 ménages, vous avez les caractéristiques suivantes: 36 % sont des analphabètes fonctionnels; 60 % n'ont pas complété leur cours secondaire; 40 % n'ont aucune expérience de travail antérieure.

Dans ces cas, même si la personne veut s'en sortir, elle a des difficultés quasi insurmontables pour s'en sortir et les gouvernements qui les ont laissés ou abandonnés dans cet état de fait en leur envoyant un chèque mensuel pour se faire une bonne conscience n'ont peut-être pas emprunté la bonne voie, et il y a lieu de regarder s'il n'y a pas d'autres voies à emprunter. Cela rejoint les propos de Mme Robert sur des emplois pour tous les travailleurs de bonne volonté.

J'ai peut-être trouvé, dans un éditorial du Devoir du 16 décembre 1987, une réponse intéressante à la problématique que vous soulevez et qui a été soulevée par d'autres groupes concernant la note sur laquelle vous avez fini, tirée du document "Pour une politique de sécurité du

revenu" qui traite de création d'emplois et de son importance. C'est un éditorial de Jean Francoeur. II termine comme suit: "Toutes les mesures envisagées - rattrapage scolaire, travaux communautaires, stages en milieu de travail, subvention à l'emploi - ne peuvent remplacer un véritable programme de création d'emplois. " II répond: "Réponse fort juste. Mais ces mesures n'en constituent pas moins une des composantes essentielles d'une politique de plein emploi. Elles pourraient même en être le fondement. "Certains craignent que la suite de l'application de ces mesures, le travail des uns ne provoque le chômage des autres, étant donné ie nombre limité des emplois disponibles. C'est une fausse perception contre laquelle un Alfred Sauvy, par exemple, aura lutté pendant toute sa vie. C'est le travail qui crée le travail. Toute autre proposition serait absurde. Ce serait dire: Moins les gens travaillent, plus il y a d'emplois. L'activité économique repose sur la production et l'échange de biens et services. Aussi est-ce plutôt le chômage des uns qui crée le chômage des autres. "Tel est le cercle vicieux qu'il faut briser. En ce sens, la réforme de l'aide sociale représente, en son principe, une mesure progressive. " Fin de la citation

Qu'est-ce qui s'est passé sur le marché de l'emploi au cours de la dernière année au Québec? 122 000 emplois de plus de janvier à janvier. Parmi ces 122 000 emplois, seulement 5000 à temps partiel, 116 000 à temps plein.

Comme vous représentez particulièrement l'élément féminin au dossier, entre autres, je vous citerai un passage de l'a revue publiée par le ministère du Travail, l'autre ministère dont j'assume la responsabilité. Le marché du travail, novembre 1987: "Situation selon l'âge et le sexe. Selon les estimations non désaisonnalisées de Statistique Canada, 101 000 emplois se sont ajoutés au Québec en septembre 1987 par rapport à septembre 1986, soit une croissance de 3, 5 %. Les femmes sont les grandes gagnantes de cette progression puisqu'elles ont accaparé 70 % des nouveaux emplois, une augmentation de 5, 9 % en regard de 1, 8 % pour les hommes. "Les femmes de 45 à 64 ans ont connu la hausse la plus spectaculaire avec une croissance de 13, 6 % (32 000 postes) comparativement à la même période l'an dernier. Le groupe des femmes de 25 à 44 ans n'est toujours pas demeuré en reste alors qu'elles ont été 49 000, 7, 1%, à se trouver du travail en un an. À I'opposé - je pourrais continuer - le groupe des jeunes femmes 15-24 a accusé une perte de 12 000 emplois par rapport au mois de septembre 1986, et les jeunes ont encaissé une chute de 1, 000. Le retour en classe explique cette décroissance de population ".

Ce n'est pas une situation qui a réglé tous les problèmes, mais elle indique qu'il y a des progrès importants qui se font là ou on avait tendance à croire que les progrès étaient plus difficiles à accomplir, entre autres, pour la catégorie d'âge que j'ai mentionnée. Je pense que vous n'êtes pas étrangères au travail positif et aux résultats positifs qui ont été obtenus dans la société à cet égard.

J'aurais une série de questions à vous poser, j'ai toutes les notes de votre intervention verbale, mais je suis également limité à quinze minutes. J'avais préparé, à chacune des pages de votre mémoire, des questions, entre autres, qui touchaient la définition d'apte et d'inapte, la question du critère de non-disponibilité. Vous avez mentionné, à un moment donné, que toutes les femmes chefs de famille monoparentale, dans quelque situation, en quelque circonstance que ce soit, se retrouvent perdantes. Cela m'a un peu estomaqué d'entendre cela, parce qu'on m'a convaincu à tort ou à raison que pour le programme Soutien financier elles étaient toutes gagnantes; que pour le programme APPORT, lorsqu'il y a un enfant, elles sont toutes gagnantes et que, dans le cas du programme APTE, iI y avait même des gagnantes. Même dans le cas du barème de non-disponibilité, on m'avait donné un exemple.

Mme Barbeau: Pour la personne non disponible, je suis d'accord avec vous. La catégorie qui est appauvrie, c'est la catégorie des femmes classées dans les aptes au travail. Elles perdent, si on compare avec la situation qui prévaut aujourd'hui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je comprends donc que votre affirmation signifie que toutes les femmes classées dans la catégorie des aptes, selon vous, perdent en toute circonstance. Ce ne sont pas les représentations que m'ont faites mes fonctionnaires. Vous avez même donné un exemple dans votre mémoire sur la question du critère de non-disponibilité que nous sommes à étudier présentement. Je regarde le cas du barème non disponible, monoparentale, un enfant, et vous avez raison, l'écart est de -24, mais si je regarde le cas de monoparentale, deux enfants, l'écart est de +22. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de réaménagement, mais se faire dire qu'en toute circonstance, qu'en toute occasion, cela devient inquiétant pour un ministre qui est supposé avoir des experts à sa disposition, et I'entendre d'un groupe d'expertes comme le vôtre. Je pense que je vais vous suggérer de rencontrer mes supposés experts pour qu'on parle des mêmes chiffres quant au programme APTE. Si vous avez raison - ce ne sont pas les représentations qui mont été faites et les chiffres qui m'ont été fournis comme ministre - des décisions importantes devront être prises. Je vous lance ouvertement I'invitation de vous asseoir avec mes experts pour qu on compare ces chiffres.

Mme Barbeau: Globalement, honnêtement, on vous écrit un mémoire pour vous donner un point de vue global. II y a un appauvrissement global.

M. Paradis (Brome-MissEsquoi): C'est encore pire. Vous m'avez dit dans toute circonstance, etc.

Mme Barbeau: En ce qui concerne les personnes aptes au travail, la différence entre la situation qui prévaut actuellement, c'est que, globalement, il y a plus de femmes qui perdent que de femmes qui gagnent

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je demande à vous croire. J'ai des chiffres qui me sont présentés par le CIAFT, j'ai des chiffres qui me sont présentés par des économistes du ministère de la . Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu et qui ont été vérifiés par des économistes du ministère des Finances. Il y a contradiction entre les chiffres - et je ne suis pas un économiste de formation - mais globalement, s'il y a perte, il y aura des corrections apportées. (17 heures)

Mme Barbeau: Est-ce qu'il n'y a pas une perte de 99 $ par mois pour la famille 99 $ par mois?

Mme Harel: Avec un enfant de plus de deux ans, et qui refuse de participer.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): De plus de deux ans... Je veux m'assurer que ce que vous dites - dans toutes les circonstances et dans tous les cas, il y a perte - c'est faux, et qu'il y a plus de gains que de pertes. Globalement, parce qu'on va oublier les particularités, qu'il y a plus de pertes que de gains, je veux m'assurer que cette prétention n'est pas exacte. Sinon, je vous dis que les correctifs appropriés vont être apportés, mais je n'ai pas l'impression que vous vous appuyez sur la même base. Maintenant, si vous vous rencontrez, vous allez être en mesure, soit de maintenir ces affirmations, soit de les corriger. Je demande une chose, comme ministre: la vérité afin de prendre les meilleures décisions possible.

Mme Leduc: Sans vouloir faire de particularités, M. Paradis, le seul cas, c'est 22 $ et je ne sais pas pourquoi on ne l'a pas mentionné là. On a un barème et un tableau et il y a un cas où ta femme a plus, c'est la somme de 22 $. Il n'y en pas d'autre ailleurs. Alors, cela, c'est une particularité. C'est la seule.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si c'est vraiment la seule dans l'ensemble du programme ou de la politique de sécurité du revenu, le programme coûte suffisamment cher pour que j'aie des questions très spéciales à adresser à ces fonctionnaires. Vous avez répondu favorablement à l'invitation que je vous ai lancée. Je vais mettre les économistes à votre disposition. Ce que je tiens à avoir, c'est la vérité sur ces chiffres et je ne le ferais pas si je rejetais vos chiffres. Je ne les rejette pas. Je ne rejette pas ceux des fonctionnaires. Je vous dis: Allez vous asseoir ensemble et vérifiez si vous pouvez m'apporter une réponse unique sur des chiffres.

Mme Leduc: Avec plaisir.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): En ce qui concerne les frais de garde. En page 21 de votre mémoire, vous dites: "Le document d'orientation ne fait aucunement mention du maintien du remboursement des frais de garde pendant la durée de la participation aux programmes. S'agit-il d'un oubli?" Je m'en confesse. Il s'agit d'un oubli. C'est là.

Mme Leduc: Est-ce que cela va être corrigé?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, l'oubli va être corrigé. Vous êtes d'une prudence légendaire. Oui, cela va être corrigé.

À la page 24 de votre mémoire, le droit à la prestation mensuelle lors du mois du retour au travail et du mois suivant, comme c'est le cas actuellement. Il s'agit d'un autre oubli qui va être corrigé.

À la page 25 de votre mémoire, le maintien et la bonification des programmes de formation à l'intention des femmes chefs de famille monoparentale, service d'orientation: éliminer le critère de deux ans de présence à l'aide sociale pour le rattrapage scolaire. Le critère sera éliminé.

Mme Barbeau: Au niveau postsecondaire aussi? Même au niveau de la poursuite des études postsecondaires? C'est cela le point.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non. Ma réponse vaut pour le rattrapage scolaire jusqu'au secondaire. Laissez-moi vérifier pour les études postsecondaires. Je ne voudrais pas gaver Mme la députée de Maisonneuve de trop de bonnes nouvelles la même journée. Je prends la question en réserve. Je vous indique que c'est le cas jusqu'à la fin des études secondaires. Quant aux études postsecondaires, nous évaluons.

À la page 25, une réforme de la fiscalité orientée pour soulager les petits salariés du fardeau fiscal. Je ne peux pas vous annoncer de réforme de fiscalité. Mon rôle de ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu ne me le permet pas. Je vous dirai cependant que toute cette politique a été amplement discutée au ministère des Finances avec les hauts fonctionnaires et avec le ministre concerné. Je vous indique également que le dernier budget du gouvernement du Québec a annoncé un important programme de réduction d'Impôt pour les familles avec enfants, qui équivaut à 171 000 000 $ en 1989-1990. Vous parlez du salaire minimum, etc. On m'indique qu'il me reste deux minutes. Comme je veux en profiter pour vous remercier à la toute fin, je vais céder immédiatement la parole

à Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: M. le Président, vous savez que, quand on cite des éditoriaux - et on peut en citer - II arrive parfois et assez fréquemment que le même éditorialiste, sans que ce soit dans le même texte, mais un peu plus tard, puisse se poser des questions. Vous citiez Jean Francoeur dans Le Devoir, d'avant Noël. En février dernier, vous voyez qu'il avait déjà cheminé parce qu'il écrivait: "Cela dit, la mise en oeuvre d'une telle réforme soulève de multiples questions qui nécessitent un long débat public. Il serait hasardeux d'en prévoir le terme car, qui sait, te projet pourrait se révéler impraticable. " Et je ne cite pas... Bien oui, pourquoi pas? Ce matin même, l'éditorialiste du Soleil, faisant écho aux préoccupations démographiques des délégués au congrès du Parti libéral de la fin de semaine, écrit: "Aux ministres maintenant d'en tenir compte dans leurs politiques sectorielles mieux que ne l'a fait Pierre Paradis dans son projet de réforme de l'aide sociale. " C'est simplement pour sa réflexion. On commence la semaine. Ainsi, on commence du bon pied. |

C'est sans doute ce qui maintenant peut nous permettre de vous poser la question de fond. Cette question, vous l'exprimiez sous! forme d'un désaccord total avec la remise en question du principe d'une prestation selon la notion de besoins. J'aimerais vous entendre là-dessus. Je dois comprendre que vous écartez la catégorie des aptes et inaptes, disponibles et non disponibles, et autres, mais vous êtes par jailleurs favorables, vous l'avez dit dans le passé et vous le répétez, à des programmes d'employabilité. Comment les harmonisez-vous? C'est-à-dire en priorisant des clientèles. Lesquelles? Mais si je comprends bien, non pas en réduisant les barèmes de prestations. Essentiellement, que les catégories ne donnent pas lieu à des réductions à la baisse, je vous laisse vous expliquer là-dessus.

Votre position est extrêmement articulée sur la question des responsabilités parentales dévolues encore aux femmes dans notre société. Vous nous donnez le plus bel exemple, celui de l'absence totale de garde dans le milieu scolaire pendant l'été. Je pense bien que la question se pose: Que deviendront les enfants de ces femmes qui participeront aux mesures justement en considérant qu'il n'y a aucun service, même pour les journées pédagogiques? Aujourd'hui même, ma fille est en journée pédagogique et je me disais: Heureusement qu'elle a douze ans, parce qu'il n'y aurait aucun service qui lui serait offert. Là-dessus, vous êtes on ne peut plus, disons, démonstratives et également convaincantes.

La question que je veux vous poser est en regard des politiques familiales. Vous avez, depuis la création du CIAFT, été connues pour la promotion de l'égalité des femmes sur le marché de l'emploi, pour l'accès à des emplois non traditionnels, et vous posez une question assez fondamentale à la page 15 de votre mémoire:

Sommes-nous en train de considérer les enfants comme un bien de consommation réservé à ceux qui en ont tes moyens? Vous savez, c'est une question assez tragique, d'une certaine façon, d'avoir à la poser. J'aimerais vous entendre sur cette question, ce que' vous concevez, ce qu'est votre philosophie en matière de politique familiale.

Mme Barbeau: C'est une grande question. Notre réflexion, c'est cela, et je pense que c'est un aspect de fond qu'on a voulu faire ressortir aujourd'hui. Le problème des femmes par rapport au marché du travail est loin d'être solutionné. Tout à l'heure, M. Paradis mentionnait des chiffres qui faisaient état d'un certain nombre d'emplois créés. Quand on parle d'une banalisation de ce que représente la charge d'enfants pour les femmes dans notre société, c'est un peu se faire donner ce genre de réponse: On les paie, les frais de garde; il y a une subvention; il y a un certain nombre d'emplois. Mais c'est toute la complexité de ce que veut dire avoir la pleine responsabilité d'un enfant, de deux enfants ou de trois enfants, et avoir à composer avec un marché du travail encore fermé.

Quand on parle d'une politique qui irait dans le sens d'une politique familiale, on parle d'offrir aux femmes des conditions pour qu'elles puissent avoir un véritable accès au travail, ce qui n'est pas le cas actuellement. Des exemples, on en a, des offres d'emplois comme celles dont vous parliez. L'emploi est offert à Pointe-Claire ou à la ville de Saint-Laurent, alors que notre cliente habite dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et a deux garderies à fréquenter le matin avant de se rendre au travail. La cliente n'a pas de voiture, n'a pas de soutien pour exercer cette double fonction. On ne peut parier d'un accès au travail qui est gagné, d'une possibilité d'avoir accès au travail.

Mme Harel: Vous avez parlé de votre crainte des faux départs.

Mme Barbeau: Oui, et on en a; on en a vu et, quand les femmes viennent nous voir dans nos services, c'est parce qu'elles ne veulent plus revivre des situations semblables. Il y a un exemple que j'aimerais soulever. On parlait de la situation des femmes durant les neuf premiers mois après leur séparation; je travaille actuellement avec une cliente qui s'est lancée dans une démarche de retour au travail après deux mois de séparation. Ce que cette femme va avoir à vivre durant la première semaine de son retour au travail, c'est un déménagement, parce que la résidence familiale sera vendue au profit du mari, ia maison étant à son nom. Il y a donc recherche de logement, vente de ia maison, procédure à compléter en cour pour essayer d'obtenir une pension alimentaire un peu plus substantielle, et elle commence à travailler à peu près dans la première semaine à Repentigny. Donc, double

transport, 100 $ additionnels, et elle n'a pas de voiture, madame.

Mme Harel: Les enfants ne sont pas malades?

Mme Barbeau: Heureusement que les enfants ne sont pas malades, heureusement qu'il n'y a pas d'autres problèmes du type délinquance des enfants ou que madame a une résistance nerveuse hors de l'ordinaire. Mais, comme je le disais à mes compagnes avant de venir, je croise mes doigts pour que cette résistance nerveuse ne craque pas. S'il y a échec, que fa femme dit un bon matin: Je ne suis plus capable et qu'elle retourne à la case de départ avec le montant de prestations alloué dans le cas où on a refusé ou admis son incapacité, c'est un exemple où on a pénalisé quelqu'un qui faisait pourtant preuve de toute la bonne volonté et..

Mme Harel: De courage.

Mme Barbeau:... d'un grand courage.

Mme Harel: Je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose. On a si peu de temps. Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Barbeau: Je voulais juste réagir un peu sur la notion de besoins. Dans les chiffres que M. Paradis nous a donnés décrivant la situation des personnes bénéficiant de l'aide sociale, analphabètes, cours secondaire pas complété, sans expérience, on est bien d'accord avec les mesures d'employabilité, on l'a toujours dit. On n'est pas d'accord avec le principe que ces mesures d'employabilité, si les gens n'en profitent pas, soient sanctionnées par une diminution de barème quand on sait que les barèmes sont déjà insuffisants pour faire vivre les gens. On n'est pas d'accord non plus avec la mesure... Pour nous, à ce moment-là, ce n'est plus volontaire. On veut que les femmes puissent participer à ces mesures de façon plus volontaire pour éviter des situations d'échec, etc. C'est dans ce sens qu'on est d'accord; on sait que les gens en ont besoin, pour une bonne partie, mais c'est avec la façon d'appliquer ces mesures qu'on n'est pas d'accord.

Mme Harel: Tantôt, vous avez mentionné dans votre mémoire, et le ministre l'a repris, vos nombreuses tentatives pour avoir accès à des chiffres et à des tableaux. Il vous a proposé... Je le lis même dans votre mémoire: Malgré nos nombreuses tentatives d'avoir accès aux tableaux et chiffres, aucune des instances gouvernementales concernées n'a été en mesure, jusqu'à maintenant, de nous fournir les informations pertinentes. Quand j'ai lu cela, cela m'a un peu consolée parce que je me suis dit: Je ne suis pas toute seule, enfin, dans les mêmes conditions. Vous disiez: Mais c'est essentiellement sur le programme APPORT. Le ministre vous propose un comité auprès duquel vous pourriez aller chercher toute l'Information et vérifier vos chiffres quant aux barèmes de l'aide sociale. Doit-on comprendre qu'il s'agit également de vous donner toute l'information pertinente concernant le programme APPORT? Également?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Si vous le demandez. (17 h 15)

Mme Harel: Voyez-vous, le demander, M. le ministre... Est-ce qu'on pourrait, à ce moment-là, examiner... Vous pensez, et c'est ce que vous dites dans votre mémoire - vous le souhaitez, je pense, mais vous n'avez pas encore d'élément concret - que le programme APPORT sera bénéfique pour les femmes qui y participeront. Il faut quand même se rappeler ce que faisait le Conseil canadien de développement social. Il s'adressera à peine à 10 % des familles à faible revenu, selon l'évaluation du conseil, mais j'ai pu obtenir les chiffres du ministère des Finances qui nous permettent de connaître les taux d'imposition implicites de taxation, lorsque le revenu disponible augmente un peu en regard de l'aide sociale. Là, on se rend compte, avec le programme APPORT, avec l'harmonisation fiscale que nous décrit le ministre, ce que serait l'incitation au travail, par exemple, pour une femme chef de famille monoparentale avec un enfant de moins de six ans, avec son barème d'aide sociale en participant aux mesures, prenons le cas le plus souhaitable selon le ministre. Elle aurait un revenu de 9634 $ par année. En participant à des revenus de travail de 2000 $ de plus, au total, en tout et pour tout, elle ne va même pas chercher 65 $ de plus parce que le taux d'imposition ou, en d'autres termes, pour chaque dollar gagné, ce qui lui est déduit de sa prestation est de l'ordre de 96 %.

Cela me ferait plaisir de distribuer... Je ne sais pas si le ministre en veut une copie. J'imagine que c'est certainement là où on peut juger. Vous savez, on dit d'un discours qu'il est démagogique lorsqu'il n'y a que les mots pour le dire sans les moyens pour le faire. Je pense que, dans le cas qui nous intéresse, les groupes de femmes, les organismes comme celui que vous représentez sont trop vigilants pour laisser entendre qu'ils n'iront pas au fond des choses pour vérifier si cela améliore ou non la qualité de vie des femmes ou si tout simplement c'est finalement une sorte d'annulation des avantages.

Le ministre va certainement vous faire connaître ces chiffres en participant au comité ou à la rencontre avec les fonctionnaires.

Mme Robert: Est-ce qu'on pourrait avoir le nom de la personne avec qui communiquer pour organiser cette rencontre où nous pourrions avoir des chiffres?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): La représentante à la condition féminine à mon cabinet va

vous obliger en organisant cette rencontre. Il s'agit de Me Nicole Dussault

Mme Harel: Est-ce que je dois comprendre que le ministre connaissait déjà les chiffres du taux d'imposition, du taux marginal de taxation qui ne lui permet plus de prétendre que le revenu des femmes chefs de famille monoparentale, en fait, d'une femme, entre autres, avec un enfant de six ans, va s'améliorer même de quelques centaines de dollars? Cela n'atteint même pas 100 $ avec un revenu annuel de 2000 $.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce que le ministre vous dit, c'est qu'il a travaillé avec son collègue des Finances à faire une harmonisation avec la fiscalité et harmonisation vous découvrirez.

Mme Harel: De toute façon, je pense qu'il faut aussi... Je ne sais pas si vous avez eu accès aux chiffres contenus dans un document confidentiel rendu public grâce à... Ce n'est peut-être pas un document de travail, mais il n'avait pas encore été rendu public par le ministre. C'est un peu comme une peinture à numéros, sa réforme, c'est-à-dire qu'il y a juste quelques numéros et ils ne nous permettaient pas de voir tout l'ensemble. C'est beaucoup avec les fuites d'information qu'au fur et à mesure le tableau final nous apparaît, notamment en ce qui concerne les économies prévisibles.

Quant à la contribution parentale et au partage du logement, est-ce que les personnes avec qui vous travaillez, les bénéficiaires avec qui vous travaillez seraient susceptibles d'être victimes de ces économies que la réforme prétend réaliser sur leurs prestations?

Mme Barbeau: Le partage du logement peut être une solution pour plusieurs de nos clientes et, avec la réduction de leurs prestations, cela annule l'espèce de possibilité qu'elles essayaient de se donner d'améliorer leurs conditions.

Dans la région de Montréal, il y a un problème de logement absolument dramatique. Ce n'est pas compliqué, le montant du logement vient gruger la moitié de la prestation.

Mme Harel: Considérez-vous que ce n'est pas équitable que des personnes non mariées puissent, en habitant ensemble, réaliser une économie relative, je le conçois, en regard des couples mariés qui, eux, voient une réduction de leurs prestations lorsqu'il y a cohabitation? C'est là en fait l'argumentation utilisée par le ministre pour justifier cette réduction de 115 S pour le partage du logement

Le Président (M. Bélanger): Brièvement, s'il vous plaît.

Mme Barbeau: On n'a pas tellement approfondi cette question, Mme Harel. On s'est plutôt centrées sur les questions relatives à l'accès au travail. On a regardé rapidement...

Mme Harel: D'accord.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve, votre temps est écoulé, malheureusement. Voulez-vous remercier, maintenant?

Mme Harel: Non, je vais peut-être laisser Mme la ministre...

Le Président (M. Bélanger): Mme la ministre, oui. Rapidement, il reste deux minutes.

Mme Gagnon-Tremblay: II ne reste que quelques minutes. Je vais plutôt passer la parole au ministre concerné. Je verrai le groupe à ta sortie.

Le Président (M. Bélanger): D'accord.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II y aurait une question que j'aimerais traiter à la suite des propos qui ont été tenus et d'un énoncé qu'on retrouve dans votre mémoire, à la page 25, sur la question du salaire minimum et des bas salariés. Les femmes constituent 52 % de la clientèle à l'aide sociale. On sait que la majorité également - je n'ai pas le chiffre exact devant ' moi - de notre clientèle est formée de femmes au salaire minimum. On connaît la situation historique. Pendant cinq ans, de 1980 à 1985, Mme la députée de Maisonneuve a oublié de suggérer à son ministre du Travail de décréter des augmentations de salaire minimum.

Mme Harel:...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On tient pour acquis que vous dites la vérité. Depuis qu'on est au gouvernement, il y a eu deux augmentations du salaire minimum. Il y a encore du rattrapage à faire. Ce qui m'a inquiété tantôt dans vos propos, c'est le fait que vous dites que les mesures d'employabilité mettraient à la disposition du patronat, pour utiliser une expression que vous n'avez pas utilisée mais, pour paraphraser du "cheap labor" finalement, ce qui aurait pour conséquence une baisse de l'ensemble des salaires des bas salariés. Nous, on prétend que le gouvernement est intervenu et on juge quand même le gouvernement à ses actes. Je pense qu'il y a des actes de posés. Mais des économistes me disent encore une fois ceci: Plus on améliore l'employabilité d'une personne, plus elle possède d'instruction et d'expérience, plus elle peut choisir un créneau d'emploi et plus elle peut commander un revenu élevé. Ne partagez-vous pas cette opinion?

Mme Barbeau: Jamais on a dit que le fait

de mettre en place des mesures d'employabilité, ça viendrait augmenter les gens au salaire minimum. D'accord? Ce qu'on vous a dit à propos des mesures d'employabilité, c'est: Attention, faites bien la distinction entre ce qui est véritablement développer l'employabilité et envoyer des gens occuper des emplois sans être payés. Oui, c'est ça qui est vraiment la différence.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. Autrement dit, assurez-vous du côté formation de votre mesure et non du côté production.

Mme Barbeau: Que ce ne soit pas de l'occupationnel.

Mme Robert: Pour éviter des stages comme on en a vus, qui étaient payés par l'aide sociale, par exemple, des travaux communautaires où une personne pouvait travailler pour le gouvernement, justement, à faire du classement pendant plusieurs mois et sortir de là sans aucune expérience. Il n'y a plus personne qui engage quelqu'un pour faire seulement du classement

Le Président (M. Bélanger): Je dois vous interrompre, le temps est écoulé. Mme la députée de Maisonneuve, voulez-vous remercier le groupe?

Mme Harel: Oui. Évidemment, le CIAFT fait vraiment depuis plusieurs années un travail extrêmement utile et reconnu d'ailleurs par l'ensemble de tous les groupes de femmes. Je pense que vos études sont souvent reprises par la fédération des femmes, le conseil des femmes, le regroupement des centres de femmes, les maisons d'hébergement. C'est certainement une dimension extrêment importante qu'il faut considérer. En vous écoutant, je pensais justement à une chose. Puisque vous avez pu apprendre, en fait, faire confirmer que les frais de garde pour les bénéficiaires allaient être remboursés, il serait peut-être également utile d'en profiter pour faire confirmer par le ministre s'il y a une durée d'heures par semaine de prévue pour la participation à ces mesures, comme c'était le cas auparavant. Cela n'est mentionné nulle part dans le document d'orientation et cela pourrait ouvrir des possibilités, par exemple, de chaînes de production de 40 heures par semaine. Peut-être allez-vous pouvoir en profiter lorsqu'il y aura cette rencontre avec les fonctionnaires du ministère pour faire éclaircir la chose. Dites-vous que, si cela peut profiter à la collectivité, j'aimerais bien que vous me transmettiez vos informations.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, très brièvement, le temps est largement dépassé.

M. Paradis {Brome-Missisquoi): Oui. Pour la qualité de votre mémoire,. pour la qualité de vos interventions, pour le travail que vous accomplissez dans la société, merci.

Le Président (M. Bélanger): Merci. J'invite à ta table des témoins l'Association des médecins de CLSC du Québec qui sera représentée par le Dr Jean Rodrigue, par le Dr Jean-Denis Bérubé, par le Dr Véronique Nally.

S'il vous plaît, je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place pour que nous puissions continuer nos travaux, compte tenu de l'heure. Nous avons déjà un retard très important.

Nous recevons donc à la table des témoins l'Association des médecins de CLSC du Québec. Je vous rappelle nos règles de procédure, Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire. S'il peut être résumé en moins de temps, ce sera l'idéal. Les parlementaires bénéficieront de 40 minutes pour vous interroger sur le contenu de votre mémoire, Je vous prierais donc d'abord de vous Identifier et, par la suite, de faire la présentation de votre mémoire. Mais auparavant, chaque fois que l'un d'entre vous devra ou voudra intervenir, on lui demande de bien vouloir donner son nom, s'il vous plaît, pour les fins de la transcription du Journal des débats. C'est dans une autre pièce. Ils ne vous voient pas; donc, ils ne peuvent pas prendre les noms. Je vous remercie.

Association des médecins de CLSC du Québec

M. Rodrigue (Jean): Merci. Mon nom est Jean Rodrigue. Je suis président de l'Association des médecins de CLSC. Les gens qui m'accompagnent sont le Dr Véronique Nally de la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles et le Dr Serge Gingras qui travaille au CLSC Parc Extension. Notre mémoire est relativement court. Compte tenu de l'assemblée qui est ici, on préfère vous le lire parce qu'il est concis et qu'il dit bien ce qu'on pense. Je vais donc procéder tout de suite à la lecture.

L'Association des médecins de CLSC alertée par les médecins de la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles et ceux de la clinique familiale de l'est a pris connaissance du document d'orientation "Pour une politique de sécurité du revenu".

Comme omnipraticiens, nous exerçons auprès de diverses clientèles, la plupart du temps avec d'autres professionnels du domaine sociosanitaire, dans un constant souci de promouvoir la santé et l'autonomie des personnes qui nous consultent. À ce titre, nous favorisons une approche globale des problèmes de santé en incluant les aspects physiques, psychologiques et sociaux qui y sont attachés.

Notre pratique nous confronte quotidiennement avec la difficulté pour les pauvres de vivre en santé. Les modifications à notre système d'aide sociale nous apparaissent urgentes. Certains parmi nous se sont déjà élevés, à plusieurs

reprises dans le passé, contre la discrimination par l'âge de l'actuel régime de l'aide sociale. Nous considérons irréalisable en 1988 l'équation: être en santé et vivre de 170 $ par mois! C'est pourtant le lot des assistés sociaux de moins de 30 ans, malgré l'article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui assure à toute personne dans le besoin une assistance susceptible d'assurer un niveau de vie décent.

Nous tenons à dire à cette commission qu'effectivement, la réforme proposée modifie en profondeur notre attitude comme société face aux pauvres. Elle le fait sous de fausses prémisses, avec des conséquences néfastes pour la clientèle visée et les intervenants concernés. De plus, elle traite sommairement ou élude des éléments importants.

Santé et pauvreté. Au-delà des modalités énoncées, le document d'orientation se fonde sur des conceptions erronées de la santé et, de la pauvreté et leurs interrelations. Il nous apparaît essentiel, pour situer nos critiques, de replacer ces notions fondamentales dans leur contexte. D'abord, la santé. L'énoncé de politique n'aborde pas la santé comme telle. Il limite la maladie à une altération de l'état physique et mental en retournant à la notion archaïque: santé = absence de maladie.

Le Conseil des affaires sociales et de la famille définit la santé pour un individu comme la capacité de fonctionner aussi efficacement que possible dans son milieu et de se consacrer pleinement à son ou à ses projets. Dans un autre document du même organisme, Sylvie Dillard présente les divers déterminants de la santé: les déterminants biologiques; les déterminants environnementaux; le stress que traduit le processus d'adaptation entre l'individu et son environnement; les habitudes de vie et, finalement, le système de soins. j

La santé apparaît donc maintenant aux experts comme un processus dynamique dont le maintien ou la promotion repose sur une action concertée auprès des différents déterminants Impliqués. (17 h 30)

La pauvreté, elle, ne se limite pas à un faible pouvoir d'achat. Elle s'accompagne d'un ensemble de privations qui ont trait aux connaissances, au pouvoir et au confort: faible scolarité, faibles qualifications professionnelles, risques plus grands de chômage, logements insalubres, etc. |

Tous les experts s'entendent sur l'interaction constante entre la santé et la pauvreté. Les personnes qui se situent dans le plus bas quintile en termes de revenu annuel ont une augmentation de leur niveau de stress, de leurs restrictions permanentes des activités - jusqu'à cinq fois plus chez les hommes - et de leurs expositions a des facteurs de risque.

Les études québécoises sur la morbidité et la mortalité selon les classes sociales sont nombreuses. Je passe les deux ou trois autres chapitres. Il y a plein d'autres mémoires que nous avons lus, dont celui de la situation de ta santé publique, qui vous donnaient tous ces détails encore plus extensivement que nous.

Jennifer O'Loughlin résume bien la question en citant Jennings: "Les problèmes de santé des pauvres sont probablement le résultat d'un ensemble comprenant un accès réduit et/ou un échec à bénéficier des soins médicaux, couplé au fait de vivre dans un environnement toxique et dangereux, pathogène socialement, médicalement et psychologiquement. "

Pour nous, M. le ministre, la pauvreté est une altération de la santé qui nécessite des interventions tant auprès de l'individu qui en est affligé, que de ia société qui la tolère.

Médicalisation de la pauvreté. Le document d'orientation propose une vision réductrice de la pauvreté. Elle n'a que deux causes: la maladie ou l'absence de travail. Dans l'actuel régime d'aide sociale, tout citoyen de 30 ans et plus, quel que soit son état de santé, a droit à une aide financière s'il se trouve dans le besoin. Les jeunes de 18 à 30 ans, quant à eux, ont droit à des prestations réduites, à moins qu'ils ne donnent une preuve médicale d'inaptitude au travail. Dans la situation présente, un jeune bénéficiaire doit être malade pour obtenir une allocation décente.

Cette médicalisation de la pauvreté s'étendra maintenant à tous les bénéficiaires de l'aide sociale, sauf exception. Nous disons "sauf exception", parce qu'après 55 ans il semble qu'on pourra être pauvre sans être malade. Tout individu demandant de l'aide sociale devra avoir, à de multiples reprises, une évaluation de sa santé, afin de déterminer son employabilité, sa disponibilité, ses caractéristiques personnelles.

Ces évaluations impliquant les professionnels de la santé, dont les médecins, aboutiront à une catégorisation des individus et, conséquemment, à différents niveaux de prestations. Les bénéficiaires considérés inaptes au travail se situeront au sommet de cette échelle.

Pour être un peu moins pauvre parmi les pauvres, iI faudra donc être malade ou plutôt il faudra détenir un certificat de maladie. Le document d'orientation ne s'intéresse pas au devenir de ces malades et ne se préoccupe pas davantage des perturbations que de tels certificats provoqueront dans la relation médecin-malade.

L'énoncé de politique ne tient pas compte des multiples causes de la pauvreté: familiales, sociales, économiques et culturelles. Il ne préconise aucune réforme à ces niveaux. Pourquoi attendre la maladie pour intervenir? Nous dénonçons cette échelle de prestations basée essentiellement sur la présence ou non de maladies chez les bénéficiaires de l'aide sociale.

Judiciarisation du système. Non seulement la réforme médicalise la pauvreté, mais elle judiciarise son système d'aide. Le gouvernement - je

cite - présume de l'employabilité et de la disponibilité de toute personne à occuper un emploi, à moins que son inaptitude au travail ou sa non-disponibilité temporaire soit démontrée".

Tout citoyen dans le besoin qui se juge inapte au travail aurait donc l'obligation légale de le prouver à la satisfaction du service d'aide sociale. Une fois cette preuve faite, ce citoyen aura toujours le fardeau de la démontrer à nouveau lors d'évaluations subséquentes.

Nous nous interrogeons également sur les implications légales de cet. engagement contractuel auquel on convie le bénéficiaire d'aide sociale jugé apte au travail.

Au cours des deux dernières années, le gouvernement a multiplié le contrôle auprès des bénéficiaires d'aide sociale laissant entendre qu'un grand nombre d'entre eux étaient des fraudeurs. Les préjugés vis-à-vis des bénéficiaires d'aide sociale n'en ont été que renforcés. Aucune autre catégorie de la population n'a été contrôlée de cette façon.

Pourtant, la fraude n'est pas l'apanage des pauvres. Une Idée sous-jacente se dégage. Dans notre société, un citoyen est présumé coupable d'être pauvre et de demander de l'aide, à moins d'être très malade. Depuis quelque temps, le gouvernement a étendu sa chasse aux fraudeurs pour s'attaquer aux professionnels de ta santé. Il a entamé une série de poursuites contre des médecins. Ceux-ci avaient signé un certificat d'inaptitude pour une jeune fausse assistée sociale.

Nous nous opposons à de telles pratiques de la part du gouvernement. Nous voulons réitérer ici notre solidarité envers les médecins poursuivis qui ont, en toute bonne foi, signé un certificat dans une perspective globale de ta santé pour venir en aide à leurs patients. La menace de poursuites judiciaires dans un tel contexte porte un préjudice très grave à la pratique médicale. Elle introduit un élément de méfiance chez le médecin qui fausse toute évaluation objective de la situation. Elle prive l'assisté social de l'assistance à laquelle il a droit et enlève toute validité à la rencontre médecin-patient.

Cet élément nous préoccupait à un tel point que nous avons envoyé, la semaine dernière, une lettre à tous les médecins des CLSC compte tenu, justement, de la commission parlementaire qui se déroule actuellement, compte tenu aussi des problèmes des médecins face à ces certificats d'invalidité. La position de l'association à cet effet, c'est-à-dire ce qu'on recommande à nos membres, c'est ce qui suit. Lorsqu'un jeune assisté social vous consulte pour une évaluation de son état de santé, veuillez faire une évaluation complète de sa condition, en tenant compte de la dimension psychosociale de la santé. Si vous avez une bonne raison de croire à une altération de sa santé, n'hésitez pas à lui compléter un certificat d'invalidité pour la raison diagnostique et la durée que vous jugerez opportune.

La pauvreté n'est pas un phénomène Individuel. L'énoncé de politique axe l'action gouvernementale sur les personnes dans le besoin et sur la recherche d'une autonomie financière par le travail comme solution à la pauvreté. Au-delà de la personne, le gouvernement reconnaît la nécessité de tenir compte des liens de solidarité et de responsabilité qui unissent les membres d'une famille et de ne pas s'y substituer. Il nous semble pourtant évident que la lutte à la pauvreté n'est pas la seule responsabilité de l'individu et de sa famille, et que la société n'a pas qu'un rôle de soutien.

Le document n'aborde pas la répartition des tâches familiales qui peuvent modifier la disponibilité au travail d'un ou des deux conjoints. Le document est silencieux sur les groupes d'entraide et leur apport dans la lutte à la pauvreté. Le document refuse de considérer les pathologies importantes telles que l'alcoolisme ou la toxicomanie comme des altérations significatives de la santé. Le document parle de cet engagement contractuel entre te bénéficiaire et le ministère. Il se tait quant aux rôles de ces derniers dans la création d'emplois. Pourtant, lorsqu'on évalue à 257 000 le nombre de ménages employables et disponibles pour accéder au marché du travail, toute politique est vide de sens si elle n'Indique pas des voies pour stimuler l'économie.

En somme, te nouveau pauvre sera riche d'un plan d'action personnalisé établi avec des agents d'aide socio-économiques pour intégrer le marché du travail. Et s'il n'y a pas d'emploi, si le bénéficiaire a d'autres problèmes que la maladie ou le manque de travail et s'il n'y a plus de place à l'Intérieur du programme APTE, les personnes pauvres se retrouveront, en bout de ligne, flouées de toutes parts.

Tout en dénonçant le fond de cette politique de sécurité du revenu, nous ne pouvons passer sous silence les points ambigus du document. Qu'entend-on par "un état physique ou mental altéré de façon significative pendant une période relativement longue"? Compte tenu de la morbidité et de la mortalité chez les gens défavorisés, il nous apparaît essentiel qu'une politique d'aide aux plus démunis ne laisse pas place à l'arbitraire technocratique et à une approche normative des soins à donner.

Qu'entend-on par professionnel autorisé qui peut certifier qu'une personne éprouve des problèmes de santé physique ou mentale? Que veut-on dire aussi par problème de santé physique ou mentale? Quel soutien psychosocial prévoit-on pour les familles en situation de crise? Par exemple, qui subviendra aux besoins d'un jeune qui décide de quitter le domicile familial? Au-delà de l'augmentation des garderies, que prévoit-on pour les familles monoparentales? Quel est le contenu du plan d'action personnalisé? Quel type d'intervention effectueront les agents d'aide socio-économiques? Quel type d'appui attend-on des intervenants, médecins,

travailleurs sociaux, etc., et des grands réseaux de l'éducation, de la santé et des services sociaux?

À titre de médecins, nous sommes convaincus qu'une approche d'aide à des personnes défavorisées ne peut se faire que dans un contexte d'écoute et de confiance. Plus encore, les problèmes issus de la pauvreté ne peuvent être résolus sans une approche multidisciplïnaire concertée, au service de la personne et de son entourage. À titre de citoyens, nous considérons la pauvreté comme un phénomène social qui appelle une solution de société généreuse et innovatrice. Nous ne croyons pas que le Québec doive s'inspirer des thèses néo-libérallstes à la Thatcher ou à la Reagan. Aussi regrettons-nous la vision parcellaire du document d'orientation, qui ignore la réflexion québécoise actuelle sur la famille et sur la santé. D'ailleurs, à ce sujet-là, M. le ministre, on n'est pas sans être inquiets de la déclaration du ministre Dutil la semaine dernière où - en tout cas, on a vu cela dans une coupure de presse - il disait qu'il avait été consulté tout au long de la politique de sécurité du revenu. S'il l'a été, permettez-nous d'être inquiets quant à sa politique de la famille. Finalement, nous jugeons inconcevable de maintenir encore pour deux ans la disparité des prestations au détriment des jeunes de 18 à 30 ans.

Le Président (M. Bélanger): Avez-vous terminé?

M. Rodrigue: Oui.

Le Président (M. Bélanger): Bien. Alors, M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Il reste combien de temps? 20 miniutes?

Le Président (M. Bélanger): 45 minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Comme vous, on vérifie les règles du jeu. Bien qu'on soit ministre, on ne les impose pas. C'est la commission qui les impose.

Le Président (M. Bélanger): En principe, on devrait terminer à 18 heures. En pratique, on peut prolonger s'il y a consentement des deux côtés.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): D'accord. Je tiens à remercier l'Association des médecins de CLSC du Québec, son président, son secrétaire, le docteur Nally de la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, et, pour le mémoire et pour la présentation qu'ils nous en ont faite. Je tiens à souligner l'absence, pour des raisons de santé, du député de Sainte-Anne qui, dans le cas du dossier de Pointe-Saint-Charles, est intervenu sur une base au moins hebdomadaire, sinon quoti- dienne, auprès de celui qui vous parle.

J'aurais besoin d'informations additionnelles, si vous en disposez, quant aux clientèles que vous desservez et aux clientèles avec lesquelles vous établissez le lien ou les effets de la pauvreté sur la santé. Quel est le pourcentage ou la proportion - si vous l'avez en tête - des gens que vous avez à traiter et qui vivent de prestations d'aide sociale, de prestations d'assurance-chômage ou du salaire minimum? Si vous te savez.

M. Rodrigue: Je pense que, d'abord, M. le ministre, la réponse qu'on pourrait vous donner là-dessus serait quand même relativement parcellaire parce qu'elle viendrait de notre expérience mutuelle. Je pense qu'on peut dire que finalement les études qui ont été faites - je pense entre autres à l'étude de Jennifer O'Loughlin - démontrent que la plupart des assistés sociaux ou des gens pauvres consomment de la même façon que les autres classes de la société en termes socio-économiques. Ce qui veut donc dire, je pense, que, dans les CLSC comme en pratique privée, les médecins voient, dans la même proportion que dans la société, des assistés sociaux et des gens en chômage. Quand vous parlez de 400 000 ménages, je serais porté à dire que probablement la proportion de gens qu'on voit dans nos CLSC ou à la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, de façon normative, est à peu près la même qu'un peu partout ailleurs. Sauf que dans certains quartiers - actuellement, je travaille à centre-sud, le docteur Nally travaille à Pointe-Saint-Charles et le docteur Gingras travaille à Parc Extension - je pense que la proportion est sûrement de plus de 50 %.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Ce sont 50 % de prestataires d'aide sociale qui sont dans...

M. Rodrigue: Probablement, oui. Mme Harel: Une moyenne de 50 %.

M. Rodrigue: C'est dans ces CLSC. Par contre, nous intervenons dans tout le Québec.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Une autre question de précision. Est-ce que vous avez également à traiter des cas qui requièrent votre expertise dans le cadre d'autres programmes gouvernementaux, telle la Régie des rentes du Québec, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la Régie de l'assurance automobile du Québec. Est-ce que vous retrouvez là certaines pistes intéressantes ou certaines embûches dans votre pratique quotidienne? (17 h 45)

M. Rodrigue: On peut d'emblée vous répondre que oui. Effectivement, on a affaire avec des gens de la Régie des rentes, sauf que le problème n'est pas là. Le problème n'est pas dans le fait de compléter une formule ou non. Le

problème est dans le fait d'identifier que, pour les pauvres, il y a deux seules façons d'être pauvres et d'avoir de l'aide. C'est d'abord d'être malades. C'est cet élément que nous contestons. On ne conteste pas le fait de remplir une formule. C'est sûr qu'on aurait pu, dans un premier temps, arriver, d'ailleurs on y a pensé, et dire: On pourrait peut-être proposer une formule quelconque, avec telle case à tel niveau. Je pense que le fond du problème n'est pas là. Ce n'est pas de dire: Si on avait une formule semblable à celle de la CSST, peut-être que cela Irait. Là question fondamentale, c'est: Est-ce que le système doit être basé sur une médicalisation de la pauvreté ou doit-on systématiquement évaluer l'état de santé de chaque personne qui demande un soutien financier? Je ne devrais pas dire soutien financier, mais aide sociale. Est-ce qu'on devrait systématiquement évaluer son état de santé et identifier, après, dans quelle catégorie on va le mettre? On est contre cet élément. On n'est pas contre une formule quelconque. On est contre le fait de tout le temps assigner à une prestation de l'aide sociale une évaluation de la santé.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous pose la question parce que, dans tous les dossiers de la Régie des rentes, dans tous les dossiers de la CSST et dans tous les dossiers de la Régie de l'assurance automobile du Québec que je vois à mon bureau de comté, invariablement depuis que les régimes existent et depuis que je suis député, si on n'a pas dans le dossier toute cette question d'expertise médicale, la cause de notre commettant, comment pourrais-je dire, est illusoire. On tente de conseiller notre commettant à partir de l'expertise médicale que l'on retrouve dans le dossier et, s'il y a absence d'expertise médicale, on tente de l'orienter à un endroit Je ne parle pas des assistés sociaux. Je parle des dossiers de la Régie des rentes, de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et de la Régie de l'assurance automobile. On tente de l'orienter là où II peut obtenir la meilleure opinion médicale de façon à faire progresser son dossier positivement. C'est dans ce but que je vous posais la question.

M. Rodrigue: C'est dans ce but aussi que je vous ai répondu de cette façon. Ce qui nous chicote là-dedans, c'est vraiment l'aspect de la médicalisation de la pauvreté. Celui qui demande un régime de rentes participe à un régime qui prévoit une rente soit à sa retraite ou encore en cas d'invalidité. Le régime de l'aide sociale en soi, quant à nous, n'est pas un régime qui se base sur la maladie. Le régime se base sur des gens qui ont besoin d'une aide sociale. À ce moment-là, on pense que c'est fausser à la base que d'inclure tout le temps cette notion de maladie.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous dirai, sur cette question de la division entre aptes et inaptes et le fardeau que vous dénoncez quelque peu dans votre mémoire, qu'il y a des organismes représentant des personnes handicapées, que nous avons eu l'avantage d'entendre la semaine dernière à cette commission, qui ne voulaient surtout pas que l'on considère leur clientèle comme étant des gens inaptes au travail et qu'on laisse au moins le libre choix à ces individus de choisir parmi la possibilité des statuts qu'offre le programme de sécurité du revenu.

Je vous dirai qu'il y a une affirmation à la page 5 de votre mémoire qui me frappe. On la retrouve au deuxième paragraphe. C'est sous le titre "médicalisation de la pauvreté", la dernière phrase: 'Dans la situation présente, un jeune bénéficiaire doit être malade pour obtenir une allocation décente". À ce moment-là, vous faites allusion à la parité par le certificat médical; mais dans le cas de Pointe-Saint-Charles, et c'est pour cela que je mentionnais entre autres les interventions du député de Sainte-Anne parce qu'il ne risque peut-être pas de m'arriver ce qui m'est arrivé la semaine dernière avec le centre Travail-Québec de Nicolet, le député de Sainte-Anne a toujours insisté pour que le centre Travail-Québec qui dessert ce coin soit pourvu, en termes d'argent et d'effectifs, des sommes d'argent nécessaires pour que le jeune qui s'y présente et qui veut obtenir une mesure d'employabilité puisse se voir offrir cette mesure d'employabilité. Donc, est-ce qu'on peut vraiment soutenir que la seule façon, c'est d'obtenir un certificat, c'est d'être malade ou est-ce qu'il n'y a pas également dans le système actuel, lorsque les ressources humaines et financières sont disponibles, une autre façon? C'est la question que je vous adresse.

Mme Nally (Véronique): Vous avez raison pour une minorité de cas, en effet. Il y a des jeunes qui retournent à des programmes de rattrapage scolaire, entre autres, et qui peuvent bénéficier de l'aide à ce moment-là, mais je pense qu'on leur signe un certificat médical quand même, dans certains cas.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela m'étonnerait. Je ne veux pas le nier sans vérifier avec les praticiens de la pratique quotidienne que sont nos fonctionnaires du ministère, mais la personne admissible au programme d'employabilité qui a moins de 30 ans n'a pas besoin, au moment où l'on se parle, d'une évaluation médicale.

Mme Nally: Non.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela pose toute la problématique. Les discussions que j'ai eues avec le député de Sainte-Anne, je vais vous les livrer bien ouvertement. Il y a une possibilité, à partir d'une évaluation médicale ou d'une évaluation psychosociale, au moment où

l'on se parle, mais I! y a également toute cette possibilité à partir des mesures d'employabilité. Si on peut reprocher au gouvernement une machine administrative ou technocratique enrayée qui ne met pas à la disposition des jeunes des programmes d'employabilité qui donnent la parité, j'accepte la critique. Cela a été le cas la semaine dernière. Quelqu'un de Nicolet nous a dit: Au centre Travail-Québec de Nicolet, l'argent et le personnel ne sont pas disponibles. On est en train d'effectuer des vérifications. On va apporter une réponse en commission parlementaire et, si c'est de la faute du ministère, on va dire mea culpa et on va tenter d'apporter des corrections, mais si ces mesures sont disponibles, de quelle façon pouvez-vous justifier une affirmation aussi lourde de conséquences et aussi sérieuse, en disant que la façon pour un jeune d'obtenir la parité, c'est d'être malade? Comme ministre responsable, et ce n'est pas mon programme - je vous le dis, je l'ai hérité de l'ancien gouvernement - je suis politiquement dégagé, mais moralement surpris de cette affirmation.

Mme Nally: Là-dessus, j'aimerais dire une ou deux choses. D'une part, je crois qu'un jeune qui participe à un programme de rattrapage scolaire n'a pas la parité. Il a une espèce de boni, mais il n'a pas la parité. Première des choses. Donc, il n'y a pas d'évaluation médicale, mais il n'y a pas parité quand même. Ensuite, le rattrapage scolaire n'est pas disponible à tout te monde. On sait qu'environ 20 %, ou moins, des bénéficiaires de moins de 30 ans participent aux programmes gouvernementaux, soit de rattrapage scolaire ou de stage en milieu de travail.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Dans le cas de Pointe-Saint-Charles - je suis incapable de le préciser avec autant de certitude pour tous les centres Travail-Québec - mes fonctionnaires m'affirment que personne ne s'est vu refusé l'accès à une mesure de rattrapage scolaire. C'est ce qu'on m'affirme. Je demande simplement qu'on me mette devant l'évidence que c'est inexact.

Mme Nally: Oui. Je ne peux pas le confirmer ou l'infirmer. Il me semble que j'ai vécu des cas où il y avait eu un échec sur ce plan.

D'autre part, ce que je remets ici en question, c'est l'objectif même du rattrapage scolaire. Pour les jeunes de moins de 30 ans, retourner aux études secondaires n'est pas souvent une grande motivation, parce qu'en fin de compte ils vont passer quatre ans à suivre des cours du soir, à rattraper l'école secondaire et il n'y aura pas d'emploi à la fin. Il n'y a aucune incitation à retourner sur le marché du travail en retournant faire le cours secondaire. Donc, pour beaucoup, ce n'est pas grand-chose.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je suis conscient que la mesure de rattrapage scolaire peut ne pas répondre aux capacités même d'un jeune qui a plus d'habileté manuelle que d'autres types d'habiletés, etc. que ce n'est pas parfait. Ce que je trouve très lourd de conséquences, c'est cette affirmation devant une commission parlementaire. Je ne sais pas s'il y a d'autres membres de la commission qui la partagent. On ne l'a pas eue d'autres groupes jusqu'à maintenant. Remarquez qu'on n'en est qu'à notre deuxième semaine. On risque peut-être de l'avoir. Je parle peut-être à travers mon chapeau. Mais cette affirmation, si elle était vraie, serait dangereuse pour la société même, dans le contexte actuel.

M. Rodrigue: M. le ministre, d'abord vous comprendrez qu'on n'invoquera pas les délais, mais on peut invoquer la petite machine qu'on a pour ne pas avoir fait une évaluation de tous les centres Travail-Québec du Québec et avoir vu leur articulation avec les CLSC. Je pense que, dans la réalité de tous les jours, dans nos bureaux, il y a une proportion relativement importante, je ne saurais pas la chiffrer en termes de pourcentage, mais il y a un nombre assez important de jeunes qui viennent nous voir en prétextant différents. problèmes psychosociaux réels pour avoir une majoration de leur allocation, il semble que, dans ce qu'ils nous disent, ils ont épuisé la plupart des ressources du milieu par rapport à une aide quelconque qu'ils pourraient avoir pour majorer cette augmentation.

De toute façon, M. le ministre, au-delà de cet élément, même si on vous concédait que cet élément est un peu grossier comme affirmation, le problème reste le même. Il s'agit juste de regarder les barèmes de prestations. L'écart est tellement important entre les gens qui vont avoir une prestation en vertu du programme Soutien financier par rapport aux autres. Il y aura toujours une incitation pour beaucoup de gens à médicaliser la pauvreté et à prétendre différentes choses pour avoir droit à un montant minimal. Je ne crois pas qu'on puisse dire actuellement que le Soutien financier, même s'il est plus élevé que le programme, c'est la richesse. En tout cas, on n'achètera sûrement pas des terrains pour Oerlikon à ce prix. À ce moment-là, ce que nous, on dit, c'est que vraiment au-delà de tout cela, il y a une notion de médicaliser la pauvreté. C'est cela qui nous apparaît le plus important. C'est sûr qu'on peut trouver des détails.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): On m'indique qu'il me reste une minute. Je vais la mettre en banque et céder immédiatement la parole à Mme la députée de Maisonneuve, quitte à vous revenir.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve. Il en restait trois - je m'excuse - tout à l'heure, mais il a continué. Il lui reste une minute et demie. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel:... on comptabilise. Vous nous dites dans votre mémoire essentiellement... en assistant à cet échange... si tant est que dans le système actuel iI est possible, par exemple, pour un jeune de doubler sa prestation, sauf pour le rattrapage scolaire, mais en fait, pour les autres mesures, travaux communautaires ou stages dans l'entreprise, malgré cette incitation, il n'en demeure pas moins que les chiffres que l'on a jusqu'à maintenant nous permettent de constater que seulement 20 % des moins de 30 ans auraient participé aux mesures.

Donc, il y a là une question que, normalement, une personne sérieuse, se pose. La question, c'est: Faut-il étendre à des centaines de milliers de ménages finalement un programme pour lequel on n'a pas encore une évaluation sérieuse, ou tout au moins dont les résultats sont loin d'être satisfaisants? Faut-il faire porter le poids de la non-participation sur les épaules des jeunes en prétextant - vous pouvez mettre tous les qualificatifs négatifs que vous imaginez - ou doit-on plutôt examiner du côté des programmes s'ils sont adéquats et s'ils sont capables de performer compte tenu de la lourdeur, disons-le, peut-être justement bio-psycho-sociale des personnes à qui on veut adresser ces mesures?

Dans votre mémoire, je pense que vous regardez en fonction du document d'orientation parce que le document va maintenant dorénavant établir la ligne de démarcation sur l'inaptitude. Votre document devient exact en regard de la réforme à venir puisque essentiellement, avec la réforme, il n'y aura qu'une seule façon digne - c'est un peu ce que je conclus de vos propos - d'avoir de l'aide, c'est de se faire reconnaître comme ayant un état de santé physique ou mentale altéré de façon significative. C'est le fondement d'une certaine façon de... Ce que le ministre dit, c'est que sa réforme agit de manière à assurer la dignité à des personnes qu'on laisse actuellement simplement à l'abandon avec un chèque mensuel et que son document d'orientation consiste à leur proposer une nouvelle dignité en leur permettant de faire quelque chose.

Je dois comprendre que vous ne partagez pas l'idée que ce document propose à des personnes dites aptes une vision plus positive d'elles-mêmes.

M. Rodrigue: C'est une grande question. Essentiellement, on dit, je le répète encore, que cela nous apparaît important qu'il y ait une réforme de l'aide sociale. Cela, on ne le nie pas. On pense seulement que les bases sur lesquelles doit s'asseoir cette réforme de l'aide sociale doivent reconnaître l'autonomie et l'intégrité de la personne, et lui proposer une vision qui soit quand même positive de sa démarche. (18 heures)

Actuellement, tout se passe comme... Toute l'énergie qu'une personne va avoir dans les premiers mois ou dans les premiers temps d'une demande à l'aide sociale sera de se placer dans la catégorie qui sera la plus efficace pour elle. Donc, ce sera un peu un jeu pour être dans la meilleure catégorie. Nous pensons que cette perception, cette base n'est pas bonne.

Le trajet est quand même assez long entre Québec et Montréal; on a eu le temps d'en parler en venant. Par exemple, toute cette réforme oublie la question des minorités ethniques et des gens de la deuxième génération qui arrivent ici, qui sont confrontés avec les valeurs culturelles de leurs parents qui ont une vision peut-être antérieure de la culture dans le pays d'où ils venaient, et vous avez les jeunes. Cela amène des problèmes sociaux. Il y a un tas d'éléments là-dedans dont on ne fait pas mention dans la politique de sécurité du revenu parce que cela s'articule autour de: Comment on paie moins ou comment on peut limiter ce qu'on donne?

Au fond, toute la question du développement de la personne et de sa recherche en termes d'autonomie n'est pas là. Même en ce qui concerne la maladie, on le souligne dans le document, il s'agit de donner un certificat d'Invalidité. Qu'est-ce qui va se passer après? On ne le sait pas. Est-ce qu'il y a vraiment une démarche pour que les gens se sortent de cette maladie, pour qu'ils progressent et qu'ils aient une meilleure santé? On ne le sait pas. On dénonce cet élément de la médicalisation de la pauvreté et de la judiciarisation du système. Il ne faut pas oublier que ce qui nous chicote beaucoup aussi, c'est que le pauvre est toujours coupable. Il n'a pas le bénéfice d'avoir des jurys.

Mme Harel: Je dois comprendre que vous concevez qu'on puisse être aussi digne en recevant de l'aide sociale tout en n'ayant pas à prouver, tout en n'étant pas dans un système dans lequel on a à prouver, pour avoir une sorte de reconnaissance ou d'estime des autres, un état de santé altéré pour obtenir cette reconnaissance. C'est cela, finalement, que vous contestez, l'effet secondaire d'un système qui, en catégorisant les aptes et les inaptes, a comme effet - je dis encore pervers parce que je crois que c'est vraiment pervers - d'inciter les gens à se faire reconnaître comme inaptes, donc à se mettre en situation, sinon cela peut être beaucoup d'anxiété, beaucoup d'angoisse. Cela peut être, non seulement de l'anxiété et de l'angoisse de faire baisser ses barèmes, mais l'anxiété et l'angoisse qui viennent du sentiment d'échecs antérieurs projetés sur l'avenir, l'imagine.

M. Gingras (Serge): II y a aussi des conséquences pour les gens qui ont des problèmes plutôt d'ordre psychosocial. Avec la judiciarisation, on va se baser sur des choses qu'on peut prouver. On le voit bien avec les accidents du travail. Les problèmes de dos, c'est plus difficile à évaluer. On suppose qu'il y a plein de fraudeurs. Pour les gens qui ont des problèmes

d'ordre psychosocial, et on sait qu'ils sont énormes chez les gens qui sont pauvres, cela devient plus difficile à cerner, et la judiclarisation fait que beaucoup de médecins maintenant vont se fier seulement à une maladie biologique. Concernant tout l'aspect psychosocial, ils disent. Ah! on ne peut pas vraiment évaluer; tout à coup, il n'y a pas quelque chose de vraiment "objectivable"; allez voir ailleurs. Il y a des gens qui auraient droit finalement à un certain montant et qui rassortiront du système si on le judiciarise de la façon dont on le fait déjà.

Mme Harel: Vous mentionnez dans votre mémoire, à la page 7, qu'en multipliant les contrôles auprès des assistés sociaux, le gouvernement a pu laisser entendre qu'un grand nombre d'entre eux étaient des fraudeurs. Vous dites que les préjugés vis-à-vis des assistés sociaux n'en ont été que renforcés. Cette constatation vous vient de votre pratique, vous vient de l'expérience. Vous avez ce sentiment qu'il y a accroissement des préjugés à l'égard des assistés sociaux?

Mme Nally: Cela vient de notre autre pratique. En tout cas, dans ma pratique, j'ai eu des remarques comme celle-là, très souvent, de gens qui n'étaient pas bénéficiaires de l'aide sociale, à savoir que, au fond, c'étaient tous des profiteurs. Cela a été reflété dans les médias et aussi lors des visites à domicile effectuées par des inspecteurs du bien-être social, qui |ont été rapportées dans les médias. Les voisins voient cela.

Mme Harel: Est-ce que ce n'est pas finalement parce qu'au sens commun, il est souhaitable et sans doute louable que chacun puisse, dans ta société J'imagine que les personnes qui sont bénéficiaires et qui vont vous voir, elles-mêmes souhaitent pouvoir devenir autonomes.

Mme Nally: Bien sûr.

Mme Harel: En lisant cette phrase, je me suis dit combien c'était surprenant, par exemple, qu'on n'ait jamais contrôlé les déclarations de revenus des étudiants. Souvent, le ministre compare le programme des prêts et bourses avec le programme de l'aide sociale pour justifier une contribution parentale, de manière à l'harmoniser avec le programme de prêts et bourses pour lequel il y a déjà une contribution parentale, mais qui n'est pas payée - cela a été démontré - dans 70 % des cas.

À l'inverse, les déclarations de revenus des étudiants ne font pas vraiment l'ob|et de contrôle ni d'enquête, malgré que ce soit de commune renommée qu'elles sont bien en deçà des gains réels obtenus par les emplois d'été ou par les emplois à temps partiel. Il est de commune renommée qu'il n'y a pas d'enquête à domicile, iI n'y a pas de contrôle pour vérifier, et pourtant, d'une certaine façon, c'est là aussi une catégorie que l'on sait ne pas avoir un régime conséquent avec la réalité d'aujourd'hui et pour lequel on a une tolérance en ce qui concerne le fait de l'outrepasser.

Comme tout le monde le sait depuis 1972, les gains d'emploi à 40 $ pour une famille et 25 $ pour une personne seule étaient outrageusement trop bas, mais il n'y avait pas de tolérance à l'égard des assistés sociaux s'ils dépassaient ces gains d'emploi.

M. Rodrigue: Excusez-moi, Mme Harel, je pense que là-dessus on ne s'en ira pas trop chez les étudiants. On dénonce déjà ce qui se passe chez les pauvres, on n'encouragera pas que cela se fasse chez les étudiants aussi.

Mme Harel: Ah!non, non, non, pas du tout.

M. Rodrigue: S'il y avait des visites à faire, je les ferais peut-être chez des gens qui ont des revenus très importants et qui réussissent à déduire jusqu'à zéro. Cela vaudrait peut-être la peine que là il y ait des visites à domicile.

Mme Harel: Docteur Rodrigue, je dois vous dire que ce n'est pas une harmonisation à la baisse, ce n'est pas un programme de transfert à la baisse que l'on souhaite. Au contraire, on remet en cause la contribution parentale. D'ailleurs, sur cet aspect de la contribution parentale et l'aspect du partage de logement, votre mémoire est muet. Sans doute ignoriez-vous ces économies de 100 000 000 $ pour le partage de logement et de 80 000 000 $ pour la contribution parentale prévue, mais avez-vous, depuis, eu l'occasion de réfléchir à cette question?

Mme Nally: On ne l'ignorait pas, mais on n'en a pas parlé parce qu'on s'est dit que d'autres groupes, en particulier des groupes d'assistés sociaux et d'autres groupes, allaient en parler plus longuement. Nous nous sommes concentrés sur l'aspect de la santé et de la pauvreté pour pouvoir être plus concis aussi. Je voulais juste ajouter que, parmi la clientèle des assistés sociaux qui viennent me consulter, c'est évident et c'est même parfois très poignant de voir à quel point ces jeunes voudraient du travail, de façon désespérée.

Mme Harel: Les sentez-vous capables, non pas de façon magique - parce qu'il y a aussi la pensée magique - en possession de leurs moyens pour accomplir un travail? Des groupes sont venus nous dire: Vous savez, on peut être employeur sans être productif parce qu'on n'a pas fait toutes sortes d'apprentissages, étant donné qu'on n'avait pas le soutien de sa famille. Les sentez-vous capables d'occuper un emploi?

Mme Nally: Pas toujours. Je pense que c'est une catégorie de gens très vulnérables qui ont

besoin d'être aidés dans leur démarche, certainement. Très souvent, ils ont peu d'aptitudes scolaires, ce qui les met tout de suite dans une catégorie d'emploi très précaire, très peu rémunérée, très peu valorisante aussi. D'emblée, ils ont tendance à écarter ces emplois, mais ils aimeraient une bonne "job", comme ils disent.

Mme Harel: Tantôt, vous disiez: Plusieurs d'entre eux - je ne sais pas si c'est votre pratique aussi à Parc Extension - rêvent d'un emploi, mais ne participent pas aux mesures. A quoi attribuez-vous ce fait, justement?

Mme Nally: Je pense que les mesures ne sont pas toujours adaptées aux besoins de ces jeunes. Comme je le disais tout à l'heure au ministre Paradis, concernant le rattrapage scolaire, il y a des jeunes qui m'ont dit: C'est trop psychologique, l'école, c'est trop philosophique, c'est trop intellectuel, finalement. Ce n'est pas de cela qu'ils ont besoin. Ce qu'ils aimeraient, finalement, ce sont' des formations, des apprentissages, des habiletés qui ne soient pas intellectuels. En ce qui concerne les stages en milieu de travail, c'est très décourageant pour beaucoup de jeunes parce que, très souvent, après la période de stage, l'employeur les remercie et en prend un autre. On l'a vérifié à plusieurs reprises, en tout cas à Pointe-Saint-Charles. Ils n'ont pas de débouchés sur un emploi stable avec cela et ils repartent à la case 0 à 170 $. Les travaux communautaires, cela reste quelque chose de temporaire, de peu valorisant aussi.

M. Gingras: Moi, je vais parler de la contribution parentale. Je vis dans un quartier très multi-ethnique à tout le moins. Il y a beaucoup de problèmes de conflits de générations. Cela nourrit beaucoup de délinquance, de drogue et de prostitution. C'est un quartier très dur sur ce plan. Quand j'ai lu le petit coin qui pariait de la contribution parentale pour quelques années au moins, pour deux ans, après qu'ils aient quitté le milieu, je me suis dit que cela ne va que faire augmenter finalement le niveau de délinquance, etc. Je ne vois absolument pas comment le parent va subvenir aux besoins de son enfant après 18 ans. Il y a deux ans de flottement où...

Mme Harel: Oui, le statut de dépendant.

M. Gingras: C'est cela. Il y a deux ans de flottement avec un jeune qui a des besoins et qui va s'organiser pour subvenir à ses besoins. En tout cas, je vois qu'il faudrait penser au taux de criminalité qui va quand même s'accroître. Je n'en serais pas surpris.

Mme Harel: Je ne sais pas combien de temps il me reste. J'aimerais peut-être en profiter pour vous poser une question, compte tenu de l'expérience humaine que vous avez, de la relation de confiance aussi que vous avez avec les personnes qui sans doute se livrent à vous. Vous disiez dans votre mémoire: La pauvreté ne se limite pas à un faible pouvoir d'achat. Elle s'accompagne d'un ensemble de privations qui ont trait aux connaissances, au confort, à la faible scolarité, aux faibles qualifications professionnelles, au risque plus grand de chômage, au logement insalubre, etc. Si vous aviez à rêver d'une politique de sécurité du revenu, comment l'en-visageriez-vous?

M. Rodrigue: C'est lundi, et vous posez des grandes questions, Mme Harel, depuis le début. Comment envisagerait-on une politique de sécurité du revenu? À ce stade-ci, Je ne crois pas qu'on soit placés pour répondre Intelligemment à cette question. Ce qu'on peut vous dire, c'est que si jamais il y avait un système de sécurité du revenu qui devrait être fait, nous serions prêts à collaborer, à travailler pour essayer de trouver le meilleur système.

Actuellement, on dit ceci de ce système qu'on nous propose: Ce système donne trop de poids à l'aspect de la maladie uniquement. II ne donne pas de poids à la santé, il donne du poids à la maladie. Puis, il y a un concept de judiciarisation très important.

Je vais revenir sur la notion de famille que Serge a mentionnée tout à l'heure. Cela m'ap-paraît une chose très importante. Cette politique n'apporte rien. Rien, ne soyons pas catégoriques pour faire sauter M. Paradis même s'il est tôt. Disons que ce programme n'apporte pas grand-chose aux familles, c'est-à-dire qu'il ne propose pas grand-chose pour que les familles assument leur rôle. On dit: II faut que la famille assume son rôle. Souvent, dans les milieux pauvres, il y a des familles qui sont quand même relativement désorganisées. Parfois, cela commence quand les enfants ont moins de dix-huit ans, douze ans, treize ans ou sept ans. II est important de tenir compte de quel type de famille on veut pour le Québec et quel type de famille est le plus propice pour les différentes personnes qu'on aide.

Souvent on est pris comme médecins avec des gens très pauvres qui n'ont aucun soutien. Il y a des gens qui nous disent: J'ai réussi à me mettre sur le bien-être social, je ne bouge pas. D'autres personnes nous ont disent, dans le milieu de la santé, qu'elles en sont venues à la conclusion dans leur expérience personnelle que, si quelqu'un réussit à devenir bénéficiaire de l'aide sociale, la meilleure solution est de demeurer là-dessus et de ne pas bouger, de ne même pas essayer d'aller chercher un peu d'argent parce qu' il va tout perdre.

Je pense que, s'il y a un gros perdant dans cette chose, c'est vraiment la famille. C'est ce qui nous inquiétait de la déclaration du ministre Dutil parce que finalement tout se fait comme si on ne pariait que d'individus. Les deux conjoints

ne sont que deux adultes. Les enfants, on ne sait pas trop où on les met

Là, vous avez apporté des modifications... Bien oui! Il faut bien vous faire sauter un peu, vous faire dépenser un peu d'énergie avant le souper. M. Paradis, tout à l'heure aux dames qui nous précédaient vous avez mentionné des choses qui n'étaient pas dans le mémoire, qui n'étaient pas dans votre document d'orientation. Que votre document évolue, c'est une chose. Nous, nous pouvons simplement émettre des commentaires sur le document qui nous a été présenté. (18 h 15)

Mme Harel: Et moi, Je veux vous remercier du fait que nous... Vous exigez sans doute de nous qu'on se pose des questions fondamentales au-delà des modalités. Avant que l'État intervienne en démarquant les aptes des inaptes, vous demandez de bien vérifier les effets que cela peut avoir. Par exemple, plusieurs groupes sont venus ici nous dire: Faites attention, cela peut être discriminatoire au sens de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne qui Interdit la discrimination fondée sur la condition sociale, et reconnaître des besoins essentiels et ne pas les combler de la même façon, cela peut aussi être discriminatoire. Mais je pense qu'au-delà de ces aspects plus juridiques il y a la question: Est-ce que, comme vous nous te mentionnez, le fait d'introduire des critères dans des systèmes qui font que seulement lorsqu'il y a échec, il y a soutien de l'État.. Soutien plus grand lorsqu'il y a échec, déficience ou maladie. La maladie vaut pour la catégorie des inaptes. L'échec vaut pour le test de dénuement de la famille. L'échec vaudra aussi pour pouvoir obtenir...

Le Président (M. Bélanger): Conclusion, Mme la député.

Mme Harel:... des services de garde. Alors, dans l'ensemble des interventions de l'État, lorsque finalement l'État a des critères qui ont comme un effet de désintégration puisque les individus ne peuvent obtenir du soutien que lorsque cela va mal, eh bien, je pense qu'il faut sérieusement, comme vous nous l'avez indiqué dans votre mémoire, se poser des questions sur les fondements mêmes de nos propositions. Je vous remercie.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre, pour remercier.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II me reste... Le Président (M. Bélanger): II vous reste...

Attendez un peu. Est-ce qu'il reste du temps?

Combien?

Une voix: Deux minutes.

Le Président (M. Bélanger): II vous reste deux minutes.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, en deux minutes, Je vais vous dire ceci. Je pense que c'est le premier mémoire qui me fait autant sursauter. Je vous ai donné l'exemple d'une affirmation lourde de conséquences tantôt. Vous êtes des médecins. Vous êtes censés avoir un minimum de connaissances du fonctionnement des systèmes et l'affirmation écrite de votre mémoire m'a fait sursauter. Il y a une autre affirmation verbale qui vient de me faire sursauter et elle ne vient pas des améliorations ou des bonifications à apporter, elle vient des tableaux tels qu'imprimés dans la politique de sécurité du revenu sans aucune modification.

Vous dites que toute la politique est basée sur l'individu et que la notion de conjoint ou de famille n'est pas là. Je vais vous donner un bel exemple. Sur le tableau ici: personne seule qui participe, 420 $ de barème, 100 $ de frais d'allocation et de participation, total: 520 $. Pour un couple sans enfant, deux personnes qui vivent ensemble, c'est 820 $. Si vous appliquez la location de partage de logement - et c'est pourquoi elle est appliquée, la location de partage de logement - c'est parce que le gouvernement actuel n'a pas fait le choix que vous supposez qu'il a fait en fonction de l'individu, mais iI a fait le choix de la neutralité et il a laissé l'individu choisir de vivre en couple ou seul dans la société. Je vous demanderais de vérifier cette affirmation que je vous fais et de me la commenter lorsque vous aurez le temps parce qu'on va être bâillonnés nous aussi bientôt.

Deuxième élément. Je vous demanderais de calculer les besoins lorsqu'il y a un enfant présent et lorsqu'il y a deux enfants présents dans la famille pour voir si ces ajouts monétaires ne sont pas là justement pour tenir compte de l'aspect de l'implication familiale et de la présence d'enfants. Quant à l'affirmation que vous avez faite sur l'approche individuelle, c'est une approche qui a été rejetée par le gouvernement et les barèmes le traduisent clairement. Je vous demanderais de m'indiquer où vous prenez votre source d'information pour nous dire qu'il s'agit d'une approche individuelle. Nous n'avons pas eu cette approche. La fiscalité ne nous permet même pas de l'avoir.

M. Rodrigue: Si vous me permettez une minute...

Le Président (M. Bélanger): Oui.

M. Rodrigue: Je pense que la question de la famille, ce n'est pas une question uniquement de montant d'argent. C'est là-dessus qu'on disait que, même si cette politique accorde un montant additionnel à la famille, on ne trouve pas d'autres incitatifs pour la famille. On a mentionné, dans notre document, en ce qui concerne les engagements pour tes garderies ce qui n'était

pas clair là-dedans. On pense finalement aux problèmes des enfants qui quittent le milieu familial et à ce qui se passe à ce moment-là. Ce qu'il faut bien comprendre, M. le ministre, c'est que dans une famille - surtout une famille pauvre - il y a souvent des états de tension et de crise plus importants. Actuellement, quand on lit le document, on dit: Oui, iI y a plus d'argent. Mais en termes de soutien, en termes de reconnaissance... Par exemple, qu'est-ce qui arrive à une famille dont un des conjoints - et je terminerai là-dessus - décide de demeurer à la maison, simplement pour des raisons familiales, pour toutes sortes de choses? L'allocation baisse. Alors, nous disons que ce document, bien qu'il accorde plus d'argent lorsqu'il y a deux, trois ou quatre personnes dans un foyer, n'est pas très incitatif pour favoriser la famille et pour supporter la crise familiale. C'est là-dessus qu'on intervient. On n'intervient pas uniquement. Vous comprendrez que nos préoccupations, au-delà de l'argent, s'adressent aussi à la personne.

M. Paradis (Brome-Miasisquoi): Et les nôtres aussi.

Le Président (M. Bélanger): La commission des affaires sociales remercie l'Association des médecins de CLSC et suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 21)

(Reprise à 20 h 1)

Le Président {M. Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bonsoir! Je demanderais à chacun de bien vouloir prendre sa place afin que la commission des affaires sociales puisse procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques afin d'étudier le document intitulé "Pour une politique de sécurité du revenu". Nous recevons en premier lieu l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain, qui est représentée par Mme Lyna Savard, Mme Françoise Jutra Mme Suzanne Paquet, Mme Armande Labrecque M Alain Fortin, et Mme Lucie Villeneuve.

Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes ferme pour présenter votre mémoire. Je vous prierais avant de commencer de bien vouloir identifier d'une part votre porte-parole et d'autre part, les autres représentants de I'équipe. Chaque fois que vous aurez une intervention à faire en réponse aux questions des parlementaires, je vous prierais de bien vouloir donner votre nom pour les fins de transcription au Journal des débats. Je vous prierais de bien vouloir procéder. Merci.

Association pour la défense des droits sociaux du Québec

Mme Jutra (Françoise): M. le Président, mon nom est Françoise Jutra. Nous avons ici une feuille à distribuer. Je ne sais pas si avec votre permission...

Le Président (M. Bélanger): Aucun problème, madame. Est-ce que vous croyez vraiment que c'est pertinent à nos débats?

Mme Jutra: Vous allez comprendre un peu plus tard, M. le Président.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sous réserve.

Le Président (M. Bélanger): Qu'on le distribue sous réserve.

Mme Jutra: D'accord. L'image de I'épouvantait que nous vous avons distribuée avant cette audition représente le portrait-robot de ce que deviendra une personne assistée-sociale à la satisfaction de M. Paradis...

Le Président (M. Bélanger): Excusez-moi. Pourriez vous présenter vos autres représentants, s'il vous plaît?

Mme Jutra: Excusez-moi. À ma droite, Lucie Villeneuve. À ma gauche, Lyna Savard, Alain Fortin, Armande Labrecque et Suzanne Paquet qui n'est pas là. Est-ce que je peux procéder, M. le Président?

Le Président (M Bélanger): Je vous en prie.

Mme Jutra: Pour recommencer I'image de I'épouvantail que nous avons distribuée avant l'audition représente le portrait robot de ce que deviendrait une personne assistée sociale, à la satisfaction de M. Paradis, avec la réforme qui nous est proposée.

Avec le peu de nourriture que pourra s'offrir une personne assistée sociale, ce serait un bon régime pour avoir la taille aussi svelte qu'un bâton. Les personnes assistées sociales seront idéales pour le recyclage des vieux vêtements. Ils et elles n'auront plus de problème de logement, puisque un épouvantail est à l'oeuvre dehors 24 heures par jour, sept jours par semaine. Avec la réputation des assistés sociaux et assistées sociales que laisse sous entendre le document de réforme, ces personnes auront une réputation d'épouvantail, c'est-à-dire celle de faire peur. Les programmes proposés ne pourront que les rendre employables pour les champs de blé d'inde.

Cette réforme est basée sur I'incitation au travail par des mesures répressives, telles que des prestations à la baisse et des coupures. C'est à croire que les assistés sociaux et assistées sociales sont sur l'aide sociale par choix et qu'ils

et elles ne sont pas intéressés à retourner sur le marché du travail. Je vous ferai part, M. le Président, que M. Paradis n'a pas prêté l'oreille pour constater que beaucoup d'entre eux font preuve de bonne volonté et que beaucoup ont cru au début qu'ils et elles n'étalent que de passage au BS. Ils et elles se sont vite aperçu, après de multiples efforts pour s'en sortir, qu'ils et elles étaient tombés dans les sables mouvants. Ils et elles constatent très vite que les ouvertures pour des emplois permanents avec salaires et conditions de travail décents sont quasi inexistantes, c'est-à-dire des emplois qui permettront d'atteindre au moins le seuil de pauvreté de Statistique Canada et d'avoir des avantages sociaux au même titre que les autres travailleurs.

C'est en créant de véritables emplois que vous réussirez à réintégrer les ex-travailleurs et ex-travailleuses et que vous redonnerez de l'espoir aux jeunes. M. le Président, M. le ministre Paradis ne cesse de répéter que les assistés sociaux et assistées sociales, actuellement, ne sont pas assez qualifiés pour réintégrer le marché du travail et qu'il corrigerait cette lacune par la mise sur pied de programmes d'employabilité. Si l'on se réfère au programme actuel, nous constatons que c'est une fausse solution, car le programme de rattrapage scolaire ne sert qu'à obtenir un diplôme général, qui donne accès à quoi? Les programmes de travaux communautaires spécialisent les assistés sociaux et assistées sociales à laver la vaisselle, à laver les planchers et à d'autres travaux qui, en quelque sorte, ne demandent aucune spécialisation. D'ailleurs, beaucoup d'assistés sociaux et assistées sociales ont connu ce genre de travaux, pour y avoir laissé leur santé physique et mentale à cause des mauvaises conditions de travail et des abus des patrons. Pour ce qui est du stage en milieu de travail, vu que le M. le ministre Paradis est en période d'apprentissage en ce qui concerne le vécu des assistés sociaux et assistées sociales, serait-il intéressé de faire la "job" de ministre seulement pour gagner un chèque du BS? En tout cas, il serait une économie pour le gouvernement.

Dans l'ensemble, il n'y a rien qui laisse voir une amélioration des conditions de vie des personnes concernées. En d'autres mots, ils et elles ne seront qu'une économie dans le budget alloué à l'aide sociale. Lorsqu'ils ou elles seront en période d'attente pour être admissibles ou participants et participantes aux programmes proposés, ils et elles ne seront qu'un profit pour les patrons d'entreprise qui bénéficieront de cette main-d'oeuvre à bon marché pour un temps indéterminé. Tous les êtres humains ont besoin de se sentir utiles à la société, mais ils ont aussi besoin d'un travail qui améliorera leurs conditions de vie, ne serait-ce que de manger trois fois par four, de pouvoir s'habiller et de se loger décemment. Alors, il est peu demandé seulement que ces gens puissent gagner jusqu'au seuil de pauvreté de Statistique Canada, et cela en commençant par augmenter le salaire minimum. En réalité, les assistés sociaux et assistées sociales ne seront qu'une banque de main-d'oeuvre à bon marché qui servira à faire pression sur les travailleurs et travailleuses à faibles revenus, ce qui aura pour effet une détérioration nette des conditions de travail et un recul dans les acquis des travailleurs et travailleuses.

Alors, M. le Président, lorsque le ministre Paradis se dit surpris d'entendre le Conseil du patronat appuyer sa réforme, laissez-moi vous dire, M. le Président, qu'il est le seul à être surpris, car cela ne prend pas un diplôme pour deviner que la réforme proposée est grandement avantageuse au patronat. Les quelques millions qui seront versés pour maintenir de tels programmes permettront aux patrons de faire des profits qui ne seront pas négligeables.

M. le Président, avant de laisser la parole à ma collègue, il est important ici de souligner notre appui aux groupes qui, jusqu'ici, ont dénoncé le traitement irréaliste fait aux parents et chefs de familles monoparentales d'enfants de plus de deux ans. Nous, à l'ADDS, nous constatons que M. le ministre Paradis est loin de connaître la réalité de ces familles. Il oblige ces parents à participer à ses programmes bidons sans tenir compte, premièrement, du choix de certains parents de vouloir rester auprès de leurs jeunes enfants, ce qui ressemble, à mon avis, à une politique antifamiliale; deuxièmement, du nombre de places disponibles dans les garderies accréditées par l'Office des services de garde à l'enfance; troisièmement, des coûts réels de garde à domicile et des dépenses supplémentaires qu'apporte la participation aux programmes, et j'en passe. M. le ministre Paradis devrait consulter directement ces familles pour trouver des solutions à l'intégration sur le marché du travail pour ceux et celles qui en font le choix.

Dans l'ensemble, nous appuyons les groupes qui rejettent la réforme, entre autres, nous appuyons les revendications du Front commun des assistés sociaux et sociales du Québec. Je passe la parole à Lyna.

Mme Savard (Lyna): Je tiens à dire bonsoir à l'assemblée, pour commencer. M. le Président, mon nom est Lyna Savard et je vais vous entretenir de la notion de besoins. La notion de besoins pour l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec. Certes, vous comprenez que la notion de besoins est la charnière de l'assistance sociale, et cela depuis que la loi a été instituée. Toute personne en situations diverses de dénuement - oui, c'est tout à fait cela - telles que le chômage, le divorce, la violence conjugale, etc. doit pouvoir combler ses besoins essentiels. Que ce soit à court ou à long terme, l'État a le devoir de répondre adéquatement à cet être humain en difficulté. Assurément, c'est un État qui opte pour le bien-être des personnes dans la collectivité et qui démontre une inconditionnelle confiance dans les personnes, misant

ainsi sur l'économie des problèmes sociaux et non sur l'économie de capitaux.

En outre, tout individu possède les mêmes besoins essentiels, comme la nourriture, le vêtement, le logement, pour ne nommer que les besoins primaires. De même, il arrive souvent que des besoins spéciaux, eux aussi essentiels, s'ajoutent aux besoins de base, par exemple le port de lunettes ou d'un appareil de malentendant, la nécessité de déménager, la grossesse, le transport pour raisons médicales, le dédommagement pour cause de feu, etc. Ironie du sort, iI s'avère que les propositions de M. Paradis vont à l'encontre de ce que nous, à l'ADDS, concevons comme logique autour de la notion de besoins. (20 h 15)

En guise d'explication, permettez-moi quelques illustrations. D'abord, pouvez-vous vous imaginer construire une maison sans fondations et donner comme raison que vous allez réduire les dépenses? C'est ce que M. Paradis compte faire pourtant en soustrayant la notion de besoins, la base de la Loi sur l'aide sociale. Voici un autre exemple de l'humour de M. Paradis au sujet de la coupure de 115 $ pour partage de logement. Aurait-on idée de payer moins cher un travailleur ou une travailleuse qui consomme de la margarine que celui qui consomme du beurre? Eh bien, c'est encore un songe du ministre qui désire sabrer dans les besoins essentiels en pénalisant ceux et celles qui tentent de s'en sortir en partageant leur logement. La farce continue avec les besoins spéciaux qu'il faudrait bien soustraire à la majorité des assistés sociaux. L'État se garderait la grosse part du gâteau prétextant alors que ce gâteau ferait des jaloux entre les salariés au salaire minimum et les assistés sociaux inhabitués au partage.

En guise de conclusion, sur la notion de besoins bien entendu, l'ADDS dit à M. le ministre qu'on n'a pas vraiment besoin de sa drôle de réforme.

M. Fortin (Alain): Je suis Alain Fortin. Je vais vous parler de la parité. Nous, de l'ADDS, voulons une parité sans discrimination. La sorte de parité dans le document d'orientation de M. le ministre Paradis a pour effet de diminuer la prestation des plus de 30 ans. Il faut tout de suite donner la parité aux moins de 30 ans afin qu'ils rattrapent les prestations des plus de 30 ans. Vivre avec 178 $ par mois, c'est plus que difficile à tous points de vue. Cela met les jeunes à l'école du crime. La réforme rend dépendants les jeunes assistés sociaux. 7000 d'entre eux seront sans revenu. On surcharge la responsabilité parentale quand les enfants ont pius de 18 ans. La responsabilité parentale quand les enfants ont entre 2 et 18 ans est comme évacuée en obligeant les parents à aller sur le marché du travail.

Ce que la réforme fait, c'est appliquer le régime des prêts et bourses dans le régime de l'aide sociale. Les prêts et bourses sont déjà très contestés par les étudiants - eux-mêmes à cause même de cette fameuse dépendance des parents. Ce qu'il faut, c'est reconnaître l'autonomie de toute personne qui a 18 ans et plus, c'est-à-dire pas de notion de dépendance des enfants vis-à-vis des parents.

Dans la présente réforme, une personne peut rester dépendante des parents jusqu'à la retraite. La réforme telle que proposée isole et confine dans la dépendance quand, de façon systématique, on coupe de 115 $ les colocataires et quand on surveille, de façon indue, les femmes pour voir si elles ne sont pas soutenues par quelqu'un. Quant à l'augmentation de l'employa-bilité des personnes, c'est une autre façon de confiner dans la dépendance quand il n'y a pas d'emploi.

Dans tout cela, il ne faudrait pas oublier que nous sommes en pleine révolution technologique. La société est capable de produire plus avec moins de ressources humaines. Il est donc normal que le nombre des assistés dits aptes au travail augmente. D'ailleurs, les assistés sociaux n'ont pas besoin d'incitation au travail, car ils sont déjà tous à la recherche d'un emploi. Pour commencer, il y a pénurie d'emplois.

En terminant, notre société est rendue à un moment où il est nécessaire de donner un revenu garanti à tous.

Mme Villeneuve (Lucie): Lucie Villeneuve. Pour terminer, nous rejetons complètement la réforme de M. Paradis. Nous la considérons comme une malhonnêteté intellectuelle et de mauvaise foi, pour reprendre les mots du ministre. La réforme de l'aide sociale est trop importante pour qu'on la prenne à la légère. Nous trouvons que nous avons eu peu de temps pour amener toute la richesse du vécu de l'assisté social et notre propre projet de réforme. Pour ces raisons, nous exigeons une véritable consultation publique sur la réforme et une commission d'étude itinérante qui viendrait chercher ce que nous sommes capables de donner comme véritable réforme basée sur nos besoins. Merci.

Le Président (M. Bélanger): Je vous remercie infiniment. M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Misstsquoi): Vous me permettrez de débuter, M. le Président, en reprenant, comme je l'ai fait à plusieurs reprises, le tableau ou le portrait statistique de l'assisté social. Je suis conscient que, dans chacun des dossiers, une approche personnalisée est de mise, et c'est ce que préconise la réforme. Mais, quand même, la clientèle du ministère n'est pas, comme vous le savez sans doute, des plus faciles à réintégrer sur le marché du travail.

Vous avez comme clientèle à l'aide sociale approximativement 400 000 ménages Parmi ces 400 000, environ 25 % soit 100 000, sont des gens qui, durant leur vie, n'ont pas travaillé et ne travailleront probablement pas à cause d'un

handicap physique ou mental, bien que le gouvernement soit disposé à mettre à leur disposition le programme APTE avec des programmes adaptés de façon à ce que l'évolution technologique qui était dénoncée tantôt puisse leur servir à occuper, dans la société, un emploi rémunérateur. Cette clientèle de l'aide sociale est composée - et Mme la députée de Maisonneuve déteste que je la décrive - de 36 % d'individus qui sont des analphabètes fonctionnels, chez les aptes au travail, de 60 % d'individus qui n'ont pas complété leur cours secondaire et de 40 % qui n'ont aucune expérience de travail.

À partir de ces statistiques sommairement exprimées, il est clair que, même s'ils veulent travailler, même s'ils ont le goût de travailler, en ce qui concerne ceux qui sont aptes au travail, il y a de nombreuses barrières qui s'érigent entre ces personnes et le marché du travail. On en a des exemples frappants. Il s'est créé beaucoup d'emplois au Québec durant la dernière année, des emplois valorisants et des emplois à temps plein. Dans la province, il s'est créé quelque 122 000 emplois de janvier à janvier. Parmi ces emplois, il n'y en avait que 5000 à temps partiel. Donc, les autres 116 000 emplois étaient a temps plein. On a connu au Québec une baisse et des chômeurs et du nombre d'assistés sociaux de plus de 100 000.

Nous pensons que l'employabilité, c'est très important pour un individu pour qu'il ait une chance de se trouver un emploi. En Ontario, on a vécu une situation qui se rapproche du plein emploi. Le chômage a baissé en deçà des 5 %. Mais au même moment...

M. Fortin (Alain): M. le ministre. M. le Président...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais compléter le portrait et vous pourrez poser la question.

Le Président (M. Bélanger): Laissez M. le ministre compléter sa question. Par ta suite, vous pourrez répondre.

M. Fortin (Alain): Elle est longue, sa question.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): En même temps que le chômage a baissé quasiment au niveau de ce qu'on appelle le plein emploi, vous avez eu une augmentation du nombre des assistés sociaux. Il s'est produit un peu la même chose dans le comté que représente à l'Assemblée nationale Mme la députée de Maisonneuve. Au moment où il s'est créé plus d'emplois dans l'est de Montréal que dans les autres régions du Montréal métropolitain, on s'est rendu compte que te chômage n'a pas baissé. On s'est également rendu compte que le nombre d'assistés sociaux n'a pas baissé. Les emplois ont été occupés par des gens qui avaient un degré d'employabilité plus élevé et qui provenaient soit de la rive nord, soit de la rive sud, soit d'autres régions de Montréal. Et le gouvernement vient d'annoncer - Mme la députée de Maisonneuve remerciait le gouvernement publiquement la semaine dernière - un investissement additionnel et important dans l'employabilité des gens de l'est de Montréal pour que, lorsqu'une autre industrie s'établira, ces gens soient les premiers à occuper les emplois parce qu'ils posséderont les caractéristiques d'employabilité requises par l'entreprise.

Cette mise en situation m'amène plus directement dans le coeur des interventions que chacun ou chacune a faites. Mme Jutra a parlé de création d'emplois. Je pense que Je viens de répondre à cette question en partie. Maintenant, je l'inviterais à relire, parce que les témoignages qui sont donnés devant cette commission sont transcrits, le témoignage de Centraide sur cette question cet après-midi sur la création d'emplois. Je sais que vous êtes un organisme près de Centraide. Nous avions le plaisir et le privilège d'entendre cet après-midi le directeur général de Centraide en matière de création d'emplois qui a parié du rôle du gouvernement dans l'établissement d'un climat propice à la création d'emplois.

Vous parlez également, et c'est Mme Jutra qui l'a fait, de la question de l'augmentation du salaire minimum et vous craignez que les programmes d'employabilité aient une influence sur le gel du salaire minimum. C'est une crainte qui transpire dans votre mémoire. Je vous dirai que nous avons une approche différente du gouvernement précédent en ce qui concerne le salaire minimum. Le gouvernement précédent a choisi, lui, de geler pendant - vous avez dû les sentir très longues, ces années - cinq très longues années. Cela a dû être long pour Mme Harel aussi parce qu'elle me disait que chaque année elle intervenait en faveur d'une augmentation, mais qu'elle n'était pas écoutée par l'ancien gouvernement. Donc, le gel du salaire minimum a duré cinq longues années. Pendant la majorité de cette période, les prestations d'aide sociale ont été indexées trimestriellement.

Il arrive ce qui doit normalement arriver lorsque vous gelez le salaire minimum et que vous indexez trimestriellement les prestations d'aide sociale: L'incitation au travail disparaît complètement et on a un phénomène d'attraction vers l'aide sociale, qui sans doute n'était pas voulu par l'ancien gouvernement, mais qui s'est en fin de compte révélé fondé. Mme Jutra a parlé également de la politique antifamiliale préconisée par la proposition gouvernementale. Bien qu'elle semble bien posséder les interventions du Conseil du patronat devant cette commission parlementaire, les remarques que j'ai adressées aux groupes qui ont réclamé un statut spécial lorsqu'il y a présence d'un enfant de moins de six ans ou d'âge préscolaire à la maison, et les ouvertures que nous avons faites sur ce point lui ont sans doute échappé.

Je profite de l'occasion pour rappeler gentiment à Mme Jutra que le dossier n'était pas clos lorsqu'il y a eu dépôt du mémoire et que d'autres groupes sont venus réclamer certains ajustements, mais qu'il y a là toute la problématique de concilier la réintégration sur le marché du travail de la femme avec l'angle familial que l'on souhaiterait donner à un projet de loi dans ce domaine. Je prends note que Mme Jutra nous Indique également son appui total et complet du mémoire du front commun des assistés sociaux.

Je ne sais pas si je vais tenter de répliquer dans l'ordre ou de reprendre dans l'ordre les arguments. M. Fortin, non, je ne pense pas, oui on va passer immédaitement aux arguments de M. Fortin. La parité et tout de suite! C'est ce que j'ai retenu de M. Fortin. Vous n'êtes pas d'ailleurs le premier. À 178 $ par mois, il n'y a pas personne qui peut vivre avec cela. Le gouvernement actuel ne prétend pas qu'il y ait quelqu'un qui puisse vivre avec cela. J'aimerais vous entendre... si les programmes d'employabilité, que certains considèrent valables et que certains autres considèrent non valables, sont mis à la disposition des assistés sociaux dans la région que vous représentez, soit la grande région de Québec, de façon qu'ils obtiennent, par une participation à ces programmes dans le cadre actuel, la parité de l'aide sociale, ou si vraiment il y a carence, que les fonds n'existent pas, que les programmes n'existent pas et que les fonctionnaires pour les appliquer n'existent pas. Là-dessus, j'aimerais vous entendre, M. Fortin.

M. Fortin (Alain): J'aimerais parler un peu du salaire minimum. Le ministre dit qu'il a augmenté te salaire minimum, mais il oublie de dire que c'est à la suite des pressions populaires, des groupes populaires qu'il a augmenté le salaire minimum. Qu'il se rappelle l'opération beurre de 'peanut" dans le temps, il y a deux ou trois ans.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Il y a deux ans et demi.

M. Fortin (Alain): Nous avons peur que le salaire minimum soit gelé parce qu'il y a dans cela le gain d'exemption au travail de 155 $ par mois qui, en fait, est un nouveau salaire minimum. Les assistés sociaux vont travailler, mais ce qui va arriver, c'est que tout le monde va frapper à la porte des employeurs qui vont offrir des "jobs" à 155 $ par mois. Ce qui fait qu'il y a des gens au salaire minimum qui vont être congédiés pour se retrouver sur l'aide sociale, qui vont grossir tes rangs de l'aide sociale et qui vont passer par tout le cheminement qui est dans la réforme ici, et qui vont se retrouver dans des "jobs" à 155 $ par mois. La critique que je fais, parce qu'il faut être humaniste, c'est que les travaux communautaires et les stages en milieu de travail ne durent qu'un an chacun et, quand le jeune ne se trouve pas d'emploi, il se retrouve à 168 $ par mois. D'accord.

Je connais plusieurs personnes, des jeunes, qui se trouvent dans la criminalité parce qu'ils paient seulement leur logement et qu'ils ne se nourrissent pas. S'ils se nourrissent, ils vont à l'Auberivière et quêtent dans la rue. Ils sont tellement découragés qu'ils se retrouvent à prendre de la drogue, de l'alcool, etc. (20 h 30)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. Fortin, je vais tenter d'être un peu plus précis avec vous. Avant le souper, nous avons eu le témoignage de médecins de l'Association de médecins de CLSC du Québec qui nous ont dit que la seule façon qu'il y avait d'obtenir la parité ou la quasi-parité - dans le cas des mesures de rattrapage scolaire, ce n'est même pas la parité - c'était d'obtenir un certificat d'un médecin comme quoi quelqu'un est inapte au travail. On a convenu avec ces médecins et même avec l'Opposition que ce n'était pas la seule façon d'obtenir ta parité et qu'il y avait des mesures de participation pour un jeune. Ma question est la suivante: À la suite de l'expérience que vous avez comme personnes qui fréquentez ces milieux, lorsqu'un jeune désire obtenir cette parité ou quasi-parité et se présente dans un centre Travail-Québec, est-ce qu'il y a un manque de ressources financières, de ressources humaines de programmes qui lui sont offerts, de façon à ce qu'il l'obtienne immédiatement?

M. Fortin (Alain): Je vais parfois, dans les centres d'emplois et les jobs qu'il y a là, ce sont des jobs de représentants. Comme je...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je ne parle pas des emplois affichés, des offres d'emplois habituels, mais des programmes comme le rattrapage scolaire, les travaux communautaires ou le stage à l'entreprise. SI vous avez un jeune qui vous consulte comme organisme et qui n'a que 178 $ par mois, est-ce que vous le référez, dans le cadre de ces programmes, aux centres Travail-Québec?

M. Fortin (Alain): Nous avions un cas qui a été référé, mais ce jeune a 27 ans, il a fait des travaux communautaires, puis en tant qu'organisme, nous ne pouvons pas aller dans un stage en milieu de travail.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Cela va. Vous avez également touché la question des prêts et bourses aux étudiants, la contribution alimentaire parentale à l'aide sociale, et vous avez dit: Cette mesure est déjà très contestée dans la société, la notion de contribution alimentaire parentale. Je vous le concède. C'est une notion qui, en ce qui concerne les prêts et bourses aux étudiants, est déjà très contestée. Cette notion même a fait l'objet d'un débat au cours du congrès du Parti libéral en fin de semaine et majoritairement le congrès s'est prononcé contre le maintien de cette contribution alimentaire

parentale pour les prêts et bourses aux étudiants. Je ne vous expliquerai pas de quel côté ta délégation de Brome-Missisquoi a voté, je vais tout simplement vous poser là question suivante: Dans le cas où elle existe dans le programme des prêts et bourses aux étudiants, cette notion de contribution alimentaire parentale, ne pensez-vous pas qu'en l'enlevant dans le programme d'aide sociale, dans le programme APTE de la sécurité du revenu, parce qu'elle n'existe pas dans le programme Soutien financier pour les inaptes, vous maintenez là une incitation au jeune qui est aux études de quitter ses études et de devenir un prestataire de l'aide sociale, tout en vous avouant que, si elle n'existe pas pour les prêts et bourses, on pourrait également l'enlever au niveau de l'aide sociale?

M. Fortin (Alain): J'ai déjà été étudiant. Je pense que j'ai 10 000 $ en prêts et bourses. Quand j'irai travailler, ce que je vais rembourser... ce qui va me rester, c'est l'aide jsociale, même moins. Alors, pourquoi aller travailler, donner de l'espoir à un jeune, quand il n'y a pas de politique du plein emploi? Il y a 30 % de soi-disant aptes au travail qui ont une scolarité de onze ans et plus. Cela donnerait espoir aux autres si ces gens trouvaient un emploi. Il y a 40 % des décrocheurs au Canada. et une des raisons est qu'ils voient leur avenir bouché. Lucie aimerait prendre la parole.

Mme Villeneuve: Je suis prête à continuer à répondre à la question. Le ministre demande: Est-ce que ça ne contribuerait pas aux étudiants? Pour moi, présentement, les étudiants qui veulent être bénéficiaires de l'aide sociale, c'est bien difficile, parce que, quand on est étudiant, on ne peut pas recevoir de l'aide sociale. Cela fait longtemps qu'existe la dépendance de la contribution alimentaire aux prêts et bourses et il n'y a pas eu plus d'étudiants qui se sont en allés sur l'afde sociale à 150 $ par mois. Quand on est étudiant, on l'est au niveau du cégep et de l'université. On ne peut pas participer aux programmes de rattrapage scolaire. Donc, quel avantage aurait un étudiant d'être bénéficiaire de l'aide sociale, d'avoir moins que les prêts et bourses? Les prêts et bourses et l'aide sociale ce n'est pas équivalent.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Là, mathématiquement, vous me renversez. Il me reste à peine cinq minutes. J'ai déjà eu l'occasion de lire une citation du livre blanc sur la fiscalité écrit par Jacques Parizeau. Même dans le cas où on n'accorde pas la parité de l'aide sociale, où il y a discrimination contre les jeunes, il démontrait noir sur blanc, ce grand professeur d'économie, que c'était déjà plus payant d'être bénéficiaire de l'aide sociale que dans le système des prêts et bourses aux étudiants. Maintenant, si vous accordez la parité, comme le propose le document, cela va devenir encore beaucoup plus attrayant que dans le temps où M. Parizeau a écrit son livre blanc.

Mme Villeneuve: Si on accorde la parité avec les programmes d'employabilité, parce que la parité, présentement, c'est avec les programmes d'employabilité qu'on peut l'avoir.

M. Paradis (Brome-MIssisquoi): C'est exact

Mme Villeneuve: Quand tu es étudiant, tu ne peux pas participer aux programmes d'employabilité et étudier en même temps parce que, pour les rattrapages scolaires, il ne faut pas que tu aies fait ton cinquième secondaire. Tu ne peux pas faire le rattrapage scolaire avec ton cégep ou à l'université. La majorité des gens qui ont des prêts et bourses sont au cégep ou à l'université. Donc, ce n'est pas la même clientèle qui est touchée dans les deux cas.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Vous avez complètement raison là-dessus, mais disons qu'avec la parité, dans la pire des circonstances, le pire des barèmes que le jeune aurait avec la parité, durant la période des neuf premiers mois s'il ne va pas chercher ses gains pour exemption de travail, il tombe à 405 $ par mois. Et il ne s'agit pas d'un prêt, il s'agit d'une prestation d'aide sociale. Vous la multipliez, sur une base annuelle, par douze. Vous comparez cela à ce que vous pouvez obtenir en matière de prêts et bourses. Je pense que les jeunes savent calculer. Là-dessus, je vais céder mon droit de parole à Mme la députée de Maisonneuve. Il ne me reste pas de temps.

Le Président (M. Bélanger): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Pour reprendre le même exemple que le ministre, il est fort vraisemblable que ce jeune n'ait pas 405 $ mais 305 $, compte tenu de la contribution parentale minimale de 100 $ à titre de dépendant. Donc 305 $, en ne parlant évidemment pas de partage de logement. S'il y avait partage de logement, s'il était à la fois avec un statut de dépendant et en partage de logement, ce serait 305 $ moins 115 $, donc éventuellement 190 $. On revient donc à la case de départ. On revient à la case de ce qu'il a présentement sans même participer, tout en pouvant multiplier et en participant au programme.

Au fond, je veux faire juste une petite intervention de départ. Vous allez remarquer, parce que je pense que vous êtes venus précédemment assister à l'audition de quelques autres mémoires, qu'il y a une sorte de mise en scène. Chaque fois qu'il y a un groupe qui vient, le ministre intervient de la même façon. Moi, personnellement, de l'entendre décrire le profil et les caractéristiques d'analphabétisation et de sous-scolarisation de la clientèle de l'aide

sociale, ce n'est pas cela qui me dérange. Mais je pense que cela devrait le déranger et j'attends son grand plan de campagne pour la scolarisation.

Ce qui me dérange, c'est qu'il a les mots pour le dire et qu'il n'a aucun moyen pour le faire. Cela me dérange beaucoup, par exempte. Cela me dérange de savoir que le ministère de l'Éducation n'a pas l'air d'entendre son message parce qu'il a coupé 20 000 000 $ au programme de la formation des adultes. Cela me dérange aussi de penser qu'il reprend l'idée que le chômage a baissé jusqu'à ce qu'on appelle le plein emploi. Je suis sûre que cela lui a échappé. Je suis sûre qu'il ne va pas le répéter, mais c'est transcrit. Demain, je vais le lui montrer et je suis certaine... Vous partiez pour l'Ontario?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui.

Mme Harel: Ah bon! D'accord.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): C'est transcrit. Demain, vous me le montrerez.

Mme Harel: C'est pour l'Ontario. Si c'est pour l'Ontario, voyez-vous, on en est loin encore. Je regardais, à l'heure du souper, les rapports d'emploi sur la population, le rapport d'activités, et malgré le taux de croissance, c'est malheureusement un rapport qui se maintient, bon an mal an, à 56, 8 % à peu près, quelque chose comme cela. Voyez-vous, cela est très rapide. Je le lui répète et il n'a pas l'air de vouloir le comprendre. Je pense que, pour se sécuriser, il s'est construit mentalement toute une façon. C'est un mécanisme de défense. Cela existe. On étudie les mécanismes de défense de la part de ceux qui seraient obligatoirement tenus de participer aux mesures, mais là on est devant le mécanisme de défense du ministre, qui me renvoie toujours à la somme de 12 000 000 $ supplémentaires - merci, M. le ministre - qu'il a allouée sur trois ans aux 22 000 chômeurs et 10 000 assistés sociaux de l'est de Montréal. Mais je lui rappelle que, justement, c'est grâce à la vigilance des gens de l'est - je le répète, car c'est vrai; d'ailleurs, même mon homologue fédéral, M. Malépart, le dit - que nous avons pu obtenir ce qui est un programme expérimental, un programme de formation qui n'a rien à voir avec les mesures contenues dans le document d'orientation.

Justement, les mesures sont des mesures de formation générale - vous en parliez vous-même dans votre mémoire - tandis que ce qu'on a pu obtenir du ministre, c'est un projet expérimental de formation à l'emploi. On ne sait pas encore ce que cela va donner, mais on est prêts à donner libre cours à une sorte de consultation du milieu et à la soutenir parce que je souhaite, justement, qu'il puisse y avoir un vrai plan de campagne de formation professionnelle, pas seulement une litanie. Le ministre nous fait une litanie. Cela me fait penser aux processions de la Fête-Dieu, quand on faisait des grandes litanies. Il nous fait ta litanie de la sous-scolarisation et de l'alphabétisation, mais il ne passe pas aux actes. À un moment donné dans la vie, vous savez, il ne faut pas juste conter fleurette, il faut passer aux actes. Là-dessus, on n'a pas de plan de campagne du ministre.

Je lui rappelle simplement que dans l'est, si le chômage n'a pas baissé, ce n'est pas tant parce que les gens d'ailleurs sont venus prendre les emplois qui s'ouvraient, c'est parce qu'en cinq ans 7000 emplois sont disparus à la suite de licenciements et de fermetures.

Je pense que c'est la dernière fois que je vais lui en parler. Comme cela, je me dis: Ce sera dit, s'il ne comprend pas, ce n'est plus ma responsabilité. Je reviens avec votre notion de besoins. Vous nous dites: II y a des besoins. Vous nous avez parlé de l'ensemble des besoins dits essentiels. Je faisais la comparaison entre la définition qu'on retrouve dans l'étude qui a servi à la définition des seuils de revenu minimum au Québec... C'est une étude sur laquelle le ministère fonde toute sa définition des besoins actuels pour modifier les barèmes. Avant, il prenait les barèmes du dispensaire diététique de Montréal sur les besoins, maintenant, il prend cette étude sur les dépenses de consommation des familles à très faible revenu. Savez-vous combien de familles, de ménages ont participé à l'étude du ministère, pour qu'on fasse une proposition pour modifier les barèmes de centaines de milliers de ménages? J'ai vu dans un document du ministère qu'il y a, au maximum, 62 ménages. C'est à partir de cela qu'on définit les besoins. Quand on les regarde, même dans l'étude du ministère - je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de l'examiner - il n'y avait pas seulement les besoins suivants: alimentation, logement, entretien ménager, soins personnels, habillement, communications, articles et accessoires d'ameublement, transport, loisir; il y avait aussi lecture, tabac et alcool - quelle luxe - dépenses diverses, sécurité - j'imagine que ce doit être des assurances - dons et contributions. Cela, c'est disparu.

Quand on examine les besoins essentiels de 1989, dans le document du ministère, et ceux de 1985, dans l'étude, on se rend compte qu'il y en a pour lesquels cela coûte moins cher. Cela coûte moins cher en 1989 que cela coûtait en 1985. Je me suis dit... Vous n'avez pas pu prendra connaissance de l'étude? J'ai pensé que vraiment il y avait là un miracle que j'aurais aimé que le ministre nous explique. Comment est-il possible qu'en 1989, sur le plan de l'habillement, cela coûte moins cher en 1989 qu'en 1985. Il en est de même pour l'ameublement, pour les transports, pour les loisirs. Il serait certainement Intéressant de savoir comment il est possible, en 1989, de prévoir des besoins essentiels moindres que ceux qui étaient prévus dans l'étude du ministère sur

les seuils de revenu minimum selon la taille du ménage sur une base mensuelle, premier décile des ménages de travailleurs. (20 h 45)

Sur les besoins, je pense que si vous pouvez, ce soir, nous faire part de l'expérience que vous avez... Dans votre mémoire, au début, vous nous dites que vous offrez un service de soutien, de consultation, d'appui. Il y a certainement des personnes qui vous ont appelés aujourd'hui ou la semaine passée. Quel est, finalement, le type de problèmes qu'elles vous présentent? Quelles sont les difficultés qu'elles rencontrent? Quelles sortes de personnes s'adressent à vous pour obtenir vos services? J'aimerais savoir un peu ce que c'est Et si vous êtes dans la région de Québec, de quelles sortes de personnes s'agit-il? Vous-même, êtes-vous assistée sociale?

Mme Jutra: Je suis une ex-assistée sociale, et depuis peu du programme prêts et bourses.

Mme Harel: Êtes-vous retournée aux études?

Mme Jutra: Oui, je suis à l'université présentement, grâce au programme des prêts et bourses, depuis janvier 1988.

Mme Harel: Cela fait plaisir.

Mme Jutra: J'étais une assistée sociale avant.

Mme Harel: Alors, parfois cela a du bon quand même.

Mme Jutra: Oui, je l'ai été trois ans. Ce sont trois années d'expérience qui ne sont pas drôles, mais qui m'ont beaucoup appris.

Je suis venue à l'audition d'autres groupes quand M. le ministre Paradis a dit: Amenez-moi un cas d'inapte qui serait pénalisé. J'ai tout de suite pensé au cas d'une femme qui avait des handicaps multiples et qui nous a appelés. Par handicaps multiples, nous entendons quatre vertèbres cervicales qui lui manquaient; donc, elle n'avait pas de cou. Elle avait un pied bot Elle avait une tige de fer dans une jambe. Elle avait entendu dire qu'elle pouvait avoir le supplément au revenu, un supplément de 100 $. Alors, elle a fait les démarches. Au bout de quatre mois, n'ayant pas de nouvelles pour savoir si elle était acceptée pour le supplément ou non, elle appelle pour savoir ce qui arrivait avec sa demande. Ils lui ont dit qu'elle n'était pas admissible à ces 100 $ supplémentaires parce qu'elle n'était pas paraplégique, ils lui ont dit: C'est normal, c'est la loi. Cette femme m'a dit qu'en plus on lui avait enlevé 85 $ parce qu'elle restait avec sa mère de plus de 80 ans. J'ai trouvé cela aberrant. Je me suis dit: II faut que j'allie m'informer aux bonnes sources. Alors, j'ai dit: Madame, on vous rappellera pour vous dire si vous avez droit aux 100 $ supplémentaires.

J'ai téléphoné au bureau régional pour m'informer si elle avait vraiment droit à cette somme de 100 $. Effectivement, elle n'y avait pas droit parce qu'il faut vraiment ramper ou aller faire sa demande en chaise roulante, il faut être paraplégique ou avoir des maladies, grandes comme le bras, que personne ne connaît. Profitant de l'occasion, je lui ai dit: C'est aberrant que cette femme qui ne peut pas rester seule - et en plus elle reste avec sa mère de plus de 80 ans - soit privée de 85 $. Mais elle me dit: C'est la loi, toute personne qui partage avec un parent perd 85 $. J'ai dit: Ce n'est pas 65 $ pour une personne seule? Non, c'est seulement la base; si elle paye moins que 65 $, elle sera coupée. Mais pour rester avec un parent, c'est 85 $. En plus, avec ce qui s'en vient, avec la réforme qui s'en vient, elle ajoute: Cette personne va être privée de 115 $ quand la réforme sera appliquée. Alors, je trouve cela aberrant. Une personne qui n'a pas le choix de rester...

Mme Harel: Qui vous a informée? C'est la personne... Qui vous a...

Mme Jutra: C'est la directrice. Claire Roy, la directrice du bureau régional de Québec qui lui a dit qu'elle aura 115 $ de moins, qu'elle peut se compter chanceuse - elle n'a pas dit cela, mais je peux déduire qu'elle est chanceuse maintenant à 85 $, parce qu'il s'en vient..

On a souvent des cas comme cela. Des fois, des erreurs administratives qu'on rajuste sur un mois. Mais qu'est-ce qui arrive avec les besoins pendant le mois où il y a rajustement? Comment les personnes font-elles pour manger? Comment font-elles pour arriver le mois où les rajustements se font? Si une personne nous appelle pour nous dire qu'elle a eu 104 $ de trop parce qu'elle ne savait pas exactement comment procédait son entrée dans un programme... En plus, elle fait preuve de bonne volonté. Elle participe à un programme d'employabilité actuel. Elle s'embarque dans ce programme. Parce qu'elle est entrée, d'après les modalités, le 18 janvier, elle devait partir. Le supplément devait rentrer en calculant à partir du 18 janvier, mais on lui a envoyé la totalité du mois. Mais lui, il ne le savait pas. Il reçoit une lettre en février lui disant qu'il avait trop perçu, qu'ils lui coupaient, dans le mois de mars, la somme de 104 $. Le monsieur a dit: Comment je vais faire au mois de mars? On m'enlève ce qu'on me donne d'une main. C'est continuellement comme ça. On trouve continuellement des raisons de couper. Dans les besoins essentiels, où coupe-t-on? Sur la nourriture, parce qu'on a besoin d'un logement. Le propriétaire attend le loyer. On n'a pas le droit, nous, de retarder nos paiements, de retarder notre loyer. Il y a des procédures qui font qu'il revient contre nous. Il faut s'habiller aussi. Là, on a le recyclage des vieux vêtements; ce n'est pas si pire. On arrive à s'en sortir. Il va peut-

être y avoir une taxe là-dessus. Mme Harel: Écoutez...

Mme Jutra: C'est tout cela. Ce sont des coupures, coupures, coupures, sur les besoins essentiels.

Mme Harel: Oui, cela me fait bien comprendre. En ce qui concerne le partage du logement, dans le document du ministre, les personnes qui sont admissibles au Soutien financier ne verraient plus le montant de 85 $ ni de 115 $ leur être réduit. Mais tous les ménages qui sont au programme APTE et au programme APPORT, et on oublie parfois, parmi les ménages au programme APPORT, les familles monoparentales du programme APPORT, je pense que c'est plus que 115 $. Je crois que c'est un montant de 160 $ qui leur serait réduit. J'ai l'impression que cela peut "désinciter" d'ailleurs beaucoup de femmes à retourner sur le marché de l'emploi sachant que c'est si peu incitatif sur le plan des gains de travail avec ces 160 $ par mois de réduction s'il y a partage. C'est aussi dans le cas du programme APTE. La personne qui vous mentionnait le trop-perçu qui lui était réclamé, c'est parce qu'elle avait participé à un programme, me dites-vous?

Mme Jutra: En janvier, elle a été admissible à un programme.

Mme Harel: Lequel? Le savez-vous? Mme Jutra: Travaux communautaires.

Mme Harel: Elle avait commencé à participer aux travaux communautaires.

Mme Jutra: Elle a participé le 18 janvier exactement.

Mme Harel: Et les 18 premiers jours...

Mme Jutra:... ne comptent pas pour le supplément, parce qu'ils calculent à partir du moment où elle était admissible au programme.

Mme Harel: À ce moment-là, elle avait, de bonne foi, mentionné toutes les informations qui lui avaient été réclamées...

Mme Jutra: Oui.

Mme Harel:... la date du début de son programme. À ce moment-là, c'était une erreur administrative. C'est cela?

Mme Jutra: Oui, exactement.

Mme Harel: La crainte énorme que j'ai, c'est qu'avec la multiplication des catégories et le fait que les catégories ne soient plus néces- sairement uniquement fonction du statut marital, mais du nombre d'enfants, de l'âge des enfants, imaginez-vous toutes les possibilités d'erreurs administratives qui seront toujours imputées au bénéficiaire, parce que les erreurs administratives sont toujours payées par tes mêmes. C'est bien cela?

Mme Jutra: Oui.

Mme Harel: Elles sont toujours redevables à ceux qui, au fond, ne les auraient pas commises. Dans le cas qui nous intéresse, elle a donné toutes les informations. C'est cela?

Mme Jutra: Oui. Toutes les informations étaient là.

Mme Harel: II ne me reste que trois minutes. J'aimerais savoir si vous avez des informations concernant les travaux communautaires ici, dans la région de Québec, ou encore les stages en entreprise. Est-ce qu'il y a des expériences, qui ont été portées à votre connaissance, sur les stages en entreprise? Est-ce que cela a été satisfaisant ou pas? Concernant les travaux communautaires, est-ce qu'il y a des expériences intéressantes qui se seraient faites? Est-ce que tous tes organismes bénévoles ou communautaires qui veulent ouvrir des stages en ont ta possibilité? Il y a des gens de Nicolet qui sont venus nous dire que les budgets étaient complètement plafonnés et que même les organismes ne pouvaient plus avoir de bénéficiaires qui y participent. Est-ce qu'à votre connaissance cela s'est présenté dans la région de Québec aussi? Est-ce que le rattrapage scolaire est possible sans plafonnement?

Mme Jutra: Je peux quand même dire que je connais des organismes qui ont présentement des assistés sociaux participant aux programmes de travaux communautaires. Ils prennent justement de la main-d'oeuvre des programmes de travaux communautaires parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer des salaires décents à ces personnes. Non pas parce qu'ils n'ont pas les qualifications, c'est tout simplement que l'organisme accrédité n'en a pas les moyens. On est perdants parce qu'ils n'auraient jamais les moyens; ils sont plafonnés. En tout cas, je peux laisser la parole à Lyna qui peut répondre un peu plus à votre question.

Mme Savard: Je peux répondre de deux manières. Premièrement, concernant le vécu des gens sur les travaux communautaires, pour y avoir participé un peu cet été. moi aussi, ce que je peux tout simplement dire, c'est que j'avais une fonction dans un bureau étant un peu plus instruite que les autres personnes. Les gens que j'ai vus défiler dans ce bureau cet été, c'était assez triste de les voir prendre leur petit 100 $ qui leur était versé par l'employeur, le reste

étant fourni par le ministère. Mais que faisaient ces gens-là? Ils faisaient du ménage chez des personnes âgées. Ils faisaient cela durant un, deux ou trois mois. Certains laissaient et d'autres entraient; on était toujours à refaire la liste des employés. On ne faisait quasiment que cela. Ces gens n'étaient pas du tout valorisés par le travail et, pour eux, ce fameux programme n'était pas un programme d'employabilfté, mais une façon d'avoir au moins environ 400$ par mois pour vivre tout simplement un petit peu. Ces gens qui ont réussi à se placer, à se garder...

Mme Harel: C'étaient des Jeunes de| moins de 30 ans?

Le Président (M. Bélanger): Mme Harel.

Mme Savard: Excusez-moi, Mme Harel, les personnes qui ont réussi à se garder un poste, c'est une minime partie, environ 20 % des gens qui ont réussi à se placer chez une personne âgée qui leur payait un petit salaire pour les soins domestiques, mais encore, sans conditions de travail décentes. Ces personnes, on pouvait toujours les congédier du jour au lendemain. Enfin, c'est la petite expérience que j'ai sur le vécu des personnes dans ces travaux. Ce n'est pas du tout rose, comme semble vouloir le dire M. Paradis, et j'espère qu'il m'écoute en ce moment. Je ne sais pas si...

Je voulais aussi ajouter, concernant les projets sur les travaux communautaires, qu'on oublie beaucoup là-dedans qu'il y a plein de gens, des jeunes et des moins jeunes, qui ont des projets et qui les ont soumis maintes fois à différents ministères. Malheureusement, ces projets sont pleins de poussière et on ne s'en est jamais servi. Ces gens sont encore sur t'aide sociale depuis deux ans, cinq ans ou dix ans. Ils ont des projets et ils ont des idées, mais ils n'ont même pas le temps de pouvoir les réaliser parce qu'ils se débattent toujours avec le BS qui coupe ici et qui coupe là, et il leur arrive plein d'affaires. Ils doivent toujours se démener dans cette bureaucratie et ils ne peuvent jamais se réaliser. Ce n'est surtout pas eux, encore une fois, avec la réforme de M. Paradis qui pourront le faire, parce que ce seront les entreprises qui profiteront de la réforme. Je pense que tout le monde a compris.

Le Président (M. Bélanger): C'était tout le temps à la disposition de...

Mme Jutra: Merci.

Le Président (M. Bélanger): Du côté ministériel, on me dit qu'il reste trois minutes. Brièvement, M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Seulement un commentaire. Tantôt, Mme Jutra a soulevé la question du partage du logement chez une personne qu'elle a, je pense, exactement décrite comme quelqu'un qui serait admissible au programme Soutien financier. C'est une erreur fondamentale, mais je ne vous en tiens pas rigueur. Vous me l'avez expliqué de deux façons. Le groupe qui était venu avant vous avait commis ce genre d'erreur flagrante, mais il aurait dû être mieux renseigné.

Vous m'avez dit que c'est quelqu'un d'un centre Travail-Québec ou d'une direction régionale qui vous a donné l'information. Auriez-vous l'obligeance, après notre séance, de rencontrer Mme Dussault, de mon cabinet, pour que l'on vérifie parce que c'est possible que cette information vous ait été transmise. Ce que je tiens à vous dire, et je tiens à remercier...

Mme Harel: Elles ont déjà dit que c'était la directrice de la région. Est-ce exact? (21 heures)

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Nous prenons acte et nous ne tenons pas rigueur. Je tiens également à remercier Mme Harel qui a rapidement souligné le fait qu'il s'agissait également d'une inexactitude. Je vous dirai que, depuis deux ans, dans mon courrier de ministre responsable de l'aide sociale, des députés de l'Assemblée nationale, de façon répétitive, me dénoncent ces situations où le gouvernement applique une politique de désinstitutionnalisation. En même temps, lorsque cette personne sort de l'institution, va demeurer chez un parent qui en prend soin, on lui coupe sa prestation d'aide sociale pour partage du logement. Ce sont les députés des deux côtés de la Chambre qui m'écrivent à ce sujet, ce qui est malheureusement le cas au moment où nous nous parlons, sans réforme de politique de sécurité du revenu.

Mais ce qui est également exact, et Mme la députée de Maisonneuve l'a souligné et, si c'est le cas, la directrice régionale aurait dû également vous le souligner, c'est qu'avec la politique de sécurité du revenu, dans le cas du programme Soutien financier, ii n'y aura ni partage du logement ni contribution alimentaire parentale, et ce sera en moyenne une hausse de prestation d'environ 1000 $ sur une base annuelle, par personne qui sera admissible à ce programme.

C'était là l'essentiel des commentaires que j'avais à faire. Je tiens à vous remercier du travail que vous effectuez auprès des assistés sociaux. Vous prenez la défense de leurs droits. Vous faites valoir leurs droits. Il faut que dans la société il y ait des groupes qui continuent à le faire. Je vous remercie de votre intervention.

Le Président (M. Bélanger): La commission remercie l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain et invite à la table des témoins le prochain groupe...

Mme Harel: Auriez-vous aimé compléter?

Mme Jutra: Oui, J'aurais aimé compléter, M. le Président.

Le Président (M. Bélanger): Très brièvement, s'il vous plaît

Mme Jutra: Brièvement, c'est seulement pour que M. Paradis arrête un peu sa litanie pour ce qui le concerne. S'il veut savoir pourquoi à l'est du Québec on n'a pas engagé des assistés sociaux, c'est à cause de la réputation qu'il a faite aux assistés sociaux. La réputation de fraudeur...

Le Président (M. Bélanger): Je m'excuse...

Mme Jutra: Juste une chose. Est-ce que je peux dire à la dame qu'elle peut avoir ses 85 $?

Le Président (M. Bélanger): Non. M. le ministre vous a invitée à voir Mme Dussault qui vous expliquera ou qui verra les procédures à prendre dans le présent cas.

Mme Jutra: D'accord.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Sous le système actuel, elle ne les aura pas.

Le Président (M. Bélanger): La commission vous remercie donc. J'invite la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec qui seront représentés par M. André Boivin, Mme Dominique Drolet, Mme Hélène Saucier, M. Alain Dubois et M. Jean-Noël Deschênes.

Je demanderais à chacun de bien vouloir reprendre sa place afin que nous puissions entendre l'exposé de la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec. Vous connaissez nos règles de procédure. Vous avez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Je prierais donc votre porte-parole de se présenter et de présenter chacun de ses représentants ou de ses coéquipiers, et chaque fois que vous avez à intervenir, de bien vouloir donner votre nom. C'est pour les fins de la retranscription du Journal des débats. Ces gens sont dans une autre pièce et ne vous voient pas. Alors, s'ils n'entendent pas votre nom, ils ne sont pas capables d'identifier les voix. Je prierais donc le porte-parole de s'identifier et de procéder à la lecture du mémoire. Merci.

Corporation professionnelle

des conseillers et conseillères

d'orientation du Québec

M. Boivin (André-G. ): Merci, M. le Président Je voudrais commencer par vous présenter la personne qui est à mon extrême gauche, Mme Dominique Drolet. À ma gauche, Mme Hélène Saucier; à ma droite, M. Alain Dubois et votre serviteur, André Boivin.

Je voudrais tout d'abord vous remercier de nous accorder l'occasion, surtout en cette fin de journée qui est aussi difficile pour vous que pour nous de venir... J'aimerais que notre mémoire soit présenté comme une occasion de réfléchir ensemble. Cela va peut-être aider à mieux finir la journée.

La corporation que nous représentons compte 1400 membres et je pense que ce n'est pas superflu ici de préciser certaines choses. On connaît beaucoup les conseillers et les conseillères d'orientation pour leur travail dans les écoles. À première vue, on peut se demander ce qui motive ou ce qui intéresse les conseillers et conseillères en orientation à parler de la réforme de l'aide sociale.

C'est qu'en plus de ceux qui travaillent dans les écoles et qui ont souvent affaire aux bénéficiaires de l'aide sociale, plus de 50 % de nos membres travaillent en dehors des écoles secondaires et 30 % de nos membres travaillent directement avec des adultes bénéficiaires d'aide sociale. Donc, on retrouve, depuis dix ans, des conseillers et des conseillères d'orientation en réhabilitation et en main-d'oeuvre, en plus de les retrouver en éducation.

Notre formation en orientation a fait de nous les spécialistes d'une relation dynamique qui existe entre l'individu et le travail. C'est-à-dire que l'orientation peut être vue comme le point d'équilibre entre ta lecture que je fais de moi, de mes aspirations, de mes motivations, de mes capacités et la lecture que je fais de l'environnement dans lequel se trouve le travail. Donc, en tant que spécialiste, de cette relation dynamique qui existe entre l'individu et le travail, nous offrons entre autres aux bénéficiaires de l'aide sociale des services de quatre ordres. D'abord, des services d'évaluation d'intérêts, d'aptitudes, de personnalité, de situations psychosociales. Nous offrons également des services de relations d'aide, que ce soit du "counselling" d'emploi, vocationnel ou psychologique.

En troisième lieu, nous offrons aussi des services d'information sur la réalité du marché du travail et, enfin, des services de suivi sur l'aspect de la recherche d'emploi, l'aspect du maintien en emploi. Nous avons concentré notre mémoire surtout sur un point et quelques autres petites considérations, non pas qu'on est d'accord avec tous les aspects du mémoire, mais plusieurs groupes sont venus ici et viendront répéter souvent la même chose. On a voulu, en plus de toucher quelques points, insister beaucoup sur la notion d'employabilité qui nous semble fondamentale dans le projet de réforme.

Ce qu'on a à vous proposer, à vous présenter, c'est un concept d'employabilité que nous trouvons plus facile à "opérationaliser", et plus facile à utiliser comme instrument, comme approche pour arriver à un succès avec les différents programmes offerts. M. Dubois, à ma droite, va vous présenter la partie sur l'employa-

bilité. Mme Drolet, à mon extrême gauche vous pariera des quelques autres aspects.

M. Dubois (Alain): Alain Dubois. Je vais commencer par la définition qui est donnée dans le document. C'est que l'employabilité est considérée comme l'adéquation entre certaines caractéristiques de la personne et la nature des emplois disponibles sur le marché. Ce qu'on peut considérer de cette définition, c'est que cela donne quand même une orientation au projet. D'un autre côté, cela reste très vague et cela laisse place à beaucoup d'interprétation. De l'expérience de beaucoup d'entre nous auprès de personnes moins favorisées par rapport à l'emploi, on a retenu une définition d'employabilité, c'est-à-dire de parier beaucoup plus précisément de l'ensemble des préalables, des habiletés, des comportements et attitudes qu'une personne doit posséder à un niveau minimal afin de chercher, trouver et conserver un emploi.

À ce moment-là, c'est possible de partir de cette définition et de reconnaître les caractéristiques d'une personne employable et aussi j d'avoir des styles d'intervention avec elle. Un des buts qu'on a, ce n'est pas seulement d'évaluer, mais aussi d'être capable d'aider des gens à développer leur employabilité. L'employabilité, qu'est-ce que cela peut comprendre? Cela comprend d'abord les prérequis généraux, les caractéristiques essentielles à posséder avant d'entreprendre une intégration au marché du travail. On pense à une autonomie sociale. On pensé à la santé physique et mentale, et aussi à une] chose qui est souvent oubliée, avoir un projet voca-tionnel réaliste et réalisable. Bien souvent dans les programmes de stages en entreprise, des stages ont échoué justement parce que le stage ou le programme de travail communautaire ne correspondait pas au projet vocationnel |de la personne. Pour nous, ce qui est important, c'est aider chaque personne à actualiser ses potentiels et partir de ce qu'elle peut apporter sur le marché du travail.

Un autre point important, ce sont tes habiletés particulières à un secteur d'emploi concerné. On parle des compétences, des aptitudes, du tempérament et de la formation relatifs au rendement quantitatif et qualitatif attendu. C'est sûr que, lorsqu'on parle d'une habileté particulière, cela change pour chaque emploi. Une personne sur ce point-là, par exemple, sera employable dans un emploi jet pas dans un autre. À ce moment-là, il est Important d'être capable de cerner avec elle quelles sont ses habiletés particulières à un secteur d'emploi.

Un autre point important, ses habiletés de recherche d'emploi. On insiste beaucoup sur les méthodes dynamiques de recherche d'emploi et toutes ces techniques, mais on oublie souvent les ressources affectives qui sont nécessaires à la personne pour chercher un emploi. Cela peut aller comme ce que j'ai retrouve dans un dépliant "Méthodes dynamiques de recherche d'emploi" où l'on disait: Chercher un emploi est un emploi à temps plein. Vous êtes supposé faire ça 40 heures par semaine. Personnellement, pour avoir vécu une période de chômage prolongée et pour accompagner des personnes qui le vivent, c'est premièrement culpabilisant de se faire dire ça et, deuxièmement, ça prend quelqu'un qui a un degré d'estime de soi et d'intégration personnelle au-dessus de la moyenne des gens. Ce qui est à peu près impossible è trouver. Il faut aussi tenir compte des effets détériorants de l'absence de travail. À ce niveau-là, les personnes n'ont souvent plus les ressources pour chercher un emploi.

Un autre point, c'est l'adaptation au travail. C'est l'ensemble des qualités ou compétences interpersonnelles qui permettent à l'individu d'Interagir adéquatement avec son milieu de travail. Ce sont des choses qu'on a pu apprendre à l'école, face aux nouveaux emplois comme les emplois d'été, mais ici il peut être question des personnes qui n'ont pas été favorisées, soit par leurs expériences de vie antérieure ou tout simplement par leur période plus mouvementée dans le système scolaire. Elles n'ont pas pu développer ces habiletés, de sorte qu'elles seront rejetées par le marché du travail.

Dans le but de présenter cela de façon un peu plus concrète, on vous a donné des exemples. Cela ne correspond peut-être pas au portrait statistique des assistés sociaux qu'on répète souvent, mais ça correspond à notre expérience clinique. Ce sont des personnes qui existent dans les faits et on a seulement changé les prénoms. C'est pour montrer aussi que lorsqu'on n'apporte pas la bonne mesure à quelqu'un, c'est tout simplement la "chroniciser" davantage dans le système. On va prendre le premier exemple: Claire qui est une finissante du cégep de 1985 en techniques de travail de bureau n'a pas pu travailler dans son domaine. On lui propose des mesures pour améliorer sa recherche d'emploi. Pourtant, l'absence de travail l'a amenée à douter de ses capacités, à être déprimée et à perdre ses compétences professionnelles par manque de pratique.

À certaines personnes comme celle-là, offrir, à répétition, des techniques de recherche d'emploi ou lui refaire commencer des groupes qui passent tous par là, c'est toujours lui donner l'impression qu'elle va revenir toujours au même point. Ce qui importe avec elle, c'est de partir de ce dont elle a besoin et de définir cela avec elle. Il est clair dans sa situation que ses principales limites se situent dans les habiletés spécifiques par suite d'un manque d'expérience de travail et aussi dans des habiletés de recherche d'emploi du côté des ressources affectives pour chercher un emploi. Pour quelqu'un de déprimé, c'est assez difficile d'aller chercher un emploi. Je ne pense pas que ce soit une technique de recherche d'emploi viable de se mettre à pleurer dans une entrevue de sélection. C'est pourtant ce qui est arrivé. La personne dira: Je ne peux pas

l'engager; elle est Instable émotivement. À ce moment-là, ce qui importe, c'est de travailler ces points avec elle, avant de penser à la recherche d'emploi.

Une autre situation peut être très différente. Pourtant, la personne se retrouve aussi sous le régime de l'aide sociale. C'est le cas d'un père de famille de 56 ans. Il y a plus d'un an, l'entreprise où il travaillait a fermé. Donc, il a épuisé son assurance-chômage. Il n'a pu décrocher un nouvel emploi en raison de son âge, de sa faible scolarité et du ralentissement économique dans son secteur d'activité. Tout son avenir était basé sur le secteur du textile. Son expérience est là-dedans puis aussi, si on se rapporte à de nombreuses années. II n'a pas appris à chercher un emploi, du moins pas dans les milieux comme aujourd'hui. Alors, cette personne a besoin d'appui. Premièrement, on peut lui offrir des programmes de formation, c'est bien sûr, mais je ne pense pas qu'une personne de 56 ans se sente prête à faire du rattrapage scolaire pour augmenter son employabllité. Elle va avoir besoin d'un appui affectif également comme personne. Elle va avoir besoin qu'on parle avec elle du genre de mesure dont elle pourrait avoir besoin. À 56 ans, elle a besoin d'être respectée comme un personne qui a une expérience de vie, qui n'a pas été chanceuse, qui a besoin d'appui et d'aide. (21 h 15)

Plutôt que de tous les reprendre, je vais passer à un dernier exemple qu'on donnait. C'était Michèle, qui est hémiplégique - c'est-à-dire paralysée de la moitié du corps - et qui a une formation en tenue de livres. Elle a réussi à aller se chercher une formation en tenue de livres. Elle devrait normalement se trouver un emploi. Il faut dire qu'elle est laissée pour compte parce que, dans son secteur d'emploi, on demande d'être polyvalent. Il n'y a pas d'entreprise actuellement... et on parie beaucoup de la relance économique et centrée sur les PME. Pour travailler dans une PME, il faut être polyvalent. Pour quelqu'un qui ne peut pas faire de dactylo et qui ne veut faire que de la tenue de livres, ses possibilités d'emploi sont nettement moins grandes que pour celui qui peut faire de la dactylo. Une personne comme cela, c'est sûr et certain, on pourrait travailler très longtemps à lui faire faire des stages en milieu de travail, à lui faire faire des travaux communautaires, et cela n'améliorerait probablement pas son emptoyabilité... Cela va venir un petit peu plus tard dans ma présentation sur la disponibilité de l'emploi.

Ce qu'il est important de voir, c'est que chaque personne a un profil d'employabilité qu'il importe, au début du processus, d'être capable d'évaluer avec elle, parce que c'est elle qui est la principale source d'information et de construire avec elle un programme d'intervention. Une chose qui ressort aussi, c'est que cela demande donc des services auxquels les centres

Travail-Québec du réseau actuel sont capables de référer des gens. Les services sont déjà existants mais on devrait les utiliser plus adéquatement. On pourra, à ce moment-là, s'assurer du suivi auprès de ces gens et du suivi par des tierces parties, c'est-à-dire des personnes extérieures au ministère. Cela facilite énormément la confidence lorsque la personne en face de soi ne manoeuvre pas le couteau. C'est une expérience qui fonctionne déjà très bien dans d'autres organismes. Que l'on pense à ta CSST et à la RAAQ, qui va référer à d'autres organismes pour la réadaptation. C'est un peu une formule identique qu'on proposerait.

Une autre chose importante, c'est la disponibilité de l'emploi. Une chose que nous remarquons, c'est que moins un emploi est disponible, plus le profil d'employabilité exigé est spécifique. Il est donc difficile pour certaines personnes défavorisées d'accéder à un emploi là-dedans. On aurait beau travailler avec ces individus pendant des années et même des dizaines d'années, cela ne changerait rien. On a besoin à ce moment-là de mesures incitatives, pas pour la personne mais pour l'employeur, pour compenser son manque à gagner; pas seulement, par exemple, pour ce qui est de se faire connaître par des stages, mais d'une subvention réelle à l'emploi qui compense pour ces manques. Encore là, cela existe dans certains autres services, entre autres pour ce qui est des handicapés physiques. Il serait intéressant de pouvoir connaître d'autres limites. Qu'on pense à la limite en raison de l'âge. C'est une catégorie de plus en plus grande de personnes bénéficiant de l'aide sociale actuellement.

Je pourrais terminer sur ['emptoyabilité en disant que parler d'employabilité auprès des personnes, c'est parler d'un profil qui peut s'améliorer et se détériorer. Mais c'est surtout déculpabiliser la personne et sortir de sa responsabilité personnelle. Très souvent, son évolution et son profil d'employabilité vont être indépendants de ce qu'elle a pu faire jusqu'à maintenant.

Mme Drolet (Dominique): Dominique Drolet. Pour poursuivre les propos d'Alain, on aimerait aussi attirer votre attention sur quatre points ou thèmes qui nous sont apparus importants à la lecture de la réforme. Ce n'est absolument pas exhaustif comme analyse, ce ne sont que quelques autres points qui ont retenu notre attention.

Le premier est la notion d'aptitude au travail. Je formulerais mes propos plus en disant que nous sommes inquiets que puisse revenir au corps médical et au corps médical uniquement l'évaluation de l'aptitude ou de l'inaptitude au travail. On a entendu parler de ce qui s'était passé avec le médecin qui avait été poursuivi par rapport à un certificat médical. Bon, d'accord. Comme le précisait André Boivin tout à l'heure, notre corps professionnel a comme caractéristique, entre autres, d'être capable d'évaluer les

exigences du marché du travail et ce que cela prend pour s'Intégrer au marché du travail

Je pense qu'il est important, au moment de l'évaluation de l'aptitude ou de l'inaptitude, tout en faisant un bilan de ce qu'a la personne comme potentiel ou comme caractéristiques, qu'on puisse mettre cela en lien avec les exigences du marché du travail aussi. Pour cela, ce n'est pas uniquement une décision médicale qui doit être prise Ce qui fait que, dans ce domaine-là, il serait important que des comités interdisciplinaires puissent faire l'évaluation des bénéficiaires d'aide sociale pour que, au mieux, ils puissent recevoir ensuite l'aide dont ils ont besoin.

Un autre point aussi est la notion d'auto-évaluation et d'auto-orientation dont il est question dans le projet de réforme. Ce qui a été ta base de notre réflexion est notre expérience clinique On se rend compte que, quand les bénéficiaires arrivent dans un service qui va les aider ou à développer leur employable ou à s'Intégrer au marché du travail, à moins qu'ils n'aient absolument aucune expérience de travail, ils ont habituellement épuisé les ressources de l'assurance-chômage et des mesures légères, les MDRE du Centre d'emploi du Canada, les sessions de recherche dynamique, aussi, qui existent dans les CTQ. Cela dit, il est absolument - Je l'affirme comme cela - irréaliste de penser que ces clients et clientes bénéficiaires d'aide sociale seront en mesure, après une période de chômage relativement prolongée, pour certains, très prolongée, en raison de la détérioration que leur ont procurée le chômage et l'exclusion du marché, d'avoir une perception juste et adéquate d'eux-mêmes, de telle sorte qu'ils puissent s'auto-évaluer et s'auto-orienter et qu'ils pourront, sans une aide plus approfondie, réintégrer le marché du travail.

Un autre élément, c'est le lien parental et filial Plusieurs groupes se sont prononcés là-dessus. J'aimerais juste vous dire, et je n'aimerais absolument pas faire peser la responsabilité sur les parents, que si un jeune adulte arrive à demander des prestations d'aide sociale, c'est quit s'est passé quelque chose avant, et ce n'est pas nécessairement la faute des parents. Soit qu'il ait décroché de l'école, soit qu'il ait eu des problèmes personnels sociaux de n'importe quelle sorte, en général, s'il sort d'un milieu dit favorisé, c'est parce que les parents n'ont pas réussi à faire quelque chose de plus pour lui. Ce n'est pas en laissant aux parents une part de responsabilité financière qu'on va aider le jeune de quelque façon que ce soit, ou l'adulte, parce que, selon la réforme, pour le lien parental et filial, il n'y a pas d'âge. Ce n'est pas de ce type d'aide que la personne a besoin, ce n'est pas cela qui va l'aider à améliorer sa situation et, éventuellement, à développer son autonomie.

Le dernier point, ce sont les montants mensuels. On s'est amusés à faire de brefs calculs de la situation d'une seule personne partageant ou ne partageant pas les dépenses, etc. Vous avez dû en faire plusieurs, vous avez dû entendre plusieurs vous en raconter. C'est absolument insuffisant pour vivre, d'autant plus que, malgré le supplément qui pourrait être apporté en participant à une mesure d'employabilité, la recherche d'emploi, cela coûte cher. Envoyer dix curriculum vitae par semaine par la poste, c'est en moyenne 1 $ du curriculum vitae. J'ai fait peser des enveloppes hier pour une de mes clientes, c'est 0, 72 $ de timbre pour envoyer un curriculum vitae de quatre pages avec une lettre de présentation, excluant les frais de photocopies et de l'enveloppe. Cela veut dire, pour dix curriculum vitae par semaine, ce qui n'est pas beaucoup en recherche d'emploi, un minimum de 10 $ par semaine, juste pour cela, et je ne parle pas des besoins vitaux de nourriture, logement, etc. je parle juste des frais reliés à la recherche d'emploi. Cela prend des vêtements décents, d'autant plus si la personne a été longtemps exclue du marché du travail. Cela prend, de temps à autre, une coupe de cheveux. Pour certains milieux de travail, il y a des normes d'intégration et tous ces frais sont supplémentaires. II est absolument impensable qu'une personne puisse arriver financièrement et chercher de l'emploi avec les montants qui lui sont alloués.

Le Président {M. Bélanger): Je vous remercie beaucoup, Mme Drolet. Vos 20 minutes sont écoulées et je vais laisser la parole au ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je veux remercier la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec pour son mémoire et pour sa présentation. Je vous indiquerai Immédiatement que l'heure à laquelle vous avez été invités à présenter votre mémoire n'a rien à voir avec la qualité du mémoire que vous présentez ni des observations que vous faites. La commission a négocié, si je peux utiliser ce terme, en mon absence, la comparution des différents groupes. II y en a qui sont plus tôt le matin, il y en a d'autres qui sont plus tard le soir, mais je dois dire que jusqu'à maintenant, autant dun côté de la table que de l'autre, nous sommes restés attentifs et éveillés aux problèmes soulevés jusqu'à la toute dernière minute, et le problème soulevé en fin de soirée est aussi important que celui soulevé en matinée, et c'est l'attention que nous lui accordons.

Sur ce, parce que vous avez contribué à détendre un peu le ton de nos travaux, j'aurais envie ou j'avais envie de ne pas citer à nouveau les fameuses caractéristiques d'employabilité ou de non-employabilité des bénéficiaires de laide sociale. Et à entendre Mme Drolet, je ne l'aurais pas fait. Je ne les aurais pas citées parce que je pense quelle a bien saisi la clientèle difficile avec laquelle nous avons à oeuvrer. Je ne suis pas certain que M. Dubois a décrit, dans les cas qu'il nous a cités, la clientèle typique de l'aide

sociale. Ou, s'il l'a fait, il a pris tes cas les plus faciles à l'aide sociale. Ils avaient déjà un diplôme. Cela allait défà pas si mal. lis manquaient un peu de pointu dans l'employabilité. Je rappellerai donc, brièvement, sans mentionner tous les efforts de création d'emplois et les résultats obtenus par le gouvernement, que 36 % de cette clientèle sont des analphabètes fonctionnels, 60 % n'ont pas complété leur cours secondaire et 40 % n'ont aucune expérience de travail antérieure. J'espère qu'en le répétant je n'ai froissé ou choqué personne et que le ton demeurera là où il était lorsque j'ai commencé mon intervention.

Vous parlez, M. Dubois, d'employabilité, d'aider chaque personne. C'est l'approche que nous préconisons. Au moment où nous nous parlons, pour utiliser une expression empruntée à Centrante cet après-midi, le ministère a plutôt une approche "aspirine", le remède qui fait à tout le monde. Et cette approche "aspirine" fait en sorte que ni la posologie ni le médicament n'apportent chez le client visé les résultats escomptés et qu'en bout de ligne on réussit à marginaliser 400 000 ménages au Québec et à se libérer un peu la conscience en se disant: Bon, ils ont eu leur chèque; on espère que tout va bien. Donc, ce que vous préconisez lorsque vous partez d'aider chaque personne, c'est un peu l'orientation que nous voulons favoriser.

Maintenant, nous sommes conscients, comme vous, du poids ou du fardeau qui serait imposé à celui à qui on demanderait pendant 40 heures par semaine - pour utiliser l'exemple que vous avez utilisé - une recherche active d'emploi. Cela prend vraiment quelqu'un qui, comme vous l'avez souligné, n'a pas de complexe. Peut-être que tous les députés ici l'ont fait. Ils font plus de 40 heures par semaine, tous les quatre ans. en campagne électorale. Mais demander à quelqu'un qui, dans la société, a éprouvé des difficultés énormes et tout ce que cela peut entraîner, de le faire pendant 40 heures par semaine, c'est une exigence qui m'apparait, à première vue, déraisonnable. Là-dessus, nous prenons note de vos remarques.

Vous avez également parlé de la question de l'adoption du programme aux individus. Vous avez mentionné à titre d'exemple le cas de la personne de 56 ans en rattrapage scolaire. Vous avez complètement raison sur les propos que vous avez tenus. Je vous dirais de plus qu'il y a à l'Intérieur du programme APTE pour les personnes - et vous l'avez sans doute noté - de 55 ans et plus, toute la possibilité, bien qu'elles soient aptes au travail, de choisir le barème des non admissibles. Je vous dirai également qu'au moment où nous nous parlons, comme gouvernement du Québec, nous sommes en négociation avec le gouvernement fédéral, dans le cadre d'un programme qui s'appelait PAT pour les licenciements collectifs dans le cas de certains secteurs très désignés et qui a cessé au mois d'août dernier, dans le but d'appliquer ce pro- gramme à l'ensemble des travailleurs licenciés collectivement dans l'ensemble des créneaux industriels de façon à ce que ces gens ne se retrouvent pas bénéficiaires de l'aide sociale, que cela s'appelle te programme APTE ou autrement, mais se retrouvent dans un programme qui soit beaucoup plus apparenté à l'assurance-chômage qu'à l'assistance sociale. Et nous croyons répondre là à un voeu de cette partie de la clientèle qui a contribué toute sa vie, finalement, à l'essor économique, etc. et qui ne veut pas finir bénéficiaire de l'aide sociale.

Vous avez également parlé, M. Dubois, de subventions réelles à l'emploi. Il existe des programmes actuellement. Qu'on parie de bons d'emploi ou bons d'emploi plus modifiés. On dit présentement au ministère - et on l'a laissé savoir publiquement - que nous avions l'Intention d'utiliser certaines méthodes utilisées dans des États américains qu'on appelle le "grant diversion", c'est-à-dire que l'assisté social peut prendre cette portion de l'argent et le convertir en salaire de façon à lui donner un incitatif favorable. Cela va dans le sens des remarques que vous avez formulées et un peu aussi de l'approche que j'ai soulignée la semaine dernière et qui est incitative auprès des nouvelles compagnies qui s'installent au Québec. On leur demande, lorsque nous négocions les programmes de formation, de réserver une partie des emplois réguliers à cette clientèle de l'aide sociale. (21 h 30)

Mme Drolet, quant à elle, a posé des questions difficiles, qui doivent être posées dans le cadre de cette politique de sécurité du revenu. Sur la notion d'aptitude au travail et sa dimension psychosociale, vous nous avez suggéré un comité intersectoriel. C'est une suggestion qui mérite d'être analysée. C'est une suggestion à laquelle je manifeste personnellement une certaine ouverture.

Vous avez souligné également la notion d'auto-évaluation en nous indiquant le profil d'une personne qui, sur le plan psychologique, a subi certains effets surtout après une perte d'emploi, douze mois à l'assurance-chômage et son arrivée à l'aide sociale. Vous avez entièrement raison et vous rejoignez les propos qui ont été tenus par l'association des psychologues qui est venue témoigner. Peut-être pas dans les mêmes mots, mais en tout cas l'idée que vous avez énoncée, ils l'avaient énoncée. Pour cette clientèle, vous avez entièrement raison. On a aussi une clientèle qui nous arrive directement à l'aide sociale, sans perte d'emploi. D'ailleurs, tes 40 % qui n'ont jamais occupé d'emploi antérieur sont arrivés directement à l'aide sociale sans passer par l'assurance-chômage et peut-être que, là, tout le processus psychologique que vous nous avez décrit ne s'est pas produit. Il ne s'agit pas, à ce moment-là, de traiter les gens de la même façon et c'est là où l'approche personnalisée, dont je traitais avec M. Dubois, prend toute son importance.

Troisièmement, vous touchez à la question du lien parental ou filial, question combien discutée et combien soulevée à cette commission parlementaire par l'ensemble des intervenants qui, grosso modo, semblent quasi unanimement s'y opposer. Également, la question, je le mentionnais à l'autre groupe, a été discutée en fin de semaine au congrès du Parti libéral du Québec et, par un vote serré, mais quand même par un vote majoritaire, les militants ont demandé que l'on raie la question de contribution parentale ou même de conjoint dans les questions des prêts aux étudiants. J'imagine que, si on leur avait posé la question quant à l'aide sociale, le vote aurait été sans doute à peu près identique. Ils nous auraient demandé également de rayer cette contribution alimentaire dans le programme de l'aide sociale; je n'ai pas de doute là-dessus.

J'ai également indiqué que je ne dévoilerais pas publiquement comment les délégués du comté de Brome-Missisquoi ont voté, mais je peux le laisser sous-entendre. Sauf que, comme ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, je suis placé devant un choix impraticable. Tant que cela demeure une inclusion dans le système des prêts et bourses aux étudiants, tous les observateurs avertis me préviennent que Je commettrais probablement la gaffe politique de la décennie si je n'introduisais pas de notion de contribution alimentaire parentale au niveau de l'aide sociale tant qu'elle demeure au niveau des prêts et bourses aux étudiants, parce que le phénomène d'attraction décrit par M. Parizeau, dans son livre blanc sur la fiscalité, en l'absence de parité, deviendrait un phénomène d'attraction très fort si on accordait la parité au jeune assisté social. C'est le dilemme dans lequel je me trouve présentement. J'aimerais, là-dessus, que vous me suggériez quoi faire, à la suite de ce que je viens de vous dire. Est-ce que je devrais quand même l'enlever?

M. Boivin: André Boivin. Vous parliez de travail interdisciplinaire tantôt, intersectoriel. Il faudrait peut-être aller du côté du travail interministériel aussi.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boivin: Si quelqu'un a une réponse plus sérieuse, il est le bienvenu.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, la réponse est très sérieuse.

Mme Droiet: Dominique Drolet. Je n'administre pas financièrement un ministère comme le vôtre. Cependant, je courrais le risque quand même. Cela dit, pas sans offrir en contrepartie à ces jeunes les moyens de ne pas demeurer à l'aide sociale pour les 10, 15 ou 20 prochaines années. D'accord? Si le phénomène d'attraction est pour se produire, cela se peut, mais je mettrais en place des mesures pour qu'il he dure pas et que le phénomène d'attraction soit très temporaire. Ce ne sont pas uniquement les montants financiers qui vont inciter les jeunes à aller à l'aide sociale. Au contraire, Je pense que si quelqu'un se sent incité à aller à l'aide sociale, c'est parce qu'il y a quelque chose d'autre qui ne marche pas, quelque chose d'autre qui a accroché dans son développement, il faudrait intervenir là-dessus, quitte à ce que, pour une période temporaire, il soit effectivement, entre guillemets, incité à être bénéficiaire de l'aide sociale plutôt que... Mais ce n'est pas tout. II faudrait aussi qu'il y ait des services après coup pour ne pas y rester.

M. Dubois (Alain): Alain Dubois.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, M. Dubois.

M. Dubois (Alain): Au sujet de la question de l'attraction des étudiants réguliers au régime de l'aide sociale, je peux répondre que ce sont peut-être des considérations économiques que des économistes peuvent faire, devant quelqu'un qui a déjà travaillé dans le système scolaire régulier, il ne faut jamais oublier que le système scolaire n'est pas seulement un milieu, que j'appellerais de réussite scolaire, mais aussi un milieu de vie pour tes étudiants. Ils ne vont pas changer pour aller chercher l'argent de l'aide sociale, c'est-à-dire laisser leur milieu de vie et aller chercher une étiquette qu'ils ne sont peut-être pas intéressés à avoir. Je ne suis pas certain du tout que, pour un montant identique, ils vont transférer au régime d'aide sociale.

C'est peut-être qu'ils ne savent pas compter. On s'est rendu compte cette année qu'ils avaient des problèmes en français; peut-être qu'on se rendrait compte qu'ils ont aussi des problèmes en mathématiques, mais je ne suis pas du tout certain qu'ils feraient le transfert, ayant des contacts avec des gens. J'ai même vu des gens passer d'un régime à l'autre même si cela les défavorisait, entre autres des personnes handicapées physiquement qui sont passées d'un régime à l'autre, même si cela les défavorisait parce qu'elles préféraient aller à temps plein.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. Dubois, vous avez raison lorsque la fourchette, si je peux utiliser l'expression, est raisonnable. Dans le cas où il n'y avait pas parité, la fourchette, à mon avis, si Je prends les chiffres de M. Pari-zeau, en 1984: bénéficiaires de l'aide sociale, 1758 $ parce qu'ils n'avaient pas la parité; prêts et bourses aux étudiants, 1195 $ en prêts et 1250 $ en bourses dans le cas limite...

Au moment où nous nous parlons, dans le pire des barèmes: neuf mois, le plus bas, sans exemption pour gain de travail, 405 $. Multipliez-les par douze sur une base annuelle et il ne s'agit pas d'un prêt. Je suis prêt à comprendre que les jeunes ne savent peut-être pas exacte-

ment compter ou, si la fourchette est étroite, qu'il n'y a pas ce passage, mais lorsque, sur le plan financier, on élargit le passage et qu'il devient une autoroute, je ne suis pas certain qu'il n'y aura pas de circulation sur l'autoroute.

M. Dubois (Alain): Sauf si, pour passer cette autoroute, il faut qu'ils oublient du bagage en route, comme leur projet scolaire qu'ils avaient..

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, mais pour...

M. Dubois (Alain):... mais je ne suis pas certain que les étudiants laisseraient tomber cela. En tout cas, c'est un débat qui peut rester en l'air.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Pour quelqu'un issu d'un milieu raisonnablement confortable, peut-être pas, mais pour quelqu'un issu d'une famille bénéficiant de l'aide sociale où tous les besoins sont comptés et minutés, je ne suis pas certain que la pression ne serait pas plus forte et qu'à ce moment-là on ne desservirait pas les plus défavorisés de la société.

M. Dubois (Alain): II faut croire que ce seraient peut-être des individus qui déjà décrochaient aujourd'hui et non pas de nouveaux décrocheurs.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vous remercie de votre opinion. Mme Harel.

Le Président (M. Baril): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Oui, M. le Président, vous me permettrez peut-être de continuer la discussion sur le même sujet. Il pourrait se produire à ce moment-là que l'individu issu d'une famille défavorisée soit, comme vous le dites, lui-même un décrocheur ou encore il faudrait se demander combien d'entre eux ont accès à des études postsecondaires, collégiales ou universitaires. Je pense que le pourcentage de décrochages au secondaire... À ce moment-là, de toute façon, iI ne peut y avoir de problème avec les prêts et bourses parce que cela n'existe pas au secondaire.

Une voix: Cela n'existe pas au secondaire.

Mme Harel: Les prêts et bourses s'appliquent seulement à des études collégiales ou universitaires.

M. Dubois (Alain): Postsecondaires.

Mme Harel: Postsecondaires, voilà! Donc, je pense que le pourcentage d'étudiants venant de milieux défavorisés, de familles pauvres, qui poursuivent des études collégiales et universitaires est encore très faible. Je pense qu'il serait intéressant de le faire vérifier parce que je crois que, malgré la réforme scolaire des vingt dernières années, cela a à peine fluctué et qu'on n'a pas réussi substantiellement à ouvrir les études postsecondaires aux enfants de milieux défavorisés.

Par ailleurs, sur ce thème, les 405 $ sont dans le cas du barème pour non-activité. C'est le montant de 405 $ dans la catégorie des neuf mois de départ. Comme il y en a 80 % qui habitent chez leurs parents, ils se verraient réduits d'un montant de 515 S, et ils constituent la majorité des moins de 30 ans. En plus de cela, pour la plupart d'entre eux, iI y aurait sur ce montant une contribution minimale de 100 $ des parents, je pense, sans prendre en considération le test de revenu. On revient finalement à la case de départ pour la plupart de ceux qui, vivant chez leurs parents, voudraient, pour toutes sortes de mauvaises raisons, quitter les études collégiales pour décrocher complètement, avec cette étiquette qui reste malgré tout quand même assez difficile à porter au Québec.

D'ailleurs, je me suis demandé, et c'est une question que je vous pose, si la tentation ne peut pas être plus grande dans certains milieux où l'étiquette est moins compromettante que dans les milieux ouvriers. Dans les milieux ouvriers, je pense que c'est beaucoup plus difficile de porter l'étiquette d'assisté social que dans les milieux de classe moyenne où, sans complexe, on peut plus mettre la faute sur sa famille, ses parents ou sur la société entière, et on n'a pas un cousin, un oncle, un frère ou une soeur qui travaille au salaire minimum durement et qui est un exemple vivant pour soi. Je ne suis pas sûre que dans les milieux défavorisés, sauf ceux qui sont complètement désintégrés... C'est autre chose à ce moment-là.

Je reviens avec votre mémoire. Vous ne serez pas surpris si vous apprenez qu'essentiellement la trame de fond est la même que celle de la corporation des psychologues.

M. Boivin: Nos deux spécialités, étant très complémentaires, cela ne me surprend pas de voir qu'il peut y avoir des...

Mme Harel: C'est cela. Vous ne serez pas surpris non plus de savoir - c'est la question que posait Mme Drolet quant à l'usage qui serait fait par le corps médical de son expertise - que le corps médical lui-même, en tout cas, certaines de ses parties, semble inquiet. On avait avec nous la fédération des médecins de CLSC qui faisaient valoir eux-mêmes qu'il fallait considérer la personne dans son ensemble avec ses dimensions bio-psycho-sociales.

Parfois, en lisant un mémoire comme celui de votre corporation - ce n'est pas du tout un reproche, c'est même intéressant pour un parlementaire - on peut voir qu'il y a des vocabu-

laires de milieux, c'est-à-dire, par exemple, M Dubois. Puis, tout cela a l'air d'être un peu tiré par les cheveux, mais quand vous nous donnez des exemples concrets, on comprend mieux. Par exemple, quand vous dites la clarté du projet vocationnel et les ressources affectives nécessaires Dans un milieu comme ici, cela peut avoir l'air, je m'excuse, complètement "flyé" Je ne sais pas si je m'explique bien. Pourtant, quand vous décrivez les choses, là je comprends Quand vous avez dit. Si quelqu'un passe une entrevue et se met à pleurer, on aura beau lui avoir augmenté son empltoyabilité "au coton", lui avoir fait passer son secondaire et tout ce qu'on peut s'imaginer de travaux communautaires, c'est bien évident qu'il y a sûrement là un problème dont on n'a pas nécessairement tenu compte.

M. Boivin: Cela ressemble à l'adaptation qu'on dort faire quand on se présente pour une première fois devant une commission parlementaire.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: Ouf. Mme Drolet, vous voulez ajouter quelque chose?

Mme Drolet: Ce qu'on entend aussi par clarté du projet vocationnel, c'est ce que je dis en première journée de session de recherche d'emploi à toutes les femmes, parce que je travaille dans un SEMO-femmes. Quand on ne sait pas ce qu'on cherche, on ne trouve rien. C'est cela, la clarté du projet vocationnel.

Mme Harel: En vous écoutant, cela me faisait penser à un emploi d'été que j'ai occupé. II y a bien longtemps. Je travaillais dans un bureau d'aide sociale. Je me souviens de quelqu'un qui s'était présenté en disant: Je suis capable de faire n'importe quoi. Mais n'importe quoi, finalement, cela n existe pas sur le fichier.

Mme Drolet: C'est quoi?

Mme Harel: C'est certainement dans ce sens, quand vous parlez d'un projet vocationnel Vous nous donnez des exemples, et je pense que cela aide à faire comprendre que c'est la clientèle de l'aide sociale. Sauf peut-être Claire, et encore là, pour Georges, pour Alain, le décrocheur, pour Jacques, l'ex-bénéficiaire psychiatrique, pour Michèle, hémiparésique, c'est certainement là justement la clientèle de l'aide sociale C'est cela qui nous fait voir qu'on ne peut juste dire: Retournez à l'ouvrage, en pensant, malgré soi, dans sa tête C'est parce qu'ils ne veulent pas laver de la vaisselle. Finalement plus ou moins, tout tourne autour de cette question. Sont-ils paresseux au point de ne pas vouloir aller laver la vaisselle au salaire minimum' Vous allez me dire que c'est simplifier beaucoup. L'opinion publique, parfois, se met à simplifier à l'extrême, et c'est avec ce degré de simplification que certains débats ici même à l'Assemblée peuvent avoir lieu (21 h 45)

Je voudrais avoir votre opinion sur cette question d'employabilité. Je ne sais pas si ce sera entendu, si ce sera reçu - je ne veux pas dire simplement écouté, mais compris - le rôle que le document veut faire jouer aux agents socio-économiques. Pensez-vous qu'il est raisonnable qu'ils aient à la fois un rôle de soutien et un rôle de contrôle? Peut-être Mme Drolet, si vous le permettez, M. le Président?

Le Président (M. Bélanger): Oui. Mme Harel: Oui.

Mme Drolet: Moi, je trouve qu'un agent d'aide socio-économique est en conflit d'intérêts carrément avec sa clientèle. II n'est pas en conflit d'intérêts pour référer les personnes aux bonnes ressources ou aux bons services. II l'est dans la mesure ou, à partir du moment où il fait l'évaluation de la situation du bénéficiaire pour le référer quelque part, il vérifie aussi, n'appose aussi son sceau sur les montants mensuels qui vont être accordés. C'est absolument impensable. Pour moi, cela encourage le fait que les bénéficiaires ne se sentent pas particulièrement à l'aise ni en confiance, et n'utilisent pas vraiment les ressources qui sont à leur disposition dans les CTQ auprès de leur agent d'aide socio-économique. Quel intérêt ai-je à parler de moi si Je sais que je peux être coupé après? Cela ne va pas ensemble.

Mme Harel: Vous voulez ajouter, M. Dubois?

M. Dubois (Alain): Un autre point important à tenir compte, cest la quantité de dossiers qu'ont les agents socio-économiques. C'est assez difficile de donner un service personnalisé quand le nombre de dossiers peut quelquefois être compté en centaines.

Mme Harel: II y a eu un très iImportant colloque international à Montebello, il n'y a pas tellement longtemps - je pense que cela fait un an et demi ou quelque chose comme cela - qui portait sur les programmes européens de développement des ressources humaines. C'était un colloque international, et un haut gradé du ministère de la Santé nationale et du Bient-être social "Health and Welfare" qui y a participé et qui faisait un peu la synthèse des programmes d'employabilité américains, une sorte d'évaluation globale - ils ont un peu d'avance sur nous en cette matière - a dit en résumé que les solutions traditionnellement acceptées s étaient révélées inefficaces. Là, ils étudiaient surtout trois groupes, les jeunes, les femmes et les hommes adultes de plus de 30 ans, j'imagine - je ne sais pas leur catégorie d'âge - pour concture que

l'ensemble des programmes américains de formation scolaire qui leur étaient destinés s'étaient avérés totalement inefficaces et que la formation à l'emploi s'était révélée plus efficace que tout autre type de formation, où il y avait un rappel de leur échec antérieur dans les mêmes conditions ou à peu près avec la même pédagogie, etc. Pour ce qui est des femmes, l'étude concluait que c'était là que cela s'était révélé le plus satisfaisant et que les femmes avaient montré une réponse très positive dans la recherche d'emploi, dans les programmes de formation et finalement dans tout ce qui leur était offert. Quant aux programmes destinés aux hommes en général, c'est là où cela avait été le plus insatisfaisant, parce que la plupart combinant beaucoup de problèmes personnels avec... Est-ce que selon votre expérience - je n'ai pas pu savoir exactement - vous semblez travailler surtout avec des clientèles, non pas scolaires, mais des clientèles de réinsertion à l'emploi?

Une voix: Oui.

Mme Harel: Tous les quatre ou?

M. Boivin: Je travaille à temps plein à la corporation. C'est pourquoi je préfère laisser les dimensions plus spécialisées à ceux qui viennent des milieux de travail.

Mme Harel: D'accord. Vous êtes tous les trois dans des programmes de réinsertion à l'emploi?

Mme Drolet: Oui. Ce que je veux ajouter par rapport au rôle de l'agent d'aide socio-économique, c'est qu'Alain a soumis quelque chose d'important en disant qu'il y avait le "caseload" dans le langage de ces personnes. J'ai fait brièvement ce matin, sachant que je venais ici, une étude absolument informelle. Je travaille dans un SEMO. Idéalement, CTQ et SEMO devraient travailler en étroite collaboration. J'ai juste retracé depuis le 4 janvier, le jour de la rentrée jusqu'à ce matin, combien de références nous avaient été faites par les agents en place. J'en ai compté trois sur l'ensemble des CTQ de la région de Québec. Alors, les agents d'aide socio-économique...

Mme Harel: Sur combien? Mme Drolet: Trois sur...

Mme Harel: Sur le total de combien de personnes?

Mme Drolet: On a peut-être rencontré en entrevue d'évaluation de besoins, peut-être 35 ou 40 personnes.

Mme Harel: Des femmes ou des personnes handicapées?

Mme Drolet: Des femmes, SEMO-femmes. Cela veut dire qu'actuellement le problème que je constate c'est que les agents en place ont même de la difficulté à connaître les ressources et à bien se référer aux bonnes ressources. Ils ont de la misère à connaître ça. Je ne leur en fais pas le reproche. Il y a toutes sortes de circonstances reliées à leur situation au travail qui nous font faire ce constat, mais je me dis: S'il faut qu'ils arrivent à faire le suivi, ils ne connaissent même pas les ressources et en plus on leur demande un rôle supplémentaire. Je suis consciente que, dans la réforme, vous soulignez qu'il y a des besoins de formation qui sont perdus dans l'ensemble des changements rapides qui se sont produits. Oui, mais ceci dit, c'est inhumain de demander à ces personnes de faire tout cela en même temps. Elfes ne peuvent pas tenir tous ces rôles.

Mme Harel: Oui, sur la question de la clientèle. M. Dubois.

M. Dubois (Alain): Alain Dubois. C'est un peu pour poursuivre ce qu'a dit Dominique. Ce qu'on propose, c'est que les agents puissent référer les clientèles à des services soit déjà existants soit en inventer d'autres s'ils n'existent pas, et pour cela ne pas attendre six mois par exemple. Je pense que pour des clients, par expérience, on va se rendre compte seulement en écoutant l'histoire de la personne que cela va être long avant qu'il se décroche quelque chose. On n'est pas obligé d'attendre qu'elle soit démolie. Le travail est beaucoup plus dur à faire après. On veut intervenir avant. À ce moment-là, il faut référer. C'est déjà, je dirais, une modalité qui existe avec d'autres organismes. J'en ai parlé. Je pense à la Régie de l'assurance automobile du Québec, qui réfère à des centres de réadaptation ou à des bureaux privés. Pour la CSST, c'est la même chose. Parce que les gens ont trop de dossiers en main cliniquement, ils réfèrent tout en se gardant ce que j'appellerais les clients plus faciles ou pour lesquels cela va plus rondement. Pour nous, ce serait une modalité qui permettrait à chacun d'avoir un service de qualité dans des délais raisonnables.

Mme Harel: C'est certain que, quand on vous écoute, venant de la corporation, on peut avoir l'impression que c'est pour des raisons de corporation, de corporatisme, que vous défendez ce point de vue. Par ailleurs, moi j'ai une corporation de développement économique et communautaire dans l'est qui vient de terminer une étude qui démontre que l'institutionnel a totalement failli, que des groupes communautaires du genre 40-60 ans qui font de l'activité, disons occupationnelle réinsèrent plus de personnes sur le marché de l'emploi que le centre Travail-Québec de la rue Sherbrooke dans l'est.

M. Dubois (Alain): Oui, entièrement. Quand

je parle de référence à des ressources, je ne parle pas uniquement de ressources professionnelles du type conseiller d'orientation. Cela peut être d'autres ressources aussi, si le besoin est autre. Il faut faire quand même une nuance. On parle aussi d'entraide vocationnelle dans notre secteur. Les réseaux d'entraide sont importants et sont existants dans des services actuellement.

Mme Harel: Êtes-vous dans la région de Québec, M. Dubois?

M. Dubois (Alain): Oui. Je suis au centre François-Charon, en réadaptation.

Mme Harel: D'accord. Je pense que M. Boivin... Je ne sais pas si Mme Saucier va vouloir ajouter quelque chose.

M. Boivin: Tant mieux.

Mme Harel: Non...

M. Boivin: Je pense que le message le plus important de notre mémoire est de vous dire qu'on peut peut-être développer une conception de l'employabilité différente de celle qu'on lit dans le document. Je pense que M. le ministre a saisi tantôt, de par ses réactions, que l'employabilité vue à notre manière était peut-être différente et pouvait avoir certains avantages. Ce que j'aimerais faire comprendre à la commission, c'est qu'il existe au Québec des expériences d'application de la notion d'employabilité. André Dubois parlait d'entraide vocationnelle qui se fait entre des pairs. C'est propre à notre société québécoise. Cela a été développé dans la région de Sherbrooke par Jacques Limoges. Il fait aussi beaucoup de travail auprès des chômeurs et avec les chômeurs. Je pense qu'un peu partout au Québec on a développé des expertises, et il faudrait d'abord commencer par étudier les ressources humaines de la société québécoise.

J'arrive d'un congrès mondial de l'orientation en France où, dans le domaine du lien avec le travail, les francophones se ruent vers les ateliers tenus par nos Québécois qui ont développé ces théories face au travail.

Mme Harel: Est-ce qu'on peut demander au ministre s'il a pu faire mener des études ou si le ministère a pu mener des études sur les ressources, l'entraide communautaire...

M. Boivin: L'entraide vocationnelle.

Mme Harel: Vocationnelle, je vais utiliser votre vocabulaire.

M. Boivin: Je vais leur demander de trouver un autre mot.

Mme Harel: Non, on va finir par s'habituer. Pour moi, vocation, cela voulait dire entraide missionnaire. Je comprends que c'est un autre usage.

M. Boivin: II ne faudrait surtout pas dire cela au syndicat qui représente nos membres.

Mme Harel: Est-ce qu'on a fait le tour, au Québec... Il y a un nouveau contrat social qu'il serait souhaitable de passer sur le plan de l'accompagnement et du soutien des personnes qui veulent se réinsérer, mais ce que vous nous dites, c'est que, dans le document d'orientation, les moyens préconisés ne sont pas les meilleurs pour y arriver. Est-ce que c'est ce que je dois conclure?

M. Boivin: Exact.

Mme Drolet: Dominique Drolet. Je voulais ajouter tout à l'heure qu'une ressource adaptée pour un bénéficiaire qui désire réintégrer le marché du travail, c'est plus qu'un professionnel, c'est plus qu'un modèle théorique sur ce qu'est I'employabilité, c'est plus que des connaissances du marché du travail. Chez nous, un service adapté, c'est une maison où on laisse ses souliers, où on est connu. C'est un petit milieu où il y a un groupe de six, huit ou dix personnes qui se connaissent, qui se passent du linge d'enfant, qui s'échangent des gardiennes, qui s'appellent le soir, qui se donnent des trucs en recherche d'emploi. Quand ils voient un emploi, ils s'appellent entre eux. C'est cela, une ressource adaptée. Je ne pense pas, malgré toute leur bonne volonté, que les agents d'aide socio-économique vont pouvoir développer cela avec leur clientèle. J'ai résumé avec quelques exemples, mais, chez nous, il n'y a pas d'eau chaude dans les bureaux, il y a une bouilloire; c'est une fille qui nous a donné une vieille bouilloire que son "chum" avait réparée. C'est cela, une ressource adaptée pour des femmes qui, souvent, sortent pour la première fois de chez elles, qui n'ont pas fait garder depuis très longtemps leurs enfants. C'est tout ce réseau qui est aussi un soutien en plus de l'expertise, entre guillemets, professionnelle qu'on peut leur apporter. C'est cela, une ressource adaptée. Et elles n'auront pas cela au CTQ.

Mme Harel: Mme Drolet, je veux vous remercier de même que M. Boivin, M. Dubois et Mme Saucier qui partagez la même expertise. Je dois vous dire que votre exemple à 0, 72 $ le timbre pour envoyer un curriculum vitae de quatre pages avec une lettre d'accompagnement, sans les frais de photocopie, cela m'a convaincue de pas mal d'affaires. Je vous remercie.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Nous vous remercions.

Le Président (M. Bélanger): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Est-ce que

cela vous a convaincu que Postes Canada demandait trop cher? Pour en revenir à une réponse que vous cherchiez en ce qui concerne l'entraide vocationnelle, oui, le ministère est impliqué. Il travaille avec un groupe externe dans' la région de Sherbrooke. Le groupe s'appelle Hexagone. Pour revenir à...

M. Boivin:...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Hexagone.

J'en reviens à une question que je considère comme fondamentale au projet de politique de sécurité du revenu et qui a été soulevée par Mme Drolet, le rôle de l'agent d'aide socio-économique. Je pense qu'il s'agit là d'un problème fondamental. Nous sommes conscients, au ministère, que demander à des gens qui, essentiellement, dans le passé, sauf quelques exceptions, ont été utilisés ou employés à émettre des chèques et à contrôler l'émission des chèques c'est tout un défi qui est posé à ce personnel et qu'il faut être raisonnable dans le défi que nous posons ou dans le changement d'attitude et de mentalité que nous demandons à ces gens, malgré la formation que nous leur offrons. Vos propos sont retenus de façon très sérieuse par celui qui vous parie parce qu'il y a là, nous en sommes conscients, un danger de dérapage. Il s'agit de le baliser et de s'assurer qu'il est minimisé au maximum. Sur ce point, vous nous avez apporté des suggestions valables tout comme certains groupes communautaires qui sont venus devant cette commission nous indiquer que, dans plusieurs cas, ils étaient peut-être mieux placés que le ministère comme tel pour rejoindre plus efficacement les clientèles. Je vous remercie d'avoir soulevé ce point et des suggestions constructives que vous nous avez adressées.

À la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec, à son président qui est de retour de voyage, aux gens qui sont venus à une heure tardive nous faire part ou insister pour que l'on n'oublie pas ou ne néglige aucunement cet aspect psycho-social de cette réforme de sécurité du revenu, au nom des bénéficiaires actuels et, au nom des bénéficiaires qui bénéficieront je le souhaite, des bonifications que nous pouvons apporter, je vous dis merci.

M. Boivin: Merci.

Le Président {M. Bélanger): La commission des affaires sociales remercie la Corporation professionnelle des conseillers et conseillères d'orientation du Québec et ajourne ses travaux à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 1)

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