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(Seize heures trente et une minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente des institutions se réunit avec le
mandat de procéder à l'étude des crédits
budgétaires du ministère de la Justice pour l'année
financière 1985-1986.
M. le Secrétaire, y a-t-il des substitutions ou des
remplacements?
Le Secrétaire: Aucun remplacement n'est
signalé.
Justice
Le Président (M. Gagnon): Lors de la fin de nos travaux,
nous avions adopté tous les programmes du ministère de la
Justice, mais, lorsque j'ai demandé si l'ensemble des crédits
étaient adoptés, on a dit non parce qu'il semblait qu'il manquait
du temps pour l'étude des crédits. Vous vous étiez
entendus sur une heure ou une heure et demie de plus. C'est cela, M. le
député?
M. Marx: Oui. Nous devions avoir neuf heures et demie et nous
avons utilisé sept heures et quinze minutes. Nous voulons faire encore
deux heures et quinze minutes, si c'est possible.
Le Président (M. Gagnon): Si je comprends bien, il y a
maintenant eu entente pour qu'on puisse terminer cet après-midi. C'est
cela?
M. Johnson (Anjou): Oui. Alors, M. le Président, je pense
bien qu'on peut terminer les crédits à 17 h 30, au moment du
vote.
M. Marx: On va essayer, mais vous comprenez que le
ministère de la Justice est probablement un des ministères les
plus importants et nous avons besoin de beaucoup de temps.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remercie d'abord
le député de nous dire que le ministère de la Justice est
un des ministères les plus importants, même si l'Opposition, avec
la quantité de questions qu'elle réserve au ministre de la
Justice, ne semble pas croire que c'est le cas.
M. Marx: On garde nos questions pour les poser en commission.
M. Johnson (Anjou): Je veux simplement assurer la commission que
nous n'aurions eu aucun problème si l'Opposition avait demandé
d'avoir 20 heures pour les crédits du ministère de la Justice.
C'est elle qui a demandé un maigre neuf heures ou neuf heures et demie.
Je pense que, compte tenu de la façon dont les travaux se sont
déroulés, M. le Président, on peut avoir fini cela d'ici
à 17 h 30.
Le Président (M. Gagnon): Maintenant, j'ai un
problème. Je veux avoir la permission de la commission pour rouvrir les
programmes qui ont été adoptés. Je voudrais aussi que le
député de D'Arcy McGee me dise sur quels programmes il voudrait
poser d'autres questions.
M. Marx: Mais c'est sur...
M. Johnson (Anjou): Sécurité publique. M. le
Président, j'ai compris de la conversation que j'ai eue avec notre
collègue de D'Arcy McGee ce matin qu'il voulait, premièrement,
parler des questions relatives aux policiers, de façon
générale, donc toucher le programme de la sécurité
publique, avec la compréhension que cela peut déborder sur les
questions qui touchent la Sûreté du Québec le cas
échéant. Deuxièmement, le député m'a dit
qu'il voulait parler des questions relatives aux droits et libertés de
la personne. Je pense qu'il a surtout des commentaires et quelques
répliques à faire. Je ne pense pas que cela porte proprement dit
sur les crédits. Je n'y ai pas d'objections. Troisièmement, un
autre sujet que le député avait évoqué,
c'était la législation. C'est le programme 11.
Donc, Sécurité publique, programme 11, les propos
liminaires du député sur les grandes questions cosmiques!
Le Président (M. Gagnon): Donc, pour être certain
qu'on se comprend bien, les programmes demeurent adoptés, mais on pose
d'autres questions, pendant le temps qu'il nous reste, sur les programmes 13, 4
et 11, si la commission est d'accord. Est-ce que cela va?
M. Marx: Oui.
M. Johnson (Anjou): C'est cela.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Oui, merci, M. le Président. Juste en passant, M.
le ministre, est-ce qu'il y a des députés à
l'Assemblée nationale qui ont posé leur candidature pour
être juges, soit de la Cour des sessions de la paix, soit de la Cour
provinciale?
M. Johnson (Anjou): M. le Président, oui, il y a un
précédent. Il y a un ancien président de
l'Assemblée nationale qui a posé...
M. Marx: Non, non. Je veux dire maintenant, est-ce qu'il y a des
députés qui ont posé leur candidature récemment et
que...
M. Johnson (Anjou): M. le Président, il me semble que le
député de D'Arcy McGee sait que la procédure de
sélection des juges prévoit qu'elle est absolument confidentielle
et que le ministre de la Justice ne s'en ouvre pas. Il constate, avec deux ou
trois fonctionnaires qui sont attitrés à ces questions, quelles
sont les candidatures. Le ministre forme les jurys qui sont composés,
comme on le sait, d'un représentant du barreau, d'un représentant
de la magistrature de la cour visée et d'une personne
désignée par le ministre et venant du public pour ventiler
l'aspect non juridique, si on veut. Le jury entend les candidats et,
après les entrevues, le jury fait des recommandations. En d'autres
termes, il dresse des listes d'éligibilité de candidats. Rien de
tout cela n'est rendu public à quelque stade que ce soit, sauf la
nomination d'un juge.
M. Marx: Je n'ai pas voulu que le ministre nous
révèle des secrets, c'est évident. Je ne pense pas que ce
serait révéler un secret s'il nous disait qu'il y a des
députés à l'Assemblée nationale qui siègent
maintenant et qui ont posé leur candidature. Je pense que...
M. Johnson (Anjou): M. le Président, si le
député de D'Arcy McGee tient absolument à ce que je dise
publiquement qu'il a l'intention lui-même de poser sa candidature, je
n'ai pas d'objection.
M. Marx: Bon, mais ce ne sera pas une façon de se
débarasser de moi. De toute façon, M. le Président, je
vise à accéder à un autre poste, tout à fait comme
le ministre de la Justice.
Le Président (M. Gagnon): Cela n'était pas une
question que vous posiez au ministre?
M. Marx: Non.
Une voix: ...en poser une...
Le Président (M. Gagnon): À votre tour
tantôt.
Une voix: D'accord.
La CECO
M. Marx: Donc, le ministre ne répond pas à cette
question. Est-ce que c'est cela que j'ai compris?
J'aimerais poser des questions sur la CECO. Est-ce que le ministre peut
nous dire qu'elle est la situation è la CECO maintenant? Est-ce que
c'est fermé ou ouvert? Est-ce qu'on travaille? Qu'est-ce qu'on fait?
M. Johnson (Anjou): Un instant. Je suis à vous dans deux
minutes.
M. le Président, avant de commencer à répondre au
député, je voudrais simplement mentionner que le président
de la Commission de police, le juge Gosselin, est malheureusement absent. Il
est à Kingston dans le cadre de ses fonctions et le
vice-président, M. Boily, le remplacera aujourd'hui, le cas
échéant.
La Commission de police a obtenu de ma part, il y a déjà
un certain nombre de mois, le mandat de faire une évaluation, qui
s'étendra sur un certain temps, de l'ensemble des activités de la
Commission d'enquête sur le crime organisé qui était, comme
on le sait, essentiellement un banc de la Commission de police avec des
activités particulières. Je suis arrivé à cette
décision de confier à la Commission de police un tel mandat
à partir des préoccupations suivantes. La première, c'est
qu'après une dizaine d'années il m'apparaissait adéquat
d'évaluer les succès et les insuccès de la CECO.
Deuxièmement, d'évaluer les instruments que le Québec
s'est donnés depuis 1974 pour faire face à ce qu'on a
appelé le crime organisé. Troisièmement, de faire en sorte
qu'on puisse dégager, à partir d'une telle évaluation, qui
implique non seulement le travail des commissaires, mais également des
procureurs spécialisés, des enquêteurs des
différents corps de police qui ont été appelés
à collaborer avec la CECO, que l'on puisse évaluer, dis-je, des
choses aussi fondamentales que la définition même du crime
organisé, des instruments que le Québec peut, ou doit, ou
pourrait, ou devrait se donner à l'égard de ce que l'on appelle
le crime organisé. C'est survenu essentiellement dans le contexte aussi
où j'ai manifesté, comme ministre de la Justice, auprès
des intervenants, ma préoccupation quant au fait qu'au Québec,
pendant un certain nombre d'années, on a donné des mandats
à la
Commission d'enquête sur le crime organisé, ce qui a eu
comme effet, dans l'opinion publique, de donner une visibilité
considerate à des questions ou à des allégations de la
présence du crime organisé dans certains milieux, ce qui s'est
traduit, sûrement dans certains cas, par des poursuites au criminel qui
ont permis de mettre sous verrou et sous écrou un certain nombre de
personnes qui s'adonnaient à des activités criminelles. Je pense,
notamment, à des poursuites en matière de trafic de
stupéfiants qui ont été extrêmement abondantes
à une certaine époque, mais qui, dans certains cas, ont
peut-être prêté publiquement un pouvoir à des groupes
ou à des personnes, ou bien qu'ils n'ont pas, ou bien qu'ils ont, mais
qui n'est pas sanctionné en vertu de nos lois.
Dans ce domaine, M. le Président, il m'apparaît utile, aux
fins du maintien de la crédibilité du système de justice,
de l'efficacité policière, en même temps que du respect des
principes de base qu'on retrouve chez nous en matière de droit criminel,
que l'on soit d'une très grande efficacité. Dénoncer le
crime et le crime dit organisé dans un secteur, donner une
visibilité énorme à des personnes ou à des
organisations, et se retrouver par ailleurs sans sanction, parce que nos
instruments sont inefficaces, par exemple, sur le plan de la preuve, ou parce
qu'il n'y a pas matière à poursuite, à mon avis, cela peut
parfois avoir un effet négatif qui est celui, à toutes fins
utiles, de consolider le pouvoir de ces personnes aux yeux de ceux qui en
seraient les victimes.
M. Marx: J'aimerais poser une question. Le ministre a dit qu'il a
demandé à la Commission de police de s'évaluer; c'est
l'auto-évaluation qui existe, j'imagine, dans certaines facultés.
Je n'ai jamais fréquenté une faculté où on a
demandé aux étudiants de s'évaluer. Je vous demande
l'efficacité de demander à un organisme de s'évaluer. Je
pense que cela manque...
Le Président (M. Gagnon): M. le député, je
m'excuse. Ou vous approchez le micro ou vous vous rapprochez un peu du
micro.
M. Marx: Je me demande si un organisme peut être vraiment
objectif dans son auto-évaluation. Je pense que, si on veut vraiment
avoir une évaluation, on demande à des gens à
l'extérieur de faire cette évaluation.
M. Johnson (Anjou): Je suis conscient de ce qu'évoque le
député parce que j'ai eu à me poser cette question avant
de décider d'accorder le mandat. Il y a deux choses: d'une part, c'est
la Commission de police qui a le mandat et non pas le banc de la CECO
lui-même. Évidemment, les personnes se rejoignent, les
organisations sont dépendantes l'une de l'autre à bien des
égards, etc., et je présume que les phénomènes
qu'évoque le député ne sont pas totalement
écartés de ce fait. Effectivement, il y a un
élément d'auto-évaluation. La deuxième chose, ce
qu'on demande à la Commission de police en faisant cette
évaluation de l'action du banc de la CECO depuis une dizaine
d'années, c'est de fournir un rapport d'un certain nombre de
considérations, des perspectives, possiblement, des suggestions
d'actions à venir qui, elles, auront à faire l'objet, je crois,
d'une analyse extérieure à la Commission de police. S'il devait y
avoir des suites à donner à ce rapport en termes de
consolidation, par exemple, de la CECO, ou au contraire de son abolition ou de
son remplacement par autre chose, cela prendra des décisions du
ministère de la Justice. Donc, cela sera évalué par le
ministère de la Justice. (16 h 45)
M. Marx: Le ministre a déjà dit qu'il allait abolir
la CECO. Est-ce qu'il revient maintenant sur sa promesse? Car cela m'a beaucoup
choqué que le ministre dise maintenant: On verra si on abolira la CECO.
Il a déjà dit que cela serait aboli. Maintenant...
M. Johnson (Anjou): Notre objectif est de savoir,
premièrement, dans la mesure où le crime organisé existe,
dans la mesure où on peut le circonscrire dans notre régime de
droit criminel, quels sont les meilleurs instruments pour le combattre. Je
pense que c'est cela le rôle de sécurité publique du
ministère de la Justice.
M. Marx: Vous allez abolir la CECO? C'est la question.
M. Johnson (Anjou): II est fort possible qu'à...
M. Marx: Donc, ce n'est pas certain?
M. Johnson (Anjou): II n'y a pas d'assurance qu'on abolisse la
CECO, qu'on la remplace, qu'on modifie les pouvoirs de la Commission de police,
qu'on change les attributions de certaines sections du ministère de la
Justice ou qu'on crée un corps spécialisé
d'enquêteurs. Il s'agit de faire le tour de l'ensemble des instruments
qui ont été, jusqu'à ce jour, utilisés par la CECO,
de mesurer l'efficacité de ces instruments pour mettre fin à des
phénomènes de criminalité répandus et
organisés.
M. Marx: La conclusion que j'en tire est que le ministre n'a pas
décidé s'il abolirait, oui ou non, la CECO. Est-ce que j'ai bien
compris le député...
M. Johnson (Anjou): J'ai effectivement pris la décision
que je ne confierais pas à la CECO d'autres mandats que celui
d'évaluer son action depuis dix ans. C'est ce que j'ai rendu public il y
a déjà un certain nombre de mois.
Cependant, je peux vous dire que, dans la mesure où une chose
telle que le crime organisé existe, le ministre de la Justice n'a pas
l'intention de limiter les moyens qu'il pourrait utiliser pour être
efficace et pour le combattre.
M. Marx: Le ministre a dit que, à cause des travaux de la
CECO, on avait fait des poursuites, qu'un certain nombre de personnes
étaient mises en prison et ainsi de suite. La CECO a fait deux
enquêtes: une sur l'industrie du vêtement et une sur l'industrie de
la fourrure. L'industrie, de la fourrure fait des exportations pour un montant
de 100 000 000 $. Ce sont des exportations qu'on veut continuer à
faire.
On a fait des enquêtes et des descentes partout. On a
interviewé des centaines de personnes. Mais rien n'en est ressorti, sauf
que ces deux industries sont encore en dessous d'un nuage de suspicion. Car on
n'a pas dit qu'il y a des gens qu'on allait poursuivre. On n'a pas dit que les
gens étaient innocents. On n'a pas poursuivi qui que ce soit. Est-ce que
le ministre nous dira un jour ce que l'on a trouvé à partir de
toutes ces enquêtes ou au moins à partir de ces deux
enquêtes?
M. Johnson (Anjou): Pour le moment, M. le Président, il
m'apparaît nécessaire de conserver au rapport de la CECO son
caractère confidentiel. Je peux dire que j'ai eu l'occasion d'en
discuter avec les commissaires et que, s'il devait y avoir des poursuites,
elles seront prises et intentées. Étant donné qu'un
certain nombre de choses qu'on décrit dans ce rapport n'ont rien
à voir avec des activités de nature criminelle, il
m'apparaît important, pour le respect des personnes mentionnées
dans ce rapport, qu'on ne le publie pas et qu'on ne le rende pas public.
M. Marx: Mais on ne veut pas avoir des noms. Il est
évident que je ne pose pas des questions dans le but d'avoir des
noms...
M. Johnson (Anjou): II y a la notion de le rendre public ou pas,
car je pensais que la question avait été soulevée...
M. Marx: Mais je veux savoir...
M. Johnson (Anjou): Je pensais que le député
faisait allusion à cela.
M. Marx: ...ce que le ministre fera avec ces deux rapports?
M. Johnson (Anjou): D'accord. Il n'a pas l'intention de le rendre
public. Est-ce qu'on se comprend? Bon.
M. Marx: Même en biffant les noms? Même en rendant
public un rapport où... Cela se fait aux États-Unis. Il y a
beaucoup de rapports qui sont rendus publics...
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre. M. le
député de D'Arcy McGee, vous avez la parole.
M. Marx: M. le ministre...
Le Président (M. Gagnon): Immédiatement
après, je reconnaîtrai le député de Duplessis qui
avait une question à poser tantôt.
M. Marx: Oui, quand on va changer de sujet.
Le Président (M. Gagnon): Bon.
M. Marx: Sauf s'il veut poser des questions sur la CECO...
Le Président (M. Gagnon): Voilà. M. Marx:
...je n'ai pas d'objection.
Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez changer de sujet,
je vais donner la parole au député de...
M. Marx: Sur la CECO, est-ce que le ministre est prêt
à rendre public un rapport, quitte à noircir les noms et les
informations qui peuvent impliquer un certain nombre de personnes? Parce qu'il
est évident qu'on ne veut pas avoir le nom des personnes.
Le ministre doit savoir qu'on peut faire une enquête sur n'importe
quelle industrie, sur n'importe quel groupe de personnes. On va trouver des
gens qui ont triché sur leurs impôts, on va trouver quelqu'un qui
a fait telle et telle chose. Cela est évident. Mais faire des
enquêtes sur la place publique, il y a toujours des fuites. Après
cela, on ne donne pas suite, on ne dit pas s'il va y avoir des poursuites, on
ne dit pas si les gens sont innocents. Donc, il arrive que des organismes
d'État refusent - c'est ce qu'on m'a dit -des subventions à
certaines personnes de l'industrie de la fourrure en disant: On ne sait pas si
tout ce que vous faites est honnête. Il y a un nuage - est-ce comme cela?
- de "suspicion", "a cloud of suspicion". Je pense... You have got to cut the
mustard, Mr. Minister. On "stall", on "stall", on va d'un mois à un
autre, d'une étude à une autre, aucune politique
cohérente. C'est toujours une étude qui va en suivre une
autre.
La Commission de police, 59 000 $
pour connaître la taille des policiers! On va avoir une
étude à l'automne. On va l'étudier. On va engager un autre
avocat à 500 $ par jour pour étudier l'étude qui... Cela
ne finit jamais parce qu'il n'y a personne qui prend une décision
politique, on va faire telle et telle chose ou non. C'est très simple,
prendre une décision.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je comprends la
préoccupation du député. Je veux d'abord faire une nuance.
Il s'agit d'un rapport d'enquête. Et c'est vrai, à chaque fois
qu'il y a une enquête... D'abord, le mot "enquête" fait peur au
monde. Les gens ont peut-être raison d'avoir peur, parce que des
enquêtes ou des procédures peuvent être abusives. Mais il
s'agit d'un rapport d'enquête. Donc, il n'a pas, en soi, à
être rendu public.
Deuxièmement, je comprends, cependant, que ce que le
député me dit, c'est: Écoutez, vous avez toute une
industrie, tout un secteur d'activité commerciale qui implique des
centaines de personnes au niveau patronal, des milliers de personnes au niveau
des travailleurs syndiqués, pour la plupart, dans ce domaine.
Il y a eu des allégations qu'il y avait du crime organisé
là-dedans. Il est évident que, si on enquête sur n'importe
quelle industrie, on va trouver des gens qui sont des délinquants, des
déviants qui fraudent l'impôt ou qui font des affaires pas
correctes. Je pense que c'est vrai. Alors, je peux, tout en prenant note de sa
question, peut-être pour rassurer un certain nombre de personnes, dire
que la conclusion de la CECO, c'est qu'il n'y a pas de telles choses que du
crime organisé dans l'industrie de la fourrure et du vêtement.
M. Marx: II n'y a pas de crime organisé.
M. Johnson (Anjou): II n'y a pas de crime organisé dans
l'industrie de la fourrure et du vêtement. Mais il y a, cependant, un
certain nombre de cas très précis, très
spécifiques, qui font l'objet d'une évaluation en matière
d'application de certaines lois. Mais...
M. Marx: Mais il s'agit de quel genre de crime.
M. Johnson (Anjou): ...ce n'est pas...
M. Marx: Est-ce que c'est le meutre? Est-ce que c'est le vol?
M. Johnson (Anjou): Ah non! On ne parle pas de cela.
M. Marx: Est-ce que c'est le viol? Quel genre de crime?
M. Johnson (Anjou): On parle, d'abord, d'infractions à un
certain nombre de lois. On parle d'infractions à des lois...
M. Marx: Au Code criminel?
M. Johnson (Anjou): Non, non, on parle d'infractions à des
lois provinciales, dans bien des cas.
M. Marx: Des lois provinciales, ce ne sont pas des infractions
criminelles.
M. Johnson (Anjou): Non, non, ce n'est pas de nature criminelle,
on se comprend bien.
M. Marx: Ce n'est pas de nature criminelle.
M. Johnson (Anjou): Bien oui, on se comprend bien. Des lois
provinciales, ce n'est pas de nature criminelle.
M. Marx: Ah non!
M. Johnson (Anjou): On parle de cela.
M. Marx: Oui.
M. Johnson (Anjou): J'ai demandé qu'on évalue un
certain nombre d'autres choses. Je regrette de ne pas pouvoir donner la
réponse aujourd'hui, je pourrai la donner... Et mon souvenir, c'est
qu'il... Je ne peux pas vous le dire avec certitude. Mais je pourrai vous dire
avec certitude bientôt si, oui ou non, il y a eu commission d'actes
criminels et si on entend poursuivre.
M. Marx: Oui, mais maintenant...
M. Johnson (Anjou): Effectivement, s'il n'y en a pas et si, de
l'avis de nos procureurs, un certain nombre d'allégations ou de faits
qui ont été portés à notre connaissance ne donnent
pas ouverture à des poursuites criminelles, nous pourrons clarifier
cette question très clairement, et je pense que cela doit l'être
pour des gens qui oeuvrent dans cette industrie, du côté des
travailleurs comme du côté des' entrepreneurs.
M. Marx: Le ministre a dit qu'il s'agit d'infractions à
des lois provinciales.
M. Johnson (Anjou): Oui, oui. Il y a de cela.
M. Marx: II y a de cela.
M. Johnson (Anjou): Je vous dis qu'en matière criminelle,
cependant, on évalue un certain nombre de situations. On veut savoir si,
oui ou non, il y a matière à poursuites
criminelles. Donc, je peux vous dire que d'emblée ce rapport, en
matière criminelle, ne pose pas des choses très manifestes. On se
comprend? Il ne conclut pas à l'existence du crime
organisé...
M. Marx: C'est cela.
M. Johnson (Anjou): ...tel qu'il a été
défini par la CECO. Je pense qu'il faut que ce soit très clair
quant à cela. Deuxièmement, un certain nombre de situations
exigent d'être évaluées pour savoir si, oui ou non, elles
doivent donner lieu à des poursuites en matière criminelle, mais
elles sont telles, dans ce qui nous est fourni comme rapport d'enquête,
que ce n'est assurément pas manifeste a priori...
M. Marx: Oui.
M. Johnson (Anjou): ...mais que cela exige un complément
d'information sur un certain nombre de choses. Troisièmement, il y a un
certain nombre de dispositions, possiblement des lois provinciales, qui
pourraient donner lieu à des poursuites pénales provinciales.
M. Marx: Depuis combien de temps le ministre a-t-il ce rapport?
Cela fait à peu près un an, maintenant, six mois, huit mois?
Combien de mois?
M. Johnson (Anjou): Non, non. À la fin du mois de
novembre, au début du mois de décembre.
M. Marx: Décembre, janvier... M. Johnson (Anjou):
Janvier... M. Marx: ...février, mars... M. Johnson
(Anjou): ...mars, avril. M. Marx: ...avril.
M. Johnson (Anjou): Cela fait cinq mois.
M. Marx: Dans cinq mois, on ne peut pas...
M. Johnson (Anjou): Cela ne fait pas un an.
M. Marx: Non, mais dans cinq mois, je pense que cela devrait
être possible d'évaluer et de dire si, oui ou non, on va
poursuivre des gens, de ne pas laisser ce nuage de suspicion.
M. Johnson (Anjou): D'abord, je dirai qu'il y a huit volumes dans
ce rapport.
M. Marx: Mais combien de procureurs au ministère?
M. Johnson (Anjou): Oui, mais ils ont beaucoup de travail. Ils ne
s'occupent pas juste des huit volumes de la CECO.
M. Marx: Engagez un procureur ad hoc!
M. Johnson (Anjou): II y a aussi les meurtres. Engager plus de
monde? Parfait.
M. Marx: Ad hoc si nécessaire.
M. Johnson (Anjou): Vous allez maintenir la taxe sur les
assurances. D'accord.
M. Marx: Est-ce que le ministre peut s'engager...
M. Johnson (Anjou): Je suis content de vous l'entendre dire.
M. Marx: Non, non. "The buck stops here". Le ministre
était d'accord, l'autre jour; sur le fait qu'il faut que cela
arrête quelque part. Est-ce que le ministre peut prendre l'engagement de
donner une réponse définitive...
M. Johnson (Anjou): Dans un délai raisonnable, oui,
oui.
M. Marx: ...disons d'ici à la fin de cette session, d'ici
le 21 juin? Je sais que je peux toujours compter sur...
M. Johnson (Anjou): Je vais consulter mon sous-ministre et je
vais vous dire cela.
M. Marx: M. le sous-ministre...
Le Président (M. Gagnon): Nous allons suspendre pour une
minute. Non? Cela va?
M. Johnson (Anjou): Non, cela va. La réponse ne satisfera
pas du tout le député de D'Arcy McGee. Ce n'est pas pour rien que
j'ai donné un mandat à la Commission de police d'évaluer
le banc de la CECO. Quand on a un rapport de huit volumes qui touche à
peu près tous les aspects du fonctionnement d'une industrie, qui touche
encore une fois des milliers de personnes, des dizaines, des centaines
d'entreprises, des regroupements syndicaux, etc., cela nous amène,
malgré toute la bonne volonté et tous les efforts qu'on puisse y
mettre, malgré les ressources maximales qu'on puisse y consacrer,
à devoir demander des compléments d'enquêtes
policières sur un certain nombre de choses pour les fins d'une poursuite
criminelle éventuelle.
Pour moi, c'est un élément à point nommé, un
"case in point", pour reprendre
l'expression américaine, du genre de difficulté que pose
la "publicisation" d'une enquête dans un domaine donné. Je pense
que les perspectives qu'il faut voir en termes de respect des droits de la
personne en même temps que de l'efficacité du système
judiciaire et policier, les perspectives que cela nous donne, c'est que, quand
on se donne des moyens extraordinaires de fonctionnement pour combattre le
crime, il faut que ces moyens nous permettent rapidement d'en arriver à
des conclusions... (17 heures)
M. Marx: Mais...
M. Johnson (Anjou): Les problèmes qu'on a avec les
rapports de la CECO, qu'on a eus depuis une dizaine d'années, c'est que,
pour certains aspects de ces enquêtes, le ministère de la Justice
se retrouvait avec des rapports fort bien fouillés de gens qui avaient
fort bien fait leur boulot, mais des rapports qui néanmoins exigaient
des compléments d'enquête au niveau des corps policiers pour des
fins de poursuite criminelle. Alors, ou bien on conclut que le ministère
joue très serré dans son évaluation, que nos procureurs
jouent très serré dans leur évaluation des causes qu'ils
considèrent comme devant être portées en vertu du Code
criminel, ou bien on considère que l'instrument qu'a été
la CECO ne fournit pas des moyens substantiellement adéquats pour nous
permettre de procéder rapidement en matière criminelle.
M. Marx: Juste une précision. Le ministre a parlé
de huit volumes. Est-ce que c'est huit volumes pour les deux
enquêtes?
M. Johnson (Anjou): Tout l'ensemble.
M. Marx: L'ensemble. Combien de pages dans chaque volume,
à peu près?
M. Johnson (Anjou): Ah Mon Dieu! C'est énorme.
M. Marx: Parce qu'on peut parler de huit volumes avec 50 pages
dans chaque volume.
M. Johnson (Anjou): Écoutez, je ne me souviens pas. Cela
fait plus d'un pied de papier, si je me souviens bien.
M. Marx: Est-ce que le ministre peut nous dire le coût de
ces deux enquêtes?
M. Johnson (Anjou): C'est cher. M. Marx: Bien, c'est quoi,
cher?
M. Johnson (Anjou): En 1984-1985, les crédits... Pardon,
cela vous prend 1983-1984? On va vous donner cela dans quelques secondes. Mais
enfin, c'est sûrement quelque chose de l'ordre, pour l'ensemble des
activités de la CECO pour cette année-là, où il y a
un maintien d'effectifs qui avaient un caractère quasi permanent depuis
10 ans, c'est quelque chose de l'ordre d'à peu près 300 000
$.
M. Marx: De 300 000 $. Cela est...
M. Johnson (Anjou): Je ne vous dis pas seulement pour
l'enquête sur le vêtement, mais les crédits dont on
parle...
M. Marx: Oui, mais c'est...
M. Johnson (Anjou): ...pour le banc CECO qui, à toutes
fins utiles, a travaillé sur trois choses. D'abord sur les suites de
certaines enquêtes précédentes. Deuxièmement, ils
ont travaillé en relation avec des corps policiers, entre autres avec le
juge Bernier dans le dossier de la boxe...
M. Marx: C'était...
M. Johnson (Anjou): Troisièmement, l'enquête sur le
vêtement. Les crédits sont de l'ordre d'au moins 300 000 $, pour
l'an dernier.
M. Marx: Oui, dans ce budget, on n'a pas comptabilisé les
salaires des enquêteurs, tout le monde qui a été
prêté par d'autres directions au ministère et ainsi de
suite. Est-ce que j'ai raison de dire que cela a coûté cher et
qu'on n'a rien eu pour notre argent? Est-ce que le ministre est conscient que
l'enquête sur le crime organisé, c'est un instrument des
années 1950-1960, et nous approchons maintenant la fin du siècle?
Donc, c'est un instrument qui était peut-être nécessaire au
début des années soixante. Est-ce que le ministre est conscient
que d'autres enquêtes... Cela ne prendrait pas une enquête de 50
000 $ pour savoir que ces enquêtes sur le crime organisé n'ont pas
vraiment donné beaucoup de choses, soit ici, soit ailleurs en
Amérique du Nord et même en...
M. Johnson (Anjou): Je pourrais vous dire que, dans le cas de...
C'est parce qu'on est dans un domaine où il faut bien voir, quand on
parle de la perception de ce qu'on a, de ce qu'est le crime organisé...
Vous avez lu les mêmes journaux que moi, et je pourrais vous donner un
certain nombre de noms ici qui sonneraient comme des cloches. Vous savez
très bien qu'on ne le fera pas parce qu'on respecte les droits de la
personne, etc. Mais je me rends compte aussi que, quand les organismes
spécialisés comme la CECO s'activent, dans les corps policiers,
parfois en réaction parce qu'ils voient là peut-être une
remise en cause de leur propre efficacité dans certains domaines, des
choses
s'activent. Je me rends compte qu'un certain nombre de personnes, au
Québec ou aux États-Unis, alors qu'elles faisaient l'objet
d'enquête au Québec, se sont retrouvées dans des
procédures criminelles qui les ont tenues à l'écart
pendant un certain temps. Et je pense que ce n'est pas étranger aux
conséquences de cette activité de la Commission d'enquête
sur le crime organisé.
M. Marx: Est-ce que le ministre a dit que cela prendra des
enquêtes complémentaires...
M. Johnson (Anjou): ...quatre, oui.
M. Marx: Est-ce que le ministre peut quand même fixer des
enquêtes policières?
M. Johnson (Anjou): On parle d'enquêtes
policières.
M. Marx: II peut y avoir un autre...
M. Johnson (Anjou): Je comprends, c'est...
M. Marx: Est-ce que le ministre peut nous donner la date
où ce sera possible pour lui de nous dire s'il y a matière pour
poursuivre certaines personnes, oui ou non? Parce que, si cela continue des
mois et des mois, cela prendra une autre étude pour étudier la
paperasse que cette enquête policière va produire et cela ne
finira jamais. "Self-Perpetuating Commission, Self-Perpetuating", et le
ministre est tombé dans le panneau. Le ministre a dit...
M. Johnson (Anjou): Vous n'avez pas remarqué que je n'ai
pas donné d'autres mandats à la CECO?
M. Marx: Oui, mais vous avez...
M. Johnson (Anjou): Pour la première fois en dix ans, il
n'y a pas eu de mandat additionnel donné à la CECO depuis le mois
de mars 1984, quand je suis arrivé au ministère de la
Justice.
M. Marx: Vous n'êtes pas prêt à dire
aujourd'hui, comme vous avez déjà dit: C'est la fin de la CECO.
Vous avez déjà dit cela, on vous a félicité dans la
Gazette.
M. Johnson (Anjou): La CECO n'est pas un organisme, c'est
l'application de l'article 20 de la Loi de police.
M. Marx: Êtes-vous prêt à dire que la CECO,
c'est fini et que le gouvernement ne donnera pas d'autres mandats?
M. Johnson (Anjou): C'est ce que j'ai dit: Le gouvernement ne
donnera pas d'autres mandats que celui qu'il a donné à la
Commission de police d'évaluer les dix ans de travaux de la CECO.
M. Marx: Donc, si on peut dire, la CECO est abolie.
M. Johnson (Anjou): La CECO n'a jamais existé autrement
que par le fait que la Commission de police avait des mandats
spécifiques è un de ses bancs en vertu de l'article 20. S'il n'y
a pas de mandat, il n'y a pas de CECO. Ce n'est pas: On va abolir la CECO; il
n'y en a plus de CECO...
M. Marx: C'est cela.
M. Johnson (Anjou): ...au sens de l'article 20, dans la mesure
où elle n'a pas de mandat. Elle n'a pas de mandat depuis le dernier
qu'elle a eu et qui était l'enquête sur le vêtement.
M. Marx: Le ministre nous dit qu'il ne donnera pas d'autres
mandats.
M. Johnson (Anjou): Je n'ai pas de projet de mandat à
donner à la Commission de police en vertu de l'article 20.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député.
M. Marx: Ma dernière...
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, car le temps passe
vite. J'ai deux députés qui ont demandé la parole: le
député de Duplessis, suivi du député de
Deux-Montagnes.
Nomination des juges
M. Perron: Merci, M. le Président; deux courtes questions.
Je voudrais revenir à la question qui a été
soulevée tout à l'heure par le député de D'Arcy
McGee et se rapportant à la nomination des juges. Pour bien comprendre
la nomination des juges par le gouvernement du Québec, est-ce que le
ministre pourrait informer les membres de cette commission sur la
procédure actuelle, de A à Z, par rapport à la nomination
d'un juge, et sur la procédure antérieure par rapport à
cette même nomination d'un juge?
M. Johnson (Anjou): La procédure actuelle, je l'ai
décrite: des avis de concours de sélection de juges sont
publiés périodiquement dans la revue du barreau pour les
différents tribunaux - en matière criminelle ou en matière
civile ou en matière de jeunesse - que le Québec possède.
À partir de la publication de ces avis, les membres du barreau ayant
plus de dix ans de pratique envoient un curriculum vitae au
secrétariat du ministère, lequel est chargé de
cela, et une personne en particulier a la responsabilité de recevoir ces
choses; et elle est tenue à la confidentialité, qu'elle
respecte.
On fait une espèce de présélection. Des gens
peuvent envoyer leur curriculum vitae, mais cela fait juste neuf ans et demi
qu'ils sont membres du barreau et ils disent: Dans les jours qui suivront le
concours, j'obtiendrai ma dixième année de pratique. On doit
éliminer, à leur face même, un certain nombre de candidats.
Les autres se présentent devant un jury formé d'un
représentant du juge en chef ou du juge en chef lui-même de la
cour qui est concernée, la Cour des sessions de la paix, par exemple, en
matière criminelle, la Cour provinciale en matière civile, ou le
Tribunal de la jeunesse. Une deuxième personne nous vient du barreau
régional ou du barreau québécois, selon le cas. Il y a
souvent des problèmes de connaissance des personnes les unes par rapport
aux autres; il se peut que, parmi les candidats en Gaspésie, il y ait
des gens qui soient les cousins, les frères ou les associés du
bâtonnier de la Gaspésie ou de cette région. Alors, ce
qu'on fait, c'est qu'on désigne un représentant qui vient d'une
autre région. Troisièmement, le ministre de la Justice nomme un
citoyen qui siège à ce jury. Ce citoyen peut être souvent
quelqu'un qui est issu des milieux sociaux ou un citoyen qui s'est
impliqué dans un certain nombre d'organismes bénévoles.
Par exemple, dans le cas du Tribunal de la jeunesse, on va aller chercher une
citoyenne ou un citoyen qui s'est intéressé en particulier aux
questions relatives à la jeunesse; quelqu'un, en général,
non pas toujours, qui n'a pas de formation juridique et qui essaie d'apporter
un point de vue un peu différent en ce qui concerne le jury de
sélection.
À ce moment, les candidats passent devant le jury et ensuite le
jury m'envoie, sous la signature des trois membres, une liste
d'admissibilité où on me dit: Voici, nous avons rencontré
tant de candidats et nous considérons que les personnes suivantes sont
admissibles. L'on fait ou l'on ne fait pas des catégories. On
considère que tel candidat est exceptionnel, les autres sont
admissibles, etc. Par la suite, le ministre de la Justice consulte cette liste
et se fait une idée à partir de toutes sortes de critères.
Je vous dirai que je fais jouer un certain nombre de critères. Par
exemple, nous avons fait un effort particulier depuis un an pour nommer des
candidates féminines au poste de juge, parce qu'il faut le faire. On
n'est pas obligé d'attendre les règlements de l'accès
à l'égalité et ces affaires-là, c'est un choix.
M. Marx: Nommer d'anciens présidents de l'Assemblée
nationale.
M. Johnson (Anjou): Ou encore des gens qui ont des états
de service remarquables comme d'anciens présidents de l'Assemblée
nationale; et pourquoi pas? Ce sont des gens qui se qualifient aux yeux d'un
jury formé d'un juge en chef ou de son représentant, d'un
représentant du barreau régional ou québécois et
d'un troisième citoyen.
Avant il n'y avait rien, point. Le ministre de la Justice disait: Voici,
il y a trois postes à la Cour provinciale et il nommait qui il voulait,
point.
M. Marx: Est-ce qu'on a de meilleurs juges maintenant?
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre a la parole.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, encore une fois, je
ne veux pas prétendre ici que les juges nommés sous l'ancien
régime n'étaient pas des gens compétents; je dis
simplement que nous nous sommes imposé, comme gouvernement, une
réglementation au ministère de la Justice alors que la loi ne
l'exigeait pas. Nous nous sommes imposé un minimum de sélection
et de présélection qui doit être fait par le milieu
juridique lui-même et la magistrature ainsi que la présence d'un
citoyen.
Je crois que cela permet de constater qu'il y a là un processus
qui a ses inconvénients. D'abord, cela prend plus de temps: dans bien
des cas, on serait prêt à nommer un juge et ce serait utile de le
nommer la semaine prochaine dans telle région, mais cela prend quoi?
Deux mois et demi, trois mois entre le moment où le concours est
lancé et le moment où l'on prend la décision. C'est
évident qu'il y a un inconvénient. Il y a d'autres
inconvénients aussi qu'on pourrait voir. Par exemple, on pourrait y voir
que le barreau et la magistrature, théoriquement, dans un système
comme celui-là, auraient tendance à autoperpétuer un
certain nombre de tendances et d'approches de toutes sortes et de toutes
natures. (17 h 15)
Dans notre système, le ministre de la Justice accepte donc cette
espèce de préjugement qui est fait par d'autres personnes avant
de proposer des noms au Conseil des ministres. En fin de compte, c'est simple
et c'est plus représentatif, cela incite à plus de prudence et
à s'assurer que, par exemple, si des gens qui ont eu des
allégeances politiques ou partisanes... Ce n'est pas parce que des gens
ont fait de la politique que cela veut dire qu'ils sont incompétents
pour être juges. Au contraire, dans bien des cas, des gens qui ont fait
de la politique ont des qualités remarquables. Dans l'histoire du
Québec et l'histoire des tribunaux supérieurs au Canada comme
dans
l'histoire américaine, la Cour suprême est pleine
d'exemples de gens qui ont fait de la politique active et qui ont
été de remarquables juges et juristes. Mais on s'impose, par ce
processus de sélection, qu'il y ait un certain filtrage qui soit fait
pour protéger finalement le gouvernement et le ministre de la Justice
lui-même contre le fait que des nominations ne soient pas que partisanes.
Dans notre système, elles ne peuvent pas être que partisanes
puisque les gens ont obtenu d'être sur une liste d'admissibilité
par un jury formé par le juge en chef d'une cour, un représentant
du barreau - qui n'est pas nécessairement du même parti politique;
on pourrait même dire des fois que la règle, c'est le contraire -
et d'un citoyen nommé par le ministre. Je crois que c'est un meilleur
système, globalement.
Le Président (M. Gagnon): Je vais vous demander de
raccourcir un peu vos réponses parce que j'ai au moins deux autres
questions que je vois et le temps passe vite. M. le député de
Duplessis.
M. Perron: D'abord, je voudrais faire deux commentaires. Le
premier commentaire que je voudrais faire, c'est qu'effectivement la
façon dont on fait la sélection des juges actuellement
démontre une prudence par rapport à ce qui se faisait
antérieurement. C'est un commentaire personnel que je fais.
Dans un deuxième temps, je voudrais vous dire aussi que, lorsque
j'ai posé la question en deux volets au ministre, loin de moi
était l'idée de demander au ministre de faire une
évaluation de chacun des juges qui ont été nommés
antérieurement ou de ceux qui sont nommés actuellement et qui
sont sur le banc. Là n'était pas le but de ma question. Si je
fais ce commentaire, c'est fondamentalement à la suite de ce qu'a dit le
député de D'Arcy McGee se rapportant à l'évaluation
de certains juges qui avaient été nommés, en particulier
depuis l'existence de ce comité de sélection et du pouvoir de
recommandation.
Le Président (M. Gagnon): Cela va-t-il? M. Perron:
Cela va.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais
poser une question au ministre au sujet des cours municipales. Je voudrais
demander au ministre si les pouvoirs que la loi lui confie...
M. Johnson (Anjou): J'entends. Il voudrait savoir si les pouvoirs
que la loi lui confie...
M. de Bellefeuille: ...lui permettent, au ministre, de faire en
quelque sorte des suggestions aux juges municipaux quant à leur
méthode de fonctionnement?
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le député aurait un
cas particulier?
M. de Bellefeuille: Ce n'est pas un cas particulier; je crois que
c'est une pratique assez répandue. La pratique à laquelle je fais
allusion, c'est la pratique selon laquelle - là je ne voudrais pas
affirmer que cela se passe toujours comme cela, cela m'a été
signalé plusieurs fois; donc, cela se passe assez souvent comme cela -
les comparants qui ne sont pas représentés par un avocat sont
automatiquement renvoyés au bas du rôle, sous prétexte de
libérer messieurs et mesdames les procureurs et les procureures. Ce qui
a pour effet de désavantager très nettement ces comparants non
représentés par des avocats. C'est assez répandu, et je
voudrais savoir si le ministre a quelque pouvoir de directive, quelque pouvoir
de suggestion, quelque pouvoir de réglementation en la matière
pour mettre un terme à cette pratique qui est en quelque sorte
discriminatoire.
M. Johnson (Anjou): Pour répondre spécifiquement
à la question du député: non, je n'ai pas de pouvoir sur
cela parce que c'est une question de gestion des rôles. La gestion des
rôles relève des juges eux-mêmes. Cependant, je ne sais pas
quelle est l'étendue de cette pratique. Il est fort possible qu'elle
existe et je présume que le député connaît des
cas.
Je pourrais bien vous dire: Bon, écoutez, ce sont les procureurs
municipaux, ce ne sont pas les procureurs de la couronne - c'est un fait - ce
sont des procureurs nommés par les municipalités qui
siègent là en poursuite, et les juges ont la gestion de leur
rôle et on ne rentrera pas dans cela avec eux, etc. Cependant, je dois
dire que la Conférence des juges municipaux, depuis, je dirais, deux ou
trois ans, s'active passablement sur le plan d'une meilleure standardisation
des pratiques, si on veut. Mais, encore une fois, c'est fait strictement sur
une base volontaire.
Je suis allé au dernier congrès de la Conférence
des juges municipaux à Trois-Rivières pour me rendre compte,
notamment, que, sur une base tout à fait volontaire, des juges
municipaux, qui sont des gens remarquablement impliqués dans leur milieu
juridique, ont décidé, par exemple, de faire eux-mêmes une
sorte de guide, une amorce de jurisprudence municipale dans certains secteurs,
etc.
Je prends bonne note de la question du député. Il n'y a
pas de solution à cela par voie d'un pouvoir ministériel et je
pense que
c'est incompatible avec le type d'institution qu'on a. Cependant, je
suis extrêmement sensible à cela, d'autant plus qu'il y a un
projet qui traîne dans la nature depuis un certain nombre d'années
et sur lequel on n'a pas mis de priorité pour le moment. Mais cela
viendra après la réforme des tribunaux en matière
criminelle, de jeunesse, civile et administrative. Ce seront ensuite les cours
municipales.
Je pense que la pratique des quelques dernières années et
le rôle de la Conférence des juges municipaux nous
amèneront peut-être à leur permettre de dégager un
manuel de pratique ou des choses de cette nature où il faudrait faire
attention, effectivement, à ce type de situation.
Le Président (M. Gagnon): M. le député.
M. de Bellefeuille: Oui, merci, M. le Président. Je prends
bonne note de la réponse du ministre et je voudrais juste ajouter une
question dans un tout autre domaine. Je voudrais revenir à ce que le
ministre disait, il y a cinq minutes. Le député de Duplessis a
repris les affirmations du ministre sur la méthode du choix des
personnes qui sont appelées à être nommées juges. Le
député de Duplessis en a parlé pour dire que cela
représentait, de sa propre connaissance, un très net
progrès.
Je reconnais que c'est un très net progrès à partir
d'une situation où on était dans l'arbitraire pur, qui pouvait
permettre la plus totale partisanerie dans le choix de ces personnes. Mais,
là, je suis un peu étonné d'une phrase que le ministre a
employée avec insistance. Il a dit que c'était bon pour le
ministre lui-même de s'assurer que les nominations ne sont pas que
partisanes. Je me demande si le ministre ne s'est pas trompé.
M. Johnson (Anjou): Non, absolument pas.
M. de Bellefeuille: Parce qu'en disant cela le ministre veut dire
qu'elles sont partisanes. Est-ce que le ministre est en train de
formuler...
M. Johnson (Anjou): Je suis parfaitement à l'aise dans
l'utilisation de cette expression, M. le Président. Ce qui
m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges qualifiés. Ce qui
m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges impliqués. Ce qui
m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges dynamiques. Je pense que c'est
cela le rôle du ministre de la Justice, c'est de s'assurer que les
tribunaux fonctionnent et qu'ils ne fonctionnent pas juste avec des lois et de
la théorie. Ils fonctionnent avec des personnes qui s'appellent des
juges.
Dans notre système de droit, une fois que ces personnes sont
nommées, on leur doit le respect, la déférence et le
respect de leur indépendance. Donc, dans le processus de
sélection, si on veut infléchir une approche qu'on peut voir
devant un tribunal, avec les années, il est normal qu'on tienne compte
de facteurs qui, au-delà des qualifications de nature purement
technique, sont des facteurs d'orientation, non pas au sens politique du terme,
mais, par exemple, je connais des juges dans certains types de tribunaux, qui
ont fait l'objet de nominations récentes, soit depuis quelques
années, qui se sont fait remarquer pour la qualité de leur
travail, leur implication, leur dynamisme, la remise en cause, par exemple,
qu'ils ont faite de certaines pratiques longuement établies et je suis
parfaitement conscient que le ministre de la Justice, quand il nomme un juge,
sait qu'une fois que c'est fait c'est fait pour longtemps. Ce n'est pas vrai
qu'il va appeler des juges pour dire: Écoutez, M. le juge, il me semble
que vous devriez procéder de même. Le ministre de la Justice peut
avoir une certaine idée à savoir comment cela devrait fonctionner
sur le plan des tribunaux et il peut espérer que les personnes qu'il
nomme traduiront ce type d'approche.
M. de Bellefeuille: M. le Président...
M. Johnson (Anjou): Ceci dit, M. le Président, je crois
que ce n'est pas un stigmate dans notre société que d'avoir
été un militant politique ou d'avoir agi politiquement dans des
fonctions électives ou autrement. On ne devrait pas a priori
disqualifier des personnes pour des raisons politiques, parce qu'elles ont un
jour milité en politique. Mon expérience en politique, c'est que
l'immense majorité de celles et ceux qui en font le font parce qu'ils
sont préoccupés par autre chose que leur vie à eux, leur
quotidien, arriver à la maison et regarder la TV. Ils ont le goût
de s'impliquer dans des problèmes qui touchent la collectivité.
Ils s'intéressent à un problème particulier ou à
des problèmes particuliers dans la société, et c'est un
réservoir remarquable en termes de personnes dynamiques et
impliquées.
Je dis simplement, cependant, qu'un régime de
présélection comme celui que nous avons met à l'abri le
ministre de la Justice - et le gouvernement - quand il nomme des personnes aux
tribunaux, de l'accusation de pure partisanerie qui a déjà fait
l'objet de critiques publiques dans le passé. Oui, j'ai nommé un
certain nombre de juges qui avaient été députés de
l'Assemblée nationale, des militants de mon parti, comme j'ai
déjà nommé des juges qui étaient d'anciens
libéraux. Chose certaine, je les ai nommés à partir d'une
liste où on me disait que toutes ces personnes étaient
qualifiées pour siéger
comme juges aux yeux du juge en chef, aux yeux d'un représentant
du barreau et aux yeux d'un citoyen.
Pour moi, c'est là un garde-fou important; c'est une balise qui
est extrêmement utile pour conserver la crédibilité dans le
système. Mais ça ne veut pas dire pour autant que, quand le
ministre nomme des gens, il se déresponsabilise. Le député
dit: "The buck stops here." Oui, "the buck stops here." Quand j'ai une liste
d'admissibilité de...
M. de Bellefeuille: Je n'ai pas dit ça du tout.
M. Johnson (Anjou): C'est le député de D'Arcy McGee
qui disait ça.
M. de Bellefeuille: Oui, mais ce n'est pas lui qui avait la
parole.
M. Johnson (Anjou): C'est parce que les députés ont
l'air de travailler ensemble sur beaucoup de choses depuis quelque temps.
M. de Bellefeuille: Cela, M. le Président, c'est de la
partisanerie bête de la part du ministre.
M. Johnson (Anjou): Quand j'ai une liste d'admissibilité
pour un poste...
M. de Bellefeuille: M. le Président, ce n'est pas facile
de rester calme et de rester gentil avec quelqu'un qui nous donne un
roman-fleuve de vasouillage quand on essaie de lui parler calmement d'une
question importante. Pourquoi le ministre fait-il semblant de ne pas
comprendre?
M. Johnson (Anjou): Quoi?
M. de Bellefeuille: Je suis d'accord avec tout votre vasouillage
sur la magistrature, à laquelle il faut reconnaître toutes les
vertus, mais la question n'est pas là du tout. Je m'en prends à
une phrase que le ministre a dite avec insistance, soit qu'il faut s'assurer
que les nominations ne sont pas que partisanes. À mon avis, les
nominations ne doivent pas être partisanes.
Là, le sous-ministre cause au ministre pendant que j'essaie de me
faire comprendre du ministre.
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, à l'ordre,
s'il vous plaît! Il nous reste cinq minutes et je sais que le
député de D'Arcy McGee a aussi une question à poser.
Est-ce qu'on pourrait en venir à votre question?
M. de Bellefeuille: M. le Président, j'ai
été bref, et c'est le ministre qui prend énormément
de temps pour ne rien dire. Je prétends que les nominations de juges ne
doivent pas être partisanes. Dans sa longue réponse, le ministre
semblait prendre une espèce de pause dans ce sens pour dire que le fait
qu'une personne a fait de la politique ne doit pas être invoqué
contre elle. Je suis absolument d'accord, c'est cela une nomination qui n'est
pas partisane. Alors pourquoi, M. le ministre, ne diriez-vous pas qu'il faut
s'assurer que les nominations ne sont pas partisanes, plutôt que de dire
qu'il faut s'assurer qu'elles ne sont pas que partisanes?
M. Johnson (Anjou): M. le Président, parce qu'on ne peut
pas faire rentrer, dans la tête et dans les esprits des gens, les autres.
Je vous dis simplement que, dans le système de justice qu'on a, la
notion du droit et de l'apparence du droit est importante, la notion de justice
et d'apparence de justice est importante. Dans le processus de sélection
des juges, maintenant, je crois que l'appareil exécutif est à
l'abri de l'accusation dont n'étaient pas protégés ceux
qui nous ont précédés, qui faisaient des nominations
partisanes parce que le processus ne donnait aucune garantie.
Par ailleurs, j'ai pris bonne note du fait que mes propos sur
l'indépendance de la magistrature sont considérés, par le
député de Deux-Montagnes, comme du vasouillage.
Une voix: Ce qu'il est bétel
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee, une très courte question et une très courte
réponse et on va mettre fin à nos travaux.
M. Marx: Ma question est très simple, M. le
Président. J'ai tellement de questions que j'espère que le
ministre sera d'accord pour revenir après le vote.
M. Johnson (Anjou): Fini!
M. Marx: Je sais qu'il aime même répondre aux
questions. Ma question porte sur le racisme dans l'industrie du taxi.
M. Johnson (Anjou): Oui.
M. Marx: Nous avons eu le rapport de la Commission des droits de
la personne. Cela a coûté des centaines de milliers de dollars,
peut-être 400 000 $, sans compter les coûts indirects. La
Commission des droits de la personne a produit un rapport. Qu'est-ce que le
ministre a fait avec les recommandations de la Commission des droits de la
personne? A-t-il donné suite aux principales recommandations de la
Commission des droits de la personne?
M. Johnson (Anjou): La principale recommandation touchait le
ministère des
Transports et j'ai transmis à mon collègue le rapport en
l'informant de l'importance que nous accordions à ce sujet. Il est exact
de prétendre que les principales recommandations qui touchent les
allégations de racisme et l'existence de racisme dans l'industrie sont
essentiellement entre les mains du ministère des Transports.
M. Marx: Mais a-t-il adopté la réglementation
proposée par la Commission des droits de la personne ou...
M. Johnson (Anjou): Je sais que c'est à l'étude au
ministère des Transports.
M. Marx: Mais cela fait des années maintenant qu'on passe
le "buck" comme cela.
M. Johnson (Anjou): Par ailleurs, M. le Président, le
ministère de la Justice a donné suite aux recommandations en
matière de poursuite.
M. Marx: On a envoyé le rapport au ministre des
Transports, mais cela fait des années...
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! Est-ce que les crédits du ministère de la Justice
sont adoptés?
M. Johnson (Anjou): Adopté. M. de Bellefeuille: Sur
division.
M. Marx: Sur division, faute de temps pour vraiment accomplir
notre travail comme il faut.
Le Président (M. Gagnon): Cette commission suspend ses
travaux jusqu'à 20 heures, alors que nous étudierons les
crédits du ministère délégué à
l'Emploi et à la Concertation.
(Suspension de la séance à 17 h 33)
(Reprise à 20 h 8)
Emploi et Concertation
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission des institutions se réunit avec le mandat de
procéder à l'étude des crédits budgétaires
du Conseil exécutif. Programme no 6, Emploi et Concertation, pour
l'année financière 1985-1986.
M. le Secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire: Oui. M. Lévesque
(Bonaventure) est remplacé par M. Scowen
(Notre-Dame-de-Grâce) et M. Mailloux (Charlevoix) est remplacé par
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges).
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, pour les
remarques préliminaires.
Remarques préliminaires M. Robert Dean
M. Dean: Oui, M. le Président. J'aimerais d'abord
présenter mes accompagnateurs et accompagnatrices à l'Opposition.
Je suis accompagné de M. Aubert Ouellet, mon sous-ministre, M. Raymond
Bachand, président du conseil d'administration de l'Institut national de
la productivité, M. Marcel Alain, directeur général, Mme
Lise Poulin-Simon, sous-ministre adjoint à l'emploi, M. Pierre Fontaine,
du secrétariat des conférences socio-économiques, M.
Pierre Roy, du secrétariat des conférences
socio-économiques, Mme Pierrette Petit, adjointe à M. Ouellet, M.
Jean Demers, du secrétariat des conférences
socio-économiques, Mme Francine Lahaye, ma directrice de cabinet, MM.
Hubert Thibault et Laurent Martineau, de mon cabinet.
M. le Président, vous me permettrez peut-être, au risque de
prendre quelques minutes de notre temps, parce que la fonction
ministérielle que j'occupe est toute nouvelle, de vous donner quelques
notes quant à l'identité, la mission et l'orientation qu'on veut
donner à cette nouvelle fonction ministérielle.
Le 20 décembre dernier, le premier ministre m'a confié le
mandat d'élaborer une politique gouvernementale d'ensemble susceptible
de favoriser le plein emploi au Québec, de coordonner les politiques des
divers ministères relatives à l'emploi, de promouvoir la
concertation des agents socio-économiques et d'être responsable du
secrétariat des conférences économiques.
La raison d'être de cette innovation dans les fonctions du
gouvernement est que, depuis 1945, le taux de chômage au Québec,
sans exception ou à peu près, a toujours été
supérieur de 20 % à 30 % à celui du Canada et encore plus
élevé que celui de l'Ontario. Au lendemain de la guerre, cela
pouvait sembler en quelque sorte normal. On vivait le passage d'une
économie agricole refermée sur elle-même à une
économie industrielle exportatrice qui, aujourd'hui, représente
40 % de notre production. On a longtemps cru que les forces vives de
l'économie résoudraient à elles seules le problème
du chômage et le maintiendraient à un niveau acceptable qui est,
par définition, un niveau très bas.
Par la suite, les mentalités ont changé
au Québec et l'idée que l'État devait prendre le
leadership, intervenir et entraîner la croissance économique s'est
installée. Pourtant, chose curieuse, la première politique
d'ensemble de développement économique au Québec date de
1977. Il s'agit de "Bâtir le Québec 1" que le Conseil
économique du Canada a qualifié d'une première
véritable stratégie de développement industriel de la part
d'une province au Canada. "Bâtir le Québec 2" fut suivi du virage
technologique en 1982. Il s'agissait de réorienter les moyens d'action
du gouvernement vers des objectifs de productivité, de
pénétration de nouveaux marchés, d'accentuation de la
recherche dans les secteurs prometteurs et l'augmentation de l'autosuffisance
alimentaire.
Cette stratégie s'est caractérisée par des efforts
énormes de modernisation de nos secteurs traditionnels, de rattrapage
dans des secteurs industriels où le Québec est faible par rapport
à d'autres provinces ou pays et, troisièmement, de
développer de nouveaux secteurs de pointe.
Ces énoncés de politique économique ont aussi
préconisé l'implication des agents socio-économiques dans
une tentative de concertation afin d'arriver à des consensus autour des
différents problèmes économiques qui existent au
Québec. Ces efforts devaient pourtant s'ajuster aux changements de la
conjoncture économique.
La crise économique de 1981-1982 au Québec a
été désastreuse plus qu'ailleurs en raison des effets
d'une politique monétaire démentielle de la part du gouvernement
fédéral et ses effets sur les PME sous-capitalisées plus
au Québec qu'ailleurs et plus au Canada qu'aux États-Unis
d'ailleurs, ces entreprises comptant sur des financements par dette.
Le gouvernement a apporté en plus de ces énoncés de
politique, à la suite de cette crise, les mesures prises au mont
Sainte-Anne, en mars 1983, pour contrer d'urgence des problèmes
causés par la crise et le programme de Compton, en novembre 1983, qui
traduisait un désir de s'attaquer aux éléments plus
structurels de la conjoncture économique. Les résultats ont
été, nous le savons, spectaculaires.
Je n'ai pas l'intention, à ce stade-ci, de revenir
là-dessus. Cependant, un aspect est rapidement apparu
préoccupant, non seulement au Québec, mais ailleurs dans le monde
occidental. C'est que la reprise économique seule ne suffirait pas
à ramener le taux de chômage à des niveaux plus vivables,
à tout le moins, pas à court, ni à moyen terme et ce,
malgré le fait qu'en 1983 et 1984, le Québec ait
créé 38 % des emplois créés au Canada. En 1984, 80
000 emplois ont été créés à Québec.
Le taux de chômage du Québec, supérieur de 20 % à 30
% à celui du Canada depuis 40 ans, a été ramené,
depuis le début de 1985, à environ 10 % de plus que le taux
canadien.
À cette situation, il faut aussi ajouter le
phénomène des mutations profondes déjà
apportées par des changements technologiques. Les pressions sur
l'entreprise et à la main-d'oeuvre sont importantes. Le virage
technologique, que nous devons réussir mieux que tout autre en raison de
la taille de notre économie et de son ouverture sur le monde, doit nous
permettre de porter notre niveau de productivité, notre niveau de
compétitivité à celui de nos concurrents et aussi la
qualité et le prix de nos produits à un niveau concurrentiel avec
les autres pays, les autres concurrents économiques sur les
marchés.
Au-delà des actions entreprises de restructuration
économique, de développement, d'expansion industrielle et de
croissance économique, le gouvernement s'est donc attaqué
à définir où et comment on pourrait agir pour aider
à corriger la situation intenable d'un chômage coriace qui s'est
maintenu depuis 40 ans, comme je l'ai dit, à un niveau plus
élevé que celui de la moyenne canadienne. Le gouvernement a
décidé de se doter des éléments et des institutions
d'une politique qui vise le plein emploi des ressources humaines au
Québec.
Une définition rapide d'une politique de plein emploi: un
ensemble de mesure et d'institutions qui vise à assurer un emploi pour
toute personne qui désire travailler, un emploi véritablement
productif et librement choisi et faisant appel à ses compétences
actuelles ou des compétences qui pourraient être acquises par une
formation appropriée. Donc, une politique de plein emploi n'est pas une
politique d'assurance-chômage ou d'aide sociale. Ce n'est pas une
politique de création artificielle d'emplois temporaires, c'est un choix
de société, un choix par lequel une société
décide de faire de l'emploi l'objectif primordial de toutes ses
politiques économiques, en quelque sorte faire de l'emploi, une
obsession nationale. Ce n'est pas une garantie en soi d'atteindre l'objectif
mais plutôt la garantie d'un effort constant et soutenu vers l'objectif
de la part de tous les agents économiques de notre
société. Une politique de plein emploi vise à créer
des emplois non par une diminution de la part de chacun dans la richesse
collective mais bien par l'augmentation de cette richesse collective.
Une politique de plein emploi peut être divisée en trois
volets. Rapidement, les mesures de stabilisation macro-économique plus
classiques, entre autres les mesures fiscales, budgétaires, politiques
monétaires, politiques commerciales, politiques tarifaires.
Deuxième volet: les mesures du marché du travail tant au niveau
de l'offre que de la demande. Là, on peut imaginer les mesures de
formation, d'information sur le marché du
travail, de formation et de recyclage des travailleurs et de
l'entreprise en difficulté, d'aide à l'expansion de l'entreprise,
de protection des emplois en danger par différentes mesures d'aide
à l'entreprise. Troisième volet: le développement
régional et sectoriel. Le gouvernement a déjà des mesures
dans le cadre de chacun de ces trois volets. Cependant, le succès de la
lutte au chômage demande que les décisions soient prises en
impliquant les partenaires socio-économiques, les décideurs
économiques, surtout les entreprises qui prennent la majorité des
décisions économiques pour l'investissement, la vente des
produits sur les marchés internes ou externes, et les travailleurs aussi
qui, par leur décision économique au niveau de la convention
collective, au niveau de la qualité et de la nature de leur travail
comme employés, contribuent à avancer ou à retarder les
possibilités que ces entreprises soient rentables, concurrentielles.
Cela veut dire la concertation, par définition, dans une démarche
de plein emploi.
À cet égard, le Québec a déjà
l'expérience de la concertation. Depuis 1977, nous sommes rendus
à un total de 37 sommets ou conférences. Les résultats ont
été, à plusieurs égards, probants, très
utiles à notre société, à la mentalité, au
dialogue social. Cela a apporté plusieurs résultats concrets en
termes de création d'emplois, en termes de nouveaux programmes, de
nouvelles politiques souvent à la demande d'un secteur industriel
précis qui avait des problèmes particuliers face à la
concurrence.
Pourtant, dans le contexte d'une politique de plein emploi, notre
tradition de sommet ne peut pas être appliquée telle quelle. Il
faut, avec le consentement des partenaires socio-économiques, faire
évoluer notre démarche de concertation vers une nouvelle forme.
Cette nouvelle forme, en terme expérimental c'est la formation d'une
table nationale de l'emploi. Depuis le début de l'année, je me
suis employé à persuader les principaux agents économiques
du secteur privé à participer à ce que nous appelons
maintenant la table nationale de l'emploi. Il s'agit d'une structure paritaire,
patronale-syndicale présidée par moi-même où peuvent
siéger, selon les dossiers, mes collègues des ministères
sectoriels et où siège également une représentante
des groupes de femmes. Cette table se veut permanente, les
délibérations ont lieu à huis clos pour permettre de
dédramatiser le débat et de favoriser l'ouverture et l'engagement
des partenaires.
Brièvement, le rôle de la table, c'est d'agir à
titre de conseiller privilégié du gouvernement, d'établir
conjointement les priorités de la lutte au chômage, de
définir les moyens d'action. Cette table nationale sera appuyée
par des tables régionales qui pourraient servir de détonateur
pour les problèmes régionaux ou sectoriels.
Je terminerai en indiquant que le 27 mars dernier, le Conseil des
ministres a décidé d'ajouter à mes responsabilités,
qui sont les secrétariats à l'emploi et aux conférences
socio-économiques, l'Institut national de productivité. En effet,
les liens offerts entre l'emploi et la productivité sont étroits
surtout dans le contexte que j'ai déjà exposé,
d'augmentation de la richesse collective plutôt que le partage accru de
la richesse existante.
Je suis conscient que l'exposé que je viens de faire n'a
qu'effleuré plusieurs aspects de la question mais je ne doute pas que
les questions des membres de la commission sauront éclaircir les zones
obscures. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Reed Scowen
M. Scowen: D'abord, il me fait plaisir d'avoir l'occasion de
parler pour la première fois face à face au ministre qui a un
nouveau mandat, un mandat fort important. J'ai essayé, en voie de
préparation, d'examiner les documents qui sont disponibles
jusqu'à maintenant pour avoir une idée de ses intentions. Le
ministère est très nouveau et on n'a pas grand-chose mais le
ministre m'avait envoyé deux documents: un qui s'appelle
"Réflexion et informations sur le plein emploi" et un deuxième
document de réflexion sur la table nationale de l'emploi qui n'est pas
rendu public. Je vais essayer de respecter les aspects qui semblent
confidentiels dans le document. J'ai aussi profité de quelques articles
parus dans les journaux dernièrement concernant les entrevues qu'il a
accordées.
Les commentaires que je vais faire -j'ai écouté le
ministre dans ses commentaires préliminaires - seront basés sur
ces informations. Premièrement, j'ai l'intention de faire quelques
commentaires et poser quelques questions au ministre. Je pense que cela serait
peut-être mieux si je passe rapidement à travers la liste et on
pourrait revenir une par une après, juste pour vous donner une
idée de l'orientation générale dans laquelle on se situe
ici.
La première chose, c'est que je constate immédiatement que
le ministre tient vraiment à la création d'emplois comme à
une obsession personnelle et à une obsession pour son gouvernement.
C'est une obsession que je partage et je pense que c'est partagé par ma
formation politique. Il y a des choses qui sont bonnes dans son affaire. Je ne
veux pas trop parler ce soir des bons côtés. Ce n'est pas à
moi à lui faire des félicitations.
Je pense que le meilleur élément dans l'affaire, c'est une
manifestation claire de cette préoccupation. C'est peut-être une
base sur laquelle on peut commencer à construire quelque chose. Ceci
étant dit, je dois dire au ministre que j'ai beaucoup de questions et
beaucoup de réticences en ce qui concerne les modalités qui
semblent se dégager d'une première lecture de ces documents.
La première chose que je veux dire, c'est que vous devez regarder
froidement la situation. Je pense que vous ne l'avez pas fait jusqu'ici. Je
sais très bien que nous sommes dans une immense bataille de chiffres sur
la création d'emplois au Québec. C'est de bonne guerre; les deux
côtés en font. Mais, je suis convaincu que si vous regardez
l'évolution de l'emploi depuis, 1970 ou même avant, vous allez
voir, bien sûr, que la création d'emplois au Québec
était toujours à un niveau inférieur à celle de
l'ensemble du Canada. On avait toujours ce problème. Mais, pendant les
huit ans du régime péquiste, cette situation s'est
détériorée. Je ne vais pas passer à travers tous
les chiffres, mais c'est certain que, dans un premier mandat, il y a eu des
emplois créés ici au Québec.
C'est certain aussi que, depuis votre deuxième mandat, il n'y a
pas eu d'emplois créés; c'est dans les chiffres. Mon impression
personnelle, c'est que vous avez commencé, finalement, à au moins
développer un vocabulaire qui colle à la réalité
économique. Mais l'apparence de ce vocabulaire, récemment, c'est
un fait que tout le monde réalise, c'est que pendant le premier mandat
du Parti québécois, il y a eu des choses faites ici qui ont
été très négatives pour la création
d'emplois.
On a vécu quatre ans pendant lesquels votre programme, votre
discours politique, vos intérêts principaux, qui étaient
axés surtout sur la réforme du statut politique du Québec,
ont été très néfastes pour la création
d'emplois comme telle; il faut l'admettre, il faut que vous l'admettiez, pas
parce qu'on peut faire un débat politique ce soir. Cette période
est terminée, mais il faut comprendre quelles sont les vraies raisons de
notre faiblesse aujourd'hui.
J'ai écouté le ministre qui parlait de son deuxième
point. Il a répété ce soir ce qu'il a dit en Chambre, la
semaine passée. Je veux juste citer deux exemples de ce que je trouve un
problème important pour une analyse de fond. Il nous dit:
Écoutez, on a souffert beaucoup plus pendant la récession,
à cause de la structure industrielle du Québec, qui est beaucoup
plus axée sur les PME, que le reste du Canada.
Il parlait de la politique monétaire démentielle et des
taux d'intérêt du gouvernement fédéral. Il est loin
d'être certain que la structure économique en ce qui concerne le
rôle des PME soit différente de celle du reste du Canada. Les
chiffres que vous avez avancés vous-même dans vos documents
indiquent que le poids relatif des PME au Québec, par rapport aux PME du
reste du Canada, est à peu près le même.
Je peux vous citer vos documents à vous et vos chiffres, qui
indiquent qu'il n'y a pas beaucoup de différence. On a sauté sur
cet argument surtout pour trouver une porte de sortie dans un débat
politique qui était difficile; c'est de bonne guerre. Mais, si vous
croyez vraiment que c'est la raison fondamentale - vous nous laissez penser que
c'était la cause - vous ne serez pas capable de trouver les solutions.
(20 h 30)
J'attire votre attention seulement sur un deuxième aspect. Le
ministre l'a dit en Chambre, non pas ce soir, mais la semaine passée, la
reprise en Ontario est plus forte à cause de la reprise dans l'industrie
de l'automobile.
Si vous prenez la peine de regarder les chiffres sur la création
d'emplois en Ontario depuis quatre ans, pendant la crise et la reprise, vous
verrez qu'il y a 7000 ou 8000 emplois de plus dans le secteur de l'automobile
qu'en 1981. Ce n'est pas vrai que la création d'emplois à
l'extérieur du Québec, dans le reste du Canada, tient à la
reprise dans l'industrie de l'automobile. Je le dis, ce soir, non pas parce que
je suis devant les caméras de la télévision, mais si vous
croyez vraiment que c'est le problème, vous vous retrouverez avec de
fausses solutions. Et dire: Nous allons régler notre problème si
nous avons notre juste part dans l'industrie de l'automobile, ce n'est pas
faire face à la réalité de la création d'emplois
par secteur.
Je soulève ces deux exemples tout simplement pour vous demander,
dans votre analyse sur la situation et les problèmes devant nous, devant
ce défi de créer des emplois au Québec, de ne pas vous
laisser emporter par votre propre discours politique. Je ne vous demande pas de
l'arrêter en Chambre, mais dans vos discussions, je vous propose
d'analyser le fait d'une façon beaucoup plus profonde.
J'ai regardé par la suite article 4 du mandat. Il me semble qu'il
peut se diviser en deux. Vous avez, premièrement, la
responsabilité d'élaborer une politique susceptible de favoriser
le plein emploi, une politique de plein emploi, et de coordonner, une fois que
cette politique est réalisée, les politiques de divers
ministères relativement à la création d'emplois. Pour moi,
ces deux choses vont ensemble.
Vous avez une deuxième série de responsabilités,
soit de promouvoir la concertation des agents socio-économiques, et un
élément qui fait partie de cet objectif un peu global,
d'être responsable des conférences socio-économiques. Je
sépare ces deux parties de votre mandat, parce que je
pense que c'est important de les séparer. Je vais vous dire
pourquoi.
Vous avez une définition d'une politique de plein emploi, un
ensemble d'institutions et de mesures susceptibles de créer des emplois
pour tous ceux qui veulent travailler. Je ne veux pas débattre les mots,
mais quand vous parlez d'institutions, est-ce que vous parlez des institutions
privées, des entreprises, des syndicats, des institutions dans un sens
très large? Quant aux mesures qui sont prises par le secteur
privé, qui n'ont rien à voir avec le gouvernement, oui, je pense
qu'on peut parler d'une politique de plein emploi. Mais cela veut dire que ce
n'est pas le gouvernement qui sera capable de réaliser, d'organiser ou
de développer cette politique de plein emploi. Si vous acceptez que les
gestes, les mesures soient des mesures faites, ce soir, dans une entreprise qui
n'a jamais entendu parler de M. Robert Dean, du secrétariat ou de la
table nationale, je suis d'accord, mais si, dans votre esprit, une politique de
plein emploi, c'est quelque chose qui pourrait être
développé et élaboré ici, je ne suis pas d'accord
avec cette idée.
Je le dis parce que je pense que la première grande erreur que
vous avez faite a été faite malheureusement très vite.
Dans le document "Réflexion et information sur le plein emploi",
à la page 4, vous parlez de certains pays qui ont trouvé une
autre voie que la nôtre. Quels sont ces pays? La Norvège, la
Suège, l'Autriche et l'Allemagne sont cités. Quel est le secret
de ces pays qui se sont donné, depuis de nombreuses années, une
politique de plein emploi? J'affirme respectueusement que, dans votre choix de
modèle, vous êtes probablement, très probablement sur une
mauvaise piste.
Il y a huit ans, le modèle de la Suède comme un exemple de
la social-démocratie qui pouvait être réalisée au
Québec était très populaire. On voulait, dans un sens,
rejeter l'expérience nord-américaine. On voulait trouver un
modèle ailleurs qui était conforme à certains
idéaux et principes de base du Parti québécois. On est
tombé sur la Suède.
Je suis convaincu qu'on n'a jamais analysé en profondeur les
éléments de base qui ont créé en Suède la
société qu'elle est aujourd'hui: la mentalité, la culture,
l'histoire, et je suis persuadé que si on le faisait, on se rendrait
vite compte que ce n'est pas applicable, sauf en ce qui concerne certains
détails, ici au Québec. C'est la même chose pour
l'Autriche.
Comme vous le savez, la Norvège est un pays pétrolier. Je
ne sais pas si c'est un pays de l'OPEP, mais ce n'est pas loin. Je me pose la
question à savoir si l'Allemagne doit être un exemple pour nous.
Je prends surtout l'Allemagne comme exemple parce qu'on constate depuis
plusieurs années que les pays de l'Europe occidentale ont
été victimes d'un ralentissement de leur économie et d'une
augmentation de leur taux de chômage qui est aussi structurelle. Si vous
regardez les pays qui ont le mieux réussi ces dernières
années dans la création d'emplois, il faut d'abord regarder nos
voisins du sud et peut-être le Japon. Le Japon est un exemple beaucoup
plus intéressant que les pays de l'Europe de l'Ouest. Si vous voulez
quitter l'Amérique du Nord, il faut le regarder aussi, mais en fin de
compte, je suis persuadé que vous allez faire fausse route dans le
développement de votre politique de plein emploi, si vous continuez de
regarder les petits pays sociaux-démocrates de l'Europe.
Le temps est venu pour le Québec de regarder très en face
la situation en Amérique du Nord, aux États-Unis, pays qui a
mieux réussi que le Canada, et dans le reste du Canada. C'est là
le contexte économique dans lequel on vit. Je dois vous dire que cela
m'a fait mal de voir qu'à la page 4, le ministre avait en tête le
modèle de ces pays. Je soulève juste un petit détail en ce
sens. À la page 6 de son document il dit: "En Suède, 94 % de
l'appareil de production sont entre les mains de l'entreprise privée; en
Autriche, 80 %." À chacun sa définition de l'appareil de
production, mais pour la plupart des économistes, l'appareil de
production est mesuré par le PIB d'un pays. Je peux vous dire qu'en
Suède - j'ai cherché les chiffres moi-même - le secteur
public compte pour 62 % du PIB de ce pays. C'est beaucoup plus que nous. En
Autriche, c'est 45 %, à peu près au même niveau que nous.
Je ne sais pas exactement ce que vous voulez dire par l'appareil de production.
Si vous voulez dire que les entreprises ne sont pas nationalisées, c'est
une façon de dire quelque chose, mais pour moi ce n'est pas très
important. La production d'un pays c'est le PIB du pays, et la Suède est
un exemple d'un pays qui a concentré la production nationale dans les
mains du secteur public.
Je le soulève parce que je retourne au deuxième point que
je voulais porter à l'attention du ministre. On ne doit pas s'inspirer
ici, dans le développement d'une politique de plein emploi, des exemples
surtout de l'extérieur de l'Amérique du Nord. Oui, on peut tirer
des petits exemples de choses qui sont intéressantes, mais si on veut le
faire, il faut prendre la peine d'analyser en profondeur l'expérience de
ces pays. Si vous êtes capable de me donner une analyse
détaillée de l'expérience suédoise, je serai
beaucoup plus impressionné. Mais il faut que cette analyse comporte des
éléments socioculturels, historiques et sociaux en plus.
Passons à un autre sujet. J'essaie de savoir ce que le ministre
entend par une politique de plein emploi. Il a divisé les mesures en
trois catégories: les mesures de
stabilisation - c'est comme cela que c'est appelé dans le premier
document - qui sont devenues les mesures macro-économiques dans le
deuxième et je pense que c'est la même chose; les mesures du
marché du travail dans un deuxième temps; dans un
troisième temps, le développement régional dans le premier
document, qui est devenu les mesures de développement économique
régional et sectoriel dans le deuxième, et je vais revenir sur ce
point.
La troisième question que je veux poser au ministre est: Quelles
sont les mesures? On peut, sans problème, dresser une liste
d'activités, de mesures. Il y a ici, sur la dernière page d'un de
ces documents, toute une liste de choses, de mesures fiscales, taxes et
impôts, jusqu'à des mesures de support à l'offre de la
main-d'oeuvre jusque pour les garderies. Vous en avez à toutes les
sauces dans cette liste.
J'aimerais que le ministre me dise ce soir si possible - et s'il ne peut
pas me le dire ce soir qu'il le dise publiquement dans les plus brefs
délais - quelles sont, pour lui, les mesures les plus importantes pour
la réalisation de sa politique de plein emploi. J'espère qu'il ne
va pas me dire que c'est exactement la raison pour laquelle nous avons
créé les tables nationale et régionales de
concertation.
J'ai dit, au début de mon intervention: J'espère qu'il
sera capable de séparer les deux éléments de son mandat.
Nous avons fait maintenant 37 conférences socio-économiques. Vous
êtes au pouvoir maintenant depuis huit ans. Vous connaissez, je pense, la
problématique de la création d'emplois au Québec.
L'idée que vous êtes maintenant sur la voie de recommencer
à zéro toute cette discussion, toute cette recherche de solution
avec les tables de concertation, de demander aux intervenants ce qu'ils
pensent, de ramasser des documents et de passer une autre année ou deux,
après huit ans de cela, il me semble que c'est invraisemblable.
Alors, j'espère que le ministre va me dire au moins: Voici les
éléments que je trouve essentiels dans l'immédiat pour la
poursuite de cette politique de plein emploi.
J'ai ma liste. J'ai donné au ministre, il y a quelques mois, un
document que j'avais écrit à ce sujet, et je vais simplement
répéter brièvement les choses que je considère
comme les éléments essentiels. Il n'est pas nécessaire de
faire de la concertation là-dessus; elles existent et c'est connu.
La première, c'est la relation entre le nombre d'emplois et le
niveau de rémunération. Dans tous les pays, on constate
immédiatement dans les modèles économiques et dans le
vécu des entreprises - et j'ai passé une quinzaine
d'années dans les entreprises - qu'il existe un lien très direct
entre le niveau des salaires et le niveau de l'emploi. Cela touche,
premièrement, les décisions d'investissement. Le personnel de
l'Institut de productivité est ici. Plus le coût de l'emploi est
élevé, plus il y a une incitation à réduire le
nombre des emplois par la voie des investissements dans
l'équipement.
La deuxième touche les questions de la concurrence à
l'extérieur.
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse. Compte tenu que
vous avez 20 minutes de passées, vous pourrez revenir tantôt.
M. Scowen: Déjà!
Le Président (M. Gagnon): Cela me tenterait de laisser la
parole au ministre pour répondre à un certain nombre
d'interrogations que vous avez déjà soulevées.
M. Scowen: Comme vous voulez. Je suis...
Le Président (M. Gagnon): On pourra revenir par la suite.
Est-ce que cela va, ou si vous aimez mieux continuer?
M. Dean: M. le député arrivait à la fin de
son affaire. S'il a deux ou trois autres choses, on pourrait...
Le Président (M. Gagnon): D'après ce que je peux
voir, il n'est pas rendu tout à fait à la fin.
M. Scowen: Je suis rendu, je dois vous le dire, à
mi-point.
Le Président (M. Gagnon): À mi-point. Alors, cela
serait peut-être plus facile...
M. Scowen: Si vous voulez que j'arrête, cela me fera
plaisir.
Le Président (M. Gagnon): ...pour le ministre parce que
votre temps est écoulé. On peut continuer quand même si la
commission est d'accord. Mais si le ministre répondait à une
première série de questions, on pourrait revenir. Cela va? M. le
ministre. (20 h 45)
M. Robert Dean
M. Dean: D'accord. Je vais essayer le mieux possible de voir si
mes réponses reflètent les notes que j'ai prises. Il est
sûr et certain qu'il y a des différences d'opinions et
différentes évaluations des mêmes situations, parce quand
le député de Notre-Dame-de-Grâce dit que, dans le premier
mandat du gouvernement du Parti québécois, on a fait des choses
négatives concernant l'emploi, il n'en reste pas moins qu'entre
1977 et 1981, le Québec a créé une moyenne de 62
500 emplois par année pendant ces quatre années. Si on veut
comparer avec le passé, il y a eu une moyenne annuelle, au cours du
premier mandat du Parti québécois, entre 1977 et 1981, de 62 500
emplois créés, par rapport aux années 1969 à 1976
où la création moyenne d'emplois a été de 47 000
par année. Je souligne que cette époque était une
période de croissance relative, entre 1969 et 1976.
Pour le deuxième mandat, je vais juste y toucher en passant. On
peut évidemment utiliser des chiffres, mais, dans ses récentes
déclarations, le député de Notre-Dame-de-Grâce
semble agir comme si la crise économique mondiale n'avait pas
existé en 1981 et 1982. C'est la crise - tout le monde est d'accord
là-dessus - la plus profonde que l'économie occidentale ait subie
depuis 50 ans. Les emplois ont été perdus non pas par milliers,
mais par millions tant aux États-Unis qu'au Canada et dans les pays de
l'Europe occidentale, à quelques exceptions près. Certains pays
n'ont pas perdu autant d'emplois.
On ne peut pas considérer ou évaluer... Le
député m'a demandé de regarder froidement la situation et
d'évaluer l'évolution de l'emploi. Je suis d'accord avec luiqu'il faut évaluer froidement une situation et apporter des
correctifs, s'il y a lieu, pour constater les forces et les faiblesses et
corriger les faiblesses, s'il y en a. C'est vrai en tout temps, si on veut
améliorer les choses.
Je veux simplement dire qu'il y avait une crise très dure qui,
effectivement, a touché le Québec plus durement que les autres,
mais les autres ont été touchés aussi très
durement. On ne peut pas faire abstraction non plus de certains facteurs comme
les taux d'intérêt et je demanderais très respectueusement
à mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce à quelle autre
époque de l'histoire moderne du monde entier on a vu les taux
d'intérêt à 22 %. La situation de la crise, en ce qui
regarde le Québec, c'étaient ces taux d'intérêt
excessifs jamais vus auparavant qui ont frappé les petites et moyennes
entreprises québécoises d'abord, et, souvent, les entreprises les
plus dynamiques qui avaient emprunté de l'argent un an ou deux
auparavant pour se moderniser, pour acheter de l'équipement
sophistiqué moderne à un taux d'intérêt X et qui, en
face de cette flambée des taux d'intérêt, se sont
trouvées complètement débordées par des forces
qu'elles ne contrôlaient plus et ont coulé, ou risqué de
couler.
Le fait que les entreprises, les PME québécoises, soient
sous-capitalisées n'est pas quelque chose, à ma connaissance, que
le Parti québécois ou son gouvernement a inventé. On peut
parler au moins de deux personnes très bien connues et très
respectées pour leur compétence dans notre petit monde
québécois qui ont parlé beaucoup de cette
réalité, de la sous-capitalisation des entreprises
québécoise où nos entrepreneurs, avec tout leur courage et
les dollars qu'ils possèdent, créent des entreprises, mais sont
obligés d'emprunter un montant disproportionné de capital pour
les faire fonctionner, ce qui les rend plus fragiles à des situations du
marché.
Quand je parle de deux personnes, il y a quand même M. Saucier,
qui est un comptable bien connu, que je sache, je ne pense pas qu'il ait
été visité durant la campagne de financement de mon parti
politique récemment - qui a non seulement parlé beaucoup de ce
problème, mais a été nommé président d'une
commission qui porte son nom, qui a justement étudié le
problème de la sous-capitalisation des entreprises au Québec et
qui a fait des recommandations au gouvernement du Québec. Le
gouvernement, dans le budget, il y a quelques semaines, a mis en vigueur, dans
ses politiques budgétaires, certaines recommandations de la commission
Saucier, apparemment, à la relative satisfaction de M. Saucier et de ses
collègues, parce qu'ils ont dit que même s'il n'a pas
adopté toutes les choses qu'on recommandait, il a adopté un
certain nombre de mesures.
Deuxième témoin - et j'ai moi-même été
témoin de son discours à Jonquière un beau matin - M.
Pierre Lortie, président de la Bourse de Montréal, qui a
expliqué la situation de la crise dans un très bon texte que je
recommanderais au député de Notre-Dame-de-Grâce de lire
s'il ne l'a pas encore lu, un texte que je considère aussi
intéressant que celui qu'il a mentionné tantôt et qu'il m'a
passé. M. Lortie a donc expliqué la situation en bonne partie par
le fait que les entreprises québécoises sont plus
sous-capitalisées que dans le reste du Canada et que,
généralement au Canada, les entreprises sont
sous-capitalisées par rapport aux entreprises américaines. M.
Lortie a expliqué, avec éloquence, dans un texte très bien
pondéré, que c'était une des caractéristiques ou un
des problèmes les plus fondamentaux de l'économie canadienne et
québécoise, mais surtout québécoise.
Donc, je ne pense pas que l'on puisse passer à côté
de ces réalités de notre économie, et, soit dit en
passant, un certain nombre de mesures budgétaires adoptées par le
ministre des Finances dans son récent budget se sont attaquées
à des revendications et à des problématiques soumises par
des entreprises québécoises. Les autorités dans ce domaine
qui ont fait certaines recommandations pour assurer une meilleure santé
financière de nos entreprises québécoises, pour leur
permettre de mieux se relancer, de mieux grandir et de mieux aller à la
conquête des marchés, et l'acquisition
de l'équipement moderne, et tout le reste.
Je me permets de ne pas être d'accord non plus avec le
député de Notre-Dame-de-Grâce quand il parle de la force
relative de l'économie ontarienne et de l'impact sur l'économie
ontarienne de l'industrie automobile. Quand on parle de l'industrie automobile,
on parle de l'industrie de l'acier, de l'industrie du plastique, du caoutchouc,
du verre, et tous ces secteurs industriels qui sont tributaires de l'industrie
automobile. Le fait demeure que le nombre d'emplois qui existent, dans
l'économie ontarienne, dans le secteur de l'automobile, par rapport au
Québec, représente une différence d'à peu
près 4 % dans le taux de chômage. En d'autres termes, si
l'industrie automobile n'existait pas en Ontario ou si elle existait au
Québec, en proportion aux ventes, l'écart de chômage entre
l'Ontario et le Québec serait annulé et le taux de chômage
serait relativement semblable en Ontario et au Québec.
De plus - et là encore on parle de 1984 où les
exportations au Québec ont augmenté de 14 % - les exportations au
Canada ont augmenté de 22 %. Mais ces 22 % au Canada sont attribuables
presque exclusivement à l'augmentation de 37 % des produits de
l'automobile. Et 90 % de l'industrie de l'automobile est en Ontario. Les
exportations d'automobiles et de pièces d'automobiles
représentent 50 % de toutes les exportations de l'Ontario. C'est quand
même un élément majeur et, là encore, je ne
prétends pas avoir le monopole de la vérité. Je peux citer
un article qui a paru dans le journal Les Affaires le 20 avril 1985, où
justement le journaliste Jean-Paul Gagné discutait des chiffres que le
député de Notre-Dame-de-Grâce manipule avec tant d'ardeur
et d'habileté, la reprise des emplois après la crise et tout. Les
conclusions et l'interprétation de ces réalités qui, selon
les chiffres, sont véridiques... Même si on peut différer
d'opinion à 100 % sur l'interprétation à donner aux
chiffres, c'est difficile de se chicaner sur les chiffres, surtout quand ils
viennent de la même source. M. Gagné, dans son article, explique
cette situation de l'emploi au Québec par rapport à l'Ontario. Il
dit que les comportements différents des économies
québécoises et ontariennes face à la croissance
modérée de l'économie nord américaine s'expliquent
par les structures industrielles différentes dans les deux provinces.
L'économie du Québec est plutôt axée sur les
industries de ressources et l'économie de l'Ontario est surtout
axée sur les industries manufacturières et sur les industries
lourdes. Comme exemple de ces industries manufacturières et de ces
industries lourdes, il y a l'automobile, il y a l'acier, il y a le plastique,
et tout le reste que j'ai évoqué tantôt. La situation de
l'emploi au Québec est certainement influencée par le fait qu'un
bon nombre d'emplois au Québec sont dans les secteurs qu'on dit mous: le
textile, le vêtement où il y a, comme tout le monde le sait, des
problèmes d'emploi. Donc, pour discuter des statistiques et de la
situation économique relative entre les deux provinces, il faut quand
même tenir compte de ces réalités.
Le député a parlé de la Suède et des pays
d'Europe que j'avais évoqués dans un document. D'abord, je dois
dire que ce qu'on fait... et je conviens qu'il faut pour le Québec
développer - si on peut parler de modèle, même si c'est un
peu prétentieux -un modèle québécois. On a notre
propre réalité culturelle, linguistique, économique, et
géographique; on est situé sur le continent nord
américain. Tout cela est bien vrai, mais il n'y a rien qui nous
empêche de profiter des expériences vécues dans d'autres
pays ou au besoin dans d'autres provinces, si ces expériences sont
utiles et portent les résultats, pour se donner des instruments à
un moment donné. Quand le député dit que la Suède
n'est peut-être pas le meilleur modèle ou que l'Autriche n'est pas
le meilleur modèle, ni la Norvège, de là à dire: II
faut copier le Japon et l'Amérique du Nord... Il y a des choses
intéressantes qui nous viennent de toutes ces entités
économiques. Ainsi, on pourrait dire que les Japonais ont beaucoup de
popularité aujourd'hui pour leurs exploits dans le monde
économique, avec raison. D'abord, ils ont appris comme copieurs pour
devenir des innovateurs. Ils subissent les effets de leur situation culturelle.
Il ne faut pas oublier non plus que, comme pays, ils ont un marché
protégé et probablement le plus fortement protégé
au monde. Ils sont bien prêts à exporter à qui veut acheter
ses produits mais ils ne sont pas trop portés à importer des
produits finis d'autres pays dans leur marché. Avec la manipulation du
yen, cela leur donne certains avantages que les partisans de l'entreprise libre
ont laissé aller jusqu'à tout récemment.
Mais maintenant, même M. Reagan est en train d'insister
auprès des Japonais afin qu'ils ouvrent leur marché à des
produits finis venant des États-Unis, ce qui n'était pas le cas.
Même le paradis de la libre entreprise, les États-Unis
d'Amérique, même sous la présidence du grand homme de
l'extrême droite du siècle, trouve tout à coup que la libre
entreprise à sens unique n'a pas de sens et exige finalement des
Japonais une ouverture des marchés. Donc, on a des choses à
apprendre des Japonais, des méthodes de gestion, des approches et des
attitudes etc., et certainement leur technologie et leur
créativité. Quant à l'accès à leur
marché, ils ont maintenu très bien un boycott presque solide sur
les produits manufacturiers venant d'autres pays. (21 heures)
Si on parle de la Suède, de l'Autriche et de la Norvège,
parce que ce sont des pays différents et que leur expérience est
différente de l'un à l'autre, qu'est-ce qui fait que, pendant les
mêmes quarante ans où nos taux de chômage ne cessaient de
grimper, ils ont réussi à maintenir un taux de chômage
très très bas, qu'ils se sont quand même donné une
économie moderne, efficace et axée sur l'exportation?
Le lien entre la concertation et la politique de l'emploi, le secret de
certains de ces pays de plein emploi a été, après des
années et même des décennies de luttes parfois très
dures, luttes patronales-syndicales, de grèves à un moment
donné, et d'épuisement, qu'ils se sont donné comme mot
d'ordre la nécessité de ne pas continuer à
s'entredéchirer entre employeurs et travailleurs syndiqués, mais
plutôt de chercher les points communs entre l'employeur, qui a besoin du
travailleur, et le travailleur, qui a besoin d'un employeur, s'ils veulent
gagner leur pain, et, malgré leurs intérêts divergents, de
chercher des façons de saisir les points communs, les
intérêts communs, et de les développer pour le plus grand
intérêt de leur expansion et la force de leur économie, de
leurs entreprises, pour rendre l'emploi plus stable et pour une plus longue
période de temps. C'est ça le lien entre la concertation et le
plein emploi.
La caractéristique des trois ou quatre pays que j'ai
nommés, c'est justement qu'ils se sont donné des instruments
qu'on peut aujourd'hui analyser, des instruments particuliers à une
politique de plein emploi, ce que les États-Unis n'ont jamais fait.
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis
auraient pu opter pour une politique de plein emploi, ils ont choisi de
continuer une politique de capitalisme, de laisser-faire. Le Canada a fait la
même chose en 1945-1946, avec M. C. D. Howe et compagnie. Les
Américains en sont venus à reconsidérer la question d'une
politique de plein emploi dans les années soixante-dix, mais ils ont
fini par abandonner l'idée.
Donc, il y a quand même des stratégies, des mesures, une
approche caractéristique des pays qui ont maintenu un niveau de
chômage inférieur et un niveau d'emploi supérieur à
d'autres pays qui n'existent pas et n'ont jamais été
adoptées ni dans les provinces canadiennes, ni par le gouvernement
fédéral, ni par le gouvernement américain. C'est dans ce
sens-là qu'on essaie d'explorer avec les partenaires
socio-économiques au Québec les moyens d'ajouter des
éléments à cet élément de base qui est une
économie en santé, des entreprises en santé, une structure
industrielle équilibrée et moderne.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. On pourra
y revenir, parce que je présume que le député de
Notre-Dame-de-Grâce va vous poser...
M. Dean: La question était trop longue, alors, la
réponse est trop longue aussi.
Le Président (M. Gagnon): ...d'autres questions. M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce. Il y a une question que j'ai
notée, mais je pense que le député de
Notre-Dame-de-Grâce va y revenir: Quelles sont les mesures les plus
importantes dans la politique dont on parle aujourd'hui?
M. Reed Scowen
M. Scowen: J'étais en train de poser cette question. Je
vais continuer mon exposé, parce que le ministre a répondu
à quelques-uns de mes commentaires avec d'autres commentaires. Je vais
juste soulever un ou deux points.
En ce qui concerne cette question de la performance du Québec
depuis dix ans, le point que je voulais faire valoir au ministre et que,
semble-t-il, il n'a pas saisi, c'est que oui, on a passé pendant douze
mois à travers une conjoncture économique qui a été
excessivement difficile. Il y avait les taux d'intérêt - j'utilise
son chiffre - 22 %. Ce sera toujours comme cela, on sera toujours dans une
situation au Québec où nous serons obligés de faire face
à des conditions, des problèmes, des situations qui ne sont pas
créés par nous autres, le taux d'intérêt en est un.
Ce que je veux porter à l'attention du ministre, c'est que c'est la
même chose pour tous nos concurrents aussi. Ce taux
d'intérêt de 22 % existait en Ontario, il existait aux
États-Unis, il existait pour les pays d'Europe, tout le monde
était dans cette situation.
Aujourd'hui, le taux d'intérêt est de 10 % - d'après
quelques-uns, c'est toujours trop élevé - mais ce n'est pas
stable, c'est sûr. On vit dans un monde où nous sommes tous
assujettis à des conditions imposées de l'extérieur. Le
critère qu'on va utiliser, c'est le succès que chaque
région, chaque province, chaque pays connaît pour régler
les problèmes dans le même contexte. Je répète au
ministre qu'il me semble évident que, depuis quatre ans, depuis la
récession et la reprise, la performance du Québec par rapport
à la performance des États-Unis, par rapport à la
performance de l'Ontario, a été plus faible, n'a pas
été concurrentielle.
Je cite juste un chiffre, 170 000 emplois créés au Canada
et zéro ici depuis quatre ans, dans des conditions identiques pour tout
le monde. Essayer d'expliquer notre performance par rapport aux autres
régions, par les problèmes extérieurs, ça ne tient
pas debout. Quand le ministre nous dit: Oui, mais regardez l'importance de
l'industrie de l'automobile en Ontario, c'est vrai; regardez
l'importance du pétrole dans l'économie de l'Arabie
Saoudite, c'est vrai; regardez la performance de l'industrie
électronique et automobile au Japon, c'est vrai. Chaque région a
ses atouts, et nous en avons aussi.
Si nous avons des augmentations énormes dans le domaine de
l'amiante, du minerai de fer et du papier journal, au total, nos exploitations
seront plus élevées qu'en Ontario. On ne dira pas: Ce n'est pas
notre faute, c'est à cause de ces trois ou quatre catégories qui
ne sont pas importantes en Ontario, mais elles font partie de notre
économie. Votre insistance au sujet de M. Gagné et ses
commentaires sur les faiblesses de notre structure industrielle, j'entends des
histoires de ce genre sur la structure industrielle du Québec depuis
maintenant une quinzaine d'années. Le défi, si le problème
est la structure industrielle, c'est de changer la structure industrielle. Vous
êtes ici' depuis huit ans.
Monsieur Landry a présenté la première de ses
politiques économiques, "Bâtir le Québec 1" en 1977,
avez-vous dit, et on a eu droit à d'autres par la suite: "Bâtir le
Québec 2", l'Énoncé de Mont-Sainte-Anne, celui de Compton,
le plan de relance. Nous avons plein de programmes, de politiques et de
stratégies de plein emploi, mais on ne crée pas d'emplois. En
attendant, l'Ontario et les États-Unis, qui sont beaucoup moins
développés dans le sens des structures, des plans, des dossiers
et des documents, créent de l'emploi. Il y a des questions à se
poser. Ce n'est pas, semble-t-il, dans la création des politiques et des
stratégies de plein emploi qu'on crée de l'emploi. Je ne suis pas
capable de faire le lien au moins dans des cas précis d'ici quatre ou
cinq ans.
Tout ce que je veux vous dire en ce qui concerne votre choix de
modèle, oui, c'est possible qu'il y ait des choses à apprendre de
la Suède, quelque chose qui a été porté è
mon attention par M. Fortin, c'est que la Suède vit depuis des
années et des années avec un taux d'activité où le
nombre des personnes qui entrent dans la population active est d'à peu
près zéro. Il ne faut pas se le cacher, nous avons notre genre de
problème à cause de ça. Mais j'admets que c'est possible
qu'on puisse tirer des exemples de la Suède, de l'Allemagne, et partout
dans le monde. Mais si j'étais à votre place, je consacrerais
à peu près 50 % de mon temps à regarder l'Ontario, 40 % de
mon temps à regarder l'expérience américaine, ce que vous
avez appelé la politique de laisser-faire sauvage; tout cela, je le
regarderais froidement pour savoir ce qui se passe là. C'est possible
que, même s'ils n'ont pas un document épais de cinq pouces, ils
aient quand même une espèce de politique implicite qui marche
assez bien. Je consacrerais des 10 % qu'il me reste, peut-être 5 %
à regarder ce qui se passe au
Japon et 5 % à regarder ce qui se passe en Europe. C'est une
question de focus.
Quand je regarde le premier document qui sort du ministère, qui
dit que notre focus principal est orienté vers l'exemple de la
Norvège, de la Suède, de l'Autriche et de l'Allemagne, je dis:
Vous êtes sur une fausse piste. Ce n'est pas là que vous allez
trouver les réponses à des problèmes que nous avons ici,
mais je vais continuer mon exposé parce qu'il y a deux ou trois autres
sujets que je voulais aborder.
La première question que j'étais en train de vous poser
est: Quelles sont vos idées? Je répète qu'après
huit ans et 37 sommets économiques, j'espère que vous n'allez pas
nous dire que vous êtes maintenant en voie de recommencer les tables
nationales et régionales pour développer les priorités
économiques pour la création du plein emploi. Je vais passer
à travers mes priorités assez vite.
D'abord, il y a cette question de la politique salariale et du lien
entre le niveau de salaire et le nombre d'emplois. Il y a la question de la
politique fiscale, les dépenses publiques par rapport aux
dépenses publiques dans les autres régions, pour lesquelles il
faut payer par les taxes. Il faut que les taxes soient concurrentielles et
elles ne le sont pas. Toute cette question est bien connue et il y a le choix
intelligent des secteurs - je vais revenir là-dessus tantôt -les
questions de libération du marché. On parle de la
déréglementation. Il y a quelque chose là qu'il faut
regarder.
La question de l'éducation, vous y avez touché dans votre
document. Il y a la question de la création de l'offre de personnes
compétentes et, finalement, la partie qui vous est très
chère et que je partage aussi, toute cette question de créer un
climat entre l'employeur et l'employé qui soit beaucoup plus propice
à la productivité. 11 y en a cinq et je les mets un peu dans
l'ordre qui me semble le plus important: les plus importantes en premier et les
moins importantes à la fin.
Mais j'aimerais savoir du ministre ce soir, si possible, ses
priorités personnelles. Qu'est-ce qu'il entend? S'il était pour
aviser et consulter les autres ministres demain sur des choses pour
réaliser son objectif, que demanderait-il immédiatement, sans
consulter les tables de consultation? Si j'ai raison -j'arrive à un
autre point que je veux soulever avec le ministre; il est très important
- que c'est la politique salariale, la politique fiscale, la politique
sectorielle, la déréglementation, la question de
l'éducation permanente et la concertation dans le sens dont le ministre
parle, il me semble que les ministres qui sont les plus importants pour la
réalisation de telles politiques sont les ministres des Finances, du
Conseil du trésor, de l'Éducation, de
l'Industrie et du Commerce et de la Main-d'Oeuvre. On les connaît
déjà. Si c'est le cas, j'arrive au deuxième
élément du mandat du ministre qui est de coordonner en vue
d'harmoniser dans un tout cohérent et accroître
l'efficacité des politiques des divers ministères.
Je pense maintenant à l'expérience de Bernard Landry,
ministre d'État au Développement économique, qui avait un
peu le même mandat que le ministre qui est devant nous ce soir, dans le
premier mandat du PQ, et qui a finalement terminé son affaire avec
l'abolition de son ministère, parce que tout le monde a
réalisé que le ministre coordinateur d'une telle affaire ne peut
pas faire grand-chose. Oui, il peut faire des études; oui, il peut faire
des discours et c'est cela que M. Landry a fait pendant une longue
période, mais le pouvoir d'imposer doucement, discrètement et
gentiment, mais d'imposer des politiques efficaces dans le domaine de la
fiscalité, dans le domaine des salaires dans les secteurs public et
parapublic, dans le domaine de la déréglementation, je
prétends que ce n'est pas avec un ministre qui a si peu de vrais
pouvoirs et si peu de budget et si peu de responsabilité verticale que
cela va se faire.
J'aimerais savoir si vous pensez vraiment que le ministre des Finances
accepte l'idée que c'est vous, et pas lui, qui devez développer
les politiques fiscales propices à la création d'emplois. Si vous
êtes pour devenir une espèce de MITI québécoise,
c'est intéressant, mais je ne vois rien dans le mandat qui vous a
été donné par le gouvernement qui m'amène à
croire que cela peut arriver comme cela. Je pose la question et je pense que
vous serez frustré, car la fin de votre mandat sera effectivement la fin
de votre ministère, dans exactement le même sens et pour
exactement les mêmes raisons que M. Landry dans le premier mandat. (21 h
15)
Laissez-moi passer maintenant à la deuxième partie de
votre mandat, qui est la concertation des agents socio-économiques et
les conférences socio-économiques comme telles. J'ai lu
l'apologie du ministre dans la Presse cette semaine ou la semaine
dernière intitulée: Choisir la concertation. Je ne dis pas qu'il
n'y a pas de bon là-dedans, c'est certainement un effort sérieux
pour convaincre tout le monde que ses affaires ne sont pas
dépassées. Cependant, je suis persuadé que cette forme de
consultation n'est pas la meilleure pour réaliser des avances dans les
domaines qui sont les plus importants.
Premièrement, elles ont pour effet de mettre entre les
entreprises et les travailleurs une organisation qui, pour moi, est
représentative, mais dans un sens très limité. Vous allez
vous trouver, dans votre table nationale, devant des personnes...
J'imagine qu'il y a déjà des chicanes entre les diverses
associations patronales et les diverses associations syndicales à savoir
qui sera représenté et combien de chaque groupe. Je ne sais pas
ce qui se passe là, mais c'est probable. L'Association des
manufacturiers canadiens va exiger quatre, le Conseil du patronat va exiger
quatre et la Chambre de commerce... j'en passe. C'est la même chose du
côté syndical. Toutes ces personnes seront là.
Je vous demande si l'entremise de ces personnes est la meilleure
façon pour vous de réaliser ce qui est vraiment important et si
cela est une meilleure coordination, une meilleure harmonisation et un sens des
reponsabilités partagées à l'intérieur d'une
entreprise? Ce sera beau, tout le monde sera privilégié
d'être invité à votre table.
Pour les entreprises c'est très loin, c'est très loin du
local 43 et de la compagnie qui fabrique le papier ou les lunettes. Je
prétends que cette forme de consultation... Je répète, je
pense que les consultations sont essentielles; mais la concertation, les
tables, qu'elles soient publiques ou privées, mieux privées que
publiques, mais même privées, elles ne seront jamais vraiment
privées; et tous nous connaissons les expériences, les
institutions, les positions déjà établies. Ces
organisations sont déjà, quant à moi, je parle des deux
côtés, patronal et syndical, un peu éloignées de
leur clientèle à cause de leurs structures. Vous êtes
maintenant en train d'encourager cet éloignement par la création
d'une autre structure au-dessus de ces groupes.
J'aimerais beaucoup savoir quels seront les intervenants
représentés sur la table nationale et ce qu'ils feront.
J'espère que vous n'irez pas leur demander de vous aider à
créer une politique de plein emploi, j'espère que ce n'est pas
cela. Je répète, après 8 ans, 37 conférences
socio-économiques et toute l'expérience que votre gouvernement a,
vous devez savoir maintenant ce qu'il faut faire. Si c'est pour recommencer et
pour prendre deux ou trois ans à établir les priorités,
c'est tout le monde qui va en payer le prix.
J'ai une autre question à vous poser. Je ne suis pas certain de
ma position 'dans cette question, mais je vais vous donner au moins mon
préjugé. Je pense que je ne dévoile pas de secret
d'États terrible si je dis que dans le document de réflexion sur
la table nationale d'emploi, vous envisagez en plus les tables
régionales. J'espère que ce n'est pas défendu de le dire.
Je vous demande la raison pour laquelle ce ne seraient pas des tables
sectorielles plutôt que les tables régionales? Il me semble que ce
dont le Québec a besoin aujourd'hui, c'est beaucoup plus une politique
cohérente sur une base sectorielle qu'une politique
régionale.
Je sais très bien que, dans la
conjoncture politique, les régions sont très importantes.
Je comprends cette attitude sur le plan politique. Mais nous avons une lourde
responsabilité ici au Québec de créer le plein emploi de
dire à la population: On s'engage non seulement à vous donner le
plein emploi, mais le plein emploi par région. Vous ne serez même
pas devant l'exigence d'avoir un peu de mobilité géographique
à l'intérieur du Québec dans votre vie. On s'engage
à vous amener en Gaspésie, dans le Nord-Ouest, dans l'Estrie des
emplois qui conviennent au nombre de personnes qui habitent là dans le
moment. C'est un gros morceau, oui, c'est un gros morceau. Donc, de là,
pour ces deux raisons, la nécessité d'avoir des politiques
sectorielles, parce que c'est dans les secteurs que les industries font la
concurrence. C'est donc dans les secteurs qu'il faut être
concurrentiel.
Deuxièmement, la pédagogie d'une table régionale
donne l'impression, de la part du gouvernement, qu'il est prêt à
garantir les emplois dans chacun des comtés, dans chacune des
municipalités du Québec. Je le répète, c'est une
commande assez difficile. Je me demande et je vous demande pourquoi vous avez
choisi les tables régionales plutôt que les tables
sectorielles.
Est-ce que j'ai encore un peu de temps parce que j'ai d'autres
questions?
Le Président (M. Gagnon): Une minute.
M. Scowen: Une minute. Alors, je vais peut-être
arrêter bientôt parce que je suis presque à la fin de mes
questions ici. Une avant-dernière question. J'ai lu dans un article dans
les Affaires du 19 janvier 1985, que le ministre disait en parlant du
Secrétariat national de l'emploi, le SNE: "Le secrétariat, qui
disposera d'une importante banque de données statistiques de toutes
sortes, va jouer ce rôle pour eux." Ce secrétariat va disposer
d'une importante banque de données statistiques de toutes sortes. Bon,
cela est intéressant. Je présume que, votre banque de
données statistiques, cela ne sera pas seulement les statistiques de
Statistique Canada, transposées sur d'autres feuilles de papier. Parce
que, là, vous avez quelque chose qui me semble très important.
Vous avez parlé souvent, M. le ministre, de la nécessité
d'être concurrentiel. Est-ce que c'est vous autres qui allez enfin dire
au public: Voici notre position concurentielle en ce qui concerne les
coûts au Québec du secteur public, les coûts au
Québec des impôts, les coûts pour les entreprises, les taxes
sur la masse salariale? Est-ce qu'on va enfin avoir un organisme qui va nous
doter d'une analyse rigoureuse, permanente, continuelle de notre position, de
la position concurrentielle de notre gouvernement?
On constate dans le livre blanc que les
Québécois se donnent 600 $ par personne par année
de plus de services publics que les gens de l'Ontario. On n'avait même
pas commencé de faire cette comparaison avec les autres régions
du Canada et des États-Unis et du monde entier avec qui on est en
concurrence. Mais il faut le faire, si on veut que Pratt & Whitney
établisse notre concurrence avec la Californie et la France. Il faut
qu'on connaisse les coûts de fonctionnement des compagnies dans le
domaine aéronautique en Californie et en France et ajuster nos propres
coûts en fonction de cela. La CSST nous a dit récemment, et elle a
publié un petit document, de toute façon, qui a dit beaucoup de
choses sur les comparaisons avec le système en Ontario et au
Québec. Avec une petite calculatrice, j'ai été capable de
calculer que si on avait le système ontarien au Québec, cela
coûterait aux compagnies québécoises à peu
près 300 000 $ de moins par année en taxes et en contributions
à la CSST. C'est bon, la CSST, mais nous avons là une boîte
qui est plus dispendieuse de 300 000 $ par année pour les entreprises du
Québec que si ces entreprises étaient en Ontario.
Je termine là-dessus. Si cette banque de données dont vous
parlez est vraiment une banque de données qui va apporter quelque chose
de neuf et quelque chose surtout dans le domaine de la
compétitivité de notre gouvernement par rapport à d'autres
gouvernements, c'est intéressant, mais si vous voulez faire cela, cela
va nécessiter un investissement en équipement et en personnel
très intéressant. Avec le personnel que vous proposez dans les
crédits pour 1985-1986, je ne prévois pas que vous allez
développer votre banque de données statistiques importantes de
toutes sortes dans les douze prochains mois. J'aimerais avoir une meilleure
idée de vos intentions à ce sujet.
Je termine. Peut-être que je vais avoir l'occasion de faire
seulement une dernière intervention à la fin.
Le Président (M. Gagnon): Vous allez avoir une autre
occasion.
M. Scowen: Voilà! Quelques questions.
Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce. Avant de vous revenir, je
reconnaîtrai Mme la député de Dorion. M. le ministre.
La structure industrielle
M. Dean: Vous admettrez avec moi, M. le Président, que
c'est plus bref et plus facile de poser des questions que d'y répondre,
surtout des questions aussi complexes. Je vais essayer.
Le premier volet sur le changement de la structure industrielle.
Précisément, M. le Président, en partant, j'ai relu
aujourd'hui même le résumé de "Bâtir le Québec
1" dans ses grands points et j'ai été étonné de
voir combien de ces points, les grands volets de "Bâtir le Québec
1" qui aujourd'hui sont réalisés, font partie de notre vie
économique et ont même donné lieu à des actions il y
a un an, deux ans, dans le plan de relance, le plan de Compton et même
les décisions budgétaires les plus récentes.
On a parlé dans "Bâtir le Québec 2", à
l'article a, justement de favoriser la coordination de l'action des agents
économiques. C'est de là que la démarche de la
concertation au Québec a commencé. Via les sommets, beaucoup a
été fait, et à la demande des partenaires qui se
concertent, ce que nous faisons maintenant représente leur
volonté. Cela veut dire dans les grandes lignes moins de sommets, mais
plus de tables qui s'attaquent en dehors des caméras de
télévision, les lumières et le feu de la rampe à
des problèmes véritables dans le but d'essayer de les
résoudre ensemble.
On a quand même, à la suite de ce document, réussi,
je pense, la modernisation de notre secteur des pâtes et papiers. Je suis
sûr que le député de Notre-Dame-de-Grâce ne niera pas
l'importance de ce secteur dans l'économie du Québec.
On a apporté des correctifs et des efforts via des sommets, entre
autres, pour sauver, au moins en partie, nos secteurs du meuble, du textile, du
vêtement et de la bonneterie. Les sommets étaient des catalyseurs
d'actions communes entre le monde employeur et syndical. Ils avaient leurs
intérêts et ils étaient habitués à se
chicaner de temps en temps, peut-être plus souvent qu'à leur tour,
mais qui, en face des dangers, des problèmes communs ont quand
même trouvé un certain nombre de solutions qui ont apporté
des améliorations.
Les problèmes du secteur industriel ne seront jamais tous
réglés, à mon avis, parce que je pense qu'on peut en
régler un, aujourd'hui et dans cinq ans, ce sera peut-être un
autre problème. Un certain nombre de problèmes n'ont
peut-être pas de solution à long terme. Mais partant de
"Bâtir le Québec 1", on a apporté des correctifs, la
concertation, une structuration économique.
Parlons de certains de nos efforts pour développer le secteur de
l'aluminium et aussi du problème qu'on a hérité - je dis
cela tout bonnement - de nos prédécesseurs au pouvoir dans le
secteur de l'acier qu'on voulait se donner au Québec, mais où on
a fait des erreurs sérieuses de parcours. On a hérité des
problèmes et on est en train d'apporter une restructuration douloureuse
et difficile à ce que nous avons dans le secteur de l'acier. Mais en
même temps et grâce aux politiques du gouvernement du Parti
québécois, nous sommes en train de développer, au
Québec, une industrie de l'aluminium de classe mondiale, la plus moderne
au monde, la plus concurrentielle au monde, qui va faire en sorte qu'en l'an
2000, quand l'acier commencera à disparaître, peut-être que
le Québec va prendre le pôle de la force économique d'un
secteur industriel d'aluminium qui pourrait être un métal de
l'avenir par rapport à l'acier en bien des domaines. (21 h 30)
Tous les problèmes ne sont pas réglés, mais les
politiques, les orientations de développement économique du
gouvernement du Québec ont porté des fruits et nous ont permis de
renforcer, de restructurer et de moderniser notre économie pour avoir
une base industrielle qui pourrait nous permettre d'envisager d'ajouter - et je
souligne d'ajouter - les instruments d'une politique de plein emploi.
Les références du député de
Notre-Dame-de-Grace... Est-ce qu'on devrait étudier ce qui se fait en
Ontario et aux États-Unis? Bien sûr que oui, nous vivons dans ce
contexte et il faut certainement étudier ce que font nos voisins. Sauf
que l'Ontario, avec tous les merveilleux accomplissements dont se vante le
député de Notre-Dame-de-Grâce depuis quelques jours, a
encore un taux de chômage de 9 %, à moins que je n'abuse. À
mon avis et de l'avis de notre gouvernement, un taux de chômage de 9 %
n'est pas acceptable, ni humainement ni économiquement. Les
États-Unis, le pays le plus fort et le plus riche au monde selon eux -
et peut-être qu'ils ont raison jusqu'à un certain point - avec
toute leur relance économique, ont atteint un taux de chômage de 7
%. Ces 7 % ne sont ni humainement, ni socialement et ni économiquement
acceptables. Soit dit en passant, des pays de plein emploi ont maintenu
à travers toutes les crises qu'on a connues des taux de chômage
autrement moins élevés - je parle de moyennes pendant des
décennies de 2 %, de 3 % et de 3 1/2 % au sommet de la crise.
M. le Président, le député a raison au sujet de la
politique salariale quand il dit que le niveau de salaire dans un secteur ou
dans l'économie dans son ensemble a un rapport avec la
compétitivité. Le niveau de technologie et le niveau
d'équipement et de modernisation de l'industrie a un impact sur la
compétitivité. Par exemple, il est vrai qu'en Autriche, pays qui
ne contrôle pas ses taux d'intérêt parce qu'il vit dans
l'ombre de son grand voisin, l'Allemagne, les syndicats et les partenaires
socio-économiques ont accepté et ont même défini
comme politique d'avoir des salaires un peu moins élevés que les
pays concurrents. Ils ont choisi en quelque sorte entre des salaires un peu bas
et une plus grande sécurité, une stabilité
d'emplois intéressants et rémunérateurs.
Bien sûr, les structures salariales doivent être revues, non
seulement globalement mais secteur par secteur, parce que, comme l'a dit
très bien le député de Notre-Dame-de-Grâce, c'est au
niveau d'un secteur que se fait la concurrence. Je ne peux pas toucher en
détail toutes les questions de la libération du marché.
Les politiques économiques et les stratégies du gouvernement du
Québec, du Parti québécois, sont conditionnées
très fortement par le fait qu'en vertu des accords du GATT, d'ici
à 1988 les tarifs vont être réduits au minimum entre les
pays. Le défi qui se pose aux travailleurs et aux employeurs du
Québec et à toute la population c'est d'ici très peu
d'années, de s'organiser pour avoir des entreprises bien
structurées et bien équipées, productives, rentables et
compétitives. Autrement, on va être lavés par une vague qui
sera pire que la vague bleue. On risque de tous y passer, et notre
économique aussi, si on ne relève pas ce défi. Les
orientations économiques du gouvernement du Québec et d'une
politique de plein emploi qui se mettra en marche doivent tenir compte de ces
contraintes et de ces réalités. L'utilisation des dépenses
publiques et des politiques fiscales, etc., font partie d'un ensemble de
questions qui touchent une politique de plein emploi.
Pour ce qui est de la coordination entre mes fonctions
ministérielles et celles de mes collègues, le
député de Notre-Dame-de-Grâce a parfaitement raison quand
il dit qu'il faut évidemment qu'entre le ministère des Finances,
le ministère de l'Industrie et du Commerce et le ministère de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu il y ait un
degré élevé, de plus en plus élevé de
coordination dans les mesures. C'est une des caractéristiques d'une
politique de plein emploi qui fait en sorte que, sous le prisme du niveau de
l'emploi, de la création et du soutien de l'emploi, on passe en revue
toutes nos politiques gouvernementales et on essaie de mieux les arrimer et de
mieux les coordonner dans leur exercice. Je peux dire au député
de Notre-Dame-de-Grâce que déjà, dans les quelques
rencontres où notre table nationale a eu lieu, le ministre des Finances
est venu une fois et il a participé à des discussions avec les
partenaires. Il va y revenir. La ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu est déjà venue et a
participé è des discussions qui touchaient des questions
concernant son ministère. C'est notre intention de continuer dans ce
domaine.
Pour le fonctionnement de la table, au fond, il est vrai que les
partenaires de la table nationale, le Conseil du patronat, l'Association des
manufacturiers canadiens, la Chambre de commerce du Québec et le
Mouvement Desjardins, qui, dans son ensemble, est représenté par
M. Raymond Blais, regroupent les vedettes de chacun de ces mouvements, de ces
organismes. Du côté syndical, il y a la FTQ, la CSN, la CSD, parce
que notre mandat à ce stade-ci ne touche que le secteur privé. On
essaie de travailler sur le secteur privé, qui est quand même
responsable de 75 % des emplois au Québec.
Ce qu'on essaie de faire, quand on parle de changement d'attitude, c'est
de revoir les attitudes respectives, les attitudes maximalistes du
côté patronal et maximalistes du côté syndical et de
s'attaquer aux problèmes concrets. Déjà, en deux
rencontres, on s'est attaqué à des problèmes comme la
question de la fiscalité des entreprises, la question de
l'utilité ou la nécessité de taxes sur la masse salariale
comme instrument de fiscalité. Les partenaires sont au moins unanimes
sur le fait que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de
taxer, parce que, plus il y a de taxes sur la masse salariale, plus les
entreprises sont portées à employer moins de monde et aussi parce
qu'il peut y avoir d'autres impacts sur le meilleur fonctionnement de
l'économie. Justement, ce genre de questions, à la demande des
partenaires, fait déjà l'objet d'études et les
ministères que le député a nommés tantôt vont
être impliqués à mesure que les partenaires s'attaquent
à certains de ces problèmes pour essayer de voir si on peut
ensemble trouver des solutions.
Il y a aussi un autre exemple à propos des questions qui se
posent. Nous avons vécu dernièrement un sommet sur l'informatique
et l'électronique. Une des grandes questions était celle de
l'information des travailleurs, l'implication des travailleurs dans les
changements technologiques majeurs dans les entreprises. Les centrales
syndicales sont venues, la charge de cavalerie, ils veulent des lois. Les
patrons: On ne veut pas d'autres lois, on en a déjà trop, on
voudrait perdre des lois, on ne veut pas de lois.
J'avoue que, même en face d'un problème aussi important sur
le plan humain et économique que de bien faire le virage technologique
dans les différentes entreprises, sans massacrer ni les travailleurs ni
les employeurs, peut-être que les solutions
légiférées globalement ne sont pas les meilleures parce
que, souvent, une loi est faite de façon très
générale et peut-être très mal adaptée
à un secteur ou à une entreprise par rapport à un autre.
Au lieu de laisser le problème sans solution, on a dit: Est-ce qu'il
serait possible de s'asseoir et de voir si, entre patrons responsables et
travailleurs responsables, il n'y aurait pas moyen d'élaborer une
entente-cadre qui ne serait pas une loi et ne serait pas un texte de convention
collective mais une espèce d'approche commune au problème de
l'introduction des changements technologiques dans les entreprises, de
façon à informer les travailleurs, à les impliquer dans
les changements, à les aider à se préparer pour les
changements avec des programmes de formation, de recyclage, etc., et de faire
cela pour maximiser l'impact économique du changement technologigue,
mais de minimiser un impact humain négatif, mobiliser les travailleurs
vers le changement et cultiver des attitudes positives vis-à-vis du
changement? C'est un des défis qui a été lancé
à cette table nationale.
Oui, le député a raison aussi quand il dit: À
propos de cette table nationale, il y en a qui emploient le mauvais mot,
"dinosaure", à l'égard de nos chefs reconnus du monde patronal et
du monde syndical au Québec. Je crois que ces personnes sont assez
valables, assez ouvertes et assez motivées par le désir d'assurer
un plus grand niveau d'emplois au Québec qu'elles sont prêtes
à relever le défi et à accepter de changer de
mentalité, et même de laisser aller des acquis dans
l'intérêt d'une meilleure situation de l'emploi qui va avec une
meilleure situation économique. Mais c'est là qu'on parle de la
table régionale. Justement, on dit que c'est dans les régions -
"that is where the action is" - qu'une table nationale peut être loin et
ne peut se pencher que sur de grandes questions générales. Quand
il s'agit de s'attaquer au problème de telle entreprise, de tel groupe
de travailleurs qui a des difficultés ou qui a besoin d'un coup de
pouce, d'une action pour s'assurer de devenir plus fort au point de vue
économique, c'est dans les régions que ces réalités
se vivent et que les décisions se prennent. C'est le président de
telle entreprise qui décide: Est-ce que j'investis dans mon usine qui
est située là ou si je n'investis pas, ou si je ferme boutique et
que je vais prendre ma retraite en Floride? C'est dans les régions que
beaucoup de décisions et beaucoup de problèmes se vivent.
Donc, on préconise des tables régionales justement pour
s'attaquer à ces problèmes concrets, réels et de tous les
jours sur le marché du travail. Ce n'est pas nécessairement -
c'est juste un élément de correction que j'apporte - dans le but
de créer le plein emploi dans chaque région. Bien sûr que,
dans les pays de plein emploi, la mobilité des travailleurs est un
facteur essentiel. Bien sûr que, dans certaines régions qui sont
ou bien mal situées géographiquement ou bien connaissent
certaines conditions particulières, on n'a pas la possibilité de
créer un nombre d'emplois aussi élevé que le chiffre de la
population qui veut travailler. C'est bien sûr que la relocalisation des
travailleurs et des travailleuses fait partie d'une politique de plein emploi.
On ne doit pas fermer chaque région, faire une espèce de
contenant et remplir les emplois. On peut faire cela pour autant qu'on peut,
mais il n'est pas garanti qu'on va faire le plein emploi dans chaque
région. Quand on vise un objectif de plein emploi, c'est pour une
entité globale.
Là, je suis parfaitement d'accord, et il me fait plaisir
d'informer le député de Notre-Dame-de-Grêce qu'il est vrai
que le sectoriel est très important. Justement, nous préconisons,
à mesure que les secteurs le demandent, de créer des tables
sectorielles qui travaillent en coordination avec la table nationale. Le
récent sommet du textile et du vêtement a été
caractérisé, à la fin du sommet, par une demande non
seulement du vêtement, non seulement du textile, mais les deux ensemble,
patrons et travailleurs, de former une table permanente de concertation,
d'étudier les problèmes particuliers, de continuer à
travailler sur les problèmes particuliers à leur secteur
industriel, dans le sens de maximiser l'emploi. On va discuter la
réglementation, on va discuter les tarifs, on va discuter les
possibilités de convaincre le gouvernement fédéral de
certaines choses qui affectent ce secteur, on va discuter de l'introduction de
nouvelles technologies, de la formation, du recyclage des travailleurs, ainsi
de suite. On va discuter de la compétitivité de ces entreprises
par rapport à leurs concurrents à l'extérieur du
Québec.
On a déjà des demandes, pour le secteur du bois de sciage,
pour le secteur des forêts, pour la formation de tables sectorielles. Il
sera peut-être question, pour employer un mot qui m'est cher et qui est
cher au député de Notre-Dame-de-Grâce, d'une table
sectorielle justement pour voir à la promotion du secteur de l'industrie
de l'automobile et des pièces au Québec.
Il y aurait des tables sectorielles formées quand les gens d'un
secteur veulent se prendre en main, veulent former une table sectorielle,
veulent s'attaquer ensemble aux problèmes d'économie et d'emploi
dans leurs secteurs respectifs. (21 h 45)
Pour ce qui est de la banque de données, nous avons
commencé modestement et nous voulons le faire ainsi. Nous ne voulons
pas, au secrétariat, créer des emplois - c'est peut-être
une contradiction - on ne veut pas créer une grosse machine de
fonctionnaires sans avoir des besoins concrets. Donc, l'évolution de nos
effectifs va sûrement se faire selon les besoins. L'approche du
début est autour de noyaux d'économistes et de professionnels
très compétents et très motivés et qui ont cet
intérêt d'utiliser les données qui existent
déjà dans les autres ministères mais de les accumuler
d'une façon qui les rend accessibles à notre secrétariat
et accessibles dans le sens de données qui peuvent être
utilisées à d'autres fins pour d'autres
ministères, mais nos fins seront d'évaluer les impacts des
programmes du gouvernement et des investissements du gouvernement sur la
situation globale de l'emploi et de permettre aux partenaires
socio-économiques de faire des recommandations au gouvernement, et de
permettre au gouvernement, même en constatant certains problèmes
qu'on pourrait trouver, de recommander des correctifs.
Alors, je pense que certaines réponses qui sont
déjà des choses acquises à la table semblent aller dans le
sens, des questions et des préoccupations du député de
Notre-Dame-de-Grâce et, soit dit en passant, le document bleu n'est plus
un secret militaire maintenant; cela a été avec très peu
de changements accepté par les partenaires la semaine dernière,
lors de la réunion de la table, et c'est un fidèle portrait de
l'orientation qu'on se donne et qui semble acceptée par les participants
à cette table.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Mme la
députée de Dorion, je crois que vous avez eu vos
réponses.
Mme Lachapelle: Oui, j'ai justement eu la réponse. Alors,
merci.
Le Président (M. Gagnon): Alors, M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce, le temps qu'il nous reste,
je vais le partager un peu moins qu'en deux parce qu'il faudra à la fin
adopter nos crédits. Je vous donne six minutes. Cela va?
"Bâtir le Québec" et
tables de concertation
M. Scowen: Oui. Les réponses du ministre sont
intéressantes. Premièrement, il a parlé du document de M.
Landry, "Bâtir le Québec", et du nombre d'éléments
de ce programme qui ont été réalisés. Je pense
qu'il ne souffre pas de la même maladie que notre collègue, son
prédécesseur, parce que c'est une manie qui est pour moi une
maladie péquiste, si je peux me permettre d'utiliser cette expression,
que l'idée de faire une longue liste de choses qu'il faut faire et,
après, de compter le nombre de choses qui ont été faites,
sans tenir vraiment compte de leur importance relative.
Je ne sais pas combien de fois j'ai fait l'analyse de "Bâtir le
Québec 1". J'ai dit à M. Landry qu'il n'en avait pas
réalisé la moitié et il est revenu à la charge avec
une liste dans laquelle il prétendait que les deux tiers étaient
réalisés. Je prétendais qu'au moins 25 % étaient
des choses déjà réalisées avant que le document ait
été rendu public. Il admettait que c'était vrai, mais que
c'était seulement 15 %. Mais c'est cette manie de faire la liste, le
catalogue des choses que l'on va faire. Pour moi - et vous l'avez fait dans le
plan de relance il y a un an et demi - c'était un catalogue de petits
projets à gauche et à droite tirés des tiroirs des
ministères et cela me fait un peu penser, si je peux me permettre,
à quelqu'un qui dit: Demain, j'ai l'intention de faire dix choses. Je
vais me lever, me raser, m'habiller, aller au travail, m'asseoir dans mon
bureau, déjeuner et je vais retourner chez moi. A la fin, tu arrives le
lendemain et tu dis: Regardez, je me suis fait un projet pour le mercredi 8
avril et j'ai réalisé neuf des dix projets que j'avais
décidé d'entreprendre. Tout le monde applaudit et dit: Mon Dieu,
cela, c'est un gouvernement: Mais la grande partie de ces choses, et je
n'exagère pas, sont des choses qu'on attend de n'importe quel
gouvernement, qui ont été faites par le gouvernement de l'Union
Nationale et par le gouvernement libéral. Ce sont les choses qu'on
attend de n'importe quel gouvernement et c'est vous qui avez eu pour la
première fois dans l'histoire l'idée très géniale
de les ramasser dans un bouquin comme cela, de mettre un slogan "virage
technologique" ou "plan de relance" ou n'importe quoi sur la couverture et
déclarer que vous avez développé un programme. Ce
n'était pas du tout cela.
Je n'ai rien entendu du ministre qui indique qu'il souffre de cette
maladie. Il a une autre façon de voir les choses et je l'en
félicite. C'est seulement avec sa petite intervention quand il a dit
qu'il était impressionné par le document de M. Landry. Je vous
donne juste un exemple: le plan de relance pour les industries de pâtes
et papiers faisait partie d'une entente-cadre avec le gouvernement
fédéral. Le fédéral prétend que
l'inspiration vient d'Ottawa et, nous, nous prétendons qu'elle est venue
d'ici. Cela ne faisait pas partie de "Bâtir le Québec", c'est
quelque chose qui faisait partie de ce plan de cinq ans, de l'entente-cadre
fédérale-provinciale. M. Landry a le droit de le mettre dans
"Bâtir le Québec" et de déclarer que cela fait partie d'un
programme intégré de développement économique ou
d'une stratégie, mais ce n'est pas vrai. Je le dis parce que cela a pour
effet de rendre plus difficile la réalisation de choses importantes.
Un deuxième point que je veux soulever: vous avez parlé du
taux de chômage aux États-Unis par rapport à l'Europe et
cela m'a fait penser à quelque chose. Dans votre recherche du plein
emploi, on porte beaucoup d'attention à des chiffres sur les taux de
chômage. Je vous donne juste un exemple: l'Europe a
bénéficié, elle avait un taux d'activité assez
stable, mais elle a bénéficié de la Turquie et de la
Grèce d'où elle pouvait importer des travailleurs immigrants pour
de courtes périodes et les faire retourner après, en grande
partie. C'était une tout autre situation. Le Canada n'a pas de Turquie.
Ce n'est pas dans nos
moeurs d'agir dans ce sens, de toute façon. Je prétends,
si vous regardez de près les chiffres sur la création d'emplois
aux États-Unis, par exemple, que vous allez trouver que ce n'est pas du
tout pire et que le taux de chômage n'est pas le seul, n'est
peut-être même pas le meilleur critère à
utiliser.
Je veux juste revenir à la question des membres de votre table
nationale. Je ne veux pas mettre en doute la motivation et la compétence
de tous nos chefs patronaux et syndicaux. Ce n'est pas du tout ce que je veux
soulever. Ils sont là, ils ont un rôle très important
à jouer, je les connais et vous les connaissez aussi. Ils sont tous nos
amis personnels. La question que je pose est de savoir, dans la
réalisation d'une politique de plein emploi, dans le volet qui touche
une meilleure harmonisation des relations entre travailleurs et employeurs, et
actionnaires, parfois - souvent, il y a trois groupes dans une compagnie - si
une table siégeant à huis clos, c'est la meilleure façon
de vous permettre à vous et à votre personnel de toucher ces
entreprises et de les influencer?
J'ai écouté attentivement votre exemple de l'entente-cadre
et j'ai trouvé que c'était bon. Si c'est quelque chose qui sera
utilisé par plusieurs industries, c'est possible que je n'aie pas
raison, mais j'ai l'impression que cette structure va alourdir vos efforts pour
encourager cette concertation au niveau d'une entreprise qui est si
nécessaire.
Tables régionales. Vous avez décidé d'utiliser les
tables régionales parce que "that is where the action is". Je
prétends que ce n'est pas vrai. The action is "sectoriel". La compagnie
à Matane, les dirigeants qui sont obligés de prendre les grandes
décisions quant à l'investissement ou le
"désinvestissement", malheureusement, la cruelle réalité,
c'est que leur pensée est faite beaucoup plus en fonction de leurs
concurrents dans le secteur de l'industrie où ils font concurrence que
dans le contexte de la région. Si vous essayez de déformer cette
réalité, j'ai l'impression que vous aurez tendance à
rendre ces entreprises moins concurrentielles.
Je veux vite dire que je ne prétends pas qu'on ne doit porter
aucune attention aux préoccupations régionales. Je ne dis pas que
les initiatives régionales ne sont pas importantes parce que, souvent,
des personnes dans une région, dans une ville, peuvent faire des choses
pour faire venir et garder les entreprises. Il me semble que, si vous voulez
aller au coeur des problèmes de l'entreprise et de la
compétitivité des entreprises, leur développement et leur
survie, vous serez mieux placé pour mettre votre orientation principale
- pas exclusive, mais principale - sur des questions sectorielles plutôt
que régionales.
Alors, je termine avec juste un point. Je veux vous remercier
sincèrement de ces deux heures. Cela a été très
intéressant pour moi. Je pense que vous avez une mission impossible,
effectivement. J'espère que j'ai tort, j'espère
profondément que j'ai tort, mais je pense, après tout ce que vous
avez dit ce soir et après tout ce que j'ai lu dans vos documents
jusqu'à maintenant, que la structure est l'idée qui va
réaliser l'objectif que vous et moi avons à coeur.
Politique de plein emploi
Je termine en vous posant une seule et dernière question. Vous
êtes censé élaborer une politique gouvernementale pour
favoriser le plein emploi. A quelle date prévoyez-vous rendre publique
cette politique gouvernementale du plein emploi? Dans les jours qui viennent?
Les semaines qui viennent? D'ici à la fin de l'été? D'ici
à la fin de l'année? Quand aurons-nous droit à cette
affaire qui est aussi désirée par tout le monde et pour laquelle
j'espère, après huit ans d'expérience ici au
Québec, que vous avez la plupart des informations
nécessaires?
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce. Vous avez pris deux ou trois
minutes de plus que ce que je vous avais accordé. M. le ministre, en
cinq minutes, au maximum.
M. Dean: En cinq minutes. Sur les politiques "Bâtir le
Québec 1 et 2", je veux dire simplement que, malgré les
commentaires du député, le Conseil des sciences du Canada a dit
que c'était la première et la meilleure stratégie
industrielle d'ensemble au Canada. Donc, cela doit valoir quelque chose. Ceux
qui se dressent des listes d'objectifs et qui vérifient s'ils le font ou
non, si ce n'est pas un principe valable même quand c'est publié
en volume, on va faire des accusations de fraude à toutes les
entreprises comme des "timers" qui nous vendent des agendas ou nous incitent
à faire justement cela au nom de la bonne gestion du temps et de la
bonne gestion tout court.
Ceci dit, vous me permettrez de dire aussi, par rapport à
"Bâtir le Québec 1 et 2", que les projets en cours du plan de
relance aussi issus de ces documents de base sont quand même responsables
pour quelque chose comme 1 200 000 000 $ du budget de 1985-1986 en
investissements publics créateurs d'emplois. Donc, ce n'est pas peu de
choses. Je n'ai jamais cru qu'un gouvernement ne se donnait pas des objectifs
et une stratégie de développement et je prétends qu'aucun
gouvernement ne s'est donné une stratégie auparavant, ni au
Québec ni au Canada, et le Conseil des sciences du Canada semble
être d'accord sur ce point.
Sur la table nationale, la politique de plein emploi va être
élaborée avec les
partenaires socio-économiques. Donc, il faut respecter tout en
insistant sur l'urgence de la situation de l'emploi, tout en souhaitant
régler rapidement, dès le départ, certains
problèmes concrets en cours de route en attaquant des problèmes
précis...
L'élaboration d'une politique de plein emploi doit se faire avec
le gouvernement et les partenaires socio-économiques. Le gouvernement
seul ne le peut pas et, par définition, ne peut pas élaborer une
politique de plein emploi ou réaliser une politique de plein emploi.
Justement, la performance de l'Ontario, des États-Unis et d'ailleurs en
est la preuve. Même si l'économie fonctionne bien, cela ne
garantit pas un niveau de plein emploi acceptable.
Sur la question des tables, quelles soient sectorielles ou
régionales, ma démarche en est une volontaire. Ce n'est pas une
démarche pour imposer. On ne peut pas forcer les gens à se
concerter. On ne peut pas forcer les gens à s'entendre, on ne peut que
les inviter à travailler à résoudre des problèmes
et, tant sur le plan sectoriel que régional, les tables
régionales qu'on va créer dans les prochains mois vont
l'être à la demande des régions en question. On a
déjà eu des demandes de certaines régions de se
préoccuper de tables régionales de plein emploi comme nous avons
eu des demandes de secteurs pour créer des tables sectorielles qui
visent la situation économique. Je suis d'accord avec le
député que l'aspect sectoriel est très important et je ne
l'exclus pas, cela fait partie de la démarche.
Il me reste à vous remercier, M. le Président, à
remercier le député de Notre-Dame-de-Grâce et à
souhaiter... Même s'il dit que j'ai une mission impossible, pour
quelqu'un qui a vécu la grève de la United Aircraft, rien n'est
impossible. Donc, c'est un défi que je suis prêt à relever
et que notre gouvernement est prêt à relever.
M. Scowen: Est-ce que vous prévoyez... Le
Président (M. Gagnon): L'échéancier.
M. Scowen: ...votre politique de plein emploi, tout ce que vous
allez faire pour la préparer... Quand...
M. Dean: C'est ce que je dis. Cela va se faire avec les
partenaires socio-économiques. Je ne peux pas vous donner une date et je
ne peux pas non plus vous donner un objectif, vous dire qu'en cinq ans, on va
avoir atteint le plein emploi. J'ai justement dit que je n'accepte ni de citer
tel ou tel nombre de jobs comme objectif, ni de citer des pourcentages de
chômage comme objectif...
M. Scowen: Mais, la...
M. Dean: ...parce que le faire, c'est charrier un peu.
M. Scowen: ...par année. La politique, pas la
réalisation du programme, mais le programme comme tel. Cela doit
être rendu public...
M. Dean: Je le souhaiterais d'ici à la fin de
l'année, sauf que je ne peux rien garantir si quelqu'un me dit à
la table qu'il ne veut pas discuter tel point en faveur de tel point, il faut
quand même que je le respecte. Je ne peux pas me parler tout seul.
Adoption des crédits
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Merci, M.
le député. Est-ce que le programme 6 du Conseil exécutif,
le programme Emploi et concertation, est adopté? Adopté.
M. Scowen: Sur division.
Le Président (M. Gagnon): Adopté sur division.
Avant d'ajourner nos travaux, je voudrais d'abord, moi aussi, vous
remercier pour ces deux heures extrêmement instructives que nous venons
de passer. Les questions et les réponses étaient
extrêmement intéressantes. Avant d'ajourner nos travaux à
demain, je voudrais vous mentionner que, demain, à 10 heures, nous
étudierons les crédits du ministre délégué
aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Donc, la commission ajourne ses
travaux à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 3)