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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le mardi 7 mai 1985 - Vol. 28 N° 13

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude des crédits du ministère de la Justice


Étude des crédits du ministre délégué à l'Emploi et à la Concertation


Journal des débats

 

(Seize heures trente et une minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente des institutions se réunit avec le mandat de procéder à l'étude des crédits budgétaires du ministère de la Justice pour l'année financière 1985-1986.

M. le Secrétaire, y a-t-il des substitutions ou des remplacements?

Le Secrétaire: Aucun remplacement n'est signalé.

Justice

Le Président (M. Gagnon): Lors de la fin de nos travaux, nous avions adopté tous les programmes du ministère de la Justice, mais, lorsque j'ai demandé si l'ensemble des crédits étaient adoptés, on a dit non parce qu'il semblait qu'il manquait du temps pour l'étude des crédits. Vous vous étiez entendus sur une heure ou une heure et demie de plus. C'est cela, M. le député?

M. Marx: Oui. Nous devions avoir neuf heures et demie et nous avons utilisé sept heures et quinze minutes. Nous voulons faire encore deux heures et quinze minutes, si c'est possible.

Le Président (M. Gagnon): Si je comprends bien, il y a maintenant eu entente pour qu'on puisse terminer cet après-midi. C'est cela?

M. Johnson (Anjou): Oui. Alors, M. le Président, je pense bien qu'on peut terminer les crédits à 17 h 30, au moment du vote.

M. Marx: On va essayer, mais vous comprenez que le ministère de la Justice est probablement un des ministères les plus importants et nous avons besoin de beaucoup de temps.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remercie d'abord le député de nous dire que le ministère de la Justice est un des ministères les plus importants, même si l'Opposition, avec la quantité de questions qu'elle réserve au ministre de la Justice, ne semble pas croire que c'est le cas.

M. Marx: On garde nos questions pour les poser en commission.

M. Johnson (Anjou): Je veux simplement assurer la commission que nous n'aurions eu aucun problème si l'Opposition avait demandé d'avoir 20 heures pour les crédits du ministère de la Justice. C'est elle qui a demandé un maigre neuf heures ou neuf heures et demie. Je pense que, compte tenu de la façon dont les travaux se sont déroulés, M. le Président, on peut avoir fini cela d'ici à 17 h 30.

Le Président (M. Gagnon): Maintenant, j'ai un problème. Je veux avoir la permission de la commission pour rouvrir les programmes qui ont été adoptés. Je voudrais aussi que le député de D'Arcy McGee me dise sur quels programmes il voudrait poser d'autres questions.

M. Marx: Mais c'est sur...

M. Johnson (Anjou): Sécurité publique. M. le Président, j'ai compris de la conversation que j'ai eue avec notre collègue de D'Arcy McGee ce matin qu'il voulait, premièrement, parler des questions relatives aux policiers, de façon générale, donc toucher le programme de la sécurité publique, avec la compréhension que cela peut déborder sur les questions qui touchent la Sûreté du Québec le cas échéant. Deuxièmement, le député m'a dit qu'il voulait parler des questions relatives aux droits et libertés de la personne. Je pense qu'il a surtout des commentaires et quelques répliques à faire. Je ne pense pas que cela porte proprement dit sur les crédits. Je n'y ai pas d'objections. Troisièmement, un autre sujet que le député avait évoqué, c'était la législation. C'est le programme 11.

Donc, Sécurité publique, programme 11, les propos liminaires du député sur les grandes questions cosmiques!

Le Président (M. Gagnon): Donc, pour être certain qu'on se comprend bien, les programmes demeurent adoptés, mais on pose d'autres questions, pendant le temps qu'il nous reste, sur les programmes 13, 4 et 11, si la commission est d'accord. Est-ce que cela va?

M. Marx: Oui.

M. Johnson (Anjou): C'est cela.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Oui, merci, M. le Président. Juste en passant, M. le ministre, est-ce qu'il y a des députés à l'Assemblée nationale qui ont posé leur candidature pour être juges, soit de la Cour des sessions de la paix, soit de la Cour provinciale?

M. Johnson (Anjou): M. le Président, oui, il y a un précédent. Il y a un ancien président de l'Assemblée nationale qui a posé...

M. Marx: Non, non. Je veux dire maintenant, est-ce qu'il y a des députés qui ont posé leur candidature récemment et que...

M. Johnson (Anjou): M. le Président, il me semble que le député de D'Arcy McGee sait que la procédure de sélection des juges prévoit qu'elle est absolument confidentielle et que le ministre de la Justice ne s'en ouvre pas. Il constate, avec deux ou trois fonctionnaires qui sont attitrés à ces questions, quelles sont les candidatures. Le ministre forme les jurys qui sont composés, comme on le sait, d'un représentant du barreau, d'un représentant de la magistrature de la cour visée et d'une personne désignée par le ministre et venant du public pour ventiler l'aspect non juridique, si on veut. Le jury entend les candidats et, après les entrevues, le jury fait des recommandations. En d'autres termes, il dresse des listes d'éligibilité de candidats. Rien de tout cela n'est rendu public à quelque stade que ce soit, sauf la nomination d'un juge.

M. Marx: Je n'ai pas voulu que le ministre nous révèle des secrets, c'est évident. Je ne pense pas que ce serait révéler un secret s'il nous disait qu'il y a des députés à l'Assemblée nationale qui siègent maintenant et qui ont posé leur candidature. Je pense que...

M. Johnson (Anjou): M. le Président, si le député de D'Arcy McGee tient absolument à ce que je dise publiquement qu'il a l'intention lui-même de poser sa candidature, je n'ai pas d'objection.

M. Marx: Bon, mais ce ne sera pas une façon de se débarasser de moi. De toute façon, M. le Président, je vise à accéder à un autre poste, tout à fait comme le ministre de la Justice.

Le Président (M. Gagnon): Cela n'était pas une question que vous posiez au ministre?

M. Marx: Non.

Une voix: ...en poser une...

Le Président (M. Gagnon): À votre tour tantôt.

Une voix: D'accord.

La CECO

M. Marx: Donc, le ministre ne répond pas à cette question. Est-ce que c'est cela que j'ai compris?

J'aimerais poser des questions sur la CECO. Est-ce que le ministre peut nous dire qu'elle est la situation è la CECO maintenant? Est-ce que c'est fermé ou ouvert? Est-ce qu'on travaille? Qu'est-ce qu'on fait?

M. Johnson (Anjou): Un instant. Je suis à vous dans deux minutes.

M. le Président, avant de commencer à répondre au député, je voudrais simplement mentionner que le président de la Commission de police, le juge Gosselin, est malheureusement absent. Il est à Kingston dans le cadre de ses fonctions et le vice-président, M. Boily, le remplacera aujourd'hui, le cas échéant.

La Commission de police a obtenu de ma part, il y a déjà un certain nombre de mois, le mandat de faire une évaluation, qui s'étendra sur un certain temps, de l'ensemble des activités de la Commission d'enquête sur le crime organisé qui était, comme on le sait, essentiellement un banc de la Commission de police avec des activités particulières. Je suis arrivé à cette décision de confier à la Commission de police un tel mandat à partir des préoccupations suivantes. La première, c'est qu'après une dizaine d'années il m'apparaissait adéquat d'évaluer les succès et les insuccès de la CECO. Deuxièmement, d'évaluer les instruments que le Québec s'est donnés depuis 1974 pour faire face à ce qu'on a appelé le crime organisé. Troisièmement, de faire en sorte qu'on puisse dégager, à partir d'une telle évaluation, qui implique non seulement le travail des commissaires, mais également des procureurs spécialisés, des enquêteurs des différents corps de police qui ont été appelés à collaborer avec la CECO, que l'on puisse évaluer, dis-je, des choses aussi fondamentales que la définition même du crime organisé, des instruments que le Québec peut, ou doit, ou pourrait, ou devrait se donner à l'égard de ce que l'on appelle le crime organisé. C'est survenu essentiellement dans le contexte aussi où j'ai manifesté, comme ministre de la Justice, auprès des intervenants, ma préoccupation quant au fait qu'au Québec, pendant un certain nombre d'années, on a donné des mandats à la

Commission d'enquête sur le crime organisé, ce qui a eu comme effet, dans l'opinion publique, de donner une visibilité considerate à des questions ou à des allégations de la présence du crime organisé dans certains milieux, ce qui s'est traduit, sûrement dans certains cas, par des poursuites au criminel qui ont permis de mettre sous verrou et sous écrou un certain nombre de personnes qui s'adonnaient à des activités criminelles. Je pense, notamment, à des poursuites en matière de trafic de stupéfiants qui ont été extrêmement abondantes à une certaine époque, mais qui, dans certains cas, ont peut-être prêté publiquement un pouvoir à des groupes ou à des personnes, ou bien qu'ils n'ont pas, ou bien qu'ils ont, mais qui n'est pas sanctionné en vertu de nos lois.

Dans ce domaine, M. le Président, il m'apparaît utile, aux fins du maintien de la crédibilité du système de justice, de l'efficacité policière, en même temps que du respect des principes de base qu'on retrouve chez nous en matière de droit criminel, que l'on soit d'une très grande efficacité. Dénoncer le crime et le crime dit organisé dans un secteur, donner une visibilité énorme à des personnes ou à des organisations, et se retrouver par ailleurs sans sanction, parce que nos instruments sont inefficaces, par exemple, sur le plan de la preuve, ou parce qu'il n'y a pas matière à poursuite, à mon avis, cela peut parfois avoir un effet négatif qui est celui, à toutes fins utiles, de consolider le pouvoir de ces personnes aux yeux de ceux qui en seraient les victimes.

M. Marx: J'aimerais poser une question. Le ministre a dit qu'il a demandé à la Commission de police de s'évaluer; c'est l'auto-évaluation qui existe, j'imagine, dans certaines facultés. Je n'ai jamais fréquenté une faculté où on a demandé aux étudiants de s'évaluer. Je vous demande l'efficacité de demander à un organisme de s'évaluer. Je pense que cela manque...

Le Président (M. Gagnon): M. le député, je m'excuse. Ou vous approchez le micro ou vous vous rapprochez un peu du micro.

M. Marx: Je me demande si un organisme peut être vraiment objectif dans son auto-évaluation. Je pense que, si on veut vraiment avoir une évaluation, on demande à des gens à l'extérieur de faire cette évaluation.

M. Johnson (Anjou): Je suis conscient de ce qu'évoque le député parce que j'ai eu à me poser cette question avant de décider d'accorder le mandat. Il y a deux choses: d'une part, c'est la Commission de police qui a le mandat et non pas le banc de la CECO lui-même. Évidemment, les personnes se rejoignent, les organisations sont dépendantes l'une de l'autre à bien des égards, etc., et je présume que les phénomènes qu'évoque le député ne sont pas totalement écartés de ce fait. Effectivement, il y a un élément d'auto-évaluation. La deuxième chose, ce qu'on demande à la Commission de police en faisant cette évaluation de l'action du banc de la CECO depuis une dizaine d'années, c'est de fournir un rapport d'un certain nombre de considérations, des perspectives, possiblement, des suggestions d'actions à venir qui, elles, auront à faire l'objet, je crois, d'une analyse extérieure à la Commission de police. S'il devait y avoir des suites à donner à ce rapport en termes de consolidation, par exemple, de la CECO, ou au contraire de son abolition ou de son remplacement par autre chose, cela prendra des décisions du ministère de la Justice. Donc, cela sera évalué par le ministère de la Justice. (16 h 45)

M. Marx: Le ministre a déjà dit qu'il allait abolir la CECO. Est-ce qu'il revient maintenant sur sa promesse? Car cela m'a beaucoup choqué que le ministre dise maintenant: On verra si on abolira la CECO. Il a déjà dit que cela serait aboli. Maintenant...

M. Johnson (Anjou): Notre objectif est de savoir, premièrement, dans la mesure où le crime organisé existe, dans la mesure où on peut le circonscrire dans notre régime de droit criminel, quels sont les meilleurs instruments pour le combattre. Je pense que c'est cela le rôle de sécurité publique du ministère de la Justice.

M. Marx: Vous allez abolir la CECO? C'est la question.

M. Johnson (Anjou): II est fort possible qu'à...

M. Marx: Donc, ce n'est pas certain?

M. Johnson (Anjou): II n'y a pas d'assurance qu'on abolisse la CECO, qu'on la remplace, qu'on modifie les pouvoirs de la Commission de police, qu'on change les attributions de certaines sections du ministère de la Justice ou qu'on crée un corps spécialisé d'enquêteurs. Il s'agit de faire le tour de l'ensemble des instruments qui ont été, jusqu'à ce jour, utilisés par la CECO, de mesurer l'efficacité de ces instruments pour mettre fin à des phénomènes de criminalité répandus et organisés.

M. Marx: La conclusion que j'en tire est que le ministre n'a pas décidé s'il abolirait, oui ou non, la CECO. Est-ce que j'ai bien compris le député...

M. Johnson (Anjou): J'ai effectivement pris la décision que je ne confierais pas à la CECO d'autres mandats que celui d'évaluer son action depuis dix ans. C'est ce que j'ai rendu public il y a déjà un certain nombre de mois.

Cependant, je peux vous dire que, dans la mesure où une chose telle que le crime organisé existe, le ministre de la Justice n'a pas l'intention de limiter les moyens qu'il pourrait utiliser pour être efficace et pour le combattre.

M. Marx: Le ministre a dit que, à cause des travaux de la CECO, on avait fait des poursuites, qu'un certain nombre de personnes étaient mises en prison et ainsi de suite. La CECO a fait deux enquêtes: une sur l'industrie du vêtement et une sur l'industrie de la fourrure. L'industrie, de la fourrure fait des exportations pour un montant de 100 000 000 $. Ce sont des exportations qu'on veut continuer à faire.

On a fait des enquêtes et des descentes partout. On a interviewé des centaines de personnes. Mais rien n'en est ressorti, sauf que ces deux industries sont encore en dessous d'un nuage de suspicion. Car on n'a pas dit qu'il y a des gens qu'on allait poursuivre. On n'a pas dit que les gens étaient innocents. On n'a pas poursuivi qui que ce soit. Est-ce que le ministre nous dira un jour ce que l'on a trouvé à partir de toutes ces enquêtes ou au moins à partir de ces deux enquêtes?

M. Johnson (Anjou): Pour le moment, M. le Président, il m'apparaît nécessaire de conserver au rapport de la CECO son caractère confidentiel. Je peux dire que j'ai eu l'occasion d'en discuter avec les commissaires et que, s'il devait y avoir des poursuites, elles seront prises et intentées. Étant donné qu'un certain nombre de choses qu'on décrit dans ce rapport n'ont rien à voir avec des activités de nature criminelle, il m'apparaît important, pour le respect des personnes mentionnées dans ce rapport, qu'on ne le publie pas et qu'on ne le rende pas public.

M. Marx: Mais on ne veut pas avoir des noms. Il est évident que je ne pose pas des questions dans le but d'avoir des noms...

M. Johnson (Anjou): II y a la notion de le rendre public ou pas, car je pensais que la question avait été soulevée...

M. Marx: Mais je veux savoir...

M. Johnson (Anjou): Je pensais que le député faisait allusion à cela.

M. Marx: ...ce que le ministre fera avec ces deux rapports?

M. Johnson (Anjou): D'accord. Il n'a pas l'intention de le rendre public. Est-ce qu'on se comprend? Bon.

M. Marx: Même en biffant les noms? Même en rendant public un rapport où... Cela se fait aux États-Unis. Il y a beaucoup de rapports qui sont rendus publics...

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre. M. le député de D'Arcy McGee, vous avez la parole.

M. Marx: M. le ministre...

Le Président (M. Gagnon): Immédiatement après, je reconnaîtrai le député de Duplessis qui avait une question à poser tantôt.

M. Marx: Oui, quand on va changer de sujet.

Le Président (M. Gagnon): Bon.

M. Marx: Sauf s'il veut poser des questions sur la CECO...

Le Président (M. Gagnon): Voilà. M. Marx: ...je n'ai pas d'objection.

Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez changer de sujet, je vais donner la parole au député de...

M. Marx: Sur la CECO, est-ce que le ministre est prêt à rendre public un rapport, quitte à noircir les noms et les informations qui peuvent impliquer un certain nombre de personnes? Parce qu'il est évident qu'on ne veut pas avoir le nom des personnes.

Le ministre doit savoir qu'on peut faire une enquête sur n'importe quelle industrie, sur n'importe quel groupe de personnes. On va trouver des gens qui ont triché sur leurs impôts, on va trouver quelqu'un qui a fait telle et telle chose. Cela est évident. Mais faire des enquêtes sur la place publique, il y a toujours des fuites. Après cela, on ne donne pas suite, on ne dit pas s'il va y avoir des poursuites, on ne dit pas si les gens sont innocents. Donc, il arrive que des organismes d'État refusent - c'est ce qu'on m'a dit -des subventions à certaines personnes de l'industrie de la fourrure en disant: On ne sait pas si tout ce que vous faites est honnête. Il y a un nuage - est-ce comme cela? - de "suspicion", "a cloud of suspicion". Je pense... You have got to cut the mustard, Mr. Minister. On "stall", on "stall", on va d'un mois à un autre, d'une étude à une autre, aucune politique cohérente. C'est toujours une étude qui va en suivre une autre.

La Commission de police, 59 000 $

pour connaître la taille des policiers! On va avoir une étude à l'automne. On va l'étudier. On va engager un autre avocat à 500 $ par jour pour étudier l'étude qui... Cela ne finit jamais parce qu'il n'y a personne qui prend une décision politique, on va faire telle et telle chose ou non. C'est très simple, prendre une décision.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je comprends la préoccupation du député. Je veux d'abord faire une nuance. Il s'agit d'un rapport d'enquête. Et c'est vrai, à chaque fois qu'il y a une enquête... D'abord, le mot "enquête" fait peur au monde. Les gens ont peut-être raison d'avoir peur, parce que des enquêtes ou des procédures peuvent être abusives. Mais il s'agit d'un rapport d'enquête. Donc, il n'a pas, en soi, à être rendu public.

Deuxièmement, je comprends, cependant, que ce que le député me dit, c'est: Écoutez, vous avez toute une industrie, tout un secteur d'activité commerciale qui implique des centaines de personnes au niveau patronal, des milliers de personnes au niveau des travailleurs syndiqués, pour la plupart, dans ce domaine.

Il y a eu des allégations qu'il y avait du crime organisé là-dedans. Il est évident que, si on enquête sur n'importe quelle industrie, on va trouver des gens qui sont des délinquants, des déviants qui fraudent l'impôt ou qui font des affaires pas correctes. Je pense que c'est vrai. Alors, je peux, tout en prenant note de sa question, peut-être pour rassurer un certain nombre de personnes, dire que la conclusion de la CECO, c'est qu'il n'y a pas de telles choses que du crime organisé dans l'industrie de la fourrure et du vêtement.

M. Marx: II n'y a pas de crime organisé.

M. Johnson (Anjou): II n'y a pas de crime organisé dans l'industrie de la fourrure et du vêtement. Mais il y a, cependant, un certain nombre de cas très précis, très spécifiques, qui font l'objet d'une évaluation en matière d'application de certaines lois. Mais...

M. Marx: Mais il s'agit de quel genre de crime.

M. Johnson (Anjou): ...ce n'est pas...

M. Marx: Est-ce que c'est le meutre? Est-ce que c'est le vol?

M. Johnson (Anjou): Ah non! On ne parle pas de cela.

M. Marx: Est-ce que c'est le viol? Quel genre de crime?

M. Johnson (Anjou): On parle, d'abord, d'infractions à un certain nombre de lois. On parle d'infractions à des lois...

M. Marx: Au Code criminel?

M. Johnson (Anjou): Non, non, on parle d'infractions à des lois provinciales, dans bien des cas.

M. Marx: Des lois provinciales, ce ne sont pas des infractions criminelles.

M. Johnson (Anjou): Non, non, ce n'est pas de nature criminelle, on se comprend bien.

M. Marx: Ce n'est pas de nature criminelle.

M. Johnson (Anjou): Bien oui, on se comprend bien. Des lois provinciales, ce n'est pas de nature criminelle.

M. Marx: Ah non!

M. Johnson (Anjou): On parle de cela.

M. Marx: Oui.

M. Johnson (Anjou): J'ai demandé qu'on évalue un certain nombre d'autres choses. Je regrette de ne pas pouvoir donner la réponse aujourd'hui, je pourrai la donner... Et mon souvenir, c'est qu'il... Je ne peux pas vous le dire avec certitude. Mais je pourrai vous dire avec certitude bientôt si, oui ou non, il y a eu commission d'actes criminels et si on entend poursuivre.

M. Marx: Oui, mais maintenant...

M. Johnson (Anjou): Effectivement, s'il n'y en a pas et si, de l'avis de nos procureurs, un certain nombre d'allégations ou de faits qui ont été portés à notre connaissance ne donnent pas ouverture à des poursuites criminelles, nous pourrons clarifier cette question très clairement, et je pense que cela doit l'être pour des gens qui oeuvrent dans cette industrie, du côté des travailleurs comme du côté des' entrepreneurs.

M. Marx: Le ministre a dit qu'il s'agit d'infractions à des lois provinciales.

M. Johnson (Anjou): Oui, oui. Il y a de cela.

M. Marx: II y a de cela.

M. Johnson (Anjou): Je vous dis qu'en matière criminelle, cependant, on évalue un certain nombre de situations. On veut savoir si, oui ou non, il y a matière à poursuites

criminelles. Donc, je peux vous dire que d'emblée ce rapport, en matière criminelle, ne pose pas des choses très manifestes. On se comprend? Il ne conclut pas à l'existence du crime organisé...

M. Marx: C'est cela.

M. Johnson (Anjou): ...tel qu'il a été défini par la CECO. Je pense qu'il faut que ce soit très clair quant à cela. Deuxièmement, un certain nombre de situations exigent d'être évaluées pour savoir si, oui ou non, elles doivent donner lieu à des poursuites en matière criminelle, mais elles sont telles, dans ce qui nous est fourni comme rapport d'enquête, que ce n'est assurément pas manifeste a priori...

M. Marx: Oui.

M. Johnson (Anjou): ...mais que cela exige un complément d'information sur un certain nombre de choses. Troisièmement, il y a un certain nombre de dispositions, possiblement des lois provinciales, qui pourraient donner lieu à des poursuites pénales provinciales.

M. Marx: Depuis combien de temps le ministre a-t-il ce rapport? Cela fait à peu près un an, maintenant, six mois, huit mois? Combien de mois?

M. Johnson (Anjou): Non, non. À la fin du mois de novembre, au début du mois de décembre.

M. Marx: Décembre, janvier... M. Johnson (Anjou): Janvier... M. Marx: ...février, mars... M. Johnson (Anjou): ...mars, avril. M. Marx: ...avril.

M. Johnson (Anjou): Cela fait cinq mois.

M. Marx: Dans cinq mois, on ne peut pas...

M. Johnson (Anjou): Cela ne fait pas un an.

M. Marx: Non, mais dans cinq mois, je pense que cela devrait être possible d'évaluer et de dire si, oui ou non, on va poursuivre des gens, de ne pas laisser ce nuage de suspicion.

M. Johnson (Anjou): D'abord, je dirai qu'il y a huit volumes dans ce rapport.

M. Marx: Mais combien de procureurs au ministère?

M. Johnson (Anjou): Oui, mais ils ont beaucoup de travail. Ils ne s'occupent pas juste des huit volumes de la CECO.

M. Marx: Engagez un procureur ad hoc!

M. Johnson (Anjou): II y a aussi les meurtres. Engager plus de monde? Parfait.

M. Marx: Ad hoc si nécessaire.

M. Johnson (Anjou): Vous allez maintenir la taxe sur les assurances. D'accord.

M. Marx: Est-ce que le ministre peut s'engager...

M. Johnson (Anjou): Je suis content de vous l'entendre dire.

M. Marx: Non, non. "The buck stops here". Le ministre était d'accord, l'autre jour; sur le fait qu'il faut que cela arrête quelque part. Est-ce que le ministre peut prendre l'engagement de donner une réponse définitive...

M. Johnson (Anjou): Dans un délai raisonnable, oui, oui.

M. Marx: ...disons d'ici à la fin de cette session, d'ici le 21 juin? Je sais que je peux toujours compter sur...

M. Johnson (Anjou): Je vais consulter mon sous-ministre et je vais vous dire cela.

M. Marx: M. le sous-ministre...

Le Président (M. Gagnon): Nous allons suspendre pour une minute. Non? Cela va?

M. Johnson (Anjou): Non, cela va. La réponse ne satisfera pas du tout le député de D'Arcy McGee. Ce n'est pas pour rien que j'ai donné un mandat à la Commission de police d'évaluer le banc de la CECO. Quand on a un rapport de huit volumes qui touche à peu près tous les aspects du fonctionnement d'une industrie, qui touche encore une fois des milliers de personnes, des dizaines, des centaines d'entreprises, des regroupements syndicaux, etc., cela nous amène, malgré toute la bonne volonté et tous les efforts qu'on puisse y mettre, malgré les ressources maximales qu'on puisse y consacrer, à devoir demander des compléments d'enquêtes policières sur un certain nombre de choses pour les fins d'une poursuite criminelle éventuelle.

Pour moi, c'est un élément à point nommé, un "case in point", pour reprendre

l'expression américaine, du genre de difficulté que pose la "publicisation" d'une enquête dans un domaine donné. Je pense que les perspectives qu'il faut voir en termes de respect des droits de la personne en même temps que de l'efficacité du système judiciaire et policier, les perspectives que cela nous donne, c'est que, quand on se donne des moyens extraordinaires de fonctionnement pour combattre le crime, il faut que ces moyens nous permettent rapidement d'en arriver à des conclusions... (17 heures)

M. Marx: Mais...

M. Johnson (Anjou): Les problèmes qu'on a avec les rapports de la CECO, qu'on a eus depuis une dizaine d'années, c'est que, pour certains aspects de ces enquêtes, le ministère de la Justice se retrouvait avec des rapports fort bien fouillés de gens qui avaient fort bien fait leur boulot, mais des rapports qui néanmoins exigaient des compléments d'enquête au niveau des corps policiers pour des fins de poursuite criminelle. Alors, ou bien on conclut que le ministère joue très serré dans son évaluation, que nos procureurs jouent très serré dans leur évaluation des causes qu'ils considèrent comme devant être portées en vertu du Code criminel, ou bien on considère que l'instrument qu'a été la CECO ne fournit pas des moyens substantiellement adéquats pour nous permettre de procéder rapidement en matière criminelle.

M. Marx: Juste une précision. Le ministre a parlé de huit volumes. Est-ce que c'est huit volumes pour les deux enquêtes?

M. Johnson (Anjou): Tout l'ensemble.

M. Marx: L'ensemble. Combien de pages dans chaque volume, à peu près?

M. Johnson (Anjou): Ah Mon Dieu! C'est énorme.

M. Marx: Parce qu'on peut parler de huit volumes avec 50 pages dans chaque volume.

M. Johnson (Anjou): Écoutez, je ne me souviens pas. Cela fait plus d'un pied de papier, si je me souviens bien.

M. Marx: Est-ce que le ministre peut nous dire le coût de ces deux enquêtes?

M. Johnson (Anjou): C'est cher. M. Marx: Bien, c'est quoi, cher?

M. Johnson (Anjou): En 1984-1985, les crédits... Pardon, cela vous prend 1983-1984? On va vous donner cela dans quelques secondes. Mais enfin, c'est sûrement quelque chose de l'ordre, pour l'ensemble des activités de la CECO pour cette année-là, où il y a un maintien d'effectifs qui avaient un caractère quasi permanent depuis 10 ans, c'est quelque chose de l'ordre d'à peu près 300 000 $.

M. Marx: De 300 000 $. Cela est...

M. Johnson (Anjou): Je ne vous dis pas seulement pour l'enquête sur le vêtement, mais les crédits dont on parle...

M. Marx: Oui, mais c'est...

M. Johnson (Anjou): ...pour le banc CECO qui, à toutes fins utiles, a travaillé sur trois choses. D'abord sur les suites de certaines enquêtes précédentes. Deuxièmement, ils ont travaillé en relation avec des corps policiers, entre autres avec le juge Bernier dans le dossier de la boxe...

M. Marx: C'était...

M. Johnson (Anjou): Troisièmement, l'enquête sur le vêtement. Les crédits sont de l'ordre d'au moins 300 000 $, pour l'an dernier.

M. Marx: Oui, dans ce budget, on n'a pas comptabilisé les salaires des enquêteurs, tout le monde qui a été prêté par d'autres directions au ministère et ainsi de suite. Est-ce que j'ai raison de dire que cela a coûté cher et qu'on n'a rien eu pour notre argent? Est-ce que le ministre est conscient que l'enquête sur le crime organisé, c'est un instrument des années 1950-1960, et nous approchons maintenant la fin du siècle? Donc, c'est un instrument qui était peut-être nécessaire au début des années soixante. Est-ce que le ministre est conscient que d'autres enquêtes... Cela ne prendrait pas une enquête de 50 000 $ pour savoir que ces enquêtes sur le crime organisé n'ont pas vraiment donné beaucoup de choses, soit ici, soit ailleurs en Amérique du Nord et même en...

M. Johnson (Anjou): Je pourrais vous dire que, dans le cas de... C'est parce qu'on est dans un domaine où il faut bien voir, quand on parle de la perception de ce qu'on a, de ce qu'est le crime organisé... Vous avez lu les mêmes journaux que moi, et je pourrais vous donner un certain nombre de noms ici qui sonneraient comme des cloches. Vous savez très bien qu'on ne le fera pas parce qu'on respecte les droits de la personne, etc. Mais je me rends compte aussi que, quand les organismes spécialisés comme la CECO s'activent, dans les corps policiers, parfois en réaction parce qu'ils voient là peut-être une remise en cause de leur propre efficacité dans certains domaines, des choses

s'activent. Je me rends compte qu'un certain nombre de personnes, au Québec ou aux États-Unis, alors qu'elles faisaient l'objet d'enquête au Québec, se sont retrouvées dans des procédures criminelles qui les ont tenues à l'écart pendant un certain temps. Et je pense que ce n'est pas étranger aux conséquences de cette activité de la Commission d'enquête sur le crime organisé.

M. Marx: Est-ce que le ministre a dit que cela prendra des enquêtes complémentaires...

M. Johnson (Anjou): ...quatre, oui.

M. Marx: Est-ce que le ministre peut quand même fixer des enquêtes policières?

M. Johnson (Anjou): On parle d'enquêtes policières.

M. Marx: II peut y avoir un autre...

M. Johnson (Anjou): Je comprends, c'est...

M. Marx: Est-ce que le ministre peut nous donner la date où ce sera possible pour lui de nous dire s'il y a matière pour poursuivre certaines personnes, oui ou non? Parce que, si cela continue des mois et des mois, cela prendra une autre étude pour étudier la paperasse que cette enquête policière va produire et cela ne finira jamais. "Self-Perpetuating Commission, Self-Perpetuating", et le ministre est tombé dans le panneau. Le ministre a dit...

M. Johnson (Anjou): Vous n'avez pas remarqué que je n'ai pas donné d'autres mandats à la CECO?

M. Marx: Oui, mais vous avez...

M. Johnson (Anjou): Pour la première fois en dix ans, il n'y a pas eu de mandat additionnel donné à la CECO depuis le mois de mars 1984, quand je suis arrivé au ministère de la Justice.

M. Marx: Vous n'êtes pas prêt à dire aujourd'hui, comme vous avez déjà dit: C'est la fin de la CECO. Vous avez déjà dit cela, on vous a félicité dans la Gazette.

M. Johnson (Anjou): La CECO n'est pas un organisme, c'est l'application de l'article 20 de la Loi de police.

M. Marx: Êtes-vous prêt à dire que la CECO, c'est fini et que le gouvernement ne donnera pas d'autres mandats?

M. Johnson (Anjou): C'est ce que j'ai dit: Le gouvernement ne donnera pas d'autres mandats que celui qu'il a donné à la Commission de police d'évaluer les dix ans de travaux de la CECO.

M. Marx: Donc, si on peut dire, la CECO est abolie.

M. Johnson (Anjou): La CECO n'a jamais existé autrement que par le fait que la Commission de police avait des mandats spécifiques è un de ses bancs en vertu de l'article 20. S'il n'y a pas de mandat, il n'y a pas de CECO. Ce n'est pas: On va abolir la CECO; il n'y en a plus de CECO...

M. Marx: C'est cela.

M. Johnson (Anjou): ...au sens de l'article 20, dans la mesure où elle n'a pas de mandat. Elle n'a pas de mandat depuis le dernier qu'elle a eu et qui était l'enquête sur le vêtement.

M. Marx: Le ministre nous dit qu'il ne donnera pas d'autres mandats.

M. Johnson (Anjou): Je n'ai pas de projet de mandat à donner à la Commission de police en vertu de l'article 20.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député.

M. Marx: Ma dernière...

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, car le temps passe vite. J'ai deux députés qui ont demandé la parole: le député de Duplessis, suivi du député de Deux-Montagnes.

Nomination des juges

M. Perron: Merci, M. le Président; deux courtes questions. Je voudrais revenir à la question qui a été soulevée tout à l'heure par le député de D'Arcy McGee et se rapportant à la nomination des juges. Pour bien comprendre la nomination des juges par le gouvernement du Québec, est-ce que le ministre pourrait informer les membres de cette commission sur la procédure actuelle, de A à Z, par rapport à la nomination d'un juge, et sur la procédure antérieure par rapport à cette même nomination d'un juge?

M. Johnson (Anjou): La procédure actuelle, je l'ai décrite: des avis de concours de sélection de juges sont publiés périodiquement dans la revue du barreau pour les différents tribunaux - en matière criminelle ou en matière civile ou en matière de jeunesse - que le Québec possède. À partir de la publication de ces avis, les membres du barreau ayant plus de dix ans de pratique envoient un curriculum vitae au

secrétariat du ministère, lequel est chargé de cela, et une personne en particulier a la responsabilité de recevoir ces choses; et elle est tenue à la confidentialité, qu'elle respecte.

On fait une espèce de présélection. Des gens peuvent envoyer leur curriculum vitae, mais cela fait juste neuf ans et demi qu'ils sont membres du barreau et ils disent: Dans les jours qui suivront le concours, j'obtiendrai ma dixième année de pratique. On doit éliminer, à leur face même, un certain nombre de candidats. Les autres se présentent devant un jury formé d'un représentant du juge en chef ou du juge en chef lui-même de la cour qui est concernée, la Cour des sessions de la paix, par exemple, en matière criminelle, la Cour provinciale en matière civile, ou le Tribunal de la jeunesse. Une deuxième personne nous vient du barreau régional ou du barreau québécois, selon le cas. Il y a souvent des problèmes de connaissance des personnes les unes par rapport aux autres; il se peut que, parmi les candidats en Gaspésie, il y ait des gens qui soient les cousins, les frères ou les associés du bâtonnier de la Gaspésie ou de cette région. Alors, ce qu'on fait, c'est qu'on désigne un représentant qui vient d'une autre région. Troisièmement, le ministre de la Justice nomme un citoyen qui siège à ce jury. Ce citoyen peut être souvent quelqu'un qui est issu des milieux sociaux ou un citoyen qui s'est impliqué dans un certain nombre d'organismes bénévoles. Par exemple, dans le cas du Tribunal de la jeunesse, on va aller chercher une citoyenne ou un citoyen qui s'est intéressé en particulier aux questions relatives à la jeunesse; quelqu'un, en général, non pas toujours, qui n'a pas de formation juridique et qui essaie d'apporter un point de vue un peu différent en ce qui concerne le jury de sélection.

À ce moment, les candidats passent devant le jury et ensuite le jury m'envoie, sous la signature des trois membres, une liste d'admissibilité où on me dit: Voici, nous avons rencontré tant de candidats et nous considérons que les personnes suivantes sont admissibles. L'on fait ou l'on ne fait pas des catégories. On considère que tel candidat est exceptionnel, les autres sont admissibles, etc. Par la suite, le ministre de la Justice consulte cette liste et se fait une idée à partir de toutes sortes de critères. Je vous dirai que je fais jouer un certain nombre de critères. Par exemple, nous avons fait un effort particulier depuis un an pour nommer des candidates féminines au poste de juge, parce qu'il faut le faire. On n'est pas obligé d'attendre les règlements de l'accès à l'égalité et ces affaires-là, c'est un choix.

M. Marx: Nommer d'anciens présidents de l'Assemblée nationale.

M. Johnson (Anjou): Ou encore des gens qui ont des états de service remarquables comme d'anciens présidents de l'Assemblée nationale; et pourquoi pas? Ce sont des gens qui se qualifient aux yeux d'un jury formé d'un juge en chef ou de son représentant, d'un représentant du barreau régional ou québécois et d'un troisième citoyen.

Avant il n'y avait rien, point. Le ministre de la Justice disait: Voici, il y a trois postes à la Cour provinciale et il nommait qui il voulait, point.

M. Marx: Est-ce qu'on a de meilleurs juges maintenant?

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre a la parole.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, encore une fois, je ne veux pas prétendre ici que les juges nommés sous l'ancien régime n'étaient pas des gens compétents; je dis simplement que nous nous sommes imposé, comme gouvernement, une réglementation au ministère de la Justice alors que la loi ne l'exigeait pas. Nous nous sommes imposé un minimum de sélection et de présélection qui doit être fait par le milieu juridique lui-même et la magistrature ainsi que la présence d'un citoyen.

Je crois que cela permet de constater qu'il y a là un processus qui a ses inconvénients. D'abord, cela prend plus de temps: dans bien des cas, on serait prêt à nommer un juge et ce serait utile de le nommer la semaine prochaine dans telle région, mais cela prend quoi? Deux mois et demi, trois mois entre le moment où le concours est lancé et le moment où l'on prend la décision. C'est évident qu'il y a un inconvénient. Il y a d'autres inconvénients aussi qu'on pourrait voir. Par exemple, on pourrait y voir que le barreau et la magistrature, théoriquement, dans un système comme celui-là, auraient tendance à autoperpétuer un certain nombre de tendances et d'approches de toutes sortes et de toutes natures. (17 h 15)

Dans notre système, le ministre de la Justice accepte donc cette espèce de préjugement qui est fait par d'autres personnes avant de proposer des noms au Conseil des ministres. En fin de compte, c'est simple et c'est plus représentatif, cela incite à plus de prudence et à s'assurer que, par exemple, si des gens qui ont eu des allégeances politiques ou partisanes... Ce n'est pas parce que des gens ont fait de la politique que cela veut dire qu'ils sont incompétents pour être juges. Au contraire, dans bien des cas, des gens qui ont fait de la politique ont des qualités remarquables. Dans l'histoire du Québec et l'histoire des tribunaux supérieurs au Canada comme dans

l'histoire américaine, la Cour suprême est pleine d'exemples de gens qui ont fait de la politique active et qui ont été de remarquables juges et juristes. Mais on s'impose, par ce processus de sélection, qu'il y ait un certain filtrage qui soit fait pour protéger finalement le gouvernement et le ministre de la Justice lui-même contre le fait que des nominations ne soient pas que partisanes. Dans notre système, elles ne peuvent pas être que partisanes puisque les gens ont obtenu d'être sur une liste d'admissibilité par un jury formé par le juge en chef d'une cour, un représentant du barreau - qui n'est pas nécessairement du même parti politique; on pourrait même dire des fois que la règle, c'est le contraire - et d'un citoyen nommé par le ministre. Je crois que c'est un meilleur système, globalement.

Le Président (M. Gagnon): Je vais vous demander de raccourcir un peu vos réponses parce que j'ai au moins deux autres questions que je vois et le temps passe vite. M. le député de Duplessis.

M. Perron: D'abord, je voudrais faire deux commentaires. Le premier commentaire que je voudrais faire, c'est qu'effectivement la façon dont on fait la sélection des juges actuellement démontre une prudence par rapport à ce qui se faisait antérieurement. C'est un commentaire personnel que je fais.

Dans un deuxième temps, je voudrais vous dire aussi que, lorsque j'ai posé la question en deux volets au ministre, loin de moi était l'idée de demander au ministre de faire une évaluation de chacun des juges qui ont été nommés antérieurement ou de ceux qui sont nommés actuellement et qui sont sur le banc. Là n'était pas le but de ma question. Si je fais ce commentaire, c'est fondamentalement à la suite de ce qu'a dit le député de D'Arcy McGee se rapportant à l'évaluation de certains juges qui avaient été nommés, en particulier depuis l'existence de ce comité de sélection et du pouvoir de recommandation.

Le Président (M. Gagnon): Cela va-t-il? M. Perron: Cela va.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais poser une question au ministre au sujet des cours municipales. Je voudrais demander au ministre si les pouvoirs que la loi lui confie...

M. Johnson (Anjou): J'entends. Il voudrait savoir si les pouvoirs que la loi lui confie...

M. de Bellefeuille: ...lui permettent, au ministre, de faire en quelque sorte des suggestions aux juges municipaux quant à leur méthode de fonctionnement?

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le député aurait un cas particulier?

M. de Bellefeuille: Ce n'est pas un cas particulier; je crois que c'est une pratique assez répandue. La pratique à laquelle je fais allusion, c'est la pratique selon laquelle - là je ne voudrais pas affirmer que cela se passe toujours comme cela, cela m'a été signalé plusieurs fois; donc, cela se passe assez souvent comme cela - les comparants qui ne sont pas représentés par un avocat sont automatiquement renvoyés au bas du rôle, sous prétexte de libérer messieurs et mesdames les procureurs et les procureures. Ce qui a pour effet de désavantager très nettement ces comparants non représentés par des avocats. C'est assez répandu, et je voudrais savoir si le ministre a quelque pouvoir de directive, quelque pouvoir de suggestion, quelque pouvoir de réglementation en la matière pour mettre un terme à cette pratique qui est en quelque sorte discriminatoire.

M. Johnson (Anjou): Pour répondre spécifiquement à la question du député: non, je n'ai pas de pouvoir sur cela parce que c'est une question de gestion des rôles. La gestion des rôles relève des juges eux-mêmes. Cependant, je ne sais pas quelle est l'étendue de cette pratique. Il est fort possible qu'elle existe et je présume que le député connaît des cas.

Je pourrais bien vous dire: Bon, écoutez, ce sont les procureurs municipaux, ce ne sont pas les procureurs de la couronne - c'est un fait - ce sont des procureurs nommés par les municipalités qui siègent là en poursuite, et les juges ont la gestion de leur rôle et on ne rentrera pas dans cela avec eux, etc. Cependant, je dois dire que la Conférence des juges municipaux, depuis, je dirais, deux ou trois ans, s'active passablement sur le plan d'une meilleure standardisation des pratiques, si on veut. Mais, encore une fois, c'est fait strictement sur une base volontaire.

Je suis allé au dernier congrès de la Conférence des juges municipaux à Trois-Rivières pour me rendre compte, notamment, que, sur une base tout à fait volontaire, des juges municipaux, qui sont des gens remarquablement impliqués dans leur milieu juridique, ont décidé, par exemple, de faire eux-mêmes une sorte de guide, une amorce de jurisprudence municipale dans certains secteurs, etc.

Je prends bonne note de la question du député. Il n'y a pas de solution à cela par voie d'un pouvoir ministériel et je pense que

c'est incompatible avec le type d'institution qu'on a. Cependant, je suis extrêmement sensible à cela, d'autant plus qu'il y a un projet qui traîne dans la nature depuis un certain nombre d'années et sur lequel on n'a pas mis de priorité pour le moment. Mais cela viendra après la réforme des tribunaux en matière criminelle, de jeunesse, civile et administrative. Ce seront ensuite les cours municipales.

Je pense que la pratique des quelques dernières années et le rôle de la Conférence des juges municipaux nous amèneront peut-être à leur permettre de dégager un manuel de pratique ou des choses de cette nature où il faudrait faire attention, effectivement, à ce type de situation.

Le Président (M. Gagnon): M. le député.

M. de Bellefeuille: Oui, merci, M. le Président. Je prends bonne note de la réponse du ministre et je voudrais juste ajouter une question dans un tout autre domaine. Je voudrais revenir à ce que le ministre disait, il y a cinq minutes. Le député de Duplessis a repris les affirmations du ministre sur la méthode du choix des personnes qui sont appelées à être nommées juges. Le député de Duplessis en a parlé pour dire que cela représentait, de sa propre connaissance, un très net progrès.

Je reconnais que c'est un très net progrès à partir d'une situation où on était dans l'arbitraire pur, qui pouvait permettre la plus totale partisanerie dans le choix de ces personnes. Mais, là, je suis un peu étonné d'une phrase que le ministre a employée avec insistance. Il a dit que c'était bon pour le ministre lui-même de s'assurer que les nominations ne sont pas que partisanes. Je me demande si le ministre ne s'est pas trompé.

M. Johnson (Anjou): Non, absolument pas.

M. de Bellefeuille: Parce qu'en disant cela le ministre veut dire qu'elles sont partisanes. Est-ce que le ministre est en train de formuler...

M. Johnson (Anjou): Je suis parfaitement à l'aise dans l'utilisation de cette expression, M. le Président. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges qualifiés. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges impliqués. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait des juges dynamiques. Je pense que c'est cela le rôle du ministre de la Justice, c'est de s'assurer que les tribunaux fonctionnent et qu'ils ne fonctionnent pas juste avec des lois et de la théorie. Ils fonctionnent avec des personnes qui s'appellent des juges.

Dans notre système de droit, une fois que ces personnes sont nommées, on leur doit le respect, la déférence et le respect de leur indépendance. Donc, dans le processus de sélection, si on veut infléchir une approche qu'on peut voir devant un tribunal, avec les années, il est normal qu'on tienne compte de facteurs qui, au-delà des qualifications de nature purement technique, sont des facteurs d'orientation, non pas au sens politique du terme, mais, par exemple, je connais des juges dans certains types de tribunaux, qui ont fait l'objet de nominations récentes, soit depuis quelques années, qui se sont fait remarquer pour la qualité de leur travail, leur implication, leur dynamisme, la remise en cause, par exemple, qu'ils ont faite de certaines pratiques longuement établies et je suis parfaitement conscient que le ministre de la Justice, quand il nomme un juge, sait qu'une fois que c'est fait c'est fait pour longtemps. Ce n'est pas vrai qu'il va appeler des juges pour dire: Écoutez, M. le juge, il me semble que vous devriez procéder de même. Le ministre de la Justice peut avoir une certaine idée à savoir comment cela devrait fonctionner sur le plan des tribunaux et il peut espérer que les personnes qu'il nomme traduiront ce type d'approche.

M. de Bellefeuille: M. le Président...

M. Johnson (Anjou): Ceci dit, M. le Président, je crois que ce n'est pas un stigmate dans notre société que d'avoir été un militant politique ou d'avoir agi politiquement dans des fonctions électives ou autrement. On ne devrait pas a priori disqualifier des personnes pour des raisons politiques, parce qu'elles ont un jour milité en politique. Mon expérience en politique, c'est que l'immense majorité de celles et ceux qui en font le font parce qu'ils sont préoccupés par autre chose que leur vie à eux, leur quotidien, arriver à la maison et regarder la TV. Ils ont le goût de s'impliquer dans des problèmes qui touchent la collectivité. Ils s'intéressent à un problème particulier ou à des problèmes particuliers dans la société, et c'est un réservoir remarquable en termes de personnes dynamiques et impliquées.

Je dis simplement, cependant, qu'un régime de présélection comme celui que nous avons met à l'abri le ministre de la Justice - et le gouvernement - quand il nomme des personnes aux tribunaux, de l'accusation de pure partisanerie qui a déjà fait l'objet de critiques publiques dans le passé. Oui, j'ai nommé un certain nombre de juges qui avaient été députés de l'Assemblée nationale, des militants de mon parti, comme j'ai déjà nommé des juges qui étaient d'anciens libéraux. Chose certaine, je les ai nommés à partir d'une liste où on me disait que toutes ces personnes étaient qualifiées pour siéger

comme juges aux yeux du juge en chef, aux yeux d'un représentant du barreau et aux yeux d'un citoyen.

Pour moi, c'est là un garde-fou important; c'est une balise qui est extrêmement utile pour conserver la crédibilité dans le système. Mais ça ne veut pas dire pour autant que, quand le ministre nomme des gens, il se déresponsabilise. Le député dit: "The buck stops here." Oui, "the buck stops here." Quand j'ai une liste d'admissibilité de...

M. de Bellefeuille: Je n'ai pas dit ça du tout.

M. Johnson (Anjou): C'est le député de D'Arcy McGee qui disait ça.

M. de Bellefeuille: Oui, mais ce n'est pas lui qui avait la parole.

M. Johnson (Anjou): C'est parce que les députés ont l'air de travailler ensemble sur beaucoup de choses depuis quelque temps.

M. de Bellefeuille: Cela, M. le Président, c'est de la partisanerie bête de la part du ministre.

M. Johnson (Anjou): Quand j'ai une liste d'admissibilité pour un poste...

M. de Bellefeuille: M. le Président, ce n'est pas facile de rester calme et de rester gentil avec quelqu'un qui nous donne un roman-fleuve de vasouillage quand on essaie de lui parler calmement d'une question importante. Pourquoi le ministre fait-il semblant de ne pas comprendre?

M. Johnson (Anjou): Quoi?

M. de Bellefeuille: Je suis d'accord avec tout votre vasouillage sur la magistrature, à laquelle il faut reconnaître toutes les vertus, mais la question n'est pas là du tout. Je m'en prends à une phrase que le ministre a dite avec insistance, soit qu'il faut s'assurer que les nominations ne sont pas que partisanes. À mon avis, les nominations ne doivent pas être partisanes.

Là, le sous-ministre cause au ministre pendant que j'essaie de me faire comprendre du ministre.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, à l'ordre, s'il vous plaît! Il nous reste cinq minutes et je sais que le député de D'Arcy McGee a aussi une question à poser. Est-ce qu'on pourrait en venir à votre question?

M. de Bellefeuille: M. le Président, j'ai été bref, et c'est le ministre qui prend énormément de temps pour ne rien dire. Je prétends que les nominations de juges ne doivent pas être partisanes. Dans sa longue réponse, le ministre semblait prendre une espèce de pause dans ce sens pour dire que le fait qu'une personne a fait de la politique ne doit pas être invoqué contre elle. Je suis absolument d'accord, c'est cela une nomination qui n'est pas partisane. Alors pourquoi, M. le ministre, ne diriez-vous pas qu'il faut s'assurer que les nominations ne sont pas partisanes, plutôt que de dire qu'il faut s'assurer qu'elles ne sont pas que partisanes?

M. Johnson (Anjou): M. le Président, parce qu'on ne peut pas faire rentrer, dans la tête et dans les esprits des gens, les autres. Je vous dis simplement que, dans le système de justice qu'on a, la notion du droit et de l'apparence du droit est importante, la notion de justice et d'apparence de justice est importante. Dans le processus de sélection des juges, maintenant, je crois que l'appareil exécutif est à l'abri de l'accusation dont n'étaient pas protégés ceux qui nous ont précédés, qui faisaient des nominations partisanes parce que le processus ne donnait aucune garantie.

Par ailleurs, j'ai pris bonne note du fait que mes propos sur l'indépendance de la magistrature sont considérés, par le député de Deux-Montagnes, comme du vasouillage.

Une voix: Ce qu'il est bétel

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, une très courte question et une très courte réponse et on va mettre fin à nos travaux.

M. Marx: Ma question est très simple, M. le Président. J'ai tellement de questions que j'espère que le ministre sera d'accord pour revenir après le vote.

M. Johnson (Anjou): Fini!

M. Marx: Je sais qu'il aime même répondre aux questions. Ma question porte sur le racisme dans l'industrie du taxi.

M. Johnson (Anjou): Oui.

M. Marx: Nous avons eu le rapport de la Commission des droits de la personne. Cela a coûté des centaines de milliers de dollars, peut-être 400 000 $, sans compter les coûts indirects. La Commission des droits de la personne a produit un rapport. Qu'est-ce que le ministre a fait avec les recommandations de la Commission des droits de la personne? A-t-il donné suite aux principales recommandations de la Commission des droits de la personne?

M. Johnson (Anjou): La principale recommandation touchait le ministère des

Transports et j'ai transmis à mon collègue le rapport en l'informant de l'importance que nous accordions à ce sujet. Il est exact de prétendre que les principales recommandations qui touchent les allégations de racisme et l'existence de racisme dans l'industrie sont essentiellement entre les mains du ministère des Transports.

M. Marx: Mais a-t-il adopté la réglementation proposée par la Commission des droits de la personne ou...

M. Johnson (Anjou): Je sais que c'est à l'étude au ministère des Transports.

M. Marx: Mais cela fait des années maintenant qu'on passe le "buck" comme cela.

M. Johnson (Anjou): Par ailleurs, M. le Président, le ministère de la Justice a donné suite aux recommandations en matière de poursuite.

M. Marx: On a envoyé le rapport au ministre des Transports, mais cela fait des années...

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce que les crédits du ministère de la Justice sont adoptés?

M. Johnson (Anjou): Adopté. M. de Bellefeuille: Sur division.

M. Marx: Sur division, faute de temps pour vraiment accomplir notre travail comme il faut.

Le Président (M. Gagnon): Cette commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures, alors que nous étudierons les crédits du ministère délégué à l'Emploi et à la Concertation.

(Suspension de la séance à 17 h 33)

(Reprise à 20 h 8)

Emploi et Concertation

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions se réunit avec le mandat de procéder à l'étude des crédits budgétaires du Conseil exécutif. Programme no 6, Emploi et Concertation, pour l'année financière 1985-1986.

M. le Secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui. M. Lévesque

(Bonaventure) est remplacé par M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce) et M. Mailloux (Charlevoix) est remplacé par M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges).

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, pour les remarques préliminaires.

Remarques préliminaires M. Robert Dean

M. Dean: Oui, M. le Président. J'aimerais d'abord présenter mes accompagnateurs et accompagnatrices à l'Opposition. Je suis accompagné de M. Aubert Ouellet, mon sous-ministre, M. Raymond Bachand, président du conseil d'administration de l'Institut national de la productivité, M. Marcel Alain, directeur général, Mme Lise Poulin-Simon, sous-ministre adjoint à l'emploi, M. Pierre Fontaine, du secrétariat des conférences socio-économiques, M. Pierre Roy, du secrétariat des conférences socio-économiques, Mme Pierrette Petit, adjointe à M. Ouellet, M. Jean Demers, du secrétariat des conférences socio-économiques, Mme Francine Lahaye, ma directrice de cabinet, MM. Hubert Thibault et Laurent Martineau, de mon cabinet.

M. le Président, vous me permettrez peut-être, au risque de prendre quelques minutes de notre temps, parce que la fonction ministérielle que j'occupe est toute nouvelle, de vous donner quelques notes quant à l'identité, la mission et l'orientation qu'on veut donner à cette nouvelle fonction ministérielle.

Le 20 décembre dernier, le premier ministre m'a confié le mandat d'élaborer une politique gouvernementale d'ensemble susceptible de favoriser le plein emploi au Québec, de coordonner les politiques des divers ministères relatives à l'emploi, de promouvoir la concertation des agents socio-économiques et d'être responsable du secrétariat des conférences économiques.

La raison d'être de cette innovation dans les fonctions du gouvernement est que, depuis 1945, le taux de chômage au Québec, sans exception ou à peu près, a toujours été supérieur de 20 % à 30 % à celui du Canada et encore plus élevé que celui de l'Ontario. Au lendemain de la guerre, cela pouvait sembler en quelque sorte normal. On vivait le passage d'une économie agricole refermée sur elle-même à une économie industrielle exportatrice qui, aujourd'hui, représente 40 % de notre production. On a longtemps cru que les forces vives de l'économie résoudraient à elles seules le problème du chômage et le maintiendraient à un niveau acceptable qui est, par définition, un niveau très bas.

Par la suite, les mentalités ont changé

au Québec et l'idée que l'État devait prendre le leadership, intervenir et entraîner la croissance économique s'est installée. Pourtant, chose curieuse, la première politique d'ensemble de développement économique au Québec date de 1977. Il s'agit de "Bâtir le Québec 1" que le Conseil économique du Canada a qualifié d'une première véritable stratégie de développement industriel de la part d'une province au Canada. "Bâtir le Québec 2" fut suivi du virage technologique en 1982. Il s'agissait de réorienter les moyens d'action du gouvernement vers des objectifs de productivité, de pénétration de nouveaux marchés, d'accentuation de la recherche dans les secteurs prometteurs et l'augmentation de l'autosuffisance alimentaire.

Cette stratégie s'est caractérisée par des efforts énormes de modernisation de nos secteurs traditionnels, de rattrapage dans des secteurs industriels où le Québec est faible par rapport à d'autres provinces ou pays et, troisièmement, de développer de nouveaux secteurs de pointe.

Ces énoncés de politique économique ont aussi préconisé l'implication des agents socio-économiques dans une tentative de concertation afin d'arriver à des consensus autour des différents problèmes économiques qui existent au Québec. Ces efforts devaient pourtant s'ajuster aux changements de la conjoncture économique.

La crise économique de 1981-1982 au Québec a été désastreuse plus qu'ailleurs en raison des effets d'une politique monétaire démentielle de la part du gouvernement fédéral et ses effets sur les PME sous-capitalisées plus au Québec qu'ailleurs et plus au Canada qu'aux États-Unis d'ailleurs, ces entreprises comptant sur des financements par dette.

Le gouvernement a apporté en plus de ces énoncés de politique, à la suite de cette crise, les mesures prises au mont Sainte-Anne, en mars 1983, pour contrer d'urgence des problèmes causés par la crise et le programme de Compton, en novembre 1983, qui traduisait un désir de s'attaquer aux éléments plus structurels de la conjoncture économique. Les résultats ont été, nous le savons, spectaculaires.

Je n'ai pas l'intention, à ce stade-ci, de revenir là-dessus. Cependant, un aspect est rapidement apparu préoccupant, non seulement au Québec, mais ailleurs dans le monde occidental. C'est que la reprise économique seule ne suffirait pas à ramener le taux de chômage à des niveaux plus vivables, à tout le moins, pas à court, ni à moyen terme et ce, malgré le fait qu'en 1983 et 1984, le Québec ait créé 38 % des emplois créés au Canada. En 1984, 80 000 emplois ont été créés à Québec. Le taux de chômage du Québec, supérieur de 20 % à 30 % à celui du Canada depuis 40 ans, a été ramené, depuis le début de 1985, à environ 10 % de plus que le taux canadien.

À cette situation, il faut aussi ajouter le phénomène des mutations profondes déjà apportées par des changements technologiques. Les pressions sur l'entreprise et à la main-d'oeuvre sont importantes. Le virage technologique, que nous devons réussir mieux que tout autre en raison de la taille de notre économie et de son ouverture sur le monde, doit nous permettre de porter notre niveau de productivité, notre niveau de compétitivité à celui de nos concurrents et aussi la qualité et le prix de nos produits à un niveau concurrentiel avec les autres pays, les autres concurrents économiques sur les marchés.

Au-delà des actions entreprises de restructuration économique, de développement, d'expansion industrielle et de croissance économique, le gouvernement s'est donc attaqué à définir où et comment on pourrait agir pour aider à corriger la situation intenable d'un chômage coriace qui s'est maintenu depuis 40 ans, comme je l'ai dit, à un niveau plus élevé que celui de la moyenne canadienne. Le gouvernement a décidé de se doter des éléments et des institutions d'une politique qui vise le plein emploi des ressources humaines au Québec.

Une définition rapide d'une politique de plein emploi: un ensemble de mesure et d'institutions qui vise à assurer un emploi pour toute personne qui désire travailler, un emploi véritablement productif et librement choisi et faisant appel à ses compétences actuelles ou des compétences qui pourraient être acquises par une formation appropriée. Donc, une politique de plein emploi n'est pas une politique d'assurance-chômage ou d'aide sociale. Ce n'est pas une politique de création artificielle d'emplois temporaires, c'est un choix de société, un choix par lequel une société décide de faire de l'emploi l'objectif primordial de toutes ses politiques économiques, en quelque sorte faire de l'emploi, une obsession nationale. Ce n'est pas une garantie en soi d'atteindre l'objectif mais plutôt la garantie d'un effort constant et soutenu vers l'objectif de la part de tous les agents économiques de notre société. Une politique de plein emploi vise à créer des emplois non par une diminution de la part de chacun dans la richesse collective mais bien par l'augmentation de cette richesse collective.

Une politique de plein emploi peut être divisée en trois volets. Rapidement, les mesures de stabilisation macro-économique plus classiques, entre autres les mesures fiscales, budgétaires, politiques monétaires, politiques commerciales, politiques tarifaires. Deuxième volet: les mesures du marché du travail tant au niveau de l'offre que de la demande. Là, on peut imaginer les mesures de formation, d'information sur le marché du

travail, de formation et de recyclage des travailleurs et de l'entreprise en difficulté, d'aide à l'expansion de l'entreprise, de protection des emplois en danger par différentes mesures d'aide à l'entreprise. Troisième volet: le développement régional et sectoriel. Le gouvernement a déjà des mesures dans le cadre de chacun de ces trois volets. Cependant, le succès de la lutte au chômage demande que les décisions soient prises en impliquant les partenaires socio-économiques, les décideurs économiques, surtout les entreprises qui prennent la majorité des décisions économiques pour l'investissement, la vente des produits sur les marchés internes ou externes, et les travailleurs aussi qui, par leur décision économique au niveau de la convention collective, au niveau de la qualité et de la nature de leur travail comme employés, contribuent à avancer ou à retarder les possibilités que ces entreprises soient rentables, concurrentielles. Cela veut dire la concertation, par définition, dans une démarche de plein emploi.

À cet égard, le Québec a déjà l'expérience de la concertation. Depuis 1977, nous sommes rendus à un total de 37 sommets ou conférences. Les résultats ont été, à plusieurs égards, probants, très utiles à notre société, à la mentalité, au dialogue social. Cela a apporté plusieurs résultats concrets en termes de création d'emplois, en termes de nouveaux programmes, de nouvelles politiques souvent à la demande d'un secteur industriel précis qui avait des problèmes particuliers face à la concurrence.

Pourtant, dans le contexte d'une politique de plein emploi, notre tradition de sommet ne peut pas être appliquée telle quelle. Il faut, avec le consentement des partenaires socio-économiques, faire évoluer notre démarche de concertation vers une nouvelle forme. Cette nouvelle forme, en terme expérimental c'est la formation d'une table nationale de l'emploi. Depuis le début de l'année, je me suis employé à persuader les principaux agents économiques du secteur privé à participer à ce que nous appelons maintenant la table nationale de l'emploi. Il s'agit d'une structure paritaire, patronale-syndicale présidée par moi-même où peuvent siéger, selon les dossiers, mes collègues des ministères sectoriels et où siège également une représentante des groupes de femmes. Cette table se veut permanente, les délibérations ont lieu à huis clos pour permettre de dédramatiser le débat et de favoriser l'ouverture et l'engagement des partenaires.

Brièvement, le rôle de la table, c'est d'agir à titre de conseiller privilégié du gouvernement, d'établir conjointement les priorités de la lutte au chômage, de définir les moyens d'action. Cette table nationale sera appuyée par des tables régionales qui pourraient servir de détonateur pour les problèmes régionaux ou sectoriels.

Je terminerai en indiquant que le 27 mars dernier, le Conseil des ministres a décidé d'ajouter à mes responsabilités, qui sont les secrétariats à l'emploi et aux conférences socio-économiques, l'Institut national de productivité. En effet, les liens offerts entre l'emploi et la productivité sont étroits surtout dans le contexte que j'ai déjà exposé, d'augmentation de la richesse collective plutôt que le partage accru de la richesse existante.

Je suis conscient que l'exposé que je viens de faire n'a qu'effleuré plusieurs aspects de la question mais je ne doute pas que les questions des membres de la commission sauront éclaircir les zones obscures. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Reed Scowen

M. Scowen: D'abord, il me fait plaisir d'avoir l'occasion de parler pour la première fois face à face au ministre qui a un nouveau mandat, un mandat fort important. J'ai essayé, en voie de préparation, d'examiner les documents qui sont disponibles jusqu'à maintenant pour avoir une idée de ses intentions. Le ministère est très nouveau et on n'a pas grand-chose mais le ministre m'avait envoyé deux documents: un qui s'appelle "Réflexion et informations sur le plein emploi" et un deuxième document de réflexion sur la table nationale de l'emploi qui n'est pas rendu public. Je vais essayer de respecter les aspects qui semblent confidentiels dans le document. J'ai aussi profité de quelques articles parus dans les journaux dernièrement concernant les entrevues qu'il a accordées.

Les commentaires que je vais faire -j'ai écouté le ministre dans ses commentaires préliminaires - seront basés sur ces informations. Premièrement, j'ai l'intention de faire quelques commentaires et poser quelques questions au ministre. Je pense que cela serait peut-être mieux si je passe rapidement à travers la liste et on pourrait revenir une par une après, juste pour vous donner une idée de l'orientation générale dans laquelle on se situe ici.

La première chose, c'est que je constate immédiatement que le ministre tient vraiment à la création d'emplois comme à une obsession personnelle et à une obsession pour son gouvernement. C'est une obsession que je partage et je pense que c'est partagé par ma formation politique. Il y a des choses qui sont bonnes dans son affaire. Je ne veux pas trop parler ce soir des bons côtés. Ce n'est pas à moi à lui faire des félicitations.

Je pense que le meilleur élément dans l'affaire, c'est une manifestation claire de cette préoccupation. C'est peut-être une base sur laquelle on peut commencer à construire quelque chose. Ceci étant dit, je dois dire au ministre que j'ai beaucoup de questions et beaucoup de réticences en ce qui concerne les modalités qui semblent se dégager d'une première lecture de ces documents.

La première chose que je veux dire, c'est que vous devez regarder froidement la situation. Je pense que vous ne l'avez pas fait jusqu'ici. Je sais très bien que nous sommes dans une immense bataille de chiffres sur la création d'emplois au Québec. C'est de bonne guerre; les deux côtés en font. Mais, je suis convaincu que si vous regardez l'évolution de l'emploi depuis, 1970 ou même avant, vous allez voir, bien sûr, que la création d'emplois au Québec était toujours à un niveau inférieur à celle de l'ensemble du Canada. On avait toujours ce problème. Mais, pendant les huit ans du régime péquiste, cette situation s'est détériorée. Je ne vais pas passer à travers tous les chiffres, mais c'est certain que, dans un premier mandat, il y a eu des emplois créés ici au Québec.

C'est certain aussi que, depuis votre deuxième mandat, il n'y a pas eu d'emplois créés; c'est dans les chiffres. Mon impression personnelle, c'est que vous avez commencé, finalement, à au moins développer un vocabulaire qui colle à la réalité économique. Mais l'apparence de ce vocabulaire, récemment, c'est un fait que tout le monde réalise, c'est que pendant le premier mandat du Parti québécois, il y a eu des choses faites ici qui ont été très négatives pour la création d'emplois.

On a vécu quatre ans pendant lesquels votre programme, votre discours politique, vos intérêts principaux, qui étaient axés surtout sur la réforme du statut politique du Québec, ont été très néfastes pour la création d'emplois comme telle; il faut l'admettre, il faut que vous l'admettiez, pas parce qu'on peut faire un débat politique ce soir. Cette période est terminée, mais il faut comprendre quelles sont les vraies raisons de notre faiblesse aujourd'hui.

J'ai écouté le ministre qui parlait de son deuxième point. Il a répété ce soir ce qu'il a dit en Chambre, la semaine passée. Je veux juste citer deux exemples de ce que je trouve un problème important pour une analyse de fond. Il nous dit: Écoutez, on a souffert beaucoup plus pendant la récession, à cause de la structure industrielle du Québec, qui est beaucoup plus axée sur les PME, que le reste du Canada.

Il parlait de la politique monétaire démentielle et des taux d'intérêt du gouvernement fédéral. Il est loin d'être certain que la structure économique en ce qui concerne le rôle des PME soit différente de celle du reste du Canada. Les chiffres que vous avez avancés vous-même dans vos documents indiquent que le poids relatif des PME au Québec, par rapport aux PME du reste du Canada, est à peu près le même.

Je peux vous citer vos documents à vous et vos chiffres, qui indiquent qu'il n'y a pas beaucoup de différence. On a sauté sur cet argument surtout pour trouver une porte de sortie dans un débat politique qui était difficile; c'est de bonne guerre. Mais, si vous croyez vraiment que c'est la raison fondamentale - vous nous laissez penser que c'était la cause - vous ne serez pas capable de trouver les solutions. (20 h 30)

J'attire votre attention seulement sur un deuxième aspect. Le ministre l'a dit en Chambre, non pas ce soir, mais la semaine passée, la reprise en Ontario est plus forte à cause de la reprise dans l'industrie de l'automobile.

Si vous prenez la peine de regarder les chiffres sur la création d'emplois en Ontario depuis quatre ans, pendant la crise et la reprise, vous verrez qu'il y a 7000 ou 8000 emplois de plus dans le secteur de l'automobile qu'en 1981. Ce n'est pas vrai que la création d'emplois à l'extérieur du Québec, dans le reste du Canada, tient à la reprise dans l'industrie de l'automobile. Je le dis, ce soir, non pas parce que je suis devant les caméras de la télévision, mais si vous croyez vraiment que c'est le problème, vous vous retrouverez avec de fausses solutions. Et dire: Nous allons régler notre problème si nous avons notre juste part dans l'industrie de l'automobile, ce n'est pas faire face à la réalité de la création d'emplois par secteur.

Je soulève ces deux exemples tout simplement pour vous demander, dans votre analyse sur la situation et les problèmes devant nous, devant ce défi de créer des emplois au Québec, de ne pas vous laisser emporter par votre propre discours politique. Je ne vous demande pas de l'arrêter en Chambre, mais dans vos discussions, je vous propose d'analyser le fait d'une façon beaucoup plus profonde.

J'ai regardé par la suite article 4 du mandat. Il me semble qu'il peut se diviser en deux. Vous avez, premièrement, la responsabilité d'élaborer une politique susceptible de favoriser le plein emploi, une politique de plein emploi, et de coordonner, une fois que cette politique est réalisée, les politiques de divers ministères relativement à la création d'emplois. Pour moi, ces deux choses vont ensemble.

Vous avez une deuxième série de responsabilités, soit de promouvoir la concertation des agents socio-économiques, et un élément qui fait partie de cet objectif un peu global, d'être responsable des conférences socio-économiques. Je sépare ces deux parties de votre mandat, parce que je

pense que c'est important de les séparer. Je vais vous dire pourquoi.

Vous avez une définition d'une politique de plein emploi, un ensemble d'institutions et de mesures susceptibles de créer des emplois pour tous ceux qui veulent travailler. Je ne veux pas débattre les mots, mais quand vous parlez d'institutions, est-ce que vous parlez des institutions privées, des entreprises, des syndicats, des institutions dans un sens très large? Quant aux mesures qui sont prises par le secteur privé, qui n'ont rien à voir avec le gouvernement, oui, je pense qu'on peut parler d'une politique de plein emploi. Mais cela veut dire que ce n'est pas le gouvernement qui sera capable de réaliser, d'organiser ou de développer cette politique de plein emploi. Si vous acceptez que les gestes, les mesures soient des mesures faites, ce soir, dans une entreprise qui n'a jamais entendu parler de M. Robert Dean, du secrétariat ou de la table nationale, je suis d'accord, mais si, dans votre esprit, une politique de plein emploi, c'est quelque chose qui pourrait être développé et élaboré ici, je ne suis pas d'accord avec cette idée.

Je le dis parce que je pense que la première grande erreur que vous avez faite a été faite malheureusement très vite. Dans le document "Réflexion et information sur le plein emploi", à la page 4, vous parlez de certains pays qui ont trouvé une autre voie que la nôtre. Quels sont ces pays? La Norvège, la Suège, l'Autriche et l'Allemagne sont cités. Quel est le secret de ces pays qui se sont donné, depuis de nombreuses années, une politique de plein emploi? J'affirme respectueusement que, dans votre choix de modèle, vous êtes probablement, très probablement sur une mauvaise piste.

Il y a huit ans, le modèle de la Suède comme un exemple de la social-démocratie qui pouvait être réalisée au Québec était très populaire. On voulait, dans un sens, rejeter l'expérience nord-américaine. On voulait trouver un modèle ailleurs qui était conforme à certains idéaux et principes de base du Parti québécois. On est tombé sur la Suède.

Je suis convaincu qu'on n'a jamais analysé en profondeur les éléments de base qui ont créé en Suède la société qu'elle est aujourd'hui: la mentalité, la culture, l'histoire, et je suis persuadé que si on le faisait, on se rendrait vite compte que ce n'est pas applicable, sauf en ce qui concerne certains détails, ici au Québec. C'est la même chose pour l'Autriche.

Comme vous le savez, la Norvège est un pays pétrolier. Je ne sais pas si c'est un pays de l'OPEP, mais ce n'est pas loin. Je me pose la question à savoir si l'Allemagne doit être un exemple pour nous. Je prends surtout l'Allemagne comme exemple parce qu'on constate depuis plusieurs années que les pays de l'Europe occidentale ont été victimes d'un ralentissement de leur économie et d'une augmentation de leur taux de chômage qui est aussi structurelle. Si vous regardez les pays qui ont le mieux réussi ces dernières années dans la création d'emplois, il faut d'abord regarder nos voisins du sud et peut-être le Japon. Le Japon est un exemple beaucoup plus intéressant que les pays de l'Europe de l'Ouest. Si vous voulez quitter l'Amérique du Nord, il faut le regarder aussi, mais en fin de compte, je suis persuadé que vous allez faire fausse route dans le développement de votre politique de plein emploi, si vous continuez de regarder les petits pays sociaux-démocrates de l'Europe.

Le temps est venu pour le Québec de regarder très en face la situation en Amérique du Nord, aux États-Unis, pays qui a mieux réussi que le Canada, et dans le reste du Canada. C'est là le contexte économique dans lequel on vit. Je dois vous dire que cela m'a fait mal de voir qu'à la page 4, le ministre avait en tête le modèle de ces pays. Je soulève juste un petit détail en ce sens. À la page 6 de son document il dit: "En Suède, 94 % de l'appareil de production sont entre les mains de l'entreprise privée; en Autriche, 80 %." À chacun sa définition de l'appareil de production, mais pour la plupart des économistes, l'appareil de production est mesuré par le PIB d'un pays. Je peux vous dire qu'en Suède - j'ai cherché les chiffres moi-même - le secteur public compte pour 62 % du PIB de ce pays. C'est beaucoup plus que nous. En Autriche, c'est 45 %, à peu près au même niveau que nous. Je ne sais pas exactement ce que vous voulez dire par l'appareil de production. Si vous voulez dire que les entreprises ne sont pas nationalisées, c'est une façon de dire quelque chose, mais pour moi ce n'est pas très important. La production d'un pays c'est le PIB du pays, et la Suède est un exemple d'un pays qui a concentré la production nationale dans les mains du secteur public.

Je le soulève parce que je retourne au deuxième point que je voulais porter à l'attention du ministre. On ne doit pas s'inspirer ici, dans le développement d'une politique de plein emploi, des exemples surtout de l'extérieur de l'Amérique du Nord. Oui, on peut tirer des petits exemples de choses qui sont intéressantes, mais si on veut le faire, il faut prendre la peine d'analyser en profondeur l'expérience de ces pays. Si vous êtes capable de me donner une analyse détaillée de l'expérience suédoise, je serai beaucoup plus impressionné. Mais il faut que cette analyse comporte des éléments socioculturels, historiques et sociaux en plus.

Passons à un autre sujet. J'essaie de savoir ce que le ministre entend par une politique de plein emploi. Il a divisé les mesures en trois catégories: les mesures de

stabilisation - c'est comme cela que c'est appelé dans le premier document - qui sont devenues les mesures macro-économiques dans le deuxième et je pense que c'est la même chose; les mesures du marché du travail dans un deuxième temps; dans un troisième temps, le développement régional dans le premier document, qui est devenu les mesures de développement économique régional et sectoriel dans le deuxième, et je vais revenir sur ce point.

La troisième question que je veux poser au ministre est: Quelles sont les mesures? On peut, sans problème, dresser une liste d'activités, de mesures. Il y a ici, sur la dernière page d'un de ces documents, toute une liste de choses, de mesures fiscales, taxes et impôts, jusqu'à des mesures de support à l'offre de la main-d'oeuvre jusque pour les garderies. Vous en avez à toutes les sauces dans cette liste.

J'aimerais que le ministre me dise ce soir si possible - et s'il ne peut pas me le dire ce soir qu'il le dise publiquement dans les plus brefs délais - quelles sont, pour lui, les mesures les plus importantes pour la réalisation de sa politique de plein emploi. J'espère qu'il ne va pas me dire que c'est exactement la raison pour laquelle nous avons créé les tables nationale et régionales de concertation.

J'ai dit, au début de mon intervention: J'espère qu'il sera capable de séparer les deux éléments de son mandat. Nous avons fait maintenant 37 conférences socio-économiques. Vous êtes au pouvoir maintenant depuis huit ans. Vous connaissez, je pense, la problématique de la création d'emplois au Québec. L'idée que vous êtes maintenant sur la voie de recommencer à zéro toute cette discussion, toute cette recherche de solution avec les tables de concertation, de demander aux intervenants ce qu'ils pensent, de ramasser des documents et de passer une autre année ou deux, après huit ans de cela, il me semble que c'est invraisemblable.

Alors, j'espère que le ministre va me dire au moins: Voici les éléments que je trouve essentiels dans l'immédiat pour la poursuite de cette politique de plein emploi.

J'ai ma liste. J'ai donné au ministre, il y a quelques mois, un document que j'avais écrit à ce sujet, et je vais simplement répéter brièvement les choses que je considère comme les éléments essentiels. Il n'est pas nécessaire de faire de la concertation là-dessus; elles existent et c'est connu.

La première, c'est la relation entre le nombre d'emplois et le niveau de rémunération. Dans tous les pays, on constate immédiatement dans les modèles économiques et dans le vécu des entreprises - et j'ai passé une quinzaine d'années dans les entreprises - qu'il existe un lien très direct entre le niveau des salaires et le niveau de l'emploi. Cela touche, premièrement, les décisions d'investissement. Le personnel de l'Institut de productivité est ici. Plus le coût de l'emploi est élevé, plus il y a une incitation à réduire le nombre des emplois par la voie des investissements dans l'équipement.

La deuxième touche les questions de la concurrence à l'extérieur.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse. Compte tenu que vous avez 20 minutes de passées, vous pourrez revenir tantôt.

M. Scowen: Déjà!

Le Président (M. Gagnon): Cela me tenterait de laisser la parole au ministre pour répondre à un certain nombre d'interrogations que vous avez déjà soulevées.

M. Scowen: Comme vous voulez. Je suis...

Le Président (M. Gagnon): On pourra revenir par la suite. Est-ce que cela va, ou si vous aimez mieux continuer?

M. Dean: M. le député arrivait à la fin de son affaire. S'il a deux ou trois autres choses, on pourrait...

Le Président (M. Gagnon): D'après ce que je peux voir, il n'est pas rendu tout à fait à la fin.

M. Scowen: Je suis rendu, je dois vous le dire, à mi-point.

Le Président (M. Gagnon): À mi-point. Alors, cela serait peut-être plus facile...

M. Scowen: Si vous voulez que j'arrête, cela me fera plaisir.

Le Président (M. Gagnon): ...pour le ministre parce que votre temps est écoulé. On peut continuer quand même si la commission est d'accord. Mais si le ministre répondait à une première série de questions, on pourrait revenir. Cela va? M. le ministre. (20 h 45)

M. Robert Dean

M. Dean: D'accord. Je vais essayer le mieux possible de voir si mes réponses reflètent les notes que j'ai prises. Il est sûr et certain qu'il y a des différences d'opinions et différentes évaluations des mêmes situations, parce quand le député de Notre-Dame-de-Grâce dit que, dans le premier mandat du gouvernement du Parti québécois, on a fait des choses négatives concernant l'emploi, il n'en reste pas moins qu'entre

1977 et 1981, le Québec a créé une moyenne de 62 500 emplois par année pendant ces quatre années. Si on veut comparer avec le passé, il y a eu une moyenne annuelle, au cours du premier mandat du Parti québécois, entre 1977 et 1981, de 62 500 emplois créés, par rapport aux années 1969 à 1976 où la création moyenne d'emplois a été de 47 000 par année. Je souligne que cette époque était une période de croissance relative, entre 1969 et 1976.

Pour le deuxième mandat, je vais juste y toucher en passant. On peut évidemment utiliser des chiffres, mais, dans ses récentes déclarations, le député de Notre-Dame-de-Grâce semble agir comme si la crise économique mondiale n'avait pas existé en 1981 et 1982. C'est la crise - tout le monde est d'accord là-dessus - la plus profonde que l'économie occidentale ait subie depuis 50 ans. Les emplois ont été perdus non pas par milliers, mais par millions tant aux États-Unis qu'au Canada et dans les pays de l'Europe occidentale, à quelques exceptions près. Certains pays n'ont pas perdu autant d'emplois.

On ne peut pas considérer ou évaluer... Le député m'a demandé de regarder froidement la situation et d'évaluer l'évolution de l'emploi. Je suis d'accord avec luiqu'il faut évaluer froidement une situation et apporter des correctifs, s'il y a lieu, pour constater les forces et les faiblesses et corriger les faiblesses, s'il y en a. C'est vrai en tout temps, si on veut améliorer les choses.

Je veux simplement dire qu'il y avait une crise très dure qui, effectivement, a touché le Québec plus durement que les autres, mais les autres ont été touchés aussi très durement. On ne peut pas faire abstraction non plus de certains facteurs comme les taux d'intérêt et je demanderais très respectueusement à mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce à quelle autre époque de l'histoire moderne du monde entier on a vu les taux d'intérêt à 22 %. La situation de la crise, en ce qui regarde le Québec, c'étaient ces taux d'intérêt excessifs jamais vus auparavant qui ont frappé les petites et moyennes entreprises québécoises d'abord, et, souvent, les entreprises les plus dynamiques qui avaient emprunté de l'argent un an ou deux auparavant pour se moderniser, pour acheter de l'équipement sophistiqué moderne à un taux d'intérêt X et qui, en face de cette flambée des taux d'intérêt, se sont trouvées complètement débordées par des forces qu'elles ne contrôlaient plus et ont coulé, ou risqué de couler.

Le fait que les entreprises, les PME québécoises, soient sous-capitalisées n'est pas quelque chose, à ma connaissance, que le Parti québécois ou son gouvernement a inventé. On peut parler au moins de deux personnes très bien connues et très respectées pour leur compétence dans notre petit monde québécois qui ont parlé beaucoup de cette réalité, de la sous-capitalisation des entreprises québécoise où nos entrepreneurs, avec tout leur courage et les dollars qu'ils possèdent, créent des entreprises, mais sont obligés d'emprunter un montant disproportionné de capital pour les faire fonctionner, ce qui les rend plus fragiles à des situations du marché.

Quand je parle de deux personnes, il y a quand même M. Saucier, qui est un comptable bien connu, que je sache, je ne pense pas qu'il ait été visité durant la campagne de financement de mon parti politique récemment - qui a non seulement parlé beaucoup de ce problème, mais a été nommé président d'une commission qui porte son nom, qui a justement étudié le problème de la sous-capitalisation des entreprises au Québec et qui a fait des recommandations au gouvernement du Québec. Le gouvernement, dans le budget, il y a quelques semaines, a mis en vigueur, dans ses politiques budgétaires, certaines recommandations de la commission Saucier, apparemment, à la relative satisfaction de M. Saucier et de ses collègues, parce qu'ils ont dit que même s'il n'a pas adopté toutes les choses qu'on recommandait, il a adopté un certain nombre de mesures.

Deuxième témoin - et j'ai moi-même été témoin de son discours à Jonquière un beau matin - M. Pierre Lortie, président de la Bourse de Montréal, qui a expliqué la situation de la crise dans un très bon texte que je recommanderais au député de Notre-Dame-de-Grâce de lire s'il ne l'a pas encore lu, un texte que je considère aussi intéressant que celui qu'il a mentionné tantôt et qu'il m'a passé. M. Lortie a donc expliqué la situation en bonne partie par le fait que les entreprises québécoises sont plus sous-capitalisées que dans le reste du Canada et que, généralement au Canada, les entreprises sont sous-capitalisées par rapport aux entreprises américaines. M. Lortie a expliqué, avec éloquence, dans un texte très bien pondéré, que c'était une des caractéristiques ou un des problèmes les plus fondamentaux de l'économie canadienne et québécoise, mais surtout québécoise.

Donc, je ne pense pas que l'on puisse passer à côté de ces réalités de notre économie, et, soit dit en passant, un certain nombre de mesures budgétaires adoptées par le ministre des Finances dans son récent budget se sont attaquées à des revendications et à des problématiques soumises par des entreprises québécoises. Les autorités dans ce domaine qui ont fait certaines recommandations pour assurer une meilleure santé financière de nos entreprises québécoises, pour leur permettre de mieux se relancer, de mieux grandir et de mieux aller à la conquête des marchés, et l'acquisition

de l'équipement moderne, et tout le reste.

Je me permets de ne pas être d'accord non plus avec le député de Notre-Dame-de-Grâce quand il parle de la force relative de l'économie ontarienne et de l'impact sur l'économie ontarienne de l'industrie automobile. Quand on parle de l'industrie automobile, on parle de l'industrie de l'acier, de l'industrie du plastique, du caoutchouc, du verre, et tous ces secteurs industriels qui sont tributaires de l'industrie automobile. Le fait demeure que le nombre d'emplois qui existent, dans l'économie ontarienne, dans le secteur de l'automobile, par rapport au Québec, représente une différence d'à peu près 4 % dans le taux de chômage. En d'autres termes, si l'industrie automobile n'existait pas en Ontario ou si elle existait au Québec, en proportion aux ventes, l'écart de chômage entre l'Ontario et le Québec serait annulé et le taux de chômage serait relativement semblable en Ontario et au Québec.

De plus - et là encore on parle de 1984 où les exportations au Québec ont augmenté de 14 % - les exportations au Canada ont augmenté de 22 %. Mais ces 22 % au Canada sont attribuables presque exclusivement à l'augmentation de 37 % des produits de l'automobile. Et 90 % de l'industrie de l'automobile est en Ontario. Les exportations d'automobiles et de pièces d'automobiles représentent 50 % de toutes les exportations de l'Ontario. C'est quand même un élément majeur et, là encore, je ne prétends pas avoir le monopole de la vérité. Je peux citer un article qui a paru dans le journal Les Affaires le 20 avril 1985, où justement le journaliste Jean-Paul Gagné discutait des chiffres que le député de Notre-Dame-de-Grâce manipule avec tant d'ardeur et d'habileté, la reprise des emplois après la crise et tout. Les conclusions et l'interprétation de ces réalités qui, selon les chiffres, sont véridiques... Même si on peut différer d'opinion à 100 % sur l'interprétation à donner aux chiffres, c'est difficile de se chicaner sur les chiffres, surtout quand ils viennent de la même source. M. Gagné, dans son article, explique cette situation de l'emploi au Québec par rapport à l'Ontario. Il dit que les comportements différents des économies québécoises et ontariennes face à la croissance modérée de l'économie nord américaine s'expliquent par les structures industrielles différentes dans les deux provinces. L'économie du Québec est plutôt axée sur les industries de ressources et l'économie de l'Ontario est surtout axée sur les industries manufacturières et sur les industries lourdes. Comme exemple de ces industries manufacturières et de ces industries lourdes, il y a l'automobile, il y a l'acier, il y a le plastique, et tout le reste que j'ai évoqué tantôt. La situation de l'emploi au Québec est certainement influencée par le fait qu'un bon nombre d'emplois au Québec sont dans les secteurs qu'on dit mous: le textile, le vêtement où il y a, comme tout le monde le sait, des problèmes d'emploi. Donc, pour discuter des statistiques et de la situation économique relative entre les deux provinces, il faut quand même tenir compte de ces réalités.

Le député a parlé de la Suède et des pays d'Europe que j'avais évoqués dans un document. D'abord, je dois dire que ce qu'on fait... et je conviens qu'il faut pour le Québec développer - si on peut parler de modèle, même si c'est un peu prétentieux -un modèle québécois. On a notre propre réalité culturelle, linguistique, économique, et géographique; on est situé sur le continent nord américain. Tout cela est bien vrai, mais il n'y a rien qui nous empêche de profiter des expériences vécues dans d'autres pays ou au besoin dans d'autres provinces, si ces expériences sont utiles et portent les résultats, pour se donner des instruments à un moment donné. Quand le député dit que la Suède n'est peut-être pas le meilleur modèle ou que l'Autriche n'est pas le meilleur modèle, ni la Norvège, de là à dire: II faut copier le Japon et l'Amérique du Nord... Il y a des choses intéressantes qui nous viennent de toutes ces entités économiques. Ainsi, on pourrait dire que les Japonais ont beaucoup de popularité aujourd'hui pour leurs exploits dans le monde économique, avec raison. D'abord, ils ont appris comme copieurs pour devenir des innovateurs. Ils subissent les effets de leur situation culturelle. Il ne faut pas oublier non plus que, comme pays, ils ont un marché protégé et probablement le plus fortement protégé au monde. Ils sont bien prêts à exporter à qui veut acheter ses produits mais ils ne sont pas trop portés à importer des produits finis d'autres pays dans leur marché. Avec la manipulation du yen, cela leur donne certains avantages que les partisans de l'entreprise libre ont laissé aller jusqu'à tout récemment.

Mais maintenant, même M. Reagan est en train d'insister auprès des Japonais afin qu'ils ouvrent leur marché à des produits finis venant des États-Unis, ce qui n'était pas le cas. Même le paradis de la libre entreprise, les États-Unis d'Amérique, même sous la présidence du grand homme de l'extrême droite du siècle, trouve tout à coup que la libre entreprise à sens unique n'a pas de sens et exige finalement des Japonais une ouverture des marchés. Donc, on a des choses à apprendre des Japonais, des méthodes de gestion, des approches et des attitudes etc., et certainement leur technologie et leur créativité. Quant à l'accès à leur marché, ils ont maintenu très bien un boycott presque solide sur les produits manufacturiers venant d'autres pays. (21 heures)

Si on parle de la Suède, de l'Autriche et de la Norvège, parce que ce sont des pays différents et que leur expérience est différente de l'un à l'autre, qu'est-ce qui fait que, pendant les mêmes quarante ans où nos taux de chômage ne cessaient de grimper, ils ont réussi à maintenir un taux de chômage très très bas, qu'ils se sont quand même donné une économie moderne, efficace et axée sur l'exportation?

Le lien entre la concertation et la politique de l'emploi, le secret de certains de ces pays de plein emploi a été, après des années et même des décennies de luttes parfois très dures, luttes patronales-syndicales, de grèves à un moment donné, et d'épuisement, qu'ils se sont donné comme mot d'ordre la nécessité de ne pas continuer à s'entredéchirer entre employeurs et travailleurs syndiqués, mais plutôt de chercher les points communs entre l'employeur, qui a besoin du travailleur, et le travailleur, qui a besoin d'un employeur, s'ils veulent gagner leur pain, et, malgré leurs intérêts divergents, de chercher des façons de saisir les points communs, les intérêts communs, et de les développer pour le plus grand intérêt de leur expansion et la force de leur économie, de leurs entreprises, pour rendre l'emploi plus stable et pour une plus longue période de temps. C'est ça le lien entre la concertation et le plein emploi.

La caractéristique des trois ou quatre pays que j'ai nommés, c'est justement qu'ils se sont donné des instruments qu'on peut aujourd'hui analyser, des instruments particuliers à une politique de plein emploi, ce que les États-Unis n'ont jamais fait. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis auraient pu opter pour une politique de plein emploi, ils ont choisi de continuer une politique de capitalisme, de laisser-faire. Le Canada a fait la même chose en 1945-1946, avec M. C. D. Howe et compagnie. Les Américains en sont venus à reconsidérer la question d'une politique de plein emploi dans les années soixante-dix, mais ils ont fini par abandonner l'idée.

Donc, il y a quand même des stratégies, des mesures, une approche caractéristique des pays qui ont maintenu un niveau de chômage inférieur et un niveau d'emploi supérieur à d'autres pays qui n'existent pas et n'ont jamais été adoptées ni dans les provinces canadiennes, ni par le gouvernement fédéral, ni par le gouvernement américain. C'est dans ce sens-là qu'on essaie d'explorer avec les partenaires socio-économiques au Québec les moyens d'ajouter des éléments à cet élément de base qui est une économie en santé, des entreprises en santé, une structure industrielle équilibrée et moderne.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. On pourra y revenir, parce que je présume que le député de Notre-Dame-de-Grâce va vous poser...

M. Dean: La question était trop longue, alors, la réponse est trop longue aussi.

Le Président (M. Gagnon): ...d'autres questions. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce. Il y a une question que j'ai notée, mais je pense que le député de Notre-Dame-de-Grâce va y revenir: Quelles sont les mesures les plus importantes dans la politique dont on parle aujourd'hui?

M. Reed Scowen

M. Scowen: J'étais en train de poser cette question. Je vais continuer mon exposé, parce que le ministre a répondu à quelques-uns de mes commentaires avec d'autres commentaires. Je vais juste soulever un ou deux points.

En ce qui concerne cette question de la performance du Québec depuis dix ans, le point que je voulais faire valoir au ministre et que, semble-t-il, il n'a pas saisi, c'est que oui, on a passé pendant douze mois à travers une conjoncture économique qui a été excessivement difficile. Il y avait les taux d'intérêt - j'utilise son chiffre - 22 %. Ce sera toujours comme cela, on sera toujours dans une situation au Québec où nous serons obligés de faire face à des conditions, des problèmes, des situations qui ne sont pas créés par nous autres, le taux d'intérêt en est un. Ce que je veux porter à l'attention du ministre, c'est que c'est la même chose pour tous nos concurrents aussi. Ce taux d'intérêt de 22 % existait en Ontario, il existait aux États-Unis, il existait pour les pays d'Europe, tout le monde était dans cette situation.

Aujourd'hui, le taux d'intérêt est de 10 % - d'après quelques-uns, c'est toujours trop élevé - mais ce n'est pas stable, c'est sûr. On vit dans un monde où nous sommes tous assujettis à des conditions imposées de l'extérieur. Le critère qu'on va utiliser, c'est le succès que chaque région, chaque province, chaque pays connaît pour régler les problèmes dans le même contexte. Je répète au ministre qu'il me semble évident que, depuis quatre ans, depuis la récession et la reprise, la performance du Québec par rapport à la performance des États-Unis, par rapport à la performance de l'Ontario, a été plus faible, n'a pas été concurrentielle.

Je cite juste un chiffre, 170 000 emplois créés au Canada et zéro ici depuis quatre ans, dans des conditions identiques pour tout le monde. Essayer d'expliquer notre performance par rapport aux autres régions, par les problèmes extérieurs, ça ne tient pas debout. Quand le ministre nous dit: Oui, mais regardez l'importance de l'industrie de l'automobile en Ontario, c'est vrai; regardez

l'importance du pétrole dans l'économie de l'Arabie Saoudite, c'est vrai; regardez la performance de l'industrie électronique et automobile au Japon, c'est vrai. Chaque région a ses atouts, et nous en avons aussi.

Si nous avons des augmentations énormes dans le domaine de l'amiante, du minerai de fer et du papier journal, au total, nos exploitations seront plus élevées qu'en Ontario. On ne dira pas: Ce n'est pas notre faute, c'est à cause de ces trois ou quatre catégories qui ne sont pas importantes en Ontario, mais elles font partie de notre économie. Votre insistance au sujet de M. Gagné et ses commentaires sur les faiblesses de notre structure industrielle, j'entends des histoires de ce genre sur la structure industrielle du Québec depuis maintenant une quinzaine d'années. Le défi, si le problème est la structure industrielle, c'est de changer la structure industrielle. Vous êtes ici' depuis huit ans.

Monsieur Landry a présenté la première de ses politiques économiques, "Bâtir le Québec 1" en 1977, avez-vous dit, et on a eu droit à d'autres par la suite: "Bâtir le Québec 2", l'Énoncé de Mont-Sainte-Anne, celui de Compton, le plan de relance. Nous avons plein de programmes, de politiques et de stratégies de plein emploi, mais on ne crée pas d'emplois. En attendant, l'Ontario et les États-Unis, qui sont beaucoup moins développés dans le sens des structures, des plans, des dossiers et des documents, créent de l'emploi. Il y a des questions à se poser. Ce n'est pas, semble-t-il, dans la création des politiques et des stratégies de plein emploi qu'on crée de l'emploi. Je ne suis pas capable de faire le lien au moins dans des cas précis d'ici quatre ou cinq ans.

Tout ce que je veux vous dire en ce qui concerne votre choix de modèle, oui, c'est possible qu'il y ait des choses à apprendre de la Suède, quelque chose qui a été porté è mon attention par M. Fortin, c'est que la Suède vit depuis des années et des années avec un taux d'activité où le nombre des personnes qui entrent dans la population active est d'à peu près zéro. Il ne faut pas se le cacher, nous avons notre genre de problème à cause de ça. Mais j'admets que c'est possible qu'on puisse tirer des exemples de la Suède, de l'Allemagne, et partout dans le monde. Mais si j'étais à votre place, je consacrerais à peu près 50 % de mon temps à regarder l'Ontario, 40 % de mon temps à regarder l'expérience américaine, ce que vous avez appelé la politique de laisser-faire sauvage; tout cela, je le regarderais froidement pour savoir ce qui se passe là. C'est possible que, même s'ils n'ont pas un document épais de cinq pouces, ils aient quand même une espèce de politique implicite qui marche assez bien. Je consacrerais des 10 % qu'il me reste, peut-être 5 % à regarder ce qui se passe au

Japon et 5 % à regarder ce qui se passe en Europe. C'est une question de focus.

Quand je regarde le premier document qui sort du ministère, qui dit que notre focus principal est orienté vers l'exemple de la Norvège, de la Suède, de l'Autriche et de l'Allemagne, je dis: Vous êtes sur une fausse piste. Ce n'est pas là que vous allez trouver les réponses à des problèmes que nous avons ici, mais je vais continuer mon exposé parce qu'il y a deux ou trois autres sujets que je voulais aborder.

La première question que j'étais en train de vous poser est: Quelles sont vos idées? Je répète qu'après huit ans et 37 sommets économiques, j'espère que vous n'allez pas nous dire que vous êtes maintenant en voie de recommencer les tables nationales et régionales pour développer les priorités économiques pour la création du plein emploi. Je vais passer à travers mes priorités assez vite.

D'abord, il y a cette question de la politique salariale et du lien entre le niveau de salaire et le nombre d'emplois. Il y a la question de la politique fiscale, les dépenses publiques par rapport aux dépenses publiques dans les autres régions, pour lesquelles il faut payer par les taxes. Il faut que les taxes soient concurrentielles et elles ne le sont pas. Toute cette question est bien connue et il y a le choix intelligent des secteurs - je vais revenir là-dessus tantôt -les questions de libération du marché. On parle de la déréglementation. Il y a quelque chose là qu'il faut regarder.

La question de l'éducation, vous y avez touché dans votre document. Il y a la question de la création de l'offre de personnes compétentes et, finalement, la partie qui vous est très chère et que je partage aussi, toute cette question de créer un climat entre l'employeur et l'employé qui soit beaucoup plus propice à la productivité. 11 y en a cinq et je les mets un peu dans l'ordre qui me semble le plus important: les plus importantes en premier et les moins importantes à la fin.

Mais j'aimerais savoir du ministre ce soir, si possible, ses priorités personnelles. Qu'est-ce qu'il entend? S'il était pour aviser et consulter les autres ministres demain sur des choses pour réaliser son objectif, que demanderait-il immédiatement, sans consulter les tables de consultation? Si j'ai raison -j'arrive à un autre point que je veux soulever avec le ministre; il est très important - que c'est la politique salariale, la politique fiscale, la politique sectorielle, la déréglementation, la question de l'éducation permanente et la concertation dans le sens dont le ministre parle, il me semble que les ministres qui sont les plus importants pour la réalisation de telles politiques sont les ministres des Finances, du Conseil du trésor, de l'Éducation, de

l'Industrie et du Commerce et de la Main-d'Oeuvre. On les connaît déjà. Si c'est le cas, j'arrive au deuxième élément du mandat du ministre qui est de coordonner en vue d'harmoniser dans un tout cohérent et accroître l'efficacité des politiques des divers ministères.

Je pense maintenant à l'expérience de Bernard Landry, ministre d'État au Développement économique, qui avait un peu le même mandat que le ministre qui est devant nous ce soir, dans le premier mandat du PQ, et qui a finalement terminé son affaire avec l'abolition de son ministère, parce que tout le monde a réalisé que le ministre coordinateur d'une telle affaire ne peut pas faire grand-chose. Oui, il peut faire des études; oui, il peut faire des discours et c'est cela que M. Landry a fait pendant une longue période, mais le pouvoir d'imposer doucement, discrètement et gentiment, mais d'imposer des politiques efficaces dans le domaine de la fiscalité, dans le domaine des salaires dans les secteurs public et parapublic, dans le domaine de la déréglementation, je prétends que ce n'est pas avec un ministre qui a si peu de vrais pouvoirs et si peu de budget et si peu de responsabilité verticale que cela va se faire.

J'aimerais savoir si vous pensez vraiment que le ministre des Finances accepte l'idée que c'est vous, et pas lui, qui devez développer les politiques fiscales propices à la création d'emplois. Si vous êtes pour devenir une espèce de MITI québécoise, c'est intéressant, mais je ne vois rien dans le mandat qui vous a été donné par le gouvernement qui m'amène à croire que cela peut arriver comme cela. Je pose la question et je pense que vous serez frustré, car la fin de votre mandat sera effectivement la fin de votre ministère, dans exactement le même sens et pour exactement les mêmes raisons que M. Landry dans le premier mandat. (21 h 15)

Laissez-moi passer maintenant à la deuxième partie de votre mandat, qui est la concertation des agents socio-économiques et les conférences socio-économiques comme telles. J'ai lu l'apologie du ministre dans la Presse cette semaine ou la semaine dernière intitulée: Choisir la concertation. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de bon là-dedans, c'est certainement un effort sérieux pour convaincre tout le monde que ses affaires ne sont pas dépassées. Cependant, je suis persuadé que cette forme de consultation n'est pas la meilleure pour réaliser des avances dans les domaines qui sont les plus importants.

Premièrement, elles ont pour effet de mettre entre les entreprises et les travailleurs une organisation qui, pour moi, est représentative, mais dans un sens très limité. Vous allez vous trouver, dans votre table nationale, devant des personnes...

J'imagine qu'il y a déjà des chicanes entre les diverses associations patronales et les diverses associations syndicales à savoir qui sera représenté et combien de chaque groupe. Je ne sais pas ce qui se passe là, mais c'est probable. L'Association des manufacturiers canadiens va exiger quatre, le Conseil du patronat va exiger quatre et la Chambre de commerce... j'en passe. C'est la même chose du côté syndical. Toutes ces personnes seront là.

Je vous demande si l'entremise de ces personnes est la meilleure façon pour vous de réaliser ce qui est vraiment important et si cela est une meilleure coordination, une meilleure harmonisation et un sens des reponsabilités partagées à l'intérieur d'une entreprise? Ce sera beau, tout le monde sera privilégié d'être invité à votre table.

Pour les entreprises c'est très loin, c'est très loin du local 43 et de la compagnie qui fabrique le papier ou les lunettes. Je prétends que cette forme de consultation... Je répète, je pense que les consultations sont essentielles; mais la concertation, les tables, qu'elles soient publiques ou privées, mieux privées que publiques, mais même privées, elles ne seront jamais vraiment privées; et tous nous connaissons les expériences, les institutions, les positions déjà établies. Ces organisations sont déjà, quant à moi, je parle des deux côtés, patronal et syndical, un peu éloignées de leur clientèle à cause de leurs structures. Vous êtes maintenant en train d'encourager cet éloignement par la création d'une autre structure au-dessus de ces groupes.

J'aimerais beaucoup savoir quels seront les intervenants représentés sur la table nationale et ce qu'ils feront. J'espère que vous n'irez pas leur demander de vous aider à créer une politique de plein emploi, j'espère que ce n'est pas cela. Je répète, après 8 ans, 37 conférences socio-économiques et toute l'expérience que votre gouvernement a, vous devez savoir maintenant ce qu'il faut faire. Si c'est pour recommencer et pour prendre deux ou trois ans à établir les priorités, c'est tout le monde qui va en payer le prix.

J'ai une autre question à vous poser. Je ne suis pas certain de ma position 'dans cette question, mais je vais vous donner au moins mon préjugé. Je pense que je ne dévoile pas de secret d'États terrible si je dis que dans le document de réflexion sur la table nationale d'emploi, vous envisagez en plus les tables régionales. J'espère que ce n'est pas défendu de le dire. Je vous demande la raison pour laquelle ce ne seraient pas des tables sectorielles plutôt que les tables régionales? Il me semble que ce dont le Québec a besoin aujourd'hui, c'est beaucoup plus une politique cohérente sur une base sectorielle qu'une politique régionale.

Je sais très bien que, dans la

conjoncture politique, les régions sont très importantes. Je comprends cette attitude sur le plan politique. Mais nous avons une lourde responsabilité ici au Québec de créer le plein emploi de dire à la population: On s'engage non seulement à vous donner le plein emploi, mais le plein emploi par région. Vous ne serez même pas devant l'exigence d'avoir un peu de mobilité géographique à l'intérieur du Québec dans votre vie. On s'engage à vous amener en Gaspésie, dans le Nord-Ouest, dans l'Estrie des emplois qui conviennent au nombre de personnes qui habitent là dans le moment. C'est un gros morceau, oui, c'est un gros morceau. Donc, de là, pour ces deux raisons, la nécessité d'avoir des politiques sectorielles, parce que c'est dans les secteurs que les industries font la concurrence. C'est donc dans les secteurs qu'il faut être concurrentiel.

Deuxièmement, la pédagogie d'une table régionale donne l'impression, de la part du gouvernement, qu'il est prêt à garantir les emplois dans chacun des comtés, dans chacune des municipalités du Québec. Je le répète, c'est une commande assez difficile. Je me demande et je vous demande pourquoi vous avez choisi les tables régionales plutôt que les tables sectorielles.

Est-ce que j'ai encore un peu de temps parce que j'ai d'autres questions?

Le Président (M. Gagnon): Une minute.

M. Scowen: Une minute. Alors, je vais peut-être arrêter bientôt parce que je suis presque à la fin de mes questions ici. Une avant-dernière question. J'ai lu dans un article dans les Affaires du 19 janvier 1985, que le ministre disait en parlant du Secrétariat national de l'emploi, le SNE: "Le secrétariat, qui disposera d'une importante banque de données statistiques de toutes sortes, va jouer ce rôle pour eux." Ce secrétariat va disposer d'une importante banque de données statistiques de toutes sortes. Bon, cela est intéressant. Je présume que, votre banque de données statistiques, cela ne sera pas seulement les statistiques de Statistique Canada, transposées sur d'autres feuilles de papier. Parce que, là, vous avez quelque chose qui me semble très important. Vous avez parlé souvent, M. le ministre, de la nécessité d'être concurrentiel. Est-ce que c'est vous autres qui allez enfin dire au public: Voici notre position concurentielle en ce qui concerne les coûts au Québec du secteur public, les coûts au Québec des impôts, les coûts pour les entreprises, les taxes sur la masse salariale? Est-ce qu'on va enfin avoir un organisme qui va nous doter d'une analyse rigoureuse, permanente, continuelle de notre position, de la position concurrentielle de notre gouvernement?

On constate dans le livre blanc que les

Québécois se donnent 600 $ par personne par année de plus de services publics que les gens de l'Ontario. On n'avait même pas commencé de faire cette comparaison avec les autres régions du Canada et des États-Unis et du monde entier avec qui on est en concurrence. Mais il faut le faire, si on veut que Pratt & Whitney établisse notre concurrence avec la Californie et la France. Il faut qu'on connaisse les coûts de fonctionnement des compagnies dans le domaine aéronautique en Californie et en France et ajuster nos propres coûts en fonction de cela. La CSST nous a dit récemment, et elle a publié un petit document, de toute façon, qui a dit beaucoup de choses sur les comparaisons avec le système en Ontario et au Québec. Avec une petite calculatrice, j'ai été capable de calculer que si on avait le système ontarien au Québec, cela coûterait aux compagnies québécoises à peu près 300 000 $ de moins par année en taxes et en contributions à la CSST. C'est bon, la CSST, mais nous avons là une boîte qui est plus dispendieuse de 300 000 $ par année pour les entreprises du Québec que si ces entreprises étaient en Ontario.

Je termine là-dessus. Si cette banque de données dont vous parlez est vraiment une banque de données qui va apporter quelque chose de neuf et quelque chose surtout dans le domaine de la compétitivité de notre gouvernement par rapport à d'autres gouvernements, c'est intéressant, mais si vous voulez faire cela, cela va nécessiter un investissement en équipement et en personnel très intéressant. Avec le personnel que vous proposez dans les crédits pour 1985-1986, je ne prévois pas que vous allez développer votre banque de données statistiques importantes de toutes sortes dans les douze prochains mois. J'aimerais avoir une meilleure idée de vos intentions à ce sujet.

Je termine. Peut-être que je vais avoir l'occasion de faire seulement une dernière intervention à la fin.

Le Président (M. Gagnon): Vous allez avoir une autre occasion.

M. Scowen: Voilà! Quelques questions.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie M. le député de Notre-Dame-de-Grâce. Avant de vous revenir, je reconnaîtrai Mme la député de Dorion. M. le ministre.

La structure industrielle

M. Dean: Vous admettrez avec moi, M. le Président, que c'est plus bref et plus facile de poser des questions que d'y répondre, surtout des questions aussi complexes. Je vais essayer.

Le premier volet sur le changement de la structure industrielle. Précisément, M. le Président, en partant, j'ai relu aujourd'hui même le résumé de "Bâtir le Québec 1" dans ses grands points et j'ai été étonné de voir combien de ces points, les grands volets de "Bâtir le Québec 1" qui aujourd'hui sont réalisés, font partie de notre vie économique et ont même donné lieu à des actions il y a un an, deux ans, dans le plan de relance, le plan de Compton et même les décisions budgétaires les plus récentes.

On a parlé dans "Bâtir le Québec 2", à l'article a, justement de favoriser la coordination de l'action des agents économiques. C'est de là que la démarche de la concertation au Québec a commencé. Via les sommets, beaucoup a été fait, et à la demande des partenaires qui se concertent, ce que nous faisons maintenant représente leur volonté. Cela veut dire dans les grandes lignes moins de sommets, mais plus de tables qui s'attaquent en dehors des caméras de télévision, les lumières et le feu de la rampe à des problèmes véritables dans le but d'essayer de les résoudre ensemble.

On a quand même, à la suite de ce document, réussi, je pense, la modernisation de notre secteur des pâtes et papiers. Je suis sûr que le député de Notre-Dame-de-Grâce ne niera pas l'importance de ce secteur dans l'économie du Québec.

On a apporté des correctifs et des efforts via des sommets, entre autres, pour sauver, au moins en partie, nos secteurs du meuble, du textile, du vêtement et de la bonneterie. Les sommets étaient des catalyseurs d'actions communes entre le monde employeur et syndical. Ils avaient leurs intérêts et ils étaient habitués à se chicaner de temps en temps, peut-être plus souvent qu'à leur tour, mais qui, en face des dangers, des problèmes communs ont quand même trouvé un certain nombre de solutions qui ont apporté des améliorations.

Les problèmes du secteur industriel ne seront jamais tous réglés, à mon avis, parce que je pense qu'on peut en régler un, aujourd'hui et dans cinq ans, ce sera peut-être un autre problème. Un certain nombre de problèmes n'ont peut-être pas de solution à long terme. Mais partant de "Bâtir le Québec 1", on a apporté des correctifs, la concertation, une structuration économique.

Parlons de certains de nos efforts pour développer le secteur de l'aluminium et aussi du problème qu'on a hérité - je dis cela tout bonnement - de nos prédécesseurs au pouvoir dans le secteur de l'acier qu'on voulait se donner au Québec, mais où on a fait des erreurs sérieuses de parcours. On a hérité des problèmes et on est en train d'apporter une restructuration douloureuse et difficile à ce que nous avons dans le secteur de l'acier. Mais en même temps et grâce aux politiques du gouvernement du Parti québécois, nous sommes en train de développer, au Québec, une industrie de l'aluminium de classe mondiale, la plus moderne au monde, la plus concurrentielle au monde, qui va faire en sorte qu'en l'an 2000, quand l'acier commencera à disparaître, peut-être que le Québec va prendre le pôle de la force économique d'un secteur industriel d'aluminium qui pourrait être un métal de l'avenir par rapport à l'acier en bien des domaines. (21 h 30)

Tous les problèmes ne sont pas réglés, mais les politiques, les orientations de développement économique du gouvernement du Québec ont porté des fruits et nous ont permis de renforcer, de restructurer et de moderniser notre économie pour avoir une base industrielle qui pourrait nous permettre d'envisager d'ajouter - et je souligne d'ajouter - les instruments d'une politique de plein emploi.

Les références du député de Notre-Dame-de-Grace... Est-ce qu'on devrait étudier ce qui se fait en Ontario et aux États-Unis? Bien sûr que oui, nous vivons dans ce contexte et il faut certainement étudier ce que font nos voisins. Sauf que l'Ontario, avec tous les merveilleux accomplissements dont se vante le député de Notre-Dame-de-Grâce depuis quelques jours, a encore un taux de chômage de 9 %, à moins que je n'abuse. À mon avis et de l'avis de notre gouvernement, un taux de chômage de 9 % n'est pas acceptable, ni humainement ni économiquement. Les États-Unis, le pays le plus fort et le plus riche au monde selon eux - et peut-être qu'ils ont raison jusqu'à un certain point - avec toute leur relance économique, ont atteint un taux de chômage de 7 %. Ces 7 % ne sont ni humainement, ni socialement et ni économiquement acceptables. Soit dit en passant, des pays de plein emploi ont maintenu à travers toutes les crises qu'on a connues des taux de chômage autrement moins élevés - je parle de moyennes pendant des décennies de 2 %, de 3 % et de 3 1/2 % au sommet de la crise.

M. le Président, le député a raison au sujet de la politique salariale quand il dit que le niveau de salaire dans un secteur ou dans l'économie dans son ensemble a un rapport avec la compétitivité. Le niveau de technologie et le niveau d'équipement et de modernisation de l'industrie a un impact sur la compétitivité. Par exemple, il est vrai qu'en Autriche, pays qui ne contrôle pas ses taux d'intérêt parce qu'il vit dans l'ombre de son grand voisin, l'Allemagne, les syndicats et les partenaires socio-économiques ont accepté et ont même défini comme politique d'avoir des salaires un peu moins élevés que les pays concurrents. Ils ont choisi en quelque sorte entre des salaires un peu bas et une plus grande sécurité, une stabilité

d'emplois intéressants et rémunérateurs.

Bien sûr, les structures salariales doivent être revues, non seulement globalement mais secteur par secteur, parce que, comme l'a dit très bien le député de Notre-Dame-de-Grâce, c'est au niveau d'un secteur que se fait la concurrence. Je ne peux pas toucher en détail toutes les questions de la libération du marché. Les politiques économiques et les stratégies du gouvernement du Québec, du Parti québécois, sont conditionnées très fortement par le fait qu'en vertu des accords du GATT, d'ici à 1988 les tarifs vont être réduits au minimum entre les pays. Le défi qui se pose aux travailleurs et aux employeurs du Québec et à toute la population c'est d'ici très peu d'années, de s'organiser pour avoir des entreprises bien structurées et bien équipées, productives, rentables et compétitives. Autrement, on va être lavés par une vague qui sera pire que la vague bleue. On risque de tous y passer, et notre économique aussi, si on ne relève pas ce défi. Les orientations économiques du gouvernement du Québec et d'une politique de plein emploi qui se mettra en marche doivent tenir compte de ces contraintes et de ces réalités. L'utilisation des dépenses publiques et des politiques fiscales, etc., font partie d'un ensemble de questions qui touchent une politique de plein emploi.

Pour ce qui est de la coordination entre mes fonctions ministérielles et celles de mes collègues, le député de Notre-Dame-de-Grâce a parfaitement raison quand il dit qu'il faut évidemment qu'entre le ministère des Finances, le ministère de l'Industrie et du Commerce et le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu il y ait un degré élevé, de plus en plus élevé de coordination dans les mesures. C'est une des caractéristiques d'une politique de plein emploi qui fait en sorte que, sous le prisme du niveau de l'emploi, de la création et du soutien de l'emploi, on passe en revue toutes nos politiques gouvernementales et on essaie de mieux les arrimer et de mieux les coordonner dans leur exercice. Je peux dire au député de Notre-Dame-de-Grâce que déjà, dans les quelques rencontres où notre table nationale a eu lieu, le ministre des Finances est venu une fois et il a participé à des discussions avec les partenaires. Il va y revenir. La ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu est déjà venue et a participé è des discussions qui touchaient des questions concernant son ministère. C'est notre intention de continuer dans ce domaine.

Pour le fonctionnement de la table, au fond, il est vrai que les partenaires de la table nationale, le Conseil du patronat, l'Association des manufacturiers canadiens, la Chambre de commerce du Québec et le Mouvement Desjardins, qui, dans son ensemble, est représenté par M. Raymond Blais, regroupent les vedettes de chacun de ces mouvements, de ces organismes. Du côté syndical, il y a la FTQ, la CSN, la CSD, parce que notre mandat à ce stade-ci ne touche que le secteur privé. On essaie de travailler sur le secteur privé, qui est quand même responsable de 75 % des emplois au Québec.

Ce qu'on essaie de faire, quand on parle de changement d'attitude, c'est de revoir les attitudes respectives, les attitudes maximalistes du côté patronal et maximalistes du côté syndical et de s'attaquer aux problèmes concrets. Déjà, en deux rencontres, on s'est attaqué à des problèmes comme la question de la fiscalité des entreprises, la question de l'utilité ou la nécessité de taxes sur la masse salariale comme instrument de fiscalité. Les partenaires sont au moins unanimes sur le fait que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de taxer, parce que, plus il y a de taxes sur la masse salariale, plus les entreprises sont portées à employer moins de monde et aussi parce qu'il peut y avoir d'autres impacts sur le meilleur fonctionnement de l'économie. Justement, ce genre de questions, à la demande des partenaires, fait déjà l'objet d'études et les ministères que le député a nommés tantôt vont être impliqués à mesure que les partenaires s'attaquent à certains de ces problèmes pour essayer de voir si on peut ensemble trouver des solutions.

Il y a aussi un autre exemple à propos des questions qui se posent. Nous avons vécu dernièrement un sommet sur l'informatique et l'électronique. Une des grandes questions était celle de l'information des travailleurs, l'implication des travailleurs dans les changements technologiques majeurs dans les entreprises. Les centrales syndicales sont venues, la charge de cavalerie, ils veulent des lois. Les patrons: On ne veut pas d'autres lois, on en a déjà trop, on voudrait perdre des lois, on ne veut pas de lois.

J'avoue que, même en face d'un problème aussi important sur le plan humain et économique que de bien faire le virage technologique dans les différentes entreprises, sans massacrer ni les travailleurs ni les employeurs, peut-être que les solutions légiférées globalement ne sont pas les meilleures parce que, souvent, une loi est faite de façon très générale et peut-être très mal adaptée à un secteur ou à une entreprise par rapport à un autre. Au lieu de laisser le problème sans solution, on a dit: Est-ce qu'il serait possible de s'asseoir et de voir si, entre patrons responsables et travailleurs responsables, il n'y aurait pas moyen d'élaborer une entente-cadre qui ne serait pas une loi et ne serait pas un texte de convention collective mais une espèce d'approche commune au problème de

l'introduction des changements technologiques dans les entreprises, de façon à informer les travailleurs, à les impliquer dans les changements, à les aider à se préparer pour les changements avec des programmes de formation, de recyclage, etc., et de faire cela pour maximiser l'impact économique du changement technologigue, mais de minimiser un impact humain négatif, mobiliser les travailleurs vers le changement et cultiver des attitudes positives vis-à-vis du changement? C'est un des défis qui a été lancé à cette table nationale.

Oui, le député a raison aussi quand il dit: À propos de cette table nationale, il y en a qui emploient le mauvais mot, "dinosaure", à l'égard de nos chefs reconnus du monde patronal et du monde syndical au Québec. Je crois que ces personnes sont assez valables, assez ouvertes et assez motivées par le désir d'assurer un plus grand niveau d'emplois au Québec qu'elles sont prêtes à relever le défi et à accepter de changer de mentalité, et même de laisser aller des acquis dans l'intérêt d'une meilleure situation de l'emploi qui va avec une meilleure situation économique. Mais c'est là qu'on parle de la table régionale. Justement, on dit que c'est dans les régions - "that is where the action is" - qu'une table nationale peut être loin et ne peut se pencher que sur de grandes questions générales. Quand il s'agit de s'attaquer au problème de telle entreprise, de tel groupe de travailleurs qui a des difficultés ou qui a besoin d'un coup de pouce, d'une action pour s'assurer de devenir plus fort au point de vue économique, c'est dans les régions que ces réalités se vivent et que les décisions se prennent. C'est le président de telle entreprise qui décide: Est-ce que j'investis dans mon usine qui est située là ou si je n'investis pas, ou si je ferme boutique et que je vais prendre ma retraite en Floride? C'est dans les régions que beaucoup de décisions et beaucoup de problèmes se vivent.

Donc, on préconise des tables régionales justement pour s'attaquer à ces problèmes concrets, réels et de tous les jours sur le marché du travail. Ce n'est pas nécessairement - c'est juste un élément de correction que j'apporte - dans le but de créer le plein emploi dans chaque région. Bien sûr que, dans les pays de plein emploi, la mobilité des travailleurs est un facteur essentiel. Bien sûr que, dans certaines régions qui sont ou bien mal situées géographiquement ou bien connaissent certaines conditions particulières, on n'a pas la possibilité de créer un nombre d'emplois aussi élevé que le chiffre de la population qui veut travailler. C'est bien sûr que la relocalisation des travailleurs et des travailleuses fait partie d'une politique de plein emploi. On ne doit pas fermer chaque région, faire une espèce de contenant et remplir les emplois. On peut faire cela pour autant qu'on peut, mais il n'est pas garanti qu'on va faire le plein emploi dans chaque région. Quand on vise un objectif de plein emploi, c'est pour une entité globale.

Là, je suis parfaitement d'accord, et il me fait plaisir d'informer le député de Notre-Dame-de-Grêce qu'il est vrai que le sectoriel est très important. Justement, nous préconisons, à mesure que les secteurs le demandent, de créer des tables sectorielles qui travaillent en coordination avec la table nationale. Le récent sommet du textile et du vêtement a été caractérisé, à la fin du sommet, par une demande non seulement du vêtement, non seulement du textile, mais les deux ensemble, patrons et travailleurs, de former une table permanente de concertation, d'étudier les problèmes particuliers, de continuer à travailler sur les problèmes particuliers à leur secteur industriel, dans le sens de maximiser l'emploi. On va discuter la réglementation, on va discuter les tarifs, on va discuter les possibilités de convaincre le gouvernement fédéral de certaines choses qui affectent ce secteur, on va discuter de l'introduction de nouvelles technologies, de la formation, du recyclage des travailleurs, ainsi de suite. On va discuter de la compétitivité de ces entreprises par rapport à leurs concurrents à l'extérieur du Québec.

On a déjà des demandes, pour le secteur du bois de sciage, pour le secteur des forêts, pour la formation de tables sectorielles. Il sera peut-être question, pour employer un mot qui m'est cher et qui est cher au député de Notre-Dame-de-Grâce, d'une table sectorielle justement pour voir à la promotion du secteur de l'industrie de l'automobile et des pièces au Québec.

Il y aurait des tables sectorielles formées quand les gens d'un secteur veulent se prendre en main, veulent former une table sectorielle, veulent s'attaquer ensemble aux problèmes d'économie et d'emploi dans leurs secteurs respectifs. (21 h 45)

Pour ce qui est de la banque de données, nous avons commencé modestement et nous voulons le faire ainsi. Nous ne voulons pas, au secrétariat, créer des emplois - c'est peut-être une contradiction - on ne veut pas créer une grosse machine de fonctionnaires sans avoir des besoins concrets. Donc, l'évolution de nos effectifs va sûrement se faire selon les besoins. L'approche du début est autour de noyaux d'économistes et de professionnels très compétents et très motivés et qui ont cet intérêt d'utiliser les données qui existent déjà dans les autres ministères mais de les accumuler d'une façon qui les rend accessibles à notre secrétariat et accessibles dans le sens de données qui peuvent être utilisées à d'autres fins pour d'autres

ministères, mais nos fins seront d'évaluer les impacts des programmes du gouvernement et des investissements du gouvernement sur la situation globale de l'emploi et de permettre aux partenaires socio-économiques de faire des recommandations au gouvernement, et de permettre au gouvernement, même en constatant certains problèmes qu'on pourrait trouver, de recommander des correctifs.

Alors, je pense que certaines réponses qui sont déjà des choses acquises à la table semblent aller dans le sens, des questions et des préoccupations du député de Notre-Dame-de-Grâce et, soit dit en passant, le document bleu n'est plus un secret militaire maintenant; cela a été avec très peu de changements accepté par les partenaires la semaine dernière, lors de la réunion de la table, et c'est un fidèle portrait de l'orientation qu'on se donne et qui semble acceptée par les participants à cette table.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Mme la députée de Dorion, je crois que vous avez eu vos réponses.

Mme Lachapelle: Oui, j'ai justement eu la réponse. Alors, merci.

Le Président (M. Gagnon): Alors, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, le temps qu'il nous reste, je vais le partager un peu moins qu'en deux parce qu'il faudra à la fin adopter nos crédits. Je vous donne six minutes. Cela va?

"Bâtir le Québec" et

tables de concertation

M. Scowen: Oui. Les réponses du ministre sont intéressantes. Premièrement, il a parlé du document de M. Landry, "Bâtir le Québec", et du nombre d'éléments de ce programme qui ont été réalisés. Je pense qu'il ne souffre pas de la même maladie que notre collègue, son prédécesseur, parce que c'est une manie qui est pour moi une maladie péquiste, si je peux me permettre d'utiliser cette expression, que l'idée de faire une longue liste de choses qu'il faut faire et, après, de compter le nombre de choses qui ont été faites, sans tenir vraiment compte de leur importance relative.

Je ne sais pas combien de fois j'ai fait l'analyse de "Bâtir le Québec 1". J'ai dit à M. Landry qu'il n'en avait pas réalisé la moitié et il est revenu à la charge avec une liste dans laquelle il prétendait que les deux tiers étaient réalisés. Je prétendais qu'au moins 25 % étaient des choses déjà réalisées avant que le document ait été rendu public. Il admettait que c'était vrai, mais que c'était seulement 15 %. Mais c'est cette manie de faire la liste, le catalogue des choses que l'on va faire. Pour moi - et vous l'avez fait dans le plan de relance il y a un an et demi - c'était un catalogue de petits projets à gauche et à droite tirés des tiroirs des ministères et cela me fait un peu penser, si je peux me permettre, à quelqu'un qui dit: Demain, j'ai l'intention de faire dix choses. Je vais me lever, me raser, m'habiller, aller au travail, m'asseoir dans mon bureau, déjeuner et je vais retourner chez moi. A la fin, tu arrives le lendemain et tu dis: Regardez, je me suis fait un projet pour le mercredi 8 avril et j'ai réalisé neuf des dix projets que j'avais décidé d'entreprendre. Tout le monde applaudit et dit: Mon Dieu, cela, c'est un gouvernement: Mais la grande partie de ces choses, et je n'exagère pas, sont des choses qu'on attend de n'importe quel gouvernement, qui ont été faites par le gouvernement de l'Union Nationale et par le gouvernement libéral. Ce sont les choses qu'on attend de n'importe quel gouvernement et c'est vous qui avez eu pour la première fois dans l'histoire l'idée très géniale de les ramasser dans un bouquin comme cela, de mettre un slogan "virage technologique" ou "plan de relance" ou n'importe quoi sur la couverture et déclarer que vous avez développé un programme. Ce n'était pas du tout cela.

Je n'ai rien entendu du ministre qui indique qu'il souffre de cette maladie. Il a une autre façon de voir les choses et je l'en félicite. C'est seulement avec sa petite intervention quand il a dit qu'il était impressionné par le document de M. Landry. Je vous donne juste un exemple: le plan de relance pour les industries de pâtes et papiers faisait partie d'une entente-cadre avec le gouvernement fédéral. Le fédéral prétend que l'inspiration vient d'Ottawa et, nous, nous prétendons qu'elle est venue d'ici. Cela ne faisait pas partie de "Bâtir le Québec", c'est quelque chose qui faisait partie de ce plan de cinq ans, de l'entente-cadre fédérale-provinciale. M. Landry a le droit de le mettre dans "Bâtir le Québec" et de déclarer que cela fait partie d'un programme intégré de développement économique ou d'une stratégie, mais ce n'est pas vrai. Je le dis parce que cela a pour effet de rendre plus difficile la réalisation de choses importantes.

Un deuxième point que je veux soulever: vous avez parlé du taux de chômage aux États-Unis par rapport à l'Europe et cela m'a fait penser à quelque chose. Dans votre recherche du plein emploi, on porte beaucoup d'attention à des chiffres sur les taux de chômage. Je vous donne juste un exemple: l'Europe a bénéficié, elle avait un taux d'activité assez stable, mais elle a bénéficié de la Turquie et de la Grèce d'où elle pouvait importer des travailleurs immigrants pour de courtes périodes et les faire retourner après, en grande partie. C'était une tout autre situation. Le Canada n'a pas de Turquie. Ce n'est pas dans nos

moeurs d'agir dans ce sens, de toute façon. Je prétends, si vous regardez de près les chiffres sur la création d'emplois aux États-Unis, par exemple, que vous allez trouver que ce n'est pas du tout pire et que le taux de chômage n'est pas le seul, n'est peut-être même pas le meilleur critère à utiliser.

Je veux juste revenir à la question des membres de votre table nationale. Je ne veux pas mettre en doute la motivation et la compétence de tous nos chefs patronaux et syndicaux. Ce n'est pas du tout ce que je veux soulever. Ils sont là, ils ont un rôle très important à jouer, je les connais et vous les connaissez aussi. Ils sont tous nos amis personnels. La question que je pose est de savoir, dans la réalisation d'une politique de plein emploi, dans le volet qui touche une meilleure harmonisation des relations entre travailleurs et employeurs, et actionnaires, parfois - souvent, il y a trois groupes dans une compagnie - si une table siégeant à huis clos, c'est la meilleure façon de vous permettre à vous et à votre personnel de toucher ces entreprises et de les influencer?

J'ai écouté attentivement votre exemple de l'entente-cadre et j'ai trouvé que c'était bon. Si c'est quelque chose qui sera utilisé par plusieurs industries, c'est possible que je n'aie pas raison, mais j'ai l'impression que cette structure va alourdir vos efforts pour encourager cette concertation au niveau d'une entreprise qui est si nécessaire.

Tables régionales. Vous avez décidé d'utiliser les tables régionales parce que "that is where the action is". Je prétends que ce n'est pas vrai. The action is "sectoriel". La compagnie à Matane, les dirigeants qui sont obligés de prendre les grandes décisions quant à l'investissement ou le "désinvestissement", malheureusement, la cruelle réalité, c'est que leur pensée est faite beaucoup plus en fonction de leurs concurrents dans le secteur de l'industrie où ils font concurrence que dans le contexte de la région. Si vous essayez de déformer cette réalité, j'ai l'impression que vous aurez tendance à rendre ces entreprises moins concurrentielles.

Je veux vite dire que je ne prétends pas qu'on ne doit porter aucune attention aux préoccupations régionales. Je ne dis pas que les initiatives régionales ne sont pas importantes parce que, souvent, des personnes dans une région, dans une ville, peuvent faire des choses pour faire venir et garder les entreprises. Il me semble que, si vous voulez aller au coeur des problèmes de l'entreprise et de la compétitivité des entreprises, leur développement et leur survie, vous serez mieux placé pour mettre votre orientation principale - pas exclusive, mais principale - sur des questions sectorielles plutôt que régionales.

Alors, je termine avec juste un point. Je veux vous remercier sincèrement de ces deux heures. Cela a été très intéressant pour moi. Je pense que vous avez une mission impossible, effectivement. J'espère que j'ai tort, j'espère profondément que j'ai tort, mais je pense, après tout ce que vous avez dit ce soir et après tout ce que j'ai lu dans vos documents jusqu'à maintenant, que la structure est l'idée qui va réaliser l'objectif que vous et moi avons à coeur.

Politique de plein emploi

Je termine en vous posant une seule et dernière question. Vous êtes censé élaborer une politique gouvernementale pour favoriser le plein emploi. A quelle date prévoyez-vous rendre publique cette politique gouvernementale du plein emploi? Dans les jours qui viennent? Les semaines qui viennent? D'ici à la fin de l'été? D'ici à la fin de l'année? Quand aurons-nous droit à cette affaire qui est aussi désirée par tout le monde et pour laquelle j'espère, après huit ans d'expérience ici au Québec, que vous avez la plupart des informations nécessaires?

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce. Vous avez pris deux ou trois minutes de plus que ce que je vous avais accordé. M. le ministre, en cinq minutes, au maximum.

M. Dean: En cinq minutes. Sur les politiques "Bâtir le Québec 1 et 2", je veux dire simplement que, malgré les commentaires du député, le Conseil des sciences du Canada a dit que c'était la première et la meilleure stratégie industrielle d'ensemble au Canada. Donc, cela doit valoir quelque chose. Ceux qui se dressent des listes d'objectifs et qui vérifient s'ils le font ou non, si ce n'est pas un principe valable même quand c'est publié en volume, on va faire des accusations de fraude à toutes les entreprises comme des "timers" qui nous vendent des agendas ou nous incitent à faire justement cela au nom de la bonne gestion du temps et de la bonne gestion tout court.

Ceci dit, vous me permettrez de dire aussi, par rapport à "Bâtir le Québec 1 et 2", que les projets en cours du plan de relance aussi issus de ces documents de base sont quand même responsables pour quelque chose comme 1 200 000 000 $ du budget de 1985-1986 en investissements publics créateurs d'emplois. Donc, ce n'est pas peu de choses. Je n'ai jamais cru qu'un gouvernement ne se donnait pas des objectifs et une stratégie de développement et je prétends qu'aucun gouvernement ne s'est donné une stratégie auparavant, ni au Québec ni au Canada, et le Conseil des sciences du Canada semble être d'accord sur ce point.

Sur la table nationale, la politique de plein emploi va être élaborée avec les

partenaires socio-économiques. Donc, il faut respecter tout en insistant sur l'urgence de la situation de l'emploi, tout en souhaitant régler rapidement, dès le départ, certains problèmes concrets en cours de route en attaquant des problèmes précis...

L'élaboration d'une politique de plein emploi doit se faire avec le gouvernement et les partenaires socio-économiques. Le gouvernement seul ne le peut pas et, par définition, ne peut pas élaborer une politique de plein emploi ou réaliser une politique de plein emploi. Justement, la performance de l'Ontario, des États-Unis et d'ailleurs en est la preuve. Même si l'économie fonctionne bien, cela ne garantit pas un niveau de plein emploi acceptable.

Sur la question des tables, quelles soient sectorielles ou régionales, ma démarche en est une volontaire. Ce n'est pas une démarche pour imposer. On ne peut pas forcer les gens à se concerter. On ne peut pas forcer les gens à s'entendre, on ne peut que les inviter à travailler à résoudre des problèmes et, tant sur le plan sectoriel que régional, les tables régionales qu'on va créer dans les prochains mois vont l'être à la demande des régions en question. On a déjà eu des demandes de certaines régions de se préoccuper de tables régionales de plein emploi comme nous avons eu des demandes de secteurs pour créer des tables sectorielles qui visent la situation économique. Je suis d'accord avec le député que l'aspect sectoriel est très important et je ne l'exclus pas, cela fait partie de la démarche.

Il me reste à vous remercier, M. le Président, à remercier le député de Notre-Dame-de-Grâce et à souhaiter... Même s'il dit que j'ai une mission impossible, pour quelqu'un qui a vécu la grève de la United Aircraft, rien n'est impossible. Donc, c'est un défi que je suis prêt à relever et que notre gouvernement est prêt à relever.

M. Scowen: Est-ce que vous prévoyez... Le Président (M. Gagnon): L'échéancier.

M. Scowen: ...votre politique de plein emploi, tout ce que vous allez faire pour la préparer... Quand...

M. Dean: C'est ce que je dis. Cela va se faire avec les partenaires socio-économiques. Je ne peux pas vous donner une date et je ne peux pas non plus vous donner un objectif, vous dire qu'en cinq ans, on va avoir atteint le plein emploi. J'ai justement dit que je n'accepte ni de citer tel ou tel nombre de jobs comme objectif, ni de citer des pourcentages de chômage comme objectif...

M. Scowen: Mais, la...

M. Dean: ...parce que le faire, c'est charrier un peu.

M. Scowen: ...par année. La politique, pas la réalisation du programme, mais le programme comme tel. Cela doit être rendu public...

M. Dean: Je le souhaiterais d'ici à la fin de l'année, sauf que je ne peux rien garantir si quelqu'un me dit à la table qu'il ne veut pas discuter tel point en faveur de tel point, il faut quand même que je le respecte. Je ne peux pas me parler tout seul.

Adoption des crédits

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Merci, M. le député. Est-ce que le programme 6 du Conseil exécutif, le programme Emploi et concertation, est adopté? Adopté.

M. Scowen: Sur division.

Le Président (M. Gagnon): Adopté sur division.

Avant d'ajourner nos travaux, je voudrais d'abord, moi aussi, vous remercier pour ces deux heures extrêmement instructives que nous venons de passer. Les questions et les réponses étaient extrêmement intéressantes. Avant d'ajourner nos travaux à demain, je voudrais vous mentionner que, demain, à 10 heures, nous étudierons les crédits du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Donc, la commission ajourne ses travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 3)

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