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(Dix heures quatre minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission des institutions se réunit avec le mandat de
procéder à une consultation générale sur le projet
de règlement concernant les programmes d'accès à
l'égalité en vertu du paragraphe b de l'article 86.8 de la Charte
des droits et libertés de la personne.
Sont membres de cette commission: MM. Baril
(Rouyn-Noranda-Témiscamingue), Blais (Terrebonne), Blouin (Rousseau), de
Bellefeuille (Deux-Montagnes), Dussault (Châteauguay), Gagnon
(Champlain), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Leduc (Fabre), Viau (Saint-Jacques),
Dauphin (Marquette), Marx (D'Arcy McGee), Paquette (Rosemont), Payne (Vachon),
Perron (Duplessis), Rivest (Jean-Talon) et Mme Saint-Amand
(Jonquière).
Nous avons reçu des mémoires pour dépôt
seulement devant la commission, entre autres, de l'Association féminine
d'éducation et d'action sociale, région
Abitibi-Témiscamingue, du Centre Emersion Manicouagan Inc. et du
Comité de réflexion et d'action positive. Ces trois
mémoires sont reçus par la commission pour consultation pour les
membres de la commission.
J'invite ce matin...
M. Marx: Est-ce qu'on a reçu copie de ces
mémoires?
Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député
de D'Arcy McGee. Alors, j'invite ce matin le Syndicat des fonctionnaires
provinciaux du Québec Inc. à prendre place immédiatement,
s'il vous plaît!
En vous souhaitant la bienvenue et avant de vous laisser la parole, M.
Harguin-deguy, je vous rappelle que nous avons une enveloppe de 55 minutes
à notre disposition, soit 20 minutes environ pour livrer votre message
et 35 minutes pour dialoguer avec les membres de la commission. Je vous
souhaite la bienvenue et je vous invite à nous présenter les gens
qui vous accompagnent.
Syndicat des fonctionnaires provinciaux du
Québec
M. Harguindeguy (Jean-Louis): À ma gauche, Mme
Danielle-Maude Gosselin, vice- présidente à l'exécutif
provincial, qui vous fera la présentation du mémoire et
également M. Jean Robert, vice-président à
l'exécutif provincial. On va laisser la parole à la
vice-présidente.
Mme Gosselin (Danielle-Maude): Le
Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec Inc. est
très heureux que soit enfin déposé le projet de
règlement concernant les programmes d'accès à
l'égalité qu'on attend depuis plus de trois ans.
Déjà, en octobre 1981, nous avions réclamé à
la commission permanente de la justice la mise en place des programmes
d'accès négociés et placés sous le contrôle
de la Commission des droits de la personne pour l'ensemble des programmes au
Québec.
Nous sommes très particulièrement concernés par ces
programmes puisque plus de la moitié de nos effectifs fonctionnaires
sont des femmes concentrées dans les ghettos d'emplois traditionnels.
Majoritaires dans les emplois de soutien administratif, elles n'occupent que 29
% des effectifs du personnel technique. Les emplois où les femmes sont
le plus concentrées, que ce soit au niveau du soutien administratif ou
du personnel technique, sont moins bien rémunérés que les
emplois équivalents dans les mêmes domaines, au même niveau.
Dans l'unité "ouvrier" du syndicat, point n'est besoin de rappeler
qu'elles sont peu nombreuses et occupent les emplois féminins
traditionnels de services, aides dans les cuisines, serveuses, auxiliaires
domestiques, etc. Nous croyons que cela démontre, ces exemples, dans la
fonction publique, qui est quand même un des plus importants employeurs
du Québec, la nécessité d'avoir une approche globale de la
discrimination et non pas une approche individuelle.
On peut encore démontrer aujourd'hui, et même à la
fonction publique du Québec, que l'arrivée massive des femmes
dans un corps d'emploi peut contribuer à le dévaluer. Le meilleur
exemple, c'est la proposition de règlement du classement moquette qui
nous fut faite par le gouvernement il y a maintenant un an et demi, qui avait
comme conséquence de dévaluer l'emploi des agents de bureau, un
corps autrefois composé d'hommes, mais où les femmes
s'insèrent de plus en plus. Cela démontre quelque chose que l'on
voit mondialement lorsque les femmes intègrent massivement un
emploi:
cet emploi est dévalué.
C'est parce que nous avions prévu de telles conséquences
que dès 1981 nous avions réclamé que même le
gouvernement du Québec soit soumis au contrôle de la Commission
des droits de la personne en matière de programmes d'accès
à l'égalité. Nous déplorons donc une fois de plus
que le gouvernement se soit soustrait de l'application des articles 86.2
à 86.6 de la charte.
Nous estimons que le gouvernement devrait être sous le
contrôle de la commission, tant pour ce qui est de l'approbation des
programmes que des mécanismes de contrôle et de surveillance,
parce que cette situation qu'on vit actuellement d'être sous le
contrôle uniquement du Conseil du trésor fait que c'est
inéquitable pour les employés du secteur public du gouvernement
qui n'ont pas le même traitement que l'ensemble des travailleurs et
travailleuses du Québec.
Nous estimons que le Conseil du trésor agit comme juge et partie
dans cette matière et que sa principale raison d'être, à
notre connaissance, ne vise pas l'équité pour les
employés. On va vous donner d'autres exemples. Je ne reprends pas
l'exemple du classement moquette.
Si je parle en matière de rémunération, je vous
disais tout à l'heure: que pour des emplois de valeur équivalente
il y a encore des rémunérations moins grandes pour les emplois
où les femmes sont concentrées, au niveau technique pour les
techniciennes en information et les bibliotechniciennes versus les autres corps
de technique, ne serait-ce que les employées de secrétariat
où on vient de revoir le classement moquette, mais où on n'a pas
ajusté la rémunération pour la rendre comparable au corps
d'agent de bureau qui demande une exigence de scolarité similaire.
Ensuite, ce même gouvernement qui nous parle d'un programme
d'égalité en emploi depuis 1980 n'a pas hésité
à proposer aux femmes le temps partiel dans le programme
d'égalité en emploi pour les femmes comme mesure d'accès
à l'égalité alors qu'on sait que cela consacre
plutôt l'inégalité financière et la
dépendance économique. Ensuite, on peut même vous dire que
malgré des programmes actuellement en vigueur depuis plus de cinq ans
nous vivons actuellement au ministère de l'Énergie et des
Ressources une situation de discrimination grossière. On vient de mettre
à pied toutes les femmes dans une pépinière en conservant
à l'emploi les hommes. Nous avons d'ailleurs déposé une
plainte à la Commission des droits de la personne là-dessus.
Pour ce qui est des personnes handicapées, nous vivons
actuellement les problèmes d'employés, notamment au
ministère des Transports, qui deviennent handicapés en cours
d'emploi et que l'on révoque, alors que le gouvernement, d'un autre
côté, rend public un programme d'égalité en emploi
pour les personnes handicapées.
Nous croyons que, dans un premier temps, il faudrait à tout le
moins essayer de conserver à l'emploi les personnes qui deviennent
handicapées en cours d'emploi et voir à les former pour leur
redonner un autre emploi, si elles ne peuvent plus occuper le premier.
D'ailleurs, le président du Conseil du trésor, M. Michel Clair, a
reconnu ces faits lors de la conférence socio-économique
Décisions 85, où il a été obligé de dire que
le constat que j'en faisais était exact. C'est la raison pour laquelle
on dit que c'est une preuve que, sous le couvert de l'équité, ces
programmes servent parfois les exigences administratives de l'employeur au
détriment des clientèles cibles.
De plus, la nouvelle loi de la fonction publique, à notre avis,
restreint l'application du rangement par niveau en ce sens que celui-ci,
autrefois, devait être, dans le premier règlement de rangement par
niveau, appliqué lorsque l'on démontrait, par exemple, qu'il n'y
avait pas 40 % des femmes dans un corps d'emploi. Maintenant, avec le nouveau
règlement, le ministère peut refuser de prendre la personne, s'il
le justifie au Conseil du trésor.
Nous estimons que, même s'il s'applique dans tous les concours, il
est beaucoup moins fort que ce qui existait autrefois. C'est pourquoi nous
réclamons pour la fonction publique les mêmes mécanismes
d'application et de contrôle que pour l'ensemble des travailleurs et
travailleuses du Québec et, donc, dans un premier temps, l'abolition de
l'article 86.7 de la charte.
Nous déplorons aussi que le projet de règlement ne
prévoie pas la négociabilité des programmes d'accès
à l'égalité. Nous estimons que, pour avoir des chances de
succès, ces programmes doivent être négociés. On est
conscient que ce sont des mesures qui, parfois, vont bouleverser les
mentalités, qui demandent de la préparation que ce soit de la
part de l'employeur ou de la part de nos membres, mais nous croyons qu'elles
sont vouées à l'échec si elles sont imposées par
l'employeur et qu'il n'y a pas eu de discussion et de sensibilisation par le
syndicat auprès de ses membres sur l'importance de telles mesures et de
tels programmes. D'ailleurs, tous les exemples que je viens de vous donner
démontrent que ce sont des situations qui ne se seraient pas produites
si ces programmes avaient été négociés.
Nous sommes cependant bien conscients que la majorité des
travailleurs et travailleuses du Québec est encore non syndiquée.
C'est pourquoi nous demandons de permettre la négociabilité des
programmes pour ces personnes représentées aussi par des gens
choisis à l'intérieur de l'entreprise, mais
que le Tribunal du travail ait quand même un rôle à
jouer pour assurer le choix équitable des personnes afin que ces gens
soient protégés en cas de représailles possibles.
Nous déplorons également l'absence d'identification des
clientèles cibles dans le projet de règlement. Nous estimons
qu'il aurait fallu prévoir quelles étaient les clientèles
devant être touchées par les programmes. Dans notre cas, nous
identifions les trois clientèles suivantes: les femmes, les membres des
communautés culturelles et les personnes handicapées. Autrement,
nous craignons que dans la situation actuelle on utilise, sous couvert
d'accès à l'égalité, d'autres types de
clientèles avec des résultats qui pourraient être
contraires. Je pourrais vous donner l'exemple de ce qui se passe dans les
hôpitaux, où on commence à dire que, pour ce qui est des
soins personnels, il faudrait peut-être que les gens reçoivent des
soins personnels de quelqu'un qui est de leur sexe, ce qui est une façon
de faire entrer plus d'hommes au niveau du travail. Mais je ne pense pas qu'on
ait encore posé des questions sur le fait que les gynécologues
sont presque uniquement des hommes. Ou encore, dans l'enseignement primaire,
où je ne crois pas que, sous le couvert de l'accès à
l'égalité, il faudrait faire entrer tout de suite massivement les
hommes; il faut plutôt prévoir des mesures -vu que les femmes sont
déjà là - tant qu'on n'aura pas atteint
l'égalité ailleurs, pour avoir une certaine protection pour ces
niveaux.
Nous estimons que le règlement n'est pas assez clair pour les
mesures à prendre concernant le recrutement et la sélection du
personnel. Il est nécessaire que, dans les mesures
d'égalité des chances, de redressement et de soutien, soient
incluses des méthodes spécifiques de recrutement et de
sélection pour favoriser les clientèles discriminées.
C'est souvent à cette étape qu'il est le plus important
d'apporter des correctifs.
Nous réclamons également l'application d'une politique
globale d'accès à l'égalité. Nous croyons que la
charte aurait dû prévoir l'obligation de mettre en place des
programmes d'accès lorsque le diagnostic de l'entreprise établi
par la Commission des droits de la personne le justifie. Cependant, le
gouvernement a préféré l'approche volontaire. Nous ne
croyons pas que cette approche donne beaucoup de résultats. Il est
démontré que, notamment à cause des règles de la
concurrence, les entreprises se refusent le plus souvent à prendre des
mesures pouvant, dans certains cas, comporter quelques coûts. C'est un
peu comme si on nous donnait une loi de santé et sécurité
d'application volontaire. Je serais curieuse de voir combien d'employeurs
l'appliqueraient intégralement et correctement. (10 h 15)
À tout le moins, le règlement devrait prévoir
l'obligation contractuelle, pour toutes les entreprises faisant affaires avec
le gouvernement, de mettre en oeuvre des programmes d'accès à
l'égalité. De même, toutes les entreprises et tous les
organismes recevant des subventions du gouvernement du Québec devraient
être tenus d'avoir des programmes.
Nous estimons que les mécanismes de contrôle et de
surveillance ne sont pas suffisamment précisés dans le projet de
règlement et qu'ils ne permettent pas à la commission de prendre
action si une entreprise ou un organisme tarde trop dans
l'échéancier d'application du programme ou encore refuse de
s'entendre avec les représentant-es des employé-es. Actuellement
avec le projet de règlement cela pourrait même prendre deux ou
trois ans avant que tout soit réglé, avant qu'un programme puisse
s'implanter.
En résumé, l'expérience des programmes
d'égalité en emploi vécue dans la fonction publique
démontre que ces programmes ont, plus souvent qu'autrement, servi les
intérêts de l'employeur au détriment de ceux des
employé-es, et ce, sans amélioration sensible de la situation des
groupes discriminés. Ces programmes ont souvent semé amertume et
désillusion, pourtant dans un milieu fortement syndiqué. Je
pourrais d'ailleurs vous donner beaucoup d'exemples de personnes ayant suivi
des cours de perfectionnement et ayant retrouvé, après, le
même emploi sans aucune amélioration de leur carrière,
même si elles avaient donné beaucoup de temps et beaucoup
d'énergie pour se perfectionner.
C'est pourquoi nous réclamons pour l'ensemble des travailleurs et
travailleuses du Québec l'entière négociabilité des
programmes, un plus grand contrôle de la commission et l'obligation de
mettre en place des programmes.
Nous exigeons, de plus, pour les travailleurs et travailleuses de la
fonction publique, les mêmes droits que pour l'ensemble des travailleurs
et travailleuses du Québec, à savoir l'abrogation
immédiate de l'article 86.7 de la Charte des droits et libertés
et la modification de l'article 80 de la Loi sur la fonction publique, afin de
permettre la négociation de tels programmes.
Le Président (M. Gagnon): Ça va?
Merci. M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier le
président, la vice-présidente et le vice-président du
Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec d'être venus
présenter ce mémoire. Ce n'est pas la première fois qu'on
a cette discussion. Je pense qu'on l'a déjà eue en 1982.
J'aimerais soulever le point qu'en 1983 l'Assemblée nationale a
modifié la Loi sur la fonction publique pour habiliter l'Office des
ressources humaines à établir, et je cite la loi, "les programmes
d'accès à l'égalité qui visent notamment les
femmes, les membres des communautés culturelles, les personnes
handicapées ou les autochtones". Fin de la citation de la loi.
Qu'est-ce que le gouvernement a fait depuis 1983? J'espère qu'on
n'a pas légiféré pour rien une autre fois.
M. Harguindeguy: Si je peux me permettre de répondre, cela
à tout l'air d'avoir été le cas, parce qu'il n'y a pas eu
tellement de règlements favorables pour ces personnes-là. Il n'y
a absolument rien qui a été fait. Le problème c'est qu'au
gouvernement on a peut-être de belles intentions, mais on n'a pas
d'argent et, sans argent, il n'y a pas tellement de programmes qui se mettent
en place, même pour les femmes. Je pense que dans le mémoire Mme
Gosselin vous a relaté la question du classement moquette qui concerne
quand même strictement les femmes et la proposition du gouvernement a
été d'aller à la baisse plutôt que
d'améliorer la carrière de ces personnes. Nous sommes même
en arbitrage, actuellement; il y a des objections préliminaires d'ordre
juridique et le gouvernement ne veut même pas se plier à la
logique de rémunérer ces personnes au même taux que
d'autres personnes.
Quant à l'embauche, c'est la même situation qu'on vous a
déjà énoncée. Le gouvernement ne procède
plus à l'embauche d'employés pratiquement permanents, ce sont
strictement des employés occasionnels. Compte tenu,
particulièrement, que pour les communautés culturelles la
concentration est à Montréal et les effectifs majoritairement
à Québec, il n'y a pas de programme qui permette à des
employés d'être embauchés dans les communautés
culturelles à Montréal et d'être transférés
à Québec.
M. Marx: Si je résume, le gouvernement n'a rien fait
depuis 1983, même si l'Assemblée nationale a modifié la Loi
sur la fonction publique pour permettre des programmes d'accès à
l'égalité, parce qu'on se souvient qu'il y avait un jugement des
tribunaux qui empêchait le gouvernement d'implanter ces programmes et,
donc, on a modifié la loi pour permettre au gouvernement de
procéder. Donc, s'il n'y a rien qui...
M. Harguindeguy: On peut même aller plus loin. Le
gouvernement a décrété nos conditions de travail en 1983,
prévoyant, à l'intérieur, également, l'obligation
de négocier des programmes d'égalité. Actuellement, il n'y
a encore rien eu qui s'est fait, parce que les représentants du
gouvernement n'ont pas de mandat du Conseil du trésor.
Alors, les programmes qui devaient normalement être mis en vigueur
et être sanctionnés dans les 18 mois de l'entrée en vigueur
de la convention collective, en vertu de l'article 4 de nos décrets, ne
sont pas mis en application, puisqu'il n'y a eu, je pense, qu'à peu
près deux ou trois rencontres, au maximum, qui ont été
strictement exploratoires, le gouvernement n'ayant pas de mandat, compte tenu
des implications que cela peut avoir dans les autres secteurs, comme les
hôpitaux et les commissions scolaires.
M. Marx: La dernière fois que vous êtes venu en
commission parlementaire - du moins, devant cette commission - vous avez dit:
En ce qui concerne des programmes d'accès à
l'égalité pour les membres des communautés culturelles,
cela ne va pas donner grand-chose, parce que le gouvernement n'engage pas de
nouveaux effectifs. Donc, ce sont des voeux pieux. C'est encore la même
chose, aujourd'hui...
M. Harguindeguy: La situation des employés permanents chez
nous, dans un syndicat tel le nôtre, les effectifs permanents diminuent.
Cependant, les effectifs occasionnels, eux, augmentent parce que, globalement,
il y a autant d'employés, sinon plus, qu'en 1983 - là, c'est une
question de chiffre - mais on ne procède pas plus à l'embauche de
gens de communautés culturelles qu'à l'embauche d'autres
personnes.
D'ailleurs, regardez les médias, en fait, les journaux de fin de
semaine, et vous allez constater que les concours de recrutement à
l'extérieur sont excessivement limités et sont à des
niveaux passablement élevés de la structure
hiérarchique.
M. Marx: Mais qu'est-ce qu'on peut faire dans le contexte actuel
pour avoir plus de membres des communautés culturelles dans la fonction
publique? Supposons que le gouvernement crée un nouvel organisme,
où est-ce qu'il trouve les effectifs? Dans la fonction publique
actuelle?
M. Harguindeguy: Tout dépend de la création de
l'organisme. Si c'est un organisme qui est dégagé d'un
ministère actuel, par exemple, la Société
immobilière du Québec que vous avez créée à
l'Assemblée nationale, cela n'a pas apporté d'embauchage nouveau,
puisque ce sont des employés qui appartenaient aux Travaux publics
auparavant et qui ont été affectés à cet organisme.
Donc, finalement, on n'a recruté personne. On a créé une
société avec ce qui existe. La SEPAQ, c'est pareil, les
musées, et, enfin, le service d'informatique au réseau. Ce sont
tous des organismes qui
ont été dégagés du gouvernement directement
pour l'administration, mais qui fonctionnent avec les mêmes
employés. Si vous voulez avoir une politique de recrutement de personnel
provenant des communautés culturelles, comme la concentration est
généralement à Montréal et que des postes s'ouvrent
ailleurs qu'à Montréal, il faudrait que des programmes permettent
aussi qu'on paie, dans ces situations-là, des frais de
déplacement ou des frais de déménagement. Les gens
vont-ils vouloir venir s'implanter, à leurs frais, à
Québec, à Rimouski, à Matane ou en Abitibi parce qu'ils
sont Italiens, Grecs ou autres? Que voulez-vous, de Québec à
Rimouski, quand vous procédez... La Loi sur la fonction publique
prévoit maintenant que l'Office des ressources humaines ou les
ministères peuvent se limiter à déterminer comme
étant admissibles à un concours les personnes résidant
dans telle ou telle localité du Québec. Donc, les gens qui
résident donc ailleurs ne sont pas admissibles à un tel concours.
Si vous allez dans le Bas-du-Fleuve où les concours sont
réservés aux gens qui demeurent là, comme les
communautés culturelles ne sont pas tellement représentées
dans ces régions, vous pouvez donc difficilement remodifier la structure
actuelle.
M. Marx: D'accord. Les membres des communautés culturelles
disent souvent qu'ils ne se sentent pas chez eux dans la fonction publique,
comme les femmes dans les entreprises où il y a seulement des hommes;
elles se sentent souvent mal à l'aise. Qu'est-ce que votre syndicat est
prêt à faire pour les membres des communautés culturelles
qui seront engagés par la fonction publique? Êtes-vous prêts
à faire quelque chose pour mieux les intégrer dans la fonction
publique? Avez-vous pensé à des programmes, à les
accueillir d'une façon chaleureuse pour leur dire: Vous êtes chez
vous...
M. Harguindeguy: Moi, je me sens bien dans la fonction publique;
je suis aussi d'une communauté culturelle. Étant d'origine
basque, je ne pense pas qu'on ait beaucoup de Basques dans la province de
Québec, mais en tout cas je me sens bien. Je pense
qu'essentiellement...
M. Marx: Je ne parle pas des gens comme vous et moi. Je me
sentais toujours bien à l'Université de Montréal,
même quand j'étais seul à la Faculté de droit, qui
n'était pas francophone.
M. Harguindeguy: Sauf que...
M. Marx: Je ne parle pas pour nous autres, je parle pour la
masse.
M. Harguindeguy: ...on estime que la solution est dans la
négociation parce qu'il va falloir quand même que des accords
interviennent avec des groupes syndiqués, ce qui n'est pas le cas parce
que, parfois, cela peut aller au détriment de gens qui peuvent
être en place. Il a déjà été
énoncé de prévoir qu'on ne tienne pas compte de
l'ancienneté pour effectuer le rappel, pour pouvoir embaucher des
employés occasionnels qui proviennent de communautés culturelles.
Vous pouvez difficilement dans un programme volontaire, comme c'est le cas
actuellement, où l'employeur pourrait imposer une telle solution... Il y
a, par contre, par voie de compromis, bien des choses qu'on peut faire, mais
encore faut-il que le gouvernement accepte de négocier, ce qui n'est pas
le cas.
M. Marx: Mais si vous voulez négocier ces programmes
à l'intérieur d'un règlement, j'aimerais savoir si vous
allez tenir compte des intérêts des communautés
culturelles.
M. Harguindeguy: Oui.
M. Marx: Vous devez penser à avoir un programme, à
les intégrer davantage, et ainsi de suite.
M. Harguindeguy: Oui, nous y sommes disposés, mais encore
faut-il qu'on puisse en discuter. Actuellement, c'est le gouvernement . qui
décide et nous consulte. Malheureusement, il n'y a pas eu de programme
de soumis comme tel de façon formelle.
M. Marx: Mais vous êtes prêts à prendre des
mesures, comment dirais-je, positives...
M. Harguindeguy: Oui.
M. Marx: ...c'est-à-dire que votre syndicat est prêt
à prendre des mesures positives pour aider les membres des
communautés culturelles à bien s'intégrer.
M. Harguindeguy: On ne s'est jamais opposé à de
tels programmes en tant que syndicat. C'est dans l'application que l'on
voudrait pouvoir intervenir de façon concrète.
M. Marx: Je comprends que vous ne vous êtes pas
opposés, mais je veux savoir si vous êtes prêts à
prendre des mesures positives, concrètes.
M. Harguindeguy: Oui, assurément.
M. Marx: Oui? Vous êtes prêts à faire quelque
chose dans ce domaine.
M. Harguindeguy: Depuis vingt ans que le syndicat des
fonctionnaires existe, on a
toujours tenté de tenir compte des besoins de chacun. Il y a des
réalités auxquelles ont doit aussi faire face et nous y sommes
disposés. Nos membres, je pense, vont comprendre la situation. Se faire
imposer des choses par le gouvernement, comme ce peut être le cas
à l'heure actuelle, je ne pense pas que ce soit la solution.
M. Marx: D'accord, juste une dernière remarque. Vous avez
dit qu'il serait souhaitable de définir la clientèle cible dans
le règlement. Est-ce que ce serait une bonne définition, celle
que l'on retrouve dans la Loi sur la fonction publique, c'est-à-dire les
programmes d'accès à l'égalité qui visent notamment
les femmes, les membres des communautés culturelles, les personnes
handicapées ou les autochtones? Ainsi, on couvre quatre groupes cibles
dans la loi. Est-ce qu'on pourrait intégrer cette définition dans
le règlement, quoique avec le mot "notamment" cela donne la
possibilité d'avoir d'autres groupes cibles le cas
échéant?
M. Harguindeguy; Dans notre mémoire, à la page 5, nous
identifions trois clientèles cibles. Pour les autochtones qui sont
déjà couverts par la Loi sur la fonction publique, cela ne
présente pas de difficulté, même si nous avons des membres
autochtones, parce que nous avons des accords qui sont intervenus et qui font
en sorte que l'on favorise leur embauche, bien sûr, sur leur territoire.
On n'exige pas les mêmes conditions qu'à Québec ou à
Montréal. Nous n'avons pas rencontré d'opposition là non
plus.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de D'Arcy McGee. Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Mme Gosselin, M.
Harguindeguy, je crois que vous êtes accompagnés de M...
M. Robert (Jean): Robert.
Mme Harel: ...Robert, qui est vice-président du syndicat.
Mme Gosselin, vous nous dites dans votre mémoire que vous souhaitez que
la charte prévoie l'obligation de mettre en place des programmes
d'accès à l'égalité lorsque le diagnostic de
l'entreprise établi par la Commission des droits de la personne le
justifie. Je crois que la commission a besoin d'un peu d'éclaircissement
sur cette question parce que justement lorsqu'il y a plainte... En fait, vous
faites une distinction entre les programmes volontaires et vous souhaitez ou
semblez souhaiter une approche coercitive, dites-vous.
Présentement, avec le projet de règlement tel qu'il est
rédigé, lorsqu'il y a plainte de discrimination, la commission
peut procéder à des recommandations et peut donc s'adresser au
tribunal pour qu'il impose un tel programme. Ce que vous dites dans votre
mémoire trouve une réponse positive puisque, lorsqu'il y aurait
diagnostic que l'entreprise est le lieu d'une discrimination, la commission
pourrait recommander... Est-ce que je dois comprendre que vous souhaitez que la
commission puisse imposer?
Mme Gosselin: Actuellement, le règlement prévoit
qu'un programme soit implanté si la commission, à la suite d'une
plainte individuelle... Nous estimons que c'est en partie voué à
l'échec, parce qu'il faut d'abord qu'une personne se plaigne d'une
situation de discrimination. Notamment, dans le secteur non syndiqué,
j'ai de sérieuses réserves à savoir combien de personnes
oseront déposer une plainte à la commission, surtout quand ce
n'est pas un cas de discrimination flagrante, formelle, mais quand c'est
plutôt une discrimination du système général de
l'entreprise. Nous aurions préféré que soit faite une
enquête sur l'ensemble des entreprises du Québec et, partout
où il y a discrimination, qu'il doive y avoir programme et non pas
uniquement sur plainte déposée par des personnes.
Mme Harel: Je pense que c'est une interprétation qui
diffère peut-être car, à ma connaissance, le
règlement tel que rédigé permet à la commission
d'intervenir de sa propre initiative et non pas simplement à la suite
d'une plainte individuelle. (10 h 30)
Mme Gosselin: Et systématique, madame.
Mme Harel: De sa propre initiative, la commission peut intervenir
lorsqu'il y a diagnostic de discrimination systémique.
Mme Gosselin: Est-ce qu'elle va le faire pour l'ensemble des
entreprises du Québec?
Mme Harel: Elle va le faire lorsque le diagnostic de l'entreprise
le justifie. Je crois que c'était là l'objet de votre souhait
dans le mémoire. Vous nous dites: "Nous estimons que la charte aurait
dû prévoir l'obligation de mettre en place des programmes
d'accès à l'égalité lorsque le diagnostic de
l'entreprise établi par la Commission des droits de la personne le
justifie." Si tel est le cas, si le diagnostic d'une entreprise établi
par la commission le justifie, de sa propre initiative, la commission pourra
recommander un programme d'accès et s'adresser au tribunal pour le voir
imposer.
Mme Gosselin: Je dois vous dire que nous avons de sérieux
doutes là-dessus,
notamment, à cause de l'effectif de la commission. La commission
n'a sûrement pas l'effectif voulu aujourd'hui, même si on le
doublait demain matin, pour faire enquête sur l'ensemble des entreprises
du Québec. Il y a même des endroits où il n'y a pas de
personnel de soutien dans certains bureaux régionaux. On me donne
l'exemple de Sherbrooke. Je ne vois vraiment pas comment la commission
aujourd'hui... Notre demande va dans le sens que cela soit fait obligatoirement
pour l'ensemble des entreprises québécoises. Cela implique donc
les ressources nécessaires à la commission pour faire ce
travail-là.
Mme Harel: Je dois donc comprendre que vous souscrivez comme moi
à l'interprétation que la commission en a le pouvoir et vous
souhaitez qu'elle ait les effectifs pour voir à l'exercice de ce
pouvoir. Vous souscrivez au fait que la commission, dans le règlement
tel que rédigé, a ce pouvoir que vous souhaitez lui voir accorder
dans votre mémoire.
Mme Gosselin: Ce n'est pas tout à fait comme cela que
j'interprète l'article 1 qui dit que cela s'applique à toute
personne qui élabore, implante ou applique un programme sur
recommandation de la commission ou à la suite d'une ordonnance du
tribunal. Je ne suis pas si sûre que cela, même si on se
réfère à la loi, implique que la commission le fera
d'elle-même et non pas sur présentation d'une plainte. À
mon avis, ce n'est pas assez clair. Peut-être qu'on demande ce qu'on
appelle communément une paire de mitaines en québécois
mais...
Mme Harel: D'autre part, vous insistez sur le fait que les
programmes devraient être négociés. D'autres organismes
syndicaux avant vous et également celui qui vous suivra - enfin, on
verra - font des recommandations semblables. J'aimerais avoir votre opinion sur
la question suivante: Dans les cas où un syndicat pourrait être
opposé à un tel programme - il ne faut pas écarter cette
hypothèse, on sait que c'est vraisemblable; comme vous le soulignez
vous-même, tout cela fait appel à d'énormes changements de
mentalités et personne dans la société ne possède
la vertu sur ce plan - dans ces cas, est-ce qu'il ne serait pas
préférable que, par exemple, des programmes de ce type soient
l'oeuvre de comités tripartites: employeur, syndicat et
représentants de membres de groupes cibles qui sont absents au sein
même, soit de l'entreprise, soit de la fonction publique?
M. Harguindeguy: Cela dépend. On n'a pas
évalué cela, mais, au départ, même si on peut avoir
des craintes que certaines associations syndicales s'opposent à de tels
programmes, on n'est pas encore prêt à faire plus confiance
à l'employeur seul, en tout cas, tel que c'est le cas actuellement. Pour
ce qui est d'un comité tripartite, je présume que les gens
viendraient sans doute d'organisations, de comités culturels ou...
Comment le choix se ferait-il? Parmi ceux ou celles qui travaillent dans
l'entreprise? Ce serait quoi? Je ne le sais pas.
Mme Harel: Évidemment, cela supposerait une
définition des groupes cibles, après une étude de leur
absence chronique, soit dans une entreprise, soit dans un milieu de travail. Ce
sont ces membres de groupes cibles qui ne seraient pas présents à
une négociation employeur-employés-syndicat, puisqu'ils sont
absents du milieu de travail.
M. Harguindeguy: On n'a pas inventorié cette question,
parce que de notre côté nous sommes favorables à
l'implantation de tels programmes. Alors, on n'a pas recommandé de
solutions qui tiendraient compte d'une situation qu'on ne vit pas. On a,
d'ailleurs, dans nos demandes syndicales déposées la semaine
dernière, revendiqué des budgets assez importants
précisément pour qu'on puisse en faire effectivement. J'ai
l'impression que les employeurs du secteur privé vont agir comme le
gouvernement. Quand il y a une question financière en jeu, c'est souvent
un motif de refus.
Mme Harel: Je pense que vous disiez, avec raison, dans votre
mémoire que "toutes ces mesures vont parfois exiger des changements
importants des mentalités". J'imagine - je ne sais pas si c'est Mme
Gosselin ou M. Harguindeguy - que vous vous rappelez cette injonction, en 1982.
Vous vous attendiez certainement à ce qu'on en reparle ce matin. Vous
vous rappelez dans quel contexte tout cela s'était
présenté. Le ministère de l'Environnement avait mis en
place un programme de perfectionnement qui était accessible aux femmes
seulement et qui pouvait donner accès, je crois, à des promotions
et à des mutations. Cela se lisait comme ceci: "Offre de
libération pour études à temps plein ou à temps
partiel avec traitement aux employées à son emploi." Vous vous
rappelez que des plaignants masculins avaient soutenu devant les tribunaux que
c'était une mesure discriminatoire à leur égard. Je crois
qu'à l'époque le syndicat avait soutenu les plaignants.
Mme Gosselin: Oui.
M. Harguindeguy: On est fort aise d'en parler, d'ailleurs.
Mme Harel: J'aimerais bien vous en entendre parler.
Mme Gosselin: Je peux bien en parler aussi.
M. Harguindeguy: En tout cas, vous pouvez répondre en
premier et je répondrai après, s'il le faut.
Mme Gosselin: C'est encore là un signe de ce qui se passe
quand cela n'est pas négocié. La convention collective qui
était alors en vigueur a été signée le 31 janvier
1980. Les programmes ont été annoncés en février
1980. J'estime que l'employeur, comme c'était déjà un
document fini, aurait pu en parler avec l'organisation syndicale avant la
signature qui a eu lieu moins d'un mois avant et on aurait pu possiblement
convenir d'un texte au niveau de la convention collective - c'est une
convention collective qu'on avait à ce moment, non un décret
-prévoyant des programme d'accès à
l'égalité.
Comme il n'y avait rien dans la convention collective, nous nous sommes
retrouvés en situation d'avoir des membres qui s'estimaient
discriminés en fonction d'un article qui interdisait toute
discrimination. On a d'abord essayé de discuter avec ces gens pour leur
expliquer le bien-fondé des programmes mais, en tant que syndicat, quand
vous avez un membre qui décide de porter un grief sur un article de la
convention, vous ne pouvez pas refuser de le défendre parce qu'à
ce moment vous allez être passible de poursuites devant le Tribunal du
travail. Si cela avait été négocié ou si
l'employeur avait planifié l'ensemble de ces choses, on aurait pu
prévoir quelque chose pour le protéger. Mais, depuis ce temps, il
y a eu quand même beaucoup de discussions à l'intérieur du
syndicat. Il y a eu des positions officielles reconnues au niveau de la
pertinence, notamment, du rangement par niveaux et des programmes
d'accès à l'égalité. Cela a suscité bien des
discussions.
Mme Harel: Est-ce qu'on peut conclure qu'il y aurait maintenant
appui de la part des plaignants eux-mêmes à de tels
programmes?
M. Harguindeguy: Mais les plaignants, eux, en tant qu'individus,
on peut difficilement s'engager pour les 45 000... Mais, au niveau des
structures syndicales, on peut sûrement prendre des engagements.
D'ailleurs, même lors des séances de la commission parlementaire
sur la Loi sur la fonction publique, on a revendiqué pratiquement le
maintien de l'ancien article permettant justement le rangement par niveaux dans
le cas de programmes d'égalité en emploi parce qu'on a
estimé que les amendements proposés allaient moins loin,
donnaient une plus grande ouverture. Ils ne permettaient pas l'application de
tels programmes. Aujourd'hui, les ministères n'ont pas l'obligation de
faire le choix, parmi des femmes ou des communautés culturelles, sur des
gens qualifiés ou déclarés aptes à un même
niveau. La seule obligation qu'ils ont, s'ils ne prennent pas une femme dans
tel niveau, c'est d'expliquer pourquoi ils ne l'ont pas prise. C'est la seule
obligation qui demeure. Auparavant, quand il y avait des programmes, des
concours où la représentativité des femmes - disons qu'on
prend cet exemple - n'était pas adéquate, ne correspondait pas
aux statistiques québécoises, l'obligation était faite au
ministère de prendre parmi les personnes qualifiées dans le
premier niveau celles qui correspondaient au sexe. Malheureusement, la loi
actuelle va moins loin, a amoindri cette obligation. On s'est opposé ici
en commission parlementaire, mais cela n'a pas donné là non plus
les résultats escomptés.
Depuis, on a même négocié des distinctions, on a
même paraphé dans le décret certains articles qui
permettent l'application de tels programmes. On voulait les négocier
mais, malheureusement, on est deux parties à cela. Nous demandons des
rencontres mais quand l'employeur n'est pas disposé à le faire et
n'a pas d'obligation de le faire, comme c'est le cas à l'heure actuelle
puisque le gouvernement est soustrait de l'application de la charte, que
voulez-vous, on est obligé d'attendre.
Mme Harel: M. le Président, donc je comprends que la
recommandation qui est faite maintenant à la suite d'une
sélection par niveaux n'est pas nécessairement retenue ni
obligatoirement retenue mais, pour qu'elle soit écartée, il faut
que le ministère concerné justifie le refus d'adopter cette
recommandation.
M. Harguindeguy: C'est cela.
Mme Harel: C'est cela. Et, à votre connaissance, qu'est-ce
que cela a donné comme conséquence?
M. Harguindeguy: Bien, on n'est pas dans le secret des dieux pour
avoir les résultats des concours pour savoir effectivement, à tel
ministère, quel est le motif pour lequel il n'a pas choisi telle ou
telle personne. Cela va quand même plus loin aussi. Maintenant, le choix
ne se fait plus selon l'ordre du mérite pour les candidats. Maintenant,
rangement par niveaux, c'est selon le bon vouloir du gestionnaire. Donc, toutes
sortes de critères peuvent entrer en ligne de compte.
Mme Harel: Est-ce que vous êtes, en principe, favorables au
rangement par niveaux? C'est son application que vous remettez en cause.
Mme Gosselin: Pour les programmes d'accès à
l'égalité.
Mme Harel: Donc, vous êtes favorables.
M. Harguindeguy: On l'a revendiqué. Même aux
demandes syndicales déposées la semaine dernière, on veut
revenir à l'ancien système pour permettre de favoriser les
groupes cibles qu'on a identifiés.
Mme Harel: Je vous remercie.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci. Votre mémoire, M. Harguindeguy,
Mme Gosselin, M. Robert, est bref, ce qui est sûrement une
qualité, mais cela veut dire que vous procédez souvent par
allusions. Vous faites allusion à des choses que vous ne décrivez
pas parce que vous voulez faire un mémoire bref. On n'arrive pas
à tout suivre. Il se passe tellement de choses. Vous faites allusion
à des choses que je comprends, que je connais, mais il y en a d'autres
que je ne connais pas. J'aimerais vous entendre m'expliquer, le plus
brièvement possible, de quoi il s'agit. Quand vous parlez de classement
moquette, je sais à peu près de quoi il s'agit.
Évidemment, quand vous signalez que le gouvernement se soustrait
à l'application des articles 86.2 à 86.6 de la charte, là
encore je sais de quoi il s'agit.
Lorsque vous parlez de l'accent mis par le gouvernement sur le travail
à temps partiel, là encore je sais de quoi il s'agit. Mais vous
faites allusion à l'employeur qui n'a pas hésité à
révoquer les employées devenues handicapées, au
féminin, en cours d'emploi. Là je ne sais pas de quoi il s'agit.
Je voudrais vous demander de m'expliquer cela. Et, deuxièmement, Mme
Gosselin, si j'ai bien compris, a parlé d'une pépinière
où on a congédié toutes les femmes en gardant tous les
hommes. Est-ce que vous auriez l'obligeance de m'expliquer cela un peu plus?
Là je ne suis pas au courant.
M. Harguindeguy: D'abord, la première situation, c'est
que, selon les dispositions du décret qui régit nos conditions de
travail, un employé ou une employée a droit, pendant deux ans,
à l'assurance-salaire si elle devient en fait invalide en cours
d'emploi. Sauf que ce qui arrive assez régulièrement, c'est que,
lorsque les personnes après les deux ans sont encore invalides, les
ministères n'hésitent pas à révoquer la nomination
de ces personnes en prétendant que, comme elles ne sont plus aptes
à faire le travail pour lequel elles ont été
embauchées, il n'y a pas d'obligation de les garder à leur
emploi, même s'il y a une politique qui prévoit qu'il doit y avoir
au moins 2 % de handicapés, en fait, parmi les effectifs. Une bonne
façon d'atteindre au moins cette partie d'objectif sur ce programme, ce
serait au moins de faire en sorte de former les gens peut-être à
occuper d'autres emplois qu'ils ont la capacité physique de remplir,
alors qu'à l'heure actuelle il n'y a pas de programmes de cette
nature.
Ce qui veut dire que le ministère se contente de payer pendant
deux ans l'assurance-salaire, et, après deux ans, c'est fini, bonjour,
merci, même si on se retrouve avec des gens qui ont passablement
d'années de service et qui, parfois, ne sont pas nécessairement
admissibles à une bonne retraite non plus.
M. de Bellefeuille: Est-ce que ces cas sont nombreux et est-ce
qu'il y a des cas d'arbitrage ou des causes devant les tribunaux?
M. Harguindeguy: Ils sont assez nombreux, compte tenu du nombre,
bien sûr, de personnes qui deviennent invalides. Il y a des causes qui
ont été portées jusque devant les tribunaux. J'ai
même la situation d'une personne dont le cas a été
déclaré accident du travail quelque peu tardivement par la
Commission des affaires sociales et que le ministère ne veut même
pas reprendre au ministère des Transports. C'est un cas bien
récent aussi. Pourtant, il y a un tribunal habilité au
Québec à déterminer si une personne est invalide ou non,
qui a rendu un jugement, qui déclare que la personne a subi un accident
du travail, ce qui impliquerait, nécessairement, pour le
ministère de continuer à la payer, en fait, pour elle, de
recevoir les prestations. Mais le ministère se refuse à la
reprendre à son emploi même si elle ne peut pas travailler
physiquement. (10 h 45)
II y a d'autres cas de personnes qui ont subi, qui ont vécu des
périodes d'alcoolisme, de toxicomanie, pour lesquelles on a
proposé des solutions, d'adhérer à des cliniques, de subir
des stages, des traitements, mais le ministère maintient la
révocation pure et simple. On est obligé d'aller devant
l'arbitre, sauf que l'arbitre est tenu aussi de statuer en fonction du
décret qui ne prévoit pas, malheureusement, dans ces cas,
l'obligation de garder à son emploi ces personnes. Donc, c'est
uniquement par voie de compromis qu'on peut y arriver. Cela arrive dans
certains ministères. D'autres, par contre, sont moins réceptifs,
parce qu'il y a aussi l'obligation... C'est là qu'on pense que le
Conseil du trésor est juge et partie, parce que c'est lui qui autorise
les effectifs, qui exige une réduction des effectifs de l'ordre de 1 %
par six mois. Comment voulez-vous que le ministère, qui doit
réduire les effectifs, ne prenne pas l'occasion toute rêvée
qui lui est donnée de réduire un poste lorsque quelqu'un est dans
cette situation?
C'est ce qu'on déplore et ce qu'on revendique depuis de
nombreuses années déjà. On le revendique à nouveau
dans les prochaines négociations, mais ce sont des situations assez
fréquentes.
Concernant les personnels des pépinières, ce qu'on appelle
nos "piqueuses" et nos "repiqueuses" - en tout cas, je ne sais pas si vous
connaissez le système - dans les pépinières du
Québec, il y a un certain nombre d'employés qui sont
embauchés au printemps, en avril et mai, pour "piquer" les plants et
faire un certain travail là-dessus. Après une période de
deux ou trois mois, ces gens doivent revenir pour les "repiquer",
c'est-à-dire mettre de la terre autour et tout le reste.
Généralement, jusqu'à présent, c'étaient des
emplois pour les femmes.
Cependant, maintenant, le ministère de l'Énergie et des
Ressources, auparavant, le ministère des Terres et Forêts aussi,
sous la responsabilité de M. Bérubé, à
l'époque, s'est refusé de créer des listes de rappel pour
ces personnes qui leur aurait donné un droit de revenir
nécessairement au mois de mai et aux mois de juillet et
d'août.
M. de Bellefeuille: Comme cela existe dans d'autres
ministères?
M. Harguindeguy: C'est cela.
M. de Bellefeuille: Le ministère des Transports et...
M. Harguindeguy: Ces personnes, majoritairement des femmes,
auraient donc eu un droit de revenir travailler, sauf que, comme le
ministère s'est refusé à l'obligation contractuelle, dans
ce cas, c'est le gestionnaire local qui fait son choix des personnes qu'il
embauche. Par accident -j'imagine qu'on pourra nous le dire
éventuellement - un gestionnaire s'est permis de mettre à pied
toutes les femmes, de ne pas les rappeler et d'embaucher des hommes, alors
qu'auparavant, depuis de nombreuses années, des femmes travaillaient
là. À Rimouski et à Sainte-Luce, c'est un peu la
même situation aussi. L'employeur et les gestionnaires gardent une
mainmise sur ce personnel féminin, parce que, si ces personnes veulent
travailler, elles n'ont pas d'autre choix que d'être soumises.
Malgré une revendication pour avoir des listes, comme cela ne concorde
pas avec les définitions bien formelles du décret, le
ministère dit: Comme cela ne dure pas trois mois par année, je ne
fais pas de liste de rappel, même si cela fait pratiquement
déjà une décennie que ces personnes sont à
l'emploi.
M. de Bellefeuille: Quel est le lieu de travail du gestionnaire
dont vous avez parlé ou, en tout cas, sa ville?
M. Harguindeguy: II est local. M. de Bellefeuille:
Local.
M. Harguindeguy: Oui, il est là-bas dans les
pépinières. En fait, c'est lui qui a donné la
dernière directive. Est-ce que l'ordre vient de plus haut? On n'a
pas...
M. de Bellefeuille: II y a combien de travailleurs et de
travailleuses impliqués?
M. Harguindeguy: Actuellement?
M. de Bellefeuille: Dans ce...
M. Harguindeguy: Dans ce secteur-là?
M. de Bellefeuille: Le fait qu'on n'a pas rappelé des
employées femmes et qu'on a engagé, à la place, des
hommes.
M. Harguindeguy: Une femme a porté plainte actuellement,
mais, globalement, dans l'ensemble des pépinières, cela peut
regrouper environ 300 personnes qui sont majoritairement des femmes pour faire
ce travail spécifique. C'est peut-être un revenu d'appoint pour
ces personnes, localement. En fait, les pépinières sont toutes en
région.
M. de Bellefeuille: Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de Deux-Montagnes. Mme la députée de
Jonquière.
Mme Saint-Amand: Merci, M. le Président, Mme Gosselin, M.
Harguindeguy, M. Robert. Je vais revenir sur certains propos qui ont
été traités depuis la présence à la table
des groupes. J'aimerais revenir un peu sur les communautés culturelles.
On a reçu, depuis le début de la semaine, plusieurs
représentants et représentantes de différentes
communautés culturelles qui nous ont, entre autres, souligné,
lorsqu'on a parlé, justement, de la fonction publique et de la
difficulté pour ces personnes d'être intégrées
à la fonction publique, qu'il leur est apparu important que les avis de
concours de recrutement soient publiés dans leur langue et dans les
médias de ces différentes communautés ethniques. Il semble
que cela devait se faire et que, malheureusement, cela ne s'est pas fait
suffisamment, en tout cas, pour que cela puisse être valable comme
recrutement. Ils avaient comme preuve différents postes à
d'autres niveaux, à un moment donné, où des avis de
concours ont été publiés dans les médias des
communautés ethniques. Immédiatement, les effets ont
été assez probants en ce sens que de nombreuses candidatures ont
été posées. Est-ce que vous partagez cette opinion?
Croyez-vous que le gouvernement devrait davantage publier les
avis de concours dans ces médias?
M. Harguindeguy: II le devrait probablement, mais c'est l'Office
des ressources humaines qui est responsable de la promotion de ces concours.
Nous ne sommes pas présents non plus à l'Office des ressources
humaines. C'est un organisme gouvernemental. Cela va de soi que les avis de
concours devraient être publiés dans les journaux dans la langue
maternelle des candidats potentiels. Quant à nous, on n'yverrait
sûrement pas d'objection. On n'est pas partie dans ce processus.
Mme Saint-Amand: Pour eux cela ne semblait pas évident que
le problème de partir de Montréal pour venir vivre à
Québec c'était pour cela qu'ils n'étaient pas
présents à la fonction publique. C'était surtout
plutôt qu'ils n'étaient pas informés de la
possibilité de...
Mme Gosselin: C'est très possible. Comme on dit aussi en
plus: Vous n'avez pas la sécurité d'emploi automatique maintenant
et vous pouvez être mis à pied pour un manque de travail si vous
n'avez pas deux ans de service, et à quelqu'un d'autre cela implique un
déménagement, etc., ils peuvent y penser à deux fois avant
de... Il y a quand même des frais assez importants là-dessus. Il
faudrait peut-être prévoir des mesures en ce sens aussi.
Mme Saint-Amand: Sauf que, compte tenu de la rareté des
postes disponibles aujourd'hui, les gens sont prêts à tout pour
avoir un job, même à faire un déménagement.
J'aimerais aussi vous parler des femmes à l'intérieur de
la fonction publique. Vous nous avez révélé des choses
intéressantes, bien sûr. Voir que les postes d'agent de bureau
sont devenus des postes beaucoup moins alléchants maintenant qu'on y
retrouve plus de femmes, c'est assez révélateur. Est-ce qu'il y a
eu de nombreux cas qui ont été portés à votre
connaissance en ce qui concerne des femmes qui auraient pu se sentir
discriminées et qui ont été refusées pour une
raison ou pour une autre à la fonction publique dans différents
postes? Est-ce que vous avez constaté une meilleure information chez les
femmes sur la possibilité d'exercer certains recours lorsqu'elles se
sentent discriminées ou qu'il y a vraiment discrimination?
Mme Gosselin: Cela dépend. Il faut faire la distinction
entre le recrutement et la promotion comme telle. Le recrutement on n'est pas
partie sur cela et on n'aura pas d'information comme telle en tant que
syndicat. En ce qui concerne la promotion, je crois que graduellement il y a
plus de femmes qui postulent, mais, encore là, comme elles sont dans des
ghettos d'emploi ce n'est pas toutes les promotions qui leur sont accessibles.
Une façon qui serait une mesure de soutien, donc qui favoriserait
principalement les femmes mais qui servirait aussi les hommes tout en
favorisant la promotion des femmes dans la fonction publique serait de modifier
les modes de dotation actuellement en vigueur et de prioriser la promotion,
avant d'aller à l'affectation et à la mutation. Actuellement,
habituellement les ministères vont d'abord par affectation, mutation et
ensuite seulement par promotion. Ce qui fait que le nombre de promotions est
limité. Si on procédait en priorité par la promotion, vous
auriez probablement beaucoup d'amélioration du plan de carrière
des femmes, mais aussi des hommes. C'est quand même une mesure qu'on peut
appeler de soutien qui pourrait servir à certains hommes et, pour les
femmes actuellement dans des ghettos d'emploi où elles sont
majoritaires, ce serait sûrement une mesure intéressante. On l'a
réclamée depuis longtemps, d'ailleurs, même lors des
dernières négociations ou semblant de négociations, sans
succès, et on la réclame évidemment encore pour les
prochaines négociations.
Mme Saint-Amand: M. le Président, une dernière
question.
Le Président (M. Gagnon): Oui, Mme la
députée de Jonquière.
Mme Saint-Amand: Merci, M. le Président. Une
dernière question. Est-ce que votre syndicat - peut-être que oui,
je pose la question - a déjà fait une analyse des postes qui
permettraient aux femmes de se sortir de certains ghettos d'emploi et d'avoir
accès assez facilement à...
Mme Gosseiin: C'est-à-dire?
Mme Saint-Amand: C'est-à-dire de faire faire l'analyse des
postes actuellement au sein de la fonction publique, des possibilités de
promotion, comme vous dites, qui sortiraient les femmes des ghettos d'emploi
où elles sont actuellement confinées.
Mme Gosseiin: Si l'employeur procédait en priorité
par promotion et en tenant compte de l'expérience acquise, même
lorsqu'on est employé de secrétariat - dans différents
types d'emploi, on en tient d'ailleurs plus compte - ce serait probablement
facile d'accéder à plusieurs postes, notamment au niveau
technique. Peut-être pas à l'ensemble des techniques très
spécifiques mais à plusieurs postes de niveau technique, que ce
soit à l'aide socio-économique, que ce soit comme technicien
en information ou en administration. Dans beaucoup d'autres domaines
comme cela il y aurait sûrement beaucoup de possibilités
actuellement si on y allait d'abord par promotion, par exemple. Avec le
système actuel lorsqu'on arrive à la promotion, il ne reste
presque rien, c'est quasiment résiduel.
Mme Saint-Amand: Une petite dernière question. Pensez-vous
que l'ancienneté est une entrave à l'accession des femmes
à certains postes?
Mme Gosselin: Dans notre secteur, c'est un peu différent.
Vu que les femmes sont dans des ghettos d'emploi, ce sont toutes des femmes qui
ont de l'ancienneté. Ce serait différent si vous étiez au
niveau professionnel, où les femmes sont entrées plus tard. Or,
sauf dans quelques cas très spécifiques, au niveau technique,
pour la plupart, ce sont des femmes à qui on demande une promotion,
alors, il n'y a pas de problème.
M. Harguindeguy: Et l'ancienneté n'est pas, non plus, un
critère pour la promotion dans la fonction publique.
Mme Saint-Amand: Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de D'arcy McGee, une courte question.
M. Marx: Une courte question, cela demande une courte
réponse aussi. J'aimerais vous demander quel est le ministère ou
l'organisme gouvernemental qui a la meilleure performance en ce qui concerne
l'engagement des membres des communautés culturelles.
M. Harguindeguy: Le ministère de l'Immigration à
Montréal, parce qu'il est là seulement. Mais, ailleurs, il y a
peut-être l'aide sociale pour la région, mais c'est limité
à Montréal quand même en général,
actuellement. 11 y a peut-être aussi la Régie de l'assurance
automobile, le ministère de la Main-d'oeuvre et de la
Sécurité du revenu.
M. Marx: La Commission des droits de la personne, il ne faut pas
l'oublier.
M. Harguindeguy: Oui, mais ils ne sont pas syndiqués chez
nous, non plus. Ils sont non syndicables. Le gouvernement n'a pas voulu de
syndicat.
M. Marx: Ils ont leur propre syndicat.
M. Harguindeguy: Oui, c'est ça, mais ils ne sont pas chez
nous dans la fonction publique, alors je ne peux pas parler de l'embauche dans
ces milieux-là. C'est limité quand même dans bien des
ministères, même au ministère des Transports qui, à
Montréal, pourrait peut-être faire un effort particulier pour
cette clientèle dans certains domaines, dont l'entretien de routes. Il
n'en fait pas tellement plus non plus.
Le Préaident (M. Gagnon): Merci, Mme Gosselin, M.
Harguindeguy, M. Robert. J'invite maintenant la Fédération des
travailleurs du Québec (FTQ) à prendre place. Nous allons
suspendre nos travaux pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 10 h 57)
(Reprise à 11 h 2)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous souhaitons la bienvenue à la Fédération des
travailleurs du Québec et, avant de vous laisser la parole, M. Daoust,
je tiens à vous rappeler que vous avez une enveloppe de 55 minutes, soit
environ 20 minutes pour livrer votre message et 35 minutes de dialogue avec les
membres de la commission.
Immédiatement, je vous laisse la parole en vous demandant de nous
présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît!
FTQ
M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup, M. le Président. La
délégation de la FTQ est composée des personnes suivantes:
la vice-présidente de la FTQ, Mme Marie Pinson-neault, qui est à
ma droite; la présidente du comité de la condition
féminine de la FTQ, Mme Carole Robertson; la responsable du service de
la condition féminine de la FTQ, Mme Carole Gingras-Larivière et
moi-même, Fernand Daoust, secrétaire général.
Je crois, M. le Président, que la meilleure façon de
procéder, à ce moment-ci je comprends que nous avons cette
enveloppe d'à peu près une heure ou 55 minutes - ce serait bien
de vous lire, en y ajoutant peut-être ici et là quelques
très brefs commentaires, ce mémoire que nous vous soumettons.
La FTQ, qui représente 450 000 travailleuses et travailleurs
répartis dans tous les secteurs d'activité et toutes les
régions du Québec, accueille favorablement cette occasion
d'exprimer son point de vue devant cette commission parlementaire sur le projet
de réglementation lié à la partie III de la Charte des
droits et libertés de la personne, concernant les programmes
d'accès à l'égalité.
Quand nous mentionnons, dans notre mémoire, que la FTQ
représente 450 000 travailleurs et travailleuses, nous n'indiquons pas
le nombre de femmes que la FTQ
représente. Voilà déjà cinq ans que la FTQ
s'est livrée à un examen rigoureux de son membership à
l'égard de la présence des femmes dans ses rangs. Elle a
décelé, à ce moment-là, sur un
échantillonnage d'environ 300 000 travailleurs et travailleuses
syndiqués, qu'il y en avait 100 000 à la FTQ. Nous sommes
à ce moment-ci en train de faire le même type d'examen et nous
dégagerons dans quelques mois - c'est un exercice qui n'est pas d'une
simplicité inouïe - les données pour les rendre publiques
à l'égard du nombre de femmes à la FTQ. Mais nous
estimons, de façon générale, qu'en gros, le tiers du
membership de la FTQ est composé de femmes.
Cependant, nous déplorons - je reviens au mémoire - les
délais qui se sont écoulés entre le 18 décembre
1982, au moment où le principe a été reconnu dans la
charte et le moment où la réglementation entrera en vigueur et
permettra l'application des dispositions contenues dans cette charte. Durant ce
temps, plus d'un projet de réglementation a circulé. La FTQ
recevait le 5 juillet 1983 un projet de règlement élaboré
par le gouvernement, qui devait être soumis à une consultation
à l'automne de cette même année. En octobre 1984, nous
recevions un second projet où l'on réclamait nos opinions en vue
d'un texte à être soumis à la commission parlementaire.
Mais ce n'est qu'en mai 1985, lors de la conférence
socio-économique sur la sécurité économique des
Québécoises, que le ministre de la Justice a proposé une
série de mesures pour l'implantation de programmes d'accès
à l'égalité. En juin dernier, votre gouvernement
annonçait enfin la tenue d'une commission parlementaire sur un projet de
règlement qui fournirait les balises aux employeurs dans la mise en
place de programmes d'accès à l'égalité. À
notre sens, tous ces délais son inacceptables et témoignent des
hésitations que le gouvernement manifeste dans ce dossier.
Nous déplorons aussi l'absence d'engagement gouvernemental pour
la concrétisation des programmes d'accès à
l'égalité. La FTQ est extrêmement déçue du
geste qu'a posé le gouvernement en amputant de la charte
québécoise le premier alinéa de l'article 86.2 qui
soustrait à la réglementation tous les programmes volontaires et
tous les programmes gouvernementaux. Il semble que le gouvernement ait
été plus sensible aux objections du patronat qu'aux
revendications du mouvement syndical et des groupes de femmes.
Notre intervention devant cette commission portera principalement sur
l'implication des syndicats à toutes les étapes du programme afin
de nous assurer qu'ils répondent aux attentes des travailleurs et des
travailleuses.
Notre argumentation s'appuiera sur les principes suivants: Le mouvement
syndical a toujours revendiqué et lutté pour la plus grande
justice sociale. Notre expérience en matière de
négociation a énormément contribué à
réduire les inégalités en milieu de travail et a
suscité des changements importants dans notre société.
Comme le Code du travail reconnaît les syndicats comme partenaires
sociaux pour la négociation des conditions de travail, la
réglementation sur les programmes d'accès à
l'égalité doit en faire autant. C'est pourquoi nous jugeons que,
comme centrale syndicale, nous sommes bien placés pour revendiquer la
négociation des programmes d'accès à
l'égalité et nous n'acceptons pas d'être exclus d'un
processus où les travailleuses et les travailleurs sont concernés
au plus haut point.
Faisons l'historique de nos positions. Durant toute la période
où cette consultation se faisait attendre, la FTQ n'a cessé de
travailler sur le dossier des programmes d'accès à
l'égalité et ses énergies ont porté
spécifiquement sur les problèmes de l'accès à
l'égalité pour les femmes en emploi.
Sans exclure les autres groupes cibles, nous considérons que les
femmes constituent un groupe majoritairement défavorisé
puisqu'elles forment la majorité de notre population et constituent plus
de 40 % de la population active. À notre sens, les inclure au même
titre que les autres minorités tend à cacher les problèmes
spécifiques qu'elles rencontrent et les solutions qui peuvent être
différentes de celles qui seraient adéquates pour les autres
groupes.
De toute façon, quel que soit le groupe, les femmes en
constituent une grande partie et font face à un double handicap social.
Nous considérons être bien placés pour revendiquer
l'accès à l'égalité dans la société
en général et, plus particulièrement, en emploi.
Dès l'automne 1979, la FTQ tenait un colloque sur les femmes et
le travail. Nous étions alors la seule organisation syndicale et le seul
organisme au Québec à réclamer l'implantation de
programmes d'accès à l'égalité volontaires et
négociés là où un syndicat est présent dans
le milieu de travail. À la suite de ce colloque, nous dégagions
la position que nous avons défendue en 1981 lors de la commission
parlementaire sur la justice alors que nous avions réclamé, et je
cite: "Que la Charte des droits et libertés de la personne soit
amendée de sorte que l'établissement de programmes d'action
positive visant à promouvoir la main-d'oeuvre discriminée pour
une période transitoire soit autorisé, comme dans la
législation fédérale. Les programmes d'action positive ne
devraient pas être obligatoires mais être négociés
librement et appliqués conjointement avec les syndicats, là
où ils sont présents."
Depuis, nous avons tenu des activités
sous diverses formes: consultations et colloques sur les programmes
d'accès à l'égalité, à l'occasion de la
Journée internationale des femmes, et nous avons voté une
déclaration de politique en congrès où nous
réclamions l'obligation pour tous les employeurs de négocier les
programmes d'accès à l'égalité. La FTQ n'en est
donc pas à ses premières armes en cette matière et se sent
prête à jouer un rôle important dans l'implantation des
programmes d'accès à l'égalité.
Le mandat de la commission. C'est sous le prétexte de favoriser
une approche volontaire, assurant une soi-disant implantation plus rapide,
moins bureaucratique et moins tatillonne, que le gouvernement a choisi de
soustraire l'article 86.2 qui stipule que "tout programme d'accès
à l'égalité doit être approuvé par la
commission à moins qu'il ne soit imposé par le tribunal."
Bien que cette consultation étudie le projet de
réglementation proposé par le gouvernement, nous refusons de
garder le silence face à ce geste. Nous ne souscrivons pas à
cette idée puisqu'il semble que l'objectif visé par le
gouvernement est de multiplier l'existence de programmes d'accès
à l'égalité sous quelque forme que ce soit, sans se
soucier qu'ils répondent nécessairement aux attentes des
travailleuses et des travailleurs.
D'autre part, il faut souligner que l'article 86.7 stipulant que, pour
les programmes gouvernementaux, les articles 86.2 à 86.6 ne s'appliquent
pas aux programmes visés dans le présent article, est
carrément inacceptable. Le gouvernement ne donne aucune garantie qu'il
assumera le respect des principes qu'il mettra de l'avant et cela constitue une
exception qui va totalement à l'encontre de l'esprit de la charte.
Comment ne pas douter du gouvernement quand il refuse lui-même la
surveillance de la commission? Si le gouvernement refuse lui-même de
donner l'exemple, comment espérer que ces programmes s'implanteront dans
le secteur privé? Pour la FTQ, les programmes d'accès à
l'égalité doivent être mis sur pied à tous les
niveaux, y compris au sein de l'administration publique, c'est-à-dire
dans tous les ministères et organismes du gouvernement.
À cet effet, nous nous interrogeons sur le sens du mot
"organisme" qui apparaît à l'article 86.7 de la charte. À
notre avis, il mérite d'être précisé car il laisse
place à beaucoup d'ambiguïté. C'est pourquoi nous
recommandons que la réglementation inclue une définition
précise du mot "organisme" ainsi que la liste des organismes
concernés dans une annexe au règlement.
La nécessité de reconnaître les syndicats. À
l'examen des expériences tentées sur la scène
fédérale, il apparaît clairement que la vaste
majorité des programmes a été implantée sur une
base volontaire et a été une initiative unilatérale des
employeurs. Comme on pouvait s'y attendre, ces programmes ont bien peu
modifié la situation qu'ils visent à corriger.
À cet égard, le rapport du juge Abella est très
éloquent. Ce rapport fait état des expériences entreprises
dans la fonction publique fédérale et fait le constat du peu de
changements apportés par ces programmes permis par la Loi canadienne sur
les droits de la personne depuis 1978. On peut citer comme exemple qu'en 1983,
si 40 % des effectifs de la fonction publique fédérale
étaient des femmes, elles n'occupaient que 5,4 % des postes de gestion.
Par contre, 82 % des postes de soutien administratif, principalement les postes
de commis, étaient occupés par des femmes. Ce qui nous
amène à conclure que les employeurs ont une bien mauvaise
connaissance du concept de l'action positive. On n'a qu'à regarder les
formes qu'ont prises certaines initiatives au sein de quelques
sociétés de la couronne: des circulaires, des directives
où l'on ne retrouve bien souvent que des déclarations
d'intention. Somme toute, ces programmes ont bien peu contribué à
améliorer concrètement l'accès des femmes à
l'emploi. (11 h 15)
À notre sens, on ne peut dissocier dans le règlement le
rôle des syndicats pour chacune des phases du programme. Le contenu des
programmes ne pourra se restreindre qu'à un seul aspect d'un
problème qui se retrouve dans l'entreprise. Ils doivent être
complets et pour cela, ils nécessitent la participation des syndicats
dont le rôle fondamental est de combattre les inégalités et
d'en rechercher des solutions. Nous réaffirmons la force que constitue
un groupe de travailleuses et de travailleurs qui adhèrent à un
syndicat. Cette force peut se manifester de différentes façons,
compte tenu des réticences manifestées par l'employeur. À
ce chapitre, le mouvement syndical a développé une expertise
intéressante par le biais de la négociation collective afin de
garantir l'amélioration réelle de la situation des travailleuses.
Après tout, nos syndicats ne sont-ils pas les mieux placés pour
revendiquer des changements au plan des conditions de travail, de
l'organisation du travail, de l'aspect salarial et le reste? Pour nous, aucun
doute ne subsiste. Il ne faut pas laisser ces programmes uniquement entre les
mains des employeurs.
Nous sommes persuadés que la principale faiblesse des programmes
résidera dans la marge de manoeuvre qui leur sera laissée.
L'élaboration de leur contenu ne doit absolument pas être prise
à la légère, d'où l'importance d'impliquer
très activement les syndicats dans la réglementation et la
nécessité de reconnaître à la Commission
des droits de la personne le droit d'en approuver le contenu et de
surveiller l'implantation de ces derniers.
Les conditions à respecter pour l'implication des syndicats: Pour
nous, il est impensable que des programmes d'accès à
l'égalité s'élaborent en dehors du processus normal de
négociation car ils traiteront de matières sujettes à la
négociation. Des programmes négociés auraient l'avantage
d'avoir fait l'objet de consultations parmi les travailleurs et les
travailleuses, d'être mieux connus et mieux reçus. La
procédure de griefs ou toute autre procédure de règlement
similaire s'appliquerait en cas de difficulté, ce qui permettrait le
règlement du problème par les parties
intéressées.
C'est pourquoi les conditions suivantes doivent être
respectées:
Dans tous les cas où il existe un syndicat présent dans
l'entreprise, il doit être reconnu à part égale et
entière pour négocier le programme.
Les syndicats doivent être impliqués dans toutes les phases
du programme, y compris celle de la planification.
Il faut garantir aux syndicats le droit de négocier le contenu
des programmes d'accès à l'égalité à
l'intérieur des conventions collectives. ll faut permettre la
création de comités d'accès à
l'égalité paritaires sur les lieux de travail.
Dans ce sens, le premier article du règlement qui stipule qu'il
s'applique à toute personne qui élabore, implante ou applique un
programme d'accès à l'égalité sur recommandation de
la commission ou à la suite d'une ordonnance du tribunal, nous
apparaît déterminant puisqu'il indique dans quelle situation
s'applique le règlement. Tel que présenté, il se limite
à deux types de cas, soit: les programmes recommandés et ceux
imposés par un tribunal. Nous sommes inquiètes et inquiets de la
portée de ce règlement car il limite l'application des
programmes. À ce chapitre, la FTQ recommande que la
réglementation s'applique à toute personne qui élabore,
implante, applique un programme d'accès à
l'égalité, peu importe qu'il s'agisse de programmes volontaires,
recommandés par la commission ou imposés par un tribunal. Dans le
cas où un syndicat est en place, le règlement doit prévoir
que les programmes soient obligatoirement négociés. De plus, il
faudra également que le règlement inclue des dispositions pour
les cas de l'administration publique, des contrats gouvernementaux
donnés aux entreprises ainsi que dans le cas des subventions
gouvernementales.
Nous réitérons l'importance de l'intervention de la
Commission des droits de la personne sur le plan de l'approbation de tout
programme d'accès à l'égalité. De plus, nous
recommandons que la réglementation crée l'obligation pour tout
employeur de former un comité paritaire sur l'accès à
l'égalité dans chaque milieu de travail. Sa tâche
consistera à élaborer le contenu du programme, à voir
à son application, à l'évaluation et à la
coordination. Sa composition inclura en parts égales des
représentantes et représentants de l'employeur et du syndicat,
ces derniers seraient choisis par la partie syndicale. Ce comité devra
posséder des pouvoirs décisionnels et devra formuler des
recommandations à la suite des analyses effectuées.
Les subventions et contrats gouvernementaux. Au terme d'une politique de
condition préalable, il faut prévoir pour les entreprises qui
obtiendront des contrats du gouvernement ainsi que celles qui recevront des
subventions gouvernementales l'obligation contractuelle de se donner de
véritables programmes d'accès à l'égalité.
Leur contenu devrait recevoir l'approbation de la commission et satisfaire aux
lignes directrices de la loi. Ces programmes devraient aussi être
négociés entre les parties. La FTQ considère que
l'obligation contractuelle est un bon moyen de garantir la mise en application
de vrais programmes. À cet effet, nous nous interrogeons sur le fait que
le gouvernement ait décidé d'appliquer les mêmes
barèmes que sur le plan fédéral. Il aurait mieux valu les
adapter à notre structure industrielle pour faire en sorte qu'un bon
nombre de petites et moyennes entreprises soient visées. Par
conséquent, nous recommandons que cette obligation s'applique à
toute entreprise qui contracte avec le gouvernement et à celles qui
obtiennent des subventions. Il devra s'agir des entreprises qui embauchent au
moins 50 employés(es) et qui obtiennent des subventions ou contrats pour
un montant minimum de 100 000 $.
Par ailleurs, sur le plan fédéral, le projet de loi en
matière d'équité en emploi prévoit ce type
d'obligation contractuelle. Ainsi, plusieurs entreprises présenteront
des soumissions au fédéral et au provincial. Or, dans la loi
fédérale, il n'est nullement défini de quels types de
mesures il s'agira. Les mesures de redressement étant fondamentales dans
ce type de programmes, il faudra s'assurer que les entreprises répondent
aux exigences de la loi québécoise, d'où l'importance de
soumettre l'obligation contractuelle à la réglementation.
Le rôle de la Commission des droits de la personne. Nous
reconnaissons pleinement le rôle d'aviseur-conseil et
d'organisme-ressource que représente la Commission des droits de la
personne, d'autant plus que, depuis sa création, elle a
développé une expertise pour reconnaître la discrimination.
Nous convenons qu'il revient à cet organisme de jouer un rôle de
soutien technique, de recueillir de l'information et d'en
interpréter
tout son sens dans le domaine des programmes d'accès à
l'égalité. De plus, nous insistons pour que la commission assume
la surveillance des programmes car, sans cela, les progrès seront lents
et incertains. Pour réaliser ces objectifs, nous soutenons la
création d'une direction de l'accès à
l'égalité en emploi au sein de la Commission des droits de la
personne, qui veillera, entre autres, à approuver le contenu des
programmes et à s'assurer que ceux-ci répondent aux lignes
directrices de la réglementation.
Avec votre permission, M. le Président, je souhaiterais bien,
à moment-ci, que Mme Marie Pinsonneault, vice-présidente de la
FTQ, puisse continuer à faire la lecture de notre document. Mme
Pinsonneault est aussi membre du comité de la condition
féminine.
Le Préaident (M. Gagnon): Mme
Pinsonneault.
Mme Pinsonneault (Marie): Du concept à la
réalité: les éléments d'un programme d'accès
à l'égalité. Le contenu d'un programme est loin
d'être un changement accidentel et instantané. Il doit suivre une
démarche planifiée. Il doit permettre l'étude de
l'identification des problèmes dans le milieu de travail et fournir les
données précises pour établir les objectifs et
vérifier les résultats. Cette analyse doit suivre certaines
phases fondamentales qui concernent notamment la planification, l'analyse de la
situation de l'emploi, la conception du programme, etc.
La partie II du règlement est directement liée à
ces éléments. Nous considérons qu'elle répond
sensiblement à nos attentes. Nous désirons souligner la
précision des termes utilisés dans cette partie. Les commentaires
qui suivent porteront sur les aspects techniques qui se retrouvent dans ce
chapitre.
La discrimination systémique. Puisque les programmes
d'accès à l'égalité s'attaquent à la
discrimination systémique, il s'agit de rechercher les effets des
pratiques d'emploi sur les femmes collectivement. Pour identifier ce type de
discrimination, il faut effectuer le portrait de l'entreprise avant de
définir le contenu du programme afin qu'il reflète les attentes
des travailleuses et des travailleurs. De cette façon, un diagnostic
pourra être posé en vertu de la réalité des
inégalités et dégager des solutions pour s'en sortir.
La FTQ accueille favorablement le contenu de l'article 2 qui
établit les principes de base d'un programme d'accès à
l'égalité. Quant à l'article 6, il traite des effets de la
discrimination systémique. Il permet d'identifier les pratiques d'emploi
qui ont un caractère discriminatoire, ainsi que les obstacles qui
compromettent indirectement l'accès des femmes à certains
emplois.
La formulation des sujets mentionnés nous convient, car elle
inclut une définition de la discrimination systémique,
élément nécessaire pour identifier des solutions qui
doivent être adaptées à chaque milieu de travail.
En deuxième lieu, les analyses d'effectif et de
disponibilité. Certes, l'analyse du système s'effectue en
relation avec une analyse d'effectif et une analyse de disponibilité.
Dans ce dernier cas, nous la situons surtout par la détermination des
objectifs et de l'échéancier. Nous admettons que tout exercice
est nécessaire et se situe dans la phase de la planification des
données où, comme on l'a souligné
précédemment, les deux parties, en l'occurrence l'employeur et
les syndicats, y travaillent conjointement.
Cependant, dans le cas de l'analyse de la disponibilité, nous en
contestons le sens. Nous comprenons qu'il s'agit de repérer les femmes,
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de
l'entreprise, qui, en raison de leur compétence, peuvent accéder
à des postes ou promotions et inclure celles qui peuvent acquérir
la compétence dans un délai raisonnable. Nous espérons que
cette façon de procéder ne constituera pas un nouveau moyen pour
l'employeur de sélectionner arbitrairement les femmes. Si cela
était, nous serions obligés de nous élever contre ce
moyen, car notre position vise à favoriser d'abord les femmes qui font
déjà partie des effectifs de l'entreprise.
Dans le cas de l'analyse d'effectif, nous soutenons qu'elle vise
à déterminer s'il y a sous-utilisation ou
surreprésentation des femmes ou des autres groupes cibles dans chaque
catégorie d'emplois et dans chaque service. De ce fait, nous acceptons
le libellé de l'article 4. Par ailleurs, sachant que les statistiques
sur chacun des groupes cibles causeront de sérieux problèmes,
soit parce qu'elles ne sont pas disponibles ou difficiles à obtenir ou
soit parce qu'elles n'existent pas, il faudra se donner des moyens pour
faciliter cette opération. Puisqu'il s'agit d'une étape fort
complexe qui exigera beaucoup de ressources humaines et financières,
nous recommandons que la Commission des droits de la personne assume cette
responsabilité.
Les mesures nécessaires pour corriger la discrimination. Parce
que la conception du programme découlera de l'analyse de la situation de
l'emploi pour les femmes dans l'entreprise, il faudra définir les
mesures pour éliminer les pratiques discriminatoires identifiées.
Dès lors, les objectifs et des échéanciers seront
déterminés et des mécanismes de contrôle seront
définis pour la surveillance des programmes.
Les articles 7 et 8 définissent les mesures
d'égalité, de soutien et de redressement. La FTQ endosse la
formulation de l'article 7 qui établit la nécessité
d'intégrer les mesures d'égalité et de redressement
à
l'intérieur d'un programme d'accès à
l'égalité. La définition de ces mesures nous semble
très acceptable. Dans le cas des mesures de redressement, nous
apprécions la justesse des mots utilisés: "éliminer la
discrimination subie par un groupe de personnes en accordant temporairement
à ses membres certains avantages préférentiels".
Dans le cas de l'article 8 où il est question de mesures de
soutien qui visent à faciliter la conciliation du travail
rémunéré et les responsabilités familiales pour les
femmes et les hommes, nous recommandons qu'elles soient obligatoires dans tout
programme. Par conséquent, nous recommandons que le verbe "peut" soit
remplacé par "doit" afin que tout programme inclue ces mesures. Il
serait également intéressant de préciser que les mesures
d'égalité des chances et de soutien constituent des mesures
permanentes. De plus, nous recommandons que la liste des mesures choisies se
fasse en fonction de chacun des groupes cibles et particulièrement dans
le cas des mesures de redressement.
Les programmes d'accès à l'égalité sont-ils
une menace à l'ancienneté? Nous aimerions ici apporter un
éclairage sur le phénomène de l'ancienneté dans les
conventions collectives. Nous tenons à préciser qu'il est
possible d'éliminer la discrimination en négociant des programmes
d'accès à l'égalité tout en ne mettant pas en
péril l'ancienneté. Puisque chaque programme sera adapté
à la réalité du milieu du travail, il dépendra de
l'évolution de la réflexion des travailleuses et des travailleurs
pour procéder à des réajustements en regard des droits
liés à l'ancienneté. (11 h 30)
II est également important de signaler que nous désirons,
par ce nouveau concept, renforcer les clauses pour assurer aux femmes
l'accès à l'égalité. Il peut s'agir du cumul de
l'ancienneté durant le congé de maternité, le congé
parental qui font souvent partie des revendications qui ont été
retenues dans certains cas, malgré l'opposition de l'employeur.
Sur le plan de l'embauche, est-il nécessaire de rappeler que
l'ancienneté n'est jamais pertinente? Donc, l'obligation pourrait
être faite à l'employeur d'embaucher des femmes sans que cela ne
contrevienne en aucune façon aux principes syndicaux. Quant aux
promotions, aux chances d'avancement et aux transferts, nous rappelons que les
droits reliés à l'ancienneté sont aussi reliés
à d'autres critères comme les exigences normales de la
tâche, les exigences suffisantes ou les qualifications requises. Ces
variables contribuent à définir les prérequis à
l'emploi. Nous pourrions continuer dans ce sens et prendre une à une les
différentes situations et démontrer toutes les
possibilités qui existent sans que l'ancienneté nuise au
programme d'accès à l'égalité.
Parce que les clauses d'ancienneté doivent coller à la
réalité spécifique de chaque milieu de travail, il est
fondamental qu'elles soient négociées. Nous avons la conviction
que les clauses d'ancienneté, quelles qu'elles soient, pourront
connaître des adaptations, des actualisations qui devront tenir compte
des objectifs poursuivis par les programmes. Fondamentalement, il faudrait
toujours que ces changements aux clauses d'ancienneté soient l'objet de
négociation. Nous croyons tellement au principe de la négociation
de ces clauses qu'il ne faudrait pas surtout se surprendre si nous refusions de
parler du principe de ces programmes si l'accès à
l'égalité apporte des modifications non négociées
et arbitraires aux clauses d'ancienneté.
Les objectifs et l'échéancier. Une partie de l'article 2
et de l'article 3 traite des objectifs et de l'échéancier. Il
nous apparaît fondamental que dans tout programme figurent les objectifs
et les délais visant à délimiter avec précision les
buts à atteindre et les moments pour leur réalisation. Nous
tenons à préciser que les objectifs se retrouvent au chapitre des
mesures de redressement en fonction de l'embauche, des promotions, des
transferts, des programmes de formation professionnelle et de recyclage, des
mises à pied et de l'insertion par groupe. Nous sommes d'avis qu'ils
devront être déterminés à la lumière des
analyses précédentes et devront être adaptés
à la situation de chaque milieu de travail.
Par conséquent, comme l'indique le libellé de l'article 3,
nous soutenons la nécessité d'inclure dans tout programme
d'accès à l'égalité les objectifs et les
échéanciers.
Nomination d'une personne en autorité. Le nomination d'une
personne en autorité dans l'entreprise qui soit rattachée au
programme est une phase essentielle. Nous recommandons que cette personne
relève des plus hautes instances de l'organisation afin que l'entreprise
démontre toute l'importance qu'elle accorde aux programmes
d'accès à l'égalité. Cette personne doit
posséder tous les pouvoirs et toutes les ressources pour assurer que les
engagements de l'entreprise soient respectés. Elle devra accepter
d'assister le comité paritaire dans la mise en oeuvre des programmes
d'accès à l'égalité.
Un rapport annuel à soumettre. Nous sommes d'avis que tout
employeur doit soumettre à la Commission des droits de la personne un
rapport annuel écrit sur les conditions générales d'emploi
comparées entre femmes et hommes. Nous recommandons que son contenu
comprenne les objectifs à atteindre au cours de l'année et qu'il
inclue le portrait de la situation de l'emploi dans l'entreprise pour chacune
des catégories d'emploi, la situation des femmes
et des hommes en matière d'embauche, de formation, de promotion,
de qualification, de classification, de conditions de travail et de salaires.
Les calendriers au plan de l'embauche, des promotions et des mises à
pied devraient être également inclus ainsi que l'évolution
du progrès et les solutions envisagées. Une copie du rapport
devrait être remise à la partie syndicale. De plus, nous
recommandons qu'une pénalité soit imposée à tout
employeur qui omettrait de soumettre son rapport annuel. Elle devrait
être d'un montant minimum de 50 000 $.
Lien avec d'autres législations. Nous nous attendons que le
gouvernement intervienne par l'entremise d'autres législations afin de
permettre l'établissement réel de mesures de soutien. Nous
souscrivons notamment à l'implantation d'une politique de plein emploi,
l'accès massif à la syndicalisation, la mise en place d'un
réseau universel et gratuit de garderies, la mise en place d'un
congé de maternité payé à 100 %, la
définition de mesures de protection accrues pour les travailleurs et les
travailleuses à temps partiel, la réduction du temps de travail,
et tout le reste.
L'égalité dans les services d'éducation offerts au
public. La formation constitue un élément clé pour assurer
un véritable accès des femmes au marché du travail ainsi
qu'à tous les emplois. Nou3 sommes inquiets et inquiètes de
constater que les jeunes femmes continuent à s'orienter massivement dans
quelques filières traditionnelles, filières menacées par
la situation économique et par l'arrivée à de nouvelles
technologies. La FTQ revendique pour les femmes un véritable
accès à l'éducation qui inclut le perfectionnement, la
formation professionnelle et le recyclage. Il est nécessaire d'inclure
ces revendications à l'intérieur des programmes d'accès
à l'égalité, soit au chapitre de l'analyse, de la
disponibilité ou dans la liste des mesures d'égalité, car
ni la formation ni le recyclage ne permettront d'augmenter les
possibilités d'emploi des femmes si les employeurs ne sont pas
disposés à les embaucher.
Concernant la désexisation de la formation professionnelle, nous
sommes satisfaits et satisfaites de constater que cet aspect figure dans le
règlement, puisqu'il est question du programme d'accès à
l'égalité dans le domaine de l'éducation, ce qui ajoute
à l'implantation des programmes d'accès à
l'égalité en ce qui concerne l'emploi.
En conclusion, puisque l'égalité constitue un vieux
problème, un droit collectif et non un droit individuel, il faut
réussir à lui appliquer un nouveau remède qui consiste en
une série de moyens touchant plusieurs aspects des conditions de
travail. Ces moyens, qui peuvent sembler coercitifs pour les employeurs, sont
en réalité à la source d'un nouveau dynamisme venu des
femmes, de leurs entreprises. Les programmes d'accès à
l'égalité auront certainement leurs limites, s'ils sont
implantés unilatéralement par les employeurs sans qu'un organisme
indépendant comme la Commission des droits de la personne n'intervienne,
d'où l'ultime nécessité de les accompagner de l'action
syndicale par l'entremise de la négociation collective, afin d'en
garantir les résultats.
Nous refusons d'entrevoir l'avenir de ces programmes par des solutions
partielles. Si la discrimination systémique est vraiment reconnue, nous
sommes persuadés qu'il sera impensable de ne retrouver que des bribes de
programmes. Il ne s'agira pas de soustraire ici et là certains
changements, mais plutôt de se donner les moyens de modifier les
mentalités.
La FTQ tient à rappeler à quel point elle compte sur
l'adoption d'un règlement amendé qui soit le plus complet
possible, afin qu'il puisse soutenir notre action syndicale et éviter
toute ambiguïté à l'égard des syndicats. En ce sens,
nous souhaitons que cette commission retienne nos préoccupations et les
commentaires émis dans ce mémoire. Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci, madame. Avant de donner
la parole au député de Vachon, je voudrais avertir les membres de
cette commission que, compte tenu que l'on a mis quinze minutes de plus pour
faire la lecture du mémoire, je devrai amputer un peu sur votre temps.
M. le député de Vachon.
M. Paynes On vient tout juste de recevoir le mémoire. Il faut
donc réagir assez rapidement. Je voudrais remercier la
Fédération des travailleurs du Québec, M. Daoust et ses
collègues, Mmes Robertson, Pinsonneault et Gingras-Larivière pour
ce document qui est à la hauteur traditionnelle de vos documents devant
les nombreuses commissions où vous avez été
présents depuis des années.
Vous parlez de plusieurs principes dont ont a discuté depuis une
semaine, notamment de l'appui au principe, par exemple, de l'obligation
contractuelle. Vous dites que cela devrait être quelque chose de
vigoureux comme exigence de la part du gouvernement.
Vous soulignez beaucoup - cela va de soi - la reconnaissance
nécessaire du rôle que le syndicat a à jouer. Je pense que
c'est évident pour toute personne que, si les syndicats
québécois n'étaient pas présents comme partenaires
actifs, toute tentative d'adopter des mesures d'égalité de
chances ou des mesures de redressement aboutirait rapidement à un
échec lamentable. Vous mettez une certaine emphase sur la
nécessité au moins temporaire de certains avantages
préférentiels et vous abordez la
problématique posée par les objectifs, les
échéanciers et la nécessité de se donner ces deux
moyens pour atteindre les objectifs du règlement.
J'aurais une question à poser à M. Daoust,
peut-être. J'ai été très intéressé par
votre argumentation particulièrement en ce qui concerne votre
disponibilité en matière d'ancienneté. Je pense que c'est
aux pages 17 et 18, n'est-ce pas?
Mme Pinsonneault: C'est cela, pages 17 et 18.
M. Payne: Votre disponibilité à discuter du
principe de l'ancienneté est d'ailleurs remarquable. J'oublie comment
vous l'expliquiez. Sur le plan de l'embauche, l'ancienneté n'est jamais
pertinente, donc, l'obligation pourrait être faite à
l'employé d'embaucher des femmes sans que cela ne contrevienne en aucune
façon aux principes syndicaux. On peut bien comprendre mais
peut-être qu'on n'aborde pas un certain nombre de problèmes. Par
exemple, si une entreprise vit une période de récession, si c'est
plutôt une question de mise à pied qu'une question d'affectation
ou d'embauche de nouveaux travailleurs, malgré votre ouverture qui, bien
sûr, est très louable, de remettre en question le principe de
l'ancienneté ou de le définir d'une manière plus
sophistiquée, est-ce que vous pensez pouvoir, par exemple, contenir une
situation là où il y aurait beaucoup plus de femmes en bas de
l'échelle, comme parfois les femmes immigrantes qui travaillent dans le
secteur manufacturier seraient les premières à être mises
à pied? Comment pouvez-vous façonner un modèle qui ferait
en sorte que vous puissiez privilégier les femmes immigrantes afin
qu'elles puissent bénéficier des avantages du
règlement?
Le Président (M. Gagnon): M. Daoust.
M. Payne: Est-ce que je me suis bien expliqué?
M. Daoust: Oui, c'est très bien. Je ne veux pas reprendre
et citer de nouveau le texte mais je voudrais l'expliquer un peu. À la
page 18, nous mentionnons que les clauses d'ancienneté, quelles qu'elles
soient, pourront et devront connaître des adaptations et des
"actualisations" qui devront tenir compte des objectifs poursuivis par les
programmes d'accès à l'égalité. C'est un des
problèmes les plus complexes qu'on puisse imaginer, celui que vous
soulevez et que nous abordons, que nous étudions depuis
déjà un bout de temps. Un colloque de la FTQ sur le sujet
l'abordait, colloque auquel participaient tout près de 500
délégués. Nous l'aborderons de nouveau ce sujet au
prochain congrès de la FTQ. Mais au-delà des discussions à
l'intérieur du mouvement syndical, votre question et la façon de
la résoudre justifient, à mon sens, plus qu'amplement mais
substantiellement et fondamentalement la nécessité d'impliquer
les syndicats dans tout le processus des programmes d'accès à
l'égalité. Ce n'est pas une implication théorique que nous
souhaitons. Nous savons d'expérience que des évolutions dans les
mentalités sont et seront indispensables pour permettre aux femmes
d'avoir accès à des postes en milieu de travail et que
d'impliquer le syndicat, ce n'est pas de façon formelle mais c'est de
l'impliquer dans toutes ses structures, dans toute sa vie, dans ses
assemblées syndicales alors que des sujets comme celui que vous soulevez
devront être abordés. C'est entendu qu'il y aura des
"actualisations" qui seront essentielles. Au dernier colloque, on a
parlé de ce principe que le dernier arrivé doit être le
premier mis à pied. (11 h 45)
Inévitablement dans une conjoncture de crise économique,
de difficultés économiques, d'emplois qui se perdent et qui se
créent, il faut être conscients que cela arrive. Des fermetures
d'usines, des licenciements collectifs, des mises à pied temporaires ou
permanentes, c'est vécu de façon substantielle et dramatique par
l'ensemble des syndicats. Nous disions qu'il va falloir essayer de trouver des
façons fort équitables de résoudre ces problèmes.
Ce que je vous dis à ce moment, ce sont un peu des
généralités et des principes de base. Cela ne se fera pas
du jour au lendemain. L'ancienneté pour le mouvement syndical, c'est
quasiment aussi vieux sinon plus vieux que le mouvement syndical.
L'ancienneté, c'est l'objet de négociations. Chaque usine, chaque
milieu de travail connaît des clauses d'ancienneté; elles sont
variables quasiment à l'infini, mais on y retrouve fondamentalement
toujours les mêmes principes: la durée de service, les exigences
des tâches, les compétences des travailleurs. C'est par
l'ancienneté - c'est historique à l'intérieur du mouvement
syndical - que l'arbitraire patronal, fatalement, parce que c'est lui qui prend
les décisions, le favoritisme là où il n'y a pas de
syndicat et qui fait que les gens peuvent à l'intérieur d'une
entreprise connaître toutes sortes de mouvements sans qu'on tienne compte
de leur durée de service.
Là, où il n'y a pas de syndicat, c'est une source, il faut
bien le reconnaître, de frustrations, de favoritisme, de paternalisme et
d'injustice. Les syndicats se sont donné des clauses
d'ancienneté. Depuis toujours, elles sont séculaires, elles sont
modifiées de temps à autre, compte tenu des circonstances et il y
a des grands principes qui s'en dégagent. Les promotions sont
données aux plus anciens ou aux plus anciennes. Les mises à pied
affectent les
travailleurs les plus jeunes dans l'entreprise quels qu'ils soient.
C'est eux qui doivent malheureusement, connaître les licenciements.
Je pense que c'est un problème qui va exiger, chez nous - on n'en
a pas de solution immédiate - un effort de compréhension, de
sensibilisation et d'évolution des mentalités. On ne le
surmontera pas facilement. Je ne veux pas mettre un baume sur un
problème complexe comme celui-là et vous dires Oui, quand il y
aura des mises à pied, s'il y a des gens qui sont plus jeunes et qui
sont là parce qu'il y a eu des programmes d'accès à
l'égalité, ils resteront à l'emploi, alors que les plus
âgés, hommes ou femmes, devront quitter l'entreprise. Je pense que
ce n'est pas dans l'immédiat qu'on connaîtra cela. Ce ne le sera
peut-être pas, même, à moyen terme. Il y a peut-être
d'autres moyens que de pénaliser un travailleur qui détient un
emploi - là, cela devient un individu, ce n'est pas un groupe
collectivement - de le pénaliser, lui, et de lui faire porter le fardeau
de toute la société et de lui dire: Bien, tu vas payer d'un
emploi que tu as et qui connaît une certaine stabilité avec toutes
les faiblesses que cela représente et tu vas céder l'emploi que
tu détiens depuis plus ou moins 4, 5, 6, 7 ans, peu importe, pour
permettre à quelqu'un d'avoir accès à un emploi qui, lui,
son groupe, a fait l'objet de discrimination. Là, on provoque des
luttes, des tensions, des dislocations inouïes à l'intérieur
des groupes qui ne nous permettraient peut-être pas d'atteindre les fins
pour lesquelles on souhaite l'instauration de programmes d'accès
à l'égalité.
En d'autres mots, est-ce que c'est une personne, individuellement, qui
doit assumer le coût, le fardeau, d'une politique de discrimination
systémique, d'une politique dont la société de
façon générale, puis souvent les employeurs de
façon particulière, sont responsables en disant à cette
personne-là: Vous prenez la porte. Vous avez peut-être
l'ancienneté, mais les programmes d'accès à
l'égalité font qu'il faut garder les gens plus jeunes que
vous?
C'est un problème complexe, mais il ne faut pas l'écarter,
il faut l'aborder de front. On l'a déjà abordé quelque peu
et on en connaît les limites et les difficultés. Cela n'exclut pas
les changements de mentalité, les adaptations dans certains cas et des
actualisations. Je pense que pour répondre très
précisément à votre question, c'est un des
problèmes les plus douloureux à résoudre qu'on va
connaître dans notre milieu. Si on veut que les programmes d'accès
à l'égalité...
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse M. Daoust. Je
voudrais juste vous demander de raccourcir un peu parce que je sais que le
député de Vachon aurait une autre question à poser et
qu'il reste peu de temps. M. Daoust: Je m'excuse.
Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous pouvez
conclure?
M. Daoust: Je vous disais que je pourrais vous donner aux autres
questions, les moyens qu'on a envisagés à l'égard de
l'ancienneté. Si le problème des mises à pied est
complexe, il y a d'autres cas où l'ancienneté pourrait être
actualisée. Par exemple, la comptabilisation des congés de
maladie et des congés de maternité. Il y a un tas de formules
comme cela qui feraient en sorte que les gens ne paient pas, parce que, dans ce
cas, ce sont des femmes et qu'elles doivent prendre des congés qui
découlent de leur état de femme.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Vachon.
M. Payne: Mon temps est limité, si je comprends. J'ai bien
apprécié votre réplique, parce que cela confirme ce que je
vous disais tout à l'heure, soit une grande ouverture qui est
nécessaire à cet égard.
Je voudrais aborder un petit paragraphe en bas de la page 18, où
vous dites: "Nous croyons tellement au principe de la négociation de ces
clauses, qu'il ne faudrait pas se surprendre si nous refusions de parler du
principe de ces programmes si l'accès à l'égalité
apporte des modifications non négociées et arbitraires aux
clauses d'ancienneté."
Est-ce que cette position, qui est importante, pourrait compromettre le
mouvement vers la reconnaissance ou l'application des programmes d'accès
à l'égalité, selon vous?
M. Daoust: Encore une fois, on revient au point de départ.
Quant à nous, dans la mesure où c'est négocié, cela
implique qu'il y a deux parties qui tombent d'accord sur le contenu d'un
programme d'accès à l'égalité. C'est
négocié, donc, démocratiquement, c'est accepté en
assemblée générale, il se dégage une
majorité pour et on surmonte les difficultés.
Mais de se voir imposer des programmes d'accès à
l'égalité sans qu'il y ait une négociation et une
participation syndicale, programmes, qui, à leur tour, pourraient mettre
en danger les clauses d'ancienneté, cela provoquerait sans aucun doute -
encore une fois, on ne peut s'en cacher - à l'intérieur du
mouvement syndical des perturbations inouïes et des blocages difficilement
surmontables. C'est pour cela que nous nous prévenons et nous vous
prévenons que c'est un problème avec lequel il ne faudra pas
commettre des erreurs
irréparables par la suite.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les
représentants de la FTQ de leur mémoire fort intéressant.
J'aimerais vous poser une question en ce qui concerne la capacité des
entreprises de financer de tels programmes d'accès à
l'égalité, parce que nous avons entendu les représentants
du patronat et j'ai eu l'impression qu'ils craignent que ce sera difficile de
financer les programmes d'accès à l'égalité,
surtout dans les PME.
Vous insistez pour qu'il y ait des programmes d'accès à
l'égalité dans les PME. Comment voyez-vous ce problème?
Parce qu'on ne veut pas mettre qui que ce soit en faillite, cela va de soi.
M. Daoust: Malheureusement, je n'ai pas l'article devant moi,
mais je vais vous l'envoyer parce qu'il me semble fort important dans le
débat. Si je me souviens bien, c'est un article écrit dans le
journal Fortune, j'en suis sûr, du 15 novembre, je crois, fort
intéressant...
M. Marx: Oui, nous en avons reçu des copies.
M. Daoust: ...où on voit le patronat américain,
dont on dit toutes sortes de choses plus ou moins heureuses, de temps à
autre, qui manifeste dans ce domaine un dynamisme, une ouverture d'esprit qui
rafraîchit ceux qui ont lu l'article quand on le compare au patronat
québécois. On voit que l'immense majorité de ceux qui sont
intervenus, dans cet article, par des programmes d'accès à
l'égalité, "affirmative action" aux États-Unis, les
considèrent comme des choses qui sont là pour rester,
indépendamment des tendances du président américain de
vouloir atténuer la portée de ces programmes.
Les entreprises disent: Cela fait maintenant partie de la culture de nos
entreprises et c'est productif. Il y a un élément de
productivité et cela évite des tensions, c'est extrêmement
bon. Les entreprises, dans une très forte proportion, disent: C'est
même rentable - si je me souviens bien - puisque cela permet, je ne sais
trop, d'éviter des conflits sociaux et permet aux gens d'identifier les
consommateurs - cela aussi m'a frappé - qui vont acheter des produits
d'entreprises où il y a des programmes d'accès à
l'égalité, reviens aux PME. Évidement chacun, et à
la mesure de sa taille, n'aura pas les mêmes exigences, je pense bien,
dans de grandes entreprises comme Alcan, IBM ou General Motors que pour une
toute petite entreprise de quelques dizaines d'employés. Mais ce ne sont
pas des coûts inouïs non plus que de se donner un programme
d'accès à l'égalité. J'ai à la
mémoire les programmes sur la francisation des entreprises au
Québec. Je pense bien que la preuve est de plus en plus faite que c'est
rentable en dépit des hauts cris qu'on a entendus dans certains milieux.
C'est rentable. On ne voit pas que les entreprises puissent se servir de cela
comme d'une espèce d'épouvantail et dire: Écoutez, ne nous
touchez pas, on n'en a pas les moyens. Je pense qu'elles en ont les moyens et
ce ne sera pas terriblement coûteux.
M. Marx: Juste une deuxième question. Les
représentants du patronat font la distinction entre les multinationales
dont on parle dans le journal Fortune et les PME du Québec. Les
multinationales, c'est une autre paire de manches et nous avons ici des
multinationales. En parlant d'un échéancier pour la mise en place
de ces programmes, vous voulez que ce soit la Commission des droits de la
personne qui ait la surveillance de tous ces programmes. La Commission des
droits de la personne est un service d'environ 30 à 40 personnes. Il
serait peut-être impossible de surveiller tout le monde tout de suite. Je
me demande si ce serait mieux de commencer avec les multinationales, avec les
grosses compagnies et, par la suite, d'introduire des programmes dans les PME.
Il faut commencer quelque part. Est-ce qu'on commence avec Alcan et General
Motors ou si on commence avec une petite entreprise dans la Beauce. On peut
demander à tout le monde de commencer à avoir des programmes,
mais on va mettre l'accent, en ce qui concerne la surveillance, sur les grosses
compagnies au début.
M. Daoust: Notre choix, à nous, ce serait un programme
d'application universelle, sans aucun doute. Les échéanciers vont
varier selon le résultat des négociations dans chacune des
entreprises. Il est entendu que, compte tenu de la complexité des
problèmes... Encore une fois, c'est plus compliqué de faire
l'analyse de la réalité des problèmes de discrimination
à l'intérieur d'une très grande entreprise que d'une toute
petite entreprise de 40, 50 ou 60 personnes. Mais on souhaiterait vraiment une
application universelle et qu'il n'y ait pas de secteurs isolés, des
espèces de ghettos. Ce serait mauvais pour l'évolution des
mentalités parce que c'est un programme qui va s'adresser à
l'évolution des mentalités.
Je vais prendre juste une minute parce que je trouve important - on ne
l'a peut-être pas souligné dans notre mémoire - que les
organismes, les syndicats - les employeurs parleront pour eux, et ils le font
bien -soient dotés de moyens adéquats pour faire toutes les
tâches qui vont découler de leur
implication dans un tel projet de société. C'est bien beau
d'avoir la Commission des droits de la personne avec tout ce qu'elle peut avoir
de personnel et de fonds, mais on a toujours été en faveur... Je
veux faire une analogie très rapide entre les programmes et les
comités de francisation où on a constaté des lacunes parce
que les centrales syndicales n'étaient pas équipées
financièrement pour encadrer adéquatement les membres syndicaux
des comités de francisation. Cela requiert des fonds inouïs. On ne
vient pas quémander quoi que ce soit, mais on se dit que les pouvoirs
publics, le gouvernement, dans un projet comme celui-là, devrait doter
les centrales syndicales de moyens financiers adéquats pour leur
permettre d'assumer leur rôle à l'intérieur de ces
programmes d'accès à l'égalité.
Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de
Jonquière.
Mme Saint-Amand: Merci, M. le Président. M. Daoust,
j'aimerais revenir à la page 5 de votre mémoire, à la
citation qui se lit comme suit: "Les programmes d'action positive ne devraient
pas être obligatoires mais être négociés librement et
appliqués conjointement avec les syndicats là où ils sont
présents."
Vous avez fait état tout à l'heure des difficultés
d'application que pouvaient représenter les règlements en raison
d'acquis qui ont été négociés et obtenus,
finalement, par des luttes très serrées menées par les
syndicats. On parle, bien sûr, de la clause d'ancienneté et de
bien d'autres clauses que l'on pourrait nommer, où il y aura
sûrement également, comme vous l'avez dit, des débats
très virils pour que cela cède quelque part si on veut faire un
petit bout de chemin.
La majorité des entreprises n'étant pas syndiquées,
comment voyez-vous l'application de ces normes? Il ne faut pas oublier non plus
que parmi les groupes cibles - on a parlé uniquement des femmes
ensemble, ce matin, ici - il y a aussi les communautés culturelles et
les personnes handicapées qui sont visées par tout cela et qui
espèrent bien, elles aussi, pouvoir trouver leur place. Comment
voyez-vous la mise en place des règlements et leur surveillance?
M. Daoust: Beaucoup plus loin, à la fin du mémoire,
on parle de l'accès au syndicalisme. La situation idéale serait
un taux de syndicalisation un peu comme celui que l'on retrouve dans certains
pays comme la Suède et d'autres pays. Mais disons que ce n'est pas un
objectif que nous repoussons. Loin de là, nous le souhaitons et
l'appelons de tous nos voeux.
Pour être plus précis et concret, il est vrai qu'il y a un
tas d'entreprises au Québec qui ne connaissent pas de syndicat. Je fais
encore une analogie avec la Charte de la langue française. Il y a des
comités de francisation dans toutes les entreprises qui ont 100
travailleurs ou travailleuses et plus, au sein desquels - comités de
francisation -on retrouve le tiers des membres, un minimum de deux personnes,
qui représentent les travailleurs et les travailleuses. Quand il n'y a
pas de syndicat, elles sont élues par l'ensemble du groupe. On pourrait
imaginer la même chose à l'intérieur des entreprises
où il n'y a pas de syndicat. On pourrait prévoir une
intervention, l'obligation de négocier, avec les travailleurs et les
travailleuses qui se retrouvent dans l'usine, les programmes d'accès
à l'égalité qui, eux, devront faire l'objet d'une
approbation de la part de la Commission des droits de la personne.
Sans aucun doute, on pourrait en faire la démonstration beaucoup
plus facilement. Là où il n'y a pas de syndicat, j'ai
l'impression que la véritable négociation de programmes
d'accès à l'égalité serait un peu plus
aléatoire, un peu plus douteuse dans ses résultats que là
où il y a des syndicats, mais il ne s'agit pas de priver quelque citoyen
et citoyenne que ce soit, les travailleurs et travailleuses dans
différents milieux de travail, de pouvoir négocier avec le
porte-parole de l'employeur ou l'employeur lui-même les programmes
d'accès à l'égalité. C'est une invitation aux gens
qui ne sont pas syndiqués à se syndiquer. On le fait aussi dans
le domaine de la santé et de la sécurité. Il y a des
comités paritaires de santé et de sécurité
là où il n'y a pas de syndicat.
La Charte de la langue française, j'en ai parlé fort
rapidement. Cela roule tant bien que mal dans ce cas mais, au moins, personne
n'est privé de ses droits. Là où il y a des syndicats, ce
serait beaucoup plus évident, beaucoup plus percutant et beaucoup plus
concluant sur le plan des négociations qui se feraient entre l'employeur
et le syndicat.
Mme Saint-Amand: Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci. Je m'excuse, j'ai un
rôle qui n'est pas facile à jouer, celui de devoir couper la
parole à peu près à tout le monde. J'ai l'impression qu'on
aurait pu vous garder deux heures très facilement. Je vous remercie, M.
Daoust, ainsi que tous les autres représentants de la
Fédération des travailleurs du Québec, pour ce
mémoire extrêmement intéressant.
Je demande maintenant à Mme Ginette Legault, chercheur en
sciences politiques, de prendre place. Je suspends les travaux non pas pour
cinq minutes, mais pour deux minutes; ne vous éloignez pas.
(Suspension de la séance à 12 h 5)
(Reprise à 12 h 10)
Mme Ginette Legault
Le Président (M. Gagnon): Avant de vous céder la
parole, Mme Legault, je voudrais demander aux membres de la commission s'ils
sont d'accord pour que l'on poursuive, immédiatement après
l'audition du mémoire de Mme Legault, avec le mémoire de la
Commission des droits de la personne, ce qui veut dire qu'on prolongerait
après 13 heures.
Une voix: Oui.
Le Président (M. Gagnon): Cela va?
M. Dussault: II y a deux personnes qui viennent à titre
personnel.
Le Président (M. Gagnon): Voilà! Il y aurait
éventuellement M. Lofti qui ne sera pas ici avant 15 heures. C'est cela?
On ne pourra pas l'entendre avant 15 heures, mais on passerait,
immédiatement après, la Commission des droits de la personne du
Québec.
M. Dussault: Consentement.
Le Président (M. Gagnon): En vous souhaitant la bienvenue,
je n'ai peut-être pas à vous répéter ce que j'ai dit
à tout le monde: on consacre environ 55 minutes à votre
mémoire, soit 20 minutes pour sa présentation et 35 minutes
d'échanges de propos avec les membres de la commission.
Je vous cède la parole immédiatement.
Mme Legault (Ginette): Merci, M. le Président. Si vous le
permettez, d'abord, un mot pour excuser l'absence de ma collègue, Mme
Évelyne Tardy, qui est présentement retenue à
l'extérieur du Québec. Bien que nous ayons rédigé
conjointement le présent mémoire, je le présenterai
seule.
Chercheurs et professeurs en sciences politiques à
l'Université du Québec à Montréal, c'est à
divers titres que nous voulions faire part de nos avis sur les programmes
d'accès à l'égalité et sur le présent projet
de règlement. D'abord, d'un point de vue strictement académique,
nous avons toutes les deux contribué à mettre sur pied... ou
encore nous avons participé à divers cours, conférences et
recherches portant sur le sujet. Nos thèses de doctorat ont
porté, pour l'une sur l'emploi et le chômage des femmes, pour
l'autre sur les enjeux politiques des programmes d'accès à
l'égalité au Québec et au Canada, thèse qui est
actuellement en cours.
Au plan professionnel, notre contribution récente aux travaux de
la commission consultative sur le travail, la commission Beaudry, nous a
donné l'occasion de mener une recherche exploratoire et une
enquête auprès des différents partenaires
socio-économiques impliqués dans l'accès à
l'égalité au Québec et au Canada. À ce propos, je
voudrais signaler aux membres de cette commission que l'essentiel de
l'argumentation qui sous-tend les avis contenus dans notre mémoire se
retrouve dans un rapport de recherche que nous avons déposé en
juin dernier à la commission Beaudry. Nous vous invitons à y
référer pour une argumentation un peu plus étoffée
que celle que nous soumettons dans le document que vous avez en main.
Nos travaux d'analyse et de synthèse nous ont permis de saisir
toute l'importance des programmes d'accès à
l'égalité dans les secteurs de l'emploi et de l'éducation
comme outils de rattrapage et de promotion pour les femmes, mais aussi pour les
autres groupes cibles, et également comme moteurs d'innovation dans la
gestion des ressources humaines au Québec et ailleurs. Entre autres, des
entrevues avec des représentants et représentantes de
l'entreprise au Québec, avec des conseillers et conseillères en
gestion des ressources humaines, avec des officiers syndicaux, avec des groupes
de femmes, avec des représentants des gouvernements du Québec et
du Canada ont confirmé à nos yeux la nécessité
d'assortir les programmes d'accès à l'égalité de
normes et de mesures précises pour les rendre rentables et efficaces;
efficaces pour les groupes cibles, mais aussi pour les employeurs dans la
gestion interne.
Nous croyons à cet égard que le projet de règlement
actuellement à l'étude peut contribuer efficacement à la
fois à l'amélioration de la situation réelle des femmes
sur le marché du travail - également des groupes cibles - mais
aussi à une rentabilité accrue dans la gestion des ressources
humaines dans les entreprises au Québec. En effet, les entreprises -
elles nous l'ont, d'ailleurs, dit lors des entrevues -verront très vite
les bénéfices qu'elles peuvent retirer des programmes
d'accès à l'égalité: accroissement de la
productivité, de la compétitivité, acessibilité
à une main-d'oeuvre plus diversifiée, modernisation de leur
gestion et le reste.
Avant de passer à l'étude du projet de règlement
proprement dit, si vous me le permettez, j'aimerais vous faire part de nos
commentaires sur un certain nombre de mesures et de conditions à
l'atteinte des objectifs d'égalité et d'innovation, mesures qui
devraient accompagner ce projet de règlement, selon nous.
L'ex-ministre de la Justice du Québec annonçait, en mai
dernier, les grandes lignes d'un plan d'action gouvernemental en
matière
d'accès à l'égalité: programmes
d'accès à l'égalité dans la fonction publique,
obligation contractuelle, comité aviseur, soutien aux institutions
publiques, pairage avec des entreprises françaises et fonds d'aide.
Réjouissant en soi, ce plan d'action ne semble pas toutefois,
jusqu'à présent, s'inscrire dans le cadre d'une politique globale
de mise en oeuvre des programmes d'accès à
l'égalité. La série de mesures annoncées comporte,
en effet, un certain nombre d'imprécisions quant aux modalités
d'application. C'est particulièrement le cas de l'obligation
contractuelle, mesure qui demeure très importante si l'on se fie
toujours à l'expérience américaine. Pierre angulaire d'une
politique globale de mise en oeuvre des programmes d'accès à
l'égalité, cette mesure ne pourra pourtant être efficace
qu'à la condition qu'elle soit assortie d'une série de
modalités précises faisant foi d'une réelle volonté
politique.
Pour ce faire, nous croyons qu'il faut d'abord et avant tout se donner
une législation précise en ce sens. À cet effet, nous
croyons, à l'instar de plusieurs groupes que vous avez entendus depuis
trois jours, que le contenu du projet de règlement actuel devrait
être minimalement respecté. Par ailleurs, un amendement ou un
règlement afférent à une loi existante, par exemple
à la Loi sur l'administration financière du Québec qui
fixe actuellement les normes en ce qui concerne les contrats entre le
gouvernement du Québec et les fournisseurs de biens, pourrait
également fixer l'ensemble des modalités à
prévoir.
Toujours en ce qui concerne l'obligation contractuelle, nous nous
interrogeons aussi sur la pertinence d'appliquer au Québec les
mêmes critères qu'au niveau fédéral pour identifier
les entreprises contractantes. L'obligation contractuelle sera d'autant plus
efficace qu'elle touchera le plus d'entreprises possible. Quel serait le nombre
d'entreprises touchées si on diminuait le montant du contrat à
100 000 $ ou à 50 000 $, surtout lorsqu'on sait qu'aux États-Unis
cette mesure a été imposée à partir d'un plancher
de 50 000 $?
Un autre point dont il faudrait aussi tenir compte, c'est le nombre
total de fournisseurs et d'employés touchés. Pour vous donner un
seul exemple, nos recherches à partir de la liste des fournisseurs de
biens du gouvernement du Québec provenant du Service des achats du
Conseil du trésor établit, pour l'année 1983-1984, en ce
qui concerne les contrats de 200 000 $ et plus, un total de 247 contrats, mais
seulement 117 fournisseurs différents. Aussi, le fédéral a
fixé son barème à 200 000 $, soit environ 100 entreprises
pour un total de 300 000 employés. Le nombre total d'entreprises qui ont
passé un contrat avec le gouvernement fédéral, en 1980,
s'élevait, par ailleurs, à près de 30 000 pour un total de
6 500 000 000 $. Or, les entreprises contractant pour 200 000 $ et plus
représentaient précisément 75 % des 6 500 000 000 $
déboursés.
On peut donc s'étonner de la proposition du gouvernement du
Québec selon laquelle on avançait, en mai dernier, le chiffre de
355 entreprises contractant avec le gouvernement pour un montant
supérieur à 200 000 $ et ayant plus de 100 employés. Non
pas que ce chiffre soit invraisemblable en soi, mais, pour nous convaincre du
sérieux de ces chiffres, il aurait été utile de
révéler le montant total des contrats gouvernementaux, de
même que le pourcentage que ces entreprises représentaient du
montant total octroyé et, enfin, si possible, le nombre approximatif
d'employés touchés. Concernant les chiffres qui ont
été avancés jusqu'à présent et qui le seront
dans l'avenir, il faudrait aussi prendre soin, comme l'a souligné hier
le Conseil du statut de la femme, de spécifier s'il s'agit uniquement
d'entreprises privées ou d'entreprises ou d'organismes
subventionnés et si les entreprises de construction sont exclues.
Toujours en regard de l'obligation contractuelle, nos interrogations
portent aussi sur le type d'évaluation qui sera prévu pour cette
mesure. Qui en aura la responsabilité et à partir de quels
critères? Quelles pénalités seront prévues s'il y a
non respect du règlement, de la loi ou du décret? Quelles
informations précises les entreprises devront-elles fournir? À ce
sujet, je vous réfère à l'annexe 1 de notre
mémoire, aux pages 17 et suivantes: il s'agit d'une grille
d'évaluation tirée du rapport Abella qui pourrait, selon nous,
être appliquée ici. En l'allégeant un peu, nous croyons
qu'elle pourrait servir au gouvernement du Québec pour vérifier
si, oui ou non, il y a discrimination dans l'entreprise. Enfin, une
dernière question: Par qui, comment et quand seront recueillies les
informations demandées?
Bref, plusieurs inconnus ne nous permettent pas de juger de la valeur
réelle des propositions gouvernementales en ce qui concerne l'obligation
contractuelle. Nous osons espérer que, d'ici peu, dès la fin des
audiences de cette commission, le gouvernement actuel ou le prochain aura des
réponses à ces questions et enclenchera la mise en vigueur de
cette mesure très importante.
Juste avant de passer à l'étude du projet de
règlement, j'aimerais aussi suggérer, comme l'ont fait plusieurs
autres intervenants et intervenantes, de revoir la composition du comité
aviseur. Il nous paraîtrait tout à fait équitable que les
femmes non syndiquées se retrouvent en aussi grand nombre que les autres
représentants à cette table. À titre d'organismes
consultatifs, le Conseil du
statut de la femme et la Commission des droits de la personne pourraient
aussi s'y retrouver.
Je passe à l'étude du projet de règlement comme
tel. En ce qui concerne l'article 1, de toute évidence, le
ministère de la Justice a voulu, cette fois-ci, réduire la
portée du règlement. Nous savons, par ailleurs, que le
gouvernement du Québec a déjà annoncé son intention
de ne pas mettre en vigueur la loi 86 dans son intégralité. Le
premier alinéa de l'article 86.2 prévoyant l'approbation
préalable de la Commission des droits de la personne n'a pas
été retenu. Or, à notre avis, cela ne justifie pas le
ministère de restreindre la portée du règlement comme
telle. En effet, celui-ci pourrait être respecté en tout point
dans le cas des programmes volontaires, des programmes de la fonction publique
et des institutions publiques, de même que dans le cas de l'obligation
contractuelle...
Même si l'article 1 vise essentiellement à libérer
les entreprises du contrôle a priori de la commission des droits, cela ne
devrait pas empêcher le respect du règlement par tous les
employeurs, car il ne faut pas oublier que ce règlement lui servira de
guide, de balise lors de ses enquêtes. Or, les entreprises ont avantage
à mettre en place des programmes volontaires qui soient
déjà respectueux, sinon de la lettre, du moins de l'esprit de ce
règlement si elles veulent éviter que la commission des droits
n'exige d'elles des modifications par la suite.
Comme le disait hier, Mme McKenzie, du Conseil du statut de la femme, il
s'agit là de protéger les entreprises contre le contrôle a
posteriori. Il s'agit aussi d'établir certains barèmes de
qualité, de permettre des comparaisons entre les entreprises et, enfin,
de se donner dès le départ les outils et les
éléments de solution à la mesure de l'ampleur des
problèmes de discrimination décelés dans l'entreprise,
bref d'éviter l'éventualité du dépôt d'une
plainte d'employé.
En ce qui concerne les articles 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8, nous croyons que
toutes ces mesures sont indispensables à la mise en oeuvre de
véritables programmes d'accès à l'égalité.
Nous appuyons donc leur adoption.
Par contre, en ce qui concerne l'article 5, nous sommes d'accord avec la
définition qui est donnée de l'analyse de disponibilité,
sauf qu'en ce qui regarde l'analyse faite à l'extérieur de
l'entreprise nous croyons qu'il serait utile, en raison des frais encourus, que
cette responsabilité revienne au gouvernement. Celui-ci pourrait
simplement fournir les résultats aux entreprises
intéressées. Cette responsabilité pourrait revenir
à la commission des droits et/ou au Bureau de la statistique du
Québec. Elle n'imposerait pas ainsi la création d'une nouvelle
structure gouvernementale ni, probablement, l'embauche de personnel nouveau.
À cet effet, nous produisons en annexe de notre mémoire, annexe
II, des exemples de formulaires qui existent déjà et qui sont
utilisés par le Bureau de la statistique du Québec, formulaires
qu'il s'agirait simplement de compléter ou de modifier
légèrement pour obtenir toutes les informations
nécessaires.
Quant à l'article 9, nous nous réjouissons du contenu de
cet article à condition toutefois que l'employeur s'engage aussi
à faire part à ses employés de l'ensemble des mesures
qu'il aura décidé d'appliquer par le biais de l'article 2,
c'est-à-dire les objectifs, les mesures, l'échéancier et
les mécanismes de contrôle. Encore une fois ici les
expériences américaines ont démontré toute
l'importance d'impliquer, d'intéresser les employés aux
programmes mis en place dans leur entreprise. Cela a eu pour effet le plus
souvent aux États-Unis de motiver et d'encourager une plus grande
harmonie dans les relations du travail.
En ce qui concerne l'article 10, nous croyons que le contenu de cet
article est très important. D'ailleurs, les échanges des derniers
jours ici même l'ont démontré. Aussi, à l'instar de
la commission Abella, nous souhaitons qu'un autre article ou un alinéa
précise également la nécessité de créer,
dans les entreprises où existent déjà un ou des syndicats,
un comité tripartite qui verrait à assister l'employé en
autorité. Ce comité serait composé de représentants
et représentantes de la partie patronale, des unités syndicales
et des femmes employées ou autres groupes cibles.
Toutefois, à la différence du rapport Abella et de la
position de certains groupes que vous avez rencontrés depuis trois
jours, nous pensons que ce comité ne devrait avoir droit de regard que
sur les éléments qui touchent l'application de la ou des
conventions collectives en vigueur dans l'entreprise sans empiéter sur
les droits de gérance de l'entreprise. Il s'agit ici essentiellement de
préserver la culture organisationnelle ou corporative de l'entreprise et
d'encourager par le fait même l'initiative de celle-ci. Le comité
tripartite, qui serait consultatif, veillerait surtout à coordonner et
à évaluer périodiquement les mesures de mise en
application du programme. Là où il n'existe pas de syndicat, il
faudrait constituer le même comité, mais avec des
représentantes des employés seulement. Et dans les entreprises
où il n'y a pas ou peu de femmes - ce qui est le cas dans une
très grande proportion d'entreprises au Québec - il faudrait
peut-être avoir recours à l'expertise des représentantes de
certains groupes de femmes au Québec qui siégeraient au
comité consultatif.
En ce qui concerne l'article 11, nous appuyons l'adoption de cet article
également, mais en y ajoutant, toutefois, un cinquième
point, soit l'obligation pour les employeurs de faire part de leurs
données, c'est-à-dire d'inclure certaines statistiques de
main-d'oeuvre, par exemple, des données annuelles sur les taux
d'activité de leur main-d'oeuvre par sexe, par catégorie
professionnelle, quartile salarial et échelle salariale. Ces
données devraient aussi inclure la proportion de femmes dans l'embauche,
les promotions, les départs, les mises à pied, le travail
à temps partiel, le travail par contrat, les groupes d'étude ou
comités, en formation ou en congé d'étude.
Ces informations, qui seraient fournies à l'aide d'un formulaire
unique émis par le BSQ ou la commission des droits ou ensemble,
permettraient ensuite à la Commission des droits de la personne
d'évaluer, sur une base comparative, si les pratiques de l'entreprise
sont discriminatoires. Par ailleurs, la Commission des droits de la personne
déposerait à son tour un rapport annuel à
l'Assemblée nationale faisant état des données fournies
par l'entreprise touchée et des résultats constatés. Je
porte à votre attention, d'ailleurs, une annexe qui paraît dans le
rapport Crump aux États-Unis où paraît effectivement une
copie d'un formulaire que les entreprises pourraient remplir ici au
Québec, qui existe déjà aux États-Unis, un
formulaire très simple qui n'a que quatre pages. Cela pourrait
être un exemple à donner, à vérifier pour ce
formulaire unique ici au Québec.
Le gouvernement pourrait, à partir de ces données, faire
connaître, sur une période de cinq ans, la ou les entreprises
assujetties à l'article 1 du présent règlement qui ont le
mieux performé dans la mise en place de leur programme. Cela aurait pour
effet de créer une certaine stimulation et même une
émulation entre les entreprises. La Commission des droits de la personne
ou le gouvernement du Québec pourraient même identifier et honorer
publiquement l'entreprise qui se serait particulièrement
distinguée à l'égard des programmes d'accès
à l'égalité en lui décernant une sorte de prix
Méritas une fois par année.
Je souligne, à ce sujet, un commentaire de Mme Abella dans son
rapport final, qui suggère que ce formulaire soit rempli par toutes les
entreprises du Canada. En raison de la simplicité du formulaire, nous
croyons que cette mesure pourrait également faciliter le travail de la
Commission des droits de la personne et pourrait être appliqué au
Québec, c'est-à-dire que toutes les entreprises aient à le
remplir.
Pour terminer, nous appuyons fortement l'adoption des articles 12, 13,
14, 15 et 16. Il ne suffit pas de prévoir des mesures de redressement
pour les femmes sur le marché du travail. Encore faut-il en
prévoir en milieu scolaire, là où la formation
professionnelle est encore très basée sur des différences
de sexe. Les articles de cette section pourront, à notre avis,
contribuer à faire changer un peu les choses. Nous
réitérons donc notre souhait, à savoir que soit
adopté ce règlement dont la dernière version rencontre le
plus les conditions de mise en oeuvre des véritables programmes
d'accès à l'égalité. Toutefois, nous
espérons vivement voir appliquer ce règlement le plus tôt
possible en incluant, bien sûr, les mesures additionnelles
suggérées dans ce mémoire.
Pour conclure, si vous voulez bien, j'aimerais vous faire part de
quelques suggestions que nous avons soumises aux membres de la commission
Beaudry, mesures qui s'inscriraient dans le cadre d'une politique globale de
mise en oeuvre de programmes d'accès à l'égalité.
Ces mesures visent essentiellement, disons, à créer un plus grand
intérêt de la part des employeurs et peut-être à
multiplier les expériences au Québec, donc, les programmes
volontaires.
D'abord, nous savons pertinemment que les grosses entreprises ont les
moyens d'assumer les coûts en termes de ressources humaines
nécessaires à la mise en place d'un programme d'accès
à l'égalité. Par contre, comme nos recherches nous ont
permis de le constater, il en est autrement pour les petites et moyennes
entreprises. Nous croyons qu'il serait utile de prévoir un support
technique et un support en termes de ressources humaines qui soient
légers et souples, mais qui contribueraient sans doute à ce que
les PME s'impliquent davantage dans l'accès à
l'égalité au Québec. Chaque région pourrait assurer
cette aide par le biais d'un bureau régional d'une structure
déjà existante du gouvernement du Québec par exemple, les
bureaux de Travail-Québec. L'important, c'est de garantir la
disponibilité d'un ou d'une ou de quelques personnes-ressources en
région pour les PME qui auraient recours à leur aide. Un guichet
unique serait souhaitable au plan régional, un endroit où on
pourrait facilement rejoindre une personne-ressource et où serait
centralisée l'information en ce qui concerne la mise en place d'un
programme. Ces bureaux pourraient relever du ministère du Travail ou
encore du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité
du revenu.
Deuxièmement, pour les mêmes raisons, la Commission des
droits de la personne pourrait également fournir par
l'intermédiaire, par exemple, de ses nouveaux bureaux régionaux
un guide d'implantation des programmes d'accès à
l'égalité du même type, par exemple, que celui qui a
été fourni par la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada, son manuel technique qui est connu par les gestionnaires des ressources
humaines qui travaillent sur les programmes d'accès à
l'égalité. La Commission des droits de la personne pourrait
aussi fournir des sessions de formation qui s'adressaient tout autant
aux syndicats et aux groupes populaires qu'aux PME et aux grosses entreprises.
Ces services pourraient être offerts par le personnel de la nouvelle
direction de l'accès à l'égalité de la Commission
des droits de la personne.
Troisièmement, nous pensons également qu'il serait urgent
de faire au Québec une vaste campagne de sensibilisation et
d'information sur ce que devrait être un programme d'accès
à l'égalité pour, entre autres choses, le
démystifier aux yeux de la population, mais aussi aux yeux des
employeurs, faire connaître aux employeurs l'aide et le soutien que
peuvent offrir le gouvernement et des organismes comme la Commission des droits
de la personne, faire une véritable promotion de ces programmes en
mettant de l'avant les avantages importants que peuvent retirer les entreprises
de tels programmes, c'est-à-dire comme j'en faisais mention
tantôt, l'accroissement de l'innovation, de la productivité, un
personnel plus compétent et plus motivé, des relations de travail
plus harmonieuses, une saine gestion du personnel. En termes de relations
publiques aussi, il a été démontré que les profits
sont également réels, tout autant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de l'entreprise. (12 h 30)
Quatrièmement, une évaluation globale en matière
d'accès a l'égalité en emploi dans le secteur privé
pourrait être enfin réalisée dans cinq ans. Elle pourrait
justifier le passage ou non à des mesures obligatoires pour tous les
employeurs du Québec, si c'était le cas. Cette évaluation
pourrait être confiée à un comité indépendant
de la Commission des droits de la personne et composé de
représentants et représentantes de tous les partenaires sociaux
et elle serait rendue publique.
Pour terminer, nous croyons, Mme Tardy et moi-même, que miser sur
ces programmes signifie plus qu'un changement de mentalités,
d'attitudes, de valeurs et de modèles dans la gestion des ressources
humaines. Cette mise en place nécessite obligatoirement une série
de mesures incitatives. Ces mesures incitatives, entre autres, auraient un
effet d'entraînement. Si l'État employeur pouvait commencer par
faire ses preuves, cela pourrait avoir un effet sur les entreprises
privées au Québec. Nous croyons qu'à très court
terme il devrait montrer sa volonté politique et son exemplarité
dans sa propre gestion des ressources humaines, s'il veut que les
résultats soient encourageants dans quatre ou cinq ans et non en l'an
2000. Cela va.
Le Président (M. Gagnon): Merci, Mme Legault. Avant de
passer la parole au député de Châteauguay, permettez-moi de
vous dire que vous faites des suggestions, dans votre mémoire, qui
semblent extrêmement intéressantes, mais sûrement que ce
sera relevé par les membres de la commission. M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, M. le Président. Je voudrais, d'abord,
remercier Mme Legault et sa collègue, Mme Tardy, pour la
présentation de leur mémoire à la commission et
spécifiquement Mme Legault pour sa présentation comme telle. Je
voudrais faire remarquer la très grande qualité de ce
mémoire. C'est sans doute un mémoire qui fait même l'envie
de groupes qui sont venus nous visiter pour nous expliquer des choses. C'est
aussi un mémoire qui comporte un grand intérêt relativement
aux suggestions que vous avez apportées. Et moi-même, comme
adjoint parlementaire au ministre de l'Industrie et du Commerce, je peux vous
dire que les suggestions, particulièrement celles relatives au guichet
unique en termes d'information pour aider les petites et moyennes entreprises
le guide pour aider à l'implantation, sont fort intéressantes et
qu'on devra tenir compte, je pense, dans la mise en place de la politique.
Beaucoup de choses dans votre mémoire recoupent ce que plusieurs
groupes de femmes sont venus nous dire, évidemment. C'est sans doute que
vous êtes toutes sur la même longueur d'onde. C'est
intéressant de le constater.
J'aurais deux questions relativement précises à vous
poser. La première concerne l'obligation contractuelle. Vous vous
interrogez, dans votre mémoire, sur la pertinence d'appliquer au
Québec les mêmes critères qu'au niveau
fédéral. Vous en avez un peu parlé dans votre
mémoire par quelques ajouts d'information lors de votre lecture. Je
voudrais que vous complétiez et que vous alliez plus loin. Selon vous,
quels devraient être les critères applicables à
l'obligation contractuelle au Québec? J'aimerais vous entendre parler
davantage là-dessus, parce que vous l'avez fait un peu.
Mme Legault: Je pense qu'il est assez délicat, à ce
stade-ci de l'analyse, en ce qui concerne l'obligation contractuelle, de poser
immédiatement un barème, une balise. Il y a des chiffres qui ont
été évoqués depuis le début des travaux de
cette commission, 50 000 $, 100 000 $, 200 000 $. Ce que je peux vous dire,
c'est que, actuellement, Mme Tardy et moi-même travaillons sur les
possibilités offertes en se donnant des barèmes effectivement:
100 000 $, cela veut dire combien de contrats, 200 000 $, cela veut dire
combien, toujours en tenant compte du nombre d'employés?
De façon générale, en tout cas, toujours en gardant
en filigrane le nombre qui a été évoqué depuis
Décisions 85, c'est-à-dire 355 entreprises qui auraient des
contrats de 200 000 $ et plus et qui ont plus de 100 employés on
dit: En soi, ce chiffre peut être intéressant, sauf que ce qu'il
est encore plus important d'aller vérifier, comme on le dit bien dans le
mémoire, c'est de savoir combien de fournisseurs, combien d'employeurs
différents ce chiffre peut toucher. J'ai des chiffres assez
précis. On dit bien, par exempte, qu'en 1983-1984, à partir d'une
liste du Service des achats du Conseil du trésor, les 200 000 $
incluaient le service des biens seulement et non les services comme tels, pour
un peu plus de 240 contrats, sauf que, lorsqu'on regarde le nombre
d'employeurs, cela ne touche que 170 employeurs différents.
Encore là, il faudrait voir si le barème de 100
employés est respecté également. Est-ce que ce sont des
PME, est-ce que ce sont, en général, de très grosses
entreprises du fait que le montant est assez élevé? Ce sont des
choses que l'on ignore jusqu'à présent. Je pense que
l'étude doit être faite de façon très
sérieuse, à partir des listes gouvernementales du Service des
achats, de biens, mais également de services. Encore là, il y a
toute la question qui a été évoquée depuis le
début, ici, particulièrement par le Conseil du statut de la
femme, à savoir: Est-ce qu'on doit retenir les entreprises, les
organisations ou les organismes qui sont subventionnés? Je pense que
c'est un point très important.
Il m'apparaît très hasardeux, à ce stade-ci, de
donner un chiffre. Chose certaine, on se pose la question: Comment se fait-il
qu'au Québec, à 200 000 $ et plus, on puisse conserver ce chiffre
sur une base comparative avec le fédéral, par exemple? Là,
le chiffre est le même et on apprend, par exemple, que 200 000 $, cela
touche 75 % des 6 500 000 000 $ qui ont été
déboursés auprès du gouvernement du Québec dans les
dernières années. Là, le chiffre est parlant au
fédéral. Maintenant, est-ce qu'au Québec il l'est autant?
C'est une autre chose. Il faudrait vérifier. Je pense qu'on manque
d'information à ce stade-ci pour avancer un nombre précis.
M. Dussault: Je vous remercie pour la réponse à
cette question. Évidemment, c'est sûr qu'il y a encore à
fouiller relativement à ces chiffres qui concernent le
Québec.
Mme Legault: Si vous me permettez juste un petit ajout?
M. Dussault: Oui, allez.
Mme Legault: II ne faudrait quand même pas, non plus,
oublier qu'entre autres aux États-Unis on a bien vu que le barème
est de 50 000 $. Alors, on se dit qu'avec des contrats aussi nombreux et aussi
importants qu'il peut y avoir dans un aussi grand pays que les
États-Unis, au Québec on ne peut pas faire abstraction de cela et
ne pas en tenir compte. Entre 50 000 $ et 200 000 $, il y a une marge
importante et je pense qu'il faut vérifier ces chiffres.
M. Dussault: D'accord. Pour ce qui est de ma deuxième
question, dans votre mémoire, à la page 11, si je me rappelle
bien, vous recommandez que le rapport annuel d'une entreprise contienne des
données statistiques concernant sa main-d'oeuvre. On a remarqué
que certains organismes représentatifs des employeurs nous soulignent
qu'il peut être très dangereux pour une entreprise de
révéler à ses concurrents des données relatives
à sa planification de main-d'oeuvre. J'ai posé la même
question, d'ailleurs, au Conseil du statut de la femme qui reconnaissait aussi
qu'il y avait effectivement une question qui se posait de ce
côté-là, en disant: Mais, cependant, il y a sûrement
moyen de trouver quelque chose qui pourrait satisfaire... Comment
réagissez-vous à cette objection? Est-ce que vous avez une
façon plus particulière d'envisager cette question-là?
Mme Legault: Deux choses. D'abord, il ne faut pas oublier que ces
chiffres-là vont être fournis par les employeurs directement
à la commission des droits. Je pense, comme le disait Mme McKenzie,
hier, qu'il serait possible de mettre, si vous voulez, une norme de
confidentialité sur des chiffres qui sont un peu plus
dérangeants, du type échelle salariale, quartile salarial. Pour
ce qui est du reste, je ne pense pas qu'on puisse donner un caractère
absolument confidentiel à ces données-là, entre autres, la
catégorie hommes femmes par profession. Aux États-Unis, cela se
fait depuis presque vingt ans déjà. Comme je vous l'ai dit
tantôt, il existe déjà là-bas, un formulaire de
quatre pages qui est très simple. Les entreprises ont à remplir
cela et tout le monde le fait. Donc, à partir du moment où vous
dites que tout le monde le fait et pas seulement les entreprises qui ont un
programme imposé ou recommandé par la commission, cela met tout
le monde sur le même pied, finalement. Cela fait que la notion de
concurrence joue un peu moins d'abord et, en plus, surtout si on met un
caractère confidentiel sur certaines données, à ce
moment-là, il n'y aurait que la commission qui les aurait en main. Il
n'y aurait personne qui pourrait obtenir ces données autre que la
commission. Je pense que cela règle en partie le problème.
Par ailleurs, je vous dirais très simplement, toujours en me
basant sur l'expérience américaine que si cela fait presque vingt
ans aux États-Unis que cela existe, à ma connaissance, il n'y a
pas une entreprise qui a fait faillite, qui a mis fin à ses affaires en
raison de ce formulaire, de ces données.
Je me dis: C'est, encore une fois, jouer sur la
compétitivité, mais, évidemment, en mettant un
caractère confidentiel sur certaines données. Cela ne
m'apparaît pas un problème majeur.
M. Dussault: Effectivement, la question de la
compétitivité doit être considérée
sérieusement. On sait, par exemple, qu'ici en commission parlementaire
il arrive parfois qu'on soit tenté de poser des questions et on doit
vraiment faire attention, particulièrement pour les
sociétés d'État, parce qu'elles sont aussi en
compétition avec l'entreprise privée. La question se pose et je
pense qu'il y a une inquiétude, un certain fondement. Si vous dites que
la commission devrait garder confidentielles ces données-là, je
suis d'accord avec vous que cela ferait diminuer une grande partie de
l'inquiétude qui existe.
Mme Legault: La commission aura à déposer
elle-même son propre rapport à l'Assemblée nationale, selon
nos recommandations et selon ce qui pourrait être fait dans l'avenir.
Dans la synthèse qu'elle fait des données qu'elle a en main, elle
n'est pas obligée de faire mention de ces données qui sont un peu
plus confidentielles, soit toujours, évidemment, la question salariale.
Il y a moyen de filtrer cela. Pour le reste, cela ne me paraît pas un
problème majeur.
M. Dussault: Pour ma part, j'ai terminé. Je vous remercie
énormément de votre apport à la commission.
Mme Legault: Merci.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Je vous remercie, M. le Président. J'aimerais
remercier Mmes Legault et Tardy pour leur mémoire. Malheureusement,
votre collègue n'est pas ici aujourd'hui. J'ai essayé de trouver
un mot pour qualifier votre mémoire et je pense que le bon mot est
"scientifique". Je pense que c'est peut-être le mémoire le plus
scientifique et le plus étoffé que nous avons reçu, avec
vos explications. Vous avez assisté aux travaux depuis mardi, je
pense.
Mme Legault: Oui.
M. Marx: Vous savez donc qu'il y a certaines de vos
recommandations qui recoupent des recommandations qui ont déjà
été faites; nous n'y reviendrons donc pas. Mais je pense qu'il
serait nécessaire que la commission tienne compte de certaines de vos
suggestions tout à fait nouvelles, comme les mesures incitatives qui
pourraient être très intéressantes.
Étant donné que vous êtes à l'UQAM et
puisque, j'imagine, vous avez assisté hier soir à la
séance de travail où des représentants des professeurs
féminins étaient ici, y a-t-il de la discrimination contre les
femmes à l'UQAM?
Mme Legault: En espérant que l'employeur n'écoute
pas!
M. Marx: Nous allons vous protéger.
Mme Legault: Merci. Non, je pense que l'UQAM n'est vraiment pas
à part des autres universités au Québec. Ce qui nous sauve
un peu, c'est peut-être le fait que c'est l'une des universités
où il y a encore possibilité, une très petite
possibilité de faire de nouveaux engagements. Évidemment, les
femmes sont sur les rangs, sauf qu'à ce niveau les problèmes qui
ont été évoqués hier par la FAPUQ sont tout
à fait présents, c'est-à-dire qu'évidemment, en
étant les dernières entrées, en étant les plus
récemment diplômées au doctorat, ce n'est pas
évident qu'on a les mêmes chances que nos collègues
masculins. Il faut bien souvent faire ses preuves, il faut amasser un dossier
académique, un dossier de recherche plus important. Dans ce sens, je ne
pense pas que ce soit différent à l'UQAM des autres
universités au Québec.
M. Marx: Bon. Franchement, je n'ai pas d'autres questions. Je
vais relire votre mémoire et je pense qu'il serait bon pour nous tous de
le faire avant de soumettre notre rapport à l'Assemblée
nationale. Je vous remercie.
Le Président (M. Gagnon): Merci, Mme Legault, de cet
apport à la commission.
Nous allons maintenant inviter la Commission des droits de la personne
du Québec à prendre place. Nous allons suspendre pour au plus
deux minutes. Ne quittez pas la salle.
(Suspension de la séance à 12 h 44)
(Reprise à 12 h 46)
Commission des droits de la personne du Québec
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission poursuit ses travaux avec la Commission des droits
de la personne du Québec. Je vous souhaite la bienvenue. Juste avant de
vous céder le micro, je vous répète ce que j'ai dit depuis
mardi, c'est-à-dire que nous disposons d'une enveloppe d'environ 55
minutes, soit 20 minutes pour faire lecture de votre mémoire et 35
minutes pour dialoguer avec les membres de la commission.
M. Jacques Lachapelle, je vous laisse le micro en vous invitant à
nous présenter les gens qui vous accompagnent.
M. Lachapelle (Jacques): Merci, M. le Président. MM. les
membres de la commission, je voudrais en premier lieu vous présenter les
membres de notre délégation: Mme Trudeau-Bérard,
vice-présidente de la Commission des droits de la personne du
Québec; à ma droite, Mme Louise Caron-Hardy, directrice des
programmes d'accès a l'égalité et, à
l'extrême gauche, M. Yves Côté, conseiller en programmes
d'accès à l'égalité.
Vous me permettrez sûrement en préliminaire, de faire une
chose qui n'est peut-être pas très usuelle ici. J'ai
remarqué que vous aviez félicité les gens pour la
préparation de leur document. J'aimerais, à mon tour, si vous me
le permettez, féliciter les membres de cette commission pour le haut
degré de préparation qu'ils ont et les connaissances qu'ils ont
dû acquérir, j'imagine, en très peu de temps sur un sujet
aussi complexe et aussi ardu que les programmes d'accès à
l'égalité. Cela nous rend donc très à l'aise pour
venir discuter avec vous des programmes d'accès à
l'égalité et c'est avec beaucoup de plaisir que nous anticipons
de discuter et d'échanger des idées avec vous.
Puisque nous sommes, effectivement, presque les derniers, je pense,
à être entendus - je crois que cela avait été voulu
par l'organisateur de la commission - nous allons profiter un peu de ce qui a
été dit auparavant. Nous aimerions passer peut-être en
revue avec vous chacun des articles de ce projet de règlement pour vous
faire part finalement de notre point de vue.
La Commission des droits de la personne du Québec est donc
heureuse de cette occasion qui lui est offerte de venir devant la commission
parlementaire des institutions pour donner ses commentaires sur le projet de
règlement concernant les programmes d'accès à
l'égalité. La mise en vigueur de ce règlement viendra
rendre vraiment opérationnelle la partie III de la Charte des droits et
libertés de la personne, promulguée le 26 juin dernier.
Le projet de règlement actuellement déposé pour
étude n'est pas le premier qui a été soumis à la
discussion et à la consultation. C'est ainsi qu'en novembre 1983 la
Commission des droits de la personne du Québec faisait parvenir au
gouvernement un long commentaire où elle exposait sa position en regard
du règlement concernant les programmes d'accès à
l'égalité.
Dans son mémoire, la Commission des droits de la personne du
Québec ne reprend pas ces commentaires fondamentaux que vous avez
à l'annexe IV de notre document. La commission est, en effet,
fondamentalement d'accord avec l'économie générale du
projet de règlement. Elle souhaite cependant que, conformément au
projet de règlement antérieur et même si le premier
alinéa de l'article 86.2 n'est pas promulgué, tous les programmes
d'accès à l'égalité soient soumis au même
règlement. De même, la Commission des droits de la personne
recommande que, dans les plus brefs délais, la définition du mot
"organisme" qui est contenue à l'article 86.7 de la Charte des droits et
libertés de la personne soit précisée.
D'autre part, comme la suggestion en a été faite par
plusieurs groupes qui se sont présentés ici, la commission
recommande que le gouvernement assume lui-même les analyses de
disponibilité pour les différents programmes d'accès
à l'égalité et qu'il confie cette responsabilité
à la Commission des droits de la personne.
Enfin, la commission recommande que le règlement devrait
prévoir la présence de comités de développement et
de coordination d'un programme d'accès à l'égalité
avec la participation du syndicat ou de l'association des employés et de
membres de groupes cibles. Mais il devrait leur attribuer un statut
consultatif.
Au terme de cette commission parlementaire et a la suite de l'audition
des différents mémoires qui vous ont été
présentés, la Commission des droits de la personne voudrait
revoir avec vous les principaux éléments de ce règlement
et vous indiquer aussi, enfin, puisque beaucoup de questions vous ont
été posées et que vous avez également posé
beaucoup de questions sur ces éléments, comment elle entend
mettre en vigueur ce fameux règlement.
Précisons, pour commencer, que le règlement repose, en
fait, sur la théorie des systèmes pour débusquer la
discrimination systémique et sur une démarche classique de
changement planifié pour apporter un remède. La partie III de la
Charte des droits et libertés de la personne se présente, en
effet, dans une facture quelque peu différente des autres parties de la
charte. Elle n'énonce pas de droits fondamentaux, comme le font les
articles 1 à 9. Elle n'interdit pas des actes qui iraient à
l'encontre du droit à l'égalité, comme le font les
articles 10 à 20. Elle rend légal un nouveau remède contre
les effets cumulatifs de la discrimination dans la représentation des
groupes victimes de discrimination dans les institutions ou les entreprises.
C'est un remède ajouté à ceux qui sont déjà
inscrits dans la charte, soit la cessation de l'acte ou de la pratique
discriminatoire et la réparation des torts causés aux victimes de
discrimination.
Nous vous proposons maintenant nos commentaires sur chacun des articles.
L'article 1 est important puisqu'il établit la
portée véritable du règlement. Contrairement au
projet de règlement antérieur soumis à la consultation,
l'article 1 stipule que le règlement ne s'appliquera qu'aux programmes
recommandés par la Commission des droits de la personne ou
imposés par les tribunaux. Avec beaucoup de groupes qui se sont
exprimés ici, la Commission des droits de la personne est d'avis que le
règlement devrait s'appliquer à tous les programmes
d'accès à l'égalité, qu'ils soient volontaires,
recommandés par la Commission des droits de la personne, imposés
par les tribunaux, issus d'un décret gouvernemental pour lesministères et organismes ou issus d'éventuelles obligations
contractuelles, parce que, justement, le projet de règlement contient,
en fait, les normes essentielles d'élaboration et d'implantation d'un
programme d'accès à l'égalité et, par le fait
même, il en est aussi un instrument de mesure et de comparaison.
Dès lors, il nous semblerait imprudent que l'utilisation de
mesures aussi délicates que les mesures de redressement mettant en
oeuvre des traitements préférentiels se fasse sans l'encadrement
minimal de cette réglementation. On sait déjà que pour les
programmes volontaires aucune approbation préalable ne sera requise
à la mise en oeuvre.
L'article 2. Cet article contient, en fait, les quatre
éléments essentiels pour tout programme d'accès à
l'égalité. Il reprend, en fait, les éléments
inhérents à toute démarche de changement planifiée:
1° la fixation d'objectifs; 2° les mesures; 3° un
échéancier; 4° les mécanismes de contrôle et de
rétroaction.
À l'article 3, on retrouve les énoncés concernant
les fameux objectifs numériques. L'article 3 du projet de
règlement stipule que "les objectifs sont exprimés en nombre et
en pourcentage pour chaque catégorie d'emploi, secteur ou service
visé dans une entreprise. Ils peuvent prévoir des marges".
Au-delà des querelles sémantiques sur la signification des mots
"objectif numérique" et "quota", il importe d'abord de clarifier la
signification habituelle qui leur est donnée en regard des programmes
d'accès à l'égalité et de l'interprétation
qui leur est donnée à la Commission des droits de la
personne.
Un quota est habituellement perçu comme un objectif fixé
soit arbitrairement, soit objectivement, à l'aide d'une analyse
d'utilisation et qui doit être atteint sans égard à
certains facteurs inhérents à la gestion du personnel comme la
compétence des candidates, les prévisions d'embauche, le taux de
roulement du personnel, etc. Un objectif numérique, pour sa part, est
toujours fixé à partir d'une analyse d'utilisation qui
établit une analyse entre les effectifs et une analyse de
disponibilité. Il est aussi fixé à l'intérieur d'un
échéancier donné, en tenant compte de la compétence
des candidats et des candidates. En aucun temps la pratique des objectifs
numériques ne favorise l'embauche de personnes incompétentes.
Elle ne fait pas que l'appartenance à un groupe soit le facteur
décisif du choix d'un candidat ou d'une candidate. Parmi les personnes
compétentes, l'appartenance à un groupe peut être un
critère de sélection pour le choix d'un candidat ou d'une
candidate.
L'objectif est aussi fixé en tenant compte des prévisions
d'embauche et du taux prévu du roulement du personnel dans l'entreprise.
L'objectif est aussi révisable en cours d'implantation si des faits
nouveaux le justifient, par exemple, des erreurs de prévision sur le
rythme de l'embauche ou le taux de roulement du personnel. La pratique de la
fixation d'objectifs numériques est bien connue et reconnu dans toute
politique de saine gestion d'entreprise et dans toute gestion du personnel.
Elle est aussi partie inhérente d'un programme d'accès à
l'égalité qui au-delà des mesures d'égalité
de chances vise le redressement d'une situation de discrimination
systémique à l'intérieur d'une entreprise ou d'une
institution.
À l'article 4 - je devrais parler aussi des articles 5 et 6 - on
présente les analyses nécessaires au diagnostic de la situation
avant l'imposition d'un remède. L'article 4 présente l'analyse
d'effectifs d'une entreprise qui devrait révéler, pour chaque
poste hiérarchique, la proportion de membres de groupes cibles qui
occupent ces postes par rapport aux membres du groupe majoritaire. Je crois
que, sur cet article qui est clair, nous n'avons pas de commentaire
particulier.
L'analyse de disponibilité. Cette analyse qui est contenue
à l'article 5 est, à mon avis, un des plus importants points de
ce projet de règlement, en ce sens qu'on parle aussi bien de la
disponibilité des membres du groupe cible que de leur compétence
pour occuper un poste dans une entreprise. Cette analyse révèle,
en fait, la proportion de membres du groupe cible par rapport au groupe
majoritaire, d'abord, à l'intérieur de l'entreprise et, ensuite,
sur le marché du travail, qui, répétons-le, ont la
compétence requise ou sont susceptibles de l'acquérir dans un
délai raisonnable pour occuper un poste offert dans une entreprise.
C'est la comparaison ou l'analyse d'effectifs qui révélera
s'il y a sous-utilisation du groupe dans l'entreprise et qui sera un
élément majeur dans la fixation des objectifs propres à
chaque entreprise. Ces analyses de disponibilité externe sont,
évidemment, complexes. Elles supposent l'accès à des
banques de données et à des études, et des regroupements
parfois ardus. Elle sont aussi dispendieues. La CDP suggère donc que le
gouvernement les assume et les assure à ceux qui veulent mettre en
oeuvre des programmes d'accès à l'égalité.
La Commission des droits de la personne devra, à ses propres fins
d'enquête et d'analyse, préparer de telles analyses. Elle doit
aussi prêter son assistance à ceux qui le requerraient. La
Commission des droits de la personne suggère donc que le gouvernement
lui confie la responsabilité d'effectuer ces analyses externes et de les
fournir à ceux qui en auraient besoin pour la préparation de
leurs propres programmes.
Les analyses de système, à l'article 6. L'analyse du
système constitue la dernière phase du diagnostic. Elle permet de
découvrir la cause de la sous-utilisation des membres des groupes cibles
qu'auraient révélée les deux analyses
précédentes. Elle permet d'identifier s'il y a discrimination
inscrite dans le système d'emploi, soit de la discrimination
systémique. Elle permet d'identifier, dans ce système, les
pratiques, même apparemment neutres, qui auraient un effet d'exclusion
discriminatoire sur un groupe cible et qui seraient la cause de la
sous-utilisation de ce groupe cible.
Le3 articles 7 et 8 traitent des mesures à apporter pour corriger
la situation de discrimination révélée par les analyses
précédentes. Les mesures d'égalité de chances
visent à éliminer du système de gestion les pratiques qui
ont un effet d'exclusion discriminatoire sur les membres d'un groupe cible.
L'élimination de ces pratiques constitue donc l'élément
essentiel d'un programme d'accès à l'égalité. Il
instaure, en fait, un régime d'égalité formelle et
prévient la discrimination future. (13 heures)
Pour qu'il y ait effectivement un programme d'accès à
l'égalité, le règlement prévoit donc des mesures de
redressement. Un programme d'accès à l'égalité vise
non seulement à prévenir la discrimination future en
rétablissant l'égalité formelle des chances; il entend
aussi corriger les effets que des pratiques discriminatoires antérieures
ont eus d'une manière cumulative sur les groupes cibles. Si le
système discriminatoire a désavantagé pendant un certain
temps les membres d'un groupe cible et privilégié par le fait
même les membres d'un groupe majoritaire, les mesures de redressement
visent à privilégier, pendant un temps limité, les membres
d'un groupe cible pour compenser le désavantage que le système
discriminatoire leur a fait subir pendant un temps.
L'article 9 stipule que l'employeur porte à la connaissance de
ses employés l'ensemble des mesures prévues par le programme.
Nous sommes d'accord avec la formulation de cet article qui devrait favoriser
la nécessaire participation de tous à la mise en oeuvre de ce
programme.
L'article 10 indique que la responsabilité de la mise en oeuvre
d'un programme d'accès à l'égalité appartient
à l'employeur et que cette responsabilité devrait être
confiée à une employée de haut niveau. À l'occasion
de cet article, plusieurs points ont été soulevés quant
à la participation des syndicats, de même qu'à la
participation des employés de groupes cibles à la mise en oeuvre
des programmes d'accès à l'égalité.
Rappelons que ni la loi, ni le projet de règlement ne
prévoient une participation formelle du syndicat, d'une association
d'employés ou d'un groupe cible à l'élaboration ou
à l'implantation d'un programme d'accès à
l'égalité dans une entreprise. La Commission des droits de la
personne a toujours été favorable à la participation du
syndicat, de l'association des employés et des représentants de
groupes cibles à l'élaboration et à l'implantation des
programmes d'accès à l'égalité.
En effet, la Commission des droits de la personne est d'avis qu'un
programme d'accès à l'égalité appelle autre chose
que des changements mineurs ou accessoires dans la gestion des ressources
humaines. C'est un remède systémique qui touche tout le
système et ses sous-systèmes et qui s'inscrit dans une
démarche de planification.
La mise sur pied d'un comité devrait permettre, par exemple,
d'atténuer les résistances au changement, de profiter de la
contribution de tous et chacun, de réduire les sources
d'insécurité, d'inspirer confiance aux membres des groupes
victimes de discrimination et de permettre aux personnes de s'approprier les
changements.
Dans le cadre des audiences sur le projet de règlement concernant
les programmes d'accès à l'égalité, la Commission
des droits de la personne n'a pas eu à se prononcer sur les programmes
d'accès à l'égalité volontaires ou gouvernementaux,
puisqu'ils échappent à la juridiction de la Commission des droits
de la personne et ne sont pas couverts par la réglementation.
Il reste donc les cas de programmes d'accès à
l'égalité recommandés par la Commission des droits de la
personne ou imposés par le tribunal. Le règlement devrait-il
prévoir une participation des syndicats, associations d'employés
ou groupes cibles à l'intérieur d'un comité et indiquer le
statut de ce comité?
Étant donné, d'une part, les bénéfices
escomptés de la présence d'un comité a l'intérieur
d'une entreprise ou d'une institution, mais étant donné, d'autre
part, que seuls les employeurs ou dirigeants d'une institution seront
responsables de l'implantation des programmes d'accès à
l'égalité et comptables des résultats devant la Commission
des droits de la personne; étant donné aussi que les
éléments d'un programme d'accès à
l'égalité soumis au règlement pourraient faire l'objet de
recommandations formelles de la part de la Commission des
droits de la personne ou d'une ordonnance d'un tribunal qui, comme
telles, pourraient difficilement faire l'objet de négociations
patronales-ouvrières, la Commission des droits de la personne est d'avis
que le règlement devrait prévoir la présence d'un
comité de développement et de coordination d'un programme
d'accès à l'égalité, mais qu'il devrait se voir
attribuer un statut consultatif.
L'article 11. Cet article décrit le rapport que doivent faire
parvenir les personnes à la Commission des droits de la personne pour la
mise en oeuvre des programmes recommandés par la Commission des droits
de la personne. Il s'agit, à notre avis, d'un minimum d'information
nécessaire pour assurer le suivi de ces programmes. S'il était
décidé, d'autre part, que les programmes volontaires soient
soumis au règlement, il faudrait également, à notre avis,
qu'ils soient exclus de l'application de cet article.
Les articles 12 à 17. La Commission des droits de la personne
attache une très grande importance aux programmes d'accès
à l'égalité à établir dans le secteur de
l'éducation, des services de santé et des services ordinairement
offerts au public. Les programmes d'accès à
l'égalité peuvent, en effet, corriger des situations de
discrimination qui peuvent se manifester dans l'emploi par la suite.
M. le Président, ce sont là les commentaires que nous
voulions faire concernant chacun de ces articles du règlement sur les
programmes d'accès à l'égalité. Toutefois,
certaines autres réflexions de la commission qui ne sont pas contenues
dans notre mémoire devraient être portées à la
connaissance de cette commission, entre autres la question des
coûts-bénéfices. Certaines évaluations des
coûts-bénéfices des programmes d'accès à
l'égalité et plus généralement des politiques
antidiscriminatoires sur le marché du travail ont été
effectuées aux États-Unis. Bien que le résultat soit
très approximatif, nous pensons qu'il est important de les examiner et
d'en tirer certaines implications.
Le premier type de travaux porte sur les dépenses de mise en
oeuvre des programmes, ainsi que sur les bénéfices reçus
par les membres des groupes cibles. Selon M. Nestor Cruz, membre de la "Equal
Employment Opportunity Commission" aux États-Unis, les coûts
d'implantation et de contrôle des programmes fédéraux
s'élèvent annuellement à près de 10 000 000 000 $.
Ces frais recouvrent essentiellement les salaires et honoraires versés
à tous ceux qui y participent tant du côté de
l'administration publique que de celui des entreprises et des avocats
spécialisés dans ce type de causes. Les bénéfices
qu'il estime dépassent nettement les coûts et atteignent 15 000
000 000 $ annuellement. Ils correspondent à l'augmentation de salaire
que recevraient les travailleurs, membres des groupes cibles, à la suite
d'une amélioration de leur statut occupationnel. M. Cruz fait
l'hypothèse que cette hausse de salaire serait de l'ordre de 2 % en
moyenne, ce qui semble très raisonnable. Les programmes et les
politiques contre la discrimination en emploi entraîneraient dans
l'ensemble un bénéfice annuel net de l'ordre de 5 000 000 000
$.
Un deuxième type de travaux se propose de comparer les
bénéfices reçus par les travailleurs, membres de groupes
cibles, aux coûts subis par les travailleurs, membres de la
majorité. Les résultats obtenus sont, encore une fois,
hypothétiques, mais ils n'en demeurent pas moins très
intéressants. À supposer que la ségrégration
occupationnelle soit complètement éliminée, ce qui est un
cas extrême, les travailleurs masculins membres de la majorité
subiraient une réduction de revenus variant de 0,4 % à 9 %. Selon
l'auteur de cette estimation, la limite inférieure serait plus
susceptible de se vérifier. En d'autres termes, le statut occupationnel
de ces travailleurs ne serait que très peu réduit. Par contre,
les travailleurs noirs verraient leurs revenus augmenter de 35 % et même
davantage. Leur statut occupationnel s'améliorerait donc
considérablement. En somme, on assisterait dans les entreprises à
une amélioration des postes de travail en général et non
simplement à un jeu de chaise musicale où le poste peu
intéressant qu'occuperait un travailleur minoritaire ou une femme est
pris par un travailleur majoritaire, et réciproquement.
Il est important de souligner ici que ces résultats sont
basés sur l'hypothèse selon laquelle le volume total d'emplois
reste, bien sûr, constant. Ils seraient plus optimistes ou plus
pessimistes selon que l'on postule une expansion ou une contraction du volume
d'emplois. En d'autres mots, les administrateurs publics, les entreprises et
les travailleurs de la majorité subissent les coûts financiers;
les membres des groupes cibles et, dans une moindre mesure, les administrateurs
publics reçoivent les bénéfices financiers.
La question qui se pose alors est de savoir comment atténuer
l'opposition ou, si l'on est optimiste, entraîner l'adhésion de
ceux qui, bien sûr, vont subir les coûts de ces programmes. Deux
voies, pour le moment, semblent prometteuses. D'une part, il faut
développer les études qui indiquent les bénéfices
potentiels pour les entreprises participantes. Aux États-Unis, on a
souligné, entre autres, une meilleure gestion du personnel, un
accès à un bassin élargi de la main-d'oeuvre, une baisse
du risque de poursuites judiciaires subies en vertu des lois
antidiscriminatoires. D'autre part, il faut
mettre l'accent sur la nécessité et l'utilité de
ces programmes pour la communauté dans son ensemble. D'abord, ils
reflètent un choix de société qui est largement
partagé, un souci d'équité et de justice sociale. Il est
important, dans cette perspective, d'évaluer et de mettre en relief les
coûts importants subis aujourd'hui par les membres des groupes
cibles.
Ensuite, du point de vue strictement économique, il faut insister
sur les bénéfices économiques importants
entraînés pas ces programmes non seulement pour les membres des
groupes cibles, mais aussi pour la société. Il faut souligner ici
que les estimations présentées précédemment
n'incluent pas l'augmentation de l'activité économique qui
résulterait, par exemple, de la hausse des dépenses de
consommation des travailleurs des groupes cibles. Cette hausse
consécutive à l'augmentation de leur salaire viendrait amplifier
les retombées économiques positives pour l'ensemble de la
société.
En conclusion, M. le Président, nous voudrions assurer les
membres de cette commission que la Commission des droits de la personne entend
jouer, dans l'application de la partie 3 de la Charte des droits et
libertés, un rôle actif en assistant les entreprises et les
institutions dans l'implantation des programmes d'accès à
l'égalité pour ainsi mettre de l'avant une action positive menant
à l'élimination de toute forme de discrimination. Pour ce faire,
nous sommes actuellement à compléter la mise en place d'une
équipe composée, entre autres, de personnes ayant des
connaissances pratiques de la gestion des entreprises tant dans le domaine de
la main-d'oeuvre que dans celui de la planification stratégique. Nous
croyons qu'ainsi nous pourrons efficacement collaborer tant avec les chefs
d'entreprises qu'avec les autres intervenants à la recherche de
solutions équitables qui pourraient faire appel au sens des
responsabilités de tous.
Enfin, vous me permettrez d'ajouter un dernier point concernant la
question des obligations contractuelles. Nous estimons, comme d'autres l'ont
fait avant nous devant cette commission, que les entreprises faisant affaires
avec le gouvernement devraient être soumises à des obligations
contractuelles pour la mise en place de programmes d'accès à
l'égalité. D'ailleurs, le gouvernement s'est déjà
engagé sur cette question. Il faut maintenant, je pense, rendre cette
décision opérationnelle. Toutefois, devant le nombre important de
questions qui ont été soulevées ici et qui se
soulèvent encore dans l'application de tels programmes, nous
suggérons qu'un comité formé de décideurs
interministériels se voit confier le mandat d'élaborer les
directives nécessaires, préalables à la mise en place de
ce programme dont l'importance est telle dans le développement des
programmes d'accès à l'égalité qu'elle ne saurait
reposer sur l'improvisation.
Je vous remercie, M. le Président et membres de cette commission,
de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre
à vos questions.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Lachapelle. Avant de
passer la parole au député de D'Arcy McGee, je dois vous
remercier particulièrement pour les paroles encourageantes et
élogieuses que vous avez eues à l'endroit de notre commission au
début de votre intervention. Je dois vous dire que si, la commission des
institutions s'est donné le mandat, justement, de consulter sur les
programmes d'accès à l'égalité, cela dénote
l'importance que les membres de la commission attachaient à ces
programmes-là. Nous espérons aussi que les consultations que nous
avons eues vont être utiles à la Commission des droits de la
personne qui aura un rôle important à jouer dans l'application de
ces programmes. M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier le
président, Me Lachapelle, la vice-présidente, Me
Trudeau-Bérard, la directrice des programmes d'accès à
l'égalité, Mme Caron-Hardy, et le conseiller spécial, M.
Yves Côté, d'avoir présenté ce mémoire de la
Commission des droits de la personne.
Il va sans dire que la Commission des droits de la personne a une
expertise tout à fait spéciale en ce qui concerne les programmes
d'accès à l'égalité. Elle travaille sur ce dossier
depuis quelques années maintenant et nous sommes très heureux
qu'elle ait vraiment travaillé sur ce dossier et consulté le
gouvernement, le cas échéant.
Il semble que vous êtes d'accord avec le règlement actuel
sauf en ce qui concerne trois modifications; peut-être que la
première et la deuxième sont plus importantes que la
troisième, mais vous voulez des modifications aux articles 1, 5 et 10,
essentiellement. Donc, je conviens qu'on va étudier vos recommandations,
le temps venu. (13 h 15)
J'étais heureux d'apprendre, dans votre conclusion, que ce sera
une bonne chose d'avoir des programmes d'accès à
l'égalité et que, surtout, ce sera profitable à tout le
monde. Une fois qu'on les aura mis en vigueur, ce sera possible pour tous de
déposer plus d'argent dans leurs comptes d'épargne et ainsi de
suite!
Les questions que j'aimerais vous poser concernent les rôles de la
commission. La commission a consulté le gouvernement en ce qui concerne
l'élaboration du règlement sur les programmes d'accès
à l'égalité. La commission, le cas échéant,
va appliquer ce
règlement, une fois qu'il sera adopté. Aujourd'hui, la
commission est devant cette commission des institutions afin de lui demander de
proposer, dans son rapport au gouvernement, des modifications au projet de
règlement. C'est beaucoup de rôles pour une commission. Je me pose
la question et je vous pose la question: Est-ce qu'il y a un conflit entre ces
rôles?
M. Lachapelle: II me semble, M. le Président, avoir
entendu une question quelque peu semblable sur l'ensemble des rôles de la
commission, non pas seulement sur la partie III, mais aussi sur le travail
qu'effectue la commission dans d'autres domaines, dans la poursuite de la
discrimination individuelle. Je crois qu'effectivement la commission a de
nombreux rôles à jouer face à l'implantation des programmes
d'accès à l'égalité.
Je voudrais d'abord corriger tout simplement un petit
élément. Quand vous dites que la commission a demandé au
gouvernement ses avis, c'est plutôt l'inverse.
M. Marx: Je m'excuse.
M. Lachapelle: C'est le gouvernement qui nous a demandé
notre opinion. D'ailleurs, c'est tout à fait conforme à la
loi.
M. Marx: Vous avez été des conseillers
auprès du gouvernement en ce qui concerne l'élaboration du
règlement, c'est cela?
M. Lachapelle: Effectivement.
M. Marx: C'est ce que je voulais dire.
M. Lachapelle: Je pense qu'encore aujourd'hui nous devons
apporter ce conseil, puisque nous avons élaboré durant de
nombreuses années toute la théorie. Nous avons passé
à travers et je pense que nous sommes bien placés pour
répondre à ces demandes de consultation.
Jusqu'à maintenant, nous nous en sommes tenus à des
conseils techniques. Jamais la Commission des droits de la personne n'est
intervenue pour dire au gouvernement comment, par la suite, il devait mettre en
place des politiques à l'intérieur de la fonction publique ou,
également, pour ce qui est des obligations contractuelles. La commission
n'a fait que jouer ce rôle d'expertise auprès du gouvernement.
D'autre part, dans l'ensemble du mandat qui lui a été
dévolu depuis dix ans, je crois que la commission s'est acquittée
avec beaucoup d'indépendance et de compétence de ce mandat. Si,
en apparence, il a pu y avoir quelquefois des conflits d'intérêts,
la commission a su, lorsque c'était nécessaire, faire
connaître son point de vue. Elle l'a fait en toute indépendance et
avec toute l'objectivité nécessaire.
Pour ce qui est des programmes d'accès à
l'égalité, je ne crois pas - on le verra à l'usage - qu'il
y ait de conflit d'intérêts à appliquer le règlement
tel que nous venons de le voir et tel qu'il est formulé
actuellement.
M. Marx: Je vais reprendre ma question d'une autre façon.
Je m'excuse, parce que j'ai effectivement fait une erreur quand j'ai dit "la
commission a consulté le gouvernement"} c'est le contraire.
L'Assemblée nationale modifie beaucoup de lois et il y a beaucoup de
commissions, d'offices qui sont impliqués. Par exemple, quand on modifie
la Loi de police, la Commission de police ne vient pas devant
l'Assemblée nationale afin de plaider pour certaines modifications de la
loi. Quand on a modifié la loi 101 par la loi 57, l'Office de la langue
française n'est pas venu devant la commission des institutions demander
certaines modifications de la loi et ainsi de suite.
Donc, j'imagine que la Commission des droits de la personne a un
rôle tout à fait spécial, tout à fait
différent de celui de toute autre commission ou office au Québec,
parce que vous venez devant la commission afin de proposer, en public, des
modifications à un règlement, à une loi que vous
êtes chargés d'appliquer. Là, il peut y avoir un certain
conflit de rôles, il me semble. Peut-être que j'ai tort. Ce n'est
pas une critique que je fais, c'est une question que je pose.
M. Lachapelle: Je pense qu'effectivement c'est la loi qui
prévoit que la commission doit venir, doit être consultée
et être consultante sur la question de la réglementation.
M. Marx: Je veux dire devant la commission parlementaire.
M. Lachapelle: Bien sûr.
M. Marx: Ce n'est pas exigé. La loi ou la charte n'exige
pas que la Commission des droits de la personne se présente devant la
commission des institutions et fasse d'une façon publique une plaidoirie
favorable à des modifications au règlement et à la charte
qu'elle est appelée à appliquer.
M. Lachapelle: Je pense que l'énoncé que vous venez
de faire peut difficilement être contredit. C'est exact que tous ces
rôles sont dévolus à la Commission des droits de la
personne. Il y a peu ou pas de réponse à l'argumentation que vous
venez de tenir. Cependant, ce qu'on peut indiquer, c'est que la commission et
les membres de cette commission sont nommés par l'Assemblée
nationale, ce qui lui donne cette
indépendance et cette distance par rapport au gouvernement.
M. Marx: Supposons que le gouvernement adopte le règlement
tel quel, sans les modifications que vous avez proposées, on saura que
la Commission des droits de la personne n'est pas tout à fait heureuse
du règlement qu'elle est appelée à appliquer.
M. Lachapelle: Mais la commission se fera tout de même un
devoir de le mettre en application rigoureusement.
M. Marx: Oui, c'est évident. Aussi, la commission
interprète certains articles qu'elle sera appelée à
interpréter dans l'application du règlement auprès de
certaines entreprises. Peut-être que l'interprétation
d'aujourd'hui ne sera pas celle de demain, après avoir
étudié l'article en question dans son application pratique. Il
peut y avoir des problèmes de cet ordre.
M. Lachapelle: Je pense que nous sommes ici pour éclairer
la commission. Encore une fois, je le répète, lorsque le
règlement aura indiqué de façon très précise
quelles sont les obligations de la commission, nous ferons ce qui est inscrit
dans cette réglementation. Bien sûr, comme à chaque
année, nous ferons un rapport à l'Assemblée nationale.
Nous sommes redevables, à ce moment-là, nous devons
répondre devant l'Assemblée et nous répondrons, bien
sûr, de nos interprétations à ce moment-là.
Le Président (M. Gagnon): Mme Trudeau-Bérard, je
pense, avait quelque chose à ajouter.
Mme Trudeau-Bérard (Nicole): Je voudrais juste ajouter, M.
Marx, qu'essentiellement notre mémoire souligne la
nécessité d'un règlement et il indique que ce
règlement, tel que rédigé, contient les
éléments essentiels et fondamentaux à tout programme
d'accès à l'égalité. Maintenant, nous ajoutons
quelques remarques qui peuvent être prises en considération, qui
ont, d'ailleurs, été traitées par d'autres organismes et
qui peuvent bonifier le règlement. Mais, essentiellement, la commission
est d'accord avec le règlement qui est présenté.
M. Marx: Comme le président l'a déjà
souligné, j'ai critiqué non pas la commission, mais la charte
dans le sens que cela donne à la commission des rôles, je ne
dirais pas conflictuels, mais qui peuvent avoir l'apparence d'être
conflictuels, c'est-à-dire que la commission reçoit des plaintes
de discrimination, fait des enquêtes, fait l'arbitrage, poursuit la
personne qui n'est pas prête à accepter une recommandation de la
commission, propose que les tribunaux imposent des sanctions, etc. Cela peut
être conflictuel. C'est un peu comme cela dans d'autres commissions, je
pense. Il y a une décision de la cour fédérale sur cette
question en ce qui concerne la nomination, par exemple, par la commission
fédérale des "boards".
Mme Trudeau-Bérard: Ce qui est bien différent de la
Commission des droits de la personne, comme vous le savez.
M. Marx: C'est bien différent. On peut faire des
distinctions en droit, ce qu'il faut faire, mais je veux dire: Est-ce qu'on n'a
pas voulu donner trop de rôles à la même commission?
Maintenant, je vois qu'en vertu du règlement c'est un peu la même
chose. La commission va avoir le mandat de faire enquête, la commission
peut se donner un mandat d'initiative de faire enquête, la commission va
faire l'arbitrage, elle va proposer le programme à suivre, elle va
peut-être aller devant les tribunaux pour faire en sorte que l'entreprise
soit sanctionnée, etc. Cela a peut-être déjà
été soulevé par certains intervenants, ces multiples
rôles de la commission qui pourraient avoir l'apparence d'un conflit
d'intérêts non pas dans le mauvais sens, mais dans le meilleur
sens du mot, en ce sens que la commission, bien sûr, veut promouvoir les
droits de la personne, il n'y a pas de doute sur cela.
Le Président (M. Gagnon): Cela va?
M. Lachapelle: Vous aimeriez qu'on ajoute à vos
commentaires?
M. Marx: Si vous le voulez.
M. Lachapelle: On peut étudier différents
mécanismes pour essayer de corriger cette situation. De toute
façon, dans l'état actuel de la loi, on se rend bien compte qu'on
n'en sort pas. Il y aurait peut-être lieu de regarder cette dimension
pour pouvoir, justement, peut-être diviser, d'une certaine façon,
les rôles de la commission. Il faudrait peut-être créer
éventuellement un tribunal et voir comment ces différents
rôles pourraient être joués par d'autres organismes et
d'autres façons.
M. Marx: Je vois que nous sommes sur la même longueur
d'onde. S'il y a faute et s'il y a rôle conflictuel, la faute en revient
à l'Assemblée nationale, bien sûr, parce que c'est
l'Assemblée nationale qui a adopté la charte.
M. Lachapelle: M. le Président, je dois vous avouer que
nous n'étions pas préparés pour nous entretenir avec vous
sur cette question qui est éminemment importante, j'en
conviens.
M. Marx: On prend toutes les occasions possibles pour la
soulever.
M. Lachapelle: J'en conviens!
M. Marx: Sans vouloir vous presser de nous donner une
réponse définitive.
M. Lachapelle: Merci, M. le député.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Vachon.
M. Payne: On a attendu toute la semaine pour écouter la
Commission des droits de la personne. Cela me fait plaisir de vous
féliciter non seulement pour le mémoire qui est remarquablement
étoffé, mais aussi pour le travail monumental que vous avez
accompli au cours des années et pour la contribution que vous avez
apportée à une large part de notre importante législation
québécoise, spécialement depuis les quelques
dernières années.
On a enregistré l'appui de la Commission des droits de la
personne sur l'ensemble du règlement. On a remarqué aussi vos
réserves quant à la non-application aux programmes volontaires et
aux programmes gouvernementaux. On a remarqué aussi le fait que la
Commission des droits de la personne demande que la notion d'organismes du
gouvernement soit mieux définie afin d'éliminer toute incertitude
juridique quant aux organismes visés. D'ailleurs, on en a
déjà discuté à quelques reprises cette semaine.
Vous préféreriez une définition restrictive, si on retient
l'hypothèse que le gouvernement se soustrairait à l'application
du règlement tel qu'il est.
Vous faites mention aussi de la complexité et du caractère
coûteux des analyses de disponibilité à l'article 5 du
règlement, lesquels devraient être considérés, et
vous demandez que la responsabilité de ces analyses vous revienne, si je
comprends bien et qu'à cette fin accès vous soit donné aux
banques de données que le gouvernement détient. J'aurais quelques
questions moi-même en ce qui concerne la faisabilité de cela face
à la loi sur l'accès à l'information. Je suis certain que
vous avez déjà quelques idées là-dessus. (13 h
30)
Ma question serait plutôt spéculative. Je regarde l'avenir,
d'une part. Comment nos tribunaux vont-ils trancher sur l'application de ce
règlement? On s'entend tous pour dire que votre rôle est
primordial. On regarde aussi en arrière, on regarde l'expérience
américaine, les expériences italiennes et britanniques. Face au
développement récent de la jurisprudence américaine sur
cette question, pourriez-vous nous faire part - c'est plutôt une
discussion politique, philosophique - de la façon dont vous êtes
préparés à faire face à ce débat qu'on va
enclencher? C'est un choix de société qu'on fait, c'est un choix
du gouvernement, dans un premier temps, mais je pense que cela reflète
un mouvement de la société. On espère, nous, du
côté politique - et tout le monde, je pense - que ce ne soit pas
seulement un débat juridique devant les tribunaux, mais aussi un
débat de société.
Ma question a deux tranches. Dans quelle mesure êtes-vous
préparés à mener ce débat, à être un
des principaux leaders de ce débat, mais aussi à promouvoir
auprès de la société "at large" les grandes lignes de la
loi? Vous me direz tout de suite, j'en suis certain, que vous n'avez pas les
ressources que vous voudriez avoir. On serait tous d'accord, mais je pense que
la question devrait se poser, à savoir dans quelle mesure la commission
voit la possibilité de mener ce débat.
Le Président (M. Gagnon): M. Lachapelle.
M. Lachapelle: Je pense que vous posez là une question
extrêmement importante. Les programmes d'accès à
l'égalité - je pense que cette commission a réellement
élevé le débat à ce niveau, plus qu'à un
débat politique sur les mots - c'est véritablement un changement
de société face à des minorités, à des gens
que systématiquement et systémiquement on a exclu, pour des
raisons qu'on n'est souvent pas capable de percevoir. C'est donc un changement
de société qu'il faut effectuer.
On ne se fait pas d'illusions en pensant que la partie III de la charte
et qu'un règlement à côté viendront modifier tout
cela parce que la loi le dit tout simplement. Il ne s'agit pas d'aller dans la
société et de dire: Faites cela et vous vivrez. Je pense que
c'est une très mauvaise attitude que de penser qu'on pourra aller en
missionnaires face à la société. Ce qu'on voudrait tenter
de développer auprès des entreprises, c'est d'abord une
entreprise de "partnership", de marketing, aller leur démontrer...
On est très heureux. Je ne sais pas si cet article de Fortune a
été télécommandé, mais je pense qu'il vient
au bon moment pour nous indiquer que, finalement, les entreprises en ont
bénéficié. C'est une partie importante. Si on veut mettre
sur la route des conseillers en programmes d'accès à
l'égalité et aussi quelques enquêteurs, on voudrait faire
également des recherches de base sur cette question. Les quelques
éléments que je vous ai fournis tantôt sont tirés de
ces recherches que nous tentons de faire actuellement.
Les premières personnes que nous avons engagées à
la commission ne sont pas des
enquêteurs, ne sont pas des conseillers. Ce sont des personnes
qui, dans la recherche, vont, justement, tenter de démontrer ce qui
s'est fait ailleurs, quels sont les points positifs, quels sont les points
forts, quels sont les éléments qui permettent, justement, de
mettre en place ces programmes d'accès à l'égalité
sans que, d'une part - c'est la grande crainte du patronat - on crée des
faillites. D'autre part, il faut qu'on puisse aussi changer les habitudes d'une
bonne partie de la société qui doit apprendre à accepter
la présence des groupes minoritaires.
Nous sommes bien conscients que la commission a un rôle majeur et
très important à jouer dans la société. Je dois
rassurer les membres de cette commission en disant que c'est une de nos grandes
préoccupations. Bien sûr, vous nous permettez de vous le dire, les
effectifs que nous avons ne nous permettront pas de quadriller la province et
d'aller faire le tour de chacune des entreprises. Je pense que ce serait une
aventure, d'abord, qui mènerait probablement à la faillite des
programmes d'accès à l'égalité, si on devait faire
cela. On voudrait plutôt choisir des cibles, aller dans des secteurs
particuliers, tenter d'approcher et de faire connaître les
résultats positifs que peut apporter une telle entreprise.
M. Paynes Merci. Je suis encouragé que vous assumiez cette
vocation de taille. Il serait fascinant de suivre cela de tous les
côtés: du côté de l'Assemblée nationale, du
côté de tous les élus, du côté de
l'administration publique, du côté de l'entreprise, du
côté du syndicat. Je pense qu'il est nécessaire que ce soit
un débat avec un niveau de discussion très élevé,
un débat de toute la collectivité québécoise.
Cela me fait penser aussi à une autre considération qui,
j'en suis certain, va être discutée de nouveau. Cela fait partie
du tissu québécois. C'est la distinction entre les droits
collectifs et les droits individuels. Je me souviens qu'à quelques
reprises les membres de la commission sont venus à Québec, il y a
deux ans, pour discuter de la question de l'affichage et de la loi 101. Il y
avait un éloquent témoignage de la part de la commission sur la
notion des droits collectifs. Je ne voudrais pas assumer le risque de
déformer ce que la commission prétendait, mais l'argumentation
allait dans le sens de suggérer que c'était très difficile
de définir les droits collectifs et, effectivement, de
légiférer là-dessus.
Ici, on fait face à une pièce de législation,
à une réglementation qui va vraiment dans le même sens. Le
B'Nai Brith, hier, a souligné l'apport d'un certain Américain qui
avait dit à un moment donné, qu'il faut absolument
légiférer pour les intérêts des droits collectifs
afin de faire avancer la société. Vous connaissez les arguments.
Mais, dans quelle mesure la commission est-elle prête à
défendre les droits collectifs contenus là-dedans, qui vont
effectivement changer, je pense, un peu votre mandat par rapport au
passé, au moins votre procédure administrative qui avait
plutôt comme but de défendre les intérêts des
individus?
M. Lachapelle: Je pense qu'il faut vraiment regarder quels sont
les effets pratiques finalement, d'un programme d'accès à
l'égalité. Il est sûr que, tout au long de ces rencontres,
on a parlé de discrimination systémique, on a parlé de
groupes défavorisés et on a semblé les mettre en
opposition. C'est un peu la philosophie de la charte de mettre en opposition
les individus par rapport aux groupes. Il y a une partie où on parle de
discrimination individuelle et, finalement, il y a une autre partie, qui est la
partie III, où on parle de discrimination systémique qui
s'attache aux groupes. C'est sans doute notre esprit cartésien qui nous
fait voir la situation de cette façon.
Mais quand on regarde, comme je le mentionnais tantôt, le
résultat pratique d'un programme d'accès à
l'égalité, il faut bien comprendre qu'il ira s'attacher ensuite
à chacun des individus. C'est chacun des individus, et non pas la
collectivité, qui se verra ensuite placé dans une situation plus
confortable, lui permettant de monter dans la hiérarchie d'une
entreprise de façon plus acceptable socialement.
Bien sûr, on imagine, à la fin, que c'est tout le groupe
qui en profitera, quand on refera la tournée et qu'on ira voir quel est
le résultat de cette entreprise. Comme je le mentionnais tantôt,
c'est tout le groupe des Noirs qui s'est vu attribuer, semble-t-il, une
augmentation de quelque 35 %. C'est toute la société et toute la
collectivité aussi qui en bénéficieront. Mais c'est aussi
chacun des individus. C'est à partir de ces éléments que
l'entreprise devra travailler. Elle jugera de la compétence d'un
individu et non pas de celle d'une collectivité. Je pense, quant
à moi, que c'est probablement la seule façon de faire le lien
entre cette dimension des droits collectifs et des droits individuels. Les
programmes d'accès à l'égalité, justement, sont
peut-être un des éléments qui font le lien entre ces deux
notions.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Châteauguay.
M. Payne: Merci beaucoup.
M. Dussault: Merci, M. le Président. Je remercie les
membres de la Commission des droits de la personne de la qualité de leur
mémoire. Il est sûrement à la hauteur de la mission que
vous avez. J'ai quelques
questions assez particulières à poser. Par exemple,
relativement aux analyses préalables à l'implantation des
programmes d'accès à l'égalité, le règlement
prévoit qu'elles seront faites par votre commission. Je me fais un peu
l'avocat du diable, comme adjoint parlementaire au ministre de l'Industrie et
du Commerce, et je vous pose cette question. Est-ce que le fait que ce soit une
mission qui vous sera accordée n'enlèverait pas des droits aux
employeurs, d'abord, de contester ces analyses et, ensuite, même de
pouvoir faire ces analyses eux-mêmes? J'aimerais avoir votre
réaction là-dessus.
M. Lachapelle: II faut, je pense, considérer deux genres
d'analyses. Il y a, d'abord, une analyse interne. Je ne pense pas que ce soit
de cette analyse que vous parlez. On pense à l'analyse interne des
effectifs d'une entreprise qui appartient à l'employeur et qui ne sera
pas faite par la Commission des droits de la personne, sauf en cas
d'enquête où on devra la faire en demandant la documentation d'une
entreprise. On parle, bien sûr, de ces analyses de disponibilité
du marché. À ce moment-là, la suggestion faite par la
Commission des droits de la personne n'enlèverait pas à chacune
des entreprises la possibilité de faire ces analyses. Ce qu'on sait,
c'est que ce sont des analyses qui coûtent très cher. Il faut,
pour arriver à travailler avec ces données, des systèmes
informatiques, des spécialistes dans le domaine, de l'arrimage entre
certaines banques de données. Quant à nous, on pense que la
Commission des droits de la personne devra les faire pour les fins de ses
propres expertises. On pense que c'est à la Commission des droits de la
personne qu'on devrait confier cette tâche. Sinon, on les fera faire
à deux endroits. Ce serait un peu malheureux de demander à
statistique Québec ou à l'Industrie et au Commerce de faire ces
mêmes analyses. Chez nous, nous devrons les faire pour les fins de nos
propres dossiers.
D'autre part, vous dites: Est-ce qu'une entreprise pourra contester les
analyses faites par la commission? Bien sûr, ces analyses pourront
être contestées devant un tribunal ou même devant la
commission. On ne pense pas avoir le monopole de la vérité en
ayant été habilité par quelque règlement que ce
soit à faire ces analyses de disponibilité.
M. Dussault: Si je comprends bien, particulièrement en ce
qui touche les coûts, ce sera même un service appréciable
à rendre à la petite et à la moyenne entreprises que ces
analyses soient faites par votre organisme.
Ma deuxième question est relative à l'article 11 et au
rapport annuel qui devrait venir des entreprises qui appliquent des programmes
d'accès à l'égalité. Ce que vous avez avancé
ici, ce matin, que le rapport annuel ne devrait pas être obligatoire en
ce qui touche les programmes volontaires, si je ne me trompe pas, ce
n'était pas écrit dans votre mémoire. Pourriez-vous me
dire pourquoi vous avancez ce point de vue ce matin?
M. Lachapelle: Parce que l'article 86.2 n'est pas en application.
Or, lorsqu'on constate que le premier paragraphe de l'article 86.2 n'est pas en
vigueur et qu'on lit l'article 11, par la suite: "L'employeur auquel s'applique
un programme...", nous disons: Ce sont ceux que la commission recommandera ou
demandera à un tribunal. On ne pense pas que cet article... En tout cas,
si c'est cela qu'on veut lui faire dire, il faudrait que ce soit très
clair; auquel cas, les autres questions qui vont suivre seront sûrement
intéressantes. Mais nous pensons que, dans le cadre actuel de cet
article 11, il ne s'appliquerait, justement, qu'à l'employeur auquel
s'applique un programme. Je ne sais pas s'il y a d'autres
interprétations autour de cette table. (13 h 45)
M. Dussault: Mais est-ce qu'il n'y aurait pas un
intérêt, justement, à ce que vous les ayez, ces rapports,
sans avoir des exigences qui demanderaient un travail effrayant de la part des
entreprises? Est-ce qu'il n'y aurait pas un intérêt a ce que vous
ayez ces rapports même pour les programmes à caractère
volontaire?
M. Lachapelle: II y aurait sûrement un très grand
intérêt à ce qu'on connaisse non seulement ce qui existe
dans les programmes volontaires, mais également la situation des
entreprises face à l'embauche des employés, des groupes
minoritaires et des groupes cibles. Nous avons bien l'intention de faire des
recommandations au gouvernement en ce sens pour obtenir des données,
justement, pour nous permettre de suivre l'évolution de l'accès
à l'égalité en l'emploi.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee. Est-ce que vous aviez terminé?
M. Dussault: Est-ce que j'ai encore du temps, M. le
Président? Pour diversifier un peu.
M. Marx: Vous n'avez pas de temps, mais on est prêt
à vous en accorder.
Le Président (M. Gagnon): Je vous accorde une autre
question.
M. Dussault: D'accord. Si j'ai encore du temps, je reviendrai
après. Cela va diversifier un peu. Allez, M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci. Je suis certain que les gens du patronat seront
rassurés d'apprendre que vous avez une approche réaliste et que,
le lendemain de l'adoption des règlements, il n'y aura pas d'inspecteur
devant leur porte. Souvent, on a cette impression que le monde a peur que le
lendemain tout soit bousculé. Ce n'est pas votre approche, c'est
évident. Où allez-vous commencer pour l'implantation de ces
programmes? Comment pensez-vous implanter ces programmes? Est-ce que vous
pensez avoir des modèles? Est-ce que vous allez prendre certaines
industries, certaines entreprises d'une certaine taille? Est-ce que vous allez
commencer par les PME ou avec les grosses compagnies, les multinationales? Je
sais que vous êtes en train de travailler à ces problèmes
depuis un an, depuis que nous avons voté des crédits pour vous
donner le personnel.
M. Lachapelle: Je dois dire que notre première
démarche a été d'embaucher des employés.
Actuellement, on en reçoit en entrevue, je pense qu'on a eu quelque 350
candidatures tout récemment. On est en train, justement, de
procéder au recrutement. Qu'est-ce qu'on va demander à ces
employés, parce qu'ils ne sont pas là? Ce qu'on va leur demander
en premier lieu, je pense que c'est, justement, d'établir une
stratégie d'intervention de la commission. Vous l'avez mentionné
tantôt...
M. Marx: Ce n'est pas fait encore.
M. Lachapelle: Ce n'est pas fait encore parce que les employés ne
sont pas là. Il y a deux personnes.
M. Marx: Juste deux personnes.
M. Lachapelle: II y a deux personnes actuellement à notre
service.
M. Marx: D'accord. Je pense que nous avons voté 27...
M. Lachapelle: 25 postes.
M. Marx: ...25 postes et vous n'avez engagé que deux
personnes.
M. Lachapelle: C'est ça. C'est-à-dire actuellement
deux personnes. Il y a trois autres personnes qui sont également au
secteur de la recherche qui sont des économistes, qui sont des
démographes et qui regardent plutôt cette question dans son
ensemble. Les autres personnes devraient commencer à faire des
études de stratégie, à savoir comment la commission va
intervenir dans le secteur des entreprises.
M. Marx: Par exemple, quand vous aurez terminé vos
études sur la stratégie à suivre par la commission, est-ce
que vous allez rendre votre stratégie publique pour que tout le monde
puisse prendre connaissance des interventions futures de La commission et se
préparer, le cas échéant?
M. Lachapelle: C'est là un élément essentiel
de cette stratégie qui n'est pas développée. Mais je pense
que c'est là un élément essentiel d'avoir cette
transparence et de bien indiquer aux employeurs comment nous allons
entreprendre des démarches avec eux. Vous avez mentionné
tantôt: Est-ce qu'on ira dans toutes les entreprises ou dans quelques
entreprises? Je pense qu'au départ les indications montrent qu'on
voudrait aller dans des entreprises de pointe qui devraient par la suite
inciter d'autres entreprises à continuer et à enclencher un
processus semblable.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Châteauguay, une courte question, parce que notre
temps est écoulé, qui sera suivie par une autre courte question
de la part du député de Vachon.
M. Dussault: Je vais essayer d'être bref. Cela concerne le
rôle syndical qui a été évoqué par les
dirigeants de la plupart des centrales syndicales. Par contre, le Conseil du
statut de la femme a parlé davantage d'un comité paritaire.
J'aimerais avoir votre réaction à cet égard. On a dit
qu'un rôle formel des syndicats dans l'implantation des programmes
pourrait avoir pour effet d'en bloquer l'implantation. J'aimerais savoir ce que
vous pensez. C'est l'avantage de vous avoir à la toute fin des travaux
puisque cela nous permet de reprendre certains éléments qui ont
été avancés pendant les travaux de la commission et de
vous faire réagir. J'aimerais avoir votre réaction sur cela.
M. Lachapelle: On en a fait état rapidement dans notre
mémoire. C'est intéressant qu'on revienne sur cette question qui,
à mon sens, est primordiale. Elle a été soulevée
par tous les représentants syndicaux qui sont venus ici et qui, eux,
voudraient voir des négociations. Quant à la commission, notre
point de vue est le suivant et c'est un point de vue qui est tout à fait
juridique. On dit qu'un programme est imposé. On recommande un
programme. À partir de ce moment, nous estimons qu'il n'y a pas de
négociations possibles entre le syndicat et le patronat parce que cela
devient une responsabilité de l'employeur de le mettre en application.
Il peut difficilement partager cette responsabilité. Ce que nous disons
immédiatement après, c'est que pour le mettre en application -
mais c'est une autre question, c'est une question de stratégie
d'implantation - cela doit se faire
nécessairement en collaboration avec des comités
bipartites ou tripartites suivant le cas. S'il y a un syndicat, on estime qu'il
devrait y avoir également des représentants des groupes cibles
qui viendraient donner un éclairage un peu particulier à la mise
en place de ces programmes.
Nous croyons que l'esprit actuel de la loi ne fait pas que des
programmes d'accès à l'égalité doivent être
négociés, d'autant plus qu'un programme d'accès à
l'égalité, c'est tout de même une politique très
précise. Il n'y a pas une grande place à la négociation
dans tout cela, encore une fois, à notre avis. Et il est, par ailleurs,
temporaire. Il devient peut-être assez difficile de négocier cela
dans le cadre d'une convention collective. Qu'on négocie les grandes
lignes, qu'on négocie qu'il devrait y avoir dans les meilleurs
délais, dans une entreprise un programme d'accès à
l'égalité, que le programme d'accès à
l'égalité devrait protéger certains droits particuliers,
probablement qu'on devrait négocier ces bouts. Mais, est-ce qu'on peut
aller négocier l'embauche de tant de personnes, que la promotion devrait
se faire de telle et telle façon pour favoriser tel groupe qui a
été défavorisé? À notre avis, ce sera une
imposition qui sera faite à l'employeur de procéder de telle et
telle façon, et on trouve difficile, quant à nous, que cela
puisse se négocier par la suite avec le syndicat.
M. Dussault: Je vous remercie.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député de Vachon.
M. Payne: Comme mes collègues, en vous remerciant encore
une fois pour votre présentation et connaissant votre
intérêt durant toute la semaine pour tous les travaux de la
commission en écoutant les groupes, les syndicats et les associations,
pourrais-je vous suggérer, si vous avez des commentaires particuliers
sur les présentations des différents groupes - pour la
commission, cela pourrait être intéressant - de nous les faire
parvenir avant la prise en considération du rapport? Je vous remercie
beaucoup.
M. Lachapelle: Cela nous fera sûrement grandement plaisir
de collaborer.
M. Marx: Vous ne serez pas en conflit.
M. Lachapelle: C'est la question que j'allais vous poser.
Le Président (M. Gagnon): M. Côté, Mme
Bérard, Mme Hardy et M. Lachapelle, merci infiniment pour
l'éclairage que vous avez apporté à cette commission. Nous
suspendons nos travaux jusqu'à... Oui, M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Nous suspendons. Peut-être qu'on pourrait
prendre 30 secondes ou 1 minute pour donner une information. Vous vous rappelez
qu'hier ou avant-hier, lors des travaux, on s'était demandé quels
étaient les moyens qui étaient pris pour attirer des gens des
communautés culturelles dans la fonction publique. À ce moment,
on n'était pas sûr que les bons moyens étaient pris. Des
gens des ressources humaines, ici, m'ont fourni des informations à
savoir qu'il y a un projet pilote qui a commencé il y a quelques
semaines et qui va durer trois mois. On va publier dans la Gazette, en anglais,
les annonces de postes qui sont à la disposition de gens qui veulent
travailler dans la fonction publique. Je crois que c'est important de le dire
puisque l'impression qui était restée jusqu'à la fin de
cet échange, c'est qu'il ne se passait rien. Il m'apparaissait important
qu'on le dise.
M. Marx: Un "move" important par le gouvernement.
Le Président (M. Gagnon): Merci de cet éclairage
additionnel, M. le député de Châteauguay. Nous suspendons
nos travaux jusqu'à 15 heures, alors que nous entendrons M. Lotfi.
(Suspension de la séance à 13 h 55)
(Reprise à 15 h 2)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission des institutions se réunit afin de terminer
son mandat. À la suspension de nos travaux, ce midi, il nous restait
à entendre M. Lotfi, c'est cela?
M. Lotfi (Ahmed): C'est bien cela, oui.
Le Président (M. Gagnon): Je vous souhaite la bienvenue.
Nous vous avons gardé pour le dessert, voyez-vous? Je vous souhaite la
bienvenue et je vous cède le micro immédiatement pour faire
lecture de votre mémoire, et, après cela, il y aura une
période d'échanges avec les membres de la commission.
M. Ahmed Lotfi
M. Lotfi: Merci beaucoup, M. le Président. Il me fait
plaisir de me présenter devant votre commission, afin de soulever un
problème qui touche toutes les minorités ethniques.
Un jour, nous avons été tentés d'immigrer, pour des
raisons économiques évidentes, d'autres, pour des raisons
politiques. Mais voilà qu'un jour nous avons tous
rêvé vivre ici, libres, égaux et économiquement
comparables à la majorité. Mais, grand était l'espoir,
arrière est la déception. La présente intervention a pour
but d'attirer l'attention de votre honorable commission sur la situation
économique, le degré d'appauvrissement et le haut taux de
chômage qui touche, de façon dramatique et hors normes, les
minorités culturelles au Québec.
Il ne s'agit pas ici d'une analyse détaillée de tous les
problèmes des minorités, mais plutôt d'un témoignage
sur quelques pratiques intolérables qui handicapent les minorités
culturelles et surtout celles du tiers monde. La politique sociale devrait
considérer les immigrants du tiers monde comme un seul groupe qui se
distingue par des pratiques religieuses différentes, des
caractéristiques identifiables visuellement et un niveau de formation
spécialisée plus élevé.
Souvent, les preneurs de décisions considèrent les deux
premières caractéristiques dans l'évaluation du candidat,
d'où résulte une discrimination systémique. Les structures
d'accueil, d'information et d'orientation du nouvel immigrant ne
répondent pas exactement à ses besoins. L'égalité
des chances en emploi ne prévaut pas pour tous les citoyens. Faire
partie de la fonction publique et prendre part aux décisions nationales
restent la chasse gardée des natifs d'ici.
Dans de telles conditions, l'intégration, l'identification et la
solidarité avec la majorité ne sont pas réalisables. Pour
faire respecter les droits à l'égalité, des structures
existent déjà. Il suffit seulement de bien définir leurs
rôles et pouvoirs. L'adaptation sociale de l'immigrant dépend de
l'obtention d'un emploi, de certains biens et services avant qu'il ne devienne
satisfait de sa vie et s'identifie à sa société
d'accueil.
La situation financière d'une personne détermine ce
qu'elle mange, où elle vit, sa santé physique, son
équilibre mental, son niveau d'éducation et son
intégration sociale.
Discriminées et moins protégées, plusieurs des
minorités culturelles souffrent de la crise économique et du
chômage plus que la moyenne nationale. Selon une étude du MCCI, le
chômage atteint 32 % chez les Indochinois. D'autres estimations
évaluent le chômage autour de 40 % chez les Maghrébins et
de 40 % à 50 % chez les Sud-Américains. Le revenu moyen
disponible par famille d'immigrants varie entre 12 000 $ et 13 000 $, alors que
la moyenne nationale au Québec est de 25 000 $. Le haut taux de
chômage, le bas revenu sont des indices d'un degré de
pauvreté évident. La famille ne peut plus subvenir à ses
besoins; elle subit plutôt le processus d'appauvrissement qui engendre
l'instabilité, le découragement et la démobilisation face
aux responsabilités sociales. Cet appauvrissement pousse à la
"ghettoïsation" en matière d'emploi, d'habitation,
d'activités sociales et du choix de l'école pour nos enfants. De
nouveaux ghettos scolaires sont en formation à Montréal,
découlant des problèmes d'intégration
générale et d'une situation économique déplorable
pour les minorités. Les politiques sociales ne répondent pas
à nos besoins. La disponibilité des services et leur
fonctionnement ne tiennent pas compte de la réalité
multiculturelle.
Il y a des problèmes à régler d'urgence au niveau
de l'emploi, avant d'aborder tout autre aspect de la situation des immigrants.
Laisser pourrir davantage notre situation économique, c'est se
préparer à des troubles sociaux semblables à l'occupation
des usines Talbo à Paris ou les manifestations violentes actuelles des
minorités de Londres.
Le bon sens, la prudence, la volonté de vouloir bâtir une
société plus juste et équilibrée doivent guider la
majorité à remettre en cause ses attitudes à
l'égard des groupes ethniques. Car le Québec est aussi
confronté à son tiers monde interne qu'il ne parvient pas
à assumer. Surtout en période de crise, quand s'affirment les
seuils d'intolérance dans une société qui devient
pluri-ethnique sans vouloir le savoir. Encore faut-il que les injustices
littéralement suicidaires soient combattues'. Encore faut-il que soit
assuré, en toute circonstance, sans distinction d'ethnie, de race, de
religion, le droit de vivre décemment!
Marché du travail et discrimination. Sommes-nous
inférieurs? Selon le MCCI, 20 % des immigrants n'ont aucune
expérience dans l'emploi projeté; 30 % ont de un an à
trois ans d'expérience et 48 % ont quatre années et plus. Une
autre étude avance que 64,9 % avaient un métier dans leur pays
d'origine. L'expérience professionnelle moyenne est de 8,9 années
et, pourtant, 41 % ne travaillent pas dans leur métier. Quant au niveau
de scolarité collégiale et universitaire des immigrants issus du
tiers monde... Je m'excuse'. Il s'agit de tous les immigrants en
général: ceux qui proviennent des États-Unis, 42 %; du
Royaume-Uni, 46 %; des pays européens, 33 %; des autres pays, 52 %. Ces
données nous prouvent que les immigrants du tiers monde ont un niveau de
scolarité plus élevé que la moyenne nationale au
Québec.
Ces données et les niveaux de revenus nous indiquent qu'il n'y a
pas de relation entre le degré de scolarité et les revenus chez
les groupes ethniques minoritaires ayant émigré du tiers
monde.
Des pratiques intolérables. Les handicaps. Les études les
plus récentes indiquent qu'il existe de la discrimination
systémique en matière d'emploi. L'une d'elles, rendue publique en
janvier 1985,
indiquait qu'un Blanc se voyait offrir trois emplois pour un offert
à un Noir. Une autre étude du mois de juin 1983 sur les
titulaires de maîtrise en administration (MBA) a démontré
que, même si les membres de minorités visibles avaient
envoyé plus de demandes et s'étaient présentés
à plus d'entrevues, ils ont reçu moins d'offres d'emploi.
Un cas vécu. En 1983, nous étions cinq
Néo-Québécois à recevoir le diplôme de MBA
parmi vingt-cinq collègues québécois de vieille souche.
Ces derniers ont pu sans grande difficulté se trouver un travail,
plusieurs dans la fonction publique ou parapublique. J'en suis personnellement
ravi pour eux. Là où le bât blesse et la discrimination
apparaît, c'est quand quatre, parmi les cinq immigrants, ont
été obligés de quitter la province - un pour l'Ontario,
trois pour l'étranger - pour pouvoir travailler. Quant au
cinquième, il est en chômage en train de vous exposer cette
situation intolérable. Mon seul crime, c'est d'avoir choisi de rester au
Québec. Jusqu'à quand? Je n'en sais plus rien. Ce seul exemple
illustre bien la réalité dans laquelle se débattent la
plupart des universitaires immigrants.
De la promotion suivante, il en est sorti un autre MBA
néo-québécois. Il semble que depuis 17 mois il a perdu
espoir et se prépare à quitter le Québec au mois de
décembre 1985. Que dire de cette femme polonaise avec une maîtrise
en géographie et qui est en chômage depuis quatre ans?
Les médecins diplômés de l'étranger,
après des années de pratique dans leur pays, ne sont même
pas acceptés comme internes ici. Au moment où nous faisions venir
des anesthésistes de l'extérieur, ne devions-nous pas faciliter
le recyclage à ceux qui le désirent?
Il existe des milliers d'exemples similaires. Une telle situation nous
pousse à partir ailleurs. Voilà des cadres que la province perd,
surtout que leur formation n'a rien coûté à l'État.
C'est une perte pour l'économie du Québec qu'il faudra
évaluer un jour.
Sélection ou élimination intentionnelle? En onze
années vécues au Québec et à partir de centaines de
discussions avec des immigrants d'origines diverses, chacun évoque les
mêmes raisons qui l'éloignent de son métier et le handicape
dans sa vie professionnelle. Son manque d'information sur les réseaux de
placement publics et privés, sa connaissance limitée de la langue
de travail, le bilinguisme exigé dans plusieurs offres d'emploi, la
non-reconnaissance des diplômes obtenus à l'étranger,
l'expérience canadienne que l'on exige, la non-reconnaissance de
l'expérience acquise à l'étranger, les politiques
protectionnistes des corporations professionnelles, la préférence
d'avoir des natifs d'ici aux postes de direction, la présomption de
rejet du cadre immigrant par les employés syndiqués, les
préjugés et la discrimination systémique, autant de
handicaps sur lesquels votre honorable commission se doit d'agir et qu'elle
doit corriger, sans pour autant diminuer les standards de l'excellence.
Tolérer ceux qui pensent encore que l'intelligence est
génétiquement déterminée, ceux qui font un lien
direct entre la compétence et la race dans la sélection de leur
personnel, c'est dire oui à une idéologie dévastatrice qui
ne repose sur aucun fondement.
Selon Albert Jacquard, le plus pédagogue des
généticiens, l'intelligence humaine n'est ni conditionnelle ni
mesurable et il n'est plus possible à aucun savant de déterminer
les critères qui permettent de définir une race.
Quand l'État ne donne pas l'exemple. Pour mieux vous aider
à évaluer jusqu'où peut aller la discrimination
systémique, examinons le dernier inventaire de la fonction publique
publié en mars 1983. Le pourcentage moyen d'employés membres de
communautés culturelles est de 2,5 %. Dans 24 ministères ou
organismes, ce pourcentage varie de 0 % à 2 %. Ce pourcentage a
diminué de 1979 à 1982.
Diminution du nombre d'employés réguliers. Un seul groupe
ethnique européen représente à lui seul 36 % des effectifs
issus de communautés culturelles. Que reste-t-il des 2,5 % pour les 100
autres groupes ethniques? 1,6 %. À l'Office de recrutement et de
sélection du personnel, un négligeable 0,8 %. Là nous
sommes en droit de nous poser des questions sur l'équité dans la
sélection.
Comment expliquer notre absence totale de plusieurs ministères ou
organismes? Ceux qui prétendent que les immigrants ne
s'intéressent pas à la fonction publique vous induisent en
erreur. En réalité, après quelques refus, l'immigrant ne
postule plus, il abandonne. Jusqu'à tout récemment, il
était exigé de nous d'avoir l'expérience et la
citoyenneté canadiennes. À l'heure actuelle, seul le vocabulaire
utilisé dans la justification du refus a changé; quant aux
pratiques, elles restent sensiblement les mêmes. Cette situation se
retrouve aussi dans les municipalités et sociétés
d'État. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'une perte de confiance dans
le système se justifie par ces constats dont nous sommes de plus en plus
conscients. (15 h 15)
Pour un meilleur équilibre, quelques recommandations. Un plan
d'urgence. 1. Des difficultés économiques qui frappent durement
les communautés culturelles, la pauvreté déconcertante
dans laquelle se débattent plusieurs immigrants et
le haut taux de chômage qui les paralyse nécessitent un
plan d'urgence pour atténuer l'injustice et établir un
début d'équité. 2. La création d'un fonds financier
spécial pour le financement de projets de création d'emplois pour
les minorités cibles. 3. Garantir à 100 % les prêts aux
membres de groupes discriminés ayant un projet réalisable de
création d'emplois. 4. Créer un programme spécial
d'intégration au marché du travail qui comprend les stages en
entreprises, les stages dans la fonction publique, municipalités et
sociétés d'État, la formation d'appoint dans les centres
de formation professionnelle, cégeps et universités.
Pendant cette période de recyclage, le candidat reçoit un
salaire ou une subvention du gouvernement. 5. Réviser le système
de sélection dans la fonction publique. 6. Débloquer le
recrutement dans la fonction publique et créer un programme
spécial d'embauche pour les membres de groupes cibles. 7. Exiger des
municipalités, sociétés d'État et organismes
parapublics l'application de la même politique d'embauche que le
gouvernement. Elle doit être extrarégionale à
l'égard des communautés culturelles. 8. Titularisation de tous
les employés occasionnels dans la fonction publique et issus de
minorités cibles là où il est possible de le faire.
Quelques solutions à long terme. 9. Les organisations publiques
et parapubliques doivent être assujetties à un même
système de quotas. 10. L'entreprise privée a aussi une
responsabilité sociale. Comme le certificat de francisation, un
certificat d'équité pourrait être délivré aux
entreprises qui respectent le droit à l'égalité en emploi
pour les femmes, les minorités culturelles et les personnes
handicapées.
Ce certificat donnera droit aux subventions gouvernementales, aux
contrats gouvernementaux, à un dégrèvement d'impôt.
11. Les entreprises qui ne souscrivent pas à ces programmes
d'égalité devraient verser un pourcentage de leurs
bénéfices à un fonds d'équité. 12. Toute
convention collective doit inclure une clause sur l'égalité en
emploi pour les minorités culturelles. 13. Toute mise à pied d'un
membre de groupes cibles doit être justifiée à l'organisme
chargé de l'application des programmes d'accès à
l'égalité. 14. Mettre à la disposition des entreprises et
des autres agents économiques un service de consultation en
matière d'équité en emploi pour les informer, les
sensibiliser et les guider dans l'application du programme.
Suggestions d'un autre ordre. 15. Établir une politique globale
en matière d'interculturalité à l'école et qui
répond aux exigences d'une société en pleine
évolution culturelle. 16. Subventionner une semaine de culture où
toutes les communautés pourront se faire connaître et
apprécier par des activités culturelles.
En conclusion, un programme d'accès à
l'égalité en emploi n'est ni un pari, ni une aventure. C'est la
réponse nécessaire de notre système économique aux
exigences d'une société en pleine évolution multiethnique.
Je vous remercie, M. le Président, et je reste à votre
disposition pour toutes les questions.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier M.
Lotfi pour le mémoire qu'il a présenté. Je pense qu'il a
soulevé beaucoup de problèmes assez importants. Il va sans dire
que les immigrants ont un certain nombre de problèmes en ce qui concerne
leur intégration dans la société québécoise.
Quoique la discrimination à cause de la race, l'origine ethnique, la
religion des personnes soit illégale au Québec et que la
société québécoise soit beaucoup plus
tolérante que beaucoup d'autres sociétés, il y a encore de
la discrimination, soit intentionnelle, de temps en temps, soit
systémique.
M. Lotfi a soulevé un point important, c'est-à-dire
l'absence de membres des communautés culturelles dans les institutions
gouvernementales et paragouvernementales. Nous sommes sensibles à ce
problème. Même si ce n'est pas dans le cadre de notre mandat,
parce que cela n'entre pas dans le projet de règlement qui est à
l'étude, je trouve que M. Lotfi a fait un certain nombre de
recommandations qui sont très intéressantes si on pense, par
exemple, è la recommandation 2 sur la création d'un fonds
financier spécial pour le financement de projets de création
d'emplois pour les minorités cibles. Je demanderais à l'adjoint
parlementaire du ministre de l'Industrie et du Commerce de prendre note de
cette recommandation. Peut-être peut-il faire en sorte que le ministre
soit mis au courant des recommandations.
La question que j'aimerais vous poser, M. Lotfi, est la suivante. Vous
avez dit qu'il faut préciser les groupes cibles dans le
règlement. Il y a d'autres intervenants qui ont demandé que
l'article en question soit précisé davantage. Comment va-t-on
définir toutes les personnes qui viennent du tiers monde?
M. Lotfi: Dans mon mémoire, je dis que les
communautés culturelles des pays du
tiers monde se distinguent seulement par trois caractéristiques
ci-après énumérées, c'est-à-dire les
pratiques religieuses, la couleur de la peau ou le "bridage" des yeux Ce sont
des caractéristiques qui les distinguent particulièrement et
souvent les employeurs les discriminent pour ces caractéristiques.
M. Marx: ...des immigrants noirs des États-Unis. Ils ne
viennent pas du tiers monde, donc...
M. Lotfi: Dans la définition, quand je dis
caractéristiques identifiables visuellement, cela pourrait certainement
toucher les minorités des États-Unis, effectivement.
M. Marx: Donc, vous voulez qu'on définisse davantage les
minorités visibles. Est-ce que les gens subissent de la discrimination
à cause de leur religion au Québec?
M. Lotfi: Aussi.
M. Marx: Pouvez-vous me donner des exemples?
M. Lotfi: Je peux vous en citer un.
M. Marx: Si quelqu'un était refusé pour un emploi
à cause de sa religion il pourrait déposer une plainte devant la
Commission des droits de la personne du Québec.
M. Lotfi: Mais seulement les choses se font de façon
très subtile. Une personne qui fait de la discrimination ne vous dira
jamais en pleine face, ni devant témoin: Je vous discrimine. Voici un
exemple qui est très frappant. Cela se passait à
l'été 1983. J'ai postulé à un concours qui avait
paru dans la Presse. C'était une firme privée de Montréal
qui faisait la sélection. Alors, on m'a avisé que j'étais
retenu. J'ai eu une première entrevue à Montréal et
quelques jours après on m'a avisé par téléphone que
j'étais le premier sur la liste et que je devais me présenter une
nouvelle fois pour l'entrevue finale avec l'employeur éventuel.
C'était un groupe de municipalités qui se trouvent à 120
milles de Montréal. Je n'aimerais pas vous citer les noms. On va les
laisser, ce n'est pas notre but. Donc, je me présente et pendant
l'entrevue on me dit: Arrêtez-vous les autobus entre 12 heures et 14
heures pour aller prier?
M. Marx: Ce n'est pas une question pertinente d'après
moi.
M. Lotfi: Pertinente par rapport à...
M. Marx: Ce n'est pas une question pertinente. Je ne vois pas
pourquoi ils ont posé cette question.
M. Lotfi: Effectivement, j'ai été surpris parce que
c'est là que j'ai commencé à me dire: Où est-ce
qu'ils veulent en venir? Ils m'avaient demandé: Quelles sont vos
origines? J'ai donné mes origines. Comment travaillez-vous? J'ai
décrit comment je travaillais. C'était devant une commission de
quatre personnes. À un moment, on est arrivé aux habitudes de
vie. Là, ils m'ont posé la question. Effectivement, ils pensaient
que, pratiquant la religion musulmane, j'allais arrêter tous les
employés ou que j'allais arrêter tout le transport d'une
région qui est très importante. Il y a une autre question qui a
suivi. Ils m'ont demandé si jamais le groupe d'employés
syndiqués pouvait m'accepter comme cadre dans cette entreprise. Alors,
des questions de ce genre -c'est sûr - m'ont laissé comprendre
qu'il y avait une réticence envers mes origines. Après deux ou
trois semaines j'ai reçu une lettre dans laquelle on refusait ma
candidature alors que j'avais été avisé que j'étais
le premier sur la liste. J'ai téléphoné au bureau du
ministre. Je me suis dit: Ce sont des municipalités, peut-être que
le ministre pourrait faire quelque chose. Un des chefs de cabinet ou un des
attachés politiques m'a répondu et m'a dit qu'il n'avait aucune
autorité sur ce groupe de municipalités, qu'elles étaient
indépendantes, libres de choisir et autonomes dans leur façon de
gérer les municipalités.
Finalement, il a téléphoné au président de
la commission en question. Deux jours après, je recevais un
téléphone. Le président s'excusait pour ce genre de
question, mais il était trop tard, le candidat était
déjà choisi pour remplir le poste.
M. Marx: C'est arrivé quand?
M. Lotfi: C'est arrivé à l'été 1983.
On m'avait dérangé chez moi, à 120 milles, pour entendre
des choses comme cela. Je n'ai pas voulu donner l'exemple d'une autre question,
parce qu'elle a l'air quand même très stupide. Mais
c'étaient des questions dans ce sens, dans ce genre.
M. Marx: Vous savez qu'en vertu de notre Charte des droits et
libertés de la personne il est même défendu - telle qu'elle
est interprétée - de poser des questions sur la religion ou sur
l'origine ethnique des personnes qui posent leur candidature auprès
d'une entreprise. Je vois que, dans votre cas, on n'a pas posé la
question d'une façon directe, mais d'une façon indirecte. Cela va
de soi que c'était une question pas pertinente du tout.
J'aimerais vous conseiller de déposer une plainte auprès
de Commission des droits de la personne en ce qui concerne ces
municipalités, parce que je trouve que cela n'a pas de bon sens,
franchement! Nous avons des organismes pour s'occuper de ces
problèmes.
M. Lotfi: Vous savez très bien, M. le
député, que prendre ces recours - comme on le sait - se
présenter devant les tribunaux, ce n'est pas chose facile. Ce n'est pas
chose facile du tout. Cela vous brûle face 5 des organismes
professionnels; cela va vous brûler face à des collègues.
Cela crée du remous. Vous préférez quelquefois - vous
n'avez pas les moyens financiers non plus de le faire -vous retirer et vous
dites; Je me résigne à mon sort. C'est lui, finalement, qui a
perdu un bon cadre et non pas moi. C'est sûr que c'est une façon
qui n'est pas à déconseiller. (15 h 30)
M. Marx: C'est-à-dire que, quand on dépose une
plainte à la Commission des droits de la personne, c'est la commission
qui fait l'enquête, qui intente des poursuites, le cas
échéant, et le citoyen n'a rien à débourser. Je
trouve inacceptable que des institutions publiques fassent de telles
interviews. Mais j'aimerais vous remercier de votre mémoire et aussi de
votre témoignage personnel qui est vraiment le premier témoignage
de cet ordre que nous ayons entendu à cette commission. Je le trouve
très intéressant.
Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le
député. M. le député de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
M. Lofti...
M. Lotfi: M. Lotfi.
M. Dussault: Lotfi, c'est le contraire. Je voudrais remercier M.
Lotfi de la qualité de son mémoire et particulièrement de
la facture de ce mémoire qui fait une description très
intéressante de la problématique des personnes issues des
communautés culturelles en recherche de travail. l y aussi, bien
sûr, des recommandations sur lesquelles il faudra se pencher, parce qu'il
y a là aussi, sûrement, beaucoup d'éléments de
solution à envisager.
Je remarque cependant que vous avez très peu parlé,
à toutes fins utiles, du règlement, celui-là même
qui devait provoquer des mémoires et des représentations à
la commission que nous sommes. J'aimerais donc vous poser comme première
question: Avez-vous regardé et analysé ce règlement? Vous
paraît-il satisfaisant, tout au moins pour les préoccupations que
vous avez voulu faire valoir à la commission?
M. Lotfi: Le but de mon témoignage et la façon dont
les choses se sont déroulées, c'est que j'ai été
récemment discriminé dans la fonction publique - un autre exemple
-dans le dépôt de ma candidature. En téléphonant
à des organismes pour essayer de me plaindre, j'ai atterri au bureau de
M. James Maranda. C'est là que j'ai appris qu'il y avait une commission
parlementaire. La discussion s'est terminée là. J'ai dit que s'il
y avait une commission parlementaire je n'hésiterais en aucune
manière à me présenter sur la colline parlementaire et
à faire du camping ici parce que le mal est très profond. Je
chôme depuis longtemps, pas parce que je manque de compétence,
mais pour d'autres raisons. C'est comme cela que je recevais jeudi dernier une
lettre par Purolator m'invitant à me présenter pour donner un
témoignage sur des cas pratiques de discrimination. Ce qui fait que je
n'ai pas eu le temps de faire une analyse approfondie en droit. Je ne suis pas
un spécialiste du droit non plus; je suis quelqu'un qui a vécu
des situations et j'aimerais les apporter comme éclairage
supplémentaire à votre commission pour qu'elle puisse en tenir
compte dans les règlements.
M. Dussault: Donc, pour répondre à la question que
je vous posais, vous n'avez pas eu le temps de regarder ce que dit le projet de
règlement. Vous n'êtes donc pas en mesure de nous dire si ce
projet de règlement est susceptible d'aider à régler des
problèmes du type de ce que vous avez fait valoir ici.
M. Lotfi: C'est sûr qu'un tel règlement aiderait. Il
ne viendrait peut-être pas résoudre le problème d'une
façon systémique immédiatement, mais il donnerait des
règles de jeu à l'entreprise, à la société
pour qu'elle puisse, à l'avenir, fonctionner d'une façon plus
équitable.
M. Dussault: D'accord. Relativement à votre cas plus
précisément, si je comprends bien vos propos et ce que vous avez
écrit dans votre mémoire, vous avez tenté de vous faire
engager dans la fonction publique. Vous l'avez fait au moins une fois, si je me
fie à ce que vous dites. L'avez-vous fait plus d'une fois?
M. Lotfi: Je peux vous dire que je l'ai fait des centaines de
fois. J'achète des enveloppes par paquet de 100.
M. Dussault: Dans votre mémoire, à la page 10,
à la recommandation 5, vous préconisez, parmi les solutions
envisagées, de "réviser le système de sélection
dans la fonction publique." À quoi faites-vous référence
plus spécifiquement dans le système en question qui, bien
sûr, serait susceptible de régler votre problème et qui
vous aurait permis d'être engagé si, par exemple, le
système de sélection était mieux
fait selon vos désirs?
M. Lotfi: Voici comment cela se passe. Vous envoyez une formule
à la fonction publique qui la reçoit. Il y a des gens qui vont
lire un curriculum vitae et qui, quelques semaines après, vous enverront
une lettre de refus sans aucune analyse profonde, d'après moi. Donc, la
lettre passe de la fonction publique à un ministère
concerné et, selon la bonne humeur et le nombre de demandes que le
ministère a reçues, c'est sûr qu'il va vous
éliminer, surtout, d'après moi encore une fois, si votre
expérience est acquise à l'extérieur. Les gens vous
diront: Vous ne correspondez pas aux critères de sélection,
critères qu'on voudrait avoir. Vous n'avez aucun recours. Vous ne voyez
personne, il n'y a pas d'examen de sélection auparavant, il n'y a aucun
examen écrit. Il y a sûrement une façon de rencontrer les
gens pour montrer ce qu'on est capable de réaliser.
M. Dussault: Une dernière question, si vous me permettez.
Je pourrai peut-être revenir plus tard si c'est nécessaire. Est-ce
que vous êtes au courant qu'à partir du moment où il y a un
refus pour les groupes qu'on vise, particulièrement les
minorités, à la suite d'un concours de la fonction publique, le
ministère concerné est obligé d'expliquer au Conseil du
trésor pourquoi il n'y a pas eu engagement? Si vous êtes au
courant, est-ce que vous pensez que cette mesure peut et a pu éliminer
beaucoup de cas de discrimination?
M. Lotfi: J'ai essayé d'utiliser cette façon de
faire. J'ai téléphoné à des gens qui sont toujours
inscrits en. bas de la lettre: responsable du concours, numéro de
téléphone. On ne nous donne pas d'explication. Ils ont le dernier
mot. Ils ont décidé, d'après ce qu'ils ont jugé sur
papier, et vous n'avez aucun recours. J'ai essayé de me plaindre
à plusieurs personnes chargées des programmes
d'égalité ou, au moins, de sensibiliser les gens dans
différents ministères. Aucune personne ne connaissait son
rôle précis, même pas ceux de la fonction publique. J'ai
discuté avec tous ces gens-là. Chaque fois que j'ai reçu
une lettre de refus j'ai téléphoné. Ils me disaient
toujours: Si vous n'êtes pas content, allez-y, déposez une plainte
devant les tribunaux ou ailleurs. Et c'est cela.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: M. le Président, M. Lotfi a apparemment des
plaintes sérieuses et j'aimerais lui dire tout de suite ici que je suis
prêt à appuyer sa demande s'il en fait une auprès du
président de la Commission des droits de la personne du Québec
pour revoir tout son dossier, tous les problèmes qu'il a soulevés
devant cette commission. Cette commission ne peut pas faire vraiment
enquête concernant les cas de discrimination que vous avez
soulevés, mais je pense que c'est un dossier qui mérite
d'être étudié par la Commission des droits de la personne
du Québec de façon globale afin de voir ce qu'il y a
là-dedans.
Si ce que vous dites est vrai, c'est inacceptable pas seulement pour les
membres de cette commission mais, je suis sûr, pour presque toute la
population québécoise. Quand des choses comme cela arrivent, ce
n'est sûrement pas une situation qu'on, peut tolérer. Encore une
fois, je vous dis que je suis prêt à vous appuyer dans n'importe
quelle demande que vous êtes prêt à faire auprès de
la Commission des droits de la personne du Québec ou auprès du
Protecteur du citoyen, qui a aussi une certaine compétence dans ces
matières.
M. Lotfi: J'ai déjà déposé devant le
Protecteur du citoyen une plainte verbale, sauf qu'il y avait deux concours en
cours et je ne voulais pas entacher mes chances de passer ces concours.
Vous devez comprendre une chose, c'est qu'il y a des peurs qui nous
freinent d'utiliser la procédure, des peurs d'être encore
davantage pénalisé, des peurs d'être jugé par nos
collègues professionnels. Cela n'est jamais une chose
intéressante pour un professionnel de porter plainte.
M. Marx: Je pense que vous n'aurez pas de raison d'avoir peur
maintenant parce que vous avez dit cela devant les caméras, à la
télévision. Tout le monde devrait être au courant comment
vous voyez les choses, quels sont les problèmes que vous avez
soulevés. Je pense qu'une démarche auprès de la Commission
des droits de la personne serait souhaitable et très importante non
seulement pour vous mais aussi pour les gens qui nous écoutent et
disent: Mais qu'est-ce qui arrive au Québec? Qu'est-ce qui arrive dans
la fonction publique québécoise? Est-ce qu'il y a des gens qui
font vraiment de la discrimination? Si c'est vrai, on aimerait rectifier cette
situation. Donc, je vous demande de faire en sorte de déposer votre ou
vos plaintes devant la Commission des droits de la personne, non seulement pour
vous mais pour tous les Québécois et Québécoises
qui peuvent se demander aujourd'hui ce qui arrive dans nos institutions.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Merci, M. le Président. À l'instar de
M. le député de D'Arcy McGee, je regrette aussi que notre
invité n'ait pas
fait de plainte à la Commission des droits de la personne. Il
m'apparaît nettement que dans le cas de la municipalité dont il
parlait, sans la nommer, tout à l'heure, il y avait là nettement
de quoi porter plainte. Je pense d'ailleurs que, s'il y a des
désavantages à porter plainte, il y en a moins en allant devant
la Commission des droits de la personne qu'en venant le dire devant les
caméras de télévision.
Je suis extrêmement compatissant à l'égard de votre
problème. Je pense que, si vous êtes le reflet d'une certaine
situation au Québec, il y a vraiment lieu de poser des gestes pour la
changer. C'est évident. Mais, quand on va devant la fonction publique
pour essayer d'avoir une fonction, je pense qu'il n'est pas facile d'avoir
toutes les explications relativement aux raisons pour lesquelles on n'a pas
été engagé.
Ce que je voulais vous dire tout à l'heure c'est que, dans le
fonctionnement qui l'établit, il y a une protection. C'est pour cela que
je voulais vous demander en quoi il fallait réviser le système de
sélection. Car il y en a une protection: Au bout du cheminement, le
Conseil du trésor doit être avisé des raisons pour
lesquelles il y a eu un refus dans le cas des gens issus des communautés
culturelles.
Cela veut dire que vous n'avez peut-être pas la raison, mais il y
a cette protection pour l'ensemble des personnes qui sont dans votre cas. Dans
ce sens, je pense que l'avantage que cela comporte est déjà
considérable. M. Lotfi, je compatis beaucoup avec votre situation. Je
vous encourage aussi. Je ne dirai pas que je vais suivre votre cas de la
même façon que M. le député de D'Arcy McGee, qui se
spécialise un peu dans ce genre de questions. Je me spécialise
dans d'autres questions. Je peux dire que je vous encourage très
fortement à faire la démarche. Il y a vraiment lieu d'y voir
clair pour vous et toutes les personnes à qui cela rendrait service par
la suite.
M. le Président, je n'ai pas d'autres questions à poser
à votre invité.
Le Président (M. Gagnon): Merci. Je vous remercie en vous
souhaitant bonne chance, M. Lotfi. Je pense que c'est toujours
intéressant d'avoir devant la commission parlementaire des cas
particuliers comme celui-là et des témoignages de ce genre.
Effectivement, c'est important de prendre les moyens qu'il faut. Au
Québec, on a toujours les possibilités de se défendre. Il
s'agit de faire valoir nos droits. Je pense que l'offre du député
de D'Arcy McGee pourrait peut-être vous faire cheminer vers le bon
endroit.
En vous remerciant, je voudrais aussi en profiter pour remercier tous
ceux qui ont passé au cours de la semaine, qui sont venus nous
rencontrer à la commission des institutions. Je voudrais vous dire que
cela a été une semaine fort agréable et fort instructive,
je pense bien, pour notre commission. M. le député de
Châteauguay, vous...
M. Dussault: M. le Président, je voulais en terminant,
sans doute comme le fera mon collègue le député de D'Arcy
McGee, me réjouir de la tenue de cette commission, de la façon
dont elle s'est passée. Je pense que cela a été
extrêmement positif. Bien sûr, nous le faisions pour notre
satisfaction de parlementaires, mais je suis convaincu que les résultats
seront considérables, puisque cela permettra au ministre responsable de
pouvoir ajuster le projet de règlement en fonction de ce que nous avons
entendu.
Il arrive de temps en temps que, comme parlementaires, nous ayons ainsi
l'occasion de faire un travail bien au-dessus des considérations
partisanes. Au-delà des premières minutes des travaux de cette
commission, je pense qu'on peut dire que cela a été un travail
bien au-delà des questions partisanes, et je pense que c'est la
société québécoise qui profitera de notre
travail.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier tous
les groupes qui sont venus déposer et expliciter leur mémoire
devant la commission. En général, les mémoires
étaient d'une très haute qualité et cela a beaucoup
renseigné les membres de cette commission.
Si je peux le dire, je pense qu'il y a un consensus en ce qui concerne
le projet de règlement en question, c'est-à-dire que presque tout
le monde a demandé certaines modications. Souvent, c'étaient les
mêmes modifications pour rendre le règlement plus applicable, le
cas échéant, et je suis sûr que nous allons tenir compte de
ces suggestions.
Il y a un deuxième consensus en ce qui concerne les institutions
gouvernementales et paragouvernementales. Tout le monde a dit que le
gouvernement et ses institutions devront donner l'exemple pour la mise en place
des programmes d'accès à l'égalité.
Enfin, je peux assurer tout le monde que ce ne sera pas à cause
de la commission si le règlement n'est pas adopté en bonne et due
forme de la façon la plus expéditive possible. Comme le
député de Châteauguay l'a dit, cette discussion va
au-delà de la partisanerie, c'est une question d'adopter un projet de
règlement neutre, si je peux dire, pour le profit de tous les
Québécois et Québécoises. Je pense que nous avons
accompli notre mandat grâce au président.
M. Dussault: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Merci, tout le monde. Je
voudrais seulement ajouter des
remerciements personnels à la commission et aussi au personnel de
l'Assemblée nationale qui, tout au cours de la semaine, a
facilité notre tâche.
La commission ayant rempli le mandat qu'elle s'était
donné, nous ajournons donc nos travaux sine die.
(Fin de la séance à 15 h 48)