(Onze heures quarante-sept minutes)
M. Lisée
: Bien, une
autre journée qui passe sur la colline Parlementaire et une autre journée de
perdue pour les victimes d'exploitation sexuelle, pour les victimes de
proxénètes. Aujourd'hui, les réponses que les deux ministres, le ministre de la
Sécurité publique, Martin Coiteux, et la ministre des Services sociaux,
Lucie Charlebois, ont données aux questions que nous avons posées sont
pitoyables, lamentables.
D'abord, une question très simple a été
posée au ministre Coiteux : Pourquoi n'intervenez-vous pas immédiatement
pour faire fermer les sites Internet qui offrent en pâture des jeunes filles au
vu et au su de tous, hein? Personne ne peut ignorer ce fait, d'autant que,
depuis plus d'un an, il a à sa disposition et à la disposition des forces
policières du Québec un nouvel article du Code criminel, et je le lis :
«Quiconque fait sciemment de la publicité pour offrir des services sexuels
moyennant rétribution est coupable : soit d'un acte criminel passible d'un
emprisonnement maximal de cinq ans; soit d'une infraction punissable [...] d'un
emprisonnement [...] de 18 mois.» Ça, c'est dans le Code criminel du Canada
depuis novembre 2014.
On lui a demandé : Mais pourquoi vous
ne les arrêtez pas tout de suite? Il n'avait pas de réponse, il n'était pas au
courant, il n'était pas sensibilisé. Alors, c'est pitoyable. C'est une journée
de plus... Là, finalement ce qu'il dit à tous les proxénètes qui utilisent Internet :
Écoutez, là, moi, je ne suis pas trop au courant de ça, puis je n'ai rien à
vous dire, puis je n'ai rien à dire aux policiers là-dessus.
La deuxième incroyable réponse qui a été
donnée aujourd'hui par Mme Charlebois, c'est au sujet de l'escouade Mobilis
qui existe à Longueuil depuis plusieurs années, avec un taux de succès de
100 %, c'est-à-dire qu'ils ont arrêté des proxénètes, et tous ceux qui ont
été accusés ont été condamnés. Et d'ailleurs ils ont identifié, grâce à cette
équipe, qu'il y a à peu près 100 mineures par an qui sont à risque à Longueuil,
dont, écoutez bien, 20 % ont 14 ans et moins.
Alors, cette unité-là était financée par
la ville de Longueuil et par le gouvernement du Québec. Le gouvernement du
Québec a cessé son financement. Il a cessé son financement, ce qui fait qu'il y
avait huit enquêteurs sur le cas, maintenant il n'y en a plus que deux. Et
Mme Charlebois a eu le cran de dire que c'était la faute de
l'agglomération de Longueuil. Bien, Mme Charlebois, on a des nouvelles
pour vous, c'est votre gouvernement qui a réduit sa contribution à
l'agglomération de Longueuil de 55 % depuis l'an dernier, hein? Vous
donniez 2,5 millions, maintenant vous donnez 1,1 million pour la
totalité des actions de développement social, développement économique.
Alors, de se lever en Chambre après avoir
aboli les CRE, après avoir aboli les CLD, après avoir saigné les villes, et
accuser une ville d'être responsable d'une compression aveugle du gouvernement
du Québec, il faut vraiment vivre dans le déni absolu. Et puisqu'elle était sur
cette autre planète, là, de la pensée magique, elle a répété cette chose
qu'elle est la seule à croire au Québec, que, lorsqu'elle a coupé de
20 millions de dollars le financement des centres jeunesse, ça n'a eu aucun
impact sur les centres jeunesse, sur l'encadrement, sur la capacité
d'accompagner ces jeunes filles, de les enlever des griffes des proxénètes et
des gangs de rue. Elle est la seule à croire ça.
Alors que, lorsqu'elle est arrivée au
pouvoir elle avait, sur sa table de travail, des informations disant que les
centres jeunesse étaient des lieux privilégiés de recrutement pour les
proxénètes, sa première décision, ça a été de couper 20 millions. Les gens
nous disent que les intervenants et les travailleurs travaillent
remarquablement, mais qu'ils sont en sous-nombre. Les budgets baissent, les
signalements augmentent. Elle est la seule à croire que couper
20 millions, ça n'a pas d'impact. Alors, aujourd'hui, là, très mauvaise
journée pour la lutte contre l'exploitation sexuelle de nos jeunes femmes.
Mme Poirier
: À cela,
j'ajouterais que le ministre est dans le déni total, le ministre de la Sécurité
publique. Hier, en commission parlementaire, le sous-ministre, M. Marsolais,
nous a confirmé la fin du programme d'exploitation sexuelle pour les
adolescents. Alors, c'est le gouvernement actuel qui a cessé d'investir dans ce
programme dans le dernier budget.
Alors, quand on nous dit que non, les
subventions n'ont pas été coupées, c'est faux. Le sous-ministre nous l'a
confirmé hier à la Commission de l'administration publique. Et moi, je vais
vous dire, les groupes sur le terrain, on le sait que c'est vrai. L'Anonyme, un
organisme qui intervient, 4 500 jeunes rejoints l'an passé pour faire de
la prévention, pour faire de l'éducation à la sexualité : coupé,
100 000 $ de coupés. La CLES, la CLES de Montréal, qui produit des
documents importants, qui font des portraits de c'est quoi la prostitution,
c'est quoi la pornographie juvénile au Québec : la CLES coupée.
Eh bien, ça, c'est de l'impact en tant que
tel. Ce n'est pas vrai que ce gouvernement-là a décidé de poursuivre ses
actions. Quand on nous dit : On a poursuivi nos travaux en exploitation
sexuelle, c'est faux, ils ont décidé d'abandonner nos filles.
Mme Richer (Jocelyne)
:
Mais s'il y a de l'exploitation sexuelle, c'est qu'il y a des clients de ces
jeunes filles là. À ma connaissance, au cours des dernières semaines, on n'a
pas entendu un seul ministre parler de ce problème-là. Qu'est-ce qu'on fait
pour punir les clients ou les décourager d'exploiter des jeunes filles
impunément. Est-ce que ça veut dire qu'il n'y a rien à faire ou que le
gouvernement a baissé les bras?
Mme Poirier
: Bien,
écoutez, je suis très heureuse de votre question parce que, vous avez fort
raison, nous n'avons pas parlé de la source du problème qui est la demande. Il
y a une demande pour des petites filles toujours plus blondes, toujours plus
minces, toujours plus jeunes, et ça, c'est un problème de société qu'il faut
adresser. Il faut l'adresser sérieusement parce qu'effectivement, si des pimps
abusent de nos jeunes filles, font en sorte de les convaincre de se ramasser
dans des hôtels miteux, qu'il y ait 10 clients qui passent sur le corps de nos
petites filles de 15 ans — ça, c'est la réalité — bien, il
serait temps qu'on en parle, qu'on parle de ces clients-là, qu'on parle de ces
hommes qui abusent de nos enfants pour assouvir leurs besoins sexuels. Ça,
c'est une réalité. Et merci, merci de poser la question. Il faut faire quelque
chose, il faut adresser le problème, et malheureusement notre société a
toujours refusé qu'on en débatte.
M. Vigneault (Nicolas)
:
Hier, on vous a pointée du doigt en point de presse, là, votre collègue vous a
défendue. Maintenant, aujourd'hui, j'aimerais ça vous entendre sur le fait que
c'est vous qui avez demandé l'élargissement de ces commissions-là et que
finalement c'est pour ça qu'on en arrive... et on est encore à l'étape des
travaux, là, on n'a pas pu avancer de côté-là, en fait.
Mme Poirier
: Écoutez,
me faire accuser de vouloir défendre, de protéger nos jeunes filles, bien, je
dis bravo. Si on m'accuse de ça aujourd'hui, bravo. Je n'ai pas fait étendre le
mandat des commissions, ce n'est pas vrai. J'ai fait en sorte qu'on ait une
commission. J'ai été la première à réclamer ce mandat d'initiative. La
ministre, en crédits, le 23 juin 2014, promettait un plan d'action en matière
d'exploitation sexuelle pour la fin 2014‑2015. Nous avons débuté nos travaux en
commission en mai 2015. Alors, c'est la ministre, là, qui a retardé les travaux
de déposer un plan d'action en matière d'exploitation sexuelle. Et fort
heureusement, j'apprends hier qu'elle se rallie à l'idée que j'ai déposée lors
de la commission, qui est d'avoir un plan commun en matière de violence
sexuelle, violence conjugale et exploitation sexuelle.
Parce qu'il faut s'entendre, lorsqu'un
policier se présente sur les lieux d'un cas de violence qui apparaît de
violence conjugale, ça peut être un cas de proxénétisme, ça peut être un cas
d'exploitation parce que les deux personnes se comportent comme un couple.
Alors, quelle est la différence dans l'approche policière? Et ça, je peux vous
dire que le programme Les Survivantes à Montréal fait de la formation auprès
des policiers. J'ai assisté à cette formation, et ils font de la formation pour
que les policiers puissent détecter les situations.
Alors, dire que j'ai retardé les travaux,
bien, je vais vous dire que... Aujourd'hui, qu'on en parle, qu'on en parle
depuis plusieurs jours, j'en suis fort heureuse, mais là il nous faut des
solutions, il faut de l'investissement.
M. Vigneault (Nicolas)
:
Verrouiller les portes officiellement au centre de Laval, ça, est-ce que...
comment vous réagissez à cette mesure-là qui a été confirmée par le gouvernement
ce matin?
M. Lisée
: Bien, moi,
je veux entendre les explications du centre Laval, hein? On sait, notre
position, c'est qu'on est allés... Avant 2007, il y avait une restriction trop
sévère de la liberté des jeunes en centre jeunesse; après 2007, on peut
constater, avec le recul, qu'il y a eu une liberté trop grande.
Moi, j'appelle à une discussion basée sur
la connaissance, basée sur les professionnels pour nous dire quelles sont les
mesures, le bon équilibre à atteindre. Fermer les portes pour tout le monde, je
n'avais pas l'impression que c'était le bon équilibre à atteindre. Peut-être le
centre de Laval a-t-il de bonnes raisons de le faire. Mais j'attends, je leur
donne le bénéfice du doute. J'attends leurs explications. Mais ce n'est pas une
mesure que nous préconisons pour tous les centres jeunesse à partir
d'aujourd'hui, non. Nous voulons avoir une discussion éclairée sur les cas où
la restriction de la liberté doit être plus grande, doit être motivée, mais la
réactivité des intervenants doit être beaucoup plus rapide. En ce moment, pour
restreindre la liberté d'un jeune en centre jeunesse, il faut remplir un
document de 20 pages et attendre une autorisation. Bien là, la fugueuse est
rendue loin, O.K.? Alors, c'est ce qu'il faut regarder.
Donc, sur la décision du centre de Laval,
j'attends leurs explications. Ce n'est évidemment pas une décision qui doit
être vue comme une règle générale à partir de maintenant.
M. Croteau (Martin)
:
Comment qualifiez-vous la décision du gouvernement de sabrer la subvention au
projet Mobilis?
M. Lisée
: Bien, écoutez,
ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont sabré les subventions de toutes les
régions du Québec, hein? En abolissant les CRE, les conférences régionales des
élus, ils ont aboli la subvention à ces conférences. En abolissant les CLD, ils
ont réduit considérablement les subventions à ces centres de développement, et
donc les villes se sont retrouvées avec une enveloppe très fortement amputée,
qui finançait, dans le cas de Longueuil, la lutte au proxénétisme; dans
beaucoup de cas, la lutte au décrochage scolaire; dans beaucoup de cas, la
lutte contre l'itinérance. Et on le voit partout dans le réseau que cette
abolition de structures, disait-il, est en fait une réduction des sommes
dévolues à des missions essentielles.
M. Croteau (Martin) : Est-ce
que ça vous dit quelque chose sur la sensibilité du gouvernement par rapport,
justement, aux problèmes liés à la lutte au proxénétisme?
M. Lisée
: Bien, ils
n'ont pas regardé. Eux, là, ils voulaient juste couper, O.K.? Ils voulaient
juste couper. Puis quand le premier ministre a dit dans son discours
d'ouverture : On va porter une attention particulière aux vulnérables, ce
n'était pas vrai, parce que, s'il avait dit : Coupez, mais, chaque fois qu'il
y a quelqu'un de vulnérable qui va être touché, retenez vos ciseaux, bien, on
aurait vu que, bien, à Longueuil, ils auraient gardé l'enveloppe pour Mobilis,
puis dans... partout, ils auraient gardé l'enveloppe pour le décrochage
scolaire puis pour l'itinérance. Ils n'ont pas fait ça. Ils ont dit :
Coupez, les villes se débrouilleront. Et là, pour ajouter l'insulte à l'injure,
la ministre dit : C'est leur faute, ils ont coupé. C'est fort.
Des voix
: Merci.
(Fin à 11 h 59)