(Treize heures dix-huit minutes)
M. Khadir
: Le
rapport de la Vérificatrice générale du Québec vient confirmer tous nos doutes
sur les opérations à la Société immobilière du Québec qui ont été dénoncées par
l'émission Enquête et qui confirment que les gens mis en place à la tête
de la Société immobilière du Québec par Jean Charest et par le Parti libéral
ont fait à peu près n'importe quoi, joué avec les règles de toutes les façons
pour, en fait, mener à bien une opération qui a profité, à coup de dizaines de millions
de dollars, à des donateurs et des amis du Parti libéral.
Ils ont, en fait, trafiqué le processus en
invoquant une date butoir, dont on ne sait aucune raison, le 31 mars 2008, en
stipulant que les règles commerciales faisaient en sorte que le conseil
d'administration qui devait se pencher sur la vente de trois propriétés
majeures n'avait pas droit à l'information, puis ensuite, une fois arrivée
l'heure de la réunion, donner une heure pour leur «pitcher» tous les détails et
leur faire avaler et non pas avaliser, mais avaler une vente qui, de toute
évidence, était entachée d'irrégularités et de magouilles.
Et, quand on connaît ce que le gouvernement
Charest et les gens que Jean Charest et son gouvernement post-it étaient
capables de faire, il n'est plus permis de douter... que ce que l'émission Enquête
révélait il y a plusieurs mois doit faire réagir le gouvernement. Le gouvernement
doit aller chercher l'argent qu'on a perdu au profit de ces malfaiteurs et doit
traduire en justice les Bartlett, les Forget... Je ne me trompe pas? L'ancien P.D.G.,
là, de la SIQ, nommé par...
Une voix
: Fortier.
M. Khadir
:
Fortier et leurs acolytes. Je dis tout ça, mais, dans le fond, tout ça est
mineur lorsqu'on apprend, cette semaine même, que qui va inviter le Parti
libéral à son congrès? Je pense que c'est demain que ça commence. Nul autre que
le suspect numéro un de la commission Charbonneau, nul autre que celui que
l'UPAC devrait avoir déjà mis sous les verrous, et je parle de Jean Charest.
Quand on connaît l'ampleur des dégâts que ce
monsieur, comme premier ministre, a entraînés pour le Québec, je trouve tout à
fait indigne et honteux pour le Parti libéral de se lever encore en Chambre
puis dire que : Ah! il a rendu de fiers services. Bien oui! Il a été
premier ministre du Québec. Mais, en ayant fait autant de patronage, en ayant
mis en place un stratagème frauduleux pour financer le Parti libéral, en ayant
vicié le processus d'octroi des contrats publics et en attachant ça à la caisse
occulte et ouverte du Parti libéral du Québec, il a nui considérablement au
principe démocratique qui fait que, d'année en année, avec de l'argent sale, le
Parti libéral gagne ses élections.
M. Pilon-Larose (Hugo) :
M. Couillard, en Chambre, a énuméré quelques bons coups de Jean Charest,
un peu plus tôt aujourd'hui. Comment vous avez réagi, lorsque vous l'avez
entendu?
M. Khadir
: Comme
tout homme compétent, comme tout homme talentueux, comme tout homme complexe,
M. Jean Charest ne présente pas que du négatif. Mais, quand on se penche
sur les années Charest, c'est quand même des années de corruption qui font
pâlir l'époque de Duplessis. C'est quand même un gouvernement qui... bien que
le juge Bastarache n'ait pas été capable de le reconnaître, le gouvernement du
post-it. Tout, tout dans le témoignage de Franco Fava et de ceux qui ont passé
devant la commission qu'on connaît aujourd'hui tend à le prouver. C'est quand
même un gouvernement dont l'action a nécessité la mise sur pied d'une unité
permanente anticorruption puis la constitution d'une commission qui nous a
coûté 50 millions de dollars, la commission Charbonneau. Bon. Alors,
une fois qu'on a dit ça, ça veut dire... Comme dans le cas de M. Mulroney,
trempé dans la corruption lui aussi, comme dans le cas de Jean Chrétien, qu'on
apprend aujourd'hui qu'il pratiquait les paradis fiscaux, tout comme son
acolyte Paul Martin. L'histoire jugera sévèrement ces messieurs.
M. Boivin (Mathieu) : M. Khadir,
vous nous avez dit que le rapport de la VG prouvait hors de tout doute la collusion,
le favoritisme. Moi, je n'ai pas vu de preuve là-dedans qu'on avait détourné de
l'argent de cette vente-là au profit du financement présumément illégal du
Parti libéral...
M. Khadir
: Ce
n'est pas ça que j'ai dit. C'est que quelqu'un, qui était un des contributeurs
majeurs tout au cours des années du Parti libéral, a profité de cette opération
dans une vente...
Journaliste
: M. Khadir...
M. Khadir
: Oui,
dans une vente qui lui a permis d'acquérir à faible coût un immeuble dont la
valeur était plus importante, puis, en plus, de faire payer la facture des
rénovations de son immeuble, à qui? Par les contribuables québécois.
Autrement dit, on s'est fait flouer. Il y
a de l'argent des contribuables qui a été, en quelque sorte, donné — puisqu'on
n'a pas touché cet argent-là — en favorisant l'octroi de cette vente
de cet immeuble à un ami du Parti libéral.
M. Boivin (Mathieu) : Je
vous suis. Bien entendu, on a posé la question à Mme Leclerc. Pensez-vous
que c'est parce que M. Gantcheff était bien vu du pouvoir, à l'époque,
qu'on lui a consenti des conditions aussi avantageuses?
M. Khadir
: La Vérificatrice
générale n'est pas placée pour faire ce genre d'affirmation.
M. Boivin (Mathieu) : Et
vous?
M. Khadir
: Moi,
je peux le faire parce que j'ai la liberté de parole, contrairement à la Vérificatrice
générale, qui doit juste s'en tenir à ses chiffres. J'ai la liberté de pensée,
et de parole, et de juger ce parti que je connais depuis au moins 10 ans,
pour avoir scruté sa réalité, la manière de fonctionner.
Et, quand on sait comment ce parti a placé
des gens au sommet de toutes les structures de pouvoir, dont la Société
immobilière du Québec, où des gens du Parti libéral avaient le contrôle sur des
millions et des millions de dollars des avoirs des Québécois, je n'ai aucune
difficulté maintenant à admettre que les accusations portées par d'anciens
enquêteurs de l'UPAC à l'émission Enquête sont crédibles.
M. Boivin (Mathieu) :
Pouvez-vous nous énumérer ce qui se fait?
M. Khadir
:
Qu'est-ce que disaient ces gens-là? Pourquoi est-ce qu'on a eu une émission Enquête?
C'est parce qu'il y a des enquêteurs de l'émission UPAC qui étaient frustrés de
voir que des preuves accumulées qui incriminaient justement ces opérations au
sommet de la Société immobilière du Québec n'avançaient pas et n'aboutissaient
pas. Et qu'est-ce qu'on apprenait dans l'émission? C'est que ces irrégularités
avaient permis à des amis du Parti libéral de s'enrichir, dans le sens de
trouver des avantages par millions dans la vente d'un immeuble qui avait été
vendu à rabais.
M. Boivin (Mathieu) : Je
ne vois toujours pas le lien avec le financement présumément illégal du Parti
libéral, monsieur? Est-ce qu'on est capable de faire la démonstration que cette
transaction…
M. Khadir
: Je
n'ai pas dit… Non, non, non, vous ne m'avez pas compris.
M. Boivin (Mathieu) :
C'est parce que vous semblez…
M. Khadir
: Non,
non, vous ne m'avez pas compris. J'ai dit et je le répète qu'un donateur et un
contributeur à la caisse électorale du Parti libéral bénéficie, par ailleurs,
d'une gamique, d'une machination pour obtenir… Et je l'affirme ici, monsieur. Tous
ceux qui sont impliqués pourraient éventuellement, s'ils trouvent matière à
redire, me traîner en cour. Je dis que ces gens-là ont bénéficié d'avantages
indus dans l'octroi de cette vente. Qui sont ces gens-là? C'est des
contributeurs à la caisse du Parti libéral.
M. Boivin (Mathieu) : Et
vous pensez qu'il y a un lien direct à faire…
M. Khadir
: Bien,
les liens... C'est à vous à le juger.
M. Boivin (Mathieu) :
Non, non, attendez un instant, monsieur. Vous dites…
M. Khadir
: Oui,
je sais. Je ne veux pas vous mettre ça sur le dos, mais la population du Québec
a suffisamment d'expérience avec le gouvernement…
M. Boivin (Mathieu) :
Mais vous alléguez que c'est parce qu'ils sont donateurs qu'ils ont des
conditions aussi avantageuses que celles-là.
M. Khadir
: Bien
sûr. J'en suis persuadé.
M. Boivin (Mathieu) :
Qu'est-ce qui vous permet de le dire?
M. Khadir
: Toute
la réalité du Parti libéral au pouvoir au cours des 15 dernières années
démontre qu'à chaque fois qu'il y a des gens qui sont impliqués dans le
financement du Parti libéral, ils bénéficient de largesses incroyables.
Voulez-vous que je vous en donne, d'autres exemples? Tony Accurso...
M. Boivin (Mathieu) :
Non, mais je voudrais une preuve que c'est le cas dans ce cas-là.
M. Khadir
: Bien,
moi, je n'ai pas… Moi, je ne suis pas l'UPAC.
M. Boivin (Mathieu) :
Vous faites de la culpabilité par association. Vous parlez de chèques…
M. Khadir
: Moi,
je n'ai pas le dossier de l'UPAC en main. Mais l'ex-enquêteur de l'UPAC qui
s'en est ouvert à l'émission Enquête, lui, était persuadé que les
preuves sont suffisamment incriminantes et il était frustré. Pourquoi il est
allé voir l'émission Enquête? Il était frustré de voir qu'un dossier
aussi solide rencontrait des blocages. D'accord?
Et c'est pour ça que je dis : Pour
nous, il est clair, quand on connaît les symptômes… Comme un médecin, là. Moi,
avant de donner un traitement à un malade, j'ai besoin d'une série de preuves
directes et indirectes. Mais, avant que j'envoie mon patient à des tests
diagnostiques, j'ai déjà une hypothèse basée sur mon expérience et ma
connaissance du patient et de ses symptômes. Le patient nommé «gouvernement du
Québec», les symptômes liés à l'oeuvre du Parti libéral au sommet du
gouvernement du Québec me portent à croire que le cancer de la corruption liée
au financement du Parti libéral est directement impliqué dans ce contrat.
Il y a des William Bartlett, il y a...
j'oublie toujours... bien, son nom est trop difficile...
M. Boivin (Mathieu) :
Gantcheff. George Gantcheff.
M. Khadir
:
George Gantcheff rôde alentour de la caisse électorale du Parti libéral. Et ces
mêmes gens-là bénéficient de ces transactions. Les symptômes sont suffisamment
graves pour que je les amène au scan. Le scan s'appelle l'UPAC. Maintenant, il
y a quelqu'un, un technicien de l'UPAC qui est venu nous dire pour quelle
raison le scan ne fonctionne pas. Il nous a posé la question dans l'émission Enquête,
et c'est la question qui se pose aujourd'hui.
M. Boivin (Mathieu) :
Dans un autre dossier, on a vu qu'il y a un gérant d'une boutique Adidas à Montréal
qui a semblé faire une faveur à la population locale en prononçant quelques
mots en français avant de livrer l'essentiel de son allocution en anglais. Qu'est-ce
que vous pensez, premièrement, de l'attitude de cet homme-là, mais aussi du
fait que la population a l'air à s'en ficher pas mal, puisqu'elle se présentait
en masse, cet après-midi, à l'ouverture des portes?
M. Khadir
: Oui.
Bien, tout le monde n'est pas au courant du détail de ces choses-là, là. Il ne
faut pas, hein, présumer que tous ces gens-là étaient parfaitement au courant,
n'est-ce pas? Malheureusement pour nous et pour vous, les médias, la population
n'est pas toujours au fait de tout ce que nous dénonçons et qui est rapporté.
Ceci étant dit, moi, je ne veux pas jeter
le blâme sur ceux qui sont allés, mais ça traduit assez bien l'absence de
respect total d'une certaine culture d'affaires qui se fiche de nos lois, qui
se fiche de notre dignité, qui se fiche de nos droits, que ce soit en matière
de langue, que ce soit en matière d'évasion fiscale, que ce soit en matière de
lobbyisme illégal, que ce soit en matière de pratiques déloyales commerciales. C'est
la culture des entreprises qui ont pris le pouvoir depuis les 30 dernières
années, peu à peu, grâce à la complicité de tous ces gouvernements qu'on a
dénoncés, qui pensent que le capital, et les capitalistes, et les détenteurs du
pouvoir économique ont tous les droits.
Nous, on ne pense pas ça. Québec
solidaire existe précisément parce que ce système-là est un système profondément
injuste et corrompu. Et la corruption, ce n'est pas juste de faire des
magouilles, là, la corruption, c'est de penser qu'une compagnie est au-dessus
des lois, qu'elle a le droit, par exemple, de rencontrer un ministre sans
s'enregistrer au registre du lobbyisme — hein, on l'a dénoncé dans le
cas d'Airbnb — de penser que, parce que c'est un pouvoir important,
ils peuvent prendre le téléphone, appeler le premier ministre du Québec pour
demander des comptes ou des orientations politiques en leur faveur, ou de
penser que la loi 101... ou penser que le simple respect du fait que nous
communiquons dans l'espace public ici en français, ça ne les concerne pas parce
que c'est des capitalistes.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Mais
là on parle... excusez-moi, mais on parle d'un gérant d'une boutique qui a
utilisé le mot «accommoder» dans une phrase qu'il a prononcée hier. Qu'est-ce
qu'Adidas doit faire, là, maintenant, là, à la lumière de tout ça, là?
M. Khadir
: Bien,
ce n'est pas... le problème... Le gérant est imbibé de la culture de son
entreprise, puis cette culture d'entreprise, c'est une culture partagée par la
plupart des grandes entreprises qui estiment que les gouvernements, les États,
les lois, les règles, c'est moins que rien. Pour leurs commerces, pour leur
marketing, pour faire prospérer leurs affaires, ils n'ont besoin de rien
respecter. Voilà un autre exemple où Adidas ne respecte pas le peuple
québécois. Mais ce n'est pas la faute du gérant, là.
Pour moi, le gérant, c'est juste un
reflet, un symptôme du mal plus profond, qui est cette culture du milieu des
affaires qui croit que le capital est au-dessus des lois, le capital est
au-dessus de la culture, le capital est au-dessus du respect des nations et des
peuples.
M. Pilon-Larose (Hugo) :
Sur la francisation et les questions linguistiques, le rapport de la VG dit
entre autres que la francisation des immigrants, c'est un échec. Des immigrants
qui ne maîtrisent pas le français, le tiers se sont inscrits aux cours, et, de
ce tiers-là, il y en a un autre tiers qui ne s'est pas présenté ou qui ont
coulé le cours. Est-ce que Montréal s'anglicise, en ce moment, là? Est-ce que
c'est un constat que vous partagez?
M. Khadir
: C'est
sûr que, si on ne réussit pas à bien franciser les immigrants, on ne peut pas,
ensuite, s'étonner de voir l'anglais progresser comme langue d'usage, langue au
travail, langue de communication. C'est le constat malheureux qu'on fait, là,
dans la question précédente que vous avez posée.
Et, de toute évidence, au cours des 15 dernières
années, le gouvernement libéral n'était pas très attentif, était relativement
indolent, sinon incompétent à assurer... Parce que ce qu'elle a dit, la
Vérificatrice, c'est que le ministère de l'Immigration n'avait pas mis en place
les contrôles nécessaires pour évaluer ce qu'on fait, l'argent qu'on donne,
est-ce que ça atteint les objectifs, est-ce qu'on réussit à franciser
suffisamment d'immigrants. On a été vraiment renversés d'apprendre que c'est
aux alentours de 5 %, le taux de réussite ou d'atteinte des objectifs de
francisation, là, fonctionnelle, ce qui est absolument dévastateur.
Évidemment, je suis persuadé que ce n'est
pas un blâme qu'on peut jeter à la face des enseignants. C'est que, dans
l'ensemble, ce qu'on fait de manière structurelle n'est pas adéquat pour
vraiment attirer et surtout retenir ceux qu'on a inscrits dans les cours et
ensuite de leur offrir un niveau de participation et d'enseignement qui fasse
qu'à la fin ces immigrants soient compétents.
Une voix : Merci,
M. Khadir.
M. Khadir
: Merci
à vous.
(Fin à 13 h 33)