(Treize heures une minute)
La Modératrice
:
Bonjour. Bienvenue à ce point de presse de Québec solidaire. Prendront la
parole tout d'abord M. Simon Pouliot, coordonnateur aux représentations
politiques de l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec, suivi
de Guillaume Grenon, coordonnateur du Front commun des personnes assistées
sociales du Québec, Renée Dubeau, coordonnatrice aux affaires juridiques de
l'Association pour la défense des droits sociaux, Québec, finalement, ce sera
la députée de Taschereau, Catherine Dorion, qui prendra la parole. Elle a
déposé, entre autres, aujourd'hui, une pétition papier en lien avec le sujet.
Merci.
M. Pouliot (Simon) : Bonjour.
Je me nomme Simon Pouliot et je suis militant salarié à l'Association pour la
défense des droits sociaux Québec métropolitain, l'ADDS-QM. À l'ADDS, nous
défendons les droits des personnes assistées sociales depuis maintenant plus de
40 ans et nous sommes fiers du travail que nous avons accompli.
Aujourd'hui, nous déposons une pétition
avec plus de 1 140 signataires. Nous avons dû démarcher pas mal pour
récolter ces signatures. Nous avons visité plus de 35 organismes de la
ville de Québec. Mais je dois vous avouer que c'était assez facile de faire
signer cette pétition parce qu'elle dénonce quelque chose qui est complètement
inhumain.
Depuis janvier 2019, avec l'adoption de la
loi n° 173 et du règlement 111, alinéa 27.1°,
les prestataires d'aide sociale peuvent recevoir 100 $ en don par mois
sans pénalité et nous en sommes bien heureux. Par contre, avant cette adoption,
ces personnes n'avaient pas droit à cette exemption et les dons reçus de
manière récurrente étaient transformés en dette. Donc, nous recevons plusieurs
cas à chaque mois où des personnes disent s'être fait construire une dette
puisqu'elles avaient reçu des dons en argent de leur entourage, leur famille,
leurs amis. Des milliers de prestataires doivent donc rembourser ces dettes par
tranche de 112 $ à 224 $ par mois sur leurs prestations. À l'ADDS-QM,
nous trouvons que pénaliser l'entraide, c'est contre nature.
Nous demandons au ministre de la
Solidarité sociale de revoir toutes les dettes actives reliées aux dons et
d'appliquer rétroactivement le règlement 111, alinéa 27.1°, de
refaire le calcul afin de réduire ou d'effacer ces dettes en fonction du
nouveau montant accordé mensuellement.
Quand il a adopté le nouveau règlement, le
ministère a admis que l'ancien ne faisait pas sens. Pour être cohérent, il
devrait corriger le tir sur les dettes qui lui sont liées. Par ailleurs, en
février dernier, nous avions envoyé une lettre au ministre pour lui exposer
notre demande. Il a refusé.
Avec le dépôt de notre pétition d'aujourd'hui,
nous réaffirmons que notre demande est légitime et espérons que le ministre
soit suffisamment empathique pour appliquer l'ajustement des dettes aux dons à l'aide
sociale.
M. Grenon (Guillaume) :
Bonjour, mon nom est Guillaume Grenon, je suis porte-parole du Front
commun des personnes assistées sociales du Québec, un regroupement national
d'une trentaine d'organismes qui font de la défense des droits des personnes à
l'aide sociale, comme l'ADDS-QM. Au front commun, on agit depuis près de
45 ans afin de défendre et de faire valoir les droits des personnes à
l'aide sociale.
Aujourd'hui, on tient un point de presse
afin de dénoncer la pénalisation de l'entraide des personnes à l'aide sociale.
C'est ironique, d'ailleurs, parce qu'on va bientôt assister à la fameuse Grande
Guignolée des médias, hein, qui encourage à donner, on le sait, à chaque année
pour aider les gens dans le besoin à la veille du temps des fêtes. C'est un bel
appel à des valeurs qui semblent faire consensus social, le partage,
l'entraide, mais ces belles valeurs-là ne semblent pas compter lorsqu'il est
question du système de l'aide sociale.
Dans les dernières années, si vous avez
voulu aider votre fils, votre fille, votre frère, votre soeur, un parent ou
encore un ami qui était dans une situation de grand besoin d'aide économique en
étant à l'aide sociale, votre coup de main aura été détourné dans les coffres
de l'État en étant retranché de la prestation de la personne le mois suivant.
Il y a un effet d'appauvrissement qui est lié aux coupures des prestations
d'aide sociale. La loi et les règlements de l'aide sociale agissent comme des
mécanismes de maintien des prestataires dans une situation économique absolument
vulnérable. Et la pénalisation de l'entraide des personnes à l'aide sociale est
un exemple concret de l'un de ces mécanismes qui agit comme une trappe à la
pauvreté.
Ça veut donc dire, en d'autres mots, que,
si une personne à l'aide sociale se fait lancer une bouée pour pouvoir se
sortir la tête de l'eau, ne serait-ce que le temps de reprendre son souffle un
tant soit peu, le système de l'aide sociale va lui replonger la tête sous l'eau
encore plus profondément pour le mois qui va suivre. Et les montants des
prestations sont déjà radicalement inférieurs à tous les seuils de pauvreté que
l'on connaît au Québec et au Canada. Comment pouvons-nous accepter, en tant que
société, que l'État pénalise l'entraide des personnes qui sont dans des
situations aussi vulnérables?
La raison de mon intervention aujourd'hui,
c'est aussi pour laisser savoir que cette situation-là touche plusieurs
personnes à travers l'ensemble du Québec. Tous les groupes de défense
collective des droits à l'aide sociale avec lesquels nous sommes en contact
appuient la démarche de l'ADDS-QM et souhaitent voir le ministre Boulet... de
mettre en action rapidement pour mettre fin à cette injustice sociale.
Je vais maintenant laisser la parole à
Mme Renée Dubeau.
Mme Dubeau (Renée) : Bonjour.
Je travaille à l'ADDS de Québec et moi, j'ai l'aspect juridique de l'organisation.
Je viens aujourd'hui transmettre l'histoire d'une jeune femme qui vit avec une
dette de 5391 $ à l'aide sociale. Son seul crime aura été d'avoir de
l'aide de l'argent de sa famille.
En décembre 2018, elle doit remettre
à son agent de conformité un relevé bancaire du dernier mois. Par la suite, on
remontera trois ans en arrière et elle devra donner la provenance des sommes
reçues pendant toute cette période. Tout ce qu'elle peut dire, c'est que ce
n'est pas du travail au noir ou des argents reçus illégalement, mais des
argents versés par sa famille pour lui venir en aide, pour lui éviter la rue. Comme
ils vivent en Gaspésie, ils n'ont pas pu lui faire des dons en biens, comme de
la nourriture, ou faire des achats pour elle. Donc, les dons se faisaient par
transaction bancaire. Quelle erreur!
Dans les rencontres qu'elle a eues avec
l'aide sociale, on lui dit que si, au lieu d'avoir des dons en argent, il n'y
avait pas eu de trace ou qu'elle aurait reçu des cartes-cadeaux, tout aurait
été correct. On lui a aussi dit qu'elle pourrait avoir une tutelle entre elle
et son beau-père. Au final, on l'accuse d'avoir reçu des dons, ce qui était
illégal.
La dette sera établie ainsi : Toutes
les sommes d'argent, en dehors des cadeaux de fête et de Noël, sont
additionnées, plus un 100 $ pour fausse déclaration. Car madame, sans
avoir... Madame aurait dû savoir et déclarer ces sommes. On doit souligner
qu'elle était loin de se douter qu'elle commettait une faute à recevoir des
dons sans le dire. C'est vrai que nul ne doit ignorer la loi, mais les
informations concernant les règles à l'aide sociale sont souvent dites pas très
clairement. Nous sommes régulièrement témoins de personnes qui apprennent une
règle en même temps que la faute et subir du même coup la pénalité.
Madame recevait autour de 669 $ par
mois. Vous comprendrez que le surplus lui servait à payer le loyer et se
nourrir. Il y a un montant qui a été mis sur la réclamation et qui l'indigne
encore plus, c'est l'aide de son beau-père pour l'achat de bottes à cap pour
lui permettre de retourner au travail. Dans toute cette histoire, elle ne s'est
jamais sentie aidée, comme pour un éventuel retour au travail, mais plutôt pour
l'enfoncer encore plus, et là on doit admettre qu'ils ont été présents.
Parce que l'aide sociale tarde à reviser
son dossier, il s'écoule trois ans. De mois en mois, madame cumule la faute. Le
piège s'était bien refermé sur elle et il était trop tard. Si elle avait appris
cette règle plus tôt, la dette aurait été plus petite. Parce qu'aucun
remboursement n'a été effectué de sa part envers sa famille, on établit la
dette sur le fait qu'elle a reçu des dons pour plus de 5000 $. Elle devra
rembourser, à même ses prestations, 112 $ par mois, remboursement prescrit
lorsqu'il y a fausse déclaration. Ce geste d'entraide et de solidarité lui ont
permis de ne pas se retrouver à la rue et de retourner au travail. Elle reste
avec une dette avec le ministère de la Solidarité sociale et une dette morale
envers son beau-père.
Mme Dorion : Je veux remercier
ce beau et bon monde qui ont pris la peine de se déplacer dans notre maison du
peuple aujourd'hui pour vous expliquer cette situation.
J'aimerais moi aussi vous parler d'entraide.
L'entraide, on en voit tous les jours dans nos familles. J'en vois tous les
jours dans mon comté. Il y a des gens qui donnent aux plus mal pris qui
habitent au coin de la rue, qui reçoivent des services d'un organisme
constamment. C'est encouragé. Et l'entraide, on ne peut pas s'en passer comme
société. C'est la base de toute société humaine.
Pourtant, on n'est pas à une incohérence
près quand il s'agit d'aider les personnes assistées sociales, comme si ces
personnes-là, qui font partie, oui, des plus mal pris dans notre société,
n'avaient pas droit de recevoir ce qui fait que toute personne peut vivre
heureuse, entourée et soutenue dans une vie. D'un côté, on dit aux gens
que c'est primordial de donner, que ça peut faire la différence, et c'est
encore plus vrai à des périodes de l'année comme maintenant où on approche de
Noël, où il y a toutes sortes de levées de fonds. L'entraide, ça nous amène à
tisser des liens les uns avec les autres et de passer à travers des moments
difficiles. Mais on pénalise les personnes assistées sociales quand elles
reçoivent des dons de leurs proches ou de leur communauté. On pénalise les
personnes les plus vulnérables de notre société parce qu'elles reçoivent des
dons en complément des prestations d'aide sociale qui sont, en passant, des
pinottes, qui ne sont pas assez pour permettre à une personne de remplir ses
besoins de base, qui sont loin d'être suffisantes pour boucler les fins de
mois. C'est hypocrite, c'est contradictoire et c'est amoral.
Depuis le 1er janvier dernier, les
personnes assistées sociales peuvent recevoir des dons jusqu'à concurrence de
100 $ par mois sans pénalité. Bon. C'est un pas dans la bonne direction.
Pour bien du monde, ce petit 100 $ servira à payer la hausse des coûts du
loyer, à couvrir les frais d'Hydro, par exemple, pour d'autres, ça va permettre
d'ajouter quelques repas de plus ou d'éviter une journée ou deux d'aller
chercher sa nourriture dans les banques alimentaires. Mais il faut aller plus
loin. Il faut permettre à l'ensemble des personnes assistées sociales d'en
profiter. Et je pense particulièrement à ceux et celles qui ont une dette
active envers le ministère en raison des dons qu'ils ont reçus avant l'entrée
en vigueur du règlement, c'est-à-dire le 1er janvier dernier. Des dettes
ont été accumulées pour des dons reçus, pour de l'entraide offerte et cette
dette-là doit être payée encore aujourd'hui par des personnes qui n'ont
vraiment pas de surplus d'argent dans leur compte. Je joins donc ma voix à
celle des personnes qui subissent la pénalité au quotidien et à celle des
groupes qui veillent à défendre leurs droits. Heureusement que vous êtes là, en
passant.
J'interpelle donc le ministre responsable
de la Solidarité sociale et je lui demande d'ajuster le règlement qui est entré
en vigueur le 1er janvier dernier. C'est une question d'équité envers
toutes les personnes assistées sociales.
On ne peut pas laisser les géants du numérique,
les GAFAM s'en sortir sans payer une cenne d'impôt puis aller courir après des
personnes assistées sociales parce que leurs proches leur ont donné 150 $
par mois pour les aider à joindre les deux bouts. Ça n'a aucun sens.
À un moment donné, il faut faire preuve de
cohérence. On a autorisé des dons de 100 $ par mois. Maintenant, tout ce
qu'on demande, c'est que celle nouvelle règle puisse être appliquée
rétroactivement aux personnes qui ont reçu des dons avant 2019. C'est juste de
la bonté de base de ne pas agir avec cruauté envers des gens qui n'ont vraiment
pas besoin de ça. Merci.
(Fin à 13 h 13)