(Quinze heures trois minutes)
Le Modérateur
: Alors,
bonjour à toutes et à tous. Bienvenue à ce point de presse de Vincent Marissal,
porte-parole du deuxième groupe d'opposition en matière de finances, d'économie
et de fiscalité et pour le Conseil du trésor. M. Marissal, la parole est à
vous.
M. Marissal : Merci
beaucoup. Alors, bon après-midi. Merci d'être là. On s'attendait à une grosse
journée aujourd'hui. Une mise à jour économique, c'est toujours un moment
important. Ça l'est encore plus ou ça devrait l'être encore plus en une période
trouble comme celle que l'on vit. Malheureusement, je dois vous dire que je
reste passablement sur ma faim. Il n'y a pas grand-chose de neuf sous le soleil
dans cette mise à jour économique, de ce qu'on ne savait pas.
Par ailleurs, le ministre semble avoir
fait preuve d'une créativité comptable, ma foi, assez extraordinaire pour se
maintenir à 15 milliards de déficit, pour maintenir, comme par hasard, sa
réserve de 4 milliards à 4 milliards.
Et on voit par ailleurs que, malgré les
besoins criants, sur le terrain, de l'économie au Québec, je parle des régions
qui en arrachent davantage, je parle de certains secteurs de l'économie, les
très petites entreprises, les PME, le tourisme, la culture aussi qui est en
train de s'effondrer, des pans de secteurs aussi de l'économie en restauration,
on ajoute, là, pour le moment, 1,5 milliard. Bon, certains diront que
c'est quand même un gros montant. Mais, dans la perspective du budget complet
du gouvernement du Québec, sachant en plus qu'on a des réserves pour
éventualités, donc pour crises, c'est un effort, ma foi, minimaliste et je
dirais même assez chiche.
Par ailleurs, le gouvernement... Comme il
nous l'avait dit, le ministre des Finances refuse d'envisager de nouvelles
sources de revenu. Il nous dit aussi évidemment que la croissance sera moindre
que ce qu'on avait prévu, ça, ça va de soi, à cause de la pandémie, et elle a
été moindre que prévu. Par contre, il maintient mordicus, là, son objectif de
cinq ans pour le retour à l'équilibre budgétaire.
Ça, quand on calcule et qu'on additionne,
ça nous donne le résultat de l'austérité patente. Ça nous pend au bout du nez. D'ailleurs,
je remarque que, dans ses projections, le ministre s'arrête. Il n'a pas donné
les deux dernières années. Et, en principe, dans son plan, l'équilibre
budgétaire revient en 2026. Il s'arrête, dans ses projections, à 2023. Alors,
il manque, là, comme deux années. Il y a deux années-mystères.
Ce que l'on sait, par contre, en regardant
plus attentivement les chiffres, c'est qu'il y aura néanmoins, pour ces deux
dernières années là, ou trois dernières années là si vous arrêtez à 2022, 7 milliards
de déficit à combler, c'est beaucoup d'argent, avec une croissance économique
qui sera évidemment moins forte que prévu. Et il s'engage aussi, par ailleurs,
à maintenir les dépenses.
Ça me paraît difficile de concilier tout
ça. Je ne suis pas le premier à le dire, des économistes l'ont dit aussi au
cours des dernières semaines. C'est un peu la quadrature du cercle dans
laquelle le ministre s'est engagé là, aujourd'hui, et visiblement il manque des
morceaux, là, dans le casse-tête qu'il vient de nous présenter.
Il n'y a pas grand-chose, sinon rien pour
la crise climatique, pour la relance verte, et puis il n'y a rien dans le
domaine des investissements sociaux. Et il y a aussi quelque chose qui revient,
et c'est, cette fois, plus chiffré, c'est les demandes de
plusieurs milliards de dollars de transferts fédéraux en santé, des
transferts, donc, accrus, que le ministre demande à cor et à cri, sans
condition, évidemment, de la part du fédéral. Mais de toute évidence, son
échafaudage budgétaire repose aussi sur un accroissement significatif des
transferts fédéraux. Alors, de dire que c'est hasardeux, c'est vraiment le
moins que je puisse dire. Je me serais attendu quand même à une réponse un peu
plus sérieuse aux pans de l'économie qui en arrachent en ce moment.
Je ne prends qu'un exemple,
60 millions de dollars en tourisme, franchement, quand on connaît
l'importance de ce secteur-là dans l'économie du Québec, quand on connaît les
difficultés que ce secteur-là de l'économie connaît en ce moment, quand on sait
que pour, vraisemblablement, la prochaine année et peut-être les subséquentes,
il y aura beaucoup plus de tourisme intérieur, les Québécois et les Québécoises
vont continuer de voyager au Québec... Et le ministre, tout à l'heure, était
vraiment tout heureux, tout sourire de nous dire qu'il avait provisionné
60 millions de dollars pour l'industrie au complet du tourisme au Québec.
Alors, c'est vraiment trop peu. Je
souhaite seulement que ce ne soit pas trop tard, parce que, de toute évidence,
le ministre continue de s'attacher les mains avec son échéancier de retour à
l'équilibre budgétaire, mais ce sont les Québécois et les Québécoises qui
risquent d'en faire les frais, parce que, de toute évidence, il n'y aura pas
assez d'argent pour maintenir les dépenses, et on se retrouvera
vraisemblablement devant de nouvelles compressions et une nouvelle ronde
d'austérité. Je suis prêt à prendre vos questions.
Le Modérateur
: Nous
allons commencer avec Valérie Gamache de Radio-Canada.
Mme Gamache (Valérie) : Est-ce
que vous avez l'impression que cette mise à jour économique là est beaucoup
trop basée, justement, sur les transferts fédéraux, et que c'est là, vraiment,
la plus grande faiblesse de ce plan-là? Parce que, si Ottawa dit non, c'est
comme si le plan ne tient plus.
M. Marissal : Bien, il y a
plusieurs faiblesses, dans ce plan-là, notamment la réponse aux secteurs, avec
un «s», de l'économie qui souffrent. Ça, c'est sûr et certain. Je ne sais pas
si je dois les calibrer, là, les hiérarchiser, mais l'autre faiblesse, c'est
l'objectif de retour à l'équilibre budgétaire en cinq ans. Vraiment, voici un
ministre, là, qui s'est automenotté, là. Il ne se donne pas le choix, mais ce
n'est pas lui qui va souffrir.
Quant à la demande faite au fédéral, c'est
effectivement tout un gros morceau. Et j'ai remarqué tout à l'heure que le
ministre n'a pas été capable de répondre à savoir si son plan tenait sans le
montant demandé au fédéral. Il a plus ou moins habilement contourné la
question, mais il n'a pas eu de réponse à ça. Alors, c'est un immense montant
que le Québec, là, tout d'un coup, demande au fédéral. Il va y avoir des
négociations, mais ce n'est peut-être pas très habile que d'abattre ses cartes
comme ça en disant d'emblée : Moi, j'ai absolument besoin de ce gros
morceau d'argent venant d'ailleurs sans condition. Disons que M. Girard a
abattu ses cartes un peu vite.
Le Modérateur
: Hugo
Pilon-Larose, LaPresse.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Mais
le retour à l'équilibre budgétaire en cinq ans, ce n'est pas dans la loi, ça?
M. Marissal : Oui, oui, mais
cette loi a été modifiée à l'occasion. On n'est pas dans une situation où on peut
tout simplement s'encarcaner dans une loi si cette loi ne correspond pas aux
circonstances, et les circonstances sont totalement exceptionnelles. On n'a
jamais connu ça, au Québec, et je souhaite bien qu'on ne la revivra jamais,
d'ailleurs, cette pandémie, suivie de la récession, de la crise économique. On
peut modifier une loi.
D'ailleurs, le ministre ouvre la porte,
dans son exposé économique, aujourd'hui, à une révision, notamment, tu sais,
des versements au Fonds des générations. On n'a pas à s'attacher les mains dans
un programme de retour à l'équilibre budgétaire sur cinq ans. On peut faire
autrement. En fait, il y a deux questions ici, c'est : Est-ce que ça
risque de faire souffrir la population? Oui, effectivement. Est-ce que ça
risque de retarder encore leurs investissements nécessaires dans nos services
publics? La réponse est oui aussi.
Alors, c'est un fou dans une poche, là. On
n'est pas obligés, de façon quasi religieuse, dogmatique, de dire : Bien,
c'est cinq ans, c'est cinq ans. Et puis, de toute façon c'est le ministre
lui-même, là, qui décide quand est-ce qu'on commence à compter les cinq années
vers le retour à l'équilibre.
M. Pilon-Larose (Hugo) : Bien,
je pense que la loi le prévoit aussi, là, quand qu'on commence à compter, là,
plutôt que le ministre. Mais qu'est-ce qui serait responsable pour un
gouvernement qui, quand même, gère les finances de tous les Québécois, là, les
finances publiques, quel serait un retour à l'équilibre budgétaire responsable?
Vous, si vous étiez au gouvernement... Vous dites : Cinq ans, c'est trop
tôt, ça va faire souffrir du monde parce que ça va nous forcer à aller dans
l'austérité. Alors, qu'est-ce que vous proposeriez?
M. Marissal : Je n'ai pas le
chiffre magique : Est-ce que c'est sept ans, est-ce que c'est huit ans,
est-ce que c'est 10 ans? Mais, prenons-le à l'envers, tant qu'on n'aura
pas réinvesti massivement dans les services publics, tant qu'on n'aura pas
remis nos services publics à niveau, ça, ça veut dire engager le monde, là — parce
que le ministre lui-même puis le gouvernement n'arrêtent pas de dire qu'on
manque de monde en santé, et c'est vrai, on manque de monde dans le milieu de
l'enseignement aussi, et c'est vrai — alors, minimalement, tant qu'on
n'aura pas rétabli cet équilibre nécessaire dans nos services publics, tant
qu'on ne sera pas revenus à l'équilibre avec nos services publics... On
contrôle évidemment le déficit, il ne s'agit pas de creuser, et de creuser, et
de creuser, mais de se borner dans un horizon si court, c'est nécessairement se
condamner à couper.
Alors, où est-ce qu'on va couper? Est-ce
qu'on va devoir, par exemple, faire des choix douloureux dans d'autres missions
de l'État? Est-ce que certains engagements envers les enseignantes ne seront
pas respectés ou pas pleinement respectés? Est-ce que ça annonce des moments
difficiles pour la fonction publique, pour les services publics? Vous savez, ce
n'est pas de la magie, là, le gouvernement reçoit tant de revenus, dépense
tant. S'il décide que c'est absolument incontournable de mettre tant sur le
déficit en tant d'années, bien, il y en a moins ailleurs. Ce pourquoi le
ministre répondait tout à l'heure : Bien, c'est sûr que, s'il y en a moins
du fédéral, il va falloir qu'on ajuste ailleurs. Oui, ça va de soi. Mais on est
quand même maître de nos choix ici.
Mme Gamache (Valérie) : Oui.
Est-ce qu'on n'est pas en train, justement, de dire à l'avance qu'on va devoir
peut-être éventuellement, justement, faire des coupures ou augmenter les
impôts, en disant : Ce n'est pas de notre faute, c'est la faute du
fédéral? Est-ce qu'on ne met pas la table à ça, finalement, à faire porter
le...
M. Marissal : Ce que je vois,
c'est que, dans le plan que le ministre nous présente aujourd'hui, il manque
d'argent puis il manque de l'argent notamment pour les dernières années de son
plan de retour à l'équilibre. Si on veut faire porter ça sur le dos du fédéral,
ça serait d'un cynisme consommé. Le fait est que le gouvernement du Québec est
maître de ses choix, puis ce n'est pas personne d'autre que lui-même qui
s'oblige à rembourser puis à revenir à l'équilibre en si peu de temps.
En ce moment, évidemment, les revenus ne
sont pas au rendez-vous. C'est malheureux, c'est l'effet premier.
Économiquement, là, en tout cas, c'est l'effet premier d'une pandémie, puis
suivi d'une récession, puis d'une crise économique. Évidemment, la question ne
se posait pas il y a un an, mais là on est devant ça. Cela dit, le ministre des
Finances est encore maître de ses décisions et il n'a pas à se peinturer dans
le coin absolument en disant : Bien, il faut, tu sais, qu'on règle...
Là, on va se retrouver, là, dans une situation
assez farfelue où on va emprunter pour faire des versements au Fonds des
générations. Et je ne suis pas le premier à le noter, il y a des économistes
qui l'ont noté. Quand même, on se retrouve dans une situation pour le moins
particulière, là, pour ne pas dire plus.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais si on emprunte à un taux inférieur à celui qu'on peut penser obtenir par
nos placements, ce n'est pas un choix avisé?
M. Marissal : On parle quand
même de plusieurs milliards de dollars ici et puis on ne connaît pas la suite
de cette pandémie. Certains spécialistes commencent déjà à parler d'une
troisième vague. J'espère que nous en serons épargnés, là, vraiment.
Mais est-ce que le taux, par exemple, de
croissance économique de 5 % pour l'an prochain sera au rendez-vous?
Comprenez-moi bien, là, évidemment, je le souhaite, là, puis, si ça dépasse
5 %, tant mieux, tout le monde sera bien servi. Mais, en ce moment, on
n'est pas dans une situation où on peut lancer les dés puis se dire : Bon,
ça va très, très bien aller, c'est extraordinaire, puis il va y avoir assez de
sous pour faire tout ce qu'il y a dans ce programme-là, c'est-à-dire
l'équilibre, en fait, le retour à l'équilibre budgétaire dans cinq ans.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Dans la mesure où le Canada avait le ratio de la dette nette au produit
intérieur brut le plus faible des pays du G7 avant le début de la pandémie...
Bon, le Québec, c'est un peu différent, mais quand même, là, la dette n'est pas
celle de, toutes proportions gardées, par exemple, d'économies européennes.
Est-ce qu'on ne devrait pas prendre
l'approche Morneau, donc dépenser puis se préoccuper de la dette par la suite?
M. Marissal : Le ministre a
dit quelque chose tout à l'heure, puis là je vais être d'accord avec lui :
La priorité des priorités, là, c'est la santé puis c'est la crise sanitaire.
Alors, moi, je constate depuis le début, là — ça fait quand même neuf
mois, là, depuis le mois de mars, là — que le gouvernement est plutôt
chiche dans ses mesures d'aide, notamment aux PME ici.
On a l'impression qu'on est dans une
espèce de darwinisme économique où on attend qu'il y en ait un paquet qui
meurent de mort naturelle à cause de la crise puis on n'aura pas à les aider.
C'est malheureux, parce que ces gens-là travaillent fort, puis il y a des gens
qui travaillent pour ces gens-là, tous les gens qui travaillaient dans le
secteur de la restauration, par exemple. Vous savez comme moi qu'en ce moment
il y a 5 % de l'économie qui est à l'arrêt, mais ça représente 10 %
de la main-d'oeuvre au Québec. Ces gens-là ne travaillent pas, puis c'est très
malheureux.
J'ai l'impression qu'on se dit : Bon,
bien, regarde, c'est la sélection naturelle, il y en a qui ne feront pas... qui
ne passeront pas à travers. Alors, c'est quand même un choix étonnant. Et, à
partir du moment où on a déconfiné, on a fait des choix, le gouvernement nous
dit : On accélère pour relancer le Québec, mais ils ont le pied sur le
brake en même temps parce que 1,5 milliard, je le répète, là, à l'échelle
du Québec et du budget du Québec, considérant les besoins, c'est vraiment... On
est en deçà du strict minimum qu'on pouvait faire pour l'économie du Québec.
M. Bergeron (Patrice) : O.K.
Donc, ils doivent mettre le pied à fond sur l'accélérateur?
M. Marissal : Ils doivent
lâcher le brake, en tout cas, ça, c'est sûr.
Le Modérateur
: O.K. Y
a-t-il d'autres questions en français? Non. Alors, une question transmise par
Cathy Senay, de CBC. Is the Finance Minister realistic in his
plan to go back to a balanced budget in five years, and without cutting
services and raising taxes?
M. Marissal :
Well, the short answer to that is no. It is not realistic, and especially
because the Finance Minister is waiting on Ottawa to transfer something like
$6 billion next year on health transfers from Ottawa. So, no, it is not
realistic to think that you will keep on the spending of the province without
new revenues and with the perspective that is quite unsure, to say the least,
at this time.
Le Modérateur
:
Is it dangerous to be too optimistic and uncertain in exceptional times?
M. Marissal :
Well, I mean, the first duty of the Minister is to make sure that we have all
the resources and the money to face this pandemic. And, right now, he seems to
be more obsessed by the zero-deficit program than with the public services that
we need, and they need to be fixed in order to be able to restart the economy
of Québec and to be able to get over this pandemic.
Le Modérateur
:
C'est ce qui met fin au point de presse. Merci beaucoup.
M. Marissal : Merci.
(Fin à 15 h 20)