Définition
Appellation familière de la salle de l'Assemblée nationale jusqu'en 1978 en raison de la couleur de ses murs (voir l'extrait vidéo). Repeinte en bleu cette année-là, elle est ensuite appelée familièrement le « salon Bleu ».
Le 22 mars 1984, le président Richard Guay propose qu'elle prenne officiellement le nom de « salle de l'Assemblée nationale ». Cette décision vise à souligner le centenaire de la première séance tenue à l'hôtel du Parlement dans des locaux temporaires (27 mars 1884)1.
Les parlementaires siègent dans cette salle depuis le 8 avril 1886. D'abord peinte en blanc, c'est en 1901 qu'elle passe au vert, couleur traditionnellement en usage dans les assemblées électives des parlements de type britannique2.
À Ottawa, le vert est encore aujourd'hui la couleur dominante à la Chambre des communes.
Le salon Vert au milieu des années 1970. Photographe Eugène Kedl, Collection Assemblée nationale |
Historique
Il est difficile d'établir avec certitude l'origine de l'usage du vert dans la Chambre basse des parlements de type britannique. Si le rouge de la Chambre haute réfère à la royauté, l'utilisation du vert donne lieu à de nombreuses théories. Selon le spécialiste J. M. Davies :
The philosophical ones, that green stood for envy of the Upper House, or for hope of elevation, can be discounted. And although green was a predominant color in the Tudor emblem, there is no heraldic significance in the color; on the other hand, some may associate green with the countryman or commoner. Even if these theories are too fanciful, as they surely must be, the question still arises of whether the Commons deliberately chose to use green in their Chamber to distinguish it from the Upper House3.
D'autres soutiennent que, autrefois, les ingrédients entrant dans la composition de la couleur verte coûtaient moins cher que ceux employés dans la préparation du rouge, ce qui expliquerait peut-être son utilisation dans la Chambre basse4.
En Grande-Bretagne
Chose certaine, le vert est appliqué en Angleterre médiévale sous la dynastie des Plantagenêts dans les plus importantes salles du palais de Westminster. Le roi Henri III (1216-1272) en fait la couleur principale de sa chambre particulière (appelée the painted chamber), des ornements de son lit ainsi que de la chapelle St. Stephen. Cette dernière, reconstruite au XVIe siècle, est ensuite parée de plusieurs couleurs sans toutefois que ne prédomine le vert5.
Les Communes s'installent dans la chapelle St. Stephen en 1550, mais ce n'est qu'en 1663 que l'on fait mention pour la première fois de la présence du vert6. Balthasar de Monconys, un diplomate français, écrit dans son journal que les bancs des députés sont recouverts de serge verte. En 1670, des fonds sont dépensés pour faire « paynting green in oyle the end of the seates, and a Dorecase and some other things », tandis qu'en 1672-1673, on achète du « green woollen cloth »7.
Avec le temps, cette couleur caractérise plusieurs autres éléments des Communes : velours du fauteuil de l'orateur, tissu sur la table, coussins, rideaux de serge dans certaines antichambres, etc. Un réaménagement de la chapelle complété en 1692 perpétue cette tendance. Elle se remarque aussi dans la décoration du palais de Westminster, tandis que le rouge demeure confiné à la Chambre des lords. On peut cependant affirmer qu'à la fin du XVIIe siècle, la tradition du vert aux Communes et du rouge à la Chambre des lords est bien établie : c'est pourquoi, en 1698, Westminster Hall est décoré de ces couleurs distinctives quand les membres des deux Chambres sont réunis pour les State trials8.
En résumé, si le sens et l'origine de l'utilisation du vert demeurent inconnus de nos jours encore, cette couleur décore aujourd'hui la grande majorité des Chambres élues des parlements de tradition britannique.
Au Québec
Rien ne permet de dire que le vert était utilisé à la Chambre d'assemblée du Bas-Canada. Sous l'Union, à Québec, une description détaillée de la salle de l'Assemblée législative par le Quebec Mercury (31 août 1852) mentionne plutôt le pourpre et l'écarlate dans la décoration, nulle trace de vert. Il s'agit du parlement détruit par les flammes en 1854. Dans l'édifice qui le remplace, le tapis est vert, selon une source de 18669, couleur que l'on maintient l'année suivante durant les travaux de réaménagement de la Chambre, avant l'arrivée des premiers élus de la nouvelle Province de Québec :
The faded and tarnished red upholstery of the Legislative Assembly Hall had been replaced by a neat green carpet, curtains, and general fitting out of the same emerald hue, while the walls, ceiling and galleries, tastefully and appropriately decorated to suit the tinge of the parterre, tented to enhance the charming effect of the tout ensemble10.
À l'hôtel du Parlement, les murs de l'actuelle salle qu'inaugurent les députés le 8 avril 1886 sont peints en blanc. C'est progressivement que la présence du vert s'y accentue. Ainsi, L'Électeur rapporte, fin 1891, qu'un « nouveau tapis vert » a été posé, suggérant que le précédent était de même couleur. En octobre 1895, les pupitres sont recouverts de cuir vert à l'ouverture de la session : l'étaient-ils auparavant? Rien ne permet de le déterminer. Cinq ans plus tard, Le Soleil désigne l'endroit comme étant la « chambre blanche », mais des travaux effectués durant l'été font que, l'année suivante, ce journal rapporte qu'« à la Chambre des Députés, chambre verte, on a rafraîchi toutes les peintures et renouvelé les tapis ». Le Pays précise quant à lui, en 1915 que les murs sont « vert tendre »11.
La salle de l'Assemblée législative en 1887 alors que Félix-Gabriel Marchand est orateur. La décoration du nouvel hôtel du Parlement est loin d'être terminée, comme en témoignent à cet endroit les murs qui vont rester blancs jusqu'en 1901. Photographe A.-R. Roy, Bibliothèque et Archives nationales du Québec
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Une couleur convenant à la télédiffusion des débats parlementaires
Pour l'historien Gaston Deschênes, la couleur semble passer au vert foncé au fil des décennies, ce que confirme un tournage réalisé en septembre 1977 à l'occasion de tests de caméras12.
Ces prises de vue découlent de la volonté du gouvernement de René Lévesque d'instaurer la télédiffusion des débats de l'Assemblée nationale. Déjà, en février 1973, le président Jean-Noël Lavoie avait le premier exploré cette possibilité13.
En mars 1977, le ministre Robert Burns forme le Comité d'étude sur la diffusion des délibérations parlementaires14. Au-delà de questions telles que l'immunité parlementaire ou le choix des débats à diffuser, ce comité doit surtout se prononcer sur tous les aspects logistiques, techniques et physiques du projet.
Très tôt, il est clair que l'instauration de la télédiffusion des débats va obliger un important réaménagement du salon Vert15. Une seconde expérience de tournage (fin septembre 1977) permet de soulever des problèmes majeurs dans la captation télévisuelle16. D'abord, l'éclairage inégal provoque des contrastes à l'écran, selon l'endroit où se trouvent les gens dans la Chambre. Les diverses couleurs des habits et des matériaux, comme le bois verni ou le tapis, réfléchissent plus ou moins bien la lumière. À la caméra, il est très difficile d'équilibrer ces éléments avec un éclairage aussi inégal17.
Ce phénomène est aggravé par les différentes teintes de vert assez sombres qui ne permettent pas à l'œil humain de bien percevoir la « réalité spatiale » de la salle à l'écran. Le fauteuil du président, par exemple, se confond avec le mur situé derrière - deux éléments de couleur foncée - alors qu'il en est pourtant distant de quelques pieds. Un arrière-plan plus clair règlerait ce problème, comme le démontrent les séquences où un personnage évolue devant les persiennes blanches.
[En outre,] le vert de la moquette se réfléchit sur le pantalon de ceux qui pénètrent dans le Salon vert. Quand les membres de l'Assemblée [...] baissent la tête pour lire leurs notes, le vert du buvard autour des documents se retrouve sur leur visage. La dominance verte fausse et même, élimine la couleur complémentaire des vêtements que portent les figurants. Ainsi, un costume brun devient noir et un costume gris pâle devient verdâtre18.
Les solutions envisagées
Prenant soin de ne pas « fausser le style originel » du salon Vert, le Comité recommande trois « ajustements importants » qui ne remettent toujours pas en question l'usage du vert. On évalue qu'il serait possible d'améliorer les
accentuations par un choix judicieux des tentures et de la moquette [qui] devraient souligner le vert des murs plutôt que de distraire. À cet égard, en choisissant un vert plus pur et mieux saturé sur les murs, par rapport à une couleur dégradée, plus neutre, pour la moquette et les tentures, les surfaces domineront ainsi aisément pour rendre l'idée de vert dans le Salon de l'Assemblée nationale19.
Un vert plus sensible à la réflexion de la lumière permettrait de réellement « détacher les plans du mur et des visages »20. Le second élément est d'installer des tentures de couleur abricot qui élimineraient le bleu de la lumière du jour filtrant par les persiennes et réfléchiraient très bien la lumière. De l'avis des experts, le rendu des couleurs paraît satisfaisant car
la résultante des deux dominantes verte et abricot s'annulent. Comme la teinte suggérée pour les tentures est de très faible saturation sur l'échelle Munsell, ce choix de teinte ne présente pas de conflit chromatique avec le vert saturé des murs. Au contraire, il rehausse plutôt la présence de celle-ci21 .
Pour compléter le tout, le Comité suggère de remplacer le vert du dessus des pupitres des parlementaires par une couleur plus près de celle de leur peau et d'un coefficient de réflexion lumineuse élevé : « La couleur du sable de nos lacs serait idéale », peut-on lire. Une fois ces changements réalisés, de nouveaux tests de caméra devront être menés pour améliorer la captation des images22.
Vers une solution définitive
Déposé en Chambre le 1er décembre 1977, le rapport du Comité conseille de repeindre la salle d'un vert mieux adapté aux besoins de la télédiffusion. Nulle part la couleur bleue n'est mentionnée, et l'échéancier prévoit une décision sans appel à ce sujet le 12 décembre23.
Or, parallèlement aux tests de caméra réalisés durant l'automne, un fonctionnaire membre du Comité, Camille Bédard, a demandé à Radio-Québec de préparer différents scénarios de couleurs pour les murs. Trois maquettes sont présentées au président de l'Assemblée nationale, Clément Richard. Les techniciens de Radio-Québec estiment que la meilleure solution est de repeindre la salle en beige, mais le bleu figure également parmi les options. Déjà, Richard avait été convaincu par des spécialistes que les parlementaires ont « l'air malade » à l'écran, dans un environnement où domine le vert.
Finalement, le président consulte Jocelyne Ouellette, alors ministre des Travaux publics et de l'Approvisionnement, également conseillée par des techniciens quant aux désagréments du vert. Elle statue de façon définitive que le bleu est la meilleure solution du point de vue technique et décoratif24.
Sur un autre plan, l'historien Gaston Deschênes affirme que ces justifications techniques auraient coïncidé avec la volonté de rompre avec une tradition britannique25. Cette hypothèse est confirmée par l'ex-ministre Ouellette qui, dans une entrevue réalisée en 2012, déclare que Maurice Bellemare, leader parlementaire de l'Union nationale, s'était montré enchanté à l'époque par l'argument que la Chambre prenne la même couleur que le drapeau du Québec26.
Le feu vert pour peindre en bleu
Le 21 décembre 1977, le Conseil exécutif approuve les sommes nécessaires pour l'exécution des travaux d'éclairage, d'électricité, de climatisation, de peinture et de réaménagement de la salle27. Le chantier est lancé après l'ajournement du 22 décembre.
Avant de repeindre, on se rend compte que l'utilisation de la même teinte de bleu partout dans la pièce, comme le spécifie le devis, risque de créer un nouveau problème. Puisque l'éclairage provient de très haut dans la salle, le dessous des galeries va paraître plus sombre à l'écran. Pour y remédier, cette portion des murs est repeinte d'un bleu de deux tons plus pâle, nuance difficile à remarquer pour un œil non averti, mais qui corrige cette difficulté28.
Les 12 et 13 janvier 1978, les premiers tests de caméra sont réalisés par Radio-Québec avec la nouvelle couleur des murs et du tapis. C'est dans ce décor que la télédiffusion des débats parlementaires entre en ondes le 3 octobre suivant.
Pour citer cet article
« salon Vert », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 12 mars 2024.
11
« Actualités », L'Électeur, 28 novembre 1891, p. 1. Il s'agit de 619 verges de « tapis de Bruxelles vert », BANQ, Fonds Ministère des Travaux publics, Registre des lettres reçues, lettre #1081, 5 avril 1892; « Échos du Parlement », L'Électeur, 31 octobre 1895, p. 6; « La veille de l'ouverture », Le Soleil, 18 janvier 1900, p. 1; Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Fonds Ministère des Travaux publics (FMTP), Registre des lettres reçues, lettre #553, 24 avril 1900. La soumission est acceptée le lendemain.; « Échos du Parlement », Le Soleil, 13 février 1901, p. 8; « L'ouverture du Parlement », Le Pays, 9 janvier 1915, p. 4.