(Onze heures dix-huit minutes)
M. Lisée
: Aujourd'hui,
on va vous parler d'une situation qui afflige des dizaines de milliers de Québécois
et pour laquelle le gouvernement libéral est dans le déni, c'est celui du
rationnement, du rationnement de plus en plus aigu des soins à domicile. Alors,
aujourd'hui, plusieurs organisations importantes de la société civile ont uni
leur voix pour dénoncer cette situation. Donc le réseau de la FADOQ et la
Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, la FIQ, le Conseil pour
la protection des malades, le Regroupement des aidants naturels du Québec et
Me Jean-Pierre Ménard ont ensemble publié des chiffres, ce matin, qui
indiquent que les aînés du Québec et les personnes en situation de
vulnérabilité qui demandent des soins à domicile, eh bien, ne les ont pas. Les
soins sont insuffisants. Il y a 16 500 personnes âgées qui sont en
attente, en attente de services de maintien à domicile. L'attente, selon
l'enquête de la FADOQ et ces groupes, est de six à 12 mois. Ça, ce sont
des gens qui se sont fait dire par un médecin et ensuite par un CLSC qu'ils
avaient un besoin et pour lequel ce besoin n'est pas satisfait pendant six à
12 mois. Alors, débrouillez-vous avec votre déficience physique ou mentale
pendant six à 12 mois avant d'avoir des soins. Au Québec, un aîné de
75 ans et plus sur deux a un revenu annuel de moins de 20 000 $,
moins de 20 000 $. Alors, imaginez, on leur dit : Trouvez-vous
des soins, payez-les en attendant de six à 12 mois qu'on vous les accorde
alors que votre revenu, pour la moitié d'entre vous de plus de 75 ans, est
de moins de 20 000 $. Et évidemment un investissement a été annoncé,
cette année, de 60 millions par le ministre de la Santé, ce qui est bien
en deçà de sa promesse.
Alors, ce rationnement, ça fait plus d'un
an qu'on en parle. D'abord, la Protectrice du citoyen, dans son rapport annuel
de l'an dernier, a indiqué qu'après ses enquêtes elle avait la
certitude — parce qu'elle ne dit... elle ne parle pas pour ne rien
dire — que, dans plusieurs régions du Québec, les soins n'étaient pas
dispensés en fonction des besoins, mais en fonction de l'enveloppe budgétaire
et que, donc, personne n'avait les soins dont ils avaient besoin, mais chacun
avait un petit peu moins que ce dont ils avaient besoin. Ça, c'est déjà la
Protectrice l'an dernier, et le ministère de la Santé n'a rien fait pour
corriger cette situation.
Plusieurs de vos collègues journalistes
ont fait des reportages démontrant que des patients se faisaient dire
ouvertement par les centres de santé : Écoutez, on ne vous donne pas les
cinq heures, ou les dix heures, ou les 15 heures, ou les 20 heures
auxquelles vous avez médicalement besoin parce que nous n'avons pas les
ressources. Et c'est non seulement qu'on ne leur donne pas, mais souvent on leur
enlève. Dans un cas dont La Presse a fait état, on leur a dit :
Écoutez, par souci d'équité avec les autres, comme on n'a pas assez d'argent,
on vous coupe vos heures. Par souci d'équité. D'équité quoi? Pas d'équité
médicale, pas d'équité sur les besoins, mais d'équité budgétaire.
Alors, aujourd'hui, une nouvelle
confirmation avec une autre étude de l'impact de ce rationnement. Et ce que ça
signifie, évidemment, c'est que, lorsqu'on coupe les soins à domicile, bien,
les gens ne sont plus stabilisés chez eux. Devenant déstabilisés, bien, ils
retournent à l'urgence, où là ça coûte 600 $ par jour, sans compter le
reste. Alors, ce sont des économies qui n'en sont pas parce que la conséquence,
c'est l'aggravation de la situation qui est censée être stabilisée par les
soins à domicile.
Donc, nous sommes là aujourd'hui en appui
à ces groupes de la société civile qui tirent une fois de plus la sonnette
d'alarme et pour dire que le gouvernement libéral doit au moins respecter sa
promesse électorale. Et là-dessus on va entendre ma collègue Diane Lamarre.
Mme Lamarre : Merci,
Jean-François. Alors, effectivement, l'engagement du Parti libéral, c'était
150 millions de dollars par année pour cinq ans. C'était un engagement clair
qui a été répété énormément tout au long de la dernière campagne électorale.
Or, il n'y a rien eu en 2014, pas de 150 millions, pas de
150 millions en 2015 et, en 2016, un petit 60 millions de dollars
alors que la population est vieillissante, alors que les besoins sont accrus et
qu'on a imposé au système de santé des compressions majeures. Alors, le
60 millions, ça correspond déjà à 390 millions de retard qui n'est pas
là.
Et je vous dirais que c'est un mauvais
calcul, actuellement, du ministre, parce qu'il y a des économies à faire si on
déploie adéquatement les soins à domicile. Alors, tantôt, on évoquait le fait
du recours à l'urgence. Les patients qui ont de problèmes respiratoires, par
exemple, et il y en a beaucoup, là, à ce temps-ci de l'année, il y en a encore
beaucoup cette année, eh bien, ces gens-là, s'ils savent qu'ils ont la visite
ou un contact avec une inhalothérapeute qui peut se déplacer en moins de 24 heures
à leur domicile, ils n'utiliseront pas les services de l'urgence, ne risqueront
pas d'attendre pendant des heures inutilement, d'attraper d'autres infections.
Alors, il y a une meilleure gestion, une
optimisation de l'argent qui n'est pas faite, et cet exercice-là, il n'est pas
absolument pas fait. Et, quand on demande, on ne sait même pas non plus de
quelle façon le petit 60 millions qui va être déployé va se faire. Alors,
qui vont être les chanceux qui vont avoir le privilège de toucher quelques
dollars de ce 60 millions? Pas de plan, pas de déploiement, on ne sait pas
qui les recevra.
Alors, on voit qu'il y a de
l'improvisation et on voit surtout qu'il n'y a pas de reconnaissance des
besoins croissants et des avantages économiques de déployer rapidement un plan
de soins à domicile.
M. Rochon : Brièvement, avec
les mesures d'austérité, là, du gouvernement libéral, on ne vieillit pas dans
la dignité au Québec. On peut peut-être maintenant mourir dans la dignité, là,
mais ce n'est pas vrai qu'on vieillit dans la dignité.
Les maigres investissements en soins à
domicile, ils engendrent des drames humains. Il y a six mois — Jean-François
le disait — six mois, voire un an d'attente avant de les
obtenir, ces soins à domicile là, quand on les obtient. Il y a des aidants naturels
à bout de souffle, il y a des couples qui sont forcés de se séparer; ça fait
des couples anéantis, ça fait des enfants inquiets.
On rappelait les statistiques : un
aîné de 75 ans et plus au Québec vit avec un revenu annuel de moins de
20 000 $. Imaginez le défi financier quand il faut, pour un membre du
couple, trouver une ressource, ou être hébergé parce qu'on n'a pas de soins à
domicile, ou encore payer ses soins à domicile alors que ce serait plus économique
de les pourvoir, ces soins à domicile aux aînés. C'est ça qu'ils veulent et
c'est la meilleure solution en termes économiques.
Il y a le ministre de la Santé, oui, qui a
décidé qu'il était le ministre des médecins, une continuité de son rôle de
président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Il y a lui,
mais il y a la ministre des Aînés. Moi, c'est elle que j'interpelle. Elle n'a
plus ses fonctions, là, de ministre de la Famille, elle n'a plus à s'occuper
des CPE, là. Est-ce qu'elle pourrait se mettre à temps plein sur le dossier des
aînés, hein? Ça nous prend une ministre des Aînés au Québec, et une majorité de
Québécois ne connaît même pas son nom. Alors, je l'interpelle, qu'elle s'en
charge, qu'elle parle au Conseil des ministres au nom des aînés du Québec.
Voilà.
M. Dutrisac (Robert) : C'est
ça, le gouvernement a annoncé, dans le dernier budget... vous dites 60
millions, je crois que c'est 68 millions, de mémoire, mais pour les soins à
domicile. Je comprends que c'est très loin des besoins, mais est-ce que cette
somme-là parviendra... Est-ce que le gouvernement peut parvenir... le réseau
peut parvenir à ne pas augmenter le rationnement avec l'injection de cette
somme-là?
M. Lisée
: D'abord, il
y a deux choses. 60 millions, on ne sait même pas 60 millions en plus de
quoi parce qu'aux crédits... enfin, aux premières heures de crédits, on a posé
la question au ministre à savoir : C'est 60 en plus de quoi?, et il
n'était pas capable de nous dire combien il avait dépensé l'an dernier en soins
à domicile. Alors, peut-être qu'il a trouvé le chiffre, là, cette fois-ci, pour
les prochains crédits, mais ça montrait le peu de priorité que le ministre
avait pour ça. Il était incapable de nous donner le chiffre qu'il avait dépensé
pour l'année qui vient de se terminer. Mais... Et je tiens à réitérer, parce
que, parfois, ce n'est pas vu aussi clairement, la promesse du Parti libéral,
ce n'était pas 150 millions de plus par année, récurrents, c'était
150 millions de plus la première année, 300 de plus la deuxième année, 450
la troisième année et 600 la quatrième année. Alors, c'était extraordinaire...
M. Dutrisac (Robert) : ...
M. Lisée
: Non, non, je
pense qu'on était sur une récurrence de 150 millions. Alors, eux,
justement, sentant que la population, pendant la campagne électorale, voyait
que c'était... il y avait un réel besoin que nous avions identifié et sur lequel
nous voulions agir, bien là ils ont surenchéri. Et là leur promesse brisée,
elle est énorme, énorme. Ils avaient promis 600 millions par année, récurrents,
à partir de la fin de leur mandat, et là ils ajoutent 60, dont on ne sait même
pas ça s'additionne à quoi. Mais, est-ce que chaque million de dollars
supplémentaires... ne permet pas, compte tenu de l'augmentation des besoins?
C'est une question de volonté politique, parce
que toute la réforme de M. Barrette, elle est centrée sur le médecin,
hein? D'ailleurs, il l'a dit sur les superinfirmières : Écoutez, je refuse
de faire en sorte qu'il y ait des superinfirmières là où il n'y a pas de
médecin, bon, alors que les soins à domicile ne sont pas centrés sur le
médecin, justement. Donc, on est à l'extérieur de sa vision des choses
médicalocentrée, et ça fait des années qu'on dit qu'il faut faire ce
changement.
Et, moi, en confidence, des
administrateurs de centres de santé m'ont dit : Mais, écoutez, dans les
faits, là, on va chercher dans la santé physique pour mettre un petit peu dans
les soins à domicile parce que sinon on n'arrive même pas à maintenir le
minimum, hein? Il y a des gens qui font des cachettes parce qu'ils voient que
c'est des besoins. Alors, c'est sûr qu'il y a un virage important, nécessaire
de la santé physique vers les soins à domicile et vers la prévention que ce
ministre-là ne songe même pas à faire parce que ce n'est pas dans sa vision de
la santé au Québec.
Mme Lamarre : J'ajouterais que
les soins de santé sont coupés, actuellement. Alors, juste pour la Montérégie,
c'est 35 millions de moins, donc... puis, dans ce 35 millions, il y
avait une partie de soins à domicile. Et clairement... On s'est promené beaucoup
dans plusieurs régions, et il y a des régions où on nous dit :
Définitivement... des gens qui avaient huit heures, neuf heures de soins à
domicile, on les diminue à trois heures de soins. Leur condition ne s'est pas améliorée,
à ces gens-là, là, des gens très âgés, leur condition et leurs besoins vont en
croissant. Alors, on n'a pas de plan, on n'a pas de stratégie, on n'a pas
d'objectif concret, on n'a pas ciblé des gens et on n'a pas fait en sorte que
ces gens-là se déploient correctement.
Et les premiers postes qui sont coupés
sont justement, souvent, des postes d'auxiliaires familiales, des postes
d'inhalothérapeutes, d'ergothérapeutes, qui sont des gens qui sont utiles, qui
sont nécessaires et qui apportent un soutien et une sécurité. Moi, je pense que
l'enjeu de sécurité, actuellement, des personnes âgées est vraiment... la
sécurité est compromise par ce manque d'investissement dans les soins à
domicile. Et en même temps on ne veut pas investir davantage dans les CHSLD, et
ce n'est pas une mauvaise idée, de ne pas investir plus. Il faut les garder...
les rénover, mais, dans le déploiement des CHSLD, je pense qu'on a intérêt...
Et un peu partout dans le monde, les systèmes de santé qui fonctionnent bien
sont ceux qui investissent dans le soutien à domicile, dans les soins à
domicile. Et on n'est pas la seule société où la population vieillit, mais c'est
ce déploiement qui manifeste d'abord une efficacité, et des économies, et une
sécurité pour les personnes qui sont dans le besoin.
Mme Richer (Jocelyne) : Dans
un autre sujet, est-ce que vous avez une position sur la sortie, ce matin, de
l'association des propriétaires de pharmacie, qui sont trahis par le ministre
Barrette sur la question, là, du déplafonnement des allocations?
M. Lisée
: Bien, il est
très clair que le ministre Gaétan Barrette ne respecte pas sa parole concernant
les pharmaciens. Alors, pour lui, c'est essentiel que le gouvernement respecte
sa signature pour les médecins, puis les médecins spécialistes, puis même
qu'ils aient la clause remorque maximale. Mais, pour les pharmaciens, non. Pour
les pharmaciens, il a conclu une entente avec eux sur le déplafonnement des
allocations professionnelles, et là il publie un règlement qui ne déplafonne
pas immédiatement.
Alors, on sait que les pharmacies ont mis
à la porte 1 000 personnes. Donc, il y a des pharmaciens, des infirmières,
des techniciens de moins dans tout le réseau des pharmacies à cause de la
politique de M. Barrette. On sait que les heures d'ouverture ont été
réduites à cause de la politique de M. Barrette. Et là les pharmaciens
pensaient se refaire partiellement, avec retard, parce que le ministre a pris
11 mois à publier le règlement pour respecter sa parole. Et là, en lisant
le règlement, bien là il a baissé encore le niveau de compensation pour les
pharmaciens.
Alors, nous, sur le fond — puis
d'ailleurs j'étais content de voir que l'association redisait ça
aujourd'hui — on pense que ça devrait disparaître, ces allocations
professionnelles, qui sont essentiellement des ristournes utilisées pour payer
des services qu'on a en pharmacie. Les services payés en pharmacie devraient
être élargis et devraient être rémunérés comme tels par le Québec. Ça, c'est là
où on doit atterrir. Mais, en attendant, il faut que les pharmacies restent en
vie. Il y en a une sur quatre qui sont à risque de fermeture à cause des
ponctions que fait le ministre Barrette. Et là le ministre Barrette ne respecte
pas sa parole pour essayer d'amortir le choc.
Alors, c'est encore une fois, là, deux
poids, deux mesures. Quand c'est les médecins, tout est bon; quand c'est les
pharmaciens, non; quand c'est les infirmières spécialisées, non; quand c'est
les soins à domicile, non. Alors, s'il y a encore quelqu'un qui pense que
Gaétan Barrette travaille pour l'ensemble du personnel de la santé, là, c'est
clair que c'est non, et c'est une autre démonstration aujourd'hui.
(Fin à 11 h 33)