(Treize heures vingt-sept minutes)
M. Nadeau-Dubois : Alors,
bonjour. Ce matin, Québec solidaire a déposé... va déposer, en fait, au courant
de la journée, une série d'amendements qui visent à bonifier le projet de loi
n° 62, qui est actuellement à l'étude. Pour nous, c'est un projet de loi
qui, pour plusieurs raisons, est incomplet, ne va pas assez loin, notamment parce
qu'il n'accomplit pas, en fait, la nécessaire laïcisation des institutions de
l'État. Pour nous, la laïcité au Québec est un chantier inachevé de la
Révolution tranquille. On a proposé, donc, deux amendements qui visent à
compléter cette laïcisation de l'État québécois.
D'abord, nous allons proposer de retirer
le crucifix à l'Assemblée nationale du Québec. Pour nous, l'Assemblée
nationale — le salon bleu, en fait — doit être le lieu par
excellence de neutralité et de séparation entre l'Église et l'État.
Deuxièmement, nous allons déposer un amendement
qui vise à interdire la récitation de prières lors des séances de conseils
municipaux ainsi qu'à l'Assemblée nationale du Québec. Ça, pour nous, ça
reflète ce que doit être réellement la laïcité pour Québec solidaire,
c'est-à-dire la laïcité des institutions de l'État, non pas la chasse aux
individus qui choisissent d'afficher leurs convictions religieuses. Cette
laïcité-là, cette vraie laïcité, on y croit et on espère, on espère pouvoir
compter sur l'appui des partis d'opposition, qui depuis les dernières années se
font les défenseurs farouches de la laïcité, pour faire adopter ces
amendements-là. Il est temps qu'on aille de l'avant à ce niveau-là.
On espère également que la ministre Vallée
va répondre rapidement aux dernières questions, qui sont malheureusement très
nombreuses, à l'égard de son projet de loi. Encore ce matin, il y a toute une
série d'interrogations qui ont été soulevées et qui n'ont pas été répondues. Ça
fait deux ans maintenant que ce projet de loi là est sur la table. Ça a été
déposé le 10 juin 2015, on est en août 2017. C'est inconcevable qu'il y ait
encore autant de questions sans réponse. Nous, on espère avoir des explications
rapidement, on espère avoir des précisions rapidement parce que l'objectif de
Québec solidaire c'est qu'enfin l'Assemblée nationale du Québec prenne une
décision, tourne la page sur ce débat-là. Je le disais, ça fait deux ans que le
projet de loi est discuté. Ça fait 10 ans qu'on débat, au Québec, de la
question des signes religieux. Je pense que les gens au Québec sont tannés
qu'on en parle et ont envie qu'on agisse. Tout ce qui traîne se salit, comme on
dit, et là ce débat-là, il a duré, on connaît les positions de tout le monde,
il est le temps d'agir.
M. Dion (Mathieu) :
Souhaiteriez-vous qu'il y ait une suspension de l'étude détaillée pour
retourner en commission pour clarifier certains éléments, comme le demande le
Parti québécois aujourd'hui?
M. Nadeau-Dubois : La
solution à l'inaction libérale, ce n'est pas d'éterniser encore plus le débat.
Il y a eu une commission Bouchard-Taylor, qui a duré de nombreux mois, qui a
parcouru le Québec, qui a consulté les experts. Il y a eu le débat sur la charte
des valeurs qui a duré plusieurs mois. Il y a eu une campagne électorale
fédérale qui a porté en grande partie sur le port du niqab. Il y a le débat
actuel sur le projet de loi n° 62. Il y a eu le dépôt d'une charte de la laïcité
par Québec solidaire. Il y en a eu, des débats, il y en a eu, des consultations.
Les gens au Québec sont tannés qu'on parle de ça, ils ont envie qu'on agisse.
Et donc nous, non, on croit que la solution, ce n'est pas d'éterniser encore
plus le débat, c'est de se concentrer sur les consensus qui existent déjà. Ces consensus-là,
ils sont clairs, ce sont les recommandations de la commission Bouchard-Taylor.
C'est vers ces consensus-là que tout le monde convergeait suite aux attentats
de la mosquée de Québec. C'est la position de Québec solidaire depuis le début
dans ce débat-là. On a un parti qui a été exemplaire sur le plan de la
cohérence dans ce débat-là. On n'a jamais fléchi, jamais changé notre position.
Et encore aujourd'hui ça nous apparaît clair que les recommandations de la commission
Bouchard-Taylor, c'est ça, le consensus dont on a besoin. Et là il faut que tout
le monde fasse preuve de maturité, qu'on arrête d'éterniser le débat par
électoralisme ou pour éviter de déplaire à certains. Il faut agir.
Mme Prince (Véronique) :
J'aimerais ça vous entendre, étant donné que vous avez été dans les
manifestations, et tout ça. Qu'est-ce que vous pensez des propos de Régis
Labeaume, de dire : Il faudrait qu'on interdise ça, les masques et les
cagoules pendant les manifestations? François Legault, ce matin, a dit :
Oui, peut-être que ça peut être une idée aussi.
M. Nadeau-Dubois : Il y a
eu des lois, il y a eu des règlements municipaux qui ont tenté de faire ça;
toutes ces lois-là, tous ces règlements-là ont été battus devant les tribunaux,
notamment le règlement qui avait été mis en place par la ville de Québec.
Alors, M. Labeaume a droit à ses opinions, mais les tribunaux ont tranché :
ce genre de règlements là ne sont pas recevables. Peut-être l'a-t-il oublié,
mais c'est bel et bien arrivé. Et là je pense qu'il faut se concentrer sur le
vrai problème actuellement au Québec, c'est la montée de l'extrême droite. Et
on pourra interdire tous les accoutrements qu'on veut, ça ne réglera pas le
problème. Comment on fait pour que ces groupes-là cessent de prendre de
l'importance au Québec? Il n'y a personne qui veut que le Québec se retrouve
dans la situation des États-Unis ou même dans la situation de la France. Mais
pour ça, il ne faut pas interdire des pièces de vêtement, il faut clore le
débat sur les signes religieux, parler d'intégration, parler de racisme et de
discrimination.
Mme Prince (Véronique) :
Est-ce que c'est vrai que les élus, dont le gouvernement... est responsable de
la progression de ces groupes-là?
M. Nadeau-Dubois : Je
pense qu'il y a une réflexion collective à avoir au Québec sur comment est-ce
qu'on en est rendus là. Mais, si vous faites référence spécifiquement aux
propos de M. Labeaume, moi, je ne comprends pas quel poste de télé écoute
Régis Labeaume ou quel journal il lit. Ça fait 10 ans qu'on en parle, de
l'interdiction des signes religieux. Tous les partis ont pris position. Il y a
eu presque une dizaine de projets de loi de déposés. Il y a eu des milliers de
points de presse. On en a jasé en masse, de la burqa et du niqab au Québec
depuis 10 ans. Ce n'est pas ça, le problème. Le problème, c'est qu'on n'a
pas agi. Et là-dessus, oui, le gouvernement et les partis d'opposition
partagent une responsabilité. Et là on a l'occasion d'agir en ce moment en
remettant de l'avant les consensus du rapport Bouchard-Taylor. Et nous, c'est
notre position, à Québec solidaire. Depuis le début, on n'a jamais changé de
position, contrairement à à peu près tous les autres partis, qui, à moment ou
un autre, selon la direction dans laquelle le vent soufflait, ont changé de
position.
M. Dion (Mathieu) : Sur
vos amendements, vous semblez viser davantage, comme, la majorité francophone,
si on veut, du milieu confessionnel catholique : le crucifix, la prière
lors du conseil municipal, on pense au Saguenay—Lac-Saint-Jean. Est-ce que vous
pensez aussi aux autres groupes qui ne sont pas francophones avec ces
amendements-là?
M. Nadeau-Dubois : Quand
on dit que Québec solidaire approuve et recommande l'adoption des
recommandations de Bouchard-Taylor, ça veut notamment dire l'interdiction des
signes religieux ostentatoires pour les agents de l'État en position de coercition.
C'est notre position, je le répète, depuis le début de ce débat-là, et ça, oui
ça revient à encadrer certaines pratiques religieuses. Et on pense que c'est
une position de compromis qui est acceptable et qui a une grande vertu, celle
de nous permettre de tourner la page sur ce débat-là.
Mme Lévesque (Catherine) :
J'aimerais vous entendre sur un débat qui a été assez animé tantôt, là, quand
on parlait des sectes. Si je ne m'abuse, vous ne vous êtes pas prononcé
là-dessus. Est-ce que vous pensez qu'effectivement les élus ne devraient pas
avoir le droit de détourner les gens qui seraient, soi-disant, des extrémistes
ou qui feraient partie de sectes ou de groupes religieux?
M. Nadeau-Dubois : Je
pense que tous les parlementaires s'entendent sur l'importance de jouer notre
rôle de députés sans faire de discrimination sur la base des croyances des
gens. Je vois mal un parlementaire, en ce moment, à l'Assemblée nationale du
Québec, dire : Oui, je crois que ça devrait être permis pour un député de
faire de la discrimination. Le débat n'est pas là. Et Mme Vallée, parfois,
semblait insinuer qu'il y avait des députés de l'opposition qui voulaient se
donner un droit à discriminer. Ce n'est pas ça, la question. Il n'y a personne
qui veut discriminer dans son rapport avec les citoyens et les citoyennes.
En même temps, il faut que les députés
conservent leur indépendance puis leur marge de manoeuvre pour décider quels
groupes, quels individus ils décident de rencontrer ou pas. Il faut trouver un
équilibre entre tout ça. Et actuellement, dans le projet de loi de
Mme Vallée, cet équilibre-là, il est flou. En tout cas, il n'est pas
précisé, il n'est pas déterminé. Il y a toute une confusion du côté du
gouvernement sur comment va s'articuler ce projet de loi là avec le code
d'éthique. C'est un peu broche à foin, actuellement. C'est un peu broche à foin
pour un projet de loi qui est discuté depuis deux ans. Je le répète, le projet
de loi a été déposé le 10 juin 2015. Que ce soit encore aussi flou après
deux ans, c'est difficilement concevable. Je pense que la ministre doit
retourner à la table à dessin, faire une proposition et le faire rapidement
pour qu'on puisse tourner la page.
Mme Lévesque (Catherine) :
Donc, vous dites que le projet de loi est broche à foin, mais en même temps
vous dites : On ne prend pas de pause, on essaie de faire ça le plus
rapidement possible.
M. Nadeau-Dubois : Il
faut bien me comprendre, là, cet aspect-là du projet de loi, on l'a vu ce
matin. Il y a une immense confusion du côté de la ministre sur exactement ce
que ça va permettre, et ce que ça va interdire, puis comment cette
disposition-là du projet de loi va interagir avec d'autres éléments législatifs
ou d'autres règlements comme le code d'éthique. Il y a confusion, actuellement,
je pense que c'est impossible de le nier. Nous, on veut des précisions, on veut
savoir exactement c'est quoi, les intentions du gouvernement parce
qu'actuellement ce n'est pas clair. Et je suis sûr qu'on est capables de
s'entendre, là, sur le fait que, bien sûr, c'est important que les députés ne
discriminent personne, mais c'est tout aussi important de s'assurer qu'on garde
notre indépendance puis qu'on soit en mesure parfois de dire à un groupe ou à
un individu, par exemple : Je vous refuse une rencontre parce que vous
prônez certaines pratiques qui sont en contradiction avec les valeurs pour
lesquelles j'ai été élu. Parce que c'est ça qu'il faut rappeler, les députés ne
sont pas des employés de l'État, ils sont des représentants de la population et
ils sont élus en vertu des valeurs qu'ils et elles défendent, et ça, il faut
que ça entre en considération quelque part dans le projet de loi. Actuellement,
ce n'est pas le cas, et c'est ça, le problème.
M. Dutrisac (Robert) :
Mais il y a un privilège parlementaire. L'Assemblée nationale n'est pas soumise
aux chartes, il y a des jugements de la Cour suprême là-dessus. Et là on a un
projet de loi qui, en dehors du code d'éthique, là — parce que le
code d'éthique, c'est adopté par les parlementaires d'un commun
accord — veut imposer la neutralité religieuse, par exemple, veut
imposer certains principes, certains comportements aux parlementaires. Est-ce
que ce n'est pas tout simplement anticonstitutionnel, cette histoire-là?
M. Nadeau-Dubois : Moi,
je ne suis pas dans la position de juger si c'est constitutionnel ou non, je ne
suis ni juriste ni avocat, mais il y a un flou. Je le répète, il y a un immense
flou puis il y a une immense confusion. Et, en toute honnêteté, il semble que,
du côté de la ministre, ils n'avaient pas prévu que cette question-là se
poserait. Il y a de l'improvisation. Ce qu'on a vu ce matin, je pense, c'était
de l'improvisation. Et là, nous, ce qu'on demande, la première chose, c'est des
clarifications. C'est bien dur de vouloir juger d'un projet de loi quand c'est
aussi flou et aussi broche à foin. Parce que, là, moi, je vais vous le dire,
là, comme député qui siège à cette commission parlementaire là, je ne comprends
pas les intentions du projet de loi. Alors, il faut les clarifier, il faut les
préciser.
Et en effet c'est important, je le répète,
que les députés conservent leur indépendance puis conservent leur capacité de
faire preuve de discernement quand il est le temps d'accueillir ou non une
demande d'un citoyen ou d'une citoyenne. On ne peut pas forcer... Ça n'a pas de
sens de forcer un élu de l'Assemblée nationale du Québec à entendre telle ou
telle cause s'il juge que c'est en contradiction avec les valeurs qui ont fait
en sorte qu'il est élu. Ça, pour moi, c'est très clair. Mais il faut éviter de
faire des jugements péremptoires sans savoir au moins c'est quoi, les
intentions du projet de loi. Et en ce moment, on l'a vu ce matin, il y a une
confusion majeure, là. On ne sait même pas ce sur quoi on est en train de
voter.
(Fin à 13 h 40)