(Douze heures trente-deux minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour, tout
le monde. Aujourd'hui, je présente un projet de loi qui vise à s'attaquer à un
des fléaux qui s'abat actuellement sur le monde du travail un peu partout, y
compris au Québec. Aujourd'hui, je présente un projet de loi anti-burn-out.
Au cours des 20 dernières années, le
nombre d'absences au travail au Canada a augmenté de 24 % dans le secteur
privé et de 37 % dans le secteur public. Dans la dernière année, au
Québec, c'est une personne sur quatre, qui s'est dite souffrant de détresse
psychologique. Bref, notre économie est en crise, et cette crise-là, c'est la
crise du burn-out. C'est une situation qui a des impacts graves dans la vie de
milliers de travailleurs, travailleuses, et c'est aussi un problème pour
l'économie du Québec. Cette épidémie de burn-out, elle nous coûte très, très
cher. Le coût de l'épuisement professionnel, c'est évalué à environ 2,4 %
de la masse salariale par le Conference Board. Au Québec, ça veut dire, l'an
dernier, 3,5 milliards de dollars de perdus parce que les gens s'absentent
au travail, parce qu'on les épuise au travail.
Je propose donc aujourd'hui un projet de loi
anti-burn-out qui vise à s'attaquer à ce problème-là. Pour y arriver, mon
projet de loi modifie les normes du travail avec comme objectif de relever le
plancher minimum des conditions de travail pour les travailleurs, travailleuses
au Québec, qu'elles soient syndiquées ou non.
Mon projet de loi comporte trois grands
volets. Le premier : assurer un horaire de travail décent à tout le monde
au Québec. C'est de plus en plus important, au XXIe siècle, dans un
contexte où la réalité du travail se transforme, où les horaires sont de plus
en plus morcelés, de plus en plus imprévisibles. Ce que mon projet de loi
propose, c'est d'obliger les employeurs à donner l'horaire de travail aux gens
au moins une semaine à l'avance. Dans une époque où on veut favoriser la
conciliation travail-famille, pour nous, c'est la moindre des choses que de
s'assurer que les gens connaissent leur horaire de travail une semaine à
l'avance. On veut aussi donner le droit aux salariés de refuser de faire du
temps supplémentaire. Le temps supplémentaire, c'est une grande cause de stress
actuellement et, dans les normes du travail actuelles, les salariés n'ont pas
le droit de refuser d'en faire. On veut donner ce droit-là aux salariés du
Québec pour que les gens puissent refuser de travailler au-delà de leur horaire
de travail prévu, pour des raisons familiales, par exemple.
Le deuxième volet de mon projet de loi
porte sur les vacances. On veut redonner aux familles québécoises du souffle,
leur redonner du temps pour prendre soin de leur famille, de leurs proches. On
le sait, le Québec est à la traîne. Le Québec est un des endroits au monde,
dans les pays développés, où il y a le moins de vacances payées. Le Canada est
un des six pays développés où il y a le moins de vacances payées. Alors, mon
projet de loi propose qu'on passe à quatre semaines de vacances payées après
deux ans de service pour un même employeur. Ça, quatre semaines, là, ça peut
avoir l'air beaucoup, mais, dans les faits, c'est deux semaines pour les
vacances d'été, deux semaines dans le temps des fêtes. En 2017, c'est la
moindre des choses pour que les gens aient le temps de vivre un peu, aient le
temps de respirer un peu et qu'ils puissent donc reprendre leur souffle et être
encore plus productifs, être encore plus assidus au travail lorsqu'ils rentrent
après leurs vacances.
Le troisième volet du projet de loi porte
sur les congés payés, sur les congés qui sont nécessaires pour qu'on prenne
soin de notre famille. On propose deux choses de manière plus particulière.
D'abord, d'ajouter deux congés fériés, le 8 mars et le 1er mai. La
moyenne, dans l'Union européenne, pour le nombre de congés fériés, c'est 11. Au
Québec, il y en a seulement huit. Québec solidaire propose donc de passer à 10.
C'est des congés fériés qui sont à l'occasion de fêtes citoyennes, de fêtes
sociales. Pour nous, c'est important pour qu'on puisse prendre le temps de
s'occuper de notre famille puis célébrer ces moments-là, importants, de notre
vie collective.
Deuxième mesure sur les congés, c'est de
rendre rémunérés les 10 congés sociaux qui sont déjà prévus dans la Loi
sur les normes du travail actuelle. Actuellement, les normes du travail
prévoient 10 congés sociaux non rémunérés pour prendre soin de sa famille
ou de ses proches en cas d'accident ou de maladie. Nous, on propose que ces
congés-là soient dorénavant rémunérés pour faire en sorte que les gens les
prennent, ces congés-là, pour qu'ils aient le temps de s'occuper de leurs
familles.
Encore une fois, en 2017, dans une société
où on prétend valoriser la conciliation travail-famille, selon nous, c'est la
moindre des choses que de donner aux gens le droit, le droit, non pas le
privilège, de prendre du temps pour s'occuper de leurs proches quand leurs proches
ne vont pas bien. Merci.
Le Modérateur
: Des
questions?
Mme Lévesque (Catherine) :
Oui. Bien, en fait les 10 congés que vous voulez rémunérer, en fait ça ne
deviendrait pas en quelque sorte des journées de vacances, en fait?
M. Nadeau-Dubois : Non, c'est
des congés qui doivent être motivés. Les congés sociaux doivent être motivés
auprès de l'employeur. Il faut expliquer à son employeur pourquoi on les prend,
parce que le plus jeune est malade, parce que notre père ou notre mère vient de
rentrer à l'hôpital. Donc, ce n'est pas automatique. Il faut le demander à
l'employeur, il faut fournir une justification. Et, pour nous, ça devrait être
un droit, parce qu'actuellement ils existent, ces congés-là, sauf qu'ils ne
sont pas payés.
Alors, il y a beaucoup de gens qui ne
veulent pas se priver d'une journée sur leur chèque de paie et qui ne demandent
pas ces congés-là, alors qu'ils en auraient besoin. Nous, on pense que ça ne
doit pas être seulement un privilège, ça doit être un droit, le fait d'être
capable de se dégager du travail sans conséquence financière pour une journée
ou deux, le temps de prendre soin de ses proches.
Mme Lévesque (Catherine) :
Puis pour les... bon, je comprends le principe d'avoir, dans le fond, un
horaire à l'avance, c'est sûr que c'est toujours plus pratique, de refuser du
temps supplémentaire, mais...
M. Nadeau-Dubois : Ce n'est
pas seulement pratique, l'horaire à l'avance, hein? Dans une logique de
conciliation travail-famille, c'est essentiel. On ne peut pas demander aux gens
de planifier leur semaine, quand ils vont aller chercher leurs enfants à
l'école, tout ça, s'ils ne savent même pas quels jours ils vont travailler.
Mme Lévesque (Catherine) :
Mais qu'est-ce qu'on fait pour les PME, par exemple, qui ont juste quelques
employés et qui doivent quand même avoir une certaine flexibilité?
M. Nadeau-Dubois : Nous,
on pense qu'en 2017 les entreprises doivent faire leur part pour assurer une
conciliation travail-famille, et donner l'horaire de travail sept jours à
l'avance, ce n'est pas impossible. C'est possible, surtout avec les outils
technologiques aujourd'hui, de prévoir, là, l'organisation du travail pour que
les gens sachent, au moins en commençant la semaine, s'ils vont travailler ou
pas le vendredi après-midi. Je veux dire, c'est la moindre des choses. C'est
une question de respect.
Et là actuellement, il faut le dire, il y
a une crise dans le monde du travail. Il faut régler cette crise-là. Ce n'est
pas comme si les choses allaient bien. Les choses ne vont pas bien. Il y a une
épidémie de burn-out, les gens sont vidés. Les gens pètent au fret au travail
parce qu'on ne les respecte pas, parce qu'on ne leur donne pas le temps de
souffler. Alors, il faut des solutions pour ça, et permettre aux gens d'un peu
mieux planifier leur semaine en leur donnant leur horaire de travail à
l'avance, pour nous, c'est vraiment la moindre des choses.
Mme Lévesque (Catherine) :
Ma question, juste pour être claire, c'est que vous comprenez quand même que
ces mesures-là, c'est plus difficile à appliquer pour des PME, là, pour…
M. Nadeau-Dubois : Ça
prend un effort des entreprises. Bien sûr, ça prend un effort. Nous, on pense
qu'en 2017 les entreprises ont le devoir de faire cet effort-là pour la
conciliation travail-famille et elles vont être gagnantes au bout du compte.
Elles vont être gagnantes parce que des employés plus reposés, des employés
moins stressés, c'est des employés plus productifs. Et ça, c'est démontré par
les études, c'est démontré dans de nombreux pays européens où il y a beaucoup
plus de congés, beaucoup plus… donc beaucoup moins de stress au travail, et la
productivité est augmentée.
Alors, nous, on pense que c'est un pari
gagnant pour toute la société québécoise, y compris les entreprises.
M. Poinlane (Pascal) :
Quelles sont les chances que le projet de loi soit adopté avant le mois de
juin? Qu'est-ce que…
M. Nadeau-Dubois : Ah!
Bien, ça, il faut poser la question au gouvernement libéral. Nous, on a entendu
le gouvernement libéral et M. Couillard parler de renouveau, de
transformation, parler de progressisme. Il se dit être le gouvernement de
l'innovation, le gouvernement du XXIe siècle. Bien, si c'est le cas, là, qu'il
en fasse la démonstration, qu'il montre qu'il est capable de moderniser les
lois sur les normes du travail pour tenir en compte la nouvelle réalité du
travail. Parce que, pour ma génération, là, le monde du travail où on rentre de
9 à 5, du lundi au vendredi, ça existe de moins en moins.
On est dans un monde du travail qui se
transforme, où les horaires sont de plus en plus variés, de plus en plus
difficiles à prévoir, de plus en plus précaires. Et il faut agir. Ça, ça veut
dire relever le plancher minimum des conditions de travail pour que les gens
puissent avoir une vie de famille en 2017.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Pensez-vous que des mesures comme ça vont avoir un impact négatif sur le PIB?
M. Nadeau-Dubois : Nous,
on pense au contraire qu'à moyen terme c'est des mesures qui sont bénéfiques
pour l'économie. L'année dernière, en 2016, là, l'absentéisme au travail a
coûté à l'économie québécoise 3,5 milliards de dollars. Ça, c'est un
chiffre du Conference Board.
Ça, c'est de l'argent collectivement qui
nous échappe. On perd de la productivité, on perd de la prospérité parce qu'on
vide nos travailleurs, travailleuses. Si on prend un peu plus soin de notre
monde, là, les gens vont être plus productifs puis, globalement, on va
s'enrichir collectivement. L'exemple de plusieurs pays européens le montre, si
on prend davantage soin de la main-d'oeuvre, la main-d'oeuvre est bien plus
contente quand elle revient au travail. Elle travaille mieux, elle est plus
productive, et toute la société s'en porte mieux.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Donc, non seulement les coûts reliés au fait de donner plus de vacances vont
être compensés par la productivité, mais ça va être même augmenté selon vous.
On investit, là.
M. Nadeau-Dubois : C'est
notre conviction. C'est notre conviction. Notre conviction, notre certitude, c'est
que des mesures qui permettent aux travailleurs, travailleuses d'avoir un
rythme de travail plus humain, ça va augmenter la productivité. Et les pays,
là, actuellement qui sont sont en tête de liste en termes de productivité du
travail, c'est des pays qui l'ont compris, ça. Allez dans les pays nordiques,
allez en Suède, par exemple, où de plus en plus on passe à la semaine de
travail de quatre jours dans des entreprises privées, pas des entreprises
publiques, parce qu'on a compris qu'au XXIe siècle, si on veut que les
gens soient bien au travail puis performent au travail, il faut prendre soin
d'eux, il faut leur permettre de se reposer. Et c'est ce qu'on pense, à Québec
solidaire. On pense qu'on est rendu là au Québec, dans un monde du travail qui
bouge de plus en plus, qui est de plus en plus déstructuré, il faut relever le
plancher minimum.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Dans ces pays-là, le quatre jours-semaine, c'est une législation ou c'est un
choix d'entreprise?
M. Nadeau-Dubois : C'est ça
qui est intéressant, dans de plus en plus de pays... Bon, il y a des pays dans
le monde... je l'ai dit, là, le Québec, au sein de l'OCDE, on est un cancre, on
est vraiment en queue de peloton, en termes de nombre de congés payés. Il faut
le rappeler, la moyenne, en Europe, c'est entre cinq et six semaines de congés
payés. Au Québec, on est à deux semaines. Donc, on est en retard, on vit dans
un autre siècle, en termes de vacances au Québec. Nous, on dit : Là, il
est temps qu'on arrive en ville, il est temps qu'on arrive dans le XXIe siècle,
il faut qu'on remonte le niveau des congés payés. Ça n'a pas d'allure.
Même chose pour les horaires de travail. En
fait, même chose pour les congés, la moyenne dans l'Union européenne, c'est 11 congés,
on est à huit au Québec. Encore une fois, on est en retard.
Même chose sur le nombre d'heures de
travail par semaine. Dans énormément pays européens, le nombre d'heures de
travail par semaine est beaucoup plus bas, et la conséquence combinée de toutes
ces mesures-là, c'est une meilleure productivité au travail. Pour ce qui est du
quatre jours-semaine, il y a certains pays où c'est appliqué dans les services
publics. En Suède, c'est de plus en plus les entreprises privées elles-mêmes
qui le font, parce qu'elles se rendent compte que c'est profitable, et on parle
de grandes entreprises.
Donc, il y a un momentum à travers le
monde, là, tout le monde est en train de s'en rendre compte, des États et des
entreprises privées, et nous, on dit : Il faut que le Québec soit un leader
en matière aussi et redonne du temps aux employés.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Vous n'avez pas voulu vous rendre jusqu'à obliger quatre jours-semaine dans
votre projet de loi? Ce serait un peu extrême pour la situation où on est?
M. Nadeau-Dubois : Non, bien, c'est-à-dire
qu'on a quand même des mesures qui sont audacieuses ici, on le reconnaît puis
on en est fiers, mais oui, c'est, comment dire, c'est un «work in progress»,
c'est une amélioration progressive qu'il faut faire au Québec. Il y a quand
même l'élément des heures supplémentaires sur lequel j'attire votre attention. Parce
qu'actuellement en théorie on est à 40 heures par semaine, mais, étant donné
que le temps supplémentaire est obligatoire quand un employeur le demande, dans
les faits, on le contourne très souvent, le 40 heures par semaine. Et ce que ça
crée, puis c'est documenté, là, c'est une augmentation du stress et des
maladies liées au stress, maladies cardiovasculaires, ACV, etc.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
C'est quoi, les deux jours fériés que vous proposez?
M. Nadeau-Dubois : Le 8 mars
et le 1er mai.
M. Dugas Bourdon (Pascal) : O.K.
Puis pourquoi ces dates-là?
M. Nadeau-Dubois : Bien, le 8
mars, c'est la Journée internationale de la femme; 1er mai, Journée internationale
des travailleurs, travailleuses. Dans plusieurs pays dans le monde, ce sont des
jours fériés, hein? Je pense que, pour le 8 mars, si vous me donnez un petit
instant, le 8 mars, c'est férié dans 29 pays, le 1er mai est férié dans 97
pays. Donc, on ne les a pas tirés dans un chapeau, là, on prend des jours
fériés qui sont déjà fériés dans plusieurs autres législations à travers le
monde et on trouve ça intéressant que ce soit des fêtes sociales et citoyennes.
On est dans un processus de laïcisation de
la société québécoise, bien, nous, on trouve ça logique d'accorder des jours
fériés pour autre chose que des congés religieux.
Mme Lévesque (Catherine) :
Est-ce que votre projet de loi prévoit le droit à la déconnexion? C'est quand
même un problème, là, relié au stress...
M. Nadeau-Dubois : C'est une
excellente question, et, non, ce projet de loi là ne s'attaque pas à ce
problème. Ceci étant dit, c'est un dossier qu'on suit avec beaucoup
d'attention. On a vu, notamment en Allemagne, les mesures qui ont été prises
par les gouvernements pour donner ce droit à la déconnexion, donc interdire aux
employeurs de contacter les salariés à toute heure du jour et de la nuit via le
Web, et on suit ça de près, et on va travailler des propositions parce que c'est
vraiment un problème grandissant dans le monde du travail au XXIe siècle.
Ce projet de loi ci ne contient pas de mesure sur cette question-là par contre.
Merci beaucoup.
(Fin à 12 h 46)