(Onze heures cinquante minutes)
M. Nadeau-Dubois : On
assiste, depuis deux jours, à un véritable jeu du chat et de la souris de la
part du gouvernement libéral concernant la protection des données personnelles.
Après, hier, avoir refusé une motion de Québec solidaire qui demandait aux
partis de faire preuve de transparence et après avoir promis, dans l'espace
public, le dépôt d'une motion aujourd'hui, bien, le gouvernement s'est
dégonflé, aucune motion n'a été présentée. On a tenté une deuxième fois, ce
matin, de déposer notre motion. Encore une fois, tous les partis d'opposition
étaient d'accord. Seulement le gouvernement libéral qui s'est opposé à ce que
les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale dévoilent les
contrats ou ententes qu'ils ont avec des entreprises de collecte de données.
J'ai écouté les commentaires de la
ministre il y a quelques instants. Elle nous dit qu'elle veut prendre le temps,
qu'elle veut penser à des processus, des véhicules. Ce n'est pas clair. Moi,
j'ai l'impression que le gouvernement veut noyer le poisson. Et il y a quelque
chose de particulièrement vicieux dans le fait de semer le doute sur
l'intégrité des autres partis politiques, parce que c'est ce le premier
ministre a fait la semaine dernière en sous-entendant que des partis politiques
représentés à l'Assemblée nationale faisaient affaire avec des entreprises du
type Cambridge Analytica et, quand tous les partis politiques s'entendent pour
dissiper ce doute, bien là, de dire : Non, on laisse ça comme ça. Donc, on
a un gouvernement qui a installé un doute, et qui refuse de le dissiper, et qui
noie le poisson en parlant de processus, de véhicule, de toutes sortes de
choses, sauf, en fait, de ce qui pourrait déjà régler une partie du problème.
Il n'y a rien de plus rapide que la bonne
volonté dans la vie. Et, si la ministre avait la bonne volonté, bien, elle
aurait pu appuyer notre motion, tout le monde aurait pu montrer patte blanche,
et ça ne l'aurait en aucun cas empêché, en parallèle, de faire les démarches
qu'elle souhaite faire auprès du Directeur général des élections pour mettre
des balises en vue de la prochaine campagne électorale. Ce qu'on proposait et
ce qu'elle propose, ce n'est pas contradictoire. Et donc, si le Parti libéral
n'a rien à cacher, bien, il n'y a aucune raison de bloquer les tentatives de
Québec solidaire d'obtenir plus de transparence de la part des partis
politiques.
Mme Plante (Caroline) :
Mais elle semble dire aussi qu'on ne peut pas croire les partis politiques sur
parole.
M. Nadeau-Dubois : Bien,
je trouve ça particulier comme commentaire, là, sérieusement. Moi, comme
parlementaire, si les partis politiques, en Chambre et sur leur honneur, se
lèvent pour appuyer une motion qui demande de dévoiler les contrats, moi, je
pense que les gens ici sont honnêtes et que, quand ils prennent un engagement à
l'Assemblée nationale, ils vont tenir cet engagement-là. Alors, soit c'est moi
qui est naïf soit la ministre est cynique sur l'honnêteté des partis politiques
en Chambre. Moi, je pense que prendre un engagement à l'Assemblée nationale, ça
a une valeur puis ça a un poids. Est-ce que ça va régler tout le problème? Bien
sûr que non, bien sûr que non, mais c'est déjà une marque de bonne volonté et
de transparence. Si le Parti libéral n'a rien à cacher, il n'y a aucune raison
de bloquer les propositions de Québec solidaire pour plus de transparence.
M. Croteau (Martin) :
Mais ne convenez-vous pas avec la ministre qu'une tierce partie indépendante
qui validerait les informations qui seraient dévoilées par les partis donnerait
peut-être plus de crédibilité à cet exercice?
M. Nadeau-Dubois : Je ne
suis pas en désaccord avec elle. On le souhaite, que le Directeur général des
élections se penche sur la question. Et, s'il n'a pas tous les outils pour le faire,
qu'on lui donne, aucun problème avec ça. C'est ce que j'ai dit à la ministre
pas seulement aujourd'hui, mais hier lors du dépôt initial de notre motion, je
lui ai dit : Si vous souhaitez aller plus loin, vous allez toujours
pouvoir compter sur Québec solidaire. Ça ne vous empêche pas, entre-temps,
d'appuyer une motion qui demande un geste de la part des partis politiques pour
plus de transparence, ce n'est pas contradictoire. C'est seulement dans
l'esprit de la ministre qu'il semble y avoir une alternative entre ce qu'on
propose et ce qu'elle propose.
Donc, moi, je me demande d'où vient cette
hésitation, d'où vient ce jeu du chat et de la souris. Comment ça se fait qu'il
y a une résistance aussi forte du côté libéral à appuyer une motion qui, au
fond, est juste une motion de transparence?
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Puis comment on donne les outils supplémentaires au DGEQ pour faire son travail,
par une loi, par un règlement?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
est-ce que ça passe par les modifications d'une loi, de règlements? Est-ce que
ça passe par une consultation des partis politiques? Nous, là, toutes les
avenues, on va les considérer. Je n'ai pas, avec vous, là, cet après-midi, un
plan de match en six étapes...
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Est-ce que ça peut se faire avant la prochaine élection? Parce que Mme Weil
semble dire que ce n'est pas le cas.
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est
une des inquiétudes. C'est une des inquiétudes que, si on se lance dans un long
processus bureaucratique auprès du DGEQ, comme c'est trop souvent le cas, on
n'arrive pas à des solutions avant la prochaine campagne électorale. C'est un
autre des avantages de notre motion qui, sans régler tous les problèmes, hein,
je le répète, sans régler tous les problèmes, a au moins l'avantage d'être un
premier geste de transparence pour rassurer les gens et dire : Bien, il
n'y a personne au Québec, là, qui fait le genre de tour de passe-passe que la
campagne de Trump a fait. Et, juste ça, bien que ça ne règle pas tous les
problèmes, ça rassure les gens et ça montre qu'il n'y a personne qui utilise
des données acquises frauduleusement pour faire du ciblage électoral.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Ce genre d'information là n'apparaîtrait pas dans les contrats. Si on avait
demandé au Parti républicain de sortir… à l'équipe de M. Trump de sortir
les contrats avec les entreprises avec qui il faisait affaire, on peut penser
que des entreprises comme Cambridge Analytica n'auraient pas inscrit
«utilisation de données provenant de tiers sans leur autorisation», non?
M. Nadeau-Dubois : De ce
que je comprends, c'est que la campagne de Trump savait qu'elle achetait des
données de cette firme-là. Est-ce que cette firme-là avait dévoilé la source
des données et le fait qu'elles étaient acquises frauduleusement? Je ne connais
pas le contrat en question, je ne peux pas vous répondre. Mais, comme je le
dis, notre motion, elle ne réglera pas tous les problèmes, mais au moins il y a
un geste de transparence de dire : Nous ne faisons pas affaire avec des
firmes de ce type-là.
Et, je rappelle aussi, la pertinence de
cette motion n'est pas tombée du ciel. Ce n'est pas Québec solidaire qui a dit :
Au Québec, là, il y a deux partis qui ont l'air de faire ça. Ce n'est pas nous
qui avons dit ça, c'est le premier ministre du Québec, le chef du Parti libéral
du Québec qui a semé le doute. Nous, tout ce qu'on veut, c'est le dissiper. Est-ce
que c'est parfait? Bien sûr que non. Mais le refus obstiné, deux jours de suite,
des libéraux de même faire un geste aussi simple que celui-là, ça fait émerger
des questions.
M. Croteau (Martin) : Vous
dites que votre démarche ne vise pas à régler tous les problèmes. Pensez-vous
qu'on peut régler tous les problèmes avant les élections?
M. Nadeau-Dubois : Peut-être
pas. C'est une nouvelle réalité pour les démocraties, cette utilisation des
métadonnées dans les campagnes électorales. Peut-être qu'on n'aura pas toutes
les solutions d'ici octobre 2018, mais ce n'est pas parce qu'on ne peut pas
régler tout le problème qu'on ne peut pas le régler au moins en partie puis qu'on
ne peut pas avancer. Nos lois électorales et nos règles électorales ont été
écrites à une époque où ça n'existait pas, des Cambridge Analytica. Ça
n'existait pas, il n'y a rien qui a été prévu, alors est-ce qu'on peut déjà se
mettre des premières balises? On peut le faire et on doit le faire, on doit le
faire.
Mme Plante (Caroline) :
Mais en laissant entendre que les libéraux ont quelque chose à cacher, comme
vous l'avez fait ce matin…
M. Nadeau-Dubois : Honnêtement,
je pense que…
Mme Plante (Caroline) :
...vous faites la même chose qu'eux, là, vous laissez planer une espèce de
soupçon qu'il y aurait peut-être quelque chose… qu'ils auraient fait quelque
chose de mal, là.
M. Nadeau-Dubois : Je
répète, le premier parti qui a pointé indirectement du doigt, c'est le Parti
libéral, par la bouche de son chef, quand même. Nous, suite à ça, en réaction,
dans une volonté de transparence, on dit : Bien, tout le monde, là,
faisons tous la démonstration, tous ensemble, que nous n'utilisons pas de tels
services. Tout le monde est d'accord, sauf le Parti libéral du Québec. Alors,
est-ce que c'est moi qui émets des doutes ou est-ce que c'est l'attitude du
gouvernement elle-même qui fait surgir des doutes?
Et d'ailleurs, quand j'ai questionné la
ministre, c'est comme ça que je l'ai formulé. J'ai posé comme question à la
ministre en Chambre, j'ai dit : Est-ce qu'elle réalise qu'en faisant de
l'obstruction comme ça, elle alimente la perception que les libéraux ont
quelque chose à cacher? Si la ministre, hier, si le gouvernement libéral avait
appuyé notre motion, on n'en parlerait pas, les contrats seraient publics, et
les doutes seraient dissipés. Le fait que les doutes persistent, ce n'est pas
de notre responsabilité.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce qu'il y a des entreprises qui… Vous dites que vous ne faites pas affaire
à… vous n'avez pas des pratiques comme celles-là, mais est-ce que vous vous
êtes fait offrir par des entreprises des services basés sur des stratégies avec
des données provenant d'utilisateurs Facebook québécois sans leur consentement?
M. Nadeau-Dubois : À ma connaissance,
non. Si on en avait eu, on les aurait refusés. Et, de toute façon, pour être à
100 % honnête avec vous, là, c'est des services qui sont extrêmement
dispendieux, alors je pense qu'on n'aurait même pas pu se le permettre. De
toute façon, ça ne nous intéresse pas, ce n'est pas comme ça qu'on veut faire
de la politique. Donc, je dirais, pour des raisons à la fois de principe et des
raisons très pratico-pratiques, Québec solidaire, à mon sens, est au-dessus de
tout soupçon en cette matière-là.
Mme Montgomery
(Angelica) : After all of Québec's experience
with the use of «prête-noms» and these disguised illegal donations, does it not
make sense to say : We want someone independent to be looking at what's
happening with data?
M. Nadeau-Dubois :
It's a great idea, and that's what I said to the Minister yesterday. It's a
great idea to ask the Chief Electoral Officer to, you know, have a reflection
on that issue, but it's not in opposition with a gesture of transparency for
the parties, here, at the National Assembly. We can do both. The only person
who thinks that there's a contradiction is the Minister. All the three Opposition
parties, we all agree that we can, in the first time, to reassure the
population, you know, make a gesture of transparency and, at the same time, begin
a reflection with the Chief Electoral Officer or another organisation to have
some measures for the next election. We can do both.
Mme Montgomery
(Angelica) : Couldn't the political parties
have this gesture of transparency without a motion at the National Assembly?
M. Nadeau-Dubois :
Yes, it's possible, but there is a moral… «un poids»… — how do you
say that in English? — …
Mme Montgomery
(Angelica) : Weight.
M. Nadeau-Dubois :
…of course, but there is a moral weight to taking that engagement in front of
everyone at the National Assembly. There's a strong legitimacy attached to a
motion that is adopted at the National Assembly. So, of course, parties could
do it from their own initiative, but, for us, it's a lot stronger and it's more
official if it's done by voting a motion in the National Assembly.
Mme Montgomery
(Angelica) : So, why do you think we are seeing
this reticence on the part of the Minister?
M. Nadeau-Dubois :
It's a very good question. If the Liberal Party has nothing to hide, I don't
see why they would block with such insistence the proposal of Québec solidaire
to make a gesture of transparency.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Bien, juste rapidement, disons, là, moi, que je suis un parti puis j'ai
peut-être commis des actes illégaux en ayant des données, vous pensez vraiment
qu'à huit mois des élections... tu sais, vous avez parlé de naïveté... à huit
mois des élections, va vraiment dire : Ah, oui, désolé, j'ai peut-être commis
des actes illégaux?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
si c'est le cas... Moi, ce que je constate, là, c'est que l'affaire Cambridge
Analytica, ça a ébranlé toutes les démocraties. Le débat qu'on a en ce moment
au Québec, là, on n'est pas les seuls à l'avoir. Partout, cette question-là est
d'une actualité brûlante. Comment fait-on pour encadrer l'utilisation des
données numériques par les partis politiques?
Nous, on est chanceux, il n'y en a pas eu
encore, à ce qu'on connaît, de grands dérapages ici. Moi, je constate que trois
partis sur quatre étaient d'accord avec notre proposition. J'en conclus qu'ils
n'ont pas grand-chose à cacher, et c'est une bonne nouvelle. Tant mieux si les
partis politiques québécois ne se sont pas adonnés à ces pratiques-là. Si les
libéraux font obstruction, s'ils n'ont rien à cacher, je ne sais pas pourquoi.
Est-ce que c'est moi qui est naïf? Moi, je pense que, si les libéraux n'ont
rien à cacher, ils n'ont pas de raison de le bloquer.
(Fin à 12 h 2)