(Seize heures quarante-cinq minutes)
Mme Dorion : Salut à tous. Je
voulais réagir à ce qu'on vient d'entendre à propos de Capitales Médias. Ça
fait partie, il faut le savoir, d'une forme d'hécatombe qui va continuer de se
produire avec les médias, nos médias nationaux de tous types, là, puis on sait
d'où vient. On sait c'est quoi, l'origine de cette hécatombe-là. Il y a des transformations
majeures qui sont arrivées à cause de grosses compagnies multinationales, celles
de la Silicon Valley. On parle de Google, Facebook, Apple, et il y en a plein
d'autres, qui, finalement, sont arrivées chez nous, font de l'argent chez nous,
et nous, on ne les impose pas, on ne les taxe pas à la valeur dont on devrait
les taxer. Et ce que je trouve décevant, dans toute la discussion publique en
ce moment de nos gouvernements par rapport à cet enjeu-là, c'est que c'est
comme si ça n'existait pas.
Ces grandes entreprises là, américaines, de
la Silicon Valley, qui sont en train de détruire et de finalement prendre tout
le cash de nos médias nationaux à tel point qu'ils en meurent, c'est comme si
elles n'existaient pas puis qu'il n'y avait pas de cause là-dedans. La France,
en ce moment, impose Google et les GAFAM à hauteur de 3 %. Elle va ramasser
500 millions d'euros par année à peu près. La Nouvelle-Zélande, qui est
quand même un pays de 4, 5 millions d'habitants, là, tu sais, je veux dire, ils
ne sont pas plus fins que nous, là, ont décidé de faire la même chose en 2019.
Est-ce qu'on va décider, nous autres, qu'on va faire partie des États qui, finalement,
disent : Ah non! Google, Facebook, Apple, c'est trop gros, on a peur d'eux
autres, on ne veut pas se les mettre à dos en les imposant? Ou est-ce qu'on va
faire partie des États qui se tiennent debout puis qui se battent pour ça?
Puis c'est essentiel parce que ce que ça va
faire si on arrive à aller rechercher l'argent qu'on a perdu aux mains de ces
compagnies-là, ça va permettre un financement local de nos médias, puis c'est
essentiel. C'est toute notre conversation nationale, régionale, locale, qu'on a
vu s'amenuiser à travers les années, qui est menacée de ne pas survivre. C'est
majeur, là. C'est notre dialogue, notre conversation collective d'un peuple.
C'est comme la base, d'être capable de comprendre ce qui se passe chez nous. On
va tout le temps penser : Il nous faut des investisseurs, il nous faut du
gros cash. Mais la concentration de la presse puis les gros conglomérats de
presse, ce n'est pas nécessairement ça qui a le mieux servi la qualité de
l'information au Québec, comme ailleurs, dans les dernières décennies. Je pense
que tout le monde est conscient de ça.
Donc, ça peut être aussi l'occasion, ce
grand bouleversement là, de revoir comment les médias sont financés, comment
les médias fonctionnent. Il y a toutes sortes de façons qu'on peut imaginer de
faire survivre pas nos grands groupes de presse nécessairement, mais les
travailleurs du journalisme, les journalistes, les recherchistes, tous ces
gens-là qui font un travail extraordinaire. Au Québec, on est forts en économie
sociale. Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer des coops de travailleurs? Tu
sais, il y a toutes sortes de choses qui se peuvent. À Québec, ici, on a la
Librairie Pantoute qui a failli fermer. C'est les travailleurs qui l'ont
rachetée puis ça fonctionne super bien. C'est un succès comme jamais.
Donc, on peut imaginer toutes sortes de
choses comme ça puis on peut être à la hauteur des États dont certains ne sont
pas plus forts que nous puis dire à Google, dire à Facebook : Bien,
écoute, l'argent que tu as enlevé aux médias de chez nous, qui travaillent chez
nous puis qui nous parlent de nous, tu vas nous le redonner sous forme de taxe ou
d'impôt sur ton revenu que tu fais au Québec comme n'importe quelle autre
compagnie fait ici, puis ce n'est pas parce que tu es gros que tu ne te soumets
pas finalement à cet ordre des choses là.
M. Cormier (François) : Il y
a le financement, oui, mais est-ce qu'il y aurait le lectorat pour... Est-ce
que ce ne serait pas... Prendre le financement des GAFA puis le donner à des publications
comme celles-là, s'il n'y a pas de lectorat, est-ce que ça donne vraiment quelque
chose?
Mme Dorion : Bien, en fait, c'est
pour ça qu'on dit : C'est une occasion... Moi, je trouve... Tu sais, puis
on va avoir, là, un mandat d'initiative. On va passer des journées complètes à
écouter toute sorte de monde qui travaille dans le milieu des médias, ceux qui
le savent vers où il faut aller, qu'est-ce qui fonctionne puis qu'est-ce qui ne
fonctionne pas, tout en ayant en tête l'idée d'une qualité de l'information
puis d'une information qui ne soit pas juste nationale mais régionale aussi. Eux
le savent. Ils ont un instinct. Ils sont au courant. Vous êtes au courant. Vous
savez bien des affaires que la CAQ ne sait pas, là.
Puis ça, c'est essentiel, donc, qu'on
passe à travers ces écoutes-là — comment on appelle ça? — bref,
tous ces gens qui vont venir nous dire comment ça fonctionne dans leur milieu.
Mais tout le monde est au courant, puis tu as de toutes les générations, de la
transformation de l'information. Est-ce qu'un journal sous forme de journal va
survivre? Bien, l'important, c'est que les travailleurs qui y travaillent
puissent continuer à faire de l'information qui soit de qualité. Après ça, le
médium, la façon dont ça va se vendre, s'acheter, être gratuit mais vendre de
la pub, tout ça, ça peut être une belle occasion, en ce moment, ce
bouleversement-là, de repenser ça, mais il faut le faire intelligemment. Puis
l'important, ce n'est pas le groupe de médias. L'important, c'est que les
travailleurs puissent travailler de chez nous, tu sais.
M. Bergeron (Patrice) :
L'opposition officielle avait soulevé aussi des questions concernant, donc, la
concentration de la presse advenant le cas où justement un grand groupe de
presse, que je ne nommerai pas ici, rachèterait les cinq journaux, à savoir
s'il n'y aurait pas un risque qu'il n'y ait pas justement une concentration de
la presse, un manque de diversité des voix. Est-ce que vous soumettez les mêmes
inquiétudes?
Mme Dorion : Avant qu'arrive
cette hécatombe-là de nos médias nationaux, on était déjà dans une situation de
concentration de la presse qui n'était pas bonne pour la qualité de
l'information indépendante, une information vraiment indépendante, au Québec.
Si on concentre encore plus ça sous prétexte que, sinon, ils vont mourir, on
n'est pas plus avancés. Ça, c'est fondamental, là. Puis, comme je dis, je
répète, c'est les journalistes, c'est les travailleurs du milieu des médias
qu'il faut absolument qu'ils continuent à travailler de façon indépendante au
Québec puis qu'ils puissent... Puis ils ont perdu beaucoup dans les dernières
années, là. Tu sais, finalement, ils se retrouvent avec de moins en moins
d'effectifs, avec de moins en moins bonnes conditions. Ça joue sur la qualité
de l'information. On a vu tous les reportages de qualité et les questionnements
de qualité disparaître pour être remplacés par des gens qui font juste dire
leur opinion après avoir lu un texte pendant 10 minutes parce que ça coûte
moins cher. On a vu ça puis ce n'est pas vers là qu'on veut aller. Ça fait que
c'est l'occasion en ce moment de se poser des questions sur comment on fait
pour préserver la job des gens qui ont envie... Les journalistes, moi, tous
ceux que je rencontre ont envie de faire un travail de qualité, là, puis ça, tu
sais, moi, je trouve ça vraiment important.
M. Bergeron (Patrice) :
Est-ce que le gouvernement caquiste a réagi avec suffisamment de rapidité?
Parce qu'il avait été déjà mis au courant des problèmes en avril du Groupe
Capitales Médias. Bon, il a parlé d'un comité interministériel dont on n'a
toujours pas vu les travaux. Est-ce que le gouvernement caquiste a suffisamment
réagi, avec célérité?
Mme Dorion : Bien, le
gouvernement caquiste a dit : On va prendre des gros morceaux, on va faire
avancer ce qui est populaire pour l'instant, on va faire augmenter notre cote
de popularité, puis ils ont laissé... Toutes les vraies choses urgentes au Québec
ont été laissées en plan pendant cette première période de gouvernement. Bien
là, on en voit un exemple aujourd'hui avec le Groupe Capitales Médias. C'est ça
qui arrive.
M. Cormier (François) : Vous
avez entendu l'intérêt de M. Péladeau. Bon, évidemment qu'il y a une
question qui se pose particulièrement dans la région de Québec qui ne se pose
pas dans les autres régions, c'est celui d'avoir les deux journaux de la région
de Québec. Est-ce que vous pensez vraiment que deux journaux peuvent coexister
avec le même propriétaire?
Mme Dorion : Ce n'est vraiment
pas souhaitable, là, qu'ils aient le même propriétaire. C'est deux journaux...
Moi, depuis que je lis les journaux... Je veux dire, on est capables de
comparer et d'avoir des voix différentes. Je pense que ce n'est pas une bonne
idée. Je ne pense pas qu'il y ait grand monde qui pense que c'est une bonne
idée, honnêtement, pour la qualité de notre information puis la confiance qu'on
peut avoir envers nos médias.
M. Cormier (François) : Mais,
si on a le choix à faire, entre sauver les emplois puis être du même
propriétaire?
Mme Dorion : Bien, est-ce que
le fait de sauver les emplois va permettre aux travailleurs dont l'emploi est
sauvé de faire la job qu'ils veulent faire? Puis, comme j'ai dit tantôt, ce n'est
pas juste de les sauver, c'est de profiter de ce bouleversement-là pour faire
mieux. On peut vraiment aller plus loin pour que les journalistes et tous les
travailleurs du milieu des médias puissent faire la job comme ils ont envie de
la faire, tu sais, mais, bon, il va falloir qu'on ose faire face... Puis ça, je
le redis encore parce que c'est évacué de la plupart des discussions puis ça
n'a pas de bon sens, si on veut être dans les États qui sont capables d'avancer
puis de sauver nos journalistes, il va falloir se poser la question de l'impôt
sur le revenu des GAFAM au Québec : Google, Facebook, Apple et tous
ceux-là. Ça n'a pas de bon sens qu'on ne se tienne pas debout face à ces
gens-là. Pourquoi? Pourquoi les gouvernements n'en parlent pas? C'est
vraiment... Pour moi, c'est un grand mystère. Je ne comprends pas. Puis ce
n'est pas comme si j'étais folle, on en parle ailleurs, là. Puis, comme je
rappelle, la Nouvelle-Zélande, ils sont 4, 5 millions d'habitants.
M. Bergeron (Patrice) : Mais
quelles sont les solutions, selon vous, pour garantir l'indépendance des médias
à partir du moment où l'État finance les médias? Quelles sont les... Quelle
distance... Comment on peut définir des pare-feux, par exemple, pour garantir
aux gens que ces journalistes-là ou ces médias-là ne sont pas achetés par
l'État? Parce que c'est ça, l'inquiétude aussi du grand public, là.
Mme Dorion : Oui. Puis
effectivement il ne faut absolument pas que l'État ait à voir avec le travail
des journalistes, comme il ne faut pas non plus que les grands groupes de
presse, qui sont là pour faire du profit, aient à voir avec le travail des
journalistes. Et là on se retrouverait avec un problème qui pouvait se
rapprocher de celui-là dans la situation actuelle. Il y a toutes sortes de
façons de s'organiser pour mettre des pare-feux efficaces. Ça, ça existe. Ce
qu'il faut faire, puis là on va en parler la semaine prochaine avec le mandat
d'initiative sur l'avenir des médias, c'est se pencher de façon intelligente,
non partisane... Et non partisane, ce n'est pas juste selon les partis
politiques, c'est selon qui sont les grandes entreprises amies des
gouvernements aussi. Tu sais, il faut y aller de façon complètement
indépendante puis être capable de s'entendre pour dire : Bien, ce qu'on va
sauver en premier, c'est la job des gens des médias, leur capacité à fournir
une information de qualité, indépendante, régionale, pas juste nationale.
Finalement, toute la qualité de notre dialogue collectif va dépendre de ça. Puis
ça, c'est essentiel, là, tu sais, on ne le rappellera jamais assez, là.
(Fin à 16 h 54)