(Onze heures quinze minutes)
Mme David
: Bon. Donc,
je veux rapidement réagir ce matin, évidemment, à l'événement du jour,
c'est-à-dire l'autoexclusion ou l'exclusion, ce n'est pas très clair, de Mme
Fatima Houda-Pepin du caucus libéral et, face à ça, la réaction de Philippe
Couillard. Bon, d'abord, une chose très claire, quand une personne quitte ou,
enfin, s'expose, de toute façon, à quitter ou à être exclue d'un caucus et qu'elle
le fait pour des raisons de principes, moi, je pense qu'on doit toujours
respecter cette personne-là. C'est une décision qui est probablement
extrêmement difficile à prendre. Mme Fatima Houda-Pepin était députée libérale
depuis fort longtemps, attachée à son parti. Donc, je salue cette intégrité et
ce courage qu'a Mme Fatima Houda-Pepin.
J'en profite d'ailleurs, et je le ferai
personnellement cet après-midi en lui téléphonant, j'en profite pour l'inviter
à venir siéger comme députée indépendante à la Commission des institutions. Mme
Houda-Pepin et moi ne partageons pas toujours les mêmes points de vue, que ça
soit sur la charte ou sur bien d'autres questions, mais je respecte son
intelligence, je respecte sa capacité à débattre. Je pense qu'on a besoin
d'elle dans le débat sur toute la question de la laïcité et du port des signes
religieux et je souhaite donc qu'elle vienne participer à l'une des commissions
les plus importantes qui a lieu en ce moment. Alors, comme je vous l'ai dit, je
vais, dès cet après-midi, lui téléphoner pour lui transmettre cette invitation.
Une autre chose me frappe dans le petit
psychodrame actuel, et je les renvoie dos à dos : l'intransigeance,
l'inflexibilité de Philippe Couillard et de Bernard Drainville. C'est à peu
près la seule chose sur laquelle ils sont semblables dans le débat actuel, mais
franchement, d'un côté comme de l'autre, visiblement, on n'est pas à la
recherche de consensus, et pourtant c'est de ça que le Québec a besoin en ce
moment. Pendant qu'on éternise des discussions sur un thème à l'intérieur de
toutes les questions qui peuvent toucher la laïcité, un seul thème, celui du
port des signes religieux, parce que, sur à peu près tout le reste, tout le
monde est d'accord, pendant qu'on fait ça, bien, il y a d'autres choses qui se
passent. Il y a des problèmes dans le milieu de la santé. Les Québécois nous
disent d'ailleurs que c'est ce qui les interpelle le plus. Il y a des problèmes
dans l'éducation, dans les écoles montréalaises atteintes sérieusement de
moisissures, par exemple. Il y a des problèmes économiques. Il y a un
gouvernement qui veut nous amener allègrement vers un état pétrolier pour le
Québec. Il y a toutes sortes de questions majeures, mais, parce qu'il y a deux
vieux partis campés chacun dans leur intransigeance, on n'en sort pas et on
n'en sortira visiblement pas, à moins, bien sûr, d'aller en élections, ce qui est,
de toute façon, je pense, ce que cherche précisément le Parti québécois.
Alors, moi, j'invite les chefs de ces deux
partis à plus de flexibilité, à plus d'ouverture, à la recherche de consensus. Il
y a de plus en plus de voix qui s'élèvent chez les prochartes comme chez les
antichartes — c'est intéressant — de plus en plus de voix
qui s'élèvent pour dire : S'il vous plaît, il faut essayer de trouver pour
tout le monde, là, une voie de sortie. Et je pense qu'on devrait y arriver, là,
dans les prochaines semaines, le temps presse. C'est ce que je voulais vous
dire ce matin.
M. Dutrisac (Robert)
:
On sait qu'au sein de Québec solidaire, justement, les points de vue sur la
charte sont partagés. On dit même que c'est quasiment 50-50 chez les militants.
Je sais que vous êtes un caucus de deux, donc c'est assez... c'est plus facile
à gérer, mais, dans une circonstance pareille, votre point de vue sur la ligne
de parti, ce serait quoi?
Mme David
: Bon, d'abord,
on va mettre les pendules à l'heure. On a tenu, à la fin novembre, un conseil
national où toute la place possible a été donnée aux tenants de toutes les
positions, là, de débattre autour de la question de la laïcité, et aucune
personne présente, aucun délégué n'a remis en question la position qui a été
prise par Québec solidaire dans ce dossier. Oui, il y a quelques militants,
militantes, il y a un collectif sur la laïcité qui n'est pas d'accord avec ces
prises de position. Ça représente tout au plus de 30 à 40 personnes sur 15 000 membres.
Alors, il faut juste mettre les pendules à l'heure.
Maintenant, vous me parlez de la ligne de
parti. Vous savez, à Québec solidaire, on a une position là-dessus qui est différente
des autres partis. Chez nous, la dissidence est inscrite dans nos statuts mêmes.
Une personne peut être militante à Québec solidaire, peut même être membre du
comité de coordination national et s'exprimer publiquement en désaccord avec la
position prise par le parti. Donc, ça ne se pose pas de la même façon chez nous
que dans les vieilles formations politiques.
M. Dutrisac (Robert)
:
...la question de la charte, là.
Mme David
: Ça
pourrait. Absolument.
M. Dutrisac (Robert)
:
Il va y avoir des élections, donc il pourrait y avoir des candidats qui
défendent une autre position que celle de...
Mme David
: Oui, ça
pourrait arriver, absolument, et, chez nous, c'est accepté. Bon, évidemment, si
on se rendait compte, dans un débat x, y, z, que les positions, comme vous
sembliez le laisser entendre au début, étaient à 50-50, bien, regardez, là, on
s'assoirait, puis je pense qu'on discuterait, là, parce qu'il faudrait trouver
un chemin pour se comprendre. Mais, à Québec solidaire, ce qui est assez
extraordinaire, ça va faire bientôt huit ans qu'on existe, on n'a jamais eu de
telle situation. On a toujours adopté nos positions avec des majorités
confortables, et donc, la plupart du temps, la minorité s'est ralliée et, quand
elle ne s'est pas ralliée… Je vous l'ai dit, il y a un collectif sur la
laïcité, ils continuent de s'exprimer, il y a des tables de littérature à nos
congrès, les gens peuvent débattre, ça ne nous pose pas de problème.
M. Laforest (Alain)
:
En excluant Mme Houda-Pepin, est-ce que vous avez l'impression que les libéraux
se sont fragilisés?
Mme David
: Moi, je
pense que les libéraux se sont fragilisés dans ce dossier-là dès le début par
l'intransigeance de leur chef. Écoutez, leur chef et, visiblement, le caucus,
ils ne sont même pas capables d'accepter les recommandations de la commission
Bouchard-Taylor. Moi, ça me dépasse, et, je vous le dis, d'un côté, je trouve
qu'ils font preuve de la même intransigeance que celle que j'attribue à M.
Drainville qui se dit tout aussi inflexible sur la question du port des signes
religieux. Tu sais, c'est à se demander pourquoi il prend la peine de convoquer
une commission parlementaire, puisque c'est le seul sujet qui, vraiment, là,
vous le savez, finalement, aboutit sur des débats déchirants dans toute la
population. Ils jouent la même game tous les deux, et, de cette game-là, le
Québec ne sort pas gagnant, à mon avis.
M. Laforest (Alain)
:
Moins que Bouchard-Taylor, pour vous, ce n'est pas acceptable?
Mme David
: Non, non.
Quand même, moi, je pense que je suis une des personnes au Québec qui a lu
sérieusement le rapport de la commission Bouchard-Taylor. C'est plein de bon
matériel. Il y a bien d'autres sujets qui pourraient d'ailleurs être abordés
que celui des signes religieux, en passant, mais je pense que ce qu'ils
proposent est une sorte de minimum. Les personnes en situation d'autorité
coercitive, des gens qui peuvent envoyer des gens en prison — ce n'est
pas rien, là — des gens qui gardent des prisonniers, il faut faire
attention, parce que, là, c'est tellement fragile, ce rapport de pouvoir. Il
faut que, non seulement dans les faits, mais dans l'apparence, les personnes
qui occupent des fonctions ayant des conséquences aussi graves sur la vie des
personnes, il faut qu'elles soient vues comme entièrement neutres. C'est notre
position.
M. Laforest (Alain)
: Cette
position-là, on la connaît, là. Moi, ce que je vous demande, c'est par rapport
aux libéraux. Entre autres, M. Couillard nous a répété à deux reprises hier que
des juges et des policiers qui portaient des signes ostentatoires au Québec, il
n'y en a pas. Donc, pourquoi?
Mme David
: Alors, je
réponds à M. Couillard : S'il n'y en a pas, ça ne devrait pas vous poser
problème de l'interdire. Voilà. Tout simplement.
Des voix
: …
Mme David
: Une
personne à la fois, s'il vous plaît.
M. Robitaille (Antoine)
:
Tout à l'heure, en commission parlementaire, le Mouvement laïque disait, par
exemple : Un agent du fisc est en position d'autorité aussi. Est-ce que
vous iriez jusque-là, vous?
Mme David
: Non. Vous
le savez très bien, nous, nous nous contentons de dire : On doit interdire
les signes religieux aux personnes en situation d'autorité coercitive au sens
où leurs fonctions font en sorte qu'ils ont vraiment une relation de pouvoir,
très grand d'ailleurs, sur la vie, sur la liberté des personnes. C'est à ça
qu'on s'arrête et, je l'oubliais, au président de l'Assemblée
nationale, qui est la personne qui doit être, à sa face même, la plus neutre
qui puisse exister dans l'arène démocratique au Québec puisque le salon bleu
est parfois assez compliqué à gérer. Donc, ça, ça nous semble important, qu'on
enlève le crucifix qui est en haut et puis que lui ou elle ne porte pas de
signe religieux.
M. Dutrisac (Robert)
:
Mais vous avez dit que c'était un minimum. Vous venez de dire que c'est un
minimum, cette position-là. Mme Houda-Pepin, justement, pense la même chose, c'est-à-dire
que c'est un minimum. Elle voudrait, je le sais, là, elle voudrait que ça aille
plus loin, mais elle dit : La société n'est pas prête, le parti n'est pas
prêt, etc. Donc, si c'est un minimum, ça pourrait s'étendre raisonnablement à
d'autres corps d'emploi, notamment l'enseignement...
Mme David
: La position
de Québec solidaire, vous la connaissez, c'est non. Nous ne pensons pas que
cela doit s'étendre. Et nous attirons l'attention, en fait, et ça, nous allons
le faire de plus en plus dans les prochaines semaines, sur le fait qu'il est
très malheureux que le seul débat, en ce moment, audible sur la question de la
laïcité porte sur la question d'interdire ou non les signes religieux chez les
employés de l'État, alors que, pour nous, là, à la limite, là, c'est un tout
petit peu anecdotique.
Je ne veux pas minimiser ce débat, il a sa
raison d'être, et nous le faisons. Mais, quand on pense que certains débats
structurants en matière de laïcité ne sont même pas abordés, et là je parle ici
du financement des écoles privées religieuses, je parle du rapport de l'État
avec les Églises, de toutes les exemptions fiscales qui sont consenties aux Églises,
y compris au niveau de la taxe foncière, est-ce que ça ne mériterait pas aussi
d'être abordé? Et je pose carrément la question au gouvernement du Québec :
pourquoi ne l'abordez-vous pas? Pourquoi est-ce que la seule question où vous
dites : c'est une question de principe — et, pour moi, ça n'a
rien à voir avec un principe — c'est le port ou non de signes
religieux par des agents de l'État?
Franchement, si on veut aborder des
questions qui structurent les rapports entre l'État et les religions, bien,
abordons les questions fiscales et financières.
M. Dougherty (Kevin)
: In English?
Mme David
:
Yes, shortly, please. I have to go in commission.
M. Dougherty (Kevin)
:
Can you tell us what exactly are you proposing to Mme Houda-Pepin? Would you
share your position on the commission, la Commission des institutions, or would
she be an additional member? I don't understand exactly what you're proposing.
Mme David
:
OK. I will propose her to be an additional member. So I will have the same time
to express my positions and to ask some questions to the guests, and she will
have a little bit of time as me, so like three minutes, but she will have it.
So I invite her to come and join the club.
M. Dougherty (Kevin)
:
OK. And now you're saying that basically this thing could be settled aside from
signs… yes, OK, aside from signs, you know, there seems to be a consensus, the
CAQ and Québec solidaire, Mme Houda-Pepin, Parizeau,
everybody. Bouchard-Taylor seems to be sort of the bottom line and, if the Government went along with that, this would
be settled tomorrow. But, that's not going to happen. There's going to be an
election on this. And what do you think about an election fought on this issue?
Mme David
: I express…
Est-ce que je peux le dire en français, parce que, comme c'est pour un journal,
je pense que vous pouvez me traduire très bien. Je vous fais confiance.
Une voix
: ...
Mme David
: O.K., mais
c'est parce que c'est tellement important, je voudrais être sûre d'être bien
comprise. J'ai exprimé à plusieurs reprises le désir que l'on règle cette
question de charte de la laïcité dans une arène démocratique qui soit celle de l'Assemblée
nationale. J'ai expliqué, à plusieurs reprises, pourquoi je trouve difficile de
régler ce genre de question par une campagne électorale, puisqu'une campagne
électorale est le lieu de toutes les partisaneries. C'est le moment où certains
veulent... bien, en fait, tout le monde veut gagner, et, pour gagner, il faut
que l'autre perde. C'est un combat.
La question de la laïcité, comme celle de
l'aide médicale à mourir, doit transcender les lignes partisanes, ne doit pas se
faire en campagne électorale. Ça doit se faire par un débat public, qui est
d'ailleurs largement amorcé, et par une recherche de consensus à l'Assemblée
nationale. Il s'agit ici des droits, rien de moins, des droits collectifs, bien
sûr, de la nation québécoise qui veut se développer autour de valeurs communes,
mais il s'agit aussi quand même de droits et libertés fondamentales. Et, à ce
moment-là, moi, je pense que c'est le genre de débat qu'on doit faire en dehors
du combat partisan. Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 29)