(Quinze heures vingt minutes)
M. Cloutier
: C'est probablement
la plus importante crise institutionnelle qui est vécue présentement à la Cour
suprême du Canada. On se serait attendu, de la part de la ministre de la
Justice du Québec, à ce qu'elle obtienne les garanties de la part de son
homologue fédéral à l'effet que dorénavant le Québec… les noms qui allaient
être soumis sur la liste québécoise allaient être respectés par le gouvernement
fédéral.
Je suis surpris d'entendre la ministre qui
nous dit essentiellement qu'elle va poursuivre les discussions, alors que tout
ce qui est demandé, en bout de course, de la part du gouvernement du Québec, c'est
qu'on tienne compte de la liste qui est soumise par le gouvernement du Québec.
Maintenant, on a appris aussi il y a quelques
heures que le gouvernement fédéral n'écarte pas la possibilité de modifier la
Loi sur la Cour suprême pour y inclure les juges des cours fédérales. Vous
aurez compris que, si on devait procéder à un tel amendement, ce serait donc un
retour en arrière, à la décision qui a été prise par la Cour suprême. J'ai
invité la ministre de la Justice à dénoncer cette situation, à dénoncer cette
volonté de la part du gouvernement d'Ottawa. Elle a été incapable de nous
donner une position de la part du gouvernement du Québec. Je réitérerai demain
une demande par motion à l'Assemblée nationale qui va demander que le gouvernement
fédéral s'abstienne de modifier la Loi sur la Cour suprême et respecte les
règles.
À ce stade-ci, ce qu'on demande au premier
ministre du Québec, à M. Couillard, c'est de nous dire clairement quelle
garantie il entend obtenir de la part d'Ottawa pour nous assurer que, dorénavant,
ce soit les juges de la Cour du Québec qui soient pris en compte, pardon, les
juges… la liste de noms soumis par le gouvernement du Québec qui soit prise en
compte pour le choix des juges à la Cour suprême. Ce n'est pas rien, c'est la
première fois dans l'histoire qu'une Cour suprême destituait un de ses propres
juges. Maintenant, on est neuf mois plus tard et on sait qu'on va répéter la
même situation pour remplacer le juge LeBel. Alors, quelle garantie le Québec a
qu'on ne se retrouvera pas dans le même scénario dès l'automne prochain?
M. Poinlane (Pascal)
:
À quel point vous jugez que c'est prioritaire, ce dossier-là?
M. Cloutier
: Bien, c'est
un dossier institutionnel fort. À ma connaissance, c'est la plus importante
crise que vit la Cour suprême du Canada. Ça doit être un dossier qui est
prioritaire.
Je veux simplement rappeler aux Québécois
que ce sont les dossiers les plus importants, judiciaires, au pays qui sont
décidés à la Cour suprême et qu'il y a un droit constitutionnel au Québec à
avoir trois juges. Or, nous n'en avons que deux, et ces deux juges font en
sorte que le Québec se retrouve privé d'un des juges qui doit mettre en oeuvre
l'application du droit civil. Je ne saurais aussi vous rappeler que c'est
depuis 1774 que nous avons un droit civil, un droit particulier, une situation
qui est unique en Amérique du Nord. Ce n'est pas par hasard s'il y a des dispositions
particulières pour le Québec dans la Loi sur la Cour suprême et ce n'est pas
par hasard non plus que la Cour suprême a donné raison entièrement au gouvernement
du Québec dans ce dossier-là.
M. Dutrisac (Robert)
: Maintenant,
il est quand même dit à Ottawa que, s'ils modifient la Loi sur la Cour suprême,
ça va prendre un amendement constitutionnel. C'est l'analyse des fonctionnaires
là-bas, à Ottawa. Donc, c'est un peu mort-né comme projet, ça, parce que, bon,
c'est les mêmes difficultés qu'avec le Sénat.
M. Cloutier
: En fait,
ce qu'on dit, c'est qu'on n'exclut rien. Il me semble qu'après avoir essayé de
procéder par une loi dans une des mesures budgétaires, ensuite après avoir
perdu devant la Cour suprême du Canada, on se serait attendu minimalement à ce
que le gouvernement fédéral dise qu'effectivement il allait respecter l'ordre
établi et non pas que ça devenait une possibilité d'à nouveau essayer de court-circuiter
les règles ou de les modifier plutôt cette fois-ci pour y inclure les juges des
cours fédérales.
M. Dutrisac (Robert)
:
On sait que le Québec a fourni sa liste, comme il se doit, pour le remplacement
du juge Cliche, une nouvelle liste, là, entendons-nous, là, fournie par le gouvernement
actuel. Dans quelle mesure ça va être un test, ça, à vos yeux, parce que la
nomination…
M. Cloutier
: Bien, c'est
fondamental. La ministre nous a parlé de bonne collaboration, de bonne entente
avec le gouvernement fédéral. Alors, ce sera effectivement une occasion de voir
si effectivement les relations sont si bonnes entre les deux gouvernements, du
moins, c'est certain qu'on va être extrêmement attentifs. Mais ce qu'on
souhaite avoir, à ce stade-ci, c'est vraiment des garanties de la part du
gouvernement du Québec.
M. Séguin (Rhéal)
: …la
ministre réagit tout le temps en disant qu'il y a une collaboration, qu'elle
est proactive dans ce dossier-là. Quelle interprétation donnez-vous à ses
propos si elle ne veut pas donner des garanties formelles que…
M. Cloutier
: Bien,
c'est un peu là que je veux en venir. C'est qu'en bout de course la raison pour
laquelle il y a un dialogue entre Québec et Ottawa, c'est pour respecter les
règles. Alors, ce qu'on souhaite que la ministre de la Justice du gouvernement
du Québec obtienne, ce sont des garanties à l'effet qu'on va respecter dorénavant
la liste de noms des juges.
Mais, si on fait un petit retour en
arrière — ce n'est jamais mauvais de se souvenir ce qu'il y avait
dans le rapport Pelletier puis la position traditionnelle du Parti libéral — ce
qu'ils souhaitaient, c'était constitutionnaliser le processus pour que dorénavant
on oblige le gouvernement fédéral à en tenir compte, mais dans un processus
constitutionnel, auquel on venait bonifier un autre amendement où on souhaitait
que les trois juges garantis en droit civil soient aussi inscrits dans la Constitution.
Quelle est la position actuelle du Parti libéral du Québec? Honnêtement, je
n'en ai aucune espèce d'idée.
M. Séguin (Rhéal)
: Mais
en vertu de la Cour suprême…
M. Cloutier
: Pardon?
M. Séguin (Rhéal)
: En
vertu du jugement de la Cour suprême, il n'a pas autre choix que de choisir un
juge provenant de la Cour du Québec ou, tout au moins, du Barreau québécois.
M. Cloutier
: Bien, il
y a deux conditions effectivement : être membre du Barreau depuis 10 ans
ou provenir d'une cour du Québec.
M. Séguin (Rhéal)
: …avec
ce jugement-là, est-ce qu'Ottawa n'a pas d'autre choix que de procéder de cette
façon?
M. Cloutier
: C'est
exactement… Je fais la même analyse que vous, mais ça, c'est avant de lire
l'article de ce matin, dans lequel on disait qu'on n'excluait rien. Alors,
puisqu'on n'exclut rien, ça veut donc ainsi dire qu'on pourrait aussi vouloir
modifier la Loi sur la Cour suprême.
M. Corbeil (Michel)
: Mais
comment prendre au sérieux la menace de réouverture de la Constitution? Les
autres provinces n'ont pas plus d'intérêt…
M. Cloutier
: Bien, il
faut être prudent.
M. Corbeil (Michel)
: …mais
vous prenez ça au sérieux?
M. Cloutier
: Bien, en
fait, la réponse simple de la part du gouvernement conservateur, ça aurait été
simplement de dire qu'il va respecter le jugement de la cour. Ça, c'est la
réponse politiquement simple et c'est la réponse qui aurait dû aller de soi. Le
problème, c'est qu'ils ouvrent volontairement la porte. Alors, en ouvrant la
porte, bien, ils maintiennent ces sous-entendus, et, à nouveau, l'Assemblée
nationale doit monter aux barricades pour dire que, non, on souhaite le respect
de la loi. Le gouvernement du Québec a investi des milliers de dollars en
défense devant la Cour suprême du Canada, et on a gagné la cause du juge Nadon.
Ce n'est pas rien, tu as la Cour suprême elle-même qui destitue un de ses
propres collègues.
Alors, la procédure et l'énergie qui a été
mise dans ce dossier-là de la part du gouvernement à l'époque a été fort importante.
Alors, on se serait attendus minimalement d'avoir une réponse simple de la part
du gouvernement fédéral, de dire simplement : C'est derrière nous, la Cour
suprême a tranché, et dorénavant nous allons respecter que les juges
proviennent soit des membres du Barreau du Québec, ou des cours du Québec, ou
des cours d'appel du Québec.
M. Dutrisac (Robert)
:
La prise de position de M. Couillard hier… est-ce que ça vous satisfait? Parce
que, quand même, il a demandé à ce qu'on choisisse à partir d'une liste…
M. Cloutier
: Oui, mais
la vraie demande traditionnelle du Québec, ce n'est pas simplement qu'on
choisisse à partir d'une liste. La demande traditionnelle du Québec, c'est la
demande traditionnelle constitutionnelle du Québec. C'est donc dire qu'on
choisisse à partir d'une liste et que ce processus soit inscrit dans la Constitution
canadienne. C'est ça, la demande traditionnelle du Québec. Ce n'est pas
simplement de dire qu'on veut que les juges soient choisis à partir d'une liste
et que ce processus-là ne soit pas constitutionnalisé, alors que, lorsqu'on
parle de la demande traditionnelle, nécessairement, ce sont les demandes
constitutionnelles.
Puis ce que j'ai compris de la part du
premier ministre, c'est qu'on mêlait les deux concepts, hier, allègrement, puis
c'était loin d'être clair s'il était prêt à s'engager. Parce que c'est bien
beau de dire… d'aller devant les médias puis même devant les Québécois puis de
leur répondre : Il faut changer les choses, parce que c'est ça qu'il a
dit, mais, dans la vraie vie, là, qu'est-ce qui va arriver? Comment entend-il
changer choses puis à partir de quand il va pouvoir donner une réelle garantie
aux yeux des Québécois? Est-ce qu'on ne se retrouve pas, dans le fond, dans une
vieille demande traditionnelle des fédéralistes qui ne se réalisera jamais?
M. Séguin (Rhéal)
:
Vous semblez dire que le gouvernement fédéral veut avoir des juges du Québec
qui sont plus en ligne avec l'idéologie conservatrice. Est-ce que vous craignez
qu'on est en voie de politiser tout le processus du choix des juges?
M. Cloutier
: Bien, ça
m'apparaît aller de soi. C'est évident que ça semble être le cas. On est en
train de vouloir donner des orientations de nature de plus en plus politique.
Moi-même, étant un ancien clerc de la Cour suprême et pour y avoir travaillé
une année, les appartenances politiques étaient nettement plus lointaines et
nettement moins apparentes que c'est le cas ou que ça semble vouloir se
dessiner comme étant le cas. Il y a une tendance vers la politisation. Ça me
semble aller de soi.
M. Pépin (Michel)
:
Est-ce qu'on peut revenir sur ce que vous demandez à Québec, là? Vous dites :
On veut des… Qu'est-ce que vous demandez à Québec exactement?
M. Cloutier
: Je demande
à Québec de déposer demain… se joindre à nous, l'opposition officielle, pour
adopter une résolution dans laquelle on va dénoncer cette volonté du
gouvernement fédéral, cette volonté apparente de ne pas écarter la possibilité
d'ouvrir aux juges de la Cour fédérale. Nous sommes contre cette idée et nous
demandons surtout au gouvernement actuel d'obtenir une garantie à l'effet que
dorénavant les juges seront choisis à partir des listes de noms qui sont
soumises par le gouvernement du Québec, et qu'on ne se retrouve pas, dès
septembre prochain, avec un nouveau psychodrame parce que le gouvernement
fédéral n'aura pas, à nouveau, respecté les juges soumis.
Ce n'est pas rien, là, pour une nation
comme le Québec, qui a un droit civil depuis 1774. On n'a pas de contrôle sur
notre tribunal de dernière instance.
M. Pépin (Michel)
:
Alors, vous demandez une modification constitutionnelle à cet effet, là. C'est
ce que vous voulez?
M. Cloutier
: Non.
M. Pépin (Michel)
: C'est
ce que vous voulez que Québec demande?
M. Cloutier
: Non. Ce
que je souhaite que le Québec demande, c'est d'obtenir la garantie de la part
du gouvernement conservateur à l'effet qu'il respecte la liste de noms qui soit
soumise par le gouvernement du Québec. Merci, tout le monde.
(Fin à 15
h 30)