(Quinze heures quarante-sept minutes)
M.
Caire
:
Alors, bonjour. Évidemment, on voulait aujourd'hui réagir à la conférence de
presse de M. Turgeon qui réintègre donc officiellement ses fonctions.
D'abord, premier constat qui a été
fait de l'aveu même de M. Turgeon : le premier ministre été obligé de
réparer les pots cassés par Gaétan Barrette. Visiblement, les discussions se
sont passées avec lui. De plus, le premier ministre a dû donner des garanties
qu'à l'avenir le CHUM serait protégé de Gaétan Barrette, protégé de l'ingérence
de Gaétan Barrette, ce qui veut dire que le premier ministre admet qu'il y a eu
ingérence de la part de son ministre de la Santé. Le premier ministre cautionne,
de cette façon-là, les allégations, les accusations qui avaient été proférées à
l'endroit de Gaétan Barrette par M. Deschênes et M. Turgeon, à l'effet qu'il y
avait eu ingérence, chantage, pression politique à son endroit.
Et donc, pour nous, il n'y a qu'une seule
façon de protéger l'ensemble de réseau de la santé des ingérences de Gaétan
Barrette, et non pas seulement que le CHUM, c'est que le premier ministre
démette Gaétan Barrette de ses fonctions. Parce qu'on comprend qu'il y a maintenant
une clause Gaétan Barrette pour le CHUM, mais il n'y en a pas pour le reste du
réseau de la santé, et il n'y aura pas des Jacques Turgeon partout dans le
réseau de la santé pour s'opposer à l'empereur comme il l'a fait et gagner sa
bataille, il faut bien le dire, il faut l'admettre.
Ceci étant dit, on pense que le premier
ministre doit faire preuve de leadership, doit admettre… et aller au bout de sa
logique, hein? Parce que, s'il se sent dans l'obligation de donner des
garanties à M. Turgeon, il faut qu'il aille au bout de cette
logique-là — et c'est l'ensemble du réseau qui est sujet à être sous
la coupe de Gaétan Barrette par le projet de loi n° 10 — face à
l'ingérence de Gaétan Barrette, éventuelle. Et donc, pour cette raison-là, nous
maintenons notre demande au premier ministre de démettre Gaétan Barrette de ses
fonctions.
M. Caron (Régys)
: M.
Caire, le premier ministre risque fort de garder M. Barrette en poste. Il ne
peut pas perdre deux ministres en deux semaines. Quelles seront les
conséquences, pensez-vous, dans l'hypothèse, fort plausible, que le ministre de
la Santé demeure en poste?
M.
Caire
: Bien,
écoutez, les conséquences, on vient d'en vivre un épisode douloureux. D'abord,
on a fait traverser, même pour une courte période, mais quand même…le CHUM, qui
est le vaisseau amiral du réseau de la santé, on lui a fait traverser une crise
de confiance, une crise de gouvernance. Aujourd'hui, on le voit dans les
demandes qui ont été faites, là, de considérer la candidature de M. Deschênes
au poste de président du conseil d'administration. Donc, on est obligés, là,
d'avoir ce genre de discussion là avec le premier ministre lui-même pour
s'assurer, là, qu'il n'y aura pas de velléité de vengeance de la part de Gaétan
Barrette contre ceux qui se seront opposés à lui. On est obligés de donner aux
administrateurs des garanties, là, que le ministre de la Santé ne s'ingérera
plus dans la gouvernance interne, dans ce cas-ci, du CHUM, mais éventuellement,
ce sera les CISSS, là, ce sera d'autres établissements.
Donc, je pense qu'on a eu un avant-goût,
là, de ce qui nous attend dans les prochaines années avec les trop grands
pouvoirs qu'on a donnés à Gaétan Barrette et son appétit féroce pour les
exercer de la façon qu'on connaît maintenant.
M. Dutrisac (Robert)
:
D'ailleurs, M. Turgeon a quand même laissé entendre, même dit assez clairement,
qu'il y avait une espèce d'incompatibilité entre la loi n° 10 et le
pouvoir qu'on donne au ministre et la saine gouvernance du réseau de la santé,
du CHUM et aussi de l'ensemble du réseau, parce que, bon, c'est la même
structure de gouvernance. Est-ce qu'il n'y a pas lieu, justement, de changer
quelque chose, parce que… Je comprends que vous voulez la démission de M.
Barrette, mais, si on change le ministre, il va avoir les mêmes pouvoirs que M.
Barrette.
M.
Caire
: Vous
avez raison, sauf que, pour avoir travaillé sur le projet de loi n° 10 en
partie, avec mon collègue François Paradis, Gaétan Barrette est un obstacle à
améliorer ce projet de loi là. Il n'y aura aucune amélioration au projet de loi
n° 10 tant que Gaétan Barrette sera ministre de la Santé, soyons clairs
là-dessus. C'est un homme qui veut tous les pouvoirs. On voit maintenant de
quelle façon il entend les exercer. Il ne se privera pas pour récidiver. Et là
il a eu affaire à Jacques Turgeon, qui avait la stature pour l'affronter. Ce ne
sera pas toujours le cas.
Et, oui, vous avez raison, on l'a dit à de
nombreuses reprises, le projet de loi n° 10 est un projet qui avait
du potentiel, mais qui nécessitait des changements majeurs. Ces changements-là
n'ont pas été effectués, ont été refusés systématiquement par Gaétan Barrette,
et aujourd'hui on voit le résultat de ça.
M. Pépin (Michel)
:
Pourtant, un des premiers éléments du projet de loi n° 10, de la loi
n° 10, a été les nominations des P.D.G. aux différents CISSS et autres
organismes de santé. Est-ce que... Et on peut constater... je n'ai pas fait une
analyse exhaustive, mais ce que j'ai pu voir, c'est que pas mal de gens qui
étaient déjà des directeurs généraux ou des gens très haut dans
l'administration ont été renommés, d'une certaine façon. Donc, ça, c'est le
premier geste que le ministre a posé par rapport à la loi n° 10,
véritablement. Oui, en fait, c'est ça. Est-ce que vous en avez contre les
nominations que le docteur... que le ministre Barrette a faites?
M.
Caire
: Bien,
je vous souligne au passage que, sur les 26 P.D.G. qui ont été nommés, il
y en a 10 qui se sont publiquement prononcés en faveur de la loi
n° 10. Je vous dis ça comme ça. Et nous, on avait souhaité que le P.D.G.
soit nommé par le conseil d'administration. C'est une demande d'amendement que
nous avions faite et qui a été évidemment refusée, là, comme la grande majorité
des autres par le ministre, l'idée étant de dire que le conseil d'administration
doit être responsable de la gestion de son organisation et qu'un P.D.G. devrait
toujours être redevable envers le conseil d'administration. Et il m'apparaît...
il nous apparaissait que le lien d'autorité n'était pas le même. Si la personne
qui vous nomme et qui vous maintient en poste, c'est le ministre, c'est sûr que
le lien d'autorité avec le conseil d'administration s'en trouve dilué, à notre
avis.
Bon, ce n'est pas le choix que le ministre
a fait. Il a la majorité, il a imposé ça sous le bâillon, et aujourd'hui, bien,
on peut se questionner sur les choix. Sans dire que c'est des mauvais
choix — je ne connais pas toutes ces personnes-là personnellement,
vous comprendrez — mais, sans critiquer directement les choix, on
peut certainement se poser des questions sur les critères qui ont motivé ces
choix-là.
M. Caron (Régys)
:
Toujours dans l'hypothèse où M. Barrette demeure en poste, quelle sera la
crédibilité du ministre, compte tenu de ce qui s'est passé?
M.
Caire
: Bien,
je pense que ce qui s'est passé aujourd'hui est majeur. Ce que Jacques Turgeon
nous a dit, c'est qu'il avait reçu la garantie du premier ministre qu'il n'y
aurait plus d'ingérence, ce qui veut dire implicitement qu'il y en a eu. Or,
pour moi, quand le premier ministre est obligé de désavouer un de ses ministres
seniors, qui est dans une réforme majeure, quand il est obligé de le désavouer
pour s'assurer de la compétence d'un homme comme Jacques Turgeon, parce qu'il
admet qu'il y a eu ingérence de la part de son ministre, à mon avis, sa
crédibilité, elle est inexistante.
Ce qu'on se fait dire, là, c'est que, là, Gaétan
Barrette s'est fait prendre. Son premier ministre lui a donné une tape sur les
doigts, va rassurer les gens qui ont été victimes de son ingérence en les
mettant sous sa protection, mais les autres organisations dans le réseau de la
santé n'ont pas reçu la même garantie. Et cette question-là, elle a été posée à
M. Turgeon. Et vous remarquerez que la réponse a été très alambiquée, là.
M. Caron (Régys)
: Mais
compte tenu de la crise dont on vient de sortir, est-ce que M. le ministre ne
risque pas de changer son comportement ou de l'améliorer, je ne sais pas quoi,
là, pour éviter que d'autres crises comme ça se produisent?
M.
Caire
:
Écoutez, j'espère que les enfants n'écoutent pas, mais je ne crois pas au père
Noël, là. Gaétan Barrette n'arrêtera pas d'être Gaétan Barrette. Gaétan
Barrette, il est ce qu'il est et il a mis sur la table un projet de loi à son
image, c'est-à-dire qui lui donne tous les pouvoirs, qui ne souffre d'aucun
compromis parce qu'il ne veut pas faire de compromis. Il veut diriger chaque
étape du réseau de la santé parce qu'il a la conviction qu'il est en possession
de la vérité et de la solution et que, si on le laisse aller, demain matin,
bien, ça va être... tout va être pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais ce qu'on voit aujourd'hui, là, à
court terme, vous l'avez dit, là, la première crise, et je dis bien la première
et, contrairement à ce que laisse entendre votre question, je suis d'être
convaincu que c'est la dernière, mais ce qu'on voit, là, c'est que le résultat
direct de son ingérence, c'est de mettre une institution comme le CHUM dans une
crise de gouvernance sans précédent. Et heureusement ou malheureusement, selon,
Philippe Couillard est intervenu directement pour essayer de mettre le
couvercle sur la marmite. Mais est-ce qu'il va devoir faire ça à chaque faux
pas de son ministre?
M. Dutrisac (Robert)
:
Parce que le milieu médical, les médecins entre autres, c'est des gros ego,
qu'on dit. Il y a souvent des batailles qui se font, des batailles de clocher
ou... Bref, est-ce que, justement, la crédibilité du ministre étant affectée,
il va pouvoir, comment dire, surmonter les contestations? Autrement dit, dans
certains établissements, il pourrait y avoir d'autres contestations de
décisions qui viennent du ministère ou qui viennent du conseil d'administration
ou des directions. Le ministre, comme il a perdu une première bataille, bien,
il a moins de munitions, là.
M.
Caire
: Il a
moins de munitions. Il a surtout... il n'a plus de crédibilité. Il n'a plus de
crédibilité. Du moment où le premier ministre intervient et que, par son
intervention, il cautionne les accusations dont a fait l'objet son ministre,
donc vient dire : Oui, c'est vrai, il s'est ingéré, mais, à l'avenir, je
vais m'assurer personnellement qu'il ne le fasse plus, bien, oui, effectivement,
ça décrédibilise le ministre. Pour nous, c'est très clair. C'est une des
raisons pour lesquelles on pense qu'il doit le démettre de ses fonctions. Il
doit aller... Quand je dis qu'il doit aller au bout de sa logique, bien, c'est
de ça dont on parle.
Alors, sa logique étant : mon ministre
a fait de l'ingérence, c'était inapproprié, c'était inacceptable, ça oblige le premier
ministre à discuter directement avec les victimes de cette ingérence-là, de
négocier des accords de non-ingérence avec les victimes, mais vous comprendrez
que là il ne fera pas ça à toutes les fois, là. Alors, il fait qu'il aille au
bout de sa logique et il faut qu'il demande à M. Barrette de démissionner.
La Modératrice
:
Dernière question.
M. Bellerose (Patrick) :
Comment qualifieriez-vous l'attitude du Dr Barrette dans toute cette
histoire, depuis le début de son entrée en fonction?
M.
Caire
: Égale
à lui-même. Égale à lui-même.
M. Bellerose (Patrick) :
C'est un bully? Il agit comme un bully?
M.
Caire
: Écoutez,
pour avoir négocié avec lui, ce n'est pas quelqu'un qui laisse beaucoup de
place aux idées des autres, ce n'est pas quelqu'un qui laisse beaucoup de place
à l'opinion contraire. Contrairement à ce qu'il prétend, ce n'est pas quelqu'un
qui écoute beaucoup. C'est quelqu'un qui est toujours en mode de convaincre les
autres qu'il a raison plutôt que de se dire : Est-ce qu'il se pourrait que
vous ayez raison? Et, dans d'autres dossiers, il m'avait même affirmé : Tu
as tort, j'ai raison. Et le temps, peut-être, prouvera le contraire, mais... Et
c'est quelqu'un qui n'admet pas ses erreurs. Ce n'est pas quelqu'un qui va dire :
Oui, sur celle-là, je l'ai échappée.
M. Caron (Régys)
: Dans
l'hypothèse où une crise surviendrait dans une institution de santé, non pas
provoquée par le ministre, mais une crise nécessitant l'intervention du ministre,
par exemple, est-ce qu'il aura l'autorité morale pour intervenir?
M.
Caire
: Bien,
vous comprendrez que, compte tenu de ce qu'on demande au premier ministre, la
réponse à votre question, c'est non. C'est clair que quand… du moment où le premier
ministre admet publiquement que son ministre a eu une conduite inacceptable,
qui l'oblige à poser les gestes que le premier ministre a posés dans les
derniers jours, c'est clair que ça vient d'affecter la crédibilité et
l'autorité morale du ministre, bien évidemment, surtout si on parle de crise de
gestion.
Alors, lui, il en a provoqué. Alors,
comment pourrait-il faire partie de la solution, si, généralement, il fait
plutôt partie du problème?
Merci.
(Fin à 15 h 59)