(Neuf heures trente-quatre minutes)
M. Lisée
: Merci. Bon,
aujourd'hui, on est ici pour, encore une fois, mettre en lumière les drames
humains qui sont en train de se répandre en cascade au Québec parmi nos
populations les plus vulnérables, c'est-à-dire des gens qui sont en déficience
intellectuelle, en déficience physique, en trouble du spectre de l'autisme. Des
jeunes, des vieux, des gens qui, depuis de longues années, sont hébergés dans
ce qu'on appelle des ressources intermédiaires ou des ressources de type
familial. Ce sont des maisons d'accueil qui sont gérées par, souvent, des
anciens... des infirmières, des anciennes personnes qui travaillaient dans des
hôpitaux, des gens qui ont décidé de consacrer leur vie au bien-être de nos
Québécois qui ont besoin d'une attention constante.
Pour des raisons absolument
incompréhensibles, le gouvernement a décidé de serrer la vis et de retirer des
sommes importantes à beaucoup de ces ressources intermédiaires qui se voient
forcées de fermer leurs portes et donc de mettre en péril la qualité de vie de
leurs usagers qui, pour la plupart, ont besoin de stabilité, ont besoin de
prévisibilité et ont développé, parfois depuis cinq, 10, 15 ans, un lien
familial avec les gens qui les hébergent.
Alors, le gouvernement fait la sourde
oreille, donne des réponses vagues ou fausses lorsqu'on les interroge. Alors,
on a pensé vous donner des témoignages concrets de ce qui est en train de se
passer sur le terrain. Des coupures importantes sont entrées en vigueur lundi
dernier. On le savait depuis plus d'un an. On a avisé le gouvernement depuis le
début de l'année que ça allait arriver, avec des conséquences graves. Alors, je
vais demander à certains de ces responsables de ressources de vous dire en
quelques mots ce qui se passe avec eux. Tout d'abord, M. Pascal Lévesque.
M. Lévesque (Pascal) : Bonjour.
Pascal Lévesque, je suis responsable de deux ressources intermédiaires en
enfance pour le CRDI de Québec. Depuis le 15 février dernier, j'ai été coupé de
7 500 $. Ça représente 20 % de mon chiffre d'affaires annuel.
M. Lisée
: Et qu'est-ce
que vous allez faire avec votre ressource, si ce n'est pas rétabli?
M. Lévesque (Pascal) : Dans
les prochains mois, s'il n'y a rien de rétabli, c'est sûr que je vois à fermer
mon milieu.
M. Lisée
: M. Tanguay.
M. Tanguay (Paul-Émile) :
Bonjour. Je m'appelle Paul-Émile Tanguay. Je suis responsable de ressource
intermédiaire. J'accueille six personnes avec un trouble envahissant du développement
accompagné de déficience intellectuelle. Je tiens à préciser que j'ai vécu des
coupures dernièrement, et puis ces coupures-là sont de l'ordre de 4 700 $
par mois, ce qui m'empêche présentement de pouvoir donner les mêmes services
que j'offrais avec mes rétributions régulières. Donc, c'est pour moi très
problématique, et je souhaite juste que ça puisse se rétablir. Merci.
M. Lisée
: Sinon?
M. Tanguay (Paul-Émile) :
Sinon, bien, on ira vers une fermeture. Pour moi, c'est impossible aujourd'hui
de pouvoir travailler quatre trente sous pour une piastre. Et puis je pense qu'il
n'y a personne qui pourrait le faire à moins cher que ce que je pouvais faire.
Merci.
M. Lisée
: Alors, on a
plein d'autres témoignages qui nous viennent par courriel. Shawinigan-Sud :
J'ai une RI pour neuf personnes âgées avec la maladie d'Alzheimer. Ce
matin — lundi dernier — ma rétribution versée dans mon
compte était de 4 000 $ de moins que d'habitude. On a mis des
personnes à pied.
On a une autre RI dans Lanaudière : Paiement
reçu, moins 7 842 $, donc 40 % de moins pour janvier et pour
chaque mois. La fermeture est envisagée.
Une autre de Saint-Eustache : J'ai
une ressource intermédiaire hébergeant cinq personnes ayant un trouble du
spectre de l'autisme. Ce matin, lundi, la coupure est de 1 600 $ pour
le mois. Si rien ne change, je vais devoir fermer ma ressource.
Un autre, ici, de Pierrefonds : Ma
coupure est de presque 3 900 $ par mois. Est-ce la fin? Comment
expliquer ça aux quatre dames que j'héberge?
Coupure de 2 300 $, ici, à
Montréal pour des cas lourds. Fermeture possible.
Alors, ça, c'est le cas de cette mesure de
maintien du revenu qui a été abolie, donc, lundi dernier. Mais il y a aussi une
autre façon que le gouvernement utilise pour réduire la rémunération, c'est de
trouver magiquement que les usagers sont beaucoup moins sévèrement atteints qu'ils
ne l'étaient dans le passé. Ça s'appelle la déclassification. Alors, chaque
usager est classé par ordre de sévérité de sa condition, de 1, étant une
condition moins grave, à 6, une condition très grave. On se rend compte que, de
plus en plus, des professionnels de la santé viennent déclassifier à la baisse
un certain nombre d'usagers et ce qui provoque une réduction du revenu, parce
que les responsables de ressources intermédiaires ne sont pas payés pour leur
temps, mais ils sont payés en fonction de la sévérité et de la condition de
leurs usagers.
En soi, c'est un système qui est vicié parce
que leur travail, c'est d'améliorer la condition des usagers, et, s'ils
l'améliorent, bien, ils sont payés moins cher. C'est quand même extraordinaire.
Ça ne les empêche pas de bien travailler, mais c'est le seul emploi où mieux on
travaille, moins on est rémunéré. Mais en plus, cet outil-là, il est perverti à
des fins budgétaires. Je vais demander à Mme Trudel de nous décrire ce qui
s'est passé dans sa ressource.
Mme Trudel (Yolande) : Alors,
bonjour. Mon nom, c'est Yolande Trudel, je suis ressource de type familial en
santé mentale de la région de Québec. Comme plusieurs de mes collègues de la
région, nous avons été tous, pour la plupart, déclassifiés de façon importante,
ce qui a généré une rétribution à la baisse et puis des pertes importantes de
rétribution, je le répète. Et le plus important, c'est que normalement nos
usagers ont droit à des services et, de ce fait, ils en subissent un préjudice extrêmement
important, c'est-à-dire qu'ils n'ont plus les services auxquels ils sont en
droit de s'attendre.
M. Lisée
: Alors, ce
que Mme Trudel ne veut pas vous dire, c'est qu'elle paie de sa poche, elle ne
se paie plus de salaire. La déclassification lui a coûté suffisamment pour
qu'elle mette à la porte deux employés, et, si ça continue comme ça pendant un
an, elle devra fermer et ses usagers devront être envoyés ailleurs. Il y a les
parents, évidemment, qui sont très proches de leurs enfants et qui sont à un
niveau d'anxiété qui est assez grand, si les ressources ferment et si leurs
enfants sont... leurs enfants, leurs frères ou soeurs, dans certains cas, sont
envoyés ailleurs. C'est le cas de M. Daniel Jean.
M. Jean (Daniel) : Bonjour.
Daniel Jean, père d'un fils autiste qui vit dans une résidence intermédiaire, et
on s'attend, c'est sûr, avec des fermetures potentielles, à des graves
problèmes d'anxiété pour un autiste et aussi une régression fort probable de
son état puisque la stabilité, c'est important, lorsqu'on est autiste. Alors,
nous, on vient appuyer un peu ce...
M. Lisée
: Pourquoi, M.
Jean, si votre enfant était à l'hôpital ou en CHSLD, il ne serait pas en aussi
bonne condition que dans la ressource?
M. Jean (Daniel) : Oui. Bien,
en fait, ces gens-là ont besoin de stabilité dans l'environnement, ils ont
besoin d'être encadrés de façon, on peut dire, uniforme et bien claire parce
que les autistes ne sont pas des gens qui s'adaptent bien aux changements.
Donc, tout changement est un risque majeur de régression, et ce, sur plusieurs
mois. Et d'ailleurs les acquis qu'il a pu faire durant toutes années risquent
fortement d'être perdus. Merci.
M. Lisée
: Merci
beaucoup. Mme Plamondon.
Mme Plamondon (Isabelle) :
Bonjour. Isabelle Plamondon, je représente mon frère qui vit à la Résidence
Tanguay depuis cinq ans. Alors, il est arrivé à la Résidence Tanguay après un
séjour hospitalier de sept mois et demi dans une aile psychiatrique où ce n'était
pas sa place. On convient, tout le monde a convenu que ce n'était pas sa place.
Alors, à un moment donné, le CRDI a enfin accepté de le prendre en charge et de
trouver cette résidence-là. On a été chanceux, c'est des gens extraordinaires
qui ont travaillé avec lui, qui l'ont amené à évoluer et à se stabiliser, parce
que, quand il est arrivé là, il y a cinq ans, il était complètement
désorganisé.
Aujourd'hui, je me pose la question :
Qu'est-ce qui arrive si M. Tanguay, sa résidence ferme? Qu'est-ce qui arrive
avec mon frère? Il retourne à l'aile psychiatrique? Ce n'était pas sa place. Il
s'en va dans un CHSLD? Ce n'est pas sa place non plus. Il a des besoins,
j'espère… Puis la résidence Tanguay, son personnel a fait la preuve qu'il était
capable de répondre à ses besoins. On va exiger que ce soit ça qui se passe et
on souhaite que cette résidence-là ne ferme pas.
M. Lisée
: Merci.
Alors, il y a deux choses que la ministre Charlebois et que le gouvernement
répondent lorsqu'on leur fait état de toutes ces situations dramatiques. La
première, c'est que ce n'est pas grave, il y a de la place, et que ces gens-là,
le frère de Mme Plamondon, l'enfant de M. Jean et les autres vont être
relocalisés ailleurs dans le réseau des ressources intermédiaires. Bien, je
vais demander à la représentante d'Autisme Québec, Mme Lili Plourde, de vous
parler un petit peu des listes d'attente. Mme Plourde.
Mme Plourde (Lili) : Tant en
autisme qu'en déficience intellectuelle, les familles dont les dossiers ne sont
pas prioritaires, certaines attendent depuis six, sept, huit, on a même vu 10
ans d'attente. Donc, c'est très inquiétant pour les parents de penser et de
savoir que certaines résidences vont fermer parce que ça risque d'allonger
encore plus les listes d'attente. De plus, il y a 200 personnes en CHSLD qui ne
sont pas à leur place en CHSLD. Donc, eux aussi cherchent un endroit où
habiter, sans compter que certaines personnes sont envoyées sur le territoire
de Charlevoix parce qu'il manque de places à Québec. Ça fait que tous ces
éléments ensemble font que c'est très inquiétant pour les personnes et leurs
familles de savoir où elles vont pouvoir créer leur milieu de vie.
M. Lisée
: Merci, Mme
Plourde. On a aussi des gens… Alors, la deuxième réponse, c'est : On
négocie. Ça n'a pas d'allure qu'on mette ça sur la place publique parce qu'on
négocie en ce moment. Bien, on a des gens ici qui sont à la table de
négociation et qui vont vous dire ce qui s'y passe. Je vais demander d'abord à
Denis Joly de nous dire qui vous représentez et ce qui se passe à la table.
M. Joly (Denis) : Alors, moi,
je représente la direction de la Fédération des ressources intermédiaires
jeunesse du Québec. Essentiellement, on ne négocie pas. Depuis le mois de
décembre, on s'est assis à la table la dernière fois et on ne peut jamais
discuter du financier. Il est impossible d'avoir des vrais chiffres, il est
impossible d'avoir des mesures nous garantissant le minimum de revenus actuels,
ou passés devrais-je dire maintenant puisque le 15 février est passé,
impossible d'avoir des maintiens de revenus. On ne parle que de coupures, que
de coupures, que de coupures. C'est complètement inacceptable. On ne peut pas
négocier, il n'y en a pas de négociation.
M. Lisée
: Merci. J'ai
aussi M. Luc Vallerand qui va vous parler un petit peu de la négo, mais aussi
il a fait un sondage auprès de ses membres pour voir combien sont à risque de
fermeture. M. Vallerand.
M. Vallerand (Luc) : Alors,
Luc Vallerand, directeur des communications à l'Association des ressources
intermédiaires d'hébergement du Québec. Alors, nous, on a près de
40 ressources en déficience intellectuelle qui ont subi des coupures de
1 000 $ et plus par mois. Le taux d'occupation actuellement du nombre
de places en hébergement en déficience intellectuelle est 99 %. Alors,
nous, on est très inquiets de la situation actuelle. À la table de négociation,
il n'y a aucune proposition concrète pour éviter des fermetures. Et moi, j'en
appelle à la sensibilité des ministres de la santé à regarder cette
situation-là et à trouver des solutions pour éviter des fermetures.
M. Lisée
: Merci. Et
donc vous dites que vous avez une dizaine... que vous avez vu une vingtaine de
fermetures l'an dernier et que vous avez une dizaine de fermetures possibles?
M. Vallerand (Luc) : Alors,
actuellement, il y a 10 ressources qui ont annoncé leur fermeture puis il
y a des ressources qui, dans le prochain mois, vont examiner leur situation.
M. Lisée
: Très bien.
M. Pierre Hébert, qu'est-ce qui se passe chez vous?
M. Hébert (Pierre) : Pierre
Hébert, président du Regroupement des ressources résidentielles de la Mauricie
et du Centre-du-Québec. Alors, nous, c'est environ une vingtaine de ressources
qui ont fermé l'année passée et c'est environ une dizaine qui nous signifient
déjà leur fermeture et cessation de leurs activités pour les raisons des
coupures.
Maintenant, notre réseau est comblé à
99 %. Si on relocalise ces gens-là, ça va être catastrophique, parce qu'on
va alourdir le système au niveau des CHSLD et aussi au niveau du milieu
carcéral, parce que c'est une clientèle qui s'alourdit de plus en plus, elle
devient de plus en plus hypothétique au niveau des troubles de comportement.
Alors, merci.
M. Lisée
: Bon, alors,
vous avez un portrait assez complet, là. Des fermetures, c'est réel, c'est
aujourd'hui, c'est hier, c'est demain. Nous, on en avait compté une vingtaine
depuis le 1er janvier. Là, si on additionne tout ce qui est ici, on en a
certainement une cinquantaine l'an dernier; cette année, des dizaines qui s'en
viennent. Et les gens qui viennent vous dire qu'ils vont peut-être fermer, ce
n'est pas de gaieté de coeur. Ils sont très proches de leurs usagers, ils
considèrent que c'est leur vie, ils y ont mis à la fois leur coeur, leurs
poches. On a eu des témoignages de gens qui ont vendu le chalet, la voiture
pour continuer à s'occuper de ces gens-là. Les familles sont aux abois. Qu'est-ce
qui va se passer? On veut que nos enfants, nos frères et soeurs restent dans un
endroit qui les a accueillis, qui leur a permis de devenir plus épanouis.
Alors, nous, on en appelle au premier
ministre, d'abord, de rencontrer ces gens-là après la période de questions, de
les écouter. Il a dit que, bon, il y avait eu des eaux difficiles l'an dernier
à cause de la rigueur puis que maintenant on pouvait avoir plus de compassion.
Bien là, c'est le moment de le démontrer. La première chose à faire,
immédiatement, c'est de revenir sur les coupures de lundi dernier et de
rétablir la mesure de maintien pour éviter les fermetures. Ça, c'est l'urgence
absolue, il faut éviter les fermetures en rétablissant les sommes de lundi
dernier et il faut revoir la façon de financer ces ressources-là.
L'outil est mauvais en soi. La façon dont
il est utilisé est contre-productive, et, comme vous venez de l'entendre, les
taux d'occupation sont extrêmement élevés, ce qui signifie que les usagers vont
être envoyés en CHSLD où ça coûte beaucoup plus cher ou, encore pire, dans des
ailes psychiatriques dans des hôpitaux où ça coûte encore plus cher. Donc, on
demande au gouvernement de se ressaisir, de montrer de la compassion, de faire
en sorte que ces personnes parmi les plus vulnérables puissent compter sur leur
État. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 49)