(Treize heures trois minutes)
M. Jolin-Barrette : Alors,
bonjour à tous. Aujourd'hui, la Protectrice du citoyen, Mme Raymonde
Saint-Germain, a déposé un rapport accablant sur les conditions de détention
des prévenus inuits dans la région du Nunavik ainsi que sur l'administration de
la justice pour ces individus-là qui sont accusés d'avoir commis une infraction
criminelle. D'entrée de jeu, ce que l'on constate, c'est que, dans les prisons
au Sud, c'est le Club Med, on constate que les détenus ont droit à des services
de zoothérapie, ont droit à de la pornographie et que, dans le Nord, c'est un
goulag. C'est deux poids, deux mesures. On attribue un statut de seconde zone
aux citoyens du Nunavik, et c'est inacceptable. Et on constate que cette situation-là
a été... laissée faire par le ministère de la Sécurité publique, qui a laissé
faire la situation, qui n'a pas demandé de compte-rendu, qui n'a pas évalué les
programmes qui étaient... l'argent qui était investi par l'association
régionale Kativik.
Donc, concrètement — et Mme
Saint-Germain l'a mentionné à plusieurs reprises lors de sa conférence de
presse — on a laissé faire les choses parce que les gens ne se sont
pas plaints. Et, lorsqu'ils ne se plaignent pas, bien, on n'agit pas. Le ministère
de la Sécurité publique a une responsabilité dans ce dossier, il a laissé
traîner les choses. Et ça nous amène à réaliser que les conditions de détention
de ces prévenus-là sont extrêmement graves. On parle d'une problématique au
niveau de la salubrité, au niveau des aliments, au niveau des conditions de
détention, au niveau de l'hygiène. On demande, comme la Protectrice du citoyen
le fait aujourd'hui, que les lieux soient désinfectés. On parle des mêmes
matelas souillés qui sont utilisés, l'absence de buanderie. Les conditions de
détention des individus inuits, des individus qui sont sur le territoire du
Nunavik sont déplorables.
On parle également que ces individus-là,
lorsqu'ils souhaitent faire une plainte, ils n'ont pas de possibilité de le
faire. Ils ont peu de possibilités aussi de contacter le Protecteur du citoyen.
On se retrouve dans une situation aussi où, lorsque les individus sont en
cellule et souhaitent faire leurs besoins naturels, bien, ils sont filmés. On
constate qu'il n'y a aucune mesure de dignité pour ces individus-là lorsqu'ils
se retrouvent dans l'unité carcérale avant d'être transférés. On constate aussi
que les individus n'ont pas accès aux douches. Donc, c'est des situations
dignes du goulag russe, où les prévenus n'ont pas de conditions acceptables. On
parle de surpopulation aussi dans les cellules. À un certain moment donné, dans
le rapport de Mme Saint-Germain, on parle de 25 personnes qui se
retrouvent dans l'unité carcérale, 7 personnes dans une même cellule. On parle
même, à un certain moment, où les femmes qui ont été incarcérées se retrouvent
à ne pas pouvoir dormir de la nuit parce qu'elles étaient trop nombreuses dans
une cellule.
L'autre élément important aussi au niveau
de l'administration de la justice, on se retrouve dans une situation où le
prévenu inuit qui est arrêté sur le territoire peut avoir jusqu'à 14 jours
d'attente avant d'avoir son enquête sur remise en liberté, 14 jours
d'attente. Le droit à la liberté est conféré à l'article 7 et 11 de la
charte. Donc, les gens ont le droit de faire contrôler leur habeas corpus.
C'est quoi, l'habeas corpus? C'est le fait de dire : L'État contrôle ma
liberté. Et là on se retrouve dans une situation où ces gens-là peuvent être
détenus jusqu'à 14 jours avant même qu'un juge évalue si on les remet en liberté.
Je vous dis, c'est une situation de deux
poids, deux mesures, les citoyens au sud du Québec n'ont pas... les citoyens au
nord du Québec n'ont pas les mêmes droits que les citoyens au sud du Québec,
c'est inacceptable. On se retrouve dans une situation aussi où cette... et la
Protectrice du citoyen le mentionne, c'est possible d'installer de la
visioconférence. On est rendus en 2016, c'est possible d'utiliser des moyens
technologiques, et ça serait à moindre coût. Mme Saint-Germain le souligne,
dans son rapport, les coûts associés au transport de personnes, on part des
villages du Nunavik, Montréal, Saint-Jérôme, Amos, et ensuite les gens, s'ils
sont libérés, retournent dans le Nord, au Nunavik. Donc, c'est complètement
inacceptable, d'autant plus que les familles ne peuvent pas nécessairement
accompagner ces individus-là dans l'éventualité où ils sont détenus pendant ces
journées-là.
Tout ça pour vous dire que, suite au
rapport accablant de la Protectrice du citoyen, j'ai écrit au président de la Commission
des institutions, M. Guy Ouellette, pour que la commission se saisisse
d'un mandat d'initiative. Donc, je souhaite que le mandat soit entendu
rapidement, notamment pour étudier la question et pour que le gouvernement
agisse, parce que ce n'est pas normal que le ministère de la Sécurité publique
soit obligé de réagir suite au rapport de la Protectrice du citoyen. Il y a
déjà des rapports qui ont été faits au cours des dernières années, notamment le
Barreau, sur l'administration de la justice. C'étaient des éléments qui étaient
connus, et ça prend un rapport pour que le ministère de la Sécurité publique se
réveille.
Donc, nous, ce qu'on veut, c'est entendre
les différents intervenants. Vous voyez qu'il y a de la discrimination au
niveau du traitement des dossiers des citoyens, en ce sens où les conditions de
détention ne sont pas les mêmes et qu'elles sont inacceptables, et également
aussi au niveau des... on veut entendre les principaux acteurs concernés
relativement à l'Administration régionale Kativik, qui est le mandataire, sur
le territoire, du ministère de la Sécurité publique, et la Protectrice du
citoyen l'a mentionné. Elle nous indique qu'il n'y a pas un manque de
ressources, et on fait le lien avec le pont aérien entre les villages du Nord
québécois et la ville d'Amos. Actuellement, lorsqu'on fait le transfert entre
les villages du Nord et Montréal, on parle de 6,5 millions de dollars,
annuellement, de coûts que ça coûte aux contribuables, et ça a déjà été étudié,
et elle pense qu'un pont aérien avec Amos serait peut-être moins coûteux que
l'ensemble des transferts en matière de ressources humaines, en matière de
coûts aériens pour se diriger vers Montréal et également pour le transfert vers
Saint-Jérôme et vers l'Abitibi, vers Amos.
Donc, concrètement, une des situations
illustrées dans le rapport de la Protectrice du citoyen va se situer au
paragraphe 69 de son rapport, et je vais vous le lire parce que c'est des
conditions de détention qui sont extrêmement choquantes : «Au poste de
police de Puvirnituq, l'unique réfrigérateur — situé dans le secteur
des policiers — est utilisé par les agents des services correctionnels
pour ranger la nourriture de personnes incarcérées et leurs propres repas.» Et
c'est là que ça devient intéressant : «Le Protecteur du citoyen a aussi pu
constater que les trousses médicales utilisées comme preuves à la suite
d'agressions sexuelles — utilisées et non nettoyées — sont
placées à côté de la nourriture des personnes incarcérées et de celle des
responsables de leur garde.» Cette situation-là est extrêmement préoccupante, à
la fois, bon, pour les détenus, mais à la fois aussi pour les victimes
d'agression sexuelle, qui, lorsqu'elles portent plainte à la police, se
retrouvent avec une trousse qui est peut-être souillée. Donc, c'est des
conditions d'administration de la justice qui sont totalement inacceptables.
Comme je vous le disais, on traite les
citoyens inuits du Nunavik comme des citoyens de seconde zone au niveau de…
lorsqu'ils sont prévenus, en matière de détention. Donc, concrètement, je vous
le disais, dans le Sud, c'est le Club Med et, dans le Nord, c'est le goulag. Je
vous remercie.
M. Gagné (Louis) : Vous parlez
de citoyens de seconde zone, iriez-vous jusqu'à dire qu'il y a une forme de
racisme institutionnalisé? Est-ce que c'est le racisme qui est à la base de
cette politique-là, de cette indifférence, du fait qu'on les traite comme des
citoyens de seconde zone?
M. Jolin-Barrette : Non. Je
pense qu'on a une responsabilité collective d'assurer, sur l'ensemble du
territoire québécois, les mêmes services pour tous les citoyens. Puis je pense
que le ministère de la Sécurité publique doit absolument mettre en vigueur les
recommandations de la Protectrice du citoyen, dans un premier temps, et assurer
que la justice et aussi la sécurité publique qui est faite dans le Nord soient
adaptées à la réalité des individus et des communautés qui s'y trouvent.
M. Gagné (Louis) : Plusieurs
des problèmes énoncés dans le rapport tiennent du fait qu'il n'y a pas de
centre de détention en tant que tel au Nunavik, c'est pour ça que les détenus
sont incarcérés temporairement dans un centre de police ou des endroits du
genre. Or, on a appris ce matin… la protectrice rappelait qu'en 2007 le
gouvernement avait renoncé à construire un établissement de détention, qui
était pourtant prévu, au nord du 49e parallèle, pour favoriser d'autres
mesures. Qu'est-ce que vous pensez de cet abandon-là de la construction d'une
prison dans le Nord?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, il y a 10 ans, il y avait eu un forum inuit tenu par l'ancien
premier ministre Charest. On a constaté, avec le rapport de la Protectrice du
citoyen, qu'on se retrouve dans une situation où c'est déplorable.
Pour ce qui est de la question de la
construction du centre correctionnel, à l'époque il y avait un choix qui avait
été fait d'investir dans des programmes pour lutter contre la criminalité au
niveau de la prévention, mais on constate qu'à la fois l'Administration
régionale et le ministère de la Sécurité publique n'ont pas fait le suivi
approprié.
Et il faut se questionner aussi parce
qu'il y a une augmentation de la population carcérale inuite dans le système
carcéral québécois. Donc, il faut s'adresser à la source même de la raison
pourquoi est-ce qu'il y a une surreprésentation. Est-ce que les programmes qui
ont été mis en place sont adaptés? Est-ce que l'argent est dépensé
correctement? Et c'est pour ça qu'on veut notamment avoir le mandat
d'initiative, pour s'assurer que les sommes qui sont investies, bien, que les
Inuits puissent en bénéficier et que les programmes qui sont mis en place
répondent aux problématiques sociales qui se trouvent sur le territoire
nordique du Québec.
M. Croteau (Martin) : Pour
vous, le fait que les victimes de cette situation-là, ce soient, comme par
hasard, juste des Inuits, qui, comme par hasard, habitent super loin des
centres urbains, vous ne trouvez pas qu'il y a le moindre soupçon de racisme
dans ça?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, la Protectrice du citoyen, je pense qu'elle l'a bien mentionné. Elle a
dit, lors de sa conférence de presse : Quand les gens ne se plaignent pas,
il n'y a pas de problème. Le ministère de la Sécurité publique a ignoré les
citoyens qui sont sur le territoire du Nunavik et les a traités comme des
citoyens de seconde zone.
M. Croteau (Martin) : Ça n'a
rien à voir avec le racisme? Il n'y a aucun fond de racisme là-dedans?
M. Jolin-Barrette : Écoutez,
je ne souhaite pas qu'il y ait du racisme. Je ne suis pas la personne désignée
pour évaluer est-ce qu'il y a ou non. Je ne suis pas sur place dans le Nord
québécois. Mais il y a une chose qui est sûre, c'est qu'en tant que
parlementaire élu à l'Assemblée nationale, je veux que les citoyens, peu
importe où ils sont sur le territoire québécois, puissent avoir droit aux mêmes
services et surtout, au niveau de l'administration de la justice, que leurs
droits soient respectés.
Donc, les droits... que vous soyez au
Nord, au Sud, à l'Ouest ou à l'Est au Québec, il faut que les garanties
procédurales qui sont données aux individus soient les mêmes.
M. Croteau (Martin) : Comment
vous qualifieriez la manière dont le gouvernement du Québec a géré la situation
carcérale dans le Nord québécois?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, je pense que c'est vraiment problématique. On le voit avec le rapport
de la Protectrice du citoyen aujourd'hui, là, c'est un échec lamentable. Ce n'est
pas normal que des individus se retrouvent en détention provisoire en attente
d'être transférés, que ça puisse prendre 14 jours avant qu'il y ait une
enquête de remise en liberté, que les draps qu'on leur donne soient souillés,
qu'il n'y ait pas de service de buanderie, que l'endroit soit surpeuplé
d'individus, que les repas soient froids et qu'il y ait des conditions de
salubrité inacceptables.
La Protectrice du citoyen... je pense que
c'est vous qui l'avez dit en conférence de presse, vous lui avez demandé si...
est-ce que c'était une situation d'apartheid. La Protectrice du citoyen a dit
que c'était une situation où on a évité de regarder le problème. Et je pense
que, dès maintenant, c'est important de s'y adresser.
M. Croteau (Martin) : À quel
point y a-t-il une responsabilité politique, à cette situation-là, au
gouvernement du Québec?
M. Jolin-Barrette : Bien, à
partir du moment où le ministère de la Sécurité publique, c'est celui qui est
chargé d'administrer les services de police, qui est chargé d'administrer la détention
des individus, il doit se conformer aux lois en vigueur au Québec. Et, à partir
du moment où le ministère de la Sécurité publique ne remplit pas ses
obligations et surtout de suivi avec les administrations régionales, bien, c'est
la responsabilité politique qui est mise en cause. Et ce n'est surtout pas un
motif d'exonération pour le gouvernement.
M. Croteau (Martin) : Donc,
cet échec lamentable que vous décrivez, c'est les politiciens qui en sont
responsables à Québec.
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
vous savez que le ministère de la Sécurité publique est dirigé par le ministre
de la Sécurité publique. C'est un dossier préoccupant, et je pense que le ministre
de la Sécurité publique doit, dès aujourd'hui, mettre en place les mesures correctives,
tel que demandé par la Protectrice du citoyen. Puis c'est pour ça, d'ailleurs,
qu'on souhaite avoir la commission parlementaire pour s'assurer aussi du suivi
des éléments, parce que, manifestement, le ministère de la Sécurité publique n'a
pas fait sa job, puis la Protectrice du citoyen l'a fait à sa place.
M. Gagné (Louis) : Donc, non
seulement le ministère n'a pas fait son travail, mais il a fermé les yeux, c'est
un peu ce que vous dites. Parce que ça fait des années qu'il y a des rapports
du Barreau, ça fait des années que le ministère est au courant, mais, comme
personne ne se plaignait, on n'a pas mis en place de mesure, donc ça revient à
avoir fermé les yeux sur ce qui se passait.
M. Jolin-Barrette : C'est à
peu près ce que la Protectrice du citoyen a dit dans son rapport aujourd'hui en
conférence de presse. Elle a dit : Puisque les individus ne se sont pas
plaints, on ne s'en est pas occupé, le ministère de la Sécurité publique ne s'en
est pas occupé. Et je ne pense pas que c'est une raison, lorsque les gens ne se
plaignent pas. En tant qu'administration publique, en tant qu'Administration gouvernementale,
le gouvernement a la responsabilité de donner les mêmes services et de donner
les mêmes garanties procédurales à tous les citoyens québécois, peu importe où
ils se trouvent sur le territoire du Québec, que vous soyez au Nord, au Sud, à
l'Est ou à l'Ouest. Merci.
(Fin à 13 h 17)