(Neuf heures trente-trois minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour, tout le monde! Merci d'être ici. Vous avez sans doute vu la nouvelle,
ce matin, comme quoi le gouvernement refusait d'aller de l'avant pour donner
suite au rapport sur la réforme du droit de la famille. Donc, cette réforme,
essentielle et urgente, était carrément paralysée. Alors, écoutez, ce n'est pas
rien, ce qui est en train de se passer. C'est le refus, carrément, d'adapter
notre droit de la famille aux nouvelles réalités familiales d'aujourd'hui, de
la société de 2016.
Ce rapport très important, qui a été
déposé pratiquement il y a un an jour pour jour, c'était le 8 juin l'année
dernière, par le Pr Alain Roy et toute son équipe, vise justement à mettre de
l'avant des recommandations pour que notre droit de la famille soit conforme
aux nouvelles réalités. On pense notamment, bien sûr, au fait que les unions de
fait sont maintenant dominantes, que la majorité des enfants naissent désormais
dans des unions de fait plutôt que dans des mariages. On pense aussi à toute la
place, donc, que les beaux-parents peuvent être appelés à prendre dans la vie
des enfants. On pense aussi, bien entendu, à la question des mères porteuses,
qui est également discutée dans le rapport. Et on pense aussi, entre autres
choses — parce qu'il y a énormément de matière dans ce rapport — à
toute la question de la connaissance des origines pour les personnes adoptées, parce
qu'encore là ça fait des mois que la ministre de la Justice nous promet qu'il
va y avoir un projet de loi sur la réforme de l'adoption pour permettre aux
personnes adoptées de connaître leurs origines. Or, ce n'est toujours pas le
cas. C'est un des autres enjeux qui est discuté dans ce rapport.
Ce qui est très grave aujourd'hui, c'est
qu'on apprend que, malgré le fait que ça fait déjà un an que ce rapport-là est
entre les mains de la ministre de la Justice, on a décidé carrément de le
tabletter. C'est d'autant plus grave parce que vous avez vu comme moi, au cours
des derniers mois, qu'il y a de ces enjeux qui deviennent urgents si on ne veut
pas que ce soient les tribunaux qui réécrivent de a à z notre droit de la
famille. On pense, bien entendu, à toute la question du mariage qui a fait
couler beaucoup d'encre au cours des derniers mois avec une décision qui est
venue dire en quelque sorte qu'un mariage pouvait être une simple union
spirituelle qui n'aurait pas d'impact juridique, ce qui a bouleversé non
seulement la communauté juridique, mais qui a ébranlé toutes les colonnes, je
vous dirais, du temple du droit de la famille parce qu'évidemment le mariage
est une institution de base, et ça prend une sécurité juridique. Et la position
de la Procureur général a été absolument étonnante, voire choquante. Et ce sont
des enjeux qui sont importants. Donc, en voici un.
L'autre, évidemment, c'est celui des mères
porteuses, avec une décision récente de la Cour d'appel qui est en train, en
fait, de changer l'état du droit aussi sur la question des mères porteuses en
venant dire ni plus ni moins que la mère porteuse qui porterait l'enfant
pourrait être complètement ignorée par la suite. Elle n'est même pas obligée,
donc, d'être reconnue comme mère biologique à l'état civil, dans une déclaration
à l'état civil. Alors, ce sont, comme vous le voyez, des enjeux majeurs, et ce
n'est pas vrai qu'on ne va pas s'en saisir comme élus à l'Assemblée nationale.
Moi, ça fait déjà trois mois que j'ai
interpellé la ministre, que j'ai dit, devant, je vous dirais, cette crainte que
le gouvernement n'ose pas, puisque je voyais les mois s'accumuler sans qu'il y
ait le moindre signe d'action... J'avais cette crainte que le gouvernement
libéral refuse d'aller de l'avant, refuse de réformer le droit de la famille parce
qu'on sait que ce n'est pas un gouvernement qui est particulièrement porté sur les
réformes et le courage politique. Alors, j'avais dès lors, dès le mois de mars,
dit que ça prendrait une commission non partisane où le législateur, où les
élus de l'Assemblée nationale mettraient en branle un processus de consultation
non partisane pour pouvoir donner suite au rapport et pouvoir le faire avec une
loi qui pourrait s'ensuivre avant la fin, donc, du présent mandat de la
présente législature, donc avant 2018.
Alors, malheureusement, mes prémonitions
se sont avérées. Le gouvernement, aujourd'hui, on le voit noir sur blanc,
refuse de donner suite à la réforme. Et nous allons aujourd'hui proposer une
motion pour que l'Assemblée nationale se saisisse de cet enjeu via une commission
pour faire en sorte qu'on amorce le processus de réforme de notre droit de la
famille, qui est un processus qui concerne absolument tout le monde parce que c'est
à la base, bien sûr, de notre organisation sociale, le droit de la famille.
Alors, cette motion va être déposée aujourd'hui, après la période des questions.
Et je pense que, particulièrement en ce moment avec ce qu'on voit, ce qui se
vit au niveau du gouvernement fédéral sur la question de la fin de vie, de
mourir dans la dignité, on devrait réaliser que c'est aux élus, comme on l'a
fait au Québec avec la consultation sur mourir dans la dignité, de faire ces
débats-là, de mettre en place le meilleur forum qui va assurer le débat dans le
respect et l'avancement de tous, avec la population, sur des enjeux sociaux qui
concernent absolument tout le monde.
Alors, il me semble que, plus que jamais,
on devrait être convaincus qu'il ne faut pas laisser toute la place aux
tribunaux pour venir réécrire notre droit. On voit ce que ça fait au niveau
fédéral avec mourir dans la dignité versus comment on a réussi ici à le faire
de belle manière avec un consensus. C'est la même chose, c'est la même approche
qui doit s'appliquer aujourd'hui pour la réforme du droit de la famille.
M. Vigneault (Nicolas) :
Quelles sont les deux, trois modifications que vous souhaiteriez, là, des
choses vraiment urgentes qu'il faut absolument régler en termes de droit de la
famille?
Mme
Hivon
:
Bien, ce qui est très urgent, évidemment, avec ce qu'on a vu dans les derniers
mois, c'est de clarifier la portée du mariage dans nos institutions. Oui, le
mariage a des effets. Je pense que tout le monde le reconnaît. C'est noir sur
blanc dans le Code civil. Il faut bien sûr réitérer ça.
L'autre question qui est très, très importante,
c'est toute la question des effets des unions de fait. Est-ce qu'on veut rester
dans le même régime actuel, où il n'y a absolument aucun effet, ou, par exemple,
comme le propose Alain Roy — c'est, je pense, quelque chose qu'on
doit observer, on doit regarder cette avenue-là sans aujourd'hui présumer de la
réponse qu'on devrait y apporter — est-ce que, quand il y a des
enfants, il devrait y avoir certaines balises de base qui font en sorte qu'il
pourrait y avoir un encadrement? C'est une question qui est soulevée dans le
rapport. Même chose pour les droits des beaux-parents. Vous savez, vous pouvez
être élevé par votre mère biologique qui va se remarier quand vous avez deux
ans et, jusqu'à l'âge de 14 ans, être élevé à peu près par cette personne-là.
Et donc, quand, par exemple, les parents se séparent, l'enfant n'a plus le
droit de voir cette personne-là ou vice versa. Et ça, ça peut être aussi un
enjeu. Ça fait partie des nouvelles réalités.
Puis, bien sûr, la question des mères
porteuses, il faut savoir qu'à l'heure actuelle, c'est complètement ignoré,
c'est-à-dire que notre droit ne reconnaît pas du tout les contrats de mère
porteuse, sauf que les tribunaux sont venus un peu mettre des balises pour
faire en sorte qu'il n'y ait pas de drames qui se vivent ou de problèmes légaux
importants.
Donc, évidemment, moi, je ne veux pas aujourd'hui
dire toutes les orientations qui devraient être prises. La beauté de travailler
avec la population sur ces enjeux-là, c'est de se donner un espace de
discussion. Mais je pense que vous voyez à sa face même qu'il y a énormément
d'enjeux, et on ne peut plus attendre. Ça fait des années que c'est discuté. Le
rapport a été déposé il y a un an, et ça fait des mois qu'on réclame la mise
sur pied d'une commission non partisane sur cette question-là. Il est vraiment
temps d'agir, et, aujourd'hui, c'est très, très inquiétant de voir que le gouvernement
se refuse d'aller de l'avant avec la réforme du droit de la famille.
M. Boivin (Simon) : Je
comprends que la ministre Vallée semblait favorable à l'idée d'aller de l'avant,
elle avait même préparé un document de consultation qui aurait pu être mis en
ligne, et tout, mais qu'au bureau du premier ministre on dise qu'il y a tellement
d'éléments dans le rapport de M. Roy qu'on ne sait pas par quel bout
prendre ça. Comment vous décodez ça?
Mme
Hivon
:
Bien, c'est un gouvernement qui refuse de s'attaquer aux vrais enjeux qui, oui,
peuvent soulever des questions. Mais, si ce n'est pas nous, comme élus, qui
faisons ce travail-là, ça veut dire quoi? Ça veut dire qu'on abdique nos responsabilités?
Ça veut dire qu'on fait comme le fédéral a fait par rapport à la question du
suicide assisté puis de l'aide à mourir puis on attend que les tribunaux nous forcent
la main comme c'est en train de se passer? Ça n'a pas de bon sens. C'est notre
responsabilité.
M. Boivin (Simon) : Est-ce
qu'on craint des répercussions électorales, selon vous, en soulevant des enjeux
délicats?
Mme
Hivon
: Bien
écoutez, c'est à eux de s'expliquer. Bien honnêtement, ce matin, moi, en fait,
je veux donner un coup de pouce. Si la ministre Vallée voulait aller de
l'avant, je salue ça, mais je pense que, là, il faut sortir ce dossier-là des
mains du gouvernement, comme moi, je le suggère depuis des mois parce que je
sentais que ce dossier-là traînait, je sentais que le gouvernement n'avait pas
ce courage politique. On se comprend quand même qu'on n'est pas en train de
faire quelque chose qui n'a pas de bon sens, là. Ça devrait aller de soi de
mettre notre droit de la famille à jour avec les réalités d'aujourd'hui. C'est
juste ce dont on s'attend d'un gouvernement responsable. Mais faisons-le,
faisons-le, nous, comme législateurs, comme députés, faisons-le dans une
commission un petit peu sur le même modèle, avec une ampleur peut-être plus
limitée parce que le rapport est là et qu'il amène tous les enjeux. Le travail
de base, là, il est vraiment fait. Il est très étoffé, ce rapport-là. Alors,
c'est un comité très solide avec M. Roy, le Pr Roy, qui présidait ça. On a
la base. Donc, mettons-nous au travail. Et c'est dans ce sens-là qu'on va
déposer une motion aujourd'hui pour que les élus, de manière non partisane,
travaillent sur cet enjeu-là et qu'on se mette en marche pour avoir une réforme
du droit de la famille conforme aux attentes et à la réalité des familles
d'aujourd'hui.
M. Vigneault (Nicolas) : Sur
le droit fédéral, justement, C-14, votre réaction sur ce vide, là, qui semble exister.
Mme
Hivon
: En
fait, il n'y a pas de vide. Il n'y a pas de vide parce qu'il n'y a pas de vide
au Québec. C'est tellement un exemple du fait que, quand on est élu, il faut
prendre ses responsabilités. Ce n'est pas pour rien que les gens nous élisent.
C'est pour faire ces débats-là qui sont difficiles, c'est pour s'occuper de ces
enjeux-là qui les concernent et c'est pour pouvoir le faire d'une manière
respectueuse, encadrée, qui permet d'arriver à des consensus. Alors, c'est pour
ça que je trouve que le lien entre les deux dossiers, il est vraiment éloquent,
parce qu'on est dans le marasme complet au fédéral sur la question de mourir
dans la dignité. Pourquoi? Parce que les tribunaux ont décidé qu'évidemment
c'étaient eux qui devaient trancher la question parce que les gens ont saisi
les tribunaux. Pendant toutes les années où le Québec travaillait, le fédéral
n'a pas bougé d'un iota sur la question, même les autres provinces, et là ça
fait en sorte qu'ils sont devant le fait accompli, avec un échéancier
archiserré, et ça fait en sorte qu'aujourd'hui plus personne ne sait à quoi
s'en tenir dans le reste du Canada.
Heureusement, au Québec, la situation est
claire en ce qui concerne notre loi, bien entendu, et tout ça peut continuer à
s'appliquer. Mais le jugement aussi, de la Cour suprême, était clair, ce qui
veut dire que, contrairement à des choses qu'on entend, il n'y a pas de risque
pour les médecins parce que c'est le jugement, en fait, qui fait foi de loi à
partir d'aujourd'hui, à partir de maintenant, puisque la loi fédérale n'a pas
réussi à être adoptée en temps utile.
M. Vigneault (Nicolas) :
Quand on dit : La portion... Le Dr Barrette dit régulièrement... La
loi C-14, en fait, proposait «raisonnablement prévisible» pour ce qui est...
Est-ce que ça aussi, ça vous cause problème de ce côté-là?
Mme
Hivon
: Je
pense que tout le monde s'entend pour dire que c'est une notion qui est
excessivement floue, que les médecins n'ont aucune idée comment l'interpréter,
les parlementaires n'ont aucune idée comment l'interpréter. Alors, c'est
évident que c'est quelque chose qui ne va pas aider à clarifier les choses et c'est
effectivement quelque chose qui semble s'éloigner de la teneur du jugement de
la Cour suprême, qui était plus large. Mais encore faut-il savoir ce que ça
veut dire, une «mort raisonnablement prévisible». Et le fait est qu'après des
semaines de débats les parlementaires fédéraux ne semblent toujours pas savoir
ce à quoi précisément ça fait référence. Donc, ça, oui, c'est de nature à
inquiéter, bien entendu.
M. Boivin (Simon) : Vous vous
êtes peut-être déjà fait poser la question, excusez-moi si c'est le cas, mais
l'arrêt Carter, on entend souvent qu'il va plus loin que C-14, même, donc plus
loin que la loi québécoise aussi. Il y a quelques jours, le Dr Barrette
avait dit : Bien, à partir du moment où C-14 sera adopté, il va falloir
voir si nous, on veut songer à ce que notre loi québécoise aille plus loin
aussi. Est-ce qu'effectivement ça, c'est quelque chose qui va falloir
considérer compte tenu de l'arrêt Carter? Puis quel mode de réflexion devrait
être mis en place pour voir si, au-delà de ce qu'on a en place présentement, il
ne faudrait pas aller ouvrir à des personnes handicapées, par exemple?
Mme
Hivon
:
Bien, tout à fait, puis que notre loi... En fait, il va devoir y avoir la
réflexion et, selon moi, des changements. Moi, l'approche que je préconise, ce
n'est pas de changer notre loi sur les soins de fins de vie parce que, je le
répète souvent, notre loi, elle est sur cette étape de la fin de vie et elle
comporte beaucoup plus que juste des dispositions sur l'aide médicale à mourir.
Elle est très forte pour reconnaître le droit aux soins palliatifs, sur aussi
toute la question de... — voyons, j'ai oublié le terme — de
la... quand on endort quelqu'un — donc, je vais y revenir — la
sédation palliative continue, et l'aide médicale à mourir, puis tout
l'encadrement de ces soins-là. En fait, c'est vraiment une loi pour les
personnes en fin de vie, et donc il ne faudrait pas venir dénaturer la loi en
venant, en fait, mettre d'autres dispositions qui concernent des gens qui ne
sont pas en fin de vie mais qui auraient le droit à une forme d'aide à mourir.
Moi, je vois plus une autre loi sectorielle, très courte, qui, en fait, serait
une loi d'application des changements législatifs au niveau fédéral pour dire
que, dans telle, telle, telle circonstance, les dispositions de la loi sur les
soins de fin de vie en ce qui concerne l'aide médicale à mourir peuvent
s'appliquer à ces personnes-là. Ça, c'est la mécanique, je vous dirais,
législative que je vois.
Mais, oui, en fait, que ce soit par une
cohabitation ou par l'effet de l'application du jugement, s'il n'y a toujours pas
de loi fédérale qui est adoptée — parce que ça a l'air vraiment mal
parti, là, au niveau fédéral, on semble s'enligner vers plusieurs semaines de
débat supplémentaires — assurément qu'ici les choses vont évoluer,
vont changer, oui. Et je pense que c'est une bonne chose dans le sens que le
Québec pouvait aller jusqu'à un certain point, compte tenu de notre compétence
en matière de santé. Et évidemment le fédéral a une compétence plus large,
c'est-à-dire complémentaire, compte tenu du droit criminel, et, au Québec, ça
veut dire que, oui, on va pouvoir aller plus loin.
C'est bon? Merci beaucoup de votre
intérêt.
(Fin à 9 h 49)