(Treize heures trente-quatre minutes)
Mme Lamarre : Alors, bonjour à
tous. Je suis ici pour présenter le bilan des travaux des commissions
parlementaires sur le projet de loi n° 10. Alors, d'abord, d'entrée de
jeu, ce qui est prévu par le titre de ce projet de loi, c'est l'abolition des
agences. Or, on constate que c'est un faux prétexte. C'est une excuse, parce
que, dans le fond, ce n'est pas ça qui est visé par le projet de loi. Même pour
l'abolition des agences, on reconstitue une vingtaine de méga-agences. Donc,
l'enjeu n'est pas là, et c'est là que tous les groupes qui sont venus présenter
ont attiré l'attention du ministre sur différentes anomalies et qu'est-ce qui
était vraiment le fond de la motivation du ministre pour proposer ce projet de
loi n° 10.
Alors, le ministre s'impose à chaque
niveau de décision, que ce soit dans les dimensions de la santé ou des services
sociaux, et ça, c'est très clair, et ça a été repris, et ça se traduit par
plusieurs articles du projet de loi. Un morceau du casse-tête, en plus, qu'il
nous présente par ce projet de loi n° 10 là… et il le reconnaît lui-même,
c'est un morceau, et là il nous demande de prendre position sur ce morceau-là,
alors qu'on n'a pas du tout les autres éléments de sa réforme et, à plusieurs
reprises, et lui et sa ministre déléguée nous ont dit : On vous le promet,
c'est dans notre tête. Alors, nous, on le dit : Il faut l'écrire quand on est
sûr.
Alors, la notion de plan transitoire, il n'y
a rien actuellement dans le projet de loi n° 10 qui prévoit ça, mais tout
ce qu'on dit aussi, c'est : quand on fait un projet de loi, on doit avoir
la transparence de nous présenter l'ensemble des éléments qui sont prévus. Et
je vous dirais que, si on prend l'analogie du morceau de casse-tête, bien,
quand on commence à faire un casse-tête, si on a juste un morceau, on a au
moins la boîte autour qui nous montre l'ensemble de ce que ça devrait donner en
bout en bout de piste. Le ministre ne s'est même pas donné la peine de faire
ça. Et je peux vous dire que, s'il avait été exposé à un projet de loi comme
celui-là dans ses anciennes fonctions, quand il était président de la FMSQ, il
n'aurait jamais accepté qu'un tel projet de loi aussi partiel, aussi peu
éloquent, aussi... qui dissimule vraiment plein d'informations soit présenté et
qu'on puisse penser qu'on va orienter tout le réseau de la santé sur quelque
chose d'aussi partiel que ça.
Alors, ça, les groupes sont vraiment venus
manifester leurs préoccupations et ils ont parlé au nom des citoyens. J'entends
le ministre qui va dire : C'est la résistance au changement. Ce n'est pas
de la résistance au changement. On a eu des groupes communautaires, on a eu des
groupes de tous les niveaux, et ces gens-là témoignaient au nom des citoyens,
au nom des patients.
Alors, il y a des façons d'améliorer notre
système de santé. Et puis on n'est pas naïfs, effectivement, il y a des lacunes
dans notre système de santé.
Il faut améliorer, et la priorité que tout le
monde demande, c'est d'améliorer l'accessibilité. Cette accessibilité-là, on
est capable de la faire avec notre système actuel. Il faut avoir le courage, la
volonté de demander aux gens des résultats et de pousser ces résultats-là.
Et le Parti québécois, quand on était au
pouvoir, on l'a fait. On a fait, par exemple, en santé... on a augmenté la...
on a demandé aux GMF de respecter leurs ententes, leurs disponibilités
d'ouverture qui avaient été garanties dans les ententes le soir et les fins de
semaine, et ça s'est amélioré très rapidement.
Donc, dans notre système actuel, il y a
des façons de bonifier. Et je vous dirais que, si on avait des priorités sur
des changements, ce qu'il faut, c'est vraiment améliorer la communication
d'information. Et on le voit dans tous les systèmes de santé actuellement dans
le monde qui fonctionnent bien, il faut améliorer le système de communication,
et là-dessus, depuis 10 ans, 15 ans, le gouvernement n'a pas réussi à
faire en sorte, avec tout l'argent qu'on a englouti, à faire en sorte que notre
information circule dans notre réseau, entre les hôpitaux, entre les CLSC,
entre les pharmaciens, entre tous les différents acteurs de ce système de
santé.
Combien de fois les gens sont obligés de
faire des allers-retours dans le système de santé? Combien de fois ils sont
obligés de repasser des prises de sang parce que les résultats sont perdus,
parce que ce n'est pas arrivé? Même la communication entre les médecins de
première ligne et les spécialistes, elle est très déficiente. Et c'est ça qui
paralyse beaucoup notre système et qui coûte très cher également.
Donc, c'est certainement une piste de
solution sur laquelle le ministre a actuellement tous les pouvoirs pour agir,
et il ne le fait pas, en préférant orienter tout ça vers une grande
déstabilisation du projet de loi n° 10. Donc, il ne doit pas profiter des
écueils du système actuel pour s'arroger tous les pouvoirs, et c'est vraiment
ça qu'on constate et qui inquiète énormément.
Alors qu'est-ce que les gens veulent? Ils
veulent un meilleur accès, mais ils veulent également qu'on protège. Et là
l'investissement qui est fait, le choix que le gouvernement fait actuellement à
cause de l'austérité, mais aussi, je pense, par choix idéologique, c'est vraiment
de priver des dimensions de notre système de santé qui sont déterminantes sur
les économies à très court, moyen terme comme la prévention. Qu'on coupe 30 %
du budget sur la prévention, c'est inconcevable dans un contexte comme celui où
on est. La première ligne, elle peut être beaucoup plus performante. Les soins
à domicile, c'est ce que les gens veulent.
Alors, il y a une démocratisation
également au niveau de la participation des gens. Les organismes communautaires
sont venus nous dire : Écoutez, on tient le système à bout de bras. Dans
bien des cas, tout le travail qui doit être fait auprès des patients qui ont
des déficiences multiples et qui ont besoin d'être accompagnés à leurs domiciles,
c'est nous qui tenons ça. Ne venez pas défaire tous les liens qu'on réussit à
faire dans le réseau. Ça prend des années à construire ces liens-là pour
assurer le parcours des gens à travers le système de santé, et là vous venez
complètement nous saccager tout ça. Alors, il faut absolument qu'on puisse
faire mieux avec ce qu'on a et il y a des mesures concrètes.
Donc, je vous dirais que notre bilan du
projet de loi n° 10, c'est qu'il y a une fragilisation du réseau et il y a
également une démotivation du personnel du réseau. Et le réseau de la santé, ce
n'est pas une entreprise comme une autre, ce n'est pas une entreprise tout
court. Le réseau de la santé, c'est quelque chose qui performe avec des humains
qui sont au service d'humains. Et là ce qu'on a entendu vraiment, c'est des
préoccupations, de l'inquiétude, une démobilisation complète de tous ceux qui
constituent ce réseau-là, et je pense que le ministre ne pourra pas porter, à
lui tout seul, sur ses épaules, l'ensemble de tout ce qui est nécessaire pour que
le système donne aux gens les soins et les services sociaux dont ils ont
besoin. Je vous remercie.
Mme Prince (Véronique)
:
Mme Lamarre, est-ce que… Étant donné le contexte actuel des négociations qui
sont en cours, en fait, avec les syndicats, est-ce que vous pensez que leurs
revendications peuvent, en même temps, être transmises dans le cadre de la
commission parlementaire? Parce que c'est l'avertissement que fait M. Barrette.
Mme Lamarre : Bien, je pense
que les syndicats ont quand même manifesté de l'ouverture sur une amélioration,
sur des bonifications du système. Il n'y a pas eu une fermeture
inconditionnelle sur tous les éléments, et on voit que ce n'est pas juste les
syndicats qui sont venus nous parler non plus. Alors, il y a eu beaucoup,
beaucoup de gens, des organismes qui s'occupent de déficience intellectuelle,
de déficience physique, des gens qui s'occupent de personnes qui ont la maladie
d'Alzheimer, ces gens-là n'ont pas d'intérêt syndical. Ils sont là parce qu'ils
donnent des soins, ils sont attentifs aux citoyens. Alors, je trouve que c'est
une excuse facile un peu de transporter les enjeux de négociation.
Moi, j'ai été quand même intéressée de
voir que, dans les mémoires des parties syndicales, il y avait des suggestions,
il y avait des recommandations qui visaient à bonifier l'organisation et la
fluidité du système dont on parle tant.
Ce qu'on dit, c'est que ce n'est pas les
bons moyens. Le ministre a les moyens actuellement dans notre système actuel, et
ce qu'il s'approprie comme changement, c'est vraiment dévastateur pour
l'équilibre du système, et ça va prendre des années avant de retrouver cet
équilibre-là.
M. Caron (Régys)
: Mais
le ministre n'a pas l'unanimité contre lui pour les mêmes raisons, à savoir :
hypercentralisation du système, structure mammouth, pouvoirs disproportionnés
au ministre.
Est-ce que finalement la critique ne se
résume pas à ça, Mme Lamarre?
Mme Lamarre : Elle se résume
beaucoup à ça, mais je vous dirais que ce qui est encore plus fort, ce sont les
témoignages des gens qui viennent expliquer concrètement qu'est-ce que ça va
reprendre, qu'est-ce que ça va impliquer sur le terrain. Et, quand les gens
nous disent, par exemple, des gens du réseau communautaire pour l'Alzheimer qui
nous disent : Ça nous a pris des années à trouver les gens avec qui il
faut intervenir pour que les gens qui ont l'alzheimer aient un peu de répit,
les proches aidants qui s'occupent des gens qui ont l'alzheimer aient du répit,
puis on nous enlève ça… Quand des gens viennent témoigner, qui viennent de
subir une fusion des deux hôpitaux à Québec, qui disent : On a fusionné
1 600 médecins, ce n'est pas juste… ça ne se fait pas en claquant du
doigt, il faut standardiser des protocoles, il faut récrire tous les documents
qui permettent de standardiser les pratiques.
Quand on rentre dans un hôpital, il y a
des choses qui doivent se faire de façon planifiée et structurée, et ces
fusions-là viennent imposer des modifications de changement qui vont faire que
toute l'énergie qu'on a, qui n'est déjà pas si grande que ça dans notre système
de santé, va être canalisée sur des changements de papiers, alors qu'on nous
prévoyait que ça enlèverait la paperasse. Ça va être sur des changements de
documents qu'on va devoir travailler plutôt que développer des soins et surtout
améliorer la circulation du patient dans tout notre système de santé. C'est là…
Mme Dufresne (Julie)
:
Le ministre Barrette a dit, depuis quelques semaines déjà, que ce projet de loi
là allait mettre en place un système transitoire qui allait être complété d'ici
la fin du mandat. Est-ce qu'il n'y a pas lieu d'essayer de lui donner une
chance et de voir si ça n'améliorera pas, finalement, le système?
Mme Lamarre : D'abord, ce n'est
pas écrit nulle part que c'est transitoire. Donc, dans le projet de loi
n° 10, non seulement ce n'est pas écrit, mais il n'y a vraiment rien qui
ne laisse croire à un caractère transitoire. En plus, le caractère transitoire
qu'il a évoqué, c'était seulement sur une dimension, c'est-à-dire la
possibilité de nommer les gens du conseil d'administration. Mais, si vous
regardez, il y a 165 articles, il y en a 164 autres sur lesquels il s'attribue
énormément de pouvoir et, sur ceux-là, il n'a pas parlé de caractère
transitoire du tout.
M. Robillard (Alexandre)
:
Est-ce que vous pensez… Avez-vous espoir que les amendements vont rendre ce
projet de loi là acceptable?
Mme Lamarre : On va travailler
avec le plus de collaboration possible, mais beaucoup d'organismes sont venus
nous dire qu'il fallait vraiment que le ministre retourne et revoit complètement
son approche et ses priorités. Nous, on est dans un contexte où on va essayer
de faire en sorte qu'on va bonifier certains éléments, mais les éléments sur
lesquels il a évoqué une certaine ouverture dans les amendements, je vous
dirais que ce sont plus des éléments géographiques. On va réaménager le CISSS,
on va en faire deux à une place où il y en a un, mais il n'y a rien, au niveau
des éléments déterminants, des choix qu'il se permet, du pouvoir qu'il se
permet d'avoir, où il a remis des choses en question.
M. Robillard (Alexandre)
:
Comment vous allez vous positionner par rapport au principe de ce projet de loi
là?
Mme Lamarre : On verra en
cours de route. Ce sera certainement quelque chose qu'on va regarder à la
lumière de l'ouverture du ministre ou de sa non-ouverture.
M. Robillard (Alexandre)
:
Mais, je veux dire, pour l'instant, vous êtes ouverts à l'adoption de principe
ou…
Mme Lamarre : Pour l'instant,
on ne voit pas beaucoup d'éléments qui sont réconciliables avec l'amélioration
de l'accessibilité aux soins. C'est la priorité. C'est ce que les gens nous
disent, c'est ce que les Québécois nous demandent, et donc on demande au ministre
de nous donner des confirmations qu'il y aura vraiment amélioration de l'accessibilité
aux soins avec son projet.
M. Caron (Régys)
: Vous
avez dit que le projet de loi dissimule beaucoup d'informations. Tout à l'heure,
la CSN disait, par exemple… on appréhende que le ministre se donne le pouvoir
de donner certaines missions au privé. Est-ce que vous avez la même
compréhension?
Mme Lamarre : L'article 55,
l'alinéa 12° donne tout à fait ça. Il y a également un autre article qui donne
au ministre la possibilité de faire des fusions à volonté. Alors, il y a
plusieurs articles qui sont importants et qui sont, je vous dirais,
déterminants dans sa capacité de modifier les structures.
Alors, quand il a dit ce matin : Il
n'y aura pas un point de service qui va être changé, il n'y aura pas… il s'est
donné, en tout cas, tout le pouvoir. Et, dans la transparence, il y a la
dimension aussi qu'il ne veut pas… il veut pouvoir se soustraire à l'obligation
de publication des règlements à la Gazette officielle. Bien là, si on
est dans un contexte où il se fait déjà reprocher de ne pas avoir fait de
consultation avant puis qu'il ne veut pas reconsulter les gens après ou qu'il
ne veut pas permettre aux gens d'analyser ces modifications, ça donne… ça
envoie un message qui est très questionnable.
M. Harrold (Max) : Mme Lamarre, so you're basically saying this is a power grab by the
Minister. He's just looking for more power.
Mme Lamarre :
He's looking for more power, and we would like him to be focused on more
outcomes. This is what we want and what we need in our healthcare system, and
we have nothing about outcomes in this project.
M. Harrold (Max) :
Can you be more specific? Outcomes, what do you mean?
Mme Lamarre :
Outcomes for primary care, for homecare, for prevention measures. We don't see
anything about that, and, even when he answers to the questions, he never gives
any information or a kind of vision of what he really wants to do with this
power.
M. Harrold (Max) :And also, you mentioned community groups. Some of them
were Anglophones who were very worried about their control that they currently
have over their healthcare institutions or bilingual healthcare institutions.
What is your concern? Do you have any about Anglophones and their healthcare
system?
Mme Lamarre : These groups told us that they were... they finally found a kind of
«équilibre», you know, they found a way to be recognized, to be listened in
this health system, and they don't want this... they don't want to lose that.
And they said that it took them many years to get there, and now it works well.
So they don't want to take the risk of decreasing their relationship and their
way to receive care and also give their input to this healthcare system.
Mme Plante (Caroline)
: Will amendments make this bill acceptable, amendments?
Mme Lamarre : You know, there is... we need to have a lot of amendments and, for
now, we are not sure that we will find a way where access to care, primary care
and home care, will be more confirmed. We don't have any proof that we will get
a confirmation that community groups and prevention measures will be increased
and will be more effective. So we will have to look at what the Minister will
propose, but, for now, there is a need to big changes.
Mme Plante (Caroline)
: Are you planning on voting against the adoption in principle?
Mme Lamarre : At this moment, we don't have our mind completely ready for that.
We will listen to him. As long as we don't have amendments, we will wait for
information. But we will follow it very closely because we have a lot of
questions. Merci.
(Fin à 13 h 50)