(Quatorze heures trois minutes)
M. Khadir
: Bonjour.
Nous sommes ici devant vous pour parler de nos graves préoccupations par
rapport à l'inversion de la ligne d'Enbridge pour le transport pétrolier vers
l'Est du Canada à travers le territoire québécois et, surtout, en dessous de
ces milliers de rivières, avec des risques importants pour la santé des populations.
Nous accueillons à l'Assemblée nationale aujourd'hui
Mme Lorraine Caron, qui est Ph. D., qui a travaillé pendant de
nombreuses années pour le gouvernement, en fait, pour ce qui est devenu plus
tard l'INESSS, pour l'évaluation des technologies dans le domaine de la santé.
Elle est spécialisée dans l'étude et l'analyse de l'information scientifique
pour aider à des décisions publiques. Et, comme c'est une citoyenne de la
région de Vaudreuil-Soulanges, qui sont véritablement les... qui constitue la
vigilance qu'exerce, sur notre territoire, les gens pour savoir qu'est-ce qui
arrive à notre territoire puis à son usage puis les risques que ça représente
pour notre population. Il suffit juste de se rappeler à quel point le pétrole
pourrait être dangereux. Rappelons-nous de Mégantic.
Donc, Mme Caron est ici pour donner
son évaluation du rapport qui a été déposé par le ministre aujourd'hui même en
Chambre sur l'unité de vigilance qui avait été mise sur pied par la commission
de l'agriculture lorsque la commission, contrairement à ce que Québec solidaire
recommandait, les autres partis ont accepté l'inversion de la ligne d'Enbridge,
ont imposé un certain nombre de conditions dans lesquelles il y avait cette
unité de vigilance, mais qui déçoit énormément.
Mme Caron (Lorraine) : Merci,
M. Khadir. Bonjour. Mon nom est Lorraine Caron, comme... et je viens de
Vaudreuil-Soulanges, je viens de Saint-Lazare. Et, dans la région de
Vaudreuil-Soulanges, 60 % de la population s'alimente en eau potable
avec les eaux souterraines. Donc, c'est un élément très important pour nous,
parce que les risques d'un oléoduc qui traverse, finalement, notre région et
qui peut comporter des fuites importantes, qui sont difficiles, indétectables,
finalement, parce que le pipeline est sous la terre, ce sont des éléments très
importants de risque pour nous.
C'est sans compter que l'oléoduc traverse
la rivière des Outaouais, et la rivière des Outaouais, selon les données
d'Enbridge, il y aurait possiblement, s'il y avait une rupture majeure au
niveau de la rivière, 957 000 litres de pétrole en 13 minutes
qui pourraient s'y déverser. Donc, ça, ça pourrait compromettre l'alimentation
en eau potable d'une grande partie de la population du Grand Montréal, au-dessus
de 2,5 millions de personnes.
Donc, aujourd'hui, le ministre Arcand a
déposé en Chambre le rapport de l'unité de vigilance permanente sur les
hydrocarbures, unité qui avait pour mandat d'examiner les 18 recommandations…
en fait les 17 autres recommandations de la CAPERN au sujet de... pour
finalement arriver à une forme d'acceptabilité sociale de ce projet-là. Mais,
d'après ce que nous avons pu constater, les recommandations de la CAPERN ont...
l'unité n'a pas renforcé ces recommandations d'une façon satisfaisante.
Je fais partie d'un groupe qui s'appelle
Les Citoyens au Courant. Nous sommes un groupe de citoyens qui avons comme objectif
d'informer nos concitoyens ainsi que les élus municipaux, les élus au niveau du
Québec également au sujet des risques. Et ce qui semble ressortir du rapport de
l'unité de vigilance, c'est qu'on considère que les risques ne sont pas
augmentés du fait de l'inversion du flux. Et j'aimerais signaler que nous avons,
dès le mois de mars dernier, nous avons transmis un ensemble d'informations au
sujet des risques du projet à l'unité de vigilance permanente sur les
hydrocarbures et nous aimerions répondre, à cet effet-là, qu'il n'y a pas de
risques augmentés. Je crois que les risques sont très importants.
Nous avons parlé de risques de fuite
lente, surtout que les systèmes de détection à distance de la compagnie
Enbridge, qu'il emploie sur son pipeline, ne permettent pas de détecter des
fuites de moins de 588 litres à la minute. Donc, ça, c'est très important,
parce que ça peut laisser échapper jusqu'à 1,5 % du volume de pétrole
transporté sans qu'on puisse savoir les autres méthodes pour détecter les
fuites, si c'est de la surveillance aérienne, si c'est de l'inventaire avant et
après. Mais c'est quand même un risque important pour notre eau souterraine,
pour nos terres agricoles.
On a parlé du risque de déversement majeur
dans la rivière Outaouais, mais il y a également d'autres éléments. Les autres
éléments, c'est qu'il n'y a pas juste l'inversion du flux de l'écoulement du
pétrole qui est un changement, d'autres changements sont importants. Le volume,
on parle de 300 000 barils par jour. On dit souvent qu'on va passer
de 240 000 à 300 000. C'est faux. 240 000, c'est une capacité
autorisée en 1997, mais ça ne reflète pas la capacité réelle qui s'est passée
dans les dernières années. On devrait plutôt penser à 64 000 barils
par jour. C'étaient les données d'Enbridge au cours des années 2009, 2010, lors
des dernières années d'opération.
Donc, il va y avoir une augmentation très
importante parce que présentement la canalisation est vide. Elle est vide
depuis environ 17 mois. Elle est inactive depuis que l'autre partie du
tronçon a débuté le transport du pétrole. Et donc, on va partir de zéro jusqu'à
300 000 barils par jour.
Un autre élément important, c'est de
changement, qui, à mon avis, est important pour les risques. C'est qu'on a
plusieurs types de pétrole qui vont être transportés dans cette
canalisation-là, pas seulement du pétrole léger, mais du pétrole issu des
sables bitumineux, du pétrole de schiste issu du Dakota du Nord. Et ça, ça fait
en sorte qu'il va y avoir des changements, des variations dans les cycles de
pression dans cet oléoduc-là, et ces variations-là, il faut en prendre compte
parce que, même si la pression maximale de service autorisée en 1997 ne sera
pas dépassée, au cours des 10 dernières années, la pression maximale qui a été
atteinte est très loin des pressions maximales autorisées. Donc, il y a un
élément nouveau à cet effet-là.
Un autre élément nouveau, c'est que, finalement,
au niveau des éléments nouveaux… Non, c'est faux, il n'y a plus rien. Mais ce
que j'aimerais amener, c'est la question des tests hydrostatiques, parce que Les
Citoyens au Courant, ce qu'on a fait depuis 2013, nous avons, premièrement,
préparé un mémoire que nous avons envoyé à l'Office national de l'énergie au
sujet de ce projet. Nous avions également déposé un mémoire pour la commission
de l'agriculture, des pêcheries, donc pour le rapport de la CAPERN, et finalement
nous avons fait une campagne de mobilisation des élus municipaux en faveur des
tests hydrostatiques. On a eu plus d'une vingtaine de municipalités, les six
MRC le long du tracé de l'oléoduc ont toutes exigé un test hydrostatique, la
Communauté métropolitaine de Montréal a exigé les tests hydrostatiques.
Maintenant, on arrive avec une unité de vigilance qui dit qu'ils ne se
prononcent pas sur les tests hydrostatiques, qui dit qu'il faut être prudents
et qui présente le débat comme étant une opposition entre les experts et
d'autres groupes de citoyens.
J'aimerais, moi, j'espérerais que Mme
Marie-Claude Nichols et que Mme Lucie Charlebois, qui sont mes députées dans ma
région, que Mme Nichols qui fait partie de cette unité de vigilance parle à M.
Arcand et lui explique que ce n'est pas un débat à opposer entre des experts et
les citoyens. M. Richard Kuprewicz, un expert américain en sécurité de
pipeline, avait exigé ces tests-là. Donc, les tests hydrostatiques sont
effectivement très importants, et nous souhaitons que l'Office national de
l'énergie prenne enfin une décision là-dessus, ça fait six mois qu'elle a
toutes les données pour les prendre, et que Québec, finalement, nous supporte
et supporte ses municipalités comme la CMM le fait. Je vous remercie.
M. Gagné (Louis) : Peut-être
juste avant d'aller plus loin avec d'autres questions pouvez-vous juste me
résumer, un test hydrostatique, en quoi ça consiste exactement?
Mme Caron (Lorraine) : Oui. C'est
un test de pression à l'eau. Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on prend un tronçon
du pipeline, on ferme ce tronçon-là, on injecte de l'eau, on augmente la
pression jusqu'à, à peu près, 25 % au-dessus de la pression maximale. Et
s'il y a des petits trous de corrosion, des fissures qui n'ont pas été détectés
par les systèmes d'inspection interne, ça va fuir. Donc, la pression va
descendre. Donc, on va être en mesure de savoir qu'il y a fuite. Alors, il va
falloir aller trouver les fuites et les réparer. Et puis ce qu'il faut
rappeler, c'est que les systèmes d'inspection interne qu'Enbridge a utilisés
pour vérifier l'intégrité de la canalisation ne permettent pas de détecter les
petits trous de corrosion. Donc, c'est d'autant plus important de faire ce
test-là pour valider tous les autres tests qui ont été faits, donc de compléter,
finalement, l'évaluation de l'intégrité du pipeline.
M. Khadir
: Oui. Ce
que ça démontre, c'est qu'Enbridge fait des tests parce qu'ils se soucient des
grosses fuites qui pourraient lui causer un tort parce que ça diminue la
livraison de son pétrole. Mais les petites fuites, qui sont autant nocives pour
la contamination de l'eau et qui se produisent quand même à une échelle qui
fait que 1 % de 300 000 barils de pétrole, ça fait beaucoup de
pétrole qui… et on sait, avec les hydrocarbures, la contamination de l'eau pour
la santé des populations, c'est très dangereux, il y a des substances
cancérigènes dans ces produits-là, bien, ça ne les intéresse pas, Enbridge.
Or, dans la commission parlementaire, c'était
une concession qui permettait un peu de sauver la face au Parti québécois, au
Parti libéral et à la CAQ, qui supportaient l'inversion, de dire : Il
faudrait quand même qu'il y ait des tests hydrostatiques parce qu'ils s'apercevaient
bien que c'était un minimum à respecter. Et là l'unité de vigilance nous dit
que, dans le fond, non. Et c'est ça qui est terrible, c'est que je viens
d'obtenir la confirmation de Mme Caron, c'est que l'unité de vigilance,
dans son rapport, arrive en dessous même des maigres demandes de la CAPERN, qui
était une commission un peu… qu'on a qualifiée de bidon parce que c'était une
commission pour faire plaisir à Enbridge puis accepter son projet finalement.
M. Gagné (Louis) : Et, bon, vous
avez parlé… donc l'inversion puis le… l'inversion du flux pose un problème au
niveau la quantité, du volume qui va être acheminé, donc on passe de
64 000 à 300 quelques milles, et également le type… les variations de
pression. Mais est-ce qu'il n'y a pas un élément aussi, là, attaché au
caractère corrosif peut-être du pétrole des sables bitumineux qui pourrait
accélérer, là, la…
Mme Caron (Lorraine) : C'est
un aspect qui a été discuté. C'est un aspect qui suscite un peu un débat. Il y
a des études qui ont montré que ce l'était moins. Il y a Enbridge qui dit que
ça va être tellement dilué que ça ne sera pas vraiment corrosif. Donc, moi, je
pense que c'est une possibilité parmi les autres éléments qui peuvent ajouter
au risque. Je pense qu'il vaut mieux, lorsqu'on n'a pas de preuve solide,
scientifique, de faire preuve de prudence puis d'assumer finalement… de prendre
pour acquis que les risques peuvent être plus grands qu'ils ne le sont. Et
donc, moi, je pense qu'on devrait intégrer ça également dans le modèle.
M. Khadir
: Mais ce
qu'il faut dire au public, c'est que c'est le même… c'est un pipeline très
vieux, qui a tout près de 40 ans...
Mme Caron (Lorraine) : 40
ans.
M. Khadir
: ...et c'est
le même pipeline qui a craqué à Kalamazoo, n'est-ce pas, dans le Minnesota.
Mme Caron (Lorraine) : Même
type de construction.
Une voix
: Michigan.
M. Khadir
: Hein?
Mme Caron (Lorraine) : Au
Michigan, dans la rivière.
M. Khadir
: Kalamazoo,
Michigan. Puis je pense, c'était l'équivalent de 300 000 ou 400 000
barils de pétrole qui s'étaient...
Mme Caron (Lorraine) : C'était
20 000 barils alors.
M. Khadir
:
20 000 barils, 400 000 litres, quelque chose comme ça, enfin. 20 000
barils de pétrole qui s'étaient échappés, puis ça a été très difficile. Ça a,
je ne sais pas, coûté un montant faramineux...
Mme Caron (Lorraine) : C'est
1,2 milliard de dollars…
M. Khadir
: …de
dollars que ça a coûté.
Mme Caron (Lorraine) : Et
plusieurs années, puis ils n'ont pas terminé.
M. Khadir
: On n'a pas
assez payé, là, avec Mégantic, là, il faut qu'on se ramasse avec encore un
problème pour un pétrole qui ne profitera pas aux Québécois. On est juste un
territoire de transit. On est juste un territoire de transit, on va être des
porteurs de pétrole, hein? On nous prend pour des porteurs d'eau encore avec ce
projet.
M. Gagné (Louis) : Vous avez
qualifié la commission, la CAPERN, je crois, de bidon.
M. Khadir
: De «baril»
ou de…
M. Gagné (Louis) : Si la
commission elle-même était bidon et que le rapport de l'unité de vigilance
n'atteint même pas ces recommandations, comment vous la qualifiez, cette
unité-là?
M. Khadir
: Bien, c'est
terrible pour le Québec. Tous les mécanismes de contrôle qu'on s'attendrait, de
manière bienveillante, exercés par nos autorités sont, comme ça, vidés de leurs
sens puis sont contournés. Il faut arrêter cette mise en vente de la santé de
la population et d'un territoire au profit, en fait, de l'industrie pétrolière
canadienne puis de son lobby très puissant, et c'est ça que je trouve…
M. Gagné (Louis) : Donc, elle a
été complaisante…
M. Khadir
: Bien, on
l'a dénoncé, si vous vous rappelez, il y a un an et demi, lorsqu'en commission
j'ai montré, preuve à l'appui, qu'on commet une erreur. Ça vient de prouver,
l'unité de vigilance mise en place était simplement pour acheter du temps. Et
là aujourd'hui, bien, on se retrouve Gros-Jean comme devant avec une entreprise
qui insulte l'intelligence des Québécois, qui méprise des processus de
décisions, parce qu'à la fin ils nous ont dit, même en commission, que, peu
importe la décision du Québec, nous, on répond d'Ottawa et qui, en fait, qui
nous prend pour acquis. Puis là, malheureusement, le gouvernement libéral s'est
mis à genoux.
Mme Caron (Lorraine) : Moi, je
trouve personnellement que le ministre Arcand a abdiqué son leadership puis sa
responsabilité face à la sécurité des gens et à la protection de
l'environnement dans ce projet-là. Je trouve que… J'aurais aimé entendre
davantage de promotion de la sécurité, en tout cas autant que j'ai pu entendre
de promotion au niveau du projet.
Je trouve que les demandes pour les tests
hydrostatiques, pour moi, c'est le minimum qu'une unité ait pu prendre toute
l'information de la part du promoteur, mais qu'il n'ait pas, en ayant utilisé
les données à jour, redemandé une évaluation indépendante, ça me… je trouve ça
sidérant. Parce que l'évaluation indépendante qu'il avait demandé avec le
rapport de Dynamic Risk au mois d'avril 2014, il n'était pas basé sur tout
l'ensemble des données. Les données, elles sont arrivées, là, au
compte-gouttes, après les audiences de l'Office national de l'énergie, puis c'est
seulement à partir du mois de novembre dernier qu'on avait toutes les données
en main pour véritablement prendre le pouls de ce projet-là puis d'évaluer les
risques.
Je ne peux pas croire que l'unité… avec
Enbridge a été capable de faire un travail adéquat à ce niveau-là.
M. Khadir
: M. Arcand
devrait être reconnaissance de la part des citoyens qui s'organisent comme des citoyens
au courant, dont fait partie Mme Caron, qui apportent de l'information. Puis
les citoyens ont la chance de compter sur elle, dont la spécialité même, comme
docteure, comme Ph. D., c'est de donner aux décideurs publics les meilleures
analyses, les meilleures preuves scientifiques pour décider.
Et elle nous dit qu'on ne tient pas compte
de ce qu'il faut tenir compte, qu'on ne fait pas les bons tests. Il me semble
qu'il y a quelque chose, un message très fort que M. Arcand devra entendre.
Mme Caron (Lorraine) : Si
je...
M. Khadir
: Oui,
allez-y, bien sûr.
Mme Caron (Lorraine) : Si je peux
rajouter une petite chose. Si la question des tests hydrostatiques était si
facile à trancher parce que les tests ne sont véritablement pas nécessaires,
pourquoi l'Office national de l'énergie, après six mois, n'a toujours pas pris
de décision à ce sujet-là? Parce que la question est encore en suspens.
Donc, en quelque part, de dire que c'est
seulement une opposition entre experts et municipalités ou experts et groupes
environnementaux est une façon de se défiler.
M. Khadir
: En fait,
Enbridge fait énormément de lobbying pour éviter ça, pour éviter les tests.
Mme Caron (Lorraine) : Oui,
parce que...
M. Khadir
: C'est
l'essentiel de leur énergie, actuellement, là. Ils envoient du monde partout
pour dire : Non, non, non, ce n'est pas nécessaire. Puis c'est bête, c'est
vraiment bête et irresponsable qu'au Québec notre gouvernement écoute Enbridge
qui est en conflit d'intérêts, là-dedans, là. Enbridge devrait être le
dernier... dont les arguments devraient être les derniers à être pris en
compte. On devrait tenir compte des arguments des citoyens, des experts
scientifiques, des comités de vigilance — citoyens, là, pas fantoches,
malheureusement — et surtout des organismes indépendants comme
Greenpeace, comme des acteurs qui ont la bienveillance de s'occuper de la santé
de la population.
Des voix
: Merci.
(Fin à 14 h 20)