(Neuf heures quarante-deux minutes)
M. Marceau : Oui. Alors,
bonjour, tout le monde. On veut vous parler de ce qu'on a appris ce matin, là,
dans les journaux, en fait hier soir, sur l'entente que Mme Joly et le gouvernement
fédéral a conclu avec Netflix. C'est une entente qui vient tout d'abord
consacrer l'inéquité de traitement fiscal quand on compare le contenu québécois,
canadien avec le contenu étranger, le contenu culturel, mais aussi le
traitement de tous les biens intangibles qui se vendent sur Internet. Deuxièmement,
ça vient donner une légitimité à la délinquance fiscale. Et, troisièmement, il
y a un traitement spécial, dans ce cas-ci, pour une grande multinationale
devant laquelle le gouvernement fédéral plie, donc, et auquel évidemment n'ont
pas droit les petits entrepreneurs du Québec, hein? Les petits entrepreneurs du
Québec n'ont pas la capacité de se négocier des ententes de cette nature-là.
Alors, il y a peut-être... Je veux juste
vous dire les cinq problèmes clairs que je peux voir dans l'entente qui va être
annoncée officiellement aujourd'hui.
Tout d'abord, il est assez clair, là, que
les taxes et les impôts qui ne seront pas récoltés sont bien supérieurs au
montant de l'entente qui a été convenue avec Netflix, et là, quand je parle de
taxes et d'impôts, je parle évidemment de la TVQ et de la TPS, mais aussi de
l'impôt sur le revenu des sociétés que Netflix n'acquitte pas, malgré le fait
qu'elle fasse un chiffre d'affaires fort important au Québec et au Canada.
Deuxièmement, encore une fois, ça vient
légitimer la délinquance fiscale. Désormais, là, les entreprises qui ne paient
pas leurs taxes, ne paient pas leurs impôts, ne récoltent pas les taxes, ont le
sceau d'approbation du gouvernement fédéral. Ce n'est quand même pas rien quand
on pense à tous les contribuables du Québec qui, à chaque année, doivent payer
leurs taxes et leurs impôts. Alors là, on vient consacrer le fait qu'il est
légitime de ne pas payer ses taxes et ses impôts.
Troisièmement, évidemment, ça ne règle en
rien tous les problèmes de récolte des taxes pour le commerce électronique, et
là vous savez qu'il y a les Google, Apple, Facebook, Amazon et autres. Il y a
des milliers de vendeurs sur Internet à travers le monde qui font l'objet
d'achats par les consommateurs du Québec et du Canada. Alors, ça ne règle
d'aucune manière les problèmes. Et Peter Simons, ce matin, il doit être de
mauvaise humeur, il doit être fort inquiet quand il voit ce genre d'entente
convenue avec une grande multinationale alors que lui doit faire face à la
musique au Québec toujours.
Quatrièmement, bon, ça ne met évidemment pas
fin, cette entente, à la concurrence déloyale à laquelle font face les
fournisseurs de contenu québécois et canadien. Dans leur cas, les prix sont
évidemment augmentés du prix des taxes. Dans le cas du contenu étranger, il n'y
a pas d'augmentation du prix qui découle des taxes et donc il y a une
concurrence déloyale. Les produits étrangers sont plus avantageux pour un
consommateur au Québec et au Canada, et ça, ça ne change pas avec l'entente qui
a été convenue avec Netflix.
Et finalement, puis là c'est quand
même un point qui m'apparaît fort important, on impose, d'une certaine
façon, une solution au Québec. Je vous rappelle que le Québec récolte, en
principe, la TVQ sur les biens et services qui sont vendus à des consommateurs
québécois. Et là le fisc québécois, qui fait l'objet… donc qui a un manque à
gagner avec Netflix, mais avec tous les fournisseurs de biens intangibles, bien,
le fisc québécois se retrouve avec une solution qui est imposée d'Ottawa. Il
perd le contrôle sur son assiette fiscale. Et on n'a jamais accepté ça au
Québec, et je ne vois pas pourquoi on se mettrait à accepter ça aujourd'hui.
Alors, ça, ce sont les cinq faiblesses
évidentes, là, de l'entente qui a été convenue, et puis Agnès va vous parler
peut-être plus d'un aspect culturel.
Mme
Maltais
:
L'aspect culturel, évidemment, puisque Nicolas Marceau vous a très bien
expliqué l'aspect fiscal, la perte fiscale. L'aspect culturel, c'est que tous
les producteurs de cinéma et de télévision au Québec donnent au Fonds des
médias canadiens, et la roue qui tourne, c'est qu'ensuite cela est réinvesti
dans des productions, et ça nourrit tout le circuit culturel. Mme Mélanie Joly
va annoncer, semble-t-il, aujourd'hui une entente de 500 millions sur cinq
ans avec Netflix.
J'ai des questions très graves qui
restent. Combien de cet argent va être investi dans le Fonds des médias
canadiens pour permettre de réinvestir dans la culture? Est-ce qu'il y a une
somme qui va être attribuée? Est-ce que Netflix va être traitée comme sont
traités les producteurs canadiens et québécois ou si Netflix va avoir un
traitement différentiel et si l'argent ne sera investi que dans ses propres productions?
Ça veut dire que ça sera un autre niveau de différence, de traitement
différentiel.
Deuxièmement, combien de l'argent va être
investi au Québec? Ça nous prend une réponse. On a une culture québécoise, on a
du cinéma et de la télé québécoise bien identifiés, qui sont nourris par ces
investissements. Et enfin, y aura-t-il une demande à Netflix de faire de la
production en français? Parce que dans les… là où, d'habitude, va l'argent des
producteurs dans le Fonds des médias canadiens, on demande qu'il y ait de la
production en français. Mais là est-ce qu'il va y avoir une demande à Netflix
de produire en français? On le sait. Moi, personnellement, j'ai abandonné
Netflix au profit d'autres, parce que je ne trouvais pas assez de productions
en français. C'est vraiment… les productions francophones, en français, sont
noyées dans le système Netflix.
Alors, ce sont de graves questions, et
nous souhaitons aujourd'hui avoir des réponses de Mélanie Joly là-dessus. Combien
tombe dans le Fonds des médias ou si c'est tout de l'argent de Netflix pour
Netflix, finalement? Combien va être attribué au Québec? Combien va être obligatoirement
francophone? Ce à quoi on...
M. Boivin (Mathieu) : M.
Marceau, avez-vous l'impression, au net, là, je simplifie peut-être un peu,
mais qu'on a une multinationale, un peu comme Uber, d'ailleurs, qui vient
acheter de l'évasion fiscale?
M. Marceau
:
Absolument. C'est exactement ça. On vient consacrer qu'il est correct de faire
de l'évasion fiscale. Et d'ailleurs la réaction des gens d'autres partis, pour
ne pas nommer la CAQ... là, on sent qu'il y a une tendance, là, pour eux
autres. Avec Uber, c'est correct de plier devant une multinationale puis là,
avec Netflix, maintenant, c'est encore correct de plier devant une
multinationale. Puis dans les deux cas, c'est pour non-paiement d'impôts
Alors, moi, je commence à m'inquiéter
fortement sur la volonté que les gens à la CAQ ont de faire récolter les taxes
auprès des multinationales. Ils plient systématiquement devant les
multinationales.
M. Bellerose (Patrick) : Vous
avez dit que le fisc... en fait, que Netflix veut échapper au fisc québécois. Est-ce
que Revenu Québec ne peut pas imposer la TVQ à Netflix?
M. Marceau
: Il faut
voir que la TVQ s'applique déjà. La TVQ s'applique déjà. C'est qu'elle n'est
pas récoltée qui est l'enjeu ici, hein, n'est-ce pas?
Alors, est-ce que le fisc québécois
pourrait? Probablement. Il y a une difficulté, là, qui vient de ce que le
Québec récolte aussi de la TPS, alors il y a... pas facile, pour le Québec, de
faire ça, mais je... sincèrement, il faudrait vérifier, là, à quel point c'est
possible étant donné les ententes qui ont été convenues. Il y a deux ententes,
comme vous le savez. Il y a l'entente du début des années 90, par laquelle le
Québec récolte la TPS au nom du gouvernement fédéral, puis il y a eu l'entente
sur l'harmonisation, qui est récente, là. Mais le Québec a une autonomie
fiscale qui lui permet d'agir. Je pense qu'à ce stade-ci il y avait l'espoir
qu'il y ait un traitement par le fédéral. De toute évidence, le fédéral a
abdiqué. Ça ne veut pas dire que le Québec doit abdiquer, loin de là, et moi,
je n'accepte pas la solution qui a été retenue par le fédéral. Je ne l'accepte
pas.
M. Dion (Mathieu) : ...bilatéral,
quand même, pourrait agir de façon...
M. Marceau
: Ah!
absolument. Le Québec a des moyens à sa disposition pour faire appliquer les
lois fiscales du Québec.
M. Bellerose (Patrick) :
Malgré une entente parallèle qui sera signée aujourd'hui.
M. Marceau
: C'est ça.
Il faut juste voir de quelle manière ça peut se faire, mais il est clair que le
Québec a une autonomie fiscale. C'est sûr que la décision fédérale ne vient pas
nous aider, elle vient nous nuire, mais ça ne veut pas dire que ne peut pas
agir, bien au contraire, et c'est le cas... Vous savez, on a eu un rapport de
la Commission des finances publiques sur les paradis fiscaux, dans laquelle on
a traité de la taxation du commerce électronique, puis on avait une recommandation
qui disait qu'on devrait faire récolter les taxes par les émetteurs de cartes
de crédit. Cette solution est encore sur la table, en passant, et le Québec
pourrait agir de cette façon-là, par exemple. Ça, c'est une solution, il y en a
d'autres.
M. Bellerose (Patrick) : Mme
Maltais, qu'est-ce que vous pensez du fait qu'Ottawa va compenser les pertes
dans le Fonds des médias?
Mme Maltais : Bien, écoutez,
ça veut dire que ce sont les Québécois qui paient leurs taxes, qui paient leurs
impôts, qui vont compenser, qui vont payer, parce que nous, on paie...
l'argent, d'Ottawa, là, il ne sort pas... il ne pousse pas dans les arbres, il
sort de nos poches. Ça fait que c'est nous, Québécois, qui allons compenser le
fait que le gouvernement fédéral a laissé filer un passe-droit à une compagnie internationale.
C'est assez incroyable.
J'écoutais parler la CAQ tout à l'heure,
je sais qu'ils sont satisfaits de la décision. Je suis un peu étonnée, parce qu'hier...
c'est assez étonnant comme cheminement. Hier, quand on apprenait qu'une
compagnie américaine, Boeing, voulait appliquer une taxe de... une surcharge de
220 % à Bombardier, la CAQ disait que le gouvernement fédéral paie cette
surcharge. Donc, ils demandaient encore une fois aux Québécois de contribuer
pour une compagnie américaine qui nous faisait une surtaxe. Là, il y a une
compagnie internationale, mais américaine — parce qu'on le sait,
c'est né aux États-Unis, à San Francisco — qui refuse de payer ses
taxes, et puis la CAQ embarque là-dedans en disant «let's go», puis là on
apprend que le fédéral va payer avec l'argent qui sort de nos poches. Encore
une fois, la CAQ accepte que ce sont les Québécois qui compensent pour des
grandes multinationales qui nous surchargent.
M. Dion (Mathieu) :
...pourquoi le fédéral fait ça, selon vous? Pourquoi... Tu sais, c'est quoi, le
cheminement qui a mené à cette décision-là, selon vous, au fédéral?
M. Marceau : Bien, moi, je
pense que les solutions qui permettraient de régler le problème de la taxation
du commerce en ligne sont des solutions qui peuvent effrayer, par exemple,
certains joueurs de Bay Street, entre autres. Quand on parle, là, des émetteurs
de cartes de crédit, vous comprendrez que ces cartes de crédit là sont souvent
en lien avec les grandes banques canadiennes, et donc il y a certainement un
lobby très, très puissant pour que le fédéral n'aille pas dans cette
direction-là. Alors, les raisons pour lesquelles le fédéral est fermé à toute
solution, ça appartient au fédéral, évidemment. Je veux simplement que vous
sachiez que des solutions ont été mises de l'avant partout à travers le monde. Il
y en a partout. En Europe, à la suite des recommandations de l'OCDE, il y a eu
des gestes qui ont été posés. C'est le cas en Australie, c'est le cas au Japon.
Alors, bref, il existe des solutions.
Dépendant des environnements légaux, des environnements économiques, des
solutions différentes émergent, mais des solutions du genre de celles qui ont
été mises de l'avant par le fédéral puis qui vont être annoncées par Mme Joly,
ça, je n'ai jamais vu ça ailleurs, et c'est carrément abdiquer le devoir
d'assurer de l'équité entre les joueurs dans une société, dans une économie.
C'est une abdication complète.
M. Bellerose (Patrick) : Mme
Maltais, est-ce que je peux vous poser une question sur le projet de loi n° 62?
Êtes-vous heureuse d'avoir vu l'amendement être retiré hier?
Mme
Maltais
:
Oui, tout à fait. C'est drôle parce que les deux projets de loi ont été déposés
en même temps, le 59 qui attaquait la liberté d'expression et le 62 qui, via un
article… un amendement, arrivait et attaquait aussi la liberté d'expression et
d'opinion des élus municipaux ou québécois.
Alors, oui, je suis contente d'avoir, avec
notre équipe, là, travaillé à enlever ça. Mais c'est incroyable comment, dans
ce cas-là, la liberté d'expression a été attaquée deux fois par le Parti
libéral, à mon avis. Ils auront…
M. Bellerose (Patrick) :
Allez-vous voter pour le 62? Allez-vous l'appuyer?
Mme
Maltais
:
Écoutez, on en a débattu en caucus, mais jusqu'ici je vais vous dire que mon
opinion personnelle est qu'il n'y a pas d'avancée notable pour le Québec dans
ce projet de loi.
M. Bellerose (Patrick) :
Donc, est-ce que le caucus péquiste va voter? Je pense qu'on vote aujourd'hui,
il me semble.
Mme
Maltais
:
Non, non, non. C'est la semaine prochaine, c'est... Mardi, ça va être la prise
en considération du rapport, et puis mercredi, on va voter. Mais ne vous
attendez pas à un accueil très chaleureux de notre part.
M. Bellerose (Patrick) :
Mais il y a un débat au sein du parti…
Mme
Maltais
:
Non, non. C'est assez clair, là. Si vous voulez que je vous le dise, moi, je
vais proposer qu'on vote contre. C'est très clair pour moi.
M. Dion (Mathieu) :
Est-ce qu'on tourne la page avec… Est-ce qu'on va continuer de parler de ça ou
c'est fini, là, avec ce projet de loi là?
Mme
Maltais
:
Écoutez, évidemment, vous remarquerez que le ton a baissé. On fait très
attention suite aux événements qu'il y a eu en janvier. Mais est-ce qu'on
tourne la page? Non, parce que les balises qu'il y a dans les accommodements
pour motif religieux qui sont dans cette loi-là sont les balises de la jurisprudence.
Alors, on ne change pas du tout, du tout.
Nous, on a proposé des modifications qui
auraient changé la… qui auraient permis d'ajuster la façon dont on gère les accommodements
religieux avec la façon dont la société québécoise les voit. C'est un concept
assez difficile, là, on parle de contrainte excessive dans les… Il faut prouver
que, pour refuser un accommodement, la contrainte soit excessive. Nous autres,
on proposait le concept américain, parce qu'aux États-Unis ça s'applique comme
ça, que la contrainte soit simplement plus que minimale. Déjà, ça aurait réglé
une grande partie des accommodements pour motif religieux, mais on n'a pas eu
de réponse. On a refusé d'inclure la laïcité dans ce projet de loi là.
Écoute, les libéraux ont même refusé de
dire que l'évolution de la société québécoise et de ses institutions nous a
amenés à la laïcité. Bien, écoutez, c'est minimum, là. Il n'y a même pas une reconnaissance
du fait que le Québec est laïc. Ça va revenir, puis nous, on va proposer que ce
soit dans la Charte des droits et des libertés de la personne.
M. Bellerose (Patrick) :
Juste de façon synthétique, pourquoi vous allez voter contre? Vous dites que
vous allez proposer qu'on vote contre.
Mme
Maltais
:
Parce que ça ne fait pas vraiment avancer le Québec.
Mme Fletcher
(Raquel) : Oui. Est-ce que je peux poser une
question en anglais par rapport au projet de loi n° 62?
Mme
Maltais
:
Yes, you can.
Mme Fletcher
(Raquel) : OK. So you are going to vote
against this bill.
Mme
Maltais
:
Yes, probably.
Mme Fletcher (Raquel) : Probably.
Mme
Maltais
:
It's just a technical situation. We disagree with that bill.
Mme Fletcher (Raquel) : OK. So the minister says you guys came to an agreement last night.
Can you just say what the main problems are?
Mme
Maltais
:
Ah! it's not an agreement. We have voted yes or no on
some articles, but the agreement was on what I had questioned before, the fact that this bill was attacking the freedom of speech of members of National Assembly. She has
retreated.
Mme Fletcher (Raquel) : What does that say to you?
Mme
Maltais
:
That says that she didn't work very well on that bill, she was not conscious of
the application of that bill, and it makes me «inquiète» about…
Mme Fletcher (Raquel) : Worried.
Mme
Maltais
:
…what will follow.
Mme Fletcher (Raquel) : Do you think that there will be positive consequences once the bill
is adopted?
Mme
Maltais
:
We'll see. We'll see, I don't know, because… We'll see. I don't think there is
a big change in that bill.
Mme
Fletcher (Raquel) : OK. So you think that we're going
to have the same debate or we'll still be debating the same issues.
Mme
Maltais
:
In fact… laïcité, ça se dit comment en anglais?
Mme
Fletcher (Raquel) : Secularism.
Mme
Maltais
:
Secularism, c'est vrai, j'avais oublié. In fact, if the Government
had accepted to include the secularism in the Charte des droits et des libertés
de la personne as a fact in the Québec society, we could have had some
permanent changes. That would have affected the way we do accommodate religious
motives. But they did refuse, and that would have give… voilà, ça aurait
apporté un changement notable, mais ça ne l'est pas, ça n'a pas été accepté.
Merci.
Des voix
: Merci.
(Fin à 9 h 59)