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Version finale

12e législature, 2e session
(15 mars 1910 au 4 juin 1910)

Le jeudi 21 avril 1910

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable P. Pelletier

La séance s'ouvre à 3 h 15.

 

Messages du Conseil législatif:

M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté le message suivant:

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté les bills suivants sans amendement:

- bill 54 autorisant le collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec à admettre Jos.-A. Deschênes à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de l'obstétrique, après examen;

- bill 118 autorisant le collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec à admettre Andronique Lafond à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de l'obstétrique, après examen.

 

Présentation et lecture de pétitions:

Plusieurs pétitions sont présentées devant la Chambre.

Conformément à l'ordre du jour, les pétitions suivantes sont lues et reçues par la Chambre:

- du révérend Astinios Ofiesh, demandant une loi d'incorporation sous le nom: The Saint Nicholas Syrian Greek Orthodox Church of Canada (M. Perron);

- de certaines paroisses du comté de Joliette (M. Tellier), de certaines paroisses du comté de Laprairie (M. Patenaude), de certaines paroisses du comté de Compton (M. Giard), de certaines paroisses du comté de Saint-Jean (M. Marchand), de certaines paroisses du comté de Terrebonne (M. Prévost), de certaines paroisses du comté de Châteauguay (M. Mercier), de certaines paroisses du comté de Jacques-Cartier (M. Cousineau), de certaines paroisses du comté de Montcalm (M. Sylvestre), demandant certains amendements à la loi des licences.

 

Rapports de comités:

M. Tessier (Trois-Rivières): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le treizième rapport du comité permanent des bills privés. Voici le rapport:

Votre comité a examiné les bills suivants auxquels il a fait certains amendements qu'il soumet à la considération de votre honorable Chambre:

- bill 79 constituant en corporation la municipalité de Saint-Isidore d'Auckland;

- bill 109 constituant en corporation The Lachine General Hospital;

- bill 123 constituant en corporation la municipalité de la paroisse de Brébeuf;

- bill 88 amendant la charte de la Beauharnois Light, Heat, and Power Company.

M. Mousseau (Soulanges): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le quinzième rapport du comité permanent des ordres permanents. Voici le rapport:

Votre comité a examiné la pétition de la ville d'Outremont, demandant des amendements à sa charte, et la pétition de la Ligue antituberculeuse de Québec, demandant une loi la constituant en corporation, et trouve que les avis requis ne sont pas encore complètement donnés, mais attendu que lesdits avis seront à peu près complétés quand le comité des bills privés prendra ces bills en considération, votre comité, pour cette raison, est convenu de rapporter favorablement lesdites pétitions.

Ligue antituberculeuse de Québec

M. Morisset (Dorchester) demande la permission de présenter le bill 141 constituant en corporation la Ligue antituberculeuse de Québec.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Charte d'Outremont

M. Finnie (Montréal no 4) demande la permission de présenter le bill 136 amendant la charte de la ville d'Outremont.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

M. Alcide-Louis Larose

M. Galipeault (Bellechasse) demande la permission de présenter le bill 147 autorisant le collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec à admettre Alcide-Louis Larose au nombre de ses membres.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Médecins vétérinaires

M. Lafontaine (Berthier) demande la permission de présenter le bill 170 amendant la loi des médecins vétérinaires de la province de Québec.

Il s'agit d'empêcher les médecins vétérinaires de pratiquer leur profession au-delà d'un rayon de 10 milles de leur demeure.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Annexion de la paroisse de L'Ascension au comté d'Ottawa

M. Sylvestre (Montcalm) demande la permission de présenter le bill 168 concernant l'annexion de la paroisse de L'Ascension au comté d'Ottawa, pour toutes fins.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Fabrication des produits laitiers

L'honorable M. Caron (L'Islet) propose, appuyé par le représentant de Nicolet (l'honorable M. Devlin), que les amendements faits en comité général au bill 4 amendant les statuts refondus, 1909, relativement à la fabrication des produits laitiers soient adoptés.

Adopté sur division.

L'honorable M. Caron (L'Islet) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

M. Prévost (Terrebonne): De par la province, il y a un trop grand nombre de petites fabriques de beurre et de fromage. Il sait ce que c'est qu'une fabrique de beurre ou de fromage, ayant consacré cinq semaines de ses loisirs à en visiter 40 dans son comté.

Il déclare que le gouvernement, en proposant d'abolir les plus petites fabriques de la province, ce à quoi équivaut cette mesure, a adopté une politique dangereuse qui porte atteinte aux droits des citoyens. Le projet de loi est arbitraire et contraire aux intérêts agricoles de la province. Cette mesure est l'une des plus dangereuses qui aient encore été présentées devant cette Chambre, puisqu'elle met les beurreries et fromageries à la merci du patronage politique. C'est en effet au ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) que revient l'autorisation requise pour l'établissement d'une fabrique.

Le ministre se figure-t-il ce à quoi il va être exposé durant les périodes électorales? Ne sait-il pas qu'il y a des influences auxquelles un ministre peut difficilement résister en temps d'élections? Il faut mettre le lait en dehors de la politique, le lait rouge ne vaut pas mieux que le lait bleu et le lait blanc seul a de la valeur. C'est pourquoi il voudrait mettre le produit de nos vaches en dehors des campagnes électorales.

Le bill implique également que c'est le ministre qui jugera de la compétence des fabricants de beurre et de fromage. S'il s'agit là d'une bonne politique pour l'industrie laitière, pourquoi le gouvernement ne l'adopte-t-il pas dans toutes les autres industries de la province et n'exige-t-il pas de tous les contremaîtres des établissements industriels qu'ils détiennent un permis du ministre avant qu'il ne leur soit permis de travailler dans leurs différents domaines? Le ministre de l'Agriculture eût bien mieux fait de laisser aux directeurs si compétents de l'école de laiterie de Saint-Hyacinthe ou des écoles d'agriculture de la province et de la Société d'agriculture provinciale le fardeau qu'il assume. Ceux qui travaillent dans l'industrie laitière peuvent acquérir des connaissances scientifiques dans leur domaine.

Il admet que la décision du ministre ne vient qu'après rapport d'un inspecteur général; mais les inspecteurs relèvent à la fois des patrons de fabriques et du gouvernement. D'où pas mal d'entraves à leur indépendance. Il ne veut pas de cette tendance du gouvernement à s'immiscer dans tout. Un produit plus uniforme, mieux enveloppé et plus surveillé: voilà ce qu'il nous faut! De plus, il est absurde que le ministre se fasse autoriser à décider de la compétence des candidats. Le ministre de l'Agriculture ne sera pas toujours un homme du métier comme le député de L'Islet. Il pourra être avocat ou médecin et n'avoir aucune compétence en matière d'agriculture ou d'industrie laitière. Si le ministre veut laisser la distribution des licences entièrement aux inspecteurs généraux, que sa loi dise qu'il "devra" et non qu'il "pourra" suivre l'avis de ces messieurs.

Il propose en amendement, appuyé par le représentant de Beauharnois (M. Plante), que ce bill ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit de nouveau renvoyé au comité général de cette Chambre, avec instruction de l'amender généralement, de manière à soustraire à toute influence politique l'exploitation des beurreries et fromageries dans cette province.

L'honorable M. Caron (L'Islet): Il me semblait que l'on avait suffisamment réfuté les arguments de l'opposition sur le bill que je présente pour n'avoir pas à revenir sur cette question. Cela devient de la véritable obstruction.

La question politique est absolument absente de la teneur du bill. Nos inspecteurs généraux sont absolument compétents. Au point de vue de l'honnêteté, ils sont au-dessus de tout soupçon, au-dessus de toutes les chicanes du parti. Les inspecteurs chargés de renseigner le ministre seront les inspecteurs généraux, MM. Bourbeau et Leclerc, sous le contrôle de la Société d'industrie laitière. Ces inspecteurs ont été nommés sur la recommandation de la Société d'industrie laitière. Il y a là une garantie suffisante contre le favoritisme.

On craint la fermeture arbitraire de certaines fabriques. Il faudra de solides raisons pour justifier une action aussi grave, que la députation en soit persuadée. Pas un ministre n'oserait refuser un diplôme injustement. L'opinion publique est trop éclairée pour permettre de tels abus. Le bill offre à toutes les sociétés laitières toutes les garanties nécessaires et désirables. Si l'on a donné des pouvoirs au ministre, c'est parce qu'il est responsable au peuple et à la députation. Le fabricant a toutes les garanties possibles pour lui. Le ministre ne reconnaîtra la compétence des candidats que sur le rapport favorable d'un inspecteur.

M. Prévost (Terrebonne): Pourquoi n'insérez-vous pas le mot "devra" au lieu de "pourra"?

L'honorable M. Caron (L'Islet): Cette garantie serait illusoire. Où serait la sanction? La meilleure garantie est le bon vouloir qui ne manquera jamais aux ministres de l'Agriculture. Les sociétés agricoles sont bien sous le contrôle du gouvernement, et ont-elles à se plaindre de favoritisme politique? Définitivement, nous pouvons affirmer que nous travaillons autant que qui que ce soit dans l'intérêt de la classe agricole. On a voulu réglementer dans cette loi la fabrication du beurre et du fromage et nous avons conscience qu'elle aura l'appui de la classe qu'elle concerne; c'est une loi qu'elle réclamait depuis longtemps. La loi a été rédigée avec le plus grand soin et devrait être adoptée sans plus de retard. Notre loi ne va pas plus loin que la loi d'Ontario que nos adversaires admirent. La loi d'Ontario autorise le ministre à fermer une fabrique sur le rapport d'un simple inspecteur.

M. Cousineau (Jacques-Cartier): Dommage que les deux côtés de la Chambre ne s'entendent pas sur une question comme celle de l'industrie laitière! On comprend qu'avec la politique du gouvernement de changer de ministre à tous les six mois nous n'aurons jamais une organisation bien effective dans ce département.

Il se félicite de la nomination du député de L'Islet (l'honorable M. Caron) comme ministre de l'Agriculture.

Ceux qui connaissent nos moeurs savent bien combien est imprudente la loi actuelle, dont on se servira comme arme d'élections. Avis au propriétaire de manufacture ou au fabricant de se bien tenir!

Il ajoute que le ministre de l'Agriculture a désappointé ses admirateurs. Il s'élève contre la politique qui place une partie importante de l'industrie provinciale sous le contrôle d'un seul homme. Pour une loi si importante, le ministre devrait s'assurer de l'unanimité de la Chambre. Une compagnie ordinaire obtient ses lettres patentes presque automatiquement. Pourquoi, lorsqu'il s'agira d'un syndicat fabriquant le beurre ou le fromage, faudra-t-il l'autorisation du ministre? Cette autorisation accordée ou refusée rendra-t-elle le fromage meilleur?

On refuse à nos grandes écoles d'agriculture de Sainte-Anne, d'Oka et de McDonald le pouvoir de conférer des diplômes aux fabricants de beurre et de fromage. On concentre tout sur l'école laitière de Saint-Hyacinthe, d'où tout reviendra à l'honorable ministre.

J'ai causé avec plusieurs négociants et tous sont unanimes dans leur affirmation: ce qu'il faut surveiller, c'est le produit. Ces témoignages d'hommes renseignés auraient dû peser sur les décisions de l'honorable ministre. Il aurait dû faire une enquête, faire venir les marchands, tenir compte des suggestions de la gauche et passer enfin une mesure qui eût rencontré les vues des négociants et des agriculteurs au lieu de s'en tenir mordicus à ses seules conceptions.

Ce bill est rétrograde et absolument inutile. Ce n'est pas avec cette mesure que le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) arrivera à faire fabriquer du meilleur beurre et du meilleur fromage. Il croit qu'il serait plus sage de renvoyer ce bill au comité général où on pourra y entendre les experts. Il est curieux que le ministre n'ait pas amené aucune opinion d'experts, aucun document, et donné aucune statistique sur cette question. Le bill a été préparé par le ministre seul, sans qu'il ait demandé avis à personne.

M. Morisset (Dorchester) reproche aux députés de la gauche de s'attarder à prolonger la discussion des détails de cette loi devant la Chambre, lorsqu'ils ne se sont pas donné la peine de l'étudier devant le comité d'agriculture. Il est d'avis que la loi présentée par le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) est conforme aux besoins des classes agricoles. Les principes du bill ont été discutés aux réunions du comité de l'agriculture et ont eu l'adhésion générale des membres qui le composent, voire même par le député de Shefford (M. Bernard). L'opposition est toujours pour le principe des bills du gouvernement, mais elle vote toujours contre.

Cette loi a été demandée par toutes les sociétés laitières qui en réclamaient déjà l'étude en 1895. Les chambres de commerce et les sociétés d'agriculture l'ont aussi réclamée. Le mal auquel on veut remédier est grand et appelle un prompt rétablissement. Les adversaires du gouvernement reprochent au ministre de ne pas s'attacher assez à la bonté du produit. C'est en dotant la province de bonnes fabriques et de bons fabricants qu'on lui vendra de bons produits. La loi touche en même temps à la cause et à l'effet. Elle atteindra certainement le but que l'on se propose. Mais la loi ne saurait aller plus loin qu'elle ne va, car l'inspection des produits laitiers est du ressort de l'autorité fédérale.

M. Cousineau (Jacques-Cartier): Sur quelle loi vous basez-vous pour faire cette affirmation?

L'honorable M. Caron (L'Islet): Nous nous basons sur l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui remet le contrôle du commerce aux autorités fédérales.

M. Prévost (Terrebonne): Alors, comment expliquez-vous que la province contrôle le commerce des liqueurs quant aux heures et à la quantité?

Et la question étant posée au sujet de l'amendement, la Chambre se divise. Les noms sont appelés et inscrits comme suit:

Pour: MM. Bernard, Bourassa, Cousineau, D'Auteuil, Giard, Lafontaine (Maskinongé), Lavergne, Patenaude, Pennington, Plante, Prévost, Sauvé, Sylvestre, Tellier, 14.

Contre: MM. Allard, Benoît, Carbonneau, Cardin, Caron (L'Islet), Caron (Matane), Daigneault, D'Anjou, Décarie, Delâge, Delisle, Devlin, Dion, Dorris, Dupuis, Finnie, Francoeur, Gaboury, Gendron, Geoffrion, Godbout, Gosselin, Gouin, Hay, Kaine, Lafontaine (Berthier), Lafontaine (Maskinongé), Leclerc, Lesieur Desaulniers, Létourneau, Lévesque, Mackenzie, Marchand, Mercier, Morisset, Mousseau, Neault, Perron, Pilon, Reed, Robert, Séguin, Taschereau, Tessier, Thériault, Tourigny, Vilas, Walker, 48.

Ainsi, l'amendement est rejeté.

M. l'Orateur appelle la motion pour la troisième lecture du bill.

M. Tellier (Joliette): Les pouvoirs conférés par cette loi au ministre de l'Agriculture sont exorbitants, trop absolus et trop arbitraires pour qu'on les confie à un personnage politique, quel qu'il soit. La seule nouveauté que l'on trouve dans cette loi, c'est le pouvoir absolu laissé au ministre d'accorder ou de refuser l'autorisation de fabriquer le beurre ou le fromage à partir de janvier 1912. Et l'on sait sous quelles influences se donneront ou se refuseront ces autorisations, en temps de lutte électorale, par exemple. À quel mal la loi remédie-t-elle? Au défaut d'hygiène? Mais nos statuts donnent au ministre et à ses inspecteurs les droits les plus rigoureux. L'inspecteur peut pénétrer de force dans une fabrique, en faire l'inspection et sur son rapport défavorable la fabrique sera fermée. On pourrait peut-être jeter de la poudre aux yeux des naïfs avec ces rapports d'inspecteurs. Pourquoi ne pas le dire tout de suite? La loi, c'est le bon plaisir du ministre. N'est-il pas mieux de décrire en blanc et en noir dans nos statuts les droits des citoyens et de rien laisser à la discrétion des politiciens?

Ce projet remédie-t-il à la multiplicité des petites fabriques? Il n'a pas une ligne pour y pourvoir. Que dit-il donc? Il donne au ministre un pouvoir absolu et arbitraire, et en voici la preuve: le ministre, pour rendre ses jugements, va s'appuyer sur les rapports de ses inspecteurs; mais qui déterminera la compétence de ces inspecteurs? Est-il statué dans le bill qu'ils devront être autre chose que de bons cabaleurs ministériels? Alors, s'il plaît au ministre de supporter une, deux ou trois fabriques pour punir des adversaires et favoriser des amis, il pourra le faire parce que la loi ne détermine pas les cas ou une fabrique devra être fermée.

Il propose en amendement, appuyé par le représentant de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa), que ce bill ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit de nouveau renvoyé au comité général de cette Chambre, avec instruction de l'amender généralement de manière à définir avec précision les conditions dans lesquelles une fabrique de beurre, de fromage ou d'autres produits laitiers pourra être établie ou maintenue en opération; et cela, afin de ne pas laisser au ministre de l'Agriculture le pouvoir absolu et arbitraire d'empêcher l'établissement de toute nouvelle fabrique et même d'ordonner la fermeture des fabriques existantes.

M. Perron (Gaspé) dit que l'une des principales raisons pour lesquelles il appuie ce bill, c'est qu'il protège la santé du public. Il permet d'interrompre la production de beurre et fromage corrompus dans les petites fabriques insalubres.

Voici la principale prétention de nos adversaires: que nous ne devrions pas légiférer à un autre point de vue qu'à celui de l'hygiène. On nous demande d'aller plus loin que l'inspection, c'est ce que nous voulons. Mais ce qu'on reproche surtout, c'est le despotisme, l'arbitrage de cette loi qui laisse au ministre un pouvoir considérable. Que parlent-ils d'arbitraire? N'importe quelle loi est arbitraire en ce qu'elle restreint la liberté de l'individu, fût-ce un simple règlement astreignant le député de Joliette (M. Tellier) au paiement d'une licence pour son chien.

M. Prévost (Terrebonne): Le député de Joliette devra-t-il demander l'autorisation du ministre pour garder son chien?

M. Perron (Gaspé): Dans ce cas, le ministre, c'est le conseil municipal.

Il dit que l'opposition se berce de mots. Le mot arbitraire, somme toute, n'a rien d'effrayant. Du reste, la clause no 3915, si chère à l'opposition, est contenue dans le bill, aux paragraphes 2031. Il y a dans ce bill des dispositions tout à fait similaires à celles qu'on trouve dans la loi présentement en vigueur. Lorsqu'un inspecteur trouve en consignation un fromage impropre à la consommation, il le proscrit et on le détruit. Il est absolument impossible d'interjeter appel de sa décision. Ce bill va simplement à la source du problème et permet la fermeture d'une fabrique afin d'empêcher la production d'aliments impurs.

Au lieu d'empêcher le fonctionnement d'une mauvaise fabrique, veut-on confisquer pratiquement les produits défectueux? Il est vrai que le ministre et ses principaux inspecteurs auront une certaine latitude, mais il ne faut pas croire qu'ils en useront nécessairement mal. Pour ma part, il n'y a pas aussi longtemps que le député de Joliette que je suis dans la vie publique, j'ai encore un grand fond de naïveté, je crois encore à l'honnêteté, même à celle des fonctionnaires. En vérité, il semblerait, à écouter messieurs de la gauche, qu'il suffit d'être nommé inspecteur ou à tout autre emploi par le gouvernement pour devenir du jour au lendemain une canaille ...

M. Lavergne (Montmagny): Quand l'individu est nommé par le gouvernement qui nous régit.

M. Perron (Gaspé): Je crois au contraire que c'est un certificat d'honnêteté.

M. Plante (Beauharnois): Ô candeur naïve!

M. Tellier (Joliette) demande au député de Gaspé (M. Perron) s'il est sérieux.

M. Perron (Gaspé) dit qu'il est difficile de parler sérieusement sur l'amendement du chef de l'opposition. Le crédit de la province souffre à l'étranger du fait que nous n'avons pas la réglementation de l'industrie du beurre et du fromage. Il est donc évident que toutes les mesures prises dans le but d'améliorer la fabrication devront avoir l'appui de la Chambre, et c'est pourquoi nous devons tous soutenir la présente loi, la meilleure, certainement, que l'on pouvait décréter dans les circonstances.

Quant à l'amendement proposé par le député de Joliette (M. Tellier), le député de Gaspé le trouve complètement impraticable. Comment définir d'avance les conditions d'établissement d'une fabrique, la longueur des tuyaux, la grandeur des bassins?

M. Prévost (Terrebonne): Passons au petit lait.

M. Perron (Gaspé): Oui, la pesanteur et la chaleur du petit lait.

M. Tellier (Joliette): Et l'âge des veaux.

M. Perron (Gaspé): Le plus sage, c'est de s'en tenir à la loi que propose le gouvernement et croire que tous les inspecteurs et tous les ministres ne sont pas des coquins. C'est une candeur qu'il avoue avoir conservée. Il ne craint pas plus l'arbitraire d'un ministre que celui d'un inspecteur. Laissons aux inspecteurs de donner des certificats de compétence aux fabricants, de bon aménagement aux fabriques. Il est impossible que la loi décrive toutes les conditions d'un bon outillage. De même que le client est obligé de s'en remettre aux lumières de son avocat, le ministre devra lui aussi en passer par l'inspecteur. Enfin, le gouvernement a le droit d'indiquer à quel endroit se fabriquera le beurre ou le fromage, mais il ne peut fixer le nombre de beurreries ou de fromageries.

C'est une mesure qui donnera satisfaction à tous, et c'est le seul moyen de relever la qualité des produits laitiers, afin de pouvoir en obtenir des prix élevés sur les marchés européens.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) trouve curieux que, puisqu'on prétend que l'article 3915 est transposé dans la nouvelle loi, pourquoi ne s'en tient-on pas à l'ancienne loi et pourquoi, en outre, répète-t-on les articles du statut.

Si l'on veut réglementer au point de vue de l'hygiène, la loi actuelle d'hygiène suffit. Si l'on veut réglementer la valeur marchande, on n'en a pas le droit; du moins, c'est l'opinion du ministre. Est-ce celle du député de Gaspé (M. Perron)?

M. Perron (Gaspé): Le gouvernement a droit de dire: Vous ne fabriquerez du beurre ou du fromage qu'à tel endroit, dans de telles conditions. Ça peut n'être qu'une fiction légale, mais c'est pour la bonne cause, et l'on devrait concéder que le ministre provincial a droit d'intervenir dans la fabrication du beurre tant qu'il n'est pas prêt à être livré au commerce. Je crois que, jusqu'à ce que le produit soit entièrement fabriqué, la province a le droit d'en contrôler la fabrication. Que ce contrôle soit au point de vue de l'hygiène ou de la qualité, on obtiendra toujours le même résultat.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Très bien. Acceptons ces principes. Où en sommes-nous? Le ministre nous a dit qu'il ne peut agir qu'au point de vue de l'hygiène. Le député de Gaspé (M. Perron) lui concéderait un champ plus vaste.

Il fait remarquer au député que, s'il voulait rester bon député ministériel, il lui faudrait ne plus démentir le ministre de l'Agriculture.

Le bill actuel ne dit rien du nombre et de l'outillage des fabriques. C'est cependant ce que l'on veut réglementer. Tout le monde admet que le très grand nombre des fabriques est la source de tout le mal. On pourrait bien restreindre ce nombre, comme on restreint le commerce des liqueurs alcooliques.

Il établit une différence entre l'arbitraire et la loi, que le député de Gaspé avait complaisamment mêlés. La loi restreint la liberté de l'individu, mais elle dit dans quelle mesure cette liberté sera restreinte. Et c'est précisément ce que ne fait pas l'arbitraire. Le bill du ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) ne précise pas la mesure de l'arbitraire. Supposons qu'un inspecteur visite 30 ou 40 fabriques, sur quel critérium se basera-t-il pour les trouver dignes de vie ou de mort? C'est ici que la loi devrait intervenir et préciser les conditions que devrait remplir une beurrerie ou une fromagerie pour opérer dans la province, et ces conditions pourraient en comporter une qui serait le remède au mal d'où découlent tous les autres: la multiplicité des fabriques. Ce remède serait d'assigner à chaque fabrique le minimum de lait qu'elle devrait recevoir chaque semaine pour obtenir son autorisation. On aurait là un moyen efficace, prôné par M. Fisher et d'autres experts, et dont la légalité s'appuie sur la haute science juridique du député de Gaspé. Au lieu d'en agir ainsi, que fait le ministre? Il copie mot pour mot la loi de l'Ontario.

M. Geoffrion (Verchères): Si un ministre a le droit de restreindre, de fixer le nombre des fabriques, autant vaut dire qu'il peut réglementer le trafic, ce qui ne regarde que le gouvernement fédéral. Il cite l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, où il est stipulé que les provinces n'ont pas la haute main sur le commerce.

On nous cite constamment la province d'Ontario comme exemple et, lorsqu'il nous arrive de copier ses lois, on les critique. La loi d'Ontario limite-t-elle le nombre des fabriques?

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Elle n'a pas besoin de les limiter puisque, pour des raisons multiples, il n'y en a pas trop. Et c'est précisément cette différence de conditions qui fait qu'on n'aurait pas dû emprunter à la province voisine une loi qui lui convient et qui ne peut nous convenir. Le seul résultat effectif que pourrait avoir cette loi serait de rendre nos produits égaux et même supérieurs à ceux des autres provinces.

D'après l'amendement, d'ailleurs excellent, qu'a accepté le ministre de l'Agriculture, ce sont les inspecteurs généraux qui renseigneront le ministre sur l'état plus ou moins satisfaisant des fabriques. Mais il ne faut pas oublier que des inspecteurs généraux, il n'y en a que deux dans la province. Ça prend cinq semaines pour inspecter un seul comté, comment veut-on que deux hommes en traversent 74, fassent rapport, président à des examens? C'est une vingtaine au moins qu'il faudrait. Encore ne pourrait-on pas trouver ce nombre d'hommes compétents des rives de Gaspé à celles de l'Outaouais, car ce sont des experts, des techniciens qu'il nous faut, et plus encore des hommes au caractère fortement trempé, capables d'échapper à toute influence politique. Ces deux inspecteurs ne suffiront jamais à voir aux fabriques de la province de Québec pour relever l'infériorité dans laquelle sont tombés nos produits sur le marché anglais.

Abstraction faite du patronage politique croit-on qu'il leur soit possible de faire l'inspection des établissements de la province, de la baie des Chaleurs au lac Témiscamingue? Ces inspecteurs, il leur faudrait tout savoir, ils auront entre leurs mains le sort d'une foule de fabricants pauvres ou riches et, pour les guider, aucun énoncé des conditions qu'ils sont chargés de contrôler. Si le ministre amendait sa loi, il trouverait l'opposition mieux disposée.

M. Geoffrion (Verchères): Selon les statuts, la province n'a pas le droit de restreindre le nombre de ses fabriques, comme s'il s'agissait de restreindre autre chose que les procédés de fabrication.

À 6 heures, la Chambre suspend ses travaux.

 

Reprise de la séance à 7 h 30

Dépôt de documents:

C.-F. Leclerc, ancien agent des terres dans Montmagny

L'honorable M. Décarie (Hochelaga) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 8 avril 1910, demandant la production de copie de tous arrêtés ministériels, correspondance, documents, concernant la mise à la retraite de C.-F. Leclerc, ancien agent des terres, division Montmagny. (Document de la session no 10)

J. Côté, garde forestier

L'honorable M. Décarie (Hochelaga) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 29 mars 1910, pour la production de copie de rapport du garde forestier Jean Côté, du Cap-Chat, comté de Gaspé, pour les trois dernières années. (Document de la session no 11)

Canton Rolette, comté de Montmagny

L'honorable M. Décarie (Hochelaga) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 8 avril 1910, pour la production de copie de toute inspection, classification et correspondance concernant les rangs 1, 2, 3 et 4, dans le canton de Rolette, comté de Montmagny. (Document de la session no 59)

Nomination d'un inspecteur d'hôtels

L'honorable M. Décarie (Hochelaga) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 13 avril 1910, pour la production de copie de tous documents et correspondance échangés entre le gouvernement ou aucun de ses membres et l'Association des commis voyageurs de cette province ou toute autre personne, concernant la nomination d'un inspecteur d'hôtels dans cette province. (Document de la session no 60)

Lot 19, rang 10, canton Watford

L'honorable M. Décarie (Hochelaga) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 11 avril 1910, demandant la production de copie de tous arrêtés ministériels, correspondance et documents concernant le lot 19 du dixième rang du canton Watford. (Document de la session no 61)

Crédit général

M. Geoffrion (Verchères) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 83 amendant la charte du Crédit général.

Adopté. Le comité, ayant étudié le bill, rapporte progrès.

Compagnie du chemin de fer urbain de Sherbrooke

M. Marchand (Saint-Jean) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 84 amendant la charte de la Compagnie du chemin de fer urbain de Sherbrooke.

Adopté.

 

En comité:

Le préambule et l'article 1 sont adoptés.

M. le Président (M. Delâge, Québec-Comté) propose l'adoption de l'article 2.

M. Pelletier (Sherbrooke) ne voit pas d'objection à ce que le bureau principal soit à Sherbrooke, avec un bureau auxiliaire à Montréal. Ceci afin de permettre aux actionnaires de faire valoir leurs récriminations dans la ville.

Il propose en amendement que la section 2 de la loi 50 Victoria, chapitre 64, soit remplacée par la suivante:

"2. Le bureau principal de la compagnie sera situé dans la cité de Sherbrooke, mais la compagnie pourra avoir un autre bureau à Montréal, pour le transfert des actions et les assemblées du bureau de direction et des actionnaires."

Adopté. L'article ainsi amendé est adopté.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency), M. Finnie (Montréal no 4), M. Bourassa (Saint-Hyacinthe), M. Geoffrion (Verchères) et M. Cousineau (Jacques-Cartier) prennent part à une "discussion légale".

Les articles 3, 4, 5, 6, 7 et 9 sont adoptés.

Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a modifié. La Chambre procède à la prise en considération du bill ainsi amendé en comité général.

M. Marchand (Saint-Jean) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Monastère des ursulines de Rimouski

M. D'Anjou (Rimouski) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 104 constituant en corporation le monastère de l'Immaculée Conception des ursulines de Rimouski.

Adopté. Le comité, ayant étudié le bill, en fait rapport sans amendement.

M. D'Anjou (Rimouski) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Charte de Joliette

M. Mousseau (Soulanges) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 78 amendant la charte de la ville de Joliette.

Adopté.

 

En comité:

M. Tellier (Joliette) combat cette fois la clause qui veut que l'élection du maire se fasse par le peuple et la clause du scrutin secret1. S'il faut que ces clauses passent, qu'on ordonne alors qu'elles ne s'appliqueront que si le peuple le veut.

Cela ne représente pas les souhaits du peuple. Les réformes, telles que l'élection du maire par le peuple, la division de la ville en six quartiers et le vote au scrutin secret lors d'élections municipales, ont été présentées par un petit groupe de personnes intéressées.

Il y a eu des réformes semblables dans de grandes villes et cités, mais la majorité des citoyens et le conseil de ville de Joliette ne veulent pas des amendements qu'on impose. Au nom de quel libéralisme veut-on les leur imposer? Il désire que ces questions fussent référées au peuple de Joliette qui devrait être le plus apte à dire si oui ou non cette mesure est conforme à ses intérêts.

Il propose en amendement un référendum par le peuple sur cette question.

La proposition est rejetée sur division (22 voix contre 19).

M. Tellier (Joliette): Nous assistons à un spectacle scandaleux. On va forcer la ville de Joliette à payer pour un bill dont elle ne veut pas. À un moment donné, j'ai imploré. Rien n'y a fait. Il s'agit de savoir si l'on va permettre ou refuser au peuple de se gouverner lui-même.

Il propose en amendement que la ville de Joliette ne doive pas être chargée du paiement des frais du bill.

La proposition est rejetée sur division (23 voix contre 19).

M. Tellier (Joliette) propose en amendement d'ajouter une nouvelle clause pour appliquer la loi générale aux cités et villes.

La proposition est rejetée sur division.

M. Prévost (Terrebonne) proteste contre la conduite du gouvernement. Le chef de l'opposition (M. Tellier) a démontré que le peuple et le conseil de ville de Joliette sont opposés à l'élection du maire par le peuple. Le chef de l'opposition a proposé certains amendements qui ont été rejetés parce qu'ils étaient proposés par le député de Joliette.

Un amendement à l'effet de consulter le peuple avant d'accepter une clause a aussi été rejeté contre toute idée de justice. Le premier ministre tente de justifier cette conduite avec sa bonhommie habituelle. Il est pour le scrutin secret et il veut probablement imposer son opinion à la population de Joliette.

Il ajoute que, si le premier ministre est pour le scrutin secret lorsqu'il s'agit du bill de Joliette, il ne serait certainement pas en Chambre. Il reproche au premier ministre de faire si bien claquer le fouet sur l'échine de ses partisans qu'ils forcent les citoyens de Joliette à payer les frais d'un bill dont ils ne veulent pas. C'est là un scandale sans précédent. Voilà un exemple de la politique du Parti libéral.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Il est plutôt difficile de comprendre l'attitude de l'opposition. Le député de Joliette (M. Tellier) a surtout insisté pour que les conseillers soient élus par toute la ville. On le lui a accordé. Mais quel mal y a-t-il à ce que le scrutin soit secret, à ce que le maire soit élu par le peuple? Le Parti libéral a toujours favorisé ces deux mesures pour toutes les villes de la province, et il (M. Gouin) affirme qu'il adhérera toujours à ces principes.

Si le peuple de Joliette veut s'élire un maire, il pourra le faire. Le mode de fonctionnement du gouvernement municipal de Joliette est dépassé et la majorité des autres villes de la province l'ont remplacé par un meilleur système.

Nous voulons en tout cas que tous les électeurs de Joliette soient placés sur le même pied que ceux de la province. Je suis convaincu que, lorsque l'électorat aura eu le scrutin secret à Joliette, il ne reviendra jamais à l'ancienne mode. Personnellement, je suis pour le scrutin secret, je ne blâme pas ceux qui ne sont pas de mon opinion et je préfère voir le maire élu par le peuple qu'élu par le conseil. Il n'y a là-dedans aucune question de politique. Je regrette les violences du député de Terrebonne (M. Prévost), mais j'ai agi jusqu'ici avec conscience et continuerai d'agir ainsi, malgré tous les tonnerres qui pourront tonner contre moi, sans avoir grand effet.

M. Prévost (Terrebonne): Le premier ministre doit alors changer la loi générale des cités et villes de la province. À propos de scrutin secret, le premier ministre appliquerait-il ce système à la Chambre? Le ministère serait souvent surpris.

M. Cousineau (Jacques-Cartier) est opposé au principe de ce bill et fait remarquer que la législature ne devrait pas créer de précédents qui mettront plus tard les députés dans l'embarras lorsqu'ils devront débattre les questions municipales. Les demandes de modifications devraient provenir ou de la majorité du conseil ou de la majorité des contribuables.

Je réfère au code municipal pour établir le gouvernement du peuple par lui-même. En fait de droit municipal, je soutiens que la législature n'est pas souveraine. Elle peut être souveraine dans certains cas, mais pas dans celui qui nous occupe.

Ce qui fait la force de l'Angleterre, c'est qu'elle ne permettrait jamais, de par sa tradition parlementaire, que soit présenté un bill qui, à la demande d'une minorité de contribuables, viserait à amender la charte de la ville de Londres. La législature a violé l'un des principes britanniques les plus élémentaires en vertu duquel il revient à la majorité de prendre une décision dans une municipalité.

M. Lavergne (Montmagny) fait référence au pouvoir tyrannique du gouvernement actuel qui permet qu'une telle mesure soit présentée devant la Chambre, alors que la majorité des membres du conseil de ville et des électeurs de Joliette sont opposés à ce bill. On viole les droits d'une ville et on refuse même le référendum. Il demande le scrutin secret à la Chambre.

Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a modifié. Les amendements sont lus deux fois et adoptés.

M. Mousseau (Soulanges) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

M. Tellier (Joliette) propose en amendement, appuyé par le représentant de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa), que le bill 78 amendant la charte de la ville de Joliette ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit de nouveau renvoyé au comité général de cette Chambre, avec instruction de l'amender en remplaçant l'article 11 dudit bill par le suivant:

"11. Le conseil devra, au cours de septembre prochain, soumettre aux électeurs municipaux de la municipalité, en la manière prévue par les articles 5614, 5615, 5616, 5617, 5621 et 5622 des statuts refondus de 1909, la question suivante, savoir:

"Êtes-vous en faveur de l'élection du maire par le peuple et du vote au scrutin secret aux élections municipales?

"La votation aura lieu aux jours que le conseil devra déterminer par résolution et le conseil devra l'annoncer préalablement, par un avis public, publié conformément aux dispositions de la charte.

"Les électeurs inscrits sur la liste en vigueur lors de cette votation seront admis à voter sans avoir payé leurs taxes municipales et scolaires.

"À la clôture de la votation, la personne qui aura présidé la votation comptera les "oui" et les "non" et, dans les quatre jours suivants, elle soumettra au conseil le résultat de la votation dans un rapport auquel elle devra joindre le cahier de votation et tous autres documents ayant rapport à cette votation.

"Si la majorité des votes donnés sur cette question est dans l'affirmative, la présente loi entrera en vigueur, et dans ce cas l'élection du maire, celle des échevins se feront à l'avenir en vertu de cette loi et conformément d'ailleurs à la loi des cités et villes.

"Si la majorité des votes donnés sur ladite question est dans la négative, la présente loi sera considérée comme non avenue et de nul effet."

Cette motion en amendement étant mise aux voix, la Chambre se divise. Les noms sont appelés et inscrits comme suit:

Pour: MM. Bernard, Bourassa, Cousineau, D'Anjou, D'Auteuil, Francoeur, Giard, Lafontaine (Maskinongé), Lavergne, Patenaude, Plante, Prévost, Reed, Sauvé, Sylvestre, Tellier, 16.

Contre: MM. Allard, Benoît, Carbonneau, Caron (L'Islet), Caron (Matane), Daigneault, Décarie, Devlin, Dion, Finnie, Gaboury, Geoffrion, Godbout, Gosselin, Gouin, Kaine, Kelly, Lafontaine (Berthier), Mackenzie, Marchand, Mercier, Morisset, Mousseau, Perron, Pilon, Séguin, Taschereau, Tourigny, Walker, 29.

Ainsi, la motion en amendement est rejetée.

La motion principale étant mise aux voix, la Chambre se divise, et elle est résolue dans l'affirmative. Le bill est lu une troisième fois.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Fabrication des produits laitiers

La Chambre continue le débat sur l'amendement de M. Tellier à la motion de l'honorable M. Caron, pour troisième lecture du bill 4 amendant les statuts refondus, 1909, relativement à la fabrication des produits laitiers.

M. Geoffrion (Verchères) est perplexe après le débat qu'il vient d'entendre. Il avoue être aussi embarrassé que Henri IV, qui disait après avoir entendu deux plaideurs: Le diable m'emporte, je crois qu'ils ont raison tous deux. Mais la constitution est là; la législature n'a pas droit de restreindre le nombre des fabriques. Ce serait réglementer le commerce, question qui est du domaine fédéral.

Il est impossible de faire une loi qui puisse s'appliquer automatiquement, de décrire toutes les conditions requises des fabriques et des fabricants, de prévoir à l'hygiène des manufactures. Cependant, nulle loi ne peut être interprétée que par un juge. L'application de la loi sera entre les mains du ministre, comme l'application de toutes les lois est entre les mains du juge. La législature sera toujours la Cour suprême. Il déclare qu'il voterait contre un ministre qui abuserait de ses pouvoirs. En tout cas, il s'agit principalement ici d'une question d'hygiène. Les pouvoirs de l'inspecteur, à part cela, sont limités. Et le propriétaire ou le fabricant lésés auront leur recours devant les tribunaux. Le ministre a bien fait de ne pas faire sa loi de façon à réduire le nombre des fabriques parce que l'opposition se serait récriée. Les députés de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) et de Terrebonne (M. Prévost) crieraient à la persécution des petits. L'Ontario, le Danemark, l'Australie même, nous font une concurrence victorieuse. Je crois que la loi d'Ontario est bonne et cette province est jalouse de la fabrication de ses produits de la ferme. La législation est plus sévère que la nôtre. Enfin, si le Danemark nous fait une concurrence sérieuse sur le marché anglais, c'est parce que ses produits sont supérieurs aux nôtres.

Il est urgent d'agir pour améliorer nos produits. Je suis donc étonné de voir l'obstruction que l'on fait à la gauche, contre une loi qui a l'appui de toute la classe agricole; j'ai consulté depuis que les débats sur ce sujet sont commencés. Les cultivateurs de Verchères approuvent unanimement le projet du ministre.

Il est surpris de l'amendement du chef de l'opposition (M. Tellier) qui n'est pas conforme à nos lois, selon son opinion.

M. Prévost (Terrebonne): Il y a deux produits laitiers: le beurre et le fromage. Notre beurre a un meilleur prix que celui d'Ontario. Le grand mal dans la fabrication du beurre et du fromage dans la province, c'est tout simplement le trop grand nombre de petites fabriques mal outillées pour produire des denrées d'excellente qualité.

Il demande au ministre d'amender sa loi de façon à décrire les conditions de construction des fabriques, comme on l'a fait pour les écoles. Il croit que deux inspecteurs ne suffiront pas à la tâche.

Nous n'avons rien à craindre des produits étrangers. Notre beurre sur le marché a un prix plus élevé que celui des autres pays étrangers. Il y a dans la province de Québec plusieurs paroisses où il n'y a pas de beurrerie. Alors, deux ou trois s'achètent un séparateur et font le beurre eux-mêmes. L'établissement des beurreries subit l'influence de la politique et on n'a qu'à regarder les rapports pour s'en convaincre.

La province a pour l'agriculture les mêmes pouvoirs que pour les licences. Une commission indépendante pourrait donc réduire le nombre des fabriques comme celui des buvettes. Telle quelle, la loi sera le plus puissant levier de patronage qu'on ait encore vu. Aux influences mises en jeu en temps de campagne électorale, aucun ministre ne saura résister.

Il dit que l'honorable député de Verchères (M. Geoffrion) a, dans son discours, mentionné le prix du fromage à la place du prix du beurre et qu'il s'est ainsi montré non qualifié pour discuter de la question en tant que député ministériel ... bien qu'il ait été obligé de prétendre qu'il aimait l'odeur du fromage.

M. Geoffrion (Verchères): Je n'ai jamais attrapé d'indigestion à Bruxelles.

M. Prévost (Terrebonne) s'insurge avec véhémence contre de telles attaques personnelles. Si l'honorable député veut s'engager sur ce terrain, je l'amènerai sur un autre terrain où il ne sera pas très à son aise.

M. l'Orateur met fin à l'incident.

M. Prévost (Terrebonne) remarque que le député de Verchères (M. Geoffrion) a été le premier à sortir de l'ordre, mais que vraisemblablement il a parlé sans trop réfléchir.

M. Lafontaine (Maskinongé) attire l'attention de la Chambre sur certaines clauses dangereuses du projet. Il suggère par exemple que, lorsqu'une fabrique sera trouvée mal outillée, on donne au fabricant quelques semaines pour en améliorer l'outillage. Ce délai serait précieux en temps d'élections pour faire échec aux dénonciateurs intéressés. On se servira de cette loi pour faire du capital politique. On ne regardera pas d'accorder à un ami du ministre la permission d'établir une fabrique près d'une autre déjà existante et on ruinera le propriétaire de l'ancienne en lui faisant fermer la fabrique sous prétexte qu'elle n'est pas tenue suivant les conditions de la loi. La classe agricole a droit elle aussi aux franchises que ne lui reconnaît pas le projet du député de L'Islet (l'honorable M. Caron).

Il reproche au ministre de n'avoir pas consulté les agriculteurs avant d'entamer un projet qui menace leur liberté.

L'honorable M. Caron (L'Islet) est content de voir que son projet de loi excite tant la discussion et croit que c'est surtout en raison de sa bonté qu'on lui fait une lutte si acharnée du côté adverse. Il ne croit pas devoir revenir sur les points déjà si longuement discutés. La question est celle-ci: nous avons le droit de légiférer simplement sur ce qui concerne l'hygiène et nous prétendons que sur ce seul point la nouvelle loi sera une grande amélioration.

Pourquoi lui prêter l'intention de mesurer les tuyaux et d'inspecter les planchers à la loupe? Nous ne pouvons légiférer sur la construction même des fabriques, pas plus que nous pourrions en limiter ou augmenter le nombre. Déterminer le nombre des fabriques par territoires donnés, c'est impossible à cause de la variété de conditions de l'industrie dans les différentes parties de la province. Nous devons nous occuper tout simplement que les règles de l'hygiène soient observées.

On a parlé de copier certains articles de la loi de l'instruction publique. Le ministre de l'Agriculture ne demande pas des pouvoirs plus étendus que ceux du surintendant. Il n'est pas un partisan dans la gouverne de son ministère, et il prouvera à ses adversaires qu'ils ont eu tort de faire tant d'opposition à sa loi. Les inspecteurs généraux, comme bien l'on pense, n'auront pas à se transporter dans toutes les beurreries ou fromageries de la province, mais dans les seuls endroits où ils seront spécialement appelés. Pensez-vous d'un autre côté que MM. Bourbeau et Leclerc, qui connaissent tous les fabricants d'un bout à l'autre de la province, devront leur faire subir à tous un examen de compétence? Ils en pourront de suite qualifier les neuf dixièmes. Les cas douteux ne seront pas si nombreux que les inspecteurs ne puissent les examiner et les juger. Les examens de ces nouveaux inspecteurs seront passés devant des personnes n'appartenant pas aux écoles dont ils sortiront.

Il croit que Québec produira à l'avenir du beurre et du fromage de meilleure qualités qu'Ontario. Le fromage du Québec a été particulièrement mauvais, alors qu'avec les conditions climatiques de la province il devrait être meilleur qu'en Ontario. Avec la nouvelle loi, il est à souhaiter que cela se concrétisera dans un élan d'enthousiasme sans précédent.

Son projet a pour but surtout d'atteindre cette sorte de fromage qui est vendu en Angleterre et qui, tout en étant bon à manger, n'est pas de première qualité et peut déprécier et faire tort au produit de la province de Québec.

Finalement, il dit que son bill, dont on reconnaît des deux côtés de la Chambre les excellentes mesures, est sujet à une discussion qui dégénère en longueur, pour l'unique raison qu'il sort des sphères ministérielles.

Cette motion en amendement étant mise aux voix, la Chambre se divise. Les noms sont appelés et inscrits comme suit:

Pour: MM. Bernard, Bourassa, Cousineau, D'Auteuil, Giard, Lafontaine (Maskinongé), Patenaude, Plante, Prévost, Sauvé, Sylvestre, Tellier, 12.

Contre: MM. Allard, Benoît, Carbonneau, Caron (L'Islet), Caron (Matane), Daigneault, D'Anjou, Décarie, Delâge, Delisle, Devlin, Dorris, Dupuis, Finnie, Francoeur, Geoffrion, Godbout, Gosselin, Gouin, Kaine, Lafontaine (Berthier), Langlois (Saint-Sauveur), Lévesque, Mackenzie, Marchand, Mercier, Morisset, Mousseau, Neault, Perron, Pilon, Reed, Robert, Séguin, Taschereau, Tessier, Thériault, Tourigny, 38.

Ainsi, la motion en amendement est rejetée.

La question principale étant mise aux voix, la Chambre se divise, et elle est résolue dans l'affirmative. Le bill est lu une troisième fois.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

La séance est levée à minuit quinze.

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NOTE

 

1. M. Tellier fut maire de Joliette durant de nombreuses années.