Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
18e législature, 1re session
(3 novembre 1931 au 19 février 1932)
Le mardi 3 novembre 1931
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable T.-D. Bouchard
La séance est ouverte à 3 heures.
Prière.
M. le Greffier: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!
Ce mardi, trois novembre mil neuf cent trente et un, dans la vingt-deuxième année du règne de Sa Majesté George V, par la grâce de Dieu, roi de Grande-Bretagne, d'Irlande et des territoires britanniques au-delà des mers, défenseur de la foi, empereur des Indes, à la première session de la dix-huitième législature convoquée pour ce jour, par proclamation ci-annexée, pour l'expédition des affaires;
Le greffier de la couronne en Chancellerie ayant remis au greffier de l'Assemblée législative et, celui-ci ayant déposé sur le bureau de la Chambre une liste certifiée des députés qui ont été élus à l'élection générale de 1931;
M. Louis-Philippe Geoffrion, greffier de l'Assemblée législative, et M. Charles-Alphonse Fournier, greffier-adjoint de l'Assemblée législative, tous deux commissaires nommés, per dedimus potestatem, pour faire prêter le serment d'allégeance aux députés, ayant de onze heures du matin à trois heures de l'après-midi assermenté au bureau de la Chambre les députés, qui se sont présentés; le serment prêté, et les députés ayant signé le registre qui le contient;
A trois heures, la masse est placée sous le bureau.
Le Greffier réclame l'ordre et les députés prennent leur siège.
Messages du lieutenant-gouverneur:
M. Arthur Saint-Jacques, huissier à la verge noire, apporte le message suivant:
Messieurs, Son Honneur le lieutenant-gouverneur de la province désire la présence immédiate de cette Chambre dans la salle des séances du Conseil législatif.
En conséquence, le greffier et les députés se rendent dans la salle des séances du Conseil.
M. l'Orateur du Conseil législatif: Honorables Messieurs, Messieurs de l'Assemblée législative, Son Honneur le lieutenant-gouverneur ne croit pas devoir déclarer les motifs qui lui ont fait convoquer la présente législature de la province de Québec avant qu'un Orateur pour l'Assemblée législative ait été choisi suivant la loi; mais quand ce choix sera fait, Son Honneur expliquera les motifs de la convocation de la présente législature.
Les députés reviennent à la salle de l'Assemblée législative.
Élection de l'Orateur
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): M. le Greffier, le lieutenant-gouverneur vient de nous prier d'élire l'Orateur de cette Chambre. Je crois rencontrer l'approbation de tous mes collègues en proposant que le député de Saint-Hyacinthe (M. Bouchard) soit élu à la présidence de l'Assemblée législative. (Applaudissements)
Tous ceux qui faisaient partie de l'ancienne législature savent comment l'honorable député de Saint-Hyacinthe s'est bien acquitté de sa tâche d'Orateur. Une tradition veut que le député choisi pour présider nos délibérations proteste de son incapacité à remplir cette fonction. J'espère que tout à l'heure, lorsque j'irai le chercher à son siège, l'honorable député de Saint-Hyacinthe ne me rendra pas la tâche trop difficile. (Rires) J'ai donc l'honneur de proposer, secondé par le député de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), que M. Télesphore-Damien Bouchard, député pour le collège électoral de Saint-Hyacinthe, soit élu Président de cette Chambre1.
M. Duplessis (Trois-Rivières) dit quelques mots à mi-voix; on ne l'entend pas.
La proposition est adoptée "nemine contradicente".
M. le Greffier déclare l'honorable Télesphore-Damien Bouchard (député de Saint-Hyacinthe) dûment élu. Ce dernier est conduit au fauteuil par le député de Montmorency (l'honorable M. Taschereau) et par le député de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils).
M. l'Orateur, arrivé au degré supérieur de l'estrade, exprime ses remerciements à la Chambre comme suit:
L'honorable M. Bouchard (Saint-Hyacinthe): Messieurs, je remercie sincèrement la Chambre du grand honneur qu'elle vient de me faire en me choisissant pour son Orateur, et je la prie de croire que je m'efforcerai toujours de mériter sa confiance.
Je n'ignore pas combien je suis peu qualifié pour occuper le poste important qui m'est assigné; aussi, je compte sur la bienveillance et le concours de tous les membres de cette Chambre, pour remplir avec fermeté et impartialité les devoirs qui vont m'incomber.
J'aime à espérer que la Chambre entière voudra bien, à l'occasion, m'aider à défendre nos droits et privilèges, à faire respecter notre règlement, et à maintenir la liberté de discussion que nos usages ont consacrée.
M. l'Orateur prend alors place au fauteuil et la masse, qui auparavant était sous la table, est mise sur le bureau.
Messages du lieutenant-gouverneur:
M. Arthur Saint-Jacques, huissier à la verge noire, apporte un nouveau message, lequel se lit comme suit:
M. l'Orateur, Son Honneur le lieutenant-gouverneur de la province de Québec désire la présence immédiate de cette honorable Chambre dans la salle des séances du Conseil législatif.
En conséquence, l'Orateur, précédé de la masse et suivi des députés, se rend à la barre du Conseil législatif.
M. l'Orateur de l'Assemblée législative: M. le lieutenant-gouverneur, l'Assemblée législative m'a choisi pour son Orateur, bien que je ne me sente pas très qualifié pour remplir le poste important auquel elle m'a appelé.
Si, dans l'exercice des fonctions de ma charge, il m'arrive de commettre quelque erreur, je désire que ce soit à moi que l'on impute cette erreur et non à la Chambre dont je suis le serviteur.
Et afin que l'Assemblée législative soit à même de se mieux acquitter de ses devoirs envers son Souverain et son pays, je réclame de sa part tous les droits et tous les privilèges qui ne peuvent lui être contestés; spécialement, je demande qu'elle jouisse de la liberté de discussion, qu'elle ait accès auprès de Votre personne en temps opportun, et que Votre Honneur veuille bien interpréter favorablement ses délibérations et ses actes.
M. l'Orateur du Conseil législatif: M. l'Orateur, j'ai reçu ordre de Son Honneur le lieutenant-gouverneur de vous exprimer l'entière confiance de Sa Majesté dans vos talents, votre intelligence et votre aptitude à remplir les importants devoirs du haut poste d'Orateur de l'Assemblée législative auquel vous avez été élu par la Chambre, et que Sa Majesté vous reconnaît et vous confirme comme Orateur de la Chambre de l'Assemblée législative.
J'ai aussi ordre de vous assurer que l'Assemblée législative aura un prompt accès auprès de Son Honneur en toute occasion convenable, et qu'il interprètera toujours de la manière la plus favorable ses procédés ainsi que ses paroles et ses actions.
Discours du trône2
Son Honneur le lieutenant-gouverneur:
Honorables Messieurs du Conseil Législatif,
Messieurs de l'Assemblée législative,
Mon gouvernement a cru devoir, cette année encore, vous convier à une date plus hâtive qu'à l'ordinaire, afin de vous inviter à pourvoir, si nécessaire, aux mesures à prendre pour faire face aux conditions économiques qui affectent le monde.
Loin de nous de vouloir prêcher le pessimisme; Québec est peut-être la moins affligée de ses provinces-soeurs et, d'ailleurs, la rude leçon que les derniers événements ont donnée à tous a créé, je l'espère, un esprit de solidarité internationale et un retour à des principes d'économie politique et individuelle qui ne sauraient tarder de faire sentir leurs effets bienfaisants.
Je prie Dieu pour que ce voeu se réalise bientôt.
Vous me permettrez de m'arrêter un instant pour exprimer le chagrin que notre province a éprouvé à la mort de Son Éminence le cardinal Rouleau, arrivée depuis la prorogation de la dernière session.
La crise mondiale a créé de nouveaux problèmes auxquels les législateurs doivent trouver une solution.
Le chômage, que l'on a peut-être exagéré dans un pays comme le nôtre où un long hiver arrête nécessairement beaucoup de nos activités, va requérir encore votre attention.
On vous demandera de voter les crédits nécessaires pour permettre de coopérer avec les autorités fédérales et municipales.
Mon gouvernement croit que le retour à la terre est encore le meilleur remède au chômage, parce qu'il offre un caractère de permanence qui manque à trop des palliatifs temporaires auxquels on a eu recours et qui deviennent un fardeau trop lourd pour les gouvernements et les municipalités. De plus, les ressources publiques ne sont pas inépuisables et il faut que la charité des citoyens vienne se joindre à elles.
Nos municipalités, pendant les jours de prospérité, se sont lourdement endettées; les secours qu'elles ont accordés aux victimes du chômage ont ajouté à leur fardeau.
Pour assurer leur stabilité financière, mon gouvernement vous demandera d'approuver une loi pourvoyant à la création d'une commission d'experts appelée à se prononcer sur tous les emprunts que désireront faire les municipalités.
La loi électorale a besoin de plusieurs modifications dont la plus importante est la révision des listes électorales par une procédure expéditive et peu coûteuse, après l'émanation des brefs d'élections. Il importe que personne ne soit privé de son droit de suffrage. Un projet de loi vous sera présenté à cet effet.
Mon gouvernement vous demandera également de créer des chefs-lieux pour les nouveaux comtés établis précédemment.
La commission, instituée pour étudier les divers systèmes d'assurances sociales, a fait un travail considérable et plusieurs de ses membres ont visité les pays étrangers pour s'enquérir de leur fonctionnement.
Le rapport de la commission n'est pas encore complet; le gouvernement s'empressera de vous le soumettre dès qu'il l'aura reçu et vous demandera d'en faire l'étude.
Un ministère du Travail, créé à la dernière session, vient de voir compléter son organisation par la nomination d'un ministre du Travail. Mon gouvernement forme l'espoir que les ouvriers de la province, qui voient un des leurs présider à ce ministère, seront satisfaits de la réalisation du désir qu'ils avaient formulé à cet effet.
Je puis ajouter que la nouvelle loi des accidents du travail est venue en vigueur le premier septembre dernier et donne satisfaction.
Le crédit agricole est nécessaire à nos cultivateurs. Le système fédéral ne semble pas donner satisfaction, quelque louables que soient les motifs qui l'ont inspiré. Si ce système ne peut être amélioré, mon gouvernement cherche un autre régime qu'il vous soumettra dès qu'il sera arrêté.
La dépression commerciale et industrielle a considérablement affecté les revenus de la province, comme ceux du reste de tous les pays, et les octrois aux chômeurs, ainsi que les grands travaux de ponts, de voirie et de colonisation que le gouvernement a entrepris, pour donner de l'emploi aux ouvriers, rendent nécessaires un emprunt et la création de nouvelles sources de revenus. Les nouveaux impôts seront toutefois extrêmement légers.
D'autres mesures d'un intérêt général et particulier vous seront soumises.
Vous saurez leur donner toute votre attention.
Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l'Assemblée législative,
Les comptes publics pour l'année fiscale expirée le 30 juin dernier vous seront soumis.
Vous constaterez avec plaisir que cet exercice s'est terminé par un excédent considérable des recettes sur les dépenses, ce qui est un indice de la prospérité de la province et un facteur puissant de son crédit et de sa stabilité financière. On vous demandera enfin de voter les crédits nécessaires à l'administration pour le prochain exercice.
Je prie la Divine Providence de bénir vos travaux et de les rendre fructueux.
Et, les députés étant de retour,
M. l'Orateur de l'Assemblée législative: J'ai l'honneur de faire rapport que cette Chambre vient de se rendre dans la salle des séances du Conseil législatif; que là, j'ai informé Son Honneur le lieutenant-gouverneur que l'Assemblée législative m'avait choisi pour son Orateur; que j'ai aussi, au nom de cette Chambre, réclamé tous ses droits et privilèges et demandé qu'elle jouisse de la liberté de discussion, qu'elle ait accès auprès de Son Honneur, lorsque les circonstances l'exigeront, et qu'il veuille bien interpréter favorablement tous les actes et délibérations de cette Chambre; que, sur ce, Son Honneur a bien voulu déclarer qu'il reconnaissait volontiers à notre Assemblée tous les privilèges que lui accorde la Constitution, qu'elle aurait, en temps opportun, un accès facile auprès de lui, et qu'il interpréterait toujours favorablement nos délibérations, nos paroles et nos actes.
Prestation des serments d'office
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) demande la permission de présenter le bill 1 relatif à la prestation des serments d'office.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Discours du trône
M. l'Orateur: J'ai l'honneur de faire rapport que lorsque cette Chambre s'est rendue aujourd'hui auprès de Son Honneur le lieutenant-gouverneur dans la salle des séances du Conseil législatif, il a plu à son Honneur de lire un discours à l'adresse des deux Chambres de la Législature de cette province, et que, pour prévenir toute erreur, j'en ai obtenu une copie dont je vais donner la lecture à la Chambre.
Les députés de la Chambre exemptent M. l'Orateur d'en donner lecture.
Prise en considération du discours du trône
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), que le discours de Son Honneur le lieutenant-gouverneur de la province; prononcé devant les deux Chambres de la Législature, soit pris en considération à la prochaine séance.
Adopté.
Formation des comités permanents
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), que les comités suivants soient institués, savoir:
- un comité des privilèges et élections;
- un comité des règlements;
- un comité des comptes publics;
- un comité des chemins de fer et autres moyens de communication;
- un comité de l'agriculture, de l'immigration et de la colonisation;
- un comité des industries et du commerce;
- un comité du Code municipal;
- un comité des bills privés en général;
- un comité des bills publics en général;
- un comité de la Bibliothèque de la Législature;
- un comité des impressions législatives.
Et que chacun de ces comités soit autorisé à délibérer et à s'enquérir de toutes les affaires et matières qui lui sont renvoyées par la Chambre, à faire de temps à autre des rapports exprimant ses observations et ses vues sur ces affaires et matières, et à envoyer chercher les personnes, pièces et dossiers dont il pourra avoir besoin.
Adopté.
Composition d'un comité spécial
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), qu'un comité spécial de onze membres soit institué pour dresser et présenter, avec toute la diligence possible, une liste des députés qui feront partie de chacun des comités permanents dont la Chambre a décidé la formation; que les honorables MM. Taschereau, Mercier fils et Dillon, MM. Côté (Bonaventure), Delisle, Drouin, Duplessis, Gault, Marchand, Smart et Vautrin forment ledit comité spécial.
Adopté.
Dépôt de documents:
Rapport sur les élections
M. l'Orateur dépose sur le bureau de la Chambre la liste indiquant le nom des personnes qui, à l'élection générale, tenue conformément aux brefs du 31 juillet 1931, ont été déclarées élues députés à l'Assemblée législative de la province de Québec, le nom des personnes à qui ces brefs ont été adressés, et rapport sur les élections partielles tenues pendant la législature précédente (1927-1931). (Document de la session no 6)
Rapport du ministre des Affaires municipales, 1930-1931
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministre des Affaires municipales de la province de Québec pour l'année 1930-1931, quatorzième rapport. (Document de la session no 3)
Rapport du ministère de la Voirie
L'honorable M. Perrault (Arthabaska) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministère de la Voirie, rapport de 1931. (Document de la session no 5)
Rapport du ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries
L'honorable M. Laferté (Drummond) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport général du ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries, province de Québec, pour l'année finissant le 30 juin 1931. (Document de la session no 4)
Ajournement
La séance est levée à 4 h 10.
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NOTES
1. L'Action catholique du 4 novembre 1931, page 9, relève que le chef de l'opposition, député de Montréal-Saint-Georges (M. Gault), n'a prononcé aucune parole, mais qu'il a fait des signes d'approbation.
2. Selon la procédure parlementaire, le texte du Discours du trône fait l'objet de deux lectures, une première fois à la salle du Conseil législatif par le lieutenant-gouverneur, et une seconde fois par l'Orateur de l'Assemblée législative, à la salle de l'Assemblée législative. Les députés peuvent toutefois exempter l'Orateur de procéder à cette seconde lecture. Selon les Journaux de l'Assemblée législative, page 4, rien n'indique que cette exemption ait été accordée à l'Orateur. L'Événement du 4 novembre 1931, page 8, souligne toutefois cette exemption, ce qui nous porte à croire, malgré la contradiction entre les deux sources, que seule la lecture au Conseil législatif ait eu lieu.