L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux de l'Assemblée > Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationDébats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)

Version finale

18e législature, 1re session
(3 novembre 1931 au 19 février 1932)

Le mercredi 20 janvier 1932

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de I. Vautrin

La séance est ouverte à 3 h 30.

Absence de l'Orateur

M. le Greffier fait part à la Chambre de l'absence de l'Orateur (l'honorable T.-D. Bouchard).

Prière.

M. l'Orateur suppléant: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Rapports de comités:

M. Delisle (Chicoutimi): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le dix-neuvième rapport du comité permanent des règlements. Voici le rapport:

Votre comité est d'opinion que la pétition de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte, est régulière et suffisante, que le bill qui a été déposé par le pétitionnaire est régulier et conforme à la pétition et à l'avis qui en a été donné, que cette pétition n'a pas été régulièrement et suffisamment annoncée, mais cette irrégularité ne peut cependant porter préjudice aux tiers. En conséquence, votre comité recommande de suspendre les règles à l'égard de cette irrégularité.

Adopté.

Association catholique de la jeunesse canadienne-française

M. Vautrin (Montréal-Saint-Jacques) demande la permission de présenter le bill 129 modifiant la charte de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

 

Questions et réponses:

Revenus de la province

M. Duplessis (Trois-Rivières): Quels sont: a. les revenus bruts; b. les revenus nets de la province provenant de la loi 16 George V, chapitre 55, depuis le 1er janvier 1931 inclusivement, jusqu'au 1er novembre exclusivement?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Les revenus de la province provenant de la loi 16 George V, chapitre 55, depuis le 1er janvier 1931 inclusivement, jusqu'au 1er novembre exclusivement: a. les revenus bruts: $180,496.37; b. les revenus nets: $173,580.19.

Revenus bruts, licences ou permis d'autobus

M. Fisher (Huntingdon): 1. Quels ont été les revenus bruts provenant des licences ou permis d'autobus en 1930-1931?

2. Pour combien d'autobus les licences ou permis ont-ils été ainsi payés?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): 1. Honoraires d'enregistrement en vertu de l'article 5 de la loi des véhicules automobiles, chapitre 35, statuts refondus de Québec, 1925: $47,842.05.

2. 524.

Emprunts de Hull et Pointe-Gatineau

M. Guertin (Hull): Quel montant a exigé le gouvernement de la cité de Hull et de la municipalité de Pointe-Gatineau, autorisés à faire des emprunts en 1930-1931?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Cité de Hull: $358; Pointe-Gatineau: $65.

Droits perçus, loi des licences

M. Guertin (Hull): 1. Quels ont été les droits perçus en 1930-1931, dans le comté de Hull, pour les licences de lieux d'amusements, conformément à la loi des licences de Québec?

2. Quels ont été les droits perçus en 1930-1931, dans le comté de Hull, pour les licences de pistes de courses et les droits d'entrée aux pistes de courses, conformément à la loi des licences de Québec?

3. Quel a été le revenu en 1930-1931, dans le comté de Hull, provenant des honoraires de l'enregistrement des appareils employés pour les paris ou gageures sur les pistes de courses et les droits imposés sur lesdits paris ou gageures, conformément à la loi des licences de Québec?

4. Quels ont été les droits du pauvre perçus en 1930-1931, dans le comté de Hull, en vertu des dispositions de la section VI, chapitre 189, du volume III des statuts refondus, 1925, article 49?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): 1. $320.

2. Licences, $7,010; droits d'entrée, $5,980.94.

3. Appareils, $190; droits sur paris ou gageures, (montant net), $31,420.98.

4. $6,819.27.

Corporations scolaires de Hull et Pointe-Gatineau

M. Guertin (Hull): Quel montant a exigé le gouvernement des corporations scolaires de Hull et de Pointe-Gatineau autorisées à faire des emprunts en 1930-1931?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Hull, $60; Pointe-Gatineau, $45.

 

Dépôt de documents:

Ordres en conseil 17 George V, chapitre 55

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 14 janvier 1932, demandant la production de copies authentiques des ordres en conseil adoptés par le gouvernement de cette province depuis le 31 mars 1927 jusqu'au 1er janvier 1932 et se rapportant à la loi 17 George V, chapitre 55. (Document de la session no 36)

Ordres en conseil, chapitre 36

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 14 janvier 1932, demandant la production de copies authentiques des ordres en conseil adoptés par le gouvernement de cette province depuis le 15 décembre 1925 jusqu'au 1er janvier 1932 et se rapportant au chapitre 36 des statuts refondus de Québec, 1925. (Document de la session no 37)

Ordres en conseil 21 George V, chapitre 30

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 14 janvier 1932, demandant la production de copies authentiques des ordres en conseil adoptés par le gouvernement de cette province depuis le 10 mars 1931 jusqu'au 1er janvier 1932 et se rapportant à la loi 21 George V, chapitre 30. (Document de la session no 38)

Progrès de l'agriculture

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à une adresse, en date du 14 janvier 1932, demandant la production de copie de documents, correspondance, etc., relatifs au progrès de l'agriculture en cette province. (Document de la session no 39)

Commission des services publics

M. Duplessis (Trois-Rivières): Je voudrais savoir si l'honorable premier ministre va déposer, cet après-midi, le rapport de la Commission des services publics dont il a été question ce matin au comité des bills privés.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): C'est mon intention.

Droit de vote des femmes

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) appelle l'article 24 du feuilleton.

Des voix: Carried! Drop!1

M. Plante (Montréal-Mercier): La belle réception que me fait la députation m'assure d'avance d'une belle victoire!

Une voix: C'est à voir!

M. Plante (Montréal-Mercier) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 153 modifiant la loi électorale de Québec relativement au droit de vote des femmes et à leur éligibilité soit maintenant lu une deuxième fois.

M. Plante (Montréal-Mercier): M. le Président...

Des voix: Plus fort.

M. Plante (Montréal-Mercier): Nous avons aujourd'hui une séance de gala, et je serais bien mauvais avocat si je ne gagnais pas cette cause.

Des voix: Ça c'est vrai.

M. Plante (Montréal-Mercier): Il semble étrange, qu'après les preuves multiples que la femme a données de son intelligence et de son entente des questions sociales et politiques, il soit nécessaire d'argumenter sur ses qualifications comme électrice. Néanmoins, voilà déjà quelques années que cette Chambre voit une mesure, demandant le vote pour les femmes de Québec, repoussée par la députation, sans que ses adversaires aient pris la peine, ou à peu près pas, de justifier leur refus.

Des voix: Honte! honte!

M. Plante (Montréal-Mercier): Mais les partisans de cette mesure de justice et d'équité n'ont pas perdu patience, et aujourd'hui, par l'entremise de votre humble serviteur, ils s'adressent encore à la représentation populaire, avec la ferme confiance que leur appel sera enfin entendu. Pourquoi la femme de Québec n'a-t-elle pas obtenu le droit de vote aux élections provinciales, alors que ses soeurs des autres provinces l'ont obtenu depuis longtemps et qu'elle-même est appelée à voter dans les élections fédérales?

Serait-ce que la femme de Québec est inférieure aux autres sous un rapport ou un autre? Il n'est pas un membre de cette Chambre, même le plus acharné des adversaires de la franchise électorale pour les femmes, qui soit prêt à soutenir que la femme de Québec, et particulièrement la femme canadienne-française, est incapable de voter avec autant d'intelligence et de discernement que l'homme.

Dès les premiers temps de la Nouvelle-France, on voit la femme des colons et des soldats donner les preuves les plus admirables de leur courage, de leur sang-froid dans les situations les plus difficiles, et les noms de Marie Rollet, de Madeleine de Verchères, de Marguerite Bourgeois, de Jeanne Mance, et de tant d'autres, sont aujourd'hui écrits en caractères ineffaçables dans l'histoire du peuple canadien-français. Plus tard, lorsque les temps héroïques eurent cédé le pas à une période plus paisible, mais encore plus fructueuse de résultats durables, on voit la femme canadiennne-française soutenir son mari dans toutes ses entreprises, l'aider dans l'épreuve, et lui donner de nombreuses familles, qui ont assuré la survivance de la civilisation française en Amérique.

Plus tard encore, lorsque la lutte pour la vie se fit plus âpre, on vit la femme canadienne-française s'associer de plus près dans le commerce de son mari, et souvent elle en devint l'administratrice. Il y a aujourd'hui, dans cette province, des centaines de femmes qui font preuve tous les jours, dans la conduite de leur commerce, de talents au moins égaux à ceux de leurs maris, et qui réussissent admirablement bien là où souvent leurs maris ont failli lamentablement.

Dans les temps d'épreuve que nous vivons actuellement, la femme canadienne-française fait preuve d'un courage tranquille, d'une confiance inébranlable en l'avenir. C'est elle qui, lorsque l'homme a perdu sa position, lorsque la misère frappe à la porte de l'humble logis, menaçant la famille des plus dures épreuves, c'est elle qui va se livrer parfois aux travaux les plus pénibles, heureuse de se dépenser sans compter pour assurer le confort de ses petits et du compagnon de ses jours.

Cet héroïsme, pour n'être pas aussi éclatant que celui de nos héroïnes d'antan, n'en est pas moins aussi admirable, et pour ma part, je suis heureux de m'incliner avec émotion devant l'héroïsme obscur et désintéressé de nos femmes d'aujourd'hui.

Des voix: Très bien, très bien.

M. Plante (Montréal-Mercier): Pour me résumer sur ce point, lorsque l'homme a eu besoin de la femme, il lui a toujours reconnu toutes les qualités, tous les héroïsmes, mais lorsqu'il s'agit de reconnaître les services rendus d'une manière tangible, en l'associant à ses activités politiques, il fait la sourde oreille et, lorsqu'elle insiste sur ses droits, il lui tourne le dos, ou hausse les épaules d'un air moqueur. Eh bien, ayons le courage de la reconnaître, ce geste n'est ni digne ni équitable.

La femme est-elle qualifiée pour exercer la franchise électorale? Voyons un peu ce qui se passe dans le monde aujourd'hui. Parmi les derniers peuples qui lui refusent le vote, chose étrange pour des gens qui ont une réputation de haute galanterie, se trouvent les peuples de France et de la province de Québec. Par ailleurs, les peuples les plus civilisés ont reconnu le droit de vote à la femme, et c'est le cas pour le Canada et toutes les provinces de ce dominion, moins la nôtre. A-t-elle montré qu'elle pouvait exercer le droit de vote judicieusement, ou tout aussi judicieusement que l'homme? Sans aucune hésitation, je réponds oui.

Regardons du côté de l'Angleterre, qui vient de subir une élection générale des plus critiques, pour son avenir politique et économique. Des deux groupes en présence, l'un voulait la révolution sociale et le renversement de l'ordre établi, avec tout ce que cela comporte d'aléas troublants, tandis que l'autre représentait le maintien de notre système politique actuel, tout en reconnaissant qu'il y avait lieu de l'améliorer; d'un côté, la révolution avec ses horreurs, l'autre, l'évolution paisible de notre organisation sociale, dans le calme et l'union des coeurs. L'honorable premier ministre, lui-même, quelques jours avant cette élection, a exprimé des vues fort justes sur les partis en présence. À certains moments, la vieille Angleterre semblait sur le point de succomber aux appels trompeurs des ennemis de l'ordre, mais la femme anglaise veillait.

On sait que le vote féminin en Angleterre dépasse de deux millions le vote masculin, et il n'est pas exagéré de dire que la femme anglaise a joué un rôle de tout premier ordre dans cette élection, où le bon sens a triomphé de la démagogie. Non seulement, elle a voté pour le parti national, mais elle a entraîné son mari ou ses frères par son exemple. En un mot, elle avait sauvé sa patrie. Et elle a démontré son désintéressement en n'envoyant à la Chambre qu'une quinzaine de membres de son sexe sur un total de plus de six cents.

Aux États-Unis, la femme exerce la franchise électorale sur toute l'étendue de son territoire, et nous ne croyons pas exagérer en disant qu'elle n'a rien à envier aux hommes sous le rapport de la dignité et de la compétence dans l'accomplissement des devoirs les plus divers. Il y a dans la république voisine des femmes-maires, il y a même eu une femme-gouverneur qui a avantageusement remplacé son mari dans cette charge. Au Canada même, une Agnès MacPhail se compare avantageusement à ses collègues masculins de la Chambre des communes, et en Alberta, il y a une femme qui a exercé les fonctions de magistrat de police, à la satisfaction générale, pendant de nombreuses années. Nous en passons.

Mais disent les adversaires du vote féminin, si vous accordez le droit de vote à la femme, c'est la dislocation du régime familial avant longtemps, c'est la disparition de nos moeurs patriarcales, si nécessaires à notre survivance comme race, sur ce continent. Cet argument ne tient pas debout, si l'on examine ce qui se passe ailleurs. Nous avons montré qu'en Angleterre, quoiqu'étant en majorité, les femmes ne tiennent pas à exercer les fonctions publiques et que très peu s'offrent au suffrage des électeurs. C'est la même chose aux États-Unis et au Canada, ainsi que dans d'autres provinces. Ce sera encore plus la même chose dans la province de Québec, il n'est pas besoin d'être prophète pour le prédire. La femme canadienne-française, dans le domaine provincial comme dans le domaine fédéral, exercera son droit de vote avec discernement, avec sagesse, sans négliger en rien ses devoirs de mère de famille et de société.

Un des arguments contre le droit de vote pour la femme est que celle-ci est faite pour être la reine du foyer.

Reine du foyer - soit! Mais ce rôle est-il exclusif de tout autre? En particulier, faut-il la confiner dans son royaume domestique au nom même de la royauté qu'elle y doit exercer, et lui refuser le droit d'en sortir pour s'aventurer sur les terrains de la vie publique et de la politique? Ou faut-il, au contraire, lui permettre de s'y risquer, d'y jouer un rôle actif à l'égal de l'homme? Il y a trente ou quarante ans, on n'aurait sans doute guère accepté que cette question puisse être posée dans notre province. Il n'est plus possible de l'esquiver maintenant.

Devons-nous nous joindre à ceux qui combattent pour les droits de la femme? Ou bien, devons-nous appuyer de notre mieux les adversaires qui, redoutant de voir la vie politique envahie tout-à-coup par une multitude de femmes, s'efforcent de les contenir en dehors de cette sphère d'action?

Ou bien devons-nous nous désintéresser de la lutte, y assister en simples spectateurs et accepter d'avance le verdict des vainqueurs? Voilà le problème qui se pose aujourd'hui pour nous, et surtout pour les honorables ministres de cette Chambre et les législateurs de cette province.

Rien ne s'oppose à ce que la femme participe à la vie politique de sa province et de son pays. Ni la religion, ni le droit naturel ne peuvent lui défendre de s'intéresser au bien commun de la société dont elle fait partie, en tant que personne reconnue et en tant qu'épouse, mère et reine du foyer. On redoute que sa dignité personnelle n'ait à souffrir de l'atmosphère malsaine de la politique. Que deviendra la femme au milieu des sollicitations dont elle sera l'objet, des flatteries ou des promesses par lesquelles on essaiera de capter ou d'acheter son vote?

Le suffrage féminin existe au fédéral; il existe dans toutes les autres provinces de ce dominion, sauf la province de Québec, et je vous le demande, M. 'Orateur, la réputation des femmes a-t-elle été amoindrie? Quel avantage ou quel intérêt pouvons-nous bien avoir à laisser dire ou à prétendre que durant les campagnes électorales, et dans l'arène politique, tout le monde est à vendre. Le danger de corruption morale qu'il peut représenter pour la femme n'est rien à côté de celui que représente sa vie à l'usine, au bureau, au magasin. Quand on admet, comme on l'admet si souvent que des multitudes de femmes travaillent à l'année dans les conditions que vous connaissez, M. l'Orateur, on est malvenu de se scandaliser devant la perspective du danger moral que représenterait pour les femmes le fait d'avoir à voter une fois à tous les quatre ou cinq ans. Et grâce à ce vote, les femmes réussiront à faire disparaître un bon nombre de ces dangers moraux. La santé et la dignité de la femme réclament des mesures de protection que les femmes n'obtiendront totalement peut-être qu'à partir du jour où l'homme devra compter avec elles pour être élu.

On redoute que le droit de vote accordé aux femmes ne compromette la vie au foyer, soit en y jetant de nouveaux ferments de discorde, soit en la détournant elle-même de ses devoirs domestiques. Inviter les femmes à prendre part aux luttes politiques, c'est, dit-on, faire se continuer jusque dans la maison les combats qui se livrent dans l'arène de la vie publique. Les différences de vues, les différences d'opinions entre les époux vont déclencher la guerre au foyer.

Mais pense-t-on que ces différences de vue ou d'opinion n'existent pas déjà dans beaucoup de foyers, bien que les femmes ne votent pas? Croit-on que beaucoup de femmes ne souffriront pas de voir leur mari voter pour des candidats qu'elles savent tout prêts à soutenir une politique qui les blesse dans leurs convictions les plus intimes, les inquiète dans leurs préoccupations les plus légitimes, qui les atteint dans leurs intérêts les plus chers?

S'imagine-t-on qu'on ne discute pas de politique au foyer, et surtout lorsque n'y règnent pas les mêmes sentiments, pourvu que l'un des deux seulement est en droit de faire valoir les siens? Et, s'imagine-t-on que la paix du foyer, que la bonne harmonie des époux n'est pas déjà compromise autant qu'elle puisse l'être par ces différences d'opinions qui déjà existent entre eux? Accorder ou refuser le droit de vote à la femme, ne changera malheureusement rien à cet état de choses.

Si des différences d'opinions politiques doivent se manifester entre les époux, c'est qu'elles existent déjà; ce n'est pas le droit de vote féminin qui les rendra plus profondes ou plus dangereuses. Et si elles n'existaient pas, ce n'est pas lui qui les fera naître. Je ne crois pas davantage qu'il va suffire de mettre un bulletin de vote entre les mains de la femme pour qu'elle ne veuille plus ou ne puisse plus remplir ses devoirs domestiques, pour qu'elle néglige gravement ses obligations d'épouse et de mère de famille.

Il lui faudra, dit-on, suivre les réunions électorales. Pas plus que son mari. Et combien d'heures lui prennent-elles? Et elle n'y perdra plus de temps qu'elle n'en perd dans les five o'clock, le shopping, le théâtre ou les cinémas. Et le temps qu'elle y passera, au lieu de le passer au théâtre ou au cinéma, ne sera pas plus mal employé certainement. Il lui faudra lire le journal, dit-on! Comme si elle s'en privait! Et si dans le journal, elle s'intéresse un peu plus aux articles de fond, d'idées ou de politique, un peu moins aux feuilletons ou aux nouvelles à sensation, s'il lui arrive de discuter de politique avec des amis ou des voisines au lieu de bavarder indéfiniment sur le pas d'une porte ou dans un salon, où sera le mal, dites-le moi, M. le Président?

Et ensuite, s'imagine-t-on qu'elle s'abstienne de parler politique ou de lire les journaux parce qu'elle ne vote pas?

On aura beau faire, on ne l'empêchera plus maintenant de s'intéresser à la politique, depuis qu'elle a fini par comprendre que la politique aide à améliorer son sort. On exprime la crainte que les intérêts supérieurs du foyer soient compromis par cette innovation. Mais par qui donc furent élus, dites-le moi, les parlements qui ont passé des lois pour le divorce, loi qui ébranle beaucoup plus le foyer et qui menace de le détruire? Par qui donc furent élus, dans d'autres provinces ou dans d'autres pays, les parlements qui ont passé des lois scolaires qui dépouillent les parents de leur droit naturel de faire instruire leurs enfants par les éducateurs de leur choix?

Par qui donc furent élus ces parlements qui, durant des années, ont perdu leur temps en vaines et stériles querelles de partis et qui auraient pu faire tout et tant pour défendre le foyer contre ces redoutables fléaux que représentent le taudis, l'alcoolisme, la tuberculose, l'insalubrité de certains locaux et de certaines conditions de travail? Hélas, il est trop vrai que les parlements élus uniquement par les hommes se sont trop longtemps désintéressés des graves problèmes qui dominent, avec la vie de la femme, celle de l'enfant et du foyer.

La femme qui s'inquiète beaucoup moins d'idées générales que de réalisations pratiques, la femme qui se trouve toujours atteinte dans la santé de ses enfants ou de son mari tout autant que dans la sienne, la femme qui se sait et qui se sent la gardienne du foyer, qui souffre plus que l'homme du taudis meurtrier de ses enfants, de l'alcoolisme destructeur de son foyer et de son mari, de l'insalubrité des ateliers où elle use ses forces; la femme obligera les parlements, dès que les parlements auront à compter avec elle, à donner moins aux querelles de partis ou de personnes, et donner davantage aux questions politiques et sociales; à s'occuper plus de tout ce qui peut améliorer sa condition et celle de ses enfants, développer l'éducation, faire progresser l'hygiène et la santé publique. Et voilà pourquoi je ne crois pas que le foyer soit mis en danger par le vote des femmes.

C'est pourquoi, M. l'Orateur, au nom de la justice et de l'équité, au nom de la vieille galanterie française qui sûrement ne doit pas être morte dans la Nouvelle France d'Amérique, je demande que cette Chambre accorde à l'admirable femme qu'est la Canadienne française un droit acquis depuis longtemps par elle, par ses services du passé et ceux qu'elle nous rendra, sans aucun doute, à l'avenir.

(Applaudissements)

M. Bélanger (Lévis): M. le Président, j'ai écouté les paroles bienveillantes de l'honorable député de Mercier. Je dirai cependant que son appel à la galanterie française ne m'a pas convaincu.

Des voix: Très bien.

Des voix: Honte!

M. Bélanger (Lévis): Est-ce le désir de la très grande majorité de nos femmes de cette province de voter? Non et je vais le prouver. Nos femmes ont été appelées à voter pour la première fois en 1917 aux élections fédérales. Quel a été le résultat ? Sur 65 comtés de Québec, le gouvernement conservateur n'en a conservé que 3.

L'honorable M. Mercier fils (Châteauguay): C'est ce qui démontre l'intelligence des femmes.

(Applaudissements dans les galeries)

M. Bélanger (Lévis): Peut-être. En 1921, elles ont voté une deuxième fois et le gouvernement n'a pas conservé un seul siège dans la province de Québec. Je ne crois pas qu'en cette circonstance les femmes se soient trompées, et il est juste de dire, d'après ces chiffres, qu'elles ne veulent pas d'autres titres que celui de reine du foyer, puisqu'elles ont voté contre le gouvernement qui leur a donné le droit de vote. Nous avons là la preuve qu'elles veulent être considérées comme gardiennes du foyer et non, passez le mot, comme des trotteuses de "hustings", et elle ne veulent pas des femmes publiques.

(Murmures de protestations dans les galeries)

M. l'Orateur suppléant: Je prierais les dames de ne pas manifester dans les galeries. Elles n'ont pas le droit de manifester. Cela serait plutôt nuisible qu'utile à leur cause. L'honorable député a le droit de donner son opinion.

M. Bélanger (Lévis): Je dis donc qu'en toutes circonstances, elles ont manifesté leur intention de rester dans leur rôle d'aujourd'hui. D'ailleurs, ce rôle n'est aucunement amoindri du fait qu'elles n'ont pas le droit de vote aux élections provinciales. Nous admirons nos mères, nos soeurs, nos femmes et nos filles, parce qu'elles sont fidèles aux traditions de Marguerite Bourgeois, Jeanne Mance et toutes nos grandes héroïnes qui n'avaient pas besoin du droit de vote pour jouer un grand rôle.

Je me souviens d'une assemblée de dames tenue au palais de justice, pour discuter les amendements au Code civil. Elles étaient une centaine. Un loustic dit: "Les femmes sont comme une page de musique." Il y a des rondes, des noires, des blanches. (Rires). Il ne manque qu'une chose: il n'y a pas de silence. (Nouveaux rires). Le fait de refuser le droit de vote aux femmes ne constitue pas une infériorité pour elles. Elles ne sont pas les seules à être privées de ce droit. La loi électorale dit, dans le premier article, que les juges de toutes les cours de justice et les recorders n'ont pas le droit de vote. L'article deux dit: N'ont pas le droit de vote également: les sauvages. (Rires) Les femmes ne sont pas inférieures parce qu'elles sont sur le même pied que les juges.

On confond trop facilement le droit avec l'exercice du droit. Personne ne conteste que les femmes sont aussi intelligentes que les hommes, car plusieurs savent, par expérience, que les plus intelligentes peuvent influencer leurs maris dans la politique, car elles les mènent par le bout du nez, sans qu'ils s'en aperçoivent. (Rires) J'irai plus loin. (Rires) Les femmes de Lévis, le plus beau comté du dominion, sont les plus intelligentes que je connaisse. Pas une ne m'a demandé le droit de vote et pourtant elles sont toutes admirables. C'est donc qu'elles n'en veulent pas.

(Murmures de protestations dans les galeries)

Il (M. Bélanger) cite un pamphlet en faveur du suffrage féminin qui a été distribué à tous les députés au début de la session, dans lequel on parle de la femme comme d'une servante légale de l'homme.

Certains prétendent que la femme mariée, aux yeux de certains hommes, n'est qu'une servante légale. Je ne sais pas si c'est une servante légale ou illégale, mais je sais que son rôle est plus grand. Pour ma part, je considère que les femmes doivent rester chez elles et s'occuper de leurs affaires.

(Nouveaux murmures dans les galeries)

À vrai dire, j'ai toujours pensé qu'il serait préférable que les hommes et les femmes se concentrent sur leurs propres sphères et que chacun se mêle de ses affaires. L'homme a son rôle, la femme a le sien, et dans cette province, par-dessus tout, je dis que le rôle de la femme c'est la maternité. Quand j'étais étudiant, on nous disait que la femme n'était pas seulement bonne pour faire des enfants. Depuis, j'ai toujours pensé que le but du mariage c'est la procréation et que le mariage n'est pas une institution de plaisir.

(Murmures dans la Chambre et les galeries)

Je ne dis pas, pour cela, qu'elle doit être une machine à élever des enfants. Nous savons que la paternité est une croyance et la maternité une certitude. (Rires) Si nos grands-mères avaient méconnu le devoir de la maternité, je me demande où serait aujourd'hui la race canadienne-française. Nous devons notre survivance à nos femmes, et Napoléon disait que la plus grande femme de France était celle qui avait le plus d'enfants. Un évêque de cette province disait que la femme a été créée pour le foyer, qu'elle doit rester le centre de la famille. Les femmes qui font des enfants sont supérieures à celles qui s'occupent de leur obtenir le droit de vote. Comment après cela vouloir rendre la femme l'égale de l'homme?

D'ailleurs, il y a bien d'autres moyens de venir en aide aux femmes de cette province. Si l'on veut aider la femme, donnons lui autre chose que cette supériorité imaginaire du droit de vote. Ainsi, aux femmes de la campagne, ne pourrait-on pas leur donner l'électricité et l'électricité à bon marché pour leur faciliter la tâche du foyer. Elles ont généralement à faire le lavage, le repassage et bien d'autres travaux domestiques qui seraient beaucoup moins durs, si elles avaient l'électricité à leur disposition à un coût moins élevé. Ne rendrait-on pas un grand service aux femmes par ce moyen?

J'ai un autre moyen. Depuis que je suis député de Lévis, des femmes m'ont demandé des lots de colonisation. Les demandes sont encore là, bien que je les aie transmises à qui de droit. Je dois dire que l'honorable ministre de l'Agriculture est à organiser un plan pour donner des terres à ceux qui veulent cultiver. Et ces lots seraient occupés par des familles à qui la ville ne fournit pas des moyens de subsistance. C'est excellent. Pour les femmes des villes, je ferai une suggestion. Il y a dans les villes des maisons qui sont de véritables niches à chiens. C'est là que des femmes donnent le jour à des enfants. Ne pourrait-on pas établir des hôpitaux et des maternités où les femmes recevraient de bons soins? Autrement, comment veut-on empêcher les doctrines nouvelles de ne pas s'infiltrer parmi les femmes.

Ainsi donc, puisque la majorité des femmes ne désire pas obtenir le droit de vote qui leur serait d'ailleurs inutile, au moins voyons à leur donner plus d'aisance pour qu'elles puissent continuer à remplir convenablement le rôle qui leur convient. Je dis donc que je suis contre le droit de vote aux femmes, et cela, dans l'intérêt même des Canadiennes. On m'a suggéré de proposer le renvoi de ce bill à neuf mois (Rires) - pardon à six mois. Je fais cette proposition avec plaisir, appuyé par le député de Dorchester (M. Giguère).

M. l'Orateur suppléant: La question sera-t-elle adoptée?

Des voix: Non.

M. Crête (Laviolette): M. le Président, je suis heureux d'appuyer l'honorable député de Mercier pour revendiquer en cette Chambre l'honneur de la femme. La femme de Québec possède tout ce qu'il faut pour réussir. Elle est intelligente, jolie, douce et obéissante. Elle n'a peut-être pas inventé le télescope, le microscope, la pompe à feu, mais elle a de grandes qualités. Une honnête femme, il n'y a rien de plus beau.

(Applaudissements dans les galeries)

La femme a été heureuse dans le choix du parrain du bill. La femme excelle dans son rôle de mère, mais elle n'excelle pas dans les couloirs du parlement. Les députés n'aiment pas se confesser en public. Lorsque ces femmes auront vu leurs demandes refusées, elles seront les grandes incomprises.

Les femmes qui sont en tête de ce mouvement doivent être des mères de familles. Je pense aussi à celle qui est à nos foyers, qui est active et courageuse. Nous l'adorons, celle-là. Ne l'arrachons pas à son foyer pour la descendre sur le terrain de la politique pour faire la lutte à M. Camillien Houde et à ses candidats.

(Applaudissements)

L'honorable M. Dillon (Montréal-Sainte-Anne): M. le Président, je félicite l'honorable député de député de Montréal-Mercier (M. Plante) de son magnifique discours. Il ne faut pas s'occuper seulement de la question sentimentale, mais se demander s'il est juste de donner le droit de vote aux femmes.

La question n'est pas de savoir s'il est opportun ou non de donner le droit de vote aux femmes, il faut plutôt se demander s'il est juste de leur refuser, alors qu'elles représentent peut-être la moitié de la population de la province et qu'elles ont tant fait dans le domaine des services sociaux et de l'éducation.

(Applaudissements dans les galeries)

Je prétends que oui. On a dit qu'une femme ne pouvait jouer un rôle et rester à son foyer. Est-ce que Madeleine de Verchères, Marguerite Bourgeois et toutes ces grandes héroïnes ont déserté leur foyer?

(Applaudissements dans les galeries)

Nous nous en allons maintenant vers la législation sociale qui était autrefois du domaine exclusif des femmes, et la femme devrait avoir voix dans les délibérations sur ce sujet. Aujourd'hui, à part ses obligations domestiques, qu'elle remplit à merveille, la femme a étendu le domaine de ses activités, et on trouve son nom écrit au livre des plus belles oeuvres sociales modernes. La femme s'est notamment révélée dans des organisations sociales, hôpitaux, oeuvres de bienfaisance dans un but de charité et voyait au bien-être des pauvres avant que les gouvernements eussent créé le sou du pauvre, les crèches, les gouttes de lait, etc. Ce sont les femmes, bien avant que le gouvernement n'y songe, qui ont entrepris de secourir les miséreux, les veuves, les orphelins, les malades.

À une époque où les femmes étaient les seules à s'occuper du service social, nous voyons fleurir des oeuvres comme la "Ladies Benevolent Society", le "Protestant Orphan's Home", chez les protestants, l'hospice Gamelin, le "Catholic Orphan's Asylum", chez les catholiques, etc. Ces laïques qui trouvaient bien, tout en ne négligeant pas leurs foyers, le temps de faire oeuvre utile, c'étaient des mères de famille, tout comme celles d'aujourd'hui qui demandent justice. Est-ce que nous devons restreindre à ces organisations l'activité de la femme?

Tout le travail accompli par ces femmes devient graduellement celui du gouvernement. Chaque jour le gouvernement prend un intérêt plus grand dans les oeuvres sociales. N'est-il pas naturel que l'on accorde aux femmes qui ont été les pionnières de ces oeuvres le moyen de continuer de s'y intéresser et d'éclairer les législateurs de leurs conseils et de leur expérience? Dans ces matières, les femmes seront les mieux qualifiées pour jeter des bases de législation pratique. Ces femmes seraient à leur place dans le gouvernement de la province. Toutes ces activités seront bientôt laissées entre les mains du gouvernement de Québec lorsqu'il acceptera le rapport de la Commission des assurances sociales, et les femmes devraient avoir au moins le droit de dire leur mot pour l'administration de ces nouveaux organismes sociaux. Si elles avaient le droit de vote, elles préconiseraient justement des lois excellentes en faveur de toutes les oeuvres pour lesquelles le gouvernement songe à légiférer. Ce ne sont pas les femmes qui ont envahi le domaine politique, c'est le gouvernement qui a envahi leur champ d'action.

N'est-il pas juste que les femmes aient un mot à dire dans le choix des gouvernements.

(Applaudissements dans la Chambre et les galeries)

Si l'honorable député de Lévis (M. Bélanger) est conséquent, il doit admettre que bientôt le gouvernement dirigera lui-même les oeuvres sociales que dirigeaient les femmes d'autrefois et que, par conséquent, il doit leur accorder le droit de vote, puisqu'il envahit leurs champs d'action.

(Applaudissements dans les galeries)

M. Bachand (Shefford): M le Président, il paraît qu'un danger ou qu'un écueil dont tout jeune député devrait se méfier, c'est la présomption ou l'excès d'assurance. C'est sans doute à l'orateur parlementaire et, va sans dire, au débutant, que la sagesse des nations conseille de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

Je sais bien que l'expérience que possède le parrain de cette mesure de même que sa pondération n'ont pas besoin de cette précaution. Aussi, il s'est contenté de tourner plutôt sept fois les yeux autour des galeries avant de prononcer la galante et magistrale pièce d'éloquence qui lui vaudra, sinon les suffrages de cette assemblée, du moins la faveur de charmantes admiratrices, soit dit en tout bien tout honneur et sans prétendre suspecter l'indépendance parlementaire de notre honorable collègue. S'il n'a pas convaincu la Chambre, il a sûrement fait plaisir à l'assistance.

Pour ma part, M. le Président, après avoir mûrement et sans hâte pesé le pour et le contre de la question, je me suis convaincu que ce projet de loi ne devrait pas figurer dans nos statuts. Je me hâte d'ajouter que ce n'est nullement par dépit ou par jalousie pour sa bonne fortune que je m'oppose au bill du sympathique député de Mercier (M. Plante). Je prétends plutôt que nous qui adoptons une attitude contraire à la sienne, nous le faisons précisément parce que nous sommes chevaleresques et galants, parce que notre admiration et notre sollicitude ne se limitent pas à un groupe restreint de charmantes et distinguées suffragistes, je ne dis pas suffragettes, mais à des légions de non moins gracieuses compatriotes qui se soucient du vote beaucoup moins qu'un poisson d'une pomme.

Je suis, il est vrai, nouveau-né à la députation, mais j'ai quelqu'expérience de la vie publique. J'ai pris une part active à bon nombre de campagnes politiques et je suis fermement convaincu, d'après ce que j'ai vu, que le vote féminin n'est pas à désirer, qu'il constitue, au point de vue électoral, une véritable calamité; je suis persuadé qu'il desservirait les meilleurs intérêts moraux de la femme sans favoriser ses intérêts matériels. Sans vouloir ressasser par le menu les arguments usuels que les suffragistes appellent classiques ou académiques, je crois en toute sincérité que le vote féminin aurait l'effet de ravaler la femme, de l'abaisser, pourquoi ne pas dire à notre propre (sans calembour) niveau d'électeurs, de la descendre du piédestal où l'admiration de l'homme l'a placée et, disons-le, il l'amoindrirait à nos yeux.

Quand on dit que la femme occupe un piédestal, on n'exprime pas une simple métaphore. Qu'on ne vienne pas prétendre que la femme, en s'occupant des affaires publiques, en exerçant le suffrage, relèverait le niveau de nos moeurs politiques, qu'elle les assainirait. Je suis plutôt d'avis, et je ne voudrais pas qu'on me crût pessimiste, que les femmes se souilleraient au contact de la politicaillerie.

Il ne manquerait pas d'y avoir chez elles, on sait avec quel dévouement et avec quelle ferveur elles savent se consacrer à une cause, à une idée; il y aurait des télégraphes, des cabaleuses, des racketeers, pas des raquetteuses de carnaval. Il est difficile de féminiser ces mots tant les choses qu'ils expriment jurent avec le caractère féminin tel qu'on l'a compris jusqu'ici. Celles qui exercent aujourd'hui le droit de suffrage le font à leur corps défendant et elles souffrent d'être soumises à tous les marchandages, à toutes les cabales et à tous les maquignonnages que cela entraîne. La nature humaine, à ce point de vue, est la même pour l'un et l'autre sexe.

Au surplus, M. le Président, la démonstration est faite de la thèse que je soutiens. Les femmes votent dans le domaine fédéral. Je dois compléter ma pensée et dire qu'elles votent si on les presse, si on les sollicite. Elles ne votent qu'après y avoir été maintes fois invitées et réinvitées. Certes non, M. le Président, la loi fédérale du vote féminin n'est pas un succès. Mon distingué prédécesseur en cette chambre pour le comté que je représente a, au commencement de cette session, fait à la Chambre haute un discours très remarquable et que la presse a flatteusement commenté, sur les ennuis auxquels nous avons à faire face pour inciter les électeurs à exercer leur franchise.

Or, le vote féminin ne fait que s'accentuer ou multiplier ces difficultés. Encore une fois, il ne s'agit pas de pure spéculation, de simple hypothèse; la preuve est faite. Il y a plus. Il est toujours question du vote obligatoire. Je ne sais pas si c'est la panacée aux maux électoraux dont nous souffrons, mais enfin la théorie a ses adeptes. Or, supposons le vote obligatoire; il va sans dire que cette obligation serait assujettie à des sanctions d'ordre pénal qu'il faudrait appliquer aux électrices comme aux électeurs.

Je ne crois pas que nous soyons justifiables d'imposer l'ennui du vote, c'est ainsi que la plupart des femmes le considèrent, et d'imposer la tyrannie du vote obligatoire, éventualité peut-être assez rapprochée, à la quasi totalité des femmes de cette province contre leur volonté, parce que quelques vierges qui ne sont pas de vos couleurs, rouge ou bleu, ont recueilli quelques voix leur chuchotant qu'il existe une grande pitié au royaume des dames.

Encore une fois, M. le Président, les femmes ne tiennent pas au vote; elles sont satisfaites de se décharger de ce soin sur leurs maris ou leurs parents dont, au surplus, elles guident le suffrage. Je suis convaincu que ce bill sera défait parce que les votes des députés de cette chambre correspondront aux directives de leurs épouses, de leurs mères, de leurs soeurs ou de leurs filles. Car en somme, la femme chez nous, contrairement au Roi d'Angleterre, ne règne pas mais elle gouverne... c'est bien beau de toujours nous renoter notre qualité de chef de la famille, mais j'ai l'idée que nous remplissons là un rôle plutôt putatif. Chef de la communauté ou chef de famille, c'est un peu comme chef de l'opposition; on a bien le titre mais, en réalité, c'est un autre qui en exerce les fonctions! les pouvoirs! On a fait état de l'adhésion à ce projet de loi de certains dignitaires de la Fédération nationale Saint-Jean Baptiste, institution qui groupe en un faisceau les associations féminines canadiennes-françaises en vue d'une action concertée dans les questions d'intérêt général.

Ces personnes sont certainement très distinguées et leurs activités, lorsqu'elles s'exercent dans un champ propice, ne manquent pas de rapporter des fruits, comme on a pu le constater l'an dernier. Mais je me suis laissé dire que sur cette question du vote féminin, on était loin d'être unanime à la Fédération et surtout parmi les sociétés fédérées. J'ai compulsé en vain la dernière livraison de la Bonne Parole, organe attitré de la Fédération, pour trouver un article-programme ou un exposé de principe, une harangue de ralliement ou de combat, ainsi qu'on n'a pas manqué de le faire, l'an dernier, relativement au statut matrimonial de la femme.

Quant aux associations fédérées, je sais, par exemple, que l'Association des femmes d'affaires se désintéresse absolument de la question. Croit-on franchement que si ce projet de loi devait bénéficier à la femme, favoriser ses meilleurs intérêts, augmenter la somme de ses droits, croit-on que les femmes d'affaires ne se seraient pas prononcées spontanément pour cette réforme.

On a considéré, comme on fait en affaires, le pour et le contre, on s'est rendu compte que les obligations et les sacrifices à consentir excédaient les avantages assez problématiques à en retirer et... on s'est abstenu.

Qu'est-ce à dire, sinon que les femmes ne demandent pas le droit de votre parce qu'elles n'en voient pas la nécessité, et qu'elles n'en voient pas la nécessité simplement parce que cette nécessité n'existe pas?

J'en reviens encore à la fameuse loi fédérale du vote féminin parce que j'y trouve tout ce qu'il faut pour étayer ma prétention dans cette loi que les femmes de cette province n'ont pas demandée. L'on sait assez à quels mobiles inavouables ont obéi ceux qui nous l'ont imposée.

Entre parenthèses, n'est-ce pas depuis cette loi néfaste que le Conseil privé a décidé que la femme n'est qu'une personne alors qu'on était sous l'impression jusque-là qu'elle était un ange?

À l'élection fédérale de 1930, deux candidates étaient sur les rangs dans cette province, toutes deux dans la métropole; l'une dans la division Saint-Denis, l'autre dans la division Mont-Royal. Ces deux dames comptaient et comptent encore parmi l'élite intellectuelle féminine. Elles eussent pu faire à Ottawa excellente figure parmi la députation.

La division Saint-Denis compte environ 70,000 électeurs dont la moitié à peu près du sexe féminin. Environ 46,000 électeurs ont voté, dont une quinzaine de mille électrices, me dit-on après une campagne très vive et très mouvementée. Or, sait-on combien la candidate, une protagoniste très convaincue et très militante du suffragisme, a reçu de votes? Moins de 2,000, quelque chose comme 1,700, si je ne me trompe!

Qu'en conclure sinon que les femmes, qui avaient une superbe occasion de manifester leur sentiment, n'ont pas jugé à propos d'appuyer la championne la plus en vue du suffrage féminin, alors que la campagne avait roulé précisément sur cette question. Et encore, convient-il de défalquer de ces 1,700 bulletins qu'elle a recueillis le nombre à coup sûr appréciable de ses admirateurs du sexe masculin.

Dans la division Mont-Royal, la candidate, personne également fort distinguée, a aussi perdu son dépôt avec grande distinction.

Je le répète, et c'est évident, les femmes ne veulent pas du vote. J'excepte toujours les marraines de ce bill dont l'honorable député de Mercier (M. Plante) est le parrain.

L'an dernier, M. le Président, un groupe de dames qui s'occupent d'améliorer non pas le sort politique, mais, ce qui importe davantage, le bien-être économique et social de leurs congénères, se sont présentées devant la Législature et ont proposé certaines modifications à notre Code civil en vue d'assurer à la femme un meilleur statut juridique.

Qu'est-il arrivé? Leurs réclamations ont été entendues et elles ont obtenu justice de la part du gouvernement. Je ne dirai pas qu'elles ont obtenu tout ce qu'elles demandaient, mais auraient-elles reçu davantage si elles avaient été électrices? Je ne le crois pas. Je me suis laissé dire par un de mes aînés que le député qui obtient la moitié de ce qu'il demande est un chançard. Je doute même que mon honorable collègue de Mercier ait un sort aussi enviable avec son bill.

Il reste donc acquis que, sous le système actuel, les griefs féminins ont facile accès au pied du trône, dont acte, comme il m'arrive de dire dans le civil.

Un savant professeur m'a enseigné, il y a déjà quelques années, que la loi doit référer les sentiments et les aspirations du peuple qu'elle régit. Elle doit être l'expression des moeurs de la société. Or, on a beau dire, des électrices de même que des femmes députés, jurés, échevins, ça n'est pas dans nos traditions. Une femme électeur ou une femme député, cela répugne à notre éducation familiale, cela choque notre sens de la convenance tout autant que la femme à barbe du cirque qui, elle, a au moins un succès de curiosité. Il s'agit d'une innovation anglo-saxonne qui cadre mal avec nos us et coutumes et qui ne paraît pas de longtemps devoir s'acclimater à l'ambiance locale. Comme on dit, ça s'avale mal et ça se digère moins bien encore. Le vote des femmes ne ferait que multiplier les inconvénients de la politique.

Dans nul pays plus qu'en France, M. le Président, les femmes jouissent de droits aussi importants ou, si l'on veut, aussi essentiels. Les Françaises ont vu accueillir par les Chambres la plupart de leurs revendications. Elles se sont vues ouvrir successivement la plupart des carrières qui favorisent l'épanouissement de la personnalité féminine selon ses tendances ou ses aptitudes particulières.

Elles ont obtenu tout cela sans l'aide du vote, sans être députées ou même électrices. Si jamais elles désirent le vote, il est assez probable qu'elles l'obtiendront. Mais jusqu'ici, à part un petit groupe insignifiant en nombre et en valeur, elles se défendent de la réclamer.

(Murmures dans les galeries)

Cette question de vote a depuis longtemps suggestionné l'imagination des Ontariennes et a même fini par s'infiltrer quelque peu chez nous. On s'explique que nos voisines cherchent à occuper les loisirs que leur laisse une famille restreinte et souvent inexistante. Il en va tout autrement chez nos Canadiennes françaises ou le désoeuvrement domestique est chose inconnue, à raison des nombreuses familles qui accaparent l'attention de la mère et de ses filles.

Je crois qu'il est plus pratique et il n'y a pas de doute qu'il est autrement méritoire de faire, comme nos bonnes mères de Québec, des électeurs éclairés et patriotes que de rêver de faire des électrices ou de fonder un parti mauve!

Josette vaut mieux qu'Emmeline Pankhurst! C'est par le berceau et non par le bulletin de vote que la Canadienne française a fait survivre notre race. Le rôle qu'elle a joué dans notre histoire est autrement noble et patriotique que celui qu'on voudrait lui imposer et qui ne manquerait pas, si elle s'y prêtait, de la détourner de sa véritable mission.

La Canadienne française estime, du reste, qu'elle n'a que faire dans cette galère. Elle se dit que la maternité à laquelle, Dieu merci, elle ne cherche pas à se soustraire, comporte assez de croix sans qu'on vienne y ajouter la croix du bulletin de vote.

Lors du récent voyage aux États-Unis du premier ministre de la République française, Mademoiselle Josette Laval a eu le mot juste lorsqu'elle a répondu aux reporters que les femmes de France ne trouvent pas que l'exercice du suffrage soit indispensable à leur bonheur; qu'elles se préoccupent assez peu d'une prérogative qu'elles jugent illusoire, mais tâchent plutôt à sauvegarder leurs intérêts, bien compris en réalisant des réformes et des progrès dans la sphère économique.

Somme toute, c'est par sollicitude pour la femme, c'est par déférence pour son sentiment quasi unanime sur cette question que nous ne nous sentons pas justifiables de trouver l'économie de notre législation électorale pour nous rendre au désir de celles qui n'ont pas pour elles le nombre, même si elles ont de la qualité. Et dans nos institutions parlementaires, le nombre est un facteur capital; numbers count!

Il ne se versera pas beaucoup de larmes sur le sort du filleul de mon honorable ami de Mercier. À celles qui se désoleront, je dirai: "Filles de Jérusalem, de Montréal ou de Québec, pleurez plutôt sur vous-mêmes". En d'autres termes, avant de venir nous demander d'adopter une mesure de ce genre, qu'elles mettent de l'ordre dans leur maison. Je veux dire qu'elles obtiennent tout d'abord l'adhésion des femmes elles-mêmes.

Jusqu'ici, l'immense majorité des femmes paraissent porter plus d'intérêt à des oeuvres très vitales; l'Assistance maternelle, l'Aide à la femme, la Goutte de lait, la Ligue catholique féminine, pour n'en citer que quelques-unes, et je crois qu'il convient de les en féliciter. En ces temps de dépression et de détresse, il y a de quoi occuper celles qui ont des loisirs, et dont le coeur déborde de charité chrétienne, de zèle altruiste et d'apostolat social.

Je puis ajouter, M. le Président, que, pour ma part, je représente un comté qui compte certainement les femmes les plus charmantes de la province et les plus soucieuses des meilleurs intérêts de leur sexe.

Des voix: À l'ordre.

M. Bachand (Shefford): Or, pas une seule ne m'a demandé d'appuyer cette mesure, de voter pour le bill, alors qu'un bon nombre m'ont manifesté non seulement leur indifférence mais leur hostilité à ce sujet. Je laisse, à l'une de ces électrices à qui je demandais si le droit de vote lui plairait, le mot de la fin de mes longues remarques. Comme je lui demandais son sentiment sur la question, elle m'a répondu plaisamment: "Une jolie potiche de Sèvres ferait bien mieux mon affaire qu'une urne électorale!"

(Applaudissements)

Il ne faut pas imposer la tyrannie du vote obligatoire aux femmes de Québec qui n'en veulent pas du tout. Le bill sera battu en Chambre justement parce que la femme aura demandé, en grâce avec son mari, de ne pas donner ce droit de vote aux femmes; parce qu'elles n'en voient pas la nécessité pour la bonne raison que cette nécessité n'existe pas.

Je souhaite aux dames beaucoup de succès, mais si le bill présentement à l'étude est battu, je leur dirai, comme dans l'Évangile: "Pleurez sur vous-mêmes; pleurez sur la mésentente qui existe entre vous."

M. Filion (Laval): M. le Président, je tiens à dire que nous avons été élus le 24 août dernier, parce que l'honorable premier ministre était populaire. Il sera élu encore pendant 25 ans, s'il le veut. Quant au vote des femmes, toutes mes électrices sont contre.

Mlle Idola St-Jean s'est présentée contre le Dr Denis, à Montréal, et elle a été battue. Cette championne du vote féminin nous demande aujourd'hui d'inscrire un vote de non-confiance contre nous-mêmes. Elle a combattu le gouvernement et a usé de toute son influence pour nous empêcher de siéger dans cette Chambre. Elle semble dire, aujourd'hui, aux députés de cette Chambre, de s'en aller pour qu'elle et ses compagnes puissent prendre notre place.

La question qui se pose, c'est celle-ci: est-ce-qu'on va se voter un vote de non-confiance, et dire que les hommes ont mal administré les affaires de la province et qu'il faut mettre les femmes à notre place? (S'adressant aux femmes dans les galeries) Je n'ai rien à dire contre les dames. Mesdames, je suis toujours heureux de vous recevoir chez nous, en tout temps.

(Applaudissements)

Mais le bill a été battu et rebattu. On devrait se rappeler que la Chambre n'a pas rien que ça à faire. Tous les ans, c'est la même chose qui revient. Voulez-vous, Mesdames, nous clairer pour nous remplacer? Alors, changeons d'habit; (Rires et applaudissements) nous sommes à votre disposition si vous voulez prendre les obligations des hommes. Au lieu de remettre le bill à six mois, remettons-le donc après la défaite du Parti libéral pour qu'on n'en entende plus parler de sitôt.

Car la demande de vote des femmes équivaut à un vote de non-confiance, puisqu'elles veulent nous remplacer. Pour moi, je serais d'avis que si le vote des femmes est accordé, nous résignions. C'est tout ce qu'on aura à faire.

C'est un mauvais conseil à donner aux jeunes filles d'aujourd'hui que de leur dire que la femme est l'égale de l'homme. Les femmes le regretteront. Il est mauvais que la femme délaisse le foyer pour tant s'occuper de politique. Ce n'est pas déjà si intéressant. Les mères de famille devraient s'abstenir d'envoyer leurs filles travailler dans les bureaux d'élections, à copier les listes. Nous ne voulons pas que les femmes fassent nos luttes et s'exposent à nos injures. Qu'elles attendent pour obtenir ce droit.

(Applaudissements) (S'adressant de nouveau aux femmes dans les galeries)

Vous venez tous les ans nous voir, Mesdames. Mais cette année, si vous êtes encore battues, ça fait assez de fois que ça arrive, de grâce, laissez-nous donc la paix. Je vous en prie, restez chez vous l'an prochain!

(Applaudissements)

M. Smart (Westmount): M. le Président, j'ai voté pour le suffrage féminin l'an dernier et je n'ai pas changé d'opinion. Après toutes ces années à la Chambre, je n'ai pas encore entendu un seul argument contre qui soit solide. C'est une question de justice que d'accorder à la femme canadienne le droit de voter et de venir siéger en cette Chambre, puisque dans tous les champs de son activité, elle s'est révélée intelligente et douée de beaucoup d'esprit d'initiative.

M. Plante (Montréal-Mercier): M. l'Orateur, je veux répondre à quelques insultes qui ont été faites à la femme.

(Applaudissements dans les galeries)

L'honorable député de Lévis (M. Bélanger) a montré qu'il y a un sentiment chez certains hommes pour garder les femmes de notre province dans l'ignorance au lieu de leur dire qu'elles sont les égales des femmes des autres provinces.

Dire que nous devrions garder nos femmes à la maison est une insulte envers nous-mêmes. Car n'oeuvrons-nous pas dans la vie publique, et nous considérons-nous, en raison de cela, inférieurs au reste des hommes?

Dire que les femmes ne veulent pas du vote n'est pas un argument. Si nous, comme législateurs, sommes convaincus que cela est la meilleure chose à faire, ne devrions-nous pas le donner, même si, comme l'a dit le député de Shefford, le nombre de femmes qui vont aux urnes est insignifiant? Êtes-vous prêt à affirmer que les ouvriers ont demandé le droit de vote en premier lieu?

Lorsqu'ils eurent le droit de vote, avaient-ils la moindre idée que ceci amènerait les gouvernements à leur donner toutes les législations en leur faveur qu'ils ont à l'heure actuelle? Pas du tout.

Et dire qu'il est du devoir des femmes de porter les enfants et de les élever est très bien. Elles ont leur devoir. Mais nous devons élever la question au-dessus de celles qui concernent la cuisine et la chambre à coucher.

(Applaudissements)

Et allez-vous me dire qu'une femme n'est pas suffisamment intelligente seulement parce qu'il se trouve qu'elle est célibataire et ne peut avoir d'enfants?

Pourquoi les femmes et les jeunes filles n'auraient-elles pas le même droit de vote que les vieux garçons? Les arguments apportés ne sont pas sérieux et l'on gâte mon argumentation en allant jusqu'à dire que le rôle de la femme se réduit à la maternité.

On trompe la femme de Québec en lui disant que son seul rôle est celui de la maternité, tout comme on faisait croire aux noirs de la Louisianne que la liberté était une chose atroce. La femme exercerait son droit de vote avec conscience, comme elle l'a démontré dans une élection à Montréal où la candidate ne recueillit que quelques centaines de vote.

Je mets cette question au-dessus des partis politiques, car c'est une question de justice. Si nous ne donnons pas le droit de vote aux femmes, c'est que nous n'en avons pas le courage.

L'honorable député de Lévis a dit que les femmes avaient battu le gouvernement conservateur en 1917 et en 1921. Mais qu'est-il arrivé en 1930? 28 comtés de notre province ont voté pour M. Bennett qui, en chef habile, avait fait des promesses. Pourquoi? Parce que dans ces comtés, les libéraux n'ont pas voulu que les femmes votent.

(Applaudissements)

Aux arguments de l'honorable député de Lévis et de l'honorable député de Laval, qui, soit dit en passant, aurait dû avaler son discours, j'opposerai l'argument du père Samson, un grand prédicateur, qui a visité notre pays et disait que la femme a droit de s'occuper de politique.

Il (M. Plante) cite ensuite Paul Valéry pour prouver que la femme ne se ravalerait nullement en exerçant ses talents dans le domaine politique. Il cite aussi une lettre d'un de ses électeurs qui lui a écrit que certain monsieur qui lui a reproché de proposer le droit de vote aux femmes est un homme que sa femme fait vivre.

En terminant, M. le Président, je regrette que les orateurs qui ont combattu le bill se soient placés à un niveau aussi peu élevé. Je rappellerai que les unions ouvrières approuvent le droit de vote aux femmes. J'espère que les membres de cette Chambre voteront pour le projet qui est devant nous.

L'amendement étant mis aux voix2, la Chambre se divise. Les noms sont appelés et inscrits comme suit:

Pour: MM. Arcand, Bachand, Barré, Bédard, Bélanger, Bergeron, Bertrand, Bouthiller, Caron, Casgrain, Charbonneau, Côté (Bonaventure), Côté (Gaspé-Nord), Crête, Dansereau, Delisle, Desmarais, Duffy, Dufour, Dugas, Duval, Farand, Filion (Laval), Fillion (Lac Saint-Jean), Frigon, Gagnon (Frontenac), Gagnon (Kamouraska), Giguère, Godbout, Grant, Guertin, Lamoureux, Lemieux, Lortie, McDonald, Messier, Moreau (Roberval), Moreault (Rimouski), Morel, Paquet, Perrault, Phaneuf, Piché, Poulin, Sabourin, Saintonge, Samson, Saurette, Savoie, Taschereau (Bellechasse), Taschereau (Montmorency), Thisdel, 52.

Contre: MM. Bastien, Béïque, Bercovitch, Chouinard, Cohen, Dillon, Drouin, Fauteux, Fisher, Fortier, Fortin, Francoeur (Montréal-Dorion), Gabias, Gault, Gauthier, Laferté, Lafleur, Lahaie, Mercier fils, Plante, Power, Smart, Stockwell, 23.

Ainsi, l'amendement est adopté.

Et la motion principale ainsi amendée étant mise aux voix, il est ordonné que le bill soit lu une deuxième fois dans six mois.

 

Dépôt de documents:

Commission des services publics

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): M. l'Orateur, j'ai l'honneur de déposer sur la table de la Chambre le rapport de la Commission des services publics relativement aux taux de l'électricité dans les compagnies et sur un projet de coopératives rurales de moteurs électriques, qui m'a été demandé au début de la séance par l'honorable député de Trois-Rivières (M. Duplessis). (Document de la session no 40)

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose que ce rapport soit immédiatement imprimé.

Adopté.

Club Saint-Denis

M. Marchand (Jacques-Cartier) propose, appuyé par le représentant de Montréal-Dorion (M. Francoeur):

Que toutes les règles se rapportant aux avis, à la présentation, à la réception et à l'examen des pétitions, ainsi qu'à l'examen et à la lecture des bills privés soient suspendues;

Qu'il lui soit permis de présenter la pétition du Club Saint-Denis, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte;

Que cette pétition soit lue et reçue à la présente séance; que le règlement 498 soit suspendu;

Qu'il lui soit permis de présenter le bill 132 concernant le club Saint-Denis, comme s'il avait été déposé dans les délais prescrits par l'article 497 dudit règlement et que ce bill soit maintenant lu une première fois.

Adopté sur division.

 

Présentation et lecture de pétitions:

En conséquence, ladite pétition du club Saint-Denis, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte, est présentée, lue et reçue par la Chambre.

M. Marchand (Jacques-Cartier) demande la permission de présenter le bill 132 concernant le club Saint-Denis.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

La séance est levée à 5 h 45.

__________

NOTES

 

1. Adopté! Rejeté!

2. L'Événement et Le Devoir relatent que plusieurs députés s'esquivent, disparaissent discrètement et que c'est en vain que les whips essaient de les ramener.