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Version finale

28e législature, 3e session
(20 février 1968 au 18 décembre 1968)

Le mardi 26 novembre 1968 - Vol. 7 N° 93

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures quatre minutes)

M. LEBEL (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre, messieurs!

Présentation de pétitions. Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus. Présentation de motions non annoncées. Présentation de bills privés. Présentation de bills publics.

Déclaration ministérielle

M. BELLEMARE: Des incidents très regrettables se sont produits en fin de semaine, à Saint-Casimir dans notre région. Les moyens d'information ont, en effet, rapporté que des syndiqués, ayant à leur tête M. Louis Laberge, président de la FTQ, ont fait voler en éclats les carreaux de l'usine d'embouteillage Trottier et ceux des résidences privées des copropriétaires de l'entreprise. A titre de ministre du Travail, je ne puis que réprouver et dénoncer énergiquement et publiquement de tels méfaits publics.

En vertu du code criminel, « est coupable de méfait a) quiconque détruit ou détériore un bien, b) quiconque empêche, interrompt ou gêne l'emploi de la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien ». Or, c'est précisément ce qu'on a fait à Saint-Casimir, samedi dernier, en lançant des pierres, en endommageant les propriétés, en mettant toute la population sur le qui-vive et en alerte, lorsque l'on a, avec force, pénétré dans cette paisible municipalité et qu'on a fait voler en éclats les fenêtres de l'usine d'embouteillage Trottier et celles des résidences de ses propriétaires.

Le gouvernement et le ministre du Travail ne peuvent pas permettre que la violence soit utilisée pour régler des grèves perdues. Si on ne veut pas perdre une grève, le seul et vrai moyen d'y arriver est de réfléchir avant de la déclencher. Non content d'avoir traumatisé une population, M. Laberge, président de la FTQ, tient cette population dans la crainte en menaçant de revenir à la charge. Je ne puis accepter qu'un chef syndical instaure un régime de terreur, et je condamne l'irresponsabilité dont il fait preuve lorsqu'il incite ses membres à poser, en contravention du code criminel, de tels gestes. La population en a assez de ces actes de violence. Je souhaite ardemment que le ministère de la Justice, qui, actuellement, a entrepris une enquête, découvre les vrais coupables et qu'on les punisse sévèrement.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

Questions et réponses

M. LESAGE: Ma première question est au ministre de l'Agriculture, question dont j'avais pu lui donner avis...

M. BERTRAND: II va revenir dans quelques minutes.

Pénurie d'électricité

M. LESAGE: ... mais j'attendrai qu'il soit de retour.

En attendant, pourrais-je demander au premier ministre ce qu'il y a de fondé dans les nouvelles qui nous parviennent ce midi, par la voie des journaux, à l'effet qu'une pénurie d'énergie électrique, cet hiver, et une hausse des tarifs d'électricité, pour un peu plus tard, sont les deux dangers que court le Québec à l'heure actuelle?

M. BERTRAND: Pénurie d'énergie...

M. LESAGE: Pénurie d'électricité pour tout de suite, cet hiver, spécialement au temps des fêtes, et deuxièmement, une hausse des taux d'électricité.

M. BERTRAND: Le chef de l'Opposition me permettra de prendre avis de sa question. Le ministre des Richesses naturelles pourra y répondre.

M., LESAGE: Pour compléter ma question, il semble, après une lecture rapide — le premier ministre sait que je viens d'arriver à Québec — que tout cela serait relié, directement ou indirectement, au contrat entre HydroQuébec et Churchill Falls Corporation, dont il deviendrait important d'avoir copie officiellement dans cette Chambre, je crois.

M. BERTRAND: Je prends avis de la question, et lorsque mon collègue qui entre... nous pourrons y répondre.

Régie des marchés

M. LESAGE: La question que j'ai posée par écrit, en fait, puisque j'ai écrit hier une lettre au ministre de l'Agriculture, concerne l'Interprétation des ordonnances de la Régie des marchés, ordonnances rendues publiques dans la Gazette officielle du Québec du 26 octobre, concernant le prix du lait nature. La question posée porte particulièrement sur le prix payé aux producteurs, et non pas sur le prix aux consommateurs. Cette question a été posée à la

suite de représentations que j'ai reçues du député de Huntingdon, représentations que, je crois, le député de Huntingdon a directement faites au ministre également.

M. VINCENT: En effet, vendredi soir dernier, je recevais des représentations de la part de l'honorable député de Huntingdon, concernant l'article 13 de l'ordonnance F-18 publiée dans la Gazette officielle du 26 octobre 1968. De plus, je recevais également des représentations d'autres producteurs concernant le même problème.

Cet après-midi, de retour à mon bureau, j'avais la lettre de l'honorable chef de l'Opposition.

Tout à l'heure, justement, pour l'information du député de Chambly et des autres députés, je recevais un appel téléphonique — j'étais ici en cette Chambre — d'un officier de mon bureau qui venait de communiquer avec la Régie des marchés agricoles, qui siège présentement à Québec et qui l'a informé par la bouche de son président que la Régie a reçu également des représentations de la part de producteurs, que le président de la Régie, M. Hallé, devait former un comité à l'intérieur de la Régie pour étudier les représentations de la part des producteurs et qu'il serait en mesure d'ici quelques jours, tout au plus une semaine, de donner une réponse aux producteurs. Il s'agit de savoir quel était le problème avant l'ordonnance, quel est le problème maintenant que l'ordonnance a été rendue publique et, s'il y a lieu, d'apporter les changements nécessaires pour donner satisfaction à tous les intéressés et surtout corriger une situation qui existe déjà depuis quelques mois.

M. LESAGE: Est-ce que nous pouvons être assurés que le ministre tiendra les députés de la Chambre au courant?

M. VINCENT: Oui. Si la Régie des marchés peut terminer ses audiences de bonne heure ce soir, il se pourrait que je rencontre ses membres au cours de la soirée afin d'avoir des informations supplémentaires. Si je puis obtenir ces informations supplémentaires, je pourrai les donner à la Chambre, demain ou jeudi.

Office de l'information

M. LESAGE: Merci. M. le Président, avant de poser la question que j'ai l'intention de poser, je dois établir très brièvement un fait. Il ne s'agit pas d'une question pour casser les vitres. On trouvera que c'est assez minime, mais cela peut avoir des implications assez considérables sur le budget de la province.

Samedi matin, j'ai reçu chez moi cinq enveloppes de l'Office d'information et de publicité, dont quatre ont été mises à la poste le 20 novembre et une le 21. Quatre de ces cinq enveloppes portaient une feuille ou, au plus deux feuilles. De la publicité, quoi...

M. LAPORTE: De la propagande.

M. LESAGE: — si l'on veut —, du ministère des Affaires municipales. Il s'agit, d'une dépense de $0.25, mais qui aurait pu être de $0.05, sans compter les enveloppes, etc. Ma question est la suivante: Doit-on considérer que l'Office d'information et de publicité administre à l'avenant tout son budget, à l'avenant?

Cela voudrait dire qu'on dépense cinq fois plus que l'on devrait dépenser. Tant qu'il n'est question que de $0.05, ça va bien, mais, s'il s'agit de $5,000, cela fait $25,000.

Il me semble que c'est du gaspillage et qu'il y aurait moyen de s'arranger pour mettre plusieurs documents dans la même enveloppe. Il y a certainement moyen, parce qu'il y a environ trois semaines ou un mois, j'ai gentiment avisé un des ministres d'abus de même nature qui se faisaient à l'Office d'information et de publicité, concernant la publicité de son ministère. Je veux féliciter le ministre en question, parce que j'ai remarqué que la situation avait été corrigée.

Alors, j'ai pensé qu'étant donné la répétition des mêmes actes par d'autres ministères, il valait peut-être la peine d'en parler en Chambre. C'est du gaspillage, c'est clair.

M. BERTRAND: Je remercie le chef de l'Opposition. Je dois dire, de mon côté, qu'il m'est déjà arrivé également d'en recevoir à mon bureau ici, à mon appartement et ailleurs. A ce moment-là, j'avais avisé — étant donné que je ne suis qu'une personne — qu'on n'en envoie pas à trois ou quatre endroits.

Je crois que la même chose se produit assez souvent. Certains collègues m'ont déjà fait des remarques à ce sujet. Alors, non seulement ai-je déjà moi-même attiré l'attention du personnel de l'office, mais je sais que d'autres collègues l'ont fait. A cela, nous allons ajouter les commentaires du chef de l'Opposition.

M. LESAGE: Espérons qu'on tiendra compte des remarques du premier ministre, avec mes commentaires.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre d'Etat à l'Education.

Déclaration ministérielle Grève à la RAQ

M. MASSE: M. le Président, j'aurais une déclaration ministérielle à faire.

A l'occasion du règlement de la grève de la Régie des alcools du Québec, des déclarations ont été faites quant aux augmentations de salaires des employés de la régie, qu'il importe de préciser.

En premier lieu, le montant forfaitaire de $300 que la régie avait offert, pour la période du 1er novembre 1967 au 1er avril 1968, date d'entrée en vigueur de la nouvelle convention, est demeuré le même. Toutefois, pour couvrir la période entre le 1er avril 1968 et la date de la grève, la régie a convenu d'une rétroactivité d'environ $75. Ce montant correspond au taux d'augmentation de la nouvelle convention, soit 7 1/2%. Quant aux augmentations des taux de salaire, elles sont identiques à celles qui avaient été exposées au comité parlementaire des régies gouvernementales. La régie a offert de prolonger de deux heures trente la semaine de travail de tous les employés. Cette augmentation des heures de travail permet un revenu additionnel pour les employés et un meilleur service pour le public.

Les augmentations de revenu de 23% à 29% dont on a fait état incluent nécessairement cette rémunération additionnelle qu'apporte l'augmentation des heures de travail, tant dans les bureaux et les magasins que dans les entrepôts.

Tenant compte de ces précisions, le règlement de la grève de la Régie des alcools a pu s'effectuer à l'intérieur des limites de la politique salariale du gouvernement.

Pour l'information de la Chambre, il serait possible de résumer ainsi les offres salariales à la RAQ. Pour les bureaux: du 1er novembre 1967 au 1er avril 1968, un montant forfaitaire de $300. Au 1er avril 1968, augmentation de 7 1/2% sur le point-milieu des échelles, pour une période de 18 mois. A la date du retour au travail, prolongation de la semaine normale de travail de 32 1/2 à 35 heures. Les 2 1/2 heures additionnelles seront rémunérées en ajoutant 8% au salaire individuel et non sur les échelles. Au 1er octobre 1969, augmentation de 7 1/2% sur le point-milieu des échelles pour une période de 18 mois.

Dans le secteur des magasins, du 1er novembre 1967 au 1er avril 1968, un montant forfaitaire de $300.

Au 1er avril 1968, augmentation de 7 1/2% sur le point milieu des échelles pour une période de dix-huit mois et à la date du retour au travail, prolongation de la semaine normale à 40 heures. Les deux heures et demie additionnelles seront payées $8.25 en compensation des inconvénients produits par les nouveaux horaires de travail, c'est-à-dire heure de lunch écourtée, travail le soir, horaire différent.

Au 1er octobre 1969, augmentation de 7 1/2% sur le point milieu des échelles pour une période de dix-huit mois,, De plus, par suite du travail en soirée, si un employé est appelé à prendre son lunch et à souper durant sa période de travail, la régie lui paiera son souper $1.75.

Dans le troisième domaine, celui des entrepôts, du 1er novembre 1967 au 1er avril 1968, montant forfaitaire de $300. Du 1er avril 1968 à la date du retour au travail, augmentation de 7 1/2% sur les taux en vigueur, et à la date du retour en travail, mise en application de la nouvelle échelle qui représente une augmentation de 6.8% en vigueur jusqu'au 1er octobre 1969. De plus, la semaine normale de travail peut être prolongée à 40 heures. Les deux heures et demie additionnelles seront rémunérées à tauxsimple. Au 1er octobre 1969, augmentation de 7 1/2% de l'échelle du personnel ouvrier pour une période de dix-huit mois.

Fin de la convention: 31 mars 1971.

Voilà, M. le Président, ce qui permet de conclure la grève à la Régie des alcools avec un règlement qui s'effectue à l'intérieur des limites de la politique salariale du gouvernement.

Usine de Desbiens

M. GOSSELIN: M. le Président, mercredi dernier, l'honorable chef de l'Opposition demandait à l'honorable premier ministre ce que le gouvernement entendait faire relativement à la fermeture éventuelle de l'usine de Desbiens.

Il me fait plaisir de dire à cette Chambre que, dès le 1er septembre 1966, je rencontrais les autorités de cette compagnie qui me faisaient part de certaines difficultés financières et également des difficultés qu'elles rencontraient dans la production et dans la vente du produit qu'elles fabriquent à Desbiens.

Dès cette année, nous avons, par arrêté ministériel, réduit considérablement le prix du droit de coupe de cette compagnie et, dernièrement, j'avisais cette compagnie qui: j'étais prêt à recommander à mes collègues de l'Exécutif qu'une abolition totale des droits de coupe soit accordée, si elle était nécessaire, en attendant que cette compagnie puisse stabiliser son économie et faire les modifications

voulues pour maintenir cette usine en activité. Bien plus, le ministère des Terres et Forêts a offert à la compagnie de lui donner les mêmes avantages — sur 210,000 cordes de bois annuellement — que nous avons accordés à la compagnie Kruger qui doit éventuellement établir son usine à Saint-Félicien. Voici où nous en sommes rendus. Je suis en contact constant avec M. Taylor, M. Webster et M. Clifford, qui est attaché au président, et nous ferons l'impossible pour aider à maintenir cette compagnie en activité.

M. LESAGE: M. le Président, est-ce qu'une des principales difficultés, sinon la principale, auxquelles a à faire face la compagnie n'est pas, justement, l'obtention du nouveau capital pour la transformation de l'usine?

M. GOSSELIN: II est évident que c'est une des difficultés. Cependant, Je crois que ce qui arrive là-bas, c'est tout simplement que présentement, le coût d'une tonne de pâte revient à environ $129.85. Actuellement, vu que la totalité de cette production est écoulée sur le marché américain, le coût de cette même pâte, aux Etats-Unis, est de $105 en argent américain, ce qui rapporte environ $113 la tonne. Or, il y a dans la production un déficit très considérable qui ajoute aux difficultés qu'a déjà la compagnie.

Cependant, les autorités de cette compagnie m'ont dit qu'elles faisaient tous les efforts afin d'obtenir à la fois les capitaux nécessaires et d'améliorer la production de leur usine.

M. LESAGE: Le ministère de l'Industrie et du Commerce a-t-il envisagé la possibilité d'apporter une aide financière à cette compagnie en vertu des lois existantes?

M. BEAUDRY: Actuellement, nous avons le problème en main. Nous étudions la possibilité d'aider financièrement la compagnie.

M. LESAGE: Si vous avez le problème en main, il ne faudrait pas le laisser tomber comme une patate chaude. Il faudrait bien le tenir en main et, surtout, trouver un moyen de le régler.

DES VOIX: A l'ordre! A l'ordre!

M. LESAGE: II s'agit d'une population considérable et d'une ville qui deviendrait une ville fantôme. Je pense que c'est joliment important.

M. GOSSELIN: M. le Président, il est évident que, dès l'adoption des bills 23 et 24, je me suis empressé, avec les autorités du ministère de l'Industrie et du Commerce, de faire parvenir à cette compagnie ces nouvelles législations avec toute la documentation voulue, pour qu'elle puisse prendre connaissance des avantages de ces nouvelles lois.

M. LESAGE: Il ne faudrait pas que cela traîne. Cela presse, et rien ne se fait.

M. COITEUX: M. le Président, faisant suite à la déclaration du ministre des Terres et Forêts, est-ce que je pourrais lui poser les deux questions suivantes? Premièrement, a-t-il changé d'attitude, au point de vue politique, au ministère des Terres et Forêts, puisque la même demande avait été formulée avant la fermeture de Clarke City, au ministère des Terres et Forêts, et rejetée, à savoir l'exemption des droits de coupe? Deuxièmement, a-t-il l'intention d'envisager la même politique pour régler le conflit qui existe actuellement et qui expose la population à faire face à la même situation que les gens de Clarke City ont eu à affronter, à savoir la fermeture de l'usine? A-t-il envisagé, pour le conflit de Domtar, une exemption de droits de coupe afin de contribuer à régler ce conflit?

M. GOSSELIN: M. le Président, je ne voudrais pas être désagréable à l'endroit de mon collègue le député de Duplessis, mais je tiens à lui dire que les mêmes avantages avaient été offerts à la compagnie de Clarke City. Même avec cela, les déficits demeuraient tellement considérables que cela n'a pas empêché la fermeture de l'usine de Clarke City. En ce qui a trait au problème de la compagnie Domtar, il serait peut-être bon que le député sache que, sur 128,000 cordes de bois nécessaires à l'usine d'East Angus, une très grande partie provient de l'entreprise privée, c'est-à-dire de lots sur lesquels le gouvernement n'a aucune juridiction. La compagnie Domtar ne m'a pas fait une telle demande, jusqu'à aujourd'hui, elle ne l'a pas jugé à propos. Par contre, aucun aspect de cette grève qui dure depuis trop longtemps n'a été laissé de côté. En toute circonstance, celui qui vous parle a mis à la disposition de toute autorité, qu'elle soit syndicale ou industrielle, tous les moyens qu'il possédait pour en venir à un règlement dans ce conflit.

M. COITEUX: M. le Président, Je prends la parole du ministre à l'effet que pareille offre a été faite à la Gulf Pulp...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. COITEUX: ... mais je déclare de mon siège que pareille offre n'a jamais été faite à la Gulf Pulp.

M. GOSSELIN: M. le Président,... M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. GOSSELIN: ... ce qui est différent, c'est que je suis ministre des Terres et Forêts; ces offres-là ont été faites dans mon bureau, alors ma parole devrait valoir celle du député de Duplessis.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gouin.

Vente de Communica

M. MICHAUD: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre. Est-ce que le gouvernement a pris acte de la vente du groupe de presse Communica à la Société Gelco, et, dans l'affirmative, est-ce qu'il s'inquiète de ce phénomène de concentration des entreprises de presse entre les mains des mêmes intérêts économiques?

Dois-je reformuler?

M. BERTRAND: M. le Président, j'ai lu la nouvelle comme le député de Gouin dans les journaux.

M. MICHAUD: Est-ce que le gouvernement s'en inquiète?

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Institutions financières.

M. LESAGE: Sur le même sujet, pourrais-je avoir la permission du premier ministre d'attirer son attention sur l'importance de cette nouvelle, si elle est fondée? Il ne resterait plus que trois journaux quotidiens au Québec qui seraient en dehors du consortium. Il s'agirait du Devoir, du Soleil et de l'Action.

M. BERTRAND: A l'ordre!

M. BELLEMARE: Nous sommes à la période des questions. Ce n'est pas une question,... A l'ordre!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: Certainement, il s'agit d'admi- nistration, M. le Président, et j'ai une question précise à poser au premier ministre.

UNE VOIX: A l'ordre! A l'ordre! Al'ordre! M. LESAGE: C'est très sérieux. M. BELLEMARE: Voyons donc! UNE VOIX: Ah oui!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! De toute façon c'est que...

UNE VOIX: M. Thomson.

M. LE PRESIDENT: A ce moment-ci, il ne peut être... A l'ordrel II ne peut être question de débat et d'argumentation. Il semble bien que, dès le préambule, cette question a soulevé un débat. Alors, j'aimerais que cette question soit inscrite au feuilleton. L'honorable député de Gouin.

M. MICHAUD: M. le Président, une question supplémentaire au premier ministre. Est-ce que le gouvernement a l'intention d'établir une politique de l'information, face au phénomène de concentration des entreprises de presse dans le Québec?

M. BERTRAND: Je n'ai rien compris de la question.

M. MICHAUD: M. le Président, si le premier ministre pouvait demander à quelques-uns de ces barbares de se taire, peut-être pourrait-il comprendre.

M. BERTRAND: Ah! Voyons! Que le député parle moins vite et plus distinctement et nous allons le comprendre.

M. LESAGE: Si le ministre des Institutions financières ne parlait pas en même temps, ça simplifierait les choses.

M. MICHAUD: Le gouvernement a-t-il l'intention d'établir et de définir une politique de l'information, face au phénomène de concentration des entreprises de presse dans le Québec?

M. LE PRESIDENT: Al'ordre! J'ai déjàr endu une décision sur cette question et j'ai demandé que cette question soit inscrite au feuilleton.

L'honorable ministre des Institutions financières.

Courtage immobilier

M. GABIAS: Je vous remercie, M. le Président.

Jeudi le 24 octobre 1968, le député de Verdun posait à cette Chambre une question concernant en particulier la vente de certains terrains à

Saint-Adolphe-d'Howard. En ce qui concerne le service du courtage immobilier, il me fait plaisir d'informer cette Chambre que, relativement à la vente de terrains à Saint-Adolphe-d'Howard, par la compagnie Saint-Adolphe construction, les représentants de la maison Emile Genest, ont été personnellement rencontrés par les représentants ou les enquêteurs du service du courtage immobilier. Tous les vendeurs de terrains sont des employés réguliers. Ils exercent cette profession au profit de la compagnie Saint-Adolphe construction. La Loi du courtage immobilier, à l'article 4-J, stipule qu'un employé régulier qui, à l'occasion de l'exercice de sa principale occupation, accomplit une opération immobilière pour le compte de son employeur, lorsque ce dernier n'est pas un courtier ou un constructeur inscrit, peut accomplir un acte visé à l'article 3 de la loi sans avoir obtenu au préalable un permis du service du courtage immobilier du Québec.

Présentement, la façon d'opérer de cette compagnie n'entre pas en contravention avec la loi actuellement en vigueur. Si, par ailleurs, il s'agit de vente frauduleuse, cela relève, comme tout le monde le sait, du ministère de la Justice.

Samuel Gesser Productions

M. GABIAS: A une autre question qui était posée par le député de Verdun et concernait Samuel Gesser Productions Inc., il me fait plaisir d'informer cette Chambre que cette compagnie a fait une proposition en date du 14 novembre 1968 et que l'assemblée des créanciers aura lieu le 27 novembre 1968. Le syndic nommé à la faillite est Friefeld, Rohr et Compagnie. La compagnie de MM. Samuel Gesser et Allan Mills a d'abord été incorporée le 16 septembre 1960 sous le nom de Gesser Mills Concerts Inc. Le capital autorisé de la compagnie était de $20,000, constitué par 200 actions ordinaires à $10 chacune et 180 actions privilégiées à $100 chacune. Le 17 septembre 1963, la compagnie a changé son nom pour Samuel Gesser Productions Inc., en français, les Productions Samuel Gesser Inc. Les directeurs de la compagnie sont: Madame Sara Lee-Gesser, présidents; M. Samuel Gesser, vice-président! M. Naihan Gesser, secrétaire, et M. Gerry-J. Levitan, trésorier. Madame Gesser est détentrice de sept actions ordinaires et de vingt ac- tions privilégiées, alors que chacun des autres directeurs détient une action ordinaire, pour un grand total de capital émis de $2,100.

Le séquestre désigné est M. Jules Chicoine, et la compagnie a déposé son bilan. J'ai ici en main une copie du bilan déposé par cette compagnie. De plus, f ai en main la proposition faite par cette compagnie. Je vais ajouter que le 27 septembre 1968, soit six semaines avant le 14 novembre 1968, Madame Sara Lee-Gesser, M. Nathan Gesser et Gerry-J. Levitan ont incorporé une compagnie sous le nom de Gesser Enterprises Inc., les Entreprises Gesser Inc. Le capital autorisé est de $40,000, à raison de 1,000 actions ordinaires à $10 chacune et 3,000 actions privilégiées à $10 chacune. Pour le moment, nous ignorons le nombre d'actions détenues par les directeurs.

C'est donc dire qu'il n'y a pas eu de négligence de la part du service des compagnies lorsque ce service a permis l'incorporation de cette troisième compagnie sous le nom de Gesser Enterprises Incorporated, parce que cette demande a été faite le 27 septembre 1968 et que la faillite n'a été connue que le 14 novembre 1968. Je dois ajouter également qu'à aucun moment des institutions financières, compagnies et coopératives n'ont reçu une plainte de qui que ce soit. Je suis également informé qu'aucune plainte ni aucune demande de renseignements relativement à cette faillite n'a été présentée au ministère de la Justice.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Ahuntsic.

M. LEFEBVRE: Ma question s'adresse au ministre d'Etat à la Fonction publique. Je regrette de revenir en arrière, mais il faut bien que chacun attende son tour pour parler. Il s'agit de la déclaration qu'a faite le ministre et sur laquelle j'aimerais un éclaircissement Le ministre a lu assez rapidement son texte et il y a un point, pour ma part, que je n'ai pas entendu. Dans la partie de son texte où il traitait des modifications à la durée de la semaine de travail dans le cas des employés de bureau, le ministre a parlé d'un rajustement ou d'une compensation pour les deux heures et demie additionnelles.

Il a cité un pourcentage que je n'ai pas bien compris. Est-ce que le ministre aurait l'obligeance d'informer la Chambre du pourcentage en question?

M. MASSE: Je n'ai pas d'objection à répondre au député. Il y a deux façons d'avoir la réponse: premièrement, en consultant le journal des Dé-

bats, demain; deuxièmement, en m'accordant... M. MICHAUD: Ne soyez pas mesquin.

M. MASSE: ... quelques instants, parce que le texte de la déclaration n'est plus en ma possession en ce moment. Alors, il faudrait me permettre d'en reprendre possession. Vous pouvez le lire au journal des Débats ou je peux vous donner la réponse dans quelques instants. Je peux vous envoyer une copie du texte.

Evénements de Saint-Casimir

M. LEFEBVRE: On verra si cela a de l'importance. On verra ça plus tard. J'aurais une question à l'adresse du premier ministre et, cette fois, je reviendrai à Saint-Casimir. J'aimerais savoir du premier ministre si c'est le ministre du Travail qui est maintenant responsable de la sûreté du Québec et de l'application du code criminel. Sinon, de quoi se mêle-t-il?

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel A Pordre!

M. BELLEMARE: Le député est-il en faveur de la violence?

M. LEFEBVRE: Non. Le ministre déraisonne. Ce n'est pas ce que j'ai demandé.

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel

M. BELLEMARE: Tâchez donc de vous mêler de vos affaires.

M. LEFEBVRE: J'ai demandé si ça concernait le ministre du Travail.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEFEBVRE: C'est une question sérieuse.

M. LE PRESIDENT: A Pordrel A l'ordre!

M. BELLEMARE: Arrêtez donc de prendre tous les matins votre bain dans le vinaigre.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable député d'Outremont.

La Stabilité

M. CHOQUETTE: Je voudrais poser une question au ministre des Institutions financières. Le ministre des Institutions financières peut-il faire connaître à la Chambre les raisons pour lesquelles l'échange projeté d'actions de la

Stabilité, compagnie d'assurance-vie, avec les actions de la compagnie les Prévoyants du Canada a été bloqué à la Commission des valeurs mobilières et au service des assurances...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. CHOQUETTE: ... pendant plus d'un an et demi?

M. LE PRESIDENT: A Pordrel L'honorable député d'Outremont voudra bien inscrire cette question au feuilleton.

M. CHOQUETTE: Si j'inscris cette question au feuilleton, je n'aurai jamais de réponse. Je pense que le ministre considère que la question est urgente. J'en ai déjà discuté avec lui.

M. GABIAS: Je peux donner une réponse au député d'Outremont.

M. CHOQUETTE: Est-ce qu'on pourrait me permettre de finir ma question, cependant?

M. GABIAS: Je vais d'abord répondre à celle-ci. S'il y en a d'autres, subséquentes...

M. CHOQUETTE: La question n'était peut-être pas complète.

M. GABIAS: Bien, il me semblait qu' il y avait un point d'interrogation à la fin. Depuis un an...

M. CHOQUETTE: Ecoutez, si on me le permet, je vais terminer la lecture de ma question. Il s'agit de transactions financières assez compliquées. Il est sûr que je ne peux pas poser une question comme ça en trois lignes.

M. GABIAS: C'est pour cela qu'on vous suggère le feuilleton.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. CHOQUETTE: On me suggère le feuilleton, mais la question est urgente.

M. LE PRESIDENT: A Pordre! A l'ordre! A l'ordre! Comme l'honorable ministre insiste pour répondre, je dois permettre à Phonorable député d'Outremont de poser sa question. Je lui demanderais, cependant, de respecter les règles ordinaires des questions.

M. CHOQUETTE: Je vous remercie, M. le Président. Je reprends ma question au début, parce qu'elle est assez longue. Le ministre des

Institutions financières peut-il faire connaître à la Chambre les raisons pour lesquelles l'échange projeté d'actions de la Stabilité, compagnie d'assurance-vie avec des actions de la compagnie les Prévoyants du Canada a été bloqué à la Commission des valeurs mobilières et au service des assurances pendant plus d'un an et demi, avec, comme conséquence, une chute de près de 50% dans la valeur au marché des actions de la Stabilité et, également, la conséquence que la Stabilité, compagnie d'assurance-vie n'opère plus ou, du moins, ne transige plus d'affaires d'assurance-vie?

M. GABIAS: Vu la complexité et le peu de clarté de sa question, je suggèrerais au député de placer cette question au feuilleton.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député des Iles-de-la-Madeleine.

Employés non syndiqués

M. LACROIX: Ma question s'adresse à l'honorable représentant de l'Assemblée nationale du Québec pour le comté de Montcalm. Est-ce que le gouvernement a l'intention d'accorder les...

M. LE PRESIDENT: A l'ordrel

M. LACROIX: ... mêmes privilèges aux employés professionnels non syndicables à l'emploi du gouvernement que ceux qui ont été accordés aux autres fonctionnaires, professionnels ou autres, du gouvernement par les récentes conventions collectives?

M. MASSE: Les responsables de la Fonction publique sont en train de faire une étude pour reviser certains traitements qui sont versés aux personnes qui appartiennent aux cadres de l'administration.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Duplessis.

Associations de sécurité

M. COITEUX: M. le Président, ma question s'adresse au ministre du Travail. Est-il exact qu'à partir du 1er avril 1969, les subsides actuellement versés aux associations de sécurité, comme Canadian Pulp and Paper Association, seront discontinués?

M. BELLEMARE: Non.

M. COITEUX: M. le Président, comme question supplémentaire, pourrais-je demander au ministre s'il est en mesure de dire s'il y aura une formule de transition à cet effet?

M. BELLEMARE: Oui.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre d'Etat à l'Education.

Collège Loyola

M. MORIN: M. le Président, je dépose les copies des deux arrêtés ministériels concernant le collège Loyola.

M. LE PRESIDENT: Affaires du jour. M. LESAGE: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

M. LESAGE: ... jeudi matin dernier — je réfère à la page 4223 du journal des Débats — le ministre d'Etat à l'Education avait déclaré qu'il déposerait vendredi, le lendemain matin — mais comme nous n'avons pas siégé, il le fait aujourd'hui — copie des deux arrêtés ministériels qu'il vient de déposer.

Il y a eu un échange entre lui et moi. J'ai posé une série de questions. Je ne sais pas si le ministre est en mesure d'y répondre aujourd'hui ou s'il le sera demain. Pourrait-il m'éclairer à ce sujet?

M. MORIN: Je veux rassurer le chef de l'Opposition. Je suis en train de préparer toutes les réponses à ses questions et je serai probablement en mesure, dès demain, de lui donner toutes ces réponses.

Réponses inconciliables

M. LESAGE: Je l'en remercie bien. J'attendais que la période des questions soit terminée pour faire une intervention très courte, encore une fois en vertu de l'article 114, paragraphe 2, sur des réponses inconciliables, disons, qui ont été données en réponse à des questions écrites ou à des demandes de production de documents. Je vais faire ça le plus brièvement possible, dans l'espoir que les faits pourront être rétablis en même temps que dans les autres cas que j'ai déjà mentionnés. J'espère que le leader du gouvernement en Chambre sera en mesure de ce faire dans un délai rapproché.

M. le Président, il s'agit d'achat de tapis. Avant de parler du Conseil législatif, nous allons parler pour deux minutes d'achat de tapis. Le 29 mars 1968, le député de Bourassa... Au Conseil législatif, c'est rouge. Alors, je reprends. Le 29 mars 1968, le député de Bourassa a inscrit une question demandant, entre autres choses, combien le gouvernement, ses offices ou régimes et commissions ont payé pour l'achat de tapis depuis le 16 juin 1966 jusqu'au 29 mars 1968.

Le 23 octobre 1968, réponse du premier ministre: $76,505.64, procês-verbaux no 75, page 647.

On comprendra que je lise rapidement parce que je dicte beaucoup plus pour le journal des Débats afin que le leader du gouvernement puisse y retracer mon intervention. Il y a lieu de se demander si ce chiffre est exact, lorsqu'on examine d'autres réponses fournies. Voici quelques exemples seulement:

Premièrement, le 23 octobre 1968, soit le même jour, réponse de M. Russell, déclarant que, pour l'édifice J'offre seulement, le gouvernement a acheté pour $140,927.11 de tapis. Document déposé no 209.

Toujours à la même date, le 23 octobre 1968, réponse de M. Russell, déclarant que pour l'aménagement des bureaux ou suites de bureaux de tous les membres du Conseil exécutif, à Québec et ailleurs, le gouvernement apayê$19,224 pour l'achat de tapis du 16 juin 1966 au 29 mars 1968. C'est le document 206.

Et enfin, le 12 août 1967, il y avait eu une réponse de M. Lafontaine, déclarant que le gouvernement avait négocié un contrat de $24,712.36 avec la compagnie Emilien Rochette et Fils limitée, relativement aux bureaux du cabinet du premier ministre. C'est la page 841 des journaux pour la session 1966-1967.

Il y a deux ou trois réponses qui semblent contradictoires ou incomplètes.

M. RUSSELL: M. le Président, je vais vérifier les faits et j'en informerai la Chambre.

M. LESAGE: C'est le but de mon intervention.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable premier ministre propose la deuxième lecture de la Loi concernant le conseil législatif.

L'honorable premier ministre.

M. BERTRAND: M. le Président...

M. TREMBLAY (Bourassa): La période des questions n'est pas finie?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Si, malheureusement, il n'y a pas consentement unanime de la Chambre, il me sera impossible d'accorder la parole à l'honorable député de Bourassa.

M. TREMBLAY (Bourassa): Oui mais, M.le Président, les députés parlent tous ensemble et, à un moment donné, nous avons certaines questions à poser, le premier ministre ou d'autres se lèvent, et nous ne pouvons pas poser nos questions. J'aimerais bien savoir quand nous pourrons le faire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! J'ai demandé à la Chambre si elle accordait son consentement unanime.

M. BERTRAND: Oui.

M. LE PRESIDENT: Alors, si la Chambre est d'accord, je n'ai aucune objection.

M. TREMBLAY (Bourassa): Alors, M. le Président, j'ai deux questions à poser. Ce sont peut-être des questions qui concernent la ville de Montréal, le nord de Montréal. La première est que le déblaiement de la neige sur le boulevard Métropolitain, depuis quelques années, est fait par le gouvernement provincial. Lors de la dernière tempête que nous avons eue, disons il y a deux semaines, nous avons dû attendre onze jours avant que la souffleuse puisse enlever la neige sur le boulevard Métropolitain. Vous serez tous d'accord sur le fait que le boulevard n'est pas suffisamment large pour absorber la circulation du nord de Montréal. Le ministre de la Voirie n'est pas ici, ma question s'adresse donc au premier ministre. J'aimerais savoir s'il croit qu'il est normal que le déblaiement de la neige sur le boulevard Métropolitain ne se fasse qu'onze jours après une tempête?

Je crois que c'est une question urgente, M. le Président. Elle ne l'est peut-être pas pour les députés ici en Chambre, mais elle l'est pour ceux qui circulent sur le boulevard Métropolitain.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Nous revenons à l'article 5. L'honorable premier ministre propose la deuxième lecture de la Loi concernant...

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, je n'accepte pas...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): ... j'ai posé une question. Je ne comprends pas que vous criiez à l'ordre. Cela m'importe peu. On devrait au moins répondre à ma question.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Je pose la question au premier ministre. J'aimerais savoir s'il peut me répondre.

J'ai également d'autres questions à poser.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je pense que l'honorable député va convenir avec moi que la question qu'il pose ne remplit pas les deux conditions nécessaires pour que ce soit une question régulière à ce moment-ci des procédures. J'ai maintenant appelé l'article 5.

M. TREMBLAY (Bourassa): Je me demande bien quel genre de question je dois poser pour qu'elle soit régulière.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Je me demande de quelle façon et à quel moment je dois les poser. Ne criez pas à l'ordre, cela ne m'énerve pas du tout, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: II me serait regrettable d'avoir à nommer le député, et je l'invite à lire en attendant l'article 683.

L'honorable premier ministre propose la deuxième lecture de la Loi concernant le conseil législatif.

M. LAPORTE: M. le Président, je ne suis pas totalement en désaccord avec vous. Si lapremiè-re question du député de Bourassa vous a semblé irrégulière, il était évidemment de votre devoir de le lui dire. Mais, puisque le député dit qu'il a d'autres questions à poser, si ces questions sont jugées régulières, je pense bien que la période au cours de laquelle il peut les poser n'est pas encore terminée.

M. LE PRESIDENT: J'ai bien compris que les questions étaient du même ordre. Sinon, je suis prêt à admettre que j'ai fait une erreur et, à ce moment-là, je serais prêt à entendre l'honorable député de Bourassa.

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, je sais que vous ne demandez pas au premier ministre de répondre à ma première question. Ma deuxième question, c'est toujours la même. C'est que, dans le nord de Montréal, nous avons des carrières à Saint-Michel et nous avons du dynamitage dans les carrières, ce qui cause des ennuis à toutes les personnes et à tous les contribuables de l'entourage, soit de Saint-Michel ou de Montréal-Nord.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Je trouve que c'est très grave, M. le Président. Si vous étiez résident de la région de Montréal-Nord ou de Saint-Michel, vous seriez le premier à faire des plaintes à votre député. Et même si vous ne voulez pas accepter que j'intervienne en Chambre, vous seriez le premier à faire des plaintes auprès de la Chambre, si vous étiez député de la circonscription que je représente.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Alors, je demande au ministre du Travail...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Ma question s'adresse au ministre du Travail.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, prenez donc une minute. Laissez-nous intervenir...

DES VOIX: Ah!

M. TREMBLAY (Bourassa): ... le ministre du Travail va nous répondre.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Je demande au ministre du Travail qui a fait...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, je demande au ministre du Travail...

DES VOIX: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Bien oui, on n'est plus capable de parler; c'est le bâillon, ici, en Chambre.

M. GRENIER: Le bâillon! Vous jouez au bouffon.

M. TREMBLAY (Bourassa): On n'est plus capable de parler; on n'est plus capable de poser nos questions et d'avoir des réponses.

M. ALLARD: C'est un autre Reggie Char-trand.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAPORTE: M. le Président, le ministre devrait avoir assez de bon sens pour ne pas s'énerver.

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, je demande à celui qui a dit les paroles: « C'est un autre Reggie Chartrand », de retirer ses paroles. Je ne suis pas un Reggie Chartrand.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je demanderais à l'honorable ministre des Richesses naturelles...

M. TREMBLAY (Bourassa): S'il y en a qui ne savent pas vivre, ils ne méritent pas d'être dans cette Chambre.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Qu'on me permette, au moins, d'essayer de faire observer le règlement! Je demande à l'honorable ministre des Richesses naturelles de bien vouloir retirer ses paroles.

M. ALLARD: Ce n'est pas un Reggie Chartrand, mais ça lui ressemble.

M. TREMBLAY (Bourassa): M. le Président, qu'il retire ses paroles comme un homme, si c'est un homme! Il vient de retirer ses paroles comme un enfant. Qu'il retire ses paroles, si c'est un homme! Il ne mérite même pas d'être ministre, présentement.

M. BELLEMARE: M. le Président, je voudrais dire à l'honorable député que, l'an passé, lorsqu'il a attiré mon attention sur ce fait un peu particulier dans la ville de Montréal-Nord, nous avons délégué immédiatement des inspecteurs dont, je pense — de l'avis même du député qui m'avait écrit une lettre — il avait été pleinement satisfait. Nous n'avons pas d'objection à renouveler le mandat de ces inspecteurs pour donner satisfaction à tout le monde. Je prends bonne note de l'observation de l'honorable député et, dès demain matin, des ordres seront donnés afin que nos inspecteurs aillent vérifier sur les lieux.

M. TREMBLAY (Bourassa): Voyez-vous, M. le Président, ce qui arriverait si vous nous laissiez poser les questions. Le ministre du Travail nous répond de façon satisfaisante et je suis sûr, d'avance, qu'il va faire le travail nécessaire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Bourassa): Merci, M. le ministre du Travail.

M. BERTRAND: Cinq.

Bill no 90

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre propose la deuxième lecture de la Loi concernant le Conseil législatif.

L'honorable premier ministre.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, le lieutenant-gouverneur, ayant pris connaissance du présent projet de loi, en recommande l'étude par la Chambre.

En 1966, il y avait, dans le programme de notre mouvement politique, deux articles importants, entre autres: celui où l'on disait qu'il falfait abolir le Conseil législatif sans l'intervention de Londres, ni d'Ottawa dans les affaires internes du Québec; deuxièmement, celui où l'on mentionnait qu'il fallait procéder à une réforme de nos institutions parlementaires pour en faire un instrument moderne et efficace au service de la communauté québécoise.

Le projet de loi que je présente à la Chambre a, pour premier but, l'abolition du Conseil législatif, sans l'intervention du gouvernement de Londres ni d'Ottawa. Deuxièmement — j'aurai l'occasion d'en dire quelques mots à la fin de mes remarques — il amorce la réforme de nos institutions parlementaires, réforme destinée à donner aux députés une responsabilité encore plus complète dans les affaires de l'Etat.

Il faut donc, M. le Président, considérer le présent projet de loi d'une manière positive. Dans l'esprit des hommes politiques des dernières décennies, le Conseil législatif, comme la Chambre haute des Parlements de type britannique, avait pour mission de faire contrepoids à la Chambre élue par le peuple. Dans la mesure où la société devient de plus en plus démocratique, le rôle du Conseil législatif devient donc de plus en plus difficile. Il est paradoxal de constater que, parfois, l'opinion publique lui reproche d'intervenir dans l'élaboration des projets de la Chambre élue, alors que, d'autres fois, elle lui reproche de ne pas intervenir sous prétexte qu'il aurait des intérêts à protéger.

Ainsi l'évolution actuelle de la société semble, d'une manière assez unanime, rejeter l'idée d'un Conseil législatif. Les citoyens désirent, de plus en plus, être les seuls responsables de l'élaboration des politiques par l'intermédiaire des représentants élus du peuple. Les groupes de pression, d'ailleurs, se multiplient dans la société contemporaine afin d'assurer la défense, les intérêts et la protection de leurs droits auprès des représentants élus. Ils acceptent mal l'intervention de personnes qui ne sont pas élues-Dans l'esprit de plusieurs, les assemblées non élues leur rappellent, à tort ou à raison, les mauvais souvenirs d'une époque de privilège. Il faut donc consulter le contexte sociologique du Québec pour comprendre les raisons qui ont inspiré ces articles du programme de notre mouvement politique et du présent projet de loi.

Le projet n'a aucun aspect négatif. Il ne s'agit pas d'exercer une vengeance, car il n'existe pas de conflit entre les deux Chambres. De plus, on n'en voit point à l'horizon. Il ne s'agit pas non plus de condamner ou de blâmer les hommes qui font partie du conseil. Il n'appartient pas aux membres de l'Assemblée législative de s'ériger en juge de leur conduite. Je crois même que l'histoire du Conseil législatif ne pourrait pas être écrite par un membre de l'Assemblée législative, mais par ceux-là qui ont vécu la vie du conseil.

J'ai connu et vous avez tous connu un grand nombre de membres du conseil. Je suis fermement convaincu - pour ceux que j'ai connus depuis au-delà de 27 ans - qu'ils ont tous agi dans l'exercice de leurs fonctions, dans le meilleur intérêt de leur province. Je ne voudrais pas citer de noms, mais plusieurs d'entre eux ont été de grands Canadiens, de grands Québécois. Us ont rendu d'inestimables services à leur province et à leur pays. Même s'ils n'ont pas reçu la manchette des journaux, je suis convaincu qu'ils jouissent tous d'une très grande estime, non seulement auprès des membres de l'Assemblée législative, mais également auprès de la population. A mon avis, le conseil a toujours été animé d'un esprit modérateur, du respect des traditions, de la liberté et de la propriété individuelles. L'opinion publique qui ne lui a pas toujours été favorable a quand même reconnu en plusieurs circonstances, le rôle important qu'il aura joué.

Aucun doute que la disparition du Conseil législatif modifiera sensiblement à la longue, le travail de ce Parlement. Les responsabilités qui pèseront sur nos épaules seront plus lourdes car nous devrons nous habituer davan- tage à approfondir les projets de loi qui sont soumis à l'attention du Parlement de Québec. Le gouvernement devra davantage tendre à présenter des mesures législatives plus parfaites. Sans doute appartiendra-t-il à l'histoire de juger le conseil et son rôle. L'histoire peut-être lui sera beaucoup plus sympathique que ne l'a été l'opinion publique.

Le projet constitue une affirmation: Que le Québec peut modifier sa constitution interne à l'exception de la fonction du lieutenant-gouverneur sans l'Intervention de Londres et d'Ottawa. Les provinces de Québec et d'Ontario sont les deux seules provinces dont l'appareil législatif est le sujet de stipulation dans l'acte de 1867.

La Législature du Québec fait le sujet des articles 71 à 80 et la Législature de l'Ontario des articles 69 et 70.

Ces articles de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 sont très secondaires et se limitent à modifier la constitution des anciennes provinces pour permettre la mise en place d'un nouveau régime politique au Canada. Ces articles n'enlèvent rien aux droits que ces provinces pouvaient posséder avant la Confédération, exception faite pour les droits cédés au gouvernement fédéral en vertu de l'Acte de 1867.

Je me réfère ici, M. le Président, au Colonial Laws Validity Act de 1865 qui avait consacré dans son article 5, une convention constitutionnelle qui accordait à l'époque aux colonies britanniques le droit de modifier leur constitution: « Chaque Législature coloniale aura, et sera censée en tout temps avoir eu plein pouvoir, dans les limites de sa compétence, de créer des cours de justice, de les abolir, de les reconstituer et d'en modifier la constitution et de pourvoir à l'administration de la justice dans ces cours, et chaque Législature représentative aura, relativement à la colonie placée sous sa compétence, et sera censée en tout temps avoir eu plein pouvoir d'edicter des lois concernant la constitution, les pouvoirs et la procédure de cette Législature, pourvu que ces lois aient été adoptées de la façon et sous la forme qui peuvent être de temps à autre prescrites par une loi du Parlement, par lettres patentes, décret du Conseil ou loi coloniale en vigueur dans ladite colonie. »

Le gouvernement responsable existe donc au Canada depuis 1848. De longues batailles sur la réforme parlementaire avaient déjà, sous le gouvernement de l'Union, inscrit dans les faits le pouvoir pour la colonie d'amender sa constitution. D'ailleurs, ce que je viens de lire du Colonial Laws Validity Act consacre ce pouvoir d'une manière définitive. L'examen des discus-

sions qui ont précédé l'établissement de la Confédération canadienne révèle qu'il ne fut pas question du pouvoir de modifier la constitution du Parlement fédéral, pas plus que de modifier la répartition des pouvoirs législatifs entre le fédéral et les provinces. Ces deux pouvoirs devaient à l'époque demeurer la responsabilité du Parlement de Londres. Il semble que personne ne contestait à l'époque le pouvoir des colonies, reconnu par le Colonial Laws Validity Act, de modifier leur constitution. Les résolutions de Québec contiennent un rappel de ce pouvoir aux articles 41 et 42, dont voici le texte.

Résolution no 41: « Les gouvernements et les Parlements des diverses provinces seront constitués en la manière que leurs Législatures actuelles jugeront respectivement à propos d'établir. »

Résolution no 42: « Les Législatures locales auront le pouvoir d'amender ou de modifier de temps à autre leur constitution. »

Les résolutions de Londres reprennent les mêmes propositions aux articles 40 et 41, paragraphe 1, dont voici le texte: « Article 40: Le gouvernement local et la Législature locale de chaque province seront constitués de manière que prescrira la Législature de chacune de ces provinces. « Article 41: La législature locale pourra faire des lois relatives aux sujets suivants: Premièrement, la modification ou l'amendement de sa constitution de temps à autre... »

M. le Président, suivant un auteur qui s'appelle Pope, les délégués des provinces à la conférence de Londres ont éliminé la 24e résolution du Québec au sujet des modifications à l'Assemblée législative, parce que superflue, vu que les provinces possédaient seules le pouvoir général d'amender leur constitution.

L'inscription de ce pouvoir dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est destinée à éliminer toute controverse sur le sujet. Le pouvoir donné par l'Angleterre, à cette époque, à ses colonies, avait même un effet rétroactif. La loi voulait consacrer une convention constitutionnelle en usage depuis quelques années. Les réserves mentionnées dans ledit acte maintenant la désuétude, avaient pour effet de défendre aux colonies d'adopter des lois en contradiction avec les lois impériales de l'époque, en particulier dans le domaine du commerce et de la navigation. Ainsi, la Législature de la province n'a pas besoin de l'intervention de Londres pour modifier sa constitution. Ce serait demander de nouveau à Londres un pouvoir qui lui était déjà consenti au moment de la Confédération. Le gouvernement fédéral n'a pas à y voir, ni directement, ni indirectement, puisqu'il s'agit là d'un pouvoir exclusif de la province d'amender sa propre constitution.

M. LESAGE: Excepté le droit de ceux qui ont passé la loi de la reviser.

M. BERTRAND: II semble d'ailleurs que cette interprétation est conforme à la doctrine qui a été exprimée dans plusieurs décisions du comité judiciaire du Conseil privé, en particulier dans la cause de Liquidators of Maritime Bank versus Attorney General of New Brunswick. L'abolition du Conseil législatif devrait fournir à tous les citoyens l'occasion de constater que la province possède le pouvoir de modifier sa constitution interne. Il possède également nombre de pouvoirs qu'il est de son devoir d'utiliser pour régler ses problèmes, sans transporter ces conflits âl'extérieur.Donc, abolition du Conseil législatif, pour répondre aux besoins d'une époque qui veut que la démocratie soit davantage exercée par les représentants élus, et j'ai également ajouté tantôt, une amorce de la réforme de nos institutions parlementaires. Dans ce sens, le comité parlementaire de la constitution qui se réunira, comme on l'a déjà indiqué, jeudi le 27 novembre à 10 heures de la matinée, pourra examiner certains autres problèmes qui concernent la constitution interne du Québec. En plusieurs milieux, on a parlé d'établir un mécanisme qui pourrait servir de frein modérateur lorsqu'il s'agira d'amender la constitution du Québec. Certains ont également suggéré, lorsque nous aurons la constitution elle-même, une charte des droits de l'homme, d'avoir un mécanisme qui pourrait assurer la garantie de ces droits. Certains ont parlé également d'avoir un frein modérateur ou un mécanisme constitutionnel en vue d'assurer une garantie aux droits de la minorité. C'est le Parlement de Québec, par le truchement de son comité parlementaire, qui verra à élaborer les formules qui répondront le mieux d'abord aux besoins de notre temps, et aux vues, aux aspirations, aux idées et aux opinions des membres du comité parlementaire et des membres de l'Assemblée législative du Québec.

J'ai donc l'honneur, sans entrer dans aucun détail ni dans aucune des modalités de ce bill qui comporte plusieurs clauses. Lorsque l'on décrète l'abolition du conseil, il faut également faire référence à plusieurs lois où partout était indiqué le rôle du conseil, ses activités, ses pouvoirs, ses devoirs. C'est donc dire que la loi, le principe fondamental, c'est celui de l'abolition du Conseil législatif, pour répondre aux désirs si souvent manifesté par la population, et que les deux partis politiques, à l'occasion

des élections de 1966 avaient inscrit dans leur programme, qui avait fait l'objet de mention dans les programmes des partis politiques, depuis je crois, 1878. C'est en 1968 que nous le proposons, au Parlement de Québec Je crois à l'unanimité puisque le chef de l'Opposition avait de son côté, proposé lui aussi un projet de loi dans ce sens. Il conviendra que le sien ne prévoyait pas tous les amendements que l'on doit apporter aux lois en pareil cas. Nous avons...

M. LESAGE : Je répondrai à cela tantôt. Comme chef de l'Opposition, moi, je n'ai pas de cadeau à faire.

M. BERTRAND: Non, excepté que nous avions la responsabilité. L'honorable premier ministre, M. Johnson, mon prédécesseur, avait formellement indiqué par l'inscription au feuilleton, d'un avis — Loi concernant le Conseil législatif — la volonté claire et manifeste d'abolir le conseil. Il avait, à quelques reprises, indiqué également que ce conseil pourrait peut-être être remplacé par une autre chambre, mais toujours dans l'optique d'une chambre qui aurait pu servir comme frein modérateur dans le domaine des amendements à la constitution.

Nous posons un jalon, c'est une étape, l'abolition. Le mécanisme — j'y reviens —fera l'objet des travaux du comité parlementaire. J'ai donc l'honneur de proposer la deuxième lecture de ce projet de loi, concernant l'abolition du Conseil législatif.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

M. Jean Lesage

M. LESAGE: « La Législature du Québec se composera désormais du lieutenant-gouverneur et de l'Assemblée nationale du Québec ». C'est par ces mots très simples que prendra fin l'interminable querelle ou l'interminable discussion au sujet de l'abolition du Conseil législatif au Québec. Depuis près de cent ans, oui depuis près de cent ans, on en parlait. Depuis près de cent ans, les journalistes, les observateurs, les historiens, les hommes politiques, les experts et même les partis politiques se sont divisés en deux camps quasi irréconciliables. Les uns pour, les autres contre l'abolition.

Aujourd'hui qu'on y est, le Conseil législatif, semble-t-il, ne sera plus, c'est presque avec nostalgie que ceux-là mêmes qui en réclamaient l'abolition avec le plus de vigueur s'apprêtent à sanctionner la disparition de cet organisme si discuté.

Je ne veux pas rappeler ici tous les mérites ou les démérites de l'institution! Pas plus que le premier ministre, je n'ai l'intention de tenter d'écrire l'histoire du conseil, de parler des grands Canadiens, des grands Québécois qui y ont oeuvré. Je ne veux faire ni l'éloge ni la critique de tous ceux qui en furent membres.

Comme le premier ministre, je crois que tout cela appartiendra à l'histoire.

Je ne veux pas, non plus, refaire l'histoire de toutes les tentatives qui ont été faites ou imaginées dans le passé, au Québec comme dans d'autres provinces du Canada, pour abolir les Conseils législatifs existants. Ce serait trop long et je répéterais en substance un discours fleuve que j'ai prononcé en Chambre le 4 février 1965...

M. BERTRAND: J'avais là-dessus plusieurs notes que j'ai mises de côté.

M. LESAGE:... page 334et suivantes du journal des Débats, mais je ne reviens pas là-dessus. Cependant, M. le Président, vous permettrez bien à celui qui, en ces dernières années, a vainement tenté d'en arriver à l'abolition du conseil en passant, à un moment donné, il est vrai, par le biais d'une diminution de sa compétence, de vous relater brièvement les péripéties d'un voyage qui l'a conduit inopinément aux portes du Parlement de Westminster, non pas parce qu'il avait souhaité ce long détour pour atteindre la Chambre voisine qui est située à deux pas, mais bien, plutôt, parce que le jeu des allégeances politiques et partisanes l'y avait contraint, presque malgré lui.

Décider d'abolir le Conseil législatif, c'est une chose, mais réussir à l'abolir, c'en est une autre et j'en sais quelque chose. Diverses avenues pour atteindre cette fin sont évidemment possibles. La première, c'est celle de présenter un projet de loi comme le bill 90, en substance, j'entends. Quant aux modalités, nous en parlerons en comité. En effet, en vertu de l'article 92, premièrement, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et je cite: « Dans chaque province, la Législature pourra exclusivement légiférer sur les matières entrant dans la catégorie de sujets ci-dessous énumérés, à savoir: 1 — A l'occasion, la modification, nonobstant ce qui est contenu au présent acte, de la constitution de la province, sauf les dispositions relatives à la charge du lieutenant-gouverneur. »

Comme la Législature du Québec, de par la constitution, se compose, entre autres, de l'Assemblée législative et du Conseil législatif, il s'ensuit qu'un projet de loi abolissant le Conseil législatif est sujet à l'approbation de l'une et de l'autre Chambres.

Or, j'avais, à l'époque où j'étais premier mi-

nistre, de bonnes raisons de croire qu'un semblable projet rallierait, au moins, la majorité des députés à l'Assemblée législative. Par ailleurs, pour me servir d'une expression classique, j'étais « croyablement » informé que mon projet de loi serait accueilli au Conseil législatif par un non ou même un « niet » retentissant. Donc, cette première avenue menait à l'impasse. Une deuxième avenue, utilisée ailleurs au Canada, se révélait impossible. Cette avenue aurait consisté à utiliser la prérogative royale du lieutenant-gouverneur pour nommer une majorité de nouveaux conseillers législatifs consentant à se faire harakiri, et à renvoyer les récalcitrants. C'est ce qui a été fait en Nouvelle- Ecosse.

M. BELLEMARE: C'est ça.

M. LESAGE : Or, au Québec, nous ne pouvions pas agir de la sorte, à cause des articles 71 et 72 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui fixe à 24 le nombre des conseillers législatifs du Québec. Bien sûr, ces articles 71 et 72 font partie de la constitution interne du Québec, comme, d'ailleurs, l'existence même du conseil. Ils sont reproduits dans la Loi de la Législature, mais, pour la modifier, il faut encore l'assentiment des deux Chambres. Cet assentiment a été obtenu, entre 1960 et 1966, en ce qui concerne l'âge de la retraite. Mais, en ce qui concerne l'augmentation du nombre des conseillers en vue de l'abolition du conseil, nous nous serions évidemment retrouvés dans la même impasse.

C'est dans ce contexte qu'en 1965, nous avions présenté le bill no 3 qui avait pour but de restreindre les pouvoirs du Conseil législatif sur les projets de loi votés par l'Assemblée législative. Il s'agissait de restreindre les pouvoirs du Conseil législatif pour les ramener à peu près à ce qu'étaient les pouvoirs de la Chambre des Lords à venir jusqu'au 20 novembre 1968, alors qu'ils ont été de nouveau diminués. Je voudrais seulement rappeler les notes explicatives du bill no 3, en 1965: « Un projet de loi d'ordre financier pourra être sanctionné et devenir loi, même s'il est rejeté par le Conseil législatif, dès qu'un mois se sera écoulé après son adoption par l'Assemblée législative. « Pour un projet de loi ordinaire, il faudra qu'il ait été voté par l'Assemblée législative à deux sessions et qu'au moins un an se soit écoulé entre le vote de la seconde lecture à l'Assemblée législative au cours de la première session et le vote de la dernière lecture à la seconde. Cette disposition ne sera pas applicable à une loi qui viserait à prolonger au-delà de cinq ans la durée d'une législature. »

Comme on le sait, M. le Président, le bill no 3 fut adopté par l'Assemblée législative, mais il nous revint du Conseil législatif avec toute une série d'amendements qui en dénaturaient la portée, ce qui nous ramenait toujours à la même impasse.

Or, la situation dans laquelle nous nous trouvions était la suivante: Nous ne pouvions pas procéder par une loi pour amender la Loi de la Législature en vue d'abolir le Conseil législatif, c'est-â-dire que nous ne pouvions procéder par un bill comme le bill no 90. Nous nous étions vu refuser par le Conseil une diminution de ses pouvoirs. L'expérience du bill no 3 confirmait alors clairement notre conviction en ce qui concernait l'attitude de la majorité des membres du Conseil sur la question de l'abolition du Conseil.

La constitution canadienne n'étant pas à ce moment-là — pas plus qu'elle ne l'est aujourd'hui — rapatriée, comme nous n'avions pas de constitution canadienne écrite au Canada, par des Canadiens, pour les Canadiens, il restait une autre avenue, quoi qu'en pense le premier ministre. Il fallait cependant — je vous l'avoue — une grande détermination pour s'y engager, car elle comportait des risques. C'est ainsi que, prenant notre courage à deux mains, nous sommes partis pour Westminster. Mais nous sommes restés devant le portail du Parlement du Royaume-Uni.

Pourquoi donc ce long et pénible voyage? C'est que devant l'impossibilité devant laquelle nous nous trouvions de parvenir à faire voter par les deux Chambres l'amendement désiré à la Loi de la Législature, il ne nous restait qu'à avoir recours, hélas, aux subtilités constitutionnelles. La Législature du Québec, tirant son pouvoir d'une loi du Parlement du Royaume-Uni, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 et ses modifications, il fallait, par le moyen d'une adresse, demander au gouvernement du Royaume-Uni de proposer une loi amendant le statut de 1867 et faisant disparaître le Conseil législatif.

Telle était la situation en mai 1965. Tout semblait devoir aller très bien. Nous avions tous les espoirs de réussir. Mais voilà que survint l'imprévu qui prit forme d'une équivoque, d'un malentendu: le problème du rapatriement de la constitution. Et, évidemment, la forme que prenait ce problème à ce moment-là — appelons-la par son nom: la formule Fulton-Favreau — a créé une complication, une grande complication.

D'aucuns s'imaginent encore que l'abolition du Conseil législatif ou la diminution de ses pouvoirs était essentielle à l'adoption de cette célèbre formule Fulton-Favreau et que le Conseil législatif, en refusant le bill no 3, allait précisément empêcher l'adoption de la formule

Fulton-Favreau, puisqu'il conservait ainsi son droit de veto.

Or, M. le Président, il n'a jamais été question que la formule Fulton-Favreau ou toute autre formule d'amendement ou de rapatriement de la constitution soit soumise au Conseil législatif. La seule approbation de l'Assemblée législative des élus du peuple est suffisante, c'est le droit constitutionnel qui l'établit clairement, le droit et la pratique constitutionnels.

Parler de la formule Fulton-Favreau comme étant le but à atteindre, le but que nous recherchions par la diminution des pouvoirs du Conseil législatif, c'est mettre la tête en queue et la queue en tête, car, bien au contraire, ce qu'il nous fallait justement, àtoutprix, éviter, si nous voulions disposer du Conseil législatif, c'était de rapatrier la constitution. Car alors, nous perdions, du fait même, le seul et unique recours qu'il nous restait, soit pour abolir le conseil, soit pour diminuer ses pouvoirs, étant donné l'attitude du conseil sur ces deux questions. Attitude qui était claire et nette, refus du conseil de collaborer. Attitude absolument contraire à celle qui semble être celle adoptée par le conseil aujourd'hui, avec l'offre d'une indemnité à 100%, plus la moitié d'une pension pour les veuves, ce qui n'existe même pas à l'heure actuelle.

Avec le rapatriement de la constitution, soit en vertu de la formule Fulton-Favreau, soit en vertu de toute autre formule, avec l'adoption d'une constitution canadienne écrite au Canada, Westminster aurait cessé d'avoir tout pouvoir sur les lois canadiennes, sur la loi constituante au Canada et au Québec. C'est donc dire que le Conseil législatif conservait ses pleins pouvoirs et, la constitution étant rapatriée, le conseil aurait eu alors un droit absolu et intangible sur son existence et l'étendue de ses pouvoirs. C'est pourquoi, dans le discours du trône de 1965, il était dit: « Pour éviter que le rapatriement de la constitution rende intangibles les pouvoirs du Conseil législatif sur les projets de loi votés par l'Assemblée législative, vous serez aussi invités à restreindre ces pouvoirs. »

M. le Président, je tenais à rétablir les faits dans leur optique, faits qu'on a dénaturés par des déclarations frôlant souvent le mensonge. Et alors, à la suite de toute cette histoire, le bill 3 et le voyage outre-mer, voyage que je n'ai pas fait, évidemment, mais que le document a fait...

M. BELLEMARE: Accompagné de la lettre de M. Dagenais.

M. LESAGE: ... cela n'a pas d'importance dans l'histoire. Le rapatriement de la constitution aurait eu pour effet, en vertu de l'article 10 de la formule — je ne discute pas la formule, je n'en ai pas l'intention, je veux simplement mentionner l'article 10 qui serait d'ailleurs à la base de toute formule de rapatriement de la constitution — que, désormais, aucune loi du Parlement du Royaume-Uni ne s'appliquerait au Canada ou à une de ses provinces.

Par conséquent, en vertu de l'article 7, qui reproduit le paragraphe 1 de l'article 92 de la constitution que j'ai cité tantôt, et que je crois devoir citer à nouveau pour la suite logique de mon syllogisme: « Dans chaque province, la Législature a le droit exclusif de légiférer sur les matières qui rentrent dans les séries de sujets ci-après énumérés: lo. La modification, chaque fois qu'il y aura lieu, et nonobstant toute disposition de la présente loi de la constitution de la province, sauf en ce qui concerne la fonction du lieutenant-gouverneur. »

C'est donc dire qu'une fois la constitution rapatriée, que ce soit en vertu de Fulton-Favreau ou en vertu de toute autre formule ou même de toute autre méthode, il n'aurait plus été loisible à l'Assemblée législative de démocratiser notre système constitutionnel chez nous, c'est-à-dire notre propre constitution, notre constitution interne, sans l'assentiment d'une majorité de personnes non élues du peuple, la seule autre possibilité étant définitivement exclue.

Eh bien, comme tout le monde le sait, M. le Président, notre voyage à Westminster a été bien décevant.

M. BELLEMARE: Pauvre...

M. BERTRAND: Y êtes-vous allé, toujours?

M. LESAGE: Non, mais le document y est allé.

M. BELLEMARE: Non, non.

M. LESAGE: Mais je l'appelle notre voyage. C'est pour faire plaisir à mes amis d'en face, qui en ont tellement parlé, et ce, malgré les bonnes intentions qui nous avaient amenés à l'entreprendre, ce fameux voyage.

M. BERTRAND: Votre voyage était pavé de bonnes intentions.

M. LESAGE: Pavé de bonnes intentions, mais hérissé de difficultés.

M. BELLEMARE: Bien des difficultés! M. LESAGE: M. le Président, je pense qu'au-

jourd'hui, nous pouvons parler de ce voyage — puisque j'appelle cela le voyage — très sérieusement...

M. BERTRAND: Vous voulez en rire.

M. LESAGE: ... mais avec beaucoup plus de sérénité...

M. BERTRAND: C'est vrai.

M. LESAGE: ... que sur le ton des débats en 1965, que je ne pouvais manquer de percevoir, en relisant le journal des Débats du mois de février et du mois de mai.

M. BERTRAND: Le chef de l'Opposition — il me le permettra — conviendra qu'il y avait à ce moment-là certains autres éléments reliés à cela.

M. LESAGE: Oui, mais c'est...

M. BERTRAND: Je le sais, je l'ai écouté.

M. LESAGE: ... c'est de cela que je viens de parler avec grande sérénité.

M. BERTRAND: Je l'ai écouté.

M. LESAGE: Avec grande sérénité, pour prouver que le recul du temps...

M. BERTRAND: ... guérit bien des choses. M. LESAGE: Bien, guérit ou... M. BERTRAND: Adoucit.

M. LESAGE: ... permet de les voir, peut-être, sous un meilleur jour. Je pense que tant le premier ministre d'aujourd'hui que le chef de l'Opposition, peuvent relire les Débats de 1965 avec grand intérêt. Ils nous démontrent que des sujets extrêmement sérieux peuvent nous entrafner à des abus d'argumentation de part et d'autre, ce que j'ai voulu tenter d'éviter aujourd'hui. La sérénité est d'autant plus facile pour celui qui vous parle aujourd'hui qu'il atteint finalement son but, et que nos institutions parlementaires vont devenir vraiment démocratiques.

Il ne sera plus possible à des non-élus d'opposer un veto à la volonté exprimée par les élus du peuple sur un sujet donné.

Mais je reviens à mon voyage. J'aime cela en parler, même si je ne l'ai pas fait, même si c'est le document qui l'a fait.

M. BELLEMARE: Contez-nous cela.

M. LESAGE: C'est cela, c'est ce que je fais.

M. BELLEMARE: L'itinéraire.

M. LESAGE: Certains...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ceux qu'on ne fait pas sont toujours les plus beaux,

M. LESAGE: Ils sont toujours les plus beaux. Certains ont prétendu que nous aurions pu éviter ce voyage, si nous avions utilisé une procédure qu'on prétendait en vogue — elle l'était dans d'autres pays — le référendum. Je ne veux pas reprendre ici l'une de nos belles querelles. C'en a été une vraie, celle-là. Elle était du genre de celles auxquelles j'ai référé il y a un instant. Je rappellerai simplement ce que j'avais déclaré à l'époque. C'était le 25 mai 1965, page 2848 du journal des Débats: « Le jeu de la politique étant ce qu'il est, avec ou sans référendum, nous serions arrivés de toute façon à l'impasse ». Quoi qu'il en soit de nos tentatives passées et des débats auxquels elles ont donné lieu, les événements de juin 1966 auront eu au moins le mérite de permettre qu'un projet de loi visant à l'abolition duConseil législatif puisse enfin être adopté. Du moins, nous est-il permis de le croire. Ce serait là, M. le Président, vous en conviendrez, à peu près — à bien y songer je ne sais pas si vous en conviendrez — la seule bonne chose...

M. BERTRAND: Le président n'a pas le droit d'exprimer d'opinion.

M. LESAGE: ... qu'aura permis le brefpas-sage du gouvernement de l'Union Nationale au pouvoir. C'est à peu près tout. Connaissant bien comme je les connais les membres de l'équipe ministérielle et les députés de l'Union Nationale, je suis certain qu'ils ne manqueront pas de le dire à satiété, et de se vanter d'avoir aboli le Conseil législatif.

M. BERGERON: Vous avez raison.

M. LESAGE: Or, c'est leur droit le plus strict, et c'est sans doute...

M. BERTRAND: Vous le ferez dans un débat, avec nous autres dans quelques minutes.

M. LESAGE: ... dans l'espoir de s'attribuer tout le mérite du geste que nous allons poser en-

semble après tout, que nos amis d'en face ont systématiquement refusé l'étude du bill 99. Quand je pense que le premier ministre, député de Missisquoi, se retranchait derrière la prérogative royale, Dieu, qu'il devait se sentir mal à l'aise, le connaissant comme je le connais!

M. BERTRAND: On n'a pas le droit de faire allusion à des débats antérieurs.

M. LESAGE: Ah, ce n'est pas à cette session-ci...

M. BERTRAND: D'ailleurs, cette motion du député de Chambly et du député de Westmount va également mourir.

M. LESAGE: Oui, d'accord. D'ailleurs, M. le Président, ce que je viens de dire n'était même pas dans mes notes, j'étais sur le point de mettre une note à cet effet, mais je savais que je violerais le règlement. On se sent moins coupable quand on n'a pas de note à cet effet-là, ça devient un obiter dictum.

Evidemment, vous êtes avocat, M. le Président, vous savez...

M. BERTRAND: Dictum, selon moi, le député de Champlain, ça l'intéresse, obiter dictum.

M. LESAGE: Obiter dictum.

M. BELLEMARE: Cela va m'en faire un de plus.

M. LESAGE: C'est ça, comme dit le député de Verchères, ça veut dire « not relevant ». C'est quelque chose qui ne tient pas du principe du sujet en discussion.

M. BERTRAND: C'est un genre d'aparté.

M. LESAGE: D'aparté, et qu'on retrouve dans des jugements des tribunaux, très souvent...

M. BERTRAND: Mutatis mutandis.

M. LESAGE: ... ils ne sont pas tous bons, « mutatis mutandis ».

M. BELLEMARE: Ad hominem.

M. BERTRAND: Des arguments ad hominem.

M. LESAGE: Cela arrive que des obiter dictum constituent des arguments ad hominem.

M. BELLEMARE: J'ai compris ça.

M. MICHAUD: Urbi et orbi.

M. BELLEMARE: Je vais me présenter.

M. LESAGE: Alors, je disais, M. le Président, que c'est dans l'espoir de s'attribuer tout le mérite, n'est-ce pas, de l'abolition du Conseil législatif que l'on a sans doute refusé l'étude du bill 99 qui, lui aussi, proposait l'abolition pure et simple du Conseil législatif, et auquel le gouvernement aurait pu ajouter les dispositions financières nécessaires pour le compléter.

Je ne regrette pas tellement que mes amis d'en face ne l'aient pas fait, parce que ça leur fournit, vous savez, la rare satisfaction de poser un geste progressif et enfin libéral. Libéral... Ah, M. le Président, leur passage au pouvoir n'aura pas été complètement, totalement inutile. Quant à nous, du parti libéral, en raison...

M. BERTRAND: Enfin justice nous est rendue.

M. LESAGE: ... des efforts considérables que nous avons déployés, dans le passé, afin d'abolir le Conseil législatif et de l'engagement formel que nous avons pris à cet égard, dans notre dernier programme électoral — d'ailleurs, le premier ministre lui-même l'a mentionné — nous voterons, avec satisfaction, en faveur du principe du projet de loi, principe principal qui est l'abolition — il y en a d'autres auxquels je vais toucher — d'autres principes du projet de loi qui est à l'étude.

J'ai exprimé notre satisfaction — c'est ce que je viens de faire — mais, en même temps, nous devons nous poser des questions. Je pense que le premier ministre est bien conscient de ça, quant à certaines précautions à prendre, soit dans notre constitution, constitution canadienne, constitution interne spécialement, précautions à prendre par législation, par certaines mesures administratives ou certaines pratiques administratives, certaines modifications de notre règlement de la Chambre, auxquelles je vais arriver dans un instant.

En disant ceci, je ne veux pas indiquer que, tout en favorisant l'abolition du Conseil législatif, je souhaite qu'on le remplace aussitôt par quelque autre institution dont les attributions seraient similaires.

Certainement pas. Je pense que je me suis assez battu pour assurer à la souveraineté populaire le plein exercice de ses droits, en faisant disparaître, ce que j'appelle, le droit de veto du Conseil législatif, que je n'irai pas rechercher, d'une façon ou de l'autre, des moyens de ressusciter un quelconque droit de veto en faveur de qui que ce soit.

Je crois à la souveraineté du Parlement. Je crois que les élus du peuple doivent être les maîtres incontestés des décisions politiques qui se prennent en notre province et qui affectent tous les citoyens du Québec. Cependant, la connaissance et, surtout, l'expérience pratique des institutions démocratiques me commandent de faire appel à une certaine prudence. Le fait que les autres provinces canadiennes se reposent exclusivement sur une majorité simple des élus du peuple n'est pas absolument convaincant. Dans ce domaine, comme dans d'autres, nous pouvons très bien soutenir que le Québec n'est pas une province comme les autres. Je pense que ça s'applique ici. Sans doute que toute cette question fort complexe — le premier ministre l'a dit, d'ailleurs — fera l'objet des études du comité des affaires constitutionnelles de l'Assemblée. Je reviendrai sur ce sujet dans quelques minutes.

Mais, pour l'instant, puisque, de toute évidence, nous vivrons bientôt avec le système d'une seule et unique Chambre, je crois devoir faire les remarques suivantes sur les travaux de notre Assemblée, en ce qui concerne ce que j'appellerai — le terme n'est peut-être pas exact — la législation ordinaire. Tous les membres de l'Assemblée devront, je le soumets, se montrer doublement vigilants, parce que la décision de l'Assemblée sera définitive. Je pense bien que je n'ai pas à insister là-dessus.

D'autre part, le gouvernement, quel qu'il soit, devra se sensibiliser à cette nouvelle réalité et éviter, autant que faire se peut, les accumulations de lois à la fin des sessions. Nous devrions, d'ailleurs, inscrire dans notre règlement des dispositions précises à cet égard, afin de fournir, tant à l'Opposition qu'à l'ensemble de la population, des garanties additionnelles.

Par contre, sans doute, faudra-t-il réexaminer les étapes de la procédure d'adoption des lois, afin d'éviter toute précipitation indue, car le Conseil législatif ne sera plus là pour remédier à certaines erreurs, fussent-elles celles de copistes. Ainsi, par exemple, l'expérience du Parlement démontre que, souvent, tant pour les bills publics que privés, lorsqu'il y a des amendements en comité plénier, certaines erreurs peuvent se glisser. Or, l'adoption prématurée en troisième lecture pourrait être sans appel. Pourrais-je rappeler, par exemple, les nombreuses modifications apportées à des bills comme le bill de la ville de Montréal, le bill de la ville de Québec et les innombrables papillons? Il est clair qu'il va falloir prendre les précautions nécessaires pour éviter même les erreurs de copiste, parce qu'une fois le bill adopté en troisième lecture ici, ce sera final. Je ne veux pas me poser en précepteur, qu'on me compren- ne bien; je lance des idées. Ne pourrions-nous pas songer à instaurer une étape de plus — peut-être pas d'une façon absolument officielle ; ce ne serait peut-être pas une exigence dans tous les cas - entre le comité plénier et la troisième lecture, lorsque nécessaire? Elle consisterait à référer un bill qui a été amendé à un comité spécial de la Chambre, comité de juristes, formé de trois à cinq membres...

M. BERTRAND: II vient justement de me... M. LESAGE: ... de trois à cinq membres. M. BELLE MARE: Sept.

M. LESAGE: Sept... si vous avez de trois à cinq bons avocats ou notaires qui se penchent sur un texte... Attendez, je n'ai pas fini ma proposition, je parle des députés, un comité de députés de trois à cinq membres. Ce comité serait assisté...

M. BELLEMARE: Ah boni c'est cela.

M. LESAGE: ... de quatre fonctionnaires. Deux légistes, un de langue française, un de langue anglaise. Nous n'aurons plus M. Marier, pour corriger notre anglais — et parfois notre français aussi —. Un représentant de l'Office de là langue française et un officier du ministère concerné, parce que le projet de loi est préparé d'abord au sein d'un ministère.

Donc, trois ou cinq membres de l'Assemblée...

M. BERTRAND: Pour moi, le chef de l'Opposition et le député de Champlain en ont parlé tous les deux parce que le député de Champlain venait de me dire: II faudrait former un comité.

M. LESAGE: J'ai écrit ces notes dans une chambre de motel, hier soir à Drummondville.

M. BERTRAND: II y était.

M. LESAGE: Je n'ai eu aucune rencontre avec le ministre du Travail.

M. BERTRAND: Le député de Champlain y est allé, lui aussi.

M. LESAGE: Alors que je m'étais rendu pour les funérailles du père du député de Drummond. C'est vrai que j'ai rencontré le ministre du Travail...

M. BERTRAND: Le député de Champlain y était.

M. LESAGE: ... qui, très aimablement avec le ministre de l'Agriculture, le ministre de la Voirie sont venus assister aux funérailles. Je sais que mon collègue remerciera ces ministres comme ils doivent l'être, de même que le député de Joliette qui, parmi les ministériels, était présent. J'avais mes collègues avec moi, dont le député de Richmond, le député des Iles-de-la-Madeleine. Je suis sûr que le député de Drummond tiendra à remercier du fond du coeur tous nos collègues du geste qu'ils ont posé. D'autres s'étaient rendus le voir hier soir.

De toute façon, je m'y étais rendu hier soir. Et en songeant aux conséquences de l'abolition du conseil, à notre procédure de la Chambre. Il est clair que c'est l'expérience qui avait dicté le même cheminement des idées, au ministre du Travail, expérience qui m'a dicté le mien. C'est comme cela que nos esprits se sont rencontrés.

Ce comité verrait à colliger le bill et les amendements — pas corriger — colliger le bill et les amendements, en parfaire la rédaction et ce que je crois important, lorsqu'il y a plusieurs amendements, à le faire réimprimer avant la troisième lecture afin que nous soyons surs que ce que nous avons devant nous soit un texte final dans les deux langues officielles.

Enfin, toujours au chapitre des lois ordinaires, je crois fermement — l'abolition du Conseil législatif ne rendant cela que plus urgent — que nous devrions faire en sorte que les commissions de l'Assemblée du Parlement jouent en fait un rôle réel et effectif. Et là, je rejoins ce qu'a dit le premier ministre. Nous pourrions profiter de l'occasion qui se présente pour donner à ces commissions le personnel et l'équipement nécessaire à l'accomplissement de leur tâche.

La fonction du député comme législateur en serait revalorisée. Je crois, d'ailleurs, que la disparition du Conseil législatif en elle-même, commence cette revalorisation du rôle du député puisque ce sera lui et lui seul qui portera la responsabilité des lois. Il faudra donc lui fournir l'occasion d'assumer pleinement cette responsabilité accrue, et l'étude de la législation en comité lui fournirait certainement cette occasion. Il appartient au gouvernement de prendre rapidement l'initiative à ce sujet.

Bien au-delà des problèmes que pose l'abolition du Conseil législatif au niveau de la législation que j'ai qualifiée tantôt de législation ordinaire, bien au-delà de cette nouvelle nécessité de procéder à une réorganisation du travail de l'Assemblée, bien au-delà de ces nouveaux impératifs de prudence et de vigilance dans l'accomplissement de nos fonc- tions législatives, l'abolition du Conseil législatif soulève un problème encore plus fondamental.

Il s'agit du degré de discrétion qui devrait être laissée à la majorité simple des membres de l'Assemblée, surtout à une majorité partisane, quelle qu'elle soit, sur un certain nombre de questions que j'appellerai, faute de meilleurs qualificatifs, importantes ou graves pour l'ensemble de la société québécoise.

Parmi ces questions importantes qui, à mon avis... Je voudrais bien qu'il soit compris que je parle à ce moment-ci à titre personnel. Il y en a peut-être d'autres qui pensent comme moi des deux côtés de la Chambre. Je ne doute pas qu'il y en a qui pensent comme moi, mais je ne parle pas comme chef de l'Opposition ou chef du parti libéral; je parle à titre personnel avec mon expérience de député tant à Ottawa qu'à Québec... Je dis donc qu'il est de ces questions importantes qui pourraient exiger plus qu'une décision d'une majorité simple de l'Assemblée. Je voudrais mentionner les suivantes. Il est clair que mon énumération n'est pas limitative. Les notes que je vais utiliser ont été également écrites au fil de la pensée»

Premièrement, la constitution interne du Québec sous certains de ses aspects essentiels comme, par exemple, l'abandon ou le maintien du principe de la responsabilité ministérielle. En d'autres termes, si un gouvernement voulait abandonner le système actuel de la responsabilité ministérielle pour adopter ce qu'on désigne communément sous le nom de système présidentiel, mais qui serait beaucoup mieux désigné sous le nom de système congressionnel, c'est-à-dire le système des ministres non élus, comme en France, ou des secrétaires chargés de ministères, désignés, aux Etats-Unis, par le président des Etats-Unis. L'abandon ou le maintien du principe de la responsabilité ministérielle est certainement une question non seulement importante, mais grave pour nous.

La durée du mandat d'un gouvernement est de cinq ans, en vertu de la constitution. C'est dans ce chapitre de la constitution qui traite des constitutions internes de l'Ontario et du Québec qu'est mentionnée la durée d'une Législature. On remarquera que, dans le bill no 3, on exceptait des pouvoirs sur lesquels le Conseil législatif n'aurait plus le veto, l'extension de la durée d'une Législature: dans le bill no 3; je l'ai lu tout à l'heure.

M. BELLEMARE: D'accord. Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition me permettrait une question?

M. LESAGE: Oui.

M. BELLEMARE: Cela comprendrait-il aussi une disposition pour que les élections soient faites, par exemple, à période fixe?

M. LESAGE: Bien oui, j'en arrive à ça. Je dis: Certains points de la loi électorale. Evidemment, lorsqu'on parle de la durée du mandat d'une Législature, on peut parler sous ce titre de la possibilité de modifier la constitution interne pour que les élections aient lieu à une date fixe. Mais les élections à une date fixe, cela se marie mal avec le système de la responsabilité ministérielle. Cela ne se marie pas.

M. BELLEMARE: Bien oui.

M. MALTAIS (Limoilou): C'est une durée maximale.

M. LESAGE: Oui, c'est une durée maximale. C'est pour ça que je parle de durée et non pas de date fixe, tant que nous aurons le système de la responsabilité ministérielle. Il est clair que si un gouvernement est battu en Chambre, il faut des élections. Je pense que le système de la responsabilité ministérielle exclut la possibilité d'élections à date fixe.

Je mentionnais des questions graves. Il. y a aussi la création d'une autre Chambre, sous quelque modalité que ce soit, qui serait une question grave et importante comportant modification de la constitution interne.

Il y a aussi des points qui sont très importants dans la loi électorale, où on ne devrait pas se contenter d'une majorité simple des députés.

Alors, c'était ma première liste, qui n'est pas complète, de sujets importants et graves.

La deuxième, dans un autre ordre d'idées, c'est la participation du Québec à la fédération canadienne. Je ne crois pas que la décision du Québec de se séparer, à un moment donné, et de ne plus élire, par exemple, de députés fédéraux à Ottawa pourrait être valide, par une simple décision d'une majorité d'élus, ici, à la Chambre. La mojorité simple, pour une question aussi importante, aussi grave, ne devrait pas suffire. On ne devrait pas laisser aux aléas de l'élection accidentelle et temporaire d'une infime majorité, qui pourrait fort bien ne pas représenter la majorité de l'électorat, le pouvoir de prendre une telle décision.

L'acceptation par le Québec, d'une nouvelle constitution canadienne, écrite au Canada par des Canadiens, ne devrait pas être laissée à une majorité simple des élus du peuple en cette Chambre. Les modifications éventuelles à apporter, soit à la constitution actuelle, soit à une nouvelle constitution canadienne, lorsqu'el- les sont importantes, ne devraient pas être laissées, non plus, à une majorité simple de cette Chambre.

M. BELLEMARE: Ce sont toutes des questions de minorités ça.

M. LESAGE: C'est mon troisièmement. La question des minorités, je placerais cela sous le grand chapitre de la déclaration des droits de l'homme, qui devrait faire partie — j'en ai causé avec le premier ministre — de la constitution interne du Québec et qui devrait garantir les droits de la minorité. Cela, non plus, ne devrait pas pouvoir être touché par une majorité simple de l'Assemblée législative.

Je viens d'énumérer un certain nombre de sujets que je considère graves et importants sur lesquels on devrait réfléchir, non seulement au comité de la constitution, mais en dehors aussi. En effet, je suis sûr que le gouvernement et nous sommes prêts à étudier toutes les suggestions, à y réfléchir et à trouver des garanties de stabilité. Une fois que des questions comme celles que je viens de mentionner — que j'ai appelées Importantes ou graves, à défaut d'autres qualificatifs plus précis qui me seraient venus à l'esprit — auraient été classées par catégories — ce qui ne serait pas une tâche facile, je le dis...

M. BERTRAND: Non.

M. LESAGE: ... il y aurait lieu de prévoir le ou les mécanismes particuliers auxquels seront soumises les décisions du Parlement sur ces questions importantes. Ce ou ces mécanismes devraient assurer que toutes et chacune des questions classées comme importantes échapperont à l'automatisme de la majorité simple de l'Assemblée.

On peut ici songer à la formule du vote des deux tiers de l'Assemblée, comme c'est le cas dans la Charte des Nations Unies, c'est l'article 18, deuxièmement. Ou bien on peut prévoir, dans les cas de très grande importance, la tenue d'un référendum, mais assorti d'une obligation de faire rédiger les questions à poser, par exemple, par la cour d'Appel...

M. BELLEMARE: C'est ça.

M. LESAGE: ... c'est-à-dire par une autorité impartiale, parce qu'il est tellement facile...

M. BELLEMARE: ... par Ottawa.

M. LESAGE: ... de faire un référendum et

de poser des questions qui amènent des réponses presque automatiques, me dit-on. On me dit qu'il y a des experts dans ce domaine-là comme dans d'autres. Ou encore, et là, je m'aventure sur un terrain difficile, comme garantie, on peut recourir à une chambre, conseil ou tribunal constitutionnel qui aurait un certain contrôle sur ces questions, mais, dans ce dernier cas, il ne faudrait pas lui donner droit de veto. Autrement, on tourne en rond, on revient à ce que nous voulons abandonner, à ce que nous croyons devoir abandonner, pour maintenir le plus grand degré possible de démocratie.

Bien sûr, tout cela fera l'objet des travaux qui vont s'effectuer au comité parlementaire de la constitution, où les experts en droit constitutionnel pourront s'en donner à coeur joie. Je souhaite fermement que l'abolition du Conseil législatif soit, dans l'esprit du gouvernement, le signal de départ de toutes ces autres transformations de nos institutions démocratiques que je viens d'évoquer brièvement, afin qu'au plus tôt, nous puissions disposer d'une machine parlementaire et gouvernementale qui soit adaptée aux réalités du Québec moderne.

Cependant, je ne voudrais pas terminer sur ce point sans dire, dès maintenant, que, quant à moi, ces transformations qui s'annoncent ne devront pas nous mener à une quelconque chambre de type corporatiste ou autre qui a été évoquée à diverses reprises par certains de nos amis en face. Remplacer le Conseil législatif par une Chambre corporative, ce serait, à mon avis, un net recul sur ce que nous connaissons aujourd'hui, surtout si une telle Chambre devait restreindre de quelque façon que ce soit l'autorité suprême de l'assemblée des élus du peuple.

Il ne serait, sous aucun prétexte, question d'accorder à cette Chambre corporative un quelconque droit de veto sur les décisions de l'Assemblée législative que l'on veut voir appeler Assemblée nationale. De toute façon, je pense bien, comme l'a écrit M. Sauriol dans Le Devoir, que le spectre d'une nouvelle classe « C » est suffisant pour éloigner d'une telle perspective les députés de cette Chambre qui sont au courant de ce qui s'est passé à Montréal.

M. BELLEMARE: La formule Bouchard.

M. LESAGE: Le bill 90, M. le Président, ne se contente pas d'abolir purement et simplement le Conseil législatif, il comporte aussi certaines largesses financières. Je ne peux, évidemment, à ce moment de nos procédures, m'attar-der trop longuement sur ce point. Qu'il me suffise de vous faire part de mon étonnement de constater que, pour la première fois, à ma con- naissance, ce que l'on dit être une pension équivaut à 100% de l'indemnité qui était accordée aux conseillers législatifs. En fait, on va même au delà de l'indemnité puisque l'on accorde certains avantages à la veuve d'un conseiller législatif, ce qui, sauf erreur, n'existe pas présentement ou n'existe pas dans tous les cas, je le prouverai tantôt.

Est-ce que c'est trop, la pension que l'on propose d'accorder par le bill? C'est beaucoup, M. le Président, c'est 100% et plus. Mais je pense qu'avant de pouvoir nous prononcer en toute connaissance de cause — je le demande au premier ministre, et je pense que c'est un droit de la Chambre de le lui demander — de nous informer dans le détail des critères qui l'ont guidé dans la fixation du quantum des pensions accordées. De même, le premier ministre devrait informer la Chambre, parce que ç'a dû être discuté, de la nature des négociations qu'il a eues avec des conseillers législatifs à ce sujet, s'il en a eu, comme je crois qu'il a dû en avoir.

Le premier ministre aura le droit de réplique. Je pense qu'il serait important, avant que nous entreprenions l'étude en comité des articles du bill dont l'un traite spécialement de cette question, que nous soyons informés dans le détail, premièrement des critères qui l'ont guidé et, deuxièmement, des négociations qu'il a dû avoir, avec certains conseillers législatifs au moins. D'ailleurs, cette question des pensions me trouble. J'ai demandé au greffier du Conseil législatif de me préparer un tableau — je vois que le premier ministre l'a en main — grâce auquel il me sera plus facile de discuter de la question et, surtout, pour le premier ministre de me suivre. J'espère que je serai aussi clair que possible.

Je me demande si, pour la bonne compréhension de ce que je vais dire, je ne pourrais pas suggérer que ce tableau dont le premier ministre a une copie en main et qui a été préparé par... D'un autre côté, non. Il n'est pas nécessaire que ce soit annexé.

Nous remarquons que certains conseillers législatifs n'ont pas contribué au fonds de pension. Lorsque nous avons modifié la Loi de la Législature pour établir l'âge de la retraite à 75 ans, pour ceux qui étaient nommés après la date de la modification, nous avons prévu le paiement de la pension sur la même base que la pension des députés. Les pensions aux conseillers législatifs pouvaient leur être payées lorsqu'ils prenaient leur retraite comme tels, soit volontairement pour ceux à qui la limite d'âge de 75 ans ne s'appliquait pas, soit obligatoirement à 75 ans. Au moins deux conseillers législatifs ont choisi, comme c'était leur droit, de ne pas par-

tlciper. Mais étant donné que dans ces deux cas, il s'agit de conseillers qui ont été nommés bien avant les modifications auxquelles je viens de référer, ils ont droit à une pension, même sans contribution.

Donc, ils n'ont pas contribué. Par contre, il est des conseillers législatifs qui, si j'interprète bien le bill, recevront la même pension que ceux qui n'ont pas contribué du tout et qui, eux, ont contribué pour des montants considérables. J'ai ici le cas du leader du gouvernement actuel qui a contribué pour $3,336.45, montant qu'il a payé de sa poche pour sa pension. Il aurait droit à une pension de $7,862 sans cette loi-ci, si on disait que les pensions prévues à la Loi de la Législature seront payées. M. Asselin aurait alors droit à une pension de $7,862.85. Quant à moi, je trouve cela juste dans son cas. Il a d'ailleurs payé pour cette pension. Il y a contribué, comme nous contribuons à la nôtre.

M. BERTRAND: On ne nous abolit pas, nous.

M. LESAGE: Cela lui a coûté $3,346.45. Par contre, il y a un autre conseiller qui n'a jamais contribué un cent, qui n'a jamais été leader du gouvernement ni de l'Opposition, qui n'a jamais été président, mais qui recevra $8,372 de pension sans que cela lui coûte un sou.

M. Asselin, lui, en vertu du bill qui est devant nous, ses $3,000 il les perd. Or, il va avoir sa pension, tout comme l'autre qui, lui, n'a rien payé. C'est injuste. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. M. Lionel Bertrand, en vue d'une pension de $5,390.25, a versé $5,914.57 et doit encore, ça c'est pire, $1,883.91. Il n'y a rien, rien dans le bill...

M. BERTRAND: Je ne veux pas entrer dans les détails, mais est-ce qu'on regarde l'âge de certains de ces conseillers?

M. LESAGE: L'âge n'a rien à faire; ils sont tous dans la même situation de l'autre côté. Voici un homme qui a payé $5,914 et qui va en payer encore $1,883. Ah bien, M. le Président, c'est le principe du bill, c'est une injustice flagrante.

M. DOZOIS: Ce n'est pas le principe, ça. M. LESAGE: On les fait disparaître.

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse d'interrompre l'honorable chef de l'Opposition, mais il m'a signalé lui-même qu'il se réservait des commentaires pour le travail en comité. Or, j'ai peine à croire qu'un député pourrait être plus pré- cis et rentrer plus dans les détails lors du travail en comité. Alors, je compte sur...

M. LESAGE: Oui, M. le Président, je pourrai le faire.

M. LE PRESIDENT: ...la coopération de l'honorable chef de l'Opposition pour qu'il s'en tienne au bill en général au lieu de s'attarder sur l'article 94 en particulier.

M. LESAGE: Je n'ai pas mentionné l'article 94, M. le Président; je m'en suis bien gardé. On a toujours le droit, en deuxième lecture, de parler de ce que le bill ne contient pas, puis qu'il devrait contenir.

Je dis que le bill devrait contenir des dispositions pour tenir compte du fait qu'il y a des gens qui ont payé des contributions, qui doivent encore de l'argent, mais qui ne seront pas remboursés et qui sont traités exactement sur le même pied que des gens qui n'ont pas versé un seul sou. Il suffit de lire le tableau que le premier ministre a en main pour réaliser les injustices flagrantes qui seraient commises. Je ne vois pas comment il se fait que l'on n'a pas tenu compte de tous ces faits-là en rédigeant ce projet de loi.

M. le Président, qu'on ne vienne pas me répondre en me citant l'Evangile de l'ouvrier de la onzième heure! Cela ne colle pas.

M. BERTRAND: On ne l'a pas utilisé.

M. LESAGE: Je prévois qu'on le fera. Moi, je n'aurai plus le droit de parole en deuxième lecture, mais le premier ministre lui, pourra me répondre.

M. BERTRAND: Ce ne seront pas des propos bibliques.

M. LESAGE: Quand même, M. le Président, on peut se servir du principe qui est à la base de ces propos bibliques de l'Evangile de l'ouvrier de la onzième heure.

M. BERTRAND: Le chef de l'Opposition fait un bon prédicateur.

M. LESAGE: Ah, j'y ai déjà pensé.

M. GOSSELIN: Il a manqué sa vocation.

M. LESAGE: Non, au contraire, je l'aurais manquée si j'en avais fait un.

M. BERTRAND: Mes bien chers frères.

M. GRENIER: Il aurait fait un beau moine. M. LESAGE: Oui?

M. BERTRAND: Ah, si mon moine pouvait danser.

M. LESAGE: J'ai été assez beau moine sans l'être pour de bon, M. le Président.

M. BERTRAND: Ah, si mon moine pouvait danser.

M. DOZOIS: Ah, c'est pour ça que vous avez gagné le concours.

M. LESAGE: Je ne pensais pas au concours. On sait ce que l'on appelle un beau moine? Quand on dit qu'un gars est un joli moineau, c'est plutôt dans ce sens-là que je pensais.

M. ROY: S'il est beau moine, il est loup.

M. LESAGE: Je pense que le premier ministre devrait examiner cette situation. Il y en a qui ont payé, qui ont remboursé des contributions pour faire compter le temps où ils étaient, non pas conseillers législatifs, mais députés. Qu'on ne l'oublie pas! C'est le cas de M. Patrice Tardif, il n'y a aucun doute. C'est le cas de M. Marier. C'est le cas de M. Dupré. C'est le cas de M. Bertrand. C'est le cas de M. O'Reilly. Je pense que c'est le cas de M. Benoît, n'est-ce pas? M., Benoît a été député?

M. BERTRAND: M. Benoit n'a pas été député. M. Tardif l'a été.

M. LESAGE: C'est M. Auger.

M. BERTRAND: M. Lionel Bertrand, M. O'Reilly.

M. LESAGE: M. Auger, voyez-vous, a remboursé $3,741.45, dont un bon montant pour, comme on dit communément, racheter du temps, alors qu'il était député. Ce n'est pas bien, ça. Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans. M. Grothé et M. Laferté n'ont jamais contribué un sou. Jamais! Ni dans le cas de M. Laferté, pour le temps où il était député.

M. DOZOIS: Cela fait longtemps qu'il sert la nation.

M. BERTRAND: C'est sûr que ce n'est pas de l'actuariat.

M. LESAGE: Oui. C'est clair. Mais je ne voudrais pas que ce soit ça, parce que ce serait du cynisme, que le ministre des Finances fasse ses calculs en comptant le nombre probable d'années qu'il reste à vivre à chaque conseiller. C'est ça qui se passe dans son esprit...

M. DOZOIS: Pas du tout.

M. LESAGE: C'est ça qui se passe dans son esprit?

M. DOZOIS: Moi, j'ai de la reconnaissance pour services rendus. Il y a deux conseillers qui sont là depuis près de quarante ans.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ne les faites-pas mourir!

M. DOZOIS: Ils ont bien servi la nation. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: C'est la déformation professionnelle que cause à l'esprit du ministre des Finances sa fonction.

M. BERTRAND: C'est sa machine IBM.

M. DOZOIS: C'est de la reconnaissance vis-à-vis des serviteurs de l'Etat.

M. LESAGE: Je pense que nous avons badiné, mais c'est une question sérieuse. C'est un sujet sérieux.

M. MICHAUD: Très grave.

M. LESAGE: Il ne faudrait pas risquer de causer des injustices.

M. DOZOIS: II y a un de ceux-là qui est là depuis quarante et un ans. Il a bien servi le peuple. Un autre a été là trente-quatre ans.

M. LESAGE: Je ne parle pas spécialement de celui qui a servi quarante et un ans, mais il est difficile de mesurer à l'aune la valeur des services. Je me contente de dire ça. On m'aura compris. Maintenant, il y a une chose qui n'est pas prévue. Supposons, par exemple, qu'un de ces messieurs pensionnés se fait réélire député. Il aura ses $10,000, plus son indemnité de député.

M. BERTRAND: Je ne voudrais pas le nom-

mer, mais voudriez-vous parler de celui que vous venez de mentionner et qui a servi quelques mois?

M. LESAGE: Je ne parle de personne en particulier. Je dis que, tel que le bill est rédigé, si un de ces messieurs est réélu député, le paiement de sa pension n'est pas suspendu pour le temps qu'il est député. Je regrette, ça ne l'est pas.

M. BERTRAND: II y a moyen d'y voir.

M. DOZOIS: Votre discours n'aura pas été inutile.

M. LESAGE: Le ministre des Finances n'est pas aimable.

M. BERTRAND: Disons que nous ne sommes pas rendus en comité.

M. DOZOIS: C'est un point de gagné. Vous venez de gagner un point.

M. VINCENT: C'est ce qu'il mentionnait.

M. LESAGE: Disons que je n'ai pas travaillé pour rien.

M. DOZOIS: D'accord.

M. LESAGE: Cela vaut bien un discours.

M. VINCENT: Cela vaut le voyage à Drummondville.

M. LESAGE: Non, j'ai découvert ça vendredi.

M. BERTRAND: Cela vaut le voyage à Westminster.

M. LESAGE: Cela, c'est un souvenir ineffaçable. Mon voyage à Westminster, j'en parlerai toute ma vie.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce qu'il faisait beau?

M. VINCENT: C'était au motel du coin?

M. LESAGE: Pour ce qui est de la sanction de la loi, il faudra certainement, si on décide d'appliquer des principes de justice, en autant que les pensions sont concernées, il y aura un certain délai. Alors, à toutes fins pratiques et pour d'autres raisons que je discuterai en co- mité, je crois qu'il vaudrait peut-être mieux que la loi vienne en vigueur le 1er janvier ou le 31 décembre, suivant le cas.

M. BERTRAND: Je voudrais immédiatement noter au chef de l'Opposition que l'intention était de la rendre en vigueur sur proclamation.

M. LESAGE: Ce n'est pas ce que dit le bill. Je suis obligé de me fier au bill.

M. BERTRAND: Non. Nous ne sommes pas rendus aux modalités, c'est pourquoi il y a certains points...

M. LESAGE: Je n'aimerais pas prendre de risques avec le gouvernement actuel et la proclamation, je n'aime pas ça. Je pense tout de suite à inscrire le 1er janvier, cadeau du Jour de l'An.

M. BERTRAND: Le chef de l'Opposition a tellement fait de compliments tantôt qu'il n'est pas pour les retirer.

M. LESAGE: Non, je ne retire rien.

Enfin, et c'est le dernier point que je voudrais traiter, un autre aspect du projet de loi à l'étude qui a retenu notre attention et celle d'autres aussi, c'est le changement de nom de l'Assemblée du Québec en Assemblée nationale du Québec, qui, comme on l'a fait remarquer, devient assez curieusement en anglais, The National Assembly of the Province of Quebec.

C'est un peu baroque, c'est le moins qu'on puisse dire. Quant à vous, M. le Président, vous troquez votre titre d'orateur pour celui de président. Je ne crois pas vous avoir appelé une seule fois « M. l'Orateur ». La coutume est établie en Chambre de vous appeler M. le Président. Le projet de loi le confirme et vous acceptez ce changement terrible avec une sérénité exemplaire. Devrons-nous accepter avec lambine sérénité le changement de nom de l'assemblée, d'Assemblée législative à Assemblée nationale? C'est une question que nous nous posons. Il y en a qui seront sereins et d'autres qui, semble-t-il, le seront moins.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pourquoi me regardez-vous?

M. LESAGE: Pardon?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pourquoi me regardez-vous?

M. LESAGE: C'est à cause de la frénésie

du député de Chicoutimi, frénésie qui a gagné son coeur de visionnaire, son esprit de visionnaire...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vous ai entendu samedi à la radio.

M. LESAGE: C'est à la télévision que je l'ai entendu.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Moi, je vous ai entendu à la radio.

M. LESAGE: Vous savez donc ce que j'en pense.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous étiez moins beau.

M. LESAGE : A la radio? Grâce à Dieu, on ne me voit pas. Je pense que le député de Chicoutimi devrait parler plus souvent à la radio et moins souvent à la télévision.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mme Casgrain n'est pas d'accord.

M. LESAGE : Je sais que je suis interrompu...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Elle m'aime mieux à la télévision.

M. LESAGE: ... mais je suis d'une patience, d'une sérénité extraordinaire. Il est clair que le député de Chicoutimi à la télévision, la semaine dernière, aux nouvelles de Radio-Canada...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: ... était devenu visionnaire. C'est amusant, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: A moins que l'honorable chef de l'Opposition veuille faire allusion à une déclaration de l'honorable ministre sur l'Assemblée nationale...

M. LESAGE: Certainement. Il a dit, je vais le citer... bien, le français laisse un peu à désirer.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas bon, vous avez raison.

M. LESAGE: Je n'aurais pas voulu dire cela en public au ministre, parce que quand il m'a fait des remarques sur la qualité de mon français, il les a faites gentiment et privément.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous avez raison, ce n'était pas bien dit.

M. LESAGE: ... Que l'expression Assemblée nationale, virgule... que « ce terme est porteur — là, c'est le député de Chicoutimi qui parle -d'un sens très particulier qui est générateur de quelque chose qui, enfin, peut se projeter dans le futur ».

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ça.

M. LESAGE: Qu'est-ce donc que « ce sens très particulier, générateur de quelque chose qui, enfin, peut se projeter dans le futur »? Le ministre de la Culture n'a pas eu le temps de nous le dire, c'était aux nouvelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je pense que le chef de l'Opposition a très bien compris.

M. LESAGE: Sans vouloir lui prêter de motifs, ne serait-ce pas des velléités indépendantistes ou souverainistes...

M. BERTRAND: Vous vous êtes tourné tantôt...

M. LESAGE: ... qu'entretiennent certains de ses collègues de l'Union nationale?

M. BERTRAND: ... vers le chef du Parti québécois.

M. LESAGE: Est-ce que ce n'est pas cela?... Je sais qu'il est là.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, moi j'ai dit cela simplement...

M. LESAGE: Mais lui, au moins, il le dit qu'il est souverainiste.

M. LEVESQUE (Laurier): Ne m'impliquez pas... Si ça vous gêne, restez gênés, moi ça m'amuse.

M. LESAGE: Le député de Laurier ne se gêne pas. Il le dit qu'il est souverainiste. Nous savons ce qu'il pense. Il dit ce qu'il pense. C'est moins sûr avec le député de Chicoutimi et d'autres députés de l'Union nationale. Il faut tenter d'interpréter leurs cris du coeur lorsqu'ils les échappent. Sans doute que la vision du ministre réussira à sensibiliser un très grand nombre d'institutions du Québec...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'était pour faire plaisir à Mme le député de Marguerite-Bourgeoys. C'était pour l'émouvoir un peu.

M. LESAGE: Je pense que ça va plus loin que ça, parce que la vision du ministre va réussir à sensibiliser un grand nombre d'institutions du Québec. Cela va les sensibiliser à l'espoir qu'elles peuvent avoir de voir « se générer » pour elles aussi des choses qui se projetteront dans le futur. Imaginez! Et quelles perspectives sont maintenant ouvertes pour les Syndicats nationaux, le Canadien national, la Buanderie nationale! II n'y a plus de limite.

L'avenir leur appartient. La National Burlesque Academy...

UNE VOIX: La National Brewery.

M. LESAGE: ... la National Brewery...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ecoutez, cela devient de la parenté par politesse.

M. LESAGE: ... la National Backing Company, la National Bag Company; la National Burlesque Company et son comparse l'Union Nationale.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La National Bank.

M. LESAGE: Quoi qu'il en soit, M. le Président, la nouvelle appellation proposée par notre Assemblée dite nationale ne m'enlève pas trop ma sérénité, parce que je suis convaincu que nous pourrons convaincre les investisseurs et les étrangers que c'était un moyen d'assouvir les appétits séparatistes d'un certain nombre de ministres et de députés de l'Union Nationale et d'empêcher le gouvernement de craquer.

Vous savez, tout le monde a le droit à son opinion, mais le choix d'une dénomination prête inévitablement ou presque inévitablement à une critique. Préférer une appellation parmi tant d'autres, c'est en retenir une et en oublier des centaines. D'ailleurs, dans le domaine qui nous concerne, les vocables ne manquent pas. Les Assemblées législatives - puisque c'est bien ce que nous sommes, une Assemblée législative - sont appelées Parlement, Diète, Conseil des Etats, comme en Suisse, Chambre basse, en Suède et Congrès, aux Etats-Unis. Eh bien, ici, le gouvernement a décidé de copier la France et de nous suggérer le terme Assemblée nationale.

Je n'ai pas d'objection de principe, mais je me demande si cette imitation de la France à cet égard est vraiment heureuse, dans le contexte de notre présente organisation politique et des données sociologiques et ethniques du Québec. Jusqu'à preuve du contraire, au Québec comme en cette Assemblée, il y a des anglophones, une minorité de Britanniques et de descendants de Britanniques.

Alors, quelle signification peut avoir l'expression « nationale » ici où siègent le député de Westmount, le député de Huntingdon, le député de D'Arcy McGee, le député de Brome, le député de Pontiac, le ministre. Ce n'est donc pas au sens ethnique du mot que nous employons le mot « nationale ». Nous l'emploierions donc dans le sens géographique? Mais, si c'est dans le sens géographique, que devient la théorie des deux nations, si chère aux mêmes ministres et aux mêmes députés de l'Union Nationale? Que devient la théorie des deux nations? C'est contradictoire.

Si notre Assemblée est composée, en majorité, de descendants d'immigrants - nos pères l'ont tous été — de langue française: Français, Normands, Bretons et, en minorité, de descendance britannique, ce n'est donc pas « national » dans le sens de l'ethnie. Si on appelle Assemblée nationale notre Assemblée législative, on contredit la valeur du terme « deux nations » comme s'appliquant au Canada, parce qu'on ne peut pas sortir de la logique de ce que je viens de dire.

Peut-on parler d'une nation québécoise au sens où l'entendent les indépendantistes du Québec?

On en arrive au même résultat. Nier la théorie des deux nations. Ou bien, veut-on, en appelant notre assemblée l'Assemblée nationale, le faire à cause de la nation canadienne-française? Si c'est à cause de la nation canadienne-française, eh bien, on oublie, encore une fois, les anglophones en cette Chambre et les francophones — là, je parle du point de vue géographique — à l'extérieur du Québec. Ou il y a deux nations au Canada, dont une nation qu'on appelle canadienne-française, et alors, on n'a pas le droit d'employer ici le vocable Assemblée nationale, la logique est là. Encore une fois, quant à mois, je vois ça avec sérénité. Si on veut commettre des bévues, de l'autre côté, qu'on en commette. Si la majorité est décidée à satisfaire, à assouvir les appétits séparatistes de ministres et de députés de l'Union Nationale, si ça empêche le cabinet et le caucus de craquer en deux, mon Dieu, je suis bien prêt à rendre ce service au premier ministre et à ne pas trop insister. Mais qu'on le dise. D'ailleurs, le député de Chicoutimi l'a

clairement laissé voir à la télévision, que c'était le motif véritable du changement de nom.

En tout cas, si les mots ont un sens, je voudrais bien que le premier ministre nous explique les raisons, s'il y en a, si ce n'est pas ce que j'ai dit, qui l'ont amené à proposer le changement de nom pour nationale.

M. BERTRAND: Vous avez l'air a en avoir plusieurs contre. Apparemment, ce n'était pas important, l'autre jour.

M. LESAGE: Je pense que c'est bien important. Je n'ai pas de suggestion à faire...

M. GOSSELIN: Ah! Ah! vous n'avez pas de suggestion à faire.

M. LESAGE: ... mais je pourrais en faire. M. GOSSELIN: Faites-les.

M. LESAGE: Le député de Compton ne peut pas en dire autant.

M. GOSSELIN: C'est le temps de les faire, certainement. Vous pouvez l'appeler l'Assemblée québécoise, l'Assemblée du Québec.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: M. le Président, si le député de Compton a des suggestions à faire, il les fera d'abord au premier ministre.

M. GOSSELIN: C'est déjà fait.

M. LESAGE: Au conseil des ministres dont il fait partie.

M. GOSSELIN: C'est déjà fait et monsieur...

M. LESAGE: Ah comme cela, il y a eu une chicane au conseil des ministres!

M. GOSSELIN: Il n'y a pas eu de chicane. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: Ahl on ne s'est pas entendu au conseil des ministres?

M. GOSSELIN: M. le Président, contrairement à ce qui se passait du temps des rouges, on ne se chicane pas au conseil des ministres.

M. LESAGE: Qu'a-t-il suggéré, le député de Compton? L'Assemblée québécoise?

M. GOSSELIN: On ne se chicane pas du tout, du tout.

M. BERTRAND: Le chef de l'Opposition m'a l'air de vouloir nous chercher querelle.

M. LESAGE: Oh non, pas du tout, jamais, M. le Président.

M. GOSSELIN: Faites donc des suggestions constructives. De cette façon, vous pourrez bâtir quelque chose.

M. LESAGE: II y en a une qui est constructive, ça s'appelle l'Assemblée législative, c'est ça.

M. GOSSELIN: C'est ce que vous suggérez comme...

M. DOZOIS: Faites un amendement.

M. LESAGE: M. le Président, je ne suggère rien. J'ai dit que c'était la responsabilité du gouvernement. S'il veut faire des bévues, qu'il les fasse. Si ça peut lui rendre service, pour conserver sa précaire unanimité...

Je ne vois qu'une raison de proposer la nouvelle Assemblée nationale, à part la satisfaction des appétits séparatistes, c'est que ça nous est proposé pour le prestige uniquement verbal, à mon avis, je vous le soumets, M. le Président.

Evidemment, il y en a tellement, de l'autre côté, M. le Président...

M. BERTRAND: M. le Président, le chef de l'Opposition se demandait tantôt comment s'appellerait le député de Brome. Il s'appellera membre du Parlement du Québec.

C'est marqué à l'article 3.

M. LESAGE: Oui monsieur, mais il sera membre de l'Assemblée nationale. Une Assemblée nationale, le mot nationale réfère à l'ethnie ou à la géographie. Nous n'en sortirons pas de ça.

M. BERTRAND: Ces députés ont droit au titre de membre du Parlement du Québec.

M. LESAGE: S'il vous plaît, M. le Président, le premier ministre prend des voies d'évitement.

M. BERTRAND: Bien non, c'est à l'article 3.

M. LESAGE: C'est l'exacte vérité. Ou il propose ou il ne propose pas que l'Assemblée législative devienne l'Assemblée nationale.

Il le propose dans le bill.

M. BERTRAND: C'est dans le bill.

M. LESAGE: Si le bill est adopté tel quel, nous deviendrons des membres de l'Assemblée nationale.

M. BERTRAND: Membres du Parlement du Québec

M. LESAGE; Je pourrai dire, M. le Président, que je suis un membre de l'Assemblée nationale. Le député de Westmount pourra dire qu'il est un membre de l'Assemblée nationale.

M. BERTRAND: Et il y en a d'autres qui diront: Membre du Parti Québécois, MPQ.

M. LESAGE: M. le Président, je constate que le premier ministre cherche les voies d'êvitement, car il est fort embarrassé, parce qu'il veut bien que son ministre de la culture continue de rêvasser...

M. BERTRAND: M. le Président, le chef de l'Opposition a dit tantôt qu'il ne cherchait querelle à personne...

M. LESAGE: Non, j'ai terminé.

M. BERTRAND: ... qu'il voulait taquiner...

M. LESAGE: Bien oui, mais moi aussi...

M. BERTRAND: ... on s'en aperçoit. Qu'il nous permette à nous aussi de taquiner, de rire un peu.

M. GOSSELIN: C'est laborieux son affaire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il pourrait être plus sérieux.

M. LESAGE: M. le Président, que ceux qui ont tellement de labeur à penser...

M. LAPORTE: Qu'il aille donc bûcher.

M. LESAGE: ... franchement, qu'ils nous laissent donc penser en paix, nous qui pouvons le faire.

Alors, M. le Président, je pense bien que le premier ministre va songer à tout cela, il va y réfléchir sérieusement et il va en venir à la décision que cela n'est pas nécessaire pour donner du courage à ceux qui se contentent souvent de rêvasser sur la capacité des mots, des mots simplement, à générer les choses qui pourraient se projeter dans le futur.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gouin.

M. Yves Michaud

M. MICHAUD: M. le Président, le projet de loi qui est devant nous, le projet de loi no 90, contient deux principes fondamantaux qui viennent d'être débattus à la fois par le premier ministre et par le chef de l'Opposition. Deux principes fondamentaux, le premier étant celui de l'abolition du Conseil législatif et le second, remplaçant les mots « Assemblée législative du Québec » par ceux de « Assemblée nationale du Québec ».

Dans le discours du premier ministre, je n'ai pas été sans noter la tranquille et calculée pudeur avec laquelle il n'a pas parlé de l'Assemblée nationale du Québec, consacrant la majeure partie de ses propos aux mécanismes d'abolition du Conseil législatif.

M. BERTRAND: Le principe du bill.

M. MICHAUD: M. le Président, sur ce premier point, l'abolition du Conseil législatif, je pense bien qu'il n'y a pas de débat de tond, que la disparition de cette structure périmée de notre système démocratique est souhaitée par tous les partis politiques et par tous les représentants dans cette Chambre et qu'elle est souhaitée par une large partie de l'opinion publique.

Je sais gré au gouvernement d'avoir renoncé à l'établissement d'une seconde chambre corporative, tel qu'il avait été annoncé dans le discours du trône de 1966 par celui qui dirigeait les destinées du Québec à cette époque. J'avais noté, à ce temps, le danger que pourrait courir la démocratie québécoise d'être greffée sur une seconde chambre non élective dans laquelle des représentants des groupes de pression auraient été désignés par le pouvoir politique.

Là où il y aura débat — et en cela je rejoins parfaitement quelques-unes des objections soulevées par le chef de l'Opposition — c'est sur l'indemnité, la pension versée aux membres du Conseil législatif actuels, pension qui me semble abusive, compte tenu des services qu'ils ont pu rendre. Quand on considère que la pension qui leur sera versée sera presque le double de

celle d'un député de l'Assemblée nationale du Québec, je crois, M. le Président, là-dessus, qu'à ce prix-là, nous pourrons facilement trouver à tous les coins de rue des kamikazes politiques qui accepteront de se faire hara-kiri.

Je voudrais, moi, également, connaître les tractations du premier ministre avec quelques membres du Conseil législatif qui ont pu amener l'autosuicide, pour employer ce pléonasme, de cette seconde chambre au Québec.

M. le Président, je parle, non pas de l'article que je ne mentionnerai pas, mais il est permis, dans l'article 556 de notre règlement, d'aller presque au fond des choses, puisque notre règlement nous dit que l'on peut discuter du principe du bill. Je trouve étonnant que les fonds publics consacrent $10,000 de pension alors que les députés en cette Chambre n'ont pas de secrétariat permanent, pas de service de recherche, qu'ils n'ont pas dans leur comté des permanences politiques.

Je trouve étonnant que le gouvernement fasse preuve de tant de largesse et de générosité pour les membres du Conseil législatif qui ne seront plus demain, alors que les vrais élus du peuple ont encore des moyens artisanaux de remplir leur fonction de député. J'espère que, lorsque nous viendrons à étudier les mécanismes de la constitution interne du Québec, le gouvernement donnera aux députés des moyens efficaces pour accomplir leur rôle.

Je trouve étonnant que l'on fasse preuve de tant de largesse, d'une part, à l'endroit des conseillers législatifs, alors que, d'autre part, le gouvernement établit la loi d'airain de sa politique salariale sur les employés les plus mal payés de la fonction publique. Je me dis qu'il faudra nécessairement en arriver à trouver une meilleure façon — c'est une expression qui rejoint celle que l'on emploie souvent de l'autre côté de cette Chambre — d'exercer la justice distributive. Donc, pour reprendre le deuxième aspect du principe du projet de loi, nous aurons, dans quelque temps — une fois que les députés de l'Assemblée législative auront entériné la volonté de l'Exécutif — une Assemblée nationale du Québec.

Je vais donner — n'engageant que moi-même et ma propre conception de cette deuxième partie de la loi — mes impressions et mes opinions là-dessus. Je parlerai, bien sûr, à titre personnel. Le gouvernement voudrait consacrer, par l'appellation Assemblée nationale du Québec, ce qui me semble ici une réalité historique, si je considère l'ethnie canadienne-française. En effet, le groupe francophone que nous sommes dans ce pays est une nation au sens étymologique, politique et moral du ter- me. Je ne suis pas sans m'étonner également, en lisant la version anglaise: « The National Assembly of the province of Quebec », de constater que la version anglaise procède véritablement d'un folklore désuet. En anglais, nous avons véritablement l'air d'une république de bananes. On pourrait tout aussi bien appliquer cela à d'autres termes. On pourrait dire: l'Assemblée nationale de Saint-Liboire ou l'Assemblée nationale du Languedoc-Rous sillon, etc.

Je crois que, là aussi, il y a eu une pudeur calculée de la part du gouvernement en ne traduisant pas carrément en langue anglaise National Assembly of Quebec. S'il veut pousser jusque-là, il aurait dû, ce me semble, ne pas donner le spectacle d'un tel jeu d'équilibre, de contrepoids et de pendule.

Ce que c'est qu'une nation — je pense que nous touchons là au fondement même de ce qui me semble une loi importante, bien qu'elle soit greffée uniquement sur un mot — c'est une réunion d'hommes habitant un même territoire — il y a trois éléments fondamentaux d'une nation — ayant une origine et, ce qui me semble le plus important, une langue commune, et des intérêts communs aussi. Une quatrième dimension que la science politique fait intervenir, c'est la volonté de vivre l'avenir en commun.

Les mots: nation, ethnie, peuple et leurs dérivés n'ont pas fini de diviser, sur ce territoire et ailleurs, les groupes humains soucieux de préserver leur culture et leur identité. Ce phénomène, d'ailleurs, n'est pas particulier au Québec. Il a des dimensions universelles. On le retrouve chez les Wallons, les Flamands, les Tchèques, les Slovaques, les Basques, les Catalans, les Celtes et le monde entier, actuellement, pour ceux qui ont un peu voyagé, on doit le constater, est soulevé par une crise des nationalismes, comme si l'homme fondamental, devant les progrès de la technologie, devant le rapprochement des peuples, voulait plonger aux plus profondes racines d'une patrie, voulait retrouver une sorte d'identité.

Alors, partout dans le monde, M. le Président — et en cela, le groupe francophone du Canada ne fait pas d'exception — des groupes humains cherchent à s'identifier à une nation, parce que le droit naturel, l'humanité, la nature s'opposent même à la formation de communautés artificielles imposées, qui risquent souvent et, cela, ça va peut-être paraître des mots savants ou des mots qui n'auraient pas de place ici, à l'Assemblée législative, mais qui risquent souvent d'entraîner le déracinement de l'homme et aussi sa mutilation spirituelle. M. le Président, la montée des nationa-

lismes dans le monde, comme la montée du nationalisme québécois, n'est pas, ce me semble, un phénomène de mort, mais un phénomène de vie. Ce n'est pas un phénomène de repli, mais un phénomène d'ouverture. Ce n'est pas un phénomène de ghetto, mais un phénomène de participation aux grands ensembles.

Il en est parmi nous, et ailleurs, qui verront, mais loyalement, franchement, dans le changement de nom de l'Assemblée législative en celui d'Assemblée nationale, la manifestation d'un nationalisme chauvin et rétrograde.

M. le Président, je crois qu'ils ont tort. Le nationalisme québécois, tel que nous le connaissons, tel qu'il a pu prendre un certain visage, était, bien sûr, condamnable, mais le nationalisme canadien-français, une fois débarrassé de ses préjugés et de ses contraintes, de ses peurs viscérales, comme de ses absolutismes, de ses dogmes, comme de ses exclusivismes, pourrait devenir un nationalisme d'ouverture et d'expansion compatible avec les intérêts mêmes de ce pays qui a nom le Canada. Nationalisme de participation avec les autres ethnies canadiennes, et pourquoi pas avec le reste du monde? On demandait un jour à M. Léopold Senghor, qui était le président de la république du Sénégal, ce qu'était, dans son esprit, le nationalisme, et une des formes du nationalisme africain que nous appelons la négritude. Senghor répondait ceci à la télévision française: « Nous affirmons nos nationalismes, parce que nous savons que, demain, nous sommes appelés, de par le monde, à cause du rapprochement des frontières, à cause des échanges entre les peuples beaucoup plus faciles, nous savons, disait-il, que nous serons convoqués comme nation à l'universel rendez-vous du donner et du recevoir, et nous voulons affirmer nos nationalismes parce que, à ce rendez-vous universel du donner et du recevoir, nous ne voulons pas arriver, nous, les mains vides ».

M. le Président, la nation canadienne-française elle aussi et cela, en employant ces mots, je pense bien ne pas faire scandale, ne peut pas arriver les mains vides à l'universel rendez-vous du donner et du recevoir, et aussi au rendez-vous canadien.

Nos compatriotes doivent comprendre, surtout nos compatriotes de langue anglaise, qui vivent au Québec ou qui vivent dans le reste du Canada, qu'en nous donnant à nous, les instruments nécessaires et indispensables à la promotion de nos valeurs ethniques, donc nos valeurs nationales, la communauté canadienne-française contribue à l'originalité de ce que pourrait être un ensemble fédéral canadien viable. Nous sommes, M. le Président, prêts à comprendre qu'en raison des intérêts supérieurs de l'ensemble fédéral, des choses, par exemple, comme des tarifs, les douanes, la banque, la monnaie, le crédit, la défense, les transports et les communications, la politique étrangère, dans les domaines de juridiction fédérale, puissent être, puissent ressortir à une autorité supérieure, mais je crois que c'est à la nation comme telle, dans sa manifestation culturelle, qu'il revient de développer par exemple l'éducation, la culture, les Beaux-Arts, parce qu'elle seule, plus immédiatement en tout cas, a davantage le sens de sa continuité, de sa durée et de sa permanence historique.

Or, il arrive que la nation canadienne-française se trouve groupée majoritairement dans le Québec, dans ce territoire qui a nom le Québec, à peu près à 80%. Il est inévitable que pour des raisons toutes naturelles d'efficacité — et là, je pose ça sur le plan de l'efficacité — elle veuille placer entre les mains d'un Etat dont elle est plus près que de l'Etat fédéral, des mécanismes d'expansion et de promotion de sa culture, c'est-à-dire de sa manière de vivre collective. Ce qui n'exclut pas d'autres mécanismes de coopération avec un Etat supérieur, dans un arrangement fédéral respectueux des volontés ethniques et des volontés nationales.

Sur le problème fédéral et le problème des nations, c'est-à-dire sur le mode fédéral pour faire coexister des nations, Proudhon disait: « Fédérer, ce n'est pas imposer un ordre conçu et défini d'avance, c'est simplement arranger l'ensemble, faire cohabiter, dans une unité supérieure toutes les réalités concrètes et hétéroclites que sont les nations, les régions économiques, les ethnies, les unités culturelles, religieuses, linguistiques, les réalités politiques et sociales. La fédération, disait-il n'a pas pour but d'effacer les diversités, mais au contraire de sauvegarder leurs caractéristiques. » Une telle conception du fédéralisme me semble, à moi, acceptable, parce que sa souplesse et sa tolérance ne contraignent pas les volontés nationales. Elle repose au contraire,cette conception du fédéralisme, sur un principe d'union et non pas sur un principe d'unification. Arriverons-nous, malgré le tumulte des revendications, à dépasser nos intolérances respectives, à faire en sorte que cohabitent, coexistent et coprospèrent, si j'ose employer cette expression, les deux nations fondatrices de ce pays? C'est là prendre un pari sur l'histoire.

Pour l'instant, cette assemblée que vous présidez avec dignité, de législative deviendra nationale, une fois que les élus du peuple auront entériné la volonté de l'Exécutif. On serait tenté de dire, reprenant les mots d'un illustre vi-

slteur qui est venu au Québec, il n'y a pas si longtemps: « C'est grand. C'est beau. C'est généreux, le Québec! » Le peuple, en ses élus, se donne donc une Assemblée nationale, mais les mots, je me le demande, passeront-ils la réalité? Les fruits passeront-ils la promesse des fleurs? L'Assemblée dite nationale sera-t-elle moins frivole que la législative? Plus sérieuse? Les députés, incarnant désormais la nation, s'adonneront-ils aux spectacles un peu loufoques et dégradants auxquels la législative nous avait, hélas habitués? C'est beau, une Assemblée nationale! C'est une dignité de plus dont se pareront sans doute les députés de cette Chambre. Mais est-ce que nous ne courons pas le risque de ceindre le laurier avant que d'avoir livré des batailles? Est-ce que nous ne prenons pas l'attribut pour le sujet et le mot pour la chose? Votre gouvernement, M. le Président, et, hélas aussi le mien, est passé maître dans l'art des mots. Des mots, des torrents de mots, des déluges de mots, des avalanches de mots, des inondations de mots...

M. BERTRAND: A ce moment-ci, ce ne sont pas les nôtres, mais les vôtres.

M. MICHAUD: ... plus ou moins justement relié pour nous donner l'impression que la dignité nationale ne passe et ne réside qu'en lui, qu'à travers ses personnes, qu'à travers ses engeances.

M. BERTRAND; Oh! Tremblons! tremblons!

M. MICHAUD: Des mots taillés sur mesure pour masquer sa stérilité et sa tragique impuissance devant les solutions apportées aux problèmes de la société québécoise.

Nous aurons, tout à l'heure, dans quelques instants, alors que nous voterons la loi, une Assemblée nationale. Mais nous laisserons encore l'exploitation de l'un des instruments les plus puissants de notre culture populaire, le cinéma — souvenez-vous du projet de loi, numéro 52 — entre les mains des industriels américains du cinéma. Nous aurons dans quelques minutes, dans quelques instants une Assemblée dite nationale et nous laisserons à des intérêts américains...

M. BERTRAND: Il y a un autre député qui va parler.

M. MICHAUD: ... le soin de publier nos manuels scolaires dans le Québec. Nous aurons dans quelques secondes, oui, on en parlera de la vente du centre de psychologie et de pédagogie pendant que le ministre de l'Education était en vacances et qui a cédé les premiers relais et les premiers circuits de notre culture à des intérêts étrangers.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. MICHAUD: ... c'est de l'imposture nationaliste que le gouvernement de l'Union nationale fait.

M. MICHAUD: Nous aurons dans quelques minutes une Assemblée nationale...

M. BERTRAND: Non, non parce qu'il y a un autre député qui va parler.

M. MICHAUD: ... mais nous laisserons encore à l'échelle du territoire québécois une loi que le gouvernement de l'Union nationale lui-même a passée, une loi sur les étiquettes bilingues dans le Québec, loi actuellement inopérante à travers tout le Québec, loi qui n'est pas respectée. Nous aurons une Assemblée nationale, bien sûr, dans quelques secondes, et ça nous fera plaisir de nous appeler comme ça. Mais chaque jour, chaque minute qui passera, le gouvernement consacrera notre dépendance économique, parce qu'il n'aura pas trouvé les Instruments pour régler les véritables problèmes de la société québécoise...

DES VOIX: A l'ordre! A l'ordre!

M. MICHAUD: J'achève et je dis simplement ceci. Le gouvernement précédent — et je pèse mes mots — n'a pas crié au nationalisme, n'a pas provoqué d'escalade verbale sur le nationalisme. Il n'a pas donné l'appellation Assemblée nationale, mais je crois qu'il a créé les instruments propres à un meilleur devenir québécois. Les délégations générales à Paris ont été passées par le gouvernement précédent, la Soquem, la nationalisation de l'Hydro-Québec... M. le Président, il y a le barbare de Saint-Jean qui m'interrompt...

M. LE PRESIDENT: Je dois demander aux honorables députés à ma droite d'être silencieux et je dois demander à l'honorable député de Gouin de ne pas aborder de problème qui ne serait pas convenu dans le bill.

M. MICHAUD: Je dis donc que nous aurons une Assemblée nationale, mais le gouvernement actuel dans ses faits et gestes, dans ses lois, se conduit, avec ses membres, comme des bricoleurs du nationalisme.

Il y a ceux, M. le Président, qui construisent le Québec, qui le créent ou qui l'ont créé de toutes pièces. Il y a aussi les bricoleurs; ceux-là, on les retrouve de l'autre côté de la Chambre. Ils s'adonnent au nationalisme verbalement, dans leur temps libre, en temps et lieu, pour employer une expression connue, entre deux paresses et deux ennuis, « pour passer le temps quand c'est trop long », comme dit la chanson.

Et puis, il y a, ailleurs dans le Québec, pas nécessairement dans cette Chambre, ceux qui patiemment, dans la monotonie des jours recommencés, s'emploient à bâtir le Québec. Il y a ceux qui sont les véritables constructeurs de l'Etat québécois, ceux qui mettent la main à la pâte, ceux qui délaissent les artifices...

M. ROY: Vous n'êtes pas dans ce groupe-là.

M. MICHAUD: ... du nationalisme, qui ne se préoccupent peut-être pas des drapeaux et des slogans et qui, jour après jour, s'emploient à le bâtir ce Québec et à donner à notre forme de volonté nationale et ethnique un avenir meilleur. Ceux-là servent le Québec dans les faits; les autres, comme le gouvernement actuel, servent le Québec dans les mots. Je crois qu'un jour le peuple du Québec saura faire la différence entre les bons et les mauvais serviteurs du nationalisme canadien-français.

M. LE PRESIDENT: Alors, l'honorable... M. BERTRAND: A huit heures et quart.

M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux jusqu'à huit heures et quart, ce soir»

Reprise de la séance à 20 h 19

M. LEBEL (président): A l'ordre, messieurs! L'honorable député de Laurier.

M. René Lévesque

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, si je peux me retrouver. Ce n'est pas à Drummondville que j'ai préparé ces notes, c'est ici même, entre les deux séances, après avoir entendu les éloquentes interventions qui ont précédé. Alors, si vous me le permettez, je vais remettre mes papiers en ordre très rapidement.

Je n'ai pas besoin de dire, bien sûr, comme tous ceux qui ont parlé avant moi, que je suis très heureux de l'ensemble du projet de loi qu'on intitule le bill 90. Du moins, sauf erreur, autant que tous ceux qui m'ont précédé, parce que, c'est un excès de scrupule, je n'ai pas entendu toute l'intervention du premier ministre, cet après-midi. J'en ai manqué une grande partie, mais, enfin, je présume qu'il n'a pas trouvé trop déplorable, en tout ou en partie, le bill qui porte son nom.

M. BERTRAND: Non, autrement il ne l'aurait pas présenté.

M. LEVESQUE (Laurier): Alors, dans l'ensemble, comme tous ceux qui m'ont précédé, je suis très heureux de voir qu'enfin, après tant de débats, après tant de programmes qui ont proposé ça, mais qui n'avaient pas abouti, on va se débarrasser de cette institution désuète, de cette institution qui était, à toutes fins pratiques, une survivance du passé et qu'on appelait le Conseil législatif. On s'en débarrasse après plus d'un siècle, sous sa forme actuelle. Si on remonte au début de l'histoire de l'expression Conseil législatif, au Québec, on s'en débarrasse, sauf erreur, si je compte bien, 194 ans après l'apparition de ces deux mots, dans le Québec, au moment de l'Acte de Québec, en 1774.

Je crois qu'il n'est pas mauvais, sans insister, de rappeler que, justement, cette institution qu'on a appelé le Conseil législatif et qui, d'ailleurs, fondamentalement, a gardé le même caractère, remonte, plonge ses racines, chez nous comme ailleurs, dans une société qui accompagnait les premiers balbutiements de la démocratie. Elle remonte même avant l'acceptation, dans nos sociétés, des institutions démocratiques. Dans la plupart des cas, quels que soient les noms qu'on ait donnés à ce genre d'institutions, Sénat, Chambre haute, House of

Lords, etc., on les a créées, justement, sous l'inspiration des groupes privilégiés de la société, au moment où on voyait les monarchies de droit divin perdre un peu partout leurs vieux pouvoirs absolus sur les citoyens.

On a créé ce genre de conseil ou d'institution dans l'intention d'imposer un frein à la volonté populaire librement exprimée par le suffrage universel. Comme on le disait volontiers et comme on le dit encore dans certains milieux, d'ailleurs - et c'est toujours assez drôle — on a créé ça comme un garde-fou contre les caprices ou les excès du peuple.

D'ailleurs, c'est très précisément ce qui s'est produit dans le cas du Québec, il y a une centaine d'années, lorsqu'au moment de la confédération nos représentants québécois ont exigé expressément ce garde-fou aristocratique, sous sa forme actuelle, de vingt-quatre personnes plus ou moins, par méfiance à l'égard de la démocratie et pour barrer, par anticipation, l'évolution qu'ils craignaient de voir librement se dessiner dans notre peuple.

Georges-Etienne Cartier n'a jamais fait mystère, pendant sa vie, je crois, de la sainte horreur que lui inspiraient les institutions républicaines des Etats-Unis, ni du souci brûlant qu'il avait de voir le Conseil législatif réprimer ou, du moins, ralentir la marche possible du Québec vers une démocratie comparable qu'il pressentait dangereuse pour les gros intérêts établis, lesquels, après tout, constituaient le plus clair de sa clientèle d'avocat.

A partir de Georges-Etienne Cartier, en remontant comme en descendant d'ailleurs, est-ce qu'ils avaient tort tous ces beaux milieux où l'on avait, et où l'on a encore, assez souvent, une telle peur panique de la souveraineté populaire à l'état pur et des grands mouvements, souvent passionnés, du suffrage universel? Pas nécessairement, parce qu'il faudrait n'avoir rien lu de l'histoire des peuples pour s'imaginer qu'ils ne commettent jamais d'erreur grave.

Mais, à mon humble avis, on avait surtout tort de comprimer à l'avance la volonté démocratique par cette institution d'ancien régime, cette espèce de paratonnerre de l'ordre établi. Sans doute, des hommes valables et dévoués y auront siégé, pas toujours inutilement, jusqu'à la dernière session, mais, en tant qu'institution, le Conseil législatif aura probablement été plus coûteux pour le Québec que les quelques emportements qu'il aura peut-être empêchés et il aura servi à retarder, par sa seule présence, trop souvent, le progrès et la saine évolution du Québec. Je dis probablement, parce qu'on ne pourra jamais le démontrer au complet, avec des faits et des chiffres £ l'appui.

Il a suffi, de génération en génération, que fût là, par désignation, libres de toute reddition de compte devant le peuple, muni d'un pouvoir absolu de blocage législatif; ce conseil des anciens, les chiens de garde évidents de l'ordre établi qui contient si souvent une telle part de désordre sournois et d'injustice. Il aura suffi qu'il soit là, ce conseil, pour que, combien de réformes, combien de mesures nécessaires s'éteignent dans la population ou, en tout cas, dans cette Chambre-ci, avant même de voir le jour.

Entre parenthèses — je m'adresse précisément au premier ministre; il verra pourquoi — si ma mémoire est bonne, je me souviens, par exemple, qu'il y a quelques brèves années sous le gouvernement précédant celui-ci, c'était l'hostilité présumée, une hostilité qui avait d'ailleurs été préannoncée par la majorité du Conseil législatif et qui a fait mourir à l'état de brouillon une mesure absolument indispensable à une saine démocratie, une mesure qu'on attend toujours et qui aurait été la réforme complète et définitive de notre carte électorale absurde, et encore, une carte électorale qui, encore aujourd'hui est passablement répugnante à force de déséquilibre et d'iniquité flagrante.

J'en profite...

M. BERTRAND: Le député de Laurier me permettra...

M. LEVESQUE (Laurier): Justement, je viens de faire une pause comme si je le faisais exprès, mais ce n'était pas exprès.

M. BERTRAND: Non, pas exprès du tout. Quand il parle de la refonte de la carte électorale, cela a été beaucoup plus des travaux accomplis au comité en bas, si mon souvenir est bon.

M. LE VESQUE (Laurier): Pardon?

M. BERTRAND: La refonte de la carte électorale a été accomplie au comité.

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord, mais quand est venu le moment de faire cette réforme complète — on l'a vécu, enfin certains de ce côté-ci qui étaient dans le gouvernement — je suis sûr que le premier ministre d'aujourd'hui se souvient que son ancien chef, à ce moment-là M. Johnson, avait dit dans cette Chambre — et cela n'a jamais été démenti dans l'autre endroit, comme disent nos amis anglo-saxons — que de toute façon si une réforme complète qui pourrait changer des frontières des comtés, y com-

pris des comtés extraordinairement déséquilibrés qui demeurent encore dans le Québec, si cette mesure devait venir; de toute façon elle serait bloquée dans l'autre endroit.

M. BERTRAND: Est-ce qu'on l'avait...

M. LEVESQUE (Laurier): II parlait à ce moment-là, enfin on l'a toujours présumé...

M. BERTRAND: Non, non.

M. LEVESQUE (Laurier): Enfin, le premier ministre me permettra de terminer. M. Johnson parlait à ce moment-là — du moins on l'a toujours présumé puisqu'il n'y a pas eu le moindre démenti — au nom de l'ensemble de la majorité de l'Union Nationale. Je veux dire l'ensemble de la représentation de l'Union Nationale qui, à ce moment-là comme aujourd'hui d'ailleurs, avait une majorité au Conseil législatif.

M. BERTRAND: Mais c'est une hypothèse quand même, parce que je me souviens...

M. LESAGE: C'est plus qu'une hypothèse.

M. BERTRAND: ... que, même en bas, à un moment donné, il y a eu un vote. Je me souviens très bien du résultat. Ceux qui étaient favorables — et c'était à ce moment-là quasi non partisan — à une refonte électorale avaient été battus.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, oui, d'accord. Ils avaient été battus...

M. BERTRAND: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): ... à ce moment-là dans un comité. Le sujet est revenu à maintes reprises. Je ne crois pas que j'aie le droit, peu importe les avatars de la vie politique, d'entrer dans les détails de ce qui a pu se passer, par exemple, dans la vie du cabinet, mais cette réforme-là n'était pas abandonnée. C'est tout ce que je peux dire pour l'instant. Elle est revenue clairement en cette Chambre comme un projet qu'on avait l'intention de faire adopter et c'est à ce moment-là que M. Johnson avait dit très clairement, au nom du parti qu'il représentait, sauf démenti dans les deux Chambres, que ce serait bloqué. De toute façon, l'ayant vécu comme ça, sans entrer dans tous les détails, sans nier ce que dit le premier ministre par rapport à ce qui s'était passé dans divers comités, mais l'ayant vécu comme ça, et sachant très bien que se profilait l'hostilité préannoncée à toute me- sure complète de réforme du Conseil législatif, j'en profite, avant de fermer la parenthèse, pour inviter le gouvernement, pour le presser instamment, maintenant que le terrain est libre, autant qu'on le sache, de ne pas tarder à accomplir cette réforme. Ce qui devrait d'ailleurs lui être assez facile puisque — je peux me tromper, je n'ai pas vérifié de nouveau ce soir — je crois que la majorité requise des députés qui représentent ces véritables bourgs pourris que sont les soi-disant comtés protégés se trouve à siéger largement, sauf erreur, du côté du gouvernement, compris le premier ministre lui-même, député de Missisquoi, qui est un de ces comtés protégés. Et je ferme la parenthèse, M. le Président, ne voulant pas vous occasionner des gestes inutiles ou des fatigues dont vous n'avez pas besoin.

Bref, pour toutes ces raisons, je ne ressens pour ma part absolument rien qui évoque la moindre nostalgie en voyant enfin disparaître ce restant désuet, potentiellement néfaste et sûrement paralysant à plusieurs reprises dans notre histoire de Pancien régime que constituait le Conseil législatif. Quant à moi, pour parler très clairement, il s'agit tout simplement d'un bon débarras.

Je suis très heureux aussi que le gouvernement, dont certains porte-parole avaient philosophé à ce propos, savamment et plutôt filandreusement, lors du débat sur le discours du trône, ait abandonné son intention de remplacer le Conseil législatif par une espèce de Chambre corporative qui aurait été dotée de pouvoirs tout aussi abusifs.

Qu'un jour, une fois le terrain parlementaire clairement déblayé de cette survivance malsaine d'un passé antidémocratique, qu'un jour, ou en temps et lieu, comme dirait le premier ministre — et à juste titre à ce sujet-là, je crois — qu'un jour on établisse à tête reposée quelque chose dans le genre d'un conseil économique et social, dont les pouvoirs seraient strictement consultatifs, ceux si l'on veut d'un conseiller, mais d'un conseiller simplement de la Chambre démocratique unique, il est fort possible que ça devienne souhaitable et même assez probable. Il pourrait y avoir au moins deux avantages à ce genre de conseil économique et social. Premièrement, de permettre une représentation éventuelle un peu partout, à ces diverses consciences régionales qui sont présentement en train de s'élaborer peu à peu dont le dessin est encore imprécis et dont la consistance est encore plus incertaine, mais qui finiront, sans doute, par s'affirmer et par demander alors, à juste titre, une tribune adéquate au Québec.

Deuxièmement, une institution de ce genre pourrait, à mon avis, permettre de regrouper

ou, en tout cas, de cesser enfin de multiplier à l'infini toute cette ribambelle de conseils et de commissions parallèles que se donnent, à l'envi, tous les ministères du gouvernement, les uns après les autres. Tous ces groupes spécifiques d'éminente caution qu'on trouve dans l'éducation, dans le domaine social, en économie et, bientôt maintenant, en immigration, etc, y gagneraient infiniment, je crois, à se retrouver en nombre raisonnable, non plus compartimentés et émiettés dans tous les coins, mais tous ensemble, afin de réfléter vraiment, en un seul organisme, toute la complexité ahurissante de la société aujourd'hui, de ses problèmes et de ses besoins. Tels qu'ils sont, ces groupuscules parallèles des ministères — qu'on coiffe pompeusement d'adjectifs sonores, comme, surtout, supérieur: le conseil supérieur de ci, et le conseil supérieur de ça — ont, la plupart du temps, une utilité plutôt marginale, et je parle délicatement.

Si on finissait par les réunir en un véritable forum national — pour employer le même adjectif que celui qu'on appliquera à l'Assemblée — qui serait libre d'étudier et de s'exprimer publiquement, ils acquerraient, peut-être, une voix et un poids d'autant plus réel et d'autant plus progressif qu'ils n'auraient pas les responsabilités législatives. De toute façon, ce sont là de simples jalons sur le chemin d'une réflexion qui ne peut pas s'amorcer sérieusement en parlant de ce projet de loi, mais qu'il faudra bien entreprendre, encore une fois, en temps et lieu.

Evidemment, se posera aussi la question fondamentale de l'évolution constitutionnelle du Québec et des garanties requises dans ce domaine, aussi bien que dans celui des droits de l'homme, soit de l'homme individuel ou de l'homme collectif au niveau de nos minorités. Remarquons bien que, dans ces domaines des garanties fondamentales, il fallait vraiment vivre en esprit sous la monarchie de droit divin pour s'imaginer que le Conseil législatif ait jamais pu constituer une garantie acceptable. Encore une fois, c'était là essentiellement un organisme de protection du statu quo, une police d'assurance au moins psychologique pour les groupes privilégiés et les intérêts établis qui dominent notre société. Le Conseil législatif n'a jamais été le genre de garantie d'équilibre et de justice que se donne un peuple d'hommes libres dont la prudence vis-à-vis d'eux-mêmes — et c'est nécessaire — doit, quand même, exiger, aussi et d'abord, le respect justement de leur dignité d'hommes libres ainsi que la souplesse d'institutions qui sont capables de demeurer ouvertes aux changements.

Prenons simplement, sans insister — et ce n'est pas moi qui l'ai évoqué — le cas précis que décrivait cet après-midi le chef de l'Opposition. Je ne crois pas, disait en substance le chef de l'Opposition, et il pourra me corriger, si je trahis sa pensée, car j'ai seulement pris des notes, que, par exemple, la décision de séparer politiquement le Québec de la fédération canadienne devrait dépendre d'une majorité simple de cette Chambre, qui sera désormais une Chambre unique, une Chambre qui pourrait alors représenter une majorité fragile et éphémère.

M. LESAGE: Et peut-être, une minorité de l'électorat.

M. LEVESQUE (Laurier): Et peut-être, d'ailleurs, on en a le cas dans le gouvernement actuel...

M. LESAGE: En ajoutant cela, c'est complet.

M. LEVESQUE (Laurier): ... et, si l'on tient compte du cas que représente le gouvernement actuel, peut-être même une minorité de l'électorat.

Bien sûr, je suis d'accord que le Québec souverain ne devra pas — j'aime mieux parler au futur qu'au conditionnel, parce que j'y crois fermement, et ce n'est peut-être pas mauvais qu'on commence à en évoquer l'éventualité dans cette Chambre, cela passe à travers certains murs d'inconscience que ce club parlementaire où nous sommes entretient dangereusement — bien sûr, je suis d'accord que le Québec souverain ne devra pas traiter ses citoyens, à ce moment-là, aussi expéditivement qu'on l'a fait sans vergogne il y a une centaine d'années, lorsqu'on a fait passer sous le nez de tout un peuple, sans aucune claire consultation démocratique, le régime fédéral actuel- Evidemment, on pourrait me répondre: Ce n'était pas dans les moeurs. Dieu sait que ce n'était pas dans les moeurs.

Il faudra sûrement, lorsqu'arrivera au Parlement une majorité enfin consciente des vraies exigences du présent et de l'avenir du Québec, une majorité qui reflétera enfin cet état normal qu'on n'a jamais vécu, qu'on a tant de peine à imaginer dans certains milieux, on ne l'a jamais vécu, cet état normal d'une société responsable, décidée à s'administrer, à se développer et à progresser d'abord par elle-même, c'est-à-dire normalement, et non plus comme des coloniaux qui s'ignorent. A ce moment-là, sûrement, il faudra fournir sans délai à la population l'occasion d'approuver clairement, sans ambiguïté, le nouveau régime qu'elle aura à se donner.

Il y aura, selon toute possibilité, une assem-

blée constituante. De toute façon, très certainement, il y aura une constitution, laquelle, non moins certainement, devra être soumise, sans équivoque, par référendum ou autrement, à toute la population. Et c'est, je crois, ce que font tous les peuples civilisés dans le monde moderne.

De toute façon, comme on l'a dit, ce genre de souci devra occuper le comité de la constitution, si vraiment il doit siéger de nouveau. Et, sur ce cas précis, afin de bien prévoiries modalités de l'événement, j'en prendrai volontiers, pour ma part, la discussion avec le chef de l'Opposition et avec tous ceux qui s'intéressent à la façon dont le Québec pourra acquérir dignement et honorablement sa souveraineté, quand le jour viendra.

Maintenant, en terminant, très brièvement, je voudrais souligner deux autres aspects de ce projet de loi. Premièrement, il y a le cas des pensions, M. le Président. Ne commencez pas à sursauter, on a passé dans plusieurs détails aujourd'hui. Je voudrais en traiter de façon très générale et très brièvement. On en a parlé assez abondamment aujourd'hui, le chef de l'Opposition en particulier, et j'endosse forcément les calculs, puisqu'ils étaient, à toutes fins pratiques, des calculs actuariels qu'il a faits sur ces pensions. Les pensions qu'on offre, dans un certain article, dont j'ai oublié le numéro de toute façon.

Alors comme ça il n'y a pas de problème.

M. BERTRAND: Je vais vous le donner, c'est l'article 94.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je vous demanderais de rappeler le premier ministre à l'ordre. Il n'a pas le droit d'entrer dans les détails du bill.

M. BERTRAND: Alors, je retire mes paroles.

M. LEVESQUE (Laurier): Donc, premièrement il y a le problème des pensions. On va donner aux conseillers législatifs dans l'ensemble l'équivalent, je crois si j'ai bien lu la loi du maximum que la Loi de la Législature leur accorderait après toutes contributions possibles et imaginables, c'est-à-dire le plafond absolu de la pension, l'équivalent de leur indemnité, $10,000.

D'un point de vue acturiel si l'on tient compte des contributions qui ont été données — je ne parle pas des calculs qui pourront être approfondis sûrement si l'on doit les discuter en détails — que le chef de l'Opposition a dessinées devant la Chambre cet après-midi.

De toute façon, il apparaît clairement que c'est là une pension absolument excessive. Je crois que la démonstration qui a été faite cet après-midi donne aussi nettement l'impression qu'il s'agit d'une somme qui dépasse les bornes de l'équité aussi bien envers les conseillers que vis-à-vis de la population. Cela, c'est beaucoup plus grave.

Cette pension telle que présentée, c'est infiniment trop si l'on tient compte des contributions de plusieurs sinon de la plupart des conseillers et c'est infiniment trop aussi vis-à-vis de la loi elle-même puisqu'elle prévoit normalement que ça ne doit pas dépasser 75% des contributions qui ont été payées après un certain nombre d'années que plusieurs conseillers ne rejoignent pas. Ce qui veut dire que dans la plupart des cas au maximum les conseillers d'après la loi ne devraient pas recevoir beaucoup plus — et peut-être moins — que la moitié de la somme qu'on leur offre.

C'est beaucoup trop surtout face à l'ensemble de la société du Québec, face à la multitude qui est quand même la majorité chez nous des gagne-petits. Je n'ai pas envie de faire l'appel du pied à l'indignation populaire, c'est un fait brutal, à moins qu'il y ait des explications ex-traordinairement convaincantes. Vis-à-vis l'ensemble de la population du Québec, vis-à-vis des gens qui gagnent laborieusement leur vie, quand ils ont des pensions, ils les payent et au coton, c'est infiniment trop.

J'ajouterai que c'est terriblement trop aussi si l'on tient compte que — là je ne veux pas du tout ignorer la qualité du travail que certains des conseillers législatifs ont fourni — mais ne nous contons pas d'histoires, cela a toujours été une toute petite poignée de conseillers législatifs qui ont fait le travail de tout le monde. Le reste, c'était de la routine, à toutes fins pratiques, un automatisme d'approbation. En autant que je sache — j'ai été six ans dans le gouvernement et le premier ministre en sait autant que moi sûrement; il a été assez longtemps dans un gouvernement où on traitait avec cette autre Chambre — c'est combien: deux, trois, quatre conseillers législatifs? Ordinairement, deux, comme me le souligne de ses deux doigts le chef de l'Opposition, qui faisaient tout le travail.

Alors, si l'on tient compte de la fréquence et de l'intensité — après tout c'est une norme acceptable ça, en fait c'est le contraire qui est inacceptable — du travail fourni par l'ensemble de la deuxième Chambre qui va disparaître, je voudrais donner deux exemples récents. J'ai relevé les journaux de l'Assemblée législative pour les années 1966 et 1967. En autant que je sache — on me corrigera si je fais erreur — pendant les mois où le Parlement a siégé en 1966, le Conseil législatif a fourni un total pour

l'année de calendrier de onze journées de séance. Pour l'année de calendrier 1967 — c'était une année faste — on a dépassé la moyenne habituelle qui était, je crois, d'une vingtaine de jours et pas beaucoup davantage, et on a atteint trente séances.

Pour souligner le danger de cette pension excessive, vis-à-vis de ce travail dans l'ensemble pas tellement impressionnant, juste pour le souligner sans entrer dans le détail, je retrouvais... C'est une des seules feuilles que je retrouvais dans mon maigre dossier sur le Conseil législatif parce qu'on n'a pas des dossiers très substantiels là-dessus pour des raisons qui se passent d'explications.

Je retrouvais, en date du mois de mai 1968, un travail qui a été fourni au journal Le Devoir — Je demanderais à nos collègues de cette Chambre de le noter — par un étudiant en droit de Québec. Il donnait par exemple ce chiffre — il s'est donné la peine de le fouiller — à l'effet qu'en dix ans, le Conseil législatif avait coûté $3,500,000 au Québec. Pour les onze séances de l'année 1966, la dernière année où cet étudiant a fait ces calculs qu'il a publiés, il arrivait au coût de $288,000 directement payés aux conseillers, de $102,000 payés au personnel, pour le traitement des employés du conseil qui sont là pour les servir, et un peu plus de $7,000 pour les frais divers.

Un total d'exactement $397,000 pour onze séances. Je laisse aux membres de la Chambre le soin de faire les calculs, si on veut, sur le coût unitaire de ces séances.

J'ai noté que c'était un étudiant parce que, comme par hasard, j'ai lu aujourd'hui, dans un des magazines les plus sérieux des Etats-Unis, un jugement extrêmement rapide et extrêmement brutal sur un personnage de la vie publique américaine. C'est un sénateur américain qui a déjà été quelque peu jugé par l'opinion publique en fonction du manque de soins qu'il apporte à la dignité de son poste — je ne veux pas entrer dans les détails, alors, je tourne sans périphrase — un sénateur critiquable aux Etats-Unis, qui s'appelle le sénateur Dodd.

Dans la revue que je lisais, il y avait un petit passage extrêmement brutal concernant le sénateur Dodd. Voici ce passage, dont je me souviens en substance, mais que je ne peux pas donner mot à mot. Je crois qu'il ne manque pas d'une certaine éloquence et il y a des transpositions qu'il ne faudrait pas oublier de faire à l'occasion, chez nous. On y disait ceci; « II y a beaucoup de gens qui se demandent comment il se fait que, dans la jeunesse, on a tant de mépris pour un grand nombre des formes traditionnelles de l'autorité dans la société. Quelle est l'explication de ces contestations qui, très souvent, vont jusqu'à remettre en question les fondements mêmes de la société? Comment se fait-il que, dans les jeunes générations, de plus en plus, on a un mépris qu'on ne se donne même plus la peine de cacher, pour les institutions, pour les structures de la société et pour les hommes qu'on trouve dedans, et qui prétendent exercer l'autorité »? Le magazine répondait ceci: Une réponse incomplète, mais certainement pas fausse, pourrait être: « Le sénateur Dodd ».

Autrement dit, un trop grand nombre des gens qui exercent l'autorité ne donne-t-ils pas constamment, continuellement, ici comme ailleurs, cette éloquente impression qu'ils font exactement, et même dans leur vie publique, le contraire de ce qu'ils prêchent si vertueusement aux jeunes générations: Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que j'ai fait toute ma vie. A une époque comme la nôtre, ce n'est pas très convaincant.

Alors, pour en finir avec ce point des pensions de nos futurs ex-conseillers législatifs, j'espère que le premier ministre, qui est le parrain de ce projet de loi, donnera des explications convaincantes, je l'espère, sur l'obligation dans laquelle se trouvait le gouvernement de donner des pensions aussi extravagantes, exorbitantes, à première vue, enfin, selon toute apparence.

Je me permets d'espérer, de toute façon, que le gouvernement n'est pas allé jusqu'à céder à quelque forme de chantage que ce soit, si élégant qu'ait pu être ce chantage entre gens distingués. Le gouvernement aurait pu ou pourrait être ligoté par un engagement qu'il aurait pris, si cette Chambre, puisque le gouvernement y possède la majorité, ne peut pas changer le quantum de ces pensions, mais qu'on n'a pas de raisons convaincantes de les maintenir.

Alors, on me permettra de prier les honorables messieurs de l'autre Chambre, par pudeur, d'amender eux-mêmes — ils en ont le droit; ce serait leur dernier geste — cette partie-là de la loi et de réduire des pensions qu'ils ont pu, Jusqu'à un certain point, arriver à extorquer au gouvernement actuel, mais peut-être avant d'avoir réfléchi aux conséquences.

Autrement dit, Je les prierais d'éviter de partir en donnant à la population - en particulier, aux jeunes, à qui on prêche si souvent ce qu'on pratique si peu —un exemple terriblement voyant d'un appétit — surtout, chez beaucoup de messieurs qui, franchement, font plutôt partie du groupe rassasié de la société —un exemple terriblement voyant d'un appétit qu'on ne peut pas, jusqu'à preuve du contraire, qualifier autrement que de scandaleux.

Enfin, pour terminer, M. le Président, notre Parlement unicaméral, à la suite de l'adoption du bill 90, s'appellera désormais l'Assemblée nationale. Je me contenterai de dire, sans insister, que je trouve ça extrêmement élégant en français. Je ne peux m'empêcher de croire que c'est une trouvaille plutôt facile, qui risque, peut-être, de nous donner un petit air de singes parlementaires, mais ce n'est pas la singerie la plus désagréable qui nous soit arrivée dans notre histoire. Bon.

De toute façon, étant donné ce que je représente péniblement dans cette Chambre, dans ma solitude, en attendant que nous soyons plus nombreux, tout ce que je peux dire, moi, c'est que, par rapport à certaines justifications extraordi-nairement compliquées, à toute une série de distinctions entre la nation ethnique et la nation géographique — vu que ce problème-là, puis Dieu sait si ç'a été laborieux, je l'ai réglé, il y a quelque temps — ça ne me cause aucun malaise. Je trouve très bien, en attendant qu'on puisse se projeter dans un avenir différent, comme dirait le ministre des Affaires culturelles, qu'au moins on ait déjà les mots qui — peut-être plus qu'on le pense et peut-être bien plus que ne le pensent les apprentis-sorciers de l'autre côté qui ont accepté ces mots tout en les traduisant dans un anglais extraordinairement pittoresque — peuvent commencer sérieusement à nous habituer à l'espoir de la chose elle-même et de la réalité.

M. BERTRAND: Est-ce qu'il y en a d'autres?

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Chambly.

M. Pierre Laporte

M. LAPORTE: M. le Président, alors que nous étudions le bill 90, Loi concernant le Conseil législatif, je ne puis m'empêcher de vous suggérer de regarder le spectacle d'un gouvernement qui nous propose aujourd'hui, à la suite d'une volte-face extrêmement dispendieuse pour les contribuables de la province de Québec, ce qu'il a rejeté depuis au moins quatre ans en utilisant, pour y parvenir, tous les trucs que la procédure parlementaire mettait à sa disposition.

En 1965, alors que nous formions le gouvernement et que nous avons donné, peut-être pour la première fois dans toute l'histoire de la province de Québec, l'image d'une administration qui avait sérieusement le désir d'abolir le Conseil législatif, nous nous sommes heurtés à une majorité fidèle à l'Union Nationale au sein du Conseil législatif.

Après avoir refusé en 1965 ce qui avait été voté par cette Chambre, cette majorité semble disposée aujourd'hui à accepter une chose de beaucoup plus dramatique encore. Au mois de février 1965, le bill no 3 demandait au Conseil législatif de consentir à diminuer ses pouvoirs afin que soit respectée de façon plus intégrale la volonté de ceux qui sont les élus des citoyens. Refus.

M. DOZOIS: Vous ne vouliez pas l'abolir, cependant.

M.LAPORTE: Au mois de mai 1965, obligation pour le gouvernement...

M. LESAGE: Lisez le journal des Débats.

M. LAPORTE: ... afin d'atteindre l'objectif qu'il désirait...

M. DOZOIS: Nous allons le lire.

M. LAPORTE: ... de passer par le canal de Londres, du gouvernement britannique, pour tenter d'obtenir ce qu'il était impossible d'obtenir à cause du refus de la majorité des membres du Conseil législatif, majorité inspirée par les membres parlementaires de l'Union Nationale à l'Assemblée législative. Si nous avions, à ce moment-là, été unanimes pour abolir le Conseil législatif, nous aurions, en faisant en 1965 ce que nous faisons cette année, économisé plus d'un million de dollars aux citoyens de la province de Québec, c'est-à-dire que nous aurions atteint exactement les mêmes conclusions que celles que nous allons peut-être voter ce soir, mais trois ans plus tôt.

En 1966, projet de loi proposé par le chef de l'Opposition après que — le premier ministre l'a rappelé cet après-midi — les deux partis se furent engagés de façon claire à proposer l'abolition du Conseil législatif. Projet de loi qui a été à toutes fins pratiques écarté entre le 22 et le 28 février 1966, moment où — M. le Président, je vous le rappelle — ces antiroyalistes, ces autonomistes à tous crins, ce parti qui compte encore un nombre indéterminé de cryptoséparatistes a eu recours à la prérogative royale pour bloquer l'étude du bill sur l'abolition du Conseil législatif.

En 1967, même chose. Projet de loi simple, facile, qui nous aurait permis de nous défaire de cette Chambre dont apparemment personne ne veut plus. Mais on a encore une fois eu recours à la procédure pour éviter de l'étudier. Pendant que le parti de l'Union Nationale faisait mine, vis-à-vis de l'opinion publique, de vouloir la dis-

parition ou le remplacement du Conseil législatif, on y nommait quelques-unes des personnes qui ont exercé le plus d'autorité à l'intérieur du gouvernement: le conseiller financier no 1 de l'administration, M. Marcel Farlbault, et le ministre de l'Education, M. Jean-Guy Cardinal.

C'est cette façon que l'on a eue, à la fois de laisser croire à la population qu'on voulait se défaire du Conseil législatif et cette manière pratique de l'utiliser pour — ce qui ajoutait encore à la qualité du procédé — y nommer un des ministres les plus importants de l'administration qui, paraît-il, avait exigé de ne pas être élu par les citoyens pour un certain temps, afin de ne pas avoir à répondre de son administration quotidienne auprès des électeurs de son comté.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quand même! Il dépasse les bornes!

M. BERTRAND: Voyons!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vraiment, il a de l'imagination.

UNE VOIX: Cela, c'est une imagination fausse.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas très honnête.

M. BOUSQUET: Ce qu'il a dit est faux. M. BERTRAND: Continuez. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAPORTE: M. le Président, je dis que cette façon de jouer à la fois pour et contre, de ménager à la fois la chèvre et le chou, aura coûté aux citoyens de la province de Québec plus d'un million de dollars en outre de se faire conter des peurs, une fois de plus.

Aujourd'hui, on nous propose l'abolition du Conseil législatif. Nous en sommes, et tout de suite.

M. BOUSQUET: Cela aurait coûté moins cher si vous vous étiez aboli.

M. LAPORTE: J'ai entendu le député, M. le Président, et j'ai deux raisons pour ne pas lui répondre. Il n'est pas à son siège; et des réflexions aussi sottes ne méritent pas qu'on y réponde.

M. BOUSQUET: M. le Président, sur une question de privilège.

M. LAPORTE: C'est ça. Je lui permets de tenter d'établir qu'il n'est pas sot.

M. BOUSQUET: Le député de Chambly n'a pas le droit d'employer des mots comme ceux-la.

M. LESAGE: Comme quoi?

M. BOUSQUET: Nous avons tout un vocabulaire que nous pouvons utiliser à son endroit. S'il veut faire le salaud, nous sommes capables de le faire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je voudrais que l'honorable député de Saint-Hyacinthe retire l'expression « salaud » pendant que l'honorable député de Chambly, je pense bien, se prêtera de bonne grâce à retirer le mot « sot » ou « sotte ».

M. LAPORTE: Sans hésitation, M. le Président.

M. BOUSQUET: Sans hésitation, M. le Président.

M. LAPORTE: M. le Président, nous sommes pour l'abolition du Conseil législatif, parce que personnellement — et je crois refléter l'opinion officielle du partt libéral du Québec — je trouve qu'il est inutile. Il est inutile, parce que nous ne voyons pas la nécessité de faire sanctionner par une autre juridiction des décisions qui ont été prises dans cette Chambre.

Le gouvernement de l'Ontario n'a jamais eu de Conseil législatif et je ne sache pas que l'administration de l'Ontario s'en soit ressentie ou que ceci ait empêché cette province de devenir la province industrielle la plus avancée du Canada.

Les gouvernements du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse, de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de l'Ile-du-Prince-Edouard avaient des Conseils législatifs. Ils s'en sont défait entre 1871 et 1928, dans un cas au moins, après une bataille homérique contre ces messieurs de la Chambre haute.

Nous sommes opposés à la présence d'un Conseil législatif, parce que ceci grève inutilement les finances de la province de Québec. J'ai lu, sous la plume d'un chroniqueur qui a écrit, au mois de septembre 1962, des articles sur l'abolition possible du Conseil législatif, que l'on ne pouvait invoquer l'argument économique afin de faire disparaître le Conseil législatif qui ne coûtait pas grand-chose après tout. On vient d'établir qu'au cours des dix dernières

années il a coûté $3,500,000. Un recoupement rapide depuis 1867 établit à au moins $15 millions le coût de l'existence d'un organisme complètement inutile dans la province de Québec, le Conseil législatif.

Je ne sache pas que la province de Québec, avec les problèmes financiers qui sont et qui ont toujours été les siens, puisse aujourd'hui se vanter d'avoir investi, dans une chose qui n'était pas nécessaire, une somme certainement égale à $15 millions.

Nous sommes en faveur de l'abolition du Conseil législatif parce que c'est peut-être une des rares choses qui correspondent véritablement, et dans les deux partis politiques, au désir de la population. C'est un engagement qui avait été pris — je ne dirai pas conjointement, mais simultanément — et par l'Union Nationale et par le parti libéral du Québec. C'est une de ces choses chez nous, dans notre parti, qui ont suivi le processus démocratique jusqu'à la votation par un congrès plénier. Je m'en souviens parce que c'est de mon comté à moi, le comté de Chambly, qu'est venue la résolution votée par les militants du comté demandant l'abolition du Conseil législatif. Cette résolution a été votée au cours d'un congrès régional et référée au congrès plénier du parti où elle fut votée à l'unanimité de tous les délégués. C'était non seulement une promesse électorale, c'était l'engagement formel d'un parti politique.

On a prétendu que le Conseil législatif avait été créé particulièrement pour protéger les droits des minorités. Je vais poser deux questions: Quand les droits des minorités ont-ils été attaqués dans la province de Québec depuis 1867? Quand le Conseil législatif les a-t-il défendus, les droits des minorités? Surveiller nos lois, surveiller nos projets de loi? Je vais poser une autre question; Quand le Conseil législatif a-t-il modifié substantiellement des lois qui avaient été présentées par l'Assemblée législative? On peut énumérer, depuis 1867, une dizaine ou une douzaine de fois. On peut rappeler l'intervention « majeure » du Conseil législatif quand nous avons voté en cette Chambre une loi sur le commerce de l'alcool dans la province de Québec. Ces messieurs du Conseil législatif ont décidé de faire toute une tempête, évidemment pas dans un verre d'eau, et ont affirmé leur présence en modifiant...

M. GRENIER: Un verre de gin.

M. LAPORTE: ... une loi sur l'alcool qui avait été votée par les députés élus à l'Assemblée législative.

Nous avons raison collectivement de refuser de continuer, dans notre monde qui se démocratise de plus en plus, de refuser, dis-je, d'avoir dans notre système parlementaire une espèce de cour d'appel formée de membres qui ne sont comptables d'aucun de leurs gestes aux citoyens de la province de Québec. Je répète que cette Chambre, composée de gens qui sont personnellement fort sympathiques mais qui forment collectivement un organisme dont l'utilité n'a pas été établie — dont l'utilité a été si peu établie qu'il y a au moins six provinces qui se sont défaites de cet appendice qui, en 1968, au Canada est plus anachronique que jamais — nous aura quand même coûté $15 millions.

Abolition, d'accord. Mais à quelles conditions? La question que je pose au gouvernement est celle-ci: Est-ce que le premier ministre et son gouvernement veulent abolir le Conseil législatif ou l'acheter? Je dis que le projet du gouvernement, que nous acceptons en principe, coûtera beaucoup trop cher aux contribuables de la province de Québec. Je le dis de deux façons. Je le dis par comparaison à ce qui s'est fait dans les autres provinces quand elles ont aboli les Conseils législatifs,,

Deuxièmement, je dis coûtera beaucoup trop cher, par comparaison avec la pension que les conseillers législatifs, comme les députés en cette Chambre, ont gagnée par les prestations qu'ils ont payées depuis que la loi leur permet de contribuer à un fonds de retraite.

D'abord, par comparaison avec les autres provinces. Le 4 février 1876, le Manitoba abolissait le Conseil législatif. Il ne prévoyait aucune compensation pour les messieurs de la Chambre haute qui étaient remerciés de leur service.

M. BERTRAND: Est-ce qu'ils étalent payés?

M. LAPORTE: S'ils étaient payés, j'imagine qu'ils l'étaient, comme les députés. Tout ce que je sais, c'est que les vôtres vont l'être, et considérablement.

En 1891, au Nouveau-Brunswick, la loi ne leur donne aucune compensation mais leur laisse jusqu'à la fin de leur vie les dignités, les titres qui étaient les leurs. La loi qui a été sanctionnée le 16 avril 1891 dit que les conseillers législatifs « shall be entitled to retain for life the honors and dignities pertaining to such membership ». C'est la seule compensation qui leur a été donnée en 1891 par la province du Nouveau-Brunswick.

En 1893, dans l'Ile-du-Prince-Edouard, un petit projet de loi qui comportait à peine trois articles, qui traitent du Conseil législatif. Aucune rémunération, rien.

Plus près de nous, en 1928, la Nouvelle-Ecosse abolit le Conseil législatif. La loi est sanctionnée le 2 mai 1928, sans aucune rémunération, sans aucune caisse de retraite, rien du tout.

Inacceptable, la compensation de $10,000, si on la juge en regard du fonds de pension qui a été accumulé par les conseillers législatifs. On me permettra de ne pas donner de noms, mais de citer des chiffres. Le Conseiller législatif A a accumulé un fonds de pension de $7,862.85 et recevra $10,000. Le Conseiller B a accumulé un fonds de pension de $5,117.85 et recevra $10,000. Le Conseiller C a accumulé un fonds de pension de $3,737.85 et recevra $10,000. Le conseiller D a accumulé un fonds de pension de $3,467.85 et recevra $10,000. Le Conseiller E a accumulé un fonds de pension de $3,463.35 et recevra $10,000. Le Conseiller F a accumulé un fonds de pension de $3,462. et recevra $10,000.

En même temps que les députés de l'Assemblée législative, les conseillers législatifs ont été autorisés à souscrire à un fonds de retraite. Ils se sont tous prévalus de ce droit. Aujourd'hui, ils ont droit à une retraite proportionnelle au nombre d'années pour lesquelles ils ont payé, c'est-à-dire au nombre d'années où ils ont siégé au Conseil législatif.

Vous voulez savoir ce que ça représente, M. le Président? J'ai consulté un actuaire, afin d'établir des chiffres précis. Je lui ai demandé quelle était, en termes d'assurance, l'expectative de vie. On a établi que les conseillers, par ordre, et encore une fois, on me permettra de ne pas donner de noms, auront l'expectative de vie suivante après qu'ils auront quitté le Conseil législatif. 18 ans, 14 ans, 7 ans, 7 ans, 11 ans, 11 ans, 18 ans, 13 ans, 14 ans, 3 ans, 6 ans, 15 ans, 9 ans, 11 ans, 16 ans, 13 ans, 9 ans, 8 ans, 4 ans et cinq ans. Moyenne de onze années pour les vingt conseillers législatifs. Entre les chiffres que je vous ai donnés tout à l'heure, c'est-à-dire le chiffre exact de la pension auquelle ils auraient droit, ce qui est à eux parce qu'ils ont payé, et le plan de retraite de $10,000 par année qu'on leur propose, il y a une différence approximative de $90,000 par année. Si vous multipliez par l'expectative de vie de onze ans, vous avez $1 million qui sera payé par le gouvernement en plus de ce à quoi ces messieurs ont droit.

Si vous ajoutez à cela — ce qui est normal — que la veuve aura droit à 50% de la pension de son mari et que l'expectative de vie de la femme est supérieure de six ans à celle de l'homme, vous avez un autre $250,000. Je dis au gouvernement que le projet de loi qu'il nous pro- pose va coûter aux citoyens au delà de ce à quoi ces messieurs ont droit comme fonds de pension, au bas mot $1,500,000.

C'est ce qui m'amène à reposer la question au premier ministre: Est-ce que le gouvernement l'abolit le Conseil législatif, ou s'il l'achète?

Ce sont des réponses que nous attendons. Ce sont des réponses que tous les citoyens de la province de Québec attendent. Quand on est dans l'obligation d'imposer en deux ans $380 millions de taxes nouvelles — je ne discuterai pas de la nécessité de ces nouvelles taxes — on ne fait pas un cadeau de $1,500,000 à des gens qui n'auront plus à exercer le métier qui avait été le leur et qui de toute façon ont droit à une pension de retraite.

La population de la province de Québec attend des explications. Quand on a tergiversé pendant cinq mois en disant qu'il était impossible de toucher à certaine politique pour régler une grève parce que cela aurait coûté $785,000 et qu'on trouve $1,500,000.

M. DOZOIS: Je n'ai jamais dit ça.

M. LAPORTE: Vous ne l'avez pas dit, sûrement.

M. DOZOIS: On avait dit que cela coûterait $140 millions.

M. LAPORTE: M. le Président, j'excuse le ministre des Finances qui était absent, mais s'il veut relire ce qui s'est dit au comité, c'est le ministre délégué à la Fonction publique qui a dit que pour la RAQ, cela coûterait $785,000.

M. BERTRAND: Non, jamais de la vie.

M. DOZOIS: La prévision des dépenses donnait $140 millions.

M. LAPORTE: Cela, c'est de l'extrapolation politique du gouvernement.

M. BERTRAND: Jamais de la vie.

M. LAPORTE: Payée en plus de ça,en grandes annonces, aux frais des citoyens. Cela aussi le gouvernement devrait l'expliquer.

Voilà donc ce que l'on nous propose, en partant d'un principe excellent. Nous n'acceptons pas la manière.

Deuxièmement, on nous propose d'appeler notre Parlement l'Assemblée nationale. Personnellement la seule objection que j'y ai, c'est que je trouve que c'est un immense écran de fumée pour cacher le reste.

Si on nous avait proposé au lieu d'Assemblée nationale — quelle trouvaille extraordinaire — si on nous avait apporté un projet de loi pour la meubler cette Assemblée nationale, pour le meubler ce gouvernement qui est le nôtre. Si on nous avait apporté une loi, quel que soit son nom, pour rebâtir l'administration provinciale au niveau des ministères, si on nous avait apporté une loi pour véritablement nous mettre en route en matière de planification.

Si, dès cette année ou l'an dernier, comme on nous le promet, à chaque tournant de l'histoire de l'Union Nationale, on nous avait véritablement mis en route, dans le domaine de la recherche, si on avait décidé, cette année, d'entrer de façon audacieuse dans la seule voie qui soit la nôtre — si on veut que Québec survive en Amérique du Nord, et au Canada — il faudra faire notre entrée audacieuse, avec tous les cerveaux, toutes les dépenses que cela peut représenter dans le monde des ordinateurs et de la cybernétique — là, on aurait pu véritablement dire que nous étions à un tournant de notre histoire.

On a appelé ça l'Assemblée nationale!

Vous avez vu, entendu, quand on a déposé ce projet de loi, un tonnerre d'applaudissements. Cela me rappelait des échos de certains autres applaudissements, quand on a eu, pendant des années, un gouvernement qui a laissé la province de Québec stationnaire pendant que le reste de l'Amérique du Nord progressait. M. le Président, on nous a proposé à cette époque des choses qui n'étaient pas plus mauvaises, mais qui ralliaient l'enthousiasme des députés unionistes comme des drapeaux qui claquent au vent! On nous a proposé de rebaptiser Spencer Wood du nom de Bois-de-Coulonge. Cela fut un tonnerre d'applaudissements comme ceux que vous avez entendus, M. le Président, quand on a parlé de l'Assemblée nationale. On est même allé, dans le domaine de ce genre de folklore national, jusqu'à défendre, un jour, l'autonomie de la province de Québec, qui était menacée,... en faisant mettre des fleurs de lys sur la vaisselle du Café du Parlement.

Je me souviens de ces jours où toutes ces babioles nous étaient présentées comme des décisions majeures. C'est ce que je reproche à ce qu'on nous propose aujourd'hui. Nous aurons le même contenu, le même gouvernement qu'hier, la même procédure désuète dans cette assemblée qui est la nôtre. Le nom aura été changé. Au lieu d'avoir toutes les misères du monde, et vous avez toute ma sympathie, à maintenir l'ordre dans l'Assemblée législative, ce sera dans l'Assemblée nationale, M. le Président, mais vous aurez les mêmes problèmes, avec les mêmes gens, face aux mêmes limitations d'une procédure qui est dépassée depuis longtemps.

Je me souviens qu'un jour, j'étais allé faire un voyage. On était à bord d'un bateau qui nous paraissait assez peu capable de tenir la mer. Il s'appelait le Madeleine. Il avait été condamné par les assureurs. L'année suivante, le même bateau était de nouveau en service. Il avait changé de nom, il s'appelait le Lovat. Quant j'ai demandé aux gens ce qui avait été fait, ils ont dit: On n'a que changé le nom.

On est en train de nous faire le coup du Lovat, M. le Président, en appelant notre Parlement l'Assemblée nationale.

UNE VOIX: C'est une affaire de famille. M. LE PRESIDENT: A l'ordrel

M. LAPORTE: J'espère au moins qu'il ne sera pas assez sot pour nous embarquer dans des discussions qui ont fait si mal à son parti politique. Ah! je retire le mot sot. J'ai d'ailleurs dit qu'il ne le serait pas assez, M. le Président, ce n'était pas antiparlementaire.

M. le Président, je crains que nous ne commencions, avec le nouveau gouvernement, — puisque j'arrête l'histoire du gouvernement à celui qui est devenu premier ministre, c'est une tradition chez moi — je crains que nous ne soyons en train de revenir à l'autonomie verbeuse. On est allé à Ottawa et on s'est vanté d'être revenu les mains vides. L'appellation Assemblée nationale, cela remplit les mains d'un peuple!

M. BELLEMARE: ... les mains plus pleines. M. LE PRESIDENT: A l'ordre! UNE VOIX: Arrêtez donc de...

M. LAPORTE: L'important, ce n'est pas de nous donner des noms flamboyants, c'est de faire comme nous faisions dans notre temps, c'est d'aller donner à Ottawa le spectacle de la province la mieux préparée, la province la plus progressiste.

Vous n'avez qu'à vous rappeler, M. le Président, tout ce que nous avons gagné de 1960 à 1966 en matière d'autonomie provinciale, au point d'effrayer le reste du Canada et le gouvernement fédéral. Qu'on fasse le quart de la. moitié de cela dans le nouveau gouvernement et on n'aura pas besoin de nous appeler Assemblée nationale pour savoir que c'est notre bien à nous que nous sommes en train de développer.

Pendant toutes les années où on nous donnait

du Bois-de-Coulonge de préférence à Spencer Wood, pendant toutes les années où on se promenait sur toutes les tribunes de la province pour ameuter émotivement les citoyens, les Américains s'emparaient progressivement de nos richesses. Pendant ces mêmes années, nos écoles étaient les plus arriérées du continent alors même qu'on disait que l'éducation chez nous était parfaite. Notre économie était rétrograde. On l'a bien vu après. M. le Président, nous avions tous ces problèmes, mais tout cela disparaissait derrière un immense écran de fumée qui s'appelait l'autonomie verbeuse et les changements émotifs à certaines lois de lapro-vince de Québec.

Je mets le gouvernement actuel en garde contre ce crime qu'il pourrait de nouveau commettre contre le Québec. Je suis certain que la population n'acceptera pas de se faire jouer une deuxième fois la comédie des fleurs de lys sur la vaisselle du Café du Parlement! Quel sera le rôle de notre Assemblée nationale? C'est ça que nous voulons savoir,, Qu'elle s'appelle Assemblée nationale ou d'un autre nom, c'est sans importance, sauf pour quelques arriérés du nationalisme québécois.

Qu'est-ce que ça va nous apporter au point de vue de la recherche, encore une fois? Qu'est-ce que ça va nous apporter au point de vue économique? Qu'est-ce que ça va nous apporter cet hiver d'avoir une Assemblée nationale, au point de vue du chômage chez nous? Qu'est-ce que ça va nous apporter au point de vue de l'autonomie de la province de Québec, qui, elle, est une valeur réelle? Si on a l'impression qu'on va le défendre avec des mots aussi peu utiles que ceux-là...

M. MALTAIS (Limoilou): Le député ne devrait pas se fâcher.

M. LAPORTE: Le député n'est pas fâché du tout.

UNE VOIX: Non?

M. LESAGE: Le député est convaincant.

M. LAPORTE: Le député a même...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous injuriez sans vous en rendre compte.

M. LAPORTE: Mais vous, ce qui est pire, c'est que vous vous en rendez compte quand vous injuriez, et vous le faites quand même.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est que je suis conscient et que j'ai mes raisons.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je ne parle pas quand je suis dans tous les états.

M. LAPORTE: Mais même avec votre conscience et votre raison, ça ne vous mène pas très loin.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela ne m'amène pas à affirmer des absurdités comme vous venez de le faire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! M. LAPORTE: M. le Président...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Et à démentir votre chef...

M. LAPORTE: Alors, j'imagine... M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAPORTE: Oui, M. le Président, je n'imagine pas...

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Chambly.

M. LAPORTE: J'imagine, M. le Président, que le député de Chicoutimi va enfin nous gratifier, après mon intervention, de son premier discours à l'Assemblée législative depuis deux ans et demi. Nous serons tout oreilles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, une question de privilège. A maintes reprises, le député de Chambly a affirmé en cette Chambre que je n'ai jamais prononcé de discours, ce qui est faux. J'ai parlé toutes les fois qu'il s'est agi de défendre le ministère que je dirige. Laissez-moi vous dire toutefois que ce ne sont pas des discours démagogiques comme celui que nous entendons ce soir...

M. LESAGE: Ah! M. le Président, tout de même!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... qui constituent une contribution aux affaires de l'Etat.

M. LESAGE: Tout de même! M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAPORTE: Nous avons probablement, M. le Président, entendu les derniers propos du ministre sur ce bill. M. le Président, je vais

inviter le ministre à dire — il aura l'occasion de parler, il a droit à une heure — tout ce qu'il pourra dire avec « sa conscience et sa raison » pendant une heure.

Je l'invite, devant cette Chambre, en répondant directement aux questions que je vais lui poser, d'expliquer à cette Chambre le sens du commentaire qu'il a fait à la télévision de Radio-Canada à la suite du dépôt de ce projet de loi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous n'êtes pas très intelligent si vous n'avez pas compris.

M. LAPORTE: M. le Président...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je m'en rends compte.

M. LAPORTE: ... c'est parce que j'ai vraiment compris ce qu'il voulait dire, que je veux le lui faire répéter publiquement.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le règlement. Je ne peux pas parler plus publiquement que je l'ai fait,

M. LAPORTE: II invoque le règlement, M. le Président!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je l'ai dit devant des millions de téléspectateurs. Ces gens sont plus aptes à comprendre que ne le sont les gens d'ici.

M. LAPORTE: Vous verrez qu'une fois de plus, M. le Président, nous devrons rester sur notre appétit avec ce cher ministre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous avez un gros appétit, nous avons su cela.

M. LAPORTE: Comment?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous avez un très gros appétit.

M. LAPORTE: Oui, mais apparemment, nous n'avons pas le même genre d'appétit, monsieur.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous aviez besoin de vendre des tracteurs pour satisfaire votre appétit.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. LAPORTE: Nous n'avons pas l'appétit au même niveau, semble-t-il!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, parce que je n'ai jamais vendu de tracteurs pour vivre.

M. LAPORTE: Non, mais vous avez passé votre vie parlementaire à dire des insanités dans cette Chambre.

M. LE PRESIDENT: Je comprends que le dialogue est fort intéressant...

M. LAPORTE: Je ne dirais même pas cela!

M. LE PRESIDENT: ... mais le règlement veut que nous monologuions.

M. LAPORTE: Merci, M. le Président.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On fera la somme des malpropretés que vous avez écrites dans le Devoir.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! M. LAPORTE: M. le Président... Ah!...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Poursuivez! poursuivezl

M. LAPORTE: Poursuivezl

UNE VOIX: II est comme un feu follet.

M. LAPORTE: Oui, bien plus follet que feu...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avec la langue qu'il parle!

M. LAPORTE: M. le Président, vous remarquerez que chaque fois que je réussi à attaquer le gouvernement assez sérieusement, le premier qui se lève pour faire des interruptions absolument contraires au règlement, mais qui est toujours le dernier à se lever pour le défendre, c'est le député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le règlement, encore une fois, pour vous faire observer que nous avons entendu cet après-midi, sur le sujet de l'abolition du Conseil législatif, des discours extrêmement sensés et polis et que le seul discours grossier que nous entendions c'est celui de ce soir.

M. LAPORTE: M. le Président, je vous demande de faire retirer « grossier ».

M. LE PRESIDENT: Je demanderais à l'honorable ministre des Affaires culturelles de bien vouloir retirer le mot « grossier ».

M. TREM3LAY (Chicoutimi): M. le Président, je voudrais bien consentir à retirer le mot « grossier ». Je vais le faire parce que le règlement le demande.

M. LAPORTE: Mais vous n'en pensez pas moins.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais je n'en pense pas moins...

M. LAPORTE: D'accord.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... comme dirait le député de Chambly.

M. LAPORTE: D'accord. D'ailleurs, on sait...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est bien clair. D'ailleurs, je voudrais vous faire observer, M. le Président — puisqu'on a invoqué le règlement, je peux me permettre de le faire, moi aussi — que toutes les fois que je me suis levé dans cette Chambre, le député de Chambly a essayé de me ridiculiser et de ridiculiser la façon dont je parle. C'est le signe...

M., LAPORTE: Je ne sais pas quel signe c'est, mais apparemment, tout le monde s'en rend compte.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... qu'il s'exprime mal lui-même. Alors qu'il a été ministre de la Culture, cet être-là qui n'avait d'autre chose à faire que de salir les autres, quand il était journaliste, et qui n'a jamais trouvé mieux à faire après...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ...pour se faire bien voir que de vendre des tracteurs...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... au gouvernement qui l'a ramassé.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. LAPORTE: M. le Président, vous voyez encore une fois ce que nous pouvons attendre de ce nouveau ministre de la Culture. M. le Président, je vous inviterais — je ne dirai pas pour votre édification, parce que vous ne serez pas édifié — à relire dans le journal des Débats, encore une fois, quelles ont été, depuis juin 1966, les contributions de cet honorable ministre de la Culture au journal des Débats.

M. HAMEL: Le bill, le bill. M. LAPORTE: Le quoi? M. HAMEL: Le bill.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Qu'est-ce que cela donne des discours comme les vôtres?

M. LAPORTE: Comment? UNE VOIX: Oui, comment?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous prétendez qu'on paie trop les conseillers législatifs et vous faites perdre le temps de la Chambre à raison de tant de dollars l'heure.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! M. LAPORTE: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: Je pense que je me rendrai à l'invitation de l'honorable député de Chambly...

M. LAPORTE: Ne faites pas cela, vous en serez dégoûté, M. le Président!

M. LE PRESIDENT: Demain, je lirai le journal des Débats, mais, en attendant, j'aimerais entendre parler du bill 90.

M. LAPORTE: Là, je vous comprends. Alors, devant cette invitation pressante, M. le Président, je dis que ce projet de loi nous paraît acceptable, mais que la façon dont on nous le propose est difficilement acceptable, au moins quant à la somme d'argent que l'on veut donner aux conseillers législatifs comme pension. Enfin, l'Assemblée nationale, c'est encore de la poudre aux yeux; c'est une prime donnée par le gouvernement aux éléments les plus séparatistes du parti.

Avec le gouvernement actuel, nous serons de nouveau, avant longtemps, l'un des peuples les plus arriérés de l'Amérique du Nord. Notre économie en est actuelle ment la preuve. Nous allons maintenir, hélas, le record peu enviable que nous avons dans le domaine du chômage.

Pour ne pas enfreindre le règlement, M. le Président, j'éviterai de mentionner tous les domaines dans lesquels nous avons actuellement l'impression de marquer le pas. Mais, toutes ces choses qui actuellement nous paraissent faibles dans la province de Québec, tous ces domaines où nous avons cessé d'être des leaders ne vont pas cesser d'exister parce qu'on va changer le nom du Parlement dans lequel on ne règle

pas ces problèmes. Je dis, M. le Président, que ce sera une maigre consolation que de venir pleurer sur toutes ces choses dans une Assemblée nationale!

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre du Travail.

M. Maurice Bellemare

M. BELLEMARE: M. le Président, j'ai été fort surpris, comme peut-être plusieurs autres dans cette Chambre, d'entendre le discours que l'honorable député de Chambly a prononcé ce soir, dans des circonstances que je dirai bien particulières. Il ne nous avait pas habitués à ce genre de discours qui, à mon sens est une faible contribution au parlementarisme.

Je suis surpris, parce que je l'ai déjà vivement apprécié dans cette Chambre, dans certaines de ses interventions qui ont apporté sûrement une contribution fort remarquable à la vie parlementaire et particulièrement à cette Assemblée législative. Lorsque l'honorable député de Chambly relira ses propos, il lui manquera peut-être le ton de l'agressivité qu'il y a mis. D'ailleurs, je suis fort surpris, ce soir, d'avoir constaté cette agressivité. Il pouvait, dans des termes aussi forts, aussi éloquents peut-être, défendre une théorie ou une idée sans employer ce chariot d'épithètes malheureuses. Cela n'a pas été pour nous tous, je pense, son meilleur discours.

Puisque l'honorable député de Chambly a parlé de l'Assemblée nationale et que vous lui avez permis, pendant bien près de vingt minutes, de parler d'autonomie verbeuse de l'Union Nationale, je voudrais revenir sur quelques-unes de ses attaques et lui démontrer bien simplement où se trouvent et où ont été, pour la politique québécoise et pour le Parlement du Québec, ceux qui véritablement ont fait de la politique verbeuse avec le mot autonomie ou au point de vue des relations fédérales-provinciales.

D'abord, je voudrais féliciter l'honorable député de Gouin qui, lui, s'est dissocié de son chef cet après-midi et a dit que l'Assemblée nationale, c'était une tradition et surtout que ça démontrait que nous étions un peuple...

M. MICHAUD: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. BELLEMARE: Je pensais que vous étiez dans Bagot.

M. MICHAUD: Vous permettez que j'invoque le règlement? M. le Président, en aucun mo- ment au cours de mes propos, je n'ai dit que je me dissociais du chef de l'Opposition. Je prie le ministre du Travail de bien vouloir prendre note de cette rectification et de retirer ses paroles, parce que je n'ai pas dit ça au cours de mon intervention. Je crois bien qu'à la lecture du journal des Débats le ministre se rendra compte que je n'ai pas fait telle chose et qu'il me prête des intentions.

M. BELLEMARE: M. le Président, je ne me permettrai plus jamais de féliciter l'honorable député.

M. MICHAUD: Si j'embrasse mon rival, c'est pour mieux l'étouffer.

M. BELLEMARE: Pardon?

M. MICHAUD: Vous connaissez le proverbe? « Si j'embrasse mon rival, c'est pour mieux l'étouffer ». Ne me félicitez pas.

M. BELLEMARE: J'aurais de la misère à vous embrasser.

M. MICHAUD: Et moi de vous rendre vos embrassades.

M. BELLEMARE: Vous m'embarrassez davantage des fois.

M. MICHAUD: J'en suis fort aise.

M. BELLEMARE: Pour le député de Gouin, l'Assemblée nationale revêt un caractère particulier pour notre tradition et notre peuple. Il l'a démontré, cet après-midi, avec des arguments qui ont sûrement convaincu l'honorable chef de l'Opposition.

M. BERTRAND: Et le député de Chambly. M. MICHAUD: Et le ministre du Travail.

M. BELLEMARE: Pourquoi cette attaque, ce soir, à fond de train, sur le mot « national » et relier à ce mot toute la politique d'autonomie de la province? N'a-t-on pas eu dans cette province il y a déjà quelques années, un homme qui occupait un rang important à la Législature provinciale puisqu'il était le chef de l'Opposition libérale et qui, dans un grand geste, lui aussi, comme l'a fait ce soir l'honorable député de Chambly, a dit, avec exubérance: Qu'est-ce que ça mange l'autonomie provinciale l'hiver? Ce soir, l'honorable député de Chambly a pris presque les mêmes expressions, les mêmes mots,

11 a été peut-être plus discret quant aux termes. Il a dit: Qu'est-ce que ça mange l'autonomie, cet hiver?

M. LAPORTE: Je n'ai pas dit la même chose. J'ai dit ça, moi?

M. BELLEMARE: Oui. Qu'est-ce que ça va donner demain l'autonomie? Le mot « national »? Et reliant ça aux mots Assemblée nationale, il a dit: C'est de l'autonomie pure et simple, comme l'ancien gouvernement, puisque c'est une tradition de parler du gouvernement d'aujourd'hui avec son nouveau premier ministre, de l'autonomie verbeuse. C'est la répétition, disait-il, de cette autonomie verbeuse. S'il n'y avait pas eu dans cette province un homme remarquable, qui, par son attitude courageuse contre certains centralisateurs d'Ottawa, dont faisait partie le chef de l'Opposition d'aujourd'hui, pour justement barrer le chemin à ceux qui voulaient, dans le Québec et dans le Canada tout entier, faire de la province une province comme les autres, où serait aujourd'hui le respect de l'autonomie provinciale et des droits que nous avons véritablement acquis et défendus? Autonomie verbeuse...

M. MICHAUD: Oui.

M. BELLEMARE: ... quand vous avez vu dans cette Chambre un ancien premier ministre libéral qui, par une simple lettre, a vendu les droits de l'impôt sur le revenu, les droits de l'incorporation et les droits de succession au gouvernement fédéral! Aujourd'hui, on revient les mains vides?

M. MICHAUD: A l'ordre!

M. BELLEMARE: On nous a volé et on ne nous remet pas ce qui nous appartient,,

M. LAPORTE: Appelez la police!

M. BELLEMARE: On revient d'Ottawa les mains vides. Pas seulement le Québec.

M. MICHAUD: Mais nettes.

M. BELLEMARE: L'Ontario, grande province industrielle qui prétend qu'à son budget 69-70, il manquera $600 millions. La Colombie-Britannique, une province extrêmement riche, 1'Alberta qui connaît des déficits d'administration. Et cela, c'est sortir seul, les mains vides d'une conférence fédérale-provinciale. C'est de même qu'on analyse le geste posé par les dix provinces contre un pouvoir envahisseur dictatorial. Nous sommes sortis, oui, les mains vides, nettes et libres des gens d'Ottawa. Nous ne nous sommes pas mis à genoux devant ces centralisateurs.

C'est de l'autonomie verbeuse que de répondre à certaines personnes qui ont l'autorité dans ce pays, qui nous traitent avec une indifférence inqualifiable? Ils nous disent — et cela a été cité dans tous les journaux; Vous vous taxerez si vous voulez payer vos déficits.

Nous sommes obligés dans la province de Québec, et dans les autres provinces du Canada, à cause de deux grands facteurs, économique et social, celui de l'inflation et celui du chômage, de faire une guerre à mort aujourd'hui, toutes liées ensemble contre un pouvoir qui, lui, du haut de sa grandeur a de l'argent à gaspiller et à lancer par les fenêtres, partout dans des juridictions qui ne lui appartiennent pas.

Et c'est cela que ces honorables messieurs disent par la voix du ministre des Finances, M. Benson: Pas un sou. Et nous resterions indifférents? Est-ce que je dois croire ce soir que mes honorables amis d'en face sont prêts à les suivre, eux les centralisateurs d'Ottawa, ou s'ils sont prêts, comme nous, s'ils veulent véritablement suivre la politique de l'autonomie, pas verbeuse mais traduite dans des actes, faire une motion pour approuver le gouvernement et tous les gouvernements du Canada dans les interventions qu'ils font présentement contre un gouvernement arrogant, dominateur, qui a de l'argent à lancer partout pour toutes sortes de chantiers.

Autonomie verbeuse, l'Assemblée nationale? Je suis fier d'être un membre de l'Union nationale qui a défendu l'autonomie par des gestes positifs. On le reconnaît aujourd'hui. C'est M. Lapalme qui, dernièrement, le disait à la télévision. On reconnaît que M. Duplessis a été véritablement un frein à cette centralisation.

Si M. Duplessis n'avait pas été là pour représenter un jour tous les intérêts de toutes les minorités et de toutes les provinces, que serait-il arrivé dans le Canada? Exactement ce qui serait arrivé, si nous n'avions pas été dans l'Opposition, lorsque nous avons fait une bataille contre le gouvernement d'en face qui, par son chef, avait reconnu dans un caucus la formule Fulton-Favreau.

Elle a été désamorcée, cette politique de centralisation...

M. LESAGE: M. le Président, j'invoque mon privilège de député. Je demanderai au ministre du Travail de bien vouloir tenir compte des

discours que j'ai prononcés en cette Chambre en février et en mai 1965, des faits que j'ai relatés en cette Chambre cet après-midi, et de bien vouloir tenter, pour une fois, de s'en tenir à la vérité et de cesser d'errer dans le domaine de la fantaisie pure, de la fantaisie et du mensonge.

M. BELLEMARE: M. le Président, je sais que vous allez faire retirer ça à l'honorable chef de l'Opposition.

M. LESAGE: M. le Président, j'ai dit qu'il serait bon que le ministre cesse d'errer dans le domaine de la fantaisie et du mensonge.

M. BELLEMARE: M. le Président, cela, vous allez le retirer.

M. LESAGE: Je changerai avec plaisir le mot mensonge pour le mot erreur. Ce n'est pas de ma faute, s'il ne comprend pas.

M. BELLEMARE: M. le Président, lorsque le chef de l'Opposition se sent dans de mauvais draps, dans une mauvaise position, là, il n'y a plus d'arguments possibles, c'est l'insulte.

M. LESAGE: Oh, je ne l'ai pas insulté. Je lui al demandé de s'en tenir à la vérité.

M. BELLEMARE: M. le Président, je ne voudrais pas...

M. PROULX: C'est lui qui parle de la vérité.

M. BELLEMARE: ... ici, ce soir, vous relire toutes les insultes que cet homme-là a lancées en Chambre contre M. Johnson, quand il sentait son argument lui échapper. Il en a de bonnes. « M. Johnson est un fou », etc.

M. LAPORTE: M. le Président, si on veut publier un recueil d'Injures, je voudrais bien qu'on me réserve un chapitre pour mettre celles de nos amis d'en face. Nous feilons peut-être aussi bien de revenir aux débats.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous, ce sera un dictionnaire.

M. LESAGE: Je vais retirer le mot mensonge pour parler d'erreur, M. le Président.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous l'avez insulté auparavant.

M. LESAGE : Je lui ai demandé de s'en tenir à la vérité.

M. BELLEMARE: II a ajouté, M. le Président, que le député de Champlain n'en faisait jamais d'autres et qu'il ne comprenait rien.

M. LESAGE: J'ai retiré...

M. BELLEMARE: M. le Président, je le lirai un jour, ce document. On verra comment...

M. LAPORTE: Bien oui.

M. BELLEMARE: ... un débat peut être gâché...

M. LESAGE: Cela va aider.

M. BELLEMARE: ... par une intervention inopportune. J'ai entendu tout à l'heure...

M. LESAGE: Est-ce que le ministre du Travail s'est entendu tout à l'heure?

M. BELLEMARE: ... l'honorable député de Chambly de mon siège pendant quarante minutes sans dire un seul mot, pas un mot. J'espère bien, M. le Président, que vous allez me donner l'avantage de faire mon discours sans être continuellement interrompu.

Il y a des choses que je n'ai pas aimées dans le discours du député. J'aurais pu bondir, mais, maintenant que je suis à faire mon discours, je demanderais qu'on respecte les articles de notre règlement qui veulent qu'aucun député n'ait le droit de parole dans cette Chambre, à moins de demander à l'opinant s'il lui permet une intervention.

M. LESAGE: Sauf pour une question de privilège ou de règlement.

M. BELLEMARE: Les articles 286 et 193.

M. le Président, pour ne pas me laisser distraire de mon argumentation, je disais donc que ces honorables messieurs les libéraux ont toujours été pour la centralisation. On les a dépeints, pendant toute l'histoire du Canada et Ici, dans la province de Québec, comme des centralisateurs.

Il y a eu, un jour, un monsieur Taschereau, premier ministre de la province, qui, devant le pouvoir envahisseur de certains gens d'Ottawa, a résisté. Mais, depuis ce temps-là, d'autres libéraux se sont produits dans cette province. Quelle a été leur attitude vis-à-vis des gens d'Ottawa en regard de l'autonomie provinciale? Une politique de lâchage, une politique d'abandon, une politique où l'on pouvait discerner les traits caractéristiques de la trahison en faveur d'un gouvernement qui aurait été semblable et parent à Ottawa.

M. le Président, quelques arrières nationalistes du Québec pourront peut-être, disait le député de Chambly, être contents de cette miette qu'on leur lancera: l'Assemblée nationale. Qu'il prenne garde! Dans la province de Québec, il y a autre chose que des nationalistes. Il y a aussi de véritables patriotes qui aiment leur province et qui sont prêts à la défendre, eux aussi, par des moyens légaux, par des représentations dans des conférences. Cependant, nous ne sommes pas prêts à sacrifier un iota de ce qui appartient en propre à la province de Québec.

L'honorable député de Chambly disait; Faites au moins, un demi, un quart de ce que nous avons fait et nous serons bien heureux. M. le Président, qu'ont-ils fait, ces honorables messieurs?

Ils ont travaillé avec des statisticiens, avec des technocrates pour aller à Ottawa récupérer ce que monsieur le chef de l'Opposition, membre d'un cabinet fédéral, nous avait enlevé.

UNE VOIX: Cela, c'est vrai.

M. BELLEMARE: Et ils sont contents de dire: Nous avons travaillé pour obtenir ce que le chef de l'Opposition avait voulu nous enlever...

M. LESAGE: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. GRENIER: L'histoire a ses bons côtés. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESAGE: Si j'avais cru qu'il était permis de discuter de la question de la division des pouvoirs entre le fédéral et le provincial sur le projet de loi qui est à l'étude, je l'aurais fait avec plaisir, et le ministre du Travail aurait pu me répondre sur ce point. Mais je crois qu'il n'est pas dans l'ordre d'en discuter, d'autant plus que je ne pourrais pas répondre. Ce n'est pas dans l'ordre, et j'ai épuisé mon droit de parole, convaincu que ce n'était pas dans l'ordre d'en parler.

M. LE PRESIDENT: C'est que j'ai permis à l'honorable député de Chambly d'aborder ce problème. Je ne cache pas aux membres de cette Chambre que je l'ai fait avec hésitation et après y avoir mûrement réfléchi. Mais maintenant que la porte est ouverte — je dirai peut-être heureusement ou malheureusement — les gens peuvent entrer quatre par quatre.

M. LESAGE: Mais voyez-vous la situation dans laquelle il me place?

M. LE PRESIDENT: La porte a été ouverte par l'honorable député et en toute conscience, j'ai cru qu'il pouvait aborder ce problème parce qu'il se reliait au mot national. Il l'a fait, j'en conviens, d'une façon très habile, mais maintenant il faut convenir que la porte est ouverte et qu'il faut que j'accorde la même mesure aux autres opinants.

M. BELLEMARE: Vous avez parfaitement raison, la porte est ouverte. M. le Président, de la « totonomie », qu'est-ce que ça mange l'hiver? Cinq pour cent, disait le député de Louis-Hébert à Ottawa, c'est assez pour Québec. Ah! la queue du chat, c'était un des gros arguments de son Intervention cet après-midi-là! Et il défendait la thèse fédéraliste avec toute l'énergie qu'on lui connaît. Mais la province de Québec, à ce moment-là, a rencontré sur son chemin, un M. Saint-Laurent qui, lui a accordé bien plus que les 5% qui, selon un député fédéral du Québec, étaient suffisants pour la province de Québec. M. Saint-Laurent, lui, a dit: Non, 10%.

M. LESAGE: J'étais ministre à ce moment-là. J'étais solidaire de la décision de M. Saint-Laurent.

M. BELLEMARE: L'autonomie tâtonneuse. L'autonomie lâchée par les libéraux et essayée sous un nouveau manteau pour essayer de se trouver dans une nouvelle peau...

M. LESAGE: Va-t-on faire le procès des conférences fédérales-provinciales, M. le Président?

M. BELLEMARE: ... en parlant d'abord du statut particulier, et en l'abandonnant, lors de leur dernier congrès. Où est-elle, leur autonomie? M. le Président, si vous me le permettez, juste un instant. Lorsque l'honorable député de Chambly a dit: Je ne comprends pas comment il se fait que l'Union Nationale ait nommé deux membres au Conseil législatif, MM. Faribault et Cardinal, quand on parle...

M.LAPORTE: C'est vrai.

M. BELLEMARE: ... surtout de l'abolir. On avait cela dans notre programme, dit aussi le député de Chambly. En 1960, dans le parti libéral, on disait: Abolition du Conseil législatif. D'ailleurs, cela était fait bien avant eux, par

MM. Joly, Mercier et Marchand, du parti libéral. En 1962, abolition du conseil. En 1963, nomination de M. Dupré, ancien député libéral de Verchères.

M. LAPORTE: Oui, monsieur.

M. BELLEMARE: Abolition du conseil.

M. LAPORTE: II s'était engagé à voter pour l'abolition dès qu'elle serait proposée.

M. BELLEMARE: Abolition, dans notre programme électoral, du Conseil législatif. Le 12...

M. LAPORTE: Non, non. Il est dix heures. M. LESAGE: II est dix heures.

M. BELLEMARE: Le 12 août 1964, nomination de George O'Reilly.

M. LESAGE: Oui. Il s'est engagé à abolir le conseil.

M. BELLEMARE: Mais, le 25 novembre 1964, nomination de Lionel Bertrand, ancien ministre libéral, à la Chambre haute. C'est cela, la conviction de ceux qui viennent nous dire qu'ils sont en faveur...

M. MICHAUD: Le dozo...

M. BELLEMARE: Deux faces, deux visages, deux programmes, deux philosophies.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! On me signale qu'il est dix heures.

M. BELLEMARE: M. le Président, j'ai l'honneur de vous demander l'ajournement du débat. Demain mercredi, c'est la journée des députés. S'il y avait consentement unanime, nous pourrions peut-être continuer l'étude du bill 90.

M. LESAGE: Non.

M. BELLEMARE: Non?

M. LAPORTE: On sait bien que le député d'Outremont prépare...

M. BELLEMARE: Très bien.

M. LAPORTE: ... une intervention...

M. BELLEMARE: Seulement, j'avertis le chef de l'Opposition que cela aurait été proba- blement un moyen de passer plus vite à travers les travaux de la Chambre.

M. LESAGE: Je comprends, mais simplement demain, c'est la journée des députés.

M. BELLEMARE: Je comprends que, ce soir, il est choqué...

M. LESAGE: Le député d'Outremont s'est préparé depuis longtemps à plaider sa motion.

M. BELLEMARE: Si c'était vrai qu'il était préparé depuis longtemps, il aurait pu commencer à 5 h 10, la semaine dernière, quand on le lui a demandé.

M. LAPORTE: M. le Président, on n'a pas besoin de se fâcher. Disons que si, demain, on peut terminer l'étude de la motion du député d'Outremont, on ne prendra pas d'autres motions. On continuera l'étude du projet de loi.

M. BELLEMARE: C'est très gentil, je vous remercie.

M. LESAGE: Nous continuerons d'écouter le ministre du Travail.

M. LAPORTE: N'ajoutez rien, ça va bien.

M. BELLEMARE: Est-ce que ça vous déplaît tant que ça de m'écouter?

M. LESAGE: Pardon? Mais non.

M. BELLEMARE: Moi non plus, parce que, parfois, j'ai de drôles de réactions que je ne vous fais pas voir.

M. LESAGE: M. le Président, fail'impres-sion que, lorsque j'ai participé au débat cet après-midi, je l'ai fait d'une façon sérieuse et sereine. Je ne vois pas pourquoi je me ferais engueuler par le ministre du Travail.

M. BELLEMARE: Le mot « engueuler », d'abord, ce n'est pas parlementaire.

M. LESAGE: C'est ce que le ministre du Travail a fait

M. BELLEMARE: Je ne pense pas. Je peux à peu près dire, comme le député de Chambly: Si...

M. MICHAUD: C'est très parlementaire.

M. BELLEMARE: ... ma voix est plus forte, c'est que mes convictions sont plus profondes.

M. LAPORTE: Alors, il y a des fois où on est fort convaincu.

M. MICHAUD: C'est un phénomène...

M. BELLEMARE: M. le Président, je vous demande l'ajournement de la Chambre à demain, trois heures. Nous aurons, d'abord, la motion de l'honorable député d'Outremont et, ensuite, si la Chambre y consent, nous revien- drons au bill 90 pour, demain soir, prendre l'étude, s'il y a moyen, des bills concernant les municipalités, soit 285 et 286.

M. LAPORTE: Demain soir?

M. BELLEMARE: C'est vrai, demain soir, on ne siège pas. Jeudi matin.

M. LE PRESIDENT: La Chambre s'ajourne à demain après-midi, trois heures.

(22 h 2)

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