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(Quinze heures cinq minutes)
M. LEBEL (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre,
messieurs!
Présentation de pétitions. Lecture et réception de
pétitions. Présentation de rapports de comités
élus. Présentation de motions non annoncées.
Présentation de bills privés. Présentation de bills
publics. Affaires du jour.
L'honorable premier ministre.
M. Jean-Jacques Bertrand
Mise au point Manifestations étudiantes
M. BERTRAND: M. le Président, hier j'ai parlé des
enseignants en général lorsque j'ai fait une déclaration.
Je crois qu'il serait juste de dire: certains enseignants, tant au niveau
secondaire qu'au niveau du CEGEP et, on peut le dire, au niveau universitaire.
Les renseignements que j'ai, également, sont à l'effet que, dans
l'ensemble, les enseignants remplissent leur rôle. Malheureusement pour
eux, comme dans d'autres domaines, le petit nombre nous donne l'impression que
tous sont dans le même bateau. Je crois qu'il est bon de rétablir
la vérité et de dire qu'il s'agit de certains d'entre eux.
M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.
M. Jean Lesage
M. LESAGE: M. le Président, je dis que, pour ma part, c'est de
cette façon que j'avais interprété les paroles du premier
ministre.
M. BERTRAND: C'est dans ce sens-là que je le disais,
d'ailleurs.
M. LESAGE: C'est d'ailleurs comme ça que je l'ai
interprété.
M. Emilien Lafrance
M. LAFRANCE: M. le Président, j'ai une question à adresser
au ministre de l'Education mais avant, je voudrais compléter ce que
vient de dire le premier ministre. Ce matin, j'ai pu visiter deux écoles
secondaires oft tous les professeurs étalent à leur poste. Dans
une école en particulier, 81 professeurs étaient à leur
poste. Je suis heureux de la distinction que vient de faire le premier
ministre. Il ne s'agissait pas « des professeurs » mais « de
professeurs ».
Pour bien situer ma question, ce matin J'ai reçu un défi
de la part des étudiants qui occupent le CEGEP de Limoilou. Je me suis
rendu les rencontrer durant deux heures et ils ont émis un voeu que je
voudrais transmettre à la Chambre. Ils ont invité le ministre de
l'Education ou le député du comté, qui est le ministre des
Institutions financières, à aller les rencontrer.
M. le Président, je dois dire que tout se fait dans l'ordre,
qu'ils m'ont écouté de façon religieuse et que c'est la
grande expérience de ma vie. Je crois qu'on devrait davantage dialoguer
avec les jeunes.
M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Finances.
Déclaration ministérielle Emission
d'obligations
M. BEAULIEU: M. le Président, une déclaration. Le
gouvernement vient de négocier au Canada un emprunt de $50 millions
d'obligations du Québec. Cette nouvelle émission d'obligations,
datée du 1er décembre 1969, écherra le 15 novembre 1975,
porte intérêt au taux de 8 3/4% et est offerte en vente au public
à $99.31 pour $100, valeur nominale de l'obligation.
Les obligations échéant en 1975 seront échangeables
au gré du détenteur entre le 15 novembre 1974 et le 15 mal 1975
contre une même valeur nominale d'obligations à 8 3/4%
échéant le 15 novembre 1981.
Les obligations échéant en 1975 ainsi que celles
échéant en 1981 ne seront pas rachetables avant leur
échéance respective. Les obligations échéant en
1981 seront échangeables au gré du détenteur, entre le 15
novembre 1980 et le 15 mai 1981, contre une même valeur nominale
d'obligation, à fonds d'amortissement, 8 1/2%, échéant le
15 novembre 1989. Les obligations échéant en 1989 seront
rachetables au pair à compter du 15 novembre 1988. Le rendement a
l'acheteur qui détiendra ces obligations pendant le premier terme de six
ans sera de 8.90%. Il sera de 8.85%, si les obligations échangées
sont détenues jusqu'en 1981, et de 8.77%, si elles sont détenues
pendant le terme total de vingt ans. Des intérêts seront payables
semestriellement, les 15 mai et 15 novembre
de chaque année. Le premier coupon d'intérêt des
obligations échéant en 1975 sera en paiement des
intérêts pour une période de cinq mois et demi.
La province déposera, chaque année, dans un fonds
d'amortissement, de 1982 à 1988, une somme égale à 1% des
obligations alors en cours échéant en 1989. Cette émission
d'obligation a été achetée par un syndicat dirigé
par les banques et courtiers suivants; Banque de Montréal, J. L.
Lévesque et L. G. Beaubien Ltée, A.E. Ames à Co. et la
banque Provinciale du Canada.
M. LESAGE: M. le Président, deux questions. Je comprends que le
rendement à l'acheteur pour le premier terme de l'émission sera
de 8.90%...
M. BEAULIEU: Oui, M. le Président
M. LESAGE: Quel est le coût à la province en
intérêts? 9 point quoi?
M. BEAULIEU: Je n'ai pas le calcul ici. C'est la commission usuelle que
nous payons...
M. LESAGE: Oui, mais c'est le coût. Il faut ajouter le coût
de l'émission et le répartir, n'est-ce pas?
M. BEAULIEU: Je pourrais faire le calcul et vous le donner.
M. LESAGE: Oui, alors c'est plus de 9%, en fait.
Maintenant, est-ce que la Caisse de dépôts et de placement
doit acheter un bloc d'obligations?
M. BEAULIEU: Oui, la Caisse de dépôts et de placement doit
acheter un bloc d'environ $25 millions.
M. LESAGE: Vingt-cinq millions de dollars. Alors 50%?
M. BEAULIEU: Oui.
M. BOURASSA: Je comprends que la province a réussi à
négocier un emprunt sur le marché canadien, à un
coût inférieur à 9%. Mais est-ce que le ministre pourrait
nous dire si cela demeure le taux le plus élevé payé par
la province sur le marché canadien?
M. BEAULIEU: Je n'ai pas vérifié tous les emprunts dans le
passé, mais cela demeure un des emprunts les plus dispendieux, il n'y a
aucun doute.
M. LE PRESIDENT: Affaires du jour. M. BERTRAND: Article 4.
Bill 63 Deuxième lecture
M. LE PRESIDENT: Reprise du débat sur la motion de
deuxième lecture du bill 63. L'honorable premier ministre.
M. Jean-Jacques Bertrand
M. BERTRAND: M. le Président, on sait que, sur une question comme
celle-ci, ce ne sont pas toujours les opinions les plus nuancées et les
plus réfléchies qui sont les plus promptes à
s'exprimer.
Rien n'est alors plus facile que, sur un sujet comme celui que je suis
appelé à traiter, de provoquer des réactions
émotives et de les exploiter à des fins démagogiques.
Je tiens, dès le début, à remercier le ministre de
l'Education et tous mes collègues du cabinet, tous mes collègues
députés qui ont, avec moi avec soin disons-le, et nous
prétendons également, sans, je crois, qu'il soit besoin de
l'afficher, avec patriotisme travaillé à la
préparation du projet de loi qui est soumis à l'attention de la
Chambre et également d'un autre qui suivra sur l'organisation scolaire
de l'île de Montréal.
Je crois de mon devoir d'indiquer, au sujet de ce deuxième
projet, immédiatement, quelle en sera l'orientation
générale. Ce projet concernant l'organisation scolaire sur
l'île de Montréal reprendrait, pour l'essentiel, les
recommandations de la commission Parent et se situerait dans les lignes de
l'économie générale de la Loi du conseil supérieur
de l'éducation. Les commissions scolaires qui seraient établies
sur le territoire de l'île de Montréal seraient des commissions
scolaires communes, multiconfessionnelles, du point de vue de leurs structures,
tout comme le serait le Conseil scolaire et, d'ailleurs, tout comme l'est le
ministère de l'Education lui-même. C'est au niveau de
l'école que seraient respectées les exigences de l'enseignement
confessionnel selon les voeux des parents dont c'est la responsabilité
d'ailleurs. Chaque commission scolaire devrait organiser, conformément
aux règlements, des comités catholique et protestant, du Conseil
supérieur de l'éducation, des
écoles catholiques, des écoles protestantes et des
écoles autres que catholiques ou protestantes.
Ce projet de loi qui est annoncé au feuilleton aurait
été déposé, n'eût été de la
besogne que nous avons dû abattre lors de la préparation du projet
de loi concernant le problème de Chambly. Mais je suis en état
d'assurer la Chambre qu'il sera très probablement déposé
en première lecture dès mardi prochain.
M. le Président, ce sont deux projets de loi, celui-ci et l'autre
qui suivra, qui porteront l'empreinte du ministre de l'Education, et ces deux
lois sont des pierres d'assise du Québec de demain.
Certains qui ont commencé à combattre la présente
mesure, le projet de loi 63, avant même que le cabinet ait
décidé de son contenu, ont prétendu que nous trahissions
nos promesses en matière linguistique. Je dois, en conséquence,
rappeler ce que disait notre programme de 1966, non pas pour politiser un
débat qui doit se situer bien au-delà des considérations
partisanes mais pour rétablir la vérité. Voici
textuellement ce que disait notre programme: « L'Union Nationale
reconnaît l'existence des deux langues officielles. Toutefois, au
Québec il s'agit de mettre en valeur un héritage culturel dans
des conditions particulièrement difficiles. Il faut donc conférer
au français, langue de la majorité de la population, le rang et
le prestige d'une véritable langue nationale ». On retrouve tout
cela au programme « Objectifs 1966 », page 11.
Tout cela me paraît très clair, peut-être parce que
j'avais longuement collaboré avec M. Johnson, M. Dozois, M. Masse et
plusieurs autres à la préparation de ce programme. Mais Je me
rends bien compte, par certaines réactions, qu'un mot d'explication ne
sera pas superflu.
Dualité ne veut pas dire égalité. Deux langues
officielles, cela ne signifie aucunement que les deux doivent occuper le
même rang. Cela ne veut pas dire, non plus, que nous allons partir en
croisade pour le maintien du statu quo ou pour la généralisation
du bilinguisme. Le fait qu'il y ait deux langues au Canada n'empêchera
jamais l'anglais d'occuper une place dominante et même exclusive dans de
vastes régions du pays.
Ainsi en est-il au Québec où la dualité des langues
officielles n'exclut aucunement la primauté du français, ni
même son usage exclusif dans la plus grande partie du territoire
québécois. Dans notre programme, nous disions donc, en
résumé, ceci: Deux langues officielles dont l'une, le
français, doit toutefois bénéficier de la primauté.
D'abord, parce qu'elle est la lan- gue nationale des Canadiens français
qui forment 81% de la population québécoise et, ensuite, parce
qu'elle est la plus vulnérable dans le contexte nord-américain.
Tels étaient, au moment de l'élection de 1966, les principes
directeurs de notre politique linguistique. Ces principes n'ont pas
changé; ils sont toujours ceux dont le gouvernement s'inspire.
Je dois, toutefois, préciser qu'il ne s'agit pas ici d'une loi
sur les langues officielles, mais d'une loi sur la promotion du français
dans le domaine de l'enseignement. On a aussi prétendu, avant même
d'en avoir pris connaissance, que ce projet de loi trahissait la pensée
de Daniel Johnson. A cette conférence de presse du 25 septembre 1968,
qu'on a justement appelée son testament politique, M. Johnson a pourtant
été très explicite, il a dit notamment ceci: « Il
n'y aura pas de citoyens de seconde zone dans le Québec »
C'est-à-dire qu'immigrants actuellement installés ou immigrants
arrivant ici seront traités sur le même pied que les citoyens du
Québec, anglophones ou francophones.
M. Johnson a dit aussi : « Montréal a cette vocation de
métropole. « Je ne voudrais pas voir Montréal qui serait
gêné économiquement à la suite de mesures bizarres
prises par certaines commissions scolaires locales. »
Enfin, toujours dans la même conférence de presse, M.
Johnson a dit qu'il était absolument nécessaire « que le
Québec soit aussi français tout en étant bilingue et en
admettant l'anglais, que l'Ontario est et demeurera anglais tout en admettant
le français et en donnant une chance à tous les francophones
d'apprendre le français. Ainsi, déclarait-il, nous allons voir
à ce que tous les anglophones, tous les non-francophones du
Québec aient une chance d'apprendre ce qu'il appelait le «
prevailing language», comme on dit en Ontario. »
M. le Président, tout homme de bonne foi qui se donne la peine de
relire objectivement ces textes admettra que notre projet de loi reflète
exactement les intentions exprimées par M. Johnson.
Il y a d'autres censeurs qui nous disent: Ayez donc une politique
simple, claire, tranchée, facile à formuler et à
comprendre. Je voudrais me rendre, M. le Président, à une
pareille requête, mais il n'y aurait que deux façons de le faire:
décréter que seul le français aura droit de cité au
Québec ou accepter l'intégration des Canadiens français
à la culture dominante de l'Amérique du Nord. Du moment que l'on
rejette l'un ou l'autre de ces deux extrêmes, on opte fatalement pour des
solutions complexes
car, M. le Président, ce ne sera jamais facile d'être
Français et de vivre en français sur ce continent où nous
sommes.
C'est pourtant ce qu'ont toujours voulu et ce que veulent encore
aujourd'hui plus que jamais J'en ai la conviction profonde et intime
l'immense majorité de nos compatriotes au Québec. Ils ne
veulent pas renoncer à leur culture, mais ils ne veulent pas renoncer
non plus au niveau de vie et à tous les autres avantages que comporte
leur participation à la vie nord-américaine.
Ils ne veulent surtout pas être placés dans une situation
qui les force, en quelque sorte, à choisir entre leur appartenance
culturelle et leur appartenance économique. Ils sont bien résolus
à conserver et à développer les deux. La politique
québécoise doit donc viser précisément à
favoriser la poursuite harmonieuse de cette double ambition. Tel est son
rôle spécifique, il en sera toujours ainsi. C'est dans la nature
des choses. En toute hypothèse constitutionnelle, la politique
québécoise sera toujours essentiellement un jeu
d'équilibre, un effort de conciliation et de synthèse. Là
est son immense intérêt; là aussi, j'en conviens, est sa
difficulté particulière. Car il n'y aura jamais, il n'y en a pas
aujourd'hui de solution simple à un problème complexe. Je ne vols
pas beaucoup de place dans la politique québécoise pour ceux qui
raisonnent comme s'il n'y avait que le blanc et le noir, le bien absolu et le
mal à l'état pur, les bons d'un côté et les
méchants de l'autre. Les solutions trop simples risqueraient
d'être trop simplistes.
Voilà pourquoi je ne me scandalise aucunement des divergences
d'opinions qui peuvent se manifester au sein de la communauté
québécoise sur un problème aussi complexe que celui des
langues. Ce qui est scandaleux, ce n'est pas que s'expriment des opinions ou
des convictions contraires à celles de la majorité des citoyens
ou à celles du gouvernement et même, je pourrais dire, du
Parlement. C'est plutôt qu'il n'entre pas que ces gens-là
manifestent de la façon que l'on volt à l'heure actuelle sur la
place publique. Je crois qu'il est de mon devoir de faire ici un nouvel appel
au bon sens et à la fermeté de tous les citoyens,
spécialement des parents et des commissaires d'école, pour qu'ils
ne permettent pas à des agitateurs professionnels de vider nos
institutions d'enseignement sous le moindre prétexte et d'envoyer nos
enfants dans la rue, les exposant par le fait même à tous les
risques et à tous les dangers que comporte un climat surchauffé
par une propagande haineuse et mensongère.
Déjà, l'an dernier, on a vu des écoliers et des
écolières d'une douzaine d'années lancer des projectiles
sur les édifices du parlement et briser des carreaux parce que ceux qui
les poussaient devant eux leur avaient dit qu'ici même, à
l'Assemblée nationale, il y avait des gens qui conspiraient contre la
langue française.
Il est clair que les mêmes activistes, ceux que l'on retrouve
comme par hasard dans toutes les manifestations pseudo-spontanées,
essaient une fois de plus de manoeuvrer les jeunes pour des fins qui ne sont
certainement pas celles de la promotion du français. Hier, à
Montréal, on a vu des enfants qui n'avaient pas dix ans défiler
dans les rues en criant les injures qu'on leur avait apprises. On fait
aujourd'hui des sondages sur toutes sortes de sujets. Je serais bien curieux de
connaître le résultat d'un sondage objectif qui aurait pour objet
de déterminer combien, parmi les manifestants d'hier, jeunes ou moins
jeunes, s'étaient donné la peine de lire et d'essayer de
comprendre par eux- mêmes le projet de loi qu'ils
dénonçaient comme une infamie.
Y en a-t-il seulement un sur cent? Certains prétendent que nos
jeunes n'acceptent plus les valeurs reçues, qu'ils récusent tout
ce qui n'entre pas dans le champ immédiat de leur vision ou de leur
expérience personnelle. Rien n'est plus erroné. Il faut une foi
ou plutôt une crédulité peu ordinaires pour descendre dans
la rue sur le seul témoignage de quelques fanatiques qui avaient
commencé à combattre le projet de loi avant même d'en
connaître le contenu. On peut difficilement imaginer un conformisme aussi
béat, aussi dépourvu de tout esprit critique, aussi
éloigné d'un véritable esprit scientifique que l'on
devrait normalement trouver en milieu collégial ou universitaire.
Il est devenu extrêmement urgent, M. le Président, pour
tous ceux qui veulent contribuer à bâtir un Québec fort et
sain de réagir avec courage contre le climat de pessimisme et de
démission que certains tentent d'instaurer chez nous en permanence. Le
silence et la passivité des modérés constituent les
meilleurs atouts des extrémistes de toute catégorie.
On demande avec raison à l'Etat de faire preuve de leadership, de
fermeté. Mais l'Etat doit-il être le seul à le faire? Il ne
peut pas, à lui seul, suppléer à l'inaction de ceux qui,
à l'intérieur du corps social, participent de quelque
façon à l'exercice de l'autorité. Tous doivent faire leur
part pour que ne soient pas consentis en vain les énormes sacrifices que
comportent pour eux les budgets de l'enseignement.
Jamais une génération n'aura reçu autant de ses
aînés que celle qui, à l'heure actuelle, est aux
études.
Nous ne pouvons souffrir que des écoles, des
collèges et des universités, qui coûtent si cher
à tous les contribuables soient constamment paralysés par les
caprices d'un petit nombre. Chose absolument certaine, ce n'est pas en essayant
par tous les moyens d'affaiblir l'Etat du Québec que l'on servira la
cause du français. Pour que le Québec continue d'être
gouverné en français par ceux que le peuple a
démocratiquement élus, il faut que les enseignants enseignent,
que les étudiants étudient et que soient utilisés à
leurs véritables fins les aménagements scolaires mis à la
disposition des jeunes Québécois pour leur permettre d'être
mieux préparés et plus instruits que ceux qui se saignent
à blanc pour payer les factures. Nous n'accepterons jamais d'être
bousculés par des gens qui veulent nous imposer leur but par des moyens
qui ne sont ni rationnels, ni démocratiques. Jamais!
J'ajoute que les manoeuvres d'intimidation économique ne sont pas
plus justifiables que le recours à l'injure ou à la violence.
S'il doit continuer d'y avoir un Canada français, ce que tous semblent
admettre au départ, il faut bien qu'on lui permette de vivre et de vivre
en français, compte tenu des impératifs du contexte
nord-américain.
Mais en proposant à la Chambre une politique linguistique sans
attendre les recommandations de la commission Gendron, le gouvernement, diront
quelques-uns, n'est-il pas en train de saboter l'instrument de recherche et de
réflexion collective qu'il avait lui-même créé? A
cette question que certains nous ont posée, je réponds que le
présent projet de loi n'est pas à lui seul et nous en
convenons une politique linguistique, il n'en est qu'un
élément parmi plusieurs. Si la langue de l'école est
importante, je pense que la langue de travail l'est encore davantage. Car la
langue de travail a bien plus d'influence sur la langue de l'école que
n'en a la langue de l'école sur la langue de travail.
Même si nos compatriotes franco-ontariens, par exemple,
n'apprenaient que le français à l'école, il ne
s'ensuivrait pas qu'ils pourraient travailler en français. C'est
plutôt dans l'autre sens que joue la relation de cause à effet.
Les programmes scolaires tendent, forcément, à se modeler sur les
exigences du milieu de travail. Or, jamais les recherches méthodiques
n'ont encore été poursuivies sur le français comme langue
de travail au Québec Nous avons des témoignages de plusieurs
industries importantes qui ont pour politique de communiquer en français
avec leur personnel, comme avec leurs clients et qui s'en trouvent fort bien.
Celui, par exemple, de l'Alcan, dont le directeur des relations publiques, M.
Aimé Gagné disait, en 1968, donc bien avant d'être
nommé membre de la commission Gendron: « Dans le domaine de la
communication, l'Alcan a appris à parler français, et c'est un
placement sûr. Il ne faut pas être sorciers, déclarait-il,
pour comprendre que parler la langue du client harmonise les contacts et les
rapports ».
M. Terence Flahiff, président du conseil de la compagnie
Manicouagan, disait de son côté, devant le Canadian Club, en mai
1965: « Les relations avec eux les Canadiens français
semblent s'améliorer presque automatiquement en proportion de
l'usage de leur langue. Je vois ceci tous les jours. » Nous avons aussi
l'exemple de l'Hydro-Québec dont les innovations technologiques et les
réussites administratives ne sont pas moins spectaculaires du fait que
le français y est la langue de travail. Nous pourrions citer bien
d'autres exemples et d'autres témoignages, mais une
énumération de cas particuliers ne remplacera jamais une
évaluation scientifique de la situation. Où en est, au juste, le
français, comme langue de travail dans l'ensemble du territoire
québécois et plus spécialement dans la région de
Montréal? Qu'en est-il dans l'industrie, dans les services, dans le
commerce, dans les institutions financières? Comment convaincre
certaines entreprises qu'il y va de leur intérêt de
s'intégrer davantage au milieu québécois?
Voilà autant de questions, et j'en oublie, auxquelles seul un
organisme comme la commission Gendron peut apporter des réponses
précises. Nous avons besoin de ces réponses. Nous n'avons pas le
droit de procéder à la légère. Certains,
malheureusement, posent des gestes et font des déclarations qui sont
bien plus de nature à éloigner l'industrie qu'à la
franciser. Ils sont ensuite bien mal venus de rejeter sur les autres la
responsabilité du chômage et de la pauvreté. Pour que le
français soit une langue de travail au Québec, il faut d'abord
qu'il y ait du travail. Soyons donc assez positifs pour prendre les moyens
appropriés au buts que nous voulons atteindre.
Même en ce qui concerne la langue de l'école, il reste
beaucoup de recherche à faire. Nous légiférons ici sur des
droits et des devoirs, mais le contenu est encore plus important que le
contenant. Quelle est la qualité de l'enseignement du français au
Québec? Comment améliorer cet enseignement, tant dans les
écoles françaises que dans les écoles anglaises? Comment
améliorer la qualité du français écrit ou
parlé dans les organes d'information, organes qui diffusent
quotidiennement et à dose massive, aussi bien dans leurs messages
publicitaires que dans leurs bulletins de nouvelles et dans leurs diverses
rubriques? N'y a-t-il pas,
dans tout cela, une proportion énorme et abusive de textes qui
ont été pensés et écrits en anglais, en fonction de
préoccupations et de besoins étrangers aux nôtres, avant
d'être traduits en français pour consommation
québécoise?
Quelle influence exercent sur le vocabulaire et, plus encore, sur la
syntaxe de notre langue ces traductions si souvent faites à la
hâte? Ce ne sont là que quelques exemples sur lesquels continuera
de se pencher la commission Gendron.
Problèmes tellement importants et tellement complexes que les
commissaires ne pourront probablement pas nous présenter leur rapport
final avant une couple d'années. Si nous attendions ce rapport pour
commencer à agir, on nous le reprocherait avec raison. Ainsi, comme nous
l'avons fait pour la commission Parent, pour la commission Castonguay et pour
bien d'autres, nous procédons graduellement au fur et I mesure que nous
obtenons les renseignements dont nous avons besoin.
Ce projet de loi et j'y reviens constitue donc une
étape. Ce n'est même pas la première étape, puisque
des Jalons importants ont déjà été posés
dans plusieurs domaines. Je n'en veux citer qu'un exemple: au ministère
de l'Agriculture et de la Colonisation, on a été parmi les
premiers à faire en sorte que les droits du français soient
pleinement reconnus au Québec dans l'important secteur de la
commercialisation des produits alimentaires.
Un règlement ratifié par l'arrêté
ministériel du 15 mars 1967 décrète ce qui suit: «
Dans toute inscription, l'usage du français est obligatoire et aucune
inscription rédigée en une autre langue ne doit l'emporter sur
celle rédigée en français. »
M. le Président, en plus de poser pour la première fois au
Québec la règle de l'usage obligatoire du français dans la
commercialisation des produits alimentaires, ce règlement va
jusqu'à consacrer en pratique la primauté du français car
il en fait la seule langue obligatoire et, pour ceux qui décident
d'utiliser les deux, la seule qui ait droit à un traitement au moins
égal à celui de l'autre langue.
J'ajoute que ce règlement est appliqué avec souplesse, ce
qui nous a valu de la part des manufacturiers importateurs et distributeurs de
produits alimentaires une collaboration qui n'aurait sans doute pas
été aussi empressée ni aussi efficace si nous avions
procédé avec plus de raideur.
La fermeté n'exclut aucunement la diplomatie. Notre but est de
multiplier les ponts et non pas les cloisonnements à l'intérieur
du Québec.
Par la création du ministère de l'Immigration, nous avons
mis en place un autre rouage important de notre politique linguistique.
Grâce à ce ministère, nous avons maintenant les instruments
pour accueillir humainement les immigrants et surtout pour les intégrer
à la vie québécoise, ce qui est beaucoup plus positif que
des contraintes ou des défenses juridiques.
Nous pouvons désormais leur donner non seulement les moyens
d'apprendre le français, mais aussi ce qui est le plus important, soit
les motivations pour qu'ils tiennent à l'apprendre. Je ne
m'étendrai pas sur le sujet, M. le Président, sachant que le
ministre des Finances et de l'Immigration, qui est en contact étroit
avec les divers groupes ethniques et qui connaît bien leurs
problèmes, aura l'occasion d'en parler plus longuement.
Une politique linguistique devait nécessairement comporter aussi
l'intensification de nos relations avec les autres communautés
francophones. Soumis comme nous le sommes aux retombées culturelles du
continent nord-américain, comment pourrions-nous conserver à
notre langue toute sa richesse, toute sa vigueur, toute sa pureté sans
multiplier les échanges dans les domaines qui dépendent de
nous?
Et qu'on ne vienne pas nous dire que ce sont là de mauvaises
fréquentations. Elles n'ont rien de clandestin, ni rien de
séditieux. Elles se poursuivent en pleine lumière. Quand on
voudra bien les regarder avec un peu plus de sérénité, on
s'apercevra qu'elles sont loin d'être contraires aux meilleurs
intérêts du Canada.
J'espère que nos amis de l'autre côté de la Chambre,
qui ont été les premiers à intensifier ces
échanges, vont appuyer là-dessus sans équivoque possible,
non pas un gouvernement ou un parti politique, mais les intérêts
supérieurs de la collectivité québécoise.
Aujourd'hui, comme d'ailleurs en 1966, il s'agit de répondre
à des impératifs culturels et non pas de poursuivre des
visées politiques. Ces relations sont tellement normales que je ne
désespère aucunement de les voir un jour comprises et
acceptées pour ce qu'elles sont. J'ajoute qu'elles n'ont jamais eu dans
mon esprit et n'ont jamais été conçues par le gouvernement
comme devant constituer un obstacle aux bonnes relations qui doivent exister
entre le Canada et la France. Je laisse d'autre part à mon
collègue des Affaires culturelles le soin d'exposer à la Chambre
le rôle évidemment primordial que joue déjà et
continuera de plus en plus de Jouer son ministère dans cette politique
de rayonnement et de primauté du français.
Là aussi d'importants jalons ont été
posés,
notamment par la création de l'Office de la langue
française; d'autres le seront bientôt. Mon collègue
devrait, demain après-midi, tenir une conférence de presse
où il devait révéler au public plusieurs des outils qu'il
est en train de bâtir à son ministère. Toutefois, dans le
climat qui semble vouloir prévaloir demain devant les édifices du
Parlement, Je crois qu'il a été sage de remettre sa
conférence de presse à la semaine prochaine, afin que, dans les
journaux, on puisse donner à cette conférence de presse le
rayonnement qu'elle méritera, et qu'elle ne soit pas obnubilée
par les parades et les photographies que l'on prendra sans aucun doute demain
des cérémonies qui se dérouleront sous l'égide de
ce « grand patriote », Michel Chartrand, devant le Parlement de
Québec.
Notre politique linguistique ne se limite aucunement à l'action
de quelques ministères en particulier. Dans tous les secteurs de
l'administration québécoise, qu'il s'agisse d'enseignement, de
radio, de télévision éducative, de cinéma, de
finances, de convention collective, de travail, de raison sociale, de
toponymie, de signalisation routière, de tourisme, d'aménagement
des richesses naturelles, de services publics, d'organismes relevant
directement ou indirectement de l'Etat, partout nous entendons multiplier les
mesures propres à créer des situations de fait qui seront
à l'avantage du français.
J'en profite ici pour faire une légère pause. Il y avait,
ce matin, dans le Devoir, un article que j'inviterais tous mes collègues
à lire. Un article que l'on trouve en page 5, libre opinion, en marge du
bill 63, intitulé: « Des lois pour créer la
pédagogie, la culture et l'appartenance nationale? » C'est par
Maurice Champagne, professeur. J'invite ceux-là qui, à l'heure
actuelle, organisent des séances d'étude, comme on dit en
français des « teach-in », je les invite à
réfléchir sur les idées que l'on retrouve dans cet article
et à voir quelle est notre responsabilité en vue de la promotion
du français dans tous les domaines, de la qualité du
français, du bon goût, de la recherche du beau. Qu'on lise cet
article. Que la jeunesse de nos collèges, des universités, des
CEGEP s'en inspire. Qu'on mette en pratique les idées que cet homme
énonce et je ne craindrai jamais pour l'avenir du Canada français
et du français au Québec.
Ce projet de loi, que dit-il? D'abord, je soumets qu'il pose le principe
de la primauté du français. Ce projet établit comme
règle qu'au Québec l'enseignement se fait normalement en
français. C'est le régime commun, c'est le régime
légal, c'est le régime que la loi donne à tous ceux qui ne
demandent pas formellement d'être rangés parmi les cas
d'exception. Pour être exclu du régime commun, qui est celui de
l'école française, il faut poser un geste, il faut prendre
l'initiative d'en faire la demande auprès de la commission scolaire,
lors de l'inscription de l'enfant. Mais aucun geste n'est nécessaire
pour être inclu dans le régime commun, c'est automatique.
En d'autres termes, cette loi pose en principe que le Québec est
d'abord et avant tout une terre française.
Or, c'est un principe qui n'avait encore été inscrit nulle
part, ni dans la constitution canadienne, ni dans nos propres lois. Il le sera
désormais dans l'une de nos principales lois organiques, en attendant de
l'être dans d'autres textes juridiques et surtout dans la
réalité quotidienne, il ne s'agit pas d'une affirmation purement
platonique. Ce principe projette un éclairage nouveau sur les divers
aspects de la réalité québécoise.
Tout le monde est sensé connaître la loi, à
commencer, bien sûr, par les habitants du territoire, mais cela comprend
aussi et, à plus forte raison, ceux qui projettent de venir s'y
établir. Nos futurs concitoyens ont le devoir de se renseigner sur les
lois et les institutions qu'ils trouveront chez nous. Notre ministère de
l'Immigration sera là désormais pour les aider à se
renseigner.
Jusqu'à maintenant, la plupart de ceux qui arrivaient ici
ignoraient presque tout de la réalité québécoise.
Ils savaient que c'était une partie de l'Amérique du Nord, mais
beaucoup ignoraient que c'était aussi une terre française, il n'y
avait rien dans nos lois pour les en avertir et les en informer.
Désormais, avant même d'arriver chez nous, ils sauront que, si le
Québec est économiquement partie intégrante de
l'Amérique du Nord, que s'il est politiquement un Etat membre de la
fédération canadienne, il est culturellement une terre
française, une terre où la langue dominante est le
français, une terre où habite une communauté humaine qui a
une conscience de plus en plus vive de son appartenance à la
francophonie.
Ce projet de loi proclame donc, comme premier principe, comme
règle générale, la primauté du français dans
l'enseignement; deuxièmement, M. le Président, le droit de
dissidence. Mais, il ne va pas, ce droit que je viens d'affirmer,
jusqu'à exclure l'école anglaise, ni à en interdire
l'accès à ceux qui croient en avoir besoin.
Il admet donc des exceptions à la règle que je viens
d'énoncer. L'enseignement pourra être donné en anglais
à tout enfant dont les parents où les personnes qui en tiennent
lieu en font la
demande lors de son inscription, il faudra, cependant, que les
programmes et les examens soient conçus de telle façon que
l'enfant puisse acquérir une connaissance d'usage, une connaissance
pratique de la langue française.
Cette dernière condition découle naturellement de la
règle de la primauté du français. Puisque la langue
normale de communication en territoire québécois est le
français, il s'ensuit que tous ceux qui veulent participer à la
vie québécoise doivent avoir au moins une connaissance pratique
de cette langue, car on ne saurait vraiment participer que si l'on est capable
de communiquer. Les Canadiens français qui veulent participer à
la vie commerciale et industrielle de l'Amérique du Nord doivent avoir
une connaissance suffisante de l'anglais, puisque c'est le moyen normal de
communiquer avec 200 millions et au-delà d'anglophones qui vivent sur ce
continent.
Les Franco-Ontariens qui veulent jouer un rôle dans leur province,
qui veulent y être des citoyens à part entière doivent
aussi savoir l'anglais, puisque c'est, en Ontario, la langue de la
majorité de la population.
Aussi les anglophones qui veulent être au Québec des
citoyens à part entière doivent-ils accepter, dans leur propre
intérêt, l'obligation d'acquérir une connaissance pratique
du français qui est ici la langue dominante, la langue de la
majorité de la population.
M. le Président, je n'ai, d'ailleurs, pas besoin d'insister
davantage sur ce point, puisque ce sont les anglophones eux-mêmes qui ont
tenu à marquer devant la commission Gendron la nécessité
où ils se trouvent de posséder une connaissance pratique du
français.
Et certains nous disent: Pourquoi consacrer dans une loi ce droit
à la dissidence, ce droit à l'école anglaise que le
Québec a toujours appliqué dans les faits avec une
générosité qui allait bien au-delà des
prescriptions juridiques, bien au-delà aussi faut-il le rappeler?
du traitement accordé par les autres provinces à leurs
minorités françaises? Est-ce qu'en fixant ainsi dans une loi
cette tradition d'exceptionnelle générosité
l'Assemblée nationale ne préjuge pas de l'avenir? Est-ce qu'elle
ne prend pas prématurément, sur le caractère et la
vocation du Québec de demain, une décision qui devrait être
laissée à ceux qui viendront après nous? A cette
interrogation que je comprends, que je respecte, je réponds d'abord,
comme l'a fait très pertinemment la semaine dernière le ministre
des Affaires culturelles, qu'il ne s'agit pas ici d'une option
constitutionnelle, mais d'une option politique.
Nous n'en sommes pas à statuer sur la place du Québec
à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada. Nous
sommes à modifier une loi, la Loi de l'instruction publique, qui est
sans doute très importante, mais qui a déjà
été changée bien des fois, particulièrement en ces
dernières années, et que nous pourrons encore changer avec la
même facilité. Donc, nous ne fermons aucune porte. Nous ne
bloquons aucune voie pour l'avenir. Nous reprenons simplement pour
nous-mêmes une décision qui a toujours été celle de
nos pères aux différentes étapes de leur vie collective.
Toutes les générations qui se sont succédé, avant
comme après 1867, ont eu, comme la nôtre, l'occasion de
s'interroger sur le caractère et la vocation du Québec. L'une
après l'autre, elles ont toutes répondu que le Québec
devait rester, premièrement, une terre française et,
deuxièmement, une terre de liberté.
Je ne sais pas si je me fais illusion, mais je crois que, dans l'esprit
de nos pères comme dans le mien, il y a toujours eu une sorte
d'équivalence entre ces deux termes: une terre française et une
terre de liberté. Ça voulait dire pour eux à peu
près la même chose. Un Québec français, ça
voulait dire un Québec où il y avait aussi plus de liberté
qu'ailleurs. La preuve, d'ailleurs, le Québec l'a fournie pendant les
cent dernières années à toutes les autres provinces
canadiennes par le traitement qu'il a accordé à ses
minorités anglaises au Québec.
C'est là une tradition respectable que j'entends respecter, que
le gouvernement de l'Union Nationale et le Parlement vont respecter. Est-ce que
tous ceux qui se sont appliqués à maintenir et à
consolider cette tradition, avant comme après 1867, se seraient
lamentablement trompés? Est-ce que tout récemment les membres de
la commission Parent se seraient également trompés? Voici ce
qu'il ont écrit dans leur rapport: « Bien qu'un Etat ait des
droits de réglementation sur la langue, on ne doit forcer personne,
semble-t-il, à mettre ses enfants dans une école française
ou dans une école anglaise. Autrement on se comporterait un peu comme on
reproche aux autres provinces canadiennes de se comporter à
l'égard des Canadiens français ».
Encore faut-il admettre ici, que dans l'Ontario en particulier et au
Nouveau-Brunswick des jalons sont posés à l'heure actuelle en vue
d'accorder à nos minorités françaises un traitement
égal à celui que nous allons accorder, que nous avons
accordé, que nous allons maintenir à l'élément
anglophone au Québec. Est-ce que les membres de la commission
Dunton-Laurendeau se seraient trompés à leur tour lorsqu'ils ont
écrit ce qui suit: « Nous recomman-
dons que soit reconnu, dans les systèmes scolaires, le droit des
parents canadiens de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de
leur choix. L'application de ce principe, écrit-on, sera fonction de la
concentration démographique de la minorité ». Est-ce que
les membres de la commission Pagé qui se sont prononcés dans le
même sens se seraient illusionnés à leur tour? M. le
Président, avec les membres du gouvernement actuel, avec l'ensemble ou
la majorité des membres de ce Parlement, cela commence à faire
pas mal de monde parmi ceux qui ont eu récemment l'occasion de
réexaminer ce problème en profondeur.
Est-ce que tous ces gens-là, en se prononçant comme ils
l'ont fait, dans le même sens que la tradition dont je parlais
tantôt, auraient trahi leur mandat, leur langue, leur nationalité?
Faut-il les vouer tous à la réprobation populaire? Faut-il les
accuser tous, grand Dieu! de vouloir refaire la bataille des plaines d'Abraham?
Quand on entend dans la bouche d'un homme comme François-Albert Angers,
deux cent ans après, des propos comme ceux qu'il tenait à mon
endroit en m'appelant le général Wolfe, grand Dieu! j'ai presque
envie, M. le Président, de vous raconter une courte histoire.
J'entrais un jour dans Québec avec ma femme et mon petit
bonhomme, Philippe, qui a douze ans; à ce moment-là, il avait
neuf ans. En traversant ce territoire où sont logées les plaines
d'Abraham, je lui raconte tout bonnement: Regarde, le terrain que tu vois, cet
espace, c'est ici qu'a eu lieu, jadis, une grosse bataille entre les
Français et les Anglais, il se retourne vers moi et, du tic au tac, il
dit: Ils ont bien réparé cela depuis!
En fait, il y en a qui souffrent d'un complexe
d'infériorité vis-à-vis de nos compatriotes anglophones et
qui sont aussi extrémistes que certains anglophones qui nous rappellent
parfois la bataille des plaines d'Abraham. Elle est terminée, quant
à moi, la bataille des plaines d'Abraham! Nous allons, avec les
Québécois francophones et anglophones, le bâtir, le
Québec français! Mais, ce n'est pas avec du pessimisme, ce n'est
pas avec de la haine, ce n'est pas avec des complexes de traumatisés que
nous allons bâtir le Québec! C'est avec beaucoup plus! C'est avec
l'intelligence, avec la compétence, avec le dynamisme, avec une
énergie tendue capable d'envisager les problèmes et de leur
trouver des solutions adaptées à notre époque que nous
allons, non pas vaincre, mais rayonner.
C'est ainsi que l'on bâtit un peuple.
Ce n'est pas en détruisant les autres que nous allons nous
bâtir!
Pourquoi faut-il donner à une tradition qui avait
été, depuis toujours, respectée au Québec, des
appuis juridiques? C'est tout simplement parce que, pour la première
fois dans notre histoire, cette tradition a été mise en doute et
même récusée, sur un point de notre territoire, un point
minime, mais un point qu'on se faisait fort d'élargir graduellement pour
l'étendre à la dimension du Québec. Voilà ce qui a
posé carrément le problème devant l'opinion publique.
Nous étions mis en demeure et nous le sommes encore
par le Front du Québec français, ou bien de renoncer à une
tradition qui était partie intégrante du patrimoine
québécois ou bien de légiférer pour en conserver
l'essentiel. Si on la dépouille de sa forme juridique, la réponse
contenue dans ce projet de loi est exactement ce qu'ont toujours fait les
générations précédentes.
Nous voulons que le Québec reste à la fois une terre
française et une terre de liberté. Puisqu'il nous faut consacrer,
dans une loi, la liberté d'option, nous allons en même temps et
dans le même texte, consacrer aussi la primauté du
français. L'une ne va pas sans l'autre. Le gouvernement continue d'y
voir deux éléments essentiels d'une seule et même
politique. Nous voulons bien garder ouvertes les voies de la liberté,
mais nous ne voulons pas qu'on s'en autorise pour changer les composantes
culturelles de la population québécoise. Nous prendrons des
moyens positifs pour que les libertés confirmées dans cette loi
ne soient pas utilisées à l'encontre des droits historiques d'un
peuple qui besogne depuis plus de trois siècles et demi à
l'édification de la patrie québécoise.
M. le Président, je termine, il est possible que ces explications
ne satisfassent pas tout le monde, et qu'il reste, de part et d'autre, quelques
irréductibles. Je ne leur en veux pas. Je ne retournerai pas contre eux
les accusations ou les injures qu'ils avaient convenu de nous lancer, de me
lancer, de lancer aux membres de ce Parlement, bien avant de connaître le
projet de loi. Je me flatte de penser que la mesure recevra l'approbation de la
très grande majorité des députés comme de la
très grande majorité des Québécois. Si tous les
groupes avaient eu l'occasion d'en causer aussi longuement, et avec la
même sérénité que nous en avons causé,
combien de fois, au cabinet, ils en seraient arrivés à la
même unanimité.
Tout ce que je demande, c'est que, malgré les divergences
d'opinions qui peuvent encore se manifester sur des points particuliers, nous
continuiions d'oeuvrer ensemble, d'un même élan, d'un même
coeur, d'un même amour au progrès de la communauté
québécoise. Ce Qué-
bec nouveau, que nous voulons bâtir, doit être une terre de
rassemblement mais non pas de division et de déchirements.
Ce Québec, que nous aimons, doit être une terre
d'Innovation et de création et on ne crée vraiment que dans la
joie.
Je ne crois pas, M. le Président, que ce soit une bonne
façon de tendre les énergies d'un peuple que de semer autour de
lui l'amertume et le pessimisme, de se lamenter sur un passé depuis
longtemps révolu, de prédire pour l'avenir Je ne sais quel
cataclysme. Ce n'est pas, non plus, comme le dirait peut-être le
général de Gaulle, « par la hargne, la rogne et la trogne
» que l'on stimulera les investissements industriels.
Il fut un temps où le Québec n'avait à peu
près pas d'Industries. On avait beau répéter que le sol
était notre plus grande richesse; il se trouve que tout le monde n'avait
pas la vocation agricole. Alors, en dépit de tous les beaux couplets,
les Québécois traversaient la frontière, par centaines et
par milliers. On en retrouve un million en Nouvelle-Angleterre. Ils allaient
là où il y avait des industries, là où il y avait
de la prospérité. Cela a-t-il aidé beaucoup la cause du
français?
Nous aiderons cette cause non pas en entourant le Québec d'un
réseau de protection craintive et hostile, mais en gardant ouvertes les
voles qui permettront aux Québécois de communiquer entre eux,
d'abord, puis avec les autres communautés humaines, de façon
à pouvoir trouver, sur leur propre territoire, les emplois, les
Industries, les stimulants, le climat de confiance et de ferveur qui leur
permettront de participer en français au prodigieux dynamisme du
continent nord-américain.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Outremont.
M. Jérôme Choquette
M. CHOQUETTE: M. le Président, il est malheureux que nous soyons
obligés d'aborder un projet de loi aussi vital, aussi important, qui
nous touche, nous tous dans cette Chambre et toute la population du
Québec, dans des circonstances où ce projet provoque autant
d'émotivité dans certaines classes de la population du
Québec.
Je suppose que c'est là le sort de toute législation qui
porte sur une question importante. Lorsque, comme législateurs, nous
arrivons dans un domaine qui touche le peuple de près, il va de soi que
les passions s'exacerbent, que l'exagération joue et qu'en somme nous
soyons face à des revendications qui prennent des formes
extrémistes.
Aussi, je pense qu'il ne faut pas s'en étonner; il ne faut pas se
surprendre de cet état de choses, il ne faut pas, non plus, s'appuyer
sur ces mouvements qui indiquent la surexcitation des passions ou du jugement,
il faut garder toute sa froideur, toute sa logique, tout son raisonnement et
analyser la situation telle qu'elle est, telle qu'elle se présente.
Il est incontestable qu'il fallait remédier à
l'état de choses qu'avait créé Saint-Léonard. Cette
situation avait duré depuis trop longtemps et, justement,
l'hésitation du gouvernement à apporter une solution à ce
problème a contribué à l'état de choses que nous
connaissons aujourd'hui.
Mais, vu l'importance de la question qui se pose à la Chambre, je
vais m'abstenir de faire le procès du gouvernement sur sa conduite
passée dans ce domaine.
Je pense que la question de fond est trop importante pour la salir avec
de la partisanerie ou par des récriminations qui ne pourraient
qu'ajouter du désordre dans la discussion de la véritable
question de fond.
Aussi, je pense que tous les collègues dans cette Chambre
manifestent aujourd'hui un certain sentiment dont je veux me faire
l'expression, étant le premier orateur après le premier ministre,
du moins de ce côté-ci de cette Chambre. Tous les
collègues, particulièrement de ce côté-ci, veulent
approcher ce problème dans toute sa dimension, sans en ignorer tous les
aspects. Mais, d'un autre côté, ils veulent que la question soit
traitée sans passion et avec objectivité.
Or, même si le gouvernement se devait d'apporter une correction
à la situation qui avait été amenée par les actes
de la commission de Saint-Léonard, il faut quand même admettre que
le gouvernement, pour ce faire, s'est engagé dans une politique
linguistique.
Le premier ministre a eu beau nous dire tout à l'heure que son
projet de loi ne comportait pas une politique linguistique, en fait, il
comporte un commencement de politique linguistique. C'est une politique
linguistique qui nous laisse à mi-chemin, et même si je suis le
gouvernement sur le principe du projet de loi, je ne peux pas m'empêcher
de constater qu'il y a toute une partie de la question qui n'est pas
traitée par le projet de loi. C'est justement le fait qu'il y ait cette
carence, cette absence de traitement de l'autre partie de la question qui rend
en quelque sorte le débat aujourd'hui difficile et qui donne de
l'ambiguïté au projet de loi, qui crée de
l'équivoque, qui fait jusqu'à un certain point que tous ceux qui
ont examiné le projet de loi ne sa-
vent trop à quoi s'en tenir puisque, à côté
du principe de la liberté de choix qui est affirmé, je pense avec
raison, dans le projet de loi, à côté de ce
principe-là, d'un autre côté des pouvoirs très
étendus sont donnés au ministre de l'Education et au ministre de
l'Immigration dont on ne sait pas quel usage ils en feront.
Ceci est un aspect de la question, mais dans le domaine scolaire, dans
le domaine de l'enseignement du français qui est la préoccupation
qui s'exprime par les deux articles du projet de loi dont j'ai parlé
tout à l'heure, les deux articles à l'effet que le ministre de
l'Education et le ministre de l'Immigration devaient prendre des mesures pour
faire apprendre le français à ceux dont la langue d'usage est la
langue anglaise ou encore aux immigrants. On ne peut pas traiter la question
scolaire isolément du contexte économique. On ne peut pas faire
abstraction de la vie économique et sociale dans le Québec
à l'heure actuelle. C'est la raison pour laquelle le projet de loi
gouvernemental, avec lequel je suis d'accord, laisse jusqu'à un certain
point une partie importante de l'opinion publique et, je dirais la plupart des
hommes politiques dans cette Chambre en quelque sorte en plein air, sans
résoudre la question. Tout le monde sait très bien qu'en
matière de droit scolaire, il ne suffit pas de dire à des
anglophones ou à des immigrants: Vous allez apprendre le
français. Ou encore: Nous allons vous donner des cours de
français pour vous aider à communiquer avec la majorité
francophone, quand la vie économique ne les inciterait pas à
utiliser la latitude qu'on leur donnerait dans le domaine scolaire.
Je veux dire que le projet de loi du gouvernement, parce qu'il est
incomplet, parce qu'il ne traite pas l'ensemble de la question, est fautif dans
ce sens qu'il ne débouche pas sur cette question primordiale qui est
l'usage du français comme langue de travail.
Certes, il ne s'agit pas et je ne pense pas que cette idée
ait pénétré le cerveau de qui que ce soit dans cette
Chambre de tenter d'imposer la langue française aux anglophones
dans la conduite de leurs affaires personnelles parce que, respectueux de la
liberté que nous sommes, cette idée saugrenue qui ne pourrait
sourdre que dans les esprits maladifs, eh bien, cette idée saugrenue
n'est venue à personne.
Mais la situation concrète, à laquelle beaucoup de membres
dans cette Chambre s'en prennent, qui est le ferment sur lequel travaillent les
extrémistes et dont ne parle pas le projet de loi, c'est justement cette
situation en vertu de laquelle des Canadiens français, en grand nombre,
sont, à cause des circonstances, obligés de travailler dans la
langue anglaise, ce qui n'est pas leur langue maternelle.
Par conséquent, nos gens sont désavantagés sur le
plan culturel et sur le plan économique. Ce n'est pas parce qu'il s'agit
là d'une contrainte et ce n'est pas parce que je veux traiter de cette
question avec étroitesse d'esprit, à la manière des
unilinguistes qui parlent actuellement de l'unilinguisme et qui en font, en
quelque sorte, une panacée contre tous les maux dont nous pouvons
souffrir. Au contraire, je suis fermement persuadé que les Canadiens
français que nous ayons un régime unilinguiste ou
semi-uni-linguiste dans le Québec ne pourront jamais se passer,
pour réussir, d'une connaissance étendue de la langue
anglaise.
Il ne sert à rien de dire aux jeunes collégiens des CEGEP,
de l'université, qu'ils vont pouvoir réussir dans la vie,
même si le Québec devait devenir unilinguiste, sans une
connaissance de la langue anglaise. C'est cela la réalité. C'est
cela le fondement de la réalité québécoise. Que
voulez-vous que nous fassions? Nous sommes entourés de 200 millions
d'habitants qui parlent anglais. La technique et la technologie
américaines sont à l'avant-garde du monde entier. L'autre jour,
dans un journal, je lisais cette expression: « The computer speaks
English. » Cela veut dire justement qu'aussitôt que nous voulons
que nos jeunes Canadiens français soient aussi compétents que les
jeunes anglophones nous ne pouvons pas les isoler dans un carcan linguistique
qui en ferait des espèces d'isolés culturels en Amérique
du Nord.
Je fais cette dissertation pour tenter de mettre les choses à
leur place. Si ce que j'ai dit est vrai et je le maintiens il n'y
a pas un cerveau lucide qui pourrait préconiser l'unilinguisme dans le
Québec à l'heure actuelle. Ceci est une vérité
fondamentale. La réalité nous commande d'y adhérer.
D'un autre côté, il faut quand même admettre que le
peuple canadien-français ne doit pas se soumettre, en quelque sorte,
à une domination linguistique au plan des affaires. Je veux dire qu'il
n'y a pas de raison qu'une nation organisée comme le Canada
français soit systématiquement obligée, pour gagner son
pain, son existence, pour réussir dans la vie, dans les entreprises...
évidemment dans le contexte nord-américain que j'ai décrit
tout à l'heure, mais aussi dans le contexte québécois, il
n'y a pas de raison, en quelque sorte, qu'il y ait, par les circonstances, une
imposition de l'anglais de neuf heures à cinq heures ou encore de tous
les jours et de tous les moments. Il faut que les possibilités
créatrices de nos jeunes, de notre peuple, puissent s'exprimer dans
notre langue maternelle. Si nous réussissons à assurer cet
équilibre entre le besoin d'être soi-même, d'une part
ce qui est fondamental et, de l'autre côté,
le besoin de reconnaître la réalité ambiante telle
qu'elle est, à ce moment-là je pense que nous aurons
réussi à adopter une législation qui correspondra à
la réalité québécoise, à la profondeur des
aspiration du peuple québécois.
Malheureusement, je suis bien obligé de le reconnaître, le
projet de loi parle d'éducation, parle de cours de français, mais
il ne débouche pas sur la réalité économique. Ai-je
besoin d'insister sur le fait que la réalité économique
est fondamentale? Les jeunes n'apprennent pas des langues gratuitement, pour le
plaisir de la chose, excepté quand ce sont des professeurs
d'université ou excepté quand ce sont des professeurs de
linguistique. Le commun des mortels en a assez à faire pour gagner sa
croûte. Ne lui demandons pas, qu'il soit de langue française ou de
langue anglaise, d'apprendre un bagage culturel qui lui serait inutile. Par
conséquent, je dis qu'il faut compléter ce projet de loi en
comité. Je dis qu'en comité il faudra présenter des
amendements, justement pour tenir compte de la réalité que
j'exprimais tout à l'heure, c'est-à-dire le besoin de donner
justice à ces jeunes qui sont appelés à venir sur le
marché du travail et qui voudront, dans les limites du raisonnable et de
la réalité, travailler et s'exprimer dans leur langue.
Il n'y a rien, M. le Président, qui doive surprendre à
cela. Puisque le projet de loi nous engage, jusqu'à un certain point,
dans une politique linguistique chose qui était
inévitable, je pense, si l'on voulait régler cette crise
provoquée par Saint-Léonard il faut aller jusqu'au bout
ou, du moins, il faut faire un pas de plus.
Il faut voir tous les aspects de la question. On ne peut pas se
contenter de garder le projet de loi tel qu'il se présente à
l'heure actuelle. Il faut en quelque sorte satisfaire à cette aspiration
légitime des jeunes Canadiens français qui sortent en masse des
universités québécoises et qui cherchent une façon
de s'exprimer dans la vie économique et sociale, avec leur
personnalité, avec la personnalité que nous leur donnons à
l'école, sinon, à ce moment-là, à l'école,
c'est un mensonge, l'école ne correspond pas à la
réalité. Il y a en quelque sorte un hiatus entre l'école
et la réalité; il y a un décalage entre les symboles et la
réalité. Il y a une contradiction entre les discours qui sont
faits officiellement au nom de la belle langue française et, d'un autre
côté, la vie qu'il faut gagner tous les Jours.
Eh bien, c'est cette grande réconciliation qu'il faut faire. Je
ne pense pas que nous ne puissions pas la faire un peu aujourd'hui, cette
réconciliation des contradictions qui provoquent une division profonde
dans la société d'aujourd'hui entre les jeunes et les
aînés. Il y a peut-être moyen de faire ce pont entre ces
deux impératifs: le nécessaire, le quotidien, la
réalité et, d'un autre côté, cet idéal
d'être soi-même et de travailler dans sa propre langue.
Alors, M. le Président, je termine sur ces quelques observations,
en disant que, dans l'ensemble, je suis sympathique et que je voterai pour le
projet de loi. Je voudrais cependant, en comité, présenter des
amendements pour tenir compte de l'aspect économique et social sur
lequel je me suis étendu dans mon discours.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gouin.
M. Yves Michaud
M. MICHAUD: M. le Président, l'on comprendra que l'étude
de ce projet de loi accuse chez celui qui vous parle un niveau
d'hypersensibilité qui est justifié par la profession qu'il a
exercée depuis de nombreuses années et que, sur un projet de loi
comme celui-là, celui des langues, je sois passablement troublé
et aussi déchiré par des attitudes à la fois
conflictuelles et contradictoires.
La panique est en voie de s'emparer de certaines gens. Par milliers, des
étudiants, des hommes d'âge mûr et des enfants en bas
âge descendent dans la rue pour manifester. Certains savent pourquoi,
d'autres non. Et, pour une grande majorité d'entre eux,
l'hystérie collective est en voie de les gagner.
D'un autre côté, il ne sert à rien de jouer à
l'autruche, de nous fermer les yeux en nous disant confortablement qu'il n'y a
pas de problème, car il y en a un véritable, épineux,
difficile; un problème autour duquel il faudrait toute la sagesse et
toute la tolérance du monde pour que nous trouvions une solution capable
de rétablir l'harmonie, la paix sociale et pour que nous trouvions une
solution capable de retrouver les conditions d'un consensus plus ou moins
général. Mais, Je crains que nous ne soyons pas capables d'une
telle modération. La question linguistique, de tout temps et de toutes
les époques, est de ce genre de problèmes qui attisent les
passions, surchauffent l'émotivité et qui, finalement, pour
certains d'entre nous, nous fait perdre le nord.
Etant moi-même au coeur de ce débat comme beaucoup de mes
collègues, entre des attitudes, je le répète, et des
options ou des opinions souvent contradictoires, je m'inquiète des
décisions qui seront prises et qui seront lourdes de conséquences
pour l'avenir.
Où est-elle la vérité dans ce fameux débat
sur le bill 63 concernant les droits linguisti-
ques, la vérité une, indivisible, absolue, acceptable
à la très grande majorité de la population? Je ne vous
cache pas que je la cherche. Mais, il est une chose que je n'accepterai jamais,
ni pour moi, ni pour les adversaires que Je combats souvent avec acharnement,
c'est ce genre d'insultes et de grossièretés que j'ai
retrouvées dans la presse au sujet de certaines prises de position
relatives au projet de loi sur les langues, des insultes comme
celles-là: « Traîtres à la nation, lâches,
vendus » et d'autres que le respect que je porte ici à mes
collègues et au peuple québécois m'empêche de
prononcer en cette Chambre.
Il me semble que nous avons fait assez de progrès dans les
domaines de la discussion et de la controverse publiques pour éviter ce
genre de malpropreté colportée par des extrémistes de tous
genres qui n'ajoutent rien à l'étude des problèmes et qui
n'ont finalement comme seuls résultats que d'envenimer les choses et de
faire glisser la discussion normale des affaires publiques vers des engueulades
de coin de rue.
J'essaierai dans mes propos de me situer entre deux extrémismes.
Si je dis, par exemple, que le projet de loi no 63, en reconnaissant le droit
des parents d'élever leurs enfants dans la langue de leur choix,
s'inspire des traditions les plus respectables de nos démocraties
libérales, qu'il puise aux sources d'une philosophie défendable
des droits de l'Individu par rapport aux envahissements ou aux contraintes de
l'Etat, il est clair que j'aurai sur le dos la cohorte des étatistes et
des extrémistes de tout poil que l'on retrouve actuellement dans la rue
et qui ont, ce me semble, la singulière facilité et la
singulière commodité d'identifier leurs intérêts
particuliers ou personnels avec ceux de la nation. Si J'ajoute, d'autre part,
qu'une culture, une ethnie, une société comme la nôtre ont,
elles aussi, le droit fondamental de prendre tous les moyens légitimes
et démocratiques qui sont à leur disposition pour éviter
leur disparition ou favoriser le rayonnement de leurs particularismes, il est
non moins clair que j'aurai peut-être sur le dos d'autres
extrémistes, la phalange des centralistes et des tenants d'une
organisation unitaire de l'Etat pour qui la moindre promotion et la moindre
exaltation du sentiment national ou ethnique ou linguistique prend
automatiquement figure de séparatisme, de fascisme, ou de complexes
d'humiliation ou de retour au ghetto. Là aussi il y a des
extrémistes de ce côté-là.
Le devenir historique du peuple québécois se jouera sur la
question de la langue à l'intérieur d'un ensemble
fédéral canadien, mais entre ces deux extrémismes que je
viens de défi- nir. Or, dans ce débat à propos d'une
question linguistique comme tant d'autres à propos de notre avenir
constitutionnel, je refuse pour ma part l'emprisonnement dans des choix
simplistes et grossiers. Je m'interroge, et j'ai la naïveté de
croire qu'un jour le Québec, grâce à sa langue et à
la culture qu'il véhicule, jouira d'une situation
différenciée à l'intérieur d'un ensemble
fédéral canadien qui lui permettra de développer au
maximum les traits originaux de sa culture et de sa personnalité. C'est
un pari qui en vaut bien d'autres.
Je ne partage pas l'avis de ceux qui, dans mon esprit, usurpant le titre
de fédéralistes, veulent que le Québec passe par le
creuset multilinguistique et multinational. Les mots sont, bien sûr,
galvaudés. Il arrive, dans le débat politique, qu'ils n'ont plus
de sens. Il y en a chez nous qui se parent de l'étiquette
fédéraliste alors qu'en réalité ils cachent une
volonté très nette de créer un Etat unitaire,
centralisé, où l'essentiel des pouvoirs serait détenu
entre les mains d'un gouvernement central. C'est là une option
politiquement respectable. Ce n'est pas la mienne.
Pourquoi aborder ces questions? Parce qu'elles sont fondamentales lors
d'un débat sur la langue. Au fond des choses, il y a notre conception de
l'avenir du Québec et de l'enrichissement que le Québec pourrait
apporter au Canada et à l'ensemble fédéral s'il prenait
les moyens qui sont à sa disposition et s'il en réclamait
certains autres qui lui manquent pour développer au maximum sa
personnalité et les traits les plus significatifs de sa culture. Parmi
ceux-là, le trait le plus significatif et le plus vivant est la langue
parlée et écrite par la majorité de sa population. Le
Québec a-t-il le droit et l'obligation de tout mettre en oeuvre pour
faire en sorte que la culture particulière dont il est, par la force des
choses et par tradition, le premier interprète puisse se
développer normalement?
Peut-on répondre affirmativement à cette question sans
être automatiquement taxé, comme cela arrive souvent, de
séparatisme? Peut-on répondre « oui » sans être
marqué du fer rouge de l'extrémisme? Peut-on répondre
« oui » à cette question? Pour ma part, je dois vous dire,
M. le Président, que je suis passablement tanné de me faire
traiter de séparatiste à chaque fois que je dis que le
Québec pourrait, grâce à la langue qu'il parle,
développer au maximum sa culture dans l'ensemble fédéral
canadien. Je suis profondément tanné de ces accusations qui n'ont
aucun sens et qui font que l'on est automatiquement marqué du fer rouge
du séparatisme dès que l'on demande pour
le Québec les moyens d'exprimer sa culture d'une façon
originale.
Je ne suis pas séparatiste. Mais je crois que l'avenir du
Québec se situe à l'intérieur d'un ensemble
fédéral qui lui permettra, grâce aux moyens qu'il aura, aux
moyens que le Québec se donnera et à d'autres qu'il ira chercher
d'une façon pacifique et calme en négociant avec le gouvernement
central, d'autres pouvoirs qui lui manquent pour exprimer totalement sa
culture.
M. le Président, si le fédéralisme est la formule
la plus souple, ce que Je crois, et la plus souhaitable pour faire coexister et
faire progresser dans un même ensemble des communautés ethniques
diverses, des particularismes culturels ou linguistiques, pourquoi crier au
séparatisme dès lors que l'on réclame pour ces mêmes
communautés linguistiques, comme la nôtre, des pouvoirs qui sont
de l'essence même du fédéralisme?
A notre tour, ne pourrions-nous pas dire à tous ceux-là
qui, dans d'autres domaines, à tous ceux-là qui sont des
crypto-centralistes qui conspirent pour refuser aux Etats membres, pas
uniquement au Québec, à d'autres aussi, le droit de se
développer selon les lignes de force de leur personnalité, ne
pourrait-on pas leur dire. Que l'on sache une fois pour toutes si vous
êtes de vrais fédéralistes ou bien des centralisateurs
déguisés! Car c'est bien là un des aspects fondamentaux du
problème linguistique.
Si l'esprit et la logique même du fédéralisme sont,
ce que je crois d'une façon très pure et très doctrinaire,
de privilégier les traits originaux ou les différences
linguistiques des groupes qui doivent vivre ensemble sur un même
territoire, n'est-ce pas être farouchement fédéraliste que
de réclamer les pouvoirs en matière de langue et de culture?
N'est-ce pas être fédéraliste que de souhaiter que le
gouvernement du Québec, parce qu'il a besoin de certains pouvoirs et
d'affirmer les pouvoirs qu'il a déjà, puisse aller aussi loin que
faire se peut pour rendre utile, praticable et rayonnante la langue
parlée par la majorité de sa population? N'est-ce pas être
fédéraliste que de s'inquiéter au premier chef du sort et
de l'avenir d'une langue battue sur tous ses flancs à la fois par une
langue étrangère et par des environnements étrangers?
Si le Canada n'a de sens qu'avec un Québec fort, doté de
tous les moyens nécessaires à la promotion et à la
diffusion d'une culture dont il est, Je l'ajoute, par la force des choses, la
tradition et l'histoire, le premier interprète, est-ce démembrer
le pays que de réclamer l'exercice des pouvoirs du Québec en
matière éducationnelle, linguistique et culturelle? Ne
faudrait-il pas voir, au contraire, chez ceux- là qui mesqulnent,
refusent ou marchandent de tels pouvoirs les vrais briseurs de l'unité
canadienne?
Parce que fédéraliste je le répète et
Je le répète encore une fois parce que croyant au
régime fédéral et à la formule
fédérale, je m'inquiète du sort qui sera fait à la
langue parlée par la majorité de mes concitoyens une fois que la
présente loi sera adoptée par l'Assemblée nationale. Je
m'inquiète de ce sort parce que je crois qu'il est de l'essence
même du fédéralisme de privilégier les cultures
différentes qui existent à l'intérieur d'un même
pays. Est fédéraliste celui qui accepte qu'il y ait des
différences et qu'on ne passe pas dans le creuset des opinions d'un
pouvoir central. Je m'inquiète pour plusieurs raisons. La
première aura peut-être dans l'esprit du premier ministre, une
connotation partisane parce qu'elle met en cause la crédibilité
du gouvernement sur ses véritables intentions.
Depuis trois ans, l'Union Nationale nous a donné l'exemple d'un
nationalisme assez chauvin et assez rétrograde. Le gouvernement a
voté des lois en trompe-l'oeil; celle des étiquettes bilingues
sur les produits alimentaires, arrêté ministériel. Chaque
fois qu'il s'est agi des intérêts vitaux et supérieurs du
Québec, dans le domaine de la culture et de la langue, la Loi sur le
cinéma, par exemple, la fameuse transaction des manuels scolaires, le
gouvernement de l'Union Nationale s'est défilé à la
sauvette.
Je m'inquiète, parce que, deuxièmement, Je me dis: Peut-on
voter en toute intelligence une loi... Le premier ministre a parlé, tout
à l'heure, du projet de loi sur la restructuration scolaire, dont il a
donné, bien sûr, les grandes lignes et qui est la
conséquence normale et logique du présent projet de loi 63, parce
que l'on verra quelles seront les applications pratiques, dans la vie de tous
les jours, du projet de loi que nous sommes appelés à voter.
Peut-on en toute intelligence voter une loi dont on ne connaîtra
les effets pratiques et le sens précis et la portée réelle
qu'après et seulement que l'on aura pris connaissance de la Loi sur la
réorganisation scolaire de l'île de Montréal? Ce qui ne met
pas en cloute les principes du projet de loi 63, principes, je le
répète au tout début, qui s'inspirent à des sources
défendables, parce que je crois qu'une démocratie se juge par la
qualité du traitement qu'elle fait à ses minorités. De
tout temps et de toutes les époques, ç'a été comme
ça. Les principes sur lesquels le projet de loi a été
fondé, extrêmement incomplets, sont acceptables, mais, je le
répète, à l'intérieur d'une politique linguistique
globale.
Je me dis, regardant le gouvernement qui
propose l'adoption de la loi: Ne sommes-nous pas encore devant une autre
de ces loi en trompe-l'oeil, à la rédaction volontairement vague
et imprécise, au titre flamboyant, mais le premier ministre
l'admettra, je l'espère quelque peu usurpateur? Quels moyens le
ministre prendra-t-il pour favoriser l'intégration encore que je
n'aime pas le mot des Néo-Québécois à la
communauté francophone?
Le gouvernement est-il certain, par ce projet de loi contesté
non pas uniquement par les extrémistes, non pas uniquement pas
les gens qui sont dans la rue et par les agitateurs professionnels, mais
également pas des instances aussi modérées et même
conservatrices que celles du Conseil des universités du Québec ou
d'autres organismes qui ne sont pas particulièrement sensibilisés
à ce problème de s'attaquer au fond des choses et d'aller
au coeur du problème? Je ne le crois pas.
Sans les faire totalement miennes et en y apportant beaucoup de
réserves, je rappellerai au premier ministre, au ministre de l'Education
et au ministre des Affaires culturelles les réflexions de Rémy de
Gourmont, dans son ouvrage « Esthétique de la langue
française », paru en 1899. L'ouvrage remonte assez loin dans le
temps, qu'on ne pourra pas l'accuser d'ingérence dans nos affaires
intérieures. Rémy de Gourmont écrivait et
là, ça rejoint le problème fondamental de l'utilité
de la langue : « Une langue n'a d'autres raisons de vie que son
utilité ». L'utilité d'une langue, de façon
pratique, on la retrouve dans le domaine de la vie quotidienne, dans le domaine
du travail, de l'industrie, du commerce et, bien sûr, également,
dans le domaine de l'école. « Diminuer l'utilité d'une
langue, c'est lui diminuer ses droits à la vie ».
Or, le gouvernement a manifesté ses bonnes intentions, en disant
qu'il annoncerait bientôt les éléments d'une politique
linguistique globale. Le ministre des Affaires culturelles a dit ce qu'il
entendrait faire de l'Office de la langue française, différant
aujourd'hui la conférence de presse qu'il devait donner demain sur ce
sujet extrêmement important.
Je crois qu'il faut tenir compte des réalités politiques,
historiques et géographiques qui conditionnent le développement
de notre langue et que certains avertissements ont valeur de
réflexions.
Puis-je, en terminant, demander au premier ministre, un peu comme une
sorte d'appel in extremis, de réfléchir considérablement,
au cours des prochaines minutes, sur la portée réelle je
dis bien la portée et non pas les principes du projet de loi qui
sera déposé devant nous? Il y aura des amendements qui seront
présentés.
Certains, à tort ou à raison, s'inquiètent du droit
absolu des parents francophones de choisir l'école de leur choix. Le
bill ne contient-il pas des facteurs d'incitation pour des grandes
communautés francophones situées à la fois en
métropole et à l'extérieur de faire passer le
système public francophone vers le système public anglophone?
Autrement dit, d'une façon réaliste et pratique, le bill
voudrait-il dire que dans la ville où je suis né,
Saint-Hyacinthe, 99.9% francophone, si les francophones manifestaient
l'intention d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, en
très grande majorité, à 20%, 30% ou 40%, le système
public francophone changerait? Y a-t-il quelque limitation au droit absolu des
francophones à envoyer leurs enfants à l'école de leur
choix? Le projet de loi n'en dit pas un mot. Pour ma part, cela me cause des
inquiétudes.
Le gouvernement nous demande de voter une politique linguistique en
pièces détachées. Cela me cause, là aussi, des
inquiétudes. J'avoue ne pas très bien saisir et comprendre la
précipitation avec laquelle il présente ce projet de loi. En
matière linguistique, les accommodements, les harmonisations ont
toujours été le fruit d'une lente maturation des
sociétés, des consciences, des hommes. Les lois linguistiques
sont toujours les plus émotives, les plus explosives, parce qu'elles
rejoingnent les tréfonds de l'homme fondamental, elles le rejoignent
dans ce tréfonds de sa patrie, de la communauté à laquelle
il appartient. Je me demande si le gouvernement n'agit pas avec un peu de
précipitation pour se dédouaner de l'accusation d'immobilisme
dont il a tellement fait preuve dans d'autres secteurs de son
activité.
Nous aurons des amendements, nous verrons quelle réponse le
gouvernement donnera à ces amendements. C'est lui qui a la
responsabilité du pouvoir et de décider de la recevabilité
et du bien-fondé de certains des amendements qui pourront nous faire
voter en toute conscience pour le projet de loi, s'il accepte ces
amendements-là. C'est à lui de Jouer maintenant la partie. C'est
lui qui a la responsabilité du pouvoir, c'est à lui, ne
recherchant pas la vanité du succès d'une guerre parlementaire,
mais en cherchant le bien commun, d'accepter certains amendements qui feront
que le projet de loi sera acceptable à l'ensemble des
députés de cette Chambre et à l'ensemble de la population
québécoise, qu'elle soit anglophone ou francophone.
Avant de me rasseoir, je veux bien repréciser, d'une façon
très claire, très nette, la
prise de position que j'ai laissé entendre, tout au cours de ce
débat: Pas de choix simpliste et grossier. Je dis que le gouvernement a
le devoir de préciser davantage sa position, surtout en comité
plénier et en troisième lecture. Les principes du bill sont
acceptables à la conscience des Québécois, pour autant
qu'il soit ajouté certaines choses qui définiront mieux les
droits des parents au libre choix de leurs écoles.
Je m'assieds là-dessus en comptant sur la conscience du
gouvernement, en comptant sur sa tolérance, son esprit de
modération, de telle sorte que ce projet de loi ne soit pas encore
l'objet de nouveaux déchirements entre plusieurs éléments
de la société québécoise, que ce projet de loi ne
soit pas l'occasion fournie aux éléments extrémistes de la
société de faire en sorte que le pouvoir descende dans la rue et
que la légitimité nationale que nous incarnons ici, nous, parce
que nous avons reçu un mandat du peuple, soit usurpée par tous
les éléments factieux et extrémistes qui, eux aussi, avec
leurs intérêts, conspirent contre les intérêts
supérieurs de la nation québécoise.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Laurier.
M. René Lévesque
M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, si nous en venons au vote
sur le bill 63 et j'espère, contre toute espérance, je le
sais bien, qu'on n'ira pas jusque là et que le gouvernement trouvera la
force de se raviser avant mais si on en vient au vote, je voterai contre
le bill 63 en deuxième lecture.
Et, très simplement, je voudrais dire pourquoi, sans astuce, avec
toute la clarté dont je suis capable, et avec une certaine angoisse et
un sentiment d'Insuffisance que, je suis sûr, seulement les gens
très insensibles ne ressentent pas ces jours-ci.
Ce projet de loi, pour la première fois, touche directement
à un élément qui, chez tous les peuples, est autant sa
raison d'être que la conscience ou l'âme, si on veut, peut
l'être chez les individus, il n'est pas possible et je pense bien
que tout le monde en est conscient d'affecter une société
culturelle définie et qui est consciente d'avoir une existence
distincte, à un endroit qui soit plus intime et plus sensible que la
langue dans laquelle elle s'exprime, la langue dans laquelle elle tient
à faire instruire ses enfants à raison de $1 milliard par
année en ce moment la langue, par conséquent, avec
laquelle il serait à la fois tragique et ridicule de ne pas donner aussi
aux générations montantes la certitude absolue qu'elles pourront
normalement faire leur vie et faire carrière ici, chez eux, en
français et non pas, comme c'est trop souvent le cas, arriver dans
divers secteurs du Québec où c'est l'anglais qui est
nécessaire « and French is also useful ».
Donc, même s'il ne s'agit que d'une loi et non pas du texte pour
ainsi dire consacré d'une constitution, autrement dit, même s'il
s'agit d'une loi qui peut être changée, même s'il s'agit
simplement d'une loi qui vient d'un Parlement qui, lui aussi, peut être
changé, quand même, à cause de ce caractère du sujet
qu'il touche, c'est un texte extraordinairement important que le bill 63.
Si un profane peut se permettre une illustration médicale, je
dirais même que les lois même les plus marquantes, dans d'autres
domaines, les lois qui touchent à la politique sociale, à la
politique économique, par exemple, sont comme des interventions à
un bras, à une jambe ou, dans le cas de l'économique,
peut-être à l'estomac, mais qu'en l'occurrence, avec le bill 63,
autant que Je sache, pour la première fois dans l'histoire moderne du
Québec, on prétend faire une intervention au cerveau. Et ce qui
arrive, c'est qu'on prétend le faire sur un patient qui est loin d'avoir
été convenablement préparé. On l'a alternativement
et on est tous responsables, je crois, à des degrés divers
endormi, énervé, excité, tâchant ensuite de
le calmer et maintenant, jusqu'à un certain point, on essaie de le
prendre par surprise. Ce qui est plus grave, c'est que le chirurgien
lui-même donne nettement l'impression de mal s'y prendre et de mal
contrôler ses instruments et surtout d'avoir très mal
calculé, ou très peu, les risques et les résultats de
l'opération.
Dans un cas aussi vital, la première chose, à mon humble
avis, que tout législateur devrait avoir à l'esprit, la chose sur
laquelle il devrait, vis-à-vis de lui-même, être de la plus
extrême exigence, c'est d'être clair et honnête avant tout,
d'avoir l'intégrité et le courage de poser ses gestes en pleine
lumière afin d'être sûr, en autant qu'il est humainement
possible de l'être, que les citoyens sauront de quoi il s'agit,
clairement et sans équivoque.
Or, la chose qui m'a frappé de prime abord et qui me cause le
plus de malaise dans le bill 63 et dans un sens il me semble que c'est
le vice le plus sérieux de ce projet de loi c'est que c'est un
texte qui se présente comme une fabrication intellectuellement
malhonnête, il pré- tend être ce qu'il n'est pas, et
à partir de son titre même il porte à faux. Et plus ou
moins tout au long du texte, je crois qu'il cherche cons-
ciemment ou inconsciemment il y a une telle tradition chez nous
de déguiser ainsi des sujets désagréables à
fausser ou à camoufler sa partie essentielle.
Je parle du texte, il fait cela d'une façon qui, je crois, se
veut astucieuse à la mode traditionnelle, en se faisant un paravent de
la promotion de l'enseignement du français, alors que l'essentiel du
projet de loi n'est pas là.
C'est comme si le gouvernement avait voulu adapter, jusqu'à un
certain point, à la question linguistique le slogan du ministre du
Tourisme: Si l'on veut réussir à faire avaler la pilule,
mettons-y du plaisant! Un peu comme quand j'étais petit gars aussi.
C'est comme cela qu'on nous faisait prendre de l'huile de foie de morue. On la
mettait dans le jus d'orange; nous sommes tous passés par là.
C'est peut-être astucieux de dresser en façade une primauté
verbale et pas du tout préparée en détail de
l'enseignement français dans le Québec. C'est peut-être
astucieux de faire de cet enseignement français ou de la connaissance du
français une pseudo-exigence, indéfinie et purement verbale elle
aussi, à l'adresse des immigrants et d'intituler le tout « Loi
pour promouvoir l'enseignement de la langue française au Québec
», alors que le coeur du bill n'est pas là du tout; alors que tout
cela ce que je viens d'énumérer rapidement et qui se
retrouve dans les quelques articles du bill est très flou et fait
essentiellement d'énoncés d'intention et en grande partie,
d'improvisation. C'est le plaisant, ou le jus d'orange, pour faire avaler la
chose qui est fondamentale. C'est peut-être astucieux à l'ancienne
mode, mais je dois dire au premier ministre que ce n'est pas digne de lui et
que ce n'est pas digne de nous. Je crois que le gouvernement commence à
se rendre compte aussi, que c'est un style d'action qui ne peut plus s'avaler
comme autrefois. Pour l'essentiel, qu'on ne se compte pas de romance, le bill
63 est une mesure qui vise exactement le même but que le défunt
bill 85. C'est un bill qui vise fondamentalement à « renchausser
» et, en même temps, à « officialiser »
légalement, pour la première fois, un statu quo ancien, mais
dépassé et dont le maintien tel quel, sans changement, sans
limite et même sans remise en question, serait tout à fait
contraire aux intérêts les plus vitaux et les plus
légitimes du Québec français.
Ce statu quo, qui est ce qu'on appelle « le libre choix »
absolu et illimité de l'école, c'est lui qui a permis à
une minorité, qui avait déjà tout pour elle dans
Québec, de devenir dominante à Montréal surtout, mais
aussi ailleurs très souvent, au point où c'est nous, la
majorité, qui, à plus ou moins long terme, sommes obli-
gés d'être inquiets et de nous sentir menacés dans notre
existence même. Cette minorité de nos concitoyens anglophones
avait déjà des positions conquises et longuement
consolidées dans le domaine économique et, par conséquent,
dans le domaine du prestige social; elle les a encore. Cette minorité
avait des privilèges fiscaux et scolaires d'une ampleur tellement
excessive que cela devenait caricatural. Cela a été quelque peu
atténué, mais une grande partie en demeure encore. Cette
minorité de nos concitoyens anglophones avait ce rôle
extraordinairement puissant de représentant ou, si l'on veut, de
tête de pont, à l'occasion, de la majorité culturelle du
pays et même du continent tout entier. Ce rôle-là, elle l'a
encore.
S'ajoutant à tout cela, le statu quo scolaire, ce libre choix
illimité que le bill 63 prétendrait figer tel quel, lui a permis
cette chose inconcevable excepté dans les colonies officielles
d'être une minorité qui est chez nous le seul groupe
assimilateur et qui augmente sans cesse ses effectifs aux dépens de la
majorité. Le coeur du bill 63, c'est cela et pas autre chose.
Tout le reste, foncièrement, c'est du plaqué et,
très visiblement aussi, de l'improvisé.
Vous avez là des morceaux gauchement incorporés à
une loi dont la raison d'être est celle que je viens de dire. Vous avez
là des morceaux épars, à peine conçus. On a
l'impression, dans le discours du ministre de l'Education et tout à
l'heure dans celui du premier ministre, qu'on continue de les concevoir sous
nos yeux, ces morceaux-là. On se dépêche de les concevoir;
ça presse. Mais tout ce qu'on a, ce sont des morceaux épars de
cette fameuse « politique globale » du français: le
français langue prioritaire, le français langue nationale, le
français langue d'usage. On s'est tellement gargarisé avec
ça, dans une espèce de délire d'impuissance verbeuse, que
les gens, très nombreux chez nous, sont écurés du
sujet et, sans trop se rendre compte souvent, qu'on est en train ainsi de les
écurer d'eux-mêmes et de ce qu'ils sont.
On a là des morceaux épars, à peine conçus,
bloqués en énoncés généraux et incomplets, y
compris la perspective de cette connaissance d'usage du français pour
les jeunes anglophones des générations montantes contre laquelle
personne ne peut être, évidemment. Mais tous ces morceaux donnent
l'impression d'être des promesses velléitaires pour l'avenir, sans
qu'on sache si les moyens humains et matériels ont été mis
en place. On sait plutôt qu'ils ne l'ont pas été. Quand ils
le seront, on ne le sait pas; et on ne sait même pas s'ils sont
disponibles ni quand ils le seront.
C'est ainsi qu'à mon humble avis, ce projet de loi est
frauduleux. Sur ce point-là, bien sûr, même si elle se
contentait d'en souligner l'aspect faiblesse plutôt que l'aspect
tromperie, l'Opposition officielle avait raison il y a deux jours de noter que
ça ne correspond aucunement à un minimum décent de
politique linguistique digne de ce nom. Mais cette attitude, je dois le dire,
aurait été plus convaincante pour moi comme pour d'autres si
l'Opposition n'avait pas aussi, par le discours de deuxième lecture du
député de Louis-Hébert, clairement
télégraphié d'avance qu'il s'agissait de ce qu'on appelait
à la légion étrangère autrefois un baroud
d'honneur, puisque l'Opposition a également décidé de
voter pour le bill 63. Je crois donc que peut-être le vice le plus
frappant de ce bill, c'est qu'il n'est pas honnête intellectuellement sur
un sujet aussi fondamental.
Maintenant, je voudrais parler du coeur du bill, que je viens
d'identifier tel que je le vols, c'est-à-dire le maintien du statu quo,
ce coeur qu'on a essayé de camoufler dans le style de ce projet de loi.
Pendant trois ans, sur cette question comme sur bien d'autres, nous avons eu un
gouvernement qui ne gouvernait pas, un gouvernement qui, tout à coup,
trop tôt ou trop tard, ça dépend comment on regarde la
chose, tout à coup, brutalement et mal, se met à gouverner.
Vous avez un gouvernement qui était pourtant au courant de faits
inquiétants et dont la prise de conscience est récente chez nous,
mais c'est une prise de conscience qui se fait de plus en plus vive. Et quand
je dis qu'elle est récente chez nous, ça permet peut-être
d'expliquer, ça ne l'excuse pas, le fait le ministre du Travail,
dans son style horripilant, l'a souligné il y a deux ou trois jours
le fait que le gouvernement précédent non seulement n'a
pas agi de façon consistante dans ce domaine tous ceux qui en ont
fait partie en sont conscients mais plus que ça, que le
gouvernement, pas plus je crois à ce moment-là que la
société québécoise ou ses dirigeants à
l'extérieur de cette Chambre, n'était conscient à la fois
de l'ampleur et de l'urgence croissante de ce problème.
On peut tous dire mea ou nostra culpa là-dessus, puisque
gouverner c'est prévoir, mais le fait est que la prise de conscience de
ce problè- me qui est celui de tout un peuple est récente. Entre
autres facteurs, elle est venue par exemple de la constatation que la
natalité chez nous et au point de vue social par rapport à
ce qui existait auparavant, Dieu sait que ce n'est pas un recul, mais il reste
qu'au point de vue démographique, c'est une chose extraordinairement
importante que la natalité chez nous, dis-je, a subi ces
dernières années et continue de subir une chute vertigineuse. On
ne parle plus de revanche des berceaux, il y a longtemps que c'est tombé
dans l'oubli puis que les berceaux sont remontés au grenier. Mais cela
veut dire aussi que nos régions rurales, relativement bien
peuplées, qui fournissaient, qui ont fourni en particulier aux grandes
villes des espèces de recrues continuelles de population dans le
phénomène d'urbanisation, nos régions rurales ne pourront
plus désormais et de moins en moins se vider dans la direction des
villes.
Or, à moins d'être inconscient, chacun sait que c'est une
ville, la plus grande de toutes les villes du Québec, la plus
stratégique, à tous les points de vue, de toutes les villes du
Québec, une ville dont les gouvernements successifs et en particulier,
Je crois, des gouvernements d'Union Nationale, à cause de leurs origines
électorales et de la tradition, une ville qu'on a beaucoup de
misère à suivre apparemment dans le détail de sa vie,
cette ville, c'est Montréal. C'est dans cette ville, qui est quand
même d'une importance fondamentale pour la vie du Québec, que le
problème se pose et qu'il fait mal.
Je prends, pour éviter d'en faire des élaborations
inutiles, un dessin que tout le monde admettra, Je crois, pour l'essentiel, et
que M. Ryan inscrivait dans le Devoir, dans son éditorial du 18
septembre dernier: « Montréal fut cependant longtemps le
siège d'une cohabitation superficiellement cordiale mais inégale
entre francophones et anglophones. La ville, il y a un siècle, fut
habitée par une population à majorité anglophone, mais peu
à peu le groupe français reconquit son droit d'aînesse.
Depuis des années, sa proportion dans l'ensemble se maintient à
environ 66%. Mais ces chiffres ne traduisent plus qu'une partie de la
réalité. Pendant que les statistiques officielles semblaient
confirmer » on verra en 1971 à quel point cela reste vrai
« la force du groupe francophone, deux facteurs ont
continué ces dernières années de jouer contre ce dernier.
Premièrement, la prédominance des anglophones dans le domaine
économique laquelle entraînait, outre d'inévitables et
dangereuses différences dans le niveau de vie, une grave
intériorisation pratique de la langue de la majorité.
Deuxièmement, la tendance très nette des nouveaux citoyens venus
de l'extérieur du Québec à s'intégrer pour diverses
raisons, dont les raisons d'ordre économique, au groupe anglophone.
»
C'est au point où il y a des gens chez nos amis de langue
anglaise qui ne se gênent pas pour dire que pourvu que ça
continue et qu'on maintienne, avec toutes les pressions qui se sont faites
ouvertement et celles qu'on devine en cou-
lisse, sans limite, sans le circonscrire, le statu quo avant 1981
la majorité dans la région métropolitaine de
Montréal sera anglaise, sera anglophone, si on aime mieux le Jargon
à la mode. C'est à partir de tout ça, avec des points
chauds extrêmes comme le cas de Saint-Léonard, que la prise de
conscience est née ces dernières années et que depuis deux
ou trois ans elle s'accélère et s'approfondit continuellement. Au
fin fond, c'est que les conditions classiques de la survivance sont
révolues. Ça ne fonctionne plus, d'autant plus que la vieille
barrière qui a constitué une espèce de rempart qui
était celui de la « foi gardienne de la langue... »
M. LAFRANCE: Laissez la foi tranquille, toujours!
M. LEVESQUE (Laurier): Je veux bien laisser la foi tranquille, mais dans
ce domaine...
M. LAFRANCE: Vous allez voir ce que la foi a fait au Québec. Si
on vit, c'est grâce à notre foi.
M. LEVESQUE (Laurier): Bon! Vous êtes bien chanceux, vous, dans
votre coin.
M. LAFRANCE: Vous allez voir où ça va conduire votre
anarchie à vous.
M. LEVESQUE (Laurier): La possession.
M. LAFRANCE: Si vous pensez servir le peuple canadien-français de
cette façon...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. LEVESQUE (Laurier): Une chose est certaine, c'est que les conditions
classiques de la survivance sont révolues, d'autant plus que cette
vieille barrière, qui a déjà longtemps servi de rempart,
de la foi gardienne de lalangue, c'est-à-dire de la division purement
religieuse du système scolaire, ne joue plus comme auparavant, il fut un
temps où ça correspondait à peu près bien à
la réalité, mais, ça, c'est fini. Si le
député de Richmond ne s'en rend pas compte, c'est parce que,
comme beaucoup d'autruches dont le postérieur émerge dans le
paysage, il refuse de voir ce qui se passe.
M. LAFRANCE: Il faudrait parler de la perfidie du député
qui n'a aucun mandat pour parler dans cette Chambre.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je veux signaler que c'est actuellement
l'honorable député de Laurier qui a la parole,
premièrement; deuxièmement, je veux signaler à nos
visiteurs dans les galeries qu'il n'est pas permis de manifester et que je
serai malheureusement dans l'obligation de demander au public de se retirer si
l'on continue à manifester. L'honorable député de
Laurier.
M. LEVESQUE (Laurier): La preuve de ce que je viens de dire, je crois,
se trouve dans les statistiques de la Commission des écoles catholiques
de Montréal qui nous disent qu'en dix ans, par exemple, dans le secteur
qu'on appelle le secteur catholique anglophone, les écoles de la vieille
division traditionnelle du secteur catholique où l'on parle anglais, en
1956, sur 22,000 élèves il y avait là 9,000 de ceux qu'on
appelle les Néo-Québécois, c'est-à-dire les
nouveaux arrivés, leurs enfants; en 1966, dix ans plus tard, sur 42,000
- le secteur a doublé en dix ans 27,000 enfants de
Néo-Québécois. Cela, ce sont les enfants. Chacun sait que,
dans les années normales d'après-guerre, environ une vingtaine de
milliers d'immigrants, en moyenne je crois, ça va plus loin souvent,
entrent chez nous. Maintenant, du côté des adultes, chez ces
immigrants qui se concentrent pour la plupart à Montréal ou dans
la région métropolitaine, les 9/10 tout le monde l'admet,
c'est connu vont du côté anglais aussi.
Si on fait le compte des adultes et des enfants, il est évident
que cet espoir, inavoué la plupart du temps et parfois avoué, de
nos amis de langue anglaise de faire de la région métropolitaine
de Montréal... de refaire ce qu'elle a été au
siècle dernier, c'est-à-dire une région
prédominamment anglophone, pourrait se réaliser dans le maintien
des statu quo comme ceux que préconise le bill 63. Il me semble que, de
toute évidence, il faut reviser nos attitudes traditionnelles. Il faut
faire ces revisions déchirantes qui ont été
nécessaires pour d'autres peuples, sur d'autres points et trouver les
conditions d'une vitalité nouvelle. Autrement, on se la
répétera inutilement et on continuera à s'en servir aussi
comme camouflage, la phrase de M. Daniel Johnson où il parlait de faire
du Québec un coin aussi français que l'Ontario est anglais.
Pour y arriver, il faut, je crois en trouvant quand même le
moyen de les réconcilier, dans le contexte actuel établir
de façon certaine et rigoureuse la protection du droit fondamental de
notre peuple, qui est la majorité ici mais une majorité
menacée à plus ou moins long terme son droit fondamental
à sa sécurité et à sa dignité dans le
domaine de sa langue, et trouver le moyen de récon-
ciller cela avec les droits qui ont été longuement acquis
par des personnes qui sont nos concitoyens et qui forment un groupe trop
important et trop ancien, je crois, pour qu'il soit équitable de les en
dépouiller. Est-ce que cela est possible? Est-ce qu'il est possible de
retrouver, dans ces conditions-là, le dynamisme culturel d'une
société qui assimile au lieu de se laisser gruger comme c'est le
cas présentement?
Je crois que c'est possible mais que c'est extraordinairement
malaisé dans le contexte actuel. Je ne veux pas tirer la couverture, je
n'ai pas envie de faire un discours politique dans le sens de notre option. Je
voudrais simplement souligner, en passant, que ce serait extraordinairement
plus facile si on était comme d'autres petits peuples dont, souvent, la
langue et la culture sont uniques en leur genre. Nous, nous participons
à une culture internationale, qui est peut-être en un certain
déclin car la francophonie n'est pas exactement conquérante
à travers le monde ces années-ci, mais nous participons à
une culture internationale.
Seulement, il y a d'autres petits peuples, souvent plus petits que nous,
les Québécois français, qui, par le simple fait qu'ils
sont officiellement et complètement chez eux et qu'ils ont un pays
à eux, ne se posent pas ces problèmes pénibles et souvent
humiliants que nous nous posons et que nous tâchons laborieusement,
souvent de travers comme avec le bill 63, de régler. Ils s'appellent,
par exemple, des Danois et des Finlandais qui ne sont même pas 5
millions, des Suédois qui sont à peine 7 1/2 millions, des Grecs
d'aujourd'hui, héritiers d'une vieille culture mais dont la langue n'a
plus de correspondance nulle part dans le monde.
Tous ces peuples-là non seulement réussissent parce qu'ils
sont chez eux, à savoir qu'ils vivent et n'ont pas à toujours
chercher leur survivance, mais ils réussissent aussi à ne pas
être obligés de choisir, comme le disait tout à l'heure le
premier ministre, « entre leur appartenance cutlurelle et leur
appartenance économique », parce qu'ils n'ont pas cette
fragilité fondamentale que nous donne le contexte. Et on
n'évitera pas, même si on le voulait, le contexte politique et
constitutionnel dans lequel nous nous débattons et dans lequel nous
cherchons notre direction avec les difficultés que l'on sait.
Et nous continuerons à les chercher péniblement dans ce
contexte-là. Tant qu'il durera il en sera toujours ainsi, et ce sera
dans la nature des choses que la politique québécoise, pas en
toute hypothèse, constitutionnelle, contrairement à ce que disait
le premier ministre; c'est mon opinion et c'est l'opinion de ceux que je
représente ici, mais, tant que nous serons dans le contexte actuel, la
politique québécoise sera toujours « un jeu
d'équilibre, un effort de conciliation. La, si on veut, est son immense
intérêt c'est un intérêt dont on se passerait
souvent, si on me permet de le dire et là est aussi, comme le
disait le premier ministre, sa difficulté particulière
».
Ceux qui défendent le contexte actuel, qui veulent y rester, qui
veulent rester dans le contexte d'une province, c'est-à-dire dans le
contexte d'un peuple minoritaire et politiquement mineur, dans un pays et dans
un continent d'une autre culture les gens qui veulent maintenir ce contexte,
avec ses difficultés particulières, comme le premier ministre et
comme l'Opposiition officielle, comme les proposeurs du bill 63 et comme ceux
qui ont dit officiellement qu'ils voteraient pour, alors ils ont d'autant plus,
il me semble, le devoir d'être conscients que les problèmes que
j'ai évoqués sont beaucoup plus difficiles et angoissants, dans
ce contexte d'une survivance toujours menacée, dans une province, et
exigent par conséquent d'autant plus de lucidité et de
rigueur.
La résurrection, pour l'essentiel, du bill 85 que constitue le
bill 63, à mon humble avis, est une forme de démission
catastrophique. Au coeur du bill, se trouve le statu quo qui affecte, en
particulier, la région métropolitaine de Montréal. Nous
avons dit, le groupe que je représente...
M. TETLEY: Quel groupe?
M. LEVESQUE (Laurier): ... et je le répète ici, pour
l'essentiel, que ce principe du libre choix traditionnel ne se trouve et
c'est le plus grave à ce point de vue aucunement circonscrit pour
l'avenir. On ouvre ainsi toute grande ou on la laisse grande ouverte
la porte aux pressions permanentes ouvertes ou déguisées
des milieux économiques anglophones et à l'érosion
continue de notre vitalité linguistique. Comme l'a dit le premier
ministre, l'article de M. Champagne, dans le Devoir de ce matin, nous montre
à quel point notre vitalité linguistique est justement fragile.
Mais, on ouvre la porte à ce que cela continue et à ce que cela
s'accentue. C'est d'autant plus probable que, dans les secteurs absolument
fondamentaux de la langue du travail, de la langue des affaires, de la langue
pour gagner sa vie, le gouvernement n' énonce, encore pour un avenir
incertain, que de peureuses velléités. Sur ces points, il laisse
prudemment à la commission Gendron le mandat qu'il est en train de lui
enlever pour l'enseignement.
Pour notre part et pour la mienne, ici dans cette Chambre, je maintiens,
conformément à notre programme, que les droits acquis par nos
présents concitoyens anglophones, de quelque origine qu'ils soient,
doivent être maintenus, de même que les institutions
subventionnées qui sont requises pour que ces droits puissent être
exercés sans restriction. Mais, d'autre part, nous soutenons aussi que
cette participation anglophone au secteur public de l'enseignement, ainsi qu'au
secteur universitaire subventionné doit être circonscrite
très précisément à sa taille actuelle et à
la seule augmentation naturelle de ses effectifs scolaires.
C'est ce que nous avons proposé dans notre contre projet au bill
85 de l'an dernier. Nous continuons de croire il y a des gens de plus en
plus nombreux dans le Québec qui le soutiennent que c'est la
politique indiquée si on veut un Québec français qui soit
équitable, d'une part, mais lucide, d'autre part.
Je veux être bien précis là-dessus. D'une part,
à notre avis, par équité et aussi par simple bon sens
politique, il faut respecter les positions présentes de la
minorité dans le Québec. Mais, d'autre part, on n'a pas le droit
d'aller jusqu'à lui faire cadeau ou même de risquer de lui faire
cadeau, dans le contexte actuel, de l'avenir culturel du Québec. Dans ce
Québec où le vieux rempart des divisions religieuses dans le
domaine scolaire est en train de s'émietter.
Dans ce Québec où les chambres de commerce, le
conseil du patronat, une foule de grandes entreprises sont symptomatiques
à ce point de vue là dans leurs mémoires à la
commission Gendron les pressions des milieux dominants, au point de vue
économique, s'exercent et, avec le bill 63, elles s'exerceront en-copie
plus sûrement sur les Canadiens français nombreux, qui seraient
à ce moment-là plus fragiles et plus inquiets que jamais de
l'avenir de leurs enfants... Dans ce Québec provincial, ne pas
circonscrire le libre choix à ses dimensions acquises, ne pas oser
indiquer clairement une politique d'intégration obligatoire des
immigrants futurs, à notre avis, au mien, c'est une démission.
J'espère que le premier ministre ne sursautera pas, mais lui et les
siens agissent, plus que quiconque sur ce point-là, comme des
extrémistes, en voulant, avec un entêtement digne d'une meilleure
cause...
M. LE PRESIDENT: Je m'excuse d'interrompre l'honorable
député de Laurier, mais je dois lui signaler que le temps
consacré à son intervention est maintenant expiré.
M. LEVESQUE (Laurier): Sauf, M. le Pré- sident je ne veux
pas insister que j'en avais encore pour une minute et demie ce qui a
été à peu près le temps de l'intervention du
député de Richmond; je ne sais pas si ça peut compter.
Avez-vous soustrait cette intervention?
M. LE PRESIDENT: J'ai tenu compte de l'intervention de l'honorable
député de Richmond.
M. BERTRAND: C'est d'accord.
M. LEVESQUE (Laurier): En remerciant le premier ministre et la Chambre,
je voudrais terminer en disant ceci: En voulant, avec un entêtement digne
d'une meilleure cause, honorer, pour l'essentiel, une promesse faite l'an
dernier, en fonction de Saint-Léonard, à nos concitoyens
anglophones, en le faisant un an plus tard, dans un climat qui s'est alourdi
sans cesse davantage d'incertitudes et d'angoisses, et en le faisant aussi sans
même attendre les conclusions de la commission Gendron, qui a pourtant
été créée pour éclairer tout le monde; en le
saisant d'une façon qui ne corrige en rien un statu quo qui nous
affaiblit, le premier ministre et le gouvernement versent dans leur forme
à eux d'extrémisme. Avec sincérité, ça on le
sait, le premier ministre est sincère; j'espère que ceux qui
l'entourent le sont aussi, malgré qu'on peut avoir des doutes. Mais je
crois que c'est une sincérité dévoyée et qui
constitue...
M. BERTRAND: Vous prêtez des intentions...
M. PAUL: M. le Président, sur un rappel au règlement,
parce que nous avons accordé quelques minutes additionnelles à
l'honorable député, aurait-il la gentillesse de garder son fiel
pour lui?
M. LEVESQUE (Laurier): A côté des avalanches que je
reçois parfois, on peut dire que c'est du goutte à goutte. Enfin,
d'accord.
En tout cas, je vais dire une chose dont je suis convaincu. Je vais
laisser de côté les choses dont je ne suis pas certain. Je suis
convaincu que le premier ministre est sincère, mais je crois que c'est
une sincérité qui, dans les circonstances, constitue une
provocation et qui invite littéralement les réactions, de plus en
plus vives, indiscutablement de plus en plus massives chez les adversaires du
bill, des réactions sur lesquelles flotte aussi, c'est évident,
le danger constant d'aller à l'extrême.
A ce propos-là, on peut quand même se réjouir du
fait que ce droit fondamental en démocratie, qui est celui de
manifester, celui
de contester les dirigeants s'est exercé cette fois-ci, depuis
trois ou quatre jours en tout cas, d'une façon à peu près
impeccable. Le gouvernement, sur ce point, devrait prendre garde, il me semble,
de ne pas sous-estimer l'importance et le sens profond de ce mouvement. C'est
facile et c'est superficiellement rassurant, mais c'est trompeur, je crois, de
dire: Ce n'est pas grave, ce sont seulement des étudiants ou des
enseignants. Ils ne sont pas majoritaires et, de plus, ils sont marginaux dans
notre société.
M. BERGERON: C'est ce qui est grave.
M. LEVESQUE (Laurier): Non, mais je crois qu'on doit faire remarquer
que, tout compte fait et à la réflexion je crois que
ça saute aux yeux ces gens-là, par milliers, ne sont pas
plus marginaux que la révolution scolaire, qui est
l'événement central du Québec des vingt dernières
années. Car, dans des dizaines de milliers de familles, y compris les
nôtres, ils sont les premiers fruits de cette révolution scolaire,
les premiers à qui on a donné aussi massivement la
capacité de s'exprimer. D'instinct, très souvent sans avoir trop,
trop réfléchi ou analysé le problème, mais,
d'instinct, ne poursuivent-ils pas, en ce moment, l'accomplissement logique de
cette révolution scolaire?
Le propre président de la commission Gendron évoquait
aujourd'hui ce milliard par année qu'on dépense pour les faire
instruire en français mais avec l'obligation, si nous voulons être
logiques, d'assurer, de façon absolue, qu'on pourra vivre, qu'on pourra
gagner sa vie, gagner ses promotions et se réaliser pleinement dans la
même langue au Québec.
C'est fondamental et, d'instinct, c'est ça que poursuivent les
manifestants et les contestataires actuels. C'est vrai qu'il y a des
bébés de douze et treize ans et ça, c'est immoral si on
les actionne de ce côté-là. C'est vrai que, dans les marges
du mouvement comme c'est toujours le cas, il y a des agitateurs professionnels,
mais qu'on ne vienne pas nous raconter parce qu'il y a une
différence d'espèce avec certaines autres choses qu'on a vues
que les masses incroyables qui sont descendues calmement et d'une
façon dont, pour l'instant, on peut être fier dans les rues de la
plupart des villes, surtout Québec et Montréal, sont autre chose
que des citoyens, y compris ceux à qui, à 18 ans, on a
donné le droit de vote. De plus en plus, il y a des ouvriers...
M. PAUL: M. le Président, l'honorable député a
demandé un délai additionnel de une ou deux minutes; voilà
qu'il arrive à près de cinq minutes. Alors, je crois que, dans
les circonstances, nous serions mieux de le laisser à la satisfaction
béate de la contestation.
M. LEVESQUE (Laurier): Alors, M. le Président, je remercie quand
même la Chambre pour ces trois minutes. Le reste est clair...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable ministre des Affaires
culturelles.
M. Jean-Noël Tremblay
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, parlant sur ce projet
de loi qui actuellement suscite dans la population beaucoup de passion, je
voudrais éviter toute attitude partisane, mais je ne puis quand
même m'empêcher de penser qu'il me faudra poser à celui qui
vient de se rasseoir certaines questions qui sont essentielles à la
compréhension de l'attitude qu'il a prise.
L'an dernier, parlant du problème de la langue et de la
nécessité de proposer une politique globale en cette
matière, j'avais indiqué avec énergie que les partis
politiques traditionnels s'étaient refusés à prendre
position en une matière aussi délicate parce qu'ils craignaient
la réaction de la clientèle électorale et qu'ils
s'inquiétaient de savoir s'ils satisferaient ou les anglophones ou les
francophones.
Voilà qu'aujourd'hui le gouvernement dont je fais partie propose
à la Chambre, à la suite des pressions qui ont été
faites de toutes parts et après un examen approfondi de la question, un
projet de loi qui, comme on l'a signalé le premier ministre, tout
particulièrement, et le ministre de l'Education n'est que
l'amorce d'une politique globale de la langue.
Ce projet de loi n'est certes pas parfait, n'est certes pas complet, il
sera perfectionné, il sera complété à mesure que la
connaissance de la situation du français nous permettra de proposer des
politiques ou de mettre en application des mesures qui viendront
compléter ce que nous proposons aujourd'hui.
Le député de Laurier, que j'ai écouté avec
beaucoup d'attention, avec beaucoup de respect aussi, sans l'interrompre, a
déclaré quel était son sentiment et quel était son
avis sur le projet de loi que nous proposons à la Chambre, il a dit de
ce projet de loi et Je le cite, puisque J'ai pris des notes alors qu'il
parlait « Il prétend être ce qu'il n'est pas ».
Mais, qui donc est le député de Laurier dans les circonstances
actuelles? Le député de Laurier a déclaré,
d'autre
part, qu'il parlait au nom du groupe qu'il représente. Mais, qui
est ce groupe qu'il représente? Le député de Laurier a
également déclaré qu'il admettait que l'on reconnaisse
à la minorité anglophone du Québec, une liberté
limitée à son importance.
Qu'est-ce que cela veut dire? Quel est le sens de cette liberté?
Quelle est la dimension de cette liberté qu'il reconnaît à
la minorité anglophone? Voilà un certain nombre de questions
extrêmement importantes auxquelles le député de Laurier se
doit de répondre, si l'on veut bien comprendre quelle est l'attitude
qu'il a prise dans le débat qui occupe actuellement la Chambre.
Le député de Laurier dit de ce projet de loi qu'il
prétend être ce qu'il n'est pas. Or, nous avons exprimé
clairement que ce projet de loi a pour but de promouvoir la primauté du
français. Le projet de loi s'applique d'abord à ce palier
extrêmement stratégique et extrêmement important qu'est
l'enseignement, puisque c'est par l'enseignement qu'il faut commencer à
donner cette base de connaissance de la langue, qui est ici la langue de la
majorité, à savoir la langue française.
Si ce projet de loi prétend être ce qu'il n'est pas, qui
donc le député de Laurier prétend-il être? De qui,
exactement, est-il le porte-parole?
M. BELLEMARE: Très bien!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-il exactement le porte-parole de tous ceux
qui, déjà choisis canadidats de son parti, déclarent
à l'heure actuelle devant des masses d'étudiants que l'on fait
manifester, dit-il, calmement, mais librement... Le député de
Laurier prétend-il être le même porte-parole que ces
candidats du parti qu'il a créé et qui réclament à
cor et à cri l'unilinguisme intégral au Québec? Qu'il se
désolidarise de Bourgault et des deux autres candidats qui, hier soir,
s'adressant aux étudiants, ont réclamé l'unilinguisme
intégral. Je lui pose ces questions afin de savoir exactement de quel
côté il se range, à quelle enseigne il loge.
M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, si le ministre
était sérieux et s'il acceptait une réponse, je lui dirais
très simplement ceci: Ce que je représente, c'est le Parti
québécois qui, depuis deux ans...
M. HARVEY: Il n'a pas été élu par ses partisans,
par exemple.
M. LEVESQUE (Laurier): ... d'affilée, dans des circonstances
difficiles, a d'abord défini et puis ensuite maintenu un programme cette
année, sur cette question. C'est le seul parti qui l'ait fait. Ce
programme dit que l'unilinguisme officiel au Québec
c'est-à-dire l'unilinguisme de l'Etat, la langue officielle
serait, dans le Québec souverain que nous proposons - ce n'est pas
possible dans un Québec provincial à moins de changer la
constitution actuelle cela serait un fait. Je m'excuse. Nous
maintiendrions dans ses limites actuelles, tel que je l'ai défini, les
droits acquis, dans le secteur scolaire en particulier, par la minorité
anglophone.
DES VOIX: Ah! ah!
M. LEVESQUE (Laurier): Les candidats du parti, autant que je sache,
disent la même chose sur les tribunes...
DES VOIX: C'est faux! Non! Non!
M. LEVESQUE (Laurier): S'ils ne le font pas, ils se coupent
automatiquement,...
DES VOIX: C'est faux!
M. LEVESQUE (Laurier): ... c'est évident, du programme du parti
et sont dissidents, comme certains députés de l'Union Nationale
le sont en ce moment.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, voilà une
réponse qui nous éclaire singulièrement sur l'attitude
confuse du député de Laurier et sur la situation confuse dans
laquelle se trouve actuellement ce ramassis de gens qui constituent le Parti
québécois. C'est là...
M. LEVESQUE (Laurier): C'est quand même le seul...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre!
L'honorable ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je disais donc, M. le Président, que
l'attitude du député de Laurier telle qu'il l'a exprimée
dans son discours et en répondant à la question précise
que je lui al posée, est une attitude de confusion qui le met en
contradiction flagrante avec ceux qui sont actuellement les inspirateurs des
démonstrations que l'on a organisées et que l'on continue
d'organiser contre le projet de loi no 63.
Le député de Laurier affirme, d'une part, qu'il est contre
l'unilinguisme dans un gouvernement qui serait un gouvernement provincial,
c'est-à-dire un gouvernement intégré dans le cadre
de la confédération actuelle ou dans une
confédération renouvelée, mais, d'autre part, il affirme
qu'il serait pour l'unillnguisme intégral si la province de
Québec devenait un Etat souverain. N'est-ce pas ce qu'il a dit?
M. LEVESQUE (Laurier): Non, Je m'excuse. Ou bien le ministre ne comprend
pas ou bien...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!
M. LAPORTE: Je ne comprendrais pas que le député sorte, il
n'y a pas eu de vote d'appelé.
M. GOSSELIN: Dans son bataillon, il est toujours le seul à avoir
raison.
M. LEVESQUE (Laurier): J'espère que vous serez tous là
tantôt pour voter.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre! L'honorable ministre
des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, ce n'est pas pour rien
que j'ai attendu que le député de Laurier fasse son discours
avant de prendre la parole. C'est parce que je voulais me rendre compte encore
une fois que toutes ses idées, que toute sa pensée, que toute sa
dialectique est faite de bouts de fil, d'idées qu'il a pigées
à droite et à gauche, qu'il essaie de ramasser et auxquelles il
essaie de donner une certaine cohérence. D'un côté, le
député de Laurier se déclare contre l'unilinguisme et,
d'autre part, il dit: Bien, nous serions peut-être pour l'unilinguisme
dans un Etat du Québec indépendant. Que ce soit dans l'Etat
actuel du Québec, M. le Président, ou dans un Etat du
Québec indépendant tel que le souhaite le député de
Laurier et sa cohorte, il restera toujours ici, dans le Québec, un
problème, le problème de l'existence d'une minorité
anglophone importante. De quelle façon le député de
Laurier entend-il respecter ce qu'il appelle les droits de cette
minorité anglophone?
Il nous dit que les droits de cette minorité anglophone seront
limités à son importance numérique. Mais qu'est-ce que
cela veut dire, M. le Président? Qu'est-ce que cela veut dire
exactement? Cela veut dire exactement ce que cela voulait dire au moment
où est né en Allemagne le national-socialisme, alors que l'on a
limité les droits d'une certaine catégorie de gens à leur
importance numérique avant que de les exterminer.
Le député de Laurier connaît l'histoire de la
France...
M. LEVESQUE (Laurier): Sur une question de privilège. Sur une
question de privilège. Je ne croyais pas, M. le Président
et je me contente de protester qu'on pouvait descendre à autant
de bassesse, comme vient de le faire le ministre des Affaires culturelles.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable ministre des Affaires
culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si Je fais référence à
l'histoire, c'est parce que l'histoire est quand même maîtresse
d'enseignement. Et, dans l'agitation actuelle, dans le tumulte qui
empêche un grand nombre de citoyens d'entendre la voix de la raison, il
est important de rappeler certains faits historiques et de montrer qu'il peut y
avoir une similitude entre les situations qui existent à l'heure
actuelle chez nous et les situations qui ont existé dans le passé
dans d'autres pays.
Quand le député de Laurier déclare qu'il est
prêt à reconnaître les droits de la minorité
anglophone et que, d'autre part, il déclare que ces droits seront
limités à l'importance numérique de cette minorité
non seulement il limite à ce moment-là les droits, mais il les
abolit à toutes fins utiles puisqu'il empêche cette
minorité de s'épanouir normalement selon qu'elle a le droit de le
faire dans le respect intégral des droits fondamentaux de tout citoyen.
Ce n'est pas parce qu'une minorité peut constituer éventuellement
un danger pour une majorité que l'on doive écraser cette
minorité et lui indiquer à l'avance que son expansion sera
limitée à son importance numérique, ce qui équivaut
à dire qu'on contrôle en même temps son expansion
numérique. Cela va contre tous les droits fondamentaux.
Je suis persuadé que dans le Québec, alors que nous avons
une minorité anglophone et une majorité francophone, la
majorité francophone finira par prendre une expansion qui ne
détruira pas la minorité anglophone. Pas du tout, mais elle
prendra une expansion qui sera telle qu'elle aura toute la force et toute la
puissance normale d'une majorité sans que pour cela soient abolis,
soient brimés, les droits de cette minorité. Or, dans la solution
que nous propose le député de Laurier, il y a un très
grave danger. C'est là que je reprends ce que je disais au départ
que si le projet de loi no 63 prétend être ce qu'il n'est pas, la
position du député de Laurier prétend être ce
qu'elle n'est pas, puisqu'elle se veut en apparence libérale alors
qu'à toutes fins utiles c'est une position de coercition et c'est un
conditionnement de la population à l'endroit de la minorité
anglophone qui va dans le sens du
mépris et finalement de l'abolition des droits de cette
minorité.
Il faut bien s'entendre lorsqu'on parle de droits de minorité et
de majorité. Le député de Laurier a essayé tout
à l'heure, et il l'a fait avec la plus grande confusion, de nous dire
exactement quelle serait la situation des anglophones et quelle serait la
situation des francophones dans un Etat indépendant ou dans un
Québec intégré dans le cadre confédératif ou
fédératif canadien. Il n'a pas été capable de nous
éclairer sur sa pensée véritable parce qu'il n'est pas
seul dans le groupe dont il a dit qu'il parlait en son nom.
Il n'est pas seul, puisqu'en même temps qu'il déclare qu'il
est prêt lui, à respecter les droits de la minorité
anglophone, ses candidats, ses supporteurs déclarent aux
étudiants qu'ils sont en faveur de l'unilinguisme intégral. C'est
la raison pour laquelle j'ai demandé au député de Laurier
de se prononcer, de nous dire carrément s'il s'oppose au projet de loi
63 parce qu'il reconnaît les droits de la minorité anglophone, ou
s'il s'y oppose parce que le projet de loi 63 ne consacre pas l'unilinguisme
intégral. C'est là toute- la question et c'est pour cette raison
que je suis intervenu immédiatement après le député
de Laurier parce qu'il n'a pas le droit, lui, de laisser la population dans
l'incertitude, il n'a pas le droit d'entretenir l'équivoque, il n'a pas
le droit de flatter une clientèle électorale en lui laissant
entendre qu'il partage son avis quand il vient de nous dire le contraire, le
semi-contraire et le contraire du contraire en trois ou quatre phrases. C'est
dans son style, M. le Président, et je ne veux pas le charger
davantage.
Mais il y a une autre question que j'aurais voulu lui poser. Je la pose,
M. le Président, a toute la population: Quel est exactement le
rôle du groupe que représente le député de Laurier
dans cette Chambre dans les manifestations qui secouent, qui bouleversent et
qui inquiètent la population du Québec à l'heure actuelle
et qui risquent de nous amener au bord de l'anarchie? Quelle est la
responsabilité du député de Laurier et quelle est la
responsabilité de son groupe? Il aurait été important
qu'il nous l'eût dit et qu'il se dissociât absolument de Michel
Chartrand, de Bourgault et de tous les autres, qui, actuellement, mènent
une activité qu'il faut bien qualifier de subversive.
Le député de Laurier a dit tout à l'heure et
il l'a dit avec beaucoup de satisfaction que toutes les manifestations
qui se produisaient à l'heure actuelle se faisaient dans le plus grand
calme. Oui, le calme! C'est le calme ça, le désordre, l'abandon
des écoles par les étudiants et les professeurs? C'est ça,
le calme? On nous invite, nous, on nous convie, depuis trois ou quatre jours,
à toutes sortes de rencontres. Il faudra aller rencontrer celui-ci,
celui-là, pour discuter du projet de loi 63. Notre rôle à
nous, c'est d'être en Chambre, c'est de discuter en Chambre, c'est de
faire notre devoir de législateurs. Et c'est le devoir des
étudiants et des professeurs d'être à l'école.
Le député de Laurier appelle ça du calme? Est-ce
qu'il a parlé, par exemple, de la liberté? Est-ce qu'il a
parlé de cette liberté qui est sous-jacente aux manifestations?
Il dit que les manifestations se font dans le calme. Est-ce que ces
manifestations-là, M. le Président, sont des manifestations
libres? Non, on a procédé à un lessivage de cerveau; on a
mobilisé les jeunes, on les a embrigadés en criant: Il faut aller
protester contre le projet de loi 63.
C'est le droit de chacun de protester, M. le Président.
L'Opposition a le droit de protester. N'importe quel député dans
cette Chambre a le droit de protester, mais il faut protester dans l'ordre, il
faut protester selon des règles démocratiques, dans le respect
des règles de la démocratie.
Le député de Laurier peut se réjouir que rien de
grave ne se soit produit jusqu'à présent. Mais il doit quand
même se poser des questions et, au fond de sa conscience, il doit se
demander il devrait se demander qui sont les moteurs de
l'agitation actuelle, qui sont les moteurs de ceux qui présentent le
projet de loi 63, comme une tentative, comme l'effort fait par un groupe de
traîtres, de lâches nous en sommes tous, M. le
Président, nous sommes tous des traîtres et des lâches,
selon ces gens-là comme un effort de traîtres et de
lâches pour assassiner le français.
Le député de Laurier j'aimerais qu'il soit ici, je
déplore qu'il ait disparu soudainement devrait nous dire
exactement à quelle enseigne il loge, quelle est son attitude à
l'endroit des minorités anglophones, à l'heure actuelle et pour
l'avenir. Il est important que nous le sachions. Il reproche au projet de loi
no 63 d'être incomplet, de ne pas être assez explicite, de ne pas
tout dire ce qu'il devrait dire. Qu'est-ce qu'il nous a dit, cet
après-midi? Qu'est-ce qu'il vient de nous dire? Qu'est-ce que vous avez
entendu, M. le Président?
M. LAFONTAINE: Il est rendu à la télévision.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... D'un côté, un homme qui se
déclare en faveur du droit des minorités et qui, d'autre part,
déclare
qu'il est prêt à limiter le droit de ces minorités
à leur expansion numérique. Voilà une contradiction
extrêmement sérieuse et extrêmement grave. Le
député de Laurier a parlé aussi de la liberté de
choix. Il prétend que nous donnons, par le projet de loi no 63, à
tous les citoyens du Québec, une liberté de choix trop grande. Il
prétend que cette liberté de choix que nous donnons va faire que
les francophones, eux-mêmes, vont être incités par le projet
de loi 63 à s'intégrer à la minorité
anglophone.
Mais, c'est aller contre le bon sens, c'est aller contre la logique des
faits et c'est aller aussi contre la psychologie des francophones que le
député de Laurier prétend défendre depuis des
années. Les francophones, depuis des années, réclament
qu'on donne à la langue française la primauté, qu'on
fournisse à tous les Québécois les moyens d'assurer cette
primauté de leur langue, de faire en sorte que la langue
française devienne la grande langue d'usage, la langue de communication
dans le Québec. Est-ce que les francophones, parce que nous proposons ce
projet de loi qui n'est que l'amorce, nous le répétons, d'une
politique globale de la langue, est-ce que les francophones vont tout d'un coup
se retourner et aller dans le sens de l'anglicisatlon? Ils ont la chance, pour
la première fois, dans l'histoire du Québec, de voir un
gouvernement leur fournir un instrument de promotion linguistique. Pourquoi ne
s'en serviraient-ils pas?
N'auraient-ils pas la fierté de s'en servir? Non. Les
francophones, j'en suis sûr, ceux qui savent raison garder et ceux qui,
une fois pesés toutes les rumeurs, tout le tumulte, tout le fracas que
l'on entend, à l'heure actuelle, réfléchiront sur le sens
et la portée du projet de loi que nous proposons, les francophones se
rendront compte que, pour la première fois, un gouvernement amorce une
politique globale de la langue, leur fournit un instrument de promotion du
français et va, par d'autres mesures, compléter cet ensemble des
mécanismes qui permettra de faire du français au Québec la
langue d'usage et la langue de communication.
Le ministère que je dirige se propose de mettre en application un
certain nombre de mesures extrêmement importantes en vue de fournir aux
francophones du Québec les instruments qui leur manquent encore pour
faire que la langue française devienne véritablement la langue
d'usage, la langue de travail et le véhicule de communication.
L'on nous dira: Vous avez tardé à faire tout cela.
Pourquoi n'avez-vous pas agi plus vite?
Je ne veux pas revenir sur des débats antérieurs. J'ai eu
l'occasion, au cours de l'étude des prévisions budgétaires
de mon ministère, il y a quelques mois, d'échanger avec le
député de Chambly un certain nombre d'observations à ce
sujet. Nous avons parlé de la création de l'Office de la langue
française. Nous avons parlé des structures de cet office et nous
avons parlé ensuite des projets de cet office.
Le 11 septembre 1967, parlant à l'occasion de la seconde biennale
de la langue française à Québec, j'avais
énoncé un certain nombre de principes qui me paraissaient
être les principes de base nécessaires, des principes de base,
dis-je, qui devaient sous-tendre toute politique de la langue. Ces principes,
je n'en ai renié aucun, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, quoi qu'on
ait dit et quoi qu'on ait écrit.
Ces principes, je les al énoncés en 1967; je les al repris
le 18 septembre 1968, à Montréal, à l'occasion de
l'inauguration du Bureau du Service de la langue française. J'ai
exprimé, à ce moment-là, des principes qui me paraissaient
devoir être les grands principes d'une politique globale de la langue. En
même temps, j'avais indiqué quelles étalent les mesures que
les pouvoirs publics devaient prendre. Je parlais surtout, à ce
moment-là, pour le ministère que je dirigeais; j'Indiquais
quelles étalent les mesures que le ministère des Affaires
culturelles, par exemple, devait prendre pour assurer cette primauté du
français dans la vie concrète, dans des situations pratiques. Ces
mesures vont être mises en application.
Je devais donner, demain, une conférence de presse pour annoncer
tout le programme d'action de l'Office de la langue française. J'ai
différé la tenue de cette conférence de presse pour les
raisons qui ont été indiquées dans le communiqué
que le ministère des Affaires culturelles a émis. Je ne voulais
pas que cet aspect positif de l'action du gouvernement fut noyé dans le
bruit des manifestations. En effet, j'estime qu'il est important que les
citoyens réfléchissent sur cet aspect positif des mesures que
nous proposons et sur le devoir de participation qui appartiendra à tous
les citoyens, parce que les mesures que nous allons mettre en application vont
requérir non seulement l'action des pouvoirs publics, mais la
participation intensive, puisque ce sont tous les citoyens que nous voulons
associer à notre programme de promotion du français.
Ces mesures visent d'abord à préparer les outils dont nous
avons besoin pour valoriser la langue dans tous les secteurs de la vie du
Québec, que ce soit dans les domaines de l'industrie, du commerce, de
l'éducation. Tous les secteurs de l'activité du Québec
seront couverts par les mesures que nous allons proposera la popu-
latlon. Or, ces mesures supposent, au préalable, que nous
fabriquions les outils. Je ne veux indiquer en passant que certains de ces
outils, par exemple les vocabulaires, les lexiques, les glossaires, instruments
techniques absolument indispensables si l'on veut revaloriser la langue.
Prenons, par exemple, le domaine de l'alimentation, dont a parlé
cet après-midi le premier ministre. Le ministère de l'Agriculture
par décret, a procédé à la refrancisation de
l'étiquetage dans le domaine des produits alimentaires. On a
demandé ensuite à l'office de préparer un glossaire, un
dictionnaire ou un lexique appelons cela comme on le voudra des
termes de l'alimentation. Ce lexique a été d'abord publié
en version préliminaire et il sera bientôt publié dans une
version définitive. Nous allons procéder comme cela dans tous les
domaines. Nous avons reçu récemment, d'une compagnie
pétrochimique, une demande très pressante nous priant de
préparer, dans les plus brefs délais, un vocabulaire de
l'industrie pétrochimique afin que les travailleurs qui seront
appelés à gagner leur vie dans ces industries puissent le faire
en français.
Il en sera de même dans le domaine du travail, dans le domaine de
la fonction publique, dans les domaines de l'industrie forestière, de
l'agriculture, de l'industrie et du commerce, en somme, je le
répète, dans tous les domaines de l'activité du
Québec. Ce sont là des instruments qui sont Indispensables. Nous
ne pouvions pas procéder à une revalorisation du français
avant d'avoir ces outils. Nous allons procéder de même dans le
domaine de la revalorisation du français en Chambre, dans le domaine de
la justice...
M. le Président, je me rends compte qu'il est six heures et je
propose l'ajournement de la Chambre.
M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux jusqu'à huit
heures ce soir.
Reprise de la séance à 20 heures
M. LEBEL (président): A l'ordre, messieurs!
L'honorable ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je sais, M. le Président, qu'il me
reste assez peu de temps. Je voudrais conclure assez brièvement, afin de
donner mon avis sur le projet de loi qui fait l'objet de l'examen de la
Chambre.
J'ai déclaré, avant l'ajournement de ce soir, que le
ministère des Affaires culturelles entendait appliquer une série
de mesures, lancer un programme extrêmement positif qui permettra de
faire du français la langue de travail, la langue d'usage, la langue de
communication du Québec.
A cet effet, le gouvernement a accepté de mettre à la
disposition du ministère des Affaires culturelles, comme l'a
annoncé M. le premier ministre il y a quelques jours, un montant de $1
million qui nous permettra de forger ces outils qui sont absolument essentiels
à cet ouvrage, à cette entreprise extrêmement importante,
essentielle de la revalorisation du français au Québec.
Je ne veux pas en parler plus longuement, puisque j'aurai l'occasion de
donner des détails au cours d'une conférence de presse dont j'ai
retardé le moment.
M. le Président, je voudrais résumer en vous disant ceci:
que j'approuve le principe du projet de loi no 63, pour toutes les raisons
qu'ont données le ministre de l'Education, le premier ministre et ceux
qui ont parlé avant moi.
Ce projet de loi, certes, n'est pas complet, il amorce, comme on l'a
dit, une politique globale de la langue, mais il fallait commencer par quelque
chose, nous commençons dans ce domaine extrêmement
stratégique de l'enseignement. Nous assortlssons ce projet de loi d'une
série de mesures administratives dont mon ministère aura en
grande partie la responsabilité afin de créer ce conditionnement
qui fera comprendre aux citoyens du Québec que nous ne sommes pas des
lâcheurs, nous respectons les principes que nous avons émis. En ce
qui me concerne, je l'ai dit cet après-midi, je n'ai pas
dévié d'un iota de la ligne que je m'étais tracée,
et qui, cette ligne de principe que j'ai énoncée lors de deux
conférences de presse en 1967 et en 1968.
Dans le calme, dans la sérénité, à
tête reposée, comme le disait ce soir à la
télévision, il y a quelques moments, le chef de l'Opposition, il
m'apparaît que nous sommes capables
ensemble, nous membres de l'Assemblée nationale, de bâtir
un instrument pour la promotion du français au Québec, pour sa
revalorisation et pour faire entendre aux citoyens que notre seul désir,
c'est, dans le respect des droits de la minorité, comme je l'ai tant de
fois affirmé, de donner quand même la primauté au
français. Nous sommes, en cela, fidèles au programme de l'Union
Nationale, fidèles aussi aux déclarations du regretté
premier ministre M. Johnson qui, lors de la conférence
fédérale-provinciale de février 1968, déclarait
ceci: « Il convient cependant, et dans le même esprit, que les
droits du français au Québec soient non seulement garantis, mais
qu'ils trouvent chez nous un épanouissement qui dépasse les
termes mêmes d'un texte juridique et qui corresponde à notre
réalité démographique. » Le premier ministre
d'alors, M. Johnson, faisait état également des droits de la
minorité anglophone et indiquait qu'il était essentiel que nous
respections ce que nous avions toujours respecté ici, à savoir
l'existence d'une minorité dont nous devons respecter les droits et
à laquelle nous devons donner des chances égales de
s'épanouir.
En terminant, je voudrais, reprenant en substance ce que j'ai dit cet
après-midi, faire un appel à la raison, faire un appel au bon
sens, faire un appel aux gens qui véritablement veulent travailler
à l'édification d'un Québec nouveau, d'une
société nouvelle. Ce qui me frappe dans la contestation actuelle,
ce n'est pas tant le fait que l'on s'oppose au projet de loi 63, mais c'est le
fait qu'on s'y oppose parce que ce projet de loi ne veut pas
décréter l'unilinguisme. C'est là le motif
véritable de la contestation à laquelle nous avons à faire
face à l'heure actuelle.
Or, d'un côté comme de l'autre, de la Chambre, nous
entendons respecter les droits de la minorité. M. le Président,
il serait malheureux que la majorité de la population du Québec
n'entende que la voix de ceux qui contestent et qui prennent sur eux de
soulever des foules, de soulever particulièrement les jeunes en leur
déclarant ce qui est vraiment une fausseté, ce qui est non
seulement de la fausse représentation, mais qui s'apparente à une
sorte de crime intellectuel, ceux qui déclarent que le projet de loi que
nous avons présenté a comme objectif de faire mourir le
français au Québec.
C'est là une attitude qui est de nature à provoquer
l'indignation de tous les citoyens bien pensants. Peu me chaut que ces gens qui
sont à l'extérieur de l'Assemblée nationale nous traitent
de traîtres, de lâches, de lâcheurs, enfin nous accusent de
n'importe quoi. Peu importe que ces gens-là nous brûlent en
effigie. Ce qui compte, c'est l'objectif que nous poursuivons, qui est un
objectif positif, de faire du français la langue prioritaire au
Québec, la langue d'usage, la langue de communication.
Si cet après-midi j'ai élevé la voix et si J'ai
parlé sur un ton passionné, c'est que J'étais
indigné d'entendre un député qui m'avait
précédé à la tribune et qui n'a pas voulu dire
exactement à quelle enseigne il logeait. Nous sommes en face d'un
mouvement de contestation qui est inspiré par des agitateurs
professionnels, par des gens aussi qui appartiennent à un parti
politique qui a dans cette Chambre un représentant et un porte-parole.
C'est lui-même qui l'a déclaré, cet après-midi, il
est temps que ces gens-là se démasquent, que tous ceux qui
s'embusquent et qui, au nom du nationalisme, prônent à l'heure
actuelle la révolution... et c'est là véritablement leur
objectif; ce n'est pas le nationalisme qui les préoccupe ni le
problème de la langue, ce n'est pas l'objectif qui les préoccupe;
ce qu'ils recherchent, c'est la révolution totale. Ils prennent
prétexte de la langue et du nationalisme pour exacerber les passions et
empêcher les citoyens libres de voir véritablement quel est
l'envergure de la situation et quelle est l'importance du projet de loi que
nous discutons à l'heure actuelle.
Je tiens à dire ceci, que je n'ai pas évidemment
étudié ici dans tous ses détails, avec toutes les nuances
qui s'imposeraient, le projet de loi no 63. J'aurai sans doute l'occasion
d'intervenir lorsque nous l'étudierons en comité plénier.
Mais je fais un appel aux modérés, Je fais un appel à ceux
qu'on appelle les modérés, à ceux qui sont contre cette
agitation qui secoue le Québec actuellement. Qu'ils fassent preuve, avec
nous, de leadership.
Il y a ici, dans cette Chambre, des représentants
légitimement élus qui représentent le peuple, qui peuvent
parler au nom du peuple. Nous ne sommes pas embusqués derrière
des mouvements. Nous ne nous cachons pas derrière le paravent des
jeunes, mais courageusement, énergiquement, avec vigueur, nous
échangeons des opinions, des idées qui ne sont pas
nécessairement les mêmes, qui ne s'accordent pas
nécessairement. Mais nous le faisons de façon
démocratique, selon le mandat qui nous a été donné
démocratiquement par le peuple. Nous ne descendrons pas dans la rue.
Nous avons porté le débat ici, sur le parquet de la Chambre,
parce que c'est la tribune qui nous est donnée pour exposer à la
population quelles sont les idées que nous avons sur ce problème
extrêmement important de la revalorisation de la langue française
et sur sa promotion.
M. le Président, il est très facile de se couvrir de
gloire dans des moments d'agitation en remettant sa démission ou en se
rangeant du côté de ceux qui semblent être les plus forts.
Il est facile de s'attirer la gloire, de se donner un certain prestige en
joignant les rangs de ceux qui font de l'agitation. Mais que les
révolutionnaires sachent, une fois pour toutes, et la leçon de
l'histoire est là pour le leur apprendre, que les gens qui sont les
premières victimes des révolutions sont toujours les
révolutionnaires. Ce sont eux qui, les premiers, paient le prix de la
révolution.
Il est facile de s'embusquer, il est facile de se dérober
derrière des jeunes. Il est facile de déclarer, après
cela, qu'on n'était pas d'accord avec un tel, un tel, un tel. A tous ces
gens qui n'osent pas laisser tomber le masque, qui n'osent pas dire ce qu'ils
sont, comme le député de Laurier l'a fait cet après-midi,
je dis ceci, que la population jugera les hommes responsables qui, ici,
prennent leurs responsabilités. Les hommes qui ont le courage de dire ce
qu'ils pensent, sans égard pour les risques qu'ils courent.
Je dis à ces gens qui se cachent qu'ils ne pourront pas tromper
indéfiniment la population et qu'on les considérera, à
juste titre, comme des Pilates, qui se lavent les mains de toutes les
catastrophes dont ils auront été les premiers responsables.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Fabre.
M. Gilles Houde
M. HOUDE: M. le Président, à la suite d'un assez grand
nombre de députés et de ministres qui ont pris la parole
aujourd'hui, il m'apparaît comme excessivement difficile, à mon
tour, d'essayer d'apporter, peut-être, quelques éléments
nouveaux, surtout dans un langage beaucoup plus simple que celui de ceux qui
m'ont précédé.
Je n'ai pas les qualités et le vocabulaire des
conférenciers qui m'ont précédé, mais j'aimerais,
d'autre part, donner à cette Chambre quelques réflexions, car je
pense qu'actuellement il y a matière à réflexion devant
tout ce qui nous arrive.
Je vous dirai qu'en arrivant aujourd'hui à Québec
j'étais fort pessimiste, fort inquiet devant les
événements qui se produisent au Québec. J'ai eu
l'occasion, ce matin, de six heures à neuf heures, sur les ondes d'un
poste de radio du Québec, de répondre à plusieurs dizaines
d'appels téléphoniques venant de jeunes enseignants et
également de parents.
Comme tous ces gens-là, J'étais drôlement inquiet du
bill 63, intitulé Loi pour promouvoir l'enseignement de la langue
française au Québec. Je dois, cependant, ajouter qu'à la
suite du discours prononcé cet après-midi par le premier ministre
j'ai eu, quant à moi, un regain d'espoir, une espérance nouvelle.
Je tiens, cependant, à dire également que je partage encore ce
soir les craintes exprimées par quelques-uns de mes collègues et
en particulier par mon collègue, le député de Gouin. Je
tiens à dire que je partage ces craintes, mais je tiens à dire
également qu'avec ce qu'on nous a dit et je donnerai les raisons
tantôt je veux bien, quant à moi, encore une fois
parce que j'accepte ce qui est dans le bill 63, mais j'accepte aussi d'avoir
certains doutes pour ce qui n'est pas dans le bill 63 prendre, ce soir,
une chance, mais, soit dit en passant, c'est sûrement, en ce qui me
concerne, la dernière chance que je prends.
Le bill 63 pour promouvoir le français nous donne, à la
première lecture, l'impression d'être une loi qui rend service,
qui protège, bien entendu, une catégorie que nous aimons bien,
puisque ce sont des Canadiens et des Québécois comme nous, mais
il nous donne l'impression d'être à sens unique. Et ce qui me fait
peur un peu, c'est qu'à ce bill, les jeunes n'y croient pas. Et ce qui
me fait peur encore plus, ce qui me fait réfléchir, c'est que les
chefs de file que nous sommes censés être, nous sommes une
centaine de députés dans cette Chambre... Je n'arrive pas
à comprendre pourquoi nous de l'Assemblée nationale avons
actuellement tant de difficulté à faire croire à des
milliers de gars et de filles de 18 ans et plus que ce bill est bon, que ce
bill est fondé, quand trois, quatre ou cinq, mettez-en dix, si vous le
voulez, soit-disant chefs de file réussissent à faire croire
à leur idée.
Je pense que, contrairement à ce que disait tantôt le
ministre des Affaires culturelles, il n'est plus suffisant, même si nous
sommes ministres ou députés, de discuter seulement de certains
projets sur le parquet de la Chambre. Je pense que nous allons devoir nous
aussi et le plus rapidement possible, descendre dans la rue. Je n'arrive pas
à comprendre pourquoi, je le répète, des milliers de
personnes il ne faut pas se faire d'illusion, ce sont des milliers de
personnes croient plus facilement à trois ou quatre agitateurs
qu'à une centaine d'élus du peuple. Il y a quelque chose à
quelque part qui ne tourne pas rond. Même si c'est plus facile de
critiquer que de construire, faisons au moins un examen de conscience.
Je suis content du bill 63 pour les anglophones et également pour
les immigrants. Mais de grâce, monsieur le premier ministre, pour-
quoi n'avez-vous pas prononcé votre discours il y a un mois?
Pourquoi n'avons-nous pas, depuis un an, deux ans, fait disparaître le
malaise? Pourquoi ne cessons-nous pas le plus rapidement possible de nous
gargariser de mots, de faire certaines promesses, de dire à la
population qu'il y a des études? Pourquoi ne passons-nous pas le plus
rapidement possible a l'action?
C'est cela que la population veut, c'est cela que les jeunes demandent,
c'est cela que les parents exigent. Ce n'est pas seulement le fait de dire:
Nous allons faire ceci ou cela. D'accord, je cours le risque. Je sais que ce
qui n'est pas dans le bill 63 sera probablement réalisé, mais
quand? Je pense qu'il est grand temps de passer à l'action. On ne sent
pas présentement et c'est là l'inquiétude des
jeunes et de la population dans le bill 63 le même effort pour
aider la promotion du français non pas chez les Anglais ou les
immigrants, mais chez nous, Canadiens français. On ne sent pas ce
même effort. On dit: Il existera. On dit : Ayez confiance. On dit : Bien
sûr, nous allons passer certaines lois de l'Immigration, des Affaires
culturelles. Mais cela ne suffit pas. Il faut visualiser, il faut prouver, le
plus rapidement possible, que ce ne sont pas seulement des voeux pieux, il faut
prouver, par des gestes concrets, que c'est vrai, la promotion de la langue
française au Québec, par tous les moyens possibles non seulement
chez les anglophones ou les immigrants, mais d'abord et avant tout
peut-être chez nous, Canadiens français.
J'ai également une autre remarque à apporter, qui nous
montre un peu un certain non-sens, à mon humble avis, qui fait que les
jeunes ont encore des raisons de plus pour ne pas nous croire. Par exemple, on
parle dans le bill 63 d'aider, par toutes sortes de moyens, les immigrants qui
arriveront à s'assimiler à la francophonie. On parle de centres
culturels. Le ministre de l'Immigration a annoncé, il y a quelques
semaines, qu'il aiderait les immigrants, les Néo-Canadiens, comme on le
dit souvent, à tort probablement, à développer certains
centres culturels. Comment voulez-vous que nos jeunes Canadiens français
nous croient, qu'ils prennent cela pour du « cash », pour employer
une expression de chez nous, quand nos propres centres culturels ne
reçoivent que de modestes subventions, quand c'est excessivement
difficile, dans nos centres sportifs ou de loisirs, d'obtenir des subventions?
Et quand nous en avons, c'est quand même modeste, le budget est là
et je ne blâme personne...
M. LUSSIER: A l'ordre! A l'ordre! M. BEAULIEU: A l'ordre!
M. HOUDE: Un instant, c'est dans le bill. Comment voulez-vous que l'on
croie facilement à la promotion de la langue française et de la
culture française quand nous ne pensons même pas à
intégrer... Le premier ministre et un autre ministre ont parlé de
l'importance de l'intégration des immigrants dans le milieu
canadienfrançais. Or, si on veut les intégrer, je pense qu'il
serait assez important de les intégrer justement aux centres culturels
qui existent d'abord, de les amener chez nous pour qu'ils puissent vivre avec
nous et mieux nous connaître.
De toute façon, la plupart de ces gens nouvellement
arrivés ont déjà ils n'ont pas besoin de nous
leurs clubs privés, leurs restaurants où ils peuvent se
regrouper lorsqu'ils veulent être seuls ensemble. Trouvez-moi une
nationalité qui n'a pas son club. Allemands, Chinois, Polonais...
M. BEAULIEU: C'est faux!
M. HOUDE: ... Espagnols, Portugais, tout le monde a son club social.
M. BEAULIEU: Il y en a qui n'en ont pas. Les Portugais et les Espagnols
n'en ont pas. Vous n'avez pas visité beaucoup de monde.
M. HOUDE: C'est faux! Je pense, M. le Président, qu'il est temps
que nous, qui acceptons d'encourager la promotion de la langue française
par le bill 63, nous fassions cet effort gigantesque, que nous redoublions
d'ardeur pour assurer non seulement aux anglophones et aux immigrants, mais
également dans nos écoles de langue française une
meilleure qualité ou la meilleure qualité qui soit dans
l'enseignement du français, il faut également, comme langue
seconde, étudier l'anglais.
Je termine en disant qu'une des préoccupations de nombreux
parents rencontrés ces derniers jours, ce n'est pas que les anglophones
ou les immigrants puissent apprendre le français. Quatre personnes sur
cinq ne s'inquiètent pas à ce sujet. Ce qui les préoccupe,
c'est justement, on ne sent pas cet effort pour les nôtres dans la
promotion du français et de la culture française. On a
l'impression, à un moment donné ç'a
été mentionné par d'autres, M. le Président
que nous allons mettre tous nos oeufs dans le même panier et offrir aux
autres les meilleurs professeurs de français qui soient, de telle sorte
que, dans cinq ans ou dans dix ans et je suis fort heureux pour eux
un immigrant qui arriverait ici ne connaissant que la langue polonaise,
eh bien, aura lui l'avantage de parler et polonais et anglais et
français, tandis que nous, si on ne fait pas le même ef-
fort, on a l'impression dans beaucoup de milieux que nous allons nous
réveiller dans cinq ans, dans dix ans, vingt-cinq ans en arrière,
ne parlant qu'une seule langue.
M. le Président, je sais qu'il y a des projets, mais j'ai
hâte, en tout cas, que ces projets soient expliqués. Je suis fort
déçu que la conférence de presse du ministre des Affaires
culturelles ait été retardée à la semaine
prochaine. J'admets qu'il y a des circonstances, mais j'ai vraiment hâte.
Je crois que l'Office d'information et de publicité a là un
excellent sujet, un excellent thème. Il va falloir multiplier par cinq
la publicité non seulement du bill 63, mais puisque charité bien
ordonnée commence par soi-même, rentrer dans la tête de nos
jeunes, des parents, de tout le monde que le Québec, qui se veut
francophone qui se veut accueillant pour nos amis de langue anglaise ou
d'autres langues, va d'abord et avant tout, promouvoir l'enseignement du
français chez nous et également offrir les meilleurs cours
possible, non seulement en anglais, mais fort probablement un jour, je
l'espère, dans une troisième langue.
C'est inconcevable ceux qui visitent les écoles et il y en
a quelques-uns parmi nous qui le savent que, depuis quelques
années, nous ayons construit, dans nos écoles, à coups de
millions je voudrais bien avoir les chiffres du ministre de l'Education,
savoir combien nous avons dépensé de millions depuis cinq ans ou
dix ans des laboratoires de langues, par exemple.
Il n'y a pas une seule école régionale, actuellement il
n'y a pas une seule école moderne qui existe au Québec qui ne
possède pas son laboratoire de langues. Tout le monde nous dit,
pourtant: Un excellent professeur de langues peut enseigner à 20, 25
élèves en même temps, trois ou quatre langues
différentes. Nous sommes à l'époque des satellites. Nous
sommes à l'époque du Concorde. Nous allons pouvoir faire, dans un
an, Montréal-Paris, Montréal-Rome en trois heures. Nous aurons,
d'ici quelques mois, la télévision en direct d'à peu
près n'importe quel continent. Alors, je pense qu'il est grandement
important, bien sûr, de promouvoir le français, mais
également de prouver à notre population que, nous aussi, nous
avons autant d'aptitudes que les immigrants et que les Anglais pour apprendre
l'anglais et pour apprendre même une troisième langue.
M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Finances et de
l'Immigration.
M. Mario Beaulleu
M. BEAULIEU: Il y a moins d'un an, le gouvernement de l'Union Nationale
réalisait une autre de ses mesures annoncées dans Objectif 66 en
créant le ministère de l'Immigration. Promesse qui avait
été faite dans notre programme, et une autre promesse
réalisée. Les buts de ce nouveau ministère étaient
entre autres de favoriser l'établissement au Québec d'immigrants
susceptibles de contribuer à son développement et à son
progrès, et aussi défavoriser l'adaptation des immigrants au
milieu québécois.
Par le présent projet de loi 63, le nouveau ministère de
l'Immigration vient déjà de subir son premier amendement. Le bill
63 impose au ministère l'obligation de prendre, de concert avec le
ministre de l'Education, les dispositions nécessaires pour que les
personnes qui s'établissent au Québec acquièrent,
dès leur arrivée, la connaissance de la langue française.
Aux deux principales obligations s'ajoute une troisième. Depuis
l'adoption de la loi, en novembre 1968, nous avons créé, au
ministère de l'Immigration, des structures permettant d'agir avec
efficacité dans ce domaine et je pense à ce que nous avons mis
sur pied, comme la structure de l'établissement des immigrants, la
structure de l'adaptation à la vie québécoise et la
structure des groupes ethniques leur permettant de garder leurs traditions.
La direction générale de l'adaptation va, avec ce nouveau
bill 63, être obligée d'ouvrir et d'agrandir ses structures et
d'agir beaucoup plus rapidement. Plusieurs diront que cet amendement n'est pas
suffisant pour enrayer cette crainte, qui est réelle, qui existe,
à l'effet que les citoyens d'ethnies autres que française
s'adaptent plus facilement et s'intègrent plus facilement à la
vie anglophone. Il est vrai que plus de 90% de tous les nouveaux citoyens au
Québec s'adaptent et s'intègrent à la communauté
anglaise à Montréal.
Mais si nous faisons un examen de conscience, et si nous regardons ce
que le député de Laurier a fait, de 1960 à 1966, lui qui
représente un comté où il y a plus de 30% de personnes
d'ethnies autres que française ou anglaise, qu'est-ce qu'il a fait pour
amener ces personnes d'ethnies autres que française ou anglaise à
la vie québécoise, à la vie majoritaire française?
Qu'est-ce qu'il a fait?
Le député de D'Arcy-McGee me comprendra et celui de
Saint-Henri aussi. Si nous faisons un petit examen de conscience, nous les 108
députés, combien de fois avons-nous fait sentir à
ces nouveaux citoyens qu'ils n'étaient même pas bienvenus
au Québec? Combien de portes avons-nous essayé de leur
ouvrir?
Combien de fois avons-nous essayé de les aider? pendant ce
temps-là, le YMCA était ouvert et la Palestre nationale
était fermée. Jamais nous n'avons fait un pas pour les aider.
Jamais n'avons-nous réellement essayé d'aller les chercher et de
les conduire. Eh bien! avec le ministère de l'Immigration, nous voulons
mettre sur pied des structures réelles qui permettront de changer ce
climat qui faisait sentir à cet immigré qu'il n'était pas
le bienvenu dans cette terre québécoise. Pour nous,
c'était un gars qui prenait notre « job », c'était un
gars qui venait nous enlever notre pain. On a oublié de constater ce
qu'ils apportaient, les immigrants, ici. Le député de
D'Arcy-McGee me comprendra quand Je parlerai de son père, qui a
été l'un des plus grands pédiatres que toutes nos
mères canadiennes-françaises ont suivi. C'est ça que les
immigrants apportent, et ils peuvent nous apporter d'autres choses que
seulement un pic et une pelle. Ils peuvent apporter des bras, oui, mais ils
peuvent apporter une science dont nous bénéficierons. C'est
ensemble que nous formerons une vie québécoise.
Sur le plan économique, nous pouvons voir la place Victoria ou
d'autres places semblables qui ont été faites ou
réalisées par le génie européen. Sur le plan
culturel, en musique, nous pouvons voir ce qu'ils apportent ici. C'est cette
vie que nous voulons de leur part. Quand nous disons que nous voulons qu'ils
gardent leurs coutumes ethniques, nous voulons qu'ils s'intègrent
à cette vie québécoise qui est en majorité
française, mais nous désirons aussi bénéficier de
cet apport qu'ils nous donnent. C'est de cette façon que nous
façonneront une vie québécoise de plus en plus grande et
où surtout, eux, se sentiront bienvenus. Si nous pouvons créer ce
climat d'ouverture d'esprit, eh bien, Je ne crois pas, comme je l'ai dit
l'autre soir dans la conférence de presse, qu'il soit nécessaire
de prendre des mesures coercitives pour y arriver. Nous voulons laisser
à ces nouveaux citoyens le soin de comprendre qu'il y a une
majorité au Québec, que cette majorité est
française, que cette majorité a des droits et que jamais nous ne
céderons nos droits. Si nous leur expliquons, ces nouveaux citoyens vont
s'unir avec nous pour travailler et faire grandir ce Québec. C'est de
cette façon qu'il faut procéder au lieu de prendre dès le
départ des mesures coercitives, des coups de marteau qui ne
réussiront probablement rien. Je suis convaincu que si nous voulons tous
ensemble, tout le peuple québécois, leur faire sentir qu'ils sont
les bienvenus au
Québec, je crois que nous réussirons à créer
cette communauté francophone que nous voulons de plus en plus
grande.
Bien que le premier ministre en ait parlé cet après-midi,
permettez-moi, M. le Président, de citer les paroles d'un homme qui
n'est plus ici, d'un homme qui, lorsqu'il a fait sa dernière
conférence de presse, tous les citoyens du Québec ont
été unanimes à reconnaître en lui un grand homme, un
homme qui nous a laissé un testament politique dont nous sommes fiers et
dont nous voulons suivre les traces. Il n'y a aucun député de ce
côté-ci de cette Chambre qui ait été contre cette
conférence de presse. Permettez-moi de vous lire ce qu'il disait. Je
cite: « En somme, il est absolument nécessaire, et tout le monde
s'entend, même les anglophones de bonne foi, lorsqu'on sort le
problème du contexte passionnel, que le Québec soit aussi
français tout en étant bilingue et en admettant l'anglais, que
l'Ontario est et demeurera anglais, tout en admettant du français et en
donnant une chance à tous les francophones d'apprendre l'anglais.
« Ainsi, nous allons voir à ce que tous les anglophones, tous les
non-francophones du Québec aient une chance d'apprendre le «
prevailing language », comme on dit en Ontario, et le « prevailing
language » en Ontario, on sait ce que c'est. Dans Québec, en
somme, il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone, c'est-à-dire
qu'on ne doit pas avoir un système en vertu duquel on demande à
quelqu'un: Est-ce que vous venez d'arriver au pays? Quel est votre ethnie? Nous
allons tenter d'analyser votre sang et, si vous êtes un immigrant, vous
devez nécessairement avoir moins de droits que d'autres. « Il n'y
a pas de citoyens de seconde zone dans le Québec, c'est-à-dire
qu'immigrants actuellement installés ou immigrants arrivant ici seront
traités sur le même pied que les citoyens du Québec,
anglophones ou francophones. Je ne crois pas que l'on puisse imposer deux poids
deux mesures, selon la date d'arrivée et selon l'ethnie. « Cela,
évidemment, suppose que nous allons exercer notre compétence et
l'élargir, si possible, dans le domaine de l'immigration. Quand on sait,
par exemple, qu'il y a à Londres plus d'employés du
ministère de la Citoyenneté de l'Immigration de l'Ontario qu'il
n'y en a du ministère fédéral de l'Immigration. C'est nous
qui avons négligé ce domaine au point de départ. D'abord,
dans le choix des immigrants, dans les représentations qu'ont fait les
immigrants. Deuxièmement, nous devrons battre notre coulpe même
publiquement, puisque nous avons entretenu une sorte de xénophobie. Nous
avons enduré que le gouvernement fédéral laisse entrer
des immigrants à l'allure de quoi... 150,000 ou 200,000 par
année au Canada, sans nous préoccuper du nombre de ceux qui
venaient dans le Québec et de leur origine. On se contentait trop
souvent de dire; je m'excuse: Ah, ces damnés émigrés ou
ces immigrants! C'était une attitude tout à fait négative,
alors qu'il faut prendre une position extrêmement positive. «
D'abord, être là, présents pour établir la politique
avec Ottawa, la politique d'immigration. Deuxièmement, être sur
place pour le choix. Troisièmement, les accueillir ici. Faciliter leur
intégration à la vie québécoise.
Quatrièmement, les traiter, évidemment, sur le même pied
que tous les autres citoyens du Québec, en établissant un
système tel que tous ceux qui sortiront du secondaire aient une
connaissance d'usage de la langue « prevailing language » qui est
le français dans le Québec, comme c'est l'anglais dans l'Ontario.
»
Cet homme, c'était M. Daniel Johnson, lors de sa
conférence de presse. Qui, parmi les contestataires, parmi les
extrémistes, l'a traité de lâche, de vendu à sa
nation, lui, qui a laissé sa santé et qui nous a laissé ce
testament politique? Aujourd'hui, nous réalisons une mesure progressive
qui oblige tous les citoyens du Québec à connaître le
français. C'est le plus grand pas jamais réalisé dans
cette province vis-à-vis du français.
Je ne permettrai pas qu'on qualifie le premier ministre actuel de
traître! Il a déclaré ce que Johnson avait
déclaré: « Le Québec à l'oeuvre! Pas de
citoyens de seconde zone dans la province française du Québec.
» Voici les moyens que le ministère de l'Immigration veut prendre.
Le ministère de l'Immigration veut, avant l'arrivée de
l'immigrant, se rendre en Europe. Nous avons conclu des accords actuellement
très fructueux avec le gouvernement d'Ottawa, qui vont nous permettre
d'avoir des représentants dans les principales maisons des pays
d'où viennent les immigrants. Nous allons leur expliquer qu'au
Québec il y a une vie française, qu'ils seront obligés de
travailler en français, qu'ils seront obligés de gagner leur vie
en français. De cette façon, ils vont venir ici librement. Ils
vont arrêter de nous dire, une fois rendus ici: On ne le savait pas.
M. BELLEMARE: Très bien!
M. BEAULIEU: Eh bien, Ottawa a joué ce jeu pendant cent ans.
Qu'est-ce qu'on a fait? Jamais une remarque! Aujourd'hui, nous allons les
suivre, nous allons les talonner. Nous allons gagner notre point par la
persuasion.
Une fois cet immigrant arrivé ici, il y a des choses à
faire. Le député de Laurier appelle ça du folklore, lui.
Moi, j'appelle ça de la persuasion et du travail. Nous allons organiser
des services d'orientation et de formation qui sont déjà en
marche. Nous allons enseigner, pendant vingt semaines, le français. Nous
allons les aider. Nous allons attitrer un membre du ministère de
l'Immigration à des familles qui arrivent ici pour les aider.
Ils ne connaissent pas nos lois. Ils ne connaissent pas nos traditions.
Nous allons créer des centres communautaires pour qu'ils puissent avoir
cette partie de bonheur à laquelle, eux aussi, ils ont droit, quand ils
arrivent dans un pays. Prenez un Grec qui arrive ici, les dix premières
années de sa vie. Il faut, quand même, essayer de le comprendre,
ce pauvre citoyen qui arrive ici, qui ne connaît pas la langue, qui a de
la difficulté à s'intégrer. Nous devons, quand même,
lui donner un contexte où il pourra avoir quelques heures de bonheur,
tout en travaillant et en apprenant difficilement une langue dont l'alphabet
lui-même est différent.
Nous voulons, par des campagnes d'information à travers la
province, prouver à tous nos citoyens qu'ils ont intérêt,
comme l'Ontario l'a fait...
Regardons les statistiques et comparons; après 1944, si nous
enlevons l'immigration, le Québec aurait une population plus grande que
l'Ontario. Et nous savons où va l'Ontario et nous savons où sont
les Etats-Unis actuellement, avec l'immigration. L'immigration est une richesse
qui existe ici. Nous voulons créer des camps d'été pour
les jeunes, nous voulons aussi les faire voyager autant que les citoyens du
Québec, pour leur faire connaître nos institutions.
Je suis heureux que le projet de loi numéro 63 ait reçu
l'assentiment unanime de tous les membres du conseil exécutif parce
qu'il est la réponse à ce que l'Union Nationale avait
proposé dans son programme. Quand nous regardons le programme d'hier
soir à la télévision, alors que les extrémistes
disaient que ce n'était pas dans le programme de l'Union Nationale,
c'est qu'ils n'ont jamais lu ce programme, c'est qu'ils se refusent à
suivre ce programme. Nous avons un programme qui n'a pas varié avec
l'arrivée du nouveau premier ministre. Ce programme a été
voté aux assises, ce programme a été voté par le
conseil général du parti. C'est ainsi que l'Union Nationale peut
se perpétuer d'un chef à l'autre avec la même tradition,
avec la même foi.
Nous l'avons dit clairement, l'autre soir à la
télévision, c'est une première étape vers un
plus grand rayonnement de la langue française au Québec.
Je l'ai dit clairement et je l'ai répété à ceux qui
ne sont pas de notre ethnie. Le rapport de la commission Gendron viendra dans
quelques années, dans deux ans, et si les résultats que nous
allons essayer honnêtement d'obtenir avec le travail et la
coopération de tous ne sont pas satisfaisants, il sera toujours temps de
modifier notre position et de prendre d'autres mesures, même si elles
sont coercltives à ce moment-là.
Nous voulons que le français devienne la langue de travail de
tous les citoyens du Québec, mais nous ne voulons pas, pour cela, brimer
les droits des autres, et c'est dans le respect des minorités que la
majorité se grandira.
Nous voulons réaffirmer ces trois principes de l'Union Nationale:
Primauté du français, respect du bilinguisme avec cette
priorité du français, et pas de citoyens de seconde zone au
Québec tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas pris les mesures
nécessaires pour être capables de prouver que nous ne pouvions
agir autrement.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de D'Arcy-McGee.
M. Victor Goldbloom
M. GOLDBLOOM: M. le Président, vous me permettrez sûrement,
avant de commencer le bref discours que j'ai l'intention de faire, de remercier
le ministre des Finances et de l'Immigration pour la quasi-totalité de
son discours mais surtout pour les remarques élogieuses qu'il a
prononcées à l'endroit de feu mon père. C'est parce que
mon père l'a voulu que je suis aujourd'hui capable de m'exprlmer en
français; c'est donc à cause de lui que je suis ici dans cette
Chambre.
Nous avons l'habitude, chacun de nous, à sa façon, de
faire l'historique du projet de loi qui est devant la Chambre. Le mien sera
extrêmement bref et il ne sera pas tendancieux. Je souligne que le jeudi
13 juin 1968, j'ai posé une question à feu le premier ministre,
l'honorable Daniel Johnson. Je lui al demandé s'il croyait qu'il y avait
moyen je vous rappelle qu'à ce moment-là des
élections scolaires avaient eu lieu dans la municipalité de
Saint-Léonard, mais la décision que cette commission scolaire a
prise ultérieurement n'avait pas été prise au moment
où je parlais je demandais donc au premier ministre s'il croyait
qu'il y aurait moyen de corriger un fait accompli si ce fait accompli se
présentait devant le Québec.
Dans sa réponse, il a fait allusion à l'article 203 de la
Loi de l'instruction publique, le même article que nous nous proposons de
modifier par le projet de loi no 63 d'aujourd'hui. Il lui a donné une
interprétation qui permettait d'espérer que cet article, sans
modification, ait un effet exécutoire. Je cite ce qu'il a dit: «
Une interprétation de l'article 203 qu'il faudrait porter à
l'attention des commissaires de ville de Saint-Léonard, c'est qu'ils
n'ont pas le choix si les parents demandent de suivre un programme
approuvé. »
Cet espoir, évidemment, selon les opinions juridiques qui ont
été reçues par la suite, ici au Parlement et devant les
cours, s'est avéré vain.
Je ne fais plus l'historique des événements qui ont suivi,
sauf pour vous dire que le jeudi 6 mars de cette année, le premier
ministre actuel a lancé un appel à tous les
intéressés de maintenir le statu quo. Je me permets de croire
qu'à ce moment-là le premier ministre a oublié un mot. Il
aurait dû dire « le statu quo ante ». Je lui ai
demandé des éclaircissements sur cette déclaration, sur
cet appel qu'il a lancé. Il m'en a donné, mais j'en ai
demandé d'autres le lendemain matin au ministre de l'Education. J'ai
demandé, ce lendemain, au ministre de l'Education s'il était
disposé à recevoir les parents de Saint-Léonard. Il m'a
répondu: Oui. Et je lui al offert ce même jour par lettre mes
services comme intermédiaire afin de trouver une solution satisfaisante
pour tous les intéressés.
Je souligne ce fait parce qu'il est intervenu, entre le ministre de
l'Education et celui qui vous parle, une entente selon laquelle à partir
de ce moment-là les députés de l'Opposition acceptaient de
ne pas poser de questions ni de faire de critiques sur l'affaire de
Saint-Léonard, en attendant un règlement possible par cette
action que j'avais entreprise. Je tiens à remercier très
sincèrement mes collègues de ce côté-ci de la
Chambre d'avoir accepté cette entente et de ne pas avoir harcelé
le gouvernement entre-temps. Je remercie surtout mon collègue de
Notre-Dame-de-Grâce qui, je le sais, s'est senti menotté à
certains moments par cette entente.
Aujourd'hui, et je laisse de côté complètement
l'historique de la question, nous avons devant nous le projet de loi qui porte
le numéro 63. Ce projet de loi nous propose une solution. Je crois
qu'elle est bonne. Il lui manque, pour être complète, un seul
élément. Le chef de l'Opposition l'a souligné dans son
discours, en citant le texte d'une résolution adoptée l'an
dernier au congrès du Parti libéral dans laquelle nous avons
suggéré que soient inclus, dans tout projet de loi qui se voulait
une solution à ce genre de problème, les principes ou les
recommandations
de la commission Laurendeau-Dunton, recommandations selon lesquelles
nous aurions pu savoir exactement quand une commission scolaire aurait
été tenue d'offrir les cours demandés par les parents
minoritaires et quand elle aurait pu se prévaloir des articles 469 et
suivants de la Loi de l'instruction publique.
Néanmoins, ce projet de loi contient et consacre un principe
accepté et désiré, je le sais, par la grande
majorité des Québécois, celui du droit des parents de
choisir entre les deux langues officielles celle qui sera la langue principale,
mais pas la seule, de l'éducation de leurs enfants.
Je suis depuis toujours convaincu que c'est la seule conclusion à
laquelle nous aurions pu venir. En démocratie, si l'on doit choisir
entre liberté et restriction, en règle générale, en
légiférant on doit opter pour la liberté. C'est ce que
nous faisons avec ce projet de loi.
Mais je tiens à souligner, et je voudrais que tout le monde le
sache, qu'il y a des Québécois, dont l'ascendance n'est pas
canadienne-française, qui ne veulent pas que l'exercice de cette
liberté par leurs concitoyens ait pour effet de restreindre,
d'affaiblir, de bafouer ou de saboter l'épanouissement du Canada
français.
Bien au contraire, ils tiennent à y contribuer et c'est dans
l'intérêt du Québec qu'ils le fassent.
Nous l'avons souvent dit, liberté implique responsabilité.
Nous avons, chacun de nous, quelle que soit notre origine, la
responsabilité d'élever nos enfants en bons citoyens du
Québec, et aussi longtemps que durera notre régime
fédéral, en bons citoyens du Canada.
Que fait le bon citoyen? Il bâtit, il modifie, il corrige, il
améliore la société dans laquelle il vit. Il la critique
librement, mais il ne la détruit pas. Il prend l'initiative de
communiquer avec son concitoyen, et dans cette communication, la courtoisie
exige de lui deux choses: d'écouter, l'esprit ouvert, le point de vue de
celui-là et de se servir, si possible, d'une langue que celui-là
peut comprendre.
Je vous dis, très ouvertement, que, jusqu'à maintenant,
cette courtoisie auditive et linguistique a généralement
été manifestée beaucoup plus par nos amis
canadiens-français que par nos compatriotes de langue anglaise. Nous
avons tous eu l'expérience de fréquenter des réunions
où Canadiens d'expression française et Canadiens d'expression
anglaise se trouvaient ensemble. La langue de communication a presque toujours
été l'anglais, parce que le français n'était pas
compris de tout le monde. L'interprétation simultanée que l'on
remarque, à de telles assemblées, est utilisée presque
exclusivement par les Canadiens d'expression anglaise. Ce projet de loi aidera
à corriger cette inégalité.
Je me souviens, il n'y a pas très longtemps, avoir entendu
réciter un poème à la radio. Je n'en al pas le texte, ma
mémoire n'est pas assez fidèle pour me permettre de vous le
répéter textuellement, il s'agissait de deux arbres qui se
regardaient à travers la frontière entre le Québec et
l'Ontario. L'arbre québécois parlait à l'arbre ontarien.
Il lui parlait de la beauté de ce pays, de sa vaste étendue, de
ses richesses et de ses possibilités. Il parlait de façon
très éloquente. Enfin ce fut le tour de l'arbre ontarien à
lui répondre. L'arbre ontarien dit: « Sorry, I don't speak French
». C'est la tragédie du Canada, une tragédie que nous
devons tous contribuer à corriger.
Néanmoins, je tiens à dire aussi que, jusqu'à la
décision de la commission scolaire de Saint-Léonard, les
anglophones du Québec, dans le système scolaire, ont toujours
joui de tous les droits qu'ils auraient pu désirer. Je suis content
qu'avec le bill 63 nous revenions au statu quo ante.
Le premier ministre a déclaré que nous allons bâtir
le Québec de demain en français.
Je lui réponds: oui, et aussi en anglais, et aussi en italien, en
polonais, en hongrois, en grec, en portugais, mais surtout en français.
La majorité, c'est quand même la population francophone du
Québec. Nous, qui ne sommes pas de cette origine, ayant obtenu avec
l'adoption de cette loi, la liberté de bâtir le Québec en
anglais, nous allons quand même contribuer à le faire en
français, parce que des hommes libres vont faire librement ce qu'ils
refuseraient de faire sous une férule coercitive.
Je termine par ceci, M. le Président. Nous parlons souvent de nos
deux solitudes. Si je vous pose la question: D'où vient cette expression
deux solitudes? Vous me répondrez probablement qu'elle vient du titre
d'un roman écrit par mon ancien professeur, le grand écrivain
canadien Hugh MacLennan. Ce n'est pas le cas, M. le Président; cette
expression vient d'un poème écrit par le poète allemand
Rainer-Maria Rilke, et je cite ce qu'il a dit au complet la traduction,
je m'en excuse, est la mienne : « L'amour consiste en ceci: que
deux solitudes se protègent, se touchent et se saluent ».
M. le Président, nous aurons toujours, dans une certaine mesure,
au Québec et au Canada nos deux solitudes. Le Canada entier ne sera
jamais parfaitement bilingue, d'accord. Mais « l'amour consiste en ceci:
que « deux solitudes se protègent, se touchent et se saluent
».
C'est ça que doit être le Québec, c'est ça
que doit être le Canada.
M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Industrie et du Commerce.
M. Jean-Paul Beaudry
M. BEAUDRY: M. le Président, la question soulevée par le
bill 63 m'intéresse grandement, puisqu'il s'agit d'une question à
laquelle J'ai réfléchi depuis de très nombreuses
années.
Etant, de par mes fonctions, constamment en contact avec
l'élément anglophone de la ville de Montréal, je vous
livrerai donc le fruit de ces réflexions ainsi que mon attitude à
titre de ministre de l'Industrie et du Commerce. L'éducation
conçue au sens le plus large est un phénomène à la
fois collectif et individuel. Selon les époques et les pays, l'accent
est plutôt placé sur le premier aspect ou le second.
Jusqu'à tout récemment, au Québec, c'est surtout l'aspect
individuel qui avait prédominé chez nous. L'éducation n'
étant guère considérée comme une tâche qui
relevait directement de l'Etat, c'est ainsi que l'Eglise fut appelée
à jouer un rôle de suppléance et à assumer le
fardeau de l'éducation au Québec.
Il faut d'ailleurs lui en savoir gré. Mais les aspects collectifs
de l'éducation ont pris chez nous, au cours des dernières
années, un relief nouveau qui devient de plus en plus évident.
C'est pourquoi l'Etat a par exemple, récemment mis sur pied un
ministère de l'éducation.
Rien n'était plus normal, vu les conséquences
fondamentales qui découlent d'un régime d'éducation. C'est
en effet par l'éducation que sont formés l'ensemble des agents de
la vie économique. C'est de leur disponibilité et
non-disponibilité que dépendent nos chances d'accroître le
niveau de vie des Québécois.
Or, ce ne sont pas là des choses auxquelles le ministre de
l'Industrie et du Commerce peut rester indifférent.
S'il restait par conséquent à l'écart d'un tel
débat, Il faillirait à son devoir. Un régime
d'éducation doit tenir compte, d'une part, d'un contexte dans lequel il
est appelé à fonctionner et, d'autre part, des objectifs qu'on
lui assigne pour le développement de la société. Dans l'un
ou l'autre point de vue, le bill 63 m'apparaît une mesure satisfaisante
et opportune.
Qu'en est-il en premier lieu du contexte québécois? Les
investissements en provenance de pays anglo-saxons sont déjà
très considérables au Québec, et plus
particulièrement dans la région de Montréal. Or, beaucoup
des activités économiques qui se déroulent dans la
région montréalaise sont destinées à assurer des
liaisons financières, industrielles, etc., avec le reste du Canada et
certaines parties des Etats-Unis. Tel est essentiellement d'ailleurs le
rôle des sièges sociaux d'entreprises canadiennes ou
multinationales, il s'agit 12 d'un apport considérable à notre
économie dont personne ne songerait sérieusement à se
départir. Cela explique et justifie d'ailleurs la présence d'une
aussi grande communauté de langue anglaise à Montréal et,
par conséquent, d'écoles de langue anglaise. Consacrer le libre
choix des parents quant à la langue d'éducation de leurs enfants,
ce n'est que consacrer un état de fait qui correspond à la
réalité des choses. Imposer l'unilinguisme à
Montréal n'est pas par conséquent une chose praticable ni
souhaitable.
Le Québec cherche d'ailleurs à augmenter le rythme des
investissements étrangers au Québec, notamment en provenance des
Etats-Unis, afin de fournir du travail aux 75,000 personnes qui se joindront
annuellement à notre main-d'oeuvre au cours des cinq prochaines
années, il n'est que logique et équitable que les cadres qui
accompagneront ces capitaux investis dans de nouvelles entreprises puissent
être assurés de trouver pour leurs enfants des écoles de
langue anglaise à Montréal.
Le bill 63 consacre un principe qui repose sur des
réalités qui ne sont pas remises en cause par l'immense
majorité des Québécois. Le Québec a toujours agi de
façon exemplaire en ce qui concerne le respect des libertés
individuelles. Rien ne nous oblige maintenant à contredire cette
attitude qui a valu et qui vaut encore au Québec d'être
considéré par les étrangers comme l'un des endroits les
plus sûrs du monde pour les investissements, ainsi que le soulignait tout
récemment M. David Rockefeller, président de la Chase Manhattan
Bank. L'attribution des droits individuels ou leur consécration ne peut
et ne doit pas entrer en conflit avec les droits collectifs d'une
société.
Le Québec désire conserver son caractère
français. Tous ses gouvernements l'ont affirmé et ont posé
des gestes en ce sens. C'est pourquoi le bill 63 prévoit que les
anglophones habitant au Québec devront acquérir pendant leur
passage à l'école une connaissance d'usage de la langue
française, il ne s'agit là, d'ailleurs, que d'une première
manifestation d'éducation qui trouvera son chemin dans plusieurs
secteurs de la vie québécoise et notamment dans l'industrie, il
ne m'apparaît pas pensable, ainsi que je le soulignais plus haut,
d'Imposer législative ment le français comme langue de travail
dans tous les sièges sociaux traitant avec l'extérieur du
Québec, mais il m'apparaît indiscutablement néces-
saire que les entreprises dont les opérations ont lieu au
Québec, par exemple dans telle ou telle usine, utilisent de plus en plus
le français comme langue de travail. Les milieux anglophones du
Québec ont d'ailleurs fort bien compris cette nécessité et
il est du devoir du gouvernement de les encourager à effectuer ce
changement le plus rapidement possible. Le Québec a toujours
été Jaloux de son droit à la liberté, que ce soit
pour la province elle-même vis-à-vis du gouvernement
fédéral ou pour tous et chacun des citoyens qui la composent.
Cette liberté a permis que le Québec soit choisi par un
grand nombre d'immigrants, ainsi que par de nombreux investisseurs venant aussi
bien d'Europe que des Etats-Unis. C'est pour sauvegarder intact ce principe de
liberté que le gouvernement a présenté aux membres de
cette Assemblée le projet de loi pour promouvoir l'enseignement de la
langue française au Québec.
Je considère comme un devoir de ma part d'intervenir dans ce
débat afin de présenter aux membres de cette Chambre la facette
industrielle et commerciale qui ne manquera sûrement pas d'être
touchée par cette nouvelle législation.
A titre de ministre de l'Industrie et du Commerce, je connais les
nombreux problèmes auxquels nous avons à faire face, ainsi que
les exigences que nous impose le développement économique du
Québec. Qu'on ne se trompe pas, cette nouvelle loi ne fera pas sentir
ses effets uniquement dans le domaine de l'éducation. Non, M. le
Président, le secteur économique en sera sensiblement
touché. Qu'on pense seulement à la situation du Québec
dans ce secteur et l'on verra immédiatement que le Québec
constitue une banque de matières premières et un immense
réservoir de main-d'oeuvre qui ne manquent pas d'intéresser les
investisseurs. Il est bon aussi de regarder d'où nous viennent ces
capitaux qui peuvent mettre en valeur les qualités de cette
main-d'oeuvre et de ces matières premières. Même si nous
faisons affaires avec l'Europe, il n'en reste pas moins que la grande partie
des investissements étrangers nous vient des Etats-Unis. Ces gens qui
nous arrivent du pays voisin ont besoin de sentir une sécurité
certaine, c'est-à-dire que, pour eux également, le principe de
liberté que nous avons tellement à coeur de conserver au
Québec doit avoir sa pleine valeur et opérer dans son vrai
sens.
Que ce soit pour leur bien-être personnel ou pour
l'éducation de leurs enfants, les investisseurs étrangers ont le
droit de savoir à l'avance ce que leur réserve le Québec
sur ce point. Ces garanties ne peuvent leur être données que par
une législation précise où la position du Québec
soit établie de façon définitive. Ceux qui s'oppo- sent au
bill 63 veulent à tout prix conserver l'unilinguisme au Québec. A
mon avis, c'est une ereur. Le Québec ne doit pas se refermer sur
lui-même et repousser du revers de la main l'élément
anglophone qui nous entoure et avec lequel nous devons vivre en étroite
collaboration. Nous avons au Québec la chance unique de pouvoir
bénéficier des avantages de deux cultures. Les adeptes de
l'unilinguisme s'opposent à ce que le gouvernement adopte des lois pour
conserver à la population ce privilège. Ils veulent que nous
adoptions une législation de portes fermées. Je ne peux pas, M.
le Président, être d'accord avec eux. Même si je suis
profondément attaché au français et à la culture
française, je ne crois pas souhaitable que nous nous retranchions
derrière une palissade et que nous empêchions l'entrée
à toute autre culture.
Le Québec s'est développé, se développe et
se développera grâce, en partie, à l'apport des capitaux
étrangers. Ces capitaux entraînent avec eux une technologie
nouvelle dont nous cherchons à faire bénéficier les
Québécois. Cest ainsi que, dans notre programme d'aide à
l'industrie de pointe, nous exigeons des sociétés qui
bénéficient de cette mesure qu'elles engagent des
diplômés des universités du Québec. Voilà nos
exigences. La technologie moderne parle parfois le français, mais elle
parle très souvent l'anglais et l'allemand. En tant que ministre de
l'Industrie et du Commerce, je n'admettrai jamais qu'une opposition aveugle
nous mène à l'isolement culturel que serait pour nous ce ghetto
français dont la population ne veut pas.
La réponse du gouvernement à cette opposition, elle est
claire. Nous avons opté pour le libre choix et pour la promotion du
français. C'est là le véritable sens du bill 63.
Cela est conforme, j'en suis sûr, à la volonté de la
population que nous représentons.
Pour terminer, M. le Président, je voudrais m'assurer qu'on a
bien compris le sens de ce message. Je suis d'origine, de mentalité et
de vie françaises. Le Québec, ma patrie, doit rester
français, et tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour
atteindre ce but. Mais cela ne doit pas être accompli au détriment
d'autres hommes pour qui la liberté de religion et de langue est un
droit aussi sacré que pour nous.
Comment peut-on imposer par la force ce que nous avons combattu si
ardemment pendant plus de deux cents ans? Je suis français mais je veux
l'être avec justice.
M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable député
de Mercier.
M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président...
M. BOURASSA: M. le Président...
M. TREMBLAY (Montmorency): Vous m'aviez donné le droit de parole,
M. le Président...
DES VOIX: Assis! Assis!
M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): J'ai donné la parole
à l'honorable député de Mercier.
M. Robert Bourassa
M. BOURASSA: M. le Président, Je remercie le député
de Montmorency de m'avoir laissé sa place.
Sans vouloir prolonger le débat qui dure depuis plusieurs heures,
je voudrais quand même commenter certaines affirmations du premier
ministre faites au cours de cet après-midi. Même si on ne peut pas
être d'accord avec toutes ces affirmations, on doit quand même
constater que le premier ministre n'a pas perdu son sang-froid. Cette
donnée n'est certainement pas superflue dans le contexte actuel.
Le premier ministre a signalé que le bill 63 était un
élément parmi plusieurs autres de sa politique linguistique. Il a
admis, au cours de son exposé, que l'influence de la langue de travail
sur l'école était plus importante que le phénomène
contraire, c'est-à-dire de la langue à l'école sur la
langue de travail. Je suis entièrement d'accord avec lui lorsqu'il
soumet que là où il faut agir de la façon la plus
pressante et de la façon la plus nécessaire, c'est dans le monde
du travail.
Alors, on peut lui demander: Qu'est-ce qu'a fait le gouvernement depuis
trois ans dans ce secteur extrêmement important de la langue du travail?
Qu'est-ce que le gouvernement a fait depuis trois ans, lui qui, aujourd'hui, en
admet la priorité et le caractère essentiel? C'est vrai, il y a
quelques mois, on a créé la commission Gendron pour
étudier la question. Mais je ne vois pas en quoi la création
d'une commission comme celle-là en admettant la compétence de
tous ses membres et le travail délicat, difficile et essentiel qu'ils
doivent faire, je ne vois pas dis-je, comment la création de cette
commission se trouve à paralyser l'action du gouvernement devant un
problème aussi pressant. Nous pourrions multiplier les données
pour démontrer le caractère d'urgence du français comme
langue de travail. On peut quand même en donner trois. Signaler, par
exemple, qu'actuellement, selon des chiffres fournis par la commission sur le
biculturalisme, 83% des administrateurs au niveau supérieur et
intermédiaire, aujourd'hui au Québec, sont de langue anglaise,
alors que 80% de la population est francophone. Au surplus, nous aurons, au
cours des prochaines années, quelque 50,000 diplômés de
CEGEP et d'universités qui ont été formés en
français.
Lorsque nous constatons ou nous examinons ces trois données, 83%
des administrateurs au niveau supérieur, anglophone, 50,000
diplômés par année, ou tout près de 50,000
formés en français et une population francophone à 80%,
lorsque nous confrontons ces différentes données, nous ne pouvons
faire autrement que de constater le caractère explosif de la situation
actuelle.
C'est vrai qu'il y a plusieurs explications à cette situation.
C'est vrai que nous n'avons peut-être pas toujours été
aussi intéressés qu'il aurait fallu l'être pour les
carrières d'affaires. Mais ce sont quand même des données
actuelles qui existent et qui sont connues de tous ceux qui
s'intéressent à la situation.
Je soulève cette question depuis plusieurs années. J'ai eu
l'occasion, à de très nombreuses reprises, notamment devant les
étudiants, de montrer jusqu'à quel point j'étais conscient
de cette priorité, de cette double priorité actuellement pour le
Québec, soit, premièrement, cette création de nouveaux
emplois, et deuxièmement le fait que les gens puissent travailler dans
leur langue au Québec.
Nous en sommes tellement conscients dans le parti que je peux vous
référer à l'entrevue que donnait le chef du parti, il y a
quelques mois, au journal La Presse, entrevue dans laquelle il disait que les
deux priorités pour le Québec, selon lui et je suis
d'accord avec lui étaient précisément cette
création de nouveaux emplois, et cette nécessité
d'introduire le français comme langue de travail.
J'ai eu l'occasion de signaler cette question à plusieurs
reprises, y compris devant cette Chambre. Il y a environ un an, la question a
été soulevée ici même alors qu'il y a eu plusieurs
discours sur la nécessité d'introduire le français comme
langue de travail, ou sur la langue française elle-même. J'ai
posé des questions au ministre responsable, le député de
Chicoutimi. Je lui ai signalé, à ce moment-là, comme il
était important d'agir tout de suite, de prendre des mesures aussi
rapides que possible face à cette situation. Que m'a répondu le
ministre responsable de la politique linguistique? Il a tout simplement
rigolé devant des questions fort précises et spécifiques
que je lui posais, il y a un an, précisément sur le
problème qui inquiète aujourd'hui une partie croissante de la
population.
Donc, ceci révèle l'absence de conscience
du gouvernement vis-à-vis cette question: l'absence de
réalisation de l'importance du problème. Donc, si la solution, au
niveau de l'école, n'est qu'une solution très partielle,
très incomplète, selon l'admission même du gouvernement,
pourquoi tarder à agir, comme il le fait?
Le premier ministre, au cours de l'après-midi, a donné des
exemples, comme l'ALCAN; nous pourrions en ajouter d'autres, comme la Compagnie
de téléphone Bell, General Motors. Je pense que le parti
libéral, lorsqu'il a été au pouvoir, a
démontré, d'une façon concrète et précise,
son intérêt pour la question puisqu'il a insisté, à
l'occasion d'un des investissements les plus importants au Québec,
l'investissement de General Motors, pour que la langue de travail soit le
français.
Donc, si ça se fait dans de grandes entreprises, que ce soit des
entreprises de service ou que ce soit des entreprises manufacturières,
qu'attend le gouvernement pour accélérer son action dans un
secteur qui est tellement vital non seulement pour la paix sociale mais
également, comme on le verra tantôt, pour le bien-être
économique de l'ensemble de la population?
Le premier ministre a dit, au cours de l'après-midi: Nous allons
attendre les conclusions de la commission Gendron qui doivent arriver dans deux
ou trois ans...
M. BERTRAND: M. le Président, si le député...
M. BOURASSA: Non, laissez-moi terminer. Le premier ministre a dit: S'il
y a lieu, nous pourrons adopter des mesures additionnelles...
M. BERTRAND: Non. Chaque fois que nous pourrons agir sans attendre les
recommandations de la commission Gendron, nous le ferons.
M. BOURASSA: M. le Président...
M. BERTRAND: J'ai, à l'heure actuelle, un groupe de conseillers
juridiques qui examinent justement ce problème et, partout où
nous pourrons, par voie de réglementation, agir, nous le ferons.
M. LESAGE: Il y a moyen d'améliorer les réglementations
aussi.
M. BOURASSA: L'impression qui se dégageait, cet
après-midi, c'est qu'il y avait quand même une certaine
tiédeur puisque le premier ministre concluait à la commission
Gendron comme instrument principal d'action, il y avait quand même une
certaine tiédeur vis-à-vis les mesures à prendre. Mais, ce
que je veux lui dire, c'est que, dans trois ou quatre ans, il sera probablement
trop tard. La poussée de la main-d'oeuvre, ce n'est pas en 1975 ou en
1976 qu'elle surviendra; la poussée de la main-d'oeuvre, nous la
subissons aujourd'hui. Les 50,000 diplômés des CEGEP vont arriver
sur le marché du travail cette année, l'an prochain, dans deux
ans et dans trois ans. Et ce n'est pas en 1974 ou en 1975 ou encore en 1976 que
le problème se posera avec acuité et urgence, c'est aujourd'hui
qu'il faut faire face au problème.
Avec ces dizaines de milliers de diplômés qui sont
formés en français et qui accèdent au marché du
travail ces années-ci on peut quand même, aujourd'hui, comprendre
l'inquiétude des étudiants, devant cette situation, devant les
données que j'ai signalées tantôt et devant ce qui peut les
attendre si le gouvernement ne considère pas qu'il y a un programme
d'urgence pour lui à établir pour faire face à cette
situation.
Va-t-on répéter au niveau de la langue ce qui arrive au
niveau économique? Va-t-on répéter, au niveau de la
question linguistique, la situation qui existe présentement au niveau
économique, alors qu'on a investi des milliards dans l'éducation,
sans investir assez dans le développement économique, ce qui fait
que nous avons formé des compétences qui risquent de profiter
à des provinces plus riches que nous, à même nos taxes,
faute de débouchés au Québec? Il faut éviter que
cette situation ne se répète également au niveau
linguistique.
Le gouvernement m'apparaît d'autant plus blâmable de ne pas
prendre des mesures immédiates à cet effet que la
résistance est à son minimum dans la plus grande partie du monde
des affaires. Tous ou à peu près tous admettent, sauf quelques
extrémistes qu'on peut écarter ou balayer au besoin, qu'il est
important d'avoir le français comme langue de travail.
Je peux référer le premier ministre, par exemple, à
un article paru dans le journal La Gazette d'il y a quelques jours, sous la
signature de l'éminent chroniqueur financier, M. John Meyer, qui
signalait que nous devions prendre des mesures immédiates et qui
demandait à la communauté anglophone de comprendre ce
problème, de collaborer et de coopérer avec le gouvernement.
C'est clair que nous sommes en Amérique du Nord et que nous ne
pouvons pas, comme le signalait tantôt le ministre de l'Industrie et du
Commerce, imposer le français à tous les niveaux de
communication. On peut, évidemment, faire une distinction entre ce qu'on
peut appeler les communications horizontales et les communications verticales.
Par exemple, dans le cas
des communications verticales, soit d'employeur à
employés, il n'y a aucune raison pour que ça ne se fasse pas en
français. Dans le cas des communications horizontales, c'est,
évidemment, une question différente puisqu'il peut fort bien
arriver que nous ayons à négocier avec des provinces
étrangères ou des pays étrangers. C'est clair que, dans ce
cas-là, nous ne pouvons pas imposer le français comme langue de
travail.
Mais, ce qui met en relief encore davantage combien est
injustifiée l'inaction du gouvernement, c'est que favoriser le
français comme langue de travail non seulement contribue à
résoudre un problème fondamental du Québec, à
atténuer une inquiétude extrêmement vive des
Québécois et des jeunes notamment, mais contribue
également à l'accroissement de la productivité des
entreprises.
On pourrait donner des exemples pour montrer que les entreprises se sont
rendu compte qu'il était monétairement avantageux pour elles
d'introduire le français comme langue de travail, parce qu'à la
suite de cela, leurs employés étaient plus productifs en raison
d'un meilleur climat. Alors, qu'est-ce qu'on attend pour agir? L'importance de
cette question est évidente. Elles est encore plus évidente si
nous constatons l'urbanisation croissante que nous connaissons actuellement au
Québec. Le fait que, par exemple, en 1980, 80% de la population
résidera dans les villes, ceci veut dire quoi? Ceci veut dire qu'il y
aura de plus en plus de travailleurs au Québec qui vont travailler dans
les grandes entreprises urbaines. Il est essentiel, plus essentiel que jamais
étant donné ce contexte, de faire que le français soit la
langue de travail. En effet, si nous ne le faisons pas et c'est une
autre raison vous aurez de plus en plus de travailleurs du Québec
qui travailleront dans un climat étranger et ceci affectera non
seulement leur dignité personnelle, mais également leur
productivité.
Le gouvernement, pour ces raisons, doit agir tout de suite, sinon sa
responsabilité sera très lourde. Sous tous rapports, la question
linguistique va au coeur du problème québécois, beaucoup
plus que d'autres questions comme la question de structure politique. La
question linguistique va véritablement au coeur du problème
québécois.
Or, on ne nous présente, avec le bill 63, qu'un morceau de
solution, il est vrai que les énoncés du projet de loi reprennent
certains points d'une résolution adoptée par le Parti
libéral. C'est ce qui explique pourquoi les députés
libéraux vont voter en deuxième lecture pour le projet de
loi.
Il demeure que la discussion en comité plénier, je
l'espère, pourra nous apporter des éclaircissements sur plusieurs
points.
M. le Président, parce que ce débat a trait à une
priorité fondamentale au Québec, parce qu'il soulève une
inquiétude légitime dans une bonne partie de la population,
surtout en raison des omissions du bill, je suis, quant à moi, plus
décidé que jamais à faire disparaître les causes de
cette inquiétude. Je compte bien avoir des occasions bien
concrètes de le faire prochainement.
M. THEORET: M. le Président...
M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président...
M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable député
de Papineau.
M. THEORET: M. le Président...
M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président, j'ai un petit papier
de vous ici qui me donne la parole.
M. THEORET: ... on a telle ment parlé... DES VOIX: A l'ordre! A
l'ordre! UNE VOIX: Le président a parlé, assis. M. Rolland
Théoret
M. THEORET: M. le Président, depuis plus d'une semaine, on a
tellement parlé du bill 63 qu'il me semble même hasardeux
d'ajouter mes commentaires. D'autre part, j'aurais l'impression de trahir le
mandat que m'ont confié les électeurs de Papineau si je
n'établissais pas clairement ma position. Je veux aussi, par mon
intervention, assurer le premier ministre et mes collègues de ma
fidélité au principe accepté d'abord à
l'unanimité par le conseil des ministres et ensuite par le caucus de
notre parti.
Cette loi a pour but de clarifier une situation qui existe au
Québec. Elle tend également à améliorer cette
situation. Les adversaires du projet de loi que nous étudions oublient,
ou font mine d'oublier, que le ministre de l'Education devra faire en sorte que
les enfants de langue anglaise doivent acquérir une connaissance d'usage
de la langue française. Je ne sache pas que, jamais, dans les textes de
loi, on ait déjà obligé les anglophones du
Québec
à subir des examens pour démontrer qu'ils possèdent
une connaissance d'usage...
M. PINARD: A l'ordre! M. le Président, c'est évident que
les députés n'ont plus de liberté dans cette Chambre.
Regardez la meute qui est autour du député de
Saint-Hyacinthe.
M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): A l'ordre! A l'ordre!
M. LOUBIER: Ils ne sont pas autour du député de
Saint-Hyacinthe, ils sont autour du député de...
M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): A l'ordre! A l'ordre! L'honorable
député de Papineau. ... Puis-je demander la collaboration de tous
les honorables députés pour que je puisse, si c'est possible,
comprendre ce qui se dit?
M. THEORET: M. le Président, Je vous remercie de me redonner la
parole. J'espère qu'on voudra bien m'écouter religieusement,
comme J'ai écouté les autres orateurs qui m'ont
précédé. Pour enchaîner, je disais que je ne sache
pas qu'au Québec on ait déjà adopté des textes de
loi pour obliger les anglophones à subir des examens à tous les
niveaux, que ce soit au primaire, au secondaire ou au collégial, dans la
langue française.
Nous n'avons pas à nous le cacher, la langue française est
bien malade au beau pays du Québec. On a demandé au gouvernement
d'agir, il agit en présentant un premier projet de loi auquel le premier
ministre et plusieurs de ses collègues, le ministre de l'Immigration, le
ministre des Affaires culturelles ajouteront d'autres projets de loi. Je
m'étonne que devant l'initiative du gouvernement certains parlent de
précipitation en matière de langue.
Pour certains journalistes de la presse parlée ou écrite,
et je ne mets pas en doute leur bonne foi quand nous
réfléchissons et quand nous étudions une situation avant
d'agir, nous pratiquons l'immobilisme. Quand nous prenons une décision,
quand le gouvernement gouverne comme il doit le faire c'est sa raison
d'être on l'accuse d'agir trop vite. Quoi qu'il en soit, je
constate que le bill oblige les anglophones à apprendre le
français pour réussir les examens du ministère de
l'Education. C'est là un progrès certain sur la situation qui
prévaut aujourd'hui.
Le bill accorde aux parents le choix de la langue dans laquelle les
cours seront donnés à leurs enfants, mais il oblige les ministres
de l'Education et de l'Immigration à prendre les dispositions
nécessaires pour que les immigrants acquièrent la connaissance de
la langue française.
Je crois que c'est la première fois que la majorité
française du Québec s'affirme ainsi comme telle, dans un texte de
loi. Cette obligation d'acquérir la connaissance d'usage de la langue
française, de la langue de la majorité, est la plus
légitime qui soit.
D'aucuns, M. le Président, trouvent un peu vague cette expression
« connaissance d'usage », mais, s'il avait fallu élaborer
dans un texte de loi, ce n'est pas une loi que nous aurions à discuter,
mais tout un traité de la langue française. L'usage selon moi et,
je pense bien, selon tous ceux qui m'écoutent en ce moment, c'est
l'emploi d'une langue, française, anglaise ou autre, dans la vie
courante, dans tous les domaines; au bureau, à l'usine, à la
maison, au théâtre, bref dans tous nos rapports avec nos
semblables.
Pour simplifier, M. le Président, je dirai que je crois
posséder moi-même la connaissance d'usage de la langue anglaise.
C'est ainsi que je peux me faire servir mes repas dans cette langue, je peux
faire mon travail professionnel, je peux faire mes achats, je peux converser,
en hésitant peut-être, dans la langue anglaise. J'ai donc, comme
la plupart d'entre nous, la connaissance d'usage de la langue anglaise, au
même niveau ou à peu près que l'on a demandé aux
anglophones de connaître la langue française.
Je sais, M. le Président, qu'il y a toute une opposition
orchestrée contre le droit des parents de choisir la langue dans
laquelle les cours seront donnés. On semble oublier le contexte
démographique dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons faire fi des
droits des minorités; nous ne pouvons vivre en vase clos. Nous pouvons
nous poser des questions mais nous ne pouvons nier la dualité
québécoise dont a parlé le premier ministre dans son
discours au Canadian Club, il y a à peu près un mois. Comment
pourrions-nous nier à d'autres des droits et des privilèges que
nous avons tellement réclamés depuis cent ans pour les
francophones des autres provinces du Canada? Ceux qui craignent que des parents
français envoient leurs enfants à l'école anglaise,
ceux-là ne font-ils pas injure à l'ensemble de ces parents?
N'est-ce pas les considérer, au départ, comme des traîtres
à leur nation?
Pour ma part, Je refuse, M. le Président, d'injurier mes
concitoyens de langue française. Tout au long des séances de la
commission de l'Education sur le bill 85, je me rappelle que le ministre des
Affaires culturelles posait toujours la même question, qui revenait comme
une leit-
moviv. A ceux des francophones qui paraissaient les plus radicaux, le
ministre des Affaires culturelles disait inlassablement: Voulez-vous que l'on
fasse à la minorité anglaise du Québec le sort que l'on a
fait à la minorité française des autres provinces du
Canada?
M. le Président, je crois au « fairplay ». Je crois
que nous devons accorder à la minorité de langue anglaise le
traitement que nous désirons pour les francophones du reste du pays.
Nous désirons que les francophones du reste du pays soient
traités comme nous avons traité, depuis cent ans, les anglophones
qui vivent ici, chez nous, au Québec.
Je crois qu'il vaut mieux pécher, si l'occasion se
présente, par excès de générosité que par
mesquinerie. Mais, M. le Président, pour être honnête, nous
devons reconnaître que, dans tout le pays et de plus en plus, on fait des
efforts véritables pour respecter le français. Certes, il y a
encore des flots de résistance dans certaines provinces, surtout les
plus éloignées, dans l'Ouest du Canada surtout, mais on doit
admettre, M. le Président, qu'en Ontario, par exemple, on peut
maintenant recevoir l'instruction en langue française, aux niveaux
primaire, secondaire et collégial.
Je crois que le moment serait bien mal choisi pour que le Québec
fasse marche arrière en 1969. J'ai le plus profond respect pour ceux qui
ont des opinions contraires aux nôtres, qu'ils soient
indépendantistes, ultranationalistes, séparatistes ou autres.
Mais, j'ai la ferme conviction que personne n'a le droit d'inciter nos
concitoyens à la désobéissance civile sous quelque forme
que ce soit. Je n'ai pas la moindre objection aux manifestations pourvu
qu'elles se déroulent dans l'ordre, pourvu qu'elles ne
dégénèrent pas en émeute et J'ajouterai pourvu
qu'on ne crée pas ces manifestations en comptant des histoires aux
enfants de nos CEGEP et de nos écoles secondaires. J'aimerais que les
manifestants lisent d'abord le projet de loi que nous étudions.
J'aimerais bien qu'ils sachent pourquoi, contre quoi, en faveur de quoi ils
manifestent.
Dernièrement, deux de mes amis me racontaient l'anecdote
suivante. Alors qu'ils se promenaient dans la rue Saint-Jean, Québec, on
leur a remis un feuillet de convocation pour une assemblée qui devait
avoir lieu au Centre Durocher. Deux charmantes jeunes filles leur ont remis ce
feuillet leur demandant de se rendre au centre Durocher pour protester contre
le bill 63. Ces deux amis qui ont reçu ce feuillet ont fait mine de ne
pas connaître du tout le bill 63. Ils ont demandé à ces
aimables jeunes filles de quoi il s'agissait. Et, comme beaucoup d'autres qui
protestent actuellement par milliers dans les rues du Québec, elles ne
savaient pas ce qu'il y avait dans ce bill.
Sauf erreur, l'un des tenants de toutes ces manifestations, l'honorable
député de Laurier, a déjà approuvé les bills
intitulés: Loi du ministère de l'Education, au chapitre 233 des
Statuts refondus de Québec, 1964, et la Loi du Conseil supérieur
de l'éducation, au chapitre 234 des mêmes statuts. Ces deux lois
ont été adoptées par l'administration qui nous a
précédés, le 13 mai 1964. Il était notamment dit
dans le préambule de ces deux lois, que je cite en partie : «
Attendu que les parents ont le droit de choisir les institutions qui assurent
le mieux le respect des droits de leurs enfants ». « Qui assurent
le mieux le respect des droits de leurs enfants ». Ainsi donc, en 1964 le
député de Laurier, alors ministre du gouvernement
précédent, acceptait de respecter les convictions des parents
pour assurer le mieux le respect des droits de leurs enfants. Ce même
député aurait-il changé d'idée en 1969? Il
s'agissait en 1964 de l'ensemble des convictions globales des parents, du choix
de la confessionnalité, du choix de la langue, du choix des
écoles. Le bill 63, que nous présentons aujourd'hui devant cette
Assemblée nationale, me paraît le complément direct et
nécessaire des bills créant le ministère de l'Education et
le Conseil supérieur de l'éducation. C'est mon impression et
c'est également ma conviction que le présent bill glorifie et
ajoute aux intentions du préambule des lois qui ont créé
les deux ministères dont je viens de parler.
Au nom de mes électeurs du comté de Papineau, j'appuie ce
projet de loi parce qu'il est conforme à la politique de notre parti, du
parti auquel j'ai librement adhéré. Cette politique fut
établie, quant à la langue, dans le programme de 1966 de l'Union
Nationale au chapitre intitulé: « La nation et l'Etat ». A
la fin de ce chapitre, on pouvait lire: « Donnons au français le
statut d'une langue nationale. L'Union Nationale reconnaît l'existence
des deux langues officielles ». C'était textuellement dit dans le
programme de l'Union Nationale. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai
adhéré à ce parti, une des raisons pour lesquelles j'ai
voulu me présenter dans ce parti et c'est une des raisons pour
lesquelles je représente un comté où nous avons les deux
ethnies qui vivent en harmonie l'une avec l'autre.
Le programme continuait: « Toutefois, au Québec, il s'agit
de mettre en valeur un héritage culturel dans des conditions
particulièrement difficiles, il faut donc conférer au
français, langue de la majorité de la population, le rang et le
prestige d'une véritable langue nationale. »
M. le Président, il s'agit là du programme de notre parti,
adopté en congrès plénier avant les élections de
1966, accepté et défendu par tous et chacun des candidats de
l'Union Nationale à cette même élection. Je me
considère lié par ce programme, et je considère que le
bill 63 que nous discutons en ce moment est conforme et fait suite à ce
programme.
D'ailleurs, les idées nationalistes de l'Union Nationale sont
bien connues. A qui pourrait-on faire croire qu'un gouvernement de l'Union
Nationale, d'ailleurs je veux m'élever au-dessus de toute
considération partisane en 1969, pourrait légiférer
en matière de langue contre les siens? Cette seule idée
n'est-elle pas ridicule à sa face même? Je défendrai au
besoin ce bill dans mon comté et partout au Québec. D'ailleurs,
je suis persuadé que la population de chez-nous approuve ma conduite.
J'ai reçu, depuis une semaine, des téléphones, des
télégrammes et des lettres; dans 95% de ces communications qui
m'étaient adressées, on me demandait de me tenir debout, on me
demandait de défendre le principe du bill 63, on me demandait de
défendre ce droit sacré qu'ont les parents de choisir la langue
d'éducation de leurs enfants.
M. le Président, j'ai toujours pensé que mes citoyens
avaient des droits aussi bien que des devoirs. C'est pourquoi, en fin de
semaine, j'ai consulté presque tous les secteurs de la
société du comté de Papineau, tant anglophones que
francophones. Après ces consultations, j'en suis venu à la
conclusion que la très grande majorité des électeurs de
Papineau acceptent le principe du bill qui, tout en respectant les droits
sacrés des parents, reconnaît à la langue française
le statut de la langue nationale du Québec.
M. DEMERS: M. le Président,...
M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président,...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je dois vous dire que j'ai dû, vu le
grand nombre d'orateurs, demander à plusieurs députés de
me faire connaître leur intention. Je dois dire que l'honorable
député de Montmorency s'est levé, depuis une heure,
à plusieurs reprises. Je crois de mon devoir de lui donner la
parole.
M. Gaston Tremblay
M. TREMBLAY (Montmorency): Merci, M. le Président. M. le
Président, je voudrais exprimer ma très grande surprise devant la
précipitation qu'on a voulu mettre à discuter la deuxième
lecture du bill 63.
Le caractère pleinement démocratique que l'on
désire en cette province devrait aussi exister en cette
Assemblée. Cette loi très importante mérite que l'on
s'applique à en étudier toutes les implications futures et
nécessite que l'on en prévoie les modalités
d'application.
Des centaines d'associations, dans toutes les parties du Québec,
étudient la portée de ce bill 63 qui reste vague dans sa
philosophie et dans ses modalités. Le peuple du Québec, à
cause du peu de temps qu'on lui accorde pour l'analyse et l'étude
redoute avec raison les dangers trop évidents et y pressent aussi de
subtiles manoeuvres conséquentes à l'équivoque même
du bill 63. La présentation de cette loi est antidémocratique et
antiquébécoise.
DES VOIX: Quoi? Quoi?
M. TREMBLAY (Montmorency): Le gouvernement voulait faire adopter en
quelques heures une loi dont tous craignent la dangereuse imprécision et
qui amènera plus de problèmes qu'il n'en existe
présentement. Des centaines d'associations s'opposent I l'adoption d'une
loi qui ne satisfait personne. Tout au moins, on désirerait y voir
apporter des amendements importants. Mais le gouvernement refuse. Le
gouvernement a peur de fournir des explications. Que cache-t-il?
UNE VOIX: Des tableaux de Léo Tremblay.
M. TREMBLAY (Montmorency): Verrons-nous se répéter la
même trahison que nous avons connue dans l'aspect confessionnel des lois
de l'éducation? Pourtant, cet aspect confessionnel que le peuple
désirait jalousement conserver, on en a fait disparaître toute
garantie juridique par des lois aussi perfides que le bill 63.
UNE VOIX: Antinationaliste!
M. TREMBLAY (Montmorency): Les associations ont raison de
s'interroger...
M. LAFONTAINE: Léo Tremblay a déjà dit
ça.
M. TREMBLAY (Montmorency): ... elles ont raison de douter. Elles ont
raison de chercher des explications qu'elles ne reçoivent pas. En
refusant au peuple des éclaircissements, le gouvernement actuel
écrit, aujourd'hui, à mon avis, la page la plus noire de
l'histoire du Québec. Il écrit de sa propre main sa propre
condamnation.
UNE VOIX: Ah, que c'est beau!
M. BERGERON: Démissionnez, puis on va aller vous battre dans
votre comté.
M. TREMBLAY (Montmorency): Sa préoccupation a été
strictement électorale pour le bill 85. La commission Gendron n'a
été qu'un paravant. Ce bill 63 est un désastre. Quels
arrangements le gouvernement a-t-il pris? Envers qui et pourquoi? Autant de
questions que le peuple se pose. Derrière le rideau de la scène
parlementaire, y a-t-il des puissances occultes qui font danser le gouvernement
en cette heure critique...
UNE VOIX: Léo Tremblay! Des fantômes! M. LE PRESIDENT: A
l'ordre!
M. TREMBLAY (Montmorency): ... et qui l'ont mené à voter
une loi dont plusieurs de ses députés ne veulent pas?
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! L'honorable ministre de la
Justice, sur un point d'ordre.
M. PAUL: Je comprends que l'honorable député est
intéressé à tracer un tableau plutôt violent... Un
instant. Mais, en vertu des dispositions de l'article 285,
dix-neuvièmement, il n'a pas le droit de prêter regardez
votre règlement, c'est la première fois que vous allez l'ouvrir
des intentions au gouvernement.
M. BERGERON: C'est votre ancien parti à part cela.
Ce n'est pas celui de Léo Tremblay.
M. TREMBLAY (Montmorency): Je tiens à ce que l'on sache que pour
ma part, je m'insurge de toutes mes forces contre ce que je considère
comme un viol de la démocratie.
M. ALLARD: Un vol de tableaux, un viol de la démocratie.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. TREMBLAY (Montmorency): Les députés du Québec
ont-ils réellement la liberté de s'exprimer honnêtement en
cette Chambre? Je me le demande, M. le Président...
UNE VOIX: C'est ce que disait Léo Tremblay.
M. TREMBLAY (Montmorency): Je ne le crois pas. On les force à
désavouer leurs plus profondes convictions. Cette loi devient un
véritable coup de force contre la conscience du peuple,
rédigée par on ne sait qui; présentée malgré
lui par le ministre de l'Education, elle restera un acte de dictature
infâme pour la population.
M. PAUL: M. le Président, un point d'ordre. Je voudrais bien que
l'honorable député n'emprunte pas les images d'un politicien
reconnu et qui évolue dans une autre législation. J'aimerais que
l'honorable député se serve d'expressions parlementaires. Il a
été, jusqu'à récemment et probablement
jusqu'à aujourd'hui, reconnu comme un homme calme,
pondéré, courtois et il serait regrettable qu'il s'attaque, de
façon aussi violente qu'il vient de le faire, à l'honorable
ministre de l'Education.
M. TREMBLAY (Montmorency): Dans les circonstances, Je crois pouvoir
difficilement m'y adapter, M. le ministre de la Justice.
UNE VOIX: Pardon.
M. TREMBLAY (Montmorency): Si vous voulez me laisser parler, s'il vous
plaît. Le geste posé dans le bill 63 nous prouve une fois de plus
que nous avons raison de mettre en doute et la sincérité et la
compétence du gouvernement.
N'avez-vous pas promis que le bill 63, au moment de la deuxième
lecture, serait étudié devant le comité selon les
procédures normales de l'Assemblée nationale? Où en
sommes-nous? Que valent ces promesses?
Par ailleurs, le ministre de l'Education n'a-t-il pas exprimé,
dernièrement, qu'il était favorable à ce qu'un
problème aussi grave, intéressant de près toute la nation
québécoise, soit soumis à différents corps publics
capables de nous éclairer et de projeter des points de vue essentiels?
N'a-t-il pas parlé, même, d'un projet de
référendum?
Maintenant, vous devancez votre programme, ou plutôt, vous mettez
la hache dans vos décisions antérieures, vous ignorez les droits
élémentaires du peuple de se faire entendre. Vous refusez
même de recevoir à votre bureau des éléments
responsables et compétents à une heure aussi grave de notre
histoire. Vous précipitez les procédures...
UNE VOIX: Avec Léo Tremblay.
M. TREMBLAY (Montmorency): ... parlementaires pour faire passer en
vitesse cette loi déjà rejetée par le peuple et
consacrez
ainsi l'Insulte que vous faites à la démocratie. Telle
qu'elle est conçue dans ses conséquences pratiques, à
longue échéance, cette loi est un acte de vente de la nation
canadienne française à des comptoirs étrangers à
nos véritables intérêts.
Messieurs du gouvernement, vous vous serez illustrés surtout de
deux manières avant de déposer la charge que vous portez
actuellement. Vous pourrez vous vanter d'avoir contribué à trahir
notre peuple dans sa foi en créant un climat de neutralité au
ministère de l'Education et dans nos écoles. Vous pourrez aussi
vous vanter d'avoir...
M. LE PRESIDENT: À l'ordre!
La dernière phrase que j'ai réussi à comprendre,
non sans difficulté, est complètement en dehors du sujet.
M. TREMBLAY (Montmorency): Aussi longtemps que...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Je pense qu'on comprendra que je
peux jouer difficilement le rôle qui m'est dévolu si on ne me
permet pas d'entendre l'honorable député de Montmorency.
M. TREMBLAY (Montmorency): Aussi longtemps que nous n'aurons pas un
gouvernement, M. le Président, qui travaillera pour le peuple
d'abord...
DES VOIX: Plus fort.
M. TREMBLAY (Montmorency): ... et non pour des fins électorales,
nous ne pourrons pas nous attendre à autre chose qu'à cet odieux
stratagème que vous dressez en pleine Chambre aujourd'hui à la
face de l'histoire de la nation québécoise qui vous jugera
à son heure.
M. LOUBIER: J'ai entendu ça à la télévision,
29e émission.
M. TREMBLAY (Montmorency): Les manifestations générales
auxquelles nous assistons depuis quelques jours, qui s'accentuent de plus en
plus et que le gouvernement ne prend pas au sérieux, le gouvernement
devrait faire de ces deux choses l'une : premièrement, ou retirer le
bill 63; deuxièmement, ou demander l'avis du peuple par des
élections générales.
M. LOUBIER: On n'est pas capable de jouer sur plusieurs tableaux, nous
autres.
M. TREMBLAY (Montmorency): Jamais dans l'histoire du Québec, M.
le Président, on a vu, dans des heures aussi graves, autant
d'associations, déjà au-delà de 120 associations
représentant tous les milieux, toutes les conditions, tous les
âges, toutes les classes de la population, parmi les plus saines, les
plus représentatives et les plus désintéressées de
notre milieu québécois.
Il faut voir là un redressement populaire collectif
vis-à-vis un Parlement dominé par une ploutocratie qui dirige
librement en coulisse. Le peuple a raison d'être angoissé sur son
avenir et de réclamer une réelle et effective priorité de
sa langue dans sa propre maison, en d'autres mots, d'être maître
chez lui, tout en respectant, bien entendu, selon une saine démocratie,
les droits de la minorité.
Je voterai contre ce bill qui ne donne aucune garantie à aucun
groupe linguistique et qui n'exprime que l'équivoque.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Maurice.
M. DEMERS: M. le Président, je voudrais demander l'ajournement du
débat.
DES VOIX: Vote! Vote!
M. PAUL: M. le Président, avant de proposer l'ajournement de la
Chambre, je voudrais donner le programme de travail pour demain. En premier
lieu, nous demanderons la formation du comité des subsides pour
étudier les crédits supplémentaires du ministère du
Tourisme, de la Chasse et de la Pêche ainsi que ceux du ministère
des Travaux publics.
L'honorable ministre de l'Education doit se rendre, demain, à la
conférence annuelle du comité supérieur de
l'éducation; c'est pourquoi nous ne pourrons pas entreprendre
l'étude des crédits du ministère de l'Education. Par la
suite, nous pourrions nous former de nouveau en comité plénier
pour l'étude du bill 24, soit l'article 3, Loi des heures d'affaires des
établissements commerciaux. La Chambre pourrait se réunir demain
matin à dix heures trente.
M. LESAGE: M. le Président, pourrais-je suggérer au
ministre de la Justice de commencer l'étude des crédits par ceux
du ministère des Institutions financières?
M. PAUL: Très bien.
M. LESAGE: Alors, il y a les Institutions financières, les
Travaux publics.
M. PAUL: Tourisme, Chasse et Pêche. M. LESAGE: Tourisme, Chasse et
Pêche.
M. PAUL: L'Education, mais cela sera en réservé
aussi...
M. LESAGE: Nous ajournerons à midi et trente?
M. LAPORTE: On décidera cela demain? M. PAUL: A midi et
trente.
M. LAPORTE: Je voudrais être libre pour le grand « party
».
M. LE PRESIDENT: La Chambre s'ajourne à dix heures trente, demain
matin.
(Fin de la séance; 21 h 57)