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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le jeudi 30 octobre 1969 - Vol. 8 N° 74

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures cinq minutes)

M. LEBEL (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre, messieurs!

Présentation de pétitions. Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus. Présentation de motions non annoncées. Présentation de bills privés. Présentation de bills publics. Affaires du jour.

L'honorable premier ministre.

M. Jean-Jacques Bertrand

Mise au point Manifestations étudiantes

M. BERTRAND: M. le Président, hier j'ai parlé des enseignants en général lorsque j'ai fait une déclaration. Je crois qu'il serait juste de dire: certains enseignants, tant au niveau secondaire qu'au niveau du CEGEP et, on peut le dire, au niveau universitaire. Les renseignements que j'ai, également, sont à l'effet que, dans l'ensemble, les enseignants remplissent leur rôle. Malheureusement pour eux, comme dans d'autres domaines, le petit nombre nous donne l'impression que tous sont dans le même bateau. Je crois qu'il est bon de rétablir la vérité et de dire qu'il s'agit de certains d'entre eux.

M. LE PRESIDENT: L'honorable chef de l'Opposition.

M. Jean Lesage

M. LESAGE: M. le Président, je dis que, pour ma part, c'est de cette façon que j'avais interprété les paroles du premier ministre.

M. BERTRAND: C'est dans ce sens-là que je le disais, d'ailleurs.

M. LESAGE: C'est d'ailleurs comme ça que je l'ai interprété.

M. Emilien Lafrance

M. LAFRANCE: M. le Président, j'ai une question à adresser au ministre de l'Education mais avant, je voudrais compléter ce que vient de dire le premier ministre. Ce matin, j'ai pu visiter deux écoles secondaires oft tous les professeurs étalent à leur poste. Dans une école en particulier, 81 professeurs étaient à leur poste. Je suis heureux de la distinction que vient de faire le premier ministre. Il ne s'agissait pas « des professeurs » mais « de professeurs ».

Pour bien situer ma question, ce matin J'ai reçu un défi de la part des étudiants qui occupent le CEGEP de Limoilou. Je me suis rendu les rencontrer durant deux heures et ils ont émis un voeu que je voudrais transmettre à la Chambre. Ils ont invité le ministre de l'Education ou le député du comté, qui est le ministre des Institutions financières, à aller les rencontrer.

M. le Président, je dois dire que tout se fait dans l'ordre, qu'ils m'ont écouté de façon religieuse et que c'est la grande expérience de ma vie. Je crois qu'on devrait davantage dialoguer avec les jeunes.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Finances.

Déclaration ministérielle Emission d'obligations

M. BEAULIEU: M. le Président, une déclaration. Le gouvernement vient de négocier au Canada un emprunt de $50 millions d'obligations du Québec. Cette nouvelle émission d'obligations, datée du 1er décembre 1969, écherra le 15 novembre 1975, porte intérêt au taux de 8 3/4% et est offerte en vente au public à $99.31 pour $100, valeur nominale de l'obligation.

Les obligations échéant en 1975 seront échangeables au gré du détenteur entre le 15 novembre 1974 et le 15 mal 1975 contre une même valeur nominale d'obligations à 8 3/4% échéant le 15 novembre 1981.

Les obligations échéant en 1975 ainsi que celles échéant en 1981 ne seront pas rachetables avant leur échéance respective. Les obligations échéant en 1981 seront échangeables au gré du détenteur, entre le 15 novembre 1980 et le 15 mai 1981, contre une même valeur nominale d'obligation, à fonds d'amortissement, 8 1/2%, échéant le 15 novembre 1989. Les obligations échéant en 1989 seront rachetables au pair à compter du 15 novembre 1988. Le rendement a l'acheteur qui détiendra ces obligations pendant le premier terme de six ans sera de 8.90%. Il sera de 8.85%, si les obligations échangées sont détenues jusqu'en 1981, et de 8.77%, si elles sont détenues pendant le terme total de vingt ans. Des intérêts seront payables semestriellement, les 15 mai et 15 novembre

de chaque année. Le premier coupon d'intérêt des obligations échéant en 1975 sera en paiement des intérêts pour une période de cinq mois et demi.

La province déposera, chaque année, dans un fonds d'amortissement, de 1982 à 1988, une somme égale à 1% des obligations alors en cours échéant en 1989. Cette émission d'obligation a été achetée par un syndicat dirigé par les banques et courtiers suivants; Banque de Montréal, J. L. Lévesque et L. G. Beaubien Ltée, A.E. Ames à Co. et la banque Provinciale du Canada.

M. LESAGE: M. le Président, deux questions. Je comprends que le rendement à l'acheteur pour le premier terme de l'émission sera de 8.90%...

M. BEAULIEU: Oui, M. le Président

M. LESAGE: Quel est le coût à la province en intérêts? 9 point quoi?

M. BEAULIEU: Je n'ai pas le calcul ici. C'est la commission usuelle que nous payons...

M. LESAGE: Oui, mais c'est le coût. Il faut ajouter le coût de l'émission et le répartir, n'est-ce pas?

M. BEAULIEU: Je pourrais faire le calcul et vous le donner.

M. LESAGE: Oui, alors c'est plus de 9%, en fait.

Maintenant, est-ce que la Caisse de dépôts et de placement doit acheter un bloc d'obligations?

M. BEAULIEU: Oui, la Caisse de dépôts et de placement doit acheter un bloc d'environ $25 millions.

M. LESAGE: Vingt-cinq millions de dollars. Alors 50%?

M. BEAULIEU: Oui.

M. BOURASSA: Je comprends que la province a réussi à négocier un emprunt sur le marché canadien, à un coût inférieur à 9%. Mais est-ce que le ministre pourrait nous dire si cela demeure le taux le plus élevé payé par la province sur le marché canadien?

M. BEAULIEU: Je n'ai pas vérifié tous les emprunts dans le passé, mais cela demeure un des emprunts les plus dispendieux, il n'y a aucun doute.

M. LE PRESIDENT: Affaires du jour. M. BERTRAND: Article 4.

Bill 63 Deuxième lecture

M. LE PRESIDENT: Reprise du débat sur la motion de deuxième lecture du bill 63. L'honorable premier ministre.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, on sait que, sur une question comme celle-ci, ce ne sont pas toujours les opinions les plus nuancées et les plus réfléchies qui sont les plus promptes à s'exprimer.

Rien n'est alors plus facile que, sur un sujet comme celui que je suis appelé à traiter, de provoquer des réactions émotives et de les exploiter à des fins démagogiques.

Je tiens, dès le début, à remercier le ministre de l'Education et tous mes collègues du cabinet, tous mes collègues députés qui ont, avec moi — avec soin disons-le, et nous prétendons également, sans, je crois, qu'il soit besoin de l'afficher, avec patriotisme — travaillé à la préparation du projet de loi qui est soumis à l'attention de la Chambre et également d'un autre qui suivra sur l'organisation scolaire de l'île de Montréal.

Je crois de mon devoir d'indiquer, au sujet de ce deuxième projet, immédiatement, quelle en sera l'orientation générale. Ce projet concernant l'organisation scolaire sur l'île de Montréal reprendrait, pour l'essentiel, les recommandations de la commission Parent et se situerait dans les lignes de l'économie générale de la Loi du conseil supérieur de l'éducation. Les commissions scolaires qui seraient établies sur le territoire de l'île de Montréal seraient des commissions scolaires communes, multiconfessionnelles, du point de vue de leurs structures, tout comme le serait le Conseil scolaire et, d'ailleurs, tout comme l'est le ministère de l'Education lui-même. C'est au niveau de l'école que seraient respectées les exigences de l'enseignement confessionnel selon les voeux des parents dont c'est la responsabilité d'ailleurs. Chaque commission scolaire devrait organiser, conformément aux règlements, des comités catholique et protestant, du Conseil supérieur de l'éducation, des

écoles catholiques, des écoles protestantes et des écoles autres que catholiques ou protestantes.

Ce projet de loi qui est annoncé au feuilleton aurait été déposé, n'eût été de la besogne que nous avons dû abattre lors de la préparation du projet de loi concernant le problème de Chambly. Mais je suis en état d'assurer la Chambre qu'il sera très probablement déposé en première lecture dès mardi prochain.

M. le Président, ce sont deux projets de loi, celui-ci et l'autre qui suivra, qui porteront l'empreinte du ministre de l'Education, et ces deux lois sont des pierres d'assise du Québec de demain.

Certains qui ont commencé à combattre la présente mesure, le projet de loi 63, avant même que le cabinet ait décidé de son contenu, ont prétendu que nous trahissions nos promesses en matière linguistique. Je dois, en conséquence, rappeler ce que disait notre programme de 1966, non pas pour politiser un débat qui doit se situer bien au-delà des considérations partisanes mais pour rétablir la vérité. Voici textuellement ce que disait notre programme: « L'Union Nationale reconnaît l'existence des deux langues officielles. Toutefois, au Québec il s'agit de mettre en valeur un héritage culturel dans des conditions particulièrement difficiles. Il faut donc conférer au français, langue de la majorité de la population, le rang et le prestige d'une véritable langue nationale ». On retrouve tout cela au programme « Objectifs 1966 », page 11.

Tout cela me paraît très clair, peut-être parce que j'avais longuement collaboré avec M. Johnson, M. Dozois, M. Masse et plusieurs autres à la préparation de ce programme. Mais Je me rends bien compte, par certaines réactions, qu'un mot d'explication ne sera pas superflu.

Dualité ne veut pas dire égalité. Deux langues officielles, cela ne signifie aucunement que les deux doivent occuper le même rang. Cela ne veut pas dire, non plus, que nous allons partir en croisade pour le maintien du statu quo ou pour la généralisation du bilinguisme. Le fait qu'il y ait deux langues au Canada n'empêchera jamais l'anglais d'occuper une place dominante et même exclusive dans de vastes régions du pays.

Ainsi en est-il au Québec où la dualité des langues officielles n'exclut aucunement la primauté du français, ni même son usage exclusif dans la plus grande partie du territoire québécois. Dans notre programme, nous disions donc, en résumé, ceci: Deux langues officielles dont l'une, le français, doit toutefois bénéficier de la primauté. D'abord, parce qu'elle est la lan- gue nationale des Canadiens français qui forment 81% de la population québécoise et, ensuite, parce qu'elle est la plus vulnérable dans le contexte nord-américain. Tels étaient, au moment de l'élection de 1966, les principes directeurs de notre politique linguistique. Ces principes n'ont pas changé; ils sont toujours ceux dont le gouvernement s'inspire.

Je dois, toutefois, préciser qu'il ne s'agit pas ici d'une loi sur les langues officielles, mais d'une loi sur la promotion du français dans le domaine de l'enseignement. On a aussi prétendu, avant même d'en avoir pris connaissance, que ce projet de loi trahissait la pensée de Daniel Johnson. A cette conférence de presse du 25 septembre 1968, qu'on a justement appelée son testament politique, M. Johnson a pourtant été très explicite, il a dit notamment ceci: « Il n'y aura pas de citoyens de seconde zone dans le Québec » C'est-à-dire qu'immigrants actuellement installés ou immigrants arrivant ici seront traités sur le même pied que les citoyens du Québec, anglophones ou francophones.

M. Johnson a dit aussi : « Montréal a cette vocation de métropole. « Je ne voudrais pas voir Montréal qui serait gêné économiquement à la suite de mesures bizarres prises par certaines commissions scolaires locales. »

Enfin, toujours dans la même conférence de presse, M. Johnson a dit qu'il était absolument nécessaire « que le Québec soit aussi français tout en étant bilingue et en admettant l'anglais, que l'Ontario est et demeurera anglais tout en admettant le français et en donnant une chance à tous les francophones d'apprendre le français. Ainsi, déclarait-il, nous allons voir à ce que tous les anglophones, tous les non-francophones du Québec aient une chance d'apprendre ce qu'il appelait le « prevailing language», comme on dit en Ontario. »

M. le Président, tout homme de bonne foi qui se donne la peine de relire objectivement ces textes admettra que notre projet de loi reflète exactement les intentions exprimées par M. Johnson.

Il y a d'autres censeurs qui nous disent: Ayez donc une politique simple, claire, tranchée, facile à formuler et à comprendre. Je voudrais me rendre, M. le Président, à une pareille requête, mais il n'y aurait que deux façons de le faire: décréter que seul le français aura droit de cité au Québec ou accepter l'intégration des Canadiens français à la culture dominante de l'Amérique du Nord. Du moment que l'on rejette l'un ou l'autre de ces deux extrêmes, on opte fatalement pour des solutions complexes

car, M. le Président, ce ne sera jamais facile d'être Français et de vivre en français sur ce continent où nous sommes.

C'est pourtant ce qu'ont toujours voulu et ce que veulent encore aujourd'hui plus que jamais — J'en ai la conviction profonde et intime — l'immense majorité de nos compatriotes au Québec. Ils ne veulent pas renoncer à leur culture, mais ils ne veulent pas renoncer non plus au niveau de vie et à tous les autres avantages que comporte leur participation à la vie nord-américaine.

Ils ne veulent surtout pas être placés dans une situation qui les force, en quelque sorte, à choisir entre leur appartenance culturelle et leur appartenance économique. Ils sont bien résolus à conserver et à développer les deux. La politique québécoise doit donc viser précisément à favoriser la poursuite harmonieuse de cette double ambition. Tel est son rôle spécifique, il en sera toujours ainsi. C'est dans la nature des choses. En toute hypothèse constitutionnelle, la politique québécoise sera toujours essentiellement un jeu d'équilibre, un effort de conciliation et de synthèse. Là est son immense intérêt; là aussi, j'en conviens, est sa difficulté particulière. Car il n'y aura jamais, il n'y en a pas aujourd'hui de solution simple à un problème complexe. Je ne vols pas beaucoup de place dans la politique québécoise pour ceux qui raisonnent comme s'il n'y avait que le blanc et le noir, le bien absolu et le mal à l'état pur, les bons d'un côté et les méchants de l'autre. Les solutions trop simples risqueraient d'être trop simplistes.

Voilà pourquoi je ne me scandalise aucunement des divergences d'opinions qui peuvent se manifester au sein de la communauté québécoise sur un problème aussi complexe que celui des langues. Ce qui est scandaleux, ce n'est pas que s'expriment des opinions ou des convictions contraires à celles de la majorité des citoyens ou à celles du gouvernement et même, je pourrais dire, du Parlement. C'est plutôt qu'il n'entre pas que ces gens-là manifestent de la façon que l'on volt à l'heure actuelle sur la place publique. Je crois qu'il est de mon devoir de faire ici un nouvel appel au bon sens et à la fermeté de tous les citoyens, spécialement des parents et des commissaires d'école, pour qu'ils ne permettent pas à des agitateurs professionnels de vider nos institutions d'enseignement sous le moindre prétexte et d'envoyer nos enfants dans la rue, les exposant par le fait même à tous les risques et à tous les dangers que comporte un climat surchauffé par une propagande haineuse et mensongère.

Déjà, l'an dernier, on a vu des écoliers et des écolières d'une douzaine d'années lancer des projectiles sur les édifices du parlement et briser des carreaux parce que ceux qui les poussaient devant eux leur avaient dit qu'ici même, à l'Assemblée nationale, il y avait des gens qui conspiraient contre la langue française.

Il est clair que les mêmes activistes, ceux que l'on retrouve comme par hasard dans toutes les manifestations pseudo-spontanées, essaient une fois de plus de manoeuvrer les jeunes pour des fins qui ne sont certainement pas celles de la promotion du français. Hier, à Montréal, on a vu des enfants qui n'avaient pas dix ans défiler dans les rues en criant les injures qu'on leur avait apprises. On fait aujourd'hui des sondages sur toutes sortes de sujets. Je serais bien curieux de connaître le résultat d'un sondage objectif qui aurait pour objet de déterminer combien, parmi les manifestants d'hier, jeunes ou moins jeunes, s'étaient donné la peine de lire et d'essayer de comprendre par eux- mêmes le projet de loi qu'ils dénonçaient comme une infamie.

Y en a-t-il seulement un sur cent? Certains prétendent que nos jeunes n'acceptent plus les valeurs reçues, qu'ils récusent tout ce qui n'entre pas dans le champ immédiat de leur vision ou de leur expérience personnelle. Rien n'est plus erroné. Il faut une foi ou plutôt une crédulité peu ordinaires pour descendre dans la rue sur le seul témoignage de quelques fanatiques qui avaient commencé à combattre le projet de loi avant même d'en connaître le contenu. On peut difficilement imaginer un conformisme aussi béat, aussi dépourvu de tout esprit critique, aussi éloigné d'un véritable esprit scientifique que l'on devrait normalement trouver en milieu collégial ou universitaire.

Il est devenu extrêmement urgent, M. le Président, pour tous ceux qui veulent contribuer à bâtir un Québec fort et sain de réagir avec courage contre le climat de pessimisme et de démission que certains tentent d'instaurer chez nous en permanence. Le silence et la passivité des modérés constituent les meilleurs atouts des extrémistes de toute catégorie.

On demande avec raison à l'Etat de faire preuve de leadership, de fermeté. Mais l'Etat doit-il être le seul à le faire? Il ne peut pas, à lui seul, suppléer à l'inaction de ceux qui, à l'intérieur du corps social, participent de quelque façon à l'exercice de l'autorité. Tous doivent faire leur part pour que ne soient pas consentis en vain les énormes sacrifices que comportent pour eux les budgets de l'enseignement.

Jamais une génération n'aura reçu autant de ses aînés que celle qui, à l'heure actuelle, est aux études.

Nous ne pouvons souffrir que des écoles, des

collèges et des universités, qui coûtent si cher à tous les contribuables soient constamment paralysés par les caprices d'un petit nombre. Chose absolument certaine, ce n'est pas en essayant par tous les moyens d'affaiblir l'Etat du Québec que l'on servira la cause du français. Pour que le Québec continue d'être gouverné en français par ceux que le peuple a démocratiquement élus, il faut que les enseignants enseignent, que les étudiants étudient et que soient utilisés à leurs véritables fins les aménagements scolaires mis à la disposition des jeunes Québécois pour leur permettre d'être mieux préparés et plus instruits que ceux qui se saignent à blanc pour payer les factures. Nous n'accepterons jamais d'être bousculés par des gens qui veulent nous imposer leur but par des moyens qui ne sont ni rationnels, ni démocratiques. Jamais!

J'ajoute que les manoeuvres d'intimidation économique ne sont pas plus justifiables que le recours à l'injure ou à la violence. S'il doit continuer d'y avoir un Canada français, ce que tous semblent admettre au départ, il faut bien qu'on lui permette de vivre et de vivre en français, compte tenu des impératifs du contexte nord-américain.

Mais en proposant à la Chambre une politique linguistique sans attendre les recommandations de la commission Gendron, le gouvernement, diront quelques-uns, n'est-il pas en train de saboter l'instrument de recherche et de réflexion collective qu'il avait lui-même créé? A cette question que certains nous ont posée, je réponds que le présent projet de loi n'est pas à lui seul — et nous en convenons — une politique linguistique, il n'en est qu'un élément parmi plusieurs. Si la langue de l'école est importante, je pense que la langue de travail l'est encore davantage. Car la langue de travail a bien plus d'influence sur la langue de l'école que n'en a la langue de l'école sur la langue de travail.

Même si nos compatriotes franco-ontariens, par exemple, n'apprenaient que le français à l'école, il ne s'ensuivrait pas qu'ils pourraient travailler en français. C'est plutôt dans l'autre sens que joue la relation de cause à effet. Les programmes scolaires tendent, forcément, à se modeler sur les exigences du milieu de travail. Or, jamais les recherches méthodiques n'ont encore été poursuivies sur le français comme langue de travail au Québec Nous avons des témoignages de plusieurs industries importantes qui ont pour politique de communiquer en français avec leur personnel, comme avec leurs clients et qui s'en trouvent fort bien. Celui, par exemple, de l'Alcan, dont le directeur des relations publiques, M. Aimé Gagné disait, en 1968, donc bien avant d'être nommé membre de la commission Gendron: « Dans le domaine de la communication, l'Alcan a appris à parler français, et c'est un placement sûr. Il ne faut pas être sorciers, déclarait-il, pour comprendre que parler la langue du client harmonise les contacts et les rapports ».

M. Terence Flahiff, président du conseil de la compagnie Manicouagan, disait de son côté, devant le Canadian Club, en mai 1965: « Les relations avec eux — les Canadiens français — semblent s'améliorer presque automatiquement en proportion de l'usage de leur langue. Je vois ceci tous les jours. » Nous avons aussi l'exemple de l'Hydro-Québec dont les innovations technologiques et les réussites administratives ne sont pas moins spectaculaires du fait que le français y est la langue de travail. Nous pourrions citer bien d'autres exemples et d'autres témoignages, mais une énumération de cas particuliers ne remplacera jamais une évaluation scientifique de la situation. Où en est, au juste, le français, comme langue de travail dans l'ensemble du territoire québécois et plus spécialement dans la région de Montréal? Qu'en est-il dans l'industrie, dans les services, dans le commerce, dans les institutions financières? Comment convaincre certaines entreprises qu'il y va de leur intérêt de s'intégrer davantage au milieu québécois?

Voilà autant de questions, et j'en oublie, auxquelles seul un organisme comme la commission Gendron peut apporter des réponses précises. Nous avons besoin de ces réponses. Nous n'avons pas le droit de procéder à la légère. Certains, malheureusement, posent des gestes et font des déclarations qui sont bien plus de nature à éloigner l'industrie qu'à la franciser. Ils sont ensuite bien mal venus de rejeter sur les autres la responsabilité du chômage et de la pauvreté. Pour que le français soit une langue de travail au Québec, il faut d'abord qu'il y ait du travail. Soyons donc assez positifs pour prendre les moyens appropriés au buts que nous voulons atteindre.

Même en ce qui concerne la langue de l'école, il reste beaucoup de recherche à faire. Nous légiférons ici sur des droits et des devoirs, mais le contenu est encore plus important que le contenant. Quelle est la qualité de l'enseignement du français au Québec? Comment améliorer cet enseignement, tant dans les écoles françaises que dans les écoles anglaises? Comment améliorer la qualité du français écrit ou parlé dans les organes d'information, organes qui diffusent quotidiennement et à dose massive, aussi bien dans leurs messages publicitaires que dans leurs bulletins de nouvelles et dans leurs diverses rubriques? N'y a-t-il pas,

dans tout cela, une proportion énorme et abusive de textes qui ont été pensés et écrits en anglais, en fonction de préoccupations et de besoins étrangers aux nôtres, avant d'être traduits en français pour consommation québécoise?

Quelle influence exercent sur le vocabulaire et, plus encore, sur la syntaxe de notre langue ces traductions si souvent faites à la hâte? Ce ne sont là que quelques exemples sur lesquels continuera de se pencher la commission Gendron.

Problèmes tellement importants et tellement complexes que les commissaires ne pourront probablement pas nous présenter leur rapport final avant une couple d'années. Si nous attendions ce rapport pour commencer à agir, on nous le reprocherait avec raison. Ainsi, comme nous l'avons fait pour la commission Parent, pour la commission Castonguay et pour bien d'autres, nous procédons graduellement au fur et I mesure que nous obtenons les renseignements dont nous avons besoin.

Ce projet de loi — et j'y reviens — constitue donc une étape. Ce n'est même pas la première étape, puisque des Jalons importants ont déjà été posés dans plusieurs domaines. Je n'en veux citer qu'un exemple: au ministère de l'Agriculture et de la Colonisation, on a été parmi les premiers à faire en sorte que les droits du français soient pleinement reconnus au Québec dans l'important secteur de la commercialisation des produits alimentaires.

Un règlement ratifié par l'arrêté ministériel du 15 mars 1967 décrète ce qui suit: « Dans toute inscription, l'usage du français est obligatoire et aucune inscription rédigée en une autre langue ne doit l'emporter sur celle rédigée en français. »

M. le Président, en plus de poser pour la première fois au Québec la règle de l'usage obligatoire du français dans la commercialisation des produits alimentaires, ce règlement va jusqu'à consacrer en pratique la primauté du français car il en fait la seule langue obligatoire et, pour ceux qui décident d'utiliser les deux, la seule qui ait droit à un traitement au moins égal à celui de l'autre langue.

J'ajoute que ce règlement est appliqué avec souplesse, ce qui nous a valu de la part des manufacturiers importateurs et distributeurs de produits alimentaires une collaboration qui n'aurait sans doute pas été aussi empressée ni aussi efficace si nous avions procédé avec plus de raideur.

La fermeté n'exclut aucunement la diplomatie. Notre but est de multiplier les ponts et non pas les cloisonnements à l'intérieur du Québec.

Par la création du ministère de l'Immigration, nous avons mis en place un autre rouage important de notre politique linguistique. Grâce à ce ministère, nous avons maintenant les instruments pour accueillir humainement les immigrants et surtout pour les intégrer à la vie québécoise, ce qui est beaucoup plus positif que des contraintes ou des défenses juridiques.

Nous pouvons désormais leur donner non seulement les moyens d'apprendre le français, mais aussi ce qui est le plus important, soit les motivations pour qu'ils tiennent à l'apprendre. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, M. le Président, sachant que le ministre des Finances et de l'Immigration, qui est en contact étroit avec les divers groupes ethniques et qui connaît bien leurs problèmes, aura l'occasion d'en parler plus longuement.

Une politique linguistique devait nécessairement comporter aussi l'intensification de nos relations avec les autres communautés francophones. Soumis comme nous le sommes aux retombées culturelles du continent nord-américain, comment pourrions-nous conserver à notre langue toute sa richesse, toute sa vigueur, toute sa pureté sans multiplier les échanges dans les domaines qui dépendent de nous?

Et qu'on ne vienne pas nous dire que ce sont là de mauvaises fréquentations. Elles n'ont rien de clandestin, ni rien de séditieux. Elles se poursuivent en pleine lumière. Quand on voudra bien les regarder avec un peu plus de sérénité, on s'apercevra qu'elles sont loin d'être contraires aux meilleurs intérêts du Canada.

J'espère que nos amis de l'autre côté de la Chambre, qui ont été les premiers à intensifier ces échanges, vont appuyer là-dessus sans équivoque possible, non pas un gouvernement ou un parti politique, mais les intérêts supérieurs de la collectivité québécoise.

Aujourd'hui, comme d'ailleurs en 1966, il s'agit de répondre à des impératifs culturels et non pas de poursuivre des visées politiques. Ces relations sont tellement normales que je ne désespère aucunement de les voir un jour comprises et acceptées pour ce qu'elles sont. J'ajoute qu'elles n'ont jamais eu dans mon esprit et n'ont jamais été conçues par le gouvernement comme devant constituer un obstacle aux bonnes relations qui doivent exister entre le Canada et la France. Je laisse d'autre part à mon collègue des Affaires culturelles le soin d'exposer à la Chambre le rôle évidemment primordial que joue déjà et continuera de plus en plus de Jouer son ministère dans cette politique de rayonnement et de primauté du français.

Là aussi d'importants jalons ont été posés,

notamment par la création de l'Office de la langue française; d'autres le seront bientôt. Mon collègue devrait, demain après-midi, tenir une conférence de presse où il devait révéler au public plusieurs des outils qu'il est en train de bâtir à son ministère. Toutefois, dans le climat qui semble vouloir prévaloir demain devant les édifices du Parlement, Je crois qu'il a été sage de remettre sa conférence de presse à la semaine prochaine, afin que, dans les journaux, on puisse donner à cette conférence de presse le rayonnement qu'elle méritera, et qu'elle ne soit pas obnubilée par les parades et les photographies que l'on prendra sans aucun doute demain des cérémonies qui se dérouleront sous l'égide de ce « grand patriote », Michel Chartrand, devant le Parlement de Québec.

Notre politique linguistique ne se limite aucunement à l'action de quelques ministères en particulier. Dans tous les secteurs de l'administration québécoise, qu'il s'agisse d'enseignement, de radio, de télévision éducative, de cinéma, de finances, de convention collective, de travail, de raison sociale, de toponymie, de signalisation routière, de tourisme, d'aménagement des richesses naturelles, de services publics, d'organismes relevant directement ou indirectement de l'Etat, partout nous entendons multiplier les mesures propres à créer des situations de fait qui seront à l'avantage du français.

J'en profite ici pour faire une légère pause. Il y avait, ce matin, dans le Devoir, un article que j'inviterais tous mes collègues à lire. Un article que l'on trouve en page 5, libre opinion, en marge du bill 63, intitulé: « Des lois pour créer la pédagogie, la culture et l'appartenance nationale? » C'est par Maurice Champagne, professeur. J'invite ceux-là qui, à l'heure actuelle, organisent des séances d'étude, comme on dit en français des « teach-in », je les invite à réfléchir sur les idées que l'on retrouve dans cet article et à voir quelle est notre responsabilité en vue de la promotion du français dans tous les domaines, de la qualité du français, du bon goût, de la recherche du beau. Qu'on lise cet article. Que la jeunesse de nos collèges, des universités, des CEGEP s'en inspire. Qu'on mette en pratique les idées que cet homme énonce et je ne craindrai jamais pour l'avenir du Canada français et du français au Québec.

Ce projet de loi, que dit-il? D'abord, je soumets qu'il pose le principe de la primauté du français. Ce projet établit comme règle qu'au Québec l'enseignement se fait normalement en français. C'est le régime commun, c'est le régime légal, c'est le régime que la loi donne à tous ceux qui ne demandent pas formellement d'être rangés parmi les cas d'exception. Pour être exclu du régime commun, qui est celui de l'école française, il faut poser un geste, il faut prendre l'initiative d'en faire la demande auprès de la commission scolaire, lors de l'inscription de l'enfant. Mais aucun geste n'est nécessaire pour être inclu dans le régime commun, c'est automatique.

En d'autres termes, cette loi pose en principe que le Québec est d'abord et avant tout une terre française.

Or, c'est un principe qui n'avait encore été inscrit nulle part, ni dans la constitution canadienne, ni dans nos propres lois. Il le sera désormais dans l'une de nos principales lois organiques, en attendant de l'être dans d'autres textes juridiques et surtout dans la réalité quotidienne, il ne s'agit pas d'une affirmation purement platonique. Ce principe projette un éclairage nouveau sur les divers aspects de la réalité québécoise.

Tout le monde est sensé connaître la loi, à commencer, bien sûr, par les habitants du territoire, mais cela comprend aussi et, à plus forte raison, ceux qui projettent de venir s'y établir. Nos futurs concitoyens ont le devoir de se renseigner sur les lois et les institutions qu'ils trouveront chez nous. Notre ministère de l'Immigration sera là désormais pour les aider à se renseigner.

Jusqu'à maintenant, la plupart de ceux qui arrivaient ici ignoraient presque tout de la réalité québécoise. Ils savaient que c'était une partie de l'Amérique du Nord, mais beaucoup ignoraient que c'était aussi une terre française, il n'y avait rien dans nos lois pour les en avertir et les en informer. Désormais, avant même d'arriver chez nous, ils sauront que, si le Québec est économiquement partie intégrante de l'Amérique du Nord, que s'il est politiquement un Etat membre de la fédération canadienne, il est culturellement une terre française, une terre où la langue dominante est le français, une terre où habite une communauté humaine qui a une conscience de plus en plus vive de son appartenance à la francophonie.

Ce projet de loi proclame donc, comme premier principe, comme règle générale, la primauté du français dans l'enseignement; deuxièmement, M. le Président, le droit de dissidence. Mais, il ne va pas, ce droit que je viens d'affirmer, jusqu'à exclure l'école anglaise, ni à en interdire l'accès à ceux qui croient en avoir besoin.

Il admet donc des exceptions à la règle que je viens d'énoncer. L'enseignement pourra être donné en anglais à tout enfant dont les parents où les personnes qui en tiennent lieu en font la

demande lors de son inscription, il faudra, cependant, que les programmes et les examens soient conçus de telle façon que l'enfant puisse acquérir une connaissance d'usage, une connaissance pratique de la langue française.

Cette dernière condition découle naturellement de la règle de la primauté du français. Puisque la langue normale de communication en territoire québécois est le français, il s'ensuit que tous ceux qui veulent participer à la vie québécoise doivent avoir au moins une connaissance pratique de cette langue, car on ne saurait vraiment participer que si l'on est capable de communiquer. Les Canadiens français qui veulent participer à la vie commerciale et industrielle de l'Amérique du Nord doivent avoir une connaissance suffisante de l'anglais, puisque c'est le moyen normal de communiquer avec 200 millions et au-delà d'anglophones qui vivent sur ce continent.

Les Franco-Ontariens qui veulent jouer un rôle dans leur province, qui veulent y être des citoyens à part entière doivent aussi savoir l'anglais, puisque c'est, en Ontario, la langue de la majorité de la population.

Aussi les anglophones qui veulent être au Québec des citoyens à part entière doivent-ils accepter, dans leur propre intérêt, l'obligation d'acquérir une connaissance pratique du français qui est ici la langue dominante, la langue de la majorité de la population.

M. le Président, je n'ai, d'ailleurs, pas besoin d'insister davantage sur ce point, puisque ce sont les anglophones eux-mêmes qui ont tenu à marquer devant la commission Gendron la nécessité où ils se trouvent de posséder une connaissance pratique du français.

Et certains nous disent: Pourquoi consacrer dans une loi ce droit à la dissidence, ce droit à l'école anglaise que le Québec a toujours appliqué dans les faits avec une générosité qui allait bien au-delà des prescriptions juridiques, bien au-delà aussi — faut-il le rappeler? — du traitement accordé par les autres provinces à leurs minorités françaises? Est-ce qu'en fixant ainsi dans une loi cette tradition d'exceptionnelle générosité l'Assemblée nationale ne préjuge pas de l'avenir? Est-ce qu'elle ne prend pas prématurément, sur le caractère et la vocation du Québec de demain, une décision qui devrait être laissée à ceux qui viendront après nous? A cette interrogation que je comprends, que je respecte, je réponds d'abord, comme l'a fait très pertinemment la semaine dernière le ministre des Affaires culturelles, qu'il ne s'agit pas ici d'une option constitutionnelle, mais d'une option politique.

Nous n'en sommes pas à statuer sur la place du Québec à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada. Nous sommes à modifier une loi, la Loi de l'instruction publique, qui est sans doute très importante, mais qui a déjà été changée bien des fois, particulièrement en ces dernières années, et que nous pourrons encore changer avec la même facilité. Donc, nous ne fermons aucune porte. Nous ne bloquons aucune voie pour l'avenir. Nous reprenons simplement pour nous-mêmes une décision qui a toujours été celle de nos pères aux différentes étapes de leur vie collective. Toutes les générations qui se sont succédé, avant comme après 1867, ont eu, comme la nôtre, l'occasion de s'interroger sur le caractère et la vocation du Québec. L'une après l'autre, elles ont toutes répondu que le Québec devait rester, premièrement, une terre française et, deuxièmement, une terre de liberté.

Je ne sais pas si je me fais illusion, mais je crois que, dans l'esprit de nos pères comme dans le mien, il y a toujours eu une sorte d'équivalence entre ces deux termes: une terre française et une terre de liberté. Ça voulait dire pour eux à peu près la même chose. Un Québec français, ça voulait dire un Québec où il y avait aussi plus de liberté qu'ailleurs. La preuve, d'ailleurs, le Québec l'a fournie pendant les cent dernières années à toutes les autres provinces canadiennes par le traitement qu'il a accordé à ses minorités anglaises au Québec.

C'est là une tradition respectable que j'entends respecter, que le gouvernement de l'Union Nationale et le Parlement vont respecter. Est-ce que tous ceux qui se sont appliqués à maintenir et à consolider cette tradition, avant comme après 1867, se seraient lamentablement trompés? Est-ce que tout récemment les membres de la commission Parent se seraient également trompés? Voici ce qu'il ont écrit dans leur rapport: « Bien qu'un Etat ait des droits de réglementation sur la langue, on ne doit forcer personne, semble-t-il, à mettre ses enfants dans une école française ou dans une école anglaise. Autrement on se comporterait un peu comme on reproche aux autres provinces canadiennes de se comporter à l'égard des Canadiens français ».

Encore faut-il admettre ici, que dans l'Ontario en particulier et au Nouveau-Brunswick des jalons sont posés à l'heure actuelle en vue d'accorder à nos minorités françaises un traitement égal à celui que nous allons accorder, que nous avons accordé, que nous allons maintenir à l'élément anglophone au Québec. Est-ce que les membres de la commission Dunton-Laurendeau se seraient trompés à leur tour lorsqu'ils ont écrit ce qui suit: « Nous recomman-

dons que soit reconnu, dans les systèmes scolaires, le droit des parents canadiens de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de leur choix. L'application de ce principe, écrit-on, sera fonction de la concentration démographique de la minorité ». Est-ce que les membres de la commission Pagé qui se sont prononcés dans le même sens se seraient illusionnés à leur tour? M. le Président, avec les membres du gouvernement actuel, avec l'ensemble ou la majorité des membres de ce Parlement, cela commence à faire pas mal de monde parmi ceux qui ont eu récemment l'occasion de réexaminer ce problème en profondeur.

Est-ce que tous ces gens-là, en se prononçant comme ils l'ont fait, dans le même sens que la tradition dont je parlais tantôt, auraient trahi leur mandat, leur langue, leur nationalité? Faut-il les vouer tous à la réprobation populaire? Faut-il les accuser tous, grand Dieu! de vouloir refaire la bataille des plaines d'Abraham? Quand on entend dans la bouche d'un homme comme François-Albert Angers, deux cent ans après, des propos comme ceux qu'il tenait à mon endroit en m'appelant le général Wolfe, grand Dieu! j'ai presque envie, M. le Président, de vous raconter une courte histoire.

J'entrais un jour dans Québec avec ma femme et mon petit bonhomme, Philippe, qui a douze ans; à ce moment-là, il avait neuf ans. En traversant ce territoire où sont logées les plaines d'Abraham, je lui raconte tout bonnement: Regarde, le terrain que tu vois, cet espace, c'est ici qu'a eu lieu, jadis, une grosse bataille entre les Français et les Anglais, il se retourne vers moi et, du tic au tac, il dit: Ils ont bien réparé cela depuis!

En fait, il y en a qui souffrent d'un complexe d'infériorité vis-à-vis de nos compatriotes anglophones et qui sont aussi extrémistes que certains anglophones qui nous rappellent parfois la bataille des plaines d'Abraham. Elle est terminée, quant à moi, la bataille des plaines d'Abraham! Nous allons, avec les Québécois francophones et anglophones, le bâtir, le Québec français! Mais, ce n'est pas avec du pessimisme, ce n'est pas avec de la haine, ce n'est pas avec des complexes de traumatisés que nous allons bâtir le Québec! C'est avec beaucoup plus! C'est avec l'intelligence, avec la compétence, avec le dynamisme, avec une énergie tendue capable d'envisager les problèmes et de leur trouver des solutions adaptées à notre époque que nous allons, non pas vaincre, mais rayonner.

C'est ainsi que l'on bâtit un peuple.

Ce n'est pas en détruisant les autres que nous allons nous bâtir!

Pourquoi faut-il donner à une tradition qui avait été, depuis toujours, respectée au Québec, des appuis juridiques? C'est tout simplement parce que, pour la première fois dans notre histoire, cette tradition a été mise en doute et même récusée, sur un point de notre territoire, un point minime, mais un point qu'on se faisait fort d'élargir graduellement pour l'étendre à la dimension du Québec. Voilà ce qui a posé carrément le problème devant l'opinion publique.

Nous étions mis en demeure — et nous le sommes encore — par le Front du Québec français, ou bien de renoncer à une tradition qui était partie intégrante du patrimoine québécois ou bien de légiférer pour en conserver l'essentiel. Si on la dépouille de sa forme juridique, la réponse contenue dans ce projet de loi est exactement ce qu'ont toujours fait les générations précédentes.

Nous voulons que le Québec reste à la fois une terre française et une terre de liberté. Puisqu'il nous faut consacrer, dans une loi, la liberté d'option, nous allons en même temps et dans le même texte, consacrer aussi la primauté du français. L'une ne va pas sans l'autre. Le gouvernement continue d'y voir deux éléments essentiels d'une seule et même politique. Nous voulons bien garder ouvertes les voies de la liberté, mais nous ne voulons pas qu'on s'en autorise pour changer les composantes culturelles de la population québécoise. Nous prendrons des moyens positifs pour que les libertés confirmées dans cette loi ne soient pas utilisées à l'encontre des droits historiques d'un peuple qui besogne depuis plus de trois siècles et demi à l'édification de la patrie québécoise.

M. le Président, je termine, il est possible que ces explications ne satisfassent pas tout le monde, et qu'il reste, de part et d'autre, quelques irréductibles. Je ne leur en veux pas. Je ne retournerai pas contre eux les accusations ou les injures qu'ils avaient convenu de nous lancer, de me lancer, de lancer aux membres de ce Parlement, bien avant de connaître le projet de loi. Je me flatte de penser que la mesure recevra l'approbation de la très grande majorité des députés comme de la très grande majorité des Québécois. Si tous les groupes avaient eu l'occasion d'en causer aussi longuement, et avec la même sérénité que nous en avons causé, combien de fois, au cabinet, ils en seraient arrivés à la même unanimité.

Tout ce que je demande, c'est que, malgré les divergences d'opinions qui peuvent encore se manifester sur des points particuliers, nous continuiions d'oeuvrer ensemble, d'un même élan, d'un même coeur, d'un même amour au progrès de la communauté québécoise. Ce Qué-

bec nouveau, que nous voulons bâtir, doit être une terre de rassemblement mais non pas de division et de déchirements.

Ce Québec, que nous aimons, doit être une terre d'Innovation et de création et on ne crée vraiment que dans la joie.

Je ne crois pas, M. le Président, que ce soit une bonne façon de tendre les énergies d'un peuple que de semer autour de lui l'amertume et le pessimisme, de se lamenter sur un passé depuis longtemps révolu, de prédire pour l'avenir Je ne sais quel cataclysme. Ce n'est pas, non plus, comme le dirait peut-être le général de Gaulle, « par la hargne, la rogne et la trogne » que l'on stimulera les investissements industriels.

Il fut un temps où le Québec n'avait à peu près pas d'Industries. On avait beau répéter que le sol était notre plus grande richesse; il se trouve que tout le monde n'avait pas la vocation agricole. Alors, en dépit de tous les beaux couplets, les Québécois traversaient la frontière, par centaines et par milliers. On en retrouve un million en Nouvelle-Angleterre. Ils allaient là où il y avait des industries, là où il y avait de la prospérité. Cela a-t-il aidé beaucoup la cause du français?

Nous aiderons cette cause non pas en entourant le Québec d'un réseau de protection craintive et hostile, mais en gardant ouvertes les voles qui permettront aux Québécois de communiquer entre eux, d'abord, puis avec les autres communautés humaines, de façon à pouvoir trouver, sur leur propre territoire, les emplois, les Industries, les stimulants, le climat de confiance et de ferveur qui leur permettront de participer en français au prodigieux dynamisme du continent nord-américain.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Outremont.

M. Jérôme Choquette

M. CHOQUETTE: M. le Président, il est malheureux que nous soyons obligés d'aborder un projet de loi aussi vital, aussi important, qui nous touche, nous tous dans cette Chambre et toute la population du Québec, dans des circonstances où ce projet provoque autant d'émotivité dans certaines classes de la population du Québec.

Je suppose que c'est là le sort de toute législation qui porte sur une question importante. Lorsque, comme législateurs, nous arrivons dans un domaine qui touche le peuple de près, il va de soi que les passions s'exacerbent, que l'exagération joue et qu'en somme nous soyons face à des revendications qui prennent des formes extrémistes.

Aussi, je pense qu'il ne faut pas s'en étonner; il ne faut pas se surprendre de cet état de choses, il ne faut pas, non plus, s'appuyer sur ces mouvements qui indiquent la surexcitation des passions ou du jugement, il faut garder toute sa froideur, toute sa logique, tout son raisonnement et analyser la situation telle qu'elle est, telle qu'elle se présente.

Il est incontestable qu'il fallait remédier à l'état de choses qu'avait créé Saint-Léonard. Cette situation avait duré depuis trop longtemps et, justement, l'hésitation du gouvernement à apporter une solution à ce problème a contribué à l'état de choses que nous connaissons aujourd'hui.

Mais, vu l'importance de la question qui se pose à la Chambre, je vais m'abstenir de faire le procès du gouvernement sur sa conduite passée dans ce domaine.

Je pense que la question de fond est trop importante pour la salir avec de la partisanerie ou par des récriminations qui ne pourraient qu'ajouter du désordre dans la discussion de la véritable question de fond.

Aussi, je pense que tous les collègues dans cette Chambre manifestent aujourd'hui un certain sentiment dont je veux me faire l'expression, étant le premier orateur après le premier ministre, du moins de ce côté-ci de cette Chambre. Tous les collègues, particulièrement de ce côté-ci, veulent approcher ce problème dans toute sa dimension, sans en ignorer tous les aspects. Mais, d'un autre côté, ils veulent que la question soit traitée sans passion et avec objectivité.

Or, même si le gouvernement se devait d'apporter une correction à la situation qui avait été amenée par les actes de la commission de Saint-Léonard, il faut quand même admettre que le gouvernement, pour ce faire, s'est engagé dans une politique linguistique.

Le premier ministre a eu beau nous dire tout à l'heure que son projet de loi ne comportait pas une politique linguistique, en fait, il comporte un commencement de politique linguistique. C'est une politique linguistique qui nous laisse à mi-chemin, et même si je suis le gouvernement sur le principe du projet de loi, je ne peux pas m'empêcher de constater qu'il y a toute une partie de la question qui n'est pas traitée par le projet de loi. C'est justement le fait qu'il y ait cette carence, cette absence de traitement de l'autre partie de la question qui rend en quelque sorte le débat aujourd'hui difficile et qui donne de l'ambiguïté au projet de loi, qui crée de l'équivoque, qui fait jusqu'à un certain point que tous ceux qui ont examiné le projet de loi ne sa-

vent trop à quoi s'en tenir puisque, à côté du principe de la liberté de choix qui est affirmé, je pense avec raison, dans le projet de loi, à côté de ce principe-là, d'un autre côté des pouvoirs très étendus sont donnés au ministre de l'Education et au ministre de l'Immigration dont on ne sait pas quel usage ils en feront.

Ceci est un aspect de la question, mais dans le domaine scolaire, dans le domaine de l'enseignement du français qui est la préoccupation qui s'exprime par les deux articles du projet de loi dont j'ai parlé tout à l'heure, les deux articles à l'effet que le ministre de l'Education et le ministre de l'Immigration devaient prendre des mesures pour faire apprendre le français à ceux dont la langue d'usage est la langue anglaise ou encore aux immigrants. On ne peut pas traiter la question scolaire isolément du contexte économique. On ne peut pas faire abstraction de la vie économique et sociale dans le Québec à l'heure actuelle. C'est la raison pour laquelle le projet de loi gouvernemental, avec lequel je suis d'accord, laisse jusqu'à un certain point une partie importante de l'opinion publique et, je dirais la plupart des hommes politiques dans cette Chambre en quelque sorte en plein air, sans résoudre la question. Tout le monde sait très bien qu'en matière de droit scolaire, il ne suffit pas de dire à des anglophones ou à des immigrants: Vous allez apprendre le français. Ou encore: Nous allons vous donner des cours de français pour vous aider à communiquer avec la majorité francophone, quand la vie économique ne les inciterait pas à utiliser la latitude qu'on leur donnerait dans le domaine scolaire.

Je veux dire que le projet de loi du gouvernement, parce qu'il est incomplet, parce qu'il ne traite pas l'ensemble de la question, est fautif dans ce sens qu'il ne débouche pas sur cette question primordiale qui est l'usage du français comme langue de travail.

Certes, il ne s'agit pas — et je ne pense pas que cette idée ait pénétré le cerveau de qui que ce soit dans cette Chambre — de tenter d'imposer la langue française aux anglophones dans la conduite de leurs affaires personnelles parce que, respectueux de la liberté que nous sommes, cette idée saugrenue qui ne pourrait sourdre que dans les esprits maladifs, eh bien, cette idée saugrenue n'est venue à personne.

Mais la situation concrète, à laquelle beaucoup de membres dans cette Chambre s'en prennent, qui est le ferment sur lequel travaillent les extrémistes et dont ne parle pas le projet de loi, c'est justement cette situation en vertu de laquelle des Canadiens français, en grand nombre, sont, à cause des circonstances, obligés de travailler dans la langue anglaise, ce qui n'est pas leur langue maternelle.

Par conséquent, nos gens sont désavantagés sur le plan culturel et sur le plan économique. Ce n'est pas parce qu'il s'agit là d'une contrainte et ce n'est pas parce que je veux traiter de cette question avec étroitesse d'esprit, à la manière des unilinguistes qui parlent actuellement de l'unilinguisme et qui en font, en quelque sorte, une panacée contre tous les maux dont nous pouvons souffrir. Au contraire, je suis fermement persuadé que les Canadiens français — que nous ayons un régime unilinguiste ou semi-uni-linguiste dans le Québec — ne pourront jamais se passer, pour réussir, d'une connaissance étendue de la langue anglaise.

Il ne sert à rien de dire aux jeunes collégiens des CEGEP, de l'université, qu'ils vont pouvoir réussir dans la vie, même si le Québec devait devenir unilinguiste, sans une connaissance de la langue anglaise. C'est cela la réalité. C'est cela le fondement de la réalité québécoise. Que voulez-vous que nous fassions? Nous sommes entourés de 200 millions d'habitants qui parlent anglais. La technique et la technologie américaines sont à l'avant-garde du monde entier. L'autre jour, dans un journal, je lisais cette expression: « The computer speaks English. » Cela veut dire justement qu'aussitôt que nous voulons que nos jeunes Canadiens français soient aussi compétents que les jeunes anglophones nous ne pouvons pas les isoler dans un carcan linguistique qui en ferait des espèces d'isolés culturels en Amérique du Nord.

Je fais cette dissertation pour tenter de mettre les choses à leur place. Si ce que j'ai dit est vrai — et je le maintiens — il n'y a pas un cerveau lucide qui pourrait préconiser l'unilinguisme dans le Québec à l'heure actuelle. Ceci est une vérité fondamentale. La réalité nous commande d'y adhérer.

D'un autre côté, il faut quand même admettre que le peuple canadien-français ne doit pas se soumettre, en quelque sorte, à une domination linguistique au plan des affaires. Je veux dire qu'il n'y a pas de raison qu'une nation organisée comme le Canada français soit systématiquement obligée, pour gagner son pain, son existence, pour réussir dans la vie, dans les entreprises... évidemment dans le contexte nord-américain que j'ai décrit tout à l'heure, mais aussi dans le contexte québécois, il n'y a pas de raison, en quelque sorte, qu'il y ait, par les circonstances, une imposition de l'anglais de neuf heures à cinq heures ou encore de tous les jours et de tous les moments. Il faut que les possibilités créatrices de nos jeunes, de notre peuple, puissent s'exprimer dans notre langue maternelle. Si nous réussissons à assurer cet équilibre entre le besoin d'être soi-même, d'une part — ce qui est fondamental — et, de l'autre côté,

le besoin de reconnaître la réalité ambiante telle qu'elle est, à ce moment-là je pense que nous aurons réussi à adopter une législation qui correspondra à la réalité québécoise, à la profondeur des aspiration du peuple québécois.

Malheureusement, je suis bien obligé de le reconnaître, le projet de loi parle d'éducation, parle de cours de français, mais il ne débouche pas sur la réalité économique. Ai-je besoin d'insister sur le fait que la réalité économique est fondamentale? Les jeunes n'apprennent pas des langues gratuitement, pour le plaisir de la chose, excepté quand ce sont des professeurs d'université ou excepté quand ce sont des professeurs de linguistique. Le commun des mortels en a assez à faire pour gagner sa croûte. Ne lui demandons pas, qu'il soit de langue française ou de langue anglaise, d'apprendre un bagage culturel qui lui serait inutile. Par conséquent, je dis qu'il faut compléter ce projet de loi en comité. Je dis qu'en comité il faudra présenter des amendements, justement pour tenir compte de la réalité que j'exprimais tout à l'heure, c'est-à-dire le besoin de donner justice à ces jeunes qui sont appelés à venir sur le marché du travail et qui voudront, dans les limites du raisonnable et de la réalité, travailler et s'exprimer dans leur langue.

Il n'y a rien, M. le Président, qui doive surprendre à cela. Puisque le projet de loi nous engage, jusqu'à un certain point, dans une politique linguistique — chose qui était inévitable, je pense, si l'on voulait régler cette crise provoquée par Saint-Léonard — il faut aller jusqu'au bout ou, du moins, il faut faire un pas de plus.

Il faut voir tous les aspects de la question. On ne peut pas se contenter de garder le projet de loi tel qu'il se présente à l'heure actuelle. Il faut en quelque sorte satisfaire à cette aspiration légitime des jeunes Canadiens français qui sortent en masse des universités québécoises et qui cherchent une façon de s'exprimer dans la vie économique et sociale, avec leur personnalité, avec la personnalité que nous leur donnons à l'école, sinon, à ce moment-là, à l'école, c'est un mensonge, l'école ne correspond pas à la réalité. Il y a en quelque sorte un hiatus entre l'école et la réalité; il y a un décalage entre les symboles et la réalité. Il y a une contradiction entre les discours qui sont faits officiellement au nom de la belle langue française et, d'un autre côté, la vie qu'il faut gagner tous les Jours.

Eh bien, c'est cette grande réconciliation qu'il faut faire. Je ne pense pas que nous ne puissions pas la faire un peu aujourd'hui, cette réconciliation des contradictions qui provoquent une division profonde dans la société d'aujourd'hui entre les jeunes et les aînés. Il y a peut-être moyen de faire ce pont entre ces deux impératifs: le nécessaire, le quotidien, la réalité et, d'un autre côté, cet idéal d'être soi-même et de travailler dans sa propre langue.

Alors, M. le Président, je termine sur ces quelques observations, en disant que, dans l'ensemble, je suis sympathique et que je voterai pour le projet de loi. Je voudrais cependant, en comité, présenter des amendements pour tenir compte de l'aspect économique et social sur lequel je me suis étendu dans mon discours.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gouin.

M. Yves Michaud

M. MICHAUD: M. le Président, l'on comprendra que l'étude de ce projet de loi accuse chez celui qui vous parle un niveau d'hypersensibilité qui est justifié par la profession qu'il a exercée depuis de nombreuses années et que, sur un projet de loi comme celui-là, celui des langues, je sois passablement troublé et aussi déchiré par des attitudes à la fois conflictuelles et contradictoires.

La panique est en voie de s'emparer de certaines gens. Par milliers, des étudiants, des hommes d'âge mûr et des enfants en bas âge descendent dans la rue pour manifester. Certains savent pourquoi, d'autres non. Et, pour une grande majorité d'entre eux, l'hystérie collective est en voie de les gagner.

D'un autre côté, il ne sert à rien de jouer à l'autruche, de nous fermer les yeux en nous disant confortablement qu'il n'y a pas de problème, car il y en a un véritable, épineux, difficile; un problème autour duquel il faudrait toute la sagesse et toute la tolérance du monde pour que nous trouvions une solution capable de rétablir l'harmonie, la paix sociale et pour que nous trouvions une solution capable de retrouver les conditions d'un consensus plus ou moins général. Mais, Je crains que nous ne soyons pas capables d'une telle modération. La question linguistique, de tout temps et de toutes les époques, est de ce genre de problèmes qui attisent les passions, surchauffent l'émotivité et qui, finalement, pour certains d'entre nous, nous fait perdre le nord.

Etant moi-même au coeur de ce débat comme beaucoup de mes collègues, entre des attitudes, je le répète, et des options ou des opinions souvent contradictoires, je m'inquiète des décisions qui seront prises et qui seront lourdes de conséquences pour l'avenir.

Où est-elle la vérité dans ce fameux débat sur le bill 63 concernant les droits linguisti-

ques, la vérité une, indivisible, absolue, acceptable à la très grande majorité de la population? Je ne vous cache pas que je la cherche. Mais, il est une chose que je n'accepterai jamais, ni pour moi, ni pour les adversaires que Je combats souvent avec acharnement, c'est ce genre d'insultes et de grossièretés que j'ai retrouvées dans la presse au sujet de certaines prises de position relatives au projet de loi sur les langues, des insultes comme celles-là: « Traîtres à la nation, lâches, vendus » et d'autres que le respect que je porte ici à mes collègues et au peuple québécois m'empêche de prononcer en cette Chambre.

Il me semble que nous avons fait assez de progrès dans les domaines de la discussion et de la controverse publiques pour éviter ce genre de malpropreté colportée par des extrémistes de tous genres qui n'ajoutent rien à l'étude des problèmes et qui n'ont finalement comme seuls résultats que d'envenimer les choses et de faire glisser la discussion normale des affaires publiques vers des engueulades de coin de rue.

J'essaierai dans mes propos de me situer entre deux extrémismes. Si je dis, par exemple, que le projet de loi no 63, en reconnaissant le droit des parents d'élever leurs enfants dans la langue de leur choix, s'inspire des traditions les plus respectables de nos démocraties libérales, qu'il puise aux sources d'une philosophie défendable des droits de l'Individu par rapport aux envahissements ou aux contraintes de l'Etat, il est clair que j'aurai sur le dos la cohorte des étatistes et des extrémistes de tout poil que l'on retrouve actuellement dans la rue et qui ont, ce me semble, la singulière facilité et la singulière commodité d'identifier leurs intérêts particuliers ou personnels avec ceux de la nation. Si J'ajoute, d'autre part, qu'une culture, une ethnie, une société comme la nôtre ont, elles aussi, le droit fondamental de prendre tous les moyens légitimes et démocratiques qui sont à leur disposition pour éviter leur disparition ou favoriser le rayonnement de leurs particularismes, il est non moins clair que j'aurai peut-être sur le dos d'autres extrémistes, la phalange des centralistes et des tenants d'une organisation unitaire de l'Etat pour qui la moindre promotion et la moindre exaltation du sentiment national ou ethnique ou linguistique prend automatiquement figure de séparatisme, de fascisme, ou de complexes d'humiliation ou de retour au ghetto. Là aussi il y a des extrémistes de ce côté-là.

Le devenir historique du peuple québécois se jouera sur la question de la langue à l'intérieur d'un ensemble fédéral canadien, mais entre ces deux extrémismes que je viens de défi- nir. Or, dans ce débat à propos d'une question linguistique comme tant d'autres à propos de notre avenir constitutionnel, je refuse pour ma part l'emprisonnement dans des choix simplistes et grossiers. Je m'interroge, et j'ai la naïveté de croire qu'un jour le Québec, grâce à sa langue et à la culture qu'il véhicule, jouira d'une situation différenciée à l'intérieur d'un ensemble fédéral canadien qui lui permettra de développer au maximum les traits originaux de sa culture et de sa personnalité. C'est un pari qui en vaut bien d'autres.

Je ne partage pas l'avis de ceux qui, dans mon esprit, usurpant le titre de fédéralistes, veulent que le Québec passe par le creuset multilinguistique et multinational. Les mots sont, bien sûr, galvaudés. Il arrive, dans le débat politique, qu'ils n'ont plus de sens. Il y en a chez nous qui se parent de l'étiquette fédéraliste alors qu'en réalité ils cachent une volonté très nette de créer un Etat unitaire, centralisé, où l'essentiel des pouvoirs serait détenu entre les mains d'un gouvernement central. C'est là une option politiquement respectable. Ce n'est pas la mienne.

Pourquoi aborder ces questions? Parce qu'elles sont fondamentales lors d'un débat sur la langue. Au fond des choses, il y a notre conception de l'avenir du Québec et de l'enrichissement que le Québec pourrait apporter au Canada et à l'ensemble fédéral s'il prenait les moyens qui sont à sa disposition et s'il en réclamait certains autres qui lui manquent pour développer au maximum sa personnalité et les traits les plus significatifs de sa culture. Parmi ceux-là, le trait le plus significatif et le plus vivant est la langue parlée et écrite par la majorité de sa population. Le Québec a-t-il le droit et l'obligation de tout mettre en oeuvre pour faire en sorte que la culture particulière dont il est, par la force des choses et par tradition, le premier interprète puisse se développer normalement?

Peut-on répondre affirmativement à cette question sans être automatiquement taxé, comme cela arrive souvent, de séparatisme? Peut-on répondre « oui » sans être marqué du fer rouge de l'extrémisme? Peut-on répondre « oui » à cette question? Pour ma part, je dois vous dire, M. le Président, que je suis passablement tanné de me faire traiter de séparatiste à chaque fois que je dis que le Québec pourrait, grâce à la langue qu'il parle, développer au maximum sa culture dans l'ensemble fédéral canadien. Je suis profondément tanné de ces accusations qui n'ont aucun sens et qui font que l'on est automatiquement marqué du fer rouge du séparatisme dès que l'on demande pour

le Québec les moyens d'exprimer sa culture d'une façon originale.

Je ne suis pas séparatiste. Mais je crois que l'avenir du Québec se situe à l'intérieur d'un ensemble fédéral qui lui permettra, grâce aux moyens qu'il aura, aux moyens que le Québec se donnera et à d'autres qu'il ira chercher d'une façon pacifique et calme en négociant avec le gouvernement central, d'autres pouvoirs qui lui manquent pour exprimer totalement sa culture.

M. le Président, si le fédéralisme est la formule la plus souple, ce que Je crois, et la plus souhaitable pour faire coexister et faire progresser dans un même ensemble des communautés ethniques diverses, des particularismes culturels ou linguistiques, pourquoi crier au séparatisme dès lors que l'on réclame pour ces mêmes communautés linguistiques, comme la nôtre, des pouvoirs qui sont de l'essence même du fédéralisme?

A notre tour, ne pourrions-nous pas dire à tous ceux-là qui, dans d'autres domaines, à tous ceux-là qui sont des crypto-centralistes qui conspirent pour refuser aux Etats membres, pas uniquement au Québec, à d'autres aussi, le droit de se développer selon les lignes de force de leur personnalité, ne pourrait-on pas leur dire. Que l'on sache une fois pour toutes si vous êtes de vrais fédéralistes ou bien des centralisateurs déguisés! Car c'est bien là un des aspects fondamentaux du problème linguistique.

Si l'esprit et la logique même du fédéralisme sont, ce que je crois d'une façon très pure et très doctrinaire, de privilégier les traits originaux ou les différences linguistiques des groupes qui doivent vivre ensemble sur un même territoire, n'est-ce pas être farouchement fédéraliste que de réclamer les pouvoirs en matière de langue et de culture? N'est-ce pas être fédéraliste que de souhaiter que le gouvernement du Québec, parce qu'il a besoin de certains pouvoirs et d'affirmer les pouvoirs qu'il a déjà, puisse aller aussi loin que faire se peut pour rendre utile, praticable et rayonnante la langue parlée par la majorité de sa population? N'est-ce pas être fédéraliste que de s'inquiéter au premier chef du sort et de l'avenir d'une langue battue sur tous ses flancs à la fois par une langue étrangère et par des environnements étrangers?

Si le Canada n'a de sens qu'avec un Québec fort, doté de tous les moyens nécessaires à la promotion et à la diffusion d'une culture dont il est, Je l'ajoute, par la force des choses, la tradition et l'histoire, le premier interprète, est-ce démembrer le pays que de réclamer l'exercice des pouvoirs du Québec en matière éducationnelle, linguistique et culturelle? Ne faudrait-il pas voir, au contraire, chez ceux- là qui mesqulnent, refusent ou marchandent de tels pouvoirs les vrais briseurs de l'unité canadienne?

Parce que fédéraliste — je le répète et Je le répète encore une fois — parce que croyant au régime fédéral et à la formule fédérale, je m'inquiète du sort qui sera fait à la langue parlée par la majorité de mes concitoyens une fois que la présente loi sera adoptée par l'Assemblée nationale. Je m'inquiète de ce sort parce que je crois qu'il est de l'essence même du fédéralisme de privilégier les cultures différentes qui existent à l'intérieur d'un même pays. Est fédéraliste celui qui accepte qu'il y ait des différences et qu'on ne passe pas dans le creuset des opinions d'un pouvoir central. Je m'inquiète pour plusieurs raisons. La première aura peut-être dans l'esprit du premier ministre, une connotation partisane parce qu'elle met en cause la crédibilité du gouvernement sur ses véritables intentions.

Depuis trois ans, l'Union Nationale nous a donné l'exemple d'un nationalisme assez chauvin et assez rétrograde. Le gouvernement a voté des lois en trompe-l'oeil; celle des étiquettes bilingues sur les produits alimentaires, arrêté ministériel. Chaque fois qu'il s'est agi des intérêts vitaux et supérieurs du Québec, dans le domaine de la culture et de la langue, la Loi sur le cinéma, par exemple, la fameuse transaction des manuels scolaires, le gouvernement de l'Union Nationale s'est défilé à la sauvette.

Je m'inquiète, parce que, deuxièmement, Je me dis: Peut-on voter en toute intelligence une loi... Le premier ministre a parlé, tout à l'heure, du projet de loi sur la restructuration scolaire, dont il a donné, bien sûr, les grandes lignes et qui est la conséquence normale et logique du présent projet de loi 63, parce que l'on verra quelles seront les applications pratiques, dans la vie de tous les jours, du projet de loi que nous sommes appelés à voter.

Peut-on en toute intelligence voter une loi dont on ne connaîtra les effets pratiques et le sens précis et la portée réelle qu'après et seulement que l'on aura pris connaissance de la Loi sur la réorganisation scolaire de l'île de Montréal? Ce qui ne met pas en cloute les principes du projet de loi 63, principes, je le répète au tout début, qui s'inspirent à des sources défendables, parce que je crois qu'une démocratie se juge par la qualité du traitement qu'elle fait à ses minorités. De tout temps et de toutes les époques, ç'a été comme ça. Les principes sur lesquels le projet de loi a été fondé, extrêmement incomplets, sont acceptables, mais, je le répète, à l'intérieur d'une politique linguistique globale.

Je me dis, regardant le gouvernement qui

propose l'adoption de la loi: Ne sommes-nous pas encore devant une autre de ces loi en trompe-l'oeil, à la rédaction volontairement vague et imprécise, au titre flamboyant, mais — le premier ministre l'admettra, je l'espère — quelque peu usurpateur? Quels moyens le ministre prendra-t-il pour favoriser l'intégration — encore que je n'aime pas le mot — des Néo-Québécois à la communauté francophone?

Le gouvernement est-il certain, par ce projet de loi contesté — non pas uniquement par les extrémistes, non pas uniquement pas les gens qui sont dans la rue et par les agitateurs professionnels, mais également pas des instances aussi modérées et même conservatrices que celles du Conseil des universités du Québec ou d'autres organismes qui ne sont pas particulièrement sensibilisés à ce problème — de s'attaquer au fond des choses et d'aller au coeur du problème? Je ne le crois pas.

Sans les faire totalement miennes et en y apportant beaucoup de réserves, je rappellerai au premier ministre, au ministre de l'Education et au ministre des Affaires culturelles les réflexions de Rémy de Gourmont, dans son ouvrage « Esthétique de la langue française », paru en 1899. L'ouvrage remonte assez loin dans le temps, qu'on ne pourra pas l'accuser d'ingérence dans nos affaires intérieures. Rémy de Gourmont écrivait — et là, ça rejoint le problème fondamental de l'utilité de la langue — : « Une langue n'a d'autres raisons de vie que son utilité ». L'utilité d'une langue, de façon pratique, on la retrouve dans le domaine de la vie quotidienne, dans le domaine du travail, de l'industrie, du commerce et, bien sûr, également, dans le domaine de l'école. « Diminuer l'utilité d'une langue, c'est lui diminuer ses droits à la vie ».

Or, le gouvernement a manifesté ses bonnes intentions, en disant qu'il annoncerait bientôt les éléments d'une politique linguistique globale. Le ministre des Affaires culturelles a dit ce qu'il entendrait faire de l'Office de la langue française, différant aujourd'hui la conférence de presse qu'il devait donner demain sur ce sujet extrêmement important.

Je crois qu'il faut tenir compte des réalités politiques, historiques et géographiques qui conditionnent le développement de notre langue et que certains avertissements ont valeur de réflexions.

Puis-je, en terminant, demander au premier ministre, un peu comme une sorte d'appel in extremis, de réfléchir considérablement, au cours des prochaines minutes, sur la portée réelle — je dis bien la portée et non pas les principes — du projet de loi qui sera déposé devant nous? Il y aura des amendements qui seront présentés.

Certains, à tort ou à raison, s'inquiètent du droit absolu des parents francophones de choisir l'école de leur choix. Le bill ne contient-il pas des facteurs d'incitation pour des grandes communautés francophones situées à la fois en métropole et à l'extérieur de faire passer le système public francophone vers le système public anglophone? Autrement dit, d'une façon réaliste et pratique, le bill voudrait-il dire que dans la ville où je suis né, Saint-Hyacinthe, 99.9% francophone, si les francophones manifestaient l'intention d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, en très grande majorité, à 20%, 30% ou 40%, le système public francophone changerait? Y a-t-il quelque limitation au droit absolu des francophones à envoyer leurs enfants à l'école de leur choix? Le projet de loi n'en dit pas un mot. Pour ma part, cela me cause des inquiétudes.

Le gouvernement nous demande de voter une politique linguistique en pièces détachées. Cela me cause, là aussi, des inquiétudes. J'avoue ne pas très bien saisir et comprendre la précipitation avec laquelle il présente ce projet de loi. En matière linguistique, les accommodements, les harmonisations ont toujours été le fruit d'une lente maturation des sociétés, des consciences, des hommes. Les lois linguistiques sont toujours les plus émotives, les plus explosives, parce qu'elles rejoingnent les tréfonds de l'homme fondamental, elles le rejoignent dans ce tréfonds de sa patrie, de la communauté à laquelle il appartient. Je me demande si le gouvernement n'agit pas avec un peu de précipitation pour se dédouaner de l'accusation d'immobilisme dont il a tellement fait preuve dans d'autres secteurs de son activité.

Nous aurons des amendements, nous verrons quelle réponse le gouvernement donnera à ces amendements. C'est lui qui a la responsabilité du pouvoir et de décider de la recevabilité et du bien-fondé de certains des amendements qui pourront nous faire voter en toute conscience pour le projet de loi, s'il accepte ces amendements-là. C'est à lui de Jouer maintenant la partie. C'est lui qui a la responsabilité du pouvoir, c'est à lui, ne recherchant pas la vanité du succès d'une guerre parlementaire, mais en cherchant le bien commun, d'accepter certains amendements qui feront que le projet de loi sera acceptable à l'ensemble des députés de cette Chambre et à l'ensemble de la population québécoise, qu'elle soit anglophone ou francophone.

Avant de me rasseoir, je veux bien repréciser, d'une façon très claire, très nette, la

prise de position que j'ai laissé entendre, tout au cours de ce débat: Pas de choix simpliste et grossier. Je dis que le gouvernement a le devoir de préciser davantage sa position, surtout en comité plénier et en troisième lecture. Les principes du bill sont acceptables à la conscience des Québécois, pour autant qu'il soit ajouté certaines choses qui définiront mieux les droits des parents au libre choix de leurs écoles.

Je m'assieds là-dessus en comptant sur la conscience du gouvernement, en comptant sur sa tolérance, son esprit de modération, de telle sorte que ce projet de loi ne soit pas encore l'objet de nouveaux déchirements entre plusieurs éléments de la société québécoise, que ce projet de loi ne soit pas l'occasion fournie aux éléments extrémistes de la société de faire en sorte que le pouvoir descende dans la rue et que la légitimité nationale que nous incarnons ici, nous, parce que nous avons reçu un mandat du peuple, soit usurpée par tous les éléments factieux et extrémistes qui, eux aussi, avec leurs intérêts, conspirent contre les intérêts supérieurs de la nation québécoise.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Laurier.

M. René Lévesque

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, si nous en venons au vote sur le bill 63 — et j'espère, contre toute espérance, je le sais bien, qu'on n'ira pas jusque là et que le gouvernement trouvera la force de se raviser avant — mais si on en vient au vote, je voterai contre le bill 63 en deuxième lecture.

Et, très simplement, je voudrais dire pourquoi, sans astuce, avec toute la clarté dont je suis capable, et avec une certaine angoisse et un sentiment d'Insuffisance que, je suis sûr, seulement les gens très insensibles ne ressentent pas ces jours-ci.

Ce projet de loi, pour la première fois, touche directement à un élément qui, chez tous les peuples, est autant sa raison d'être que la conscience ou l'âme, si on veut, peut l'être chez les individus, il n'est pas possible — et je pense bien que tout le monde en est conscient — d'affecter une société culturelle définie et qui est consciente d'avoir une existence distincte, à un endroit qui soit plus intime et plus sensible que la langue dans laquelle elle s'exprime, la langue dans laquelle elle tient à faire instruire ses enfants — à raison de $1 milliard par année en ce moment — la langue, par conséquent, avec laquelle il serait à la fois tragique et ridicule de ne pas donner aussi aux générations montantes la certitude absolue qu'elles pourront normalement faire leur vie et faire carrière ici, chez eux, en français et non pas, comme c'est trop souvent le cas, arriver dans divers secteurs du Québec où c'est l'anglais qui est nécessaire « and French is also useful ».

Donc, même s'il ne s'agit que d'une loi et non pas du texte pour ainsi dire consacré d'une constitution, autrement dit, même s'il s'agit d'une loi qui peut être changée, même s'il s'agit simplement d'une loi qui vient d'un Parlement qui, lui aussi, peut être changé, quand même, à cause de ce caractère du sujet qu'il touche, c'est un texte extraordinairement important que le bill 63.

Si un profane peut se permettre une illustration médicale, je dirais même que les lois même les plus marquantes, dans d'autres domaines, les lois qui touchent à la politique sociale, à la politique économique, par exemple, sont comme des interventions à un bras, à une jambe ou, dans le cas de l'économique, peut-être à l'estomac, mais qu'en l'occurrence, avec le bill 63, autant que Je sache, pour la première fois dans l'histoire moderne du Québec, on prétend faire une intervention au cerveau. Et ce qui arrive, c'est qu'on prétend le faire sur un patient qui est loin d'avoir été convenablement préparé. On l'a alternativement — et on est tous responsables, je crois, à des degrés divers — endormi, énervé, excité, tâchant ensuite de le calmer et maintenant, jusqu'à un certain point, on essaie de le prendre par surprise. Ce qui est plus grave, c'est que le chirurgien lui-même donne nettement l'impression de mal s'y prendre et de mal contrôler ses instruments et surtout d'avoir très mal calculé, ou très peu, les risques et les résultats de l'opération.

Dans un cas aussi vital, la première chose, à mon humble avis, que tout législateur devrait avoir à l'esprit, la chose sur laquelle il devrait, vis-à-vis de lui-même, être de la plus extrême exigence, c'est d'être clair et honnête avant tout, d'avoir l'intégrité et le courage de poser ses gestes en pleine lumière afin d'être sûr, en autant qu'il est humainement possible de l'être, que les citoyens sauront de quoi il s'agit, clairement et sans équivoque.

Or, la chose qui m'a frappé de prime abord et qui me cause le plus de malaise dans le bill 63 — et dans un sens il me semble que c'est le vice le plus sérieux de ce projet de loi — c'est que c'est un texte qui se présente comme une fabrication intellectuellement malhonnête, il pré- tend être ce qu'il n'est pas, et à partir de son titre même il porte à faux. Et plus ou moins tout au long du texte, je crois qu'il cherche cons-

ciemment ou inconsciemment — il y a une telle tradition chez nous de déguiser ainsi des sujets désagréables — à fausser ou à camoufler sa partie essentielle.

Je parle du texte, il fait cela d'une façon qui, je crois, se veut astucieuse à la mode traditionnelle, en se faisant un paravent de la promotion de l'enseignement du français, alors que l'essentiel du projet de loi n'est pas là.

C'est comme si le gouvernement avait voulu adapter, jusqu'à un certain point, à la question linguistique le slogan du ministre du Tourisme: Si l'on veut réussir à faire avaler la pilule, mettons-y du plaisant! Un peu comme quand j'étais petit gars aussi. C'est comme cela qu'on nous faisait prendre de l'huile de foie de morue. On la mettait dans le jus d'orange; nous sommes tous passés par là. C'est peut-être astucieux de dresser en façade une primauté verbale et pas du tout préparée en détail de l'enseignement français dans le Québec. C'est peut-être astucieux de faire de cet enseignement français ou de la connaissance du français une pseudo-exigence, indéfinie et purement verbale elle aussi, à l'adresse des immigrants et d'intituler le tout « Loi pour promouvoir l'enseignement de la langue française au Québec », alors que le coeur du bill n'est pas là du tout; alors que tout cela — ce que je viens d'énumérer rapidement et qui se retrouve dans les quelques articles du bill — est très flou et fait essentiellement d'énoncés d'intention et en grande partie, d'improvisation. C'est le plaisant, ou le jus d'orange, pour faire avaler la chose qui est fondamentale. C'est peut-être astucieux à l'ancienne mode, mais je dois dire au premier ministre que ce n'est pas digne de lui et que ce n'est pas digne de nous. Je crois que le gouvernement commence à se rendre compte aussi, que c'est un style d'action qui ne peut plus s'avaler comme autrefois. Pour l'essentiel, qu'on ne se compte pas de romance, le bill 63 est une mesure qui vise exactement le même but que le défunt bill 85. C'est un bill qui vise fondamentalement à « renchausser » et, en même temps, à « officialiser » légalement, pour la première fois, un statu quo ancien, mais dépassé et dont le maintien tel quel, sans changement, sans limite et même sans remise en question, serait tout à fait contraire aux intérêts les plus vitaux et les plus légitimes du Québec français.

Ce statu quo, qui est ce qu'on appelle « le libre choix » absolu et illimité de l'école, c'est lui qui a permis à une minorité, qui avait déjà tout pour elle dans Québec, de devenir dominante à Montréal surtout, mais aussi ailleurs très souvent, au point où c'est nous, la majorité, qui, à plus ou moins long terme, sommes obli- gés d'être inquiets et de nous sentir menacés dans notre existence même. Cette minorité de nos concitoyens anglophones avait déjà des positions conquises et longuement consolidées dans le domaine économique et, par conséquent, dans le domaine du prestige social; elle les a encore. Cette minorité avait des privilèges fiscaux et scolaires d'une ampleur tellement excessive que cela devenait caricatural. Cela a été quelque peu atténué, mais une grande partie en demeure encore. Cette minorité de nos concitoyens anglophones avait ce rôle extraordinairement puissant de représentant ou, si l'on veut, de tête de pont, à l'occasion, de la majorité culturelle du pays et même du continent tout entier. Ce rôle-là, elle l'a encore.

S'ajoutant à tout cela, le statu quo scolaire, ce libre choix illimité que le bill 63 prétendrait figer tel quel, lui a permis cette chose inconcevable — excepté dans les colonies officielles — d'être une minorité qui est chez nous le seul groupe assimilateur et qui augmente sans cesse ses effectifs aux dépens de la majorité. Le coeur du bill 63, c'est cela et pas autre chose.

Tout le reste, foncièrement, c'est du plaqué et, très visiblement aussi, de l'improvisé.

Vous avez là des morceaux gauchement incorporés à une loi dont la raison d'être est celle que je viens de dire. Vous avez là des morceaux épars, à peine conçus. On a l'impression, dans le discours du ministre de l'Education et tout à l'heure dans celui du premier ministre, qu'on continue de les concevoir sous nos yeux, ces morceaux-là. On se dépêche de les concevoir; ça presse. Mais tout ce qu'on a, ce sont des morceaux épars de cette fameuse « politique globale » du français: le français langue prioritaire, le français langue nationale, le français langue d'usage. On s'est tellement gargarisé avec ça, dans une espèce de délire d'impuissance verbeuse, que les gens, très nombreux chez nous, sont écœurés du sujet et, sans trop se rendre compte souvent, qu'on est en train ainsi de les écœurer d'eux-mêmes et de ce qu'ils sont.

On a là des morceaux épars, à peine conçus, bloqués en énoncés généraux et incomplets, y compris la perspective de cette connaissance d'usage du français pour les jeunes anglophones des générations montantes contre laquelle personne ne peut être, évidemment. Mais tous ces morceaux donnent l'impression d'être des promesses velléitaires pour l'avenir, sans qu'on sache si les moyens humains et matériels ont été mis en place. On sait plutôt qu'ils ne l'ont pas été. Quand ils le seront, on ne le sait pas; et on ne sait même pas s'ils sont disponibles ni quand ils le seront.

C'est ainsi qu'à mon humble avis, ce projet de loi est frauduleux. Sur ce point-là, bien sûr, même si elle se contentait d'en souligner l'aspect faiblesse plutôt que l'aspect tromperie, l'Opposition officielle avait raison il y a deux jours de noter que ça ne correspond aucunement à un minimum décent de politique linguistique digne de ce nom. Mais cette attitude, je dois le dire, aurait été plus convaincante pour moi comme pour d'autres si l'Opposition n'avait pas aussi, par le discours de deuxième lecture du député de Louis-Hébert, clairement télégraphié d'avance qu'il s'agissait de ce qu'on appelait à la légion étrangère autrefois un baroud d'honneur, puisque l'Opposition a également décidé de voter pour le bill 63. Je crois donc que peut-être le vice le plus frappant de ce bill, c'est qu'il n'est pas honnête intellectuellement sur un sujet aussi fondamental.

Maintenant, je voudrais parler du coeur du bill, que je viens d'identifier tel que je le vols, c'est-à-dire le maintien du statu quo, ce coeur qu'on a essayé de camoufler dans le style de ce projet de loi. Pendant trois ans, sur cette question comme sur bien d'autres, nous avons eu un gouvernement qui ne gouvernait pas, un gouvernement qui, tout à coup, trop tôt ou trop tard, ça dépend comment on regarde la chose, tout à coup, brutalement et mal, se met à gouverner.

Vous avez un gouvernement qui était pourtant au courant de faits inquiétants et dont la prise de conscience est récente chez nous, mais c'est une prise de conscience qui se fait de plus en plus vive. Et quand je dis qu'elle est récente chez nous, ça permet peut-être d'expliquer, ça ne l'excuse pas, le fait — le ministre du Travail, dans son style horripilant, l'a souligné il y a deux ou trois jours — le fait que le gouvernement précédent non seulement n'a pas agi de façon consistante dans ce domaine — tous ceux qui en ont fait partie en sont conscients — mais plus que ça, que le gouvernement, pas plus je crois à ce moment-là que la société québécoise ou ses dirigeants à l'extérieur de cette Chambre, n'était conscient à la fois de l'ampleur et de l'urgence croissante de ce problème.

On peut tous dire mea ou nostra culpa là-dessus, puisque gouverner c'est prévoir, mais le fait est que la prise de conscience de ce problè- me qui est celui de tout un peuple est récente. Entre autres facteurs, elle est venue par exemple de la constatation que la natalité chez nous — et au point de vue social par rapport à ce qui existait auparavant, Dieu sait que ce n'est pas un recul, mais il reste qu'au point de vue démographique, c'est une chose extraordinairement importante — que la natalité chez nous, dis-je, a subi ces dernières années et continue de subir une chute vertigineuse. On ne parle plus de revanche des berceaux, il y a longtemps que c'est tombé dans l'oubli puis que les berceaux sont remontés au grenier. Mais cela veut dire aussi que nos régions rurales, relativement bien peuplées, qui fournissaient, qui ont fourni en particulier aux grandes villes des espèces de recrues continuelles de population dans le phénomène d'urbanisation, nos régions rurales ne pourront plus désormais et de moins en moins se vider dans la direction des villes.

Or, à moins d'être inconscient, chacun sait que c'est une ville, la plus grande de toutes les villes du Québec, la plus stratégique, à tous les points de vue, de toutes les villes du Québec, une ville dont les gouvernements successifs et en particulier, Je crois, des gouvernements d'Union Nationale, à cause de leurs origines électorales et de la tradition, une ville qu'on a beaucoup de misère à suivre apparemment dans le détail de sa vie, cette ville, c'est Montréal. C'est dans cette ville, qui est quand même d'une importance fondamentale pour la vie du Québec, que le problème se pose et qu'il fait mal.

Je prends, pour éviter d'en faire des élaborations inutiles, un dessin que tout le monde admettra, Je crois, pour l'essentiel, et que M. Ryan inscrivait dans le Devoir, dans son éditorial du 18 septembre dernier: « Montréal fut cependant longtemps le siège d'une cohabitation superficiellement cordiale mais inégale entre francophones et anglophones. La ville, il y a un siècle, fut habitée par une population à majorité anglophone, mais peu à peu le groupe français reconquit son droit d'aînesse. Depuis des années, sa proportion dans l'ensemble se maintient à environ 66%. Mais ces chiffres ne traduisent plus qu'une partie de la réalité. Pendant que les statistiques officielles semblaient confirmer » — on verra en 1971 à quel point cela reste vrai — « la force du groupe francophone, deux facteurs ont continué ces dernières années de jouer contre ce dernier. Premièrement, la prédominance des anglophones dans le domaine économique laquelle entraînait, outre d'inévitables et dangereuses différences dans le niveau de vie, une grave intériorisation pratique de la langue de la majorité. Deuxièmement, la tendance très nette des nouveaux citoyens venus de l'extérieur du Québec à s'intégrer pour diverses raisons, dont les raisons d'ordre économique, au groupe anglophone. »

C'est au point où il y a des gens chez nos amis de langue anglaise qui ne se gênent pas pour dire que — pourvu que ça continue et qu'on maintienne, avec toutes les pressions qui se sont faites ouvertement et celles qu'on devine en cou-

lisse, sans limite, sans le circonscrire, le statu quo — avant 1981 la majorité dans la région métropolitaine de Montréal sera anglaise, sera anglophone, si on aime mieux le Jargon à la mode. C'est à partir de tout ça, avec des points chauds extrêmes comme le cas de Saint-Léonard, que la prise de conscience est née ces dernières années et que depuis deux ou trois ans elle s'accélère et s'approfondit continuellement. Au fin fond, c'est que les conditions classiques de la survivance sont révolues. Ça ne fonctionne plus, d'autant plus que la vieille barrière qui a constitué une espèce de rempart qui était celui de la « foi gardienne de la langue... »

M. LAFRANCE: Laissez la foi tranquille, toujours!

M. LEVESQUE (Laurier): Je veux bien laisser la foi tranquille, mais dans ce domaine...

M. LAFRANCE: Vous allez voir ce que la foi a fait au Québec. Si on vit, c'est grâce à notre foi.

M. LEVESQUE (Laurier): Bon! Vous êtes bien chanceux, vous, dans votre coin.

M. LAFRANCE: Vous allez voir où ça va conduire votre anarchie à vous.

M. LEVESQUE (Laurier): La possession.

M. LAFRANCE: Si vous pensez servir le peuple canadien-français de cette façon...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEVESQUE (Laurier): Une chose est certaine, c'est que les conditions classiques de la survivance sont révolues, d'autant plus que cette vieille barrière, qui a déjà longtemps servi de rempart, de la foi gardienne de lalangue, c'est-à-dire de la division purement religieuse du système scolaire, ne joue plus comme auparavant, il fut un temps où ça correspondait à peu près bien à la réalité, mais, ça, c'est fini. Si le député de Richmond ne s'en rend pas compte, c'est parce que, comme beaucoup d'autruches dont le postérieur émerge dans le paysage, il refuse de voir ce qui se passe.

M. LAFRANCE: Il faudrait parler de la perfidie du député qui n'a aucun mandat pour parler dans cette Chambre.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je veux signaler que c'est actuellement l'honorable député de Laurier qui a la parole, premièrement; deuxièmement, je veux signaler à nos visiteurs dans les galeries qu'il n'est pas permis de manifester et que je serai malheureusement dans l'obligation de demander au public de se retirer si l'on continue à manifester. L'honorable député de Laurier.

M. LEVESQUE (Laurier): La preuve de ce que je viens de dire, je crois, se trouve dans les statistiques de la Commission des écoles catholiques de Montréal qui nous disent qu'en dix ans, par exemple, dans le secteur qu'on appelle le secteur catholique anglophone, les écoles de la vieille division traditionnelle du secteur catholique où l'on parle anglais, en 1956, sur 22,000 élèves il y avait là 9,000 de ceux qu'on appelle les Néo-Québécois, c'est-à-dire les nouveaux arrivés, leurs enfants; en 1966, dix ans plus tard, sur 42,000 - le secteur a doublé en dix ans — 27,000 enfants de Néo-Québécois. Cela, ce sont les enfants. Chacun sait que, dans les années normales d'après-guerre, environ une vingtaine de milliers d'immigrants, en moyenne je crois, ça va plus loin souvent, entrent chez nous. Maintenant, du côté des adultes, chez ces immigrants qui se concentrent pour la plupart à Montréal ou dans la région métropolitaine, les 9/10 — tout le monde l'admet, c'est connu — vont du côté anglais aussi.

Si on fait le compte des adultes et des enfants, il est évident que cet espoir, inavoué la plupart du temps et parfois avoué, de nos amis de langue anglaise de faire de la région métropolitaine de Montréal... de refaire ce qu'elle a été au siècle dernier, c'est-à-dire une région prédominamment anglophone, pourrait se réaliser dans le maintien des statu quo comme ceux que préconise le bill 63. Il me semble que, de toute évidence, il faut reviser nos attitudes traditionnelles. Il faut faire ces revisions déchirantes qui ont été nécessaires pour d'autres peuples, sur d'autres points et trouver les conditions d'une vitalité nouvelle. Autrement, on se la répétera inutilement et on continuera à s'en servir aussi comme camouflage, la phrase de M. Daniel Johnson où il parlait de faire du Québec un coin aussi français que l'Ontario est anglais.

Pour y arriver, il faut, je crois — en trouvant quand même le moyen de les réconcilier, dans le contexte actuel — établir de façon certaine et rigoureuse la protection du droit fondamental de notre peuple, qui est la majorité ici — mais une majorité menacée à plus ou moins long terme — son droit fondamental à sa sécurité et à sa dignité dans le domaine de sa langue, et trouver le moyen de récon-

ciller cela avec les droits qui ont été longuement acquis par des personnes qui sont nos concitoyens et qui forment un groupe trop important et trop ancien, je crois, pour qu'il soit équitable de les en dépouiller. Est-ce que cela est possible? Est-ce qu'il est possible de retrouver, dans ces conditions-là, le dynamisme culturel d'une société qui assimile au lieu de se laisser gruger comme c'est le cas présentement?

Je crois que c'est possible mais que c'est extraordinairement malaisé dans le contexte actuel. Je ne veux pas tirer la couverture, je n'ai pas envie de faire un discours politique dans le sens de notre option. Je voudrais simplement souligner, en passant, que ce serait extraordinairement plus facile si on était comme d'autres petits peuples dont, souvent, la langue et la culture sont uniques en leur genre. Nous, nous participons à une culture internationale, qui est peut-être en un certain déclin car la francophonie n'est pas exactement conquérante à travers le monde ces années-ci, mais nous participons à une culture internationale.

Seulement, il y a d'autres petits peuples, souvent plus petits que nous, les Québécois français, qui, par le simple fait qu'ils sont officiellement et complètement chez eux et qu'ils ont un pays à eux, ne se posent pas ces problèmes pénibles et souvent humiliants que nous nous posons et que nous tâchons laborieusement, souvent de travers comme avec le bill 63, de régler. Ils s'appellent, par exemple, des Danois et des Finlandais qui ne sont même pas 5 millions, des Suédois qui sont à peine 7 1/2 millions, des Grecs d'aujourd'hui, héritiers d'une vieille culture mais dont la langue n'a plus de correspondance nulle part dans le monde.

Tous ces peuples-là non seulement réussissent parce qu'ils sont chez eux, à savoir qu'ils vivent et n'ont pas à toujours chercher leur survivance, mais ils réussissent aussi à ne pas être obligés de choisir, comme le disait tout à l'heure le premier ministre, « entre leur appartenance cutlurelle et leur appartenance économique », parce qu'ils n'ont pas cette fragilité fondamentale que nous donne le contexte. Et on n'évitera pas, même si on le voulait, le contexte politique et constitutionnel dans lequel nous nous débattons et dans lequel nous cherchons notre direction avec les difficultés que l'on sait.

Et nous continuerons à les chercher péniblement dans ce contexte-là. Tant qu'il durera il en sera toujours ainsi, et ce sera dans la nature des choses que la politique québécoise, pas en toute hypothèse, constitutionnelle, contrairement à ce que disait le premier ministre; c'est mon opinion et c'est l'opinion de ceux que je représente ici, mais, tant que nous serons dans le contexte actuel, la politique québécoise sera toujours « un jeu d'équilibre, un effort de conciliation. La, si on veut, est son immense intérêt — c'est un intérêt dont on se passerait souvent, si on me permet de le dire — et là est aussi, comme le disait le premier ministre, sa difficulté particulière ».

Ceux qui défendent le contexte actuel, qui veulent y rester, qui veulent rester dans le contexte d'une province, c'est-à-dire dans le contexte d'un peuple minoritaire et politiquement mineur, dans un pays et dans un continent d'une autre culture les gens qui veulent maintenir ce contexte, avec ses difficultés particulières, comme le premier ministre et comme l'Opposiition officielle, comme les proposeurs du bill 63 et comme ceux qui ont dit officiellement qu'ils voteraient pour, alors ils ont d'autant plus, il me semble, le devoir d'être conscients que les problèmes que j'ai évoqués sont beaucoup plus difficiles et angoissants, dans ce contexte d'une survivance toujours menacée, dans une province, et exigent par conséquent d'autant plus de lucidité et de rigueur.

La résurrection, pour l'essentiel, du bill 85 que constitue le bill 63, à mon humble avis, est une forme de démission catastrophique. Au coeur du bill, se trouve le statu quo qui affecte, en particulier, la région métropolitaine de Montréal. Nous avons dit, le groupe que je représente...

M. TETLEY: Quel groupe?

M. LEVESQUE (Laurier): ... et je le répète ici, pour l'essentiel, que ce principe du libre choix traditionnel ne se trouve — et c'est le plus grave à ce point de vue — aucunement circonscrit pour l'avenir. On ouvre ainsi toute grande — ou on la laisse grande ouverte — la porte aux pressions permanentes ouvertes ou déguisées des milieux économiques anglophones et à l'érosion continue de notre vitalité linguistique. Comme l'a dit le premier ministre, l'article de M. Champagne, dans le Devoir de ce matin, nous montre à quel point notre vitalité linguistique est justement fragile. Mais, on ouvre la porte à ce que cela continue et à ce que cela s'accentue. C'est d'autant plus probable que, dans les secteurs absolument fondamentaux de la langue du travail, de la langue des affaires, de la langue pour gagner sa vie, le gouvernement n' énonce, encore pour un avenir incertain, que de peureuses velléités. Sur ces points, il laisse prudemment à la commission Gendron le mandat qu'il est en train de lui enlever pour l'enseignement.

Pour notre part et pour la mienne, ici dans cette Chambre, je maintiens, conformément à notre programme, que les droits acquis par nos présents concitoyens anglophones, de quelque origine qu'ils soient, doivent être maintenus, de même que les institutions subventionnées qui sont requises pour que ces droits puissent être exercés sans restriction. Mais, d'autre part, nous soutenons aussi que cette participation anglophone au secteur public de l'enseignement, ainsi qu'au secteur universitaire subventionné doit être circonscrite très précisément à sa taille actuelle et à la seule augmentation naturelle de ses effectifs scolaires.

C'est ce que nous avons proposé dans notre contre projet au bill 85 de l'an dernier. Nous continuons de croire — il y a des gens de plus en plus nombreux dans le Québec qui le soutiennent — que c'est la politique indiquée si on veut un Québec français qui soit équitable, d'une part, mais lucide, d'autre part.

Je veux être bien précis là-dessus. D'une part, à notre avis, par équité et aussi par simple bon sens politique, il faut respecter les positions présentes de la minorité dans le Québec. Mais, d'autre part, on n'a pas le droit d'aller jusqu'à lui faire cadeau ou même de risquer de lui faire cadeau, dans le contexte actuel, de l'avenir culturel du Québec. Dans ce Québec où le vieux rempart des divisions religieuses dans le domaine scolaire est en train de s'émietter.

Dans ce Québec où — les chambres de commerce, le conseil du patronat, une foule de grandes entreprises sont symptomatiques à ce point de vue là dans leurs mémoires à la commission Gendron — les pressions des milieux dominants, au point de vue économique, s'exercent et, avec le bill 63, elles s'exerceront en-copie plus sûrement sur les Canadiens français nombreux, qui seraient à ce moment-là plus fragiles et plus inquiets que jamais de l'avenir de leurs enfants... Dans ce Québec provincial, ne pas circonscrire le libre choix à ses dimensions acquises, ne pas oser indiquer clairement une politique d'intégration obligatoire des immigrants futurs, à notre avis, au mien, c'est une démission. J'espère que le premier ministre ne sursautera pas, mais lui et les siens agissent, plus que quiconque sur ce point-là, comme des extrémistes, en voulant, avec un entêtement digne d'une meilleure cause...

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse d'interrompre l'honorable député de Laurier, mais je dois lui signaler que le temps consacré à son intervention est maintenant expiré.

M. LEVESQUE (Laurier): Sauf, M. le Pré- sident — je ne veux pas insister — que j'en avais encore pour une minute et demie ce qui a été à peu près le temps de l'intervention du député de Richmond; je ne sais pas si ça peut compter. Avez-vous soustrait cette intervention?

M. LE PRESIDENT: J'ai tenu compte de l'intervention de l'honorable député de Richmond.

M. BERTRAND: C'est d'accord.

M. LEVESQUE (Laurier): En remerciant le premier ministre et la Chambre, je voudrais terminer en disant ceci: En voulant, avec un entêtement digne d'une meilleure cause, honorer, pour l'essentiel, une promesse faite l'an dernier, en fonction de Saint-Léonard, à nos concitoyens anglophones, en le faisant un an plus tard, dans un climat qui s'est alourdi sans cesse davantage d'incertitudes et d'angoisses, et en le faisant aussi sans même attendre les conclusions de la commission Gendron, qui a pourtant été créée pour éclairer tout le monde; en le saisant d'une façon qui ne corrige en rien un statu quo qui nous affaiblit, le premier ministre et le gouvernement versent dans leur forme à eux d'extrémisme. Avec sincérité, ça on le sait, le premier ministre est sincère; j'espère que ceux qui l'entourent le sont aussi, malgré qu'on peut avoir des doutes. Mais je crois que c'est une sincérité dévoyée et qui constitue...

M. BERTRAND: Vous prêtez des intentions...

M. PAUL: M. le Président, sur un rappel au règlement, parce que nous avons accordé quelques minutes additionnelles à l'honorable député, aurait-il la gentillesse de garder son fiel pour lui?

M. LEVESQUE (Laurier): A côté des avalanches que je reçois parfois, on peut dire que c'est du goutte à goutte. Enfin, d'accord.

En tout cas, je vais dire une chose dont je suis convaincu. Je vais laisser de côté les choses dont je ne suis pas certain. Je suis convaincu que le premier ministre est sincère, mais je crois que c'est une sincérité qui, dans les circonstances, constitue une provocation et qui invite littéralement les réactions, de plus en plus vives, indiscutablement de plus en plus massives chez les adversaires du bill, des réactions sur lesquelles flotte aussi, c'est évident, le danger constant d'aller à l'extrême.

A ce propos-là, on peut quand même se réjouir du fait que ce droit fondamental en démocratie, qui est celui de manifester, celui

de contester les dirigeants s'est exercé cette fois-ci, depuis trois ou quatre jours en tout cas, d'une façon à peu près impeccable. Le gouvernement, sur ce point, devrait prendre garde, il me semble, de ne pas sous-estimer l'importance et le sens profond de ce mouvement. C'est facile et c'est superficiellement rassurant, mais c'est trompeur, je crois, de dire: Ce n'est pas grave, ce sont seulement des étudiants ou des enseignants. Ils ne sont pas majoritaires et, de plus, ils sont marginaux dans notre société.

M. BERGERON: C'est ce qui est grave.

M. LEVESQUE (Laurier): Non, mais je crois qu'on doit faire remarquer que, tout compte fait et à la réflexion — je crois que ça saute aux yeux — ces gens-là, par milliers, ne sont pas plus marginaux que la révolution scolaire, qui est l'événement central du Québec des vingt dernières années. Car, dans des dizaines de milliers de familles, y compris les nôtres, ils sont les premiers fruits de cette révolution scolaire, les premiers à qui on a donné aussi massivement la capacité de s'exprimer. D'instinct, très souvent sans avoir trop, trop réfléchi ou analysé le problème, mais, d'instinct, ne poursuivent-ils pas, en ce moment, l'accomplissement logique de cette révolution scolaire?

Le propre président de la commission Gendron évoquait aujourd'hui ce milliard par année qu'on dépense pour les faire instruire en français mais avec l'obligation, si nous voulons être logiques, d'assurer, de façon absolue, qu'on pourra vivre, qu'on pourra gagner sa vie, gagner ses promotions et se réaliser pleinement dans la même langue au Québec.

C'est fondamental et, d'instinct, c'est ça que poursuivent les manifestants et les contestataires actuels. C'est vrai qu'il y a des bébés de douze et treize ans et ça, c'est immoral si on les actionne de ce côté-là. C'est vrai que, dans les marges du mouvement comme c'est toujours le cas, il y a des agitateurs professionnels, mais qu'on ne vienne pas nous raconter — parce qu'il y a une différence d'espèce avec certaines autres choses qu'on a vues —que les masses incroyables qui sont descendues calmement et d'une façon dont, pour l'instant, on peut être fier dans les rues de la plupart des villes, surtout Québec et Montréal, sont autre chose que des citoyens, y compris ceux à qui, à 18 ans, on a donné le droit de vote. De plus en plus, il y a des ouvriers...

M. PAUL: M. le Président, l'honorable député a demandé un délai additionnel de une ou deux minutes; voilà qu'il arrive à près de cinq minutes. Alors, je crois que, dans les circonstances, nous serions mieux de le laisser à la satisfaction béate de la contestation.

M. LEVESQUE (Laurier): Alors, M. le Président, je remercie quand même la Chambre pour ces trois minutes. Le reste est clair...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable ministre des Affaires culturelles.

M. Jean-Noël Tremblay

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, parlant sur ce projet de loi qui actuellement suscite dans la population beaucoup de passion, je voudrais éviter toute attitude partisane, mais je ne puis quand même m'empêcher de penser qu'il me faudra poser à celui qui vient de se rasseoir certaines questions qui sont essentielles à la compréhension de l'attitude qu'il a prise.

L'an dernier, parlant du problème de la langue et de la nécessité de proposer une politique globale en cette matière, j'avais indiqué avec énergie que les partis politiques traditionnels s'étaient refusés à prendre position en une matière aussi délicate parce qu'ils craignaient la réaction de la clientèle électorale et qu'ils s'inquiétaient de savoir s'ils satisferaient ou les anglophones ou les francophones.

Voilà qu'aujourd'hui le gouvernement dont je fais partie propose à la Chambre, à la suite des pressions qui ont été faites de toutes parts et après un examen approfondi de la question, un projet de loi qui, comme on l'a signalé — le premier ministre, tout particulièrement, et le ministre de l'Education — n'est que l'amorce d'une politique globale de la langue.

Ce projet de loi n'est certes pas parfait, n'est certes pas complet, il sera perfectionné, il sera complété à mesure que la connaissance de la situation du français nous permettra de proposer des politiques ou de mettre en application des mesures qui viendront compléter ce que nous proposons aujourd'hui.

Le député de Laurier, que j'ai écouté avec beaucoup d'attention, avec beaucoup de respect aussi, sans l'interrompre, a déclaré quel était son sentiment et quel était son avis sur le projet de loi que nous proposons à la Chambre, il a dit de ce projet de loi — et Je le cite, puisque J'ai pris des notes alors qu'il parlait — « Il prétend être ce qu'il n'est pas ». Mais, qui donc est le député de Laurier dans les circonstances actuelles? Le député de Laurier a déclaré, d'autre

part, qu'il parlait au nom du groupe qu'il représente. Mais, qui est ce groupe qu'il représente? Le député de Laurier a également déclaré qu'il admettait que l'on reconnaisse à la minorité anglophone du Québec, une liberté limitée à son importance.

Qu'est-ce que cela veut dire? Quel est le sens de cette liberté? Quelle est la dimension de cette liberté qu'il reconnaît à la minorité anglophone? Voilà un certain nombre de questions extrêmement importantes auxquelles le député de Laurier se doit de répondre, si l'on veut bien comprendre quelle est l'attitude qu'il a prise dans le débat qui occupe actuellement la Chambre.

Le député de Laurier dit de ce projet de loi qu'il prétend être ce qu'il n'est pas. Or, nous avons exprimé clairement que ce projet de loi a pour but de promouvoir la primauté du français. Le projet de loi s'applique d'abord à ce palier extrêmement stratégique et extrêmement important qu'est l'enseignement, puisque c'est par l'enseignement qu'il faut commencer à donner cette base de connaissance de la langue, qui est ici la langue de la majorité, à savoir la langue française.

Si ce projet de loi prétend être ce qu'il n'est pas, qui donc le député de Laurier prétend-il être? De qui, exactement, est-il le porte-parole?

M. BELLEMARE: Très bien!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-il exactement le porte-parole de tous ceux qui, déjà choisis canadidats de son parti, déclarent à l'heure actuelle devant des masses d'étudiants que l'on fait manifester, dit-il, calmement, mais librement... Le député de Laurier prétend-il être le même porte-parole que ces candidats du parti qu'il a créé et qui réclament à cor et à cri l'unilinguisme intégral au Québec? Qu'il se désolidarise de Bourgault et des deux autres candidats qui, hier soir, s'adressant aux étudiants, ont réclamé l'unilinguisme intégral. Je lui pose ces questions afin de savoir exactement de quel côté il se range, à quelle enseigne il loge.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, si le ministre était sérieux et s'il acceptait une réponse, je lui dirais très simplement ceci: Ce que je représente, c'est le Parti québécois qui, depuis deux ans...

M. HARVEY: Il n'a pas été élu par ses partisans, par exemple.

M. LEVESQUE (Laurier): ... d'affilée, dans des circonstances difficiles, a d'abord défini et puis ensuite maintenu un programme cette année, sur cette question. C'est le seul parti qui l'ait fait. Ce programme dit que l'unilinguisme officiel au Québec — c'est-à-dire l'unilinguisme de l'Etat, la langue officielle — serait, dans le Québec souverain que nous proposons - ce n'est pas possible dans un Québec provincial à moins de changer la constitution actuelle — cela serait un fait. Je m'excuse. Nous maintiendrions dans ses limites actuelles, tel que je l'ai défini, les droits acquis, dans le secteur scolaire en particulier, par la minorité anglophone.

DES VOIX: Ah! ah!

M. LEVESQUE (Laurier): Les candidats du parti, autant que je sache, disent la même chose sur les tribunes...

DES VOIX: C'est faux! Non! Non!

M. LEVESQUE (Laurier): S'ils ne le font pas, ils se coupent automatiquement,...

DES VOIX: C'est faux!

M. LEVESQUE (Laurier): ... c'est évident, du programme du parti et sont dissidents, comme certains députés de l'Union Nationale le sont en ce moment.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, voilà une réponse qui nous éclaire singulièrement sur l'attitude confuse du député de Laurier et sur la situation confuse dans laquelle se trouve actuellement ce ramassis de gens qui constituent le Parti québécois. C'est là...

M. LEVESQUE (Laurier): C'est quand même le seul...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre!

L'honorable ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je disais donc, M. le Président, que l'attitude du député de Laurier telle qu'il l'a exprimée dans son discours et en répondant à la question précise que je lui al posée, est une attitude de confusion qui le met en contradiction flagrante avec ceux qui sont actuellement les inspirateurs des démonstrations que l'on a organisées et que l'on continue d'organiser contre le projet de loi no 63.

Le député de Laurier affirme, d'une part, qu'il est contre l'unilinguisme dans un gouvernement qui serait un gouvernement provincial,

c'est-à-dire un gouvernement intégré dans le cadre de la confédération actuelle ou dans une confédération renouvelée, mais, d'autre part, il affirme qu'il serait pour l'unillnguisme intégral si la province de Québec devenait un Etat souverain. N'est-ce pas ce qu'il a dit?

M. LEVESQUE (Laurier): Non, Je m'excuse. Ou bien le ministre ne comprend pas ou bien...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. LAPORTE: Je ne comprendrais pas que le député sorte, il n'y a pas eu de vote d'appelé.

M. GOSSELIN: Dans son bataillon, il est toujours le seul à avoir raison.

M. LEVESQUE (Laurier): J'espère que vous serez tous là tantôt pour voter.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre! L'honorable ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, ce n'est pas pour rien que j'ai attendu que le député de Laurier fasse son discours avant de prendre la parole. C'est parce que je voulais me rendre compte encore une fois que toutes ses idées, que toute sa pensée, que toute sa dialectique est faite de bouts de fil, d'idées qu'il a pigées à droite et à gauche, qu'il essaie de ramasser et auxquelles il essaie de donner une certaine cohérence. D'un côté, le député de Laurier se déclare contre l'unilinguisme et, d'autre part, il dit: Bien, nous serions peut-être pour l'unilinguisme dans un Etat du Québec indépendant. Que ce soit dans l'Etat actuel du Québec, M. le Président, ou dans un Etat du Québec indépendant tel que le souhaite le député de Laurier et sa cohorte, il restera toujours ici, dans le Québec, un problème, le problème de l'existence d'une minorité anglophone importante. De quelle façon le député de Laurier entend-il respecter ce qu'il appelle les droits de cette minorité anglophone?

Il nous dit que les droits de cette minorité anglophone seront limités à son importance numérique. Mais qu'est-ce que cela veut dire, M. le Président? Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Cela veut dire exactement ce que cela voulait dire au moment où est né en Allemagne le national-socialisme, alors que l'on a limité les droits d'une certaine catégorie de gens à leur importance numérique avant que de les exterminer.

Le député de Laurier connaît l'histoire de la France...

M. LEVESQUE (Laurier): Sur une question de privilège. Sur une question de privilège. Je ne croyais pas, M. le Président — et je me contente de protester — qu'on pouvait descendre à autant de bassesse, comme vient de le faire le ministre des Affaires culturelles.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si Je fais référence à l'histoire, c'est parce que l'histoire est quand même maîtresse d'enseignement. Et, dans l'agitation actuelle, dans le tumulte qui empêche un grand nombre de citoyens d'entendre la voix de la raison, il est important de rappeler certains faits historiques et de montrer qu'il peut y avoir une similitude entre les situations qui existent à l'heure actuelle chez nous et les situations qui ont existé dans le passé dans d'autres pays.

Quand le député de Laurier déclare qu'il est prêt à reconnaître les droits de la minorité anglophone et que, d'autre part, il déclare que ces droits seront limités à l'importance numérique de cette minorité non seulement il limite à ce moment-là les droits, mais il les abolit à toutes fins utiles puisqu'il empêche cette minorité de s'épanouir normalement selon qu'elle a le droit de le faire dans le respect intégral des droits fondamentaux de tout citoyen. Ce n'est pas parce qu'une minorité peut constituer éventuellement un danger pour une majorité que l'on doive écraser cette minorité et lui indiquer à l'avance que son expansion sera limitée à son importance numérique, ce qui équivaut à dire qu'on contrôle en même temps son expansion numérique. Cela va contre tous les droits fondamentaux.

Je suis persuadé que dans le Québec, alors que nous avons une minorité anglophone et une majorité francophone, la majorité francophone finira par prendre une expansion qui ne détruira pas la minorité anglophone. Pas du tout, mais elle prendra une expansion qui sera telle qu'elle aura toute la force et toute la puissance normale d'une majorité sans que pour cela soient abolis, soient brimés, les droits de cette minorité. Or, dans la solution que nous propose le député de Laurier, il y a un très grave danger. C'est là que je reprends ce que je disais au départ que si le projet de loi no 63 prétend être ce qu'il n'est pas, la position du député de Laurier prétend être ce qu'elle n'est pas, puisqu'elle se veut en apparence libérale alors qu'à toutes fins utiles c'est une position de coercition et c'est un conditionnement de la population à l'endroit de la minorité anglophone qui va dans le sens du

mépris et finalement de l'abolition des droits de cette minorité.

Il faut bien s'entendre lorsqu'on parle de droits de minorité et de majorité. Le député de Laurier a essayé tout à l'heure, et il l'a fait avec la plus grande confusion, de nous dire exactement quelle serait la situation des anglophones et quelle serait la situation des francophones dans un Etat indépendant ou dans un Québec intégré dans le cadre confédératif ou fédératif canadien. Il n'a pas été capable de nous éclairer sur sa pensée véritable parce qu'il n'est pas seul dans le groupe dont il a dit qu'il parlait en son nom.

Il n'est pas seul, puisqu'en même temps qu'il déclare qu'il est prêt lui, à respecter les droits de la minorité anglophone, ses candidats, ses supporteurs déclarent aux étudiants qu'ils sont en faveur de l'unilinguisme intégral. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au député de Laurier de se prononcer, de nous dire carrément s'il s'oppose au projet de loi 63 parce qu'il reconnaît les droits de la minorité anglophone, ou s'il s'y oppose parce que le projet de loi 63 ne consacre pas l'unilinguisme intégral. C'est là toute- la question et c'est pour cette raison que je suis intervenu immédiatement après le député de Laurier parce qu'il n'a pas le droit, lui, de laisser la population dans l'incertitude, il n'a pas le droit d'entretenir l'équivoque, il n'a pas le droit de flatter une clientèle électorale en lui laissant entendre qu'il partage son avis quand il vient de nous dire le contraire, le semi-contraire et le contraire du contraire en trois ou quatre phrases. C'est dans son style, M. le Président, et je ne veux pas le charger davantage.

Mais il y a une autre question que j'aurais voulu lui poser. Je la pose, M. le Président, a toute la population: Quel est exactement le rôle du groupe que représente le député de Laurier dans cette Chambre dans les manifestations qui secouent, qui bouleversent et qui inquiètent la population du Québec à l'heure actuelle et qui risquent de nous amener au bord de l'anarchie? Quelle est la responsabilité du député de Laurier et quelle est la responsabilité de son groupe? Il aurait été important qu'il nous l'eût dit et qu'il se dissociât absolument de Michel Chartrand, de Bourgault et de tous les autres, qui, actuellement, mènent une activité qu'il faut bien qualifier de subversive.

Le député de Laurier a dit tout à l'heure — et il l'a dit avec beaucoup de satisfaction — que toutes les manifestations qui se produisaient à l'heure actuelle se faisaient dans le plus grand calme. Oui, le calme! C'est le calme ça, le désordre, l'abandon des écoles par les étudiants et les professeurs? C'est ça, le calme? On nous invite, nous, on nous convie, depuis trois ou quatre jours, à toutes sortes de rencontres. Il faudra aller rencontrer celui-ci, celui-là, pour discuter du projet de loi 63. Notre rôle à nous, c'est d'être en Chambre, c'est de discuter en Chambre, c'est de faire notre devoir de législateurs. Et c'est le devoir des étudiants et des professeurs d'être à l'école.

Le député de Laurier appelle ça du calme? Est-ce qu'il a parlé, par exemple, de la liberté? Est-ce qu'il a parlé de cette liberté qui est sous-jacente aux manifestations? Il dit que les manifestations se font dans le calme. Est-ce que ces manifestations-là, M. le Président, sont des manifestations libres? Non, on a procédé à un lessivage de cerveau; on a mobilisé les jeunes, on les a embrigadés en criant: Il faut aller protester contre le projet de loi 63.

C'est le droit de chacun de protester, M. le Président. L'Opposition a le droit de protester. N'importe quel député dans cette Chambre a le droit de protester, mais il faut protester dans l'ordre, il faut protester selon des règles démocratiques, dans le respect des règles de la démocratie.

Le député de Laurier peut se réjouir que rien de grave ne se soit produit jusqu'à présent. Mais il doit quand même se poser des questions et, au fond de sa conscience, il doit se demander — il devrait se demander — qui sont les moteurs de l'agitation actuelle, qui sont les moteurs de ceux qui présentent le projet de loi 63, comme une tentative, comme l'effort fait par un groupe de traîtres, de lâches — nous en sommes tous, M. le Président, nous sommes tous des traîtres et des lâches, selon ces gens-là — comme un effort de traîtres et de lâches pour assassiner le français.

Le député de Laurier — j'aimerais qu'il soit ici, je déplore qu'il ait disparu soudainement — devrait nous dire exactement à quelle enseigne il loge, quelle est son attitude à l'endroit des minorités anglophones, à l'heure actuelle et pour l'avenir. Il est important que nous le sachions. Il reproche au projet de loi no 63 d'être incomplet, de ne pas être assez explicite, de ne pas tout dire ce qu'il devrait dire. Qu'est-ce qu'il nous a dit, cet après-midi? Qu'est-ce qu'il vient de nous dire? Qu'est-ce que vous avez entendu, M. le Président?

M. LAFONTAINE: Il est rendu à la télévision.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... D'un côté, un homme qui se déclare en faveur du droit des minorités et qui, d'autre part, déclare

qu'il est prêt à limiter le droit de ces minorités à leur expansion numérique. Voilà une contradiction extrêmement sérieuse et extrêmement grave. Le député de Laurier a parlé aussi de la liberté de choix. Il prétend que nous donnons, par le projet de loi no 63, à tous les citoyens du Québec, une liberté de choix trop grande. Il prétend que cette liberté de choix que nous donnons va faire que les francophones, eux-mêmes, vont être incités par le projet de loi 63 à s'intégrer à la minorité anglophone.

Mais, c'est aller contre le bon sens, c'est aller contre la logique des faits et c'est aller aussi contre la psychologie des francophones que le député de Laurier prétend défendre depuis des années. Les francophones, depuis des années, réclament qu'on donne à la langue française la primauté, qu'on fournisse à tous les Québécois les moyens d'assurer cette primauté de leur langue, de faire en sorte que la langue française devienne la grande langue d'usage, la langue de communication dans le Québec. Est-ce que les francophones, parce que nous proposons ce projet de loi qui n'est que l'amorce, nous le répétons, d'une politique globale de la langue, est-ce que les francophones vont tout d'un coup se retourner et aller dans le sens de l'anglicisatlon? Ils ont la chance, pour la première fois, dans l'histoire du Québec, de voir un gouvernement leur fournir un instrument de promotion linguistique. Pourquoi ne s'en serviraient-ils pas?

N'auraient-ils pas la fierté de s'en servir? Non. Les francophones, j'en suis sûr, ceux qui savent raison garder et ceux qui, une fois pesés toutes les rumeurs, tout le tumulte, tout le fracas que l'on entend, à l'heure actuelle, réfléchiront sur le sens et la portée du projet de loi que nous proposons, les francophones se rendront compte que, pour la première fois, un gouvernement amorce une politique globale de la langue, leur fournit un instrument de promotion du français et va, par d'autres mesures, compléter cet ensemble des mécanismes qui permettra de faire du français au Québec la langue d'usage et la langue de communication.

Le ministère que je dirige se propose de mettre en application un certain nombre de mesures extrêmement importantes en vue de fournir aux francophones du Québec les instruments qui leur manquent encore pour faire que la langue française devienne véritablement la langue d'usage, la langue de travail et le véhicule de communication.

L'on nous dira: Vous avez tardé à faire tout cela. Pourquoi n'avez-vous pas agi plus vite?

Je ne veux pas revenir sur des débats antérieurs. J'ai eu l'occasion, au cours de l'étude des prévisions budgétaires de mon ministère, il y a quelques mois, d'échanger avec le député de Chambly un certain nombre d'observations à ce sujet. Nous avons parlé de la création de l'Office de la langue française. Nous avons parlé des structures de cet office et nous avons parlé ensuite des projets de cet office.

Le 11 septembre 1967, parlant à l'occasion de la seconde biennale de la langue française à Québec, j'avais énoncé un certain nombre de principes qui me paraissaient être les principes de base nécessaires, des principes de base, dis-je, qui devaient sous-tendre toute politique de la langue. Ces principes, je n'en ai renié aucun, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, quoi qu'on ait dit et quoi qu'on ait écrit.

Ces principes, je les al énoncés en 1967; je les al repris le 18 septembre 1968, à Montréal, à l'occasion de l'inauguration du Bureau du Service de la langue française. J'ai exprimé, à ce moment-là, des principes qui me paraissaient devoir être les grands principes d'une politique globale de la langue. En même temps, j'avais indiqué quelles étalent les mesures que les pouvoirs publics devaient prendre. Je parlais surtout, à ce moment-là, pour le ministère que je dirigeais; j'Indiquais quelles étalent les mesures que le ministère des Affaires culturelles, par exemple, devait prendre pour assurer cette primauté du français dans la vie concrète, dans des situations pratiques. Ces mesures vont être mises en application.

Je devais donner, demain, une conférence de presse pour annoncer tout le programme d'action de l'Office de la langue française. J'ai différé la tenue de cette conférence de presse pour les raisons qui ont été indiquées dans le communiqué que le ministère des Affaires culturelles a émis. Je ne voulais pas que cet aspect positif de l'action du gouvernement fut noyé dans le bruit des manifestations. En effet, j'estime qu'il est important que les citoyens réfléchissent sur cet aspect positif des mesures que nous proposons et sur le devoir de participation qui appartiendra à tous les citoyens, parce que les mesures que nous allons mettre en application vont requérir non seulement l'action des pouvoirs publics, mais la participation intensive, puisque ce sont tous les citoyens que nous voulons associer à notre programme de promotion du français.

Ces mesures visent d'abord à préparer les outils dont nous avons besoin pour valoriser la langue dans tous les secteurs de la vie du Québec, que ce soit dans les domaines de l'industrie, du commerce, de l'éducation. Tous les secteurs de l'activité du Québec seront couverts par les mesures que nous allons proposera la popu-

latlon. Or, ces mesures supposent, au préalable, que nous fabriquions les outils. Je ne veux indiquer en passant que certains de ces outils, par exemple les vocabulaires, les lexiques, les glossaires, instruments techniques absolument indispensables si l'on veut revaloriser la langue.

Prenons, par exemple, le domaine de l'alimentation, dont a parlé cet après-midi le premier ministre. Le ministère de l'Agriculture par décret, a procédé à la refrancisation de l'étiquetage dans le domaine des produits alimentaires. On a demandé ensuite à l'office de préparer un glossaire, un dictionnaire ou un lexique — appelons cela comme on le voudra — des termes de l'alimentation. Ce lexique a été d'abord publié en version préliminaire et il sera bientôt publié dans une version définitive. Nous allons procéder comme cela dans tous les domaines. Nous avons reçu récemment, d'une compagnie pétrochimique, une demande très pressante nous priant de préparer, dans les plus brefs délais, un vocabulaire de l'industrie pétrochimique afin que les travailleurs qui seront appelés à gagner leur vie dans ces industries puissent le faire en français.

Il en sera de même dans le domaine du travail, dans le domaine de la fonction publique, dans les domaines de l'industrie forestière, de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, en somme, je le répète, dans tous les domaines de l'activité du Québec. Ce sont là des instruments qui sont Indispensables. Nous ne pouvions pas procéder à une revalorisation du français avant d'avoir ces outils. Nous allons procéder de même dans le domaine de la revalorisation du français en Chambre, dans le domaine de la justice...

M. le Président, je me rends compte qu'il est six heures et je propose l'ajournement de la Chambre.

M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux jusqu'à huit heures ce soir.

Reprise de la séance à 20 heures

M. LEBEL (président): A l'ordre, messieurs!

L'honorable ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je sais, M. le Président, qu'il me reste assez peu de temps. Je voudrais conclure assez brièvement, afin de donner mon avis sur le projet de loi qui fait l'objet de l'examen de la Chambre.

J'ai déclaré, avant l'ajournement de ce soir, que le ministère des Affaires culturelles entendait appliquer une série de mesures, lancer un programme extrêmement positif qui permettra de faire du français la langue de travail, la langue d'usage, la langue de communication du Québec.

A cet effet, le gouvernement a accepté de mettre à la disposition du ministère des Affaires culturelles, comme l'a annoncé M. le premier ministre il y a quelques jours, un montant de $1 million qui nous permettra de forger ces outils qui sont absolument essentiels à cet ouvrage, à cette entreprise extrêmement importante, essentielle de la revalorisation du français au Québec.

Je ne veux pas en parler plus longuement, puisque j'aurai l'occasion de donner des détails au cours d'une conférence de presse dont j'ai retardé le moment.

M. le Président, je voudrais résumer en vous disant ceci: que j'approuve le principe du projet de loi no 63, pour toutes les raisons qu'ont données le ministre de l'Education, le premier ministre et ceux qui ont parlé avant moi.

Ce projet de loi, certes, n'est pas complet, il amorce, comme on l'a dit, une politique globale de la langue, mais il fallait commencer par quelque chose, nous commençons dans ce domaine extrêmement stratégique de l'enseignement. Nous assortlssons ce projet de loi d'une série de mesures administratives dont mon ministère aura en grande partie la responsabilité afin de créer ce conditionnement qui fera comprendre aux citoyens du Québec que nous ne sommes pas des lâcheurs, nous respectons les principes que nous avons émis. En ce qui me concerne, je l'ai dit cet après-midi, je n'ai pas dévié d'un iota de la ligne que je m'étais tracée, et qui, cette ligne de principe que j'ai énoncée lors de deux conférences de presse en 1967 et en 1968.

Dans le calme, dans la sérénité, à tête reposée, comme le disait ce soir à la télévision, il y a quelques moments, le chef de l'Opposition, il m'apparaît que nous sommes capables

ensemble, nous membres de l'Assemblée nationale, de bâtir un instrument pour la promotion du français au Québec, pour sa revalorisation et pour faire entendre aux citoyens que notre seul désir, c'est, dans le respect des droits de la minorité, comme je l'ai tant de fois affirmé, de donner quand même la primauté au français. Nous sommes, en cela, fidèles au programme de l'Union Nationale, fidèles aussi aux déclarations du regretté premier ministre M. Johnson qui, lors de la conférence fédérale-provinciale de février 1968, déclarait ceci: « Il convient cependant, et dans le même esprit, que les droits du français au Québec soient non seulement garantis, mais qu'ils trouvent chez nous un épanouissement qui dépasse les termes mêmes d'un texte juridique et qui corresponde à notre réalité démographique. » Le premier ministre d'alors, M. Johnson, faisait état également des droits de la minorité anglophone et indiquait qu'il était essentiel que nous respections ce que nous avions toujours respecté ici, à savoir l'existence d'une minorité dont nous devons respecter les droits et à laquelle nous devons donner des chances égales de s'épanouir.

En terminant, je voudrais, reprenant en substance ce que j'ai dit cet après-midi, faire un appel à la raison, faire un appel au bon sens, faire un appel aux gens qui véritablement veulent travailler à l'édification d'un Québec nouveau, d'une société nouvelle. Ce qui me frappe dans la contestation actuelle, ce n'est pas tant le fait que l'on s'oppose au projet de loi 63, mais c'est le fait qu'on s'y oppose parce que ce projet de loi ne veut pas décréter l'unilinguisme. C'est là le motif véritable de la contestation à laquelle nous avons à faire face à l'heure actuelle.

Or, d'un côté comme de l'autre, de la Chambre, nous entendons respecter les droits de la minorité. M. le Président, il serait malheureux que la majorité de la population du Québec n'entende que la voix de ceux qui contestent et qui prennent sur eux de soulever des foules, de soulever particulièrement les jeunes en leur déclarant ce qui est vraiment une fausseté, ce qui est non seulement de la fausse représentation, mais qui s'apparente à une sorte de crime intellectuel, ceux qui déclarent que le projet de loi que nous avons présenté a comme objectif de faire mourir le français au Québec.

C'est là une attitude qui est de nature à provoquer l'indignation de tous les citoyens bien pensants. Peu me chaut que ces gens qui sont à l'extérieur de l'Assemblée nationale nous traitent de traîtres, de lâches, de lâcheurs, enfin nous accusent de n'importe quoi. Peu importe que ces gens-là nous brûlent en effigie. Ce qui compte, c'est l'objectif que nous poursuivons, qui est un objectif positif, de faire du français la langue prioritaire au Québec, la langue d'usage, la langue de communication.

Si cet après-midi j'ai élevé la voix et si J'ai parlé sur un ton passionné, c'est que J'étais indigné d'entendre un député qui m'avait précédé à la tribune et qui n'a pas voulu dire exactement à quelle enseigne il logeait. Nous sommes en face d'un mouvement de contestation qui est inspiré par des agitateurs professionnels, par des gens aussi qui appartiennent à un parti politique qui a dans cette Chambre un représentant et un porte-parole. C'est lui-même qui l'a déclaré, cet après-midi, il est temps que ces gens-là se démasquent, que tous ceux qui s'embusquent et qui, au nom du nationalisme, prônent à l'heure actuelle la révolution... et c'est là véritablement leur objectif; ce n'est pas le nationalisme qui les préoccupe ni le problème de la langue, ce n'est pas l'objectif qui les préoccupe; ce qu'ils recherchent, c'est la révolution totale. Ils prennent prétexte de la langue et du nationalisme pour exacerber les passions et empêcher les citoyens libres de voir véritablement quel est l'envergure de la situation et quelle est l'importance du projet de loi que nous discutons à l'heure actuelle.

Je tiens à dire ceci, que je n'ai pas évidemment étudié ici dans tous ses détails, avec toutes les nuances qui s'imposeraient, le projet de loi no 63. J'aurai sans doute l'occasion d'intervenir lorsque nous l'étudierons en comité plénier. Mais je fais un appel aux modérés, Je fais un appel à ceux qu'on appelle les modérés, à ceux qui sont contre cette agitation qui secoue le Québec actuellement. Qu'ils fassent preuve, avec nous, de leadership.

Il y a ici, dans cette Chambre, des représentants légitimement élus qui représentent le peuple, qui peuvent parler au nom du peuple. Nous ne sommes pas embusqués derrière des mouvements. Nous ne nous cachons pas derrière le paravent des jeunes, mais courageusement, énergiquement, avec vigueur, nous échangeons des opinions, des idées qui ne sont pas nécessairement les mêmes, qui ne s'accordent pas nécessairement. Mais nous le faisons de façon démocratique, selon le mandat qui nous a été donné démocratiquement par le peuple. Nous ne descendrons pas dans la rue. Nous avons porté le débat ici, sur le parquet de la Chambre, parce que c'est la tribune qui nous est donnée pour exposer à la population quelles sont les idées que nous avons sur ce problème extrêmement important de la revalorisation de la langue française et sur sa promotion.

M. le Président, il est très facile de se couvrir de gloire dans des moments d'agitation en remettant sa démission ou en se rangeant du côté de ceux qui semblent être les plus forts. Il est facile de s'attirer la gloire, de se donner un certain prestige en joignant les rangs de ceux qui font de l'agitation. Mais que les révolutionnaires sachent, une fois pour toutes, et la leçon de l'histoire est là pour le leur apprendre, que les gens qui sont les premières victimes des révolutions sont toujours les révolutionnaires. Ce sont eux qui, les premiers, paient le prix de la révolution.

Il est facile de s'embusquer, il est facile de se dérober derrière des jeunes. Il est facile de déclarer, après cela, qu'on n'était pas d'accord avec un tel, un tel, un tel. A tous ces gens qui n'osent pas laisser tomber le masque, qui n'osent pas dire ce qu'ils sont, comme le député de Laurier l'a fait cet après-midi, je dis ceci, que la population jugera les hommes responsables qui, ici, prennent leurs responsabilités. Les hommes qui ont le courage de dire ce qu'ils pensent, sans égard pour les risques qu'ils courent.

Je dis à ces gens qui se cachent qu'ils ne pourront pas tromper indéfiniment la population et qu'on les considérera, à juste titre, comme des Pilates, qui se lavent les mains de toutes les catastrophes dont ils auront été les premiers responsables.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Fabre.

M. Gilles Houde

M. HOUDE: M. le Président, à la suite d'un assez grand nombre de députés et de ministres qui ont pris la parole aujourd'hui, il m'apparaît comme excessivement difficile, à mon tour, d'essayer d'apporter, peut-être, quelques éléments nouveaux, surtout dans un langage beaucoup plus simple que celui de ceux qui m'ont précédé.

Je n'ai pas les qualités et le vocabulaire des conférenciers qui m'ont précédé, mais j'aimerais, d'autre part, donner à cette Chambre quelques réflexions, car je pense qu'actuellement il y a matière à réflexion devant tout ce qui nous arrive.

Je vous dirai qu'en arrivant aujourd'hui à Québec j'étais fort pessimiste, fort inquiet devant les événements qui se produisent au Québec. J'ai eu l'occasion, ce matin, de six heures à neuf heures, sur les ondes d'un poste de radio du Québec, de répondre à plusieurs dizaines d'appels téléphoniques venant de jeunes enseignants et également de parents.

Comme tous ces gens-là, J'étais drôlement inquiet du bill 63, intitulé Loi pour promouvoir l'enseignement de la langue française au Québec. Je dois, cependant, ajouter qu'à la suite du discours prononcé cet après-midi par le premier ministre j'ai eu, quant à moi, un regain d'espoir, une espérance nouvelle. Je tiens, cependant, à dire également que je partage encore ce soir les craintes exprimées par quelques-uns de mes collègues et en particulier par mon collègue, le député de Gouin. Je tiens à dire que je partage ces craintes, mais je tiens à dire également qu'avec ce qu'on nous a dit — et je donnerai les raisons tantôt — je veux bien, quant à moi, encore une fois — parce que j'accepte ce qui est dans le bill 63, mais j'accepte aussi d'avoir certains doutes pour ce qui n'est pas dans le bill 63 — prendre, ce soir, une chance, mais, soit dit en passant, c'est sûrement, en ce qui me concerne, la dernière chance que je prends.

Le bill 63 pour promouvoir le français nous donne, à la première lecture, l'impression d'être une loi qui rend service, qui protège, bien entendu, une catégorie que nous aimons bien, puisque ce sont des Canadiens et des Québécois comme nous, mais il nous donne l'impression d'être à sens unique. Et ce qui me fait peur un peu, c'est qu'à ce bill, les jeunes n'y croient pas. Et ce qui me fait peur encore plus, ce qui me fait réfléchir, c'est que les chefs de file que nous sommes censés être, nous sommes une centaine de députés dans cette Chambre... Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous de l'Assemblée nationale avons actuellement tant de difficulté à faire croire à des milliers de gars et de filles de 18 ans et plus que ce bill est bon, que ce bill est fondé, quand trois, quatre ou cinq, mettez-en dix, si vous le voulez, soit-disant chefs de file réussissent à faire croire à leur idée.

Je pense que, contrairement à ce que disait tantôt le ministre des Affaires culturelles, il n'est plus suffisant, même si nous sommes ministres ou députés, de discuter seulement de certains projets sur le parquet de la Chambre. Je pense que nous allons devoir nous aussi et le plus rapidement possible, descendre dans la rue. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, je le répète, des milliers de personnes — il ne faut pas se faire d'illusion, ce sont des milliers de personnes — croient plus facilement à trois ou quatre agitateurs qu'à une centaine d'élus du peuple. Il y a quelque chose à quelque part qui ne tourne pas rond. Même si c'est plus facile de critiquer que de construire, faisons au moins un examen de conscience.

Je suis content du bill 63 pour les anglophones et également pour les immigrants. Mais de grâce, monsieur le premier ministre, pour-

quoi n'avez-vous pas prononcé votre discours il y a un mois? Pourquoi n'avons-nous pas, depuis un an, deux ans, fait disparaître le malaise? Pourquoi ne cessons-nous pas le plus rapidement possible de nous gargariser de mots, de faire certaines promesses, de dire à la population qu'il y a des études? Pourquoi ne passons-nous pas le plus rapidement possible a l'action?

C'est cela que la population veut, c'est cela que les jeunes demandent, c'est cela que les parents exigent. Ce n'est pas seulement le fait de dire: Nous allons faire ceci ou cela. D'accord, je cours le risque. Je sais que ce qui n'est pas dans le bill 63 sera probablement réalisé, mais quand? Je pense qu'il est grand temps de passer à l'action. On ne sent pas présentement — et c'est là l'inquiétude des jeunes et de la population — dans le bill 63 le même effort pour aider la promotion du français non pas chez les Anglais ou les immigrants, mais chez nous, Canadiens français. On ne sent pas ce même effort. On dit: Il existera. On dit : Ayez confiance. On dit : Bien sûr, nous allons passer certaines lois de l'Immigration, des Affaires culturelles. Mais cela ne suffit pas. Il faut visualiser, il faut prouver, le plus rapidement possible, que ce ne sont pas seulement des voeux pieux, il faut prouver, par des gestes concrets, que c'est vrai, la promotion de la langue française au Québec, par tous les moyens possibles non seulement chez les anglophones ou les immigrants, mais d'abord et avant tout peut-être chez nous, Canadiens français.

J'ai également une autre remarque à apporter, qui nous montre un peu un certain non-sens, à mon humble avis, qui fait que les jeunes ont encore des raisons de plus pour ne pas nous croire. Par exemple, on parle dans le bill 63 d'aider, par toutes sortes de moyens, les immigrants qui arriveront à s'assimiler à la francophonie. On parle de centres culturels. Le ministre de l'Immigration a annoncé, il y a quelques semaines, qu'il aiderait les immigrants, les Néo-Canadiens, comme on le dit souvent, à tort probablement, à développer certains centres culturels. Comment voulez-vous que nos jeunes Canadiens français nous croient, qu'ils prennent cela pour du « cash », pour employer une expression de chez nous, quand nos propres centres culturels ne reçoivent que de modestes subventions, quand c'est excessivement difficile, dans nos centres sportifs ou de loisirs, d'obtenir des subventions? Et quand nous en avons, c'est quand même modeste, le budget est là et je ne blâme personne...

M. LUSSIER: A l'ordre! A l'ordre! M. BEAULIEU: A l'ordre!

M. HOUDE: Un instant, c'est dans le bill. Comment voulez-vous que l'on croie facilement à la promotion de la langue française et de la culture française quand nous ne pensons même pas à intégrer... Le premier ministre et un autre ministre ont parlé de l'importance de l'intégration des immigrants dans le milieu canadienfrançais. Or, si on veut les intégrer, je pense qu'il serait assez important de les intégrer justement aux centres culturels qui existent d'abord, de les amener chez nous pour qu'ils puissent vivre avec nous et mieux nous connaître.

De toute façon, la plupart de ces gens nouvellement arrivés ont déjà — ils n'ont pas besoin de nous — leurs clubs privés, leurs restaurants où ils peuvent se regrouper lorsqu'ils veulent être seuls ensemble. Trouvez-moi une nationalité qui n'a pas son club. Allemands, Chinois, Polonais...

M. BEAULIEU: C'est faux!

M. HOUDE: ... Espagnols, Portugais, tout le monde a son club social.

M. BEAULIEU: Il y en a qui n'en ont pas. Les Portugais et les Espagnols n'en ont pas. Vous n'avez pas visité beaucoup de monde.

M. HOUDE: C'est faux! Je pense, M. le Président, qu'il est temps que nous, qui acceptons d'encourager la promotion de la langue française par le bill 63, nous fassions cet effort gigantesque, que nous redoublions d'ardeur pour assurer non seulement aux anglophones et aux immigrants, mais également dans nos écoles de langue française une meilleure qualité ou la meilleure qualité qui soit dans l'enseignement du français, il faut également, comme langue seconde, étudier l'anglais.

Je termine en disant qu'une des préoccupations de nombreux parents rencontrés ces derniers jours, ce n'est pas que les anglophones ou les immigrants puissent apprendre le français. Quatre personnes sur cinq ne s'inquiètent pas à ce sujet. Ce qui les préoccupe, c'est justement, on ne sent pas cet effort pour les nôtres dans la promotion du français et de la culture française. On a l'impression, à un moment donné — ç'a été mentionné par d'autres, M. le Président — que nous allons mettre tous nos oeufs dans le même panier et offrir aux autres les meilleurs professeurs de français qui soient, de telle sorte que, dans cinq ans ou dans dix ans — et je suis fort heureux pour eux — un immigrant qui arriverait ici ne connaissant que la langue polonaise, eh bien, aura lui l'avantage de parler et polonais et anglais et français, tandis que nous, si on ne fait pas le même ef-

fort, on a l'impression dans beaucoup de milieux que nous allons nous réveiller dans cinq ans, dans dix ans, vingt-cinq ans en arrière, ne parlant qu'une seule langue.

M. le Président, je sais qu'il y a des projets, mais j'ai hâte, en tout cas, que ces projets soient expliqués. Je suis fort déçu que la conférence de presse du ministre des Affaires culturelles ait été retardée à la semaine prochaine. J'admets qu'il y a des circonstances, mais j'ai vraiment hâte. Je crois que l'Office d'information et de publicité a là un excellent sujet, un excellent thème. Il va falloir multiplier par cinq la publicité non seulement du bill 63, mais puisque charité bien ordonnée commence par soi-même, rentrer dans la tête de nos jeunes, des parents, de tout le monde que le Québec, qui se veut francophone qui se veut accueillant pour nos amis de langue anglaise ou d'autres langues, va d'abord et avant tout, promouvoir l'enseignement du français chez nous et également offrir les meilleurs cours possible, non seulement en anglais, mais fort probablement un jour, je l'espère, dans une troisième langue.

C'est inconcevable — ceux qui visitent les écoles et il y en a quelques-uns parmi nous qui le savent — que, depuis quelques années, nous ayons construit, dans nos écoles, à coups de millions — je voudrais bien avoir les chiffres du ministre de l'Education, savoir combien nous avons dépensé de millions depuis cinq ans ou dix ans — des laboratoires de langues, par exemple.

Il n'y a pas une seule école régionale, actuellement il n'y a pas une seule école moderne qui existe au Québec qui ne possède pas son laboratoire de langues. Tout le monde nous dit, pourtant: Un excellent professeur de langues peut enseigner à 20, 25 élèves en même temps, trois ou quatre langues différentes. Nous sommes à l'époque des satellites. Nous sommes à l'époque du Concorde. Nous allons pouvoir faire, dans un an, Montréal-Paris, Montréal-Rome en trois heures. Nous aurons, d'ici quelques mois, la télévision en direct d'à peu près n'importe quel continent. Alors, je pense qu'il est grandement important, bien sûr, de promouvoir le français, mais également de prouver à notre population que, nous aussi, nous avons autant d'aptitudes que les immigrants et que les Anglais pour apprendre l'anglais et pour apprendre même une troisième langue.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Finances et de l'Immigration.

M. Mario Beaulleu

M. BEAULIEU: Il y a moins d'un an, le gouvernement de l'Union Nationale réalisait une autre de ses mesures annoncées dans Objectif 66 en créant le ministère de l'Immigration. Promesse qui avait été faite dans notre programme, et une autre promesse réalisée. Les buts de ce nouveau ministère étaient entre autres de favoriser l'établissement au Québec d'immigrants susceptibles de contribuer à son développement et à son progrès, et aussi défavoriser l'adaptation des immigrants au milieu québécois.

Par le présent projet de loi 63, le nouveau ministère de l'Immigration vient déjà de subir son premier amendement. Le bill 63 impose au ministère l'obligation de prendre, de concert avec le ministre de l'Education, les dispositions nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au Québec acquièrent, dès leur arrivée, la connaissance de la langue française. Aux deux principales obligations s'ajoute une troisième. Depuis l'adoption de la loi, en novembre 1968, nous avons créé, au ministère de l'Immigration, des structures permettant d'agir avec efficacité dans ce domaine et je pense à ce que nous avons mis sur pied, comme la structure de l'établissement des immigrants, la structure de l'adaptation à la vie québécoise et la structure des groupes ethniques leur permettant de garder leurs traditions.

La direction générale de l'adaptation va, avec ce nouveau bill 63, être obligée d'ouvrir et d'agrandir ses structures et d'agir beaucoup plus rapidement. Plusieurs diront que cet amendement n'est pas suffisant pour enrayer cette crainte, qui est réelle, qui existe, à l'effet que les citoyens d'ethnies autres que française s'adaptent plus facilement et s'intègrent plus facilement à la vie anglophone. Il est vrai que plus de 90% de tous les nouveaux citoyens au Québec s'adaptent et s'intègrent à la communauté anglaise à Montréal.

Mais si nous faisons un examen de conscience, et si nous regardons ce que le député de Laurier a fait, de 1960 à 1966, lui qui représente un comté où il y a plus de 30% de personnes d'ethnies autres que française ou anglaise, qu'est-ce qu'il a fait pour amener ces personnes d'ethnies autres que française ou anglaise à la vie québécoise, à la vie majoritaire française? Qu'est-ce qu'il a fait?

Le député de D'Arcy-McGee me comprendra et celui de Saint-Henri aussi. Si nous faisons un petit examen de conscience, nous les 108 députés, combien de fois avons-nous fait sentir à

ces nouveaux citoyens qu'ils n'étaient même pas bienvenus au Québec? Combien de portes avons-nous essayé de leur ouvrir?

Combien de fois avons-nous essayé de les aider? pendant ce temps-là, le YMCA était ouvert et la Palestre nationale était fermée. Jamais nous n'avons fait un pas pour les aider. Jamais n'avons-nous réellement essayé d'aller les chercher et de les conduire. Eh bien! avec le ministère de l'Immigration, nous voulons mettre sur pied des structures réelles qui permettront de changer ce climat qui faisait sentir à cet immigré qu'il n'était pas le bienvenu dans cette terre québécoise. Pour nous, c'était un gars qui prenait notre « job », c'était un gars qui venait nous enlever notre pain. On a oublié de constater ce qu'ils apportaient, les immigrants, ici. Le député de D'Arcy-McGee me comprendra quand Je parlerai de son père, qui a été l'un des plus grands pédiatres que toutes nos mères canadiennes-françaises ont suivi. C'est ça que les immigrants apportent, et ils peuvent nous apporter d'autres choses que seulement un pic et une pelle. Ils peuvent apporter des bras, oui, mais ils peuvent apporter une science dont nous bénéficierons. C'est ensemble que nous formerons une vie québécoise.

Sur le plan économique, nous pouvons voir la place Victoria ou d'autres places semblables qui ont été faites ou réalisées par le génie européen. Sur le plan culturel, en musique, nous pouvons voir ce qu'ils apportent ici. C'est cette vie que nous voulons de leur part. Quand nous disons que nous voulons qu'ils gardent leurs coutumes ethniques, nous voulons qu'ils s'intègrent à cette vie québécoise qui est en majorité française, mais nous désirons aussi bénéficier de cet apport qu'ils nous donnent. C'est de cette façon que nous façonneront une vie québécoise de plus en plus grande et où surtout, eux, se sentiront bienvenus. Si nous pouvons créer ce climat d'ouverture d'esprit, eh bien, Je ne crois pas, comme je l'ai dit l'autre soir dans la conférence de presse, qu'il soit nécessaire de prendre des mesures coercitives pour y arriver. Nous voulons laisser à ces nouveaux citoyens le soin de comprendre qu'il y a une majorité au Québec, que cette majorité est française, que cette majorité a des droits et que jamais nous ne céderons nos droits. Si nous leur expliquons, ces nouveaux citoyens vont s'unir avec nous pour travailler et faire grandir ce Québec. C'est de cette façon qu'il faut procéder au lieu de prendre dès le départ des mesures coercitives, des coups de marteau qui ne réussiront probablement rien. Je suis convaincu que si nous voulons tous ensemble, tout le peuple québécois, leur faire sentir qu'ils sont les bienvenus au

Québec, je crois que nous réussirons à créer cette communauté francophone que nous voulons de plus en plus grande.

Bien que le premier ministre en ait parlé cet après-midi, permettez-moi, M. le Président, de citer les paroles d'un homme qui n'est plus ici, d'un homme qui, lorsqu'il a fait sa dernière conférence de presse, tous les citoyens du Québec ont été unanimes à reconnaître en lui un grand homme, un homme qui nous a laissé un testament politique dont nous sommes fiers et dont nous voulons suivre les traces. Il n'y a aucun député de ce côté-ci de cette Chambre qui ait été contre cette conférence de presse. Permettez-moi de vous lire ce qu'il disait. Je cite: « En somme, il est absolument nécessaire, et tout le monde s'entend, même les anglophones de bonne foi, lorsqu'on sort le problème du contexte passionnel, que le Québec soit aussi français tout en étant bilingue et en admettant l'anglais, que l'Ontario est et demeurera anglais, tout en admettant du français et en donnant une chance à tous les francophones d'apprendre l'anglais. « Ainsi, nous allons voir à ce que tous les anglophones, tous les non-francophones du Québec aient une chance d'apprendre le « prevailing language », comme on dit en Ontario, et le « prevailing language » en Ontario, on sait ce que c'est. Dans Québec, en somme, il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone, c'est-à-dire qu'on ne doit pas avoir un système en vertu duquel on demande à quelqu'un: Est-ce que vous venez d'arriver au pays? Quel est votre ethnie? Nous allons tenter d'analyser votre sang et, si vous êtes un immigrant, vous devez nécessairement avoir moins de droits que d'autres. « Il n'y a pas de citoyens de seconde zone dans le Québec, c'est-à-dire qu'immigrants actuellement installés ou immigrants arrivant ici seront traités sur le même pied que les citoyens du Québec, anglophones ou francophones. Je ne crois pas que l'on puisse imposer deux poids deux mesures, selon la date d'arrivée et selon l'ethnie. « Cela, évidemment, suppose que nous allons exercer notre compétence et l'élargir, si possible, dans le domaine de l'immigration. Quand on sait, par exemple, qu'il y a à Londres plus d'employés du ministère de la Citoyenneté de l'Immigration de l'Ontario qu'il n'y en a du ministère fédéral de l'Immigration. C'est nous qui avons négligé ce domaine au point de départ. D'abord, dans le choix des immigrants, dans les représentations qu'ont fait les immigrants. Deuxièmement, nous devrons battre notre coulpe même publiquement, puisque nous avons entretenu une sorte de xénophobie. Nous avons enduré que le gouvernement fédéral laisse entrer

des immigrants à l'allure de quoi... 150,000 ou 200,000 par année au Canada, sans nous préoccuper du nombre de ceux qui venaient dans le Québec et de leur origine. On se contentait trop souvent de dire; je m'excuse: Ah, ces damnés émigrés ou ces immigrants! C'était une attitude tout à fait négative, alors qu'il faut prendre une position extrêmement positive. « D'abord, être là, présents pour établir la politique avec Ottawa, la politique d'immigration. Deuxièmement, être sur place pour le choix. Troisièmement, les accueillir ici. Faciliter leur intégration à la vie québécoise. Quatrièmement, les traiter, évidemment, sur le même pied que tous les autres citoyens du Québec, en établissant un système tel que tous ceux qui sortiront du secondaire aient une connaissance d'usage de la langue « prevailing language » qui est le français dans le Québec, comme c'est l'anglais dans l'Ontario. »

Cet homme, c'était M. Daniel Johnson, lors de sa conférence de presse. Qui, parmi les contestataires, parmi les extrémistes, l'a traité de lâche, de vendu à sa nation, lui, qui a laissé sa santé et qui nous a laissé ce testament politique? Aujourd'hui, nous réalisons une mesure progressive qui oblige tous les citoyens du Québec à connaître le français. C'est le plus grand pas jamais réalisé dans cette province vis-à-vis du français.

Je ne permettrai pas qu'on qualifie le premier ministre actuel de traître! Il a déclaré ce que Johnson avait déclaré: « Le Québec à l'oeuvre! Pas de citoyens de seconde zone dans la province française du Québec. » Voici les moyens que le ministère de l'Immigration veut prendre. Le ministère de l'Immigration veut, avant l'arrivée de l'immigrant, se rendre en Europe. Nous avons conclu des accords actuellement très fructueux avec le gouvernement d'Ottawa, qui vont nous permettre d'avoir des représentants dans les principales maisons des pays d'où viennent les immigrants. Nous allons leur expliquer qu'au Québec il y a une vie française, qu'ils seront obligés de travailler en français, qu'ils seront obligés de gagner leur vie en français. De cette façon, ils vont venir ici librement. Ils vont arrêter de nous dire, une fois rendus ici: On ne le savait pas.

M. BELLEMARE: Très bien!

M. BEAULIEU: Eh bien, Ottawa a joué ce jeu pendant cent ans. Qu'est-ce qu'on a fait? Jamais une remarque! Aujourd'hui, nous allons les suivre, nous allons les talonner. Nous allons gagner notre point par la persuasion.

Une fois cet immigrant arrivé ici, il y a des choses à faire. Le député de Laurier appelle ça du folklore, lui. Moi, j'appelle ça de la persuasion et du travail. Nous allons organiser des services d'orientation et de formation qui sont déjà en marche. Nous allons enseigner, pendant vingt semaines, le français. Nous allons les aider. Nous allons attitrer un membre du ministère de l'Immigration à des familles qui arrivent ici pour les aider.

Ils ne connaissent pas nos lois. Ils ne connaissent pas nos traditions. Nous allons créer des centres communautaires pour qu'ils puissent avoir cette partie de bonheur à laquelle, eux aussi, ils ont droit, quand ils arrivent dans un pays. Prenez un Grec qui arrive ici, les dix premières années de sa vie. Il faut, quand même, essayer de le comprendre, ce pauvre citoyen qui arrive ici, qui ne connaît pas la langue, qui a de la difficulté à s'intégrer. Nous devons, quand même, lui donner un contexte où il pourra avoir quelques heures de bonheur, tout en travaillant et en apprenant difficilement une langue dont l'alphabet lui-même est différent.

Nous voulons, par des campagnes d'information à travers la province, prouver à tous nos citoyens qu'ils ont intérêt, comme l'Ontario l'a fait...

Regardons les statistiques et comparons; après 1944, si nous enlevons l'immigration, le Québec aurait une population plus grande que l'Ontario. Et nous savons où va l'Ontario et nous savons où sont les Etats-Unis actuellement, avec l'immigration. L'immigration est une richesse qui existe ici. Nous voulons créer des camps d'été pour les jeunes, nous voulons aussi les faire voyager autant que les citoyens du Québec, pour leur faire connaître nos institutions.

Je suis heureux que le projet de loi numéro 63 ait reçu l'assentiment unanime de tous les membres du conseil exécutif parce qu'il est la réponse à ce que l'Union Nationale avait proposé dans son programme. Quand nous regardons le programme d'hier soir à la télévision, alors que les extrémistes disaient que ce n'était pas dans le programme de l'Union Nationale, c'est qu'ils n'ont jamais lu ce programme, c'est qu'ils se refusent à suivre ce programme. Nous avons un programme qui n'a pas varié avec l'arrivée du nouveau premier ministre. Ce programme a été voté aux assises, ce programme a été voté par le conseil général du parti. C'est ainsi que l'Union Nationale peut se perpétuer d'un chef à l'autre avec la même tradition, avec la même foi.

Nous l'avons dit clairement, l'autre soir à la télévision, c'est une première étape vers un

plus grand rayonnement de la langue française au Québec. Je l'ai dit clairement et je l'ai répété à ceux qui ne sont pas de notre ethnie. Le rapport de la commission Gendron viendra dans quelques années, dans deux ans, et si les résultats que nous allons essayer honnêtement d'obtenir avec le travail et la coopération de tous ne sont pas satisfaisants, il sera toujours temps de modifier notre position et de prendre d'autres mesures, même si elles sont coercltives à ce moment-là.

Nous voulons que le français devienne la langue de travail de tous les citoyens du Québec, mais nous ne voulons pas, pour cela, brimer les droits des autres, et c'est dans le respect des minorités que la majorité se grandira.

Nous voulons réaffirmer ces trois principes de l'Union Nationale: Primauté du français, respect du bilinguisme avec cette priorité du français, et pas de citoyens de seconde zone au Québec tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas pris les mesures nécessaires pour être capables de prouver que nous ne pouvions agir autrement.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de D'Arcy-McGee.

M. Victor Goldbloom

M. GOLDBLOOM: M. le Président, vous me permettrez sûrement, avant de commencer le bref discours que j'ai l'intention de faire, de remercier le ministre des Finances et de l'Immigration pour la quasi-totalité de son discours mais surtout pour les remarques élogieuses qu'il a prononcées à l'endroit de feu mon père. C'est parce que mon père l'a voulu que je suis aujourd'hui capable de m'exprlmer en français; c'est donc à cause de lui que je suis ici dans cette Chambre.

Nous avons l'habitude, chacun de nous, à sa façon, de faire l'historique du projet de loi qui est devant la Chambre. Le mien sera extrêmement bref et il ne sera pas tendancieux. Je souligne que le jeudi 13 juin 1968, j'ai posé une question à feu le premier ministre, l'honorable Daniel Johnson. Je lui al demandé s'il croyait qu'il y avait moyen — je vous rappelle qu'à ce moment-là des élections scolaires avaient eu lieu dans la municipalité de Saint-Léonard, mais la décision que cette commission scolaire a prise ultérieurement n'avait pas été prise au moment où je parlais — je demandais donc au premier ministre s'il croyait qu'il y aurait moyen de corriger un fait accompli si ce fait accompli se présentait devant le Québec.

Dans sa réponse, il a fait allusion à l'article 203 de la Loi de l'instruction publique, le même article que nous nous proposons de modifier par le projet de loi no 63 d'aujourd'hui. Il lui a donné une interprétation qui permettait d'espérer que cet article, sans modification, ait un effet exécutoire. Je cite ce qu'il a dit: « Une interprétation de l'article 203 qu'il faudrait porter à l'attention des commissaires de ville de Saint-Léonard, c'est qu'ils n'ont pas le choix si les parents demandent de suivre un programme approuvé. »

Cet espoir, évidemment, selon les opinions juridiques qui ont été reçues par la suite, ici au Parlement et devant les cours, s'est avéré vain.

Je ne fais plus l'historique des événements qui ont suivi, sauf pour vous dire que le jeudi 6 mars de cette année, le premier ministre actuel a lancé un appel à tous les intéressés de maintenir le statu quo. Je me permets de croire qu'à ce moment-là le premier ministre a oublié un mot. Il aurait dû dire « le statu quo ante ». Je lui ai demandé des éclaircissements sur cette déclaration, sur cet appel qu'il a lancé. Il m'en a donné, mais j'en ai demandé d'autres le lendemain matin au ministre de l'Education. J'ai demandé, ce lendemain, au ministre de l'Education s'il était disposé à recevoir les parents de Saint-Léonard. Il m'a répondu: Oui. Et je lui al offert ce même jour par lettre mes services comme intermédiaire afin de trouver une solution satisfaisante pour tous les intéressés.

Je souligne ce fait parce qu'il est intervenu, entre le ministre de l'Education et celui qui vous parle, une entente selon laquelle à partir de ce moment-là les députés de l'Opposition acceptaient de ne pas poser de questions ni de faire de critiques sur l'affaire de Saint-Léonard, en attendant un règlement possible par cette action que j'avais entreprise. Je tiens à remercier très sincèrement mes collègues de ce côté-ci de la Chambre d'avoir accepté cette entente et de ne pas avoir harcelé le gouvernement entre-temps. Je remercie surtout mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce qui, je le sais, s'est senti menotté à certains moments par cette entente.

Aujourd'hui, et je laisse de côté complètement l'historique de la question, nous avons devant nous le projet de loi qui porte le numéro 63. Ce projet de loi nous propose une solution. Je crois qu'elle est bonne. Il lui manque, pour être complète, un seul élément. Le chef de l'Opposition l'a souligné dans son discours, en citant le texte d'une résolution adoptée l'an dernier au congrès du Parti libéral dans laquelle nous avons suggéré que soient inclus, dans tout projet de loi qui se voulait une solution à ce genre de problème, les principes ou les recommandations

de la commission Laurendeau-Dunton, recommandations selon lesquelles nous aurions pu savoir exactement quand une commission scolaire aurait été tenue d'offrir les cours demandés par les parents minoritaires et quand elle aurait pu se prévaloir des articles 469 et suivants de la Loi de l'instruction publique.

Néanmoins, ce projet de loi contient et consacre un principe accepté et désiré, je le sais, par la grande majorité des Québécois, celui du droit des parents de choisir entre les deux langues officielles celle qui sera la langue principale, mais pas la seule, de l'éducation de leurs enfants.

Je suis depuis toujours convaincu que c'est la seule conclusion à laquelle nous aurions pu venir. En démocratie, si l'on doit choisir entre liberté et restriction, en règle générale, en légiférant on doit opter pour la liberté. C'est ce que nous faisons avec ce projet de loi.

Mais je tiens à souligner, et je voudrais que tout le monde le sache, qu'il y a des Québécois, dont l'ascendance n'est pas canadienne-française, qui ne veulent pas que l'exercice de cette liberté par leurs concitoyens ait pour effet de restreindre, d'affaiblir, de bafouer ou de saboter l'épanouissement du Canada français.

Bien au contraire, ils tiennent à y contribuer et c'est dans l'intérêt du Québec qu'ils le fassent.

Nous l'avons souvent dit, liberté implique responsabilité. Nous avons, chacun de nous, quelle que soit notre origine, la responsabilité d'élever nos enfants en bons citoyens du Québec, et aussi longtemps que durera notre régime fédéral, en bons citoyens du Canada.

Que fait le bon citoyen? Il bâtit, il modifie, il corrige, il améliore la société dans laquelle il vit. Il la critique librement, mais il ne la détruit pas. Il prend l'initiative de communiquer avec son concitoyen, et dans cette communication, la courtoisie exige de lui deux choses: d'écouter, l'esprit ouvert, le point de vue de celui-là et de se servir, si possible, d'une langue que celui-là peut comprendre.

Je vous dis, très ouvertement, que, jusqu'à maintenant, cette courtoisie auditive et linguistique a généralement été manifestée beaucoup plus par nos amis canadiens-français que par nos compatriotes de langue anglaise. Nous avons tous eu l'expérience de fréquenter des réunions où Canadiens d'expression française et Canadiens d'expression anglaise se trouvaient ensemble. La langue de communication a presque toujours été l'anglais, parce que le français n'était pas compris de tout le monde. L'interprétation simultanée que l'on remarque, à de telles assemblées, est utilisée presque exclusivement par les Canadiens d'expression anglaise. Ce projet de loi aidera à corriger cette inégalité.

Je me souviens, il n'y a pas très longtemps, avoir entendu réciter un poème à la radio. Je n'en al pas le texte, ma mémoire n'est pas assez fidèle pour me permettre de vous le répéter textuellement, il s'agissait de deux arbres qui se regardaient à travers la frontière entre le Québec et l'Ontario. L'arbre québécois parlait à l'arbre ontarien. Il lui parlait de la beauté de ce pays, de sa vaste étendue, de ses richesses et de ses possibilités. Il parlait de façon très éloquente. Enfin ce fut le tour de l'arbre ontarien à lui répondre. L'arbre ontarien dit: « Sorry, I don't speak French ». C'est la tragédie du Canada, une tragédie que nous devons tous contribuer à corriger.

Néanmoins, je tiens à dire aussi que, jusqu'à la décision de la commission scolaire de Saint-Léonard, les anglophones du Québec, dans le système scolaire, ont toujours joui de tous les droits qu'ils auraient pu désirer. Je suis content qu'avec le bill 63 nous revenions au statu quo ante.

Le premier ministre a déclaré que nous allons bâtir le Québec de demain en français.

Je lui réponds: oui, et aussi en anglais, et aussi en italien, en polonais, en hongrois, en grec, en portugais, mais surtout en français. La majorité, c'est quand même la population francophone du Québec. Nous, qui ne sommes pas de cette origine, ayant obtenu avec l'adoption de cette loi, la liberté de bâtir le Québec en anglais, nous allons quand même contribuer à le faire en français, parce que des hommes libres vont faire librement ce qu'ils refuseraient de faire sous une férule coercitive.

Je termine par ceci, M. le Président. Nous parlons souvent de nos deux solitudes. Si je vous pose la question: D'où vient cette expression deux solitudes? Vous me répondrez probablement qu'elle vient du titre d'un roman écrit par mon ancien professeur, le grand écrivain canadien Hugh MacLennan. Ce n'est pas le cas, M. le Président; cette expression vient d'un poème écrit par le poète allemand Rainer-Maria Rilke, et je cite ce qu'il a dit au complet — la traduction, je m'en excuse, est la mienne — : « L'amour consiste en ceci: que deux solitudes se protègent, se touchent et se saluent ».

M. le Président, nous aurons toujours, dans une certaine mesure, au Québec et au Canada nos deux solitudes. Le Canada entier ne sera jamais parfaitement bilingue, d'accord. Mais « l'amour consiste en ceci: que « deux solitudes se protègent, se touchent et se saluent ».

C'est ça que doit être le Québec, c'est ça que doit être le Canada.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Jean-Paul Beaudry

M. BEAUDRY: M. le Président, la question soulevée par le bill 63 m'intéresse grandement, puisqu'il s'agit d'une question à laquelle J'ai réfléchi depuis de très nombreuses années.

Etant, de par mes fonctions, constamment en contact avec l'élément anglophone de la ville de Montréal, je vous livrerai donc le fruit de ces réflexions ainsi que mon attitude à titre de ministre de l'Industrie et du Commerce. L'éducation conçue au sens le plus large est un phénomène à la fois collectif et individuel. Selon les époques et les pays, l'accent est plutôt placé sur le premier aspect ou le second. Jusqu'à tout récemment, au Québec, c'est surtout l'aspect individuel qui avait prédominé chez nous. L'éducation n' étant guère considérée comme une tâche qui relevait directement de l'Etat, c'est ainsi que l'Eglise fut appelée à jouer un rôle de suppléance et à assumer le fardeau de l'éducation au Québec.

Il faut d'ailleurs lui en savoir gré. Mais les aspects collectifs de l'éducation ont pris chez nous, au cours des dernières années, un relief nouveau qui devient de plus en plus évident. C'est pourquoi l'Etat a par exemple, récemment mis sur pied un ministère de l'éducation.

Rien n'était plus normal, vu les conséquences fondamentales qui découlent d'un régime d'éducation. C'est en effet par l'éducation que sont formés l'ensemble des agents de la vie économique. C'est de leur disponibilité et non-disponibilité que dépendent nos chances d'accroître le niveau de vie des Québécois.

Or, ce ne sont pas là des choses auxquelles le ministre de l'Industrie et du Commerce peut rester indifférent.

S'il restait par conséquent à l'écart d'un tel débat, Il faillirait à son devoir. Un régime d'éducation doit tenir compte, d'une part, d'un contexte dans lequel il est appelé à fonctionner et, d'autre part, des objectifs qu'on lui assigne pour le développement de la société. Dans l'un ou l'autre point de vue, le bill 63 m'apparaît une mesure satisfaisante et opportune.

Qu'en est-il en premier lieu du contexte québécois? Les investissements en provenance de pays anglo-saxons sont déjà très considérables au Québec, et plus particulièrement dans la région de Montréal. Or, beaucoup des activités économiques qui se déroulent dans la région montréalaise sont destinées à assurer des liaisons financières, industrielles, etc., avec le reste du Canada et certaines parties des Etats-Unis. Tel est essentiellement d'ailleurs le rôle des sièges sociaux d'entreprises canadiennes ou multinationales, il s'agit 12 d'un apport considérable à notre économie dont personne ne songerait sérieusement à se départir. Cela explique et justifie d'ailleurs la présence d'une aussi grande communauté de langue anglaise à Montréal et, par conséquent, d'écoles de langue anglaise. Consacrer le libre choix des parents quant à la langue d'éducation de leurs enfants, ce n'est que consacrer un état de fait qui correspond à la réalité des choses. Imposer l'unilinguisme à Montréal n'est pas par conséquent une chose praticable ni souhaitable.

Le Québec cherche d'ailleurs à augmenter le rythme des investissements étrangers au Québec, notamment en provenance des Etats-Unis, afin de fournir du travail aux 75,000 personnes qui se joindront annuellement à notre main-d'oeuvre au cours des cinq prochaines années, il n'est que logique et équitable que les cadres qui accompagneront ces capitaux investis dans de nouvelles entreprises puissent être assurés de trouver pour leurs enfants des écoles de langue anglaise à Montréal.

Le bill 63 consacre un principe qui repose sur des réalités qui ne sont pas remises en cause par l'immense majorité des Québécois. Le Québec a toujours agi de façon exemplaire en ce qui concerne le respect des libertés individuelles. Rien ne nous oblige maintenant à contredire cette attitude qui a valu et qui vaut encore au Québec d'être considéré par les étrangers comme l'un des endroits les plus sûrs du monde pour les investissements, ainsi que le soulignait tout récemment M. David Rockefeller, président de la Chase Manhattan Bank. L'attribution des droits individuels ou leur consécration ne peut et ne doit pas entrer en conflit avec les droits collectifs d'une société.

Le Québec désire conserver son caractère français. Tous ses gouvernements l'ont affirmé et ont posé des gestes en ce sens. C'est pourquoi le bill 63 prévoit que les anglophones habitant au Québec devront acquérir pendant leur passage à l'école une connaissance d'usage de la langue française, il ne s'agit là, d'ailleurs, que d'une première manifestation d'éducation qui trouvera son chemin dans plusieurs secteurs de la vie québécoise et notamment dans l'industrie, il ne m'apparaît pas pensable, ainsi que je le soulignais plus haut, d'Imposer législative ment le français comme langue de travail dans tous les sièges sociaux traitant avec l'extérieur du Québec, mais il m'apparaît indiscutablement néces-

saire que les entreprises dont les opérations ont lieu au Québec, par exemple dans telle ou telle usine, utilisent de plus en plus le français comme langue de travail. Les milieux anglophones du Québec ont d'ailleurs fort bien compris cette nécessité et il est du devoir du gouvernement de les encourager à effectuer ce changement le plus rapidement possible. Le Québec a toujours été Jaloux de son droit à la liberté, que ce soit pour la province elle-même vis-à-vis du gouvernement fédéral ou pour tous et chacun des citoyens qui la composent.

Cette liberté a permis que le Québec soit choisi par un grand nombre d'immigrants, ainsi que par de nombreux investisseurs venant aussi bien d'Europe que des Etats-Unis. C'est pour sauvegarder intact ce principe de liberté que le gouvernement a présenté aux membres de cette Assemblée le projet de loi pour promouvoir l'enseignement de la langue française au Québec.

Je considère comme un devoir de ma part d'intervenir dans ce débat afin de présenter aux membres de cette Chambre la facette industrielle et commerciale qui ne manquera sûrement pas d'être touchée par cette nouvelle législation.

A titre de ministre de l'Industrie et du Commerce, je connais les nombreux problèmes auxquels nous avons à faire face, ainsi que les exigences que nous impose le développement économique du Québec. Qu'on ne se trompe pas, cette nouvelle loi ne fera pas sentir ses effets uniquement dans le domaine de l'éducation. Non, M. le Président, le secteur économique en sera sensiblement touché. Qu'on pense seulement à la situation du Québec dans ce secteur et l'on verra immédiatement que le Québec constitue une banque de matières premières et un immense réservoir de main-d'oeuvre qui ne manquent pas d'intéresser les investisseurs. Il est bon aussi de regarder d'où nous viennent ces capitaux qui peuvent mettre en valeur les qualités de cette main-d'oeuvre et de ces matières premières. Même si nous faisons affaires avec l'Europe, il n'en reste pas moins que la grande partie des investissements étrangers nous vient des Etats-Unis. Ces gens qui nous arrivent du pays voisin ont besoin de sentir une sécurité certaine, c'est-à-dire que, pour eux également, le principe de liberté que nous avons tellement à coeur de conserver au Québec doit avoir sa pleine valeur et opérer dans son vrai sens.

Que ce soit pour leur bien-être personnel ou pour l'éducation de leurs enfants, les investisseurs étrangers ont le droit de savoir à l'avance ce que leur réserve le Québec sur ce point. Ces garanties ne peuvent leur être données que par une législation précise où la position du Québec soit établie de façon définitive. Ceux qui s'oppo- sent au bill 63 veulent à tout prix conserver l'unilinguisme au Québec. A mon avis, c'est une ereur. Le Québec ne doit pas se refermer sur lui-même et repousser du revers de la main l'élément anglophone qui nous entoure et avec lequel nous devons vivre en étroite collaboration. Nous avons au Québec la chance unique de pouvoir bénéficier des avantages de deux cultures. Les adeptes de l'unilinguisme s'opposent à ce que le gouvernement adopte des lois pour conserver à la population ce privilège. Ils veulent que nous adoptions une législation de portes fermées. Je ne peux pas, M. le Président, être d'accord avec eux. Même si je suis profondément attaché au français et à la culture française, je ne crois pas souhaitable que nous nous retranchions derrière une palissade et que nous empêchions l'entrée à toute autre culture.

Le Québec s'est développé, se développe et se développera grâce, en partie, à l'apport des capitaux étrangers. Ces capitaux entraînent avec eux une technologie nouvelle dont nous cherchons à faire bénéficier les Québécois. Cest ainsi que, dans notre programme d'aide à l'industrie de pointe, nous exigeons des sociétés qui bénéficient de cette mesure qu'elles engagent des diplômés des universités du Québec. Voilà nos exigences. La technologie moderne parle parfois le français, mais elle parle très souvent l'anglais et l'allemand. En tant que ministre de l'Industrie et du Commerce, je n'admettrai jamais qu'une opposition aveugle nous mène à l'isolement culturel que serait pour nous ce ghetto français dont la population ne veut pas.

La réponse du gouvernement à cette opposition, elle est claire. Nous avons opté pour le libre choix et pour la promotion du français. C'est là le véritable sens du bill 63.

Cela est conforme, j'en suis sûr, à la volonté de la population que nous représentons.

Pour terminer, M. le Président, je voudrais m'assurer qu'on a bien compris le sens de ce message. Je suis d'origine, de mentalité et de vie françaises. Le Québec, ma patrie, doit rester français, et tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour atteindre ce but. Mais cela ne doit pas être accompli au détriment d'autres hommes pour qui la liberté de religion et de langue est un droit aussi sacré que pour nous.

Comment peut-on imposer par la force ce que nous avons combattu si ardemment pendant plus de deux cents ans? Je suis français mais je veux l'être avec justice.

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable député de Mercier.

M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président...

M. BOURASSA: M. le Président...

M. TREMBLAY (Montmorency): Vous m'aviez donné le droit de parole, M. le Président...

DES VOIX: Assis! Assis!

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): J'ai donné la parole à l'honorable député de Mercier.

M. Robert Bourassa

M. BOURASSA: M. le Président, Je remercie le député de Montmorency de m'avoir laissé sa place.

Sans vouloir prolonger le débat qui dure depuis plusieurs heures, je voudrais quand même commenter certaines affirmations du premier ministre faites au cours de cet après-midi. Même si on ne peut pas être d'accord avec toutes ces affirmations, on doit quand même constater que le premier ministre n'a pas perdu son sang-froid. Cette donnée n'est certainement pas superflue dans le contexte actuel.

Le premier ministre a signalé que le bill 63 était un élément parmi plusieurs autres de sa politique linguistique. Il a admis, au cours de son exposé, que l'influence de la langue de travail sur l'école était plus importante que le phénomène contraire, c'est-à-dire de la langue à l'école sur la langue de travail. Je suis entièrement d'accord avec lui lorsqu'il soumet que là où il faut agir de la façon la plus pressante et de la façon la plus nécessaire, c'est dans le monde du travail.

Alors, on peut lui demander: Qu'est-ce qu'a fait le gouvernement depuis trois ans dans ce secteur extrêmement important de la langue du travail? Qu'est-ce que le gouvernement a fait depuis trois ans, lui qui, aujourd'hui, en admet la priorité et le caractère essentiel? C'est vrai, il y a quelques mois, on a créé la commission Gendron pour étudier la question. Mais je ne vois pas en quoi la création d'une commission comme celle-là en admettant la compétence de tous ses membres et le travail délicat, difficile et essentiel qu'ils doivent faire, je ne vois pas dis-je, comment la création de cette commission se trouve à paralyser l'action du gouvernement devant un problème aussi pressant. Nous pourrions multiplier les données pour démontrer le caractère d'urgence du français comme langue de travail. On peut quand même en donner trois. Signaler, par exemple, qu'actuellement, selon des chiffres fournis par la commission sur le biculturalisme, 83% des administrateurs au niveau supérieur et intermédiaire, aujourd'hui au Québec, sont de langue anglaise, alors que 80% de la population est francophone. Au surplus, nous aurons, au cours des prochaines années, quelque 50,000 diplômés de CEGEP et d'universités qui ont été formés en français.

Lorsque nous constatons ou nous examinons ces trois données, 83% des administrateurs au niveau supérieur, anglophone, 50,000 diplômés par année, ou tout près de 50,000 formés en français et une population francophone à 80%, lorsque nous confrontons ces différentes données, nous ne pouvons faire autrement que de constater le caractère explosif de la situation actuelle.

C'est vrai qu'il y a plusieurs explications à cette situation. C'est vrai que nous n'avons peut-être pas toujours été aussi intéressés qu'il aurait fallu l'être pour les carrières d'affaires. Mais ce sont quand même des données actuelles qui existent et qui sont connues de tous ceux qui s'intéressent à la situation.

Je soulève cette question depuis plusieurs années. J'ai eu l'occasion, à de très nombreuses reprises, notamment devant les étudiants, de montrer jusqu'à quel point j'étais conscient de cette priorité, de cette double priorité actuellement pour le Québec, soit, premièrement, cette création de nouveaux emplois, et deuxièmement le fait que les gens puissent travailler dans leur langue au Québec.

Nous en sommes tellement conscients dans le parti que je peux vous référer à l'entrevue que donnait le chef du parti, il y a quelques mois, au journal La Presse, entrevue dans laquelle il disait que les deux priorités pour le Québec, selon lui — et je suis d'accord avec lui — étaient précisément cette création de nouveaux emplois, et cette nécessité d'introduire le français comme langue de travail.

J'ai eu l'occasion de signaler cette question à plusieurs reprises, y compris devant cette Chambre. Il y a environ un an, la question a été soulevée ici même alors qu'il y a eu plusieurs discours sur la nécessité d'introduire le français comme langue de travail, ou sur la langue française elle-même. J'ai posé des questions au ministre responsable, le député de Chicoutimi. Je lui ai signalé, à ce moment-là, comme il était important d'agir tout de suite, de prendre des mesures aussi rapides que possible face à cette situation. Que m'a répondu le ministre responsable de la politique linguistique? Il a tout simplement rigolé devant des questions fort précises et spécifiques que je lui posais, il y a un an, précisément sur le problème qui inquiète aujourd'hui une partie croissante de la population.

Donc, ceci révèle l'absence de conscience

du gouvernement vis-à-vis cette question: l'absence de réalisation de l'importance du problème. Donc, si la solution, au niveau de l'école, n'est qu'une solution très partielle, très incomplète, selon l'admission même du gouvernement, pourquoi tarder à agir, comme il le fait?

Le premier ministre, au cours de l'après-midi, a donné des exemples, comme l'ALCAN; nous pourrions en ajouter d'autres, comme la Compagnie de téléphone Bell, General Motors. Je pense que le parti libéral, lorsqu'il a été au pouvoir, a démontré, d'une façon concrète et précise, son intérêt pour la question puisqu'il a insisté, à l'occasion d'un des investissements les plus importants au Québec, l'investissement de General Motors, pour que la langue de travail soit le français.

Donc, si ça se fait dans de grandes entreprises, que ce soit des entreprises de service ou que ce soit des entreprises manufacturières, qu'attend le gouvernement pour accélérer son action dans un secteur qui est tellement vital non seulement pour la paix sociale mais également, comme on le verra tantôt, pour le bien-être économique de l'ensemble de la population?

Le premier ministre a dit, au cours de l'après-midi: Nous allons attendre les conclusions de la commission Gendron qui doivent arriver dans deux ou trois ans...

M. BERTRAND: M. le Président, si le député...

M. BOURASSA: Non, laissez-moi terminer. Le premier ministre a dit: S'il y a lieu, nous pourrons adopter des mesures additionnelles...

M. BERTRAND: Non. Chaque fois que nous pourrons agir sans attendre les recommandations de la commission Gendron, nous le ferons.

M. BOURASSA: M. le Président...

M. BERTRAND: J'ai, à l'heure actuelle, un groupe de conseillers juridiques qui examinent justement ce problème et, partout où nous pourrons, par voie de réglementation, agir, nous le ferons.

M. LESAGE: Il y a moyen d'améliorer les réglementations aussi.

M. BOURASSA: L'impression qui se dégageait, cet après-midi, c'est qu'il y avait quand même une certaine tiédeur puisque le premier ministre concluait à la commission Gendron comme instrument principal d'action, il y avait quand même une certaine tiédeur vis-à-vis les mesures à prendre. Mais, ce que je veux lui dire, c'est que, dans trois ou quatre ans, il sera probablement trop tard. La poussée de la main-d'oeuvre, ce n'est pas en 1975 ou en 1976 qu'elle surviendra; la poussée de la main-d'oeuvre, nous la subissons aujourd'hui. Les 50,000 diplômés des CEGEP vont arriver sur le marché du travail cette année, l'an prochain, dans deux ans et dans trois ans. Et ce n'est pas en 1974 ou en 1975 ou encore en 1976 que le problème se posera avec acuité et urgence, c'est aujourd'hui qu'il faut faire face au problème.

Avec ces dizaines de milliers de diplômés qui sont formés en français et qui accèdent au marché du travail ces années-ci on peut quand même, aujourd'hui, comprendre l'inquiétude des étudiants, devant cette situation, devant les données que j'ai signalées tantôt et devant ce qui peut les attendre si le gouvernement ne considère pas qu'il y a un programme d'urgence pour lui à établir pour faire face à cette situation.

Va-t-on répéter au niveau de la langue ce qui arrive au niveau économique? Va-t-on répéter, au niveau de la question linguistique, la situation qui existe présentement au niveau économique, alors qu'on a investi des milliards dans l'éducation, sans investir assez dans le développement économique, ce qui fait que nous avons formé des compétences qui risquent de profiter à des provinces plus riches que nous, à même nos taxes, faute de débouchés au Québec? Il faut éviter que cette situation ne se répète également au niveau linguistique.

Le gouvernement m'apparaît d'autant plus blâmable de ne pas prendre des mesures immédiates à cet effet que la résistance est à son minimum dans la plus grande partie du monde des affaires. Tous ou à peu près tous admettent, sauf quelques extrémistes qu'on peut écarter ou balayer au besoin, qu'il est important d'avoir le français comme langue de travail.

Je peux référer le premier ministre, par exemple, à un article paru dans le journal La Gazette d'il y a quelques jours, sous la signature de l'éminent chroniqueur financier, M. John Meyer, qui signalait que nous devions prendre des mesures immédiates et qui demandait à la communauté anglophone de comprendre ce problème, de collaborer et de coopérer avec le gouvernement.

C'est clair que nous sommes en Amérique du Nord et que nous ne pouvons pas, comme le signalait tantôt le ministre de l'Industrie et du Commerce, imposer le français à tous les niveaux de communication. On peut, évidemment, faire une distinction entre ce qu'on peut appeler les communications horizontales et les communications verticales. Par exemple, dans le cas

des communications verticales, soit d'employeur à employés, il n'y a aucune raison pour que ça ne se fasse pas en français. Dans le cas des communications horizontales, c'est, évidemment, une question différente puisqu'il peut fort bien arriver que nous ayons à négocier avec des provinces étrangères ou des pays étrangers. C'est clair que, dans ce cas-là, nous ne pouvons pas imposer le français comme langue de travail.

Mais, ce qui met en relief encore davantage combien est injustifiée l'inaction du gouvernement, c'est que favoriser le français comme langue de travail non seulement contribue à résoudre un problème fondamental du Québec, à atténuer une inquiétude extrêmement vive des Québécois et des jeunes notamment, mais contribue également à l'accroissement de la productivité des entreprises.

On pourrait donner des exemples pour montrer que les entreprises se sont rendu compte qu'il était monétairement avantageux pour elles d'introduire le français comme langue de travail, parce qu'à la suite de cela, leurs employés étaient plus productifs en raison d'un meilleur climat. Alors, qu'est-ce qu'on attend pour agir? L'importance de cette question est évidente. Elles est encore plus évidente si nous constatons l'urbanisation croissante que nous connaissons actuellement au Québec. Le fait que, par exemple, en 1980, 80% de la population résidera dans les villes, ceci veut dire quoi? Ceci veut dire qu'il y aura de plus en plus de travailleurs au Québec qui vont travailler dans les grandes entreprises urbaines. Il est essentiel, plus essentiel que jamais étant donné ce contexte, de faire que le français soit la langue de travail. En effet, si nous ne le faisons pas — et c'est une autre raison — vous aurez de plus en plus de travailleurs du Québec qui travailleront dans un climat étranger et ceci affectera non seulement leur dignité personnelle, mais également leur productivité.

Le gouvernement, pour ces raisons, doit agir tout de suite, sinon sa responsabilité sera très lourde. Sous tous rapports, la question linguistique va au coeur du problème québécois, beaucoup plus que d'autres questions comme la question de structure politique. La question linguistique va véritablement au coeur du problème québécois.

Or, on ne nous présente, avec le bill 63, qu'un morceau de solution, il est vrai que les énoncés du projet de loi reprennent certains points d'une résolution adoptée par le Parti libéral. C'est ce qui explique pourquoi les députés libéraux vont voter en deuxième lecture pour le projet de loi.

Il demeure que la discussion en comité plénier, je l'espère, pourra nous apporter des éclaircissements sur plusieurs points.

M. le Président, parce que ce débat a trait à une priorité fondamentale au Québec, parce qu'il soulève une inquiétude légitime dans une bonne partie de la population, surtout en raison des omissions du bill, je suis, quant à moi, plus décidé que jamais à faire disparaître les causes de cette inquiétude. Je compte bien avoir des occasions bien concrètes de le faire prochainement.

M. THEORET: M. le Président...

M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président...

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable député de Papineau.

M. THEORET: M. le Président...

M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président, j'ai un petit papier de vous ici qui me donne la parole.

M. THEORET: ... on a telle ment parlé... DES VOIX: A l'ordre! A l'ordre! UNE VOIX: Le président a parlé, assis. M. Rolland Théoret

M. THEORET: M. le Président, depuis plus d'une semaine, on a tellement parlé du bill 63 qu'il me semble même hasardeux d'ajouter mes commentaires. D'autre part, j'aurais l'impression de trahir le mandat que m'ont confié les électeurs de Papineau si je n'établissais pas clairement ma position. Je veux aussi, par mon intervention, assurer le premier ministre et mes collègues de ma fidélité au principe accepté d'abord à l'unanimité par le conseil des ministres et ensuite par le caucus de notre parti.

Cette loi a pour but de clarifier une situation qui existe au Québec. Elle tend également à améliorer cette situation. Les adversaires du projet de loi que nous étudions oublient, ou font mine d'oublier, que le ministre de l'Education devra faire en sorte que les enfants de langue anglaise doivent acquérir une connaissance d'usage de la langue française. Je ne sache pas que, jamais, dans les textes de loi, on ait déjà obligé les anglophones du Québec

à subir des examens pour démontrer qu'ils possèdent une connaissance d'usage...

M. PINARD: A l'ordre! M. le Président, c'est évident que les députés n'ont plus de liberté dans cette Chambre. Regardez la meute qui est autour du député de Saint-Hyacinthe.

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): A l'ordre! A l'ordre!

M. LOUBIER: Ils ne sont pas autour du député de Saint-Hyacinthe, ils sont autour du député de...

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): A l'ordre! A l'ordre! L'honorable député de Papineau. ... Puis-je demander la collaboration de tous les honorables députés pour que je puisse, si c'est possible, comprendre ce qui se dit?

M. THEORET: M. le Président, Je vous remercie de me redonner la parole. J'espère qu'on voudra bien m'écouter religieusement, comme J'ai écouté les autres orateurs qui m'ont précédé. Pour enchaîner, je disais que je ne sache pas qu'au Québec on ait déjà adopté des textes de loi pour obliger les anglophones à subir des examens à tous les niveaux, que ce soit au primaire, au secondaire ou au collégial, dans la langue française.

Nous n'avons pas à nous le cacher, la langue française est bien malade au beau pays du Québec. On a demandé au gouvernement d'agir, il agit en présentant un premier projet de loi auquel le premier ministre et plusieurs de ses collègues, le ministre de l'Immigration, le ministre des Affaires culturelles ajouteront d'autres projets de loi. Je m'étonne que devant l'initiative du gouvernement certains parlent de précipitation en matière de langue.

Pour certains journalistes de la presse parlée ou écrite, — et je ne mets pas en doute leur bonne foi — quand nous réfléchissons et quand nous étudions une situation avant d'agir, nous pratiquons l'immobilisme. Quand nous prenons une décision, quand le gouvernement gouverne comme il doit le faire — c'est sa raison d'être — on l'accuse d'agir trop vite. Quoi qu'il en soit, je constate que le bill oblige les anglophones à apprendre le français pour réussir les examens du ministère de l'Education. C'est là un progrès certain sur la situation qui prévaut aujourd'hui.

Le bill accorde aux parents le choix de la langue dans laquelle les cours seront donnés à leurs enfants, mais il oblige les ministres de l'Education et de l'Immigration à prendre les dispositions nécessaires pour que les immigrants acquièrent la connaissance de la langue française.

Je crois que c'est la première fois que la majorité française du Québec s'affirme ainsi comme telle, dans un texte de loi. Cette obligation d'acquérir la connaissance d'usage de la langue française, de la langue de la majorité, est la plus légitime qui soit.

D'aucuns, M. le Président, trouvent un peu vague cette expression « connaissance d'usage », mais, s'il avait fallu élaborer dans un texte de loi, ce n'est pas une loi que nous aurions à discuter, mais tout un traité de la langue française. L'usage selon moi et, je pense bien, selon tous ceux qui m'écoutent en ce moment, c'est l'emploi d'une langue, française, anglaise ou autre, dans la vie courante, dans tous les domaines; au bureau, à l'usine, à la maison, au théâtre, bref dans tous nos rapports avec nos semblables.

Pour simplifier, M. le Président, je dirai que je crois posséder moi-même la connaissance d'usage de la langue anglaise. C'est ainsi que je peux me faire servir mes repas dans cette langue, je peux faire mon travail professionnel, je peux faire mes achats, je peux converser, en hésitant peut-être, dans la langue anglaise. J'ai donc, comme la plupart d'entre nous, la connaissance d'usage de la langue anglaise, au même niveau ou à peu près que l'on a demandé aux anglophones de connaître la langue française.

Je sais, M. le Président, qu'il y a toute une opposition orchestrée contre le droit des parents de choisir la langue dans laquelle les cours seront donnés. On semble oublier le contexte démographique dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons faire fi des droits des minorités; nous ne pouvons vivre en vase clos. Nous pouvons nous poser des questions mais nous ne pouvons nier la dualité québécoise dont a parlé le premier ministre dans son discours au Canadian Club, il y a à peu près un mois. Comment pourrions-nous nier à d'autres des droits et des privilèges que nous avons tellement réclamés depuis cent ans pour les francophones des autres provinces du Canada? Ceux qui craignent que des parents français envoient leurs enfants à l'école anglaise, ceux-là ne font-ils pas injure à l'ensemble de ces parents? N'est-ce pas les considérer, au départ, comme des traîtres à leur nation?

Pour ma part, Je refuse, M. le Président, d'injurier mes concitoyens de langue française. Tout au long des séances de la commission de l'Education sur le bill 85, je me rappelle que le ministre des Affaires culturelles posait toujours la même question, qui revenait comme une leit-

moviv. A ceux des francophones qui paraissaient les plus radicaux, le ministre des Affaires culturelles disait inlassablement: Voulez-vous que l'on fasse à la minorité anglaise du Québec le sort que l'on a fait à la minorité française des autres provinces du Canada?

M. le Président, je crois au « fairplay ». Je crois que nous devons accorder à la minorité de langue anglaise le traitement que nous désirons pour les francophones du reste du pays. Nous désirons que les francophones du reste du pays soient traités comme nous avons traité, depuis cent ans, les anglophones qui vivent ici, chez nous, au Québec.

Je crois qu'il vaut mieux pécher, si l'occasion se présente, par excès de générosité que par mesquinerie. Mais, M. le Président, pour être honnête, nous devons reconnaître que, dans tout le pays et de plus en plus, on fait des efforts véritables pour respecter le français. Certes, il y a encore des flots de résistance dans certaines provinces, surtout les plus éloignées, dans l'Ouest du Canada surtout, mais on doit admettre, M. le Président, qu'en Ontario, par exemple, on peut maintenant recevoir l'instruction en langue française, aux niveaux primaire, secondaire et collégial.

Je crois que le moment serait bien mal choisi pour que le Québec fasse marche arrière en 1969. J'ai le plus profond respect pour ceux qui ont des opinions contraires aux nôtres, qu'ils soient indépendantistes, ultranationalistes, séparatistes ou autres. Mais, j'ai la ferme conviction que personne n'a le droit d'inciter nos concitoyens à la désobéissance civile sous quelque forme que ce soit. Je n'ai pas la moindre objection aux manifestations pourvu qu'elles se déroulent dans l'ordre, pourvu qu'elles ne dégénèrent pas en émeute et J'ajouterai pourvu qu'on ne crée pas ces manifestations en comptant des histoires aux enfants de nos CEGEP et de nos écoles secondaires. J'aimerais que les manifestants lisent d'abord le projet de loi que nous étudions. J'aimerais bien qu'ils sachent pourquoi, contre quoi, en faveur de quoi ils manifestent.

Dernièrement, deux de mes amis me racontaient l'anecdote suivante. Alors qu'ils se promenaient dans la rue Saint-Jean, Québec, on leur a remis un feuillet de convocation pour une assemblée qui devait avoir lieu au Centre Durocher. Deux charmantes jeunes filles leur ont remis ce feuillet leur demandant de se rendre au centre Durocher pour protester contre le bill 63. Ces deux amis qui ont reçu ce feuillet ont fait mine de ne pas connaître du tout le bill 63. Ils ont demandé à ces aimables jeunes filles de quoi il s'agissait. Et, comme beaucoup d'autres qui protestent actuellement par milliers dans les rues du Québec, elles ne savaient pas ce qu'il y avait dans ce bill.

Sauf erreur, l'un des tenants de toutes ces manifestations, l'honorable député de Laurier, a déjà approuvé les bills intitulés: Loi du ministère de l'Education, au chapitre 233 des Statuts refondus de Québec, 1964, et la Loi du Conseil supérieur de l'éducation, au chapitre 234 des mêmes statuts. Ces deux lois ont été adoptées par l'administration qui nous a précédés, le 13 mai 1964. Il était notamment dit dans le préambule de ces deux lois, que je cite en partie : « Attendu que les parents ont le droit de choisir les institutions qui assurent le mieux le respect des droits de leurs enfants ». « Qui assurent le mieux le respect des droits de leurs enfants ». Ainsi donc, en 1964 le député de Laurier, alors ministre du gouvernement précédent, acceptait de respecter les convictions des parents pour assurer le mieux le respect des droits de leurs enfants. Ce même député aurait-il changé d'idée en 1969? Il s'agissait en 1964 de l'ensemble des convictions globales des parents, du choix de la confessionnalité, du choix de la langue, du choix des écoles. Le bill 63, que nous présentons aujourd'hui devant cette Assemblée nationale, me paraît le complément direct et nécessaire des bills créant le ministère de l'Education et le Conseil supérieur de l'éducation. C'est mon impression et c'est également ma conviction que le présent bill glorifie et ajoute aux intentions du préambule des lois qui ont créé les deux ministères dont je viens de parler.

Au nom de mes électeurs du comté de Papineau, j'appuie ce projet de loi parce qu'il est conforme à la politique de notre parti, du parti auquel j'ai librement adhéré. Cette politique fut établie, quant à la langue, dans le programme de 1966 de l'Union Nationale au chapitre intitulé: « La nation et l'Etat ». A la fin de ce chapitre, on pouvait lire: « Donnons au français le statut d'une langue nationale. L'Union Nationale reconnaît l'existence des deux langues officielles ». C'était textuellement dit dans le programme de l'Union Nationale. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai adhéré à ce parti, une des raisons pour lesquelles j'ai voulu me présenter dans ce parti et c'est une des raisons pour lesquelles je représente un comté où nous avons les deux ethnies qui vivent en harmonie l'une avec l'autre.

Le programme continuait: « Toutefois, au Québec, il s'agit de mettre en valeur un héritage culturel dans des conditions particulièrement difficiles, il faut donc conférer au français, langue de la majorité de la population, le rang et le prestige d'une véritable langue nationale. »

M. le Président, il s'agit là du programme de notre parti, adopté en congrès plénier avant les élections de 1966, accepté et défendu par tous et chacun des candidats de l'Union Nationale à cette même élection. Je me considère lié par ce programme, et je considère que le bill 63 que nous discutons en ce moment est conforme et fait suite à ce programme.

D'ailleurs, les idées nationalistes de l'Union Nationale sont bien connues. A qui pourrait-on faire croire qu'un gouvernement de l'Union Nationale, — d'ailleurs je veux m'élever au-dessus de toute considération partisane — en 1969, pourrait légiférer en matière de langue contre les siens? Cette seule idée n'est-elle pas ridicule à sa face même? Je défendrai au besoin ce bill dans mon comté et partout au Québec. D'ailleurs, je suis persuadé que la population de chez-nous approuve ma conduite. J'ai reçu, depuis une semaine, des téléphones, des télégrammes et des lettres; dans 95% de ces communications qui m'étaient adressées, on me demandait de me tenir debout, on me demandait de défendre le principe du bill 63, on me demandait de défendre ce droit sacré qu'ont les parents de choisir la langue d'éducation de leurs enfants.

M. le Président, j'ai toujours pensé que mes citoyens avaient des droits aussi bien que des devoirs. C'est pourquoi, en fin de semaine, j'ai consulté presque tous les secteurs de la société du comté de Papineau, tant anglophones que francophones. Après ces consultations, j'en suis venu à la conclusion que la très grande majorité des électeurs de Papineau acceptent le principe du bill qui, tout en respectant les droits sacrés des parents, reconnaît à la langue française le statut de la langue nationale du Québec.

M. DEMERS: M. le Président,...

M. TREMBLAY (Montmorency): M. le Président,...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je dois vous dire que j'ai dû, vu le grand nombre d'orateurs, demander à plusieurs députés de me faire connaître leur intention. Je dois dire que l'honorable député de Montmorency s'est levé, depuis une heure, à plusieurs reprises. Je crois de mon devoir de lui donner la parole.

M. Gaston Tremblay

M. TREMBLAY (Montmorency): Merci, M. le Président. M. le Président, je voudrais exprimer ma très grande surprise devant la précipitation qu'on a voulu mettre à discuter la deuxième lecture du bill 63.

Le caractère pleinement démocratique que l'on désire en cette province devrait aussi exister en cette Assemblée. Cette loi très importante mérite que l'on s'applique à en étudier toutes les implications futures et nécessite que l'on en prévoie les modalités d'application.

Des centaines d'associations, dans toutes les parties du Québec, étudient la portée de ce bill 63 qui reste vague dans sa philosophie et dans ses modalités. Le peuple du Québec, à cause du peu de temps qu'on lui accorde pour l'analyse et l'étude redoute avec raison les dangers trop évidents et y pressent aussi de subtiles manoeuvres conséquentes à l'équivoque même du bill 63. La présentation de cette loi est antidémocratique et antiquébécoise.

DES VOIX: Quoi? Quoi?

M. TREMBLAY (Montmorency): Le gouvernement voulait faire adopter en quelques heures une loi dont tous craignent la dangereuse imprécision et qui amènera plus de problèmes qu'il n'en existe présentement. Des centaines d'associations s'opposent I l'adoption d'une loi qui ne satisfait personne. Tout au moins, on désirerait y voir apporter des amendements importants. Mais le gouvernement refuse. Le gouvernement a peur de fournir des explications. Que cache-t-il?

UNE VOIX: Des tableaux de Léo Tremblay.

M. TREMBLAY (Montmorency): Verrons-nous se répéter la même trahison que nous avons connue dans l'aspect confessionnel des lois de l'éducation? Pourtant, cet aspect confessionnel que le peuple désirait jalousement conserver, on en a fait disparaître toute garantie juridique par des lois aussi perfides que le bill 63.

UNE VOIX: Antinationaliste!

M. TREMBLAY (Montmorency): Les associations ont raison de s'interroger...

M. LAFONTAINE: Léo Tremblay a déjà dit ça.

M. TREMBLAY (Montmorency): ... elles ont raison de douter. Elles ont raison de chercher des explications qu'elles ne reçoivent pas. En refusant au peuple des éclaircissements, le gouvernement actuel écrit, aujourd'hui, à mon avis, la page la plus noire de l'histoire du Québec. Il écrit de sa propre main sa propre condamnation.

UNE VOIX: Ah, que c'est beau!

M. BERGERON: Démissionnez, puis on va aller vous battre dans votre comté.

M. TREMBLAY (Montmorency): Sa préoccupation a été strictement électorale pour le bill 85. La commission Gendron n'a été qu'un paravant. Ce bill 63 est un désastre. Quels arrangements le gouvernement a-t-il pris? Envers qui et pourquoi? Autant de questions que le peuple se pose. Derrière le rideau de la scène parlementaire, y a-t-il des puissances occultes qui font danser le gouvernement en cette heure critique...

UNE VOIX: Léo Tremblay! Des fantômes! M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Montmorency): ... et qui l'ont mené à voter une loi dont plusieurs de ses députés ne veulent pas?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! L'honorable ministre de la Justice, sur un point d'ordre.

M. PAUL: Je comprends que l'honorable député est intéressé à tracer un tableau plutôt violent... Un instant. Mais, en vertu des dispositions de l'article 285, dix-neuvièmement, il n'a pas le droit de prêter — regardez votre règlement, c'est la première fois que vous allez l'ouvrir — des intentions au gouvernement.

M. BERGERON: C'est votre ancien parti à part cela.

Ce n'est pas celui de Léo Tremblay.

M. TREMBLAY (Montmorency): Je tiens à ce que l'on sache que pour ma part, je m'insurge de toutes mes forces contre ce que je considère comme un viol de la démocratie.

M. ALLARD: Un vol de tableaux, un viol de la démocratie.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. TREMBLAY (Montmorency): Les députés du Québec ont-ils réellement la liberté de s'exprimer honnêtement en cette Chambre? Je me le demande, M. le Président...

UNE VOIX: C'est ce que disait Léo Tremblay.

M. TREMBLAY (Montmorency): Je ne le crois pas. On les force à désavouer leurs plus profondes convictions. Cette loi devient un véritable coup de force contre la conscience du peuple, rédigée par on ne sait qui; présentée malgré lui par le ministre de l'Education, elle restera un acte de dictature infâme pour la population.

M. PAUL: M. le Président, un point d'ordre. Je voudrais bien que l'honorable député n'emprunte pas les images d'un politicien reconnu et qui évolue dans une autre législation. J'aimerais que l'honorable député se serve d'expressions parlementaires. Il a été, jusqu'à récemment et probablement jusqu'à aujourd'hui, reconnu comme un homme calme, pondéré, courtois et il serait regrettable qu'il s'attaque, de façon aussi violente qu'il vient de le faire, à l'honorable ministre de l'Education.

M. TREMBLAY (Montmorency): Dans les circonstances, Je crois pouvoir difficilement m'y adapter, M. le ministre de la Justice.

UNE VOIX: Pardon.

M. TREMBLAY (Montmorency): Si vous voulez me laisser parler, s'il vous plaît. Le geste posé dans le bill 63 nous prouve une fois de plus que nous avons raison de mettre en doute et la sincérité et la compétence du gouvernement.

N'avez-vous pas promis que le bill 63, au moment de la deuxième lecture, serait étudié devant le comité selon les procédures normales de l'Assemblée nationale? Où en sommes-nous? Que valent ces promesses?

Par ailleurs, le ministre de l'Education n'a-t-il pas exprimé, dernièrement, qu'il était favorable à ce qu'un problème aussi grave, intéressant de près toute la nation québécoise, soit soumis à différents corps publics capables de nous éclairer et de projeter des points de vue essentiels? N'a-t-il pas parlé, même, d'un projet de référendum?

Maintenant, vous devancez votre programme, ou plutôt, vous mettez la hache dans vos décisions antérieures, vous ignorez les droits élémentaires du peuple de se faire entendre. Vous refusez même de recevoir à votre bureau des éléments responsables et compétents à une heure aussi grave de notre histoire. Vous précipitez les procédures...

UNE VOIX: Avec Léo Tremblay.

M. TREMBLAY (Montmorency): ... parlementaires pour faire passer en vitesse cette loi déjà rejetée par le peuple et consacrez

ainsi l'Insulte que vous faites à la démocratie. Telle qu'elle est conçue dans ses conséquences pratiques, à longue échéance, cette loi est un acte de vente de la nation canadienne française à des comptoirs étrangers à nos véritables intérêts.

Messieurs du gouvernement, vous vous serez illustrés surtout de deux manières avant de déposer la charge que vous portez actuellement. Vous pourrez vous vanter d'avoir contribué à trahir notre peuple dans sa foi en créant un climat de neutralité au ministère de l'Education et dans nos écoles. Vous pourrez aussi vous vanter d'avoir...

M. LE PRESIDENT: À l'ordre!

La dernière phrase que j'ai réussi à comprendre, non sans difficulté, est complètement en dehors du sujet.

M. TREMBLAY (Montmorency): Aussi longtemps que...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Je pense qu'on comprendra que je peux jouer difficilement le rôle qui m'est dévolu si on ne me permet pas d'entendre l'honorable député de Montmorency.

M. TREMBLAY (Montmorency): Aussi longtemps que nous n'aurons pas un gouvernement, M. le Président, qui travaillera pour le peuple d'abord...

DES VOIX: Plus fort.

M. TREMBLAY (Montmorency): ... et non pour des fins électorales, nous ne pourrons pas nous attendre à autre chose qu'à cet odieux stratagème que vous dressez en pleine Chambre aujourd'hui à la face de l'histoire de la nation québécoise qui vous jugera à son heure.

M. LOUBIER: J'ai entendu ça à la télévision, 29e émission.

M. TREMBLAY (Montmorency): Les manifestations générales auxquelles nous assistons depuis quelques jours, qui s'accentuent de plus en plus et que le gouvernement ne prend pas au sérieux, le gouvernement devrait faire de ces deux choses l'une : premièrement, ou retirer le bill 63; deuxièmement, ou demander l'avis du peuple par des élections générales.

M. LOUBIER: On n'est pas capable de jouer sur plusieurs tableaux, nous autres.

M. TREMBLAY (Montmorency): Jamais dans l'histoire du Québec, M. le Président, on a vu, dans des heures aussi graves, autant d'associations, déjà au-delà de 120 associations représentant tous les milieux, toutes les conditions, tous les âges, toutes les classes de la population, parmi les plus saines, les plus représentatives et les plus désintéressées de notre milieu québécois.

Il faut voir là un redressement populaire collectif vis-à-vis un Parlement dominé par une ploutocratie qui dirige librement en coulisse. Le peuple a raison d'être angoissé sur son avenir et de réclamer une réelle et effective priorité de sa langue dans sa propre maison, en d'autres mots, d'être maître chez lui, tout en respectant, bien entendu, selon une saine démocratie, les droits de la minorité.

Je voterai contre ce bill qui ne donne aucune garantie à aucun groupe linguistique et qui n'exprime que l'équivoque.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Maurice.

M. DEMERS: M. le Président, je voudrais demander l'ajournement du débat.

DES VOIX: Vote! Vote!

M. PAUL: M. le Président, avant de proposer l'ajournement de la Chambre, je voudrais donner le programme de travail pour demain. En premier lieu, nous demanderons la formation du comité des subsides pour étudier les crédits supplémentaires du ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche ainsi que ceux du ministère des Travaux publics.

L'honorable ministre de l'Education doit se rendre, demain, à la conférence annuelle du comité supérieur de l'éducation; c'est pourquoi nous ne pourrons pas entreprendre l'étude des crédits du ministère de l'Education. Par la suite, nous pourrions nous former de nouveau en comité plénier pour l'étude du bill 24, soit l'article 3, Loi des heures d'affaires des établissements commerciaux. La Chambre pourrait se réunir demain matin à dix heures trente.

M. LESAGE: M. le Président, pourrais-je suggérer au ministre de la Justice de commencer l'étude des crédits par ceux du ministère des Institutions financières?

M. PAUL: Très bien.

M. LESAGE: Alors, il y a les Institutions financières, les Travaux publics.

M. PAUL: Tourisme, Chasse et Pêche. M. LESAGE: Tourisme, Chasse et Pêche.

M. PAUL: L'Education, mais cela sera en réservé aussi...

M. LESAGE: Nous ajournerons à midi et trente?

M. LAPORTE: On décidera cela demain? M. PAUL: A midi et trente.

M. LAPORTE: Je voudrais être libre pour le grand « party ».

M. LE PRESIDENT: La Chambre s'ajourne à dix heures trente, demain matin.

(Fin de la séance; 21 h 57)

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