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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le jeudi 20 novembre 1969 - Vol. 8 N° 87

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures deux minutes)

M. LEBEL (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre, messieurs!

Présentation de pétitions. Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus.

L'honorable député de Mégantic.

Commission permanente de l'administration de la justice (1er rapport)

M. BERGERON: M. le Président, la commission permanente de l'administration de la justice a l'honneur de soumettre à votre honorable Chambre son premier rapport.

Votre commission a décidé de rapporter avec des modifications le bill suivant: Bill no 10, Loi concernant les régimes matrimoniaux.

Votre commission a étudié ledit projet de loi en conformité avec le mandat confié par la Chambre le 28 mars 1969. Onze réunions publiques ont été tenues soit les 21 mai, 4 et 11 juin, 13 et 28 août, 17 et 25 septembre, 15 et 29 octobre, 12 et 19 novembre 1969. Plusieurs organismes et particuliers dont la liste est dressée en annexe (voir annexe) ont donné leur avis et présenté leurs observations et commentaires sur le projet de loi en question. Le document de travail produit par l'Office de revision du code civil a fait l'objet d'une étude approfondie au sein de la commission.

Après délibération, votre commission suggère à votre honorable Chambre que les modifications contenues et reproduites au journal des Débats soient apportées au présent projet de loi dont la commission demande la réimpression. Votre président dépose également les exemplaires du journal des Débats, fascicules nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 où paraît le compte rendu des délibérations des séances susmentionnées.

M. LE PRESIDENT: Ce rapport sera-t-il adopté?

M. LESAGE: Je vois une certaine difficulté à adopter le rapport, étant donné qu'un des paragraphes du rapport se lit comme suit: « Après délibération, votre commission suggère à votre honorable Chambre que les modifications contenues et reproduites au journal des Débats soient apportées au présent projet de loi dont la commission demande la réimpression. La réimpression, d'accord, mais de là à dire que nous acceptons d'emblée... Nous pouvons recevoir, mais non les adopter.

M. BERTRAND: En comité.

M. LESAGE: Je suis bien disposé à accepter le rapport de la commission sous réserve des droits de la Chambre, et tels que je viens de les exprimer, les droits de la Chambre et du comité plénier.

M. BERTRAND: En comité plénier, nous verrons quels sont les amendements qui peuvent être apportés.

M. LESAGE: C'est dangereux d'accepter des rapports comme ça.

M. LE PRESIDENT:

Présentation de bills privés. Présentation de bills publics. Affaires du jour.

L'honorable député de Gatineau.

Questions et réponses

M. FOURNIER: M. le Président, ma question s'adresse à l'honorable ministre de la Voirie relativement à la visite qu'il a eue hier, et qui a duré une heure, avec le président de la Commission de la capitale nationale, M. Fullerton. Est-ce que le ministre a des déclarations à faire relativement aux routes que nous attendons depuis dix ans dans la région?

M. LAFONTAINE: Donc, 1969 moins 10 ans, cela donne 1959! M. le Président, j'ai reçu M. Fullerton qui voulait tout simplement me rencontrer. Ce n'était pas hier, c'était avant-hier. L'entrevue a été extrêmement cordiale, longue, mais il n'en est rien sorti comme objectifs intéressants.

M. FOURNIER: Question supplémentaire. Est-ce qu'il existe encore des difficultés relativement à l'Hydro-Québec et son territoire pour les ponts qui doivent traverser la rivière Outaouais?

M. LAFONTAINE: Disons que si le député veut venir me rencontrer au bureau... Vu qu'il est député de la région, je n'ai aucune objection à lui montrer tous les plans que nous avons, lui montrer la marche des travaux. Il n'y a rien à cacher là-dedans. Nous avons fait d'énormes progrès dans l'alignement de la route numéro 8 dans les limites de la ville de Hull.

M. FOURNIER: Question supplémentaire. Etant donné les différentes déclarations faites

depuis un certain nombre d'années dans la région, c'est la raison pour laquelle je m'adresse à cette Chambre, de façon que soit consigné au journal des Débats...

M. LAFONTAINE: M. le Président, le député de Gatineau admettra avec moi que je n'ai jamais fait de déclaration relativement à la capitale nationale, malgré que j'aie eu dans le passé certaines rencontres avec M. McIlraith. Nous nous sommes entendus, M. Mcllraith et celui qui vous parle, pour ne faire aucune déclaration publique.

M. FOURNIER: Ce serait peut-être le temps d'en faire.

M. LAFONTAINE: Pardon?

M. FOURNIER: Ce serait peut-être le temps d'en faire.

M. LAFONTAINE : Bien, disons que si le gouvernement du Québec était prêt en 1967, les plans du pont sur la rivière Gatineau étaient prêts, nous étions prêts à procéder, à faire les soumissions publiques, et à ce moment-là, le gouvernement fédéral a dit: Vous ne passerez pas sur notre territoire.

M. FOURNIER: M. le Président, je dois ajouter que...

(Le président est debout) M. BERTRAND: Article 3.

Bill 63 Troisième lecture

M. LE PRESIDENT: Reprise du débat sur la motion de l'honorable ministre de l'Education proposant que le bill 63 soit lu une troisième fois.

L'honorable député de Bourget.

M. Paul-Emile Sauvageau

M. SAUVAGEAU: M. le Président, en ma qualité de représentant d'une circonscription de l'île de Montréal, j'aurais quelques observations à faire sur le bill présentement devant cette Chambre.

Il est certain que cette mesure prend, à Montréal et dans sa région, une importance capitale par suite des résultats bénéfiques qu'il est facile de prévoir pour toute notre population.

Le bill 63 m'apparaît tout d'abord empreint d'un esprit de Justice, de bon sens et de grand réalisme. Esprit de justice, c'est-à-dire mesure d'équité pour la communauté de langue française du Québec. Pour la première fois dans les lois de notre province, on reconnaît la primauté de la langue française dans toute l'étendue de notre territoire. Ce qui signifie que 80% des Québécois pourront bénéficier sans conteste d'un enseignement général en français. Quant à la minorité à qui l'on enseigne notre langue tant bien que mal et souvent selon ses propres désirs, elle devra désormais accorder au français toute la place qui lui revient au Québec.

En vertu du bill, il n'existe plus dans le Québec aucune école unilingue anglaise. Les programmas de ces écoles devront désormais contenir des dispositions assurant à tous les élèves anglophones, à partir de l'élémentaire, une connaissance d'usage de la langue française. Dans ce domaine, les institutions de langue anglaise n'auront plus discrétion. Il appartiendra au ministère de l'Education de voir à ce que ce principe soit respecté dans les cours et dans les examens.

C'est ce qui s'appelle établir la primauté du français comme mesure de justice envers la majorité, tout en respectant le droit de la minorité à l'école de son choix.

Le bill 63 n'est pas une sorte de compromis. Au contraire, pour la première fois au Québec, on inaugure une politique dynamique et généralisée du français dont toutes les conséquences, à court terme comme à long terme découlent des intentions du législateur.

Dans un avenir rapproché, à Montréal et dans sa région, le citoyen d'origine française pourra s'adresser dans sa propre langue, dans tous les domaines de la vie quotidienne et sera certain de se faire comprendre.

Ceci veut dire également que le citoyen de langue anglaise, au sortir de l'école, aura une connaissance suffisante du français qui lui permettra de s'associer et de s'intégrer pleinement à la communauté de langue française.

D'autre part, une mesure visant à l'unilinguisme, dans le contexte actuel de l'Amérique du Nord où vivent quelque 200 millions de personnes d'origine anglo-saxonne, eût été une mesure inacceptable, tant pour la population d'expression française que pour la population d'expression anglaise. Nous sommes entourés par des centaines de millions d'individus dont le seul véhicule d'expression est la langue anglaise. Nous, citoyens du Québec, avons, surtout dans la région de Montréal, des rapports presque quotidiens avec ce vaste ensemble anglo-saxon. Il serait superflu de démontrer ici les

liens économiques et sociaux qui nous unissent étroitement aux autres provinces du Canada et aux Etats-Unis. Qu'il me suffise de dire que la population de langue française du Ouébec serait dans une position d'infériorité pratique s'il fallait écarter pour elle les possibilités d'apprendre la langue anglaise.

Je pourrais citer comme exemple le cas d'une employée de Bell Canada. Peut-on concevoir une téléphoniste recevant à Montréal un appel d'une autre province ou des Etats-Unis alors qu'elle ne pourrait le comprendre ou y répondre? Cela signifierait que nous fermerions automatiquement la porte à une foule d'emplois où la langue anglaise est nécessaire. Cela signifierait également que nous nous isolerions du monde où nous vivons.

Il est juste et raisonnable qu'à l'intérieur de notre territoire l'on puisse s'adresser en français et être compris. C'est à cela que vise le bill 63, si on a la bonne foi de bien l'étudier et de bien considérer toutes ses dispositions.

On dit avec raison que ce bill pose la première étape d'une politique nationale; d'autres étapes, qui découlent des dispositions mêmes de ce bill, seront posées dans l'avenir, à mesure que les circonstances le permettront. L'unilinguis-me intégral aurait donc été, dans les circonstances, une mesure injuste et inopérante pour toute notre population et certainement contraire aux principes élémentaires de la liberté et du bon sens.

Le gouvernement de l'Union Nationale a donc pris ses responsabilités et il demande aujourd'hui à l'Assemblée nationale, souveraine dans ce domaine et seul corps vraiment représentatif de toute la population, d'approuver cette mesure. Nous devons le faire sans hésiter. Nous respectons les citoyens de bonne foi qui peuvent avoir des points de vue différents sur cette question. Ils ont droit de les faire valoir d'une façon démocratique. Nous respectons également les points de vue des groupements, mais pour autant qu'ils représentent vraiment la population et les véritables intérêts de la population. Par contre, nous nous élevons contre ceux qui prétendent que les membres de cette Chambre n'ont pas le droit d'adopter le bill présentement devant nous.

Lorsqu'ils affirment que le recours aux élections n'est pas un moyen valable et qu'il faut désormais employer d'autres méthodes pour imposer ses vues, je dis que c'est en somme faire appel à la révolte.

Alors, que devient-il de la démocratie si chère aux contestataires puisque la base de la démocratie est justement le droit de liberté, mais d'une liberté bien comprise?

Ils prétendent également n'avoir pas les moyens de se soumettre au verdict de l'électorat, face aux partis représentés dans cette Chambre. Pourtant ils font partie d'un groupement de contestataires qui, depuis quatre à cinq ans, poursuivent une campagne d'endoctrinement qui aurait coûté des millions de dollars à d'autres groupes si ces derniers s'étaient avisés de marcher sur leurs traces. J'ajoute que cet argument ne tient plus depuis que la majeure partie des dépenses électorales sont remboursables par la province.

Ce ne sont donc pas, pour ce groupe-là, les moyens qui manquent de se présenter devant l'électorat. C'est plutôt qu'ils constatent d'eux-mêmes le peu d'appui qu'en réalité ils ont dans la population.

La vigilance, c'est le prix de la liberté et cette liberté, c'est aujourd'hui l'Assemblée nationale représentant le peuple qui en est la dépositaire. Nous sommes conscients d'accomplir une action de portée nationale, et c'est pourquoi cette Chambre doit prendre seule toutes ses responsabilités.

Quant aux adversaires de la mesure, ils pourront toujours, un jour ou l'autre, faire changer la loi. Mais qu'ils aient d'abord le courage de se présenter devant l'électorat.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Sainte-Anne.

M. HANLEY: J'avais un petit discours écrit sur un papier et quelqu'un me l'a volé.

M. BERTRAND: On vous a volé votre discours?

M. HANLEY: Oui.

M. BERTRAND: Est-ce que le député de Sainte-Anne a rapporté ça au ministre de la Justice?

M. HANLEY: Non, je veux donner une chance aux journalistes avant. Est-ce que les journalistes font le tour de la Chambre après les assemblées?

M. BERTRAND: Non. Avez-vous laissé traîner votre discours dans votre pupitre?

M. HANLEY: Ah, je l'ai ici, dans ma tête. M.BERTRAND: Ah, il n'est pas volé.

UNE VOIX: Vous l'avez envoyé à l'impression?

M. BERTRAND: Ah oui, vous l'avez envoyé à l'impression.

M. Frank Hanley

M. HANLEY: Premièrement, M. le Président, ça fait longtemps dans cette Chambre, trois semaines, que personne n'a dit un mot en anglais. En anglais, ça fait trois semaines, depuis l'étude du bill 63.

MR. BLANK: I spoke in English.

M. HANLEY: C'était avant la deuxième lecture. M. le Président, aujourd'hui, en quelques minutes, pas plus de 55 ou 60 minutes, je veux exprimer mes points de vue en anglais et j'espère — les journalistes, avez-vous un petit bouton pour la cloche? Voulez-vous sonner votre bouton pour faire descendre tous les journalistes devant moi?

M. le Président, je pense que les journalistes doivent m'accorder la même courtoisie qu'ils ont accordée à quelques autres députés ici. Avez-vous une cloche? Sonnez la cloche. J'ai quelque chose à dire.

Mr. President, I am born 61 years ago in this province. After listening to the attacks upon the English inside the House and outside, I feel like a foreigner in my own home. I feel very uneasy within the walls of our National Assembly and I cannot understand for what reason there should be such attacks against the English people by francophones concerning bill 63.

In Montreal for a week now, I have had calls to my two offices and at my home from the English people asking me why I did not take a stand and give some leadership to the English people concerning bill 63. I said: for your information — and they also called the Montreal Star — I had a prepared text. I printed 50 copies and I sent 40 copies to the Press Gallery. And if not a line was published then you had better challenged the newspaper.

But, it is very embarrassing when you take a stand and when not a single line is published to the public when the representatives of the public, the newspaper men, should write what has been discussed in Parliament and not slant their own views editorials.

I am not now challenging the press, I am just enlightening them as to what the subscribers of the Star, and the Gazette, and La Presse and all other papers expect of the representatives of the public in all Parliaments and municipal councils. I cannot control just what news the managing editor or the city editor of any newspaper will publish. But, I do know this;

For 20 years until a couple years ago, every time a Member of Parliament spoke in answer to the throne speech from every county, in French or English, he had his opinion published in the local paper whether it be French of English.

This apparently has disappeared and I question the managing editor of the Montreal Star and other newspapers as to why they are only giving headlines to two Members of this Assembly.

MR. PRESIDENT: I am sorry, but the remarks of the Honourable Member for St.Ann are not in connection with the principle of the bill, and I cannot permit those remarks now.

MR. HANLEY: We have good relations and I am going to say a good word about our relations after my survey, and maybe my remarks will make the journalists very happy. Now, I was discussing bill 63. On bill 63 I have been approached by my electors as to why I did not express an opinion.

The reason I brought the subject up is the French language, Mr. President, is stronger today than it has been for fifty years and I defy any Member of this Assembly or any citizen of this province to prove to me that the French language is not stronger today than in 1919, 1929, 1939, 1949, and the French language will always be strong. The French culture will always be strong because the English are interested In maintaining French as a priority language within the Province of Quebec.

The English are interested in French culture and when we are attacked because we do not understand the French problem, we can answer that we possibly understand the French problem more than a lot of French-speaking Quebecers.

Mr. President, as an example of the good faith of the English, before bill 63 was presented I had a discussion with the principal of Ecole Saint-Jean in Ste.Ann, a predominately French school we agreed to an experience. In September, I had the parents register 40 English-speaking children five years of age to be integrated with 120 French children, in four classes, in a predominately French school. Is that not showing goodwill by the English-speaking minority?

When you are arguing that the working language should be French, what I cannot understand is this.

My French-speaking people, first of all, have given me instructions that they want work first and language after. What good is the French language if you have not got work? And how come that, for 30 years, every time I had a request

for a letter of recommendation by a French speaking Montrealer, he or she has requested a letter to work for an English speaking industry. Why? I listened with great interest to the Member for St. Jean when he stated that he worked for General Dynamics and the working language in General Dynamics was English. Why did he not go and apply for a job with a French firm if he was not satisfied with the working conditions in General Dynamics? I can tell you why, but I am getting off the line of Bill 63.

Now, I am going to make 80% of the representatives of the press rather happy today because I believe 80% of the members representing the press are separatists. I am going to make them very happy of Bill 63 and on French as the priority language. After having my friends salesmen and others, travelling throughout the Province make a survey throughout the Province,

I would predict that within 5 to 9 years, the Province of Quebec will separate and become independent. Now, let me say this is good news to many many members of the press. So, if you are just patient for 5 to 9 years, there is a possibility that you will have a 100% French language and the English language will disappear. And this is my prediction.

The problem is: Who will lead the separatist movement in Government in 5 or 9 years? It depends upon the future of Quebec. Speaking again on the priority language in a separate Quebec, it will be all French.

I think I am justified in warning the French people that if they want an all French language in an independent and separate Quebec, they have got to pay the price. They have got to expect a decreased economy. They have got to accept that British Columbia may join another union. They have got to accept that the Atlantic provinces may join another union. And they may be faced with a critical problem concerning economy.

In my opinion this is the price that they will pay for a completely French language State.

II will go on with the majority of Quebecers if they want to separate and become independent. We are making every effort we can, as an English speaking people, to learn the French language.

It is not easy, but it is sad because of the study of this bill 63. It has lead to a disunited front in the county of St. Ann, demonstrations against bill 63, seven-year-old carrying sticks and placards in front of the schools of English-speaking children; seven years old English-speaking children, their friends, were not aware of what they were demonstrating for and, the seven-year-old outside were not aware of what they were demonstrating for or against. This is sad. After 40 years that I have worked to unite our people of St. Ann, there is a separation. It started with the seven-year-old, and it has reached the golden agers.

On the 1st of December, in the county of St. Ann, there is local going to open for golden agers, French only. I repeat it started with the seven-year-old and now it is the senior citizens. There is all of my work, after 40 years, demolished, because of the tactics pursued by certain irresponsible elements outside of this Parliament, organizing innocent children to demonstrate against their friends, when, as I repeat, we the English speaking people cooperated in every way with the majority of people, we cooperated in every way to become part of the Quebec society. Now I am rather discouraged, I do not know how many years it will take to repair the damages because of certain accusations and attacks on the English speaking concerning bill 63.

I must say, Mr. President, that it is time that the silent English-speaking majority a-waken. We are going to fight for our rights in this Province and we are going to fight against any individual or any political party who will attempt to destroy the English and remove our rights from us. I predict that the good, solid French-thinking citizen will join us, the English minority, in the fight for our rights.

The first fight will be with the Press. I remember when the members representing certain newspapers, again on language, in 1963, disagreed with their superiors, with the owners of the papers. They demonstrated outside the paper, I joined the French-speaking reporters of the newspaper La Presse in support of their demands as an Englishman.

Another proof of our co-operation, our sincerity, our endeavours to be proud of the French element: I joined the French-speaking of CBC when they demonstrated and they striked against their organization, as an English man. I have worked with French people, for $0.08 an hour and my welfare check building the boulevard Taschereau back in the 30's, I have always been associated with French-speaking people. Thirty years later, I am not going to stand and let any group, any political party, any organization take away that unity that existed for forty years, between the French and English in Montreal.

And it is time, if they are curious yellow, the English-speaking wheelers and dealers, it is time that they stood up and they were counted. I offered my services on bill 63 to go before English-speaking groups. I said that if they do not do more for the poor and the underprivileged in

which we have 90% French-speaking people within the category that they can help, that they will loose their identity in Quebec, that Quebec will separate.

My colleague from Robert-Baldwin also is leading a movement to try to have the French people understand the English mentality. We are not going to allow a boisterous, noisy minority influence the majority of French speaking Que-becers against the English. I would say in all sincerity, from now on, regardless of your political party, your political affiliations, your desire for a political future, your only live once, you pass through this life; why organize to destroy during this life when you could be organizing for a united front in Quebec? And I will tell you something on Bill 63, and the language rights: The people suffering because of this bill 63 is the little French merchant, is the French labour, the French working man because the economy of our provin-ce has never been as bad, in the last thirty years.

I predicted, in may 1968, that the next twelve months will be bad and I predict today that the next twelve months won't be any better. Why? Because a certain element of French speaking organizations creating an economic problem within our province that is affecting their own people.

They are going to suffer. The French business man, the small merchants and don't tell me that certain members of the French élite have not moved their money out of Quebec.

Do not tell me, on bill 63, they are concerned about the future of French. The economy, this bill, is the key of security. It could be the beginning of another economical move forward for Quebecers.

Going back to the French language bill... In 1948, the late Maurice Duplessis started the move towards a better economy for all Quebecers, regardless of racecreed. From 1948 until 1963, Quebec was considered as the powerhouse of the nation. We are not considered today as the powerhouse of the nation. We are all concerned, because we do not know where we stand.

The Americans will invest, yes, I am not concerned about the Americans investing in Quebec but what will happen if Quebec separates with the wrong leadership? Americans will never allow Quebec to become another Cuba, but the little French merchant, who is not as big and strong in his power than the Americans, will suffer if there is a change.

I repeat — en français, parce que les journalistes ne comprennent pas en anglais — : D'ici cinq ou neuf ans, oui, Québec se séparera et deviendra un Etat indépendant, when you are aware of the facts that 80% of the French speaking students at the present time are for an independent Quebec. They want the French language only. Now, there is only one chance that Quebec may not separate in five or nine years. In 1970, I am not concerned. I know who is going to win the next elections. I am not concerned about separating in 1970, but I am concerned about five, six or nine years from now.

Unless the students, who feel that the language is more important than the economy as they become older and more mature, unless they change their minds, you just cannot stop Quebec from separating.

Mr. President, I have expressed my honest and sincere opinions and feelings concerning the present problem within our own province. And, once again, I plead, not for Hanley, I could not care less, you find me another man in St. Ann that will give twelve hours a day, seven days a week to the poors; and I will take a rest. But until I find, regardless of race or religion, a man to replace me and give his time to the people of St.Ann's, regardless of language, then I will fight till the end and I will find out if separatism is going to take over St. Ann or not.

But in my final plea, I would ask, on behalf of the majority of French-speaking people of Quebec, on behalf of your own province, on behalf of your economy, to the 80% French-speaking journalists who are separatist minded to give a second thought because it could affect the journalists as well as it could affect the French merchants of the French labourers.

I would suggest, in closing, that the Press examine the speeches of each and every individual Member, who has spoken on bill 63, that they review their list of texts and Hansard, and they give space to each and every Member of this Assembly who has spoken in favour of bill 63. I think that the journalists would be rendering a public service. And I don't think there are many Members of this Assembly who would disagree. I am appealing to the pressmen, if they love their province, if they love their people, if they want to do something for their province and for their people, then they have got to change their attitude and take another stand or they may be affected in five or nine years as the little French merchants and the French labourers.

In closing, Mr. Speaker, I repeat to each and every Member of this Assembly, as a member of the English-speaking silent minority, from now on we are going to fight for our rights in this province.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gouin.

M. Yves Michaud

M. MICHAUD: M. le Président, l'opposition circonstancielle, à ce stade-ci de nos travaux, est au seuil de rendre les armes parlementaires. J'ai bien l'impression, intervenant pour la dernière fois ou presque dans ce débat, que je vais livrer mon chant du cygne. C'est le temps de rendre les armes parlementaires, parce que tout a été fait ou tout a été dit pour essayer d'amener le gouvernement à ce que nous croyons être une cause et des idées justes et défendables.

Notre combat n'aura pas été mené en vain, parce qu'il aura eu, Je le crois, une valeur de témoignage. Tout Canadien français, et cela malgré nos divisions partisanes ou politiques, porte en lui la mémoire de longs siècles d'attachement et de résistance pour être lui-même. Je dis que nous nous apprêtons à rendre les armes parlementaires et à déposer le fer de lance de notre parole devant une majorité sourde et parfois butée, et Je le dis sans amertume et sans dépit.

Mais, il ne faudrait pas pour autant que tous ceux qui ne partagent nos opinions — et c'est leur droit fondamental en cette Assemblée nationale — crient et chantent victoire trop vite, qu'ils n'entonnent pas trop tôt leur Te Deum parlementaire. Parce que ce problème aura éveillé — et le chef de l'Opposition le disait dans son discours — plus que tout autre les masses populaires et la conscience des Québécois, puisqu'il s'agit d'une question linguistique profondément vitale pour l'avenir du peuple québécois. Il aura éveillé les forces vives de la société.

Je me dispenserai de faire état des 205 associations dont certaines, bien sûr, sont des groupuscules et des particules dans notre société. Mais, dans ce document où 205 associations, représentant les corps intermédiaires et les groupements de citoyens, s'opposent au projet de loi 63, il en est qui ont un poids important dans l'analyse, la conduite et la direction des affaires publiques du Québec.

A ces 205 associations se sont ajoutés hier les Métallos unis d'Amérique, c'est-à-dire une branche d'une centrale syndicale affiliée à une association internationale qui n'a pas donné dans le passé de preuves de nationalisme débridé. Les Métallos demandent le retrait du bill 63. Aujourd'hui même, au moment où je vous parle, la Fédération des travailleurs du Québec est saisie d'une résolution qui a été adoptée dans l'une de ses instances au cours du congrès pour faire échec au projet de loi 63. C'est donc une opposition que nous avons essayé d'incarner ici au cours de ces longs, tumultueux et parfois passionnés débats.

L'opposition circonstancielle — et il me semble que pour la vérité de la situation il est essentiel de le dire — s'est faite sous deux drapeaux alliés, mais différents. Le député de Laurier, dans toutes ses interventions, a envisagé le problème et la situation dans l'optique de la souveraineté du Québec et du parti, du groupe politique qu'il représente ici à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire à travers un choix, une interprétation, un projet du devenir québécois. Nos drapeaux, je le répète, étalent alliés, mais différents. Ma lutte a été faite au nom de ce que Je crois être un fédéralisme pur, c'est-à-dire à travers une définition du statut particulier, plate-forme constitutionnelle du parti auquel j'adhère.

Je crois encore — et j'espère ne pas me faire d'illusion — qu'une politique linguistique de français prioritaire, même par voie d'Imposition dans certains cas, est pensable dans un régime fédéral. Le fédéralisme n'existant ou ne devant exister que pour privilégier au maximum les cultures, les particularismes des Etats membres de la fédération, si cette définition du fédéralisme — que je crois orthodoxe — devait être repoussée, à ce moment-là nous ne vivrions plus dans un régime fédéral, mais dans un régime unitaire.

Il y eut, au cours de ce débat, des extrémistes de part et d'autre. Il y eut, à l'extrême gauche, des groupuscules que j'appellerais les maoïstes de l'unilinguisme. Il y eut également, à l'autre extrême, que je qualifierais d'extrême-droite les orangistes du bilinguisme dont on retrouve l'expression et la violente opposition au projet de loi 63 dans le journal La Presse au cours d'une réunion à laquelle participait un des candidats au congrès d'investiture pour le choix d'un leader pour le Parti libéral du Québec. Les anglophones qui se sont dits non satisfaits du bill 63, qu'ils jugeaient ne pas aller assez loin dans la reconnaissance juridique de leur demande, ces anglophones ont exigé qu'on amende le projet de loi de M. Bertrand de façon à éliminer toute hypothèse de coercition que pourrait employer le gouvernement québécois pour intégrer les citoyens et les immigrants à la majorité française si les mesures d'incitation qu'il entend adopter se révèlent inefficaces.

Il y eut donc beaucoup d'extrémisme dans ces débats acharnés dont l'Assemblée nationale a été le théâtre et le témoin depuis quelques semaines. Nous avons essayé, nous, de nous situer entre ces deux formes d'extrémisme par toute une série d'amendements que nous croyions — et que nous croyons encore — légitimes, recevables et acceptables.

Des séries d'amendements qui ne préjudiciaient en rien les droits acquis de la minorité linguistique anglophone, de ceux-là qui, parmi nos compatriotes, ont fait route avec nous depuis des siècles et qui ont droit à la reconnaissance légitime de leur culture, différente de la nôtre. Nous croyions ces amendements légitimes parce qu'ils avaient pour but, dans une ultime tentative, de freiner l'assimilation galopante d'une certaine partie de notre groupe culturel par la minorité anglophone.

Tous ces amendements ont été refusés. Pourquoi? Parce que le gouvernement entend limiter son action à des seules politiques d'incitation qui sont, dans mon esprit, vouées à l'avortement et à la faillite. Quand je dis ces choses, M. le Président, ce n'est pas une projection d'intellectuel, ce n'est pas une appréhension irréelle de la réalité que je fais. Ces politiques seront vouées à la faillite, et elles le sont déjà. Il y a quelques jours, dans le journal La Presse, un article en tête de cahier, disait ceci: « Malgré les efforts de persuasion des trois commissions scolaires, Saint-Léonard, Lachine et la CECM, les immigrants préfèrent l'école anglaise. »

Voilà le résultat des politiques incitatrices jusqu'à ce jour. L'article dit ceci: « Une expérience destinée à favoriser l'intégration des enfants d'immigrants à l'école française par l'intermédiaire de classes d'accueil facultatives est en train de s'effriter d'elle-même, faute d'élèves et cela, malgré des efforts financiers, des efforts de persuasion assez considérables de la part des trois commissions scolaires de Montréal. Les immigrants de frafche date préfèrent inscrire leurs enfants à l'école anglaise, même s'ils ne connaissent ni le français ni l'anglais. La classe d'accueil est vouée à l'échec tant qu'on laissera aux immigrants la liberté de choix absolue de la langue d'enseignement. » A la commission scolaire de Lachine, par exemple, on n'a pu instituer aucune classe d'accueil, pas une seule, parce que, là non plus, il n'y avait pas assez d'élèves. « Un porte-parole de la commission scolaire estime que les enfants susceptibles de s'inscrire dans d'éventuelles classes d'accueil sont aujourd'hui, dans une proportion de 80%, dans les écoles anglaises de la commission. Sur l'immense territoire de la commission des écoles catholiques de Montréal, il n'y a que sept classes d'accueil, c'est-à-dire 129 élèves en tout, en majorité d'origine latine. On est en train, là, d'étudier et de réorienter la formule, parce que les simples politiques d'incitation sont vouées lamentablement à l'échec. »

M. le Président, cela est tellement vrai que d'autres, dans la société québécoise, ont pu, en dehors de nous, interpréter cette même réalité de la même façon que nous l'interprétons, nous. Claude Ryan écrivait dans le Devoir: « Pour ceux qui éprouvaient encore des doutes quant à l'existence d'une pente presque fatale qui pousse les enfants des immigrants vers l'école anglophone de Montréal, l'article de la Presse aura servi de pénible, mais salutaire rappel au réel, c'est-à-dire au concret des choses. » « On feint de croire, dans l'Union Nationale et dans le parti Libéral, que cette situation sera modifiée par le bill 63. Il y a fort à craindre qu'on se trompe lourdement. Le projet de loi, malgré le titre ronflant dont on l'a chapeauté et toutes les parures dont on essaie maintenant de l'orner, confirme en effet, quant au fond, la situation qui a existé depuis longtemps à Montréal. Il exprime une velléité d'action, mais il n'apporte aucune solution véritable et concrète à un problème qui, hélas, est très immédiat et très aigu. »

Au nom de ce réalisme, M. le Président, il y eut également un témoignage que j'apporte en dernière instance, celui d'un autre homme politique avec qui, nous du Parti libéral, avons fait des luttes, qui a été un des grands bâtisseurs de la « révolution tranquille » et qui a été le grand bâtisseur et animateur de la réforme de l'éducation.

Il s'agit de M. Paul Gérin-Lajoie qui dit ceci — et ça, je le verse au dossier, parce que ça rejoint une partie de nos inquiétudes et de notre interprétation —. « Laissons aux Anglais leurs écoles et tentons plutôt d'imposer le français comme langue de travail dans les entreprise anglophones. » M. Gérin-Lajoie, qui est un de nos plus brillants constitutionnalistes et qui connaît bien la réalité québécoise et le problème dont il parle, ajoute: « Sur le problème de la langue que devraient choisir les immigrants venant s'installer au Québec, M. Gérin-Lajoie considère que le français devrait être obligatoire. »

Donc, il va complètement à l'encontre du principe soutenu par les ministériels à l'effet que le libre choix devrait être absolu et inconditionnel. Je poursuis: « ... devrait être obligatoire à la première génération, c'est-à-dire à la première génération d'immigrants, et que le libre choix ensuite se fasse pour les générations suivantes. » Or, une génération, c'est vingt ans, et M. Lajoie en arrive par l'appréhension, l'analyse, l'étude et l'interprétation du réel et de la situation actuelle du Québec en matière linguistique à recommander que l'on sorte du libre choix absolu et des politiques d'incitation et que l'on impose le français à la

première génération d'immigrants qui arriveront dans le Québec. Je ne sache pas que M. Gérin-Lajoie soit un séparatiste, je ne sache pas que M. Paul Gérin-Lajoie soit un extrémiste, et je ne sache pas qu'on puisse l'identifier à tous ceux-là et à certains qui ont été identifiés comme étant ceux-là qui, dans le Québec, pouvaient empoisonner les jeunes ou créer des situations anarchiques et intolérables à la conscience de nos démocrates.

La preuve est déjà faite que les politiques d'incitation ne suffiront pas. Ce débat a été centré — et on le rejoint dans l'article 2 — toujours sur le droit des autres, mais jamais sur le droit de nous autres; peut-être faudrait-il en arriver un jour tris prochain à penser un peu à nous. Le chef de l'Opposition, dans son intervention, a parlé fort justement de droits de ceux qui font partie à la fois de notre héritage national, qui ont été ici les premiers sur cette terre et qui sont les héritiers de cultures peut-être deux fois millénaires. Il a parlé du droit des Esquimaux, du droit des Micmacs, des Montagnais, des Cris, de tous ces groupes ethniques qui ont une langue aborigène et qui font partie de nous. Mais non, le projet de loi 63 s'intéresse davantage, par sa philosophie contenue, abusive et intolérante du droit absolu des parents, au droit absolu des Chinois, je l'ai dit, des Arméniens ou des Grecs qui ne sont pas encore ici. Est-ce que c'est trahir que de nous intéresser aux droits d'une collectivité et aux éléments de la collectivité? J'ai senti, lorsque le chef de l'Opposition parlait, que le premier ministre était d'accord, et j'espère qu'il y aura bientôt des politiques mises en oeuvre par le gouvernement pour favoriser — et c'est là l'esprit du fédéralisme — l'éclosion, le plein rayonnement et la pleine expansion des cultures locales ou régionales qui contribuent à l'enrichissement d'un peuple, ces cultures amérindiennes, par exemple, qui pourraient ajouter à la culture québécoise dans son ensemble.

J'entends bien que l'on accorde le maximum de libertés et de droits à la minorité la plus dorlotée et la plus dorée du monde qu'est la minorité anglo-saxonne au Québec. Jamais, au cours de ces longues interventions que j'ai faites, jamais je ne me suis érigé en faux contre la reconnaissance la plus absolue du droit des anglophones à choisir la langue de leur culture. Et ça, je le répète, parce que cela a été mal interprété. Mais bien que je reconnaisse ce droit fondamental du citoyen à choisir, surtout le citoyen qui a des droits acquis ici, je le répète, à la minorité la plus dorlotée du monde qui a le meilleur traitement, le député de Notre-Dame-de-Grâce disait que le projet de loi 63 donnait plus de liberté ici à nos anglophones que les francophones dans les autres provinces du Canada n'en avaient. Mais, chaque fois que l'on ose penser un peu à nous-mêmes, il est hélas! des exagérations, et le grand cri du fanatisme retentit. Il retentit chez des gens de bonne foi. Ceux-là, je les respecte. Mais il retentit également chez d'autres qui sont et qui se comportent comme les valets de nos maîtres, des commissaires prébendes de l'autre intolérance, de ceux qui, chez nous, veulent garder jalousement leurs privilèges, qui bénéficient d'un statut particulier, personnel, qu'ils refusent cependant à une collectivité.

Alors, M. le Président, c'est contre cette intolérance que je continuerai, pour ma part, à me battre partout où ma faible voix pourra être entendue, conscient par là de mener un combat un peu solitaire, mais parce que je crois en toute sincérité et en toute honnêteté que je défends une cause valable et des principes valables.

C'est cette intolérance qui fait qu'il y a tellement de déchirements et de passions autour du projet de loi numéro 63. Ne sont pas intolérants uniquement ceux qui sont les zélotes ou les défenseurs de l'unilinguisme, il faudrait bien se rendre compte qu'il y a d'autres formes d'intolérance chez nous. M. le Président, je continuerai, à l'extérieur évidemment puisque j'ai dit que je m'apprêtais à rendre les armes parlementaires, avec mes faibles moyens, de me battre pour des idées que je crois légitimes. Ici, je ne peux plus continuer parce que je risquerais, peut-être, l'accusation de sédition parlementaire, accusation, soit dit en passant, qui revient un peu trop souvent et qui porte en elle les germes d'une profonde atteinte aux libertés civiles et aux droits fonda mentaux. On en a parlé ici des droits fondamentaux sur le plan de la langue; il y a aussi un combat que nous devrions mener à brève échéance sur les libertés civiles au Québec. Cela aussi, ça me semble menacé.

M. le Président, je propose donc un dernier amendement, comme un dernier appel, sans illusion et un peu désespéré. Un de nos poètes, Gaston Miron, écrit dans un de ses plus beaux poèmes: « Je m'écris sous la loi d'émeute ». M. le Président, j'écris cet amenement, moi, sous la loi du nombre, avec peu d'espoir qu'il dérange une seule des terribles certitudes, un seul des conforts engraissés dont j'ai été l'auditeur et le témoin depuis trois semaines. Mais l'important dans ces combats que nous menons, ce n'est pas de réussir, mais c'est d'essayer et de témoigner, c'est d'être valeur de témoignage. Nous sommes, à ce stade-ci de nos débats, des témoins, oui, mais en puissance fatiguée, je le concède. Or, ce dernier amende-

ment que je m'apprête à proposer, qui pourrait faire en sorte qu'à travers ce livre blanc troué de notre culture qu'est le projet de loi 63, ce dernier amendement pourrait faire en sorte, s'il était accepté, qu'au cours des six prochains mois l'on puisse ensemble avec calme et sérénité travailler à l'élaboration d'une politique plus concrète en matière de la langue. Ce dernier amendement, dis-je, M. le Président, pourrait faire en sorte qu'à travers, et nous inspirant que quelques-uns des modes d'action et des modalités du projet de loi 63 s'il était amélioré, pourrait faire en sorte qu'à travers tous nos débats et toutes nos divisions, le Québec trouve enfin sa parole, la parole à laquelle il a droit, c'est-à-dire la parole de sa culture.

J'ajoute, en terminant, ce que j'ai peut-être dit mais que je voudrais réaffirmer avec plus de convictions, qu'il y a des heures graves que nous allons vivre, des semaines ou des mois. Si le Québec est incapable d'exprimer totalement et pleinement toute la culture et la langue dont il est le dépositaire depuis des siècles, si, à divers niveaux de gouvernement, si, à divers niveaux de résistance à l'intérieur de notre propre collectivité, mais à d'autres niveaux de résistance, à d'autres paliers de gouvernement, l'on nous refuse constamment les moyens d'exprimer notre identité, notre culture et de mettre en oeuvre des politiques pour que nous soyons nous-mêmes, si on fait comme hier, si on oppose des refus catégoriques de négocier simplement sur le projet du ministère de la Famille, d'une meilleure redistribution des allocations familiales, si on fait ça, nous, on a un problème de natalité ici... Je m'interromps là-dessus, M. le Président, je sais que je suis en dehors de l'article 572, mais je me permets avec votre bienveillance, un peu de tolérance, étant donné que d'autres avant moi ont bénéficié de cette même mansuétude, je dis...

M. LE PRESIDENT: Je regrette d'interrompre l'honorable député de Gouin, mais sur ce point, je ne peux laisser passer sa remarque, car, hier, j'ai eu l'occasion de dire aux membres de la Chambre que si, par distraction, par oubli ou par erreur de ma part, il arrivait qu'un député outre passe les règlements de cette Chambre ou vraiment s'éloigne du sujet, c'est le devoir du député, à ce moment-là, d'attirer l'attention de la présidence qui se fera un devoir d'intervenir...

M. MICHAUD: Je reviens donc, M. le Président, à l'article 572 de notre règlement, sur la portée et les conséquences du projet de loi. Difficultés temporaires.

M. BERTRAND: N'ajustez pas votre appareil.

M. MICHAUD: Ajustez votre appareil. M. le Président, pour que le Québec trouve enfin sa parole, la parole à laquelle il a droit et, là, je veux dire sa culture, cet amendement pourrait être in extremis, un cri désespéré. J'ai parlé du chant du cygne. Le premier ministre retournant à ses humanités et à ses belles lettres comprendra que « les chants les plus désespérés sont souvent les chants les plus beaux » et il en sait « d'immortels qui sont de purs sanglots ».

M. le Président, je dépose donc cet amendement. Je propose, secondé — appuyé, devrions-nous dire en meilleur français — par le député de Laurier: « Que la motion en discussion soit amendée en remplaçant tous les mots après le mot soit par les suivants — amendement rigoureusement conforme à la formule 62 de notre bréviaire parlementaire — Renvoyé à la commission de la constitution, avec instruction de l'amender de façon que la majorité francophone du Québec se voie dotée de tous les instruments nécessaires à son plein rayonnement linguistique et culturel ».

Tout le monde a des copies. J'en ai remis au président, au premier ministre et au chef de l'Opposition, hier. J'en ai peut-être encore. Est-ce que le premier ministre a une copie?

M. BERTRAND: Oui, vous avez eu l'amabilité de me la remettre hier.

M. TETLEY: Puis-je en avoir une? M. MICHAUD: Oui, volontiers.

M. FLAMAND: M. le Président, j'aimerais dire quelques mots sur l'amendement proposé par le député de Gouin. Nous avons...

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse auprès de l'honorable député de Rouyn-Noranda, mais je voudrais que, prenant la parole, il m'éclaire surtout sur la recevabilité de la motion, car je dois lui signaler que j'ai de très sérieux doutes.

M. MICHAUD: Ah, ben non! Ne recommencez pas!

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, sur cette motion, pourriez-vous expliquer les doutes que vous avez? Parce que cela nous laisse sur une drôle de position.

M. LE PRESIDENT: D'ailleurs, c'est en vertu de l'article 158 que je suis intervenu. Cet article permet au président de la Chambre de signaler ce qui lui paraît une irrégularité et, ensuite, de demander aux honorables députés de l'éclairer sur la recevabilité. Mais là où j'ai un doute très sérieux, c'est sur les instrutions qui accompagnent la motion de renvoi au comité. En effet, il est dit dans les instructions qu'il sera demandé au comité d'amender de façon que « la majorité francophone du Québec se voie dotée de tous les instruments — j'insiste sur le mot tous — nécessaires à son plein rayonnement linguistique et culturel ».

Or, on sait fort bien qu'à tous les moments de la deuxième lecture, il a été déclaré, à maintes reprises, qu'il s'agissait d'une base, d'un commencement, d'une première étape, d'un premier pas, etc. Il va sans dire que le gouvernement n'a pas voulu apporter tous les instruments et tous les moyens pour favoriser le développement de la culture. C'est ce qui me paraît déborder nettement le principe du bill, à mon humble avis.

M. MICHAUD: M. le Président, sur la recevabilité de la motion, j'ai pris note avec un sourire un peu amusé de vos observations. Si le règlement me le permet, il suffirait de dire, si on veut être de bon compte, « des » instruments à la place de « tous ». Si vous voulez l'accepter telle qu'elle a été rédigée, je changerais par « se voie dotée des instruments ».

M. LE PRESIDENT: Excusez. Ce n'est pas le président de la Chambre qui peut, à ce moment-là, permettre à l'honorable député de présenter un sous-amendement. Il faudra le consentement unanime de la Chambre.

M. BERTRAND: Nous n'avons pas d'objection, M. le Président, à ce que l'on apporte une correction. Nous nous réservons, bien entendu, le droit de voter contre la motion.

C'est un autre problème. Mais pour permettre l'expression d'opinions sur leur motion, nous n'avons pas d'objection à ce que...

M. MICHAUD: M. le Président, par simple souci du langage, étant donné le caractère un peu absolu de « tous les », que vous avez signalé, je proposerais donc de changer la motion « que le Québec se voit doté d'instruments nécessaires à son plein rayonnement linguistique et culturel. » Ce qui enlèverait son caractère absolutiste à la motion telle qu'elle était antérieurement rédigée.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Laurier.

M. BERTRAND: ... secondeur. M. René Lévesque

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, sans prendre trop de temps de la Chambre, je voudrais appuyer la motion du député de Gouin telle qu'elle est acceptée dans sa forme amendée, mais dont l'essentiel est de demander le renvoi du bill 63 à la commission de la Constitution, ce qui éviterait — parce qu'au besoin, je crois que le débat me le permet, il y aura un dernier amendement qui serait autre chose, mais qui permettrait jusqu'à la dernière minute de voir avec le gouvernement s'il n'y a pas moyen de prendre un temps de réflexion — ce qui éviterait, dis-je, évidemnent, car il tient à son bill, de prétendre l'envoyer aux oubliettes complètement. Donc, de le renvoyer à une commission élue comme l'une des motions permises, de façon à ce qu'il puisse être réévalué et retravaillé dans ce coin-là.

Je pense bien que la latitude que vous avez permise, M. le Président, jusqu'ici me permettra de dire qu'avec cette motion, nous arrivons presque au terme d'un débat qui, dans cette Chambre et au dehors, sur le seul projet de loi 63, dimanche aura duré un mois si nous tenons compte du fait qu'il a été présenté le 23 octobre. Sur l'affaire elle-même qui lui a donné naissance, si nous remontons jusqu'à Saint-Léonard comme l'a fait le chef de l'Opposition, un an et demi.

Ce débat est l'un des plus importants que ce Parlement ou même que le Québec culturel ait jamais vus et je voudrais faire remarquer — c'est l'une des premières choses qui sousten-dent, je crois, la motion du député de Gouin — que ce débat ne sera pas fini, loin de là, après la sanction de ce bill si la machine législative continue sans interruption et que ce bill est voté et sanctionné dans les jours qui viennent.

Voyez-vous M. le Président, on dit de le renvoyer à la commission de la Constitution. Il s'agit d'abord d'un sujet fondamental, d'un de ces sujets — hier, je crois que le député de Montcalm a souligné longuement à quel point ce genre de sujet ne pouvait pas être séparé, si l'on veut, de l'ensemble des contentieux constitutionnels et je crois que tout le monde sera d'accord — absolument fondamental. La langue que nous parlons, la langue que n'importe quelle population, n'importe quel individu parle comme sa langue maternelle, sa langue de culture in-

dividuelle et la langue de son milieu, celui dans lequel il prétend faire une vie normale, cette langue, c'est le véhicule de sa personnalité à un tel point — j'ai vu ça chez des anthropologues — qu'une des définitions de l'homme, c'est l'animal qui parle. C'est un sujet viscéral, c'est le seul animal qui parle pour autant qu'on sache. D'une autre façon, animal raisonnable, ce n'est pas absolument garanti, mais animal qui parle, c'est toujours vrai, sauf pour les muets, et même ceux-là trouvent le moyen de compenser. C'est donc... pardon?

M. BERTRAND: Je vais taquiner le député de Laurier pour dire qu'il en est la preuve.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, et le premier ministre nous a donné de belles démonstrations pathétiques en deuxième lecture, entre autres. L'animal peut parler sans être convaincant, mais il parle.

M. BERTRAND: C'est vrai.

M. LEVESQUE (Laurier): La langue estdonc un sujet qui est viscéral entre tous. De plus, dans toutes les sociétés civilisées, c'est reconnu comme l'un des sujets les plus impartants, un des aspects les plus importants des droits de l'homme comme individu, et de plus en plus. Regardons l'exemple wallon, l'exemple suisse, enfin tous les exemples qui ont été évoqués au cours de ce débat et d'autres qu'on a probablement oubliés.

De plus en plus, c'est reconnu aussi comme un des aspects fondamentaux du droit des peuples ou du droit des communautés culturelles. Donc — je me souviens de l'avoir dit à une étape antérieure de ce débat — il s'agit, quand on légifère sur la langue des gens, quelle que soit la valeur en soi de la législation, il s'agit vraiment d'une intervention au cerveau d'un peuple ou d'une communauté. C'est aussi fondamental que ça, je crois. D'ailleurs, le climat dans lequel ça s'est déroulé devrait, sauf pour les aveugles, démontrer que c'est vrai.

Cela, c'est la première chose. Ce sont de ces sujets absolument fondamentaux, viscéraux et accrochés aux droits de l'homme et aux droits des communautés, à tel point que normalement, dans toutes les sociétés que je connaisse, quand on prétend toucher d'une façon permanente à ces droits-là, il y a l'obligation, que s'imposent les sociétés, de vastes consultations et de débats qui vont dans le domaine constitutionnel. Il s'agit de ce que l'on appelle aux Etats-Unis — peu importe qu'aux Etats-Unis le « melting pot » ait éliminé l'obligation de parler de la langue — il s'agit vraiment d'éléments du « bill of rights » ou de droits de l'homme, de droits de l'homme collectif, de droits de l'homme individuel avec les réconciliations qui peuvent être nécessaires dans un cas comme le nôtre. Mais, de toute façon, d'un sujet tellement fondamental que normalement ça va dans les textes consacrés. Cela, c'est un problème constitutionnel.

Deuxièmement, sur ce sujet, par-dessus le marché, c'est la première fois de son histoire, sauf erreur, que le Parlement du Québec se mêle de légiférer. Et il l'a fait depuis quelques semaines d'une façon dont la responsabilité première appartient forcément au gouvernement du jour. Il a amené son texte de loi — le premier ministre l'a dit, on l'a répété — il a fait son lit, il va coucher dedans. Mais, la responsabilité première de ce précédent qui est créé par un gouvernement qui est celui d'aujourd'hui, gouvernement de l'Union Nationale présidé par le député de Missisquol avec, comme ministre de l'Education, le député de Bagot, comme leader parlementaire, le député de Champlain; le député de Maskinongé comme expert en procédure et ministre de la Justice. Ce gouvernement du Québec, pour la première fois dans l'histoire du Québec, de la façon qu'on a vue depuis quelques semaines, légifère sur ce sujet-là à partir d'une seule chance.

Evidemment, on peut dire que cette responsabilité est partagée par l'Opposition officielle. Le député de Richmond, dans son intervention dont les accents brûlants, hier, soulignaient encore le caractère folklorique, n'a-t-il par proclamé l'évidence, quand il a dit que le chef de l'Opposition, député de Louis-Hébert, avait joué « un rôle discret, mais souvent stratégique dans la marche de ce projet de loi »? Il s'agit donc vraiment d'un projet de loi bipartisan — mais ça, c'est une Incidente — d'un projet de loi foncièrement bipartisan qui a été voté par la coalition de nos deux vieux partis dans cette Chambre. Mais c'est la façon dont on passe cette loi après des mois et des mois — le chef de l'Opposition l'a évoqué — d'inaction et de tergiversations sur un problème qui était là depuis longtemps, aux tous derniers milles d'une session sans avoir du tout, je crois, préparé ni l'opinion publique, ni le Parlement lui-même. Là, il y a un deuxième argument pour le renvoi à une commission élue, commission qui s'occupe de choses fondamentales ou qui est censée s'en occuper comme la commission de la constitution. Je l'ai dit, je le répète, M. le Président, sur les points les plus centraux et potentiellement les plus inquiétants — en tout cas les plus imprévisibles dans leurs conséquences — de cette législation, nous n'avons rien obtenu de

cohérent du gouvernement, ni nos concitoyens non plus, en dehors de cette Chambre, en ce qui concerne l'arrière-plan technique — parce qu'il y a une technique dans ce domaine-là comme dans les autres dans le monde d'aujourd'hui — l'arrière-plan, si on veut, scientifique de cette législation.

Je donne un exemple, dans le domaine de l'immigration, qui est couvert par cette loi, il y avait un rapport. Ce rapport avait été déposé — on a cru que c'était une réponse de dire qu'il avait été déposé - et il suggérait des mesures. Le gouvernement n'est pas obligé de les suivre. Ce rapport suggérait des mesures qui n'ont pas été suivies. On n'a pas expliqué pourquoi ce seul et unique rapport connu sur le problème de l'immigration avait littéralement été mis de coté.

Il suggérait des mesures prescriptives, des mesures administratives précises, des mesures qu'on appelle, en faisant la fine bouche, coerci-tives, auxquelles ces gens, qui avaient été mandatés par le gouvernement, étaient arrivés à la conclusion que le gouvernement mettait cela de côté, mais sans l'avoir étudié devant nous, sans nous avoir justifié d'aucune façon la politique exactement contraire aux recommandations qu'ils proposent dans ce bill. Je n'insisterai pas longuement sur l'article 2, nous l'avons fait tout le long du débat.

L'article 2, qui est l'un des principes, qui, en fait, est le seul principe — ne déguisons rien — de ce bill, c'est-à-dire le maintien, par législation, du libre choix absolu du statu quo. Là encore, les conséquences sont imprévisibles au point où les députés dans cette Chambre ont dit, y compris les gros canons de l'Opposition comme du gouvernement: Si on va à l'échec, on pourra toujours y revenir. Seulement, ces gens-là ont dit cela, dans cette Chambre, sur les conséquences imprévisibles de ce maintien du libre choix dans un climat d'assimilation accéléré comme ce qui se passe dans les milieux d'immigration de Montréal.

Ces gens-là ont dit cela dans cette Chambre pour faire adopter ce bill, au moment où les démographes, qui sont les seuls experts en science des populations de toutes les sociétés d'aujourd'hui, se sentaient suffisamment inquiets — M. Henripin et compagnie — pour publier dans les journaux, en anticipant sur la publication d'un volume qui devait paraître en décembre, des chiffres et des conclusions qui prouvent que la situation est inquiétante, à leur point de vue, autour de 1986 à un tel point qu'à ce moment-là la majorité pourrait être devenue anglophone dans la région métropolitaine de Montréal. La majorité démographique pourrait très bien, d'après les projections, être devenue anglopho- ne dans la région métropolitaine de Montréal, eux-mêmes le disaient: autour de 53%; c'est leur projection jusqu'en 1986. Mais, sans changement légal et sans changement scolaire. Légal et scolaire, ne nous racontons pas de romance, l'article 2 du bill 63 est tout un changement légal et tout un changement scolaire.

Donc, on s'en va gaiement vers l'inconnu avec cette loi. Le chef de l'Opposition en était bien conscient, je retrouve sa citation. Après avoir parlé de la philosophie libérale — avec un petit ou un grand L — il dit qu'il veut éviter la coercition. Tout le monde veut éviter la coercition, surtout quand on emploie ce mot-là. Mais après avoir dit cela, il a insisté à nouveau, dans le débat de troisième lecture, sur sa proposition d'une commission parlementaire de surveillance sur l'efficacité du bill 63 en disant qu'il faut suivre l'évolution de la situation parce qu'en cas d'échec il faudra revoir le sujet; il faudra revoir toute la situation.

Nous disons que, dans l'état où elle se trouve, une telle loi de statu quo, telle qu'incorporée dans l'article 2, face à une situation dont tous les éléments connus, pour la région métropolitaine de Montréal, crient, proclament que ce statu quo est dépassé et que cette loi est vouée à l'échec à ce point de vue-là, on fait simplement reculer pour mieux sauter. Comme le disait un éditorialiste, parmi les plus sérieux du Québec, peut-être qu'on se prépare aussi dangereusement des lendemains plus radicaux.

Il y a plus grave encore en ce qui concerne cette motion de renvoi. Premièrement, on traite un sujet fondamental que, normalement, une seule Chambre, dans aucun pays, normalement j'ai bien dit, ne traitera de cette façon légère et rapide. Deuxièmement, la façon dont on a amené le projet de loi, les députés de la Chambre dont je suis —il y en a d'autres qui en sont conscients, même ceux qui ne l'ont pas dit — n'étaient pas suffisamment renseignés sur ses conséquences possibles dans un domaine aussi fondamental que celui-là.

Il y a plus grave que cela. Le député de Richmond a traité hier de sans-culottes, je crois, quelques députés dans cette Chambre qui ont entretenu ce débat pendant près de trois semaines en grande partie, enfin, disons pendant deux semaines: ce qu'on a appelé l'opposition circonstancielle.

Cet effort qu'on a fait pour empêcher ce projet de loi de passer à la vapeur était, entre autres choses, pour permettre Justement à d'Innombrables citoyens mal renseignés, inquiets, avec raison et que personne n'avait préparés sur un sujet aussi viscéral, de retrouver, dans cette Chambre d'abord, une voix insistante — une

voix, je veux dire quatre ou cinq — et à d'autres d'évaluer et de préciser leurs attitudes. On aurait pu avoir — et ce n'est pas exclu encore, au moins partiellement, dans le climat et à cause de la façon dont cette loi a été amenée — une rupture totale ou, en tout cas, extrêmement périlleuse entre ce pays légal — j'emploie l'expression courante des politicologues, je crois — qu'est le Parlement et une grande partie du pays réel, c'est-à-dire du pays vivant, s'agitant, travaillant, s'inquiétant, qui grouille alentour de nous.

Et c'est pendant que quelques députés, dont trois démissionnaires — que je n'appelle pas des sans-culottes, que j'appelle des gens courageux face à la ligne rigide des partis — employaient de leur mieux tous les moyens parlementaires, y compris la procédure (pourquoi pas, M. le Président?) dont on avait voulu un peu abuser au début pour escamoter le débat — nous nous sommes servi, nous, en deuxième semaine pour le prolonger —mais, c'est pendant que ces quelques députés, qui étaient la seule opposition réelle sur ce point, jouaient à fond, de leur mieux, le jeu parlementaire, afin d'éviter, entre autres choses, que trop de Québécois cessent de croire complètement aux institutions de la démocratie parlementaire — ceux que le député de Richmond appelait des sans-culottes, trahissant ainsi, je crois, son ignorance béate et presque crypto-totalitaire de ce qu'est la démocratie organisée — que des démographes ont eu le temps de publier les documents dont je parlais. Cela est venu pendant le débat. Un des plus grands syndicats du Québec, International, celui des Métallos — je ne répète pas, le député de Gouin l'a évoqué — a eu le loisir de préciser son opposition à ce bill démissionnaire.

La Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, majoritairement — à une majorité écrasante des délégués présents, en tout cas — a pu établir finalement, tant ç'a été un point chaud pour elle, une option constitutionnelle. Le député de Richmond a dit, je crois, que ces gens-là trahissaient leur pensée. Je crois que c'est une courte vue, ça. Cela a plutôt permis à ces hommes de définir clairement la plus importante de toutes les attitudes, qui identifie des hommes assez libres pour être lucides et courageux, c'est-à-dire non pas l'asservissement aux cadres désuets du passé, mais ce que l'on appelle aujourd'hui la fidélité à l'avenir. Cela existe aussi, surtout pour un peuple en pleine transition, la loyauté à ce que doit être le Québec de demain et non pas l'accrochage au cadre désuet du Québec de mon grand-père. Le Québec, ce n'est pas une réalité figée, puis ça ne doit pas l'être ou, alors, ça ne vaudrait même pas la peine de se battre.

Donc, je me résume, M. le Président. Nous demandons que ce bill soit renvoyé à la commission de la constitution, commission élue de la Chambre. Premièrement, parce qu'il traite d'un sujet fondamental que normalement un Parlement, mal préparé, unicaméral comme le nôtre... Ce n'est pas moi qui vais pleurer la disparition de cette espèce de Sénat caricatural qui s'appelait le Conseil législatif, mais il demeure — cela a été discuté à ce moment-là — qu'il n'y a pas de Chambre de réflexion, qu'il n'y a pas de période, si vous voulez, de maturation pour des législations.

Cela n'a pas tellement d'importance s'il s'agit d'un budget annuel, malgré que ce soit grave. S'il s'agit des heures de fermeture des magasins, on peut tout de même survivre, mais c'est plus grave s'il s'agit de la langue que parlent les gens, du maintien de traditions qui sont pour le moins extraordinairement anciennes et qui viennent, comme le disait le premier ministre, de toutes les générations d'avant, puis d'après 1867. On est loin de 1867, puis on est loin d'avant 1867, dans une société qui a changé. Est-ce que, sur un sujet aussi fondamental, il n'est pas normal de consulter, sur ce bill, la commission élue de la Chambre qui a été chargée de ces sujets-là?

Deuxièmement, la façon dont le bill a été amené, dans son incohérence finale, le va vite auquel on a voulu le soumettre, le climat qui pendant trois semaines a prouvé avec les exemples que l'on vient de donner... C'est en train de s'approfondir quand on voit des gens comme les Métallos, quand on voit des institutions qui ont longuement hésité, qui étalent plutôt conservatrices de tradition, comme la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, dans ce climat qui est vraiment un point tournant, préciser d'une façon aussi sensationnelle et aussi dramatique des attitudes, est-ce que ce n'est pas le temps pour le gouvernement de se donner sur ce sujet une période de réflexion minimum?

Est-ce qu'on ne peut pas — et c'est mon dernier argument à l'appui de la motion — aussi se demander si le gouvernement n'est pas en train de dépasser complètement, peut-être au point de vue juridique — là-dessus je ne voudrais pas argumenter, mais en tout cas au point de vue politique et social, et ça compte pour les gouvernements modernes, ça devrait — est-ce que le gouvernement n'est pas en train de dépasser son mandat? On pourra toujours nous répondre: Un jour les électeurs seront consultés. C'est vrai. Il a fait son lit — le gouvernement — il sera jugé là-dessus comme sur le reste. Mais, actuellement, est-ce que le gouver-

nement — et le premier ministre a été un des hommes qui a présidé justement à la création du comité de la constitution, qui s'intéresse depuis longtemps à ces choses — ne devrait pas se poser la question in extremis de nouveau? Est-ce qu'on avait le mandat, dans un Parlement unlcaméral, sur un projet de loi tellement incomplet et tellement — honnêtement — incohérent que l'article 1, l'article 3 — et en particulier l'article 4 qui n'existait pas — sont devenus, à toutes fins pratiques — je m'excuse, il me vient un mot jouai, et c'est le seul qui me vient à l'esprit — des « amanchures, » des jalons préliminaires, des morceaux plus ou moins soutirés, mais de façon tellement générale qu'on puisse dire quand même qu'on lui laisse son mandat, plus ou moins soutiré à la commission Gendron, pour aménager, si vous voulez, le paravent autour de l'article 2, qui est simplement la promesse qu'on tient, qu'on a faite au moment des élections à propos de Saint-Léonard à nos concitoyens de langue anglaise?

Est-ce qu'on ne peut pas se poser la question du mandat réel? Je lisais, et c'est le chef de l'Opposition qui a attiré l'attention de la Chambre là-dessus, et je relisais — je n'ai pas envie de l'interpréter, je ne suis pas un expert constitutionnel ni un expert en cour d'Appel —le jugement des éminents juges de la cour d'Appel sur l'affaire de Saint-Léonard, à propos de l'Injonction interlocutoire qui a été refusée en première instance et que la cour d'Appel prétend, dans un jugement longuement motivé, avoir dû être accordée aux requérants. Il y a une partie de ça qui me frappe. Je crois que c'est le juge Brossard qui a rédigé l'essentiel du jugement, parce que c'est à la première personne. Je cite: « Avec déférence, dit la cour d'Appel, je suis d'avis que c'est à tort que le premier juge a basé sa réponse affirmative à cette question sur le fait qu'aucun texte de la Loi n'impose aux commissaires l'obligation de dispenser l'enseignement dans chacune des deux langues officielles — on sait ça — et sur le fait que leur décision de ne dispenser que l'enseignement en français ne pouvait en l'espèce être jugée discriminatoire au motif que leur discrimination « résulte nécessairement — il cite le jugement de première instance — de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire attribué par la loi. » Tout de suite après ce jargon — enfin je dis jargon, sauf tout respect — ce style juridique savant, dont l'essentiel est que la loi n'en parle pas, voici le passage suivant: « A partir de l'admission que la loi serait silencieuse sur le sujet, il me paraît, à ce stade, difficile de ne pas conclure, au contraire, que les appelants, n'exerçant que des pouvoirs à eux délégués par le législateur provincial, commissions scolaires, ne peuvent prétendre avoir un pouvoir qui ne leur est pas expressément conféré par lui, par le pouvoir provincial. La question de savoir si le législateur aurait lui-même le pouvoir constitutionnel de leur accorder la juridiction qu'ils se sont arrogée ne se pose pas encore, faute d'avoir été à date régulièrement plaidée ». Là, il y a juridiquement quelque chose qui me trouble, et cela est fondamental. Je crois que le chef de l'Opposition en a parlé en argumentant d'une autre façon. On peut se demander si, sur un sujet qu'on a laissé trafner, pourrir par rapport à un incident où il aurait été si facile de geler le statu quo — j'en reparlerai en troisième lecture sur l'ensemble de la loi — et ne pas empiéter sur l'avenir d'aucune façon, la cour d'Appel nous arrive également pendant ce débat que certains hommes, quelques-uns seulement, ont réussi à prolonger pour que beaucoup de gens puissent approfondir leur réflexion.

La cour d'Appel arrive et nous rappelle à quel point il est grave de se donner des mandats dans un domaine où la loi n'existe pas et où jamais même on n'a dans l'économie de nos institutions qui marchent tellement par jurisprudence, plaidé le fond du problème. Cela, c'est une chose qui me fatigue, moi, quand on volt légiférer à la va vite deux partis qui peuvent avoir toutes sortes de raisons additionnelles à un souci d'équité pour aller si vite tout à coup.

Quant au mandat que j'appellerais politique et social — j'ai des doutes sur le mandat même juridique ou constitutionnel, en tout cas, si on l'interprétait avec toute la conscience précise qu'il faut y mettre — je veux seulement citer un extrait de l'éditorial du 4 novembre de M. Ryan dans le Devoir. M. Ryan est un des hommes, justement, un des éditorialistes les plus réfléchis, on le sait tous, et qui se pose des questions sur le fond des problèmes.

Il disait ceci: « Le projet de loi 63 ouvre en fait un débat nouveau mais fondamental sur la légitimité politique dans une matière comme celle qui est visée par les auteurs du projet. Ce projet est destiné à affecter, de manière décisive, l'avenir de la communauté canadienne-française. Par-delà la mécanique littérale de notre régime, nous ne connaissons que deux situations dans lesquelles semblables décisions puissent être prises de manière légitime. La première situation serait celle où existerait un accord général de l'opinion, comme ce fut le cas lors de l'adoption du drapeau québécois ou à l'occasion de certaines conférences fédérales-provinciales. Les événements des der-

niers jours ont assez montré que pareille situation n'existe pas aujourd'hui. » Il n'y a pas de consensus. Je ne dirai pas, moi, comme certains députés: J'ai 98% de mes électeurs dans ma poche ou les bons parents traditionnels de mon comté. Je ne dirai pas que j'ai 98% des Québécois dans ma poche ou que nous les avons dans notre poche, nous les oppositionnistes, parce que ce genre de démagogie désuète n'est pas employable. Mais il y a une chose qui est visible...

M. LAFRANCE: Le député est un expert en démagogie.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, je vous jure, M. le Président, que jamais je ne donnerai de démonstration de démagogie primaire et béate comme celle du député de Richmond hier. Jamais je n'irais jusque là!

M. LAFRANCE: Cela,c'est une façon de répondre à mes arguments! Si le député est si honnête et si courageux, qu'il essaie donc de contester mon opinion au lieu de lancer des injures comme il le fait toujours.

M. LEVESQUE (Laurier): Je vais lui donner un exemple. Est-ce que vous me permettez de lui répondre, M. le Président? Je suis bien obligé de le faire, si vous ne prenez pas ça sur mon temps.

Hier, le député de Richmond parlait, j'ai pris une note, cela c'est vraiment...

M. LAFRANCE: M. le Président, il faudrait que ce soit enlevé sur son temps parce que j'ai beaucoup de difficulté à l'écouter!

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, est-ce que vous me diriez combien il me reste de temps? Je sais...

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'intervention de l'honorable député de Laurier a effectivement débuté à 4 h 12,

M. LEVESQUE (Laurier): II me reste deux minutes?

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): C'est ça.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, le plaisir que j'aurais à répondre au député de Richmond je remettrai ça pour la troisième lecture. Donc, on est loin d'avoir ce consensus qui est l'une des façons de faire passer des sujets fondamentaux comme ça, comme au moment du drapeau. « La deuxième situation — dit M. Ryan — serait celle où se trouverait un gouvernement qui, après un débat dur et rigoureux, aurait reçu une majorité claire des électeurs pour agir. » Je rappellerai le cas de la nationalisation de l'électricité, comme un exemple où on va chercher un mandat, et la langue, c'est autrement plus important que quelques compagnies d'électricité, si grosses soient-elles. Or, actuellement, nous sommes devant une Chambre où il y a un premier ministre qui tient son mandat d'un congrès de 2,000 délégués, à peu près. C'est un fait, on n'y peut rien, mais c'est un fait de démocratie parlementaire.

M. BERTRAND: Quant à ça, de qui tenez-vous votre mandat et comment avez-vous été élu?

M. LEVESQUE (Laurier): Ce qui est assez curieux, c'est que vous avez actuellement dans cette Chambre un premier ministre qui, sur une chose fondamentale comme celle-là, sans consensus, ne tient son mandat que de 2,000 délégués. Vous avez un chef de l'Opposition qui sera parti au mois de janvier et qui collabore...

M. BERTRAND: Il a clairement énoncé, dans son discours en deuxième lecture...

M. LEVESQUE (Laurier): ... et qui coopère...

M. BERTRAND: ... qu'il se basait sur le programme de son parti aux élections de 1966.

M. LEVESQUE (Laurier): Cela, M. le Président, J'y reviendrai en troisième lecture.

Les attitudes du parti libéral dans ce débat, j'y reviendrai quand nous parlerons de l'article 4, en troisième lecture. Je veux conclure sur la motion du député de Gouin.

Je dis que le premier ministre a un mandat de 2,000 délégués. C'est un fait. Je ne le blâme pas. Je dis que c'est un fait. Comme premier ministre, son nom est attaché à ce bill, avec le ministre de l'Education et le député de Chicoutimi. Le chef de l'Opposition ne sera plus là, à partir de la mi-janvier, comme chef du parti libéral. L'opposition a été tenue dans cette Chambre par cinq députés uniquement, dont un démissionnaire du caucus libéral, un ancien libéral qui est aujourd'hui du Parti québécois; deux députés de l'Union...

M. LAFRANCE: Ce n'est pas juste, il y a eu de l'opposition de la part de l'Opposition officielle.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, on en reparlera de votre opposition!

M. LAFRANCE: Cessez votre démagogie!

M. LEVESQUE (Laurier): On en reparlera de votre opposition, de votre pseudo-mini-mi-cro-opposition pour la frime. Deux députés qui étaient élus dans l'Union Nationale et un député qui a été également élu dans l'Union Nationale et qui, aujourd'hui, a rallié le Ralliement des créditistes. Ce qui fait qu'un Parlement — ce qu'on appelle en anglais un « rot Parliament », dans tous les coins, qui achève son existence, où les vieux partis sont en train visiblement de se fissurer, prétend à la vapeur...

M. LAFRANCE: M. le Président...

M. LEVESQUE (Laurier): ... faire adopter un bill sur un sujet fondamental. Je dis, en terminant, que j'appuie la motion du député de Gouin de renvoyer ce projet de loi à la commission élue de la Chambre, qui s'appelle la commission de la constitution, pour toutes ces raisons, y compris le fait qu'un Parlement qui, visiblement, a fait son temps et qui est coupé du pays réel même à l'intérieur des partis qui sont ici, de plus en plus, est en train d'abuser complètement de son mandat et même, jusqu'à un certain point, du climat réel du Québec.

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable ministre de la Justice.

M. Rémi Paul

M. PAUL: M. le Président, je crois que tous ceux qui ont eu l'avantage d'assister à l'étude du bill 63 ou qui ont pris connaissance, par la voix du journal des Débats, de tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à l'une ou l'autre des étapes de l'étude de ce bill conviendront qu'il y a sûrement, parmi tous les députés de cette Chambre, un désir sincère de voir rayonner au Québec la langue et la culture françaises, tout en consacrant certains principes de droit naturel qui peuvent appartenir à d'autres ethnies.

Je ne mets aucunement en doute la sincérité de tous ceux qui ont présenté une opposition reconnue comme circonstancielle. Aujourd'hui, nous sommes en face d'une motion présentée par l'honorable député de Gouin. Personnellement, je juge cette motion comme rétrograde. Elle n'apporte rien et est tout à fait inutile, inefficace.

J'ai bien l'intention de donner certains arguments à l'appui de ce jugement que je porte sur la motion de l'honorable député de Gouin. Tout d'abord, il faut s'arrêter aux termes de la motion pour savoir exactement ce que veut le député de Gouin, ainsi que son secondeur et sûrement l'opposition circonstancielle.

En lisant le texte de la motion, nous voyons qu'elle aurait pour effet, si elle était adoptée, de renvoyer à la commission de la constitution, avec instruction de l'amender de façon que la majorité francophone du Québec se voie dotée d'instruments nécessaires à son plein rayonnement linguistique et culturel.

Qu'est-ce qu'on enverrait à cette commission de la constitution? Ce serait sûrement le bill 63.

La motion est basée sur l'article 573 et spécialement la note 7. C'est pourquoi, tout à l'heure, l'honorable premier ministre vous a signalé que cette motion, avec la modification apportée dans sa présentation par l'honorable député de Gouin, devenait, à notre humble point de vue, comme acceptable.

Mais, ce n'est pas tout de rédiger une motion et d'employer des mots ou des termes que l'on retrouve dans une note ou un article de notre règlement. Si nous lisons le texte, nous retrouvons le mot instruction, « renvoyer à la commission de la constitution avec instruction de l'amender ».

Ce serait du droit parlementaire nouveau à l'effet qu'une commission permanente de la Chambre ait le droit d'amender une loi votée en première, deuxième lectures et en comité plénier. Ce n'est pas ça les instructions au sens de la note 7 de l'article 573. Les instructions veulent dire: « avec mission de », « devoir de » et « voir à ce que ». Si la motion du député de Gouin avait été à l'effet que ce bill soit renvoyé à la commission de la constitution afin qu'elle entende les corps intermédiaires ou des représentations, nous dirions il y a une certaine logique, où qu'il peut se présenter certains avantages à ce que ce bill soit renvoyé à la commission de la constitution. Mais non, on veut tout simplement renvoyer à la commission de la constitution, avec instruction de l'amender, le bill 63 par un groupe, je crois que c'est de quinze ou dix-sept parlementaires. Dix-sept parlementaires vont recevoir une délégation de la Chambre et mettre de côté toutes les règles de procédure reconnues, les règles de débat, et nous allons, en blanc, donner aux membres de cette commission, le pouvoir, les instructions d'amender. Amender après quoi, basé sur quelles justifications, sur quelles normes, en vertu de quelles considérations? Non, on ne dit rien de ça. On dit tout simplement: Renvoyer le bill à la commis-

sion de la constitution avec instruction de l'amender. Dans quel but? Sous prétexte que les membres de la commission de la constitution... — même si c'est illégal ça ne fait rien, on ne demande pas d'étudier l'opportunité de revenir en Chambre, de reformer le comité plénier et de considérer de nouveaux amendements, ce n'est pas ce que l'on dit.

M. MICHAUD: Le ministre me permettrait-il une question?

M. PAUL: Oui.

M. MICHAUD: Engage-t-il le débat sur la recevabilité de la motion?

M. PAUL: Oui, c'est sur la recevabilité de la motion.

M. MICHAUD: II semble que... M. PAUL: Sur le fond de la motion. M. MICHAUD: Sur le fond.

M. PAUL: Oui, nous l'avons jugée recevable, même si elle est inutile.

M. MICHAUD: Ah bon!

M. PAUL: M. le Président, supposons que, demain matin, la commission de la constitution soit formée pour étudier le bill 63, que va-t-elle faire? Il n'y a aucune instruction ou mandat précis qui lui sera donné par la Chambre sauf des instructions de l'amender, même si elle ne peut pas l'amender. D'une seule décision, sans aucun débat, voici que quinze ou dix-sept membres seront investis d'une autorité supreme, supérieure à la collectivité des 108 députés, pour amender un projet de loi d'une façon autre que celle qui est prévue par nos règlements. Là, on essaiera de doter le Québec d'instruments nécessaires à son plein rayonnement linguistique et culturel.

M. le Président, de deux choses l'une. Ou on veut la mort du bill, ou on veut réellement l'améliorer. Si on veut l'améliorer, si on veut réellement que la langue et la culture française rayonnent dans le Québec, pourquoi présenter une motion qui rendrait le présent projet de loi tout à fait inefficace et inopérant?

Par contre, si nous nous référons à la portée du bill, au texte des articles, nous verrons dans ce projet de loi tous les moyens nécessaires pour le rayonnement linguistique et culturel de la langue française. Je ne dis pas que les moyens qui sont prévus et l'autorité qui est donnée à l'Office de la langue française par l'article 4, qui comprend l'article 14 et l'article 14 a), est ce qu'il y a de plus complet. Non, M. le Président. Mais de là à trouver d'autres moyens, l'endroit pour les suggérer, au lieu de faire des débats de procédure, ç'aurait été en deuxième lecture, ç'aurait été en comité plénier avec des recommandations et des modes d'action bien déterminés. Non, M. le Président.

On dit aujourd'hui: Prenez le bill et envoyez-le à la commission de la constitution. On ne peut pas l'amender à la commission de la constitution. On n'a pas le mandat de recevoir des mémoires ou de recevoir des requêtes, d'entendre des corps intermédiaires. Ç'est dans ce sens-là que j'ai dit que c'est une motion inutile, parce qu'accepter...

M. MICHAUD: Accepteriez-vous une motion comme celle-là?

M. PAUL: M. le Président, je dis que ce n'est pas acceptable, parce que c'est inutile, ça ne donnera rien.

M. MICHAUD: On peut en faire une autre.

M. PAUL: Et le présent projet de loi, même s'il n'est pas ce qu'il y a de meilleur, je crois que dans les circonstances il permet à tous les organismes intéressés, et surtout aux membres de ces organismes, de travailler de concert pour un meilleur français dans le Québec et également pour le rayonnement de la culture française.

M. le Président, si nous examinons la motion, nous verrons que l'on voudrait, par cette motion, que le projet de loi devienne lettre morte comme il en est arrivé du projet de loi portant le numéro 85. La commission qui serait chargée de l'étude du projet de loi non adopté, parce qu'il faudrait dès maintenant l'envoyer devant la commission, ne pourrait pas entendre de corps intermédiaires. Et même si on faisait des amendements de façon à ce que ce pouvoir soit donné, nous assisterions à la même parade d'extrémistes qui sont venus, à l'occasion du bill 85, nous présenter des théories tout à fait contraires dans le sens le plus pur de la philosophie, sans aucun terme de modération ou sans faire de suggestions afin que nous puissions réellement aller de l'avant dans le domaine de la langue au Québec.

Je dis que les pouvoirs qui sont accordés par l'article 4 sont bien supérieurs à l'inactivité, à l'inaction dans ce domaine des langues que nous proposent le député de Gouin et le député de Laurier si on adoptait une motion qui, en soi, n'aurait

pas d'autre effet que de faire mourir le projet de loi devant la commission. Ce qu'il y a de plus drôle, M. le Président, c'est que l'honorable député de Laurier disait tout à l'heure; Le gouvernement a trop attendu, nous avons assisté à des mois d'inaction et de tergiversations et aujourd'hui nous agissons dans un domaine qui est un domaine fondamental.

Je sais, tout en comptant le nombre de membres présents en Chambre, que lorsque l'heure du vote sera arrivée... n'ayez crainte, M. le Président.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je vous ferai remarquer, comme c'est mon droit d'après le règlement, qu'à cette étape extraor-dinairement importante de la troisième lecture, on est assez loin d'avoir le quorum minimal que la Chambre requiert pour siéger. C'est un fait.

M. LAFRANCE: Vous voulez essayer de gagner du temps.

UNE VOIX: On est trente.

M. LEVESQUE (Laurier): Bien, depuis quelques minutes, n'est-ce pas le ministre de la Justice, parlant un peu dans le même style que le député de Richmond hier?

M. PAUL: Nous pourrions peut-être convenir d'un quorum circonstanciel.

M. LEVESQUE (Laurier): Je faisais remarquer...

M. PAUL: D'ailleurs, nous sommes 32. M. FLAMAND: Sonnez les cloches.

M. LEVESQUE (Laurier): Je suis sûr que nous sommes maintenant 32.

M. FLAMAND: Sonnez les cloches.

M. PAUL: II est vrai, M. le Président, que le domaine de la langue est un domaine fondamental. Mais, il ne faut pas oublier une chose; il y a d'autres organismes qui doteront le Québec d'Instruments de plein rayonnement linguistique et culturel. Je veux parler du rapport que nous produira éventuellement la commission Gendron.

L'honorable député de Gouin voudrait, lui le grand démocrate, le grand libéral, que nous envoyions notre motion devant une commission alors que, s'il s'agit d'un droit fondamental, c'est devant cette Assemblée que tous les dépu- tés doivent y participer. Au moins 107 députés peuvent s'intéresser et participer aux débats, alors que le projet de loi, référé à la commission de la constitution, ne pourrait permettre que la participation effective de quinze députés à l'étude de ce projet de loi. Je dis que le bill 63, Loi pour promouvoir la langue française au Québec, comprend des organismes et des moyens d'action qui pourront faire rayonner la culture linguistique et culturelle française au Québec.

Je voudrais attirer votre attention, M. le Président, sur les pouvoirs spéciaux que l'on peut lire dans le troisième paragraphe de l'article 14-A de la loi. « L'office, dans l'exercice de l'autorité conférée par le présent article, possède tous les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la Loi des commissions d'enquête. » Voilà un moyen d'action immédiat mis à la disposition du gouvernement. Quand je parle du gouvernement, je veux dire du Parlement, parce que l'honorable premier ministre, dans une déclaration qu'il faisait hier, n'a pas exclu l'opportunité et peut-être la nécessité de créer un organisme de surveillance pour que le projet de loi devienne opérant dans tous les milieux. « L'Office de la langue française, sous la direction du ministre, doit veiller à la correction et à l'enrichissement de la langue parlée et écrite. » N'est-ce pas déjà un moyen d'action pour assurer le rayonnement linguistique et culturel français dans le Québec? Deuxièmement, « conseiller le gouvernement sur toute mesure législative ou administrative qui pourrait être adoptée pour faire en sorte que la langue française soit la langue d'usage dans les entreprises publiques et privées au Québec. » Par hasard, les honorables députés de l'opposition circonstancielle sont-ils contre ces mesures positives adoptées par la Chambre pour que la culture et la langue françaises rayonnent davantage au Québec?

Je me demande quel est l'animus... Je n'ai pas le droit de prêter de motifs aux honorables députés de l'opposition circonstancielle, mais j'ai le droit de m'interroger moi-même sur l'opportunité et sur les avantages d'une telle motion. J'ai le droit de me poser des questions.

J'ai le droit de me demander où l'on veut aller, si ce n'est de faire mourir purement et simplement ce projet de loi qui, tout en n'étant pas ce qu'il y a de mieux — parce que nous légifèrerons davantage au fur et à mesure que nous recevrons des recommandations de l'Office de la langue française, lorsque nous serons en possession des recommandations de la commission Gendron — est un pas que jusqu'ici on aurait dû probablement faire bien avant pour assurer

la culture et le rayonnement de la langue française, et également les droits de certaines autres minorités au Québec.

L'honorable député de Laurier n'a pas l'air d'approuver.

M. LEVESQUE (Laurier): Non, j'écoutais avec ravissement l'harmonie traditionnelle du discours du ministre de la Justice...

M. PAUL: Traditionnelle, je dis que ce n'est pas une tradition, c'est une exception, parce que c'est la première fois que Je discute sur le fond...

M. LEVESQUE (Laurier): Je ne parlais pas du fond. Je ne voudrais pas que le ministre de la Justice...

M. PAUL: Non, M. le Président, je donne les raisons pour lesquelles on ne doit pas accepter une motion aussi inutile. Inutile, qui n'apportera rien, qui va nous placer dans le même cul-de-sac où nous étions au mois de mars dernier avec le bill 85.

M. LEVESOUE (Laurier): Est-ce que le ministre permet que je précise?

M. PAUL: Oui.

M. LEVESOUE (Laurier): Quand Je disais que son style était traditionnel — c'était inconscient — je ne parlais pas du fond. Je dis que le style du ministre est agréablement traditionnel. Si je parlais du fond, ce serait d'autres qualificatifs, mais ce ne serait pas parlementaire.

M. PAUL: Je comprends qu'il y a certains partis politiques dont les membres se spécialisent à promouvoir le « jouai » dans le Québec, mais je crois que ce n'est pas la majorité des députés dans cette Chambre qui ont pour mission d'inculquer un tel rayonnement de la langue et une telle dégradation de la langue française dans le Québec. Je sais qu'il y en a qui se piquent d'implanter dans nos écoles le langage du « jouai », et je crois que l'honorable député de Laurier n'aurait pas besoin de regarder longtemps ses calepins de notes pour y trouver des adeptes.

Je dis donc que nous n'avons aucune raison d'accepter cette motion parce que l'Office de la langue française va élaborer, de concert avec les entreprises privées, des programmes pour faire en sorte que la langue française y soit la langue d'usage et pour assurer à leurs dirigeants et à leurs employés une connaissance d'usage de cette langue. Mais non, les honorables députés de l'opposition circonstancielle sont contre ça! Même si ce n'est pas beaucoup c'est encore trop pour eux, parce qu'ils voudraient tout simplement que le projet de loi devienne mort-né devant une commission qui n'a aucun pouvoir d'amender les lois. On ne demande pas de faire des recommandations pour apporter des amendements au présent projet loi. Non, M. le président, on demande tout simplement à la Chambre de poser un geste qui est contre tout le système parlementaire reconnu. Je vois le député de Gouin, mais est-ce qu'il sait lire, lui, qui aime toujours nous bercer...

M. MICHAUD: Oui.

M. PAUL: ... de son éloquence et de son érudition littéraire? Est-ce que le député de Gouin peut lire...

M. MICHAUD: Oui.

M. PAUL: ... ce qu'il a écrit dans sa motion? A moins qu'il n'en soit pas l'auteur : « Renvoyé à la commission de la constitution avec instruction de l'amender. »

M. MICHAUD: M. le Président, puisque le ministre de la Justice me demande si j'en suis l'auteur, j'en suis l'auteur et j'en ai même corrigé le texte.

M. PAUL: C'est plus grave, si vous en êtes l'auteur.

M. MICHAUD: Il vient de parler tout à l'heure de la nécessité de réformer le système parlementaire, alors, comme je vois déjà le visage du ministre de la Justice empourpré et ravagé par la luxure procédurière, je lui dis simplement ceci...

M. PAUL: M. le Président, je crois que le député de Gouin est très mal placé pour parler de luxure.

M. MICHAUD: Procédurière.

M. LAFRANCE: Luxure du langage.

M. PAUL: Je dis donc, M. le Président, qu'il n'y a rien à comprendre dans la prétendue tenue nationaliste de l'opposition circonstancielle qui nous refuse à nous, la majorité dans cette Chambre, de poser des gestes, même positifs, dans le domaine de la langue au Québec. Non, ça leur fait mal au coeur! On n'est pas d'accord avec

On ne rencontre pas la philosophie de pensée de ceux-là qui ont protesté, qui n'avalent qu'un prétexte pour parader et protester!

Quelques-uns même parlent tellement bien le français qu'on a de la misère aies comprendre quand ils sont à la télévision. L'Office de la langue française doit conseiller le gouvernement sur toute mesure législative ou administrative qui pourrait être adoptée en matière d'affichage. Un autre geste de l'avant, un autre acte positif que l'Office de la langue française recommandera dans l'administration. Mais non, le député de Gouin, le député de Laurier et probablement les autres membres de l'Opposition circonstantielle vont se lever sous le signe du whip ou du chef pour appuyer la motion de mort du député. Si encore nous avions des recommandations, des suggestions positives, des moyens d'action de nature à améliorer le présent projet de loi, nous serions hésitants. Nous dirions enfin: Nous leur reconnaissons une certaine sincérité d'action et de parole, mais non! Nous assistons...

M. MICHAUD: Qu'à cela ne tienne, nous allons en présenter d'autres.

M. PAUL: Ce n'est pas surprenant. Mais ce qu'il y a de regrettable c'est que les journalistes, conscients de l'attitude, que je ne qualifierai pas, ont jugé que la population en avait assez de ces débats qui se déroulent ici et de cette obstruction positive de la part de l'opposition circonstantielle.

M. MICHAUD: Mais branchez-vous! Vous nous invitez à présenter d'autres amendements!

M. PAUL: Je vous invite, M. le Président, à analyser la logique de la motion. Tous ces grands défenseurs de la langue française ne veulent même pas que nous leur donnions un peu, pour s'en tenir à leur propre appréciation de la présente loi, ils ne veulent même pas que la collectivité canadienne-française reçoive quelque chose de positif dans le domaine de La langue. C'est déjà trop! Ou vous êtes sincères, ou vous ne comprenez absolument rien à la portée de l'amendement que vous avez présenté à cette Chambre.

M. MICHAUD: Trop peu, trop tard.

M. PAUL: Je dis qu'il y a des pouvoirs qui sont donnés dans la loi aux ministres, à l'Office de la langue française, des pouvoirs que l'on peut retracer dans le chapitre 11 des Statuts revisés du Québec. Nous verrons là que l'Office de la langue française, ayant des pouvoirs généraux qu'accorde le chapitre des commissions d'enquête, nous verrons que la commission aura le droit de convoquer des témoins, de traduire ceux-là qui auraient une attitude vraiment négative à l'endroit de la langue française, ceux-là qui ne voudraient pas accepter dans leur milieu de travail l'usage de la langue française, l'Office aura le droit de les traduire, de les entendre, mais ce n'est pas encore assez pour nos amis d'en face, de l'opposition circonstantielle.

Je dis que c'est une motion qui devrait être dénoncée dans tous les milieux nationalistes pour prouver la sincérité de ceux-là qui se sont battus depuis quinze jours dans cette Chambre. Je me demande ce que M. François-Albert Angers pensera lorsqu'il lira que le député de Gouin, appuyé par le député de Laurier, ont même refusé de consentir et d'accepter un projet de loi qui apporte une reconnaissance et un rayonnement de la langue française. Je dis que le FQF...

M. LEVESQUE (Laurier): Une fois parti, qu'est-ce que Michel Chartrand va penser? C'est parce qu'il y a des renversements...

M. PAUL: Je sais qu'il y a beaucoup de communion de pensée entre Michel Chartrand et vous, et c'est dans les mêmes milieux que vous recrutez vos clientèles.

Quand quelqu'un vous a qualifié de Michel Chartrand de l'Assemblée nationale, c'était le qualificatif le plus véridique que l'on pouvait vous donner.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, Je ne sais pas s'il y a une question de privilège à soulever, je vous en laisse juge.

UNE VOIX: II se sent visé.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est ou bien un excès d'honneur ou bien une indignité, ce que vient de proférer le ministre...

M. PAUL: Est-ce que vous, par hasard, vous jugeriez indigne Michel Chartrand?

M. LEVESQUE (Laurier): J'ai dit...

M. PAUL: Est-ce que vous jugez que c'est une indignité de citer son nom?

M. LEVESQUE (Laurier): C'est un excès d'honneur ou une indignité, je ne sais pas exactement.

M. PAUL: C'est un excès d'honneur, sûrement pour lui, pas pour vous.

M. LEVESQUE (Laurier): Mais je sais, par exemple, qu'il y a une question de privilège de la Chambre à soulever...

M. PAUL: La quelle?

M. LEVESQUE (Laurier): ... devant le ministre de la Justice...

M. PAUL: Laquelle?

M. LEVESQUE (Laurier): ... qui fait de la pure démagogie, ce n'est pas de la Justice.

M. PAUL: Non, M. le Président, je ne fais pas de la démagogie. Je dis que nous sommes devant un projet de loi, et le député de Laurier nous a reproché tout à l'heure d'avoir retardé à présenter notre projet de loi, d'avoir eu des tergiversations. Il est le premier à empêcher que ce présent projet de loi soit adopté par l'Assemblée nationale. Et je dis que la motion, telle que rédigée par le député de Gouin, c'est la motion la plus ridicule, la plus inefficace, la plus inutile que le Parlement ait probablement eu à étudier depuis de nombreuses années.

M. MICHAUD: Voulez-vous d'autres adjectifs, je vais vous en trouver.

M. PAUL: Et je dis que, pour toutes ces raisons, j'ai la conviction que l'élément sain de l'Assemblée nationale s'opposera avec beaucoup d'empressement à une...

M. MICHAUD: C'est donc gentil!

M. PAUL: ... motion tout à faite inutile.

M. MICHAUD: M. le Président, en vertu de l'article 297 de notre règlement, je demande que le vote soit enregistré, si la motion est mise aux voix.

M. PAUL: Pourquoi?

M. LEVESQUE (Laurier): Si la motion est mise aux voix...

M. MICHAUD: Si la motion est mise aux voix.

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que vous la mettez aux voix?

M. MICHAUD: Oui, il n'y a plus personne qui parle.

M. BERTRAND: Bien, il y a quelqu'un qui veut parler là.

M. MICHAUD: Ah bon!

M. LEVESQUE (Laurier): C'est cela, s'il y a quelqu'un.

M. GOLDBLOOM: Allez-y. M. FLAMAND: Non, non.

M. BERTRAND: II y a le député de Rouyn-Noranda qui veut parler aussi.

M. GOLDBLOOM: Le député de Rouyn-Noranda était debout.

M. FLAMAND: Je voulais proposer le vote. M. BERTRAND: Vote.

M. FLAMAND: Je voulais proposer le vote. M. BERTRAND: Qu'on appelle les députés.

M. LE PRESIDENT: Qu'on appelle les députés.

Que les honorables députés qui sont en faveur de la motion de l'honorable député de Gouin veuillent bien se lever.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Mi-chaud, Lévesque (Laurier), Tremblay (Montmorency), Proulx, Flamand.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Que les honorables députés qui sont contre veuillent bien se lever.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bertrand, Fréchette, Johnston, Paul, Lizotte, Allard, Morin, Masse, Russell, Loubier, Cardinal, Maltais (Limoilou), Cloutier, Boivin, Beaulieu, Boudreau, Mathieu, Lussier, Beaudry, Bernatchez, Lavoie, Sauvageau, Plamondon, Gauthier (Berthier), Théorêt, Demers, Léveillé, Desmeules, Croisetière, Hamel, Roy, Leduc (Laviolette), Martel, Martellani, Gardner, D'Anjou, Bergeron, Picard (Dorchester), Shooner, Belliveau, Crôteau, Lesage, Séguin, Courcy, Levesque (Bonaventure), Arsenault, Lafrance, Lacroix, Beaupré, Binette, LeChasseur, Coiteux, Blank, Choquette, Baillargeon, Kennedy, Mailloux, Théberge, Lefebvre, Bienvenue, Fraser, Goldbloom, Pearson, Picard (Olier), Tetley, Hanley.

M. LE SECRETAIRE: Pour: 5. Contre: 66. Yeas: 5. Nays: 66.

M. LE PRESIDENT: La motion est rejetée. L'honorable député de Saint-Laurent.

M. Léo Pearson

M. PEARSON: M. le Président, j'ai quelques brèves remarques à faire, en troisième lecture, sur le bill 63.

Quand j'ai vu arriver le bill 63, personnellement, j'en ai été très surpris, même abasourdi. Je me suis dit: ce n'est pas possible qu'après avoir vécu l'expérience du bill 85, le gouvernement n'ait rien appris. Son attitude faisait mentir le proverbe: chat échaudé craint l'eau chaude...

M. ROY: L'eau froide.

M. PEARSON: Mais non, le même gouvernement décide de replonger tête première, avant que les blessures du bill 85 ne soient cicatrisées.

C'est ainsi que son parrain, le ministre de l'Education, illustre les différences entre les deux bills en disant que c'est le bill 85 moins 22 articles. Autant le parrain était contre le bill 85, autant il est pour le bill 63. Aussi n'est-il pas surprenant que je me sois personnellement posé des questions, que j'aie revécu l'aventure du bill 85 où il y eut une opposition à l'intérieur du parti ministériel, il y eut des remous au sein de la population pour aboutir au renvoi à la commission de l'Education et finalement à la création de la commission Gendron.

A ce moment, l'Opposition avait surtout porté ses remarques sur le fait que le bill était nettement incomplet, rempli de trous et voulait la deuxième lecture afin de proposer des amendements et compléter ce bill infirme.

J'avais dit, à cette époque, soit le 16 décembre 1968: C'est une solution globale de la langue que le gouvernement aurait dû apporter. Au lieu de cela, il a voulu corriger une situation anormale tout en préparant, pour plus tard, je l'ai supposé, une politique globale faisant l'objet d'un bill à venir.

Quelles sont les questions qui me sont instinctivement venues à l'esprit, lors du dépôt du bill 63? Je me suis dit pourquoi un bill aussi infirme? Est-ce par naïveté, inconscience ou vengeance? Pourquoi le dépôt, à ce moment précis?

Est-ce pour affirmer une autorité sur un parti, se venger d'un échec, remplir une pro- messe électorale, améliorer le visage d'un leadership, bénéficier d'une partie des $50 millions qu'Ottawa s'apprête à voter ou forcer un réalignement des forces au sein de l'Union nationale et du Parti libéral? Quelles ont été les réactions ou les conséquences immédiates du dépôt du bill 63?

La première réaction a été une explosion d'émotivité. Plusieurs revivaient, en une courte période de temps, des centaines d'années de frustration et sentaient en même temps les dangers lointains, mais aussi actualisés de l'assimilation. Bref, une partie de la population a senti et vécu dans le présent les frustrations du passé et les inquiétudes de l'avenir, en faisant appel à ce qu'il y avait de plus profond, son identité.

Je ne sais pas comment un sociologue ou un anthropologue pourrait qualifier ce phénomène. J'ai moi-même senti cette douleur, M. le Président. Aussi, je ne suis pas surpris qu'elle ait pu donner lieu à certains écarts de langage. Il faudrait être aveugle ou singulièrement inconscient pour l'ignorer complètement ou qualifier ceux qui ont ressenti plus vivement que d'autres ce drame de cinglés, de rêveurs ou d'irréalistes.

J'ai senti également, pour la première fois de ma vie, la douleur de me voir traité de traître, de lâche ou de vendu. Je me suis demandé alors si les milliers de manifestants — et j'en ai vu des milliers qui avaient à peine douze à quatorze ans — voyaient des choses que, malgré des efforts sincères, je ne voyais pas, au moins de façon aussi dramatique. Je me sentais alors un peu diminué vis-à-vis de moi-même. Pourtant, en faisant un examen de conscience, je ne trouvais rien dans mon attitude qui pouvait s'apparenter avec de la traîtrise ou de la lâcheté.

Aujourd'hui, n'est-il pas de notoriété publique que l'homme politique est presque automatiquement qualifié de menteur, de véreux, d'ambitieux et même d'un être capable de sacrifier sa mère et tous ses principes au profit de ses ambitions? J'ai donc intérieurement, comme d'autres, essuyé plusieurs de ces insultes. J'ai pensé que c'était une partie du métier.

J'ai fait ensuite un effort pour me dégager du contexte émotif, car durant la tempête, ce n'est pas le temps de perdre la tête. J'ai donc, à tête reposée, tenté d'analyser exactement ce qui pouvait soulever autant de passion, tenté de déceler le bien ou le mal-fondé des craintes exprimées, ce qui rendait le projet de loi dangereux ou odieux pour une partie non négligeable de la population.

L'article 2, en particulier, en est responsable. Il est à lui seul rempli de dynamite... Il appelle instinctivement la réaction. Pour certains, il présente un danger d'hémorragie des francophones vers le secteur anglophone. Je ne partage pas cette inquiétude au même degré. Je me suis dit pourtant qu'on ne corrige pas des centaines d'années d'histoire instantanément; autrement, c'est la révolution. Egalement, la langue n'est pas le seul correctif. Ainsi, le désintéressement des francophones pour les carrières scientifiques, commerciales, pratiques, la peur du risque et de l'avenir, un certain manque de confiance en soi, la difficulté à s'adapter au système d'éducation visant à éduquer la liberté de l'enfant plutôt que de le mouler à l'obéissance et à la soumission, la démission du monde adulte ne sont que quelques exemples du chemin à parcourir avant de pouvoir marcher la tête haute.

J'ai pensé que si nous trouvions des moyens d'atténuer certains dangers du bill, si nous empêchions la possibilité d'hémorragie, comme certains le pensent, si nous trouvions un moyen de renverser la vapeur relativement a l'intégration des immigrés au secteur anglophone, si nous apprenions de la bouche même du gouvernement les étapes qu'il veut franchir nous indiquant du fait même l'objectif visé, si nous réussissions à amender le bill, etc., cela calmerait certaines appréhensions. Le bill servirait alors d'avertissement que les choses ne seront plus les mêmes au Québec dans le futur, que d'ici quelques années, soit après le dépôt du rapport Gendron, le gouvernement apportera une politique globale de la langue, se servant en plus de l'expérience incitatrice du bill 63, justifiant alors des mesures plus directes si l'expérience se soldait par un échec.

Personnellement, notre peuple ayant attendu très longtemps, je suis prêt à attendre deux ans, surtout si je sens que là, vraiment, nous résoudrons en grande partie, sinon en totalité, ce problème. Il faudrait, à mon sens, être drôlement radical pour exiger davantage. A ces impatients, je dirais, comme la fourmi à la cigale: Mais vous, que faisiez-vous au temps chaud?

Vous qui avez aujourd'hui 40, 50 ou 60 ans, qui avez subi durant tout ce temps la frustration, qui avez crié dans le désert, qui avez parlé à des sourds, aujourd'hui que vous avez en face de vous des hommes politiques conscients, des interlocuteurs valables, vous sautez à l'extrême. Vous exigez que ces gens se mettent à genoux, vous boycottez, par exemple, la commission Gendron; où voulez-vous en venir exactement? Après avoir attendu toute votre vie, vous ne vous sentez plus maintenant la force morale de coopérer, aussi près du but?

Qu'est-ce que deux ans? Vous avez un rôle de leader à jouer et je crains que quelques-uns parmi vous perdent la tête. Après avoir bâti tout le contexte une bonne partie de votre vie, votre impatience et votre radicalisme risquent de détruire tout ce que vous avez érigé, risquent de déclencher une véritable guerre entre les deux groupes ethniques du Québec, guerre dont les frais incomberont, en forte partie sinon en totalité, aux Canadiens français.

Les conséquences immédiates du dépôt du bill 63, M. le Président. Premièrement, certains corps intermédiaires ont eu l'impression d'avoir été les dindons de la farce, que les séances de la commission de l'Education et de la commission Gendron n'étaient qu'un camouflage, qu'une façon élégante pour le gouvernement de sauver la face temporairement, que le gouvernement voulait passer un sapin ou un Québec à la vapeur, ayant échoué une première fois à prix assez élevé.

La réaction a été immédiate, spontanée, violente. De cette réaction provoquée par l'attitude rigide du gouvernement, au début, on est complètement sorti du contexte du bill 63. Ce furent, premièrement, les déclarations contestant globalement le Parlement, la société pourrie, les traîtres, etc., puis les réactions du ministère de la Justice concernant le droit à l'expression d'opinions ou de manifestations, conséquences indirectes, entraînant la ville de Montréal à voter un règlement interdisant les manifestations à cause des dangers de désordre, les accusations de sédition, les appels du premier ministre et de plusieurs députés au respect de l'autorité constituée, les démissions de deux députés de l'Union Nationale et d'un député libéral. Je respecte, en passant, le jugement qu'ils ont posé, j'admire leur courage, mais il serait injuste et faux de leur part de penser que tous les autres...

M. MICHAUD: Du caucus, pas du parti.

M. PEARSON: ... sont des traîtres, que tous ceux qui ont porté un jugement différent ne sont que des opportunistes ou des suiveux. Je suis d'accord que dans les deux partis, de tels êtres existent peut-être, mais il en reste quand même un certain nombre qui ont une conscience, une pensée personnelle.

Leur sincérité ne peut être mise en doute simplement parce qu'à la suite de réflexions similaires, ils ont pu arriver à des conclusions différentes.

En premier lieu, je mentionnais que j'ai été

surpris, j'ai dit également mon scepticisme en signalant certaines questions qui me sont venues instinctivement à l'esprit. J'ai écouté les arguments invoqués par ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. J'ai lu également, analysé, essayé, au moins en partie, de quitter la subjectivité. J'avais décidé personnellement, en deuxième lecture, que je ne pouvais voter pour le projet de loi tel que déposé, additionné de déclarations du premier ministre indiquant qu'il n'accepterait aucun amendement, laissant sous-entendre que ça passerait ou que ça casserait. Cela, malgré les risques électoraux personnels.

Ici, je voudrais signaler que le député de Saint-Laurent, pour le simple fait qu'honnêtement il a essayé, durant cette aventure, de faire acte de tout être intelligent, a automatiquement perdu électoralement un certain nombre de votes, comme tous ceux qui se sont posé des questions. Je l'ai fait car, par tempérament et par formation, j'ai été habitué à marcher debout, j'ai voulu me reconnaître au lendemain du bill 63, j'ai voulu, si vous voulez, pouvoir continuer à vivre avec moi-même.

Une remarque au sujet d'une accusation par laquelle je me suis senti personnellement visé comme faisant partie d'un groupe. Dans le journal Le Soleil du lundi 17 novembre 1969, un article de M. Raynald Tremblay dit, « M. René Levesque, lors de la convention pour le choix d'un candidat dans le comté de Dubuc, aurait accusé — selon l'article — les deux vieux partis d'avoir fait coalition dans l'affaire du projet de loi 63 pour préserver les intérêts communs. » Etant membre de l'un de ces vieux partis, ou partis de guenille, comme aime à le répéter M. Lévesque, je me suis senti personnellement visé. J'ai toujours eu de l'estime pour le député de Laurier, même après son départ du Parti libéral, je ne m'en suis jamais caché, indépendamment du fait que je ne suis pas d'accord avec sa pensée politique. Cependant, je considère que la vérité a des droits et que la démagogie ne doit pas dépasser certaines limites. Ayant vécu en entier la douloureuse expérience non terminée du projet de loi 63, je mets le député de Laurier au défi de prouver son accusation ou simplement de me convaincre personnellement de la vérité de ses avancés.

Je mets mon siège de député en jeu à cet effet. Je n'ai jamais accepté de me laisser manipuler par qui que ce soit. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer. S'il a raison, je démissionnerai non seulement du caucus, mais aussi comme député. Je pense que le temps était bien mal choisi pour torturer aussi allègrement la vérité.

Qu'est-ce que le parti libéral a fait durant cette aventure, M. le Président? Premièrement, il a essayé d'empêcher le bill d'être adopté à la vapeur. Il a fait ressortir l'inopportunité de sa présentation immédiate, dans le contexte actuel, après l'expérience acquise par les péripéties du bill 85. Il a illustré ses trous béants. Il a signalé, également, les dangers contenus dans l'article 2 en particulier. Il a démontré qu'il est conscient des inquiétudes d'une partie de la population. Il a tenté de contrer les dangers des articles 2 et 3, en les balisant, en essayant d'atténuer les risques d'hémorragie vers le secteur anglophone. Il a essayé de replacer le boeuf devant la charrue par des amendements sur la langue d'usage ou prioritaire ou langue de travail.

Il a éprouvé les déclarations d'intention du gouvernement par des suggestions, par exemple, commission de surveillance, appel devant l'Office de la langue française. Il a interrogé le gouvernement sur les objectifs visés, sur le but poursuivi. Il a obtenu la confirmation que certains articles ne sont que provisoires, qu'un essai, que le résultat de l'expérience pourra amender le bill, que le rapport de la commission Gen-dron apportera d'autres mesures.

A mon sens, M. le Président ce bill— le premier ministre et le ministre de l'Immigration l'ont déclaré sous une forme ou une autre — est devenu un bill incitateur, un bill-expérience ou un bill-avertissement. Tel que présenté, il contenait, même dès le début, des principes valables qui étaient Inacceptables; toutefois, à cause de leur infirmité trop apparente. Le premier ministre, en annonçant des amendements, ouvrait la porte à d'autres amendements, amenant ainsi la possibilité de corriger certains défauts ou d'atténuer certains dangers. Tel qu'il est actuellement en troisième lecture, à mon sens, il n'est pas parfait, mais il est un premier pas, un départ, un bill-avertissement, un bill annonçant la direction.

Les résultats façonneront, à mon sens, le prochain bill en ajoutant l'étude des recommandations du rapport Gendron et l'expérience acquise avec le bill 63.

Je continue de croire que l'objectif final à atteindre est une politique globale de la langue. Dans ce contexte, M. le Président, je voterai pour le bill 63, en troisième lecture.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, vu qu'il est 5 h 55 et que je voudrais exercer mon droit de parole en troisième lecture, est-ce que je pourrais demander l'ajournement du débat?

M. BERTRAND: Suspension du débat... Le débat est suspendu.

M. PAUL: Suspendu jusqu'à huit heures.

M. LEVESQUE (Laurier): Suspension du débat.

M. PAUL: A huit heures.

M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux Jusqu'à huit heures.

Reprise de la séance a 20 heures

M. LEBEL (président): A l'ordre, messieurs!

L'honorable député de Laurier.

M. René Lévesque

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je voudrais exercer le droit de parole normal que j'ai en troisième lecture sur le bill 63.

Je voudrais commencer en évoquant une phrase du député de Montcalm. Hier, au cours de ce débat en troisième lecture, le député de Montcalm disait qu'en ce qui concerne le sujet traité par le bill 63, tous sont d'accord sur les buts: « les divergences n'apparaissent qu'au niveau des moyens ».

C'est une de ces phrases, genre vérité de La Palice, qui, justement, nous permettent de centrer, je crois, le débat, enfin qui me permet à moi de centrer la façon dont je veux exercer mon droit de parole pendant à peu près une demi-heure au maximum, comme c'est prévu, quand il s'agit de discuter en troisième lecture, avec la latitude normale et presque anormale qui s'est exercée depuis le début hier; on est sur le contenu et sur les articles du bill, nous les jugeons. Et c'est là justement que la vérité de La Palice du député de Montcalm apparaît. C'est vrai que sur les buts nous sommes tous d'accord. Nous regardons le titre qui a changé comme on le sait: Loi pour la promotion de la langue française.

Nous sommes tous d'accord, nous nous faisons tous de beaux discours des deux côtés de la Chambre, nous sommes pour la vertu contre le péché, tout le monde est d'accord sur les principes.

En fait, justement, les divergences n'apparaissent qu'au niveau des moyens. Pourquoi? Parce que toute la Politique, avec un P majuscule, c'est l'art des moyens, ce sera toujours vrai dans l'histoire des sociétés humaines.

Or, à ce niveau des moyens, les grands moyens qui sont, à toutes fins pratiques, les seuls instruments de la politique, moi, mon opinion, en troisième lecture, qui demeure la même depuis le début, c'est que, fondamentalement, nous sommes devant une loi incohérente et mauvaise. Incohérente, je ne recommencerai pas, sur l'ensemble, de paraphraser ce qu'a dit lui-même le député de Louis-Hébert quand il a parlé, je crois, en troisième lecture, d'une collection de pièces détachées. A toutes fins pratiques il y a même des pièces qui sont apparues en cours de route.

Il y a quatre lois fondamentales qui sont im-

pliquées dans ce petit projet de loi, trois ministres. On a rapaillé des choses, c'est une loi qui est devenue comme une espèce de commencement de jalon, de ce qu'on appelait une politique linguistique globale, on s'en défendait en première lecture et en deuxième lecture. Maintenant, on dit qu'on pose des jalons. Mais, intellectuellement, je crois que c'est un exercice de camouflage, l'ensemble de cette loi qu'on a quelque peu améliorée au niveau du camouflage, avec les amendements qui ont été apportés, je voudrais en parler un peu plus loin, mais ça demeure une parodie de politique linguistique et une loi qui est potentiellement dangereuse et qui, par conséquent, est foncièrement mauvaise à cause de son article 2.

L'article 2, c'est le libre choix, le statu quo. Là-dessus, je voudrais préfacer mon très bref commentaire par une citation, que j'espère correcte, des propos du chef de l'Opposition, hier, en troisième lecture. Le chef de l'Opposition a dit: L'unilinguisme, au point de vue scolaire ou à d'autres points de vue, c'est une utopie, c'est illusoire dans le sens de prétendre enlever à plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens des droits qu'ils ont acquis par tradition et qu'au point de vue de l'équité ou de la justice, comme au point de vue bon sens politique, il serait en effet utopique, illusoire de prétendre le leur enlever. Je voudrais dire ça dès le début, parce que le Parti québécois a également cette opinion.

Le chef de l'Opposition a ajouté, en parlant des unilinguismes totaux, globaux qui prétendraient abolir d'un trait de plume plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens au point de vue culturel: « On ne règle jamais un problème en proclamant qu'il n'existe plus ». C'est vrai. Ce n'est pas par une feuille de papier et par certains délires excessifs qu'on va faire disparaître cette réalité sociale, culturelle et aussi économique, ne l'oublions pas, qui s'appelle les quelques centaines de milliers de nos concitoyens québécois de langue anglaise. Cela a toujours été la position de celui qui vous parle et c'est ce que vous retrouvez également dans le programme du Parti québécois.

On ne règle pas un problème en proclamant qu'il n'existe plus, d'accord. Mais l'article 2, lui, prétend régler un problème en établissant une loi permanente et en passant à côté du problème, parce que le problème existe. Le chef de l'Opposition l'a dit à peu près comme ceci, répétant ce qu'on dit depuis le début et que l'opposition circonstancielle a répété à satiété pendant la discussion de l'article 2 en comité: « Les droits de la majorité ne peuvent pas être garantis dans la négation des droits de la minorité; il faut trouver un point d'équilibre entre les deux ». C'est ce qu'a dit le chef de l'Opposition, je suis parfaitement d'accord.

La seule chose qu'il y a, c'est que l'article 2, à notre avis, ne trouve pas ce point d'équilibre; il passe à côté du problème. Le problème, c'est que, dans la région métropolitaine de Montréal, à cinquante milles de rayon du Mont Royal, vous n'avez pas loin de la moitié de la population du Québec. Vous avez, au point de vue démographique, une assimilation galopante des immigrants, une dénatalité de la communauté québécoise de langue française, ce qui fait qu'il est prévisible que, d'ici une vingtaine d'années, on pourrait être en minorité dans ce coeur démographique du Québec, coeur industriel, coeur culturel, coeur à tous les points de vue. Cela, ce n'est pas permis pour un gouvernement. Un des premiers devoirs des gouvernements, c'est de prévoir. L'article 2 ne prévoit rien. Le long du chemin, on a dit: On corrigera, on rafistolera au besoin, si on s'aperçoit que c'est dangereux.

Or, tous les indices sont à l'effet que c'est dangereux. Je cite le chef de l'Opposition: « II faut trouver ce point d'équilibre entre les droits de la majorité et les droits de la minorité. » Le programme du Parti québécois, qui a été laborieusement mis au point — j'évoque le programme de notre parti, comme le chef du Parti libéral a évoqué le programme libéral — dit à ce propos, j'en cite l'essentiel: « Dans le secteur anglophone de l'éducation, les écoles primaires et secondaires — c'est bien de cela que parle l'article 2 — seront subventionnées au prorata de la population. » L'an dernier — c'est très général, c'est un principe — dans un contre-projet au défunt caduc bill 85, qui a été retiré, mais dont le coeur était le même, on a fait l'effort — cela a été reproduit dans les journaux — difficile d'essayer d'établir une formule.

Je me souviens que, pendant son intervention sur la motion du député de Gouin cet après-midi, le ministre de la Justice disait: Nous serions hésitants, s'il y avait des recommandations positives. Il faut vraiment faire le na'if à un point invraisemblable pour oublier que, sans arrêt pendant la discussion en comité, qui était le moment de présenter des amendements, nous nous sommes tués pour essayer d'en présenter qui feraient ce point d'équilibre entre les droits de la majorité, qui sont menacés, et les droits de la minorité, qu'il ne faut pas abolir ou piétiner. Le coeur de ce contre-projet essayait d'expliciter le programme du Parti québécois, aussi bien pour un Québec souverain qu'a fortiori pour le Québec provincial et menacé d'aujourd'hui.

C'était une formule de contingentement des

places-élèves qui aurait pu entrer dans l'article 2, qui aurait rendu l'article 2 une balise — ce point d'équilibre, si vous voulez — impersonnelle qui n'aurait pas amené l'épluchage des familles ou des gens, une balise basée sur les places-élèves dans Québec, respectant tous les droits acquis de la minorité actuelle, y compris même de nos anglicisés. Leur choix est fait, personne ne les a empêchés de le faire, on est d'accord. Mais, protégeant l'avenir au point de vue des fonds publics et des subventions aux écoles publiques, assurant à ces gens-là leur augmentation normale au point de vue démographique, ne leur fermant pas la porte des écoles privées de toute façon, mais disant: Jusque là, mais pas plus loin au point de vue du « subventionnement » de l'assimilation de la région métropolitaine de Montréal. On a refusé, on a dit: Ce n'est pas dans la tradition québécoise.

J'ai évoqué à ce moment-là, et je le rappelle, une loi de 1869 de la belle province de Québec, au tout début de la confédération, qui déjà établissait le contingentement, sur une autre base, évidemment, puisqu'à ce moment-là les seules bases de diversification étaient la religion et non pas la langue.

Mais, entre protestants et catholiques, basé sur les derniers recensements, on contingentait, dans la Loi de 1869 du Québec, les fonds publics dans la région de Montréal et dans tout le Québec, à tous les niveaux. Alors, qu'on ne vienne pas nous dire que c'est contre la tradition, que ça n'a jamais été fait etc. On l'a refusé, bon, on l'a refusé comme un mur, d'accord.

A partir de là, le coeur de ce bill, étant ce maintien désuet d'une tradition dangereuse, aux effets imprévisibles, mais qui, de toute façon, ne seront pas bons pour nous, vicie cette loi et fait qu'en troisième, comme en deuxième, comme en première lecture, à notre humble avis, l'opposition circonstancielle et celui qui vous parle, M. le Président, ce n'est pas une bonne loi. C'est une loi mauvaise pour nous, comme peuple, mauvaise pour nous comme communauté culturelle, même si on veut faire de l'optimisme désuet comme le député de Richmond l'a fait hier. Je voulais lui répondre en lui donnant juste cet exemple-là, cet après-midi, mais le temps ne me l'a pas permis; je voulais juste le mentionner en passant.

Je n'ai pas à mettre en doute la sincérité du député de Richmond, mais j'ai quand même à répliquer à quelque chose qui ne répond plus aux conditions d'aujourd'hui et qui, peut-être, jusqu'à un certain point, permet d'expliquer certaines des réactions du premier ministre qui vient de la même région où on entretient des illusions, à cause d'une sorte de triomphalisme qui vient du fait que les Cantons de l'Est ont déjà été anglais. Cela s'appelle aujourd'hui l'Estrie, comme le dit, enfin, couramment le député de Richmond. Je paraphrase à peine là; il me corrigera si je me trompe. Il a dit hier que, plutôt que de faire du pessimisme par rapport à l'avenir du Québec — nous on parle de la région métropolitaine de Montréal — il faudrait regarder l'exemple de l'Estrie qui, sans manifestation, sans coercition, sans excitation — enfin, c'est à peu près ça, je crois — s'est francisée depuis le milieu du 19e siècle.

M. BERGERON: C'est vrai.

M. LEVESQUE (Laurier): ... alors que tout était anglais.

M. BERGERON: C'est vrai. Si c'est vrai?

M. LEVESQUE (Laurier): Ah oui, d'accord, c'est vrai, mais c'est dépassé.

M. BERGERON: C'est dépassé, ah bon!

M. LEVESQUE (Laurier): Ah oui, c'est ça, vivons dans le folklore. C'était au moment où la natalité québécoise était presque caricaturale, où on pouvait parler de la revanche des berceaux. A ce moment-là, les trop-pleins de population de la Beauce et de la vallée de La Chaudière s'en allaient dans les Cantons de l'Est. J'ai des amis dont les familles ont émigré. Tout le monde doit en connaître; ils s'en allaient du côté des Cantons de l'Est, pendant que les Cantons de l'Est refluaient, à petite natalité, une bonne partie de la population anglophone vers Montréal où elle est maintenant concentrée. C'est vers la même époque, d'ailleurs, que la natalité superprolifique des Québécois faisait aussi que Montréal, ville anglaise en majorité, est redevenue majoritairement ville française. Le phénomène correspondant se produisait à Montréal. On n'est plus à cette époque-là. La natalité québécoise... Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais les berceaux sont remontés au grenier.

M. BERGERON: II n'y a que le député de Laurier qui entend parler de quelque chose dans la province de Québec.

M. LEVESQUE (Laurier): Je ne vais pas discuter avec le député. Je dis simplement que la natalité sur laquelle on s'appuyait, c'est fini. Par ailleurs, les grandes vagues d'immigration sont venues au tournant du siècle, d'abord, et

ensuite après la deuxième guerre mondiale. Celles qui se sont multipliées depuis la deuxième guerre mondiale sont un autre genre d'immigration que les premières. Dans le cas des Italiens, c'est typique. Ils s'en vont tous du côté anglais, c'est un fait. Qu'on le veuille ou non, c'est un fait actuellement. Donc, les conditions ne sont plus les mêmes et qu'on ne nous donne pas des exemples triomphalistes, des trucs de la fin du 19e siècle alors qu'on s'en va vers la fin du 20e et que les conditions socio-économiques et culturelles ont changé. Or, il y a eu un précédent dans le contingentement...

M. BERGERON: Est-ce que le député de Laurier me permettrait une question?

M. LEVESQUE (Laurier): Non, comme c'est mon droit. J'ai droit à une demi-heure maximum, d'après ce qu'on m'a dit; c'est vrai? Bon, il y a déjà douze minutes de passées, je crois, dix à douze minutes. Donc, je continue.

L'article 2 est fondamentalement vicieux à notre avis pour toutes les raisons que je viens de donner. Le précédent du contingentement qui est impersonnel, qui n'oblige pas, puisqu'il s'occuperait uniquement des places-élèves qui sont subventionnées en disant à notre minorité anglophone: On ne vient pas vous tordre le bras et commencer à éplucher vos familles et vos ascendants pour savoir qui est anglicisé et qui était le grand-père; était-il anglophone ou francophone? c'est-à-dire verser dans les environs du racisme comme quand on épluche des gens, c'est foncièrement une méthode de contingentement impersonnel disant à notre minorité: Voici le nombre de places subventionnées à laquelle vous avez droit; votre avenir démographique, voici comment il sera assuré. C'est vous autres qui administrerez ça. C'est la meilleure façon de protéger une société sans éplucher les autres et en leur laissant leurs droits. On s'est buté à un mur. Il y avait un précédent pourtant, et on ne l'avait même pas remarqué en 1969 dans Québec. On s'est buté à un mur, cela a été refusé. A cause de ça, le bill est vicieux. Je ne parlerai que pour mémoire de l'article 3 parce que ce caractère d'incitation de l'article 3 sur les immigrants demeure du folklore.Ceux qui n'en sont pas convaincus pourront vérifier les faits suivants qu'on m'a appris aujourd'hui. A propos des immigrants, ça passe complètement à côté du problème, l'incitation. En voici trois exemples que l'on m'a rapportés. Trois commissions scolaires. Peut-être que le député d'Ahuntsic, et je ne demande pas de réponse, si ça l'intéresse pourra vérifier et peut-être préciser.

M. LEFEBVRE: J'ai entendu à la radio.

M. LEVESQUE (Laurier): Je ne sais pas, mais je pense que c'est un domaine qui l'intéresse. Voici ce qu'on m'a appris: trois commissions scolaires, celle de Montréal, celle de Lachlne et celle de Saint-Léonard ont institué des classes d'accueil où l'on offrait d'enseigner le français aux enfants des nouveaux immigrants.

On a tout fait pour inciter et persuader les parents. Evidemment, dans le cas de Saint-Léonard, il y a peut-être des raisons de climat pour que cela ne marche pas, mais La-chine et Montréal, c'est autre chose. On a dépensé, pour ce faire, beaucoup de temps et d'énergies. Quelques rares élèves se sont présentés. Les parents préfèrent mordicus inscrire leurs enfants à l'école anglaise afin qu'ils puissent s'intégrer du côté anglophone et, éventuellement, du côté américain, et accéder à de meilleurs postes dans le monde du travail. Ces écoles d'accueil fermeront bientôt avant même que le gouvernement n'établisse à coup de millions des institutions semblables, enfin, si on pense à l'incitation dont on nous parle.

A toutes fins pratiques, l'incitation, dans la région même où il en est question, parce que ce n'est tout de même pas au Lac Saint-Jean ou en Gaspésie que le problème se pose ou dans le Bas du fleuve, l'incitation, pour autant que les exemples en sont là, non seulement ne donne pas de résultat — je ne demande pas de réponse, je dis: les exemples qu'on m'a donnés — pour l'instant, mais tourne plutôt au négatif, et je n'ai rien de plus à dire sur l'article 3.

Mais ce qui est intéressant, c'est l'article 4, M. le Président. Cela, c'est devenu, si vous voulez, la façon de sauver ce bill. Ah, ça c'est quelque chosel C'est la langue de travail, éventuellement la langue d'usage, comme le rappelait le chef de l'Opposition — ça retourne, jusqu'à un certain point, à des principes du programme libéral au niveau des principes généraux — le centre dos dirigeants d'entreprises dans sa première recommandation, récemment, parlait d'établir le français comme langue de travail, question de la rentabilité de la langue.

C'est vrai que nous sommes portés à désin-carner ces problèmes-là trop souvent, à s'imaginer que cela va se régler ailleurs que dans le travail quotidien et dans la vie quotidienne. Parce qu'une langue, ce n'est pas qu'une âme, c'est un corps, et le corps de notre langue est débile parce que trop souvent — je vais donner l'exemple de New Richmond, il y en a d'autres, je ne recommencerai pas les exemples — très souvent, le corps, la substance rentable de la

langue existe tellement peu qu'à toutes fins pratiques un gars finit par vomir sa langue en même temps que sa personnalité si on ns fait pas attention, tellement cette rentabilité n'est pas assurée. Donc, on a raison de dire, je crois, qu'une bonne partie sinon l'essentiel du fond du problème est de ce côté-là. Mais qu'est-ce qu'on en a fait? A partir d'un projet de loi qui n'en parlait pas, on a, tant bien que mal, tricoté en Chambre, ici, un article 4 qui devient deux articles du la Loi du ministère des Affaires culturelles.

On a confiance que l'Office de la langue française, c'est le coeur, je crois, de la confiance qu'on y met, surtout du côté libéral parce que cela a été l'essentiel des amendements. On a confiance que l'Office de la langue française pourra corriger des situations injustes pour les employés et les travailleurs, mieux que comme; c'était prévu, ei je cite: « Grâce aux pressions qui seront exercées inévitablement par le droit d'aller porter plainte en cas d'iniquité linguistique, le droit d'aller porter plainte qui est accordé aux travailleurs francophones par 14a) de la loi nouvelle, je veux dire des nouveaux articles de la Loi du ministère des Affaires culturelles.

On a passé le fardeau aux travailleurs. On leur demande — ce qu'à mon humble avis le Parlement n'a pas eu le courage de faire — à eux, les travailleurs, à New Richmond et ailleurs, d'avoir le courage d'aller se plaindre de leurs patrons, ou de tout le climat linguistique d'une entreprise. Et là, l'article 14 a) dit que l'office aura le droit d'examiner toute la « patente » et de faire des recommandations. C'est bien ça. A mon humble avis, c'est également rêver en couleur.

Je vais donner une analogie. Pourquoi n'a-ton pas établi un principe général? Des analogies, je pourrais en donner deux ou trois. Je prends celle du « check off » volontaire, de la déduction à la source, qui est dans l'article 38 du code du travail, qui, autrefois, était une matière de négociation. On en fait une règle générale. Maintenant les patrons sont obligés d'accepter le « check off ». Autrement dit, on a établi un principe et on a dit: Il faut l'appliquer.

Evidemment on peut nous dire — et le chef de l'Opposition a évoqué cette réponse-là — Tous les cas sont d'espèce dans le domaine qui nous préoccupe. Par conséquent, il faudrait examiner les cas d'espèce. C'est là-dessus, d'ailleurs, que le chef de l'Opposition a dit que les amendements qu'on avait proposés à l'article 4 — au moins à deux reprises, je crois — qui tous ont été jugé irrecevables, pour des raisons — en tout cas, je respecte la magistrature de la Cham- bre — mais pour des raisons de technique ou de formulation essentiellement, que ces amendements n'étaient pas réalistes, parce qu'on prétendait établir par des prescriptions le domaine de la langue du travail comme d'autres domaines auxquels je reviendrai rapidement. Parce que presque tous les cas sont des cas d'espèce, et qu'on ne doit pas les trancher au couteau! Je crois que c'est à peu près cela. Le chef de l'Opposition a même dit: C'est beaucoup mieux, dans ce domaine-là — la langue de travail — d'étudier avec les dirigeants des entreprises la façon de faire respecter le français, sans nuire à leurs affaires. Je cite: « Eux, ils comprennent ça, ces gens-là. » Sous-entendu: Des gens comme nous autres proposant des amendements précis, nous ne comprenons rien. Mais eux, ils comprennent ça. On voit ça dans le Devoir, ce matin. Eux, ils comprennent. Il y en a eu un paquet à la commission Gendron qui comprennent ça. Ce matin, on nous rapporte le cas d'un M. Wright qui comprend ça, c'est effrayant! M. Wright est allé à la commission, et je cite dans le Devoir de ce matin...

M. LESAGE: M. le Président, je regrette. Je n'ai pas dit « eux ». Je n'ai pas dit: « Ces gens-là comprennent ça ». Je ne me suis pas servi de cette expression-là. J'ai dit qu'il valait mieux tenter de s'entendre avec eux et qu'il y avait lieu d'espérer que des ententes...

M. LEVESQUE (Laurier): Je prends...

M. LESAGE: J'ai relu, comme je le fais toujours, mot à mot, mon texte, les épreuves des Débats, et les mots n'y sont pas.

M. LEVESQUE (Laurier): Je prends la précision du chef de l'Opposition. Je n'ai rien à ajouter. J'avais pris ça entre guillemets... Donc...

M. LESAGE: D'ailleurs, ce n'était pas loin de ça.

M. LEVESQUE (Laurier): ... mais je n'ai pas vérifié le journal des Débats. Si la phrase n'y est pas, j'admets qu'elle n'y est pas. Elle est sur mon papier, mais...

M. LESAGE: Je crois qu'il y aune nuance...

M. LEVESQUE (Laurier): En tout cas, il y a un gars qui comprend ça. Je vais la prendre pour moi, la phrase. Parce que ça revenait à cela, au fond.

Je cite, dans le Devoir de ce matin, M. Wright qui comprend ça, lui, qu'adviendrait-il, lui demanda-t-on, si tous les Québécois pou-

valent s'exprimer couramment en français? Cette langue pourrait-elle alors devenir — toujours en fonction de l'article 1 — disons en 1963 ou quelque part par là, cette langue pourrait-elle alors devenir la langue de travail, au moins à l'intérieur du Québec? Mr. Wright répondit qu'à son avis ce ne serait pas fonctionnel ni justifiable économiquement. Alors qu'on lui suggérait que, dans cette perspective, les Canadiens français n'avaient plus qu'à cesser de parler français, il conclut: « C'est votre affaire ». Autrement dit; « That is your worry, boys ». Ils comprennent ça, ces gars-là! Ils comprendront ça quand ça leur sera imposé et pas autrement. Et tant qu'ils feront une piastre, à condition qu'on ménage des périodes de transition, à condition que des principes, une fois établis, soient appliqués raisonnablement, ils accepteront de le vivre, de la même façon qu'on établit des principes généraux dans certaines lois.

Je vais prendre un domaine beaucoup moins viscéral. On a établi comme principe général dans nos statuts que le bois du Québec doit être traité dans le Québec. Seulement, il y a le fardeau de la preuve si on veut sortir du principe. Autrement dit, ceux qui veulent tout simplement obtenir la permission de déroger au principe général qui est établi, le fardeau de la preuve leur appartient. Nous ne demandons pas à leurs travailleurs de venir se faire écorcher, nous disons au patron: Viens nous le montrer que tu n'es pas capable. Nous avons dit que ça prendrait trois ans, tu prétends que ça en prendra six, bien viens le prouver. Mais établissons d'abord un principe général.

La même chose pour le domaine minier. Les produits miniers du Québec, en principe, sont censés être tous traités au Québec. Evidemment, dans la pratique, il s'agit de savoir à quel point bouleter, par exemple, du minerai de fer c'est déjà assez le traiter. Devrions-nous les forcer de faire de l'acier, etc.? Tout ces problèmes-là se posent. Mais par dérogation à un principe général qui est que c'est à vous autres de le prouver que vous ne pouvez pas le finir.

Une société civilisée, économiquement comme à d'autres points de vue, accepte qu'on déroge au principe quand c'est nécessaire. Mais quand on a le courage et le sens commun, on établit des prescriptions d'abord.

Qu'a-t-on fait avec l'article 4, dans l'état où il est? Ce sont encore des études, encore pesées, soupesées et élaborées, dans les deux cas, 14 comme 14-A. On va même resonger en matière d'affichage. On a entré le mot affichage, ce n'est déjà pas si mal mais il faut y resonger. Pourtant, on parle de français prioritaire. Nous avons proposé que le français, d'ici quelques années, devienne prioritaire en matière d'affichage. Là, on dit discrétionnairement, le mot est dans la loi, seulement on doit examiner la question. Le français est-il requis ou non dans l'affichage pour que nous ayons un visage français dans le Québec? Est-il requis qu'il ait ia première place d'ici quelques années, oui ou non, si on parle de français prioritaire dans la vie économique? Si c'est oui, faisons-le. Mais non, on va y penser.

La même chose pour les raisons sociales. Tout le long du débat, j'ai deux ou trois références du 28 octobre et du 4 novembre de la part de porte-parole libéraux parlant des raisons sociales. J'en ai donné des exemples dans les pages jaunes de l'annuaire de Québec, ville capitale et 98% française. Nous faisons rire de nous dans ce domaine-là. Raisons sociales, chartes ou permis d'opération, qui opèrent au Québec, cette insulte quotidienne 1

Je me souviens qu'au moment où on parlait d'électricité, on a découvert — moi, ça m'a renversé — que dans la ville de Québec, la Quebec Power Company non seulement employait le moins possible de Canadiens français dans certains secteurs, comme la comptabilité, les auditeurs, etc., mais n'avait jamais été foutue de se donner un nom français, au moins un nom secondaire français. Elle s'appelait la Quebec Power Company pour 95% ou 98% d'usagers canadiens-français.

On finit par aimer ça, manger de la... enfin, se faire insulter. On finit par ne pas s'en rendre compte. Est-ce faisable, oui ou non, que dans une période de transition on dise les raisons sociales, oui, c'est faisable?

On ne veut pas. Très bien. Dans deux ans, dans trois ans. Pourtant, le futur chef du Parti libéral, ou l'un des potentiels futurs chefs, député de Mercier, a dit en Chambre, le 4 novembre, si j'ai bonne mémoire: Cela presse d'agir dans des domaines tangibles, pas en 1975, pas en 1976, pas en 1974, tout de suite. 80% des cadres d'entreprises du Québec sont anglophones. On se fait littéralement humilier continuellement dans la vie économique, ça presse a dit le député de Mercier. Il ne l'a pas redit après. On s'est contenté de l'article 4, incitateur comme tout le reste.

Les conventions collectives et les documents qui sont des communications écrites de la gérance, à quelque niveau que ce soit, aux employés dans les entreprises, est-ce faisable que ce soit rédigé en français? Oui. Pourquoi ne le fait-on pas alors? Des choses précises et qui peuvent être établies par des prescriptions avec des périodes raisonnables en disant: C'est ça qui va être fait.

Des examens de promotion qui touchent le

personnel des entreprises ou qui touchent les communications avec le public ou certaines professions où c'est inconcevable que des gens ne comprennent pas leur clientèle dans la région métropolitaine de Montréal, je pense à des médecins, que d'ici une période raisonnable et précise que ces examens-là soient rédigés suffisamment en français pour être sûr que ces gars-là vont le parler le français. C'est possible dans la vie économique? Oui. Faisable? Oui. On ne veut pas? très bien!

Seulement c'est un bill qui est de la façade, qui est de la frime, discrétionnaire. Pour ce qui est de la langue de travail, dans le programme du Parti québécois et dans le contre-projet au bill 85, ce principe-là, on l'établissait. Dans un Québec souverain, il n'y aura pas de problème, il va être établi. Mais il peut être établi par une province aussi que le français devienne effectivement la langue de travail et des communications dans toutes les entreprises, sauf les toutes petites évidemment où il y aurait des gens de la même famille ou des petits groupes d'employés qui sont tous anglophones. Les conventions collectives négociées et rédigées en français, etc. Ce sont des choses faisables. La seule chose qui manque pour le faire, c'est, à mon humble avis, le courage politique ou, je ne dis pas par manque de sincérité complètement, mais ce conditionnement à l'incapacité de décider parce qu'on est conditionné.

Ce qui est curieux, en terminant, M. le Président, c'est le comportement... Le député de Saint-Laurent, d'un ton presque déchirant cet après-midi, n'a pas compris pourquoi j'ai par-lé,pourquoi, il me semble, tout le monde a parlé d'une certaine coalition, d'un travail bipartisan sur le bill 63. Bien, il me semble moi que ça saute aux yeux. Je n'ai pas à juger les motifs, ça saute aux yeux. Pendant des jours et des jours on a eu l'impression que l'Opposition officielle était comme une espèce de volcan qui se préparait à faire irruption. J'ai des citations à n'en plus finir, des choses. Le 28 octobre, par exemple, le chef de l'Opposition, à la page 3379 du journal des Débats, était catégorique comme ceci: « Ce qui me renverse, c'est que le bill à l'étude ne contient absolument rien pour favoriser le progrès du français dans le monde du travail. Il n'y a rien pour prescrire — remarquez le mot, M. le Président, pour prescrire — l'usage du français dans les communications, dans les usines, dans les ateliers, dans les bureaux d'affaires. Par exemple, il n'y a rien dans le bill Cardinal qui soit de nature à inciter les sociétés — on ne prescrit plus — à utiliser des raisons sociales de langue française ». Raison sociale, le mot vient... La page suivante...

M. COITEUX: M. le Président, sur une question de règlement. J'ai vérifié l'heure, et le député de Laurier a épuisé son temps. Et je ne donnerai jamais mon consentement pour qu'il continue car, pour me servir d'une expression qui lui est chère, je suis écoeuré.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, pourrais-je, sur le même point de règlement, vous demander — moi, je n'ai pas regardé l'heure avec la même conscience que le député de Duplessis, mais il me semble qu'on a commencé à huit heures et cinq.

DES VOIX: Non.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est au président à décider.

M. LE PRESIDENT: Afin de bien m'assurer de l'heure, il me semble que ce n'est pas huit heures et cinq, mais je vais vérifier avec le chronométreur officiel. On me signale qu'il était bien huit heures exactement.

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord, M. le Président. Alors je termine ma phrase en disant simplement ceci, c'est que si le député de Saint-Laurent veut qu'on s'en parle, on s'en parlera ailleurs, il y a eu une coalition bipartisane sur ce bill, et le résultat, en dépit du camouflage, c'est un bill de colonisés, et heureusement, c'est un colonialisme qui, je crois, les réactions le prouvent...

DES VOIX: A l'ordre!

M. LEVESQUE (Laurier): ... achève, dans Québec.

DES VOIX: A l'ordre!

M. LEVESQUE (Laurier): Très bien. Ma phrase est finie.

M. LESAGE: Sur une question de privilège.

En toute justice pour le député do Laurier, je dois dire que je viens de retrouver, à l'épreuve du journal des Débats, l'expression qu'il avait prise en note. Il avait raison, j'ai bien dit: « Eux, ils le comprennent, ces gens-là. » Je ne veux pas prolonger, mais c'était dans un contexte qui était nuancé un peu autrement que celui qu'a mentionné le député de Laurier. Mais, je tiens à faire la correction; il avait raison.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je vous avais envoyé une motion d'amendement.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. Antonio Flamand

M. FLAMAND: M. le Président, au premier article du bill 63, il est dit que « le ministre doit prendre les dispositions nécessaires pour que les programmes d'études édictés ou approuvés pour ces institutions d'enseignement et les examens qui les sanctionnent assurent une connaissance d'usage de la langue française aux enfants à qui l'enseignement est donné en langue anglaise. »

Or, nous avons entendu, au cours du débat en deuxième lecture, le député de Saint-Jean nous faire part de l'expérience qu'il a vécue à un endroit où l'on donnait justement des cours pour permettre à des jeunes gens d'avoir une connaissance d'usage de la langue française, c'est-à-dire au Collège militaire de Saint-Jean. Or, le député de Saint-Jean — et personne n'a mis sa parole en doute — nous a déclaré qu'après trois ans de cours, avec les meilleurs professeurs, avec tous les appareils audio-visuels les plus modernes pour faire en sorte que ces gens-là aient une connaissance d'usage de la langue française, après avoir vécu trois ans dans uns ville française, cela donnait comme résultat que ces personnes, qui étaient soumises à ce cours intensif, réussissaient à peine à s'exprimer en français.

Pour quelle raison? Parce qu'il n'existait pas de motivation, à ce moment-là. La seule motivation possible, dans le cas présent, pour permettre aux élèves de langue anglaise d'apprendre le français aurait dû être que la langue de travail soit uniquement le français et que l'on donne un certain délai — tel que cela a été recommandé tantôt par le député de Laurier — pour que les compagnies, les entreprises puissent en arriver à ce que la langue de travail dans le Québec soit la langue française. Celles qui, pour certaines raisons, dans certains cadres, dans certains endroits, ont des raisons pour ne pas employer uniquement la langue française auraient pu le faire valoir. Or, je pense qu'actuellement nous allons dépenser des millions — cela va coûter énormément cher, c'est une deuxième révolution dans le système d'éducation au Québec — sans que les résultats soient assurés, parce qu'on n'a pas vu à créer cette motivation.

Naturellement, après avoir voulu corriger le bill à l'article 14-a, on laisse entendre que « l'Office de la langue française peut entendre toute plainte de tout employé ou tout groupe d'employés à l'effet que son droit à l'usage de la langue française comme langue de travail n'est pas respecté ». A ce moment-là, cela ne constitue, à mon sens, qu'une faible incitation et qu'une faible motivation pour les gens de langue anglaise d'apprendre le français. Mais à supposer que cela se fasse, qu'est-ce que cela donnera comme résultats? Je pense que personne dans cette Chambre ne s'est opposé à ce que la langue anglaise soit enseignée à nos enfants dans nos écoles secondaires, dans nos collèges et dans nos universités.

Après cela, si on réussissait à faire de tous les Anglais du Québec des bilingues, alors que les nôtres ne le seraient pas, on leur donnerait simplement un instrument supplémentaire pour continuer de contrôler les cadres ou la direction des entreprises actuellement dans le Québec. On priverait, autrement dit, un certain nombre des nôtres, qui peuvent aspirer à occuper des places dans ces entreprises, de certains postes qu'ils occupent actuellement parce qu'ils sont bilingues. Une remarque que je voudrais faire à ce sujet-là: Ceux qui sont devenus bilingues dans le Québec, parmi les Canadiens français, le sont devenus parce qu'ils ont eu la chance — c'est peut-être uns chance — le loisir ou l'occasion d'apprendre l'anglais dans des milieux où la langue anglaise était parlée.

Cependant, ils l'ont fait toujours à partir de leurs propres ressources et de leurs propres possibilités. Aujourd'hui, on va dépenser des millions pour accorder aux Anglais la possibilité de continuer d'occuper ces postes-là. Ce qu'il y a d'important, ce sur quoi nous nous sommes battus jusqu'à aujourd'hui, c'est pour que les Canadiens français et les immigrants qui arriveront ici soient intégrés dans un groupe culturel, dans un groupe sociologique qui soit français. Ce n'est pas pour que les immigrants n'apprennent pas l'anglais, ce n'est pas pour que les Canadiens français n'apprennent pas l'anglais. Ce n'est pas ça que l'on veut. Ce que l'on veut, c'est que nos Canadiens français soient dans un milieu culturel et dans un milieu sociologique français, c'est que les immigrants qui arrivent ici soient dans un milieu culturel et dans un milieu sociologique également français. La meilleure façon et peut-être la seule de s'intégrer complètement à ce milieu culturel ou à ce milieu sociologique c'est de faire son cours élémentaire, son cours secondaire dans un milieu français.

L'article 2, nous l'avons vu au cours des amendements que nous avons proposés en comité plénier, expose également un des principes du bill. A cet article de ce bill, qui originairement était intitulé Loi pour promouvoir l'enseignement de la langue française et qui, après

correction, est devenu Loi pour promouvoir la langue française au Québec, on volt ce paradoxe que les enfants nés de parents Canadiens français, qui normalement auraient été élevés et éduqués dans un milieu culturel, dans un milieu sociologique canadien-français, pourront recevoir, à cause de ce bill-là, d'une façon absolument garantie par la loi, leur enseignement en langue anglaise. Ils pourront faire toutes leurs classes en langue anglaise et recevoir finalement ce qu'ils possédaient déjà avant d'entrer, soit une connaissance d'usage de la langue française.

Mais il y a quelque chose, à mon sens, d'un peu plus grave, c'est que ce deuxième principe du bill: le droit des parents de choisir la langue d'enseignement de leurs enfants — principe qui était suffisamment important pour nous empêcher de présenter des amendements qui auraient pu, de quelque façon, limiter ce droit, par exemple, à ceux déjà installés ici, à ceux déjà arrivés — eh bien, ce principe-là dans le titre du bill, il n'en est fait aucunement mention.

Dans toute la propagande qui a été faite également et que nous avons arrêtée — je ne sais pas qui l'a arrêtée, mais le premier ministre a dit qu'il avait fait en sorte que ça s'arrête — il n'en est absolument pas question, nulle part. On a évité d'en parler et je suis obligé aujourd'hui, après la deuxième lecture du bill, après l'étude en comité plénier, de me rendre compte que ç'a été fait d'une façon tout à fait réfléchie et avec détermination. On ne voulait pas attirer l'attention sur la gravité d'accorder aujourd'hui, à toute personne sans distinction, ce droit de disposer de la langue de leurs enfants.

Je ne voudrais pas revenir sur des arguments que j'ai invoqués, en comité et également en deuxième lecture, mais il faut se rendre compte qu'en 1986, selon les prédictions de spécialistes, nous serons 53% de la population francophone à Montréal et qu'avec ce bill nous pourrons éventuellement, à cause du passage de certaines personnes de notre groupe culturel à un autre groupe, être moins de 50% dans la région de Montréal.

C'est donc dire qu'un bill pour promouvoir d'abord, l'enseignement de la langue française et pour, finalement, promouvoir la langue française au Québec, pourra avoir comme conséquence, comme effet que la population francophone de la région de Montréal diminuera de façon à devenir minoritaire dans ce secteur tellement important de notre province où demeure la moitié de notre population.

Actuellement nous avons des jeunes gens qui sont inscrits dans des écoles françaises où l'enseignement — et j'en sais quelque chose — de la langue seconde est tout à fait inadéquat. Nous aurons donc comme conséquence à peu près les mêmes effets que nous avons aujourd'hui pour les gens qui ne sont pas allés à l'école, qui ont de la difficulté, à cause de cela, à se trouver des emplois. On sait qu'aujourd'hui, lorsqu'une personne de 40 ans perd son emploi, qu'elle en recherche un autre, toutes les compagnies ou presque, le gouvernement demande d'avoir une dixième année. Or, dans 25 ans, compte tenu qu'on fait de la province de Québec, avec ce bill, un immense district bilingue, tous nos cadres qui n'auront pas reçu dans nos collèges, dans nos universités un enseignement suffisant en langue anglaise pourront se voir refuser certaines promotions. Ce sera facile, parce qu'on pourra toujours dire qu'ils manquent de collaboration en voulant continuer de travailler en français. Ils pourront être privés de toute une série de postes qu'ils auraient occupés avec avantage si on avait d'abord proclamé que le français dans le Québec était obligatoirement la langue de travail, ce qui aurait constitué une incitation pour les anglophones à apprendre le français à même leurs fonds, à même eux-autres autrement dit. On aurait pu les inciter à faire ça et, parallèlement, faire en sorte que l'enseignement de la langue seconde, l'enseignement de la langue anglaise soit donné d'une façon plus intensive, plus sérieuse aux jeunes gens de langue française, parce qu'encore une fois, je le répète, ce n'est pas à l'enseignement de la langue seconde que nous en avons. Nous sommes tous d'accord que, passé un certain niveau d'éducation, passé un certain niveau d'instruction, ça devient dans le Québec un instrument tout à fait indispensable, non pas parce que nous vivons dans un milieu de 203 millions d'anglophones — j'ai eu l'occasion de le dire — mais parce que des anglophones sont nos voisins.

Cela aurait été absolument nécessaire; or, nous ne l'avons pas fait. Au contraire, nous avons fait en sorte que, si les anglophones sont obligés d'apprendre le français, ce soit nous qui payons la note, ce soit eux qui en retirent tous les avantages. On a également tenté de corriger ce bill, et j'ai entendu certaines personnes intervenir pour justifier l'adoption du bill. J'ai lu, par exemple, l'intervention d'hier du député de Montcalm, qui termine par l'un des arguments, je pense, qu'il trouvait le plus convaincant: Je parie gagnant. Or, à mon sens à moi, c'est beaucoup plus important qu'une course de purs-sangs à Blue Bonnets. Il n'y a pas suffisamment

de garanties dans ce bill pour que je parie gagnant, et je voterai contre le bill en troisième lecture.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Mégantic.

M. Marc Bergeron

M. BERGERON: Nous vivons dans cette Chambre, depuis quelques semaines, des heures excessivement importantes pour la nation canadienne-française. Chacun des membres de cette Assemblée nationale, dans nos comtés respectifs, avons été assaillis de toutes parts par différentes personnes concernant ce projet de loi, le bill 63. Il est clair que, pour la première fois, un gouvernement a osé se pencher sur un problème qui, à mon sens — et nous le savions — était de la dynamite. Le gouvernement, après avoir déposé l'an dernier le bill 85, après avoir eu l'occasion d'entendre différents groupes, différentes personnes venir donner leur opinion sur ce projet de loi 85, avait décidé alors de retirer le bill momentanément, et, cette année, voilà que le gouvernement a déposé le bill 63. Ayant été élu député du comté de Mégantic en 1966, je dois vous avouer que les moments que nous venons de vivre ont été pour moi extrêmement difficiles.

Nous avons vécu des moments difficiles parce que j'ai l'impression qu'à un moment donné certains éléments subversifs du Québec ont pris les devants, en particulier dans les écoles, et je déplore, M. le Président, que l'on se soit servi de la jeunesse pour faire une propagande qui à mon sens était tout à fait inexacte.

M. le Président, vous avez eu connaissance des discours qui ont été prononcés par plusieurs députés de cette Assemblée nationale. Chose assez curieuse, chose que l'on ne voit pas souvent, vous avez vu seulement cinq députés voter contre le projet de loi. Ceci, à mon sens, M. le Président, est assez significatif. Que certains extrémistes nous appellent des traîtres, que l'on nous demande de démissionner, que l'on nous dise que nous allons nous en souvenir aux prochaines élections, eh bien, précisément ce à quoi je les invite, c'est d'examiner, lorsque le calme sera revenu, le bill 63.

Les politiciens ont des responsabilités envers leurs électeurs. Les gouvernements ont des responsabilités envers la nation canadienne-française au Québec. Quant à moi, je pense qu'au lieu d'être pessimiste comme le vieux chef du Parti québécois, au lieu de prétendre que lui seul a raison et de caricaturer tous ceux qui à un moment donné ne partagent pas son opi- nion, eh bien, Je pense qu'il devrait examiner d'une façon plus précise les problèmes auxquels nous avons à faire face au Québec.

On a mentionné, au cours des discours qui ont été prononcés, que les Canadiens français ne possédaient pas de postes de commande dans le domaine de l'industrie. Or, M. le Président, dans la ville de Thetford Mines, chose assez curieuse, depuis quelques années nous avons à la tête des industries minières des personnes qui se nomment Lionel Piuze; nous avons un M. Gingras; nous avons eu une industrie d'autos-neige dirigée par des Canadiens français jusqu'à il y a à peine quelques mois. Pourquoi, à un moment donné, cette entreprise est-elle passée aux mains des Américains? Nous avions là des personnes d'affaires compétentes; nous avions là des Canadiens français qui, à un moment donné, on dû se départir de leurs actions pour les revendre à des capitaux américains. Je pense que le problème de la langue est extrêmement important, mais pourquoi les Canadiens français, majoritairement actionnaires dans une compagnie, ont-ils dû — et je dis bien dû — vendre leur entreprise à des capitaux américains? Pourtant, ils étaient Canadiens français, Ils étalent majoritaires au conseil d'administration. Or — et j'aimerais que le député de Laurier me réponde si ce n'est pas exact — ils ont dû vendre leurs actions parce que, économiquement, ils n'étalent plus capables de progresser. Ceci, M. le Président, pour dire qu'au Québec, tant que nous ne serons pas économiquement assez forts, il faudra avoir recours aux capitaux étrangers. Nous vivons dans un contexte nord-américain. Il faut être réalistes, M. le Président. A ce moment-là, qu'est-ce qui se produit? Les capitaux américains sont devenus majoritaires dans cette entreprise. Qui dirige l'entreprise d'autos-neige? Ce sont encore des Canadiens français dont le premier responsable est un M. Langevln. Ceci ne se passe pas en 1983 comme veut le laisser entendre le député de Laurier. Ceci se passe en 1969.

Il y a à peine quelques années, ceux qui ont eu la chance de poursuivre leurs études classiques, vers quoi nous dirigions-nous? Quelques-uns vers le sacerdoce, d'autres vers le notariat, d'autres vers le droit, quelques médecins. Mais où est-ce que nous avions des étudiants...

UNE VOIX: ... et les professeurs...

M. BERGERON: ... qui se dirigeaient dans le domaine de l'économie, dans le domaine des sciences? M. le Président, même si nous avions plusieurs langues, si nous n'avons pas les connaissances nécessaires pour prendre charge

d'une Industrie, est-ce que nous allons exiger, à ce moment-là, qu'on engage des Canadiens français? Mais depuis quelques années, les jeunes doivent se rendre compte que les contribuables du Québec, les pères de famille qui travaillent dans les industries, qui travaillent dans les mines, paient des taxes, que le ministère de l'Education a un budget d'au-delà de $1 milliard. Pourquoi le gouvernement, pourquoi les contribuables consentent-ils à faire ces sacrifices pour la jeunesse? Est-ce que c'est pour qu'ils mettent le feu partout? Est-ce que c'est pour qu'ils cassent les vitres? Ou, je vous le demande, M. le Président, si c'est pour qu'ils fassent des hommes, pour qu'ils s'instruisent, pour qu'ils apprennent les méthodes nécessaires pour pouvoir diriger les entreprises.

Le pourquoi du fait qu'il n'y a pas plus de Canadiens français à la tête de nos industries, je dis que c'est parce que nous n'avions pas suffisamment de Canadiens français préparés pour occuper ces postes de commande.

M. le Président, je dis à tous ceux qui m'ont écrit pour me demander de voter contre le bill 63 — ils ne sont pas nombreux — ils viennent tous du CEGEP de Thetford. Pourtant, une chose que j'ose déplorer publiquement: lorsqu'il a été question, pour le comté de Mégantic, lorsqu'il a été question, pour la région de l'amiante, de faire des démarches pour que nous obtenions ce CEGEP, pour qui? Pour les Canadiens anglais? Pour les Canadiens français. On a su trouver le représentant et lui demander de faire des démarches et là, lorsque ce fut le cas du bill 63, on ne savait plus où trouver le député. Mais, par exemple, les partisans du Parti québécois, eux, ont eu la chance de se rendre au CEGEP de Thetford Mines pour aller dire aux étudiants des choses qui sont complètement fausses. On a dit aux étudiants du CEGEP que, demain matin, ils auraient à apprendre l'anglais. On a dit dans les écoles secondaires du comté de Mégantic et en particulier, à Thetford Mines, que nous assassinions la langue française.

A la suite de toutes ces choses mensongères, eh bien, on dit au député: Donne ta démission, tu n'es qu'un traître. Or, j'ai été élu en 1966, avec un mandat clair, net et précis. J'ai endossé un programme, le programme du parti de l'Union Nationale. Le député a le droit, à mon sens, à l'intérieur du caucus du parti, de défendre ses opinions. Mais lorsque, par exemple, si nous voulons faire partie d'une équipe, le caucus décide à un moment donné d'adopter une politique, est-ce qu'il est plus honnête... Est-ce passer pour un suiveux que de suivre le parti sous la bannière duquel nous avons été élus, ou bien est-ce...

M. FLAMAND: M. le Président, simplement pour faire remarquer qu'on est un peu loin du bill 63.

M. ROY: Si le chapeau te fait, mets-le donc!

M. PAUL: Le député de Mégantic apporte des arguments qui nous permettront, tout à l'heure, de dire que sur l'ensemble et les détails du bill...

M. MICHAUD: Ah! Ah! Ah!

M. PAUL: ... le programme du parti, le programme...

M. MICHAUD: Article 572, 572...

M. PAUL: ... du parti était dans le même sens que la législation que nous avons présentée comme le programme du Parti libéral, avec lequel a été élu le député de Gouin,...

M. MICHAUD: Français prioritaire.

M. PAUL: ... vous conduisait dans le même sens. Je soumets que les remarques du député de Mégantic sont tout à fait conformes aux dispositions de 572.

M. MICHAUD: ... très conforme au programme de mon parti.

M. FLAMAND: Ç'est simplement pour cerner le débat, M. le Président. Il peut rester une heure là-dessus, s'il le veut.

M. LOUBIER: M. le Président, sur le point d'ordre, il me semble que le député de Rouyn-Noranda, qui devait être nommé ministre d'après lui, devrait savoir que...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable député de Mégantic.

M. BERGERON: M. le Président, je disais que ce n'est pas être « suiveux » que de respecter l'engagement que nous prenons lorsque nous nous présentons sous l'étiquette d'un parti.

Nous sommes en démocratie. Mais, je n'accepterai pas qu'on vienne dire que nous manquons de colonne vertébrale, parce qu'après avoir discuté, à l'intérieur d'un caucus, après nous être présentés sous l'étiquette d'un parti politique nous respectons les engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos électeurs.

Quant a moi, si jamais j'ai assez de problèmes de conscience pour ne pas admettre les décisions d'un caucus, j'aurais au moins l'honnêteté de démissionner purement et simplement comme député et de me faire élire sous mon vrai visage.

Le bill 63 n'est pas parfait, et personne dans cette Chambre n'a dit le contraire jusqu'à maintenant. Cependant, c'est une étape, c'estun jalon que nous avons dû poser devant des problèmes comme celui de Saint-Léonard. Je me souviens qu'en 1965 j'avais l'occasion de me rendre à Montréal très fréquemment. J'avais l'occasion de me rendre chez les marchands de gros, dans le domaine du vêtement en particulier. Et je me rappelle qu'à ce moment-là, très souvent, on nous répondait: « Sorry, we do not speak French ». Je vous dis que j'ai l'occasion, aujourd'hui, d'y retourner à Montréal; je pourrais vous nommer des industries comme Jonathan Loggan, Progress Brand, Clover Brand, par exemple, où, lorsque des marchands canadiens-français s'y rendent, on se fait un plaisir de leur répondre en français.

UNE VOIX: Ç'est vrai, ça.

M. BERGERON: II y a des améliorations en ce qui concerne la langue française au Québec. Qu'on casse de laisser croire au peuple québécois que nous sommes en train de nous angliciser. C'est faux! Au Québec, grâce au système d'éducation qui dépense des milliards dans le domaine des CEGEP, en particulier, dans le domaine de l'université, nos étudiants, nos jeunes auront demain les compétences voulues pour prendre des postes de commande. N'en déplaise à ceux qui voient tout en noir, je dis que le français est en pleine santé au Québec. Il est en pleine santé, nous sommes en train de prendre nos responsabilités d'abord. Lorsque j'entends le député de Laurier parler du problème de l'immigration, quand fut institué le ministère de l'Immigration au Québec? Pourtant, si on examine l'article 95 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la législature de chaque province pourra légiférer sur l'agriculture et l'immigration dans cette province, et pourtant jamais aucun gouvernement n'avait institué le ministère de l'Immigration.

Or, le gouvernement actuel a encore une fois pris ses responsabilités dans le domaine de l'Immigration. Nous ne pouvons certainement pas, M. le Président, et nous ne le prétendons pas non plus, changer du tout au tout du jour au lendemain, mais, M. le Président, vous avez eu l'occasion d'entendre le ministre de l'Immigration qui a annoncé ce qu'il entendait faire pour attirer les immigrants chez nous. Jamais les Canadiens français, jamais la province de Québec n'avaient fait quoi que ce soit dans le domaine de l'immigration. Or, le gouvernement avait deux choix: la persuasion ou encore les forcer, l'incitation ou la persuasion, nous avons choisi cette méthode. Pourquoi? Parce que nous admettions, nous reconnaissions que nous n'avions jamais rien fait dans ce domaine. Est-ce M. le Président, être traîtres à la nation canadienne-française que de nous pencher avec des mesures concrètes vers les immigrants?

M. le Président, il y a de ces gens qui se servent de n'importe quel prétexte pour mousser, si vous voulez, leurs opinions politiques. Mais j'ai eu l'occasion, depuis trois semaines — et j'inviterais le député de Saint-Jean à écouter ce que je vais lui dire, peut-être que ça va lui ouvrir les yeux — de me promener un peu partout. J'ai rencontré, au bas mot, 2,000 personnes, des étudiants, des professeurs, des industriels, des cultivateurs. Tous ont admis que le bill 63 était la seule chose que devait faire un gouvernement pour régler en particulier le problème de Saint-Léonard et pour faire un premier pas pour l'avancement de la langue française au Québec.

M. le Président, je pense que la population du Québec veut une culture française. De même que tous les députés de cette Chambre. Quant à moi, je suis en faveur de la langue française, je suis en faveur de la culture française, mais nous devons aussi tenir compte que nous vivons dans un contexte nord-américain, que les Anglais au Québec ne sont pas des ennemis. Nous vivons au Canada, il y a une dualité qui existe au Québec, une dualité de langues, mais est-ce que ça veut dire égalité? Je ne crois pas, M. le Président. Nous sommes au Québec majoritairement francophones, et personne ne peut nier cette existence aux Québécois. Mais au lieu de tomber dans le pessimisme, au lieu de tout détruire au Québec, au lieu de semer la révolution, d'incendier un peu partout, au lieu de saccager les établissements commerciaux, rendons-nous compte que le problème économique est quelque chose de vital pour les Québécois, et lorsque nous serons maîtres de notre économie, il n'y aura plus aucun problème pour la langue française.

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): L'honorable député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. William Tetley

M. TETLEY: M. le Président, évidemment j'appuie avec très grand plaisir le bill 63. Pour

moi, le bill 63 est un acte de bonne foi. Aucune province, même le Nouveau-Brunswlck qui vient d'adopter une loi des langues officielles, ne donne à ses minorités les droits accordés ici au Québec à la minorité anglophone. Je remercie tous les députés des deux côtés de la Chambre qui vont voter pour le bill 63.

M. le Président, récemment le Parlement du Canada a adopté une loi des langues officielles, mais même cette loi a été amendée pour retirer quelques droits aux minorités.

En effet, quelques provinces, surtout de l'Ouest du Canada, s'y sont opposées parce qu'elles n'aimaient pas donner le droit de plaider dans les deux langues dans leur cour Provinciale. En conséquence, la Loi des langues officielles du Canada a été amendée. Aucune province ne donne les droits que nous avons ici au Québec. Que les journaux de Toronto prennent note de la vraie liberté qui existe et qui existera au Québec.

Saint-Léonard est le seul exemple d'exception au Québec Les provinces de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba ont eu, en 102 années d'histoire, de multiples Saint-Léonard. Le petit village de Willow Bunch en Saskatchewan est un exemple d'un manque de liberté et de démocratie dans les autres provinces. C'est ma première conclusion, M. le Président.

Je voudrais noter deux contradictions que j'ai trouvées après presque quatre semaines d'argumentation dans les arguments des honorables députés de Laurier et de Gouin. Pendant une semaine et demie, le député de Laurier et le député de Gouin ont fait valoir qu'il fallait un délai. Leur conclusion était que le bill soit renvoyé au comité, à n'importe quel comité. Après une semaine et demie, ils ont changé d'argumentation et le problème est devenu, suivant ces deux députés, un problème d'urgence grave. Ils ont cité des chiffres sur l'immigration et sur l'île de Montréal; toutes sortes de chiffres pour prouver que la langue française était en danger. Ils ont complètement changé d'idée.

Aujourd'hui, ils ont encore changé d'idée et ils ont fait une motion de délai. Que l'opposition circonstancielle prenne position: soit que le problème est urgent, soit qu'il faut un délai. Un des deux, mais pas les deux en même temps.

La deuxième contradiction que je trouve dans l'argumentation de cette opposition est le fait que l'honorable député de Laurier et l'honorable député de Gouin ont, tous les deux, fait un amendement au bill qui — je suis très content qu'il n'ait pas été adopté — voulait retirer aux francophones de la province de Québec le droit d'envoyer leurs enfants aux écoles de leur choix. Ils ont fait cet amendement...

M. MICHAUD: M. le Président, j'invoque le règlement, si le député de Notre-Dame-de-Grâce me le permet. Je ne sache pas qu'en aucun cas, dans aucun des amendements que nous ayons présentés, ce droit-là ait été méconnu. Il y a eu, bien sur, une motion de contingentement, mais il n'y a pas eu l'Interprétation qu'en donne le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. TETLEY: Que le député de Gouin regarde ses amendements. Il y avait un amendement, proposé par lui et par le député de Laurier, à l'effet qu'après le 1er juillet 1970, si les enfants d'un francophone n'avaient pas été à l'école française, ils n'auraient pas ce droit. Ce n'était pas tout simplement pour les immigrants; c'était pour les francophones aussi.

L'honorable député de Laurier a parlé de la politique de son parti, mais je trouve ici, je l'ai lue, hier matin, dans le Devoir du 19 novembre, une annonce payée par le député de Laurier, avec sa photographie, parlant de la politique de son parti. Il ne mentionne pas le fait qu'il voulait priver les Canadiens français de leur droit au libre choix. Cela est la deuxième contradiction que je trouve dans l'argumentation des deux députés.

M. le Président, le député de Laurier a aussi parlé à plusieurs reprises de son heure et de sa demi-heure. Mais, je voudrais rappeler au député de Laurier — qui, suivant sa coutume, est absent lorsqu'il ne parle pas en Chambre — que lorsqu'il parle une heure, ça veut dire que peut-être 100 députés ou 60 députés perdent aussi une heure. C'est leur heure aussi. Et je note avec un très grand plaisir — et il faut les féliciter — que l'honorable premier ministre et l'honorable chef de l'Opposition, pendant quatre semaines de débat, étaient toujours en Chambre. Ils ont eu la courtoisie et l'honnêteté d'être toujours présents durant ce débat.

Ils ont parlé brièvement, pas des heures à la fois, le premier ministre n'a jamais demandé son heure. Le chef de l'Opposition n'a jamais demandé son heure, il a parlé brièvement « without wasting the time of all of us here »; sa demi-heure a été notre demi-heure. M. le Président, je voudrais citer quelques règles qui ne se trouvent pas dans les règlements au sujet de la brièveté. L'honorable député de Gouin et l'honorable député de Laurier ont souvent cité le règlement. Je crois que les sources que je vais citer ont aussi de la va-

leur... D'abord, je vais citer LaFontaine au sujet de la brièveté: Dans la fable les lapins, LaFontaine a dit ceci: « Mais les ouvrages les plus courts sont toujours les meilleurs ».

Et Shakespeare avait dit: « Brevity is the soul of wit ». On trouve ça dans Hamlet. Et la Bible, M. le Président, je voudrais la citer: « Let thy speech be short, comprehending much in few words ». The 32nd chapter of Ecclesiasticus. Et dernièrement, M. le Président, je voudrais citer Horace pour le grand bénéfice du député de Laurier et du député de Gouin...

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): A l'ordre! Je m'excuse d'interrompre l'honorable député de Notre-Dame-de-Grâce, mais c'est vraiment mon devoir de lui rappeler que l'article 572 du règlement interdit, de façon assez claire, qu'il procède de la manière dont il le fait actuellement. Il faut s'en tenir au contenu du bill et au principe contenu dans le bill lui-même.

M. TETLEY: Bon, j'accepte avec plaisir votre décision, M. le Président.

M. MICHAUD: On veut Horace. Laissez-le, Horace, au moins.

M. TETLEY: Puis-je citer Horace, M. le Président? J'ai quelques bonnes...

M. MICHAUD: Allez-y.

M. PROULX: On veut Horace.

M. TETLEY: Bon, avec Horace: « Do you wish to instruct? » II s'adresse à vous, M. le député de Gouin.

M. MICHAUD: I do wish to instruct...

M. TETLEY: Here is his answer: « Be brief, that our mind may catch thy precepts and the more easily retain them ». Soyez bref, Monsieur le député de Gouin.

M. MICHAUD: Thanks for the advise. I will...

M. TETLEY: ... je termine en disant que j'appuie le bill 63, et j'ajoute que je ferai tout mon possible dans l'avenir, comme j'espère l'avoir fait dans le passé, pour la protection et l'épanouissement de la langue française au Québec et au Canada.

M. MICHAUD: J'invoque le règlement, brièvement. Il n'est pas question de priver le minis- tre de l'Education de son droit de parole. Nous allons lui donner le consentement, s'il veut bien gentiment le demander, mais l'article 264 de notre règlement le prive effectivement de son droit de parole. Alors, s'il veut bien avoir la gentillesse de demander le consentement unanime, nous allons le lui donner.

M. PAUL: Cette question a été soulevée hier lorsque l'honorable ministre de l'Education s'est levé. Il a tout simplement dit ceci: Je demanderais de réserver mon droit de parole. A ce moment-là, il a repris son fauteuil.

M. BERTRAND: Cela a été accepté.

M. LESAGE: D'ailleurs, l'article 261 est clair: « Si un ordre du jour est mis en délibération sans que le député au nom de qui il est inscrit au feuilleton adresse la parole ou se lève pour déclarer qu'il propose cet ordre du jour, ce député peut prendre la parole sur la question à une période subséquente du débat. »

M. BERTRAND: C'est cela.

M. LE PRESIDENT (M. Fréchette): Effectivement, je me rappelle fort bien qu'hier l'honorable ministre de l'Education a demandé à la Chambre qu'on lui réserve son droit de parole. Ce n'est même pas nécessaire, bien sûr. Il a fait quand même cette démarche hier et, unanimement, sa demande a été acceptée. En outre, ce que vient de citer le chef de l'Opposition est vraiment impératif.

M. Jean-Guy Cardinal

M. CARDINAL: Merci, M. le Président. Jeudi, il y a un mois, quatre semaines, le projet de loi 63 était présenté à cette Chambre. Depuis, en cette Chambre comme à l'extérieur sur le territoire du Québec, nous avons vécu une période particulière.

Le Québec a eu une de ces rares occasions de se déclarer, c'est-à-dire que les gens qui vivent ici, qu'ils soient d'une langue ou d'une autre, ont connu pour une fois une situation difficile dans laquelle chacun de nous a eu à prendre position. Dans cette Chambre, nous avons vécu, en première et deuxième lectures et devant le comité, toutes les péripéties de la procédure que vous-même avez fort bien connues. Nous nous sommes tous instruits à cette école, je pense, mas ce n'est pas ce qu'il faut retenir de cette expérience du projet de loi 63.

A l'avenir, tous les étudiants du Québec, quelle que soit leur langue maternelle, devront pos-

séder à la fin de leurs études une connaisance d'usage — « a working knowledge », si on me permet de traduire — de la langue de la majorité, de la langue prioritaire, c'est-à-dire du français. Ce principe ne brime en rien les droits de la minorité anglophone qui continuera à avoir ses écoles au Québec. D'autre part — et je le rappelle, à la suite d'interventions de certains députés — l'anglais continuera d'être enseigné comme langue seconde dans les écoles françaises. Cependant, par une réglementation adéquate, suivant les voies ordinaires qui sont d'ailleurs déjà entreprises, le ministère établira un système d'examen de telle sorte que le diplôme d'études secondaires et le diplôme d'études collégiales, diplômes qui aujourd'hui, je le répète, ne sont décernés que par l'Etat — et ici, je me permets d'ouvrir une parenthèse.

Je ne comprends pas ce que j'ai lu dans certain journaux où l'on parle de programmes particuliers qui auraient existé pour certains groupes de langue ou de foi donnée. Si ceci, un jour, a existé au Québec, aujourd'hui, il n'y a plus que des programmes qui viennent de l'Etat, qui viennent du ministère de l'Education. Il n'y a plus qu'un système d'examens, que ce soit dans les établissements privés ou dans les institutions publiques.

Donc, par une réglementation adéquate, suivant les voies ordinaires, d'après la loi et les règlements, le ministère établira un système d'examens de telle sorte que chacun de ces diplômes, au secondaire et au collégial, ne soit décerné qu'après des examens qui vérifieront cette connaissance d'usage de la langue française de tous les étudiants des écoles et des collèges du Québec.

Jusqu'à présent, seulement une minorité des élèves anglophones ont acquis, à lafin du secondaire, une maîtrise fonctionnelle de la langue française. Déjà, en cette Chambre, j'ai mentionné les principales causes de ce faible rendement de l'enseignement de la langue française à titre de langue seconde dans les écoles anglophones.

L'utilisation, à l'avenir, du français, non seulement comme langue seconde, mais comme langue d'enseignement pour d'autres matières, sera un moyen d'augmenter considérablement le temps qu'un élève consacrera à l'apprentissage de la langue française. C'est aussi un moyen d'améliorer la motivation même des élèves et de rendre cet enseignement de la langue française plus fonctionnel.

Par contre, M. le Président — et je l'ai mentionné en cette Chambre — cette solution aggrave peut-être la pénurie des maîtres et le problème du matériel didactique. Mais, je veux rappeler en cette Chambre une chose que j'ai déjà dite: Ce n'est pas parce qu'un gouvernement, en adoptant de nouvelles lois, crée des problèmes qu'il doit reculer. Un gouvernement n'est pas là pour être une providence, pour être simplement quelque chose qui fasse que tout aille bien, mais, au contraire, il doit être dans la population un élément provocateur.

Quand nous avons créé le réseau des collèges d'enseignement général et professionnel, quand nous avons décidé, contrairement à ceux qui nous ont précédés, de l'établir en trois ans — nous avons présentement 30 collèges — nous savions qu'il y aurait des problèmes qui viendraient de la création de ces collèges. Mais nous avions le choix soit de ne pas les créer, de ne pas démocratiser l'enseignement et de laisser nos enfants quitter l'école après le secondaire ou de nous créer des problèmes en instituant des collèges qui n'étaient pas parfaits dans l'an I ou dans l'an II, pour, ensuite, comme gouvernement, tenter de résoudre, avec la population, avec les intéressés, ces problèmes.

M. le Président, j'ai obtenu de mon ministère le nombre d'enseignants dans les écoles anglaises qui ont obtenu un brevet qui leur permet d'enseigner le français; le nombre d'enseignants ou d'étudiants-maîtres qui sont actuellement dans les établissements de formation de maîtres dans tout le Québec et, pour les années à venir, les besoins qui se manifesteront au fur et à mesure que ce projet de loi sera mis en vigueur. Il est évident que nous devrons, en fonction de ce projet de loi, au ministère de l'Education, tout d'abord, adopter des règlements pour appliquer d'une façon efficace et concrète ce projet de loi. Deuxièmement, prendre des dispositions pour obtenir la force de frappe en matière d'enseignants et en matière de matériel didactique, pour réaliser ce projet de loi.

Aujourd'hui, rien n'est impossible dans ce domaine.

Il y a deux ans, il n'y avait pas suffisamment d'enseignants uniquement pour les écoles au niveau élémentaire, au niveau secondaire et au collège. Au moment où je m'adresse à cette assemblée, ce problème n'existe plus du tout. Il a suffi d'un programme bien agencé et bien réalisé au ministère de l'Education pour qu'en moins de deux ans cette difficulté soit résolue.

Il n'y a aucune raison de croire que nous ne pourrons pas de la même façon résoudre ce problème qui est moindre que celui que nous avions à résoudre par la création des polyvalentes et des collèges d'enseignement général et professionnel.

J'ai mentionné en cette Chambre qu'un document de travail avait été élaboré pour nous permettre de voir les problèmes et de considérer

les solutions pour l'application de ce projet de loi. Depuis que nous discutons en cette Chambre, des articles de ce projet de loi, le ministère n'est demeuré ni indifférent, ni immobile. Il a continué son travail. Des commandes ont été données par celui qui vous parle. Et lorsque, le 1er juillet 1970 ou à toute autre date, comme le mentionne le dernier article du bill, ce projet viendra en vigueur, le ministère sera prêt, dès ce moment-là, à commencer à appliquer ce projet de loi 63.

Cependant, j'en appelle au sens du réalisme, à l'objectivité des membres de cette Chambre et de la population. Il est temps que nous cessions de vivre dans l'utopie et de croire que nous pouvons, au Québec, avoir les moyens en argent, en hommes, en équipement de réaliser l'idéal en six mois ou en un an, quels que soient ceux qui gouvernent cette nation. Il faut bien se rendre compte que l'application de ce projet de loi — comme l'application du projet de loi 21 pour les CEGEP et l'application du projet de loi 56 pour les institutions privées — demandera un rodage, une mise en marche, une expérience qui nous permettra de nous diriger davantage.

Je ne retire évidemment rien de ce que j'ai pu dire en deuxième lecture au sujet de ce projet de loi. S'il est normal que l'Opposition officielle ou circonstancielle critique le gouvernement, il est normal cependant qu'autour d'un projet de loi semblable, tous soient suffisamment objectifs pour se rendre compte des difficultés que nous aurons à affronter et pour se rendre compte que ceux qui proposent un projet de loi semblable ont songé à ces difficultés et on pensé au moyen de les surmonter.

L'on a parlé à plusieurs reprises, au sujet de ce projet de loi, des progrès du français au Québec. Chacun peut avoir son opinion là-dessus. Nous n'avons pas de données scientifiques à ce sujet. Il peut y avoir des réalités que j'appellerai de façade. Il y a une commission qui étudiera ces choses et nous pourrons nous ajuster en conséquence pourvu que nous cessions de ne croire qu'à la survivance. Ce n'est pas en survivant plus longtemps, plus nombreux et plus pauvres que nous ferons une nation.

Il est temps que nous fassions comme les anglophones devant ce projet de loi ou devant le projet de loi 62. Récemment, un membre important de la communauté anglophone de Montréal, s'adressant à ses membres et parlant d'unité, déclarait : « Stand up and fight ». Il est temps que les Canadiens français, au lieu d'être divisés dans les journaux, d'être divisés dans cette Chambre, d'être divisés dans leurs associations, s'unissent, se lèvent et combattent ensemble.

Il est évident que Montréal, le grand Montréal, est l'épicentre, si je peux ainsi m'exprimer, même si je n'ai pas la facilité du député de Gouin...

UNE VOIX: Il est parti.

M. CARDINAL: ... des problèmes... Je salue en passant son absence... des problèmes...

M. LESAGE: Ce n'est pas juste. Tout de même! Il vient de quitter, il y a à peine dix secondes... Il faut tout de même être juste pour les députés.

M. CARDINAL: M. le Président, je m'excuse, je me rappelle une période oft même celui qui vient de m'adresser la parole attendait trois minutes pour mentionner que...

M. LESAGE: M. le Président, je me suis amusé à signaler l'absence du ministre de l'Education au cours de la campagne au leadership dans l'Union Nationale, comme mes amis d'en face s'amusent à signaler l'absence des candidats à la direction du Parti libéral à l'heure actuelle. Je n'ai pas le mandat de défendre le député de Gouin, mais ce serait réellement injuste à son égard.

M. BEAULIEU: Le député de Gouin n'est pas candidat.

M. CARDINAL: C'est dans le même esprit, avec la même bonne humeur,,..

M. MICHAUD: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. BERTRAND: Gracieuse qui entre.

M. MICHAUD: Le ministre de l'Education pourrait-il...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. MICHAUD: Paraît-il que le ministre de l'Education a signalé mon absence temporaire et circonstantielle. Pourrait-il reprendre ses propos de tout à l'heure?

M. BEAULIEU: C'est parce que le chef de l'Opposition a mentionné que vous étiez candidat à la chefferie au prochain congrès.

M. CARDINAL: M. le Président, je sais bien que c'est en dehors des débats, mais avec les interventions qui ont eu lieu, puis-je demander s'il est exact que le député de Gouin est délégué au congrès des libéraux?

UNE VOIX: A Ottawa.

M. CARDINAL: Est-ce dans la section masculine, féminine ou junior?

M. MICHAUD: Puisque la question m'est posée, je répondrai au ministre de la plus basse soumission que j'ai été élu délégué-électeur de plein droit et de plein titre que j'exercerai mon droit sur le parquet de la convention du 17 janvier.

M. LAFRANCE: Nous verrons ça.

M. BEAULIEU: L'opposition clrconstantielle sera finie à ce moment-là.

M. MICHAUD: Oui.

M. CARDINAL: M. le Président, je tiens à souligner que ce n'est pas moi qui ai mentionné l'absence des députés de Chambly, Verdun et Mercier.

Ceci étant dit, je reviens au vif du sujet. Ce projet de loi affecte plusieurs ministères, celui de l'Immigration, celui des Affaires culturelles et tout particulièrement celui de l'Education. Ce n'est pas la première fois que le ministère de l'Education est placé devant un défi. Mais, Je puis vous assurer que ce ministère, comme d'habitude, saura faire face à ce défi, comme d'ailleurs le gouvernement de l'Union Nationale.

Il faut noter que, sur le plan philosophique, même si certains députés ont semblé rejeter ce plan, au cours des débats, il est facile de justifier...

M. PROULX: Elle est bonne.

M. CARDINAL: ... par une base théorique solide d'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique linguistique globale, tendant à faire du français la principale langue de travail et de communication à l'échelle du Québec.

En effet, du moment que l'on considère que l'élément français y constitue la grande majorité et que l'élément anglophone y constitue une minorité, il doit être traité, cet élément, minoritaire, comme tel, dans les matières de compétence provinciale.

Les documents internationaux que l'on a invoqués, de part et d'autre, comme la déclaration universelle des droits de l'homme, les pactes internationaux des droits de l'homme ne s'opposent nullement à l'élaboration d'une politique linguistique tendant à assurer la prédominance de la langue majoritaire.

Tout ce qui est stipulé à l'égard des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, c'est que les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir en commun, avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, leur droit de professer et de pratiquer leur propre religion ou d'employer entre eux leur propre langue.

A titre d'exemple, Je reviendrai sur ce que deux députés ont mentionné.

Nous avons dans notre patrimoine national, tout ce patrimoine que nous ont légué ceux qui sont venus avant les anglophones, avant les francophones et qu'on appelle les Amérindiens du Québec. Nous devons considérer ces gens et leur langue comme une partie de notre patrimoine national. Le projet de loi 63 ne vient en rien, ni à eux, ni à quelque minorité que ce soit, enlever quelque droit, qu'il soit acquis, prétendument acquis ou non acquis.

La commission Laurendeau-Dunton, d'ailleurs, a invité le gouvernement du Québec a examiner de près ses propres pratiques linguistiques en soulignant que ce gouvernement se voit conférer une responsabilité linguistique très particulière du fait qu'il est le seul, non seulement au Canada, mais sur le continent qui soit élu par une majorité francophone. De plus, comme ce gouvernement est la seule autorité compétente en matière d'éducation, il est seul à posséder sur le territoire québécois les principaux instruments qui lui permettent de régir efficacement l'usage des langues, c'est-à-dire un ministère des Affaires culturelles et un ministère de l'Education.

C'est d'abord et surtout par l'amélioration des programmes de français dans les écoles françaises et dans les écoles anglaises et par l'accroissement des exigences des examinateurs dans cette matière que l'on contribuera à assurer au français la place qui doit lui revenir au Québec.

Ainsi, on pourrait limiter l'octroi de diplômes de fin d'études primaires, secondaires, ou collégiales, comme je l'ai mentionné, uniquement aux étudiants, quelle que soit leur langue, capables de se qualifier en français, tant oral qu'écrit. D'autres mesures devront être prises en temps utile, à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé, afin de régir l'usage des langues.

Quant au secteur public, l'Etat québécois peut en venir à n'utiliser que des formulaires français pour la plupart des documents, quitte à offrir des formulaires anglais. Ici, je donne un exemple. Jusqu'à l'an passé, les formules de demandes de prêts-bourses au ministère de l'Education étaient rédigées, au début, dans

les deux langues, puis en français et en anglais. Il y avait une question qui était posée dans la formule de demande de bourses: « Voulez-vous un formulaire français? Voulez-vous un formulaire anglais? » Si quelqu'un oubliait de répondre à cette question, la réponse n'entrait plus dans la machine informatique. Nous avons au ministère pris la décision suivante: comme la très grande majorité des étudiants qui demandent des prêts-bourses est de langue française, nous envoyons à tout le monde des formules en langue française, avec une note que ceux qui la désirent en anglais la recevront incessamment dans cette langue.

Je pense que des règles administratives semblables ne briment en rien les droits des personnes et permettent de simplifier les procédures, de rendre plus efficace un ministère, parce qu'à ce moment-là c'est plus près de la réalité, sans compter toutes les économies qui peuvent être réalisées.

De même, le gouvernement, au niveau du Parlement, au niveau des tribunaux qui sont sous sa juridiction, pourra continuer à exiger le bilinguisme, mais rien ne l'obligera à exiger, dans la vie publique, dans les localités, ce même bilinguisme. On pourrait, comme le fédéral l'a fait, définir des règles qui nous permettraient de régir l'utilisation des formules, des fonctionnaires, des gens qui ont affaire avec le public.

Quant au sacteur privé, je me contenterai ici de souligner que les mesures gouvernementales ne devraient pas interdire l'usage de l'anglais, mais requérir l'usage, disons, au moins, du français.

Afin de respecter la minorité anglophone, afin de lui assurer certaines prérogatives, le gouvernement québécois maintiendra donc le bilinguisme parlementaire, législatif, judiciaire, unsys-tême d'écoles publiques où l'anglais demeurera la langue principale d'enseignement. Ce gouvernement s'appliquera cependant à souligner qu'il est dans l'intérêt des Anglo-Québécois que l'Etat leur fournisse les moyens d'acquérir une connaissance solide de la langue de la majorité.

Le projet de loi 63 en arrive à la fin de sa carrière quant aux débats parlementaires. Il sera bientôt au début de sa vie en tant que loi appliquée. Même si ceci peut paraître impertinent d'après les règlements de cette Chambre, il ne faut pas oublier qu'en même temps que ce projet était étudié devant cette Chambre le projet de loi no 62 a été déposé et déféré à la commission permanente de l'Education. Justement dans cette région de Montréal où la situation est la plus grave, d'après presque tous ceux qui ce sont exprimés en cette Chambre, il faudrait bien se rendre compte que c'est la jonction, la conjoncture créée par ces deux projets de loi qui y réfèrent tous les deux, d'ailleurs, à l'article 203 de la Loi de l'Instruction publique qui viendra, à l'avenir, régir la vie des écoliers au Québec.

Ici, je ne puis m'empêcher, devant certaines personnes qui ne veulent voir chez les Canadiens français que des gens qui veulent se séparer ou qui veulent demeurer à part, de souligner que ce sont ceux qui désirent la plus grande unité, qui, parfois, par leurs déclarations, semblent vouloir conserver des privilèges et des prérogatives qui les placent en dehors de cette unité. Je ne voudrais pas prendre trop de temps. Je l'ai mentionné au début, voilà déjà quatre semaines que nous nous affrontons, nous appuyons, nous aidons ou nous combattons autour de ce projet de loi, qui est peu facile, fondamental et sur lequel Ù est normal qu'il y ait des réactions.

Au stade où nous en sommes, j'en appelle au sens de la réalité, au réalisme, à l'objectivité de tous ceux qui sont nos mandataires pour que l'on se place entre deux extrêmes qui sont, d'une part, l'unilinguisme imposé par des lois, que ce soit dans un sens ou dans l'autre, et, d'autre part, une absence totale d'action dans ce domaine. Quand les lois dépassent trop rapidement les moeurs et les désirs, elles s'avèrent rapidement inapplicables. Je pense qu'après les diverses modifications qu'a subi ce projet de loi le gouvernement a entre les mains un instrument qui, pour une fois, en dehors des débats, des voeux pieux, des discours patriotiques et des bonnes intentions, permettra de promouvoir la langue française au Québec.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Outremont.

M. Jérôme Choquette

M. CHOQUETTE: M. le Président, mes collègues de l'Opposition m'ont demandé de prendre longuement la parole, mais je m'abstiendrai de donner suite à leurs pressions amicales. Cependant, je n'ai pas l'intention, à ce stade, alors que nous terminons un débat qui a duré presque un mois, de rentrer dans tous les détails du projet de loi. Je voudrais seulement profiter de la circonstance qui m'est offerte par le débat en troisième lecture pour réfuter l'argumentation du député de Laurier, ce soir ainsi que mardi soir, au sujet de la portée de l'article 4 du projet de loi.

L'honorable député de Laurier a mis en doute — comme c'est son droit, n'est-ce pas — la portée de cet article quant à l'efficacité de la promotion du français comme langue de tra-

vail. Il a mentionné que l'article 4, qui autorisi l'Office de la langue française d'entendre des témoins et de requérir des documents, lui donnait un pouvoir, en somme, qui lui appartenait en vertu de la loi en général, la Loi des commissions d'enquête. Or, M. le Président, je dois mettre cette affirmation du député de Laurier en doute, car il n'y a rien dans le chapitre 11 des statuts refondus du Québec qui confierait en quelque sorte automatiquement à l'Office de la langue française le pouvoir de requérir des témoins et de requérir des documents de façon à examiner la situation particulière chez un employeur du Québec quant à l'usage de la langue française.

Il était donc absolument impératif de façon que le projet de loi, le bill 63 — et en particulier l'article 4 — contienne une pression suffisante sur les employeurs du Québec pour qu'ils assurent en quelque sorte par eux-mêmes la promotion du français, de confier à l'Office de la langue française un pouvoir d'enquête bien précis et bien déterminé qui ne résulterait pas de la volonté du ministre des Affaires culturelles. Car s'il est vrai que l'article 14 du chapitre 11 donne au ministre d'un ministère le droit de tenir une enquête et lui accorde les pouvoirs mentionnés aux articles 9 à 13 inclusivement, il n'est pas sûr du tout — il est au contraire certain — M. le Président, que le ministre aurait été obligé, en toute occasion où l'Office de la langue française aurait voulu faire une enquête chez un employeur en particulier, de faire la délégation de pouvoir qui se trouve à l'article 14 du chapitre 11, de telle sorte qu'il apparaissait absolument nécessaire de donner à l'Office de la langue française un pouvoir d'enquête autonome du pouvoir qui appartient au ministre, et ce qui lui assure évidemment, la capacité d'agir de son propre pouvoir sans obtenir une autorisation ministérielle.

En plus de cela, l'article 14, qui confie au ministre un pouvoir d'enquête dans certaines circonstances, ne l'autorise pas à enquêter sur n'importe quoi. Il est évident que les pouvoirs d'enquête qui appartiennent au ministre en vertu de l'article 14 sont confiés au ministre simplement pour l'administration de son ministère. Il ne pourrait pas sortir de la juridiction ou de la compétence qui lui Incombe comme ministre d'un ministère déterminé. De telle sorte qu'il apparaît évident que si on voulait donner la possibilité à l'Office de la langue française d'avoir une action vraiment efficace auprès des employeurs, il fallait lui donner spécifiquement l'autorité qui lui a été confiée de faire enquête et d'agir comme commissaire-enquêteur en vertu du chapitre 11.

Maintenant, dans un autre ordre d'idée, l'honorable député de Laurier disait qu'on faisait reposer sur le pauvre diable, sur le petit gars le fardeau de mettre en marche l'action de l'Office de la langue française au point de vue de l'Introduction ou de l'affirmation du français comme langue de travail»

Or, M. le Président, je conteste cette affirmation du député de Laurier, car l'article 4 du projet de loi donne à l'Office de la langue française le droit de tracer des programmes, n'est-ce pas, avec les employeurs de telle sorte que l'action n'est pas exclusivement entamée par des individus, mais elle peut l'être par des groupes.

C'est là, je pense, où se trouve l'utilité de l'amendement. Lorsque nous considérons que 30% de la main-d'oeuvre du Québec est syndiquée, lorsque nous considérons que tous les grands employeurs du Québec sont syndiqués, il devient alors extrêmement facile pour le mouvement syndical qui s'intéresse à ce projet de loi, ainsi que nous l'avons vu par les prises de position de la CSN et de la FTQ, il devient extrêmement facile, dis-je, pour les syndicats intéressés dans la grande entreprise de représenter les employés majoritairement de langue française auprès de l'Office de la langue française et, à ce moment-là, d'assurer que le français aura la reconnaissance qui lui est due comme langue de travail dans des entreprises déterminées, c'est-à-dire qu'en somme nous comptons sur le mouvement syndical pour utiliser le pouvoir, que nous lui donnons à l'article 4, de présenter la cause des travailleurs et des ouvriers du Québec auprès des employeurs et devant l'Office de la langue française pour la promotion du français. Par conséquent, ce n'est pas le pauvre diable ou le petit gars qui est mis au blanc, ce sont, en somme, leurs représentants c'est-à-dire les syndicats, qui, on le sait, ont une capacité particulièrement bien développée de faire valoir la cause de ceux qu'ils représentent. Alors, je dis donc que le mouvement syndical a ici l'occasion vraiment d'utiliser l'article 4 pour faire les pressions voulues. Maintenant, avant que les plaintes aient été portées à l'Office de la langue française, je pense qu'il y aura négociation, c'est-à-dire qu'un syndicat qui voudrait à un moment donné introduire le français comme langue de travail dans une entreprise où il représente les ouvriers, ce syndicat, avant de porter plainte, irait évidemment voir l'employeur et ferait des revendications. A ce moment-là, il y aurait une négociation sur la question de la langue, et je ne pense pas que les entreprises du Québec, qu'elles soient à capital américain ou anglais ou à direction anglophone

résisteraient à une demande aussi légitime et normale que celle du droit pour chacun de travailler dans sa langue.

D'ailleurs, les séances de la commission Gendron ont permis de constater que, chez les grands employeurs du Québec, il y a un certain éventail d'opinions, cela est clair, sur le rôle du français dans l'industrie à l'heure actuelle. Toutes les opinions ne sont pas uniformes. Les employeurs n'ont pas tous affirmé que la langue anglaise devrait primer en toutes circonstances et constamment. Au contraire, je pense que, même chez les employeurs qui ont été les plus ré-fractaires à l'introduction du français comme langue de travail, on trouve quand même chez eux la reconnaissance de l'aspiration de la majorité française du Québec de travailler dans sa langue, c'est-à-dire que, même ceux qui sont les plus conservateurs, les plus ancrés dans la façon traditionnelle de travailler au Québec ont quand même ouvert la porte au bilinguisme, de telle sorte, je pense, qu'avec l'opinion pas nécessairement unanime du Parlement ici mais enfin fortement majoritaire du Parlement...

A ce point de vue-là, je ferai un reproche au député de Laurier de venir affirmer qu'il s'agit là d'un projet bipartisan. Peut-être que dans son résultat, il est le résultat du travail des deux côtés de la Chambre, travail auquel le député de Laurier a refusé de participer sinon d'une façon négative, si c'est là un reproche que l'on puisse adresser au gouvernement ainsi qu'à l'Opposition, je pense qu'on fait fausse route parce qu'à ce moment-là, on veut dire que l'Opposition n'est là que pour jouer un rôle négatif. Or, nous avons conscience d'avoir cherché,tout au cours de ce débat, à jouer un rôle positif dans une question qui dépasse la partisanerie politique et qui ne doit pas devenir l'objet, en quelque sorte, des passions politiques et qui n'aboutirait, en somme, qu'à diviser l'opinion publique sur une question aussi grave que celle des droits de chacun et des droits des deux groupes linguistiques dans cette province.

Alors, je conclus donc mes observations en disant ceci: C'est ce que le député de Laurier a feint de ne pas voir c'est que, pour la première fois dans un texte législatif, on affirme le droit de travailler dans la langue française au Québec.

M. le Président, le premier alinéa de l'article 14a) se lit comme suit: « L'Office de la langue française peut entendre toute plainte de tout employé ou tout groupe d'employés à l'effet que son droit à l'usage de la langue française comme langue de travail n'est pas respecté. » Je veux bien croire que ce n'est pas un droit absolu, parce qu'il est, en quelque sorte, tempéré par l'alinéa qui suit. Il nous faut le tempérer à cause des circonstances à cause de la réalité dans laquelle nous vivons. N'empêche que l'affirmation du droit se trouve dans cet alinéa. Le député de Laurier, évidemment, est dépité du fait qu'en réalité son opposition stérile à ce projet de loi aboutit à un résultat qui, à mon avis, est positif, au moins dans une large partie de ce projet de loi.

C'est la raison pour laquelle, M. le Président, je crois qu'il faut quand même, même si le débat a été long — tout le monde est las actuellement — rétablir les choses. Dans ce débat, nous de l'Opposition, nous n'avons pas cherché à démolir le gouvernement à tout prix. Cela aurait été trop facile dans une question de cette importance. Nous n'avons pas cherché à exciter les passions populaires, mais nous avons voulu analyser le pour et le contre et voir la situation objectivement. S'il nous a été possible de contribuer à ce projet de loi de cette façon positive, eh bien, à ce moment-là, cela m'est parfaitement indifférent que le député de Laurier vienne dire qu'il s'agit là d'un projet de loi bipartisan. En effet, que l'on soit dans l'Opposition ou du côté ministériel, le rôle des députés, c'est de contribuer au progrès du Québec et non pas de se casser la figure verbalement, ni plus ni moins ou de rechercher en somme le succès politique ou, enfin, le succès dans certains milieux populaires.

Alors, M. le Président, je termine ces observations. Je pense que le projet de loi, tel qu'il existe actuellement, n'est pas le projet de loi qui nous a été présenté au début. Le bill 63 d'aujourd'hui n'est pas le bill 63 d'il y a un mois. Je pense que des améliorations considérables ont été apportées à ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, je voterai en faveur de ce projet de loi.

M. PROULX: M. le Président, tout a été dit de part et d'autre. Je partage pleinement les positions et les idées définies par mes brillants collègues de l'Opposition circonstancielle et temporaire. Mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce nous a demandé, tout à l'heure, d'être brefs. Je le serai. Je voterai donc contre le projet de loi en troisième lecture.

M. Jean-Jacques Bertrand

M. BERTRAND: M. le Président, mes remarques seront très brèves. L'on comprendra aisément qu'après près d'un mois, au-delà de 50 heures de discussion sur un projet de loi, tous les collègues soient passablement fatigués et qu'ils aient tous hâte que nous mettions un terme à cette longue discussion.

Je serais, toutefois, très mal venu de ne pas, au moins, exprimer au Parlement, les profonds remerciements que je dois à tous mes collègues de cette Chambre, à l'immense majorité des députés, sans oublier dans mon topo les cinq dont je parlerai tantôt.

Ce projet de loi, je le qualifie de loi réaliste, de loi juste, de loi nécessaire. Je n'ai pas l'intention d'écrire mes mémoires ce soir, mais je pourrai dire que j'ai vécu, depuis au-delà d'un an, sa conception. Elle a été laborieuse. Elle a été parsemée de difficultés, d'obstacles.

L'on ne m'en voudra pas d'exprimer à tous mes collègues de l'Union Nationale mes profonds remerciements pour la confiance qu'ils nous ont accordée, à mon collègue, le ministre de l'Education, et à moi-même, au sujet du projet de loi.

Au départ, nous avions l'intention de ne franchir qu'une étape, celle du domaine de l'enseignement. De là est venu le bill 63, tel qu'il a été présenté à la Chambre, le 28 octobre dernier, en première lecture.

Par la suite — et je n'ai pas à m'en cacher — après en avoir discuté avec plusieurs, l'on nous a indiqué qu'il serait peut-être davantage à propos, au moment où nous voulions adopter une politique de promotion de la langue française dans le domaine de l'enseignement, d'y ajouter certains éléments qui nous permettraient de poser des jalons en vue de l'établissement d'une politique peut-être pas globale, mais d'une politique plus large pour la promotion de la langue française.

J'ai alors, avec nos officiers légistes, examiné les pouvoirs de l'Office de la langue française et nous avons jugé à propos, au conseil des ministres, de suggérer des amendements qui sont devenus les premiers amendements à l'article 4. Par la suite, et nous n'avons pas — dans un Parlement où comme le député d'Outremont l'a noté tantôt, tous les députés doivent participer à l'élaboration des projets de loi — à nous en cacher, nous avons accepté avec plaisir les amendements qui ont été proposés par l'Opposition officielle. Nous n'avons pas à nous en cacher.

Ces amendements ont apporté un complément en vue de poser d'autres jalons pour la promotion de la langue française au Québec. Est-ce que tout ce travail que nous avons accompli laborieusement, est-ce que tout ce travail est complet? Est-ce qu'il est parfait? Ce n'est pas à un homme qui siège au Parlement de Québec depuis 22 ans que l'on viendra apprendre que les lois que nous adoptons chaque année sont des lois parfaites. Au contraire, M. le Président, elles vont s'améliorer.

Mais ce qu'il y a d'important dans les parlements, quels qu'ils soient, et dans le nôtre en particulier, c'est que les périodes d'hésitation cessent! Tant et aussi longtemps qu'il y a de l'action, il y a de l'espoir. Le projet de loi 63 est une action législative importante. Je n'ai pas à le juger davantage. Mais j'aime mieux, tout en m'exposant à des dangers, j'aime mieux cesser d'hésiter et agir.

Nous étions en train, au pays du Québec, de laisser péricliter une situation qui, de l'aveu de ceux qui l'avait créée, devait se renouveler et se répéter dans d'autres secteurs du Québec. J'ai dit que nous avions adopté une loi juste. Oui! Nous avons confirmé un état de fait qui existait au Québec depuis cent ans. Mais qu'avons-nous à nous en cacher?

J'ai déjà déclaré en ce Parlement, vers les années 1954, au moment où en Colombie-Canadienne s'était posé le problème de Maillard-ville, qu'il n'y aurait jamais de Maillardville au Québec. Et il n'y en aura plus, tant et aussi longtemps que nous serons là.

Oui, M. le Président, je ne souffre d'aucun traumatisme. Je n'ai aucun préjugé. Je respecte mes compatriotes de langue anglaise, mes compatriotes anglophones. J'ai dit que le Québec était une terre de liberté, oui, mais une terre de responsabilité aussi. J'invite mes compatriotes anglophones à assumer leurs responsabilités envers la majorité francophone du Québec. Au Québec d'abord!

Je pense que la voix quasi unanime de ce Parlement du Québec — d'un Québec qui fait encore partie du Canada et qui, quant à moi, en fera partie encore — que ce Parlement dans la confédération canadienne aura donné, encore une fois, dans l'histoire politique du Canada, un exemple aux autres provinces canadiennes qu'ici nous savons non seulement respecter les droits, mais les confirmer. J'espère que cet exemple sera suivi ailleurs par d'autres provinces du Canada.

Quant à ceux-là qui ont jugé à propos d'utiliser les armes de la procédure parlementaire pour pratiquer, surtout depuis une semaine, une obstruction systématique, une obstruction qui a même amené l'un d'eux à presque s'en excuser, le député de Gouin, je n'ai pas à leur pardonner, ils ont exercé un droit.

Personne en cette Chambre, depuis près d'un mois, n'a jamais voulu, en aucune circonstance, brimer les droits des cinq qui ont exposé leurs opinions, leurs idées, avec des actes répétés d'amendements substantiellement les mêmes. C'est donc dire que c'est dans un climat de liberté parlementaire un peu unique que cette petite opposition, qui s'est elle-même qualifiée de circonstantielle, a pu exercer tous

ses droits, les droits fondamentaux de la liberté de parole, de la liberté d'expression et de la liberté d'obstruction.

M. le Président, je termine. Je remercie, en particulier, le chef de l'Opposition, qui a fait ce que, moi aussi, j'ai essayé de faire, son devoir. Et j'ai l'impression bien profonde, la conviction sincère que le geste que l'immense majorité des parlementaires a posé à l'occasion de ce projet de loi est l'écho fidèle de la voix populaire véritable au Québec. J'ai l'impression qu'à l'exception des cinq nous avons fait écho — comme eux ont fait écho à une minorité — à l'immense majorité de la population québécoise, que je connais. Population québécoise franche, honnête, sincère, loyale, respectueuse des droits des autres, des droits des anglophones, respectueuse de la liberté.

J'ai l'impression que ce que nous voyons en Chambre, c'est la reproduction fidèle de l'opinion du Québec. Loi juste, loi réaliste, loi honnête, franche. Des dangers, oui. Ce n'est pas que je veuille faire un discours de la Saint-Jean-Baptiste, mais j'ai foi dans la ténacité, dans la fidélité, dans la loyauté profonde de notre peuple à la culture et à la langue françaises. J'ai foi là-dedans. C'est sans doute ce qui m'anime et qui me fait comprendre que notre population n'est pas pessimiste, n'est pas broyeuse de noir. Elle est optimiste et, malgré les dangers, malgré les obstacles, notre peuple, non seulement va survivre, cette étape est franchie, mais notre peuple va vivre, va rayonner et que la langue française va y gagner au Québec. J'ai foi en ce peuple avec qui je travaille depuis vingt ans dans un milieu... Quelques-uns ont voulu prétendre qu'il m'impressionne, qu'il peut orienter mes actes dans une certaine direction, parce que chez nous 29% de la population est anglophone. On me connaît chez nous.

J'invite mes compatriotes anglophones, non seulement à comprendre, non seulement à réaliser, mais à accepter que le Québec doit être français si l'on veut que le Canada demeure.

M. LE PRESIDENT: La motion de troisième lecture sera-t-elle adoptée?

M. MICHAUD: Alea jacta est. DES VOIX: Vote! UNE VOIX: Adopté.

M. LESAGE: Je ne sais pas quelle est l'intention du premier ministre.

M. BERTRAND: Voici, nous avons eu un vote cet après-midi. Si on veut le recommencer, nous allons sonner les cloches, M. le Président et voter. Plusieurs de mes collègues sont absents; du côté de l'Opposition, c'est la même chose. Je pourrais indiquer, respectant l'engagement que j'ai pris vis-à-vis de deux de mes collègues qui se sont abstenus, qu'à l'exception de deux, tous mes collègues en troisième lecture sont en faveur du bill. Je pense que le chef de l'Opposition peut faire la même chose de son côté. Alors, si on veut que les votes soient enregistrés, je n'ai aucune objection.

M. MICHAUD: M. le Président, nous serions satisfaits que l'enregistrement du vote sur ma motion soit le même pour le vote de troisième lecture afin d'éviter que la Chambre ne prolonge ses travaux.

M. LESAGE: Voici, c'est qu'il y a, d'un côté, des députés qui étaient ici cet après-midi et qui n'y sont pas ce soir et, de l'autre côté, il y en a qui sont ici ce soir et qui n'y étaient pas cet après-midi. Ils ne sont pas en Chambre dans le moment, mais ils veulent voter. Je pense en particulier au député de Marguerite-Bourgeoys.

M. BERTRAND: On n'a pas d'objection à ce qu'il y ait un vote, au contraire. Alors, appelez donc les députés, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Qu'on appelle les députés.

A l'ordre! Que les honorables députés qui sont pour la motion de troisième lecture veuillent bien se lever.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bertrand, Fréchette, Johnston, Paul, Lizotte, Allard, Masse, Russell, Loubier, Cardinal, Maltais (Limoilou), Cloutier, Beaulieu, Mathieu, Lussier, Beaudry, Bernatchez, Gauthier (Roberval), Lavoie, Sauvageau, Plamondon, Gauthier (Berthier), Gagnon, Demers, Léveillé, Desmeules, Croisetière, Hamel, Roy, Leduc (Laviolette), Martel, Martellani, Cournoyer, Gardner, Murray, d'Anjou, Bergeron, Picard (Dorchester), Shooner, Belliveau, Crôteau, Lesage, Séguin, Lévesque (Bonaventure), Arsenault, Lafrance, Lacroix, Beaupré, Mme Kirkland-Casgrain, MM. Binette, LeChasseur, Harvey, Coiteux, Blank, Choquette, Baillargeon, Kennedy, Mailloux, Théberge, Lefebvre, Bienvenue, Saint-Germain, Fraser, Goldbloom, Pearson, Tetley, Hanley.

M. LE PRESIDENT: Que les honorables député qui sont contre la motion veuillent bien se lever.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Lèves-que (Laurier), Mi chaud, Proulx, Tremblay (Montmorency), Flamand.

M. LE SECRETAIRE: Pour: 67 Contre: 5 Yeas: 67 Nays : 5

M. BERTRAND: M. le Président... UNE VOIX: Cinq majorettes.

M. BERTRAND: Mes collègues absents m'ont demandé — je tiens à les nommer — de dire que s'ils avaient été présents, ils auraient voté en faveur de la motion de troisième lecture. MM. Vincent, Gosselin, Tremblay (Chicoutimi), Boudreau, Morin, Théorêt, Simard, Gauthier (Trois-Rivières), Boivin, Lafontaine. Je pense les avoir tous nommés. M. Bellemare, mon voisin de droite.

M. LESAGE: Bien oui.

M. BERTRAND: On oublie toujours celui qui est le plus près de nous.

M. LESAGE: M. le Président, m'autorisant du précédent que vient de créer le premier ministre, je voudrais déclarer à mon tour que nos rangs sont peut-être un peu plus clairsemés que les siens, mais disons que les mêmes raisons qui faisaient qu'il y avait plus de sièges libres de l'autre côté il y a quelques mois, eh bien! maintenant expliquent de nombreuses absences de ce côté.

Je suis convaincu que les députés libéraux qui sont absents à ce moment-ci auraient voté en faveur de la troisième lecture du projet de loi. C'était une décision du caucus qui était unanime, et tellement unanime que le seul qui n'a pas pu nous suivre s'en est exclu lui-même. Mais cependant certains députés m'ont demandé personnellement, et à ce moment-ci je m'en tiens à la liste de ceux qui m'ont fait une demande personnelle, de déclarer M. le Président, que s'ils avaient été ici, ils auraient voté en faveur de la troisième lecture.

Ce sont les députés d'Abitibi-Ouest, de Drummond, de Hull, de Stanstead, d'Argenteuil, de

Gatineau et de Bourassa. Ce dernier, le député de Bourassa, a dû subir une intervention chirurgicale mineure; il est en convalescence et ça va beaucoup mieux.

M. LE PRESIDENT: La motion est adoptée.

M. MICHAUD: M. le Président, puis-je rapidement annoncer, enfin pour ce qui me concerne, la dissolution de l'opposition circonstantielle?

M. BERTRAND: Nous savions que ça ne durerait pas beaucoup.

M. PAUL: Bien voici, M. le Président, peut-être que tous les députés conviendront de l'avantage et de la nécessité d'ajourner immédiatement nos travaux.

Je voudrais cependant, avant de faire la motion d'ajournement, donner l'ordre de nos travaux pour demain. Nous serons de nouveau en comité plénier pour le bill 24, Loi des heures d'affaires des établissements commerciaux, pour ensuite reprendre l'étude en deuxième lecture du bill 23. Après la deuxième lecture, nous appellerons la deuxième lecture du bill 54, Charte de la société québécoise d'initiatives pétrolières, si le temps nous le permet.

M. LESAGE: Après la deuxième lecture? M. PAUL: Après la deuxième lecture.

M. LESAGE: Est-ce que le ministre n'est pas disposé à ce que nous procédions au stade du comité?

M. PAUL: II semblerait...

M. LESAGE: J'ai eu une conversation avec le député de Montcalm ce soir et j'avais compris que nous procédions à la deuxième lecture, ensuite au stade du comité. C'est assez long, ça.

M. PAUL: Demain, nous pourrions convenir des heures de séance: de 10 h 30 à 12 h 30 et de 2 h 30 à 5 h. Alors, je propose l'ajournement de la Chambre à demain matin, 10 h 30.

M. LE PRESIDENT: La Chambre ajourne ses travaux 5 demain matin, 10 h 30.

(Fin de la séance: 22 h 37)

ANNEXE

Les organismes et particuliers suivants ont exprimé leur point de vue et leurs observations sur ledit projet de loi étudié par votre Commission: 1. L'Office de révision du Code civil; 2. La Chambre des notaires du Québec; 3. Le Barreau du Québec; 4. La Voix des femmes (section du Québec); 5. La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ); 6. La Confédération des syndicats nationaux (CSN); 7. L'Association des femmes de carrière du Québec; 8. L'Association féminine d'éducation et d'action sociale; 9. La Fédération des femmes du Québec; 10. La Fédération des Unions de famille; 11. Le Protecteur du citoyen; 12. La Ligue des droits de l'homme; 13. L'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie; 14. L'Association des compagnies de fiducie du Canada;

Et à titre individuel: 15. Me Ernest Caparros, professeur à la faculté de Droit de l'Université Laval; 16. Me Ian Baxter, membre du Barreau de l'Ontario et de « The Ontario Law Reform Commission ».

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