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Version finale

29e législature, 1re session
(9 juin 1970 au 19 décembre 1970)

Le jeudi 12 novembre 1970 - Vol. 10 N° 25

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures six minutes)

M. LAVOIE (président): Qu'on ouvre les portes. A l'ordre, messieurs!

Affaires courantes. Présentation de pétitions. Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus.

Commission de l'Assemblée nationale

M. LEVESQUE: M. le Président, la commission de l'Assemblée nationale a l'honneur de soumettre à votre honorable Chambre son huitième rapport.

Votre commission est d'opinion que la pétition et l'avis sont réguliers et suffisants et que le bill est régulier et conforme à la pétition et à l'avis dans chacun des cas ci-après.

J'imagine que la Chambre me dispense de la lecture.

M. LE PRESIDENT: Présentation de motions non annoncées.

Présentation de bills privés.

Projets de loi privés

M. BACON: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill numéro 123 intitulé Loi modifiant la charte de la Communauté des soeurs de la charité de la Providence.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. ROY (Beauce): M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill numéro 122 intitulé Loi constituant en corporation les Soeurs de la charité de Saint-Louis (province Notre-Dame du Christ-Roi).

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. PICARD: M. le Président, en l'absence du député de Saint-Laurent, M. Pearson, j'ai l'hon- neur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill numéro 106 intitulé Loi concernant la commission des écoles catholiques de Saint-Laurent.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. HOUDE (Limoilou): M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill 151 intitulé Loi modifiant la Loi constituant en corporation les Soeurs de Saint-François d'Assise.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. HOUDE (Limoilou): Egalement, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill 171 intitulé Loi constituant en corporation les Soeurs franciscaines missionnaires de Marie.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. HOUDE (Limoilou): Finalement, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill 189 intitulé Loi concernant le Collège des pharmaciens de la province de Québec et Jeannine Matte.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. HARVEY (Chauveau): M. le Président,

j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 111 intitulé Loi constituant en corporation le Club de golf de Lorette Inc.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. PEPIN: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 110 intitulé Loi constituant en corporation Les Soeurs de la Présentation de Marie, province de Montréal.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. PEPIN: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 112 intitulé Loi constituant en corporation Les Soeurs de la Présentation de Marie, province de Sherbrooke.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. BERTHIAUME: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 102 intitulé Loi constituant en corporation l'Eglise Orthodoxe Saint-Nicholas d'Antioche.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. BLANK: M. le Président, je fais motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 186 intitulé Loi constituant en corporation l'Eglise copte orthodoxe, diocèse de l'Amérique du Nord, paroisse de Montréal.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. PEPIN: M. le Président, j'ai également l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 113 intitulé Loi constituant en corporation Les Soeurs de la Présentation de Marie, province de Saint-Hyacinthe.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. CARON: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 105 intitulé Loi autorisant le Barreau du Québec à admettre Alfred Antoun Bahary à l'exercice de la profession d'avocat.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. BIENVENUE: M. le Président, j'ai l'honneur de faire motion pour qu'il me soit permis de présenter le projet de loi no 178 intitulé Loi concernant le Séminaire de Saint-Germain de Rimouski.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté.

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance.

M. VEZINA: M. le Président, je fais motion pour qu'il me soit permis de présenter le bill no 187 intitulé Loi concernant le Collège des pharmaciens de la province de Québec et Gilles Girard et d'autres personnes.

M. LE PRESIDENT: Cette motion sera-t-elle adoptée? Adopté

M. LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce bill. First reading of this bill.

M. LE PRESIDENT: Deuxième lecture à la prochaine séance.

Présentation de bills publics. Déclarations ministérielles. L'honorable ministre des Richesses naturelles.

Déclaration ministérielle Centrale nucléaire

M. MASSE (Arthabaska): M. le Président, j'ai l'honneur et le plaisir d'annoncer à cette Chambre qu'à compter d'aujourd'hui le Québec entre dans l'àge atomique avec la mise en application de la phase initiale de la production à la centrale d'énergie nucléaire de Gentilly, localité sise sur les rives du Saint-Laurent dans le comté de Nicolet. Nous nous trouvons donc en présence d'un prototype mondial dans le domaine de l'utilisation pacifique de l'atome, d'une station expérimentale à partir de laquelle d'autres centrales plus puissantes pourraient être édifiées en des lieux stratégiques au Québec au cours des prochaines années.

Soulignons parmi les caractéristiques de la centrale de Gentilly qu'elle devient la première du genre au monde à utiliser le carburant d'uranium naturel, un modérateur à l'eau lourde et de l'eau légère bouillante comme refroidis-seur.

Les autres centrales nucléaires canadiennes diffèrent de celle de Gentilly en ce qu'elles utilisent l'eau lourde comme refroidisseur au lieu de l'eau légère en ébullition. L'usine de Gentilly, projet pilote au Québec et au Canada, a été parrainé conjointement par l'Hydro-Qué-bec, l'Energie atomique du Canada Limitée et la Commission de contrôle de l'énergie atomique du Canada. Un groupe de spécialistes et de scientifiques de ces trois organismes a travaillé depuis 1964, année de l'acceptation du projet, à la préparation des plans et devis. En tant que ministre des Richesses naturelles, je désire rendre hommage aujourd'hui à M. Georges A. Pon, le concepteur du projet, à M. David Wallis, de l'Energie atomique du Canada Limitée, directeur du projet, et à M. Réal Boucher, de l'Hydro-Québec, directeur adjoint du projet.

Je tiens également à rendre hommage à tous ceux qui ont participé à cette réalisation rendue possible gràce à un accord conclu en 1966 entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec par l'Energie atomique du Canada Limitée et l'Hydro-Québec Je pense aux hommes de science, aux ingénieurs, dessinateurs, constructeurs, fabricants, fournisseurs, techniciens, opérateurs et, bien sûr, les administrateurs.

Tous ont collaboré pour doter le Québec d'un nouvel outil moderne d'exceptionnelle valeur dans le secteur de l'énergie. L'accord intervenu en 1966 stipulait que l'Energie atomique du Canada Limitée devait construire cette centrale de Gentilly et en être le propriétaire alors que l'Hydro-Québec devait fournir le lieu, jouer le rôle d'entrepreneur général, exploiter la centrale une fois sa construction terminée et l'acheter finalement lorsque son rendement serait établi.

Ingénieurs et technologistes du Québec ont mis leurs talents dans la conception et la construction de la centrale de Gentilly tandis que les agents de l'Hydro-Québec étaient initiés aux techniques de l'exploitation des centrales nucléaires, de telle sorte que le Québec possède aujourd'hui les connaissances, l'expérience et les compétences nécessaires à la réalisation d'autres projets similaires.

Donc, le 12 novembre 1970 ouvre une nouvelle voie au Québec: la mise en opération de la phase initiale dite de divergence du réacteur à l'usine atomique de Gentilly, qui met l'atome à la disposition du Québec. Deux autres phases sont prévues et s'appliqueront au cours des prochains mois, de telle sorte que la production d'énergie nucléaire sera définitivement lancée en 1971 comme prévu. Sur ce chapitre du développement de nos richesses naturelles que constituent les forces hydrauliques, d'abord, et ensuite les puissances thermiques et nucléaires, on peut affirmer que le Québec demeure à la fine pointe de la technique et de la science appliquée à notre époque moderne.

M. PAUL: M. le Président, un court commentaire pour rappeler aux membres de cette Chambre que l'honorable ministre, par oubli ou distraction, a omis de rendre hommage à son prédécesseur, l'honorable Paul Allard, qui occupait les fonctions qu'occupe aujourd'hui le ministre des Richesses naturelles. Nous assistons aujourd'hui, une fois de plus, à une oeuvre, à une réalisation de l'Union Nationale et j'espère que le gouvernement libéral ne s'en attribuera pas le mérite.

M. LEVESQUE: L'Union Nationale a passé quatre ans à couper les rubans de l'ancienne administration.

M. PAUL: M. le Président, l'Union Nationale coupait peut-être des rubans, mais le chômage

ne progressait pas au point de voir 61,000 chômeurs de plus en...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. PAUL: ...1970 comparé à septembre 1969.

M. LACROIX: Vous prépariez le terrain.

M. SAMSON: M. le Président, nous avons assisté avec beaucoup d'intérêt à ce lancement de fleurs provenant des deux côtés de la Chambre. Cependant, lorsque le ministre a fait sa déclaration, il a peut-être oublié de nous dire que son prédécesseur avait commencé le travail. Il a peut-être oublié de nous dire aussi — ou il se le réserve peut-être pour plus tard, vu qu'on doit maintenant compter sur des centrales atomiques — ce qu'ils vont faire avec les centrales comme la Manic. Nous vous posons la question.

UNE VOIX: H n'y a pas de problème.

M. MASSE (Arthabaska): Disons, à propos des centrales nucléaires, pour répondre au député de Rouyn-Noranda, que celle de Gentilly est une centrale expérimentale. Comme vous l'avez vu dans ma déclaration, cette centrale aboutira à l'Hydro-Québec, lorsque cette centrale deviendra rentable économiquement. Il y a donc une partie expérimentation. Je vous ai dit que c'est vraiment un projet pilote non seulement pour le Québec, mais aussi pour l'ensemble du Canada.

En ce qui concerne les demandes hydroélectriques, il n'est pas encore prouvé que ce soit plus rentable d'établir des centrales nucléaires et thermiques que d'exploiter des centrales telles que Manic.

M. LESSARD: M. le Président, à l'occasion de l'étude des crédits du ministère des Richesses naturelles...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît! Nous ne sommes pas encore à la période des questions.

M. LESSARD: M. le Président, je représente...

M. LE PRESIDENT: Sur les Richesses naturelles, d'accord.

M. LESSARD: M. le Président, à l'occasion de l'étude des crédits du ministère des Richesses naturelles, nous avions insisté, mon collègue de Gouin et moi-même, sur la nécessité pour le Québec d'instaurer au plus tôt une politique d'énergie, y compris l'énergie du pétrole et l'énergie nucléaire.

Nous sommes extrêmement heureux, aujour- d'hui, d'apprendre que nous avons, du côté de l'énergie nucléaire, fait un pas extrêmement important au Québec puisque déjà, ailleurs au Canada, il existe de telles centrales. Nous espérons aussi que ce premier projet sera, comme le dit le ministre des Richesses naturelles, un premier pas vers l'instauration d'autres projets, parce que nous constatons de plus en plus l'importance de cette politique d'énergie.

Nous savons qu'il s'agit d'un domaine où il se fait énormément de recherches.

Nous savons qu'il s'agit aussi d'un domaine qui est une industrie de pointe et qui peut amener la création d'emplois dans nombre de domaines. C'est pourquoi nous nous étions aussi inquiétés du fait que le gouvernement semblait donner toute la force de production hydroélectrique, pour les années qui vont suivre, du côté de la baie James. Eh bien, je crois qu'il faut aussi penser à l'énergie nucléaire qui est une source d'énergie qui sera beaucoup utilisée dans l'avenir.

M. VINCENT: M. le Président, je pourrais peut-être poser une question concernant une réponse qui n'a pas été donnée par le ministre des Richesses naturelles. Il aurait pu donner...

M. LEVESQUE: ... autrement, ça va devenir un débat, M. le Président.

M. VINCENT: ... dans la discussion. Quel a été le coût total de l'usine?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je pense que le député de Nicolet aura toute la latitude voulue dans quelques minutes, avec le consentement de la Chambre, à la période des questions. Autrement, si à ce stade-ci on commençait, ça pourrait s'éterniser.

Est-ce que la période des déclarations ministérielles est terminée?

Dépôts de documents.

M. GARNEAU: M. le Président, conformément à l'article 10 du chapitre 65 des Statuts refondus de la province, je voudrais déposer les mandats spéciaux adoptés par ordre du lieutenant-gouverneur en conseil entre le 16 juillet et le 10 novembre.

M. CHOQUETTE: M. le Président, je voudrais déposer l'arrêté en conseil no 3772 du 15 octobre 1970 concernant la mise en application des pouvoirs d'urgence prévus à la Loi de police et également l'arrêté en conseil no 4133 daté du 10 novembre 1970 relatif au même sujet.

M. LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Affaires municipales.

M. TESSIER: M. le Président, conformément à la loi, j'ai l'honneur de déposer le

rapport annuel du Bureau d'assainissement des eaux du Québec métropolitain.

M. LE PRESIDENT: Questions des députés.

Questions et réponses

Emprunt du Québec

M. BERTRAND: M. le Président, le Québec a emprunté à deux reprises au début d'octobre, et je crois qu'il doit aussi emprunter le 2 décembre, suivant ce qu'on en a lu dans les journaux. Le ministre des Finances pourrait-il nous dire quels montants ont été empruntés, doivent l'être, à quels taux et nous donner les conditions de l'emprunt?

M. GARNEAU: Le Québec a emprunté, sur le marché canadien, la somme de $60 millions repartie comme suit: une tranche 9 1/4 p. c, datée du 2 décembre 1970 à $100 au pair pour rapporter 9.25 à l'acheteur et une autre partie de l'émission est à 9.5 p. c. à fonds d'amortissement échéant le 2 décembre 1995 offerte au public à 98.25 pour chaque $100 d'obligation pour rapporter 9.69 à l'acheteur.

M. BERTRAND: Est-ce qu'il n'y a pas eu un autre emprunt en octobre?

M. GARNEAU: M. le Président, il y a eu un emprunt également de $60 millions qui a été livré le 1er octobre 1970. La première tranche de l'émission à 9 1/4 p. c. échéant le 1er octobre 1978 et offerte au public à 99.50 pour $100 d'obligation pour rapporter 9.34 à l'acheteur. Ces obligations ne sont pas rachetables avant échéance en 1978, mais seront échangeables au gré du détenteur entre le 1er octobre 1977 et le 1er avril 1978, contre une même valeur nominale d'obligation à 9 p. c. La deuxième tranche des obligations est à 9 1/2 p.c. à fonds d'amortissement échéant le 1er octobre 1995 offertes au public à 98.75 pour $100 d'obligation pour rapporter 9.63.

M. BERTRAND: Quel est, dans les deux cas, le montant qui a été acheté par la Caisse de dépôt et par les caisses populaires du Québec?

M. GARNEAU: Dans l'emprunt que nous venons de faire, la Caisse de dépôt a acheté $15 millions à long terme et les caisses populaires ont acheté $15 millions à court terme. Maintenant, je n'ai pas en mémoire les montants qui ont été achetés par ces deux institutions pour l'emprunt qui a été effectué en septembre, mais je prendrai les informations et je les transmettrai au chef de l'Opposition.

M. BERTRAND: Très bien.

M. CARDINAL: Question supplémentaire, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bagot.

M. CARDINAL: Pour faire suite aux questions du chef de l'Opposition, aux réponses du ministre des Finances et au dépôt des mandats spéciaux d'aujourd'hui, ma question complète celle de M. Bertrand. Est-ce que les détails que le ministre n'a pas devant lui, aujourd'hui, il pourra nous les fournir et est-ce que le fait d'adopter des mandats spéciaux alors que le budget a été voté en dehors de la session constitue ou ne constitue pas, dans le fond, des budgets supplémentaires?

M. GARNEAU: M. le Président, le député de Bagot sait très bien que des mandats spéciaux peuvent être adoptés lorsque la Chambre ne siège pas et qu'ils sont interprétés...

M. LAFONTAINE: Ce n'est pas ce que M. Lesage nous a dit dans le passé, par exemple.

M. GARNEAU: Ce n'était pas pour les mêmes fins, M. le Président... Et que, lorsque la Chambre ne siège pas, il est loisible au lieutenant-gouverneur en conseil d'adopter des mandats spéciaux qui, autrement, seraient présentés par budget supplémentaire si la Chambre était en session.

M. CARDINAL: Je m'excuse, M. le Président, je sais tout ça.

J'ai participé à un gouvernement et je sais qu'en dehors des sessions... D'ailleurs, dans ma question-je l'avais posé sous forme interrogative parce que les règlements veulent qu'on ne fasse pas d'affirmation — M. le Président, j'ai souligné ce point. Le ministre ne répond pas à ma question. Il me dit: On peut le faire; vous l'avez fait et ceux du gouvernement aussi. Je demande au ministre si ceci ne constitue pas des budgets supplémentaires.

M. GARNEAU: Je viens de répondre à la question du député de Bagot. Je lui ai dit que cela constituait un budget supplémentaire. Vous ne voulez pas comprendre.

M. CARDINAL: On en prend note, merci.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Beauce, sur le même sujet, je crois.

M. ROY (Beauce): Sur le même sujet.

M. LE PRESIDENT: Oui, le député de Beauce.

M. ROY (Beauce): La nouvelle nous informe également que cette émission a été lancée par un syndicat financier dirigé par Wood-Gundy Valeurs Limitée, René-T. Leclerc Inc., la Banque Royale et la Banque Canadienne nationale. Est-ce que le ministre pourrait nous dire si les caisses populaires et la Caisse de dépôt et

placement du Québec ont été dans l'obligation de transiger avec le syndicat financier ou si elles ont transigé directement avec le gouvernement?

M. GARNEAU: M. le Président, il s'agit d'un emprunt public et non pas d'un emprunt privé. Les caisses populaires et la Caisse de dépôt et placement ont donc acheté par l'intermédiaire du syndicat.

M. ROY (Beauce): M. le Président, est-ce que c'est l'habitude du gouvernement de passer par un syndicat financier et de payer des commissions pour transiger directement entre les institutions paragouvernementales et le gouvernement de la province?

M. BOURASSA: II vient de répondre.

M. GARNEAU: M. le Président, je viens de répondre à la question en disant qu'il y avait eu, à l'occasion, des emprunts négociés privément avec la Caisse de dépôt. Mais dans le cas qui nous intéresse présentement, cela a été une émission publique.

M. BROCHU: Question supplémentaire sur le même sujet.

M. LE PRESIDENT: Sur le même sujet.

M. BROCHU: Est-ce que le ministre pourrait nous dire justement s'il s'agit là d'une politique d'économie dans le cadre de l'austérité productive?

M. GARNEAU : Tout ce que je peux dire au député, c'est que l'emprunt s'est effectué au prix du marché et qu 'il a été très bien reçu tant sur le marché québécois que sur le marché canadien et étranger puisque nous avons des informations de courtiers à l'effet que des commandes importantes sont venues de Vancouver, de Toronto et même d'Europe.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Maisonneuve.

Grève de la Northern Electric

M. BURNS: M. le Président, j'aimerais savoir si le premier ministre est au courant du fait que la compagnie Northern Electric de Montréal, qui emploie au-delà de 15,000 employés, a avisé, hier après-midi, ses employés que si une certaine grève d'une de ses filiales en Ontario se poursuivait, il serait fort possible qu'à compter du 11 décembre un nombre important de ces employés seraient mis à pied.

M. BOURASSA: M. le Président, le député de Maisonneuve parle d'une hypothèse comme telle. Mais comme le problème est sérieux en lui même, puisqu'il s'agit de la mise à pied d'un nombre important d'employés, je prends avis de la question.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.

Marchandises volées

M. SAMSON: M. le Président, je voudrais poser une question à l'honorable ministre de la Justice. Je l'ai d'ailleurs prévenu de la question. Pour bien en faire comprendre le sens, je voudrais lire quelques passages d'une lettre en provenance de la Chambre de commerce de Rouyn-Noranda.

C'est une lettre qui s'adresse aux autorités. Voici ce qu'elle dit: "II semble que plusieurs receleurs ont choisi la région de Rouyn-Noranda pour écouler des effets volés un peu partout dans le Québec et dans le nord de l'Ontario. Il s'agit plus particulièrement du trafic de linge volé, organisé en un vaste réseau provincial voire même national. "Selon nos informations, au moins six personnes exercent un commerce qui apparaît des plus louches puisqu'on n'y fait aucune facture, qu'on n'y tient aucune comptabilité, qu'on n'y charge aucune taxe de vente et probablement qu'on n'y fait aucun rapport d'impôt.

Cette concurrence déloyale est révoltante pour les marchands de la région qui en sont gravement affectés.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, à l'ordre!

M. SAMSON: M. le Président, je voudrais, si vous me le permettez, continuer.

M. LE PRESIDENT: Avec la permission du député de Rouyn-Noranda, je voudrais rappeler à la Chambre qu'à la période des questions il y a toujours deux conditions qui demeurent très importantes: l'intérêt public et le caractère d'urgence. Autrement, je craindrais que la période des questions dure des heures.

M. SAMSON: M. le Président, avec votre permission, je voudrais souligner que lorsque quelqu'un veut échapper à la taxe de vente et à l'impôt, c'est d'intérêt public et, lorsqu'il est question de justice, c'est d'intérêt public et cela a un caractère d'urgence. Avec votre permission, puisque j'ai quelques lignes seulement à lire, j'aimerais continuer. Je pense que le ministre est préparé, d'ailleurs, à donner une réponse qui sera satisfaisante.

M. CARDINAL: La complicité, la complicité!

M. DEMERS: On s'arrangeait comme cela quand on était dans le parti!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. SAMSON: Comme j'ai donné préavis de ma question, je m'attends à une réponse, évidemment. Etant donné, aussi, que nous sommes reconnus pour faire de l'opposition objective, nous ne sommes sûrement pas gênés pour dire ce que nous pensons, lorsque c'est objectif.

Alors, je voudrais demander ceci: Puisqu'à la fin de sa lettre la chambre de commerce sollicite du ministère de la Justice une action ferme et aussi immédiate que possible et qu'étant donné que les corps policiers locaux ne peuvent pas suffire, est-ce que le ministre de la Justice serait prêt à faire une déclaration sur le sujet?

M. CHOQUETTE: Je puis assurer le député de Rouyn-Noranda que je suis totalement, catégoriquement et irrévocablement opposé au recel.

M. SAMSON: Question supplémentaire, M. le Président. Probablement que le ministre de la Justice me permettra de récidiver. Il m'a donné une très bonne réponse sur les principes. Il est opposé au recel et je le suis aussi. Parce que nous le sommes tous les deux, est-ce qu'il est opposé ou d'accord pour faire quelque chose qui s'impose dans le cas qui se présente? C'est ce que je voudrais savoir.

M. CHOQUETTE: Je peux assurer le député que je vais prendre sa requête en considération, la soumettre à la Sûreté et étudier très sérieusement le cas qu'il a soulevé d'une façon aussi pertinente.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Nicolet.

Coût de l'usine atomique

M. VINCENT: M. le Président, ma question s'adresse au ministre des Richesses naturelles, par suite de la déclaration ministérielle qu'il vient tout juste de faire. Quel a été le coût total du projet et d'où proviennent les sommes?

M. MASSE (Arthabaska): Même si le caractère d'urgence de la question peut être douteux, je pourrais répondre au député de Nicolet que le projet a coûté environ $106 millions.

Pour la part qui intéresse davantage le Québec, c'est-à-dire l'Hydro-Québec, l'Hydro a dû fournir le terrain et également être responsable de la construction de la centrale.

M. VINCENT: Une question supplémentaire. Est-ce qu'il est juste de dire qu'environ $105,950,000 proviennent du gouvernement fédéral? C'est pour l'information des députés du Parti québécois.

M. MASSE (Arthabaska): Je peux prendre préavis de la question; pour les chiffres précis, je pourrai répondre demain.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Jacques.

Le français à la General Motors

M. CHARRON: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre. On vient d'annoncer la conclusion, à Détroit, d'une entente de principe concernant le règlement de la grève qui afflige actuellement l'industrie de l'automobile. On rapporte également qu'un des obstacles majeurs à un pareil règlement, à Sainte-Thérèse, serait l'usage du français comme langue du travail. Etant donné le caractère que tous les membres de cette Chambre vont reconnaître, le caractère de précédent qu'est susceptible de prendre cette convention collective en matière de langue de travail, est-ce que le premier ministre a l'intention de prendre des mesures spéciales, comme l'envoi d'un délégué spécial, soit du ministère des Affaires culturelles, par exemple, auprès des négociateurs, pour hàter le règlement de cette question dans le sens de la reconnaissance des droits du français au Québec?

M. BOURASSA: M. le Président, je dois dire au député de Saint-Jacques, pour une question qui, je pense, est tout à fait pertinente, que j'ai déjà pris certaines mesures. J'ai rencontré le président de General Motors pour le Canada, M. Weathers, avec qui j'ai discuté de la question et plusieurs membres du bureau du chef du gouvernement ont également discuté avec les représentants syndicaux. Certains projets de compromis ont été soumis et nous sommes en constante communication avec les responsables, étant conscients de l'importance du précédent que vient de signaler le député de Saint-Jacques.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député d'Iberville.

Nouvelles structures municipales

M. CROISETIERE: Ma question s'adresse au ministre des Affaires municipales. Lors d'une conférence prononcée dans la région du Haut-Saguenay, vers la fin septembre, ou le début d'octobre dernier, le ministre aurait laissé entendre que son ministère annoncerait des nouvelles structures qui seraient appliquées aux communautés municipales dans un avenir prochain. Ma question est celle-ci: Est-ce que le ministre pourrait nous dire s'il a l'intention d'y donner suite et si cesdites structures vont être publiées dans un volume sous forme de livre blanc?

M. TESSIER: M. le Président, en effet, c'est

bien l'intention du ministre des Affaires municipales de donner suite à cette déclaration faite à Arvida au cours de septembre dernier. Egalement, un livre blanc sera rendu public, je l'espère bien, d'ici une quinzaine, de manière que toutes les municipalités, les associations municipales ou paramunicipales puissent en prendre connaissance, l'étudier, faire des suggestions au ministre des Affaires municipales, ce qui permettra au gouvernement de déposer une loi-cadre favorisant la création de communautés municipales. Cette loi, normalement, devrait être déposée au cours de la prochaine session.

M. CROISETIERE: Une question supplémentaire, M. le Président. Dois-je comprendre que c'est d'ici une quinzaine de jours et non pas une quinzaine de mois?

M. TESSIER: Pardon?

M. CROISETIERE: Est-ce que c'est une quinzaine de jours ou une quinzaine de mois?

M. TESSIER: J'ai bien dit: Une quinzaine de jours.

M. DEMERS: Cela va se faire directement sans passer par Ottawa.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! L'honorable député de Saint-Maurice.

Etat de l'agriculture

M. DEMERS: Ma question s'adresse à l'honorable ministre de l'Agriculture et de la Colonisation. Dans un journal de la capitale, particulièrement — on n'a pas le droit de nommer les journaux, mais je peux dire que c'est un journal ami du député de Duplessis — on fait dire à M. Allain, président de l'Union catholique des cultivateurs, qu'Ottawa sonnerait le glas de l'agriculture si certaines mesures étaient appliquées. Et comme le président de l'UCC, M. Allain, doit faire état de ses inquiétudes lors du congrès national, est-ce que le ministre de l'Agriculture et de la Colonisation assistera à ce congrès? Est-ce qu'il prendra position pour empêcher que le glas soit sonné par Ottawa?

M. TOUPIN: M. le Président, pour donner une réponse au député de Saint-Maurice, on va essayer d'éviter que le glas sonne...

M. DEMERS: Vous n'êtes pas un bedeau!

M. TOUPIN: II est bien sûr que nous nous rendrons à Ottawa pour ce congrès sur l'agriculture et, à ce moment-là, nous ferons connaître nos positions.

UNE VOIX: Les jours se suivent...

M. TOUPIN: Nous ferons connaître nos positions là-bas et ici, aux deux endroits à la fois, de telle sorte que tout le monde les connaîtra.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Maskinongé.

Evasions de la prison d'Orsainville

M. PAUL: M. le Président, présumant que le ministre de la Justice est catégoriquement, définitivement et irrévocablement opposé aux évasions, je me permettrai de lui poser quelques questions. D'ailleurs, je l'ai prévenu de ces questions relatives à l'évasion récente du centre d'Orsainville en date du 2 novembre dernier.

Le ministre pourrait-il nous dire, d'abord, qui avait la garde des prisonniers au moment de l'évasion?

Deuxièmement, est-il vrai que plusieurs prisonniers, dont les cinq évadés, se trouvaient sans surveillance au moment de l'incident?

Troisièmement, pourquoi avait-on laissé sans surveillance une vingtaine de prisonniers dans le cours de l'après-midi du deux novembre 1970?

Quatrièmement, quels correctifs ont été suggérés par le ministre de la Justice, ou ses fonctionnaires, pour éviter une quatrième évasion au centre d'Orsainville?

Cinquièmement, le ministre a-t-il ordonné une enquête à la suite de ces évasions spectaculaires?

Enfin, le ministre pourrait-il dire s'il est vrai, ou non, que les évadés ont reçu de l'aide de l'extérieur, avant, pendant et après l'évasion?

Finalement, le ministre a-t-il l'intention de produire un rapport détaillé à la suite de l'enquête qu'il aurait sans doute ordonnée et qui lui sera communiqué?

M. CHOQUETTE: M. le Président, en réponse à la première question, ce sont les autorités de la prison qui avaient la garde des prisonniers et non pas l'armée.

En réponse à la deuxième question, il semble que les prisonniers, lors de leur évasion, se trouvaient dans une cour de récréation qui est clôturée.

Troisièmement, c'est justement l'objet de l'enquête de savoir pourquoi ces prisonniers, semble-t-il, avaient été laissés sans surveillance dans cette cour de récréation, enquête que j'ai ordonnée.

Quatrièmement, pour ce qui est des correctifs, l'enquête nous révélera où doivent peser les responsabilités pour ces évasions et, également, elle pourra nous indiquer des mesures à adopter avec le concours du ministère des Travaux publics pour ancrer la clôture dans le béton. Cela pourra être une des mesures à adopter.

Cinquièmement, l'enquête que j'ai instituée est faite par la Sûreté, mais je puis affirmer à l'honorable député qu'il ne semble pas qu'il y ait eu de concours extérieur à cette évasion.

Sixièmement, quant aux résultats de l'enquête, je pense bien, en principe, que je n'aurai pas d'objection à les rendre publics, à moins qu'il y ait des raisons particulières que je ne connaîtrai qu'après avoir reçu le rapport.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Montcalm.

Opération dignité

M. MASSE (Montcalm): M. le Président, l'abbé Charles Banville, curé de la paroisse de Sainte-Paula, dans le comté de Matane, a présenté, hier, un manifeste d'appui du clergé de cette région à l'action entreprise par la population des comtés de Matane et de Matapédia réunissant quelque 25 paroisses marginales sous le titre: Opération dignité.

Il semble, d'après la déclaration de M. le curé Banville, que la population se prononcerait en faveur du manifeste du FLQ, tout en rejetant le terrorisme, et ce, à cause des difficultés du gouvernement dans l'application du plan de l'Est du Québec.

Le ministre des Affaires municipales, responsable de l'application de cette entente de coopération Canada-Québec, a-t-il une déclaration à faire à ce sujet?

M. TESSIER: J'ai lu, dans les journaux, que le curé Banville avait fait une déclaration. Je n'ai pas rencontré le curé Banville. Je crois qu'il a rencontré un de mes collègues mais, quant à moi, je ne l'ai pas vu. Il n'a fait, par conséquent, aucune déclaration devant moi et il serait assez délicat, en conséquence, que je commente une déclaration que je n'ai jamais entendue.

M. MASSE (Montcalm): Question supplémentaire, M. le Président. Est-ce que, pour permettre au ministre d'entendre la déclaration du curé Banville, il a l'intention de convoquer sous peu la commission parlementaire des Affaires municipales pour étudier les difficultés d'application de l'entente Canada-Québec?

M. TESSIER: Ce n'est pas mon intention de le faire à moins qu'il y ait une demande spécifique de la part des intéressés. A ce moment-là, je n'aurai pas d'objection à les entendre devant la commission.

M. MASSE (Montcalm): Question supplémentaire, M. le Président. Tenant compte de la demande faite par les parlementaires — et qui apparaît au feuilleton — de réclamer la convocation de cette commission parlementaire, considérez-vous que les parlementaires sont intéressés à entendre le ministre et les corps intermédiaires concernant cette question?

M. BOURASSA: M. le Président, est-ce que je peux répondre...

UNE VOIX: Bon!

M. BOURASSA: ... à la question du député de Montcalm? Je pense que j'ai examiné le problème et que j'ai prouvé, en me rendant sur les lieux, l'intérêt que je portais à cette question, de même que le souci que je portais aux revendications de la population de la Gaspésie.

Je trouve curieux que ce soit le député qui était responsable de l'Office de planification qui, aujourd'hui, semble faire des reproches au gouvernement sur son attitude.

UNE VOIX : A l'ordre ! A l'ordre !

M. BOURASSA: M. le Président, nous sommes conscients des problèmes de la Gaspésie. Nous avons déjà, seulement après quelques mois de pouvoir, tenté de réparer, au moins en partie, l'inertie du précédent gouvernement. Nous poursuivrons notre tàche...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Je demanderais à l'honorable premier ministre de respecter le règlement en ce qui concerne la réponse aux questions. Je voudrais l'inviter à ne pas susciter de débat inutile.

M. BOURASSA: Je voulais éclairer le député de Montcalm.

M. MASSE (Montcalm): M. le Président, puisque le premier ministre veut absolument manifester sa présence en Chambre, je lui ai posé hier une question concernant l'application de l'article 9, chapitre 9, section 3, et il s'est engagé devant cette Chambre à vérifier si cette Loi du Conseil exécutif était bien appliquée. Peut-il faire une déclaration à ce sujet?

M. BOURASSA: M. le Président, je dois admettre que le député de Montcalm m'a fait travailler hier soir d'une façon un peu spéciale sur cette question. J'ai cru à sa bonne foi et j'ai fait toutes les vérifications sur tous les ministres en question. Comme je le lui ai demandé hier, s'il a des cas précis à nous soumettre, nous sommes prêts à les examiner.

M. DEMERS: Pas tout de suite, cela ne presse pas.

M. MASSE (Montcalm): M. le Président, permettez-moi de remercier le premier ministre et de lui faire remarquer que j'ai plus de facilité à trouver de l'emploi qu'il n'en a lui-même.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Portneuf

Remboursement d'impôt de 1969

M. DROLET: M. le Président, ma question s'adresse à l'honorable ministre du Revenu. Le

ministre du Revenu est certainement au courant que les contribuables qui doivent de l'argent au gouvernement doivent payer. Le ministre peut-il nous dire si les citoyens du Québec qui n'ont pas encore reçu leur remboursement d'impôt pour l'année 1969 le recevront avant la fin de l'année 1970, et pourquoi ce retard considérable?

M. HARVEY (Jonquière): Ce que je peux dire au député, c'est que dès la prestation du serment, le 12 mai, mon prédécesseur a été mis devant une situation d'urgence, c'est-à-dire que pour la première fois cette année, toutes les formules d'impôt ont été traitées par ordinateur. Contrairement aux prévisions, il y a eu un rejet considérable, soit 82 p. c. des formules à la première opération, occasionnant un retard dans l'envoi des avis de cotisation autant pour le gouvernement que pour les particuliers.

Actuellement, la situation a été rétablie et il ne reste que quelques contribuables qui n'ont pas reçu leur remboursement. Ils le recevront d'ici quinze jours au plus tard.

M.SAMSON: M. le Président, le ministre vient de nous dire que 82 p. c. des formules ont été rejetées par les ordinateurs. Il semble que ce sont seulement les formules où le gouvernement est redevable qui ont été rejetées. Il paraît que les autres, celles où les citoyens sont redevables au gouvernement, la machine ne les a pas rejetées. Qu'est-ce qui se passe dans ce cas?

M. HARVEY (Jonquière): M. le Président, le député de Rouyn-Noranda devrait prendre la parole du ministre. Les avis de cotisation et même les avis aux délinquants ont été envoyés après plusieurs mois de retard. Il est donc faux de prétendre que seuls ceux qui avaient droit à des remboursements ne les ont pas eus. Ces formules ont d'abord été traitées de façon à voir si les informations qui y étaient contenues étaient bonnes; dans l'affirmative, elles n'ont pas été rejetées par la machine. Il y en avait 18 p. c. Il y en a donc eu 82 p. c. qui ont dû être manipulées une deuxième fois, avec tout ce que comporte le traitement par ordinateur.

Alors, il est faux de prétendre que seuls ceux dont le gouvernement avait des remboursements à leur remettre, ont eu leur avis en retard. C'est faux.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Bourget.

Réclamations rejetées

M. LAURIN: M. le Président, une question subsidiaire au ministre du Revenu. Est-ce qu'une enquête a été effectuée sur les raisons pour lesquelles les ordinateurs ont rejeté 82 p. c. des demandes. Est-ce qu'il faut en conclure que les ordinateurs sont contre le remboursement des impôts?

M. HARVEY (Jonquière): Premièrement, c'est parce que, dans le système qui a été mis en fonction, on n'avait pas prévu, ce que l'on appelle communément en anglais un "back up system", un système qui aurait pu être mis en place si le premier faisait défaut. Deuxièmement, il est arrivé ce qui arrive à toute entreprise qui se modernise. Lorsque les compagnies privées ont diminué le traitement par voie de "key punch" pour passer à d'autres méthodes plus modernes d'informatique, il leur est arrivé des épreuves, comme il en est arrrivé ici au ministère du Revenu.

Nous avons, il y a quelques semaines, passé au "key edit" une formule intermédiaire beaucoup plus progressive et plus moderne. Nous continuerons d'améliorer le système d'informatique afin de donner satisfaction et répondre de façon très rapide, non seulement aux contribuables, mais aux corporations qui sont au nombre de 150,000 au Québec.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Lafontaine.

Usine de polyéthylène

M. LEGER: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre, ou au ministre de l'Industrie et du Commerce. Dans un article publié, hier, dans la Gazette du 11 novembre, sous la signature de Peter Cook, il est écrit que le projet de la société Italiana-Regina d'une usine de polyéthylène, à Saint-Romuald, semblait être définitivement abandonné. Est-ce que le premier ministre pourrait nous dire si c'est exact et, si oui, quelles en sont les raisons?

M. LEVESQUE: M. le Président, je profite de la question du député pour faire une réponse plutôt d'ordre général à ce genre de questions qui peuvent être posées de temps à autre. On comprendra facilement que, dans l'intérêt du projet lui-même, quel qu'il soit, il serait extrêmement imprudent, pour le titulaire du ministère de l'Industrie et du Commerce, soit de confirmer ou d'infirmer l'implantation d'une industrie. Il y a des circonstances de toutes sortes que l'on devine où la simple annonce prématurée de la venue d'une industrie soit suffisante pour compromettre son établissement au Québec. C'est la règle qu'ont suivie mes prédécesseurs et nous essayons, au contraire, d'entourer ces entrevues, ces entretiens au ministère, de la plus grande discrétion. Mais nous sommes très heureux d'annoncer la venue des industries lorsque la décision sera prise.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, une question additionnelle. Compte tenu de la réponse que vient de faire le ministre de l'Industrie et du Commerce sur la prudence que le gouvernement doit suivre en pareille matière, faut-il conclure que les projets qui ont été annoncés l'ont été avec cette même prudence,

ce qui expliquerait que le gouvernement n'a, jusqu'à présent, annoncé que les projets qui avaient été réalisés par l'Union nationale?

M. BOURASSA: M. le Président, je pourrais répondre, si vous voulez, sur les investissements de plus d'un demi-milliard de dollars que nous avons annoncés au mois d'août et qui étaient l'effet certain de négociations sur des changements à la réforme fiscale. C'est clair que s'il n'y avait pas eu de changements à la réforme fiscale, par le gouvernement fédéral, on n'aurait pas eu $500 millions d'investissements sur la Côte Nord puisque le taux de rendement a été affecté. C'est la réponse que je donne au député. L'action du gouvernement...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela avait été décidé par nous.

M. BOURASSA: ... québécois, dans ces investissements, a été déterminante et elle le sera dans les autres qui seront annoncés.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Lévis.

Traverse de Lévis

M. ROY (Lévis): M. le Président, les journaux, en date du mois de novembre courant, laissent entendre à la population du district de Québec, qui comprend plusieurs municipalités du comté de Lévis, que la gratuité sur les bateaux-passeurs entre Lévis et Québec serait discontinuée dans les prochaines semaines.

Je demanderais soit au premier ministre de la province, soit au ministre du Transport ou de la reconnaissance de bien vouloir rassurer la population une fois pour toutes à savoir si on est pour continuer la gratuité ou si on est pour remettre les bateaux payants comme auparavant.

M. GARNEAU: M. le Président, vous en aviez oublié un.

M. PAUL: Ne le laissez pas faire, M. Tremblay. Ne le laissez pas faire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. GARNEAU: M. le Président, je dois profiter de l'occasion pour dire au député de Lévis que, très prochainement, une déclaration sera faite indiquant la politique que le gouvernement entend suivre concernant la traverse de Lévis. En raison des discusssions en cours, j'aimerais, si le député me le permet, attendre encore quelques jours avant de faire cette déclaration pour ne pas nuire aux négociations. Pour ce qui est de la traverse de Lévis et sa gratuité ou sa non-gratuité, on profitera de la même circonstance pour dire quelle sera la politique du gouvernement à ce sujet.

M. BERTRAND: Pour l'abolir?

M. GARNEAU: Est-ce que le chef de l'Opposition serait d'accord?

M. BERTRAND: Non, M. le Président. Je pense que le député de Lévis a parfaitement raison. Je viens de poser la question au ministre des Finances, à savoir si la décision qu'il annoncera sera pour abolir la gratuité à la traverse de Lévis.

M. GARNEAU: M. le Président, si je pouvais le dire aujourd'hui, je le dirais maintenant.

M. BERTRAND: Cela veut dire que le problème...

M. DEMERS: On serait mieux avec le ministre des Transports. On aurait une meilleure réponse.

M. ROY (Lévis): Question supplémentaire. Si ça prend autant de temps au Parti libéral pour abolir la traverse que ç'a pris de temps à l'Union Nationale pour la donner, on va avoir quatre ans à notre disposition.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.

Route transcanadienne

M. LESSARD: M. le Président, ma question s'adresse au ministre de la Voirie. Le 15 juillet dernier, mon collègue, le député de Lafontaine, posait une question concernant la renégociation de l'entente sur la route transcanadienne. Le ministre a déclaré alors qu'il s'était rendu à Ottawa et que les négociations étaient en bonne voie. Le ministre ajoutait qu'il espérait pouvoir obtenir la reconduction de l'entente de la route transcanadienne et même le déplafonnement des crédits concernant le reste de la construction de cette route jusqu'aux frontières du Nouveau-Brunswick. Le ministre pourrait-il nous dire si, dans les trois mois qui se sont écoulés depuis cette date, des progrès substantiels ont été accomplis dans les négociations, étant donné qu'il s'agit d'une question extrêmement importante pour combattre le chômage cet hiver?

M. PINARD: M. le Président, je n'ai rien à retirer des informations que j'avais formulées à l'époque en réponse à la question du député. Les négociations sont en cours; je peux dire aujourd'hui que nous avons raison d'espérer obtenir de bons résultats de ces négociations avec les autorités fédérales.

M. LESSARD: M. le Président, est-ce qu'on peut s'attendre que ceci sera fait prochainement?

M. PINARD: II y aura certainement une décision qui sera annoncée à brève échéance à ce sujet.

M. LESSARD: Les négociations sont dures.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, je demanderais votre collaboration. Je vais permettre deux dernières questions, de manière assez courte, avec des réponses également assez précises et courtes, parce que nous avons déjà épuisé le temps des questions.

Les honorables députés de Sainte-Marie et de Gaspé-Nord.

L'étiquetage bilingue

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): M. le Président, ma question s'adresse au ministre de l'Agriculture et de la Colonisation. Le gouvernement fédéral vient de déposer plusieurs lois concernant l'étiquetage et le mesurage des produits alimentaires. Le ministre pourrait-il nous dire où en sont rendues les discussions entre les fonctionnaires de son ministère et les fonctionnaires fédéraux concernant l'étiquetage bilingue sur les aliments vendus au Québec?

M. TOUPIN: Je prends avis de la question, si vous permettez, et j'y répondrai demain, parce que ça demande, je pense, assez d'éclaircissements.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Gaspé-Nord.

Carte d'identité

M. GAGNON: A la suite de la déclaration que le ministre de la Justice faisait et qui représente, j'en suis sûr, l'opinion du conseil des ministres concernant l'établissement de la carte d'identité pour tous les Québécois, est-ce qu'il partage l'opinion du ministre de la Justice d'Ottawa, qui est contraire à la sienne, ou s'il y aura effectivement établissement de la carte d'identité au Québec?

M. CHOQUETTE: Si le député avait lu correctement ma déclaration, il aurait noté que j'ai dit que cette question faisait l'objet d'une étude à mon ministère et que le principe n'en avait pas encore été adopté par le conseil des ministres. Par conséquent, actuellement, il est prématuré d'exprimer une opinion définitive sur le sujet. Je ne cache pas que je m'intéresse à la question. Dans certains milieux, en particulier au niveau du gouvernement fédéral, on a soulevé certaines réserves préliminaires sur le plan constitutionnel. Je dois dire que ces réserves, telles qu'elles ont été exprimées à l'heure actuelle, ne m'impressionnent nullement.

M. GAGNON: M. le Président, question sup- plémentaire. Relativement à l'établissement de cette carte d'identité, est-ce que le ministre de la Justice prévoit consulter le gouvernement d'Ottawa, parce qu'on dit que ce serait peut-être anticonstitutionnel?

M. CHOQUETTE: Nous agirons suivant les intérêts du Québec.

Travaux de la Chambre

M. PAUL: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: On va passer aux affaires du jour.

M. PAUL: ... avant de passer aux affaires du jour et après les affaires courantes, j'aurais une question à poser conformément à l'article 114 deuxièmement de notre règlement: "Immédiatement après l'expédition des affaires courantes et avant que la Chambre entame les affaires du jour, un député peut..." Je voudrais poser une question au leader parlementaire quant aux travaux parlementaires.

M. LEVESQUE: Cela dépend du sujet.

M. PAUL: Je suis soucieux de l'autorité et j'attends la réponse.

M. LE PRESIDENT: J'ai déjà averti la Chambre que la période des affaires courantes était expirée. Mais, dans les circonstances, étant donné qu'il s'agit des travaux de la Chambre, je permettrai à l'honorable député de Maskinongé de poser sa question.

M. PAUL: Alors, puis-je demander au leader du gouvernement si, à la suite de la déclaration faite par son collègue, le ministre des Affaires municipales, quant à son désir, à sa disposition de convoquer la commission des Affaires municipales pour discuter des difficultés d'application de l'ODEQ, il a l'intention de se rendre à la motion qui figure à l'article 42 du feuilleton d'hier et qui est inscrite au nom du député de Montcalm?

M. LEVESQUE: M. le Président, cette motion sera appelée par le leader du gouvernement en temps opportun.

M. PAUL: Or, je dis, M. le Président, que, dès que le leader du gouvernement voudra l'appeler, je lui rappellerai qu'il y a des dispositions dans notre règlement qui ne lui donnent pas cette liberté-là.

M. LEVESQUE: M. le Président, la liberté qui m'est donnée, c'est de suivre l'ordre dans lequel ces motions apparaissent et je ne crois pas qu'elle ait priorité.

M. PAUL: Non. Je n'ai pas demandé qu'elle

soit débattue. J'ai demandé si elle pourrait être reçue à la suite de la déclaration faite...

M. BOURASSA: On verra.

M. PAUL: ... par le ministre des Affaires municipales.

M. LEVESQUE: Nous verrons en temps et lieu.

M. PAUL: Très bien, nous allons attendre.

Questions de privilège

M. L.-P. Lacroix

M. LE PRESIDENT: Les affaires courantes étant terminées, je donnerai la parole à l'honorable député des Iles-de-la-Madeleine qui m'a prévenu d'une question de privilège et, par la suite, il y aura un deuxième député, le député de Lafontaine, qui m'a également prévenu d'une question de privilège.

M. LACROIX: M. le Président, avec votre permission et la permission de la Chambre, je voudrais, avant que vous rendiez votre décision relativement à la question de privilège posée hier par l'honorable député de Bourget, rectifier ce qui a été commenté largement dans les journaux, la radio et la télévision au sujet de propos que j'ai tenus.

J'ai lu et relu attentivement la déclaration qu'a faite hier l'honorable député de Bourget sur une question de privilège qu'il a soulevée où il rapporte des propos que j'aurais tenus le ou vers le 27 octobre dernier et qui ont été rapportés dans le Journal de Québec.

Je comprends le député de Bourget d'avoir soulevé cette question de privilège. J'aurais agi de la même façon si j'avais lu un tel article me concernant.

Je voudrais rectifier les propos rapportés par le Journal de Québec parce qu'ils sont inexacts. Ils ne sont pas ceux que j'ai réellement tenus.

Lorsque j'ai fait cette déclaration, vous comprendrez facilement dans quel état d'esprit je me trouvais à la suite de l'enlèvement récent de celui que je considérais comme un frère, Pierre Laporte. Je me remémore fort bien les propos que j'ai tenus et je ne crois réellement pas qu'il y ait matière à retirer toutes les paroles que j'ai alors prononcées, même si je reconnais que certaines de celles-ci sont sévères à l'endroit de certaines personnes, mais celles-là devraient se rappeler que, lorsque l'on sème le vent, on récolte la tempête.

Quant aux membres de la tribune de la presse, ceux qui font leur boulot avec compétence, honnêteté et objectivité savent que j'ai pour eux beaucoup d'amitié et d'admiration. Malheureusement, les journalistes de cette catégorie devraient être plus nombreux. Certains journalistes exigent — et j'insiste sur les mots "certains journalistes" — de tous les hommes publics une éthique qu'ils se refusent à eux-mêmes. Ceux-là s'attaquent à tous et à chacun sans vérifier les faits comme il conviendrait de le faire. Ils ruinent ou tentent de ruiner des réputations, gonflent et dégonflent des mythes selon leur bon plaisir et on ne peut rien pour les amener à traiter les autres comme ils veulent l'être. Pourtant, ils devraient savoir que plus une calomnie est difficile à croire, plus, pour la retenir, les sots ont de mémoire.

J'espère et je souhaite que les journalistes s'imposeront un code d'éthique professionnelle. Je pense, en celà, me faire l'écho de la population.

M. LAURIN: J'aimerais demander au député des Iles-de-la-Madeleine s'il a une preuve, s'il peut apporter des déclarations dans lesquelles j'aurais semé le vent et qui auraient justifié l'affirmation qu'il a faite d'hypocrite visqueux, car...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, à l'ordre!

M. LAURIN: ... je n'ai pas compris, dans sa déclaration, qu'il retirait cette déclaration.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Nous allons procéder, pour le moment, à la question de privilège du député de Lafontaine et, après, je rendrai la décision que je m'étais réservée hier.

M. Marcel Léger

M. LEGER: M. le Président, je vous ai donné avis que je voulais soulever une question de privilège qui touche la dignité des délibérations de la Chambre. Au sujet de nos débats d'hier, la Presse a rapporté que l'Assemblée nationale tournait au burlesque. Les 108 députés de l'Assemblée nationale sont tous d'accord pour condamner la violence physique comme solution à nos problèmes québécois. Cependant, on semble, de part et d'autre, dans cette Chambre — et je dis cela sans partisanerie politique — ne pas réaliser que nous sommes tous un peu ici, en cette Chambre, responsables de cet état de choses par notre attitude personnelle et individuelle dans nos interventions à l'Assemblée nationale.

Quand, dans la rue, dans un bar ou dans une soirée, une discussion s'engage...

M. LEVESQUE: M. le Président, est-ce qu'il s'agit d'une question de privilège? S'il s'agit d'une question de privilège — je le soumets bien respectueusement — relativement à un incident qui s'est passé hier, en cette Chambre, c'est à ce moment-là — et seulement à ce moment-là — que l'opinant pouvait la soulever.

M. LEGER: M. le Président, je me réfère à

des articles qui ont paru dans le journal Le Soleil de ce matin, dans lequel on écrit: "II fait partie du FLQ, a pour sa part remarqué le député libéral de Laurier, M. André Marchand, en désignant le député péquiste..."

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEGER: "... Marcel Léger qui avait la parole."

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, à l'ordre! Au début de l'exposé du député de Lafontaine, j'étais d'avis qu'il se levait pour invoquer les privilèges de la Chambre en tant que Chambre...

M. LEGER: D'accord.

M. LE PRESIDENT: ... du fait que les journaux ont peut-être rapporté à tort, je l'espère, qu'hier —j'ai lu les mêmes articles— l'Assemblée nationale tournait au burlesque ou quoi que ce soit. Celui qui vous parle a quand même certaines responsabilités. Vous réalisez sans doute que ma tàche n'est pas toujours la plus facile. Je regrette moi-même ce qui s'est dit dans certains journaux à cet effet. J'ai visité des Parlements étrangers.

Je suis prêt à dire et à avancer que, sur cette question de privilège de l'Assemblée nationale du Québec, je pense bien que cela peut se passer de la même façon un peu partout dans tous les parlements du monde et même aux Nations Unies, alors qu'à certains moments les godasses ont été sur les bureaux ou un peu partout.

Revenant à l'intervention du député de Lafontaine, je vois, à la suite, qu'il veut intervenir à d'autres moments, mais est-ce que sa question de privilège est là pour invoquer la tenue ou la tournure des débats dans la journée d'hier? J'aimerais que, sans que cela entraîne de débat, le député de Lafontaine s'en tienne à ramener la vérité sur les débats.

M. LEGER: M. le Président, je ne serai pas long. Les prochains mots que je vais dire vont éclaircir l'idée que je voulais avancer. Ce que je voulais dire, c'est qu'au niveau d'une discussion, que ce soit en Chambre ou ailleurs, quand on demeure dans le domaine des idées, il est possible d'avancer, mais quand on s'en prend aux personnes par des quolibets, par des attaques ou des invectives qui sortent de l'ordinaire, on arrive à créer dans cette Chambre une escalade ..

M. LEVESQUE: M. le Président, j'interviens de nouveau.

M. LEGER: M. le Président, j'en ai pour juste une minute.

M. LEVESQUE: Je soulève un point d'ordre, M. le Président. S'il s'agissait de rétablir les faits à la suite d'un article de journal contre lequel s'élèverait le député, parce que la dignité de la Chambre aurait été attaquée, à ce moment-là, je n'interviendrais pas. Mais ce que le député semble vouloir faire, c'est soulever une question de privilège sur des mots qui auraient été prononcés dans cette Chambre, hier. Si le député avait à s'élever contre ces mots-là et à soulever une question de privilège, il devait le faire au moment où cette infraction était commise et non pas vingt-quatre heures après, et donner une leçon de morale à ses collègues.

M. LEGER: M. le Président, je veux simplement dire que c'est une attitude qui existe depuis le 10 juin. Moi, en tant que whip du parti, je veux, au nom de mes collègues...

DES VOIX: Oh! Oh!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. LEGER: ... si c'est possible, en tant que membre de cette Chambre et parlant au nom de mes collègues, dont plusieurs ont été injustement attaqués, exprimer l'espoir que de telles atteintes à la dignité de nos délibérations ne se reproduisent plus.

M. CHOQUETTE: M. le Président, est-ce que je pourrais prendre la parole sur la question soulevée par l'honorable député?

M. LEGER: Ce n'est pas un débat que je fais là.

M. CHOQUETTE: C'est au sujet d'une déclaration du député de Bourget que j'ai lue dans le Quartier latin et qui concorde tout à fait avec l'intervention du député de Lafontaine. Je veux lui signaler que je suis entièrement d'accord avec lui.

M. BURNS: M. le Président... M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BURNS: Je soulève un point d'ordre, M. le Président. D'abord, ce n'est sûrement pas une déclaration du député de Bourget. Je ne veux pas que mon collègue soit inutilement accusé, c'est probablement une déclaration de ma part.

M. CHOQUETTE: Oui, est-ce que c'est vous qui avez dit que c'était pas mal écoeurant?

M. BURNS: M. le Président, j'invoque le règlement. Mon collègue de Lafontaine était en train d'expliquer pourquoi il avait soulevé une question de privilège. Le ministre de la Justice essaie de changer complètement la tournure du débat. D'ailleurs, les déclarations auxquelles semble se référer le ministre de la Justice n'ont pas été faites dans cette Chambre... si elles ont été faites.

M. MARCHAND: M. le Président, j'aimerais faire remarquer aux députés que j'ai dit hier au député de Maisonneuve qu'il était l'avocat du FLQ, au cas où quelqu'un ne s'en serait pas souvenu.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! M. BURNS: M. le Président...

M. LE PRESIDNET: A l'ordre! A l'ordre! En ce qui me concerne, je considère l'incident clos.

M. BURNS: On nous nourrit constamment de sujets à des questions de privilège. On vient de m'en donner un autre. Il est absolument inexact que je sois l'avocat du FLQ. Qu'est-ce que vous voulez?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Je crois que tout le monde doit prendre la parole du député de Maisonneuve, quand il rétablit les faits, quant à l'allégation qu'il soit l'avocat du FLQ.

M. CHOQUETTE: Mais, M. le Président, est-ce que je peux vous donner un avis à l'effet que je soulèverai demain une question de privilège?

M. LE PRESIDENT: D'accord.

M. SAMSON: Pourrais-je soulever une question de privilège, s'il vous plaît?

M. LE PRESIDENT: Vous ne m'avez pas prévenu. Est-ce que cela s'est produit à l'instant même?

M. SAMSON: Cela vient de se produire. M. le Président, si j'ai bien compris, suivant la déclaration du député de Maisonneuve, il nous tient tous responsables d'un soi-disant burlesque. Ce que je voudrais rétablir ici, c'est que nous nous dissocions de cette déclaration. S'il se sent responsable, lui, c'est son affaire, qu'il le soit seul et nous le comprendrons.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, avant de passer aux affaires du jour je voudrais rapidement donner...

M. BURNS: En vertu de l'article 114, également, je voudrais demander au leader du gouvernement, étant donné que le bill 48 concernant les enfants naturels se réfère à un rapport de la commission de révision du code civil, s'il a l'intention de remettre aux députés une copie de ce rapport avant que le bill 48 ne soit discuté.

Voici pourquoi je pose la question, M. le Président. Nous nous sommes informés et il semble qu'il soit difficile d'obtenir une copie de ce rapport avant qu'il n'ait été déposé en cette Chambre. Je pense qu'il serait utile pour la bonne marche des travaux d'avoir une copie du rapport de la commission sur ce point. Est-ce l'intention du gouvernement...

M. BOURASSA: D'accord.

M. BURNS: ... de nous faire parvenir des copies?

M. BOURASSA: Dans les prochains jours.

Décision de M. le Président

M. LE PRESIDENT: Hier, à la suite d'une question de privilège soulevée par le député de Bourget, j'avais demandé l'indulgence de la Chambre pour remettre ma décision à aujourd'hui. D'ailleurs, tout le monde reconnaît que la question n'est pas facile, comme je le mentionnais, du fait qu'il s'agit du privilège de l'Assemblée nationale ou de ses membres.

J'ai lu et relu avec beaucoup d'attention une copie de l'intervention du député de Bourget, qu'il a eu l'amabilité de me remettre. Tout d'abord, il s'agit, en l'occurrence, d'une double question de privilège découlant d'écrits où on rapporte des paroles qu'auraient prononcées le député des Iles-de-la-Madeleine et le député de Portneuf, écrits dont le premier est rapporté dans le Journal de Québec du 28 octobre 1970.

Je cite la fin seulement, qui concerne non seulement le député de Bourget, mais également le député de Saint-Jacques. J'insiste surtout sur cette dernière phrase qui, à mon point de vue, ne soulève aucune difficulté pour donner raison au député de Bourget d'invoquer la violation de privilège en ce qui le concerne et en ce qui concerne la personne du député de Saint-Jacques: "Que les ravisseurs de Pierre Laporte touchent à un poil de celui-ci et la peau de René Levesque, Camille Laurin, Charron, Bourgault, Michel Chartrand et tous les autres hypocrites... ne vaudra pas cher."

Le député de Bourget a consulté certains auteurs, entre autres May et Beauchesne, et à la lumière de l'article 193, je pense bien qu'il avait tout à fait raison de soulever cette violation de privilège puisqu'on y dit: "Est réputée question de privilège toute question qui concerne les droits de la Chambre prise comme corps, sa sécurité, sa dignité ou la liberté de ses délibérations, ou qui concerne les droits, la sécurité, la conduite ou l'honneur des députés considérés individuellement..." Je ne voudrais souligner que les deux premières notes qu'il y a au-dessous de l'article 193: "II y a lieu de soulever une question de privilège quand on a commis des voies de fait sur la personne d'un député, proféré des injures ou publié des écrits diffamatoires à son adresse... quand on a molesté, menacé ou tenté de violenter ou d'intimider un député..."

Je voudrais m'en tenir, par contre, aux écrits mêmes dans les deux cas, soit aux paroles qu'on prête au député des Iles-de-la-Madeleine et aux paroles qu'on prête au député de Portneuf. J'en conclus qu'en ce qui concerne ce qui a été écrit dans ces deux journaux il y a et il y avait matière à violation des privilèges de la Chambre et des députés.

Le député de Bourget conclut son intervention — et c'est là que ça devient plus délicat et plus difficile — en réclamant que ces deux collègues retirent leurs paroles.

Ici, je dois me référer à l'article 285 au sujet des paroles antiparlementaires. Je dois me refuser toute juridiction et je crois que c'est l'économie totale du règlement, de la jurisprudence, l'économie complète du droit parlementaire; les prérogatives du président se limitent, d'une manière tout à fait restrictive, à ce qui se dit, à ce qui se prononce pendant les travaux ou procédures en cette enceinte. Autrement, comment pouvez-vous demander au président d'avoir le contrôle de tout ce qui se dit en fin de semaine, par exemple, dans les 108 comtés de la province? Heureusement, la Chambre ne siège pas en temps de campagne électorale, parce qu'on aurait un orage de questions de privilège.

Je crois que le règlement de la Chambre est très sage à ce sujet en restreignant cette juridiction du président à l'enceinte. Je pense bien que c'est assez précis, mais je vais citer, par analogie, l'article 285, au tout début: "II est interdit à tout député qui a la parole...". On déduit que "qui a la parole" veut dire que c'est certainement en Chambre. Article 285, vingtièmement, note 3: "Un député peut se plaindre des injures qu'un autre député a proférées à son adresse dans les couloirs de la Chambre — c 'est un cas — mais — on voit immédiatement que le président n'a aucune juridiction — c'est à la Chambre, non pas à l'Orateur, de se prononcer en ce cas". J'arriverai à cela tout à l'heure, je pense que l'article 196 le couvre très bien.

Le député de Bourget cite, à bon droit, Erskine May. Lui aussi, je crois, me donne totalement raison lorsqu'il dit — il n'y a rien de contradictoire dans cela— que: "The penal jurisdiction of the Houses is not confined to their own Members nor to offences committed in their immediate presence, but extends to all contempts of the Houses whether committed by a Member or by a person who are not Members, irrespective or whether the offence is committed within the House or beyond its walls". Justement, la juridiction, on la donne à qui? Pas au président, car on dit bien "the penal jurisdiction of the Houses". La juridiction de la Chambre en son ensemble.

Egalement, lorsque le député de Bourget cite Beauchesne, à la page 104, encore là il a tout à fait raison. Les deux Chambres — en l'occuren-ce lorsque le Conseil législatif existait — puniront non seulement les outrages découlant de faits, mais le droit de punition ou de réprimande appartient en l'occurence uniquement à la Chambre et non pas au président. Je voudrais, également, par analogie, si vous voulez, vous référer à l'article 669, aux notes 1 et 2. Ce n'est pas le cas précis, mais c'est une analogie. Il est dit, dans cette note: "II est irrégulier de poser des questions au sujet de discours prononcés hors de la Chambre par de simples députés". Il est même irrégulier de poser, à un député, une question sur des discours qu'il a prononcés en dehors de la Chambre.

Deuxième note: "II est irrégulier de demander à un député s'il a prononcé hors de la Chambre les paroles qu'on lui attribue". Il y en a une autre également. Il semble y avoir une exception, mais, encore à la fin, on confirme, je l'espère, la décision que je dois rendre. Note de l'article 72: "La juridiction de l'Orateur s'étend — ce semble être une exception — en matière de désordre, jusque dans les couloirs de la Chambre — je retiens surtout les derniers mots — mais non sur les paroles qui y sont prononcées". Encore là, c'est uniquement la Chambre qui a juridiction.

Je conclus donc, à la lecture et à la lumière du règlement, des notes des auteurs de l'économie générale, que je me refuse à toute juridiction. Et même, j'ai vu dans les notes — dans Erskine May je crois — qu'un orateur, un président, en Angleterre, à la Chambre des communes, a même refusé de considérer et même d'étudier la question sur des paroles qui avaient été prononcées en dehors de la Chambre.

Je me refuse donc toute juridiction, parce que je n'ai aucun contrôle sur ce qui peut se dire à travers le Québec. Je me limite, et soyez assurés que j'en ai amplement de ce qui peut se dire dans cette Chambre.

Et, en ce qui concerne la mise au point du député de Bourget, il m'exemptera de me prononcer, ou de prendre la défense des journalistes. Je crois qu'ils le font très bien eux-mêmes et qu'ils ont toutes les armes voulues pour voir à leur propre protection. En somme, ma conclusion est la suivante: Le député de Bourget avait certainement raison d'invoquer cette violation des privilèges, mais en ce qui concerne uniquement les écrits qui ont parus dans le Journal de Québec et dans l'Action, je me refuse toute juridiction en ce qui concerne des paroles qu'on prétend, qu'on attribue à deux membres de cette Chambre. Je ne peux certainement pas demander... Je n'ai aucune autorité pour demander une rétractation de ces paroles pour lesquelles je n'ai aucune preuve qu'elles ont été prononcées. Et je dis au député de Bourget qu'il aurait dû, s'il avait voulu, s'il croit que la question n'est pas vidée, il avait à sa disposition l'article 196, ou s'il prétend, ou s'il est prêt à affirmer qu'il a à se plaindre d'autres collègues, il y a une procédure qui a déjà été employée, il y a quelques années, en Chambre, mais heu-

reusement que, à ce moment-là, c'est la Chambre qui a juridiction et celui qui vous parle en sera très heureux.

Pour terminer, une dernière remarque, peut-être, à l'égard des membres de la galerie de la presse. Ce n'est pas une question de privilège que je voulais soulever, mais un simple commentaire. Je ne voudrais pas que les membres de la galerie de la presse m'attribuent des pouvoirs que je n'ai pas. Entre autres, dans un article d'un quotidien de Québec de ce matin, lorsqu'il est dit, en parlant du ministre de la Justice: "II a ensuite admis qu'il avait été un peu loin. S'il ne l'avait pas fait, le président aurait été obligé de le faire sortir de la Chambre." Je dis que c'est totalement faux. Je n'avais pas l'intention et je n'ai pas le pouvoir de faire sortir qui que ce soit de cette Chambre.

On pourra lire les articles 75 et 76, où, dans des cas d'extrême limite, le président appelle, ou nomme, ou ramène à l'ordre nominativement un membre, la seule punition que le président peut lui donner, c'est déjà assez important, est de lui enlever le droit de parole pour la journée. Et c'est à ce moment-là, s'il y a une motion d'un député et encore là que la Chambre, et non pas le président, se prononce, il peut y avoir exclusion. Je demanderais aux membres de la galerie de la presse, de ne pas m'octroyer plus de pouvoirs que j'en ai. J'en ai déjà suffisamment. Merci.

M. LAURIN: J'accepte, M. le Président, votre décision, avec tout le respect qui convient, malgré que je déplore que vos pouvoirs ne s'étendent pas suffisamment pour que vous puissiez faire davantage pour maintenir le décorum et la dignité de cette Assemblée nationale.

Bien sûr, j'aurais souhaité — je l'ai demandé — mais je le souhaiterais aujourd'hui que les deux députés concernés puissent retirer leurs paroles pour au moins ne pas ajouter... Mais étant donné que cela semble impossible, je tiens pour acquis... Etant donné que ceci...

M. DUMONT: Un rappel du règlement. Votre décision, M. le Président, sur un rappel au règlement, est irrévocable et sans commentaire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Il y aura lieu de passer — je m'excuse auprès du député — je ne peux lui donner un droit de parole.

M. CHARRON: M. le Président, puisque je suis aussi concerné par le même propos, je n'ai aucunement l'intention...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Est-ce que le député de Saint-Jacques voudrait rétablir très rapidement...

M. CHARRON: Je veux simplement glisser une phrase à votre intention, M. le Président. Je n'ai pas l'intention de contester votre décision.

Je l'accepte comme tous les membres de cette Chambre.

Je veux simplement vous dire que, lorsque vous aurez à interpréter de nouveaux événements — parce que vous savez déjà qu'il va s'en produire — vous glissiez dans votre interprétation le fait qu'un député peut reprendre à l'intérieur de la Chambre des paroles qu'il a prononcées à l'extérieur. Lorsqu'il refuse de rétracter ce qu'il a dit à l'extérieur, ça peut équivaloir à une reprise de ces paroles en Chambre.

M. LE PRESIDENT: Je n'ai pas de commentaire.

Affaires du jour.

L'honorable chef de l'Opposition.

Débat d'urgence M. Jean-Jacques Bertrand

M.BERTRAND: M. le Président, au moment de l'ajournement hier, j'allais terminer les propos que j'ai tenus sur la crise qui sévit au Québec depuis le début d'octobre, sur les positions prises par le gouvernement et sur les gestes qu'il a posés. J'ai également énoncé l'attitude de l'Opposition officielle. Je n'ai pas l'intention, bien entendu, M. le Président, de poursuivre. Certains de mes collègues ajouteront aux propos que j'ai tenus et traiteront de certains problèmes qui ont été soulevés à l'occasion de cette crise, en particulier du problème social et du problème économique.

J'ai dit que nous avions choisi la voie de la solidarité et que nous avions cru que le plus impérieux de nos devoirs était d'appuyer, mais non d'une manière inconditionnelle, le gouvernement dans les heures troublées que nous avons traversées.

M. le Président, en conclusion, je déclare qu'il y a quatre partis en cette Chambre qui ont des suggestions a faire pour le bon gouvernement de cette province et pour que nous adoptions sans trop de délai les mesures qui s'imposent. Il y en a qui, en dehors de la Chambre, ont proposé au gouvernement des projets d'urgence. Un de mes collègues, sans aucun doute, traitera de ce problème. Quant à moi, j'ai voulu m'en tenir au problème de la sécurité publique, car cela est excessivement important pour préserver les fondements d'un Etat et, en particulier, pour préserver et pour développer les fondements de l'Etat du Québec.

Nous devons unir nos efforts et nos talents pour vaincre le terrorisme non seulement par des moyens policiers, mais aussi par des méthodes plus modernes de lutte contre le crime quel qu'il soit. A l'occasion des mesures qui sont prises pour tàcher de démolir un groupe clandestin, on a fait allusion à la lutte qui doit se poursuivre contre la pègre qui constitue égale-

ment dans notre société une pieuvre. Je sais que le ministre de la Justice s'y intéresse.

Dans le domaine de la sécurité publique, je suggère que nous utilisions un outil que nous possédons dans le Parlement, un outil démocratique et parlementaire qui s'est révélé le meilleur pour un dialogue sain et une discussion en profondeur de plusieurs problèmes qui ont pu être soumis à nos commissions parlementaires. Je suggère et je recommande au ministre de la Justice la convocation de la commission de la Justice pour examiner d'une manière approfondie tous les problèmes qui touchent à la sécurité publique de l'Etat du Québec. Je lui suggère de convoquer cette commission et, en tenant compte de la juridiction actuelle du Québec en matière constitutionnelle dans tout le domaine de la sécurité publique, d'envisager quels sont les pouvoirs dont nous aurions besoin pour être plus en mesure de parer à des situations d'urgence.

L'expérience que nous avons vécue démontre que nous devons davantage mettre en pratique le vieil adage que gouverner, c'est prévoir.

A cette commission, sans entrer dans tous les détails, il y aurait moyen d'examiner d'abord l'action de l'Etat, ce que cette action doit être. J'ai parlé dans mon propos de la formation et du rôle des policiers. Nous pourrions examiner cela autour d'une table et avoir, comme je l'ai dit tantôt, un dialogue sain, dans une atmosphère qui se prête beaucoup mieux à la commission qu'à la Chambre. Nous pourrions également examiner les moyens, tout en dotant l'Etat de mécanismes et en lui accordant des pouvoirs parfois exorbitants, de voir comment nous pouvons concilier l'exercice de ces pouvoirs avec la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne humaine, de toutes ces libertés dont on parle et dont parfois on se gargarise trop.

M. le Président, il y a également le problème de la carte d'identité obligatoire. Je suis personnellement — et la plupart de mes collègues le sont, en principe — favorable à l'établissement d'une carte d'identité obligatoire. Pendant que le ministère poursuit son étude, les députés pourraient examiner également ce problème.

Voilà un moyen qui relève et qui dépend de nous. Je n'ai aucun doute, j'ai confiance dans le sens de responsabilité de mes collègues, membres de cette commission de la Justice, pour travailler dans un climat d'harmonie à l'élaboration, avec le ministre de la Justice et avec les conseillers du ministre de la Justice, des législations, de la réglementation nécessaire pour assurer davantage à l'Etat la sécurité publique.

Le ministre a dit qu'il donnerait des conférences de presse chaque jour. Nous n'y avons pas d'objection. Mais est-ce qu'il n'est pas préférable qu'il groupe, s'il le faut, chaque jour, pendant une certaine période, les députés à cette commission de l'administration de la Justice? Un autre parti a suggéré — c'est le

Parti québécois, je crois, par la voix de son leader parlementaire — la formation d'une commission d'enquête à l'instar de la commission d'enquête Warren, aux Etats-Unis. Je dois dire que l'expérience de l'enquête Warren est loin d'être concluante. J'ai lu beaucoup de bouquins sur l'enquête Warren et d'abord sur les faits de l'attentat contre M. Kennedy. Quand on lit tout ça, on en vient à la conclusion qu'au lieu de débrouiller les faits, au lieu d'établir les causes de cet attentat, du meurtre de M. Kennedy, on a tellement embrouillé la situation qu'aujourd'hui tout le monde doute et recherche les motifs véritables qui ont provoqué le meurtre de John F. Kennedy.

C'est un exemple que je ne suis pas personnellement prêt, pour le moment, à suivre. Je préfère cette institution parlementaire qui nous appartient à nous, les députés, qui nous permet d'interroger et le ministre et ses officiers, de travailler ensemble, et de procéder comme on le fait dans d'autres commissions à des enquêtes approfondies.

M. le Président, le Parlement peut et doit exercer son initiative. Ceux qui y participeront exécuteront leur travail avec compréhension et intelligence.

En conclusion, tout retard, toute négligence dans la mobilisation générale de Québécois, des artisans de l'économie québécoise, de ceux qui recherchent la paix et le bon ordre au Québec, de tous les partis dans cette période troublée que nous traversons, tout retard, toute négligence dans cette mobilisation générale en vue d'une action positive et méthodique entrafnera immanquablement l'insatisfaction populaire et l'humiliation des Québécois. Ce sont là des ferments de révolte et de troubles qui ne pourraient que provoquer l'anarchie et le chaos. Au chaos, M. le Président, opposons l'ordre, la paix et la sécurité publique dans le respect des libertés individuelles et collectives. Aux malaises sociaux et économiques, assurons par nos lois une plus juste répartition des richesses et des lois génératrices de fierté pour l'individu et pour la famille, ce qui provoquera une foi meilleure dans nos institutions démocratiques et dans notre système économique.

C'est là, M. le Président, qu'est la vraie révolution, celle qui édifie et qui bàtit, non pas celle qui détruit et provoque la ruine. La résignation mène parfois à l'humiliation. Une action dynamique s'impose pour redonner à notre peuple sa fierté et sa foi.

M. LE PRESIDENT (Hardy): L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. Camil Samson

M. SAMSON: M. le Président, nous participons aujourd'hui à un débat sur une question dite d'urgence qui suit les circonstances et les événements que nous avons vécus ces derniers temps.

A notre avis, le Québec connaît présentement les heures les plus sombres de son histoire. Quand on en est rendu à connaître des heures où la démocratie même est mise en cause, où les libertés de la majorité sont mises en cause, où des gens ou des groupes se servent de la violence pour arriver à des fins dites politiques, je crois qu'on est en droit de se demander quelles sont les causes de cela et quels sont les moyens à prendre pour que la situation se rétablisse.

Dès le début de cette crise, pour autant que notre groupe parlementaire est concerné, nous nous sommes abstenus de toute déclaration publique pendant plusieurs jours. Dans les circonstances, devant les événements, nous avons cru que ce n'était vraiment pas le temps de prendre position publiquement. Nous savions que les autorités avaient beaucoup de pain sur la planche, beaucoup de responsabilités et que toute déclaration arrivant à un moment ou à un autre aurait pu mettre en cause et en danger non seulement les libertés, mais la sécurité publique. Pour toutes ces raisons, nous nous sommes abstenus pendant plusieurs jours. Mais à la suite d'études sérieuses du problème, tous les membres de notre parti siégeant en cette Assemblée s'étant réunis après un accord unanime, nous avons fait connaître nos positions. Elles étaient les suivantes, à savoir que nous réclamions les pouvoirs d'urgence pour les autorités dans ces circonstances.

Ce que nous avons réclamé est arrivé à peu près en même temps. Il semble que, du côté ministériel, on étudiait la même chose en même temps. Et, effectivement, ce gouvernement a pris des mesures nécessaires, des mesures d'urgence. En la circonstance, devant le manque de lois qui doivent prévoir ce genre d'événements, nous considérons que les autorités n'avaient pas le choix des moyens. Lorsque la maison brûle, ce n'est pas le temps de faire des réunions pour discuter de la sorte de pompiers qu'on va engager. Nous en étions rendus là. Nous avons compris que les autorités n'avaient d'autre solution que celle de recourir à cette loi des mesures de guerre.

Bien sûr, nous sommes d'accord avec plusieurs que cette loi est peut-être vieille et désuète, mais, faute d'autre chose, nous nous devions de prendre nos responsabilités et, en toute urgence, c'est ce que les autorités ont fait et c'est ce que nous avions demandé. C'est pourquoi nous avons appuyé ces mesures.

M. le Président, c'est bien évident que les autorités ont cherché à présenter une loi différente, nouvelle, adaptée aux circonstances actuelles et c'est en train de se faire. Je pense qu'il est malheureux quand même que, dans une province comme la nôtre, on en soit rendu à être obligé d'imposer des mesures d'urgence comme on l'a fait pour protéger la démocratie, les libertés et la sécurité de la majorité. Je dis bien de la majorité, parce que, ce temps-ci, on entend à gauche et à droite, dans les journaux, certains groupes de pression qui crient pour dénoncer la prétendue atteinte aux libertés de quelques membres de notre population, qui est l'infime minorité. Au nom de cette liberté, on est encore en train de se laisser endormir, de se laisser dépasser et de laisser crier ceux qui réclament la liberté d'une minorité qui, elle, se foute des libertés de la majorité dans notre province de Québec, aujourd'hui.

Cessons de nous laisser endormir et pensons aux droits et aux libertés de cette grande majorité. On s'est servi des mesures de guerre peut-être pour incarcérer quelques centaines de personnes, mais pensons aussi qu'il y en a encore quelque 6 millions qui ne sont pas incarcérées, qui veulent leurs libertés et qui y ont droit. En tant que gouvernement, en tant que législateurs, en tant que députés, en tant que membres de cette Assemblée, nous nous devons de faire notre possible pour protéger les droits et les libertés de ces individus.

M. le Président, à l'heure où l'on vous parle, il est bien clair que, si nous voulons nous boucher les yeux, nous ne verrons pas le danger. Nous ne verrons pas ce qu'il y a devant nous. Par contre, si nous voulons les ouvrir, eh bien, nous verrons qu'aujourd'hui, malheureusement, c'est l'aboutissement de ces infiltrations nous venant de l'extérieur, c'est l'aboutissement du travail de certains semeurs de troubles, de haine, que nous connaissons depuis plusieurs années.

Ils ont commencé lentement mais aujourd'hui, ils prennent la vedette, soit dans nos postes de radio ou de télévision ou dans nos journaux.

En effet, regardons bien ce qui se passe et nous verrons que certains de ces semeurs de troubles ont eu facilement la vedette chez nos média de publicité durant cette crise, ce qui n'a sûrement pas aidé les autorités à régler la situation.

Nous avons eu connaissance dernièrement que quelqu'un ait reproché à des hommes politiques de dire de façon un peu crue ce qu'ils pensent mais, par contre, il y a aussi de ces hommes politiques ne siégeant pas dans cette Chambre qui se laissent facilement aller à certaines éclaboussures. Je veux vous citer certains passages de certaines déclarations de certains hommes politiques ne siégeant pas dans cette Chambre, et je veux parler du chef publicitaire d'un parti politique. Ce chef publicitaire — parce qu'il faut appeler les choses par leur nom, disons qu'il s'appelle René Lévesque — voici certaines de ses expressions extraites de l'Action du 9 novembre 1970; nous en retrouverons des vertes et des pas mûres: "Les gars du fédéral, ces gars-là, la population du Québec a été manipulée comme un troupeau par des gars comme Drapeau, Trudeau et Marchand". Encore dans l'Action: "Une idée de fous, des manipulateurs fascistes". Et on conti-

nue dans le Journal de Québec du 9 novembre 1970; où il qualifie le premier ministre Bourassa de petit comptable". Encore: "Tant de Québécois se sont garrochés comme des caves, que ce soient les primitifs de notre société qui suivent des hommes comme Caouette et Samson ou des gens de bonne société suivant la démagogie bien élevée de Trudeau". Encore de ses expressions: De Jean Drapeau, Lévesque n'a qu'une opinion; il est en train de devenir un obsédé de petits papiers secrets, a-t-il dit. Et on continue dans la Presse de Montréal du 9 novembre; je cite encore, M. le Président, ses expressions: "Le geste de fou posé par M. Trudeau", ne se gênant pas pour qualifier les ministres fédéraux Trudeau, Marchand et le reste de crapules politiques. Il me semble qu'on a fait beaucoup de bruit pour beaucoup moins que ça dernièrement proche de nous. "Le peuple américain, comme des gnochons, a voté la prohibition". "Faire du gouvernement québécois un pantin". "Il s'agit là de manipulations fascistes aussi basses que celles de Caouette, tous les deux se valent comme manipulateurs fascistes"! Choquette devenait un commis-messager, on s'est servi de Bourassa comme d'une façade à manipuler à partir d'Ottawa. "La Chambre des communes a ensuite voté comme troupeau". "A-t-on eu un meilleur résultat avec ces mesures de fous? ". "Des retards dans les procès de Vallières, Gagnon, les dénis de justice, le tripotage écoeurant de la justice par la politique fait que ces jeunes vomissent la justice et risquent de verser dans le crime. Des cochonneries de Trudeau." Une autre de ses expressions: "C'est vrai que ça a été écoeurant cette élection", en parlant du 29 avril. "A 20 ou 25 ans, on avale mal une cochonnerie". "Pendant combien de temps les adultes pas pressés pourront-ils écoeurer les jeunes? ". "Des déracinés comme Trudeau, des hypocrites professionnels ont assimilé FLQ et PQ à l'époque, certaines de ces crapules politiques". ... une autre de ses citations dans le Soleil du 9 novembre dernier: "Les gnochonneries — cela doit être parent avec cochonneries, probablement — de Trudeau." Plus loin: "Animal"! lança-t-il à l'endroit d'un ministre d'Ottawa. "Bande de crapules politiques". Dans le Journal de Québec, signé de sa plume, ses éditoriaux et un titre: "Hypocrite créditiste", ou encore "Gros innocent déchaîné'" genre d'obscénité épaisse .. ce vieil opportuniste fieffé... des sous-produits provinciaux... par le primitivisme savant, par la grosse bêtise calculée, par l'opportunisme répugnant." C'est le genre de gars qui trouve qu'encore au Québec il y a des gens qui parlent jouai.

M. TREMBLAY (Bourassa): Nous ne détruisons pas.

M. SAMSON: Je pense que nous avons la responsabilité et le devoir de voir clair dans ce qui se passe actuellement. Non seulement on entend des choses comme cela, mais on en est rendu à voir — et c'est malheureux — certains chefs de groupes de pression qui, indirectement, ont tenté de soulever la population, de soulever la masse en disant comment le gouvernement agissait mal en ne voulant pas négocier de bonne foi avec le FLQ. Cela, c'est le bout! H y a toujours une limite à tout!

Quand on en est rendu à la petite minorité en place — parce qu'on a parlé souvent des autorités en place, c'est le langage de ces gens, les autorités en place — aux agitateurs en place, c'est le temps de donner une réponse à ces gens. Le FLQ disait dans ses communiqués: "Nous vaincrons". C'est à nous, de la majorité silencieuse, de lui dire: Nous, nous tiendrons. C'est cela que nous avons à dire à la population du Québec. Ces chefs de groupes de pression qui disent représenter des milliers et des milliers de membres ne représentent pas des milliers de membres, mais des milliers et des milliers de cotisations syndicales obligatoires, retenues à la source. Plusieurs de ces membres, s'ils avaient le loisir de ne pas appartenir à certains groupes se retireraient immédiatement devant les gestes qui ont été posés dernièrement.

C'est d'ailleurs probablement pour ces raisons que nous avons vu plusieurs syndicats se dissocier des déclarations qui ont été faites par certains chefs de groupes de pression. Nous avons le devoir, dans les circonstances, devant les événements, devant le climat actuel, d'appeler au moins les choses par leur nom. Nous avons le devoir de dénoncer les activités subversives pouvant porter atteinte à la sécurité de l'Etat, à la sécurité des citoyens de notre province de Québec.

En plus de ces groupes de pression, on a distribué aux étudiants dernièrement à Montréal, plus exactement le 2 novembre dernier à la sortie de l'Université de Montréal, un tract qui s'appelle L'Ouvrier et qui est le journal communiste révolutionnaire. Ce que l'on dit en gros titre: "Brisons les mesures de guerre, faisons la guerre aux patrons." C'est le genre de climat qu'on favorise présentement et depuis longtemps. J'ai déjà eu l'occasion d'ailleurs, au mois de juillet dernier, d'en dire un mot à cette Chambre alors que j'avais en ma possession un journal qui s'appelait La Masse et qui avait été distribué à Montréal, dans la rue, à des personnes, le jour du 24 juin dernier.

Ce journal était aussi un journal révolutionnaire, qui parlait de révolution par les armes, etc.

C'est donc le genre de choses qu'au nom de la liberté de certains individus, on laisse distribuer. On laisse laver les cerveaux de notre population, pour tenter de lui faire accepter justement ce que personne d'entre eux ne voudrait pour eux. Au nom de la liberté, ce groupe d'individus constituant la minorité dans notre province est en train de brimer les droits de la liberté de la grande majorité.

Or, M. le Président, dans ce genre de choses,

ce journal communiste, révolutionnaire, qui est sous l'égide du parti du travail du Canada, termine un paragraphe en disant ceci: "La lutte pour les libertés civiles fait partie de la lutte quotidienne de la classe ouvrière pour le socialisme". C'est ça qu'ils pensent exactement.

Il y a quelques années, on nous servait le socialisme avec une pàte à crêpe par-dessus pour nous empêcher de le voir. Aujourd'hui, on nous le sert au grand jour et il semble que nous attendions encore pour prendre nos responsabilités. Nous l'avons dit depuis longtemps, nous le répétons encore, M. le Président, c'est le temps, plus que jamais, de nous unir, les hommes de bonne volonté, les gens qui sont des démocrates, les gens qui veulent sauver cette démocratie qui est chancelante actuellement, les gens qui veulent sauver ces libertés pour lesquelles nos anciens combattants ont combattu durant les dernières guerres sur les territoires étrangers, pour sauver la liberté, pour sauver la démocratie. Eh bien, aujourd'hui, c'est sur notre territoire qu'elle est en danger, cette démocratie, qu'elle est en danger, cette grande liberté, et qu'est-ce qu'on fait?

Evidemment, dans les circonstances, nous comprenons qu'il n'est pas facile d'agir rapidement. Mais, au moins, si nous nous laissions sensibiliser, si nous étions prêts à ouvrir toutes grandes nos oreilles à ceux qui prêchent ce qui se passe actuellement et qu'ils prêchent déjà depuis longtemps à ceux, qui ont prévu ce qui s'en vient actuellement, si nous étions prêts au moins à écouter ces gens-là, je pense que déjà nous aurions fait quelque chose. Déjà, nous pourrions dire que nous entreprenons une lutte véritable contre ces éléments subversifs, pour qui la violence est le seul moteur.

M. le Président, j'ai dit tantôt qu'il était de mon devoir d'appeler les choses par leur nom et je vais continuer à les appeler par leur nom. Durant cette crise, nous avons vu, de toutes pièces, de quelle façon se sont comportés nos média d'information et surtout Radio-Canada, qui appartient aux Canadiens et pour qui nous devons payer des taxes collectivement, car tous et chacun d'entre nous, nous devons payer notre part du déficit annuel de Radio-Canada. Or, il a été facile pour tous de constater de quelle façon la publicité, cet instrument de diffusion a déséquilibré, de quelle façon on y a donné les premières pages à ceux qui prônaient, sinon la violence, du moins la négociation avec ceux qui veulent la violence.

Cela se rapproche passablement. M. le Président, sans donner de noms, je pense que tous vous savez que nous avons eu quelques vedettes durant cette crise. Alors que les autres partis politiques représentés en cette Chambre n'avaient que quelques rares moments où on leur permettait de donner leur opinion, on permettait à d'autres personnes qui ne siègent pas dans cette Chambre de prendre la majeure partie du temps disponible.

C'est de cette façon que nous sommes traités par notre radio d'Etat, qui doit représenter l'intérêt de la majorité.

Comme d'habitude, à Radio-Canada, on a fait place, dans tous les programmes possibles, à la minorité. Dernièrement, j'ai personnellement eu l'occasion d'apparaître à une émission qui s'appelle Format 60, pendant onze minutes. On m'a demandé de m'y rendre à deux heures de l'après-midi pour enregistrer à deux heures trente. J'étais là à deux heures. A deux heures trente, on n'était pas prêt à enregistrer. Une dizaine de techniciens jouaient avec les "bebelles" qu'il y a en haut. On a joué avec ça jusque vers trois heures, trois heures et quart. Là, d'un coup sec, ils pouvaient nous enregistrer, ça pressait. Cela pressait parce qu'on venait de voir entrer René Lévesque! Cela lui a permis — qu'est-ce que vous voulez, c'est ça la vérité — d'écouter ce qu'on disait et de se faire enregistrer après. On ne peut pas dire que ç'a été fait à dessein, non, sûrement pas, et loin de moi l'idée d'accuser Radio-Canada là-dedans, mais, si mon voisin m'avait dit que cela avait été fait intentionnellement, je l'aurais facilement cru.

Or, c'est ce genre de choses que la majorité de la population, la majorité honnête, la majorité de bonne foi, la majorité de bonne volonté, se laisse imposer. Non seulement on se le laisse imposer, mais encore on paie pour se le laisser imposer. Je pense que c'est notre devoir de le dire et de le dire aussi fort que possible afin que le gouvernement fédéral, qui n'est quand même pas si loin de nous, puisse l'entendre. Il faut qu'on cesse de dire, lorsqu'on fait des revendications à son endroit, que Radio-Canada est exempte de tout péché, de sorte qu'on ne veut pas faire les enquêtes qui s'imposent dans les circonstances.

Le Ralliement créditiste du Québec veut que ce gouvernement fasse le nécessaire pour demander au gouvernement fédéral d'instituer une enquête sur les agissements de Radio-Canada durant la dernière crise. C'est ça qu'on demande, rien de moins.

Evidemment, ce serait facile pour des gens de nous interpréter et de dire qu'on veut la censure, qu'on veut ci et qu'on veut ça. Non, ce n'est pas ça qu'on veut. Mais, actuellement, ne trouvez-vous pas que ceux qui devraient être censurés ne le sont pas et que la grande majorité des gens de bonne volonté, qui elle, pourrait et devrait dire ce qu'elle pense, est par certains effets techniques en quelque sorte censurée, elle? Pour qui gouverne-ton? Qui est-ce qu'on représente? Toute la population, oui, mais nous devons représenter le voeu de la majorité. Là, on est en train de se laisser mener par le bout du nez par une minorité tapageuse qui a des infiltrations dans plusieurs de nos média d'information. Je dis plusieurs; il y en a qui devraient se reconnaître en haut.

Je pense que c'est le temps d'expliquer ce qu'on ressent. C'est le temps qu'on dise exacte-

ment ce que la population pense, parce que la population ne pense pas comme l'information tente de nous le laisser croire. Ce n'est pas vrai, ça. Plusieurs média d'information sont encore très honnêtes, objectifs, et se conforment au code d'éthique en voulant faire de la vraie information. Plusieurs respectent encore le code d'éthique en rapportant la nouvelle telle qu'elle est, mais il y en a quelques-uns qui font la nouvelle et, après, ils la laissent rapporter par d'autres.

Cela nous arrive trop souvent et ce temps-ci, surtout, Les propriétaires de ces média d'information ont la responsabilité et je pense que c'est trop facile pour eux de toujours dire: Ce sont nos journalistes. Chacun de ceux qui sont propriétaires d'un médium d'information, quel qu'il soit, a ses responsabilités devant la majorité de la population, a ses responsabilités devant ses lecteurs, devant ses auditeurs, et c'est à lui de faire le nettoyage qui s'impose, lorsqu'il s'impose.

Evidemment, ceux qui sont encore des professionnels de l'information, ceux qui sont encore des gens objectifs, ceux-là nous en avons grandement besoin, ceux-là devraient se faire valoir davantage. C'est le temps plus que jamais. On n'a jamais demandé — je pense qu'ils sont rares les partis politiques qui l'ont fait — à un journaliste, de faire de la propagande pour un parti politique. Tout ce qu'on demande aux journalistes, et je pense que c'est la même chose des deux côtés de la Chambre, est de rapporter exactement ce qu'on leur dit et de cesser de déformer l'information, ou les déclarations de plusieurs de nos hommes publics.

Alors, eux, ces gens-là, ont leur part de responsabilité dans la crise que nous connaissons actuellement. Il y a beaucoup de personnes qui ont leur part de responsabilité de façon indirecte, beaucoup moins de façon directe, mais plusieurs de façon indirecte. Tous ceux qui, par exemple, ces groupes de pression, ou ces chefs de groupes de pression qui sont toujours prêts, lorsqu'il y a possibilité d'augmenter leur prestige, ou autre chose, à verser dans n'importe quoi; il y a même des gens de très bonne foi qui se laissent facilement attendrir dans les circonstances et qui vont même jusqu'à dire que les lois, les lois qu'on est en train de voter présentement, les lois donnant les pouvoirs d'urgence, que ces lois-là sont trop fortes, sont trop rudes, sont trop dures. Cessons donc de prendre des vessies pour des lanternes. Si on est obligé de faire des lois dures, c'est parce qu'il y a des situations dures. Ce n'est sûrement pas la population qui a commencé ce jeu-là. Ce ne sont sûrement pas les autorités non plus qui ont déclenché cette situation. Ce sont ces groupes terroristes, ces groupes qui prêchent la violence, qui ont déclenché la situation que nous connaissons actuellement et c'est pour ces raisons et pas pour d'autres choses, que nos autorités sont obligées de passer des législations, dans les circonstances, en regard de la situation.

On a parlé de rétroactivité dans la loi. La rétroactivité dans la loi, si elle est nécessaire, appuyons-la parce qu'il y a eu rétroactivité dans les crimes aussi; il y a eu rétroactivité dans la violence; il y a eu rétroativité dans ceux qui prêchent le désordre, dans ceux qui sont contre l'ordre établi, contre toutes sortes de lois possibles. Alors, s'il est nécessaire, n'ayons pas peur de l'exiger et de l'appuyer cette rétroactivité.

M. le Président, il y a aussi devant les éléments extrémistes que nous connaissons, devant le comportement de certaines personnes, quel que soit leur nom, quelle que soit leur situation, j'ai l'impression que nous n'avons pas le droit de nous fermer les yeux. Si on s'appelle X, qu'on possède une situation Z et que pour ces raisons on est des intouchables, si on outrepasse les intérêts de la population, de l'ensemble et de la majorité, on ne devrait plus être des intouchables.

Qu'on appelle les choses par leur nom et qu'on aille chercher, pour interrogatoire, tous ceux dont cela serait nécessaire, dans les circonstances, qu'ils s'appellent comme ils voudront. Les honnêtes gens n'ont jamais eu peur de la police. Les honnêtes gens n'ont jamais eu à redire quand on a parlé de demander le renfort de l'armée. Les gens qui n'ont rien à se reprocher ne nous ont pas reproché, non plus, d'avoir appuyé la demande des renforts de l'armée. Puisque nous sommes proches du peuple, nous, nous avons aussi pris connaissance que non seulement on ne nous l'a pas reproché mais on nous a même félicités d'avoir appuyé cette demande des mesures d'urgence, dans les circonstances.

M. le Président, évidemment, la situation d'urgence passera. Cela ne pourra pas continuer indéfiniment. Et à partir du moment où les choses urgentes seront dépassées, à partir du moment où nous aurons pu rétablir la situation, nous aurons également à prendre notre courage à deux mains et à être aussi fermes pour donner à notre province de Québec les réformes qui s'imposent que nous le sommes pour régler la présente situation d'urgence.

Régler la situation, c'est une chose. Nous nous devons d'être fermes, nous nous devons de prendre nos responsabilités, oui. Mais, nous avons d'autres responsabilités. Nous avons les responsabilités de voir à ce que cela ne se reproduise pas. Et pour ce faire, nous nous devons d'abord que notre appareil judiciaire soit préparé à toute éventualité, nous nous devons aussi que nos corps policiers soient mieux préparés à ce genre d'éventualités; mais, nous nous devons également, et c'est très important, si nous agissons rapidement pour régler cette situation, d'agir aussi rapidement pour apporter les réformes qui s'imposent. Cela aussi, nous l'avons oublié pendant trop longtemps. Nous l'avons oublié et nous en sommes

aussi responsables, je pense, les uns que les autres. Je pense que nous devons, à ce moment-ci, faire un tour d'horizon de ce que, collectivement, nous avons fait pour notre province, pour notre peuple, pour nos citoyens québécois depuis plusieurs années. Il n'est pas question pour nous, à ce moment-ci, de faire la différence entre nos couleurs politiques. La situation étant urgente, la situation économique, sociale s'étant tellement détériorée depuis plusieurs années, nous nous devons, chacun de notre côté, de faire l'effort qui s'impose. Donnons-nous la main au-dessus de nos couleurs politiques s'il le faut et travaillons ensemble. C'est pour cela que nous avons été élus. Nous avons été, évidemment, élus sous différentes étiquettes politiques, d'accord, mais, une fois que nous sommes dans cette Chambre, la campagne électorale devrait, je pense, sinon être finie, au moins être suspendue pour les périodes comme celle que nous connaissons. Nous devons nous unir les uns aux autres en tant que membres de cette Assemblée nationale. Tentons de trouver ces solutions. Et lorsque les solutions nous sont suggérées, qu'elles nous viennent des banquettes ministérielles ou des banquettes de l'Opposition, n'ayons pas peur de les mettre en application, n'ayons pas peur de les recevoir, ces suggestions.

Je pense que, dans les circonstances, dans les temps que nous vivons actuellement, la population du Québec comprendra, nous sera reconnaissante d'agir de la sorte et de nous unir en tant qu'hommes politiques pour chercher ces solutions.

Je ne dis pas en tant que politiciens, parce qu'on a su, depuis quelques années, nous montrer la différence entre un politicien et un homme politique. Je pense que tous les honorables membres de cette Chambre sont des hommes politiques. Si nous trouvons des solutions rapides, n'ayons pas peur de les suggérer et n'ayons pas peur, non plus, de les recevoir.

Il est bien évident que chacun des partis politiques, ici en cette Chambre, a sa philosophie propre; c'est parce qu'il y a des différences entre les philosophies que nous préconisons que nous sommes quatre partis politiques. Mais, actuellement, puisque c'est urgent, je pense que notre devoir, avant tout, est de collaborer à régler cette situation urgente. Nos philosophies politiques, nous aurons toujours le temps d'en parler et de les défendre. Nous avons encore, avant les prochaines élections, normalement, quelque chose comme trois ans et demi. Cela nous donnera amplement le temps de faire connaître nos philosophies différentes.

Pour le moment, puisqu'on prévoit, pour l'hiver qui s'en vient, un taux de chômage extraordinaire, c'est notre devoir à tous de collaborer à trouver des solutions rapides. Puisqu'on prévoit du chômage pour cet hiver, cela nous prend des solutions cet automne, qui seront mises en pratique dès cet hiver. Pas des solutions pour le printemps prochain ou pour l'hiver prochain. C'est immédiatement qu'il faut agir. Alors que nous venons de réintégrer nos banquettes parlementaires, nous voyons que, du côté des ministériels, il y a beaucoup de pain sur la planche. Beaucoup de législations nous sont proposées, mais il faudrait faire plus que cela. Parmi les nombreux bills qui nous seront proposés, il y en a, je le sais, qu'il nous faudra adopter rapidement; nous sommes d'accord avec ça.

Mais, M. le Président, le gouvernement devrait — et il aura notre collaboration pour ce faire — dans les plus brefs délais, proposer une loi d'urgence, pour empêcher ce taux de chômage que nous prévoyons pour l'hiver qui s'en vient. Nous nous devons également, pour le mieux-être de notre population, d'envisager que les allocations familiales pour ceux qui ont des responsabilités familiales et des enfants, soient révisées rapidement. Nous devons également — ceci ne sera sûrement pas facile, je le sais; rien n'est facile, mais nous avons le devoir de l'entreprendre — faire en sorte que, dès cet hiver, dès cet automne, nos citoyens québécois puissent gagner leur vie honorablement, avec du travail, sinon pour tous, du moins pour une plus grande proportion que ceux qui sont au travail actuellement. Je pense que c'est la philosophie du parti au pouvoir, de créer des emplois nouveaux. Si c'est leur philosophie, comme nous le savons, ils ne seront sûrement pas contre cette suggestion. Evidemment, il reste le côté pratique, la mise en application. Aussi rapidement que possible, il n'y a pas de philosophie qui prévoit ça. Il n'y a que l'heure où nous vivons, les moyens que nous avons. Dans les circonstances, cela veut dire en bon "canayen", que c'est le temps plus que jamais d'avoir les deux pieds sur terre. C'est ce dont nous avons besoin. C'est ça que la population du Québec réclame et c'est ça que nous devons donner à notre population du Québec.

Permettons à tous de mieux vivre; permettons à tous de mieux manger. L'estomac rempli voit beaucoup mieux; l'estomac vide est souvent aveugle. Nous devons donc faire tout notre possible pour permettre à ces citoyens québécois, pour permettre à ces citoyens de notre province de mieux vivre d'une façon économique, de mieux vivre d'une façon sociale. Nous aurons alors une plus grande collaboration dans le respect de l'autorité, dans le respect mutuel, dans le respect du prochain, dans le respect de nos institutions.

Nous, du Ralliement créditiste — je pense que tous le savent — nous avons le souci profond de ce respect de l'autorité et de l'ordre et nous n'avons pas l'impression, pour ce faire, que nos libertés sont brimées. La liberté est une chose, mais la liberté a besoin de s'exercer dans l'ordre. La liberté me permet, par exemple, de marcher sur le trottoir ou dans la rue aussi longtemps que je le veux, à l'heure où je le

veux, mais lorsque j'arrive à une intersection et qu'il y a des feux de circulation, quand c'est rouge, je dois m'arrêter. C'est là de l'ordre, et l'ordre est nécessaire pour que non seulement ma liberté soit respectée, mais pour que j'aie ma liberté en respectant celle des autres aussi. C'est ce dont nous avons besoin au Québec et c'est ce que nous devons rétablir, parce qu'au Québec nous avons déjà connu des heures, des moments où la liberté était pour tous, où le respect de l'ordre valait pour tous et où nous avions le souci de l'autorité. Ce que nous avons perdu aujourd'hui; ce qui nous reviendra gràce à la collaboration de tous, gràce au magnifique travail que tous les membres de cette Chambre feront dans les plus brefs délais, gràce à tout ça, gràce à l'union des bonnes volontés, gràce à l'union de ceux qui sont les élus en cette Chambre, qui représentent les bonnes volontés, gràce à l'union de tous ces gens, gràce à la collaboration qui nous est déjà acquise de la part de notre population, nous pourrons finalement anticiper des heures meilleures dans la joie, dans la paix, dans la liberté, dans la sécurité pour tous et chacun des citoyens du Québec.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Bourget.

M. Camille Laurin

M. LAURIN: M. le Président, la mort de Pierre Laporte nous a tous stupéfiés et atterrés. Mais elle prend chaque jour un peu plus figure d'événement politique qui s'insère dans un contexte, une conjoncture que l'on discute, évalue, que chacun interprète selon ses tendances, préjugés ou projets politiques. Cette mort perd ainsi graduellement son côté existentiel et humain, son caractère tragique et sa personnalisation.

Pourrant, il ne faudrait pas que cette mort entre trop vite dans l'histoire. Pas avant du moins que quelques-uns d'entre nous ne répètent une dernière fois que cette mort était absurde, inutile, qu'elle aurait pu, qu'elle aurait dû être évitée et qu'elle constitue pour notre Québec une tache comme celle de Lady Macbeth, que les années ne pourront jamais effacer.

A plusieurs reprises au cours de cette crise, MM. Trudeau et Bourassa nous ont fait part de leur dilemme. Fallait-il sauver la vie des deux otages et ainsi saper l'autorité de l'Etat ou, au contraire, ne pas céder à cet odieux chantage et empêcher le pays de glisser dans l'anarchie et le chaos? Nous l'avons dit dès le début, M. le Président, et plusieurs citoyens et organismes éminents et responsables l'ont dit avec nous, que ce dilemme était un faux dilemme.

Il aurait fallu accepter d'échanger la vie des deux otages pour l'exil des prisonniers du Front de libération du Québec et ensuite traquer, sans merci, et par tous les moyens, les organisations terroristes. Nous aurions sauvé ainsi deux vies précieuses, débarrassé le pays d'éléments dangereux et assuré, dans un meilleur climat, par une volonté commune et résolue, le maintien des libertés démocratiques et la restauration de l'ordre public. De tous ces arguments, c'est celui du respect de la vie humaine qui nous paraît le plus fondamental.

Il aurait été possible, en effet, après cette crise, dont on a d'ailleurs exagéré l'ampleur et la gravité, de redonner à l'Etat l'autorité morale qu'une concession de cette importance aurait pu avoir diminué, alors qu'il n'est plus jamais possible de rendre la vie aux morts et de remettre au service de la société les talents de citoyens éminents qu'on a accepté de voir disparaître. Une démocratie humaine et généreuse pour qui le droit à la vie est le premier des droits de l'homme, qui s'emploie, par tous les moyens, à protéger cette vie et à assurer son épanouissement, se doit toujours de préférer la vie des otages à une raison d'Etat étroite, raide, désincarnée et implacable.

Lors de la crise jordanienne, des démocraties aussi respectables que l'Angleterre et la Suisse nous avaient donné cet exemple sans qu'elles se sentent humiliées et qu'en souffrent leurs institutions démocratiques. Jean-Claude Leclerc a, par ailleurs, prouvé dans un article très documenté d'un journal de Montréal, que l'intransigeance de certains Etats n'a pas plus diminué que la souplesse de certains autres, le nombre des enlèvements, des assassinats, ou autres désordres. Car, le véritable débat se situe ailleurs. C'est dans la mesure où l'Etat n'exerce plus un leadership de qualité, ne répond plus aux besoins et aux aspirations du peuple, ne corrige pas les injustices sociales et politiques flagrantes, que naissent, s'amplifient et s'exacerbent les impatiences, les contestations et les révoltes.

Tout au long de la crise, nous n'avons pas retrouvé, à l'un ou l'autre de nos paliers de gouvernement, ce souci et ce respect authentique de la vie humaine. Dans l'univers glacé des principes où se meut M. Trudeau, la dimension existentielle unique, chaleureuse de la vie d'un homme, d'un père, d'un fils, d'un ami, ne semble pas tenir beaucoup de place. Pour ce théoricien libéral, l'homme est un concept, une entité philosophique qui ne pèsent pas bien lourd quand on les confronte à d'autres concepts plus vastes tels ceux de l'Etat, de l'autorité, de l'ordre public et de leur antonymes: chaos et anarchie. Quand il s'agit alors de choisir entre un concept inférieur, la vie d'un homme, et un concept supérieur, le maintien de la loi et de l'ordre, le choix est, pour ainsi dire, automatique. Toute concession au chantage apparaît comme une hérésie, une faiblesse et une démission au chevalier de l'absolutisme et de l'extrémisme juridique.

Du haut de son Olympe, le justicier inflexible

traite même de coeurs tendres, d'àmes sensible et d'invertébrés agenouillés, ceux qui ne pensent pas comme lui.

Quant à nous, nous continuons de croire que le respect de la vie n'est pas seulement compatible avec le maintien de l'ordre public, mais qu'il constitue la pierre angulaire d'une démocratie véritable et la condition première de la paix et du progrès collectif.

Le député de Notre-Dame-de-Gràce est pour sa part allé encore plus loin. Il se glorifie d'être resté insensible à l'appel désespéré d'un collègue, au nom d'une conception cruelle et autoritariste du leadership gouvernemental.

M. BOURASSA: M. le Président, ce sont des propos tout à fait inadmissibles de la part du député de Bourget.

M. TETLEY: M. le Président, que le député retire ses paroles. J'ai aimé Pierre Laporte et j'aime encore la mémoire de Pierre Laporte. Je demande que le député de Bourget retire ces paroles. Je crois qu'il est allé trop loin.

C'est une question d'opinion, les négociations avec le FLQ mais ce n'est pas vrai que j'ai écrit quelque chose qui veut dire que je regrettais le décès de Pierre Laporte. J'ai ici l'article devant moi parmi mes articles. J'ai même parlé avec amitié de Pierre Laporte.

M. BURNS: M. le Président, avant de demander au député de Bourget de retirer ses paroles, je pense qu'il faudrait quand même écouter ce qu'il avait à dire sur ce point-là. On ne l'a même pas laissé terminer sa phrase. On s'oppose puis on s'imagine que le député de Bourget va dire quelque chose. Qu'on le laisse terminer sa phrase, et vous verrez ensuite, M. le Président, si ça doit être retiré ou non.

M. TETLEY: M. le Président, je trouve que c'est trop. A moins que j'aie employé le mot "glorifie" moi-même.

M. DUMONT: M. le Président, si vous me le permettez, connaissant toute l'unité de pensée qui existe, au point de vue administratif, dans un groupement politique, les secrets qui lient même tous ces hommes politiques, je demande que les paroles que vient de prononcer le député de Bourget soient retirées, car il a insulté ce Parlement.

M. LE PRESIDENT: J'ai suivi avec attention l'exposé du député de Bourget. Comme le mentionnait le député de Maisonneuve, je sais qu'il a entrepris la lecture d'une phrase. Par contre, le député de Notre-Dame-de-Gràce s'est levé immédiatement pour rétablir les faits.

Je ne sais pas s'il les a rétablis d'une manière satisfaisante pour la Chambre. J'aimerais peut-être que le député de Notre-Dame-de-Gràce rétablisse sa pensée d'une manière plus définitive et plus claire.

M. TETLEY: M. le Président, avec plaisir. J'ai écrit un article à ce sujet; c'est un sujet très difficile, mais je respecte l'opinion de tout le monde. Je dois respecter le langage de tout le monde. J'ai parlé dans l'article avec amour je l'espère de Pierre Laporte, et j'ai parlé de la vie d'un des nôtres que nous connaissions si bien, et qui a été en danger, et ce n'est pas une glorification.

J'ai parlé ici encore de deux hommes, de la vie de deux hommes au sujet desquels nous avons ce débat. Nous n'avons pas cédé aux demandes. J'ai parlé de la vie des deux hommes que je considère très importante et nous avons fait aussi des concessions énormes. Je n'ai "glorifié" d'aucune manière, et je demande au député collègue de retirer ses paroles.

M. LE PRESIDENT: Je connais la gentilhommerie du député de Bourget. Je ne peux pas me prononcer à savoir s'il y a eu question de règlement ou question de privilège. Je préfère laisser ça, je crois, à sa bonne volonté, pour que l'on ne m'oblige pas à rendre une décision.

M. LAURIN: Je suis bien prêt, M. le Président, à retirer ce verbe. Je l'ai employé parce que j'ai cru, à bon droit ou à mauvais droit, dans cet article auquel réfère le député de Notre-Dame-de-Gràce et qu'il n'a pas lu complètement, discerner une satisfaction à l'idée du choix qu'il pouvait avoir fait entre deux parties d'une alternative.

C'est à cette satisfaction que je voulais m'en prendre, mais je suis bien d'accord pour retirer le verbe "glorifier".

M. BOURASSA: M. le Président, le député de Bourget fait-il du sadisme verbal?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre!

M. BOURASSA: Je lui donne le bénéfice du doute. Est-ce que le député de Bourget dit qu'on a pris cette décision avec plaisir?

M. LAURIN: Je ne parle pas du tout du premier ministre. Je viendrai tout à l'heure à ce que j'ai à dire sur le premier ministre. Je parle simplement...

M. MARCHAND: Quand on parle d'hypocrisie, on sait de qui on parle.

M. LAURIN:... d'un incident qui est actuellement soulevé et j'ai dit que j'étais prêt à retirer ce verbe.

UNE VOIX: Vous devez être satisfait de vous.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAURIN: Le député de Notre-Dame-de-Gràce...

M. MARCHAND: Hypocrite! M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LAURIN: ... voulait ainsi servir une leçon aux terroristes et un exemple à imiter à toutes les nations de la terre. Cet aveuglement se retrouve chez les tenants attardés de la peine de mort, chez les privilégiés qui dansent sur le volcan des injustices sociales et politiques, chez les parents qui imposent leur loi à une jeunesse en mal de renouveau et de progrès, intensifiant ainsi le conflit des générations.

Les démocraties véritables n'auront que faire des opinions dépassées et rigoristes du député de Notre-Dame-de-Gràce et chercheront ailleurs des exemples marqués au coin de la vérité, du dynamisme et du progrès.

A l'administration Drapeau-Saulnier, la crise offrait l'occasion d'un règlement de compte passionnément souhaité. Elle en avait, certes, gros sur le coeur: esclandre de la Saint-Jean-Baptiste; opération Saint-Léonard; McGill français; bill 63; occupation ce CEGEP; harcèlement des Jeunes Canadiens et des comités de citoyens; campagne du FRAP, etc. Avec l'aide de l'armée et l'octroi de pouvoirs spéciaux, on pouvait mener une contre-offensive efficace et démanteler l'opposition. La tentation était si forte que Montréal s'adressa directement à Ottawa au lieu de s'en remettre au gouvernement du Québec comme la loi l'y obligeait. Pressions, manoeuvres...

M. BOURASSA: Quelle loi? DES VOIX: Quelle loi?

M. LAURIN: ... qui mettaient en danger deux otages...

M. VEZINA: Quelle loi?

M. LAURIN: ... dont la vie devenait moins importante qu'une revanche locale.

M. BOURASSA: II n'a pas de réponse. M. LAURIN: Les propos incendiaires... M. VEZINA: II ne le sait pas. M. LE PRESIDENT: A l'ordre j

M. LAURIN: ... du maire Drapeau, dans les derniers jours de la campagne municipale, en même temps qu'ils ternissaient une victoire déjà acquise, témoignaient de cette même rupture avec l'idéal véritablement démocratique et humanitaire.

Les positions du ministre de la Justice du Québec ont, par ailleurs, été celles d'un homme coincé. La réponse aux ravisseurs de M. Cross, diplomate étranger, a manifestement été élabo- rée par le cabinet fédéral, mais cette réponse négative, assortie du discours de circonstance, devait être lue par le procureur général de la province où le délit avait été perpétré.

Après l'enlèvement de M. Laporte, il aurait fallu beaucoup de courage et de fortes convictions au ministre québécois pour adopter une attitude différente qui aurait signifié que la vie d'un collègue était pour lui plus importante que celle d'un diplomate étranger. Il a dit, par ailleurs, lui-même qu'il ne voulait pas perdre la face devant sa police qui demandait des pouvoirs spéciaux...

M. CHOQUETTE: J'invoque le règlement, M. le Président. Je n'ai jamais dit ça et je mets le député en demeure de citer l'article où j'aurais dit ces mots.

M. LAURIN: Je n'ai malheureusement pas l'extrait de journal...

M. CHOQUETTE: Alors, retirez ce que vous avez dit.

M. LAURIN: Mais cela a paru dans le journal Le Devoir.

UNE VOIX: Encore une fois, il parle à travers son chapeau !

M. CHOQUETTE: M. le Président, j'insiste pour que le député retire ses paroles.

UNE VOIX: C'est René Lévesque qui a dit ça.

M. LAURIN: Pour le moment...

UNE VOIX: Vous lisez le discours de René Lévesque, c'est ça que vous faites.

M. LE PRESIDENT: Je crois que le ministre de la Justice a rétabli les faits et on doit prendre sa parole, tel qu'il l'a dit lui-même de son siège.

M. LAURIN: J'accepte votre décision, M. le Président. J'essaierai de retrouver l'article. Probablement qu'un de mes collègues pourra reprendre mes paroles.

Ces considérations, en tout cas, ont pesé plus lourd que la vie des deux otages. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un ministre de la Justice se transforme en ministre de la police. Il est, en effet, plus difficile d'exercer sur la police le contrôle approprié que de se laisser mener par elle, particulièrement dans des...

M. MARCHAND: La mère supérieure! M. LAURIN: ...moments de crise. M. LE PRESIDENT: A l'ordre! M. LAURIN: II n'est pas étonnant...

M. MARCHAND: La mère supérieure!

M. LAURIN: ...que le ministre avoue maintenant qu'il aurait dû démissionner si le cabinet provincial ne s'était rangé à son avis, ce qui laisse imaginer dans quel sens a joué sa puissante influence dans les jours qui ont suivi l'enlèvement de Pierre Laporte.

M. BOURASSA: M. le Président, je pense bien que je suis obligé de rappeler les faits immédiatement, parce qu'on peut avoir l'impression que nous sommes en accord avec ça. Le ministre a dit que toutes les décisions avaient été unanimes et qu'hypothétiquement il aurait trouvé très difficile d'appliquer la loi si nous avions cédé au chantage.

M. MARCHAND: M. le Président, est-ce que je pourrais recommander au député de Bourget de lire ses textes avant de les dire?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît! En vertu des règlements, le seul droit qu'un député a d'interrompre un orateur, c'est soit sur une question de privilège ou une question de règlement ou pour rétablir des faits, comme l'a fait tout à l'heure le ministre de la Justice, ou encore, avec la permission de l'orateur, pour lui poser une question. Je ne crois pas que le député...

M. MARCHAND: Je m'excuse, M. le Président.

M. LAURIN: Quant au chef du gouvernement provincial, on se demande encore aujourd'hui s'il a vraiment cherché à négocier. Nous avons cru, pour notre part, qu'il consentirait à échanger la libération des prisonniers pour la vie de Pierre Laporte, qui venait de lui écrire: "Tu as le pouvoir de décider de ma vie. Décide de ma vie ou de ma mort, je compte sur toi et t'en remercie."

Mais, par ailleurs, M. Trudeau a déclaré que, dès le jour de l'enlèvement, M. Bourassa lui a demandé de tenir l'armée prête et de préparer la remise en vigueur de la Loi des mesures de guerre au cas où il en aurait besoin. A-t-on alors négocié de bonne foi ou pour donner au gouvernement fédéral le temps qu'il lui fallait pour se préparer? Quelle a été la teneur des négociations entre Me Lemieux et Me Demers ? Que faisait la police et quelles décisions le cabinet a-t-il prises du dimanche au jeudi? Qu'est venu faire Me Lalonde, le conseiller spécial de M. Trudeau, à Québec le 16 octobre?

Quelles pressions et contre-pressions ont exercées, à ce moment, sur le cabinet, les corps de police, les gouvernements de Montréal et d'Ottawa et diverses personnalités du Québec? Quel a été l'effet, sur le cabinet, de la perte de la trace de Paul Rose? Pourquoi a-t-on rompu les négociations, le mercredi soir? Pourquoi l'armée est-elle entrée au Québec, le jeudi midi? Pourquoi l'offre finale, avec ultimatum de six heures, a-t-elle été faite, le jeudi soir? Pourquoi l'offre ne mentionnait-elle que les cinq prisonniers éligibles à la libération conditionnelle? Pourquoi la Loi des mesures de guerre a-t-elle été proclamée à Ottawa, à quatre heures du matin? Toutes questions auxquelles le premier ministre provincial a estimé qu'il devait devoir répondre, ainsi qu'à toutes les autres questions qui lui ont été posées par le chef de l'Opposition et à toutes les questions qui apparaissent au feuilleton.

Ce n'est que lorsque nous aurons une réponse à toutes ces questions, c'est-à-dire lorsque tous les faits seront connus, que le débat qui s'institue pourra véritablement commencer et que toute la lumière pourra être faite.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement provincial a finalement opté pour la ligne dure et intransigeante puisque l'offre du 16 octobre équivalait, à peu près, à celle du 10 octobre. Qu'il s'agisse, ou non, d'un changement d'attitude, il importe d'en déterminer les raisons. Le premier ministre en a donné plusieurs. Il fallait craindre, paraît-il, une insurrection. Le moins que l'on puisse dire, M. le Président, est que cela reste à prouver. Des quelque 500 suspects arrêtés, il n'en reste que quelque 60 en prison et il est loin d'être sûr qu'ils appartiennent tous au Front de libération du Québec.

La confession de Bernard Lortie révèle par ailleurs le petit nombre des terroristes actifs, l'improvisation et la marginalité de leur action. Dans les écrits saisis, et qui ont convaincu, l'an dernier, M. Saulnier, de l'existence d'un complot d'envergure en quatre étapes, allant jusqu'à l'assassinat sélectif, il faut, je crois, tenir compte de la fièvre, de la mégalomanie, de l'amateurisme et de la différence très importante qui existe entre un projet et son exécution.

Au chapitre des moyens, ce n'est quand même pas avec la quantité des armes et explosifs volés que l'on peut réussir une insurrection. Tant que des preuves plus probantes ne nous auront pas été fournies, il est permis de penser qu'on a grossi le danger, soit par manque de contrôle de l'information, soit par panique, soit pour justifier rétroactivement...

M. CHOQUETTE: Puis-je vous poser une question?

M. LAURIN: ... une politique adoptée pour de tout autres motifs vraisemblablement politiques.

M. CHOQUETTE: C'est un perroquet! Est-ce que je peux vous poser une question?

M. LAURIN: Non, j'aimerais autant terminer. Vous aurez amplement la chance de répondre à toutes les suppositions supposément...

M. CHOQUETTE: Etes-vous capable de répondre? Etes-vous capable de répondre à une question?

M. LEDUC: II n'est pas préparé à cela. M. LE PRESIDENT: A l'ordre, à l'ordre!

M. LAURIN: Dans cette perspective, M. le Président, l'intervention de l'armée et la Loi des mesures de guerre apparaissent comme un masque, comme une mesure non pas dirigée contre une organisation terroriste aux faibles effectifs mais contre une opposition qui revendique avec un succès toujours grandissant la souveraineté du Québec et la disparition des inégalités sociales. S'il ne s'était agi...

UNE VOIX: Les scouts aussi...

M. LAURIN: ... que d'éliminer ces quelques cellules terroristes, il aurait été possible d'amender rapidement le code pénal dès après l'enlèvement de M. Cross, pour donner à la police les quelques pouvoirs plus étendus dont elle avait besoin et non pas des pouvoirs illimités.

Le premier ministre a craint également que les milieux étudiants et populaires n'accordent une trop grande sympathie au Front de libération du Québec et n'organisent une campagne d'agitation contre son gouvernement. C'est là, incidemment...

M. BOURASSA: Est-ce que je pourrais rétablir les faits? Je m'excuse.

M. LAURIN: Vous aurez l'occasion, M. le premier ministre, de rétablir les faits. Vous avez un droit de parole à la suite de mon intervention.

M. HARDY: II a peur. Il a peur.

M. BOURASSA: En vertu du règlement, je veux rétablir les faits immédiatement. Je n'ai jamais dit les milieux populaires et les milieux étudiants...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BOURASSA: II y a eu des manifestations, le jeudi matin...

DES VOIX: Le président est debout.

M. BOURASSA: ... pas les milieux populaires, étudiants...

M. LE PRESIDENT: En vertu de l'article 270, un député qui veut interrompre un autre député doit lui en demander la permission et je ne crois pas que cette permission ait été accordée.

L'honorable député de Bourget.

M. LAURIN: C'est là, M. le Président, incidemment, reconnaître l'insuffisance et la lenteur de l'action réformiste du gouvernement dans presque tous les domaines. Mais la vérité est qu'on ne saurait prendre pour une agitation explosive les quelques mouvements divers qui se sont produits alors dans le milieu étudiant ni même l'assemblée du centre Paul-Sauvé, où les quelque 2,000 ou 3,000 auditeurs assez tièdes ne paraissaient pas à ce point perméables aux appels révolutionnaires. Je ne sache pas non plus que dans ces jours il y ait eu quelque menace de manifestations massives dans les rues ou de grèves possibles de la part de la masse des travailleurs. Il n'y avait là en tout cas rien de comparable à l'effervescence populaire déclenchée par le projet de loi 63, qu'aucun observateur, à l'époque, n'a pourtant qualifiée d'agitation révolutionnaire.

Le premier ministre a craint aussi que la libération des prisonniers n'encourage certains terroristes en puissance à devenir des terroristes actifs escomptant être libérés par un processus analogue si jamais ils étaient pris. C'est là minimiser ou escamoter un peu trop l'écart qui sépare l'idée de l'action, la répugnance au crime qui existe, jusqu'à plus ample informé, chez tout homme normal, la préparation et l'organisation qu'exige une action terroriste massive et concertée.

M. Bourassa laissait plutôt percer ainsi sa panique et la conscience qu'il avait des graves insuffisances du régime. Ce n'est d'ailleurs pas en refusant l'échange que l'on pouvait infirmer cette hypothèse mais par une action policière et politique appropriée.

Il est certes vrai, comme l'ajoutait le premier ministre, que l'on ne saurait jamais satisfaire à toutes les demandes des terroristes, puisqu'ils visent, en dernière analyse, à la révolution. Mais, si l'on corrige les faits, c'est-à-dire les injustices sur lesquelles ils s'appuient, on leur enlève leur arme la plus puissante. Il reste ensuite à la police à exercer efficacement contre eux une action spécifique.

Ces raisons ne nous apparaissent donc pas justifier, la gravité et l'ampleur de la décision prise. Il faut donc en supposer d'autres plus ou moins inavouables pour un gouvernement ébranlé et en perte de vitesse. Par exemple, incapacité de résister aux pressions du gouvernement senior, celui d'Ottawa, à la manoeuvre de l'administration Drapeau-Saulnier, aux pressions des corps policiers, aux menaces de démission de certains membres du cabinet. Peut-être s'y est-il ajouté une dernière erreur de jugement qui a emporté la décision, c'est-à-dire la conviction que les terroristes, ces petits gars de chez nous, n'auraient pas le nerf de tuer...

DES VOIX. Oh!

M. MARCHAND: Mère supérieure!

M. CHOQUETTE: Des larmes de crocodile!

M. LAURIN: Ce sont des propos que certains membres du gouvernement reconnaîtront d'ailleurs.

UNE VOIX: De pauvres petits terroristes.

M. LAURIN: Peut-être s'y est-il ajouté une dernière erreur de jugement qui a emporté la décision, la conviction que les terroristes, ces petits gars de chez nous, n'auraient pas le nerf de tuer un homme, un compatriote et un père de famille chargé de responsabilités. Erreur qui s'est avérée funeste et pour Pierre Laporte et pour tout le Québec. On n'a pas pensé alors que la rupture des négociations, l'intervention de l'armée, la Loi des mesures de guerre, l'arrestation du négociateur des terroristes constituaient peut-être pour eux autant de provocations qui pouvaient susciter juste assez d'exaspération et de rage pour leur faire franchir le dernier pas qui les séparait du crime. Si c'était là un risque calculé, c'était un bien mauvais calcul. Encore une fois, cet assassinat aurait pu être évité, si le respect de la vie humaine et de la vie d'un collègue avait primé toute autre considération, tout autre calcul.

Cette solution nous aurait, de surcroît, débarrasé à jamais d'éléments dangereux, aurait permis de recueillir des informations pouvant conduire à l'arrestation d'autres terroristes, aurait pu être suivie d'une action policière plus vigoureuse et surtout nous aurait épargné la dégradation socio-politique qui a suivi, car la mort de Pierre Laporte a inauguré un cycle dangereux de répression et de contre-répression, c'est-à-dire un climat de violence où les passions les plus primitives se sont décharnées: peur, panique, méfiance, soupçons, agression, déla- tion, régression de l'idéal démocratique, appel sauvage à la haine et à la loi de la jungle.

C'est l'assassinat de Pierre Laporte qui a produit ces fruits empoisonnés et ce sont maintenant ces fruits empoisonnés qui font souhaiter, à une population qui se sent menacée, le maintien, pour un temps indéfini, de la Loi des mesures de guerre, justification rétroactive à laquelle s'accroche maintenant le gouvernement et qui vaudra aussi longtemps que la population consentira à échanger sa liberté pour la sécurité. Justification artificielle et erronée, tout de même, qui apparaîtra pour ce qu'elle vaut lorsque le torrent actuel d'émotivité aura été endigué. Lorsque la raison aura retrouvé ses droits, la population saura reconnaître la part de responsabilité du gouvernement, part qu'il importera de préciser, avec ou sans commission d'enquête, dans la mort de Pierre Laporte et le désarroi social qui l'a précédée et suivie.

M. le Président, je propose l'ajournement de la Chambre.

M. LE PRESIDENT: La suspension des...

M. BOURASSA: M. le Président, est-ce que le député aurait objection à me donner une copie de ce qu'il a déjà dit pour que je puisse répondre à certaines de ses questions?

M. LAURIN: Oui, oui.

M. LE PRESIDENT: La Chambre suspend ses travaux jusqu'à...

M. LEVESQUE: Huit heures et quart.

M. LE PRESIDENT: ... huit heures quinze minutes.

Reprise de la séance à 20 h 16

M. LAVOIE (président): A l'ordre, messieurs!

Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. le Président, j'ai retrouvé une des sources auxquelles je faisais allusion quand je parlais de la conférence de presse que le ministre de la Justice donnait le 3 novembre. Le journaliste M. Laurin lui posait une question: Mais vous étiez tellement convaincu de votre affaire que vous étiez prêt à démissionner.

M. Choquette: Je crois que je n'aurais pas eu le choix, parce que comment auriez-vous voulu que deux jours après qu'on aurait cédé au chantage, moi, je demande à mes policiers, à mes procureurs de faire des causes contre ceux qui avaient pratiqué des enlèvements?

C'est de là que j'ai conclu que le ministre de la Justice avait été mû par une volonté de sauver la face. Mais, de toute façon, il pourra répondre à cela quand son tour viendra.

Je reprends le fil de mon discours. Je disais donc, en conclusion, que le gouvernement a une certaine responsabilité qu'il s'agira d'évaluer à la lumière des informations qu'il nous fournira. Mais nous ne cherchons pas ici à déplacer les responsabilités. Pour nous, comme pour tous les citoyens, le responsable immédiat et principal du meurtre de Pierre Laporte demeure le Front de libération du Québec et c'est précisément au nom de l'insigne respect de la vie humaine, qui est le nôtre, que nous en avons dénoncé le caractère horrible et inhumain. Nous dénonçons également ce crime parce qu'il dessert la noble cause de la souveraineté et de la justice sociale que nous avons toujours défendue par des moyens pacifiques et démocratiques en nous adressant à l'intelligence des citoyens que nous voulons convaincre.

Connaissant d'instinct le principe de la culpabilité par association, les plus démagogues et les plus primitifs de nos adversaires utilisent actuellement, contre notre idéal démocratique et souverainiste, les armes de la calomnie et de la violence. Mais ce qui est plus grave, ils jouent sur l'angoisse et l'insécurité de la population, pour lui faire oublier ses vrais besoins, les véritables causes de son mal et les seuls remèdes qui l'en pourraient guérir. En offrant cette occasion aux extrémistes de droite, de fabriquer des épouvantails et de proposer à une population angoissée leur solution manichéenne, simpliste et réactionnaire, les terroristes ont pratiqué la politique du pire et compromis un progrès social dont ils se prétendaient les champions.

C'est pourquoi leur action nous paraît néfaste sur tous les plans. Si le Front de libération du Québec voulait aussi ébranler l'équipe gouvernementale actuelle, il y a parfaitement réussi. On peut dire, en effet, que depuis le début de cette crise, le gouvernement provincial s'est effondré, qu'il s'est jeté dans les bras du gouvernement fédéral et qu'il n'a pas assumé ses responsabilités devant le Parlement et la population du Québec.

Après l'enlèvement de M. Cross, c'est M. Sharp qui fait la première déclaration, alors que le ministre de la Justice du Québec se réfugie dans un silence prudent et que le premier ministre ajoute par la suite que toute décision sera prise conjointement par Ottawa et Québec.

On annonçait ensuite, vendredi, que M. Trudeau ferait connaître la position d'Ottawa aux demandes des ravisseurs, mais cette position est finalement transmise par le ministre de la Justice du Québec. Le jeudi 15 octobre, le premier ministre demande l'intervention de l'armée fédérale et la proclamation de la loi fédérale des mesures de guerre. Le lendemain, 16 octobre, c'est le premier ministre du Canada et non celui du Québec qui vient justifier à Radio-Canada le recours à ces mesures exceptionnelles.

A l'occasion de la session d'urgence sur l'assurance-maladie, le jeudi 15 octobre, le premier ministre aurait pu et aurait du saisir le Parlement, selon nous, de tous les aspects de ce drame proprement québécois. Il aurait pu, il aurait dû permettre aux députés de poser des questions, d'exprimer leur opinion et de faire au gouvernement leurs suggestions à cette heure tragique où un large consensus de la nation s'avérait indispensable.

Il y était d'autant plus obligé qu'il s'agissait de sauver, au-delà de la vie de M. Laporte, les institutions démocratiques dont le Parlement est la suprême incarnation. Or, aucun sophisme ne viendra détruire cet axiome que le mouvement se prouve d'abord en marchant ou que c'est l'exercice de la démocratie qui prouve que celle-ci est encore bien vivante.

Mais, en cette journée du 15 octobre, le premier ministre a inauguré le gouvernement du secret, niant et bafouant ainsi la plus haute instance démocratique qu'il prétendait vouloir défendre par les décisions qu'il avait prises. Il s'est contenté, ce jour-là, de mettre le Parlement devant le fait accompli de l'intervention de l'armée. Il n'a pas donné un bilan précis et détaillé de la situation. Il n'a permis aucune question ni aucun débat. Il a caché à la Chambre l'offre finale et fatale qu'il faisait aux ravisseurs de Pierre Laporte. Il a caché à la Chambre qu'il avait demandé à Ottawa la proclamation de la Loi des mesures de guerre et que celle-ci entrait en vigueur la nuit même au cas où l'ultimatum aurait été refusé.

Lorsque la demande d'un débat d'urgence faite par le Parti québécois a été jugée irrecevable, il a déclaré qu'il n'aurait pas participé au débat même si celui-ci avait eu lieu. Le premier ministre peut bien alors accuser le député de Saguenay de stupéfiante naiveté en soutenant que seuls les députés péquistes n'avaient pas compris qu'un débat parlementaire sur l'état

d'urgence et la présence de l'armée aurait pu avoir une portée tragique, mais en réalité ce reproche se trompe d'adresse. Le premier ministre aurait dû l'adresser au premier ministre du Canada et au Parlement fédéral qui, dès le vendredi 16 octobre, discutaient, eux, à Ottawa, de l'intervention de l'armée et de la Loi des mesures de guerre en raison même de leur portée tragique.

Dans les jours qui suivirent, c'est la session d'Ottawa qu'il fallait suivre pour avoir des nouvelles de la crise. Silence à Québec, alors qu'à Ottawa le premier ministre du Canada parlait pour le premier ministre du Québec, le ministre de la Justice d'Ottawa parlait pour le ministre de la Justice du Québec et que M. Marchand parlait pour lui-même. Jamais le Québec n'avait été à ce point ridiculisé, bafoué et humilié. Quand le Parti québécois se mit à demander, ad nauseam, la convocation de l'Assemblée afin de faire cesser cette humiliation, afin de régler entre Québécois ce problème québécois, il se fit répondre que les réponses viendraient en temps opportun et qu'il ne convenait pas d'utiliser la crise à des fins politiques, comme si le rôle de l'Opposition n'était pas de critiquer et d'éclairer le gouvernement.

Après avoir anéanti le gouvernement québécois, le premier ministre du Canada put même se donner le luxe de décerner des prix à ses homologues provinciaux, tantôt louant leurs positions, tantôt les disculpant, les protégeant ou venant à leur défense, ce qui soulignait davantage leur faiblesse, leur démission et leur effacement. C'était là, de plus, avertir les Québécois qu'il n'y avait plus désormais qu'un seul pouvoir, qu'un seul gouvernement et qu'il valait mieux être toujours d'accord avec lui si l'on ne voulait pas sentir le poids de sa puissance. Au cours de ce mois néfaste, le gouvernement aura fait reculer le Québec jusqu'aux jours les plus sombres des régimes Godbout et Duplessis.

Après cette humiliation, comment pourra-t-il désormais relever la tête, mener avec succès le combat de la révision constitutionnelle et obtenir les concessions fiscales dont il a un urgent besoin, ainsi qu'en atteste la récente causerie du ministre des Finances du Québec? Comment pourra-t-il être cru au Québec même, ainsi que dans tout le Canada?

Comment pourra-t-il, l'an prochain, manifester ne serait-ce qu'un semblant d'ingratitude à l'endroit de son sauveur, à l'endroit de ce bras qui l'a protégé? L'Angleterre a eu son Cromwell; le Québec possède maintenant son prince protecteur qui règne à Ottawa, et il faudra que le Québec paie le prix de cette protection.

Mais il faut, malgré tout, reprendre la lutte et apporter une réponse aux problèmes urgents que cette crise révèle en même temps qu'elle les accentue. C'est pourquoi le Parti québécois a présenté un programme de redressement à court terme qui devrait mobiliser toutes les énergies du gouvernement et de la nation.

Mais au-delà du court terme, il faut plus que jamais envisager le long terme, c'est-à-dire une solution globale aux problèmes de structures auxquels nous faisons face et dont l'acuité est proprement devenue intolérable. Il n'est plus suffisant que le français devienne la langue de travail. Il faut désormais qu'au Québec la minorité anglophone cesse de se considérer comme l'avant-poste ou le chargé de pouvoirs de la majorité anglophone du Canada. Il faut que l'Establishment cesse de contrôler la vie politique de ce pays par le moyen des caisses électorales, du cartel financier et des groupes de pression. Il faut que l'entreprise se francise rapidement dans tous les secteurs et à tous les niveaux, cadres supérieurs et intermédiaires compris. Il faut que le français devienne la langue officielle à l'usine, à l'école, dans les média, dans les cours de justice pour faire droit à la dignité et à la maturité du Québec et dans le respect absolu des droits légitimes de la minorité. Il faut que l'on corrige au plus tôt le problème des inégalités sociales, que l'on assure à chaque citoyen un revenu minimum garanti, que le développement économique dans les secteurs secondaires assure aux travailleurs de toutes les régions un haut niveau d'emploi et des salaires appropriés, que l'administration de la justice fasse l'objet de réformes profondes, que l'extension aux médicaments, aux prothèses et aux soins dentaires du régime d'assurance-maladie se fasse rapidement, selon un échéancier précis, que le programme de rénovation urbaine et de construction domiciliaire soit accéléré et que les frais de cette modernisation de nos structures sociales soient répartis sur toutes les classes de la société, au prorata de leurs ressources.

Pour mener à bien ce programme qu'exige le peuple québécois, les mesures incitatrices et administratives ne suffiront pas. Il faudra légiférer, et rapidement, dans tous les secteurs.

Il faudra également que le Québec s'approprie, si on ne veut pas les lui donner, toutes les ressources fiscales et tous les pouvoirs politiques dont il a besoin. Le gouvernement peut compter, à cet égard, sur notre entière collaboration. S'il ne se résout pas à prendre ces mesures, le peuple québécois jugera sévèrement son inaction et accordera massivement sa confiance au parti qui, par l'indépendance et le progrès social, assurera au Québec l'ordre, la paix, la dignité et la justice.

M. LE PRESIDENT: L'honorable premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. BOURASSA: M. le Président, on a exprimé, je pense, depuis le début de ce débat la gravité de la crise que nous traversons. Je n'ai

pas à le démontrer d'une façon certaine, puisque tous les députés dans cette Chambre en sont convaincus.

Avant de répondre, j'ai préféré attendre l'exposé des trois chefs de parti, parce que je considérais qu'il était plus utile de pouvoir écouter les questions qui pourraient être posées et auxquelles je vais répondre que de participer dès le début à un débat qui, forcément, aurait pu entraîner des répétitions.

J'ai écouté le discours du chef de l'Opposition. Je ne peux m'empêcher de le féliciter chaleureusement pour la teneur de son discours et pour l'esprit dans lequel il l'a prononcé. Il a pris conscience de la gravité de la crise que nous traversions. Il a également pris conscience que ce n'était pas le temps, au moment où le Québec devait faire face à cette crise, de se faire du capital politique, attitude qu'il a d'ailleurs maintenue durant toute la crise. J'ai écouté également le chef du Ralliement créditiste qui, comme d'habitude, a parlé d'une façon directe et vigoureuse. J'ai écouté le député de Bourget, le chef parlementaire du Parti québécois, qui nous a présenté une dialectique serrée, incisive mais non dépourvue de quelques illogismes.

M. le Président, nous ne pouvons pas évaluer l'ampleur de cette crise. Quel gouvernement, dans le monde occidental, a eu à faire à la situation à laquelle le Québec a eu à faire face alors qu'un diplomate a été enlevé et menacé d'exécution et qu'un de ses ministres a été enlevé et assassiné. Quelles étaient les voies d'action du gouvernement à ce moment-là? Il y avait trois choix :

Accepter toutes les conditions, c'était inadmissible, au départ, de l'avis de tous.

N'accepter aucune condition, dans la mesure où certaines de ces conditions étaient applicables et sans conséquences sérieuses pour la sécurité de l'Etat, ç'aurait été évidemment une position trop rigide, et, d'ailleurs, certaines des conditions ont été acceptées.

Troisième attitude, négocier certaines conditions en ayant comme double objectif la vie sauve à MM. Cross et Laporte et la nécessité de bloquer au départ les risques d'anarchie.

C'est ce qu'a été dès le début la position du Québec.

On a mentionné à quelques reprises, soit sous forme de questions, comme le chef de l'Opposition, soit sous forme d'affirmations gratuites, comme celles du chef du Parti québécois, qu'il y avait eu dans cette crise une collaboration, avec le gouvernement fédéral et avec le gouvernement de Montréal, où le Québec aurait pu être dans une position délicate. C'est vrai qu'il y a eu collaboration entre les trois niveaux de gouvernement et, comme l'a signalé le chef de l'Opposition, dans un régime fédéral, c'est quelque chose de normal. Quand le code pénal est de juridiction fédérale, c'est normal que les débats sur le code pénal se fassent au niveau fédéral.

Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, depuis le début de la crise, comment penser que, dans un régime où il n'y a pas de frontières, comme d'ailleurs le propose le parti qui veut la séparation du Québec, mais dans un marché commun, comment penser, que, dis-je, dans un régime où il n'y a pas de fron tières, il pourrait y avoir un droit pénal qui soit différent pour le Québec et ses voisins?

S'il n'y a pas de frontières, comment penser qu'il pourrait y avoir un innocent à Hull et un coupable à Ottawa?

Il est donc admis que ces mesures sont de juridiction fédérale et devaient être débattues par le Parlement fédéral. Tout ceci s'est fait en consultation étroite avec le procureur général et avec le gouvernement du Québec qui a fait des recommandations et des suggestions.

Pourquoi penser que chaque fois que l'on collabore avec le gouvernement fédéral, que chaque fois qu'il y a coopération, c'est nécessairement subordination? Ce sont seulement ceux qui ont ce complexe d'infériorité dont nous, les libéraux, nous voulons et nous avons réussi à nous débarrasser, qui pensent que collaborer avec le gouvernement fédéral, c'est de la subordination. C'est ce qu'il faut répondre à cette question. Nous avons coopéré, mais nous avons coopéré à l'intérieur du régime fédéral, en étant conscients que c'est le gouvernement du Québec, dans les circonstances, qui avait à prendre les décisions.

A la suite de l'enlèvement de M. Laporte, le gouvernement du Québec, selon toute évidence, était directement et personnellement impliqué. Le ministre de la Justice, au cours de son intervention, donnera les explications qu'a demandées le chef du Parti québécois et les autres chefs de partis sur l'enlèvement de M. Cross. J'étais, à ce moment-là, à l'extérieur du Québec et me tenais en constante communication avec lui. Les décisions qui ont été prises l'ont été avec l'accord du gouvernement du Québec.

Avec l'enlèvement de M. Laporte, il crève les yeux que nous devenions personnellement impliqués. Il était normal qu'il y ait des séances du conseil des ministres; il était normal que ces séances ne puissent pas décider, en quelques instants, d'une attitude à suivre. Avec les faits que vous connaissez, avec la lettre qui m'avait été adressée par l'ancien député de Chambly, il était normal que cette discussion soit aussi ouverte que possible. Même si cela prenait un certain temps, il crevait les yeux qu'il fallait que tous les ministres puissent exprimer leur point de vue, que les décisions prises soient des décisions unanimes, quand la vie d'un collègue était en jeu. Les décisions qui ont été prises ont été unanimes. Le ministre de la Justice l'a dit et je l'ai dit à plusieurs reprises. C'est un fait sur lequel j'insistais, que ces décisions soient prises d'une façon unanime.

Lorsque j'ai fait l'allocution, dimanche soir, il y avait deux objectifs: d'abord, insister sur la

question préalable, celle du sauf-conduit. En effet, nous considérions, je pense avec l'appui de tout le monde, que c'était une perte de temps de vouloir discuter des conditions si nous n'avions pas certaines garanties sur la vie sauve de MM. Cross et Laporte. C'était le premier objectif de mon allocution de dimanche soir. Le deuxième objectif était de ne pas écarter la négociation.

Si le gouvernement n'avait pas voulu négocier, il n'avait qu'à invoquer le communiqué du FLQ du lundi matin, au lendemain de mon allocution du dimanche soir, dans lequel on disait: "La libération de Pierre Laporte suppose le respect intégral des six conditions initiales du FLQ". Cela aurait été facile logiquement, si nous n'avions pas voulu négocier, de nous servir du communiqué du FLQ ou de la cellule Chénier qui détenait Pierre Laporte et de dire: II n'y a rien à faire avec ces gens-là puisqu'ils exigent le respect intégral des six conditions.

Quand même — et ça démontre notre détermination à discuter, à tout le moins, à négocier — nous avons nommé, lundi soir, M. Robert Demers comme représentant du gouvernement dans les négociations. Il y a eu plusieurs jours de discussions entre Me Demers et Me Lemieux. C'était pénible pour l'Etat et, je crois, pour tous les Québécois de voir, à la télévision, l'Etat ridiculisé par Me Robert Lemieux. Plusieurs fois par jour, il humiliait l'Etat du Québec. Nous avons accepté, nous avons toléré ça parce que nous voulions sauver la vie de Pierre Laporte. C'est ça la preuve du gouvernement du Québec qui tenait à sauver cette vie. Mais, lorsque nous nous sommes rendu compte que cette négociation ne donnerait rien et qu'elle était incohérente, dans ce sens que M. Lemieux disait une chose à Me Robert Demers et en disait une autre à la télévision, nous avons dû tirer nos propres conclusions devant l'incohérence du représentant du Front de libération du Québec.

On a parlé tantôt de la convocation du Parlement, de la panique et de l'énervement des dirigeants du Québec. Si nous avions été si pris de panique, M. le Président, si nous n'avions pas réagi froidement à ces événements, nous n'aurions pas convoqué le Parlement le 15 octobre. Nous n'aurions pas fait adopter trois lois pour respecter l'engagement de mettre l'assurance-maladie en vigueur le 1er novembre. Nous avions les meilleures excuses pour retarder cette mise en vigueur, mais nous étions conscients qu'il fallait respecter cet engagement.

Le député de Bourget, le chef parlementaire du Parti québécois, a dit que nous aurions dû tenir un débat à ce moment-là. J'en ai discuté, je l'ai dit hier, avec les chefs de parti, lorsque je leur ai fait part du communiqué que je leur ai remis à huit heures, dans la soirée de jeudi.

La majorité des chefs de parti, le chef de l'Opposition, le chef du Ralliement créditiste — je comprends que le chef du Parti québécois avait des réserves — ont convenu qu'un tel dé- bat, dans les circonstances, pourrait plus nuire qu'aider parce que nous étions, nous, dans ce Parlement, personnellement impliqués. On a constaté hier et aujourd'hui l'utilité limitée des débats parlementaires. Et c'est pourquoi nous sommes venus à la conclusion de ne pas faire de débat d'urgence sur cette question.

L'appel à l'armée, M. le Président; si nous en avons appelé à l'armée jeudi après-midi, c'est parce que nous étions conscients que c'était notre première responsabilité de ne pas retarder davantage. Qui nous aurait blàmés, et avec combien de raisons, s'il y avait eu un autre enlèvement? S'il y avait eu des émeutes à Montréal comme il y en a déjà eu depuis quelques années? Avec combien de raisons la population aurait pu nous blàmer d'une attitude d'abstention. Nous avons attendu jusqu'à l'extrême limite pour éviter tout geste de provocation. Et lorsque nous avons fait appel à l'armée, nous l'avons justifié simplement par l'épuisement des forces policières.

C'est le député de Bourget qui posait une question et qui disait: Pourquoi n'avez-vous pas vu à la protection des ministres ou des hommes publics? Mais il y a une contradiction dans son attitude. Il s'oppose, d'un côté, à l'appel à l'armée et, d'autre part, il nous reproche de ne pas avoir assuré la protection des hommes publics, alors qu'il était essentiel d'avoir l'appui de l'armée pour assurer cette protection. C'est l'une des nombreuses contradictions ou illogismes dans l'exposé qu'il nous a servi et qui nous a été servi par les dirigeants du Parti québécois. Comment voulez-vous qu'on prenne au sérieux les reproches qu'ils font lorsqu'ils s'adonnent à de telles contradictions?

M. le Président, nous avons restreint délibérément les fouilles policières au risque de causer des préjudices à des individus. Nous l'avons fait, encore une fois, en même temps que retarder l'appel de l'armée, pour éviter toute espèce de provocation vis-à-vis de ceux qui détenaient M. Laporte et M. Cross. Mais, il est venu un moment où le gouvernement devait agir. Il est venu un moment où le gouvernement ne pouvait plus attendre pour les raisons que je vais vous donner et, à ce moment-là, une offre définitive a été faite aux membres du Front de libération du Québec. Une offre définitive qui était différente de celle qui a été faite samedi soir, c'est-à-dire que nous étions prêts à recommander la libération conditionnelle de cinq prisonniers qui étaient éligibles pour cette libération.

Est-ce que nous voulons la preuve que c'est le Québec qui a décidé dans les circonstances?

Si nous avions voulu libérer onze prisonniers au lieu de cinq, le gouvernement n'aurait eu qu'à invoquer une procédure que les avocats de cette Chambre vont reconnaître et qui s'appelle "nolle prosequi" et qui aurait permis à six autres prévenus d'être libérés et de pouvoir se rendre avec les sauf-conduits en Algérie ou à

Cuba. Le gouvernement du Québec pouvait totalement et exclusivement prendre cette décision. Il y a là un fait concret, un fait que personne ne peut contester et qui démontre que nous avions la possibilité, nous, au Québec et seulement au Québec, d'aller plus loin dans la voie des concessions au terrorisme, dans la voie de la soumission au chantage des terroristes. Le gouvernement du Québec pouvait le faire sans demander la permission à qui que ce soit. Il n'a pas voulu le faire pour les raisons que je vous donnerai tantôt.

Quant au temps, pourquoi avoir pris cette décision jeudi soir?

Cela durait depuis quatre jours. Nous avions testé la bonne foi, ou la représentativité du négociateur du FLQ. Il y avait eu, en début de matinée, des manifestations. Cela a bien tourné, finalement. Mais qu'est-ce qui aurait pu arriver avec toutes ces manifestations? Ce ne sont pas les précédents qui manquaient au Québec sur la possibilité d'émeutes à la suite de ces manifestations, surtout dans le climat de fièvre que nous connaissions. Cela a été un élément à notre décision, la responsabilité que nous avions à prendre vis-à-vis des risques accrus d'anarchie. C'est facile de dire après: II n'est rien arrivé. Mais il n'est peut-être rien arrivé parce que le gouvernement a décidé d'agir. Il n'est peut-être rien arrivé parce que le gouvernement a décidé d'appeler l'armée au milieu de l'après-midi. C'est peut-être là une des raisons principales qui justifie l'action du gouvernement.

Troisième raison, M. le Président, pour notre décision dans la nuit de jeudi et dans la soirée de mercredi soir, dont quatre jours de négociations, manifestations de la journée. Combien de temps devions-nous forcer les forces policières à travailler une main derrière le dos? Cela faisait des jours et des jours que normalement elles s'apprêtaient à exercer les pouvoirs nécessaires dans les circonstances pour faire face à une forme de terrorisme sans précédent en Amérique du Nord. C'est le gouvernement du Québec qui les retardait, qui restreignait, par tous les moyens possibles, encore une fois, pour éviter tout signe de provocation. Ces raisons, M. le Président, ajoutées à d'autres qui sont déjà connues, le plan qui avait été rendu public par M. Saulnier en quatre étapes: manifestations violentes, bombes, enlèvements, assassinats sélectifs. C'est vrai que certains ont été sceptiques. M. Saulnier l'a admis lui-même que plusieurs Québécois ne pouvaient pas concevoir qu'un tel plan puisse être appliqué au Québec, par des Québécois, avec la liberté d'expression que nous connaissons, alors que nous sommes l'un des seuls pays au monde, dans l'histoire du monde qui permet la liberté complète d'expression à un parti qui veut détruire le régime. C'est un fait que nous sommes l'un des seuls pays, dans l'histoire du monde, qui permet à un parti, librement, avec tous les moyens qu'il possède, de détruire ce régime. On ne pouvait pas concevoir qu'on puisse recourir à des moyens violents, à des moyens terroristes.

Mais là, M. le Président, nous avions trois étapes qui étaient accomplies. Nous avons eu des manifestations violentes. Nous avons eu des bombes.

Nous venions d'avoir des enlèvements. Quelle pouvait être la position du gouvernement du Québec; quelle pouvait être la position rationnelle, la position responsable du gouvernement du Québec, dans les circonstances? Se croiser les bras? Attendre d'autres enlèvements? Attendre des assassinats sélectifs? Notre responsabilité essentielle, notre responsabilité première, il aurait été impardonnable de ne pas l'assumer dans les circonstances. M. le Président, quant au temps, vous avez là des raisons qui justifient, à mon sens, l'action du gouvernement.

Je n'ai pas insisté, je crois, sur la demande de l'application des mesures de guerre. Le chef de l'Opposition l'a démontré lui-même. Je ne vais pas répéter tout ce qu'il a dit. C'était le seul moyen disponible. Ou nous ne faisions rien, ou nous avions ce moyen, qui était le seul disponible. Et comme il l'a dit, la preuve que c'était le seul disponible, c'est qu'actuellement, on a un autre projet de loi pour remplacer ce moyen. D'ailleurs, dans son application, il a été limité quant au pouvoir d'arrestation, au pouvoir de perquisition et de détention préventive. Il ne s'est pas appliqué à d'autres secteurs, comme il aurait pu s'appliquer. Nous avons considéré, M. le Président, les différents moyens que nous pouvions prendre et nous en sommes venus à la conclusion que c'était le seul et que les forces policières en avaient besoin pour mettre un frein à la menace du terrorisme qui planait sur le Québec.

Quant au fond, M. le Président, quand nous avons refusé d'opter pour la libération des prisonniers politiques, que ce soient les onze qui étaient sous la juridiction du Québec ou que ce soient les 23 que nous aurions pu demander au gouvernement fédéral de libérer, nous avons examiné toutes les implications. Nous avons discuté avec des tenants de différentes thèses. Dans les communiqués que nous avons rendus publics et qui étaient la conclusion de longues discussions — je peux les répéter et les citer ici, mais je crois que tous les députés en sont informés — il est clair qu'il n'y a pas une once de provocation. C'est strictement, d'après les fait, le minimum qu'il fallait dire pour assumer nos responsabilités.

Si nous avions cédé, qu'est-ce qui serait arrivé? Je l'ai déjà dit, cela aurait été une incitation au terrorisme. On a dit cet après-midi: Pourquoi ne pas accepter les conditions et, après, écraser le terrorisme? C'est dit de bonne foi, mais c'est une bonne foi qui est proportionnelle à une naiveté. M. le Président, quelle garantie peut donner le Parti québécois qu'il n'y aurait pas eu d'autres enlèvements par la suite, qui nous auraient placés dans quelle

situation? Quelle garantie peut-il donner? En cédant, le gouvernement accroissait considérablement la tàche des forces policières d'écraser le terrorisme. Cela devenait une tàche extrêmement difficile parce que cela voulait dire, selon les informations qui nous étaient données et que nous avions toutes les raisons de croire, que des centaines et des centaines de terroristes en puissance auraient pu devenir des terroristes actifs parce qu'ils savaient alors qu'ils n'avaient qu'à enlever quelqu'un, que ce soit un homme public, un homme d'affaires, un membre de la famille des hommes publics — et on sait combien c'est difficile, on le sait tous, actuellement, d'avoir cette protection absolue vis-à-vis de tous les hommes publics, vis-à-vis des membres de nos familles — ils savaient, dis-je, qu'ils n'avaient qu'à enlever quelqu'un pour pouvoir forcer le gouvernement, à la lumière du précédent, à céder à nouveau, trente, quarante, cinquante prisonniers politiques.

C'est à ça que nous n'avons pas répondu. Ce ne sont pas les quelques généralités que nous a servies le Parti québécois qui peuvent convaincre la personne la moindrement impartiale du sérieux de ce problème. Ils sont dans un cercle vicieux, au point de vue logique: Cédez et, après, écrasez le terrorisme. Mais céder, cela voulait dire que ça devenait pratiquement impossible d'écraser le terrorisme, parce qu'on incitait un nombre considérable de terroristes en puissance à devenir des terroristes actifs et à faire chanter le gouvernement. J'espère que les collègues du chef parlementaire pourront répondre à cette question autrement que par les vagues généralités qui nous ont été servies cet après-midi.

On pourrait parler longuement des inconséquences d'une telle contradiction. Le Québec a opté pour le seul choix dans les circonstances, le seul choix qu'il pouvait accepter. Il l'a fait calmement et fermement, et c'est lui qui a décidé. La preuve en a été faite tantôt par les faits que je vous ai apportés, par les documents qui sont publics.

M. le Président, je me permettrai de répondre à certaines questions qui ont été posées, puisque j'ai attendu de participer à ce débat pour pouvoir me permettre de répondre à ces questions.

Le chef du Parti québécois, dans son allocution de cet après-midi, a posé une série de questions. Le député de Bourget dit: Par ailleurs, M. Trudeau a déclaré que, dès le jour de l'enlèvement, M. Bourassa lui a demandé de tenir l'armée prête et de préparer la remise en vigueur de la Loi des mesures de guerre, au cas où il en aurait besoin.

M. le Président, si je n'avais pas fait une telle chose, je me demande comment je pourrais assumer le poste que j'assume actuellement. Un diplomate avait été enlevé, un ministre du cabinet avait été enlevé. La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est la possibilité d'une plus grande détérioration de la situation. Je n'ai pas fait appel à l'armée samedi soir. Je n'ai pas fait appel aux mesures de guerre, samedi soir ou dimanche. Mais j'ai fait ce que je considérais comme normal dans les circonstances, c'est-à-dire communiquer avec le premier ministre du Canada, dont c'était la juridiction, de voir à ce que l'armée soit disponible, que l'application des mesures de guerre soit disponible.

Il aurait pu arriver, si nous avions retrouvé MM. Cross et Laporte dans les quelques heures qui ont suivi, que nous n'ayons jamais besoin ni de l'un, ni de l'autre. Mais je pense qu'il était normal, que c'était tout simplement une question de bon sens que le premier ministre du Québec, dans le but et dans l'intention de protéger la population au Québec, demande au premier ministre du Canada de tenir disponibles deux éléments, l'armée et les mesures de guerre, qui pouvaient contribuer à la solution. Qu'est-ce qu'il y a d'anormal dans cette question, d'autant plus que j'ai prouvé tantôt notre intention de négocier par la nomination de M. Demers et par les offres que nous avons faites?

Autre question, M. le Président. Quelle a été la teneur des négociations entre Me Lemieux et Me Demers? Ils se sont rencontrés à plusieurs reprises. Je crois que j'ai répondu partiellement à cette question tantôt. Ils ont discuté de différentes formules pour le sauf-conduit aux ravisseurs de M. Laporte et de M. Cross. Ils ont conclu, et le gouvernement a conclu, M. Demers a conclu, que cette négociation devait aboutir de la façon qu'elle a abouti, c'est-à-dire par le communiqué que nous avons soumis, puisque M. Lemieux disait une chose à Me Demers et en disait une autre à la télévision et que cela faisait quand même quatre jours que M. Laporte avait été enlevé.

Qu'est venu faire Me Lalonde, le conseiller spécial de M. Trudeau, à Québec le 16 octobre? Me Lalonde est à l'emploi du gouvernement du Canada; il n'est pas à l'emploi du Guatemala ou du Basutoland. Ne sommes-nous pas Canadiens, ne faisons-nous pas partie du Canada? Qu'y a-t-il d'anormal, alors qu'il y avait un partage de juridiction, à ce qu'un membre ou un conseiller du gouvernement fédéral soit présent au Québec? C'est beau de poser la question, mais qu'y a-t-il d'insolite alors que nous devions collaborer?

Autre question: Quelles pressions et contre-pressions ont exercées, à ce moment, sur le cabinet les corps de police, les gouvernements de Montréal et d'Ottawa et diverses personnalités du Québec?

Comme je l'ai dit au début, c'était une décision extrêmement lourde de conséquences. C'était peut-être la décision la plus lourde de conséquences qu'un gouvernement ait eu à prendre. Nous avons écouté les forces de police, nous avons discuté avec le gouvernement fédéral, avec les autorités de Montréal et avec les tenants de différentes thèses, mais c'est nous

qui avons décidé. C'est le gouvernement du Québec qui a pris la décision, parce que c'est seulement lui qui pouvait le faire dans les circonstances et parce que c'est lui qui était le plus directement impliqué, alors que la vie d'un collègue était en jeu.

Dans de telles circonstances, le chef du gouvernement ou ses ministres doivent-ils se tenir dans une tour d'ivoire? N'est-ce pas précisément le moment où nous devons être prêts à dialoguer sans que nos décisions soient influencées d'une façon indue par ceux avec qui nous dialoguons? C'est ce que nous avons fait. Nous avons discuté avec d'autres niveaux de gouvernement. Nous nous sommes fait donner des rapports par les directeurs de police qui avaient eu à combattre, depuis de très nombreuses années. Nous avons pris la décision qui nous est apparue la plus conforme à l'intérêt public, à l'intérêt des Québécois, en tenant compte qu'il fallait, par tous les moyens légitimes, sauver la vie de MM. Cross et Laporte, sans ouvrir la voie à l'anarchie, parce que c'est nous qui aurions été considérés comme les responsables.

On pose d'autres questions: Quel a été l'effet sur le cabinet de la perte de la trace de Paul Rose? Evidemment, c'est une question qui relève des forces policières. Nous n'étions pas au courant des moindres détails des actions des forces policières, mais nous avons pris les décisions à la lumière de toutes les informations qui nous avaient été soumises et par les forces policières et par d'autres personnes qui pouvaient nous informer en connaissance de cause.

M. LEGER: Puis-je poser une question au premier ministre?

M. BOURASSA: Oui.

M. LEGER: Vous avez dit, M. le premier ministre, que c'est le gouvernement provincial qui a pris la décision, même après avoir été consulté par la ville de Montréal et les autres personnes. Comment se fait-il que la ville de Montréal ait envoyé sa lettre la veille de celle du gouvernement de la province de Québec?

M. BOURASSA: Vous avez déjà posé cette question-là et j'étais pour y venir durant la période des questions. Il est évident que c'est l'action du gouvernement du Québec qui était déterminante. La ville de Montréal ou d'autres villes de la province de Québec ou d'autres institutions pouvaient envoyer des lettres au gouvernement fédéral — d'ailleurs, il en a reçu un nombre considérable — mais c'est lorsque le gouvernement du Québec a décidé de mettre fin aux négociations.

C'est lorsque le gouvernement du Québec a décidé de fixer un délai de six heures, c'est après le terme de ce délai que les mesures de guerre ont été adoptées. C'est là la preuve que c'est nous qui avions l'action déterminante, puisque c'est seulement au terme du délai, après trois heures — de neuf heures à trois heures — que l'action du gouvernement fédéral a été entreprise. Je l'ai dit à plusieurs reprises: Si les ravisseurs de M. Laporte avaient accepté nos offres de sauf-conduits, d'avion disponible, de libération conditionnelle pour les cinq détenus, la Loi des mesures de guerre n'aurait pas été appliquée; peut-être aurait-il fallu l'appliquer à brève échéance, mais elle n'aurait pas été appliquée à quatre heures du matin, après le terme du délai.

Pour répondre d'une façon précise à votre question, le fait que la Loi des mesures de guerre n'a été appliquée qu'après le terme du délai fixé par le gouvernement du Québec est la preuve que c'est nous qui avions le dernier mot dans les circonstances.

M. LAURIN: Est-ce que je peux poser une question au premier ministre?

M. BOURASSA: Oui.

M. LAURIN: Etiez-vous au courant, M. le premier ministre, que cette lettre de MM. Drapeau et Saulnier était envoyée à Ottawa, et, si oui, quand avez-vous été mis au courant?

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai discuté, durant la journée de mercredi, à quelques reprises, avec MM. Saulnier et Drapeau. Je n'ai pas été informé, comme tel, qu'une lettre serait envoyée. De toute façon, si j'avais été informé, je ne vois pas en quoi cela aurait changé ma décision. Je ne vois pas en quoi le fait qu'une lettre soit envoyée au gouvernement fédéral par la ville de Montréal, ou par la ville de Québec, ou par d'autres institutions, aurait pu forcer le gouvernement du Québec à modifier son point de vue. C'est lorsque nous nous sommes convaincus que c'était essentiel, que nous ne pouvions plus attendre, à la lumière de tous les faits que j'ai énumérés, que nous avons émis ce communiqué dont je vous ai fait part dans la soirée de mercredi ou jeudi, à la lumière des faits et des raisons quant au temps et quant au fond.

C'est seulement après avoir examiné toutes ces raisons que nous avons décidé d'émettre ce communiqué, quelles que soient les lettres ou les représentations qui pouvaient être faites par les autres institutions ou les autres gouvernements. Comme je viens de le dire au député de Lafontaine, le fait que la Loi sur des mesures de guerre n'ait été appliquée qu'à quatre heures dans la nuit de jeudi à vendredi, c'est tout simplement que le gouvernement du Québec, voyant que le délai était terminé, voyant que les ravisseurs n'avaient pas accepté, n'avait pas d'autre choix que l'augmentation de pouvoirs des forces policières, qui étaient plus ou moins paralysées depuis le début de la crise.

Une autre question du député de Bourget, M. le Président: Pourquoi l'armée est-elle entrée au Québec le jeudi midi? J'ai répondu partiellement tantôt. Je pense que cela répondait d'abord à un voeu de toute la population. La liberté était bien plus menacée avant la venue de l'armée qu'après, quand on ne savait jamais si l'un d'entre nous ou un citoyen du Québec ne pouvait pas être enlevé. C'est avant la venue de l'armée que la liberté était le plus menacée. J'ai mal compris l'opposition du Parti québécois à la venue de l'armée dans les circonstances.

Pourquoi je l'ai fait venir jeudi midi? Parce que j'ai eu un rapport des forces policières comme quoi elles étaient, à toutes fins pratiques, épuisées, complètement essoufflées et que, si je voulais assurer la sécurité et le bien-être de la population, je n'avais pas d'autre choix que de faire appel à l'armée. Les directeurs de police nous disaient: Nous sommes épuisés de faire la garde jour et nuit. Je pourrais poser une question facile au Parti québécois: Pourquoi vous êtes-vous opposés à la venue de l'armée, jeudi midi? C'est bien plus à vous de répondre qu'au gouvernement.

M. LAURIN: Le premier ministre me pose...

M. BOURASSA: M. le Président, le député peut répondre, s'il le veut, immédiatement, ou d'autres de ses collègues pourront répondre.

M. LAURIN: C'est qu'au moment où l'armée est intervenue, nous n'avions pas eu cette conversation dans votre bureau où vous m'informiez de ce que vous disiez ce soir, où la police était épuisée. Dans les circonstances, j'avais parfaitement raison de penser que l'intervention de l'armée pouvait avoir un effet de crainte sur la population, que la situation était extrêmement grave, que ça pouvait paraître comme une provocation.

Bien sûr, si, à cette époque...

M. BOURASSA: M. le Président, écoutez ça! Nous pourrions débattre cette question longtemps, ce n'est pas le point le plus solide du Parti québécois.

M. LEGER: M. le Président, est-ce que M. le premier ministre me permet une question à ce stade-ci?

DES VOIX: A l'ordre!

M. BOURASSA: M. le Président, oui.

M. LEGER: Voici, c'est parce que, M. le premier ministre, nous sommes un peu d'accord avec ce que vous avez déjà dit. Vous avez déjà dit que le gouvernement qui doit faire intervenir les forces de l'ordre admet justement qu'il a perdu la partie. C'est dans votre livre, Bourassa-Québec.

DES VOIX: A l'ordre!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Si je comprends bien, le député de Lafontaine a demandé la permission au premier ministre de poser une question. Je m'attends à une question, mais pas à une intervention. Vous aurez l'occasion, durant la soirée ou demain, d'intervenir dans le débat.

M. LEGER: Ma question est la suivante: Est-ce que le premier ministre est encore d'accord avec ce qu'il a déclaré dans son livre, Bourassa-Québec?

M. LACROIX: II a reçu ses instructions de son chef encore une fois.

UNE VOIX: De son complice.

M. BOURASSA: M. le Président, pour répondre au député de Bourget, il était au courant que, dans des hôpitaux, la situation était devenue extrêmement critique. Il était au courant — tout le monde l'était — qu'il y avait des communiqués qui disaient que des médecins pouvaient être enlevés et que les médecins refusaient d'aller dans les hôpitaux à cause de cela. Il y avait au Québec un climat de crainte et d'insécurité qui, disons, causait des problèmes considérables de surveillance. Le député de Bourget n'était pas au courant de cela, alors que c'était public pour tout le monde? Alors, ça pouvait, je pense, normalement se concevoir. D'ailleurs, le député de Bourget, durant le débat à l'Assemblée nationale, a été extrêmement prudent dans ses réserves. C'est dans une conférence de presse après l'interruption du débat qu'il a décidé... De toute façon, M. le Président, s'il y a une décision qui a été acceptée et qui était justifiée dans les circonstances, c'est bien celle de faire appel à l'armée alors qu'il y avait ce climat d'insécurité qui paralysait l'administration de plusieurs institutions publiques.

Voilà donc pour la réponse, pourquoi l'armée le jeudi midi. Pourquoi l'offre finale avec ultimatun de six heures a-t-elle été faite le jeudi soir? J'ai déjà répondu à cette question, ça faisait quatre jours... On a posé une question: Pourquoi ne pas la rendre publique? Pourquoi ne pas dire à la Chambre, à neuf heures du soir, que, dans la nuit, la Loi sur les mesures de guerre aurait été appliquée? Qui est-ce qu'on aurait trouvé lors des perquisitions et des arrestations? Je n'ai pas voulu blesser le député en disant hier qu'il faisait preuve d'une stupéfiante naiveté, mais, M. le Président. Est-ce qu'on peut concevoir une action efficace des forces policières avec un avertissement public aux recherchés qui vont être arrêtés? Comment voulez-vous que les forces policières puissent faire leur travail, si on dit à ceux qu'elles recherchent: Préparez-vous, cette nuit, ça va arriver?

M. le Président, c'est renversant! Quelle question, M. le Président! On va continuer à répondre quand même à ces questions-là, parce que j'ai dit que je répondrais à toutes les questions, même les plus invraisemblables.

Pourquoi l'offre ne mentionnait-elle que les cinq prisonniers éligibles à la libération conditionnelle? M. le Président, je crois que j'ai répondu tantôt. Si le député de Bourget n'est pas satisfait, il peut me questionner encore. Mais j'ai dit que le gouvernement, après des discussions qui ont été longues, mais c'était normal, pour que tous les ministres puissent donner leur point de vue, que l'on puisse réfléchir sur cette question. Nous en sommes venus à la conclusion que nous ne pouvions pas céder plus que ce qui a été proposé au chantage des terroristes.

M. le Président, pourquoi la Loi sur les mesures de guerre a-t-elle été proclamée à Ottawa, à quatre heures du matin? Je crois que je viens de donner la réponse en répondant à une question du député de Saguenay.

Je ne sais pas s'il y aura d'autres questions qui seront posées. J'ai essayé d'y répondre en donnant strictement les faits et en disant tout ce qu'un chef de gouvernement peut dire dans les circonstances. S'il y a d'autres questions que l'on veut poser, je suis prêt à les recevoir. Je pense qu'il est essentiel pour mon gouvernement et pour le régime que je dise toute la vérité. Et j'ai dit toute la vérité. Je ne peux quand même pas donner des détails de l'action policière parce que je ne vois pas pourquoi je collaborerais avec les terroristes en donnant tous ces détails pour leur permettre de prévoir ce que les forces de police ont l'intention de faire. Le ministre de la Justice va participer au débat; il aura l'occasion, lui aussi, de répondre à certaines questions de nature juridique et aux autres questions qui pourront lui être posées.

M. PAUL: Est-ce que l'honorable premier ministre me permettrait une question? Je voudrais d'abord constater, peut-être, l'impossibilité dans laquelle se trouvera placé le premier ministre de ne pas répondre, non pas parce qu'il ne connaîtrait pas la réponse, mais peut-être qu'une abstention de réponse serait motivée par les opérations policières.

Il semblerait que Paul Rose aurait été retracé comme étant un individu qui aurait — je parle toujours au conditionnel— participé à l'enlèvement de Pierre Laporte. Est-ce que l'honorable premier ministre pourrait nous dire pourquoi la photographie de Paul Rose n'a pas été publiée le jeudi matin, mais seulement dans les journaux du lundi suivant? Je crois que si on pouvait apporter une réponse à cette question, on pourrait peut-être renseigner beaucoup de gens et faire taire, en quelque sorte, toutes sortes de discussions autour de ce problème.

M. BOURASSA: M. le Président, je devrais, pour répondre à la question extrêmement pertinente de l'ancien ministre de la Justice, donner des détails sur l'évolution de la recherche policière durant ces jours. Je pense que le ministre de la Justice, à l'occasion de son intervention, si ça lui est possible, pourra donner plus d'explications sur la question que vient de poser le député de Maskinongé.

M. le Président, la crise n'est pas encore terminée. Le gouvernement du Québec a essayé d'y faire face avec toute l'énergie et le courage qui étaient nécessaires dans les circonstances. A ceux qui craignent, ou qui souhaitent secrètement que le gouvernement ait été ébranlé par cette crise, je réponds que nous avons été, de fait, profondément bouleversés. Mais que, par ailleurs, nous sommes fermement déterminés à poursuivre notre tàche. Nous sommes bien conscients que diriger le Québec durant les années soixante était loin d'être facile. Tous les premiers ministres qui ont assumé ces responsabilités, on sait les risques personnels qu'ils ont dû assumer à tout point de vue.

Il est encore plus évident que diriger le Québec pendant les années soixante-dix ne sera pas, non plus, une tàche facile. Mais cette crise nous a donné, je crois, une capacité de résistance. Je ne crois pas qu'un gouvernement puisse connaître une crise plus profonde alors qu'un de ses propres représentants, alors qu'un de ses propres collègues se trouve personnellement impliqué.

M. le Président, nous sommes conscients que le pouvoir actuel est un peu exercé, comme je le disais lors de la prise du pouvoir, par une nouvelle génération. Ce fait peut être un apport positif dans la compréhension des tensions profondes de la société québécoise, tensions souvent reliées aux conflits de générations.

Une chose doit être claire, c'est que nous sommes décidés à agir avec toute l'énergie, avec toute la détermination nécessaire. A cet effet, je dois rendre hommage à mes collègues du conseil des ministres, aux députés de mon parti qui ont manifesté durant cette crise une solidarité totale. Que peut faire le gouvernement maintenant que la crise, sans être terminée, est, je l'espère, moins aiguë que durant les dernières semaines? H y a une action à deux niveaux. L'action policière, le ministre de la Justice en discutera. Mais je peux quand même dire que nous voulons prendre tous les moyens appropriés pour écraser le terrorisme parce que nous sommes tous conscients de ne pouvoir admettre qu'une poignée d'individus puissent faire chanter la population tout entière. Nous sommes également conscients qu'il faut respecter les libertés individuelles. Nous allons les respecter dans toute la mesure du possible et dans la mesure où le régime démocratique lui-même, qui est le fondement de notre civilisation, ne sera pas menacé.

La population peut être certaine d'une chose: nous ne jouerons pas avec sa sécurité. Dans

les circonstances et avec les exemples que nous avons sous les yeux, nous ne pouvons pas nous permettre de risquer le bien-être et la sécurité de la population. Mieux vaut un excès de prudence qu'un optimisme naïf qui peut nous conduire à ce que nous venons de connaître. Si l'Etat était le moindrement négligent, ceci voudrait dire que l'Etat est prêt à risquer qu'un petit groupe d'individus puisse imposer sa volonté à l'immense majorité de la population. Jamais la population n'accepterait que nous prenions un tel risque et nous n'avons pas l'intention de prendre un tel risque. Nous avons l'intention de prendre tous les moyens appropriés et légitimes pour respecter la volonté de la population.

Il est quand même évident, M. le Président, que l'action policière n'est pas la seule solution. Le gouvernement va poursuivre son oeuvre. Son souci de progrès social a été, je pense, prouvé. Il a été démontré de façon dramatique durant la dernière crise quand il a adopté, comme je l'ai dit tantôt, la Loi de l'assurance-maladie en plein milieu de la crise. Comment nous accuser de nous tourner vers la droite alors que nous avons adopté l'une des lois les plus progressistes de l'Amérique du Nord en matière de sécurité sociale? Une autre contradiction du Parti québécois.

M. le Président, il aurait été facile pour nous d'accepter l'offre de trêve qui avait été faite par les médecins spécialistes. Mais, c'est là un signe de notre volonté d'action, c'est là un signe que le gouvernement a gardé son sang-froid, c'est là une preuve que le gouvernement a gardé la tête en toute circonstance: avoir fait en sorte que cet engagement soit respecté pour le 1er novembre.

Nous n'avons pas de leçon à recevoir de qui que ce soit sur ce que nous avons à faire en matière de progrès social ou en matière culturelle. Qu'on trouve, dans n'importe quel gouvernement qui nous a précédés, autant d'actions concrètes en matière culturelle pour que le français devienne la langue de travail que ce que nous avons fait depuis six mois. Sur le plan économique, M. le Président — nous en sommes bien conscients— j'espère que, d'ici quelques jours, soit en fin de semaine ou dans les jours qui suivront, on sera en mesure d'annoncer des actions importantes pour réduire le chômage qui, comme nous le savons tous, est susceptible d'être élevé, étant donné la conjoncture nord-américaine. On a quand même, comme je l'ai dit cet après-midi, eu pour un demi-milliard de dollars de nouveaux investissements quelques semaines avant la crise.

Sur le plan constitutionnel, M. le Président, le mémoire que nous avons déposé à la dernière conférence constitutionnelle prolongeait, sauf pour des modalités — cela a été admis par des observateurs impartiaux — la ligne québécoise poursuivie depuis dix ans. Nous n'avons pas l'intention de déroger à cette ligne québécoise, parce que nous sommes conscients que le Canada ne peut vivre et survivre sans une personnalité québécoise. Pourquoi serions-nous handicapés par la dernière crise pour négocier avec le gouvernement fédéral? Pourquoi serions-nous entravés dans cette négociation? Parce que nous avons demandé l'armée? Parce que nous avons demandé la Loi sur les mesures de guerre? Mais, nous croyons, nous, dans le régime fédéral et c'était inhérent à un régime fédéral. A moins d'avoir ce complexe d'infériorité dont je parlais, je ne vois nullement pourquoi le chef du gouvernement du Québec pourrait être handicapé dans les négociations avec le gouverement fédéral. Nous avons l'intention de négocier d'une façon ferme, précise, sans dramatisation stérile, mais avec des résultats qui ont déjà commencé, d'ailleurs.

Au cours de l'été, j'ai eu l'occasion de rencontrer à de très nombreuses reprises les autorités fédérales. Pour les investissements de plusieurs centaines de millions de dollars dont j'ai parlé, il était important que la réforme fiscale soit annoncée dès le mois d'août. Au début, on nous a dit: C'est difficile d'annoncer une réforme fiscale dans le secteur minier. Le comité parlementaire des députés et le comité parlementaire du Sénat n'ont pas encore rendu leur décision. J'ai dit: Le gouvernement du Québec a besoin de ces investissements. Le gouvernement du Québec a besoin de cette réforme fiscale immédiatement, même si le gouvernement fédéral avait des raisons politiques de la retarder. Quel point de vue a prévalu, si ce n'est celui du gouvernement du Québec? C'est cela quand on négocie sans ultimatum, sans mélodrame et qu'on arrive avec des bons arguments!

M. le Président, il y a également la question de la réforme électorale. J'en ai parlé dès le soir de l'élection. Nous sommes prêts à poursuivre cette réforme électorale. Nous sommes prêts à améliorer le régime électoral.

Nous avons eu quelques réunions. Nous en aurons d'autres sur la carte électorale, que nous sommes prêts à discuter, sur le mode de scrutin, sur la loi électorale. Une avait été présentée par l'ancien gouvernement. Mais je pense, M. le Président, que le Parti libéral, dans les circonstances, a peut-être été celui qui fut le plus victime d'un manque de réforme électorale. Le Parti québécois crie depuis le 29 avril, en disant: Si ça ne change pas, il peut y avoir des bombes, qu'ils ont sept députés avec 23 p. c. des voix. Nous en avons eu, nous, huit, avec 48 p. c. et nous n'avons jamais menacé les Québécois de bombes.

M. LAURIN: M. le Président, est-ce que je pourrais poser une question au premier ministre?

Est-ce que le premier ministre pourrait sortir une déclaration du chef parlementaire du Parti québécois à l'effet qu'il y aurait des bombes de

lancées s'il n'y avait pas une réforme électorale?

DES VOIX: Le vrai chef du parti l'a répété. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. CHOQUETTE: On vous répondra à l'élection partielle.

M. BOURASSA: M. le Président, le député de Bourget ferait bien de se référer au chef du Parti québécois, dans les circonstances, il n'a qu'à relire les éditoriaux que fait le chef du Parti québécois...

M. LAURIN: Est-ce que le premier ministre pourrait les lire?

M. BOURASSA: Ce n'est quand même pas un fait inconnu. Je ne dis pas et je n'ai pas dit que le chef du Parti québécois veut inciter les gens à poser des bombes s'il n'y a pas de réforme électorale, mais il a dit quand même — comme on dit en anglais, il fait du "break-manship" de plus en plus — que le fait qu'il n'y ait pas de réforme électorale pouvait expliquer la situation. Je vous dis, moi, ce qu'on a payé, comme parti...

M. LAURIN: II y a une grosse différence entre dire ça et dire qu'on va lancer des bombes.

DES VOIX: Assis. Assis.

M. BOURASSA: ... à cause de l'absence d'une réforme électorale. M. le Président, je pourrais réfuter, phrase par phrase, le discours qui a été prononcé. On me soumet ceci, du mercredi 18 février 1970: "Lévesque prédit une vague de violence sans précédent si la population adulte ne change pas de système politique".

DES VOIX: Ah! Ah!

M. LEGER: II n'est pas question de bombes là-dedans.

M. BOURASSA: Comment penser que ce sont les réformes que nous pouvons apporter qui pourront empêcher les actes de terrorisme que nous avons connus? Comment blàmer le régime actuel ou n'importe quel gouvernement? Comment penser, quelles que soient les mesures sociales, quelles que soient les mesures économiques, les mesures culturelles que, subitement, les Paul Rose, les Bernard Lortie et les autres cesseraient leurs activités? Mais est-ce qu'on peut penser ça le moindrement sérieusement? Tout ce qu'on pourra faire, ce sera pour eux des miettes, de maigres miettes, et c'est pourquoi nous n'avons pas l'intention de laisser édicter notre politique par un bande d'assassins.

Ce sont les représentants élus du Québec qui vont déterminer et élaborer la politique. Ce n'est personne d'autres!

M. le Président, on m'a reproché, dans quelques milieux, un certain mutisme, de même qu'au gouvernement québécois.

J'éviterai de vous citer toute une série d'allocutions, de conférences de presse, d'interviews à la radio et à la télévision depuis le début de la crise.

En conclusion, comme leçon de cette crise, il est peut-être opportun de réexaminer l'usage de la liberté. Ce n'est nullement l'intention du gouvernement de la limiter. Comme parti, nous l'avons prouvé. Nous sommes trop attachés à la liberté d'expression pour vouloir la limiter. Les interviews que je donnais à certains journalistes de l'extérieur révélaient jusqu'à quel point la liberté d'expression au Québec était quasi illimitée, quand les chefs de gouvernement se font traiter de chiens par les journaux. Dans combien d'autres pays civilisés serait-on emprisonné pour cela? C'est permis au Québec. On y a une liberté d'expression sans limite, mais il est peut-être temps de réexaminer cette liberté, ou du moins son usage; de réexaminer également les dangers inhérents à la violence verbale dans l'analyse et dans la recherche des solutions, dans l'élaboration des solutions. On doit tenir compte — nous en tenons compte, parce que nous ne sommes pas tellement éloignés des jeunes générations —que les jeunes générations n'ont pas la même perception de la violence que les générations mûres, que pour certains jeunes la violence peut être un moyen moins condamnable que pour des générations plus mûres. Nous devons tenir compte dans l'élaboration des solutions de cette forme de conflit de générations et nous sommes, je pense, bien préparés nous pour comprendre cela.

En terminant, je veux assurer la population du Québec et tous les députés que le gouvernement actuel a l'intention de poursuivre son travail, quels que soient les risques que cela comporte, parce que ce n'est pas seulement un parti qui est en cause, ce n'est pas seulement un gouvernement qui est en cause, ce n'est pas seulement un régime qui est en cause: fédéral, semi-fédéral ou non fédéral. Ce qui est en cause, c'est le fondement même de notre civilisation, le libre choix des citoyens de réaliser leurs objectifs.

C'est parce que, dans cette lutte au terrorisme, dans cette poursuite des objectifs qui sont communs à tous, nous sommes convaincus de représenter plus qu'un parti, un gouvernement ou un régime que nous sommes persuadés d'avoir l'appui de toute la population et d'avoir cette solidarité si essentielle à la réalisation d'un tel objectif. Cette solidarité, nous l'avons eue jusqu'à maintenant. J'éviterai de vous parler des milliers de lettres que le chef du gouvernement du Québec a reçues à l'appui de son action et de tous les sondages qui ont été tenus et qui révèlent jusqu'à quel point il y a eu unanimité

dans la population vis-à-vis de l'action du gouvernement, comme rarement on l'a vu dans le passé. C'est parce que le bon sens des Québécois, la lucidité des Québécois prévaut réellement une fois de plus, et c'est ce qui sera le principal moteur de notre action.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Bellechasse

M. Gabriel Loubier

M. LOUBIER: M. le Président, mes premières paroles seront tout d'abord pour féliciter le leader parlementaire de l'Opposition, qui a présenté cette motion avec une sérénité et une dialectique que personne ne pouvait réfuter. En second lieu, le premier ministre a signalé tout à l'heure que le chef de l'Opposition avait prononcé un discours empreint de modération, de logique et, en même temps, d'une vision extrêmement humaine de la situation actuelle, tout en faisant une rétrospective des causes qui font qu'aujourd'hui nous traversons une période de crise que déplorent tous les citoyens du Québec qui ont à Coeur les intérêts supérieurs de la nation.

Le chef de l'Opposition a signalé, à un moment donné, que, quand le salut de l'Etat était en péril, quand le peuple vivait dans le désarroi le plus total et quand tout semblait s'écrouler autour de nous, il ne fallait plus avoir un esprit de partisanerie politique, il ne fallait plus être mesquin, mais qu'il fallait, à ce moment-là, regarder les problèmes d'une façon absolument logique, rationnelle et humanitaire. A ce moment-là, en effet, nous réalisons que c'est l'àme même de la nation qui est en danger et qui est compromise d'une façon sérieuse. Je pense que les propos du député de Missisquoi ont été de nature, dans cette Chambre, à rétablir un certain équilibre entre les deux extrêmes.

Il y a, d'une part, ceux qui prétendent à un moment donné qu'il faut régler une situation de crise par des moyens assez brutaux. Sans aucune malice, je rapporterai des propos disant qu'il fallait mettre au poteau d'exécution tous ceux qui avaient participé d'une façon directe ou indirecte aux enlèvements, à cette tragédie de Cross et Laporte.

Il y a, d'autre part, d'autres extrémistes, que je situerais à l'extrême gauche. Entre autres, je me rappelle les propos tenus par un député en cette Chambre, durant les débats sur l'assurance-maladie. Il faisait un rapprochement entre le sadisme ou le terrorisme des gens du FLQ et celui, prétendument, des médecins qui, depuis X années exploitaient d'une façon crapuleuse et honteuse non seulement la santé mais la situation financière des Québécois.

Je pense que les propos tenus par l'Opposition officielle, par la voix du député de Missisquoi et également par le leader parlementaire, sont de nature à assurer cette Chambre qu'il y a encore place pour la mesure, pour l'équilibre et qu'il y a encore place dans le Québec pour le bon sens. Je pense qu'il n'y a rien de plus mauvais pour qui que ce soit d'être conseillé par l'indignation, la colère ou la partisanerie politique à outrance.

M. le Président, nous rêvons tous, dans le Québec, d'une société très juste. Nous voulons tous qu'il n'y ait ni pauvre, ni riche au Québec, mais nous devons être, tout de même réalistes. Nous n'avons qu'à regarder ce qui se passe autour de nous. Aux Etats-Unis, par exemple, 28 p. c. de la population américaine vit dans un état de pauvreté absolument condamnable et 71 p. c. de la population cubaine vit également dans un état de pauvreté tel que l'on sent... Peu importe la philosophie politique qui préside à l'administration sociale et culturelle dans quelque pays que ce soit, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas de solution miracle et qu'il n'y a pas non plus dans le monde de thaumaturges politiques qui font que, du jour au lendemain, par une baguette magique on pourrait redresser tous les torts, toutes les injustices dans la société.

C'est avec infiniment de respect que j'ai écouté les discours prononcés par le député de Rouyn-Noranda et par le député de Bourget. Ils ont des approches très différentes aux problèmes. On s'est rendu compte qu'ils se situaient aux antipodes et je pense qu'il faudrait, dans cette Chambre, et je le dis d'une façon très sincère, enlever chacun nos masques et devenir vrais, devenir absolument véritables vis-à-vis des problèmes qui confrontent notre nation, surtout dans cette période de crise.

J'ai également écouté avec intérêt le discours du premier ministre. Je lui prête la même honnêteté, la même bonne foi que je prête aux deux chefs de parti, Ralliement des créditistes et PQ, qui ont parlé avant le premier ministre.

Mais, il y a, dans cette crise, des points d'interrogation sur notre société, sur nos structures et également sur l'attitude qu'ont certains étudiants, certains professeurs et certains chefs syndicaux. Nous sommes tous d'accord pour affirmer que le terrorisme en soi est ignoble dans ses causes et surtout dans ses effets. Nous sommes tous d'accord, sauf quand nous étudions le régime de vie condamnable et inacceptable dans lequel sont plongées des populations qui sont dans une pauvreté abjecte avec le consentement des gouvernements ou parce que les derniers entretiennent sciemment cet état de choses pour mieux contrôler les esprits et pour favoriser les aspirations mesquines de leurs chefs.

Après la disparition tragique d'un homme que nous avons tous respecté, que nous avons tous aimé et qui était un ami même pour ses adversaires parce qu'il savait être honnête, parce qu'il savait se battre d'une façon très sincère pour les intérêts du Québec, nous sommes tous traumatisés par l'assassinat de Pierre Laporte.

Il me semble qu'on aurait pu éviter, dans les circonstances, la disparition d'un homme aussi valable pour le Québec. Cependant, il importe de s'interroger individuellement et collectivement sur les raisons qui ont fait que moralement ce petit groupe de révolutionnaires, de manipulateurs de bombes et de propagandistes de la terreur, ont eu un certain appui avant les événements spectaculaires et tragiques que nous avons vécus, pendant ces événements et après ces événements.

Il y a lieu, je pense, que les différents partis politiques, les corps intermédiaires, le clergé et tous ceux qui représentent un dénominateur commun dans notre société fassent un examen de conscience et s'interrogent sur les causes et, en même temps, sachant tirer des leçons sur les effets produits dernièrement.

M. le Président, pour ma part, je trouve que la décision du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial d'utiliser la Loi des mesures de guerre était bien fondée. Je trouve que, dans les circonstances, — et je le dis au-dessus de toute considération partisane — c'était le seul mécanisme à la disposition du gouvernement pour rassurer le grand public et faire en sorte que, dans le Québec, on sache que l'autorité, on sache que les valeurs fondamentales de tous les citoyens sont protégées et sauvegardées non pas par une poignée de bandits politiques et de bandits à l'endroit de la nation, mais que le gouvernement sait prendre, à ce moment-là, ses responsabilités et utiliser le mécanisme juridique qui est à sa disposition.

Je pense cependant, que si l'on doit, individuellement et collectivement, faire un examen de conscience, il ne faut pas non plus continuer à tolérer, dans le Québec, des gens qui sont de beaux parleurs, qui savent par des images, capter l'attention des petits et qui savent, à ce moment-là, canaliser d'une façon extrêmement démagogique les passions du petit peuple en offrant des solutions miracles du jour au lendemain et en disant : Moi seul je peux assurer le salut, la prospérité et la sécurité.

Je lisais ce soir dans la Presse 1'éditorial signé par Jean Pellerin, qui rapportait les propos tenus depuis un certain temps par un homme qui emploie un langage de dynamite, de mitraillette.

Par ses propos, il a peut-être tué plus de cerveaux que n'importe quel terroriste au Québec aurait pu le faire en enlevant la vie à certains individus. Je cite textuellement: "Le chef souverainiste a tenu à ce congrès des propos à ce point violents, il a employé des adjectifs à ce point outranciers et fielleux que les journalistes et les commentateurs seraient en droit de se demander, dans les circonstances, s'il n'y a pas lieu de tirer le manteau de Noé sur cette pièce d'éloquence marquée au coin de la démesure, pour ne pas dire de l'hystérie."

Je pourrais citer, M. le Président, une foule de reportages où l'on se rend compte qu'on utilise sciemment ou non, des propos aussi violents, aussi virulents. Ils ont pour cible l'autorité, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse d'un gouvernement libéral, d'un gouvernement péquiste ou d'un gouvernement créditiste, quelle que soit l'étiquette ou la philosophie politique du gouvernement. Ces propos sont tellement violents que toutes les classes de la société ne savent plus, à ce moment-là, si elles ont affaire à un prophète ou à un individu dont les écarts de langage et l'hystérie verbale conduisent à cet état de chaos. Comme le disait le chef de l'Opposition, les mots, les paroles, ou les discours peuvent conduire aussi rapidement au chaos et à l'anarchie que les actes irraisonnés et, souventefois, aveuglément passionnés posés par des illuminés qui veulent changer la société selon leur propre conception, mais on ne sait, à ce moment-là, pour quels intérêts particuliers.

M. le Président, au cours de cette crise, nous avons tenté, dans les différents partis politiques...

Pour notre part, notre groupement, à l'invitation du chef, mais pas une invitation forcée ou commandée, mais après réflexion, a tenté, par son silence non pas de cautionner toutes les attitudes du gouvernement dans ses moindres détails, mais d'avoir au moins une conscience nationale et un patriotisme qui nous a empêché d'essayer de canaliser tout cela sur le plan de l'électoralisme ou encore de faire en sorte d'en tirer un certain profit en tentant de diminuer davantage le gouvernement. Parce que la sécurité de l'Etat était en péril, parce que nous avions conscience que c'était une crise extraordinaire et que c'étaient des précédents qu'avaient connus d'autres pays — mais non pas le Canada ni surtout le Québec — je pense que nous avons encore là prouvé que nous avions le sens de la mesure et des responsabilités. Nous avons prouvé également, depuis quelques jours, par la motion du leader de l'Opposition, que la crise étant aux trois quarts passée, nous avions tout de même le souci de l'intérêt public et le souci d'avoir, dans les explications du premier ministre et des autres membres des partis politiques, un éclairage permettant de définir si le gouvernement n'a pas agi d'une façon peut-être précipitée ou si le gouvernement a posé des gestes dans l'intérêt supérieur du Québec et surtout dans l'intérêt de la démocratie que nous voulons conserver.

M. le Président, étant donné qu'il est dix heures, je demanderais l'ajournement.

M. LEVESQUE: M. le Président, avant de proposer l'ajournement, je suggérerais, après consultation avec les leaders parlementaires des autres partis, que nous poursuivions demain le même débat. A la suite de ce débat, de dix heures trente à midi trente, encore avec le consentement unanime, nous pourrons ajourner à trois heures mardi après-midi pour que la journée de mardi soit également consacrée à la

poursuite de ce débat, avec l'espoir que la journée de mardi coïncidera avec la fin du débat. Mais, nous verrons à ce moment-là où nous en serons.

Si c'est le consentement unanime de la Chambre, je crois que oui. Dans ce cas, M. le Président, je propose l'ajournement de la Chambre à demain matin, dix heures trente.

M. LE PRESIDENT: Cette entente vaut jusqu'à mardi soir?

M. PAUL: Mardi soir.

M. LEVESQUE: Mardi soir.

M. LE PRESIDENT: Du consentement unanime de la Chambre nous continuerons demain matin...

M. PAUL: De même que mardi.

M. LE PRESIDENT: ... sur la motion et le droit de parole sera au député de Bellechasse.

La Chambre ajourne ses travaux à demain matin, à dix heures trente.

(Fin de la séance: 22 h 2)

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