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Version finale

29e législature, 4e session
(15 mars 1973 au 25 septembre 1973)

Le mercredi 27 juin 1973 - Vol. 13 N° 49

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures quatre minutes)

M. LAVOIE (président): A l'ordre, messieurs!

Affaires courantes.

Dépôt de rapports de commissions élues..

Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

Présentation de motions non annoncées.

Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.

M. LEVESQUE: Article a).

Projet de loi no 24 Première lecture

LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Agriculture propose la première lecture de la Loi sur les marchés agricoles.

M. TOUPIN: M. le Président, ce projet de loi sur les marchés agricoles remplace la Loi des marchés agricoles.

La section II du projet porte sur la constitution, la composition, l'objet et l'administration de la Régie des marchés agricoles du Québec.

La section IV traite de la formation, l'approbation, la modification et l'administration d'un plan conjoint de mise en marché d'un produit agricole.

La section V contient des dispositions relatives aux pouvoirs généraux et à certains devoirs de l'organisme chargé d'appliquer et d'administrer un plan conjoint.

La section VI traite des assemblées générales ou spéciales des producteurs visés par un plan conjoint.

La section VII concerne la fusion d'organismes chargés d'appliquer et d'administrer un plan conjoint.

La section VIII porte sur l'accréditation par la régie d'associations de personnes liées par un plan pour permettre à une telle association d'agir à titre de représentant de ces personnes auprès des producteurs à certaines fins précisées par le projet ou, le cas échéant, par la régie.

La section IX contient des dispositions concernant la conciliation et l'arbitrage de différends entre, d'une part, les producteurs visés par un plan conjoint et, d'autre part, les acheteurs des produits agricoles auxquels ce plan conjoint s'applique, ou d'autres personnes qui sont assujetties à ce plan.

La section X contient notamment les pouvoirs de réglementation de l'organisme chargé d'administrer un plan conjoint à l'égard de la mise en marché des produits agricoles auxquels ce plan s'applique. Cela ne sera pas long!

La section XI traite des ententes que la régie, seule ou conjointement avec un organisme chargé d'administrer un plan, peut conclure avec le gouvernement du Canada ou un de ses organismes ou avec le gouvernement d'une autre province ou un organisme de ce gouvernement.

La section XII prévoit les contributions des producteurs visés par un plan pour défrayer les dépenses encourues pour l'administration d'un plan conjoint et des règlements qui le complètent.

Les sections XIII et XIV prévoient les pouvoirs de la régie relatifs à la suspension d'un plan conjoint, d'un règlement ou d'une de leurs dispositions, de même que certains autres pouvoirs de la régie relatifs à la mise en marché d'un produit agricole. Ce projet contient de plus des dispositions concernant les enquêtes de la régie, la liquidation d'un organisme chargé d'administrer un plan conjoint et les saisies, infractions et peines.

LE PRESIDENT: Cette motion de première lecture est-elle adoptée? Adopté.

LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce projet de loi. First reading of this bill.

M. VINCENT: Est-ce que je peux demander au leader parlementaire s'il a l'intention de déférer ce projet de loi à la commission parlementaire immédiatement ou après la deuxième lecture?

M. LEVESQUE: M. le Président, je propose que le projet de loi que nous venons d'adopter en première lecture soit déféré à la commission parlementaire de l'agriculture et de la colonisation.

LE PRESIDENT: Suivant les règles de pratique?

M. LEVESQUE: Suivant les règles de pratique.

UNE VOIX: Avec audition des parties? M. LEVESQUE: Avec audition.

LE PRESIDENT: La motion de première lecture est adoptée. Maintenant, cette motion de déférence à la commission est-elle adoptée?

Adopté. Article b)?

Présentation de projets de loi au nom des députés.

Déclarations ministérielles.

M. LEVESQUE: Un instant, M. le Président, je m'excuse. Vous aviez bien deviné, article b)

Projet de loi no 23 Première lecture

LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Industrie et du Commerce propose la première

lecture de la Loi constituant la Société Inter-Port de Québec.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est une loi cochonne, ça?

M. PAUL: Est-ce en rapport avec le pain?

M. SAINT-PIERRE: Ce projet a pour objet de créer un organisme sous le nom de Société Inter-Port de Québec. L'organisme aura pour fonction, premièrement, d'élaborer des plans et programmes en vue de l'établissement dans la zone spéciale dans la ville de Québec d'un complexe industriel et portuaire susceptible de contribuer au développement économique du Québec et particulièrement à celui de la région de Québec.

Deuxièmement, d'exécuter, dans le cadre des ententes conclues avec le gouvernement du Canada ou ceux des provinces, les travaux requis pour la mise en oeuvre des plans et programmes qui auront ainsi été élaborés. Et, dans la mesure prévue par ces ententes, d'exercer les industries, les commerces et autres activités de nature à contribuer au développement du complexe industriel et portuaire.

LE PRESIDENT: Cette motion de première lecture est-elle adoptée? Adopté.

LE SECRETAIRE ADJOINT: Première lecture de ce projet de loi. First reading of this bill.

LE PRESIDENT: Deuxième lecture, prochaine séance ou séance subséquente.

Déclarations ministérielles. Dépôt de documents. Questions orales des députés.

L'honorable député de Maskinongé.

Questions des députés Affaire Saulnier

M. PAUL: M. le Président, j'aurais une question à poser au ministre de la Justice. Maintenant que la cour d'Appel a disposé du cas Saulnier — et, entre parenthèses, je veux féliciter le ministre pour son attitude et le respect qu'il a eu à l'endroit de l'autorité judiciaire tant et aussi longtemps que la cour d'Appel ne s'était pas prononcée — le ministre de la Justice peut-il nous dire s'il a été mis au courant de certaines bobines d'enregistrement de conversations de M. Saulnier avec des gens de la pègre? Deuxièmement, est-ce que le ministre a porté l'existence de ces bobines à la connaissance du président de la Commission de police ou de l'un des commissaires? Troisièmement, est-ce que le ministre peut nous dire pourquoi il n'aurait pas confié ces bobines à la Commission de police chargée de tenir l'enquête sur le cas Saulnier? Quatrièmement, est-ce que le ministre a ordonné une enquête policière dès qu'il eut pris connaissance de l'enregistrement de bobines? Et, cinquièmement, l'enquête est-elle terminée et est-ce que le ministre se propose de porter certaines accusations?

M. CHOQUETTE: M. le Président, évidemment, comme l'a dit le député de Maskinongé, le fait que la cour d'Appel se soit prononcée hier par un jugement rejetant un bref d'évocation qui avait été sollicité et émis par la cour Supérieure me permet de parler plus librement aujourd'hui. Tout d'abord, je pense qu'il faut commencer par le commencement.

Au mois de décembre 1971, ou à peu près, dans cette période de l'année 1971, la Sûreté du Québec et divers autres corps policiers avaient mis sur pied une très vaste opération policière qui consistait en partie, en plus des enquêtes ordinaires qui pouvaient avoir lieu par l'intermédiaire d'agents de police, à de l'écoute électronique. Je dirais qu'une vingtaine d'écoutes électroniques avaient été installées à divers endroits. Cette enquête avait pour but principalement de nous permettre d'agir à l'encontre de certaines personnes qui avaient été impliquées ou étaient soupçonnées d'être impliquées dans une affaire de drogue à dimension internationale et également relativement aux mêmes personnes quant à certaines activités criminelles ici au Québec.

A un moment donné, certaines transcriptions de conversations téléphoniques furent portées â mon attention, ceci au moment où j'obtenais une enquête de la Commission de police sur la conduite de M. Jacques Saulnier. A ce moment-là, j'ai consulté mon sous-ministre, M. Robert Normand; j'ai également consulté l'inspecteur Hervé Patenaude, de la Sûreté du Québec.

Sur le plan policier, le fait de divulguer l'existence de ces conversations téléphoniques était de nature à mettre en péril cette vaste opération policière à laquelle j'ai fait allusion, c'est-à-dire qu'en utilisant les bandes ou en utilisant des extraits de ces conversations téléphoniques nous mettions en péril une vaste enquête policière qui d'ailleurs s'est soldée par des résultats entre autres la condamnation à New York d'un nommé Paul O'Doe, et la fermeture d'une maison de jeu du boulevard Taschereau, qui était connue comme le Victoria Sporting Club, maison de jeu qui existait depuis un certain nombre d'années.

Des procès ont été institués à la suite de la fermeture de cette maison de jeu. Cette enquête policière a permis également de déboucher sur un certain nombre de procès et aussi de connaissances en matière d'activités du crime organisé.

Par conséquent, du côté de la police, on m'a

fortement dissuadé d'utiliser ou de permettre que soient utilisées ces bandes, ces inscriptions ou enregistrements téléphoniques. Du côté juridique, maintenant, quant à la valeur probante de ces conversations téléphoniques, je dois dire en gros — parce que vous comprenez qu'il est assez difficile, dans une simple réponse en Chambre, de résumer des conversations téléphoniques qui prennent des pages et des pages— que nous avions des conversations téléphoniques entre M. Jean-Jacques Saulnier et un nommé Roland Lamothe qui fut, autrefois, un policier de Montréal et qui avait gardé des relations d'amitié avec M. Saulnier.

Ces conversations téléphoniques entre M. Saulnier et M. Lamothe sont, je dirais, généralement de nature personnelle; on pourra en tirer les conclusions que l'on voudra. L'examen que j'en ai fait, avec mon sous-ministre, ne nous a pas persuadés qu'il y avait, dans ces conversations téléphoniques, des éléments tellement probants à l'égard de M. Saulnier. Il y avait, d'autre part, des conversations téléphoniques intervenues entre le dénommé Roland Lamothe, un nommé Nicholas Diorio et, finalement, un nommé Vic Cotroni au cours desquelles ces personnes, à mots couverts, se parlaient de la nomination prochaine ou imminente de M. Saulnier comme chef de police de la ville de Montréal.

Evidemment, cette dernière partie de la conversation, ces dernières conversations, avaient lieu hors la présence de M. Saulnier et, par conséquent, n'étaient pas en soi une preuve qui pouvait lui être opposée. Nous en sommes arrivés à la conclusion, après mûre consultation, qu'il n'y avait pas, dans tout cela, une valeur probante, surtout en regard d'autres éléments du dossier. En effet, il ne faut pas oublier que, devant la commission, il y avait des éléments importants de preuves à l'égard de M. Saulnier, qui ont été produits. Considérant l'ensemble, il a été décidé de ne pas utiliser ces conversations téléphoniques.

Je dois dire que notre avocat a été mis au fait, non pas du texte même des conversations, mais de l'aspect général de ces conversations pour sa compréhension du problème. Dans les circonstances, M. le Président, il existait ces deux motifs principaux: premièrement, parce que ça mettait en péril une enquête policière d'une très grande importance à nos yeux et, en second lieu, parce que la valeur probante de tout cela demeurait discutable, d'autant plus qu'on se rappellera qu'à cette époque il était beaucoup moins question d'écoute électronique qu'il ne peut en être question à l'heure actuelle. Aujourd'hui, avec le bill que le gouvernement fédéral veut apporter et toute la discussion publique qui a eu lieu sur cette question, c'est devenu un fait avéré que les corps de police la pratiquent tandis qu'à l'époque cette façon d'enquêter avait quand même un caractère plus secret qu'elle n'a maintenant.

Alors, M. le Président, dans ces circonstan- ces, la décision fut prise, en fonction de l'intérêt public, de ne pas utiliser ces éléments pour ces motits. Et j'ai pris cette décision avec le concours de mes hauts fonctionnaires, qui étaient parfaitement au courant de la situation et qui ont partagé, je dois le dire, notre point de vue, puisqu'en fait un consensus s'est dégagé.

J'ajouterai, M. le Président, qu'à la même époque, au moment où l'enquête Saulnier était déclenchée, c'est-à-dire vers le 12 ou le 13 janvier 1972, on se rappellera que l'Assemblée nationale avait fait adopter un projet de loi, le bill 281, créant l'intégration des forces de police sur l'île de Montréal. Je m'étais fait l'artisan de la création d'un conseil de sécurité, j'avais même fait inscrire dans la loi que le futur chef de police ne pourrait être nommé que sur la recommandation du ministre de la Justice par le conseil des ministres. Ceci, je l'ai fait pour que la police de Montréal soit entre des mains sûres. Je rappellerai aussi que, lorsque le jugement de la Commission de police fut rendu et que M. Saulnier a entrepris des procédures en évocation devant la cour Supérieure, on a entendu dans certains milieux des protestations du fait que M. Saulnier était chez lui, sans travailler, et recevait un salaire.

C'est-à-dire qu'on a soulevé l'argument administratif du fait qu'il était à l'écart de la police.

Lorsque j'ai entendu dire que le Conseil de sécurité de Montréal se préparait, pour des raisons, en apparence, légitimes, pour des raisons administratives, à reprendre M. Saulnier à son service dans un poste ou un autre, j'ai pensé qu'il était de mon devoir d'éclairer certains membres du Conseil de sécurité et le chef de la police de Montréal qui, à ce moment- là, était M. René Daignault, qui avait été nommé à la fin de janvier 1972.

C'est dans ces circonstances que le juge Coderre et M. René Daignault, entre autres, ont eu le loisir d'entendre des extraits de conversations téléphoniques de façon qu'ils puissent considérer cet aspect dans les décisions qu'ils auraient à prendre.

C'est tout ce qu'il y a sur ce sujet.

M. PAUL : Question additionnelle, M. le Président. Est-ce que le ministre de la Justice peut nous dire si les conversations téléphoniques enregistrées entre M. Saulnier et M. Lamothe donnaient l'information que M. Saulnier serait bientôt nommé chef de police de la ville de Montréal?

Comme deuxième question, le ministre de la Justice peut-il nous dire si les informations qu'il aurait pu transmettre à la Commission de police auraient, de quelque façon, impliqué davantage M. Saulnier ou si ces informations auraient été inutiles pour compléter la preuve qu'avait mandat d'offrir à la Commission de police le procureur chargé, par le ministère de la Justice, de mener une telle enquête?

M. CHOQUETTE: A la première question du

député de Maskinongé, il n'y a aucune mention, dans les conversations entre M. Saulnier et M. Lamothe, que M. Saulnier serait incessamment nommé chef de police. Je tiens tout d'abord à dire ceci. Par conséquent, il y a une certaine disjonction entre des éléments de cette preuve, ce qui lui donnait, dans une certaine mesure, le caractère que l'on peut apprécier, à savoir que c'était douteux comme preuve, ou enfin...

En second lieu, M. le Président, on sait que la preuve d'écoute téléphonique ou l'enregistrement de conversations téléphoniques, dans les tribunaux, ordinairement, et devant des commissions, au moins dans le passé, est une matière qu'il a été difficile de faire admettre. Je pense que tous ceux qui ont pratiqué dans le droit criminel admettront cela.

Troisièmement, il faudrait quand même se rappeler, aussi, que dans cette histoire Saulnier, nous n'étions pas dans l'enquête sur le crime organisé. Ce n'était pas une enquête at large sur tout le monde. C'était une enquête sur la conduite d'un individu en particulier. Par conséquent, les éléments de preuve devaient pouvoir lui être rattachés.

Quatrièmement, M. le Président, le député de Maskinongé me demande en fait de rendre jugement à la place de la commission. Je n'ose pas le faire. J'ai pris mes responsabilités, à l'époque, en fonction de ce que j'ai cru être l'intérêt général.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Maisonneuve, une question additionnelle.

M. BURNS: M. le Président, est-ce que le ministre a eu connaissance de ces enregistrements avant ou après le 21 avril 1971, c'est-à-dire avant ou après la nomination de M. Jean-Jacques Saulnier comme directeur de la police de Montréal? Si oui, est-ce qu'il en a communiqué la teneur aux autorités civiles de la ville de Montréal?

M. CHOQUETTE: M. le Président, il est possible que j'aie eu connaissance de ces conversations à l'époque où M. Saulnier a été nommé, mais vous comprenez que c'est tellement loin dans le temps qu'il m'est très difficile de me le rappeler avec précision.

Maintenant, je n'ai pas communiqué ces renseignements aux autorités de la ville de Montréal. Tout cela faisait partie d'un ensemble et je ne considérais pas qu'il était de mon devoir de le faire à ce moment. D'autant plus que la nomination était faite. Parce que la conversation relativement à la nomination de M. Saulnier — dans laquelle, je tiens à le dire, il n'est pas impliqué personnellement — est de la même journée que la résolution du comité exécutif de la ville de Montréal qui l'a nommé, c'est-à-dire que cette conversation a été enregistrée la même journée, mais probablement dans l'après-midi, alors que la nomination a été faite en fin d'après-midi ou dans la soirée. Par conséquent, j'ai dû l'apprendre postérieurement parce qu'on ne me fait pas rapport au fur et à mesure de certaines informations.

M. BURNS: M. le Président, est-ce qu'il est exact que, dans cette conversation, on se réjouissait de cette nomination imminente de M. Saulnier?

M. CHOQUETTE: M. le Président, il faut quand même aussi faire un peu la part des choses dans tout cela. Quand on parle de conversations téléphoniques, ceux qui ne sont pas initiés à ce genre de technique pourrait croire que toutes ces transcriptions nous donnent une preuve — comment pourrais-je dire? — claire et nette.

UNE VOIX: M. le Président...

M. CHOQUETTE: Non, non, je fais une petite réserve avant de répondre à votre question, si vous me le permettez.

M. BURNS: D'accord.

M. CHOQUETTE: Souvent, les conversations sont à demi-mots. Il faut être au courant de beaucoup d'autres aspects pour pouvoir comprendre de quoi on parle. Comprenez-vous? Ce n'est pas aussi direct que le député de Maisonneuve pourrait le croire.

C'est la raison pour laquelle lorsque j'ai parlé, récemment, de l'utilisation des enregistrements téléphoniques, j'ai dit que, souvent, ces enregistrements n'étaient pas tellement utiles pour élucider des crimes qui avaient été commis, mais pour donner de l'intelligence à la police, de la compréhension sur ce qui pouvait se passer.

C'est dans ce sens, M. le Président, qu'il faut lire le tout. Evidemment, je dois dire que pour la conversation à laquelle le député de Maisonneuve fait allusion, on peut en tirer les conclusions que l'on veut. Je n'ose pas tirer de conclusions. Cela m'est difficile de porter un jugement. Je crois qu'on n'était pas malheureux, disons.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Jacques, une question supplémentaire.

M. CHARRON: Lorsque le ministre de la Justice a considéré la possibilité de présenter ou non cet élément de preuve et qu'il s'est décidé, avec l'aide de ses hauts fonctionnaires, de ne pas le faire pour les raisons — on les jugera, les raisons — qu'il vient de nous donner pour lesquelles il n'a pas présenté cette preuve, est-ce que ses consultations se sont étendues en dehors du ministère de la Justice? A-t-il consulté le cabinet, et en particulier le chef du gouvernement, quant à la décision qu'il devait prendre de déposer ou non cet élément de preuve embrouillé devant la Commission de police?

M. CHOQUETTE: Je ne sais pas, je ne pense pas avoir fait part spécifiquement au premier ministre des décisions que nous prenions. Je lui ai peut-être mentionné à cette époque des choses qui se passaient, comme je le fais généralement sur la conduite de mon ministère.

Je prends mes décisions moi-même. Et je ne crois pas non plus qu'il s'agissait d'une décision qui devait aller au niveau du cabinet. Ce n'était pas une décision qu'il appartenait au cabinet de prendre, et je voudrais dire que, d'aucune façon, dans ces décisions, aucun collègue n'a influé sur la décision qui fut prise.

La décision fut prise à l'intérieur du ministère de la Justice, c'est exact, en consultant les personnes qu'il fallait consulter et avec lesquelles il fallait discuter ces problèmes.

M. CHARRON: La décision n'est-elle pas assez grave pour que vous vous rappeliez exactement si vous en avez parlé ou non au premier ministre?

M. CHOQUETTE: Je parle très fréquemment au premier ministre de différents problèmes. Je ne me rappelle pas que... Et, d'ailleurs, il y a une tradition dans un certain sens, que le député de Saint-Jacques ignore peut-être, c'est qu'en matière judiciaire, le ministre de la Justice doit, la plupart du temps, prendre ses responsabilités lui-même.

LE PRESIDENT: La dernière question supplémentaire.

M. BURNS: Question additionnelle. Maintenant que le problème n'est plus devant les tribunaux et, dans le but de dissiper tout doute dans l'esprit de qui que ce soit, est-ce que le ministre de la Justice accepterait de faire part aux membres de l'Assemblée nationale d'une transcription de l'enregistrement en question, afin que ce ne soit pas lui qui apprécie ces faits, mais que d'autres personnes puissent l'apprécier?

Je le dis dans l'intention d'aider le ministre, remarquez.

M. LACROIX: ... Michel Chartrand.

M. CHOQUETTE: J'apprécie hautement l'offre d'aide du député de Maisonneuve. Il a certainement su apprécier ma situation durant ces derniers jours.

D'autre part, je ne pense pas que ce serait là une tradition qu'il faudrait établir dans ce Parlement; mais je verrai en temps et lieu ce qu'il y a lieu de faire à ce sujet.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.

Transport de bois à pâte

M. SAMSON: Ma question s'adresse à l'ho- norable ministre des Terres et Forêts, suite à la décision de la compagnie CIP de transporter le bois, qui est actuellement au moulin de Témiscaming, vers le moulin de Gatineau. Est-ce que le ministre peut nous dire ou peut nous faire rapport des entretiens qu'il aurait eus hier à Montréal avec le président de CIP, M. Flenniken?

M. DRUMMOND: Peut-être que je peux parler d'une façon générale sur le projet Tembec. Je pense qu'après l'adoption en Chambre de la loi de Rexfor, on a tous les outils nécessaires pour procéder à la réalisation du projet Tembec. Je ne veux pas, franchement, parler en public des négociations, dire comment ça marche jusqu'à maintenant, parce que je préfère négocier en privé pour arriver à une solution assez juste en ce qui concerne la réalisation de ce projet.

Je pense que je peux dire, quand même, que nous avons tous les éléments pour arriver à régler ce problème vers la fin de la semaine prochaine. En ce qui concerne l'exportation de bois, je pense que c'est probablement la meilleure chose à faire lorsqu'on sera en mesure de réaliser le projet, soit, je l'espère bien, d'ici une semaine. Par contre, si on livre 3,000 cordes de bois, ça ne met aucunement en danger le projet de Tembec. Le tout est vraiment dans la bonne voie.

M. SAMSON: Est-ce que le ministre peut nous dire s'il est vrai, suivant les informations que nous avons eues, que Tembec compterait essentiellement sur le bois qui est présentement à l'usine de Temiscaming pour alimenter son usine advenant que l'achat se fasse et que ce bois lui permettrait justement d'avoir une exploitation rentable? Est-ce que le ministre, à l'occasion de ses conversations avec le président de la CIP, a eu l'assurance que, pour le moment du moins, le bois resterait en place jusqu'à ce qu'une décision finale soit prise, décision que vous entendez prendre d'ici la fin de semaine, si je comprends bien?

M. DRUMMOND: M. le Président, évidemment, on aimerait acheter le bois là-bas. Quand même, comme je l'ai dit, je préfère que le bois ne parte pas cette semaine, mais c'est un pourcentage minime de bois disponible. Alors, je ne vois pas grand problème pour faire fonctionner Tembec.

M. SAMSON: Est-ce que le ministre peut nous dire si les déclarations faites hier par la CIP à l'effet que cette compagnie n'aurait reçu, à ce jour, aucune offre raisonnable ou acceptable pour l'achat de son usine risquent de compromettre le projet Tembec?

M. DRUMMOND: M. le Président, pas du tout. C'est vrai qu'avant l'adoption de la loi de Rexfor nous n'avions pas vraiment les moyens de faire l'offre qui était nécessaire. On vient de

terminer les études et on a les moyens en main maintenant pour arriver avec des offres formelles et logiques pour faire fonctionner ce projet.

LE PRESIDENT: Question supplémentaire?

M. LESSARD: Question supplémentaire, M. le Président. Est-ce que, dans la rencontre que le ministre a eue avec M. Flenniken de la CIP, on a strictement discuté de l'achat de l'usine Tembec ou si on a discuté du problème posé par l'exportation des 50,000 cordes de bois vers la région de Gatineau? Deuxième question, à ces négociations qu'a eues le ministre avec le président de la CIP, les représentants de Tembec et ceux de Rexfor étaient-ils présents? Est-ce que le ministre a l'intention d'utiliser ses instruments, enfin?

M. DRUMMOND: M. le Président, au cours de ces discussions, on a fait le tour de tous les problèmes en ce qui concerne la réouverture de l'usine de Temiscaming. Quant à ceux qui étaient présents, je n'ai aucune objection à dire que le président de Rexfor était là et je me suis mis en contact immédiatement avec Tembec.

M. LESSARD: M. le Président, je voudrais que le ministre complète. La compagnie a annoncé, dans un communiqué de presse, qu'elle n'avait pas eu d'offre raisonnable de Tembec, ou du gouvernement, etc.

Est-ce que dans ces négociations les représentants de Tembec ont été présents avec le ministre des Terres et Forêts et avec Rexfor? Ce sont eux qui sont responsables aussi, il faudrait qu'ils sachent ce qui se passe.

M. DRUMMOND: M. le Président, les négociations relèvent d'une certaine façon du gouvernement et il faut avoir les disponibilités en ce qui concerne l'argent nécessaire pour faire fonctionner le projet. C'était ce qui manquait au commencement lorsqu'on a discuté il y a plusieurs mois déjà. Toutes les questions de financements n'étaient pas réglées. Maintenant, comme je viens de le dire, on a les moyens nécessaires pour formuler nos offres, j'espère bien, d'une façon satisfaisante pour tout le monde.

LE PRESIDENT: Le député de Saint-Jacques, une question principale.

Affaire Saulnier

M. CHARRON; M. le Président, l'article 3 de notre règlement m'interdisait tout à l'heure de poser une question supplémentaire au premier ministre; je la formulerai donc en question principale. Est-ce que lui, le premier ministre, se souvient qu'à un moment où un autre, alentour de la nomination du chef Saulnier, le ministre de la Justice, député d'Outremont, l'a mis au courant qu'il était détenteur à son ministère de bandes sonores pouvant impliquer le chef Saulnier?

M. BOURASSA: M. le Président, je ne sais pas où veut en venir le député, mais le ministre de la Justice a dit tantôt que c'étaient des preuves à examiner, des preuves que le jugement qu'il avait porté était de nature technique et normalement fait par le ministre de la Justice. Comme c'était une décision de nature technique il n'avait pas à consulter le cabinet.

M. CHARRON: Est-ce que oui ou non vous avez été consulté sur cette décision?

M. BOURASSA: Si ma mémoire est bonne, non, M. le Président, je ne me souviens pas que le ministre de la Justice m'ait consulté sur cette question-là.

M. CHARRON: Je connais la mémoire du premier ministre, elle est excellente.

LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre, messieurs !

M. CHARRON : Est-ce que...

M. BOURASSA: Cela fait quand même deux ans. Si le député veut faire de la petite démagogie avec ça, c'est son choix. Cela fait quand même deux ans que la chose est arrivée. Je ne peux pas me souvenir de toutes mes conversations, très souvent quotidiennes, avec le ministre de la Justice. Mais le ministre de la Justice a été très clair en disant que c'était une décision technique du ministère et que le cabinet n'était pas impliqué.

LE PRESIDENT: Dernière question additionnelle, sans soulever de débat.

M. CHARRON: Ah! Je ne suis pas capable, M. le Président.

LE PRESIDENT: Le chef de l'Opposition officielle.

Hausse de tarifs de Bell Canada

M. LOUBIER: M. le Président, ma question s'adresse soit au premier ministre ou au ministre des Communications. Est-ce que le ministre des Communications ou le premier ministre est au courant que Bell Canada vient d'avoir la permission de hausser ses tarifs? En second lieu, est-ce qu'il y a eu des pressions ou des démarches de faites par le gouvernement du Québec par le truchement ou l'intermédiaire du ministre des Communications ou du premier ministre? Et quelles ont été ces pressions, s'il y en a eu d'effectuées?

M. L'ALLIER: M. le Président, je vais vérifier l'information qui m'est transmise à l'instant par le chef de l'Opposition. Le chef de l'Opposition officielle sait que les demandes d'augmentation de tarifs de Bell Canada doivent être présentées devant la Commission canadienne des transports, que la dernière demande a été présentée en décembre et entendue en janvier, février et que le gouvernement fédéral a suspendu pendant 90 jours la décision de la commission d'augmenter les tarifs.

Je ne suis pas informé, au moment où je vous parle, de ce que la décision du gouvernement fédéral ait été révoquée ou de ce que les tarifs soient effectivement en vigueur.

Donc, je prends avis de la question.

M. LOUBIER: M. le Président, ma question additionnelle était la suivante: Est-ce qu'à ce jour le ministre des Communications a fait des représentations auprès des autorités fédérales, a transmis ses réflexions, ses commentaires quant à cette hausse éventuelle des tarifs qui, vraisemblablement, se serait concrétisée aujourd'hui?

M. L'ALLIER: M. le Président, le gouvernement québécois a plaidé devant la Commission canadienne des transports. D'ailleurs, les témoignages des experts québécois ont fait plusieurs milliers de pages devant la Commission canadienne des transports. Nous avons monté un dossier très important en collaboration avec le gouvernement de l'Ontario et au moment où le gouvernement fédéral a suspendu la décision de la Commission des transports, nous avons fait parvenir au gouvernement fédéral le dossier que nous avions en main en offrant la collaboration des techniciens qui avaient préparé l'opposition québécoise. Nous avons donc offert les services des techniciens québécois pour permettre au ministère des Communications fédéral et au cabinet fédéral de réévaluer la décision de la Commission des transports.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Portneuf.

Arrestation de 29 personnes pour indécence

M. DROLET: M. le Président, j'aurais une question à poser à l'honorable ministre de la Justice. Je tiens à vous aviser, M. le Président, au début, que cela va peut-être en faire sourire un peu quelques uns mais quand même, je veux que ces questions demeurent sérieuses car je considère le problème très sérieux et très grave. J'en ai discuté ce matin avec le ministre de la Justice lors d'une commission parlementaire et il était censé prendre des informations à l'heure du dfner.

Est-ce que le ministre de la Justice peut nous confirmer que 29 personnes, des hommes, ont été arrêtées hier sur les bords pollués du fleuve

Saint-Laurent à Saint-Augustin? Est-ce que le ministre de la Justice peut nous dire comment il se fait que le ministère de la Justice ait attendu un an avant de répondre aux demandes répétées du maire Raymond Julien de Saint-Augustin et de plusieurs personnalités de Saint-Augustin et de Cap-Rouge qui, depuis quelques années, quelques mois, semblaient au courant de ce qui se passait là? Troisièmement, est-ce que le ministre peut nous confirmer que la moitié de ces 29 personnes seraient des enseignants, des professeurs d'école?

M. CHOQUETTE: M. le Président... LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M. CHOQUETTE: ... le député de Portneuf m'a parlé de ce problème extrêmement grave ce matin à la commission parlementaire de la justice qui siégeait sur la Loi des huissiers. Je me suis dépêché d'obtenir les renseignements que je pouvais obtenir dans un court délai. Tout d'abord, je ne peux pas dire quelle est l'occupation des 29 personnes arrêtées. Je n'ai pas suffisamment de détails à l'heure actuelle pour pouvoir indiquer dans quelle profession principalement se retrouvent les 29 personnes.

Deuxièmement, les accusations portées...

M. DEMERS: C'est parce qu'elles n'avaient pas d'habit de travail, je suppose.

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M. CHOQUETTE: En second lieu, les accusations portées contre ces personnes sont des accusations de grossière indécence et d'actes indécents dans des lieux publics. Evidemment, ces personnes ont été mises en accusation à l'heure actuelle et leur comparution a été fixée à une date ultérieure.

Je dois dire que ces arrestations et ces plaintes font suite à une plainte parvenue à la Sûreté, le 2 juin de cette année, et qu'à la suite de cette plainte, la Sûreté a fait enquête et que c'est par la suite que les accusations furent portées. Le député de Portneuf laisse entendre qu'une plainte aurait été portée il y a environ un an par la personne qui a attiré l'attention de la Sûreté sur les activités qui auraient eu lieu au bord de la falaise, sur le terrain des Pères, à Saint-Augustin. Je dois lui dire que, d'après les renseignements que je possède, c'est plutôt il y a cinq, six ou huit mois qu'on aurait attiré l'attention de la Sûreté sur des choses étranges qui se produisaient à ce moment-là. La Sûreté a enquêté, mais vu la saison froide, elle n'a pas pu déceler à ce moment-là d'indice de crime.

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M. DROLET: M. le Président, une question supplémentaire.

LE PRESIDENT: Sur le même sujet?

M. DROLET: D'ailleurs, j'aurais plusieurs questions à poser, M. le Président, mais je vais me contenter de trois. Est-ce que le ministre de la Justice, devant ce problème extrêmement grave du fait que cela s'est passé sur un terrain scolaire où il y avait énormément de jeunes, peut nous assurer qu'il va faire une véritable enquête sérieuse et qu'il fera connaître tous les noms des personnes qui y sont reliées de près ou de loin? Que le ministre aille au fond des choses et il va s'apercevoir qu'il y a des noms très sérieux qui peuvent sortir.

Deuxième question supplémentaire. Est-ce que le ministre de la Justice peut nous assurer, avant que des choses semblables se reproduisent dans le comté — parce qu'on a eu l'affaire Dion, déjà, à Pont-Rouge, on a l'affaire des 29 à Saint-Augustin — qu'un permis ne sera pas émis à un groupe de personnes qui veulent également ouvrir un genre de terrain d'orgies semblables à Notre-Dame-des-Anges, encore dans mon comté?

M. CHOQUETTE: M. le Président, je comprends maintenant...

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M. CHOQUETTE: M. le Président, je comprends maintenant pourquoi la charge du député du comté de Portneuf est si lourde. Deuxièmement, le ministre de l'Education attire mon attention sur le fait que le député de Portneuf peut au moins dormir sur ses deux oreilles pendant quelques mois, car l'année scolaire est terminée.

M. DROLET: C'est bien en quoi ! Les jeunes sont lotisses dans les rues et sur tous les terrains. Que le ministre de l'Education arrête de rire et qu'il prenne les choses au sérieux pour une fois.

M. CHOQUETTE: Je puis dire au député que nous allons porter une attention toute particulière à ces demandes. Quant aux personnes qui ont été accusées, je préfère, M. le Président, ne rien dire et laisser les tribunaux agir à leur égard comme il se doit.

LE PRESIDENT: Dernière question. M. BROCHU: M. le Président.

LE PRESIDENT: Dernière question, l'honorable député...

M. BROCHU: M. le Président, une question supplémentaire.

LE PRESIDENT: Une question supplémentaire.

M. BROCHU: Est-ce que le ministre de la

Justice peut assurer cette Chambre qu'il ne consultera pas le ministre de l'Education afin de ne pas paralyser l'opération?

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs! Dernière question.

L'honorable député de Maisonneuve.

Affaire Saulnier

M. BURNS: M. le Président, je n'ai pas pu, parce qu'il y avait trop de questions additionnelles, poser d'autres questions au ministre de la Justice, alors j'utilise comme question principale la question suivante: J'imagine que sur cet ou ces enregistrements, le ministre n'a pas été clair; il y a eu des dates. On a pris en note les dates de ces enregistrements. Je ne m'attends pas à ce que le ministre me réponde immédiatement là-dessus. Mais j'aimerais qu'il fasse la recherche et me dise si deux choses que je vais lui souligner sont exactes. Premièrement, est-ce qu'il n'est pas vrai qu'une première conversation entre Vic Cotroni et Nicholas Diorio a eu lieu trois semaines avant la nomination de M. Jean-Jacques Saulnier, et qu'une deuxième conversation téléphonique entre Diorio et Angelo Lanzo a eu lieu deux semaines avant la nomination?

Je ne m'attends pas qu'il me réponde immédiatement. Je comprends qu'il n'ait pas ces chiffres à la mémoire. Je lui pose la question tout simplement pour lui demander de vérifier ces faits. Demain, peut-être, il sera en mesure de me donner les réponses nécessaires. J'aurai peut-être d'autres questions à ce moment-là.

M. CHOQUETTE: M. le Président, on comprendra que nous avons aux archives de la Sûreté du Québec et au Bureau de recherche du Québec sur le crime organisé de multiples dossiers sur de telles conversations. Cela occupe des chambres entières.

Par conséquent, je n'ai sûrement pas lu tout cela, c'est impossible. Quand à deux conversations antérieures de deux ou trois semaines à la nomination de M. Saulnier, je ne me souviens pas qu'on ait porté cela à mon attention. Alors, pour le moment, c'est la réponse que je peux donner au député.

M. BURNS: Est-ce que le ministre veut vérifier ces faits-là...

M. CHOQUETTE: Je vais vérifier.

M. BURNS: ... pour pouvoir nous donner les réponses nécessaires afin qu'on ait le coeur net là-dessus?

LE PRESIDENT: Avant de passer aux affaires du jour, j'accorderai la parole à l'honorable ministre responsable de l'ODEQ, sur une question de privilège dont il m'a donné avis.

Question de privilège

Activités de l'ODEQ

M. Robert Quenneville

M. QUENNEVILLE: M. le Président, au sujet d'un débat télévisé concernant les activités de l'ODEQ, certains media d'information ont affirmé que je me défilais et même que je refusais le débat. Je tiens à répéter qu'il me paraît essentiel de connaître la position officielle du CRD de l'Est avant de donner suite à cette proposition de débat télévisé.

Vous savez que le CRD de l'Est du Québec représente pour nous l'interlocuteur privilégié. Il est, en quelque sorte, un associé. Je vois mal comment je participerais au débat sans connaître son attitude face au manifeste de Matane.

Je ne me défile pas et je ne refuse sûrement pas le débat. Merci.

LE PRESIDENT: Affaires du jour.

M. BURNS: M. le Président, en vertu de l'article 34. Nous avons, je pense, les députés de tous les partis, reçu un certain nombre de télégrammes d'associations féminines relativement au projet de loi no 63 concernant le Conseil du statut de la femme.

Tous ces télégrammes réclament que le projet de loi soit déféré à une commission parlementaire et que des auditions publiques puissent être tenues. Alors, la question... Pardon?

M. LEVESQUE: Quel projet de loi?

M. BURNS: Le projet de loi no 63 sur le Conseil du statut de la femme. Ce que j'allègue, c'est qu'on a reçu une série de télégrammes. Je pense que tous les députés en ont reçu. Je demande simplement au leader du gouvernement si c'est l'intention du gouvernement de déférer ce projet de loi à une commission parlementaire, je n'ose pas me prononcer sur laquelle. En tout cas, on verra. Probablement celle des affaires sociales, ou celle de l'éducation, ou celle des affaires culturelles, je ne le sais pas. Je laisse le choix au leader du gouvernement. Mais est-ce que c'est l'intention du gouvernement de le déférer à une...

LE PRESIDENT: Des communications!

M. BURNS: On me dit celle des richesses naturelles!

LE PRESIDENT: Des communications! M.PAUL: La qualité de l'environnement!

M. BURNS: Est-ce que c'est l'intention du gouvernement de soumettre ce projet de loi, après ou avant la deuxième lecture, surtout avant, je pense, à une commission parlementaire et de tenir des auditions publiques?

M. LEVESQUE: M. le Président, nous n'avions pas l'intention de le faire. Il s'agit maintenant d'évaluer ce qui est le mieux: Avoir la loi avant l'ajournement ou déférer le projet de loi à une commission parlementaire qui siégerait durant la période d'ajournement d'été. Alors, nous sommes à faire cette évaluation.

M. BOIS: M. le Président,...

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Sauveur.

M. BOIS: ... une question de privilège concernant une question au feuilleton. J'aimerais attirer l'attention de l'honorable leader parlementaire à l'article 19, dans les questions, qui paraît au feuilleton depuis sept mois et demi. J'apprécierais infiniment si l'honorable leader parlementaire pouvait faire quelque chose...

M. LEVESQUE: On va répondre à quelques questions dans quelques instants, mais pas à toutes.

M. PAUL: M. le Président,...

M. BOIS: Ah! vous ne l'avez pas vue, comme ça?

M. PAUL: ... j'aurais une question à poser...

LE PRESIDENT: L'honorable leader parlementaire...

M. PAUL: ... au leader du gouvernement, conformément aux dispositions de l'article 34 de notre règlement. Est-ce que le leader du gouvernement peut nous dire si c'est son intention d'inviter les membres de la commission parlementaire sur le code des professions à étudier les lois des corporations professionnelles dont le ministre de l'Industrie et du Commerce serait le parrain?

Si oui, devons-nous manger le pain, d'abord, avant d'aller à l'étude des lois des corporations professionnelles?

M. LOUBIER: "The godfather"!

M. LEVESQUE: M. le Président, pour la deuxième partie de la question, la réponse viendra assez vite. Pour la première partie, je crois que nous pourrons entreprendre, dès ce soir, à vingt heures quinze, l'étude des projets de loi relatifs aux professions, qui sont sous la responsabilité du ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. PAUL: Laquelle des lois?

M. LEVESQUE: Par ordre numérique. C'est

ce que vient de me dire l'honorable ministre de l'Industrie et du Commerce. Mais c'est sujet à changements.

M. PAUL: Ah, d'accord! Avec cela, on est correct.

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs! Affaires du jour.

Questions inscrites au feuilleton

M. LEVESQUE: M. le Président, des réponses à quelques questions.

Article 1), question de M. Tremblay (Chicoutimi), réponse de M. Cloutier (Ahuntsic).

M. CLOUTIER (Ahuntsic): Lu et répondu. (voir annexe)

M. LEVESQUE : Article 25 ), question de M. Lavoie (Wolfe), réponse de M. Cloutier (Ahuntsic).

M. CLOUTIER (Ahuntsic): Lu et répondu. (voir annexe)

M. LEVESQUE: Article 27), question de M.

Samson, réponse de M. Tessier.

Pour M. Tessier, lu et répondu. (voir annexe) Article 33), question de M. Vincent. Je propose que cette question soit transformée en motion pour dépôt de documents.

LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée? Adopté.

M. LEVESQUE: Article 33), question de M. Vincent, réponse de M. Parent.

M. PARENT: Document déposé.

M. LEVESQUE: Article 36), question de M. Vincent, réponse de M. Parent.

M. PARENT: Lu et répondu, (voir annexe)

M. LEVESQUE : Quant au d.puté de Saint-Sauveur, voudrait-il m'indiquer le numéro de la question qui l'intéresse?

M. BOIS: Article 19), M. le Président.

M. LEVESQUE: Article 19). J'en prends note.

M. BOIS: Merci.

M. LEVESQUE: M. le Président, immédiatement, à la salle 81-A...

M. ROY (Beauce): M. le Président, un instant. Avant que l'honorable leader du gouverne- ment passe à un autre article, je lui ai déjà posé une question concernant un ordre de dépôt de documents, qui apparaît au feuilleton depuis la moitié de l'année dernière, donc près d'un an. Il s'agit de l'article 95), page 34.

J'avais demandé à l'honorable leader du gouvernement, à ce moment-là, s'il accepterait de faire enquête, à son ministère, pour savoir si, oui ou non, des fonctionnaires péquistes empêcheraient de divulguer des informations que nous avons demandées par cette question que nous estimons très importante, en ce qui nous concerne, et que le gouvernement n'a pas à juger.

M. le Président, j'aimerais savoir de l'honorable leader du gouvernement si on répondra à cette question et quand. Si le gouvernement n'a pas l'intention de répondre ou si le gouvernement ne peut pas se faire obéir de ses technocrates, qu'il nous le dise. Nous ferons une motion spéciale, à l'Assemblée nationale, et nous verrons à nous prévaloir de nos droits.

M. LEVESQUE: M. le Président, la question de l'honorable député se situe au temps du Bloc populaire et non pas du Parti québécois. En effet, il s'agit d'une entente de 1942. Je ne vois pas que des fonctionnaires de mon ministère...

M. ROY (Beauce): J'ai dit, M. le Président, que le gouvernement n'avait pas à juger de la question. J'ai posé une question bien précise. Je sais que cela les fatigue. Je sais, M. le Président, qu'ils tentent toujours de se défiler.

LE PRESIDENT: A l'ordre !

M. ROY (Beauce): Je demande une réponse. Je ne demande pas des commentaires sur la question que j'ai posée. M. le Président, je pose une question de privilège.

LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Vous n'avez pas le droit de soulever un débat dans une question de privilège.

M. ROY (Beauce): C'est le leader du gouvernement qui soulève un débat. Alors, je vous inviterais, M. le Président, à appliquer le règlement de la même façon...

LE PRESIDENT: A l'ordre, à l'ordre! A l'ordre, à l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît! Je ne considère pas cela comme une question de privilège, parce que je ne pourrais pas permettre une réponse. Je considère qu'il s'agit d'une question en vertu de l'article 34. Est-ce que vous avez une réponse à apporter?

M. LEVESQUE: M. le Président, puisque je voulais donner une réponse complète, ce qui provoque une nervosité compréhensible chez le député de Beauce...

M. ROY (Beauce): Je ne suis pas nerveux du tout.

M. LEVESQUE: ... je vais lui donner la même réponse que j'ai donnée au député de Saint-Sauveur. J'ai pris note...

M. ROY (Beauce): Vous allez répondre quand?

LE PRESIDENT: A l'ordre! Affaires du jour.

Travaux parlementaires

M. LEVESQUE: M. le Président, à la salle 81-A, commission des affaires municipales pour l'étude de projets de loi d'ordre privé.

LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée en ce qui concerne la séance de la commission des affaires municipales?

Adopté.

M. LEVESQUE: Article 72). M. le Président, je voudrais, avant que vous appeliez cet article, vous informer, pour que tous les membres soient bien au courant — et je pense bien que c'est l'endroit où le faire — que ce soir dès la reprise à vingt heures quinze, il appert que la commission des affaires municipales aura terminé son travail. Je fais donc motion pour qu'à ce moment, si la Chambre siège, la commission parlementaire spéciale des corporations professionnelles puisse siéger et commencer à entreprendre l'étude des projets de loi au nom du ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. BURNS: Simplement une question, avant de commencer tout ça. Est-ce que le leader du gouvernement peut nous donner une indication, advenant l'adoption du projet de loi 277, du moins en commission plénière, de l'ordre du jour qu'il voudra appeler par la suite?

M. LEVESQUE: Si je savais évidemment le temps que chacun doit prendre pour épuiser ce débat, je serais peut-être en meilleure posture pour répondre, parce qu'à un moment donné la stratégie doit changer selon les circonstances, ce que comprend très bien le député de Maisonneuve.

M. PAUL: Mais pourquoi ne pas travailler en plein jour? On n'a pas de stratégie, nous autres, on y va franchement.

M. LOUBIER: Mais si jamais...

M. LEVESQUE: Mais si jamais tout allait bien, voici ce qui se passerait.

M. LOUBIER: Si jamais l'étude du projet de loi no 277 n'était pas terminée à six heures, est-ce que le ministre de l'Industrie et du Commerce ira quand même à la commission parlementaire sur les professions?

M, LEVESQUE: Pour ça, il faudra attendre à six heures.

M. LOUBIER: Mais oui, on veut savoir un peu. Le leader parlementaire a dû mieux planifier que ça.

M. LEVESQUE: Le chef de l'Opposition n'était pas ici, je crois, hier soir...

M. LOUBIER: Ah! oui, jusqu'à minuit cinq. M. PAUL: Ah! oui.

M. LEVESQUE: S'il était ici — et je pense bien qu'il l'était — il sait pourquoi je ne réponds pas à ce moment-ci. Il sait fort bien que l'étude en commission plénière, normalement, achève sur le commerce du pain.

M. LESSARD: II est minuit, Dr Schweitzer.

M. LEVESQUE: Normalement, cette question est hypothétique. Normalement.

M. LOUBIER: Quel projet de loi viendrait par la suite?

M. PAUL: L'expropriation.

M. LEVESQUE: Comme le dit le député de Maskinongé, il a bien deviné...

M. PAUL: Je suis prêt.

M. LEVESQUE: ... l'article 77), projet de loi 88, Loi de l'expropriation. En ensuite...

M. LOUBIER: Si c'était...

M. LEVESQUE: Oui, si c'était adopté, nous pourrions procéder à la Loi des valeurs mobilières.

M. PAUL: Est-ce que c'est plus urgent que l'agriculture?

M. LEVESQUE: Et si elle était adoptée immédiatement, nous pourrions procéder à la Loi modifiant la loi de la division territoriale. Enfin, nous verrons.

M. LOUBIER: C'est déjà bien.

M. PAUL: Mais le tout est sujet à changement.

M. LEVESQUE: Le tout sujet à changement. Merci.

LE PRESIDENT: Concernant cette motion pour la tenue de la commission des corporations professionnelles ce soir à vingt heures quinze, cette motion est-elle adoptée?

M. PAUL: Hypothétiquement.

M. LOUBIER: Le tout sujet à changement.

LE PRESIDENT: Quitte à rajustement de tir.

M. LEVESQUE: Je propose, M. le Président, que vous quittiez le fauteuil.

LE PRESIDENT: Article 73). M. LEVESQUE: Article 72).

Projet de loi no 277 Commission plénière (suite)

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 9. M. DEMERS: Article 9. M. PAUL: Un instant.

M. DEMERS: Est-ce que l'article 6 était réellement... oui?

M. PAUL: On ne sait jamais ce qu'on fait d'une minute à l'autre, on change de livre.

M. DEMERS: Tout est sujet à changement.

LE PRESIDENT (M. Blank): L'article 9 est amendé. Il y a un amendement à l'article 9.

M. DEMERS: Est-ce qu'on peut...

LE PRESIDENT (M. Blank): L'amendement était déjà donné.

M. DEMERS: Une minute.

M. PAUL: Je comprends qu'on les a, mais ce n'est pas nous qui sommes obligés de les lire pour le ministre.

M. DEMERS: Est-ce qu'on pourrait relire cet amendement, s'il vous plaît?

LE PRESIDENT (M. Blank): Certainement, je vous donne la permission.

M. SAINT-PIERRE: A l'article 9, l'amendement proposé est le suivant: "Tout pain doit porter sur l'emballage le nom de l'entreprise qui le fabrique et l'endroit de la fabrication."

M. PAUL: Vous amendez encore l'amendement que vous aviez donné.

M. SAINT-PIERRE: Pardon?

M. PAUL: Vous amendez à nouveau l'amendement que vous nous avez donné.

M. SAINT-PIERRE: A votre demande je lis l'amendement que je vous ai fait parvenir il y a une semaine. C'est le même amendement.

M. PAUL: Là vous parlez de la fabrique et nous avons le nom de celui qui l'a fabriqué.

M. ROY (Beauce): L'amendement que vous avez donné est...

M. SAINT-PIERRE: Oui.

M. ROY (Beauce): ... Tout pain doit porter sur la partie supérieure ou un des deux côtés latéraux de l'emballage le nom de la boulangerie qui le fabrique. C'est le texte de l'amendement que l'on nous avait remis.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le texte d'amendement que j'ai ici, c'est...

M. ROY (Beauce): Le texte de l'amendement, je pense que ce serait normal que nous en ayons une copie.

M. PAUL: Est-ce que le ministre a pris connaissance de sa loi?

M. SAINT-PIERRE: Bien, j'ai une photocopie là.

M. DEMERS: II amende...

M. SAINT-PIERRE: Le texte que j'ai et qui a été distribué par le secrétariat est la suivant: Remplacer l'article 9 par le suivant: Tout pain doit porter sur l'emballage le nom de l'entreprise qui le fabrique et l'endroit de la fabrication. Tout pain dont l'emballage porte comme inscription principale un nom ou une marque de commerce qui n'appartient pas à l'entreprise qui le fabrique doit porter l'inscription suivante: "Fabriqué par (nom du fabricant) selon les indications de (nom de l'entreprise qui l'a commandé).

M. DEMERS: Ce n'est pas ce que vous nous chantiez tantôt.

M. PAUL: Pourquoi arrivez-vous encore avec un texte aussi touffu? Pourquoi est-ce que l'honorable ministre — ah! je suis content de voir que son brillant conseiller est arrivé, là on peut discuter d'égal à égal, on peut être placé sur la même longueur d'onde — n'accepterait-il pas les conseils du brillant légiste qui siège par accident à sa gauche pour que le premier paragraphe de l'amendement qu'il vient de nous proposer se lise plutôt comme suit? Vous savez, la langue française, et je suis heureux de constater l'arrivée de mon collègue le député de Chicoutimi qui va maintenant nous surveiller...

M. DEMERS: Un fin linguiste.

M. PAUL: Le ministre nous propose le texte suivant : Tout pain doit porter sur l'emballage le nom de celui qui le fabrique et l'endroit de la fabrication. C'est une redondance; pourquoi ne pas dire tout simplement: "Tout pain doit porter sur l'emballage le nom et l'adresse du fabricant"? Comme c'est beau la langue française!

M. DEMERS: C'est concis, n'est-ce pas?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est parfait pourvu que "tout pain" ne soit pas entendu au sens du ministre de l'Agriculture.

M. PAUL: Autrement, c'est lourd.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela alourdit le pain pour rien.

M. DEMERS: Cela fait retomber le pain.

M. PAUL: "Tout pain doit porter sur l'emballage le nom et l'adresse du fabricant."

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est tellement plus simple. C'est tellement plus légal.

M. PAUL: Je remercie le ministre de m'avoir félicité pour l'excellente suggestion que je viens de lui faire.

M. DEMERS: II a l'intention de vous écrire.

LE PRESIDENT (M. Blank): "Tout pain doit porter le nom et l'adresse du fabricant."

M. PAUL: Oui, le texte est amélioré. M. DEMERS: Là c'est très bien.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté?

M. DEMERS: Bien oui.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 10.

M. DEMERS: M. le Président, article 10: "Le lieutenant-gouverneur en conseil peut adopter des règlements pour régir le commerce du pain au Québec et plus particulièrement: a) pour établir des normes relatives à la publicité, à l'étiquetage et à l'emballage du pain."

Je trouve excessifs ces pouvoirs et je me demande ce que vient faire le ministre dans l'établissement "des normes relatives à la publicité, à l'étiquetage et à l'emballage du pain." Ne serait-il pas beaucoup plus simple de laisser ça aux boulangers pour qu'ils puissent faire eux-mêmes leur publicité dans le sens de leurs besoins? Là, le gouvernement non seulement fixe des minimums, mais il fixe la façon dont on va étiqueter ces minimums. Lorsque le pain sera fabriqué maintenant, il faudra que le type qui veut faire de la publicité consulte le ministre. Même le ministre des Institutions financières aurait son mot à dire là-dedans, si on veut tirer l'affaire par les cheveux. Je ne parle pas du ministre, il n'y a pas grand prise.

M.PAUL: C'est un homme qui a du front.

M. DEMERS: C'est un homme qui a beaucoup de front. Je voudrais qu'on enlevât ce paragraphe a) que je trouve surérogatoire. Je me demande ce que ça vient faire, et pourquoi le ministre s'arroge des pouvoirs semblables, alors que la publicité doit relever de l'initiative privée et du bon vouloir de chacun.

M. SAINT-PIERRE: II me semble qu'on peut voir dans ce pouvoir de réglementation non pas le type de pouvoir abusif que le député de Saint-Maurice soulève. Nous avons une loi qui touche l'ensemble du commerce du pain. Je pense que, tout au long du rapport Tessier, tout au long du projet de loi que nous avons discuté à maintes reprises, tant lorsque nous avons parlé de la protection des consommateurs que de la protection et de la survie des petites boulangeries, les articles de publicité abusive, d'étiquetage non conforme aux faits ou d'emballage pouvant tromper le consommateur ont surgi.

H s'agit de donner un pouvoir de réglementation qui permettrait de corriger des abus possibles. Cela ne va pas dans l'essence même du projet de loi, mais il me semble que c'était un des aspects du problème. D'ailleurs, ce n'est pas le ministre; c'est le lieutenant-gouverneur en conseil, c'est l'Exécutif qui possèdent certains pouvoirs de réglementation.

S'il y a des abus dans ces secteurs, ce n'est pas, demain matin, qu'on va commencer à dire: Vous n'avez pas le droit de faire de la publicité dans les journaux. Ce n'est pas notre intention, mais on se dit que si, dans la publicité, on tente de tromper, de contourner la loi — le député de Beauce mentionnait que des gens ont beaucoup d'imagination pour contourner la loi — il y aura une réglementation qui permettrait de préciser, puis, enfin, de définir, tant pour la protection des consommateurs que pour la protection des boulangeries, ce qui survient exactement.

M. DEMERS: Quelle sécurité vont avoir les fabricants de pain au sujet de la publicité? Est-ce qu'il y a un coussin de sécurité pour ces gens-là? Est-ce qu'ils peuvent avoir un semblant de protection, si toute la réglementation est laissée au conseil des ministres par règlement? Quelle va être l'initiative privée dans ce domaine-là, si, avant de faire de la publicité, on doit téléphoner au bureau du ministre? Les règlements vont être affichés, je suppose, puis on va recevoir un livre de règlements disant qu'on n'a pas le droit de dire ceci ou cela, de dire qu'il y a tel ingrédient dans le pain.

Les croissants devront être faits de telle façon. Je me demande où est l'initiative privée

là-dedans. C'est rendu tellement socialisant qu'on va même dans le pain, dans les croissants, dans les brioches, dans les baguettes, dans tout. On a laissé passer la fixation d'un prix minimum, malgré nous, on a demandé une fixation du prix du pain au gros, ça nous a été refusé. Aujourd'hui, pour des affaires aussi tatillonnes que de fixer la publicité, bien, le gouvernement va lui-même édicter quelle sera la réglementation sans laisser à l'initiative privée aucune marge.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, sur cette question, je suis parfaitement d'accord avec le ministre, si c'est l'intention du gouvernement d'inclure le paragraphe a) de l'article 10. Je voudrais répondre aux arguments du député de Saint-Maurice. Il ne s'agit pas de socialisation à outrance. Je dirais même, pour l'information du député de Saint-Maurice, que...

M. DEMERS: D'abord, vous n'avez pas d'affaire à me répondre. C'est le ministre que je questionne ; laissez-le me répondre.

M. CHARRON: D'accord, si vous êtes pointilleux cet après-midi. Je vais vous parler d'une autre façon. M. le Président, je parle en faveur du paragraphe a), et j'ajoute des arguments à ceux que le ministre vient déjà d'apporter. Que le député de Saint-Maurice les écoute ou ne les écoute pas.

M. DEMERS: Ah! je les écoute.

M. CHARRON: Je dis que dans ce modèle d'intervention de l'Etat dans ce qui s'appelle la protection du consommateur — je ne dis pas dans les règles de tout ce qui doit entrer partout dans le comportement des individus — un des gouvernements les plus intervenants dans ce domaine-là, et même les militants pour la protection du consommateur le reconnaissent, c'est le gouvernement peut-être le plus libéral au monde, le gouvernement des Etats-Unis. Au cours des dernières années, on a multiplié ce genre d'interventions non pas pour obliger l'entreprise privée à se conformer à des normes de production mais dans l'esprit d'une protection du consommateur.

Cela m'étonne d'entendre des arguments comme ceux-là parce que je me souviens du débat sur le bill 45 où on insistait, nous aussi de notre côté, parce qu'il y avait vraiment des failles dans ce projet de loi, pour dire que la protection du consommateur n'était pas à ce point claire et précise et que le gouvernement s'esquivait. Je suis convaincu que si, demain matin, une marque de pain était annoncée et que des consommateurs avertissaient des députés de cette Chambre qu'il y a fraude, publicité frauduleuse, le député de Saint-Maurice, vigilant comme il l'a toujours été depuis qu'il est en Chambre, serait le premier à bondir et à demander au ministre de l'Industrie et du Commerce.: Qu'est-ce que le ministre entend faire contre ce genre de publicité où l'on annonce des ingrédients qui ne figurent pas dans le produit, où on annonce un poids qui n'est pas le poids réel du produit? Il s'agit de protéger le consommateur sur ce plan-là.

On serait les premiers à demander l'intervention de l'Etat, du gouvernement dans ce domaine-là; ce n'est pas du socialisme, c'est de la civilisation. A une époque où, souvent, la course au profit est à ce point folle qu'on peut truquer une publicité — et les exemples s'accumulent déjà sur le bureau de l'Office de protection du consommateur qui existe depuis très peu de temps — je ne vois pas pourquoi une matière aussi vitale, sans aucun jeu de mots, que le pain ne nécessiterait pas une intervention. Je suis parfaitement d'accord pour que le paragraphe a) figure à l'article 10.

M. DEMERS: M. le Président...

M. ROY (Beauce): M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Beauce.

M. ROY (Beauce): M. le Président, sur ce point du paragraphe a), nous avons adopté une loi, à l'Assemblée nationale, qu'on appelle la loi 45, la Loi de la protection du consommateur, qui n'est pas complète, nous le savons. On sait aujourd'hui que, dans ce domaine, les commerces, les industries sont obligées de satisfaire aux exigences de la Loi de la protection du consommateur, ils sont obligés de s'y soumettre mais il faut aussi regarder la logique, il faut regarder le bon sens, je pense, il faut avoir un peu plus de sens pratique. Il y a déjà toutes les normes, tous les règlements découlant de la Loi de la protection du consommateur, qui sont des règlements qui doivent être suivis, et il arrive, en plus, une autre forme de réglementation, d'autres règlements, par la loi du pain, pour régir la publicité, l'étiquetage et l'emballage du pain.

Nous ne sommes pas opposés, au contraire, à ce qu'il y ait certaines normes dans la publicité et qu'on respecte la vérité. Nous sommes bien d'accord que l'étiquetage des produits soit fait de façon à identifier le produit, mais lorsqu'on est rendu dans l'emballage du pain, je me demande sincèrement où on veut aller, je me demande si on n'est pas en train de créer d'autres carcans qui vont encore augmenter les frais fixes, augmenter les frais d'administration de l'entreprise et alors, au nom de la protection du consommateur, on fait encore payer cela par le consommateur. Les frais que doit envisager l'entreprise, il ne faut jamais oublier que c'est le consommateur qui paie, en définitive, il n'y a jamais eu d'erreur là-dessus, je pense.

Il y aura deux lois, deux formes d'étiqueta-

ge, deux formes de publicité. Je comprends qu'il peut y avoir une relation entre cette loi-ci et la Loi de la protection du consommateur de façon que la réglementation tienne compte de ce qu'il y a déjà d'édicté, de prévu dans la Loi de la protection du consommateur. Si c'est déjà dans la Loi de la protection du consommateur, pourquoi l'inclure dans la Loi de la fabrication du pain? Pour quelle raison avoir deux catégories d'inspecteurs sur les routes, des gens qui vont enquêter au nom de la protection du consommateur, et des gens qui vont aller faire l'inspection des établissements au nom de l'application de la loi du pain, et doubler encore le personnel, le service d'inspection?

Or, on connaît l'habileté de certaines personnes à faire des règlements compliqués et des règlements très étendus dans tous les domaines pour tout régir, y compris les virgules. M. le Président, toute cette réglementation abusive que nous avons, je comprends que ça fait l'affaire du Parti québécois, parce qu'il s'agissait tout simplement pour le député de Saint-Maurice de proposer, de prononcer le mot "socialisation", je savais immédiatement que le Parti québécois allait être pour, parce que la socialisation pour lui, peu importe ce que c'est, on y va. Il ne se pose même pas de question là-dessus. Il faut l'intervention de l'Etat partout. Mais l'Etat c'est qui? L'Etat c'est quoi? Pourquoi toujours intervenir? Je comprends qu'il faut de la surveillance, qu'il y ait des normes, mais de là à tout régir, à tout réglementer, de façon que plus personne ne soit capable de poser un geste sans avoir dans ses poches le petit livre de règlements pour savoir s'il est dans la légalité ou dans l'illégalité...

On régit au Québec à l'heure actuelle puis on appelle ça de la civilisation. La civilisation, dans l'esprit de certaines personnes, c'est qu'il y a 5,900,000 personnes dans la province de Québec qui sont dépourvues d'intelligence, 5,900,000 personnes dans la province de Québec qui n'ont plus de compétence, 5,900,000 personnes dans la province de Québec qui n'ont plus aucun sens des responsabilités, qui n'ont plus aucun critère d'honnêteté. Il y a seulement les 100,000 fonctionnaires, si vous voulez, qui, d'après certaines personnes, sont mandatés par l'Etat avec un mandat précis de faire surveiller des règlements, de surveiller l'application de certains règlements et de voir à faire des règlements pour tâcher qu'ils soient le plus compliqués possible, pour tâcher de faire des rapports le plus volumineux possible, et on sait les rapports volumineux qui ont suivi lorsque la réglementation a été établie. J'ai fait un parallèle la semaine dernière, et je le fais encore aujourd'hui avec la Loi des produits pétroliers qui a décidé jusqu'à la grosseur du tuyau qui peut relier la pompe au réservoir. C'est tout simplement ridicule. De cette façon on place les gens dans une situation telle, à un moment donné, que c'est encore les petites entreprises qui ne sont pas capables de tenir le coup, parce que justement elles n'ont pas les moyens, elles n'ont pas le personnel voulu et que tous ces changements de réglementation nécessitent pour elles des déboursés toujours additionnels, des déboursés toujours de plus en plus grands.

Si on réunit, par exemple, les normes de publicité, si on parle de la publicité à la télévision, de la publicité dans les journaux, on sait que tenant compte du type, de la grosseur de l'entreprise, de l'endroit où elle est située au Québec, elle n'utilise pas toujours les mêmes moyens de publicité pour se faire connaître, pour faire connaître son produit au public. Mais on sait très bien que le gouvernement n'a jamais établi dans aucun ministère des normes différentes d'un endroit du Québec à un autre. Cela veut dire que de La Sarre, Abitibi, jusqu'en Gaspésie, les normes vont être les mêmes partout dans la province de Québec. Si on a, à un moment donné, une petite boulangerie qui veut faire preuve d'initiative, qui veut faire la promotion de son produit — parce qu'elle n'a pas les moyens d'aller à la télévision, ni les moyens d'aller dans la grosse publicité à la radio et un peu partout— et qui veut utiliser son papier d'emballage pour essayer d'attirer l'attention, elle sera prise, encarcannée par les normes du ministère, les normes du gouvernement et elle ne pourra plus bouger.

Moi, je pense que, dans la question de la réglementation, à ce sujet, si la Loi de la protection du consommateur est là, qu'on s'en serve donc. Dans cette Loi de la protection du consommateur, nous savons qu'il y a quand même des normes, des minimums à respecter. Qu'on protège le consommateur, d'accord, mais lorsqu'il s'agit de réglementation qui ne protège plus le consommateur mais qui est de la réglementation puis de la réglementation, nous, en ce qui nous concerne, nous nous y opposons.

M. DEMERS: M. le Président, je voudrais faire une petite mise au point à la suite des propos tenus par mon excellent ami le député de Saint-Jacques. Je voudrais dire qu'en ce qui a trait à la protection du consommateur, je suis d'accord, mais le but de la loi est de protéger aussi le boulanger, d'assurer la survie du boulanger. Je comprends qu'il y aura un contrôle des poids et mesures, et que c'est le gouvernement d'une autre juridiction qui va l'exercer.

Il y aura aussi les ingrédients qui doivent entrer dans le pain. Et il y aura une foule d'inspecteurs, comme l'a dit le député de Beauce tantôt, qui verront à l'application. Mais je voulais, dans mes propos, laisser un peu d'initiative à ceux qui fabriquent le pain parce que ce sont eux qui doivent établir un chiffre d'affaires à la fin de l'année. S'ils ont été limités à un carcan, à un cadre très précis par la publicité, par l'emballage et toutes ces choses, et s'ils ne font pas d'affaires, ce sont eux qui vont s'en aller et disparaître. C'est ce que le ministre veut éviter.

Il n'y a pas, comme le disait hier soir un

collègue, un opinant, d'autre produit à vendre pour ces gens que du pain. Leur seul marché, c'est de vendre du pain. Ils ne peuvent pas avoir d'adjuvant comme, par exemple, s'ils vendaient des oeufs avec le pain pour passer le pain. Ce n'est pas cela, ils sont limités au pain.

M. LAVOIE (Laval): C'est leur gagne-pain!

M. DEMERS: C'est leur gagne-pain, comme me dit si bien un loustic, M. le Président. C'est le sens de mon intervention. Je voudrais que le ministre, dans sa réplique, nous précise exactement dans quel esprit il entend appliquer le paragraphe a) de l'article 10.

M. SAINT-PIERRE: M. le Président, on a soulevé le fait que dans une loi, le chapitre 74 des lois de 1971, qui touche la protection des consommateurs on avait des dispositions analogues à celles qu'on retrouve dans l'article 10.

Si on regarde bien cette loi, je pense qu'on conviendra avec moi que, bien que la Loi de la protection du consommateur a tenté d'aborder bien des thèmes, elle n'a pas touché au thème qui nous intéresse. Elle a touché surtout les ventes à crédit. Elle a touché les vendeurs itinérants. Elle a touché les questions de résiliation de contrats. Elle a touché à tous ces aspects, surtout ce qui touche des engagements contractuels, le prêt d'argent, le contrat accordé à un crédit variable, le contrat assorti d'un crédit accessoire, la vente à tempérament.

C'est dans d'autres lois qu'on trouve des dispositions semblables à celles-ci. Dans la Loi des heures d'affaires il y a un pouvoir de réglementation qui permet des variations et qui a été bénéfique, je pense, aux petits commerçants.

C'est pour cela que je ne puis accepter le point de vue soulevé par le député de Beauce à l'effet que ce pouvoir de réglementation va atteindre d'une façon plus difficile les petites boulangeries puisqu'elle va leur imposer à elles-mêmes l'obligation de se conformer à des règlements en matière, comme nous le mentionnons, de publicité, d'étiquetage et d'emballage. D'ailleurs, encore une fois, je renvoie le député de Beauce à la commission parlementaire où les représentants des boulangeries n'ont exprimé aucune opposition vis-à-vis de ce pouvoir de réglementation. Si j'avais le temps voulu, je pourrais lire au député de Beauce, peut-être qu'il a déjà commencé à en recevoir, des télégrammes des boulangers qui demandent que ces dispositions soient appuyées.

Enfin, comme je le mentionnais également, dans l'ensemble de nos discussions il n'y a pas une intervention qui n'a pas abordé, dans le commerce du pain, des aspects très importants de publicité, d'étiquetage et d'emballage.

En nous donnant un tel pouvoir, nous ne voulons pas restreindre l'exercice normal de la liberté d'entreprise chez des gens. Mais nous pensons, encore là, établir un moyen terme entre les droits des consommateurs et les droits des boulangeries. Ce n'est pas l'intention d'avoir des mesures excessives mais il nous parait nécessaire d'avoir ce pouvoir de réglementation. Sinon c'est ouvrir la porte à des abus flagrants par lesquels on va tenter de contourner l'esprit même de la loi qui aurait été votée en cette Chambre.

M. DEMERS: M. le Président, est-ce que la réglementation est prête? Non? Vous n'avez aucune idée encore.

LE PRESIDENT (M. Blank): L'article 10 a), adopté sur division.

M. DEMERS: Ah non! pas sur division.

LE PRESIDENT (M. Blank): Non. Alors, adopté. Article 10 b)?

M. ROY (Beauce): L'article 10 a) seulement. L'article 10 b)...

M. SAINT-PIERRE: L'article 10 b), M. le Président, s'explique à sa lecture même. Il touche des points qui avaient été soulevés par le député de Nicolet. Justement, l'article 10 b) nous montre jusqu'à quel point on ne veut pas avoir des nonnes qui vont s'appliquer sans aucune nuance. On voit que par l'article 10 b) il nous sera possible d'exempter, en totalité ou en partie, de l'application de la présente loi et des règlements certaines catégories de pain. Alors, c'est utiliser le bon sens, si je prends l'exemple du député de Nicolet.

Il est bien sûr que si dans nos dispositions réglementaires on exige que le pain soit emballé pour des raisons sanitaires, on pourrait permettre à des artisans, le long de la route 6 de la Gaspésie, de vendre un pain de ménage qui n'est pas emballé. C'est simplement une possibilité pour donner plus de flexibilité à la loi.

M. DEMERS: M. le Président, au sujet de ce pain de ménage, je pense qu'il serait peut-être bon qu'on ait des précisions. Est-ce que la catégorisation d'un pain rassis, à quatre jours, s'appliquera ou si le ministère a l'intention d'exempter globalement ce pain? On ne nous dit pas quelle est l'intention du gouvernement à ce sujet. IL se réserve la possibilité d'intervenir. Mais si les boulangers, un matin, viennent vous dire: Exemptez donc cela, soumettez-les donc à la loi du pain, vous allez les embarquer sous la même loi. Ces gens, comment pourront-ils faire pour vivre?

Leur pain, d'abord, ne répond aucunement aux normes de poids. Il y a aussi l'emballage, l'âge, la texture et les ingrédients. Est-ce l'intention du ministre de soustraire ces pains à la loi?

M. SAINT-PIERRE: Non, M. le Président. Dans les propos du député de Saint-Maurice, on tient pour acquis que, dès que les boulan-

gers vont nous demander quelque chose, on va s'incliner, on va dire oui. Ce n'est pas du tout notre intention. L'esprit, comme je l'ai mentionné, de l'article 10, c'est simplement le gros bon sens. Le but de la loi, je pense qu'il était clair — cela fait trois jours qu'on en parle — de même que les objectifs et le principe même de la loi.

Je vous donne un exemple. Si un pain danois se vend à raison de 1,000 par semaine dans le Québec, on n'est pas pour commencer à le réglementer. Si on vise le but de la loi, tant vis-à-vis de la protection du consommateur que vis-à-vis des boulangeries, on comprend bien que pour un pain danois, qui se vend à raison de 1,000 exemplaires par semaine et qui est une spécialité ce serait réellement compliquer la vie de tous et chacun de tenter d'avoir une réglementation.

Les pains qui se vendent en petites quantités, les genres de petits pains qu'on sert dans les cocktails ou ailleurs, est-ce qu'on a un intérêt à entrer dans cela? D'ailleurs, à l'article 6, on a soustrait les pains de six onces et moins, pour les raisons que j'ai fait valoir à ce moment. Alors, c'est pour tenter de ne pas être pris avec une loi, en fait, qui nous empêcherait d'accepter le bon sens. Vous avez donné des exemples, mais ce n'est pas du tout notre intention de tenter d'exclure la fabrication du pain de ménage ou de tenter de rendre la vie compliquée à des artisans. Nous voulons atteindre les fins de la loi en ayant un certain pouvoir de réglementation pour exempter des choses qui devraient l'être.

Je pense que tous les partis de l'Opposition en conviendraient.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Paragraphe c)?

M. SAINT-PIERRE: M. le Président, encore là, je pense que cela va toucher le député de Beauce. Comme il y a déjà des communautés urbaines qui, au niveau de l'inspection des aliments, de l'inspection de l'hygiène, ont certains services, qui surveillent des établissements, pour ne pas dédoubler ce personnel, pour ne pas centraliser à Québec, on se donne, au paragraphe c), un pouvoir de réglementation qui nous permet de confier à une municipalité ou à une communauté urbaine l'application de la présente loi.

Bien sûr, on n'obligera pas une petite municipalité de la Beauce — que ce soit Saint-Georges ou une autre — à engager un inspecteur pour surveiller le pain. On le fera pour elles. Mais, dans une ville plus importante, comme Sherbrooke, si elle est dotée, au niveau de ses services municipaux, d'un service d'inspection, on pourrait alors confier l'application de la loi à l'autorité municipale.

M. ROY (Beauce): Autrement dit, le ministre veut nous dire par là qu'il veut être en mesure d'utiliser les services déjà existants dans les municipalités, mais qu'il n'obligerait pas les municipalités à se doter d'un tel service, compte tenu du fait que la surveillance de cette réglementation touchant le pain s'ajouterait aux autres surveillances déjà nécessaires pour les établissements qui vendent de la viande et autres choses. Aucune municipalité ne serait obligée. Autrement dit, le gouvernement n'a pas l'intention de forcer aucune municipalité à accepter cela. Cela va.

LE PRESIDENT (M. Blank): Paragraphe c), adopté.

UNE VOIX: Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 10, adopté.

Article 11?

M. DEMERS: M. le Président, dans le domaine des inspections et des inspecteurs, c'est bien l'intention du ministre de créer des inspecteurs avec un rôle spécifique d'inspection du pain. D'après la loi, ce serait cela?

M. SAINT-PIERRE: Comme au ministère nous sommes également responsables de l'application d'autres mesures — je pense à la Loi des heures d'affaires — ce n'est pas impossible qu'à l'intérieur de la division du commerce il y ait un groupe d'inspection qui reçoive des plaintes de nos délégués régionaux ou qui fasse lui-même enquête sur plus d'une loi, dont celle-ci.

M. DEMERS: A moins que je ne me trompe, il y a l'inspection sanitaire des boulangeries qui relève d'un autre ministère que le vôtre; peut-être qu'il y aurait possibilité de greffer le tout à ça pour ne pas faire une superfétation, d'avoir un dédoublement. Moi, je n'ai aucune objection.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 11, adopté. Article 12.

M. DEMERS: Un instant, s'il vous plaît. Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Article 13.

M. DEMERS: Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 14.

M. DEMERS: Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 15.

M. DEMERS: Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 16.

M. DEMERS: Une minute, s'il vous plaît. Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Article 17. M. DEMERS: Adopté. LE PRESIDENT (M. Blank): Article 18. M. DEMERS: A 18, j'ai une question...

LE PRESIDENT (M. Blank): II y a un amendement. L'article 17 devient l'article 16.

M. DEMERS: C'est là que je trouve qu'il y a une faiblesse dans la loi. On dit: "Lorsqu'une corporation commet une infraction à la présente loi ou à un règlement, tout officier, administrateur, employé ou agent de cette corporation qui a prescrit ou autorisé l'accomplissement de l'infraction ou qui y a consenti...", il devrait être puni — d'après l'article 18 — selon l'infraction commise à l'article 16. Il devrait être considéré comme une personne, et non pas comme une personne morale. C'est bien ça?

M. SAINT-PIERRE: C'est ce que l'amendement fait à l'article 16.

M. DEMERS: Mais vous n'avez pas pensé que si on fait ça, les grandes chaînes, les grandes maisons auront toujours un indivudu qui épousera leurs responsabilités, elles le mettront en avant comme paravent, show boy et il sera astreint à payer $200 d'amende au lieu de $500 ou de $1,000 ou de $5,000.

M. SAINT-PIERRE: Non, je pense que le sens de l'article 17, c'est justement...

M. DEMERS: Je parle de l'article 18.

M. SAINT-PIERRE: Oui, je sais. Mais 17 établit clairement que la corporation peut être poursuivie. L'article 16 établit qu'une personne peut être poursuivie. L'article 18, avec l'amendement qui change 17 à 16, établit que lorsqu'une corporation commet l'infraction, non seulement la corporation peut être poursuivie suivant l'article 17, mais, en plus, on peut poursuivre "tout officier, administrateur, employé ou agent de cette corporation qui a prescrit..."

M. DEMERS: C'est très bien. J'ai saisi. Non seulement la corporation, le gros est poursuivi, mais l'homme qui travaille pour eux a une poursuite individuelle, comme si c'était un simple individu.

M. PAUL: Nous avons les mêmes dispositions dans les lois du revenu.

M . CHARRON: Mais quand les deux dernières lignes de l'article 18 disent: "... que la corporation ait ou non été poursuivie ou déclarée coupable.", comment l'article 18 peut-il s'appliquer si l'article 17 ne s'applique pas? Parce qu'on commence l'article 18 en disant: "Lorsqu'une corporation...", on présume qu'elle a commis une infraction. Si elle a commis une infraction, elle doit automatiquement être poursuivie en vertu de l'article 17. Qu'on ne dise pas, à la fin: qu'elle ait ou non été poursuivie. Comment va-t-on poursuivre le gars si on n'a pas poursuivi la corporation?

M. SAINT-PIERRE: Souvent, dans le cas des infractions commises à l'intérieur des corporations, il nous revient d'établir le fardeau de la preuve et le mécanisme de décision qui a donné lieu à l'infraction. L'article 18, tel qu'il est rédigé, nous permettrait d'entamer des poursuites contre la personne, sans être obligés d'attendre qu'il y ait preuve suivant l'article 17, vis-à-vis de la corporation elle-même.

Et deuxièmement, l'article 18 nous permettrait — je reconnais la justesse des propos que vous tenez, en le lisant moi-même — dans certains cas douteux... Il se peut que, dans certains cas, à l'intérieur d'une corporation, l'infraction ait été commise; mais en faisant la preuve, on établit que, bien que l'infraction ait été commise à l'intérieur du marché d'alimentation — disons Steinberg,— ni la compagnie, ni ses officiers, ni même son gérant de l'établissement n'était partie à l'infraction.

Cela nous permet donc, même si l'infraction est commise à l'intérieur du cadre d'affaires de la compagnie, d'attaquer une personne qui, directement, aurait pu violer la loi. Et plus la deuxième...

M. CHARRON: Je signale au ministre que je n'en avais pas à la dernière partie qui s'appelle "ou déclarée coupable".

J'admets que la corporation peut être innocentée et que la faute repose sur un individu qui aurait pris la décision de lui-même. Mais qu'on dise qu'elle "ait été ou non poursuivie", alors que dans la première ligne de l'article on admet qu'elle a commis une infraction, le moins qu'on fasse c'est qu'on la poursuive également. Il se peut qu'au bout du jugement il n'y ait que l'individu de coupable et non pas la corporation. Si on commence un article de loi en disant: II y a eu une infraction commise par une corporation et qu'à la fin on dit qu'on ne la poursuivra même pas...

M. DEMERS: Cela dépend comment les avocats...

M. CHARRON: ... à moins que le député de Maskinongé...

M PAUL: M. le Président, il me fait toujours plaisir d'instruire le jeune député de Saint-Jacques. Voici, il arrive trop souvent hélas que les compagnies fassent faillite. Dans le présent

cas, il peut être évident qu'une infraction ait été commise par une compagnie qui est devenue entièrement insolvable ou en faillite. En vertu de notre droit pénal, une amende est imposée contre une corporation; il n'y a pas d'emprisonnement, c'est une amende qui est imposée. En face d'une telle situation, il peut arriver que le ministère ait une plainte, une preuve d'une infraction commise mais qu'il lui serait tout â fait inutile de porter plainte ou de faire la preuve devant les tribunaux à cause de l'insolvabilité ou la faillite de la corporation. A ce moment-là, le ministère pourrait toujours rejoindre la partie à l'infraction conformément aux dispositions de l'article 18 de notre loi.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Article 19, adopté. Article 20, adopté.

M. DEMERS: Adopté, M. le Président. LE PRESIDENT (M. Blank): Article 21. M. DEMERS: Adopté.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Le nouvel article 22 maintenant.

M. SAINT-PIERRE: A l'article 22, M. le Président, on a l'amendement suivant: Jusqu'à ce qu'un arrêté en conseil soit adopté en vertu de l'article 3, le prix minimum visé à l'article 2 est fixé de la façon suivante: pain seize onces, prix $0.18; 20 onces, $0.20; 24 onces, $0.22 et 32 onces, $0.30.

Je voudrais aborder quelques thèmes pour justifier cet amendement. Le rapport Tessier a été amorcé après des études tant au niveau provincial que fédéral. Elles avaient commencé en 1967-1968 devant une situation bien difficile. Je ne voudrais pas reprendre tous les thèmes mais le plus rapidement possible nous avons déposé le projet de loi devant cette Chambre, compte tenu des problèmes constitutionnels qui nous ont retardés pendant cinq ou six mois et qui ont été réglés. Je l'ai déposé le 22 décembre 1971. Vous vous rappelez qu'on avait presque obtenu un consensus mais, devant des réactions non pas négatives mais des doutes d'un des partis de l'Opposition, soumis par le député de Maskinongé, nous avions décidé qu'il était prudent de ne pas adopter à la vapeur ce projet de loi, de le déférer à une commission parlementaire pour entendre les parties.

Nous l'avons fait le plus rapidement possible et nous avons passé une journée entière à entendre les parties, à la fois les consommateurs, les boulangeries et les représentants de la grande entreprise. Par après, compte tenu de l'étude des crédits, l'étude sur le budget et d'autres dispositions du projet de loi, nous nous retrouvons dans une autre période de trois mois écoulés et les boulangeries n'ont encore rien qui corresponde à ce qu'elles prétendent et â ce que nous croyons être un remède nécessaire pour remédier â la situation actuelle.

J'ai déposé l'autre jour — et je ne sais pas, pour les fins de la discussion, si chacun des députés en a une copie, peut-être qu'on a des copies additionnelles — un relevé des prix du pain blanc tranché enveloppé, le 21 juin 1973. Compte tenu des variations de poids, on se rend compte que les prix mentionnés dans mon amendement sont égaux ou supérieurs à ceux qui sont proposés dans l'amendement. Tout cela pour dire que si nous acceptons l'amendement Il n'y a aucune augmentation de prix, dans l'hypothèse où les marchands pourraient retenir le prix minimum inscrit dans la loi.

Il n'y a aucune augmentation de prix pour toutes les régions du Québec, sauf trois: la ville de Sherbrooke où le pain se vendait, dans une partie des établissements, à $0.18 — ailleurs, c'était à $0.27 et $0.28— ce qui représenterait une augmentation de $0.02; Trois-Rivières où le pain de 20 onces se vend $0.19, alors que la loi prévoit $0.020 et, finalement, Valleyfield où, pour le pain de $0.24, il y aurait une augmentation de $0.04. On se rend compte que Valleyfield est l'endroit dans la province où, pour différentes raisons, il y a eu la plus grande bataille des prix du pain par rapport à n'importe quelle autre là-bas.

Alors, j'explique mon amendement. S'il était minuit, je demanderais presque le consentement unanime, mais nous avons encore un peu de temps avant l'ajourenement.

M. PAUL: Oui, jusqu'à minuit.

M. SAINT-PIERRE: On peut aller jusqu'à minuit. En expliquant le sens de cet amendement, bien entendu, je réitère la promesse que j'ai faite, hier soir, que, dès que nous utiliserions le mécanisme de l'article 2 et de l'article 3, nous convoquerions une commission parlementaire pour entendre toutes les parties.

Je reconnais que ce n'est pas facile. Il n'y a pas un ordinateur, il n'y a pas une équation mathématique qui puisse jouer avec les paramètres des prix de revient et indiquer la nécessité d'avoir une hausse. L'article que nous apportons s'inscrit donc dans les dispositions transitoires pour permettre à la loi votée par la Législature d'avoir au moins un effet immédiat au niveau des petites boulangeries. Je ne voudrais pas vous lire une pléiade de télégrammes que j'ai reçus. J'ai passé quelque temps à mon bureau; j'en ai devant moi de M. Bertrand Gagnon, de la région de Rimouski, de la boulangerie Saint-Laurent, de Luceville.

Chacun de ces témoignages — il y en a d'autres qui ont été reçus — indique jusqu'à quel point le projet de loi est nécessaire et urgent. Or, si nous votons le projet de loi sans l'amendement proposé, il faut bien se rendre compte qu'avec la meilleure volonté du monde la loi ne pourrait pas avoir effet avant le mois de septembre. Expliquons-nous. La loi est votée. Nous procédons avec beaucoup de diligence. Nous faisons faire les avis dans la Gazette officielle et nous laissons le délai de trente

jours. Je remplis ma promesse de convoquer la commission parlementaire dans le mois d'août. Nous écoutons les parties, nous réfléchissons à l'ensemble du problème. Nous serons à la mi-septembre, peut-être même au début d'octobre, avant d'avoir des correctifs à la situation actuelle.

Alors, pour ces raisons et reconnaissant la dissidence, quand même, exprimée par l'Opposition sur le principe de la loi, il me semble que, tout au moins, si la loi est acceptée par l'Assemblée nationale, l'amendement que je propose permet de donner un effet immédiat pour apporter un correctif, tout en nous laissant, de surcroît, le temps voulu pour examiner les propositions différentes. Comme je l'ai mentionné, avant de toucher à ces prix, nous convoquerions une commission parlementaire, nous prendrions tout le temps nécessaire pour nous assurer que le prix fixé, le plafond, le seuil établi correspond bien à l'évolution des prix.

Je réitère que j'ai fait des calculs rapides qui montrent ce qui arriverait si les prix minimums que je propose dans l'article 22 étaient utilisés par les marchands.

M. DEMERS: Est-ce que vous pourriez les répéter, s'il vous plaît?

M. SAINT-PIERRE: Ces prix sont: 16 onces, $0.18; 20 onces, $0.20; 24 onces, $0.22 et, 32 onces, $0.30.

M. DEMERS: II n'y en a pas de 48 onces?

M. SAINT-PIERRE: Non, parce qu'on a enlevé les pains de 40 onces dans la loi. Alors, si on les compare au 21 juin, cela ce sont des seuils minimums. Les marchands peuvent demander davantage, mais ce seraient les seuils minimums. Si ces seuils minimums étaient utilisés par tous et chacun, effectivement ce serait une diminution. Je suis assez honnête pour vous dire que je ne pense pas que cela arrivera parce que les prix minimums vont être plus bas que les prix du marché. Prenons des exemples un peu concrets, disons à Amos ou à Rouyn-Noranda. A Amos, les prix sont actuellement de $0.29 et de $0.25. Je suis certain que, si on vote la loi pour les pains de 20 onces et de 24 onces, il n'y aura pas, demain matin, une diminution. Je pense que les prix vont rester les mêmes.

Mais ce qu'il est essentiel de se rappeler, c'est que, suivant ce tableau, pour 92 p.c. des consommateurs québécois, l'amendement que je propose ne représente aucune hausse de prix. Dans les cas où il le fait, ce sont des cas flagrants où il y a eu des abus depuis longtemps et où, justement, nous tentons d'intervenir par des correctifs.

Alors, je soumets respectueusement à cette Chambre qu'ayant accepté en deuxième lecture le projet de loi il serait approprié d'apporter un correctif immédiat, ou bien d'avoir ce mécanis- me qui ferait en sorte que cela nous prendrait trois ou quatre mois de plus avant d'apporter un correctif au problème.

M. ROY (Beauce): Est-ce que le ministre pourrait nous faire parvenir une copie de l'amendement qu'il vient de nous proposer?

M. DEMERS: M. le Président, l'amendement que le ministre vient de nous proposer comme une soeur jumelle ou un frère jumeau au télégramme qu'il avait reçu des boulangers en date du 19 juin 1973. C'est exactement cela?

M. SAINT-PIERRE: En toute honnêteté...

M. DEMERS: Ce n'est pas son amendement, c'est l'amendement des boulangers.

M. SAINT-PIERRE: Non, je m'excuse. En toute honnêteté, je réclame la paternité de l'amendement.

M. DEMERS: Vous aviez envoyé un autre télégramme aux boulangers avant?

M. SAINT-PIERRE: Non, non, un instant. M. DEMERS: D'accord.

M. SAINT-PIERRE: Compte tenu des délais et pour les motifs que je vous ai donnés, avant même qu'on commence le débat de deuxième lecture, il m'avait paru nécessaire d'apporter l'amendement. Ici, je reconnais que pour fixer comme cela un prix, il faut se rappeler qu'à la commission parlementaire il s'était dégagé un consensus pour un prix un peu plus élevé. Si vous vous rappelez, à la commission parlementaire, Steinberg et les boulangers parlaient de $0.24 pour 24 onces alors qu'ici nous parlons de $0.22 pour 24 onces. C'est donc légèrement inférieur.

Comme ces prix étaient inférieurs à ce qui avait été mentionné à la commission parlementaire, j'ai pris sur moi de demander des réactions à l'Association professionnelle des boulangers, à ceux qui sont directement touchés par le problème. Je leur ai demandé quelle était leur réaction à cette échelle de prix, et c'est là qu'ils m'ont transmis un télégramme que j'aurais dû vous lire et dont je vous ai donné une copie il y a déjà une semaine, lequel télégramme se lisait ainsi: "L'Association professionnelle des boulangers du Québec exprime son accord sur quatre poids, 16, 20, 24, 32 onces — stop — accepte également que le prix minimum soit fixé dans la loi selon l'échelle suivante $0.18 pour 16 onces, $0.20 pour 20 onces, $0.22 pour 24 onces, $0.30 pour 32 onces à condition que ces prix puissent être modifiés par arrêté en conseil selon l'évolution des prix de revient." Fin du télégramme. C'est-à-dire que c'est tel que nous l'avons actuellement dans l'article 2.

M. DEMERS: M. le Président, à cet article, je me demande comment vous pouvez appliquer l'article 2 amendé avec les taux que vous venez de nous donner. Est-ce qu'on pourrait nous relire l'article 2, s'il vous plaît?

LE PRESIDENT (M. Blank): L'article 2 dit: "... le prix minimum en tenant compte du coût moyen de production d'une boulangerie faisant preuve d'une productivité satisfaisante."

M. DEMERS: Est-ce que cela a été réellement pensé en fonction de cet article ou si c'est fixé d'une façon arbitraire?

M. SAINT-PIERRE: Je pense que si l'on se réfère à l'ensemble des discussions à la commission parlementaire avec les grandes boulangeries et avec les petites, nous étions très près de ces prix. Il y en a qui étaient un peu à la hausse mais on parle de $0.01 de différence. Il faut quand même voir, dans l'article 22, une mesure intérimaire. Elle peut être modifiée. Il n'y a rien, dans la loi, qui nous empêcherait de la modifier à la baisse, si on le voulait et si, devant la commission parlementaire, l'Assemblée nationale était convaincue que ces prix sont trop élevés. Je pense qu'honnêtement, compte tenu — je vous les ai mentionnés — que les prix du marché sont actuellement supérieurs à ceux-ci, compte tenu des discussions de tous les groupes à la commission parlementaire, tant des groupes comme Steinberg que des petites boulangeries, il semblait que cette échelle de prix pouvait correspondre à notre définition d'un seuil minimum ou d'un plafond des prix de vente.

M. LAFONTAINE: Le ministre vient de mentionner le seul minimum de prix. D'après la façon dont j'ai entendu ces prix tout à l'heure, il semble plutôt qu'on ait suivi l'article 2: "De façon à assurer la rentabilité des opérations d'une boulangerie faisant preuve d'une productivité satisfaisante." Je calcule que les prix sont gelés au moins pour une couple d'années. Je ne pense pas qu'il soit prévisible qu'il y ait une révolution dans la fabrication du pain.

Les prix pourraient simplement varier suivant le taux d'inflation ou le taux de déflation. Est-ce bien cela?

M. SAINT-PIERRE: Comme je l'ai dit, on pourrait... Vous dites que les prix vont être gelés? J'espère que cela va convaincre ceux qui avaient peur pour les consommateurs.

M. LAFONTAINE: Minute, M. le Président, je m'excuse, c'est toujours par arrêté ministériel. Quand on dit que les prix vont être gelés, c'est pour autant qu'on fasse confiance au lieutenant-gouverneur.

M. SAINT-PIERRE: D'accord.

M. LAFONTAINE: Et je pense bien que personne de ce côté-ci ne fait confiance au lieutenant-gouverneur ces temps-ci. Par arrêté en conseil, évidemment.

M. SAINT-PIERRE: Pour répondre à la question, prenez le prix de la farine.

Même si la technique ne change pas, il y a des éléments dans le coût de revient qui peuvent changer sur une période de temps. On m'informait que le prix de la farine, qui est actuellement $5 les 100 livres, pourrait augmenter de près de 50 p.c. prochainement. C'est quand même une hausse possible. Cela ne veut pas dire que le prix du pain augmentera de 50 p.c., c'est peut-être un facteur négligeable, mais l'ensemble de tous ces facteurs pourrait faire que, dans huit ou neuf mois, nous devrions envisager de modifier ces prix. Là, ce serait le processus que nous avons prévu à l'article 2 qui s'appliquerait, incluant la convocation de la commission parlementaire.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté? Le député de Beauce.

M. ROY (Beauce): Si le gouvernement veut l'adopter, on va l'adopter sur division.

LE PRESIDENT (M. Blank): Sur division, l'article 23.

M. DEMERS: Vous l'avez.

M. PAUL: N'en parlez plus, vous l'avez.

M. DEMERS: Vous l'avez là, n'en parlez plus.

M. PAUL: N'en parlez plus, parce que...

LE PRESIDENT (M. Blank): L'article 23, sur division aussi?

M. BURNS: Sur division de la part des trois partis d'Opposition. Cela est important que vous le notiez.

M. ROY (Beauce): On va maintenir nos positions.

M. BLANK (président de la commission plénière): M. le Président, j'ai l'honneur de vous faire rapport que la commission a adopté le bill 277 avec des amendements.

LE PRESIDENT: Ce rapport est-il agréé?

DES VOIX: Agréé.

LE PRESIDENT: Agréé.

M. ROY (Beauce): Sur division.

LE PRESIDENT: Sur division.

M. ROY (Beauce): Sur division, non seulement d'un seul parti mais des trois partis de l'Opposition.

LE PRESIDENT: Cela fait beaucoup de divisions.

UNE VOIX: La troisième lecture.

M. PAUL: Jamais, parce que j'aurai en temps opportun une motion utile.

LE PRESIDENT: Troisième lecture, suivant le règlement, prochaine séance ou séance subséquente.

M. BURNS: M. le Président, nous avons des remarques à faire en troisième lecture. Nous préférerions que cela se fasse normalement à une prochaine séance.

M. PAUL: L'Opposition reste unie dans la division.

M. LEVESQUE: Article 8). LE PRESIDENT: Pardon?

M. LEVESQUE: Excusez, je n'ai pas le bon feuilleton.

LE PRESIDENT: Projet de loi 88? M. LEVESQUE: Oui.

Projet de loi no 88 Deuxième lecture

LE PRESIDENT: L'honorable ministre des Transports propose la deuxième lecture du projet de loi no 88, Loi de l'expropriation. Il s'agit de la réimpression du projet de loi.

M. PINARD: M. le Président, l'honorable lieutenant-gouverneur de la province a pris connaissance de ce projet de loi et il en recommande l'étude à l'Assemblée nationale.

LE PRESIDENT: Cette motion de deuxième lecture est-elle adoptée? Adopté.

M. PAUL: Non, le ministre n'a pas de discours?

M. Bernard Pinard

M. PINARD: M. le Président, je n'avais pas l'intention de faire un long discours sur la nécessité de présenter le projet de loi 88 réimprimé, c'est-à-dire avec les amendements qui ont été préparés à la suite des travaux de la commission parlementaire, qui a fait un travail constructif pour bonifier la loi, comme c'était le devoir des députés de le faire, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la Chambre.

Il serait peut-être séant de faire un court historique des travaux entrepris par le comité Alary, qui a été formé en 1965, à la suite de plaintes, de critiques parfois très acerbes sur les régimes d'expropriation à ce moment en vigueur dans la province de Québec. Nous avions à peu près 100 lois différentes en matière d'expropriation, avec des instances très nombreuses pour s'occuper de ces problèmes d'expropriation. Les conséquences étaient qu'il y avait des régimes disparates quant aux méthodes d'évaluation, quant aux droits des instances d'agir en matière d'expropriation, quant à la façon de régler les problèmes, quant à la façon de protéger les droits des expropriés et quant à la façon également de protéger les droits des expropriants, surtout dans le cas des corps publics.

Alors, c'est un travail de longue haleine qui a été entrepris. Il y a eu 114 séances d'étude de la commission Alary ou du comité d'étude Alary en matière d'expropriation qui, en 1968, a présenté un rapport très volumineux, en trois tomes; j'ai les deux autres ici. Cela donnait un document de travail très considérable avec de multiples recommandations qui, si elles avaient été appliquées intégralement, auraient obligé le gouvernement à créer ce que nous avons appelé à l'époque et ce qui nous a été recommandé par le comité, l'Office du domaine, qui était, en quelque sorte, une synthèse de tous les régimes d'expropriation actuellement en vigueur dans les pays suffisamment structurés pour s'occuper de ces problèmes.

Ces recommandations qui, finalement, au point de vue de bien des spécialistes, et surtout de ceux qui avaient l'expérience de l'administration publique, étaient peut-être un peu trop calquées sur le régime d'expropriation actuellement en vigueur en France, qui, dans le contexte politique, administratif, social de ce pays, a rendu d'immenses services, aussi bien à l'Etat qu'à la population. Mais il faut quand même tenir pour acquis qu'il s'agit là d'un pays unitaire, avec un gouvernement fortement centralisé mais en voie d'être décentralisé de plus en plus au niveau des régions, avec des pouvoirs régionaux. Alors, régime d'expropriation qui, lui aussi, évolue en France comme le nôtre évolue ici et comme il évolue également dans d'autres pays.

Comme nous sommes dans un contexte nord-américain, avec des problèmes sociaux assez particuliers, avec des problèmes techniques, géographiques, topographiques et démographiques qui nous sont également particuliers, il a fallu faire une synthèse des besoins, une synthèse des recommandations qui nous ont été faites pour en arriver, finalement, à proposer à l'Assemblée nationale un premier texte de loi en matière d'expropriation, qui a été déposé à

l'Assemblée nationale en décembre 1972, si ma mémoire est fidèle.

Nous n'avons pas eu la prétention, lorsque nous avons déposé ce premier projet de loi, d'avoir atteint la situation idéale ou la perfection. Nous savions qu'il était perfectible. Mais nous savions, par ailleurs, que nous avions là un excellent instrument de travail pour permettre aux députés de prendre connaissance des problèmes en matière d'expropriation, de faire, en quelque sorte, un examen de conscience sur les façons nouvelles de légiférer et de réglementer en matière d'expropriation, tout en protégeant l'autorité gouvernementale qui a la responsabilité de donner suite à des besoins jugés urgents et prioritaires par la population, pour ne pas le paralyser dans son action légale, administrative.

C'est ainsi que le projet de loi a cheminé, jusqu'à ce que nous convoquions la commission parlementaire pour entendre d'abord ce que les députés avaient à dire du projet de loi lui-même, et ce que les municipalités, par exemple, les corps publics avaient également à dire à ce sujet. Cela a été une surprise agréable de constater que le projet de loi, dans sa première présentation, a été jugé très acceptable. Il n'y a eu que quelques modifications à faire, des modifications de substance parfois, des modifications de détail le plus souvent, pour en arriver à présenter aujourd 'hui, à l'Assemblée nationale, un projet de loi qui, vraiment, est considéré comme un nouvel instrument de travail capable de permettre au gouvernement de donner suite à des besoins qui sont jugés urgents et prioritaires en matière de travaux publics, pour permettre à la province de continuer dans la voie du progrès économique et social, pour doter notre territoire, qui est sept fois plus grand que la France — il faut toujours se le rappeler — de moyens de communications et de systèmes de transport capables de permettre une décentralisation de l'industrie sur son territoire, pour permettre aussi de meilleures communications entre les régions, entre les villes importantes et aussi entre les villages.

Nous avons tenu compte aussi du fait que la province de Québec est séparée par ce fleuve magnifique, qui s'appelle le Saint-Laurent, mais qui pose chaque jour des défis presque insurmontables à l'administration publique, quand il s'agit de réaliser des oeuvres de première importance, capables de relier entre elles des régions qui, historiquement, démographiquement, culturellement et socialement, ont été isolées pendant des dizaines et des dizaines d'années.

Je pense, M. le Président, qu'il n'est pas nécessaire de prolonger cette discussion, étant convaincu à l'avance que le gouvernement n'a pas voulu agir seul dans le domaine de l'expropriation en présentant cette loi 88, qu'il a voulu faire participer tous les députés de l'Assemblée nationale et que cela a été le but premier de la convocation de la commission parlementaire.

Nous n'avons qu'à relire le journal des Débats pour nous apercevoir que, dans un domaine aussi vital que celui-là, aussi délicat et, parfois, aussi explosif, les députés ont voulu prendre leurs responsabilités, indépendamment des étiquettes politiques. Ce qui m'a fait plaisir au cours des travaux de cette commission parlementaire, c'est de constater que le débat n'a été politisé en aucun moment. Je pense que c'est la seule façon d'arriver vraiment à faire adopter par l'Assemblée nationale des lois susceptibles de donner les fruits attendus par la population et aussi voulus par le législateur, surtout quand on touche à des domaines aussi délicats, que celui de la propriété privée, que celui des droits individuels et collectifs, alors qu'il se mêle à toutes ces questions de droit, de technique ou de technologie avancée, des faits strictement à caractère humain, à caractère individuel et à caractère collectif qui prennent une dimension sociale.

Nous n'avons qu'à relire toutes les critiques qui ont été faites depuis plusieurs années sur ce régime d'expropriation, qui était en vigueur dans la province de Québec à l'époque. Nous l'avons, quand même, bonifié par des mesures administratives avant même d'en arriver à la Loi qui est proposée pour discussion et adoption en Chambre, aujourd'hui. Comme nous n'avions pas les instruments légaux dont nous avions besoin pour agir, à l'époque du lancement des grands projets routiers, par exemple, en 1960, et, de nouveau, à l'époque préparatoire de ce grand événement que fut l'exposition internationale de Montréal, en 1967, il a bien fallu jouer et agir avec les moyens du bord. C'est par réglementation, c'est par des mesures administratives que nous avons, quand même, tenu le coup et fait face à la situation, alors qu'augmentait sensiblement, chaque année, le nombre de cas d'expropriation dont la valeur totale augmentait aussi par 100, par 200 et par 300.

M. le Président, je pense que, malgré les faiblesses du système, à l'époque, il y a quand même eu de la bonne volonté de la part des hommes publics en place et de la part des fonctionnaires qui avaient la responsabilité d'administrer la Loi de l'expropriation et qui avaient aussi certaines autres responsabilités quotidiennes de juger, d'apprécier, de recommander au ministre le traitement qui devait être accordé à un ou à des expropriés. Aussi, aujourd'hui, personne n'est surpris de voir que le gouvernement a décidé de prendre ses responsabilités et de présenter ce que nous appelons un nouveau code de l'expropriation.

Je pense que, sans avoir atteint la perfection, nous pouvons nous dire, de part et d'autre de la Chambre que nous avons accompli un bon travail. J'ai eu des consultations, de nouveau, avec des porte-parole des corps publics qui sont venus se faire entendre devant la commission parlementaire et tous sont d'accord, pour ne pas dire unanimes, pour affirmer qu'il s'agit là d'un bon projet de loi. Il est sans doute perfectible; il est susceptible, probablement, d'amendements, au fur et à mesure qu'il sera

appliqué dans ses principales dispositions. Il est possible que nous ayons oublié certaines choses qui, nous l'espérons, seront des questions de détail, plutôt que des questions de substance. Cependant, je crois que nous aurons fait, quand même, un grand pas, tous ensemble, pour apaiser une opinion publique qui, parfois, a eu raison de s'impatienter des délais apportés par le gouvernement à légiférer de nouveau en matière d'expropriation. Je crois que le projet de loi que nous avons pour discussion et adoption en cette Assemblée nationale sera de nature à permettre au gouvernement de continuer à réaliser des oeuvres à caractère public pour donner satisfaction à la population et que personne, du moins, ne nous tiendra grief de ne pas avoir fait des efforts tout à fait spéciaux pour essayer d'amenuiser les difficultés qui séparaient à l'époque les autorités gouvernementales de la population et, en particulier de certains expropriés.

Je propose donc la discussion et l'adoption de ce projet de loi 88, étant convaincu à l'avance que, même si les représentants de l'Opposition ont des remarques judicieuses à faire sur ce projet de loi, il restera une chose certaine, c'est que nous nous sommes entendus — je le crois sincèrement — sur la substance et la valeur de la substance contenue dans le projet de loi. Nous pourrons peut-être discuter au cours des heures qui vont suivre certains détails, peut-être des questions plus fondamentales que j'ignore pour le moment, mais nous n'aurons pas à chambarder de fond en comble ce projet de loi qui a été, encore une fois, le fruit d'une très étroite coopération entre les membres du gouvernement et les membres de l'Opposition. Et je ne compte pas toutes les heures de travail qui ont été données par les spécialistes de l'équipe pluridisciplinaire du ministère des Transports et de la Voirie, non plus des travaux d'appoint de grande importance et de très haute valeur qui ont été faits par les membres de la commission Alary, qui avait reçu le mandat en 1965 de faire une revue d'ensemble de toutes les matières relatives au régime de l'expropriation.

M. le Président, je vous remercie et j'entendrai les remarques de l'Opposition avec beaucoup d'attention.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Maskinongé.

M. Rémi Paul

M. PAUL: M. le Président, réellement ça me déroute de voir le leader parlementaire m'ap-plaudir. Il doit y avoir anguille sous roche.

Mais je vais oublier momentanément le leader parlementaire pour rappeler au ministre très brièvement les raisons pour lesquelles je ne pouvais cet après-midi quitter l'Assemblée nationale pour aller â la commission parlementaire des affaires municipales parce que le ministre et moi-même nous nous combattons depuis plusieurs années.

Et qu'il me soit permis de rappeler à ces jeunes collègues que le ministre des Transports et moi-même nous luttions, amicalement cependant, dès les années 1946 et 1947 dans ce tournoi oratoire, mémorable à l'époque, pour le trophée du cardinal Villeneuve.

M. PINARD: Des débats.

M. PAUL: Je suis toujours resté attaché...

M. LESSARD: Qui avait gagné?

M.PAUL: II n'y avait pas eu de gagnant, parce qu'il n'y avait pas de PQ à ce moment. Je suis toujours resté attaché sur le plan amical au ministre des Transports et aujourd'hui je le trouve libéral plus que jamais. Il a remercié, félicité l'Opposition du grand travail de collaboration dont ont fait preuve les trois partis d'Opposition dans l'étude de cet avant-projet de loi, soit la première version de la Loi de l'expropriation.

Le ministre a raison. Effectivement, ce projet de loi que nous sommes appelés à étudier aujourd'hui est la résultante d'un travail d'équipe, d'une ouverture d'esprit tout à fait dépolitisée. Et le ministre, aujourd'hui, nous a résumé en quelque sorte tout ce qui avait été fait pour régler le problème de l'expropriation.

Le ministre s'attribue la paternité de la commission Alary. Je ne voudrais pas être malin à l'endroit du ministre, mais il reconnaîtra et il admettra avec moi que même la nouvelle version de la loi 88 ne tient pas beaucoup compte des recommandations de la commission Alary.

J'ai longuement discuté du projet de loi 88 avec mon collègue le député de Labelle qui, lui-même, à une autre époque, avec les moyens de fortune qu'il avait à sa disposition et la restriction de crédit qui existait, avait mis pour la première fois sur machine IBM les problèmes d'expropriation au ministère de la Voirie. Il avait même créé un comité d'étude pour disposer de certains dossiers de voirie qui embarrassaient en quelque sorte les classeurs du ministère depuis de nombreuses, nombreuses années et qui n'étaient pas sans causer préjudice aux expropriés. Le ministre actuel — j'en suis sûr — s'est inspiré des excellentes mesures mises de l'avant par mon collègue le député de Labelle que je veux remercier cet après-midi pour l'apport généreux et les sages conseils qu'il m'a donnés, les renseignements qu'il m'a communiqués et qui me permettront de faire la revue de ce projet de loi que le ministre des Transports nous invite à adopter cet après-midi.

Je veux dès maintenant assurer le ministre de notre appui au principe de cette loi. Mais comme il s'agit d'entrer dans un champ nouveau, vous conviendrez qu'il est de mise que je fasse une certaine revue ou une analyse de tous

les événements qui se sont passés devant la commission parlementaire chargée de l'étude du projet de loi 88.

Il y a un grand principe général qu'il ne faut pas oublier. C'est que, dans la vie d'une société, une des plus grandes préoccupations des gouvernements consiste à fournir aux citoyens de cette société un équipement collectif adéquat, telles les grandes voies de communication, les ponts, les hôpitaux, les écoles, les universités, etc. L'effort pour équiper collectivement la société oblige le pouvoir exécutif, et par voie de conséquences le gouvernement, quel qu'il soit, ainsi que certains corps publics à acquérir des terrains et des immeubles qui doivent servir à l'érection de tels équipements. Cependant, tous les corps publics quels qu'ils soient sont sujets à la rareté des ressources, c'est-à-dire à des restrictions budgétaires importantes provenant de la médiocrité des rentrées fiscales. Cela a été le problème avec lequel fut aux prises mon collègue le député de Labelle alors qu'il devait régler des cas d'expropriation. Il aurait voulu en régler davantage, mais il était captif en quelque sorte de ces contraintes budgétaires dont je viens de vous signaler l'existence à l'époque, alors que le ministre actuel des Finances était un fidèle spectateur des travaux de cette Assemblée nationale.

Malgré tout, les gouvernements acquièrent de plus en plus de terrains et d'immeubles par cet acte administratif gouvernemental qu'on appelle l'expropriation.

A ce sujet, la Chambre de commerce de la province de Québec, dans son mémoire présenté en février dernier â la commission parlementaire chargée de l'étude de la loi 88, s'exprimait ainsi: "Le pouvoir d'exproprier constitue, avec le pouvoir de taxer, une des grandes assises du rôle d'un gouvernement d'agir en fonction du bien public. Il s'agit, d'une part, d'un problème de fiscalité pour l'Etat, car un coût excessif peut remettre en question tout l'effort d'équipement collectif de notre société. "D'autre part, il s'agit aussi d'un problème de droit, du respect pour la propriété privée et de justes compensations pour les dommages causés pour ou par cette expropriation. De plus, l'expropriation par un corps public traduit à la fois le comportement de l'Etat vis-à-vis ses citoyens et la fine ligne de démarcation qui existe entre les droits des individus et les droits de la collectivité."

C'était, comme je le disais en votre absence, honorable et distingué ami, un extrait du mémoire de la Chambre de commerce que l'on retrouve à la page 2 du mémoire. En effet, chaque année, le gouvernement et les autres corps publics achètent par expropriation un nombre très imposant de terrains et d'immeubles des particuliers. C'est ainsi que le seul gouvernement québécois a dépensé, durant l'exercice financier 71/72, la somme de $66,447,319.77, dont $55,871,807.45 pour le ministère de la Voirie.

Pour l'exercice financier 73/74, c'est-à-dire pour la présente année fiscale, le ministère de la Voirie du Québec estime que ces expropriations lui coûteront environ $112 millions, et cette répartition peut s'établir comme suit:

En 67/68, pour l'exercice financier de cette année-là, le montant des expropriations du minsitère de la Voirie fut de $37,919,118.81; pour 68/69, $33,099,548.03; pour l'année 69/70, $30,654,539.89; pour l'année 70/71, $60,959,335.97; et pour l'année 71/72, comme je vous l'ai mentionné tout à l'heure, $55,871,807.45; et pour l'année 73/74, une estimation de $112 millions, seulement pour le ministère de la Voirie.

Il est à remarquer que, dans ces chiffres, l'on ne tient pas compte des montants d'argent d'expropriation dépensés par les régies, les offices du gouvernement, tels que l'Hydro-Québec, par exemple, et l'on ne tient pas compte non plus des expropriations des municipalités et des commissions scolaires qui sont, elles-mêmes, des expropriantes en certaines circonstances, suivant les pouvoirs qu'accorde soit la Loi des cités et villes ou le code municipal.

C'est donc dire que les sommes consacrées à l'expropriation représentent une tranche importante de la fiscalité québécoise. Quand le ministre nous dit que cette loi est très importante, j'appuie cet énoncé. C'est pourquoi je me dois, malgré le poids du jour et la chaleur accablante, d'inscrire au journal des Débats certaines statistiques qui pourront servir d'informations en temps utile pour tous ceux-là qui, de près ou de loin, s'intéressent à ce problème d'expropriation.

Le second volet de l'expropriation tient du principe de la propriété privée. Vous, M. le Président, dans l'exercice de votre noble profession, celle de notaire, admettrez que le droit de propriété, spécialement dans les milieux ruraux, est un droit sacré auquel on tient avec raison de génération en génération. En effet, en expropriant, les corps publics s'approprient des terrains et des immeubles qui appartiennent à des propriétaires privés la plupart du temps soit comme résidence ou comme fonds de commerce ou place d'affaires. En perdant cette propriété, l'individu propriétaire et par richochet l'individu locataire subissent des dommages irréparables si une indemnisation n'est pas adéquate.

Premièrement, il faut donc que l'indemnisation soit juste et équitable. Deuxièmement, il faut que cette indemnisation ne dépasse pas le coût réel des dommages. C'est dans ce sens que les commissaires chargés d'étudier l'aménagement du territoire et l'expropriation soulignaient, dans le rapport de novembre 1968: Un coût d'acquisition excessif des terrains ou des immeubles requis en face de ressources budgétaires médiocres ralentit le rythme de construction des routes, des ponts, des hôpitaux, des universités ou des écoles ainsi que des logements à prix modique, diminue la part des investissements publics consacrés à des travaux

d'intérêt général qui sont, en outre, créateurs d'emplois et compromet l'expansion économique elle-même.

Ici, il s'agit bien de l'expansion économique lorsque l'on parle d'expropriation car il faut se rendre compte que les travaux qui suivent une expropriation créent des emplois. Ces emplois durent toute la période de construction ou de fonctionnement des infrastructures ou équipement collectif. C'est ainsi que, par le biais de l'expropriation, l'essor économique de la société s'accroît pour autant que les dépenses de l'expropriation sont nécessaires et que l'indemnité est juste. S'appuyant sur des arguments très pratiques de l'expansion économique, du droit de tous et chacun à la propriété privée et du droit à une juste indemnisation pour les dommages causés par l'expropriation et les réserves, l'Union Nationale constate avec plaisir — là, j'espère que le ministre va m'écouter — que la deuxième version du projet de loi 88 souscrit aux principes d'une loi unique pour régir au Québec toutes les expropriations et l'imposition de réserves pour fins publiques.

A la suite des représentations qui nous ont été faites en commission parlementaire par la plupart des organismes invités à donner leur point de vue, cette modification importante et élémentaire s'imposait. Le ministre a fait preuve de courage ou d'ouverture d'esprit. A ce titre, il mérite d'être félicité. Je regrette, M. le Président, que le ministre n'ait pas écouté l'éloge que je viens de lui adresser. Je le répète, car c'est trop inhabituel chez moi. D faut que le ministre se rende compte qu'il a fait preuve de courage et d'ouverture d'esprit et, à ce titre, il mérite d'être félicité.

Maintenant, le pot! A mon grand regret, je dois arrêter ici mes louanges à l'endroit du ministre qui parraine ce projet de loi. Mais n'ayez crainte, M. le Président, je ne serai pas dur; ce n'est pas mon habitude, vous le savez. Quand j'ai écouté le ministre, tout à l'heure, faire l'apologie de la commission Alary, je me suis touché pour réaliser que je ne dormais pas, parce que, lors de la première séance de la commission permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement, le mardi 13 février 1973, je disais dans ma déclaration d'ouverture, au sujet de la commission Alary, page 8,794 du journal des Débats: "II faut retenir que M. Alary, qui avait été chargé d'étudier tout ce problème de l'expropriation au Québec, a préparé un excellent mémoire, un excellent rapport. Il est regrettable que nous ne puissions retrouver certains points importants de son rapport dans ce texte de loi" qui nous était soumis, alors, pour étude, soit la première version de la loi 88. "Il reste que M. Alary va beaucoup plus loin dans l'exposé de son rapport que certains textes législatifs que nous retrouvons dans le projet de loi no 88."

Nous étions donc en droit de nous attendre à une plus grande ouverture d'esprit de la part du ministre à l'égard des recommandations de la commission Alary, recommandations, d'ailleurs, qui n'ont jamais été officiellement rendues publiques. Je ne crois pas qu'il y ait eu...

M. PINARD: Si le député de Maskinongé me le permet. Sur une motion que j'ai présentée devant l'Assemblée nationale, en 1968, motion que j'ai répétée et répétée, finalement, le gouvernement de l'époque a consenti à déposer sur la table de l'Assemblée nationale une copie du volumineux rapport de la commission Alary. Alors, est-ce que cela a pris un caractère officiel comme présentation? Je laisse aux exégètes le soin d'en déterminer le caractère.

M. PAUL: Le ministre réalisera que nous avons collaboré; nous aussi, nous écoutions les revendications de l'Opposition. Parfois, on la faisait attendre, parfois on résistait, nous aussi, pour connaître la persévérance des députés de l'Opposition et, finalement, quand nous voyions qu'ils étaient de bonne foi et comme le ministre avait été celui qui avait créé la commission parlementaire, le leader parlementaire de l'époque, votre humble serviteur, ne pouvait refuser de se rendre à la demande du député de Drummond. H reste, M. le Président, que ce rapport de la commission Alary n'a jamais été public, dans le sens que les députés en auraient reçu des copies et qu'il y aurait eu beaucoup de publicité autour de ce rapport.

Pourquoi le ministre des Transports a-t-il préféré la création du tribunal de l'expropriation, ayant pour fonction principale de fixer le montant des indemnités qui découlent de l'imposition des réserves pour fins publiques et de l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers à la recommandation de la commission Alary à l'effet de marier dans deux organismes distincts, soit l'Office du domaine de l'aménagement foncier et la Régie de l'aménagement foncier et de l'expropriation, les domaines de l'aménagement foncier et de l'expropriation?

Le peuple québécois, le citoyen québécois a le droit de connaître les motifs qui ont poussé l'honorable ministre et, par voie de conséquence, le gouvernement à réfuter cette solution pourtant réaliste. Par ailleurs, je ferai remarquer au ministre que la commission Alary n'a pas été la seule à adopter cette voie. Maints organismes qui sont venus témoigner devant la commission parlementaire, dont la Chambre de commerce de Montréal, entre autres, et la Corporation des évaluateurs agréés ainsi que l'UPA ont demandé au ministre de soumettre aux règles établies dans le titre III de son projet de loi concernant les réserves pour fins publiques les programmes de rénovation urbaine et les zonages municipaux pour fins publiques, ces programmes et ces zonages ayant le même effet qu'une réserve.

Dans la deuxième version du projet de loi, le ministre a diminué le nombre total des juges au tribunal de l'expropriation; de quinze, ce nombre tombe maintenant à dix. Dans un premier

temps, nous nous interrogeons sur les raisons qui ont motivé ce changement inattendu. La plupart des organismes qui ont fait des représentations à ce sujet ont demandé une augmentation du nombre des juges. Sûrement que ces organismes, comme nous, furent surpris de constater que le ministre, loin de répondre aux aspirations de ces organismes, les décevait en diminuant le nombre des juges.

Dans un deuxième temps, nous nous demandons si le fait que seulement cinq des membres du tribunal seront choisis parmi les juges de la cour Provinciale est une indication que les autres membres du tribunal seront choisis parmi les experts dans le domaine immobilier, de manière à assurer une composition interdisciplinaire comprenant des experts de toutes les disciplines intéressées, soit les juristes, les ingénieurs, les comptables, les évaluateurs. De plus, nous croyons que le tribunal serait beaucoup plus efficace dans les causes agricoles s'il s'adjoignait un ou des spécialistes en cette matière, comme l'a demandé avec raison l'Union des producteurs agricoles dans son mémoire.

Comme l'a demandé également le Barreau dans son mémoire, l'Union Nationale est d'avis que le ministre de la Justice — là, j'espère que mon bon ami ne se froissera pas de ce point de vue que notre parti adopte, de cette prise de position — devrait être le ministre responsable de l'application de la Loi sur l'expropriation. Sur ce point, nous n'hésitons pas à faire nôtre la recommandation du Barreau. Il serait, en effet, inconvenant qu'elle relève du ministre de la Voirie et des Travaux publics — à l'époque il n'y avait qu'un seul ministère — ou encore du ministère de l'Equipement de qui émanent la plupart des expropriations effectuées par la province.

Il nous parait plus équitable de confier l'administration d'une loi aussi importante à une partie qui n'est pas directement impliquée dans l'acte d'expropriation proprement dit. Aussi, le ministre de la Justice nous semble dans une meilleure position pour coordonner les expropriations des ministères en vue d'une plus grande efficacité et d'une plus grande protection des droits des citoyens.

Je crois que l'honorable ministre aurait une remarque ou une question à me poser.

M. PINARD: Dans le projet de loi réimprimé, il est bien déclaré que tout le titre premier du projet de loi no 88 tombe sous la responsabilité du ministère de la Justice. Il s'agit du tribunal de l'expropriation, des pouvoirs du tribunal et de l'application de ces pouvoirs.

Je ne sais pas si le député de Maskinongé veut aller plus loin quand il désire confier des responsabilités au ministère de la Justice en matière d'expropriation. Je suis bien prêt à l'écouter là-dessus.

M.PAUL: M. le Président, il aurait été impensable et inconcevable que les problèmes juridiques qui se soulèvent à l'occasion d'une expropriation ne retombassent pas sur le dos ou sous la responsabilité du ministère de la Justice. Mais le Barreau, se détachant de cet aspect juridique, soutient, recommande — et nous partageons ce point de vue — que tout le problème de l'expropriation devrait être confié au ministère de la Justice, non pas parce que le ministre actuel titulaire de ce ministère ne peut pas remplir théoriquement ses fonctions d'expro-priateur. Je dis bien théoriquement. Quand on sait la responsabilité que commande le ministère des Transports, la documentation que le ministre doit signer, les nombreuses communications interministérielles, il est impensable que le ministre ait le temps ou le loisir de voir à l'application de la Loi de l'expropriation.

Le ministre me répondra: Nous avons des spécialistes pour ce faire. Nous avons un Service d'expropriation. Loin de moi l'idée de mettre en doute sa compétence. Mes remarques ne devront jamais être considérées comme étant des reproches à la direction de l'expropriation du ministère des Transports, mais tous conviendront qu'à un moment ou l'autre de la procédure d'expropriation, les fonctionnaires du ministère de la Voirie doivent se rappeler que leur patron immédiat, ce n'est pas le gouvernement, c'est le ministre de la Voirie.

Les mêmes hommes compétents qui pourraient être mutés au ministère de la Justice pourraient continuer à oeuvrer, à s'acquitter de leurs obligations, mais dans un climat de désintéressement total et sans qu'ils soient victimes de l'atmosphère du milieu.

Je retiens toujours cette prévision du ministre à l'effet que, dans le cours du présent exercice financier, une somme de $112 millions sera payée pour l'expropriation.

C'est avec tristesse, sincèrement, que je dois rappeler au ministre les paroles suivantes que j'ai prononcées à la première séance de la commission: "A la lecture brève du projet de loi, j'ai constaté que la loi était silencieuse quant aux conséquences indirectes d'une expropriation. Mais, connaissant l'ouverture d'esprit, la libérablité du ministre qui parraine ce projet de loi, considérant que son séjour avec nous sera maintenant de courte durée, si l'on tient compte des années de service données à la population du Québec, je suis sûr que le ministre chargé d'appliquer cette loi, en attendant peut-être les fonctions lourdes de conséquences de l'interpréter, verra à recevoir d'un bon oeil les recommandations qui lui seront faites."

Je suis tenté de reprendre les paroles du père de Rodrigue et de crier: Oh! désespoir! Mes souhaits, pourtant légitimes, n'ont pas été exaucés pour les raisons que le ministre des Transports connaît sûrement, et pour des raisons dont je peux douter.

Il reste que le ministre nous a présenté une nouvelle version de la loi 88, sans cependant reconnaître la position logique prise par le

Barreau à l'effet que tout le service de l'expropriation devrait être confié au ministère de la Justice.

Vous me permettrez, M. le Président, de citer un article de la loi. Je n'ai pas l'intention de le commenter, mais c'est dans cette analyse générale que je fais de la loi. A l'article 57 de la deuxième version du projet de loi on y lit ce qui suit: "L'indemnité est fixée d'après la valeur du bien exproprié et le montant des dommages qui résultent directement de l'expropriation." De même en ce qui concerne le locataire ou l'occupant de bonne foi, l'article 65 du projet de loi dit: "L'indemnité due au locataire ou occupant de bonne foi est fixée d'après les dommages qui lui résultent directement de l'expropriation, sous réserve des autres dispositions de la présente loi."

A la lecture de ces deux articles, nous sommes forcés de constater que le projet de loi ne prévoit absolument rien comme dédommagement pour atteinte défavorable ou ce que l'on pourrait appeler injurious affection ou ce que les juristes appellent également les dommages ou préjudices indirects — je dis bien indirects — causés par l'expropriation.

Nous ne saurions déplorer assez fortement le silence du gouvernement sur ce point primordial des dommages indirects.

Le ministre n'est pas sans connaître la pertinence de cette question longuement discutée dans une décision de la Régie des services publics, en décembre 1972, dans un cas de groupe de propriétaires de l'aire no 6, à Hull.

Dans cette cause, la cité de Hull expropriait une cinquantaine de lots bâtis voisins l'un de l'autre et formant une aire géographique identique. Après avoir fait un état exhaustif de la situation actuelle de la loi et de la jurisprudence et après avoir décrit fort judicieusement les problèmes que pose la rénovation urbaine de nos jours, la régie déclarait: "Parmi les diverses notions de valeurs, la régie a retenu pour application particulière dans chaque cause spécifique, le cas échéant, les valeurs dites d'agrément, de convenance, d'utilisation et de substitution quand la preuve révèle qu'elles réfèrent à la valeur vénale, et qui sont objets d'indemnités. "Les notions de valeurs précitées entrent toutes, pour ainsi dire, dans le champ des valeurs subjectives. Ainsi, la valeur d'agrément pour l'habitant d'une propriété s'établit-elle dans les relations quotidiennes et soutenues de cet habitant avec l'écologie mentale qui crée tant l'environnement physique que l'entourage lui-même de son habitat, y compris cette insertion dans une vie communautaire dont les dernières manifestations semblent avoir été la présence assidue de nombreux expropriés tout au long des auditions. Sous le vocable de valeurs de convenance, on peut classer différents types de valeurs subjectives qui s'affilient à la valeur d'utilisation. Cette valeur se rattache souvent à certains aménagements, certaines commodités, certaines combinaisons des lieux avantageuses pour le propriétaire, augmentant l'agrément de celui-ci. Il est évident que telle valeur ne peut être revendiquée que par un exproprié qui occupe lui-même les biens expropriés. "Quant à la valeur d'affection, l'expérience judiciaire canadienne révèle qu'on est peu enclin à la constituer en chef d'indemnité, pour la raison que la base de l'expropriation, l'utilité publique, oblige au rejet de toutes les considérations d'ordre sentimental. Par contre, puisque les préjudices purement moraux font l'objet d'indemnisations en matière de responsabilité civile, selon la jurisprudence, pourquoi un préjudice de même nature résultant de l'expropriation ne serait-il pas indemnisé? Quoi qu'il en soit, la régie préfère, dans les circonstances, ne tenir aucun compte de préjudice dont le sort controversé est tel que son acceptation pourrait être de nature â désavantager judiciairement les personnes auxquelles, par ailleurs, elle pourrait échoir. "Puisqu'il s'agit de réparer l'intégralité du préjudice causé à l'exproprié, la principale difficulté dans la fixation de l'indemnité totale est de déterminer les valeurs particulières qui viennent s'ajouter dans chaque cas à la valeur vénale de base. "La régie, procédant à évaluer l'indemnité subjective, excédant la valeur vénale préalablement déterminée, a pris en considération les divers éléments et chefs d'indemnité ci-haut décrits et, pour tous les motifs déjà exprimés, ajouterait à la vénale sus-dite, une indemnité exceptionnelle arbitrée, complétant ainsi la valeur à l'exproprié. "Cette indemnité exceptionnelle doit être pondérée pour tenir compte des éléments subjectifs propres à l'exproprié quant à sa personne et à sa famille et n'être pas relative à la seule valeur immobilière, même si celle-ci sert quand même de table de base." A titre d'illustration, et c'est pour la sanctification du ministre des Finances... Je le vois trembler. Il se demande si toute cette planification budgétaire ne croulera pas tout d'un coup s'il fallait que le ministre des Transports...

M. GARNEAU: S'il fallait que le ministre de la Voirie ajoute la valeur vénale.

M. PAUL: Bien, c'est un jugement que l'on ne peut pas rejeter du revers de la main puisqu'il émane de la Régie des services publics où, à mon humble point de vue, on introduit une notion nouvelle d'indemnité en matière d'expropriation. Le précédent créé va certainement susciter des appétits ou des déboursés énormes additionnels tant au ministre de la Voirie, par voie de conséquence au ministre des Finances, que pour les municipalités qui elles-mêmes seront dans l'obligation de procéder en certaines circonstances à l'expropriation.

A titre d'illustration, considérons le cas d'un exproprié qui résidait avec sa famille dans une

maison familiale dont la valeur marchande est de $10,000 par rapport au cas d'un exproprié résidant avec sa famille, dans l'un des logements de son triplex où il y a deux locataires, triplex dont la valeur marchande serait de $35,000.

La régie est d'opinion que le rapport 3-5 existant entre les valeurs marchandes des deux bâtisses ne peut servir à lui seul de rapport final, pour les fins de l'évaluation, de l'indemnité exceptionnelle issue des divers éléments subjectifs. A la lumière des deux pôles d'appréciation précités, soit les valeurs immobilières excédentaires et préjudices personnels, la régie répartira la masse d'indemnités en pondérant des attributions spécifiques de sorte qu'aucun exproprié ayant droit à une telle indemnité exceptionnelle ne recevra pas moins de $1,500 et plus de $5,000.

Ce mode d'arbitrage tout à fait nouveau reflète la complexité même de l'appréciation des éléments susdits et l'effet de justice auquel les circonstances obligent. Ainsi, l'expropriante n'est pas touchée par ce mode puisque la somme globale affectée à ce type d'indemnités ne change pas elle-même, mais ce n'est que la même somme globale qui se trouve répartie plus équitablement entre les expropriés. Dans l'application des facteurs de pondération, la régie tiendra donc compte, à l'intérieur de l'indemnité exceptionnelle, d'une part, de ce qui a trait à la valeur immobilière excédentaire de la valeur vénale pour tous les immeubles expropriés et, d'autre part, de ce qui a trait au préjudice personnel monnayable mais alors pour valoir seulement quand l'exproprié réside dans la bâtisse expropriée, le tout, évidemment, sujet à l'existence des éléments probants formant la base de l'indemnité exceptionnelle en tout ou en partie pour chaque cause particulière dont il est disposé spécifiquement. A moins qu'il en soit autrement décidé pour des raisons expresses, ces critères généraux s'appliquent dans chaque cas.

Révolution à l'époque lorsque la régie a rendu un tel jugement. C'est pourquoi, de plus en plus, on voit de savants disciples de Thémis commencer à s'intéresser â l'expropriation.

Le ministre des Finances a beau accepter ou ne pas accepter, la Régie des services publics a créé une jurisprudence qu'elle suivra sûrement à l'avenir. Ceux-là qui se spécialiseront dans les problèmes d'expropriation n'oublieront pas d'inclure dans leur demande d'indemnité d'expropriation cette analyse que vient de nous présenter pour la première fois la Régie des services publics. Il ne m'appartient pas d'interroger le ministre pour savoir si son ministère a suivi de près les conséquences de ce jugement de la Régie des services publics. Il faut reconnaf-tre que ce n'était pas le ministère de la Voirie qui était en cause, mais une ville amie de l'honorable ministre de la Voirie, la ville de Hull. Est-ce que la ville de Hull a accepté sans aller en appel cette indemnité? Je l'ignore, mais jusqu'à ce que, au cas où il y a eu appel, la cour d'Appel énonce de nouveaux principes, il nous est impossible maintenant, en matière d'expropriation de mettre de côté ce jugement d'autorité et de droit nouveau de la part de la Régie des services publics.

Sur cet exposé de droit nouveau, je vous signale un événement qui est quotidien, M. le Président, c'est qu'il est six heures, et je demande la suspension des travaux.

M. GARNEAU: C'est du droit ancien.

M. PAUL: C'est du droit ancien, ça.

LE PRESIDENT: L'Assemblée suspend...

M. LEVESQUE: J'attends un message de la salle 81-A d'ici 30 secondes.

M. BURNS: Y aurait-il moyen d'installer l'air climatisé ici, éventuellement? En conserve.

M. LEVESQUE: M. le Président, la commission parlementaire des affaires municipales semble pouvoir terminer ses travaux vers six heures et quart ou six heures vingt. C'est donc dire qu'à vingt heures quinze la commission spéciale des corporations professionnelles pourra, tel que prévu, entreprendre l'étude des projets de loi au nom du ministre de l'Industrie et du Commerce.

UNE VOIX: A la salle 81?

M. LEVESQUE: A la salle 81. Alors, je suggère la suspension des travaux jusqu'à vingt heures quinze.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'Assemblée suspend ses travaux jusqu'à vingt heures quinze.

(Suspension de la séance à 18 h 2)

Reprise de la séance à 20 h 24

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, messieurs!

Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, avant la suspension de nos travaux pour l'heure du dîner, j'avais commenté assez longuement le dernier jugement de la Régie des services publics, qui traitait, à la surprise de bien des avocats, du problème de Vinjurious affection.

Je voudrais, M. le Président, vous signaler que ces extraits du jugement prononcé par la Régie des services publics, dans le cas des propriétaires de l'aire no 6, de Hull, font preuve de la rigidité...

M. LEVESQUE: Je m'excuse. Est-ce que le député me permettrait de prendre la parole?

M. PAUL: Oui.

M. LEVESQUE: Je voudrais prévenir cette Chambre immédiatement, pour que les whips le sachent, que demain matin il y a trois commissions qui siègent: La commission de la justice, pour les projets de loi d'ordre privé qui ont été déférés à la commission parlementaire de la justice, deuxièmement la commission des corporations professionnelles, pour continuer l'étude des projets de loi au nom du ministre de l'Industrie et du Commerce, troisièmement la commission des engagements financiers.

A la salle 81, normalement, la commission des corporations professionnelles va continuer. A la salle 91 — on pourra alterner après, selon les voeux du ministre des Transports, je ne sais pas quels sont ses voeux — demain matin, la commission parlementaire... Ah non, il y a la commission de la justice aussi.

M. PAUL: On a neuf projets de loi.

M. LEVESQUE: C'est plutôt le contraire, parce qu'il y aura des témoins à la commission parlementaire de la justice. Donc, la commission parlementaire de la justice à la salle 81, la commission parlementaire des corporations professionnelles à la salle 91 et, à la salle 93, la commission des engagements financiers.

Je m'excuse auprès du député de Maskinongé.

M. ROY (Beauce): Toutes ces commissions sont-elles à dix heures, demain matin?

M. LEVESQUE: A dix heures, demain matin. A dix heures. La Chambre ne siégera pas demain matin.

M. ROY (Beauce): Seulement demain après-midi, la Chambre?

M. LEVESQUE: Oui.

M. ROY (Beauce): Très bien.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Maskinongé.

M. PAUL: Je disais donc, M. le Président, que ces extraits du jugement prononcé par la Régie des services publics, dans le cas des propriétaires de l'aire no 6 du district de Hull, n'ont pas été sans bouleverser, en quelque sorte, l'économie de l'expropriation.

Ces extraits du jugement font preuve de la rigidité de notre droit à l'heure actuelle, en ce qui concerne la fixation d'une indemnité pour tenir compte de l'intégralité du préjudice causé à l'exproprié.

N'est-il pas ridicule que, pour donner justice à certains expropriés, la régie soit dans l'obligation de passer par un exercice intellectuel aussi ardu? Je n'ajouterai pas aux commentaires, sauf que, personnellement, je trouve étrange une telle notion de droit en matière d'expropriation. Mais comme je vous le disais plus tôt dans le cours de mes remarques de l'après-midi, ce jugement de la régie fait jurisprudence, et je souhaiterais, personnellement, que la même théorie soit appliquée ou que la même jurisprudence soit appliquée dans un cas d'expropriation, soit du ministère de la Voirie ou d'une ville importante comme Montréal, afin que la cour d'Appel puisse être saisie de cette notion de droit nouveau que l'on appelle injurious affection.

J'inviterais le ministre, dans les circonstances, à prendre sérieusement en considération la conclusion de la Chambre de commerce de la province de Québec, laquelle se lit comme suit : "Nous notons que le projet de loi no 88 ne fait aucune mention des préjudices indirects, alors que les lois de l'Ontario et du Canada prévoient une indemnisation. Il est certain que les gestes posés par l'expropriant peuvent occasionner des dommages ou préjudices indirects à la fois à ceux qui sont immédiatement touchés par une expropriation, ainsi qu'à d'autres personnes qui, sans être expropriées, voient leur environnement ou leur commerce entièrement bouleversé."

Etant donné que le projet de loi de l'urbanisme pourra corriger cette situation — et en passant c'est un projet de loi dont on n'entend plus parler, la commission parlementaire a commencé à siéger sur ce problème et personne n'en parle maintenant, le ministre, comme sur d'autres projets de loi, est devenu de plus en plus muet — à long terme, il nous paraît important de tenir compte de cette dimension dès maintenant, cependant.

Cette recommandation va beaucoup plus loin que le jugement de la Régie des services publics, car toute personne atteinte de manière préjudiciable par une expropriation aurait donc droit, suivant la recommandation de la chambre de commerce, à une indemnité juste et équitable. Par exemple, en souscrivant à cette théorie, le gouvernement devra mettre fin, une fois pour

toutes, à l'injustice flagrante de l'article 97 de la Loi de la voirie, maintes fois dénoncée par le Protecteur du citoyen et qui permet au ministre de la Voirie de détourner ou de fermer un chemin public sans qu'une indemnité d'expropriation puisse être attribuée à ceux qui en subiront un préjudice.

Le ministre réalise donc que les implications de sa loi sont nombreuses et qu'elles invitent le législateur à une grande prudence, car le projet de loi semble mettre de côté une tradition juridique qui a trait au traitement à l'amiable d'un problème juridique. Il semble que, par le projet de loi 88, on mette de côté les dispositions des articles 1918 et suivants du code civil, qui parlent de la transaction dans toute l'acception pure du mot. J'ai cru comprendre ou voir dans la figure du ministre des Finances que le terme transaction pouvait signifier patronage, dans les circonstances. Mais non, c'est une expression juridique de droit pur pour définir une procédure que les parties conviennent de reconnaître comme étant un compromis ou un règlement à l'amiable pour éviter la naissance d'un procès ou pour mettre fin à un litige existant entre elles.

Alors que la date de l'instruction a été fixée suivant les dispositions de la loi 88, le tribunal peut, s'il le croit utile ou s'il en est requis, convoquer les parties avec leur procureur pour conférer avec lui ou avec l'un de ses membres ou officiers sur les moyens propres à concilier leurs points de vue, le cas échéant sur l'opportunité de définir les points véritablement en litige, d'admettre des faits ou documents ou d'amender les actes de procédure.

Disons que c'est cette disposition du code de procédure civile qui permet au juge de convoquer les procureurs des parties, avant un procès, à une conférence préparatoire qui déblaie le terrain ou les sujets à discussion, qui permet l'admission de certains faits et, dans certaines circonstances, de convenir à une entente au sujet du quantum des dommages, quitte à ce que le juge ne soit saisi que de la responsabilité dans le cas, par exemple, d'un accident d'automobile.

Les ententes et décisions prises à une telle conférence sont rapportées dans un procès-verbal signé par les parties, le procureur et l'un des membres du tribunal. Elles gouvernent pour autant l'instruction devant le tribunal, à moins que celui-ci ne permette d'y déroger pour prévenir une injustice. Devant ces propositions du projet de loi 88, nous voyons qu'une possibilité d'entente à l'amiable excluant les procédures judiciaires n'apparaît pas répondre au sentiment du gouvernement et surtout du ministre responsable de l'application de cette loi.

Nous nous interrogeons sur les raisons qui motivent une telle absence dans le projet de loi, alors que, par exemple, les lois de l'Ontario et du gouvernement fédéral le mentionnent, implicitement, cependant. Pour notre part, nous députés de l'Union Nationale, nous sommes d'avis que les ententes à l'amiable ne présentent pas qu'une panacée au problème, mais bien une solution très valable pour régler bien des problèmes, même s'il s'agit des problèmes d'expropriation.

Les raisons pour lesquelles nous demandons un retour à cette méthode de règlement sont multiples. Mais dans le cadre de cette discussion, qu'il nous soit permis d'en détailler celles qui nous paraissent les plus importantes.

Voici le problème, en résumé, M. le Président. C'est que la Voirie, par l'office de ses fonctionnaires chargés de l'expropriation, ne pourra plus régler à l'amiable un problème d'expropriation avec un exproprié, et il devra toujours y avoir intervention du tribunal en matière d'expropriation.

C'est une mesure que nous trouvons extraordinaire. Le ministre ne conviendrait-il pas avec moi que cette possibilité d'entente, de règlement à l'amiable entre les parties intéressées puisse être à nouveau acceptée en vertu des dispositions de la loi 88?

Nous sommes d'avis que les ententes à l'amiable ne représentent pas qu'une panacée. D'abord, nous croyons qu'il y va d'une tradition bien établie. Sur ce point, permettez-moi une brève explication, M. le Président. Il est de notoriété publique que cette méthode d'entente à l'amiable est employée par presque toutes les municipalités du Québec en matière d'expropriation, car, il faut bien le remarquer, les municipalités entendent que le règlement des litiges se fasse le plus rapidement possible, d'autant plus que les cas réels d'insatisfaction des citoyens expropriés, selon cette méthode, par les municipalités sont peu nombreux.

Pourquoi risquer d'éterniser des procédures pour expropriation, alors que la rapidité et la satisfaction se côtoient facilement dans le règlement de problèmes d'expropriation par les municipalités? Est-ce que le ministre pourra nous dire dans sa réplique les raisons pour lesquelles ces dispositions, qui se sont avérées fructueuses par leurs résultats dans le domaine de l'expropriation municipale, ne pourraient pas être retenues dans le cas d'expropriations faites par le gouvernement ou par des organismes tels que l'Hydro-Québec?

Ensuite, il ne faut pas mettre de côté toute la question de l'efficacité. En effet, nous nous demandons pourquoi le gouvernement tient tant à référer toute expropriation à un tribunal avant que les parties se soient rencontrées et aient pu prendre entente. Nous croyons que ce tribunal sera surchargé d'une foule de causes qui auraient pu se régler sans son intervention. Je crois que le tribunal ne sera pas capable d'examiner toutes les causes présentées et que cela aura pour conséquence de laisser traîner longtemps des cas. Nous assistons présentement à une telle situation au Québec, avec la Régie des services publics.

Les chiffres sont là pour en témoigner. Par

exemple, en 1959, il y avait 62 dossiers en souffrance devant la régie, alors qu'au 30 juin 1965 il y en avait 1,234. Au 30 juin 1970, il y en avait 1,504 et, au 30 juin 1971, c'étaient 1,812 cas d'expropriation qui étaient en attente devant la Régie des services publics. Comment peut-on espérer et éviter que ces procédures nouvelles que l'on veut introduire dans la Loi de l'expropriation ne trament pas, en donnant tous les cas d'expropriation au seul tribunal alors que la régie n'avait pas à s'occuper des cas où l'on était parvenu à des ententes? A noter également que le nombre de juges a été diminué en vertu des dispositions de la nouvelle loi. Dans la première version ou rédaction de la loi 88, quinze juges pouvaient être assignés au tribunal de l'expropriation alors que la nouvelle loi ou le texte réimprimé réduit de 15 à 10 le nombre de juges attachés à ce tribunal. En outre, nous soutenons la validité des ententes à l'amiable parce que cette procédure minimise les frais de cour et par là nécessairement les frais d'expropriation.

M. le Président, je crois me rendre compte que théoriquement mon droit de parole serait expiré. Je voudrais obtenir le consentement unanime de la Chambre pour compléter, peut-être dans l'espace de 7 à 10 minutes. J'ai voulu dépolitiser jusqu'ici le problème et je tiens à remercier mes collègues...

M. LOUBIER: Non!

M. PAUL: M. le Président, est-ce que vous pourriez nommer trois fois de chef de l'Opposition?

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Le consentement unanime moins celui du chef de l'Union Nationale. Sur division !

M. PAUL: Je vous prie de croire, M. le Président, que je préférerais de beaucoup reprendre immédiatement mon siège.

M. le Président, comment peut-on pensa-que tous les citoyens expropriés sont capables de payer un procureur pour les représenter aux différents niveaux des procédures judiciaires? Le ministre me rétorquera immédiatement: Nous avons aujourd'hui le bénéfice et l'avantage de l'aide juridique. Très bien!

Mais si un individu est exproprié, c'est parce qu'il possède des biens. S'il possède des biens, au départ, la présomption existe qu'il ne pourra pas bénéficier de l'aide juridique. Nous disons, sans arrière pensée, que les citoyens ordinaires — la masse, parce que c'est toujours la masse du petit peuple qui est expropriée, et Dieu me garde de vouloir faire de la démagogie à ce moment-ci — n'ont pas la compétence, ni surtout le goût de plaider leur cause devant un tribunal où la procédure n'est compréhensible que pour les seuls initiés, et encore là des initiés jouissant d'une certaine expérience. Les avocats qui ne se sont jamais présentés devant la Régie des services publics sont fort inquiets et, ne connaissant pas la procédure adoptée par la régie, se trouvent eux aussi, malheureusement, au début de leur expérience devant cette régie, égarés dans le dédale des procédures fort simples mais qui sortent un peu de l'ordinaire, des procédures courantes devant nos tribunaux. Dans tout ce problème d'expropriation, les corps publics auront beau jeu de se faire représenter par des procureurs chevronnés au détriment, somme toute, des deniers publics de leurs contribuables ou commettants alors que les municipalités et le gouvernement, iront chercher les avocats d'expérience, les plus expérimentés, les plus chevronnés, ceux-là qui ont eu l'occasion, la chance de plaider assez régulièrement devant les tribunaux ou devant la Régie des services publics. Ainsi, ils pourront se servir, nécessairement, des impôts payés par les contribuables et des taxes des contribuables pour mener une action contre ces mêmes contribuables dont les revenus ne leur permettraient pas toujours de se faire représenter par un procureur très compétent et très habile dans ce domaine de l'expropriation. Une telle situation ne peut pas être tolérée si l'on peut trouver des palliatifs plus valables. Nous croyons que les ententes à l'amiable sont un de ces poids, une de ces possibilités d'éviter l'encombrement du rôle devant la Régie des services publics.

Je voudrais formuler une suggestion très importante et que l'on se réfère à la loi 136 du gouvernement fédéral, à l'article 8, par exemple, paragraphe 9) et à l'article 27 de la loi ontarienne, des statuts revisés de l'Ontario, 1968-1969, chapitre 36 et à l'article 7, paragraphe 10) et à l'article 33. J'ai voulu ici résumer, M. le Président, en ne donnant que la référence aux articles, le problème que je traite très brièvement et très imparfaitement à ce moment-ci dans le cadre des lois existantes, tant au niveau fédéral qu'au niveau de la loi de l'Ontario en matière d'expropriation.

Il s'agirait donc, pour l'expropriant, de payer tous les frais juridiques des deux parties devant le tribunal. On me dira que c'est la coutume qui existe actuellement et qu'à toutes fins pratiques, c'est le ministère de la Voirie qui paie les frais des procureurs des parties devant la Régie des services publics, lorsqu'une cause d'expropriation s'y plaide.

Nous comprenons que le coût d'expropriation serait plus élevé si le gouvernement ou si l'expropriant ou l'expropriante devait assumer les frais des parties représentées par un procureur, mais nous pensons que cela pourrait permettre au citoyen d'être mieux protégé, étant donné que le gouvernement n'est pas disposé à remettre en vigueur des ententes à l'amiable.

Par le fait qu'on va faire disparaître les ententes à l'amiable, la transaction dont je vous ai parlé tout à l'heure, et que l'on retrouve aux articles 1918 et suivants du code, étant disparue, il faudra nécessairement que l'exproprié,

qu'il le veuille ou non, retienne les services d'un avocat pour aller devant la régie. Et même si les ententes à l'amiable étaient incluses dans ce projet de loi, nous pensons qu'il appartient au gouvernement de payer tous les frais juridiques sauf, il va de soi, si le tribunal en décide autrement à cause de la mauvaise foi de l'exproprié.

C'est beau de se pencher sur le sort de l'exproprié, mais il arrive quelquefois que l'exproprié est nettement de mauvaise foi, qu'il est réellement entêté et qu'il n'a aucune justification de s'opposer à l'expropriation qu'en principe, les services publics ou les autorités gouvernementales, tant fédérales que provinciales ou municipales, ont le droit d'exercer, en autant que ce soit pour le bien de la communauté.

Nous croyons que cette suggestion est valable parce qu'elle pourra empêcher le gouvernement de se servir d'arbitraire en face des expropriés et également parce qu'elle a été soumise par la commission Alary et c'est fort important. La fameuse commission Alary. Vous l'aviez oubliée, M. le Président. J'en ai parlé au début de mes propos et j'y reviens. C'est une des recommandations que l'on trouve dans le rapport de la commission Alary et que l'honorable ministre des Transports a oubliée, mais je compte sur la vigilance du leader du gouvernement pour rappeler à son collègue, le ministre des Transports, en temps utile, que cette mesure devrait être retenue, que cette recommandation de la commission Alary devrait être retenue.

A la suite d'un règlement entre l'expropriant et l'exproprié, en cour ou hors de cour, il arrive que l'exproprié soit obligé d'attendre plusieurs mois avant de recevoir l'indemnité à laquelle il a droit.

Or, dans le présent projet de loi de l'expropriant, on fait mention des intérêts que pourrait obtenir l'exproprié de la façon suivante: "II peut être ajouté" — on ne dit pas il doit être ajouté — "au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de la date de la prise de possession du bien exproprié, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi du ministère du Revenu (chapitre 22 des Statuts de 1972) sur le taux légal d'intérêt." C'est à l'article 67, paragraphe 2.

D'après la Loi du ministère du Revenu, l'article 26 et ses règlements, l'intérêt payable pour créance est de 8 p.c. La différence entre le taux d'intérêt excédant le taux légal d'intérêt atteint rarement le taux de 8 p.c. du ministère du Revenu. Nous invitons avec instance le gouvernement à traiter les citoyens à qui il doit de l'argent de la même façon qu'il traite les citoyens qui lui doivent de l'argent.

Si nous sommes prêts à aller plus loin pour protéger et faire respecter les droits du citoyen, dans le cas où l'expropriant retarde indûment le paiement d'une indemnité, nous demandons qu'une norme de pénalité soit prévue. C'est ainsi que tout retard de plus de 60 jours après une ordonnance exécutoire ou de plus de 90 jours à la suite d'un règlement, ratifié toujours par entente devant le tribunal, à la suite d'une conférence préparatoire ou pour ratification d'une entente, implique le paiement par l'expropriant d'un surplus d'intérêt sur lequel la cour devra statuer à la demande de l'exproprié.

Je ne vois pas pourquoi les corps publics du Québec ne seraient pas pénalisés, alors que ceux de l'Ontario et du gouvernement fédéral le sont, pour ne nommer que ceux-là, dans le but de protéger les expropriés victimes d'un tel préjudice.

Pour le cas où ce sont les expropriés qui retardent indûment le paiement de l'indemnité, nous croyons que ce sera à la cour de statuer sur le paiement de l'intérêt par l'exproprié à qui il appartiendra de prouver, toujours, sa bonne foi.

J'arrive aux conclusions de mon intervention dont je garderai longtemps le souvenir, à cause de l'énergie que j'ai été obligé de déployer. J'ai regardé d'assez près les principes de ce projet de loi sur l'expropriation et je m'en voudrais de ne pas formuler très brièvement quelques remarques â son endroit.

Je ne crois pas qu'au cours de mes propos j'aie épuisé le sujet et toutes les implications de la loi 88. Cependant, je me réserve le droit de coopérer avec le ministre. Je suis sûr qu'il ne refusera pas une telle coopération de ma part, lorsque moi ou mes collègues les députés de Labelle ou de Chicoutimi, nous nous rendrons discuter de ce projet de loi à la commission élue, à moins que le leader du gouvernement ne désire compléter l'étude de cette loi en commission plénière.

Tout au long de cet exposé des problèmes sous-jacents à l'expropriation, j'ai voulu poser des principes et formuler quelques critiques fondamentales, non pas dans le but de critiquer d'une façon destructive le ministre parrain de cette loi mais dans le but d'essayer de procurer une protection accrue aux citoyens victimes du préjudice de l'expropriation. Je répète ici que nous ne nous sommes pas arrêtés assez dans cette loi à l'humain et â l'humanisation des procédures d'expropriation. En cela nous approuvons et nous encourageons le Protecteur du citoyen, qui, dans son rapport de 1971, dit ceci: "Nous sommes dans un domaine où l'humanisation s'allie fort bien â la rationalisation, et les efforts en ce sens pourraient â mon avis changer cette situation s'ils portaient sur trois plans principaux. D'abord, il faudrait redéfinir partiellement la tâche des négociateurs et être extrêmement attentif â ce qu'ils aient les connaissances suffisantes et les qualités de disponibilité et de compréhension nécessaires pour leur permettre de remplir pleinement leur rôle d'agents de l'Etat chargés d'évaluer correctement et justement des situations et de convaincre les expropriés du bien-fondé des offres qui leur sont proposées. Ensuite, il y aurait le

plus grand avantage à promouvoir au plus tôt l'établissement de critères et de normes d'évaluation valables pour la province, ce qui permettrait l'établissement de données plus précises et plus complètes et diminuerait le champ aujourd'hui si vaste des opinions et des appropriations. Enfin et surtout, il serait nécessaire de raffermir les offres faites aux expropriés en les formalisant et en s'employant à les motiver adéquatement par les soins des négociateurs et de n'y déroger par la suite qu'au cas d'erreurs, ce qui diminuerait sans doute la fréquence des interventions des agents de l'extérieur mais leur assurerait un sens véritable et professionnel." C'est un extrait de la page III du rapport du Protecteur du citoyen pour l'année 1971.

Ici, dans ce projet de loi, cette fonction des négociateurs a complètement été oubliée ou rejetée, étant donné que toute cause doit être maintenant déférée obligatoirement au tribunal pour régler un problèmes d'expropriation. On peut se demander si les membres du tribunal sauront humaniser les procédures d'expropriation; si cela n'est pas nous retournerons dans les mêmes erreurs que dénonce le Protecteur du citoyen. Il faut bien le voir, l'expropriation est et doit continuer d'être d'abord un problème humain sur lequel les agents de l'Etat devront se pencher de plus en plus. La suggestion du Protecteur du citoyen du Québec n'a pas été retenue par le ministre responsable de l'application du projet de loi. Je serais fort surpris cependant si le ministre n'avait pas discuté de tout ce problème avec le Protecteur du citoyen.

Il est à espérer que la structure judiciaire pourra pallier avantageusement ce problème, sinon qu'est-ce qu'une telle institution fait dans notre droit parlementaire ou dans notre droit québécois? Pour clore cet exposé, je demande au gouvernement de prendre en considération les suggestions que je lui ai faites au nom du parti de l'Union Nationale et surtout celle qui a trait à une procédure autorisant les ententes à l'amiable et celle concernant les dommages indirects.

Je tiens à souligner que je devrai être très exigeant sur ces points — mes collègues le seront sûrement — lorsque nous étudierons la loi article par article.

Cette deuxième version du projet de loi comporte encore de nombreuses lacunes, certaines très sérieuses. Si nous sommes disposés, nous députés de l'Union Nationale, à accepter le principe de ce projet de loi, c'est parce que nous sommes conscients que malgré les carences qu'on y trouve, que nous avons notées, il a le mérite de mettre un certain ordre et de réglementer le domaine très complexe de l'expropriation.

J'ai confiance que l'étude article par article de ce projet de loi en commission parlementaire l'améliore. Nous rejoindrons ainsi l'objectif que nous fixait le ministre au début de ses propos, savoir que l'étude de cette loi continue d'être totalement dépolitisée, et ce pour la protection même du citoyen québécois.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. Aurèle Audet

M. AUDET: M. le Président, il me fait plaisir de prendre la parole en deuxième lecture sur ce projet de loi no 88. Le projet de loi no 88 a une tâche très délicate à accomplir, celle d'équilibrer avec justice les droits individuels et les droits collectifs. D'une part, il y a le droit à la propriété privée qui est un droit sacré.

La propriété d'un homme est ce qu'il y a de plus cher, car elle représente la somme de son labeur quotidien. Notre société, notre mode de vie, nos institutions sont fondés sur ce principe et nous entendons bien le conserver et le défendre contre toute attaque injustifiée. D'autre part, notre société moderne comporte certains impératifs auxquels nous devons nous soumettre. Il y a là affrontement entre les droits collectifs et les droits individuels. Lesquels doivent avoir priorité sur les autres. Vivant dans un système démocratique, où la règle de la majorité s'applique, nécessairement, les droits collectifs doivent primer sur les droits individuels lorsque la situation le nécessite.

Cependant, cette priorité doit s'affirmer en limitant le plus possible le préjudice causé aux droits de l'individu. Est-ce que le projet de loi no 88 répond à cette préoccupation majeure? Nous devons admettre, M. le Président, que dans ses grandes lignes, le projet de loi semble soucieux du respect des droits de l'individu. Il est certain que l'unification des procédures est une grande amélioration en ce sens. L'individu aux prises avec une procédure complexe par sa diversité pouvait se sentir écrasé et voué à son sort, contre lequel il ne pouvait rien.

Une procédure unique est de nature à le rassurer, à lui assurer une protection plus adéquate de ses droits. M. le Président, cependant, relativement à l'unification des procédures, nous avons vu, dans la première impression du bill 88, cette tentative du gouvernement de se donner, pour fins de voirie, ainsi qu'à la ville de Montréal, un statut particulier en matière d'expropriation.

Cela a été tellement critiqué en commission parlementaire par la quasi-totalité des organismes qui ont présenté des mémoires, ainsi que par les partis d'Opposition que le ministre a accepté de faire une vraie unification des procédures, laissant tomber, dans ce bill réimprimé, les avantages marqués qu'il prodiguait alors au ministère de la Voirie et à la ville de Montréal.

Si nous pouvions blâmer le ministre de faire fi des nombreuses recommandations du rapport Alary dans la première présentation du bill 88, nous devons admettre, bien que nous aurons de nombreuses questions à poser au ministre, ainsi que plusieurs amendements à lui proposer en commission plénière, que cette réimpression présente quand même une nette amélioration

sur la première version. Il y a, cependant, plusieurs points obscurs dans cette nouvelle présentation. Certains articles semblent offrir à l'exproprié des avantages ou, du moins, des éléments de justice à son égard, tandis qu'un peu plus loin on laisse des ouvertures qui viennent contredire et même annuler ces avantages.

La commission Alary, qui avait à sa disposition quantité d'experts, de gros budgets et qui a comparé sur place notre système avec celui des Européens et des Américains, a étudié pendant trois années. Nous pouvons dire que le gouvernement n'a pas prêté une oreille tellement attentive à ses recommandations. Une autre recommandation du rapport Alary, qui n'est pas entérinée par le projet de loi, est celle de la compensation au préjudice indirect accordée par le tribunal. Nous croyons que le projet de loi, en fermant hermétiquement la porte au préjudice indirect, risque de créer de graves injustices dans des cas particuliers. Nous notons, en étudiant la Loi d'expropriation de la province de l'Ontario et du Canada que ces deux gouvernements, dans leur loi d'expropriation, reconnaissent le préjudice indirect.

Pour notre part, nous préférons laisser la porte entrouverte pour permettre au tribunal de se prononcer en toute latitude lorsque des cas individuels d'injustice se présenteront. Nous considérons que cette recommandtion est très sage, car elle pourrait permettre à des personnes de se voir indemniser pour des dommages réels, mais indirects n'étant pas elles-mêmes expropriées. Le cas du petit marchand du quartier, qui voit sa clientèle notablement diminuée en raison d'une expropriation massive dans son quartier est un exemple type.

M. le Président, il faudra s'attarder d'une façon très minutieuse sur ces articles qui confondent, en quelque sorte, cet esprit de justice que cette Loi de l'expropriation devrait contenir, dans ses principes, envers l'exproprié. Nous devons également reprocher au projet de loi d'être trop restrictif au chapitre de l'indemnité, en ne considérant que la valeur réelle du bien exproprié. Soulignons que les lois ontarien-nes et canadiennes sont plus humanitaires.

Non seulement elles tiennent compte de la valeur réelle du droit exproprié mais aussi, dans le cas d'un propriétaire d'une maison unifamiliale, du coût de remplacement et de relocalisation dans des conditions semblables, du coût de déménagement et du coût de la pénalisation pour le rachat d'une hypothèque.

Je suis très fier d'avoir entendu le député de Maskinongé noter les vues du Protecteur du citoyen lorsqu'il parlait d'humanisation en matière d'expropriation et je me fais fort ici d'appuyer sur le sujet que je vais citer. Je dois dire, M. le Président, qu'en plus de considérer justement les valeurs des biens expropriés par une évaluation scientifique, on devrait aussi considérer le fait que la décision d'une expropriation ne découlant pas de la volonté de l'exproprié, mais étant plutôt une action qui vient à l'encontre de sa volonté, mérite, par le fait même, un dédommagement moral pour une semblable imposition.

M. le Président, pour mieux illustrer ma pensée, disons que quelqu'un décide personnellement de vendre sa propriété. Il est libre d'exploiter les occasions qui lui sont offertes en allant jusqu'à faire de la spéculation aussi bien qu'il pourrait librement accepter une perte quelconque. Mais lorsqu'il y a expropriation, cette décision prise par une autre personne ou organisme enlève toute cette liberté d'action, toute cette liberté de décision ainsi que toute possibilité de spéculations ou profits à réaliser. N'ayant que cette seule évaluation scientifique pour déterminer arbitrairement la juste et stricte valeur de la propriété de l'exproprié, je dis qu'il y a un principe fondamental à respecter, si on veut être réellement juste envers l'exproprié. Ce principe, c'est cette décision arbitraire de l'expropriant qui vient léser moralement l'exproprié en lui enlevant ce droit de décider de ses propres biens. C'est ce droit de décision qu'on enlève au possédant que nous devrions évaluer d'une certaine façon et ainsi lui accorder une compensation distincte que l'on pourrait qualifier de compensation d'honoraires d'expropriation, par exemple. Cette compensation pourrait être déterminée par un certain pourcentage de la valeur réelle de l'expropriation. Nous traduisons ce principe dans la présentation d'amendements à cet effet en troisième lecture.

M. le Président, une autre des recommandations que nous endossons est celle de la reconnaissance du principe qu'un exproprié a droit à l'assistance d'un expert et d'un avocat. Et cela, aussi bien dans le cas d'un règlement à l'amiable que dans celui d'un règlement judiciaire. Ces frais devraient s'ajouter au coût de l'expropriation. Nous croyons que cette recommandation de la commission Alary devrait être incorporée à la loi afin de placer sur un même pied l'exproprié et l'expropriant. Ce dernier jouit en effet d'une batterie d'experts en évaluation et quantité d'avocats. IL est indéniablement en position de force vis-à-vis de l'exproprié qui craint de recourir aux services d'experts en raison du coût élevé de ces consultations.

M. le Président, je crois qu'il serait bon d'inclure à la loi cette prévoyance de pouvoir ajouter au service de l'exproprié ce droit de se défendre adéquatement avec les experts voulus.

Une autre chose qui retient notre attention dans le bill 88, c'est cette indemnité provisionnelle insuffisante que le gouvernement a décidée pour permettre la prise de possession après expropriation. Le gouvernement, dans sa première impression du bill 88, avait retenu, pour le ministère de la Voirie et la ville de Montréal l'avantage de verser une indemnité provisionnelle d'à peine 50 p.c. de la valeur réelle de l'expropriation.

Je crois, ici, que nous devons reconnaître

l'effort du gouvernement pour rehausser, à la demande de nombreux organismes lors de la commission parlementaire, cette indemnisation provisionnelle. Mais je crois que s'arrêter à 70 p.c. est encore trop bas. Nous aurions dû aller aussi loin que 85 p.c. et 90 p.c. Dans bien des cas, nous verrons les expropriés devoir attendre des mois, si ce n'est des années, pour obtenir le règlement final de leur expropriation.

C'est là que les expropriés seront lésés dans leurs droits par une attente trop longue pour ce règlement final. Nous avons connu au ministère de la Voirie dans le passé ces délais extraordinaires. Surtout sur la route 20 on me disait qu'après expropriation, même encore cette année, on voyait des cultivateurs qui étaient désireux d'acheter des terrains appartenant au ministère de la Voirie. Le ministère de la Voirie n'était même pas au courant qu'il en était propriétaire et les règlements finaux n'avaient pas été faits aux expropriés. Donc, on devait commencer par inventorier les terres et les terrains appartenant au ministère de la Voirie, compléter les règlements, déterminer la valeur réelle de ces terres et, par la suite, passer à la vente des terres dont le ministère n'avait plus besoin. Il en coûtait plus cher pour suivre toutes les procédures nécessaires à la reconnaissance des droits qu'on avait sur ces terrains, à terminer les règlements et à mettre en vente les terrains que le montant que la vente de ces derniers rapportait.

C'est en vue de pallier ces injustices vis-à-vis de l'exproprié que nous aimerions voir au moins une indemnisation provisionnelle plus élevée.

Nous nous demandons si le bill 88 prévoit un article quelconque qui pourrait, par exemple, modifier ou abroger une loi abusive qui a été accordée à la ville de Québec en 1967 au sujet des terrains longeant la rivière Saint-Charles. Je note ici un article du bill privé no 200, Loi modifiant la charte de la cité de Québec, sanctionnée le 16 mars 1967, qui se lit comme suit: Aucune modification, transformation ou addition ne peut être faite, sauf par la ville, pour fins municipales aux immeubles situés sur une lisière de 400 pieds de largeur de chaque côté de la rivière Saint-Charles jusqu'à ce que le plan définitif de l'aménagement de ces rives soit définitivement approuvé par le conseil. Le conseil peut approuver définitivement un plan pour un secteur qu'on veut déterminer.

Depuis 1967, ces propriétaires de terrains longeant la rivière Saint-Charles ont vu leurs propriétés gelées par ce projet de loi privé. Je me demande si dans le bill 88, en lisant ses articles, réellement nous trouvons quelque chose qui viendra mettre un terme à cette réserve abusive de la part de la ville de Québec.

D'autres dispositions du projet laissent subsister des doutes quant au maintien de ces privilèges abusifs de la ville de Québec sur ces propriétaires, qui se demandent quand finira cette réserve, qui est retenue depuis 1967, sur leur propriété. Seront-ils jamais payés pour cette expropriation? Leur plus grand intérêt, leur grande inquiétude est de savoir quand finira ce suspense enduré depuis 1967. Dans la première version du bill 88, on prévoyait un délai de 90 jours avant la prise de possession par l'expropriant, sauf la Voirie et la ville de Montréal, qui se conservaient le droit de prise de possession sur simple dépôt de plans et avis. Dans la première version du bill 88, nous savons que le ministre de la Voirie et la ville de Montréal se réservaient le droit de verser une indemnité provisionnelle de 50 p.c. et pouvaient prendre possession sur le simple dépôt de plans et avis.

Or, dans la réimpression du bill, on a assujetti le ministère de la Voirie et la ville de Montréal et la même obligation que tout autre expropriant, mais on a raccourci le terme de 90 à 60 jours pour ce délai de prise de possession. Je crois que nous aurions dû conserver ce délai de 90 jours avant la prise de possession par l'expropriant des biens expropriés.

M. le Président, je conçois que le gouvernement a fait des efforts assez louables en vue d'améliorer ce projet de loi mais, quand même, j'espère qu'il acceptera encore les quelques amendements que nous présenterons en troisième lecture, ce qui complétera le mieux possible ce respect des droits de l'individu.

Je dois vous dire, M. le Président, que nous serons en faveur du principe de ce bill en deuxième lecture. Merci, M. le Président.

LE VICE-PRESIDENT: (M. Blank): L'honorable député de Maisonneuve.

M. Robert Burns

M. BURNS: M. le Président, face à un projet de loi comme celui qui s'appelle le projet de loi no 88, Loi de l'expropriation, au départ, nous sommes obligés de faire certaines admissions.

La première admission est que, sans aucun doute, le droit pour l'Etat, au nom de la collectivité, d'utiliser cette possibilité d'exproprier au nom de l'ensemble de la communauté est un droit nécessaire que l'Etat, que les organismes publics doivent avoir. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus. Je pense que nier ce droit à l'Etat, même s'il est un peu exceptionnel, même s'il va à l'encontre de cette espèce de sacro-sainte théorie de la propriété, du droit de propriété absolument inviolable, on ne peut pas le faire. Je pense qu'il est absolument nécessaire de reconnaître que l'Etat doit, à l'occasion, violer des droits individuels — je le dis sans que l'aspect péjoratif y paraisse — de propriété.

Cependant, M. le Président, comme pendant à ce droit qu'on est obligé de reconnaître en plein 20e siècle, il faut aussi reconnaître le fait que l'exproprié est souvent celui qu'on oublie, dans ce cas, à l'égard de cette espèce de besoin collectif de rendre service à la communauté.

Le problème est particulièrement important quand on sait, du moins de par certaines statistiques de 1965, qui n'ont pas, je pense — à moins que le ministre nous dise le contraire — changé , que le Québec se classait, en 1965, au quatrième rang, en Amérique du nord, pour le volume de ses expropriations. Je ne sais pas si cela a changé beaucoup depuis ce temps mais c'est, à l'époque, ce qui a créé tout l'intérêt autour de la commission Alary, qui nous a fait un certain nombre de recommandations.

Je pense qu'il est important qu'on s'arrête à un tel projet de loi, qu'on l'examine à fond, et surtout — je pense que c'est ça, l'aspect que je voudrais souligner par mon intervention en deuxième lecture— qu'on s'arrête aussi aux travaux de cette commission Alary, qui ont été tellement attendus. Ils n'ont pas été, peut-être, publicisés comme ils auraient dû l'être, mais ils nous ont amenés, quand même, une certaine philosophie qui, à mon humble avis, tend à respecter, comme je le disais tantôt, d'une part, le droit de l'Etat, de la collectivité d'exproprier, de violer les droits individuels et, d'autre part, à protéger le plus possible, à l'encontre de ce mal nécessaire qui s'appelle l'expropriation, les droits des individus dans leur propriété par suite des problèmes que ça leur cause.

Le texte du rapport Alary, comme je le mentionnais, est très peu connu puisqu'il n'a jamais été officiellement rendu public. A mon avis, c'est malheureux, car il s'agit là d'un des meilleurs rapports.

M. PINARD: Est-ce que le député me le permet? Il n'a peut-être pas été rendu public de la façon la plus officielle ou ordinairement employée par le gouvernement. J'ai dit, cet après-midi, qu'il avait été déposé à la suite d'une motion que j'ai faite, alors que j'étais député de l'Opposition. Par la suite, les journaux en ont obtenu des exemplaires et il est sorti presque intégralement dans les journaux.

M. BURNS: Je comprends le ministre de soulever ce problème. D'ailleurs, je vais lui rendre immédiatement justice, en disant — c'est que j'allais dire, d'ailleurs— qu'il n'a pas été rendu public officiellement, mais qu'il a circulé. Mais, comme on est dans un domaine tellement technique qui est vraiment réservé aux initiés, je pense que le gouvernement aurait dû, eu égard à l'importance de ce rapport, peut-être le rendre véritablement public, même le distribuer largement, le vulgariser.

C'est un peu l'opinion de tous les gens qui se sont préoccupés de cette situation. La commission elle-même, à mon avis, relativement aux deux phénomènes que je mentionnais au tout début, a fait un certain nombre de dénonciations — encore une fois, ce n'est pas péjoratif, ce que je dis — assez claires du système actuel.

Je cite, entre autres, à la page 3 du premier volume du rapport de la commission, un extrait qui, je pense, doit nous rester très présent à la mémoire au cours de toute l'étude de ce projet de loi. "La constatation fondamentale que nous avons finalement retirée de l'ensemble de nos enquêtes ou travaux est que le désordre légal et administratif qui règne au niveau des expropriations entreprises par les autorités publiques est finalement aussi nuisible et aussi coûteux pour les pouvoirs publics que pour les expropriés eux-mêmes. L'ensemble des budgets affectés à des acquisitions immobilières, tant amiables que forcées, par le gouvernement provincial, par les municipalités ou par les commissions scolaires représente au minimum $150 millions chaque année." Ce n'est pas moi qui le dis; c'est la commission dans ses premières pages. "Par suite du manque de coordination entre les différents corps publics, du désordre légal et administratif, ainsi que du jeu des plus-values et de la spéculation foncière, $30 millions à $40 millions sont, chaque année, dépensés en pure perte par les corps publics. La solution qu'il convient d'apporter au problème des expropriations ne concerne donc pas seulement les expropriés, mais intéresse au premier chef les pouvoirs publics eux-mêmes."

C'est, je pense, peut-être la citation qui doit nous guider au cours de l'étude de ce projet de loi. Cette constatation est venue à la suite d'examens et de travaux faits par une commission qui est considérée comme une des plus sérieuses que le Québec ait instituées depuis plusieurs années.

Elle tient compte, justement, des deux facteurs que je mentionnais tantôt, c'est-à-dire le droit de l'exproprié d'avoir justice, d'une part, et le droit aussi de l'Etat d'exercer ce privilège ou cet empiètement sur les droits de propriété individuels. Pour corriger cette situation, M. le Président, la commission Alary a fait 209 recommandations qu'elle a même pris la peine de concrétiser dans un projet de loi que l'on trouve au volume 2 de son rapport. La commission elle-même a groupé ces recommandations en treize recommandations principales, et je cite la référence, toujours au rapport du comité d'études sur l'expropriation, aux pages 4, 5 et 6 qui, soit dit en passant, ont été inversées par erreur; en tout cas, si on se retrouve aux alentours de ces pages, on va trouver les treize recommandations.

Je me permets, M. le Président, de passer brièvement sur chacune de ces recommandations. La première recommandation de la commission est la suivante: La création d'un office du domaine et de l'aménagement foncier qui serait formé, comme première étape, par la réunion de la Société d'habitation du Québec et du Service des expropriations du ministère de la Voirie. Les problèmes d'expropriation les plus onéreux se posent dans les villes. Et c'est là qu'une coordination étroite entre l'ensemble des corps publics est indispensable si on veut réaliser des économies substantielles et lutter utilement contre la spéculation foncière.

On a entendu le ministre, cet après-midi, nous dire que cette recommandation qui, à mon avis, est fondamentale dans le rapport Alary, n'a pas été retenue parce que — disait-il cet après-midi — c'était une suggestion qui nous venait de milieux européens, en particulier de la France, et que le phénomène de régionalisation n'était pas rendu à un point tel ici que ça exigeait que cette recommandation soit retenue par le projet de loi. M. le Président, il n'y a rien, en ce qui nous concerne, dans la situation actuelle, qui nous empêcherait d'intégrer une telle mesure dans le projet de loi, et nous regrettons très sérieusement que le ministre ne l'ait pas retenue. C'est là, selon notre avis, une carence fondamentale à laquelle il faudra absolument remédier si on veut obtenir l'assentiment de notre parti à l'ensemble de ce projet de loi.

La création de l'office du domaine permettrait au Québec d'épargner, à notre avis, des dizaines de millions par année et fournirait à l'Etat l'outil principal dont il a besoin pour combattre la spéculation foncière et aider à un développement planifié des centres urbains. Sans cet office du domaine, il ne peut y avoir de vraie réforme d'expropriation. Aussi, nous insistons fortement pour que le ministère revienne aux recommandations de la commission Alary à ce sujet. M. le Président, nous insistons sur la création de cet office pour la simple et unique raison que tout le rapport Alary, à notre avis, est axé autour de la création de cet office. Je pense que c'est une des plus importantes recommandations qui n'ont pas été retenues par le ministre — comme je le disais tantôt — mais le ministre devra nous donner éventuellement des réponses beaucoup plus satisfaisantes que celles qu'il nous a données cet après-midi en passant par-dessus le problème et en nous disant tout simplement: Bien, ça, c'est une histoire qui peut s'appliquer en France mais qui ne s'applique pas ici.

La deuxième recommandation, parmi les treize que je mentionnais, du rapport Alary est la suivante: La création d'une régie de l'aménagement foncier et de l'expropriation, à la fois juge de l'expropriation, tribunal de zonage et arbitre dans les conflits qui pourront opposer entre eux les différents corps publics. Le projet de loi no 88 ne donne que partiellement suite à cette recommandation, enlevant au tribunal de l'expropriation toute fonction administrative. C'est là une philosophie conforme, je l'admets, aux recommandations du rapport Dassault sur les tribunaux administratifs et qui, par conséquent, peut, selon cette thèse, se défendre. Il reste cependant que le rapport Dussault n'a jamais fait l'objet d'une discussion publique et que ses principales recommandations n'ont jamais été mises en oeuvre.

J'aimerais bien que le ministre nous réponde à ce sujet-là, nous dise tôt ou tard, soit au niveau de la deuxième lecture ou au niveau de la discussion en commission, quelle est la raison pour laquelle il n'a pas retenu cette recommandation qui, je pense, est aussi très importante, comme celle que je mentionnais en premier lieu.

La troisième recommandation du rapport Alary à laquelle je veux faire référence est la suivante: L'institution d'une procédure de réserve pour fins publiques au bénéfice de tous les corps publics y compris le gouvernement et ses organismes. Ces réserves pourront être imposées soit pour deux ans, soit pour dix ans. A ce point-ci, M. le Président, je suis prêt à rendre hommage au ministre, qui a changé son attitude, en tout cas en ce qui concerne le premier projet qu'il avait déposé après avoir entendu les parties et de nombreuses recommandations à ce sujet. J'admets que le ministre a posé un geste qui dans notre esprit est louable en acceptant les nombreuses remarques qui ont été faites là-dessus, c'est-à-dire de ne pas faire du gouvernement et de la ville de Montréal une espèce de système à part, relativement aux droits et à la forme et à la façon d'en arriver à l'expropriation. Sur ce point-là, nous ne pouvons qu'appuyer entièrement le ministre dans sa décision d'avoir changé son projet de loi.

La quatrième recommandation à laquelle je veux faire référence est la suivante: La possibilité pour le lieutenant-gouverneur en conseil, sur avis conforme de l'office et après enquête, d'accorder aux ministères du gouvernement provincial comme aux collectivités publiques de toute nature les pouvoirs d'expropriation et de réserve nécessaires à la réalisation de leurs fins, lorsque leurs lois statutaires ne leur donnent pas des pouvoirs suffisants pour la réalisation d'un projet donné.

M. le Président, comme la première recommandation était à l'effet de créer ce fameux office — je l'ai mentionné tantôt, le projet de loi ne le retient pas— évidemment cette quatrième recommandation n'est pas non plus retenue par le projet de loi no 88 puisque c'est un peu une suggestion accessoire à la première recommandation; ainsi, je ne m'attarderai pas là-dessus. Je fais la même critique à l'égard de l'absence d'une telle disposition dans le projet de loi no 88 que celle que j'ai faite à l'égard de l'absence même de dispositions créant l'office du domaine et d'aménagement foncier.

La cinquième recommandation qui a attiré notre attention est la suivante: L'attribution à l'office de pouvoirs particuliers en matière de réserve, d'expropriation et d'urbanisme afin de lui permettre, à la demande des municipalités, des commissions scolaires, des ministères du gouvernement provincial et de tout autre organisme, de constituer des réserves foncières générales.

M. le Président, toujours pour la même raison étant donné qu'on n'a pas retenu l'idée de l'office, il n'y a rien dans le projet de loi concernant cet aspect primordial de la question. Ces réserves générales seraient un instrument puissant, et j'insiste, très puissant pour combat-

tre la spéculation foncière qui coûte si cher aux contribuables. C'est l'aspect collectif de la Loi de l'expropriation. C'est l'aspect de la protection de la collectivité. Je mentionnais l'aspect de la protection des individus tantôt. Il y a aussi l'aspect de la protection de la collectivité, c'est-à-dire des taxes servent éventuellement à payer ces millions et ces millions de dollars qui sont engloutis littéralement et, selon le rapport Alary, de façon très peu recommandable à certaines occasions dans des expropriations.

C'est pourquoi, M. le Président, nous insistons pour que les recommandations du rapport Alary, à ce sujet-là, au sujet de l'office en particulier, soient mises en pratique. Il y a tout l'aspect spéculatif qu'on semble oublier, qui est quand même là, qui est constamment là, qui est omniprésent en matière d'expropriation. On n'a qu'à penser comment les gens donneraient leur bras droit puis même leur bras gauche en même temps pour savoir à quel endroit telle et telle route vont passer, à quel endroit tel et tel pont vont passer, à quel endroit tel et tel édifice public vont être érigés, pour pouvoir spéculer d'avance.

Et d'ailleurs, M. le Président, vous n'avez qu'à remonter dans la petite histoire de l'expropriation au Québec et vous allez trouver constamment des gens que j'appelle des profiteurs du système. Ceux-ci, parce qu'il n'y a pas de règle stricte à ce sujet-là, parce qu'il n'y a pas d'office d'aménagement, parce qu'il n'y a pas de contrôle central, profitent tout simplement du système et cela, malheureusement, aux dépens de la collectivité elle-même, car c'est elle qui paie pour cela.

La sixième recommandation était la suivante : la suppression du droit reconnu au ministre de la Voirie d'exproprier au moyen du dépôt d'un plan général, le rôle du plan général étant dorénavant joué par le plan de réserve de deux ans, qui doit permettre l'étude sérieuse et la mise au point définitive des plans d'expropriation proprement dits et d'éviter la multiplication des amendements successifs, comme c'est le cas présentement. Encore une fois, c'est un amendement qui est relié â celui que je mentionnais tantôt. Je félicite encore, à ce niveau-ci, le ministre d'avoir adopté cette procédure unique, d'avoir inséré dans son projet de loi une espèce de procédure qui s'applique à tout le monde, y compris au gouvernement provincial, y compris à la ville de Montréal. Là-dessus, je ne peux qu'endosser entièrement l'attitude du ministre qui a accepté de modifier le projet de loi qu'il nous avait présenté et qu'il nous présente maintenant réimprimé.

Evidemment, on n'a pas souvent l'occasion de féliciter le ministre des Transports; j'en profite, je le félicite. Je pense que c'est une des améliorations majeures de son projet de loi réimprimé. Là-dessus, nous serons, évidemment, entièrement d'accord avec lui et nous le supporterons totalement à ce sujet-là.

Une autre recommandation, puisque je fais le tour de ces treize recommandations succintes de la commission Alary, que le ministre a acceptée, a intégrée — si vous voulez, il a enlevé des dispositions dans son projet de loi pour rendre celle-ci applicable — c'est la septième: l'adoption d'une procédure d'expropriation unique pour toutes les autorités dotées d'un pouvoir d'expropriation, qui consiste à déposer â l'enregistrement un plan parcellaire, ce dépôt entraînant le transfert du droit de propriété. Je fais les mêmes remarques à l'égard de cette recommandation que ce que je viens de faire â l'égard de l'autre qui précède.

La huitième recommandation était l'institution d'un délai légal de 90 jours entre le dépôt du plan et la prise de possession, délai susceptible de prorogation par le président de la régie. Je ne m'éterniserai pas sur cette recommandation-là. Je pense qu'elle fait beaucoup plus l'objet des commentaires que je devrai faire au niveau de la discussion en commission plénière. Je ne veux pas, loin de là ma pensée, M. le Président, utiliser à mauvais escient les règlements qui me permettent, en deuxième lecture, d'avoir une discussion assez large.

La neuvième recommandation, selon nous, est très importante. Malheureusement, je considère que le ministre a fait un compromis que je qualifierais de facile, en l'occurrence, mais qui ne rencontre pas les critiques que nous lui avons faites au moment de la discussion du projet de loi en commission élue. Je cite cette recommandation no 9 qui se lit comme suit: "L'indication qu'il ne peut y avoir de prise de possession sans paiement d'une indemnité provisionnelle aussi proche que possible de la valeur de l'indemnité principale, arbitrée, en cas de nécessité, par le président de la régie".

La première version du projet de loi nous donnait une indemnité provisionnelle de 100 p.c. pour tout le monde, sauf pour le ministère de la Voirie et pour la ville de Montréal, auxquels cas on donnait une indemnité provisionnelle de 50 p.c. Le compromis qu'on semble avoir mis dans le projet de loi, c'est de dire qu'on va diminuer l'indemnité provisionnelle pour tout le monde de 100 p.c. à 70 p.c. et qu'on va augmenter l'indemnité provisionnelle pour ces deux groupes-là, puisqu'on fait une règle unique applicable à tout le monde, de 50 p.c. à 70 p.c. Je pense que, tant qu'à avoir bougé de ce côté-là, on aurait dû bouger complètement.

Je sais ce que le ministre des Transports va nous dire. Je m'attends au genre de réponse qu'il va nous donner et il n'a peut-être pas complètement tort. Je reconnais qu'un des problèmes de base, dans la discussion d'un tel projet de loi, est un problème purement et simplement de piastres et de cents. Je sais fort bien que le ministre va avoir des problèmes lors de la mise en application de son projet de loi parce qu'il y a quand même un changement assez important, je le reconnais, quant à la façon d'approcher les indemnités.

II y aurait autre chose plutôt que d'avoir une loi boiteuse à ce niveau — je reviens à ce que je disais tantôt — plutôt que de faire souffrir davantage l'exproprié dans une situation où il n'a vraiment aucun choix, dans une situation où il est placé vis-à-vis de ce gros appareil qui s'appelle l'Etat ou qui s'appelle quelque représentant gouvernemental à quelque niveau que ce soit, plutôt que de le faire souffrir en lui disant: Ecoutez, on vous fait une offre puis vous allez l'accepter — parce que c'est ça la technique — vous allez l'accepter le plus rapidement possible. Les 30 p.c. qu'on ne vous donne pas, sur notre première offre, on va vous les donner le jour où vous allez avoir assez faim pour accepter notre proposition. Ce n'est peut-être pas l'intention du ministre, ce n'est peut-être pas de si mauvaise foi que ça, mais en pratique ce n'est pas le ministre qui, à chacune des expropriations, va aller négocier avec l'exproprié. Ce n'est pas le ministre, ce n'est même pas le sous-ministre comme tel qui va aller négocier. Ce sont des gens qui ont — et on ne peut pas les blâmer là-dessus — intérêt à ce qu'un moment donné on dise: T'es très bon en négociation d'expropriation, tu nous a épargné tant de milliers de dollars, tant de centaines de milliers de dollars cette année. Ce n'est qu'humain cette attitude-là, sauf que, quand c'est ça la philosophie qui préside à une loi d'expropriation, je trouve que c'est très mauvais parce qu'on oublie — et j'y reviens parce que c'est essentiel— le droit de l'individu.

Je ne suis pas plus en amour qu'il faut avec le droit de propriété, je ne suis pas de ceux qui vont dire que ça sort de la cuisse gauche de Jupiter, le droit de propriété. Il reste quand même que dans notre société actuelle on est obligé de le reconnaître comme étant quelque chose qui fait partie d'un tas de pensées, de conceptions, je dirais même que c'est culturel presque. Je vois le député de Terrebonne qui va sûrement trouver un aspect culturel à ce droit sacré de la propriété.

M. HARDY: Certainement.

M. BURNS: Mais ça existe, on est obligé de le reconnaître. On n'a qu'à voir dans un comté comme Maisonneuve, par exemple — je n'aime pas parler de ma paroisse puis de mon patelin, comme ça, cela a l'air un peu chauvin — comment des gens ont souffert par l'expropriation pour la fameuse autoroute est-ouest, comment des petits propriétaires du comté de Maisonneuve, du comté de Saint-Jacques, du comté de Sainte-Marie, du comté de Bourget sont maintenus dans une espèce d'incertitude absolument totale. Je pense que si j'allais plus à l'ouest on aurait peut-être le même plénomène, mais c'est plus vrai dans le cas de l'est montréalais, parce que l'autoroute n'est pas encore passée là et les expropriations ne sont pas encore complétées. Mais il y a un tas de gens qui, actuellement, se posent la question: Quand est-ce qu'elle va venir l'autoroute? Je vous renvoie à la chanson de Donald Lautrec, qui dit: L'autoroute, à s'en vient pas vite, puis quand est-ce qu'à va venir la maudite? Il y a un tas de gens dans l'est montréalais qui se posent cette question-là. Pourquoi? Parce qu'ils sont dans un état d'insécurité totale. Comment va-ton leur rembourser — c'est ça qui est assez inquiétant — véritablement cette insécurité qui n'est pas monnayable? Pensez au petit propriétaire qui, de peine et de misère, en mettant un peu de son salaire de côté puis des fois la pension que ses enfants apportaient à la fin de la semaine, a réussi, imaginez-vous donc, à s'acheter une maison de deux étages avec deux logements en haut, un triplex. Puis il se dit actuellement: Je ne veux pas louer mes deux étages du haut, parce que les gens disent: L'autoroute s'en vient, l'autoroute va passer ici. On n'est pas pour venir s'installer dans un logement puis se faire dire au bout de quelques mois qu'on s'en va. Mais c'est ça la philosophie qui préside à l'expropriation, à la façon d'exproprier les gens. C'est basé d'ailleurs sur une déclaration qui est quand même valable, que je ne nie pas, qu'au nom de la collectivité on doit — peu importe ce que je pense de l'autoroute est-ouest — poser tel ou tel geste. Mais en attendant ce sont des individus qui paient pour ça. L'indemnité provisionnelle devrait être une des façon de dire aux gens: Ecoutez, on n'est pas là pour vous organiser, on n'est pas là pour vous mettre en boîte, voici l'offre qu'on vous fait. Prenez-la, contestez-la si vous voulez, on n'a pas d'objection puis prenez-la à 100 p.c. On ne vous fera pas chanter là-dessus.

Si vous trouvez qu'elle n'est pas suffisante, contestez-là. A ce moment-là, vous paierez pour si vous perdez. Il y aura l'aspect frais, etc.

Véritablement j'insiste sur cette neuvième recommandation du rapport de la commission Alary. Je trouve que le ministre aurait pu continuer cette bonne attitude qu'il avait entreprise, c'est-à-dire celle de dire: On va passer de 50 p.c. pour la ville de Montréal et le ministère de la Voirie et on va se rendre à 100 p.c. tel qu'était la règle, à l'origine, fixée pour l'ensemble des expropriations.

J'arrive à la dixième recommandation qui se lit comme suit: "L'institution de la saisine automatique de la régie, qui connaît de toutes les causes non réglées amiablement, dans les six mois qui suivent l'expropriation." Selon la commission Alary, la saisine automatique constituait une des recommandations les plus importantes de son rapport puisqu'elle avait pour effet de soumettre à la surveillance du tribunal toutes les expropriations effectuées au Québec, même celles qui sont réglées à l'amiable. Malheureusement, le gouvernement n'a pas jugé bon de suivre cette recommandation et je le déplore. Pourquoi est-ce que l'on demande que toutes les expropriations, dans le rapport Alary, soient soumises à un même organisme, même

celles réglées à l'amiable? C'est pour qu'il y ait une certaine constance dans ces règlements, qu'ils soient à l'amiable, qu'ils soient de gré à gré ou qu'ils soient forcés ou décidés par un tribunal.

Je pense que c'est très regrettable que le ministre n'ait pas retenu cette recommandation no 10 de la commission Alary.

J'en arrive à la onzième recommandation qui nous dit que cette commission recommande l'institution d'une procédure de paiement gratuite pour l'exproprié. Encore ici, la recommandation de la commission est restée lettre morte puisque le protonotaire, en suivant les règles du code de procédures, continuera à retenir une somme pour la préparation de l'état de collocation et à titre de droits et d'honoraires. De plus, la distribution, par le protonotaire et non pas par les notaires privés, n'est pas le mode universel de paiement comme l'avait recommandé la commission puisqu'elle ne couvre pas le cas où le règlement se fait à l'amiable.

Encore une fois, je n'insiste pas davantage sur cette recommandation. Nous aurons l'occasion d'y revenir lorsque nous discuterons de ce problème en commission, que ce soit en commission plénière ou en commission élue. Mais nous préférons réserver davantage nos remarques à l'étape de la discussion article par article.

J'en arrive à la douzième recommandation dans la liste de celles que je vous ai mentionnées et qui est la suivante: "La reconnaissance du droit de l'exproprié à être indemnisé pour les frais d'assistance technique et juridique qu'il a dû encourir suivant un barème forfaitaire." C'est une des recommandations à laquelle j'attache peut-être le plus d'importance. Même si cette recommandation tombe presque sous le sens commun, le gouvernement, encore une fois, refuse d'y donner suite. Il est vrai que les experts, témoignant devant le tribuanl, pourront être assujettis par règlements à un tarif. Mais il n'y a rien qui reconnaisse à l'exproprié le droit d'être indemnisé pour l'assistance technique dont il a besoin pour faire valoir sa cause.

Dans la pratique, un grand nombre de causes ne peuvent être réglées à l'amiable parce que l'expropriant se refuse à payer les comptes d'experts auxquels l'exproprié a eu recours pour défendre ses droits. Nous ne voyons pas pourquoi cette recommandation ne serait pas retenue. Qu'on pense simplement — je fais une règle générale à cet égard — au petit propriétaire qui, déjà, comme je le mentionnais tantôt, de peine et de misère, a gagné une petite propriété, qui lui rapporte ou qui ne lui rapporte pas, et qui, éventuellement, se retrouve face à cette espèce de grosse bibite, de grosse machine gouvernementale qui vient l'exproprier, qui vient lui enlever ce qu'il a gagné de peine et de misère. Il sera placé, pour faire face à cette grosse machine qui s'appelle le corps public en question, que ce soit le gouvernement, la municipalité ou la commission scolaire devant un dilemme.

Le dilemme est le suivant: ou bien j'accepte la proposition qui m'est faite par l'expropriant ou bien je risque d'aller brûler une partie des sommes que j'acquerrai éventuellement par cette expropriation à cause d'honoraires d'experts, à cause d'honoraires d'avocats.

M. le Président, on n'est pas dans un domaine — vous le savez — où la Loi de l'aide juridique pourrait facilement s'appliquer, c'est-à-dire que les gens de la Commission de l'aide juridique vont tout simplement demander à la personne qui s'adresse à eux: Est-ce que vous êtes propriétaire d'un immeuble? Est-ce que vous gagnez tant et tant de salaire par semaine? Quand ils vont constater que la personne vient les voir pour des raisons d'expropriation — je pense même que c'est exclu, soit dit en passant, dans les règlements de la Commission de l'aide juridique — ils vont dire: Allez voir un avocat de pratique privée.

Dieu sait que cela coûte quelque chose d'utiliser ce type d'avocats. Je ne les blâme pas. Ce sont des avocats spécialisés. Il y a très peu d'avocats qui font ce qu'on appelle du droit d'expropriation. Donc, ce sont des gens qui sont recherchés, ce sont des gens qui ont leurs tarifs et leurs tarifs sont, disons, en dehors de l'ordre d'une pure et simple consultation.

Je dis que dans le projet de loi on devrait tenir compte de cela. Je pense que l'Etat et tous les corps publics qui sont sujets à utiliser le droit d'expropriation y gagneraient à la longue, en ce sens qu'il y a un tas d'expropriés qui vont dire: Je ne règle pas pour tel montant parce que si je règle pour tel montant, je vais perdre tel autre montant que je devrai payer à titre de commission à mon avocat, tel autre montant que je devrai payer à titre d'honoraires à mon évaluateur, etc. Je pense qu'à ce moment-là, si l'Etat dit: Vous vous sentez lésé à l'égard de l'expropriation que je vous impose, éventuellement, on pourra tenir compte, dans le montant de l'expropriation, de tous les honoraires d'experts que vous devrez payer, vous, M. l'exproprié, éventuellement.

M. le Président, je considère que cette recommandation no 12 est peut-être une des plus importantes parce que, très souvent, c'est justement au petit exproprié que ces dispositions s'appliquent. Il est évident que si le ministère de la Voirie, à un moment donné, décide d'exproprier tout un quartier ou toute une partie de quartier, qu'ici et là il y a un certain nombre de gens qui vont figuerer parmi les expropriés et qui auront les moyens de payer, mais quand on fait des expropriations, je dirais, en quantités industrielles, comme celle qu'on a été obligé de faire à l'occasion de l'autoroute est-ouest, à l'intérieur de Montréal, il est évident que la majorité des gens qu'on frappe sont des gens à petits revenus, des gens qui, déjà, se sentent démunis vis-à-vis de l'appareil judiciaire et se sentent démunis vis-à-vis du recours à des experts, à de l'aide technique, qu'elle soit juridique ou qu'elle soit d'un autre

ordre. A ce moment-là, ce sont eux qui, véritablement, paient pour l'ensemble de cette politique, à mon avis incohérente, d'expropriation.

Je ne voudrais pas que l'expropriation se fasse sur, justement, les gens qui sont peut-être parmi les plus démunis — même s'ils ne sont pas complètement démunis— qui sont parmi les plus démunis parmi ceux qui possèdent un petit quelque chose, parmi ceux qui ont gagné un petit quelque chose avec leurs économies.

M. le Président, je termine en vous rappelant la treizième et dernière recommandation de la commission Alary, qui se lit comme suit: "La possibilité, pour le gouvernement et les corporations soumises aux dispositions de la loi des dettes et emprunts municipaux et scolaires, de payer l'indemnité à l'aide d'obligations de la province de Québec, sous réserve de l'accord de l'exproprié."

M. le Président, encore une fois, le projet de loi no 88 ne tient pas compte de cette recommandation. Il est vrai — je l'avoue — qu'il s'agit là d'un point mineur n'ayant pas l'importance pratique des douze autres recommandations principales de la commission Alary, mais je me demande — et j'aimerais qu'on en discute éventuellement plus à fond — s'il n'y aurait pas lieu de penser à cet aspect.

M. le Président, en deuxième lecture, c'étaient les remarques que nous avions à faire relativement au projet de loi. Encore une fois, je félicite le ministre d'avoir eu l'humilité, si je dois dire, ou, en tout cas, la largeur d'esprit d'accepter un certain nombre de recommandations qui ont été faites au cours d'auditions publiques à la suite du premier dépôt du projet de loi no 88, ce qui prouve — j'ouvre la parenthèse — qu'il n'est pas toujours inutile d'entendre les parties, les gens qui sont concernés immédiatement par un projet de loi.

Je pense que, dans le cas présent, on a au moins trois améliorations importantes dans le nouveau projet de loi, tel que réimprimé. Je pense que le ministre a su écouter les remarques qui lui ont été faites tant par les personnes qui sont venues témoigner devant la commission que par les partis d'Opposition.

Pour toutes ces raisons, en deuxième lecture, nous voterons en faveur du projet de loi. Nous aurons un certain nombre d'amendements à proposer en commission plénière et qui nous aideront à voter aussi, si possible, en faveur du projet de loi en troisième lecture.

Evidemment, notre attitude dépendra, j'en suis certain, de cette largesse d'esprit du ministre lorsque nous discuterons de nos amendements pour nous justifier de voter sur le projet de loi quant à son contenu définitif.

M. PINARD: M. le Président, j'aimerais...

M. Lucien Lessard

M. LESSARD: M. le Président...

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.

M. LESSARD: ... même si j'ai l'impression que tout a été dit sur ce projet de loi ou à peu près tout, j'ai l'intention d'intervenir quelques minutes, mais je ne le ferai pas en tant qu'expert. Je suis un profane là-dedans et je n'ai même pas pu assister à la commission parlementaire qui a étudié ce problème, mais je voudrais surtout insister sur le problème humain que pose l'expropriation, parce que nous avons eu l'occasion, depuis quelques années, de voir certaines expropriations massives. Que ça soit, par exemple, le cas de Sainte-Scholastique, le cas de l'autoroute est-ouest, en particulier le cas du parc Forillon, il y a eu là des problèmes humains considérables. Je déplore, encore une fois, qu'on n'en parle pas dans un des projets de loi peut-être les plus importants de cette session, parce qu'il s'agit d'un projet de loi qui touche directement des individus, qui touche, en grande majorité, des gens qui n'ont pas les moyens nécessaires pour faire face à cet appareil massif qu'est le gouvernement québécois ou toute autre institution bien organisée.

Je sais — et on l'a dit — que l'expropriation est un mal nécessaire, mais il faut, au moins, que ce mal nécessaire, on le rende le plus humain possible, qu'on essaie d'amoindrir les conséquences néfastes que ça peut comporter chez les individus. Depuis quelque temps, je n'ai pas l'impression du tout que le ministère des Travaux publics a eu des succès considérables en ce qui concerne en particulier les expropriations massives que je soulignais tout à l'heure.

Je comprends que le ministre nous dira qu'on n'avait pas les instruments nécessaires à ce moment. Mais je me demande si le projet de loi qui nous est soumis touche véritablement les problèmes complexes et surtout les problèmes sociaux que comporte l'expropriation.

C'est bien facile pour un ministre et pour des députés à l'Assemblée nationale de parler d'expropriation, parce que ça ne nous touche pas. C'est bien facile pour des fonctionnaires au niveau du gouvernement de faire des expropriations parce que, derrière leur bureau, ils ne voient pas souvent les problèmes sociaux que ça comporte.

Mais quand on est directement impliqué, comme je l'ai vu lors d'une visite que j'ai faite dans la région du Bas-Saint-Laurent, ça devient plus difficile de parler de l'expropriation. Là, on constate véritablement les conséquences néfastes et désastreuses, bien souvent, que ça peut avoir sur le comportement social des individus.

D y a une chose qu'il faut se mettre dans la tête, c'est que l'exproprié n'a pas choisi de l'être. L'exproprié, ce n'est pas un vendeur ordinaire. A ce sujet, je pense à l'ordonnance du juge Dorion. Qu'on fasse bien attention et qu'on ne me rappelle pas à l'ordre à partir du règlement 99, parce qu'il y a quand même un

certain nombre d'expropriés qui ont réglé leur problème, qui ont accepté ce qui leur a été proposé par le ministère des Travaux publics.

Il y en a 1,900 qui ont accepté, M. le Président, et c'est surtout de ceux-là que je veux parler.

Je dis que l'exproprié n'est pas un vendeur ordinaire. L'exproprié n'a pas le choix; il faut absolument qu'il vende. Sa négociation est bien limitée par rapport au gouvernement du Québec ou à toute autre institution gouvernementale. Ce n'est pas un prix qu'on doit déterminer pour lui, ce n'est pas une valeur marchande qu'on doit déterminer parce que, bien souvent, comme c'est le cas en ce qui concerne les expropriés de Forillon, il y en a très peu de valeur marchande là-dedans. La valeur marchande était très faible dans ce cas, mais il fallait relocaliser ces gens, il fallait leur donner les instruments et les moyens financiers nécessaires pour se retrouver dans un autre milieu.

En ce qui concerne Forillon en particulier, puisque je connais ce cas plus précisément, j'ai l'impression que le ministère des Travaux publics a complètement manqué son coup. Il deviendra de plus en plus difficile de faire accepter des projets comme le parc Forillon par la population, parce que les gens — et cela a été publicise; en tout cas, ça commence à être publicise — y ont goûté à l'expropriation gouvernementale dans le coin. Il s'en vient d'autres parcs nationaux où on va devoir exproprier aussi des individus. Est-ce que cette loi va permettre, au moins, d'agir humainement vis-à-vis de ces individus? J'en doute, exactement pour les mêmes raisons que soulignait le député de Maisonneuve tout à l'heure.

Il semble qu'on crée des commissions d'enquête, mais, quand il s'agit, toutefois d'accepter des recommandations les plus valables de ces commissions d'enquête, on ne marche plus, on n'accepte plus ça. Pourtant, M. le Président, surtout après une expérience que je considère aussi néfaste que celle du parc Forillon, nous constatons, quand il s'agit d'exproprier des individus, des conséquences énormes sur la mentalité de ces gens. C'est d'abord le déracinement social. On a pris des gens qui avaient plus ou moins le choix — le député de Maisonneuve l'a expliqué et je reviendrai tout à l'heure sur la façon, dans ce cas particulier, dont on a forcé des individus à accepter les offres gouvernementales — dans le territoire du parc Forillon et on les a situés dans des HLM, bien souvent, avec les moyens très limités qu'on leur a accordés.

M. le Président, ces gens ont subi des conséquences. Quand on discute d'un projet de loi comme celui-là, je pense qu'il faut bien tenir compte de ce problème. J'apporte le cas de Forillon parce que c'est un exemple concret et j'ai le droit, en vertu du règlement, d'utiliser tous les moyens pour illustrer ce que je pense du projet de loi. Quand il s'agit d'exproprier ces gens; il faut tenir compte de ce que ça va leur coûter pour se relocaliser; il faut quand même tenir compte aussi des conséquences sociales que ça comporte pour ces gens.

Il semble qu'encore là ce projet de loi ne donne pas satisfaction. Je comprends que, dans son principe même, au moins, il tente d'unifier ce qui était éparpillé dans différents ministères.

Mais est-ce que lorsqu'il s'agira d'exproprier on va choisir les normes du ministère de la Voirie? Est-ce qu'on va choisir les normes du ministère des Travaux publics? Ce qui est troublant, M. le Président, quand on voit ce qui s'est passé à Forillon, c'est qu'alors que le ministère de la Voirie payait $106 l'acre, le ministère des Travaux publics payait $19 l'acre pour exproprier les individus. Sur quels critères, les mêmes? Pourtant, ce sont des institutions gouvernementales. Est-ce que ça va être les critères du ministère des Travaux publics que nous allons utiliser ou est-ce que ça va être les critères du ministère de la Voirie? Je pense que c'est quand même un problème important pour ces gens-là. On a parlé du prix à payer à ces gens-là. D'ailleurs, la commission Alary fait des recommandations très précises à ce sujet. Et il me semble qu'on doit tenir compte de certains critères qu'on a délaissés en ce qui concerne Forillon.

Par exemple, on souligne, je ne dirai pas dans une ordonnance de la Régie des services publics, on cite, c'est-à-dire, un expert en ce qui concerne l'expropriation, M. Picard, et on dit ceci: Pour se procurer une habitation, non pas précisément identique, c'est bien difficile dans des cas comme le parc Forillon. Ce qui est quasi impossible mais analogue, ils vont avoir — c'est-à-dire les expropriés — à subir des exigences et des charges exceptionnelles. L'expropriation crée donc ainsi pour eux des embarras et une augmentation de frais généraux dont il est incontestable qu'il faut les indemniser. C'est ce que nous appelons l'augmentation des charges d'occupation.

J'espère que ce projet de loi permettra au gouvernement du Québec d'arrêter, à un moment donné, d'exploiter les gens qu'on exproprie comme ç'a été le cas bien souvent, parce qu'il y a deux classes de gens qu'on exproprie. Il y a les riches puis il y a les pauvres. Les riches ont les moyens financiers de se payer des avocats. Il n'y a pas de problème, puis bien souvent ils réussissent à profiter d'un projet de loi comme celui-là ou d'autres projets de loi pour obtenir l'indemnisation la plus élevée.

Mais en ce qui concerne les individus les plus démunis, ces gens sont bien souvent apathiques. Devant cette force gouvernementale, le député de Maisonneuve le décrivait tout à l'heure, ils acceptent bien patiemment, comme ç'a été le cas des 1,900 expropriés du parc Forillon, ce que le gouvernement leur propose.

Mais il nous semble qu'il y a quelque chose de fondamental dans le rapport Alary, qu'on a encore laissé de côté, parce que ça permettait justement à ces petites gens de pouvoir se défendre devant cette masse gouvernementale

anonyme, de pouvoir obtenir l'aide juridique. Tout le monde a parlé, de ce côté-ci de la Chambre, d'obtenir l'aide juridique, la reconnaissance, dit le rapport Alary, du principe qu'un exproprié a le droit à l'assistance d'un expert et d'un avocat. Et cela aussi bien dans le cas d'un règlement à l'amiable que dans celui d'un règlement judiciaire.

Que ces gens puissent au moins être informés de leurs droits. Que ces gens puissent au moins être informés qu'ils peuvent aller en appel. Que ces gens, dans le cas de cette loi, puissent être informés qu'il y a un tribunal d'arbitrage puis qu'ils peuvent s'adresser à ce tribunal d'arbitrage. Mais malheureusement étant donné bien souvent, qu'ils sont obligés de se débattre individuellement dans ce système, qu'ils se voient obligés d'engager des experts qui coûtent énormément cher, d'engager un avocat qui peut coûter énormément cher, manger peut-être le petit montant qu'on leur a accordé, ces gens n'ont pas le choix. Cela a été le cas, exactement, des 1,900 cas réglés ou à peu près, en tout cas de 90 p.c. des 1,900 cas réglés dans le parc Forillon.

Je pense que c'est une recommandation qui est peut-être la plus importante; au moins, quand les gens savent comment se défendre, au moins, quand les gens savent qu'ils ont des moyens légaux. Encore là, j'insiste. Ces gens-là n'ont pas demandé à être expropriés. Je comprends qu'au nom de l'intérêt collectif d'une société on puisse sacrifier des droits individuels, mais il faut le faire au moins en permettant à ces gens de pouvoir se défendre.

On va me dire: II y a toujours la Commission de l'aide juridique qu'on a créée. Je dis que ce n'est pas du tout satisfaisant, je dis que le gars qui est exproprié, qu'il gagne $10,000, $15,000, $20,000 ou $7,000, doit avoir les mêmes avantages devant le gouvernement québécois. Le gouvernement du Québec a des experts dans ce domaine en quantité, il me semble qu'il pourrait au moins former un genre de comité qui pourrait conseiller, qui pourrait aider les expropriés à connaître, à un moment donné, quels sont leurs droits.

Il y a un autre problème que je soulève en ce qui concerne la façon bien souvent, dont on a fait ces expropriations. Dans le cas de Forillon, par exemple — le ministre pourra peut-être le nier — d'après mes informations, on a...

M. PINARD: M. le Président, sur un point de règlement. Je ne voudrais pas être désagréable envers le député de Saguenay, mais il bâtit toute sa thèse sur la substance même, sur le principe même du bill 88 en prenant pour exemple des choses qui ne vont pas bien, l'exemple de Forillon, alors que cette cause est précisément devant la cour d'Appel. J'aurais pu lui dire tout de suite, au début de ses remarques, qu'il violait le règlement en parlant d'une affaire qui est sub judice. Je n'ai pas voulu le faire pour ne pas l'embarrasser dans l'élabora- tion de sa thèse, mais quand même, qu'il soit raisonnable. Je suis d'accord avec lui...

M. LESSARD: M. le Président, sur le point de règlement.

M. PINARD: ... pour dire qu'il y a des problèmes d'ordre humain et qu'il faut que les lois finissent par rejoindre les soucis d'ordre humain et que c'est même le devoir du législateur d'y arriver. Mais là, qu'il passe à l'action, qu'il vienne me dire s'il est en faveur du principe du bill, si le bill 88 respecte les droits de la personne humaine au plan individuel et au plan collectif et s'il prétend que non, qu'il en donne des preuves.

M. LESSARD: M. le Président, le ministre a soulevé son point de règlement.

M. PINARD: Là, il parle d'un régime antérieur au bill 88 en matière d'expropriation, et la cause...

LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît! Qu'est-ce que vous avez invoqué comme point de règlement? Vous vouliez rétablir certains faits ou quoi?

M. PINARD: J'ai dit que le député ne parle pas du principe du bill 88, il parle d'une question de principe qui faisait l'objet d'une loi antérieure qu'on ne discute plus. On est devant l'Assemblée nationale pour discuter de la substance, du principe du bill 88; je n'ai pas d'objection qu'à titre d'exemple le député de Saguenay passe au parc Forillon, comme le député de Maisonneuve l'a fait dans le cas des expropriations de l'autoroute est-ouest à Montréal, mais le député de Maisonneuve s'en est tenu au règlement et il a discuté du contenu, du principe, de la substance même du bill 88 et il a fait sa thèse là-dessus, ce dont je le félicite.

M. LESSARD: M. le Président, d'abord, sur le premier point de règlement qu'a soulevé le ministre, le ministre me dit qu'en ce qui concerne le parc Forillon la cause est en appel. Le ministre se base probablement sur l'article 99 où il est dit: "II est interdit à un député qui a la parole de parler d'une affaire qui est devant les tribunaux ou devant un organisme quasi-judiciaire ou d'une affaire qui est sous enquête, lorsque, dans ce dernier cas, etc.."

M. le Président, j'ai bien explicité au début qu'il y a six causes qui sont actuellement en appel; il y a 1,900 cas qui ont été réglés. En ce qui me concerne, je n'ai pas parlé des causes qui sont en appel, je dis que c'est sub judice. Le ministre s'organisera avec ses troubles en ce qui concerne cette affaire-là. Je parle des moyens qu'on a utilisés, je parle toujours de la Loi de l'expropriation, dans un cas très précis, et j'utilise le cas de Forillon comme exemple pour illustrer ce que cela peut comporter comme

problème d'expropriation. J'ai dit que l'une des recommandations les plus fondamentales du rapport Alary, qui empêcherait des abus comme il en a été permis lors du parc Forillon, n'a pas été acceptée par le ministre des Travaux publics.

M. le Président, si le ministre me rappelle à l'ordre en disant que je parle de cas sub judice — il y en a six — je lui dirai que je n'en parle pas, mais les 1,900 autres, là je peux en parler.

LE PRESIDENT: Disons que la présidence, comme d'habitude, ne sera pas trop stricte ni sévère. Je vous autorise et la Chambre vous autorise à continuer votre intervention pendant les quelques deux minutes qu'il reste de votre droit de parole.

M. LESSARD: D'accord, M. le Président.

Non, je ne nommerai pas les 1,900.

Dans les moyens utilisés, je ne voudrais pas, M. le Président, qu'on fasse ce qui a été fait dans le passé puis qu'on cède à une firme privée le pouvoir d'aller exproprier des individus. En tout cas, si on le fait, quand on le fera, qu'on détermine des conditions très précises. On sait que ces gens bien souvent, c'est normal, veulent aller le plus vite possible. Même, on se glorifiait que ça allait vite à Forillon; ça allait vite à Forillon, un moment donné, des chèques étaient versés ainsi de suite, mais là ça va aller moins vite.

On va revenir sur ça, c'est un projet de loi qui me paraît d'importance. Si le ministre ne veut pas aller jusqu'à accepter toutes les recommandations du rapport Alary, au moins qu'il accepte l'une des recommandations les plus fondamentales, celle qui va permettre à ces individus de pouvoir se défendre devant le gouvernement. Que ces gens puissent obtenir l'aide juridique gratuite d'un avocat et d'experts, de telle façon qu'ils sachent exactement quels sont leurs droits. Je pense que c'est l'une des recommandations importantes. Je ne peux pas comprendre pourquoi le ministre ne l'a pas acceptée puisque, encore une fois, ces gens sont bien démunis devant l'Etat. Ils n'ont pas choisi leur sort, on leur impose cette situation-là. Au moins qu'on leur donne les moyens nécessaires de pouvoir se défendre.

M. PINARD: M. le Président, j'aimerais exercer mon droit de réplique s'il vous plaît.

LE PRESIDENT: La réplique du ministre va mettre fin au débat de deuxième lecture.

M. Bernard Pinard

M. PINARD: De façon très brève, je répondrai aux dernières remarques du député de Saguenay en lui disant qu'il n'y a rien dans le bill 88 qui empêche un exproprié d'avoir recours à la Loi de l'aide juridique, comme l'a souligné tantôt le député de Maskinongé. Si, par hasard, la Loi de l'aide juridique ne peut aider une personne jugée trop pauvre pour retenir les services d'un procureur spécialisé en matière d'expropriation pour mieux défendre sa cause, je pense qu'il s'agira de faire une demande au ministre de la Justice, qui examinera de nouveau la loi et qui verra si oui ou non la loi est suffisante pour couvrir le cas mentionné par le député de Saguenay.

On aurait voulu, M. le Président, et c'est une réponse générale aux objections ou oppositions qui ont été faites au bill 88 par les députés de l'Opposition qui ont pris la parole aujourd'hui, que le bill 88 contienne presque toutes les recommandations du rapport Alary, surtout la création de l'office du domaine de l'aménagement du territoire et la création d'un tribunal ad hoc en matière d'expropriation. Je crois avoir expliqué, cet après-midi, pourquoi le gouvernement n'avait pas retenu toutes les recommandations du rapport Alary. Mais il a tenté, dans la rédaction des premiers projets de loi, de créer cet office du domaine, puisque le titre de la première loi qui a été rédigée était la Loi des expropriations et de l'Office du domaine. C'est que nous nous sommes aperçus, à la lumière de l'expérience vécue en France, et de façon douloureuse et très coûteuse, que ça n'avait pas marché.

Il y a eu, à un moment donné, en France, un gouvernement unitaire avec des structures plus ou moins décentralisées, avec des gouvernements régionaux, dans certains cas, et qu'il y avait eu séparation des pouvoirs. D y avait, d'une part, le ministère de l'Aménagement du territoire qui avait des pouvoirs en matière d'expropriation, en ce sens que c'était ce ministère qui avait le droit de décréter d'intérêt public tel ouvrage ou tel programme de travaux, et il y avait toute une foule de procédures qui devaient être appliquées avant que le ministère de l'Equipement, qui était en quelque sorte l'agent d'exécution ou le réalisateur des programmes de travaux publics, puisse passer à l'action.

Si bien qu'on a paralysé, pendant plusieurs années, tous les programmes de travaux publics en France, en particulier dans le domaine des routes et des autoroutes. A tel point que la France était un des derniers pays d'Europe en ce qui concerne le nombre de milles d'autoroutes construites dans ce pays par rapport à sa capacité financière, surtout si l'on tient compte du fonds routier qui avait été spécialement voté pour permettre au gouvernement de la France de bâtir des autoroutes et de faire du rattrapage par rapport aux autres pays voisins. On n'a jamais été capable, à cause des tracasseries de procédure et de la séparation des pouvoirs en matière d'expropriation, de passer à l'action et de prendre le revenu du fonds routier pour l'appliquer à la réalisation de programmes routiers ou autoroutiers. A tel point que les autorités françaises se sont alarmées, que le

ministre des Finances français s'est alarmé, â juste titre, de la situation, que le premier ministre a décidé de faire l'arbitrage dans tout cet imbroglio et qu'il a donné raison, finalement, au ministre de l'Equipement qui était à l'époque, je pense, M. Alban Chalendon. Le pouvoir en matière d'expropriation, la déclaration d'intérêt public est revenue dans le giron du ministère de l'Equipement qui était le principal réalisateur des programmes de travaux publics, surtout en matière de voirie, en matière de construction de routes et d'autoroutes et, finalement, la France a été capable de passer à l'action et de faire du rattrapage au plan autoroutier. Si bien qu'aujourd'hui la France, même si elle a encore du rattrapage à faire, peut se considérer avantageusement par rapport à d'autres pays.

Alors, on aurait été assez bête de tomber dans les mêmes exagérations, dans les mêmes carences, dans les mêmes difficultés? Il est bon d'aller étudier ailleurs ce qui se fait, mais il est bon aussi de voir de très près les bénéficces directs ou indirects et surtout les carences qui peuvent survenir de l'adoption d'une nouvelle législation. H faut aussi regarder si elle a fait ses preuves.

Nous avons étudié aussi — la commission Alary l'avait fait parce qu'elle a visité quand même plusieurs pays — ce qui s'est fait en matière de législation relative aux expropriations dans la plupart des Etats américains et dans les autres provinces du Canada. Je pense que la commission Alary a fait quand même la synthèse de ce qu'il y avait de meilleur au monde en matière de régime d'expropriation.

Je pense avoir expliqué, cet après-midi, qu'il faut quand même, lorsque nous voulons rapatrier des lois qui ont force d'application ailleurs, les rapatrier, les placer et les faire fonctionner dans un contexte qui est le nôtre au plan démographique, au plan des traditions, au plan des habitudes de la population en matière de comportement vis-à-vis du respect droits collectifs, vis-à-vis aussi les institutions qui sont en place au plan judiciaire, au plan politique, au plan administratif, au plan gouvernemental, au niveau de toutes les instances gouvernementales, si l'on veut, et replacer cette législation dans le contexte sociologique et aussi selon la technologie qui est en vigueur dans notre province par rapport à celle qui peut être en vigueur ailleurs dans le monde.

Je pense que c'est tout cela que la commission Alary a étudié et finalement elle a préparé la synthèse, qui a beaucoup de valeur, je l'admets. Mais lorsque nous sommes arrivés, en pratique, pour rédiger un projet de loi susceptible de donner raison, dans la plupart des cas, à tous ceux qui, à juste titre, s'étaient plaints aux autorités gouvernementales, au Protecteur du citoyen — dont le poste venait d'être créé — et aux tribunaux qui avaient cette responsabilité d'adjuger dans les cas de réclamations, lorsque nous sommes venus pour rédiger cette loi qui aurait été la plus idéale possible, nous nous sommes aperçus que nous nous butions à des difficultés d'ordre administratif, d'ordre d'application et que nous n'étions pas capables de trouver cette formule idéale pouvant donner raison aux uns et aux autres à la fois.

Il est bien difficile, M. le Président, dans ce domaine, d'équilibrer les droits individuels par rapport aux droits collectifs. C'est toujours le défi qui est posé à toute démocratie qui veut réellement être efficace et qui veut réellement porter le nom de démocratie en matière gouvernementale. C'est pourquoi les tribunaux sont toujours prudents. C'est pourquoi même le juge présidant la Régie des services publics, qui a rendu ce fameux jugement dans l'affaire Foril-lon, a quand même fait des distinctions. C'est pourquoi le même juge, dans l'affaire de Hull, a fait les mêmes distinctions, même s'il a donné ouverture à ce que nous appelons aujourd'hui des droits à caractère social.

Je suis d'accord là-dessus jusqu'à un certain point, mais, là aussi, il faut quand même poser, déterminer certaines limites. Sans cela que devient le droit de la collectivité par rapport au droit de l'individu? Comment voulez-vous faire fonctionner une démocratie, réaliser le progrès demandé par la société, par les contribuables, si on continue à pénaliser l'ensemble de la société pour plaire à un groupe d'individus qui, peut-être à juste titre, se plaint d'avoir été lésé dans ses droits? C'est la difficulté d'une démocratie agissante d'équilibrer la valeur des droits individuels par rapport à la valeur du droit collectif.

Je ne ferai pas de philosophie longuement là-dessus, ce soir, mais je veux tout simplement, au passage, rappeler ces principes.

M. le Président, je pense qu'il aurait été plus réaliste, cet après-midi et ce soir, de lire certains passages du rapport du Protecteur du citoyen, qui a été déposé à l'Assemblée nationale il y a quelques semaines à peine. Pris quotidiennement par des problèmes qui lui sont posés par des citoyens de cette province, il a fait l'étude de toutes les lois qui nous gouvernent, ou à peu près. Lui, surtout, qui est pris et qui a été pris avec des préjudices qui ont été causés par des carences de la Loi de l'expropriation, de la Loi de la Voirie et qui a eu à faire des recommandations aux ministres d'un gouvernement ou de l'autre, était bien placé pour savoir si, oui ou non, le bill 88, dans sa conception originale, maintenant dans son texte amendé, est capable de réaliser une solution plus idéale que ne l'était celle qui a prévalu auparavant.

Je pense qu'à la page 102 le Protecteur du citoyen se montre juste à l'endroit des expropriés qui se sont plaints à lui, à qui il a donné parfois raison et à qui il a donné souvent tort. Il dit: "II faut dire, incidemment, que les modifications que le projet de loi no 88 suggère d'apporter à l'article 97 qui établit toute une série d'exclusions de responsabilité contribueront heureusement à clarifier un certain nombre de points spécialement controversés, encore

qu'on puisse se demander si, en éliminant toute limite ou possibilité de réclamation pour dommages résultant du changement de niveau d'une route, elles ne soulèveront pas de difficultés d'un autre ordre, notamment pour l'établissement inévitable de critères d'admissibilité, qui risquent d'être tout aussi sérieuses". C'est un exemple parmi tant d'autres.

M. PAUL: Est-ce que l'honorable ministre me permet une question?

M. PINARD: Oui.

M. PAUL: Je le remercie d'abord de nous signaler ce texte. Ne trouve-t-il pas indécent de la part du Protecteur du citoyen, quel que soit l'individu en question, qu'il émette une opinion sur des lois à l'étude à l'Assemblée nationale, sans savoir si ces lois seront finalement adoptées par cette même Assemblée nationale?

M. PINARD: M. le Président, je ne voudrais pas faire le procès...

M. PAUL: Je me permettrai — dès maintenant, je tiens à vous en avertir, M. le Président — de le signaler, dans une correspondance, au Protecteur du citoyen.

M. PINARD: Je n'ai pas saisi la dernière partie de la remarque du député.

M. PAUL: J'ai dit que je me chargerai de donner mon point de vue sur cette question au Protecteur du citoyen lui-même, dans une correspondance que je lui adresserai.

M. BROCHU: M. le Président, si vous me le permettez et si le ministre me le permet également, j'aimerais, suite aux remarques du député de Maskinongé, souligner quand même une chose. Depuis que le Protecteur du citoyen existe, si je comprends bien son rôle, il est quand même de son devoir, suite aux recommandations qui lui sont faites, suite aux cas que lui-même a à réssoudre et aux problèmes qu'il décèle, de faire des recommandations à la Chambre. S'il prévoit qu'un projet de loi peut venir, il peut donner son avis ou, si un projet de loi n'est pas à l'horizon sur tel ou tel sujet, il peut même le suggérer.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas dans ses attributions.

M. BROCHU: Je pense qu'il faut quand même faire des nuances à ce sujet et voir le rôle du Protecteur du citoyen dans son contexte bien précis.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'est pas dans ses attributions.

M. BROCHU: Je voulais faire cette distinction...

M. HARDY: ... dictateur.

M. BROCHU: ... parce que je pense que ce que le ministre des Transports mentionne actuellement dans le rapport du Protecteur du citoyen, je le vois comme une chose normale. Et même, si on voulait aller plus loin, on devrait donner encore plus de pouvoirs au Protecteur du citoyen de ce côté dans ses recommandations possibles à l'Assemblée nationale.

M. HARDY: Si vous étiez au pouvoir, il faudrait lui donner tous les droits.

M. BROCHU: Parce qu'il a les cas litigieux.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... il y a l'exécutif.

M. PINARD: Evidemment, je ne veux pas mettre en cause le Protecteur du citoyen, je ne veux pas faire son procès, je ne veux pas l'accuser d'avoir débordé son rôle. Il s'agit de faire référence à la loi qui l'a constitué dans sa fonction de Protecteur de citoyen pour savoir quels sont ses pouvoirs, si oui ou non en pratique il déborde ses pouvoirs.

Mais je l'ai fait tout simplement à titre de référence, parce que souvent il a donné tort au ministère de la Voirie, au gouvernement. Il a quand même éclairé le gouvernement sur les carences de l'ancien régime en matière d'expropriation et il a souhaité que le gouvernement en arrive à adopter une nouvelle loi qui pourrait donner une meilleure justice et aux uns et aux autres.

C'est ce à quoi je voulais en venir en faisant les remarques que j'ai faites tantôt. Mais je pense que les députés auraient quand même intérêt à lire le contenu du rapport du Protecteur du citoyen. Ils vont s'apercevoir que le Protecteur du citoyen, lorsqu'il entend des plaintes, cherche â faire comprendre comment fonctionne un gouvernement, comment fonctionnent les lois, comment elles sont appliquées, si elles sont appliquées de la mauvaise façon ou de la bonne façon, si oui ou non le plaignant a raison de se plaindre. Et souvent il a raison de se plaindre. Il lui donne raison et à ce moment il envoie au ministre responsable un état de la question, ses recommandations, en disant: Une loi a été violée de mauvaise ou de bonne foi. C'est tout simplement une carence au plan administratif ou au plan législatif.

Le législateur serait bien malvenu de ne pas se servir d'un instrument aussi valable que celui-là pour bonifier ses lois, les amender selon que la nécessité en est prouvée. C'était ça mon propos. Ce n'était pas pour mettre en cause le Protecteur du citoyen.

Comme c'est le rôle du législateur, quel qu'il soit, de prendre connaissance des jugements rendus par nos cours pour bonifier les lois, les amendements. Les jugements des cours font habituellement jurisprudence. A quoi servirait qu'un gouvernement laisse aller des dossiers

devant des cours, que des cours rendent des jugements qui resteraient en quelque sorte lettre morte? Le gouvernement ne passerait jamais à l'action pour amender ses lois ou les bonifier, selon l'évolution sociale, selon l'évolution technologique, selon l'évolution du régime de nos lois.

Je pense que c'est là la responsabilité principale du législateur...

M. LAFONTAINE: Je voulais demander au ministre des Transports s'il va admettre qu'il n'appartient pas au Protecteur du citoyen de donner son avis sur des projets de loi qui ne sont même pas adoptés par le Parlement. En droit parlementaire, c'est le Parlement qui est le maître. Le Protecteur du citoyen est là pour analyser comment est traité un citoyen par une loi existante, et non pas donner des ordres à la Chambre.

Je pense qu'à ce moment il outrepasse sa fonction, quelle que soit la pensée du député créditiste qui a parlé tout à l'heure. Le ministre, qui est un avocat, devrait au moins reconnaître ça et non pas essayer de prouver que le député créditiste a raison.

M. PINARD: Je n'ai jamais déclaré que le Protecteur du citoyen donnait des ordres à la Chambre. Il faut tout simplement un aparté...

M. LAFONTAINE: ... à son affaire.

M. PINARD: ... dans son rapport à l'aide d'exemples de plaintes qui lui ont été soumises.

M. LAFONTAINE: Si un député en cette Chambre posait une question au ministre de la Justice sur une cause qui serait devant la cour, on dirait qu'il discute d'une cause sub judice. Je pense que le bill 88 est encore sub judice, y compris pour le Protecteur du citoyen. La loi n'est pas encore adoptée, le parlementaire ne s'est pas encore prononcé là-dessus.

Je pense que même s'il s'en va sur le jardin du voisin il n'a pas le droit d'y aller. Qu'il traite donc le citoyen en fonction des lois qui existent. Qu'il laisse donc le parlementaire faire sa job, il en a assez, il en a plein ses bras. Je comprends mal comment le ministre des Transports peut se fier sur le rapport du Protecteur du citoyen sur une question semblable.

M. PINARD: Je ne veux pas soulever de débat sur le rôle du Protecteur du citoyen. S'il y a des députés qui ne sont pas satisfaits du rapport du Protecteur du citoyen...

M. LAFONTAINE: Ce n'est même pas une question d'être satisfait ou pas, on n'aime pas l'argumentation du ministre là-dessus. Il allait bien le ministre tout à l'heure sans se prendre...

M PINARD: ... ils ont des pouvoirs pour le rappeler à l'ordre, si la chose est nécessaire.

Mais, lorsque nous avons créé ce poste, c'était tout simplement pour donner la chance à un personnage très important dans notre société de sonner le signal d'alarme pour avertir le gouvernement des carences au plan administratif et au plan législatif. Je ne pense pas qu'à ce jour il ait donné d'ordres à personne; il a fait tout simplement son devoir, il nous a envoyé des rapports annuels, des rapports spécifiques dans certains cas, et le ministre est toujours libre de tenir compte ou non des remarques faites par le Protecteur du citoyen.

M. PAUL: Est-ce que le ministre me permet une question? Est-ce que le ministre conviendra que le Protecteur du citoyen doit analyser les plaintes qui sont portées à sa connaissance suivant des lois qui existent et qui doivent lui servir de guide dans l'appréciation des faits qui lui sont soumis? Mais lorsque le Protecteur du citoyen se permet de faire des commentaires sur un projet de loi, c'est là, à mon humble point de vue, qu'il outrepasse le mandat que lui a donné, à l'unanimité, l'Assemblée nationale à l'époque.

M. PINARD: M. le Président, j'interprète ce passage comme étant une incidente dans un rapport qui a quand même 240 pages. Je pense que ce serait faire un procès bien injuste au Protecteur du citoyen que de prendre une phrase dans un paragraphe d'un rapport qui contient 240 pages...

M. LAFONTAINE: II n'existe pas comme autorité, c'est une incidence.

M. PINARD: C'est une incidente.

M. LAFONTAINE: Alors, est-ce que le ministre continue sans faire appel au Protecteur du citoyen pour défendre sa thèse?

M. PINARD: Sauf que le Protecteur du citoyen, ayant analysé beaucoup de plaintes, est en mesure d'éclairer le législateur et l'administrateur public. C'était mon point de vue.

Je passe à autre chose pour dire que les députés qui ont parlé cet après-midi et ce soir n'ont peut-être pas tenu assez compte des amendements qui ont été apportés au bill 88, à l'article 97 b). On a parlé d'intérêt, on a parlé d'indemnité provisionnelle. Pour répondre au député de Maisonneuve, par exemple, qui dit: Pourquoi ne pas avoir inscrit dans la loi qu'il y avait obligation pour l'expropriant d'accorder une indemnité provisionnelle équivalant à 100 p.c. de l'évaluation du bien exproprié, je ferai remarquer au député que la loi dit: Une indemnité provisionnelle au moins égale à 70 p.c. de l'évaluation du bien exproprié. Donc, ça ne défend pas au corps expropriant de payer plus que 70 p.c, il ne peut pas payer moins.

M. BURNS: Non, non, la loi parle de 70 p.c. de l'offre.

M. PINARD: Oui ou de la valeur, enfin on n'a qu'à se référer au texte de l'article.

M. BURNS: Ou de l'évaluation, la plus élevée des deux. Mais il reste quand même que l'offre est là.

M. PINARD: Bon, on n'a qu'à se référer au texte de l'article 48. Je le signale en passant; lorsque nous arriverons en commission plénière, nous discuterons le projet de loi article par article et nous verrons ce que ça donne comme résultat.

M. le Président, je ne veux pas prolonger mes remarques, mais je pense que ce projet de loi est bon, tout le monde l'a signalé. Qu'il existe encore des carences, c'est fort possible, mais c'est seulement à la lumière de l'expérience qui sera faite de bonne foi que nous pourrons voir si vraiment nous avons fait un pas dans la bonne voie, et si le régime qui est proposé, pour fins de discussion et d'adoption, aux membres de cette Assemblée nationale, est meilleur et même beaucoup meilleur que celui avec lequel nous avons vécu pendant si longtemps, avec quand même des difficultés que nous avons éprouvées lorsque la province de Québec s'est mise au diapason du progrès des autres provinces et que nous avons décidé de faire du rattrapage dans le domaine des travaux publics et plus spécifiquement en matière de voirie, de construction de routes et d'autoroutes.

Je pense avoir démontré de façon très précise — et d'ailleurs les députés qui ont participé activement aux travaux de la commission parlementaire l'ont dit avec beaucoup d'à-propos et d'esprit de justice— que c'est un bon projet de loi. Nous avons travaillé en équipe, comme nous l'avons signalé cet après-midi, pour apporter des amendements de substance, et je pense que ce projet de loi que nous avons en discussion ce soir est, de beaucoup, meilleur que celui qui avait été apporté comme instrument de travail pour permettre à l'Assemblée nationale de légiférer selon les besoins de l'époque dans laquelle nous vivons.

C'étaient là les remarques que j'avais à faire. Nous allons passer tantôt en commission plénière; nous allons travailler à la discussion de ce projet de loi article par article, et s'il y en a qui veulent proposer des amendements, ils sont libres de le faire, c'est même leur responsabilité et leur devoir. Nous verrons ce que ça va donner. Pour le moment, je me contente de remarques que j'ai faites au niveau du principe, de la substance même, du contenu du projet de loi et nous attendrons cette étape de la commission plénière avec beaucoup d'espoir.

LE PRESIDENT SUPPLEANT (M. Kennedy): Cette motion de deuxième lecture est-elle adoptée?

Adopté.

LE SECRETAIRE ADJOINT: Deuxième lecture de ce bill. Second reading of this bill.

M. LEVESQUE: M. le Président, après consultation des autres partis, je vais faire une motion pour que nous procédions à l'étude de ce projet de loi article par article en commission plénière, avec l'entente que, si nos travaux parlementaires l'exigeaient, nous pourrions continuer en commission élue.

Alors, M. le Président, je propose que vous quittiez le fauteuil et que nous puissions poursuivre l'étude de ce projet de loi en commission plénière.

LE PRESIDENT SUPPLEANT (M. Kennedy): Cette motion est-elle adoptée? Adopté.

La Chambre se forme maintenant en commission plénière pour l'étude du bill 88.

Commission plénière

M. LAMONTAGNE (président de la commission plénière): Article 1. Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, à l'article 1, je tiens à m'excuser d'abord quant à mon peu de connaissances de la langue de Shakespeare. Voici qu'à l'article 1, version anglaise, on emploie le terme Expropriation Court. Je suis heureux de voir que le député de Saint-Louis a sa curiosité intellectuelle en éveil. Expropriation Court n'est pas, à mon humble point de vue, le terme par excellence qui devrait être employé ici, parce que l'Anglais qui lira la version anglaise du projet de loi 88 en viendra vite à la conclusion que nous avons créé une cour d'expropriation. Alors, il conviendrait, à mon humble point de vue, de changer le terme qu'on emploie Expropriation Court; par Expropriation Tribunal, en opposition à l'expression que nous rencontrerons, par exemple, à l'article 3 de la loi, toujours dans la version anglaise, alors qu'il sera question de Provincial Court; là, le terme est exact. Peut-être que l'on pourrait retenir l'expression Board, mais je l'aimerais moins.

M. PINARD: Régie.

M. PAUL: De toute façon, je ne sais pas si le ministre saisit le danger de traduire Tribunal de l'expropriation par Expropriation Court. A mon humble point de vue, nous ne devrions pas aller plus loin que le législateur lui-même a l'intention d'aller. En second lieu, nous ne devrions pas prêter flanc à une action en contestation de la constitutionnalité de cette loi par la création d'un nouveau tribunal que, malheureusement, la constitution canadienne, dans son texte actuel, ne permet pas de créer. C'est pourquoi j'inviterais le ministre à consulter les shakespeariens qui l'entourent pour qu'ils nous fassent part de l'opportunité ou non de changer l'emploi du terme Court, à la suite de l'expression anglaise expropriation.

M. PINARD: M. le Président, au comité de

législation, je me souviens qu'il s'est élevé un débat à ce sujet. Personnellement, je me souviens avoir préféré le mot "Tribunal de l'expropriation."

M. PAUL: En français, il n'y a pas d'inconvénient.

M. PINARD: En effet, comme vient de le souligner le député de Maskinongé, la cour Provinciale est l'organisme générique, tandis que le Tribunal de l'expropriation est une émanation et a une action beaucoup plus spécifique.

Je serais peut-être enclin à donner raison au député de Maskinongé sauf que je voulais savoir le motif précis qui a fait que dans la nouvelle rédaction nous avons choisi plutôt les mots "Expropriation Court" que Expropriation Tribunal. J'ai demandé tantôt au ministre du Travail comment, dans le texte anglais, on avait traduit le Tribunal du travail; est-ce qu'on a dit "Tribunal" au lieu du mot Court? Le ministre du Travail fait des recherches en ce moment. On pourrait peut-être laisser cet article de côté et nous enquérir auprès des légistes et des linguistes pour savoir pourquoi nous avons retenu en anglais Expropriation Court plutôt que Expropriation Tribunal. Je peux aller faire la vérification tout de suite et on pourrait, d'ici quelques instants, disposer de l'article 1.

M. PAUL: M. le Président, je suis content de voir que nous avons un véritable bilingue maintenant pour préciser les travaux de notre commission. A l'article no 2 j'attirerai votre attention, toujours dans le texte anglais, à la quatrième ligne. Je reconnais encore ma faiblesse dans la langue anglaise mais est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de mentionner Appeal Court plutôt que Court of Appeal?

LE PRESIDENT (M. Blank): On peut dire les deux en anglais. Je ne sais pas quel est le terme dans le texte de loi mais on appelle cela Court of Appeal ou "Appeal Court" couramment dans la langue. Mais je ne sais pas quel est le terme officiel dans les statuts. C'est facile de trouver le statut qui a créé cette cour et on va voir si c'est "Appeal Court" ou "Court of Appeal". C'est la même chose, demandez à mon confrère anglais, ici.

M. PAUL: Je n'insiste pas, M. le Président, sur cela.

LE PRESIDENT (M. Blank): Mais on peut vérifier. Si on change le tribunal en premier, on doit faire de même dans le paragraphe 2.

M. BURNS: Les deux sont régulièrement utilisés, inversement.

M. PAUL: On est plus habitué — je ne dis pas que c'est plus juridique — à l'emploi du terme Appeal Court que Court of Appeal. Article 2, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Blank): Oui, on suspend l'article 2. Article 3.

M.PAUL: A l'article 3, M. le Président, est-ce que...

LE PRESIDENT (M. Blank): Du côté anglais, encore?

M. PAUL: Non, là, je vais rester dans le français, je retourne à mon naturel. A l'article 3, le ministre peut-il nous dire pourquoi...

M. PINARD: L'article 2 est-il adopté?

M. PAUL: Non, il est suspendu également.

M. PINARD: Sous réserve de ...

M. PAUL: On est à la recherche. A l'article 3, le ministre peut-il nous donner la justification pour laquelle il n'a pas suivi, par exemple, la recommandation de la Corporation des éva-luateurs agréés et de la Chambre de commerce de Montréal aux fins d'augmenter le nombre de juges alors qu'à toutes fins pratiques il a réduit de 33 p.c. le nombre de juges que le texte original comportait?

La première impression de la loi 88 mentionnait 15 juges comme membres du Tribunal de l'expropriation alors qu'aujourd'hui, dans la version réimprimée de la loi 88 à l'article 3, on y trouve une réduction de cinq membres au tribunal.

M. LAFONTAINE: II y a seulement cinq juges.

M. PAUL: Quand je parle de cinq juges, je parle toujours de membres, de dix membres. Je remercie mon collègue, le député de Labelle; vous voyez une fois de plus, M. le Président, que c'est un homme averti en matière d'expropriation.

Il m'a arrêté sur la pente dangereuse vers laquelle je glissais. Lorsque je parle de juges, je parle toujours de dix membres pouvant former le tribunal de l'expropriation.

M. AUDET: M. le Président, sur ce troisième article nous avons cru...

M. PINARD: Est-ce qu'on me permet tout de suite de donner les explications relatives à l'article 1 et à l'article 2?

Des recherches nous permettent de constater que les deux termes s'emploient: Expropriation Court et Expropriation Tribunal, mais je pense que pour être constant dans l'appellation qui avait été faite dans d'autres lois, vu que nous avons donné en anglais le nom de Labour Court au tribunal du travail, le nom de Transport

Tribunal au tribunal des transports, je pense dis-je, que, dans les deux cas, cela s'emploie, mais il faudrait quand même avoir certaine constance.

LE PRESIDENT (M. Blank): Dans les deux exemples que vous donnez, vous pouvez constater, peut-être que ça peut aider ici, qu'au Labour Court, ce sont tous des juges, mais qu'au Transport Tribunal, ce ne sont pas tous des juges. Etant donné qu'ici ce ne sont pas tous des juges, le mot tribunal serait mieux. Parce qu'une cour, ce sont tous des juges. Ce n'est pas ça la distinction? Je pense que cela ne change pas grand-chose.

M. PINARD: Je pense que c'est une distinction quand même importante, parce qu'il y aura cinq juges.

M. PAUL: ... souci de perfection qui nous anime tous. Là, c'est parce que je veux rejoindre le ministre.

LE PRESIDENT (M. Blank): Les mots Expropriation Tribunal.

M. PAUL: Le président a décidé, d'accord.

M. PINARD: Je n'ai pas d'objection à ce qu'en anglais on dise: Expropriation Tribunal, si on tient pour acquis la distinction qui vient d'être faite. C'est que ce tribunal, cette cour est composée de cinq juges mais aussi de techniciens spécialistes en expropriation, en évaluation, etc...

LE PRESIDENT (M. Blank): Les mots Court of Appeal sont plus utilisés dans le texte de nos lois.

M. PAUL: Ils sont plus utilisés.

LE PRESIDENT (M. Blank): Oui, mais avec un "s", Court of Appeals. Dans la loi on met toujours un "s", mais pas ici. On peut laisser Court of Appeal, parce qu'on dit couramment: Court of Appeal.

M. PAUL: D'accord. Articles 1 et 2, adopté, M. le Président.

M. LAFONTAINE: M. le Président, est-ce que le ministre pourrait m'expliquer pourquoi son tribunal est composé de dix membres et non pas de quinze? Pourquoi sur les dix membres, y a-t-il cinq juges de la cour de Magistrat? Pourquoi le ministre, du même coup, assure-t-il ces gens d'un contrat de dix ans par loi?

M. PINARD: C'est que nous avons constaté que pour faire face aux besoins et pour permettre aussi la négociation des dossiers d'expropriation à l'amiable, il fallait évidemment mettre des juristes au sein du tribunal. Nous avons décidé d'en faire nommer cinq, mais nous devons également faire nommer des techniciens spécialistes en expropriation, en évaluation qui vont faciliter des procédures où il y aura moins de juridisme, qui vont provoquer dans la majorité des cas des règlements à l'amiable, qui seront éventuellement sanctionnés par le tribunal de l'expropriation. Je pense que c'est la distinction importante qui fait que nous avons préféré réduire le nombre des membres du tribunal pour en arriver à faire une bonne composition face aux besoins que nous connaissons en ce moment.

M. LAFONTAINE: Le ministre vient de dire qu'il nomme cinq juges parce qu'il veut nommer cinq juristes. Est-ce qu'il est nécessaire, pour nommer cinq juristes, de faire nommer cinq juges? Est-ce que cinq avocats sans le titre de juge peuvent être cinq juristes? J'ai l'impression que c'est un genre de prostitution de la cour du Magistrat. Quand on veut nommer quelqu'un à un poste, on le nomme juge puis après ça on le protège puis on l'envoie à une job. On a tellement peur qu'on lui enlève son statut qu'on le protège par la loi pour dix ans. Il y a tout de même une limite! Un avocat qui est nommé juge est nommé à vie. A moins de mauvaise conduite, il est nommé à vie.

On veut tellement lui assurer sa job au tribunal d'expropriation qu'on le protège en plus par la loi pour dix ans, et on sait qu'un gouvernement peut être véreux, à un moment donné, parce qu'on en a déjà vu dans le passé. H n'aime pas la loi, il n'aime pas le gars qui est en place, on change la loi et le gars n'a plus son dix ans de protection. On a déjà vu cela il n'y a pas tellement longtemps.

Alors, je me demande pourquoi, en même temps qu'on nomme un juriste et qu'on nomme des juges de la cour du Magistrat, en plus on les protège pendant dix ans. H y a tout de même une limite à rire du monde.

M. AUDET: M. le Président, sur l'article 3...

M. LAFONTAINE: M. le Président, j'ai posé une question au ministre.

M. AUDET: Ah!

M. PINARD: Je pense qu'il est assez facile de comprendre pourquoi on nomme des juges à un tribunal. C'est parce qu'il y a des questions de droit qui doivent être décidées et aussi des questions de faits. Mais il faut être assuré de l'indépendance, du comportement du ou des membres du tribunal qui ont à rendre des jugements ou des ordonnances qui ont valeur judiciaire, qui peuvent être susceptibles d'appel. Je pense que c'est important parce qu'il y a des questions de droits importantes en jeu.

Ce n'est pas non plus une raison pour ne nommer que des juges à un tribunal. Lorsqu'il y

a des problèmes d'ordre technique à évaluer, je pense que c'est excellent de nommer des juristes, qui vont s'occuper des questions de droit très importantes en matière d'expropriation, et de nommer également, au tribunal, des assesseurs qui sont membres du tribunal, qui vont faire l'évaluation technique en matière d'expropriation, qui vont préciser les règles d'évaluation et qui vont faire des recommandations de la plus haute valeur, nous l'espérons, aux membres du tribunal qui, eux, sont des juges, qui ont à juger à la fois des questions de droit et de fait et qui vont sanctionner, par leur ordonnance, par leur jugement, l'évaluation enfin qui sera payée à l'exproprié et qui font droit, en quelque sorte, à la réclamation de l'exproprié. Alors, je pense que c'est assez facile à comprendre.

M. LAFONTAINE: M. le Président, je viens d'entendre le ministre dire que le tribunal est composé de cinq juges, qui sont des juristes, et de cinq assesseurs qui font des études et conseillent les cinq juges. Ce n'est pas cela que l'article 3 dit. L'article 3 dit que le tribunal est composé de dix membres, dont cinq juges de la cour du Magistrat. J'ai l'impression que les cinq autres membres du tribunal sont aussi membres du tribunal que les cinq juges qui viennent de la cour du Magistrat. Alors, ce ne sont pas des assesseurs. Ce sont, au même titre, des juges du tribunal, des membres du tribunal. Alors, je pense bien que le ministre, dans son explication, est embarqué dans une tangente.

Maintenant, le ministre dit: On les nomme pour dix ans pour assurer une continuité, pour assurer une tranquilité du tribunal. Je m'excuse mais on a eu un exemple, il n'y a pas tellement longtemps. Il y avait ce qu'on appelait la Régie des alcools. Il y avait un juge qui s'appelait le juge Lacoste, qui était nommé pour dix ans, en vertu de la loi. On n'aimait pas le juge Lacoste. On a changé la loi. Le juge Lacoste n'est plus président. Là, on va forcer n'importe quel gouvernement, y compris le gouvernement qui est en place, à un moment donné, à nommer dix personnes, cinq juges de la cour du Magistrat et cinq personnes prises dans le grand public, et cela ne marchera pas. On va chercher un amendement à la loi. En amendant la loi, on va amender cet article pour être capable de dégommer la personne qu'on a nommée. Je me demande pourquoi le gouvernement se donne une jambette en les nommant, par une loi, pour dix ans. La personne, qui est nommée au tribunal, est compétente ou n'est pas compétente. Si elle n'est pas compétente, elle ne doit pas demeurer là. Si elle est compétente, je pense bien qu'elle n'a pas besoin d'un article de protection pour dix ans pour la garder en fonction.

Alors, je me demande pourquoi le ministre met "dix ans".

Le ministre n'a pas compris ma question, je pense qu'il parlait.

M. PINARD: Il faudrait que le député lise...

M. LAFONTAINE: Je me demande pourquoi le ministre met...

M. PINARD: ... le texte de l'article 46. Oui, mais si le député veut lire le texte de l'article 46, il va voir comment va fonctionner ce tribunal.

M. LAFONTAINE: Oui.

M. PINARD: Le tribunal va fonctionner avec des membres. Cinq seront juges. D'autres ne le seront pas mais ils seront des spécialistes en matière d'expropriation, qui vont aider le tribunal à rendre des jugements.

M. LAFONTAINE: Ils vont aider les cinq juges de la cour du Magistrat.

M. PINARD: Les juristes vont s'occuper des questions juridiques et les spécialistes de l'expropriation vont s'occuper de la partie technique des dossiers d'expropriation.

Il y aura également, dans l'organisation de ce tribunal, sans qu'ils soient membres ad hoc, des officiers qui, eux, vont quand même faciliter le règlement à l'amiable des dossiers d'expropriation.

Je trouve que c'est bien équilibré, que c'est une bonne composition. C'est un tribunal qui sera constitué spécifiquement pour faire face à des problèmes d'expropriation.

M. LAFONTAINE: M. le Président, j'entends le ministre parler de juristes. Je n'ai rien contre les juristes, mais un juriste n'est pas nécessairement un juge de la cour du Magistrat. Il peut prendre, à un moment donné, cinq avocats qu'il veut nommer à son Tribunal de l'expropriation, cinq brillants avocats, bien brillants, les avocats. Il les prend. Du moment qu'il les nomme juges de la cour du Magistrat, il peut avoir, à côté de lui parmi les cinq autres un arpenteur, un ingénieur, un architecte. Qu'est-ce qu'on leur donne, à ceux-là? Un suçon? Rien. Eux autres, ils demeurent dans le civil. Ils ne jugeront jamais dans les cours du Magistrat; ils seront seulement au tribunal du travail. Ils n'ont pas de pouvoirs autres que ceux attribués aux dix membres du tribunal. Pourquoi nom-me-t-on les cinq juristes?

Si, à un moment donné, parmi les juristes que le gouvernement nomme, il nomme un juge, deux juges, trois, je n'ai pas d'objection. Mais pourquoi l'obligation de nommer les cinq juristes juges? Je ne la comprends pas, celle-là. Est-ce pour services rendus dans le passé au Parti libéral; un genre de récompense, un genre de suçon? Est-ce ce qu'on veut faire vis-à-vis de certains avocats?

Je demande, à part cela, au ministre pourquoi, en plus de les avoir nommés juges, on les protège par une loi pour dix ans.

M. PINARD: M. le Président, je pense que, si le député de Labelle a bien lu la loi, il va constater qu'il y aura des bancs, plusieurs bancs. Des juges vont juger à Montréal; d'autres vont juger dans le district judiciaire de Québec.

M. LAFONTAINE: Trois à Montréal, deux à Québec; cela fait cinq.

M. PINARD: Je pense que c'est bon, aussi, de leur donner l'indépendance judiciaire, la sécurité pour être sûr d'en arriver à...

M. LAFONTAINE: M. le Président, je m'excuse. J'arrête le ministre. Un juge, normalement, est libre de toute attache politique. Je ne peux pas comprendre qu'en plus de le nommer juge, on lui promette sa job pour dix ans, pour l'assurer qu'il soit neutre. Du moment qu'il est nommé juge, il est neutre. Pourquoi ces dix ans supplémentaires?

M. PINARD: M. le Président, en tenant pour acquis que je prends un juge de la cour Provinciale actuellement en fonction et que le conseil des ministres décide de le nommer au Tribunal de l'expropriation, il le nomme pour une durée de dix ans.

M. LAFONTAINE: Pourquoi?

M. PINARD: Pour qu'il puisse accomplir son travail.

M. LAFONTAINE: Mais si, au bout de six ans, il est rendu sénile et qu'il ne s'en rend pas compte, le gouvernement est pris pour quatre ans de plus avec lui.

M. PINARD: A ce moment-là, nous y verrons. Il y a des lois pour cela.

M. LAFONTAINE: Je ne le comprends pas.

M. PINARD: II y a, quand même, la Loi des tribunaux judiciaires.

M. LAFONTAINE: Non, le seul geste du gouvernement, à ce moment-là, c'est d'amender sa loi comme il l'a fait pour la Loi de la Régie des alcools. On se dit: Le juge est gênant; on va changer la loi et on va changer le juge. C'est clair. C'est ce qu'on a fait dernièrement. Et, là, pour qu'il ne gueule pas trop, on dit: Ne parle pas trop. On va te garder cela, on va te donner tel avantage ici, tel avantage là. Tu ne seras peut-être pas obligé d'aller siéger tous les jours. Prends cela slack, mon gros! C'est comme cela qu'on procède.

Je ne comprends pas le ministre qui arrive avec une chose comme cela, qui dit, dans son article 3, cinq juristes, mais ce sont cinq juges. On les nomme pour être bien sûr qu'ils vont l'avoir, la job. Deuxièmement, on les protège avec une loi pour dix ans, pour assurer leur intégrité. J'ai l'impression, quand on nomme un juge, qu'il doit être intègre. S'il ne l'est pas, on ne doit pas le nommer. Mais jamais on ne doit garantir, par une loi, sa job pour dix ans à un juge, pour avoir le bénéfice de son intégrité. Le ministre ne m'a pas convaincu avec ses explications.

M. COURNOYER: Avez-vous pensé qu'un juge qui est nommé au Tribunal de l'expropriation ou qui est nommé au tribunal du travail, pour ce que cela peut valoir, est dans des situations conflictuelles qui peuvent faire en sorte qu'au lieu de le garder, comme cela, juge du Tribunal de l'expropriation, on décide de l'envoyer à Chibougamau? Quand le gars part de Montréal pour s'en aller à Chibougamau, c'est aussi bien de lui donner son congédiement. Cela semble pareil. On peut l'envoyer au Lac-des-Iles, pour administrer Sogefor.

M. LAFONTAINE: M. le Président, le juriste qui accepte d'être nommé juge accepte les charges qui vont avec le titre de juge, en même temps qu'il accepte son salaire.

M. COURNOYER: Oui.

M. LAFONTAINE: C'est le caractère itinérant de la fonction. Qu'il aille siéger à Mont-Laurier ou qu'il aille siéger à Chibougamau, ce sont des places du Québec. S'il a accepté sa position, qu'il fasse son travail et, s'il n'est pas capable de faire la job, qu'il démissionne. C'est clair, cela.

Il n'y a aucune façon de penser qu'on peut donner raison à un juge pour lui mettre dans la tête qu'il doit faire sa job et l'assurer d'une job de dix ans quand il est déjà juge pour le reste de sa vie, à moins d'être révoqué pour cause par le lieutenant-gouverneur en conseil.

M. COURNOYER: Est-ce qu'il y a une raison particulière? Est-ce que le bill n'a pas été présenté comme ayant une raison particulière de nommer un tribunal d'expropriation?

M. LAFONTAINE: Oui.

M. COURNOYER: II a été question aussi dans le passé d'un tribunal du travail.

M. LAFONTAINE: Oui.

M. COURNOYER: Les juges qui ont accepté de venir siéger au tribunal du travail, c'est parce qu'ils avaient une certaine notoriété dans le monde du travail.

M. LAFONTAINE: Oui.

M. COURNOYER: Ils étaient acceptés par le conseil consultatif avant de devenir juges du tribunal du travail. Si ces juges je les change de place et que je les envoie à la cour Provinciale

ordinaire demain matin, vous pensez qu'ils vont accepter ça?

M. LAFONTAINE: Et après? Moi je connais un ancien ministre du Travail de l'ancien gouvernement qui a décidé de traverser de l'autre côté et il l'a fait d'après lui-même et d'après sa conscience. IL était libre. Je pense bien que les juges sont pareils dans la vie, ils sont libres de leurs faits et gestes. Et je ne comprends pas un gouvernement...

M. COURNOYER: Le juge est toujours libre, ne comparez pas le président...

M. LAFONTAINE: ... qui va s'atteler en arrière d'un homme pour dix ans. Parce que le juge peut-être qu'aujourd'hui il est bon et que dans deux ans il ne sera pas bon.

M. COURNOYER: C'est de moi? Je pensais que vous parliez de M. Bellemare, qui était rendu à la commission ...

M. LAFONTAINE: Non, je parle du ministre, qui dit à un moment donné: D faut promettre ça. Il n'y a personne qui peut promettre ça dans la vie.

M. COURNOYER: Promettre quoi?

M. LAFONTAINE: Et pourquoi qu'on promettrait ça à des juges de la cour Provinciale? S'ils ne veulent pas aller siéger au tribunal du travail, qu'ils le disent au gouvernement et on ne les nommera pas. Je vous garantis, moi, qu'avec le paquet d'avocats qu'on a dans le Québec il y en a pas mal qui vont vouloir aller siéger là. Je pense qu'ils vont vouloir accepter.

Mais pourquoi leur donner et leur promettre un contrat de dix ans par une loi? Pourquoi? Cela protège quoi à ce moment?

M. COURNOYER: Je vous donne l'exemple. Je ne connais pas les sources dans l'expropriation, mais je sais bien que ce n'est pas n'importe qui qui peut être juge du tribunal du travail. Et, quand je le nomme au tribunal du travail, il faut que je lui assure que c'est au tribunal du travail qu'il va et non pas à la cour des petites créances.

M. LAFONTAINE: D'accord.

M. COURNOYER: Ce serait une punition pour lui de s'en aller à la cour des petites créances parce qu'il n'aurait peut-être pas fait mon affaire. C'est dans ce sens que je vous dis qu'on lui assure une liberté parce qu'il a une "job" particulière, c'est tout.

M. LAFONTAINE: Je regarde le ministre à l'heure actuelle et il n'a pas été nommé ministre du Travail par une loi pour dix ans, comme il n'était pas nommé dans le passé.

M. COURNOYER: Il y a une désespoir de différence entre ministre du Travail, juge et membre d'un tribunal. J'espère du moins.

M. BIENVENUE: Ce serait même bon qu'il soit nommé pour dix ans. Ce serait même une bonne chose.

M. LAFONTAINE: On est en train de me dire qu'au tribunal du travail, ce n'est même pas pour dix ans qu'ils sont nommés, c'est à vie.

M. COURNOYER: C'est encore pire. Pourquoi on fait ça?

M. LEVESQUE: II est bien placoteux, lui.

M. COURNOYER: Je n'ai jamais parlé de dix ans.

M. LAFONTAINE: On fait ça parce que la démocratie est boiteuse au Québec.

M. COURNOYER: Pas boiteuse, c'est le judiciaire...

M. LAFONTAINE: On prend cinq avocats qui peuvent être bons à l'heure actuelle. Non seulement on leur donne un poste où ils n'ont plus besoin de plaider, mais ils sont juges en arrière d'un grand bureau et ils écoutent tout le monde qui vient. Ils sont assurés de leur salaire, de leur pension. Ils ont la sécurité en arrière.

En plus de ça, on les nomme juges. S'ils ne font pas de mauvais coups, ils sont juges jusqu'à leur pension.

M. COURNOYER: ... juges c'est-à-dire d'avoir leur salaire jusqu'à la pension?

M. LAFONTAINE: Pour mauvaise conduite, ils vont être démis par le lieutenant-gouverneur en conseil. Mais, non contents de ça, on les nomme pour dix ans par la loi. Et là je me questionne, ma question va sortir. Est-ce pour le gouvernement une façon d'avoir les juges de son côté? Si ce n'est pas ça, je me demande pourquoi on les nomme pour dix ans.

J'ai l'impression que dans le commun des mortels quelqu'un qui fait sa job est aimé et continue à la faire. Mais quand on est obligé d'arriver dans un texte de loi et promettre à quelqu'un qu'on va lui garder sa job pour dix ans, c'est parce qu'on ne trust pas trop la personne en question. Je me questionne. Pardon?

M. LEVESQUE: Adopté.

M. LAFONTAINE: Ah! non, ce n'est pas adopté. Je n'ai pas eu de réponse logique à ma question. Pourquoi protéger des juges de la cour Provinciale par un contrat, dans une loi, de dix ans? Est-ce que le gouvernement — je regarde, je vois le gouvernement — ne se questionne

pas? Si dans quelque temps, dans six mois, dans un an, dans un an et demi ou deux ans, les gens qu'il a nommés ne font plus l'affaire, comment fera-t-il pour les démettre? On sera obligé de changer la loi.

On vient de s'encarcaner et on dit: Je te prends parce que tu es bon aujourd'hui et je te garde pendant dix ans parce que tu es bon aujourd'hui. Et peut-être, que, dans un an, un an et demi, deux ans, les juges qu'on va avoir nommés et les autres personnes ne correspondront pas à l'image qu'on s'attend des gens qui occupent la fonction. Et on est pris par la loi, on ne peut même pas les changer, il faut les endurer pendant dix ans. Ce n'est pas un cadeau, ça.

Si on veut les changer, il va falloir amender la loi.

LE PRESIDENT (M. Blank): Adopté? M. PAUL: M. le Président ...

M. AUDET: Sans être contre l'amendement ou la motion du député de Labelle pour enlever le dix ans. Nous croyons que l'organisme qui s'en vient s'appellera le tribunal de l'expropriation, donc on a supposé qu'il y avait des juges là-dedans. Puis, même on a prétendu qu'il n'y en avait pas assez. Le 30 juin 1972, selon le rapport annuel 71/72 de la Régie des services publics, il y avait, à Montréal, 1,408 causes pendantes d'expropriation, non comprises celles du Bureau d'expropriation de la ville de Montréal. A Québec, à la même période, il y avait 721 dossiers enn cours. Donc l'amendement que nous voulons présenter justement porte à douze le nombre de membres du tribunal, de telle sorte qu'il y ait à Montréal huit membres plutôt que six, et l'amendement se lirait comme suit: Remplacer, à la première ligne du premier alinéa, le chiffre dix par le chiffre douze; remplacer, à la quatrième ligne du premier alinéa, le chiffre six par le chiffre huit, et remplacer, dans la deuxième ligne du deuxième alinéa, le chiffre trois par le chiffre quatre.

M. LEVESQUE: Impossible.

LE PRESIDENT (M. Blank): Cette motion est irrecevable, elle implique une dépense d'argent de la couronne.

M. AUDET: Irrecevable, pourquoi?

LE PRESIDENT (M. Blank): Parce que c'est une dépense additionnelle d'argent...

M. LESSARD: Dépense d'argent.

M. AUDET: Vous ne voulez même pas de copie?

M. LOUBIER: Si c'était le gouvernement, ce serait sans intérêt.

M. AUDET: Oui. J'en ai un autre, M. le Président, sur le même article.

M. LESSARD: M. le Président...

M. LAFONTAINE: M. le Président, j'ai laissé au gouvernement l'initiative d'apporter un amendement à l'article 3, et vu que je n'ai pas eu de succès dans mon intervention, j'aurais un amendement à apporter à l'article 3 : qu'il se lise tel qu'il est composé mais qu'à la deuxième phrase on biffe les mots "pour dix ans".

M. PINARD: Qu'on biffe les mots "pour dix ans".

M. LAFONTAINE: Que l'article 3 se lise tel qu'il est écrit moins, à la deuxième ligne, les mots "pour dix ans".

LE PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que cet amendement est adopté? Rejeté sur division?

M. LAFONTAINE: Le ministre est en train d'organiser ça et je sais que j'ai touché le ministre au point sensible. Je connais le ministre comme étant un homme responsable et je sais qu'il n'est pas pour bien longtemps encore en politique; il va penser au geste qu'il est en train de poser...

M. GARNEAU: Est-ce que le député de Labelle fait une distinction entre...

M. LAFONTAINE: ... je pourrais dire, M. le Président, que j'ai reçu ici des messages de députés de l'Opposition et du pouvoir; je les ai ici mais je ne les lirai pas.

M. GARNEAU: Nommez-les.

M. LAFONTAINE: Mais ils sont bien étoffés.

M. GARNEAU: Nommez-les. Est-ce que le député de Labelle fait une distinction entre les juges et les autres membres du tribunal?

M. LAFONTAINE: Non, M. le Président, j'ai fait la distinction tout à l'heure; je ne comprends pas pourquoi on prend les juristes et qu'obligatoirement on les nomme juges.

UNE VOIX: II y en a qui ne sont pas juristes là-dedans.

M. GARNEAU: Non, mais...

M. LAFONTAINE: Cela a été dit, M. le Président, mais pour les dix ans, c'est tout le monde sur la même base. La personne qui est là comme juge du tribunal, est bonne ou elle n'est pas bonne.

M. GARNEAU: Et les autres?

M. LAFONTAINE: Si elle n'est pas bonne —parce que le gouvernement, ça arrive qu'il se trompe dans ses nominations — et si jamais il nomme une "plorine", il ne faudrait pas que le gouvernement du Québec, que l'Etat du Québec soit pris avec la "plorine" pour dix ans. C'est clair ça? Les dix ans s'appliquent à eux autres, je ne comprends pas la question du ministre du Travail.

M. COURNOYER: Ma question c'est que le tribunal ici n'est pas formé que de juges, si j'ai bien compris?

M. LAFONTAINE: II est formé de dix personnes dont cinq juges, mais les dix sont nommés pour dix ans.

M. COURNOYER: Oui.

M. LAFONTAINE: Je trouve ça indécent.

M. COURNOYER: Les cinq juges, vous voudriez qu'ils n'aient pas, eux, la protection des autres?

M. LAFONTAINE: Les cinq autres non plus. Ils vont prendre le boulot et s'ils font bien, on les garde. Et s'ils font mal, c'est bien de valeur, s'ils ne servent pas les intérêts supérieurs de la nation québécoise, c'est dehors!

M. COURNOYER: Disons que le gouvernement...

M. LAFONTAINE: II faut arrêter à un moment donné de créer des tribunaux pour caser des amis. Parce que c'est ça que la loi veut dire ici, non seulement ça, on prend dix amis et on les case. On en prend cinq qui sont avocats et on leur donne le titre de juges et à part ça, on les protège pour dix ans, il y a tout de même une limite.

M. HARDY: II ne se rend pas compte que c'est...

M. LAFONTAINE: Je veux bien concevoir que le gouvernement est libre d'accorder ses largesses, mais qu'il fasse attention.

M. COURNOYER: Le député de...

M. LAFONTAINE: Ce n'est pas parce que le lieutenant-gouverneur en conseil va nommer dix personnes, qu'il va nommer des gens qui connaissent leur métier. Et peut-être ces gens-là —et à ce moment-là j'aide le gouvernement — l'année prochaine ou dans deux ans seront un embarras pour le gouvernement. Pas dans deux ans parce que le gouvernement ne sera plus là mais définitivement l'année prochaine.

M. COURNOYER: ... une décision qui n'est pas favorable au gouvernement, ils peuvent être un embarras pour le gouvernement.

M. PINARD: M. le Président, on a tellement reproché aux gouvernements qui se sont succédé — je ne fais le procès d'aucun gouvernement — lorsqu'on a créé des tribunaux ou des régies, de toujours nommer des personnes qui venaient du monde juridique et qui faisaient beaucoup de juridisme, obligeant les parties qui venaient plaider devant elles à faire beaucoup de procédure, qu'on a voulu simplifier ça. On a rendu ça plus humain, plus facile d'accès, et pour que ce soit plus explicite, pour faire des procès moins longs, moins coûteux, comme il y a quand même des questions très importantes en droit qui se soulèvent en matière d'expropriation, parce que ç'a de fortes incidences sur le régime de la propriété prévue au code civil — il y a d'autres incidences aussi, mais je pense à l'incidence fondamentale — cela fait quand même des personnes capables de bien apprécier les situations, de bien juger les dossiers, ça prend surtout des spécialistes en droit d'expropriation.

Il n'y en a pas beaucoup. Tout le monde était d'accord pour dire ça, pour l'affirmer ce soir. D est sûr que c'est l'intention du gouvernement de nommer à ce tribunal des spécialistes du droit de l'expropriation et nous allons aller en chercher. Mais ça n'intéresse pas tout le monde d'être nommé au tribunal de l'expropriation, parce qu'on préfère continuer dans la pratique privée, et ceux-là qui sont de véritables spécialistes en matière d'expropriation, pour la plupart ne veulent pas être nommés juges. Ils veulent continuer à exercer leur profession qui est beaucoup plus rentable.

Il y en a quand même qui sont intéressés au poste. Nous avons l'intention de nommer parmi ceux-là des personnes vraiment compétentes et capables d'imprimer un élan nouveau à ce nouveau régime d'expropriation. En tant que juristes compétents, ils vont avoir la sécurité, l'indépendance judiciaire pour être en mesure d'établir une constance dans la jurisprudence. Comment voulez-vous qu'un juge que j'irais puiser, que le gouvernement irait puiser dans les effectifs de la cour Provinciale soit appelé à venir siéger au tribunal de l'expropriation sans aucune garantie qu'il sera là au moins pour lui permettre de travailler de façon efficace, et pour lui permettre de juger avec une constance dans ses jugements qui vont faire jurisprudence?

Si on ne lui donne pas cette garantie, comment voulez-vous qu'il soit motivé, si demain, selon le caprice du législateur, du gouvernement ou du ministre, il est retourné subito presto à la cour des petites créances ou à un autre tribunal et qu'on se met à faire des changements, à tout bout de champ, au sein du tribunal des expropriations. Cela n'a pas de bon sens. Cela ne garantit aucune efficacité de la bonne application de cette loi et ne donne aucune garantie non plus que les expropriés qui réclament justice recevront justice. Par contre, pour éviter d'avoir trop de juridisme aussi, nous avons nommé des spécialistes qui ne seront pas

juges, qui ne seront pas juristes, qui sont des spécialistes en évaluation et qui seront en mesure d'apprécier les dossiers au plan technique.

Je pense que c'est une bonne composition pour former ce que nous appelons le tribunal des expropriations.

M. LESSARD: M. le Président...

M. LAFONTAINE: Je n'ai rien contre les cinq juristes que le ministre va nommer, va chercher. Je n'ai rien contre ça. Ce que je trouve curieux, c'est qu'on va chercher cinq juristes. On veut s'assurer de l'apport de cinq avocats, une continuité, et on les nomme juges parce que si on ne les nomme pas juges, il n'y aura pas de continuité.

Par contre, on prend cinq spécialistes, dont un ingénieur, un architecte, un arpenteur-géomètre, un évaluateur. Eux, on ne peut pas les nommer juges. Si je suis le raisonnement du ministre, savoir que pour assurer aux avocats une certaine continuité on est obligé de les nommer juges, pourquoi ne nomme-t-on pas juges les autres cinq membres du tribunal? On ne peut pas le faire, ce ne sont pas des avocats. A ce moment-là pour les cinq autres, le ministre vient de dire qu'il n'y aura pas de continuité, parce que le ministre a dit: Je ne peux pas aller à la cour du Magistrat chercher cinq juges sans être sûr qu'ils vont donner une continuité à la cour. C'est un raisonnement qui ne se tient pas debout. C'est un point.

Deuxième point, je ne comprends pas le mandat de dix ans. Je connais tellement le gouvernement qui est en face de moi. D y a un genre d'office qui s'appelle l'Office des autoroutes. A un moment donné, on a pris le président de l'Office des autoroutes, on ne voulait plus l'avoir là, on l'a rencontré puis on a dit: Ecoute, il faut que tu démissionnes. Le président a dit : Je suis nommé pour dix ans. On a répondu : On sait que tu es nommé pour dix ans, on peut amender la loi. On ne l'amendera pas si tu voulais t'en aller pour le Québec à New York. Puis l'ancien président est rendu à New York. On a négocié en arrière de la couverture et à l'heure actuelle l'Office des autoroutes n'a même pas de président. Pourtant, le président de l'Office des autoroutes était nommé pour dix ans.

S'il n'était pas parti, on aurait fait comme dans le cas de la Régie des alcools; on aurait changé la loi et le président serait parti. Cette loi-là, cela me fait rire. On prend dix personnes et on les nomme, par la loi, pour dix ans. C'est évident qu'on ne viendra pas piger dans les effectifs de l'Union Nationale; c'est assuré. On va regarder dans le contingent des avocats libéraux qui ont rendu service au Parti libéral en 1970. On va dire: Viens ici, mon petit bébé; voici ta récompense, ton suçon. On te nomme juge; en plus de cela, on va te protéger par une loi pour dix ans. Si jamais on perd le pouvoir, ils ne pourront même pas te mettre à la porte. C'est exactement cela que la loi veut dire.

Par contre, si tu fais mal ton travail, on négociera ton affaire ou on changera la loi. C'est peut-être l'article le plus dangereux, parce que le reste de la loi est administré par ces gens-là, le tribunal nommé en vertu de l'article 3. J'entendais tout à l'heure le ministre me dire: "Quand je vais aller choisir les juristes." Le chef de l'Opposition m'a demandé: Est-ce bien cela qu'il a dit? Oui, c'est cela qu'il a dit. C'est le ministre qui va choisir les juristes et, pourtant, c'est le lieutenant-gouverneur en conseil qui doit les nommer. Je vois le ministre des Transports avec un grand sas, sasser tout le monde. La première qualité qu'on va demander à l'avocat qui va être nommé juge, c'est d'être membre de l'Association libérale. S'il n'est pas membre de l'Association libérale, il ne passera pas. C'est la première qualification qui n'est pas indiquée là-dedans. Je le dis pour ceux qui ne sont pas initiés.

La deuxième chose, on prend un organisateur libéral et on le nomme juge, pour ceux qui ont l'avantage d'être avocats; pas les autres, ceux qui sont avocats. Après cela, on les protège pendant dix ans par une loi. Je trouve cela, tout simplement, indécent de la part du gouvernement de marcher de même. On a quelque chose à cacher, de l'autre côté.

M. LEVESQUE: Est-ce que le député de Labelle est au courant...

M. LESSARD: M. le Président...

M. LEVESQUE: ... que le bill 62 a été adopté avant Noël?

M. LAFONTAINE: Je ne comprends pas. M. LESSARD: M. le Président... M. LEVESQUE: Pensez-y.

M. LAFONTAINE: C'est parce que le leader parlementaire me pose une question. Des bills 62, M. le Président, il y en a eu toutes les années. De quel bill 62 le leader parlementaire veut-il parler? Est-ce le bill 62 qui est devenu le bill 28 et qui n'a jamais été adopté?

M. LEVESQUE: Le bill 62 où s'est illustré le député de Labelle.

M. LAFONTAINE: M. le Président, je ne sais pas, moi; je me suis tellement illustré souvent dans la vie. Lequel?

M. LESSARD: M. le Président, je ne suis pas juriste, je ne suis pas avocat, mais il me semble que cela apporte une protection, cette affaire-là. Au moins, lorsqu'on veut changer un juge qui a été nommé pour dix ans, on est obligé d'amender la loi. Or, on est obligé de se

présenter devant l'Assemblée nationale pour amender la loi. Si véritablement il y a un conflit entre le gouvernement et le tribunal, qui doit être un tribunal indépendant justement pour certaines raisons que j'ai tenté d'expliquer, c'est très important, justement, qu'on n'ait pas de ballottage, comme la proposition, à un moment donné, du député de Labelle pourrait en apporter.

A ce moment-là, on peut arriver à un problème. Si on ne fixe pas au moins dix ans ou cinq ans — je m'en fous — le ministre pourrait dire chaque année: Ecoute, tu ne fais pas mon affaire, tu t'en vas. Ou, au bout de deux ans : Tu ne fais pas mon affaire, tu t'en vas. Tandis que, là, au moins, on est obligé de passer par l'Assemblée nationale. On a eu le cas, par exemple, du président de la Banque du Canada, il y a quelques années, Coynes au fédéral. Je comprends qu'il fallait nécessairement passer par la Chambre des communes, pour amender la loi, étant donné qu'il était nommé pour dix ans. Au moins, le problème a été posé devant la population du Canada par l'intermédiaire des parlementaires.

C'est d'autant plus important que la Régie des services publics actuelle vient de prendre position justement à rencontre du gouvernement provincial. Le gouvernement du Québec est allé en appel sur une décision de la Régie des services publics. Qu'est-ce qui aurait pu arriver, par exemple, si ces gens-là n'avaient pas été nommés pour dix ans? Le ministre dit: Ecoutez, vous autres, vous ne faites plus mon affaire; on vous fait sauter. On en nomme d'autres et le public n'est pas informé du tout. A l'Assemblée nationale, justement, on a à surveiller le gouvernement dans des décisions importantes comme celle-là, en ce qui concerne des tribunaux justement qui sont importants, qui doivent avoir une certaine liberté vis-à-vis du gouvernement au pouvoir.

En tout cas, comme parlementaire, moi, je pense qu'il est très important que, lorsque le gouvernement décide, soit pour sénilité ou pour autres motifs, de modifier le temps de nomination des juges, il doive passer par les parlementaires.

Au moins, les parlementaires pourront juger le gouvernement, et ils pourront en même temps, justement, expliquer à la population québécoise si le gouvernement a mal fait en changeant ces juges ou s'il a bien fait, c'est tout. Moi, je pense que c'est important pour apporter une certaine sécurité à ces juges, une certaine indépendance.

M. LAFONTAINE: M. le Président, j'ai entendu avec beaucoup d'intérêt le député de Saguenay. Peut-être que le député de Saguenay a oublié que, lorsque le lieutenant-gouverneur en conseil va nommer ces dix membres, c'est le lieutenant-gouverneur en conseil qui va les choisir.

M. LESSARD: Je suis d'accord.

M. LAFONTAINE: Du moment qu'il va les choisir, pour les embarquer il va dire: T'as pas besoin d'avoir peur, on est là pour longtemps. Deuxième des choses, il va dire à cinq de ces gens: Je te nomme juge; non seulement je te nomme juge, mais je protège ta job pour dix ans par la loi. Je trouve ça tout simplement indécent. C'est un défi. Les personnes qui vont accepter d'être nommées au tribunal de l'expropriation, ce sont des gens qui vont accepter un défi, comme le ministre du Travail a accepté un défi quand il est allé de l'autre côté, M. le Président. On ne le blâme pas, mais il a accepté un défi. Jusqu'à maintenant, ce n'est pas pire. C'est comme l'ancien secrétaire de M. Lesage qui un moment donné des devenu ministre des Finances, il a accepté un défi. Il n'est pas protégé, lui, par une loi de dix ans.

M. PAUL: C'est moins bien.

M. LAFONTAINE: Pas plus que les anciens étaient protégés par une loi de dix ans. Je les regarde tous, il n'y a personne qui est protégé par une loi de dix ans. On prend dix personnes dans le public, on les nomme là puis on dit à cinq d'entre eux autres: On te nomme juge, tu peux être sûr que tu vas être juge jusqu'à la fin de tes jours. Le député lui il gagne $15,000, mais toi comme juge tu vas gagner $32,000, tu es assuré d'un salaire. En plus, tu vas siéger là, tu vas avoir droit à ci, tu vas avoir droit a ça. Le gars a un peu de réticence, il dit: Je vais assez bien dans ma pratique privée. On réplique: Ecoute, je vais te protéger encore plus, la loi te protège pendant dix ans. Puis on embarque quelqu'un. Là, je protège le gouvernement quand je le dis. Peut-être que le ministre de la Voirie, tel que je le connais, n'ira pas chercher ces dix membres de son tribunal de l'expropriation parmi les patroneux les plus honnis. Je connais son niveau moral. J'ai l'impression qu'il va aller vers le plus beau choix, il va prendre des gens qui n'ont jamais fait de politique partisane à nulle part, des gens purs. Puis là il va les nommer. Je sais moi que le ministre du Transport connaît très bien la grande différence entre le bon patronage puis le mauvais patronage. Alors il ne fera pas du mauvais patronage, il va faire du bon patronage. Il va aller chercher dix belles figures, puis il va les nommer. Je vois qu'il est à la veille de partir le ministre des Transports, mais qu'il pense à celui qui va le suivre, celui qui va occuper la tâche qu'il occupe présentement. Il va être pris peut-être avec deux ou trois personnes qui ne répondent pas aux normes, parce qu'on les a mal jugées. A ce moment-là, lui ou son successeur va être pris pour sept, huit ou neuf ans à endurer cette personne qui ne fera pas son travail. Cette personne est payée à même les deniers de l'Etat. Je demande au ministre d'y repenser encore. Le leader du gouvernement n'est pas ici, mais je pense bien que le leader du gouvernement, je le connais assez, pense comme moi, exactement la même chose que moi. Il reste à convaincre un peu le ministre des Transports.

M. HARDY: Est-ce qu'il vous a envoyé un petit billet?

M. LAFONTAINE: II va dire: C'est vrai, je peux peut-être me faire organiser là-dessus. Si c'était un autre ministre, non, mais je sais que le ministre des Transports lui il est en faveur du bon patronage, pas du mauvais patronage. Il va prendre des belles figures, peut-être des figures qui paraissent compétentes mais qui seront peut-être un peu incompétentes en arrière. A ce moment-là, il vient de geler le gouvernement. Là ça n'accélère pas le règlement des causes. Je comprends mal le pourquoi des dix ans. La personne qui va accepter un poste semblable, ce n'est certainement pas quelqu'un qui est journalier, ce n'est certainement pas quelqu'un qui travaille à la petite semaine, c'est certainement quelqu'un qui a de la voile. Cela peut ne pas faire l'affaire au tribunal de l'expropriation, parce que le gouvernement essaie d'intervenir, parce que les causes se jugent mal, parce que sur les dix membres du tribunal il y en a cinq qui ne fonctionnent pas. Si c'est quelqu'un de vigilant, si c'est quelqu'un qui se respecte, il va tout simplement envoyer sa démission puis s'en aller. Je ne connais personne, moi dans mon entourage, qui veut s'asseoir sur un siège puis attendre que le temps passe. En plus d'en protéger cinq par une job de juge, si on les protège en plus de ça avec la loi pour une durée de dix ans, on vient de composer, à mon sens, une gang de paresseux qui vont se fier sur la loi qui les protège pendant dix ans. Puis là, ça va bloquer la bebelle.

M. LESSARD: M. le Président, je voudrais poser une question au député de Labelle. Etant donné que ces juges peuvent quand même être dans l'obligation de prendre des décisions à l'encontre de certaines décisions gouvernementales, de certaines expropriations qui ont été faites par le ministère des Travaux publics, comment voulez-vous que ces gens puissent être indépendants vis-à-vis du pouvoir?

M. LAFONTAINE: Parce qu'ils sont juges.

M. LESSARD: Voici, si ces gens sont intéressés, sont des spécialistes en expropriation, sont intéressés à ce travail, sont intéressés au tribunal du travail, comment voulez-vous qu'ils soient indépendants vis-à-vis une décision qu'ils ont à prendre, qui va à l'encontre, à un moment donné, des intérêts du gouvernement si le ministre peut toujours tripoter, tant qu'il veut, le changement des juges? A mon sens, au moins, si le ministre décide que cela ne fait pas son affaire, comme cela a été le cas pour M. Lacoste, le président de la Régie des alcools du Québec, il doit...

M. LAFONTAINE: Comme cela a été le cas pour Poliquin.

M. LESSARD: ... se présenter devant l'As- semblée nationale et amender la loi. Là, on aura à juger le ministre. Je ne sais pas mais...

M. PINARD: M. le Président, si le député de Labelle voulait être juste là dans la discussion, il prendrait peut-être le cas de l'ancienne Régie des transports. Qu'est-ce que le titulaire actuel du ministère des Transports a fait à l'ancienne Régie des transports?

M. LAFONTAINE: Je l'ai dit tout à l'heure.

M. PINARD: J'ai gardé tous les membres qui composaient l'ancienne Régie des transports sauf le président, le juge Roger, qui a demandé, plusieurs fois, à être relevé de ses fonctions pour être renvoyé tout simplement à la cour Provinciale. Il a fait sa demande au juge en chef Gold.

Nous avons fait droit à sa demande, même si nous lui avons demandé, à plusieurs reprises, de rester en place pour assurer la permanence jusqu'à ce que le tribunal des transports soit en vigueur et puisse établir la continuité.

Les autres membres de la régie, je les ai gardés, sauf ceux qui étaient arrivés à la retraite, qui ont demandé à être relevés de leurs fonctions. Je n'ai pas fait d'autres changements. J'ai gardé ceux qui étaient en place pour établir cette continuité, pour être en mesure aussi que le nouveau Tribunal des transports puisse partir d'une jurisprudence établie et juger en fonction des dispositions de la nouvelle loi qui a été adoptée par l'Assemblée nationale.

Alors, je pense que si le député ne veut pas susciter de débat et veut être juste envers celui qui parle en ce moment et ne pas faire de procès particulier, je pense qu'il se rendra à l'évidence que c'est vrai ce que je lui dis et que je n'ai tripoté dans la composition d'aucun tribunal, d'aucune régie. S'il a des reproches à adresser, je ne pense pas les mériter ce soir, qu'il les adresse à ceux qu'il pense coupables et qui méritent ces reproches.

M. LAFONTAINE: M. le Président, le ministre ne m'a pas saisi. Je ne veux pas l'accuser. D'ailleurs je l'ai dit, tout à l'heure, c'est lui qui a déjà fait, dans le passé, une distinction bien nette entre le bon patronage et le mauvais patronage. Je n'accuserai pas le ministre des Transports, ce soir, d'avoir mal agi, etc.

Mais je viens de l'entendre parler pendant au moins trois minutes, M. le Président. Il a dit: Le député de Labelle va admettre qu'il y avait l'ancienne Régie de Transports et que je n'ai changé personne là-dedans. Je n'ai pas voulu muter personne là-dedans. J'ai gardé tout le monde. La seule chose, que j'ai acceptée, c'est la démission du président qui est venu me trouver, un M. Roger. Je me rends compte que le lieutenant-gouverneur en conseil parle, ce soir, par la bouche du ministre des Transports. C'est clair ça.

M. PINARD: Je suis membre du comité exécutif.

M. LAFONTAINE: C'est clair, ça. Il parle et c'est le gouvernement qui parle, quand on sait que les régies, ce n'est pas le ministre qui les nomme, c'est le lieutenant-gouverneur en conseil. Là, il se substitue au gouvernement en disant: Je n'ai pas fait ceci, je n'ai pas fait cela. Je viens de l'entendre M. le Président. Là, il dit: Je vais être indépendant du nouveau Tribunal des expropriations. Je le crois, le ministre des Transports. Je crois qu'il va être indépendant de cela. Mais ce n'est pas à cela que je pense. Je pense, par exemple, à un député en cette Chambre, qui est un de mes bons amis, d'ailleurs. C'est le leader parlementaire qui me faisait penser, tout à l'heure, au bill 62, alors on m'a dit: Ce n'est pas le bill 62 qui s'est changé en bill 28. C'est du bill 62, la réforme de la carte électorale, dont le leader parlementaire voulait parler. Je comprends. Mais en parlant de réforme de la carte électorale, je lisais, ce matin...

M. TETLEY: A l'ordre! A l'ordre!

M.HARDY: Vous faites toute votre session entre deux nuages.

M. TETLEY: A l'ordre! A l'ordre!

M. LAFONTAINE: ... dans Montréal-Matin, que le maire de Saint-Jérôme s'opposait à l'intrusion d'un député de la région dans les affaires municipales. Je voulais justement demander — je n'ai pas eu le temps cet après-midi parce qu'on a le droit seulement à quatre questions et la mienne était la cinquième — au ministre des Affaires municipales s'il avait l'intention de procéder à une enquête dans le cas de Saint-Jérôme pour savoir...

LE PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre! A l'ordre!

M. LAFONTAINE: ... qui fait de l'intrusion dans le monde...

LE PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre! Revenez au projet de loi, s'il vous plait.

M. LAFONTAINE: Je vais vous expliquer, M. le Président, le parallèle que je veux faire relativement à ça.

LE PRESIDENT (M. Blank): Expliquez-moi. A part cela, je pense que vous avez déjà dépassé vos vingt minutes d'au moins dix minutes sur le même article.

M. LAFONTAINE: Ecoutez, je peux peut-être accepter votre parole, M. le Président. Vous dites "je pense", cela veut dire que vous n'êtes pas sûr. Vous n'avez pas de chronomètre.

LE PRESIDENT (M. Blank): Je n'ai pas de chronomètre, mais j'ai regardé l'heure.

M. LAFONTAINE: J'ai regardé l'heure, M. le Président, et je suis sûr qu'il me reste encore à peu près une minute et demie. J'ai vérifié l'heure, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Blank): D'accord. Je vous donne une minute et demie et je vais vérifier, cette fois-ci.

M. LAFONTAINE: Mais on ne sait jamais si le député de Terrebonne, un jour, ne sera pas le ministre des Transports. S'il agit avec le Tribunal d'expropriation comme il a agi avec la ville de Saint-Jérôme — c'est récent, dans le journal de ce matin — à quelle place allons-nous aboutir, M. le Président?

Je pense que notre devoir de législateurs, ici, à nous qui sommes présents ce soir, c'est d'empêcher le ministre de commettre un impair. Pour les gens qui seront nommés là, il ne faudrait tout de même pas qu'il y ait entente dans le genre: Ne t'en fais pas, tu seras mon haut-parleur là-bas, mais je te nomme pour dix ans. Si la personne n'est pas nommée pour dix ans, elle aura peur qu'en Chambre une Opposition vigilante se lève et critique ses gestes. A ce moment-là, cela va bonifier les gestes des cinq juges et des cinq autres qui seront nommés.

M. le Président, je maintiens que la proposition que j'ai faite tout à l'heure devant la commission se lise: "Que l'article 3 demeure tel quel, moins les mots "pour dix ans", à la deuxième ligne". Je suis assuré du concours du ministre des Transports parce que toute la loi est basée là-dessus, le pouvoir discrétionnaire, avec la protection qu'on accorde à dix personnes.

M. le Président, ma minute et demie est finie.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Maskinongé veut avoir ses vingt minutes?

M. PAUL: M. le Président, l'attitude du député de Labelle m'inquiète.

M. LEVESQUE: Oui, nous autres aussi!

M. PAUL: Ah! pas pour les mêmes raisons! Je me demande quelle est la motivation du député de Labelle de prendre autant de soin pour protéger aussi clairement son ami, le ministre des Transports. Dans l'argumentation qu'a présentée le député de Labelle, j'ai décelé un souci de protection à l'endroit du ministre des Transports qui m'inquiète. Il a, M. le Président, invoqué des raisons protégeant en quelque sorte le ministre pour le mettre à l'abri de toute critique possible à son endroit, et pour qu'il ne s'encarcane pas, qu'il ne devienne pas captif, qu'il ne devienne pas gêné de nominations pour une période de dix ans.

Je m'inquiète sérieusement quant à l'attitude du député de Labelle et j'aimerais bien qu'il ait autant le souci de combattre le gouvernement

qu'il en a à vouloir protéger le ministre actuel des Transports.

Pour toutes ces raisons, M. le Président, je me demnande, quand le vote viendra sur la proposition d'amendement du député de Labelle, qui, en quelque sorte, a tout simplement pour effet de rayer, à la deuxième ligne, les trois mots "pour dix ans", comment je voterai, parce qu'en votant pour la motion, j'aurais l'impression de vouloir protéger le ministre des Transports, comme son argumentation, d'ailleurs, le prouvait. Quant à moi, j'hésiterais, et je souhaiterais même, que l'amendement du député de Labelle soit défait pour que le ministre ait les conséquences des nominations qu'il aura à proposer au lieutenant-gouverneur en conseil.

LE PRESIDENT (M. Blank): La motion du député de Labelle est rejetée sur division.

M. PAUL: Un instant, un instant. Je vais le consulter.

LE PRESIDENT (M. Blank): Sur division? M. PAUL: Sur division.

M. AUDET: M. le Président, j'ai un autre amendement à l'article 3.

LE PRESIDENT (M. Blank): A l'article 3, un autre amendement.

M. AUDET: Je crois, M. le Président, qu'on s'inquiète peut-être du fait qu'il y a des gouvernements véreux et même des juges véreux, mais je ne m'en offusque pas plus.

Pour rassurer le législateur, pour qu'il ait la certitude que le tribunal est composé de personnes ayant la compétence minimum requise pour remplir leurs responsabilités, j'aurais un autre amendement à apporter ici, qui se lirait comme suit: "Ajouter à l'article 3 l'alinéa suivant, â la fin de l'article 3: Les autres membres du tribunal doivent être choisis équitablement parmi les corporations professionnelles suivantes: Le Barreau du Québec, la Corporation professionnelle des ingénieurs, la Corporation professionnelle des arpenteurs-géomètres, la Corporation professionnelle des comptables agréés, la Corporation professionnelle des évaluateurs agréés et la Corporation professionnelle des agronomes".

M. HARDY: Cela va faire du monde!

LE PRESIDENT (M. Blank): Comment peut-on choisir...

M. AUDET: Ceci n'ajoute rien aux dépenses...

LE PRESIDENT (M. Blank): D'accord, la motion d'amendement est recevable. Mais je me demande comment on peut diviser équitablement cinq par six.

M. PAUL: Je vais vous donner un exemple,

M. le Président. Un bon jour, un père de famille décède. Il avait 17 cochons à séparer. Et dans son testament...

LE PRESIDENT (M. Blank): Ce n'est pas la loi des cochons, c'est illégal.

M. PAUL: ... il était mentionné que le plus âgé de ses fils bénéficierait de la moitié des cochons.

M. LAFONTAINE: C'était un créditiste, le gars.

M. PAUL: Le deuxième bénéficierait du tiers. Et le troisième du neuvième. Il n'y avait pas possibilité de diviser et là la même inquiétude s'est emparée des enfants, inquiétude que vous nourrissiez, M. le Président, quant à la division des cinq.

A ce moment, le créditiste a trouvé la solution. Il a emprunté un cochon chez le voisin, ce qui faisait 18 cochons. La moitié de 18 faisait 9, le tiers de 18 faisait 6, ce qui faisait 15. Et le neuvième de 18 faisait 2. Cela faisait 17 cochons. Le créditiste est retourné avec son cochon et le problème était résolu.

M. AUDET: M. le Président, j'aime autant m'occuper des cochons que des avocats. C'est probablement le fait que je devais amender mon amendement, parce que le premier amendement n'avait pas été accepté. On prévoyait une augmentation des membres du tribunal. C'est pour cette raison que le nombre figurant sur le deuxième amendement ne correspond pas. Il faudrait en enlever un.

M. LESSARD: M. le Président...

M. LAFONTAINE: M. le Président, est-ce que je pourrais demander au député d'Abitibi-Ouest de me répéter les professions qui sont mentionnées dans son amendement?

UNE VOIX: Enlève le Barreau et le problème est réglé.

M. AUDET: Le Barreau du Québec, la Corporation professionnelles des ingénieurs...

M. LAFONTAINE: Est-ce qu'on me permet une question? Est-ce que le député ne pense pas qu'avec cinq juges le Barreau est suffisamment représenté au tribunal? Si le député enlève le Barreau...

M. AUDET: Si on doit en enlever un, enlevons celui-là.

M. LAFONTAINE: A ce moment, je vais être d'accord avec le député sur sa motion.

M. LESSARD: Ou bien que les dix membres soient choisis parmi les six professions.

M. PINARD: Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'accepter l'amendement du député d'Abitibi-Ouest, même si je trouve qu'il a beaucoup de bon sens. C'est justement l'intention du gouvernement, du Conseil exécutif d'aller chercher dans les professions spécialisées en matière d'expropriation, en évaluation, des personnes capables de bien évaluer les dossiers qui sont soumis au tribunal et qui viendront prêter main forte à ceux qui auront plus spécifiquement la tâche de s'occuper des questions de droit.

Il est fort probable — sinon certain — qu'il y aura un représentant des corporations mentionnées par le député d'Abitibi-Ouest. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de l'inclure dans la loi. Cela va de soi.

M. AUDET: Nous savions que le président verrait à placer ces professionnels dans le tribunal de l'expropriation. Nous voyons que l'article ne mentionnait pas ces professions. C'est juste...

M. LAFONTAINE: Parlant sur la motion d'amendement du député d'Abitibi-Ouest, est-ce que le ministre...

LE PRESIDENT (M. Blank): Seize minutes seulement.

M. LAFONTAINE: ... pourrait nous dire comment il entend que le gouvernement s'acquitte de la tâche qui est mentionnée à l'article 3, à quelle place ou de quelle façon le ministre ou le cabinet vont-ils choisir les représentants ou les juges ou les dix membres du Tribunal de l'expropriation? De quelle façon va-t-il faire cela? Le ministre a dit tout à l'heure, en réponse au député d'Abitibi-Ouest, qu'il est évident qu'il va regarder du côté des arpenteurs, des ingénieurs, des évaluateurs etc. A-t-il l'intention de consulter les corps professionnels ou s'il a, tout simplement, l'intention de les nommer lui-même sans consultation préalable?

M. PINARD: M. le Président, je pense que le député de Labelle, qui a été ministre, sait comment ça se passe. Nous avons des recommandations...

M. LAFONTAINE: Cela a changé depuis ce temps-là.

M. PINARD: ... valables qui sont faites par des corporations professionnelles. Nous en avons eu justement. Tous ceux qui sont venus devant la commission parlementaire représenter les intérêts de leur corporation n'ont pas manqué, dans leur mémoire, de faire les recommandations dont a parlé tanôt le député d'Abitibi-Ouest. Mais, comme le nombre des membres du tribunal est limité — il faut le limiter — je ne peux pas avoir la représentation de toutes les corporations qui, plus spécifiquement ou moins, sont versées en matière d'expropriation.

Mais nous allons essayer de faire le meilleur partage et voir à aller chercher les meilleurs membres possible pour qu'ils fassent partie du tribunal.

M. LAFONTAINE: Le ministre vient de dire: Le député de Labelle sait bien, parce qu'il a déjà été là, comment ça fonctionne. Là, je me demande comment ça fonctionne; je sais qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

M. PINARD: En tant que ministre, vous savez comment ça fonctionne.

M. LAFONTAINE: Le ministre va être obligé de nommer dix personnes parmi beaucoup d'appelés. Il va y en avoir seulement dix d'élus. Je demande au ministre s'il a l'intention de consulter les corps d'expropriateurs, etc., ou s'il va se fier simplement à son jugement ou au jugement de son entourage. Je me demande comment le ministre va faire son choix. Disons que le député d'Abitibi-Ouest a un peu vu ça et il a dit: Il faudrait qu'il prenne ici et là; il a fait un genre de carcan, d'accord. Moi, j'aimerais savoir, même dans le carcan imposé si jamais l'amendement du député d'Abitibi-Ouest est accepté, comment le ministre va faire pour choisir une personne de chacune des professions qui sont représentatives au sein de ce Tribunal de l'expropriation. A quelle porte va-t-il aller frapper pour dire: Avez-vous quelqu'un à nous proposer? Le ministre va-t-il se fier, tout simplement, à son jugement à lui et dire: Je connais assez le problème, ça fait assez longtemps que je suis là. Un tel serait bon, un tel serait bon et un tel serait bon. Est-ce de cette façon que le ministre a l'intention de proposer au conseil des ministres de nommer le tribunal de dix membres ou s'il a l'intention d'aller vis-à-vis de la chambre de commerce, par exemple, ou vis-à-vis de l'association des expro-priateurs de Québec ou vis-à-vis de la chambre des notaires ou vis-à-vis des ingénieurs, des arpenteurs, etc.? Est-ce que le ministre a l'intention de prendre l'avis des corps intermédiaires ou s'il va prendre simplement l'avis du cercle qui l'entoure?

M. PINARD: M. le Président, je pense avoir répondu assez directement à la question tantôt. Je n'ai pas d'objection à répéter. J'ai déjà consulté des corporations professionnelles et j'attends des recommandations. On a déjà commencé à en faire. Nous allons essayer de faire le meilleur choix possible. C'est sûr que toutes les corporations qui sont directement ou indirectement mêlées au domaine des expropriations veulent être représentées, comme c'est arrivé dans bien des cas. Mais je leur réponds qu'il y aura dix membres au Tribunal de l'expropriation. Vous comprenez que, forcément, je ne peux pas avoir une représentation de toutes les corporations qui sont intéressées.

Nous allons choisir parmi les meilleurs, et

qui me dit que, compte tenu des problèmes que nous connaissons en matière de protection de l'environnement, ça ne prendrait pas un écologiste? C'est une nouvelle profession qui a été formée très récemment, mais qui répond aux besoins de la situation, aux besoins de l'heure. Je pense que ce sera un élément très valable qui pourrait être amené au sein du tribunal.

Mais ma décision n'est pas faite là-dessus, je consulte. Je pense qu'on peut faire confiance au Conseil exécutif et je pense que c'est naturel aussi de faire confiance. Tout le monde ne peut pas être membre d'un tribunal ou d'une régie.

M. LAFONTAINE: Tout de même, le ministre va admettre quelque chose. C'est que d'une recommandation de quinze membres il en fait, dans son optique, une chose coercitive de dix membres. Quand le ministre décide de dire, parce que c'est lui qui parraine la loi devant la Chambre qu'au lieu de quinze membres ça va être dix membres, c'est parce que le ministre dit: Quinze membres ça va être trop, mais dix membres ça devrait assez bien fonctionner. Je pense bien que le processus mental du ministre doit voir des gens qui sont en place.

Le ministre je viens de l'entendre parler de peut-être un écologiste. Alors je sais que le ministre est sérieux, là je commence à me questionner. Il vient de dire: Peut-être un écologiste. Si après-demain il pense qu'un écologiste sera rentable au tribunal du travail, comme il a fait voter sa loi avec seulement dix membres, il devra l'amender pour en mettre un onzième.

Alors je pense bien que le ministre est parti avec quelque chose dans la tête. J'aimerais savoir de sa part quels sont les cinq juristes épatants qui existent à l'heure actuelle dans le Québec et qui seraient aptes à remplir la situation de juge de la cour Provinciale.

M. BURNS: Et qui vont accepter de travailler à salaire fixe.

M. LAFONTAINE: Et qui vont accepter de travailler à salaire fixe. Alors, je me questionne. Le ministre des Transports n'a certainement pas dit cinq personnes à être nommés juges de la cour Provinciale sans avoir personne en tête. Il y a certainement une personne en tête, je le connais, parce que c'est une personne de précaution mon ministre.

M. GARNEAU: Le député de Maskinongé.

M. LAFONTAINE: Quand il part il se fait un plan, puis il est travailleur, il est loyal, puis il y va, mais il n'a pas mis dix pour rien. Je suis bien sûr que le ministre a déjà catalogué les dix dans sa tête. Qui va être président, par exemple? J'aimerais ça. Qui va être président du tribunal de l'expropriation? Qui va être le président, ce n'est certainement pas moi.

M. HARDY: Pas vous.

M. LAFONTAINE: Je vais demander au ministre des Transports de ne jamais recommander le député de Terrebonne, qui est avocat, parce que je pense qu'il s'en vient une charge. Lui et le maire de Saint-Jérôme, ça ne s'entend plus beaucoup. Ils sont pris en chicane de convention. Lequel va aller dans Prévost? Alors, si une personne qui est en autorité au point de vue provincial martyrise son maire de Saint-Jérôme de cette façon-là, je le vois mal occuper une situation de juge à la cour de l'expropriation. A ce moment-là tous les déboires pourront lui être permis et c'est le peuple du Québec qui en souffrira.

Moi, je connais assez le ministre, il doit savoir dans sa tête déjà. Il a calculé tout ça, c'est dix membres, cinq avocats, ah non! je viens d'entendre une chose, M. le Président, que je n'ose pas croire. Certainement pas le ministre des Transports qui s'en va en charge du tribunal de l'expropriation? Non, je connais assez le député de Drummond; quand il va partir de là, il va s'en aller puis il ne voudra plus jamais en entendre parler. Je suis assuré de ça.

M. PINARD: Beau choix.

M. LAFONTAINE: Non, il accepterait peut-être, oui? Je le connais assez, il n'est...

M. BURNS: II a une autre job.

M. LAFONTAINE: ... pas limité dans ses possibilités. D'ailleurs je vais lui faire un compliment ce soir, il le mérite parce qu'il a bien servi son parti.

M. PAUL: Pensez pas que ce n'est pas beau ça!

M. LAFONTAINE: Non, cela a été, de tous ceux que je vois de l'autre côté — j'en vois quelques-uns, à quelques exceptions près — peut-être le député libéral qui a le mieux servi son parti, mais, Dieu merci, il n'a pas été récompensé en conséquence, par exemple. De toute façon, M. le Président, il est tard, il est minuit moins sept; on serait prêt à accepter l'article 3 si le ministre voulait nous dire qui il entend nommer. Les cinq avocats, les cinq juristes qui devront, quand ils vont siéger, être des juges de la cour Provinciale, est-ce que ce sont des juges qui existent à l'heure actuelle ou des juges à être nommés?

LE PRESIDENT (M. Blank): Je ne veux pas empêcher le député de Labelle de parler, mais son droit de parole sur cet article est déjà écoulé. H parle maintenant sur l'amendement. Son amendement ne touche pas les juges; il touche les cinq autres.

M. LAFONTAINE: M. le Président, je m'excuse; je laisse tomber les juges. J'espère que quelqu'un va me suivre pour parler des juges, parce que j'aimerais savoir qui va être

président. Je suis assuré que ce sera un juge qui sera président. Je vois le ministre des Transports qui regarde vers le haut; je ne regarderais même pas vers le haut, mais je me questionne; j'en connais, des juges.

M. GARNEAU: Si vous étiez assis à sa place, peut-être que vous le feriez.

UNE VOIX: Est-ce qu'il y a des juges en haut?

M. LAFONTAINE: Est-ce que ce bill intéresse à ce point des juges qu'ils viennent écouter les débats de l'Assemblée nationale? Je n'oserais pas le croire, M. le Président.

M. BURNS: Ils n'ont même pas le droit de vote.

M. LAFONTAINE: Ils n'ont pas le droit de vote, M. le Président. Je pense bien que, si jamais il y a un juge dans les galeries, il vient simplement, en passant par Québec, voir la façon dont ça marche à l'Assemblée nationale.

M. le Président, j'aimerais que le ministre nous dise qui il a en vue. Il n'a pas restreint pour rien son choix à dix personnes, quand la recommandation disait quinze. Il a certainement des personnes en vue, le ministre. Je pense bien qu'il n'aurait pas d'objection à nous dire qui et, personnellement, s'il nous donnait les noms des dix personnes qui seront nommées, je serais prêt à accepter l'article 3.

M. MAILLOUX: Le député de Labelle est aussi curieux qu'une femme.

M. BURNS: Je veux, tout simplement, appuyer la motion d'amendement faite par le député d'Abitibi-Ouest; je la trouve tout à fait raisonnable. Comme le Barreau est déjà très fortement représenté par les juges qui feront partie du tribunal — les juges, tout le monde le sait, sont nommés parmi les membres du Barreau — je pense bien que c'était normal qu'il retire le Barreau de ce groupe-là. Si on regarde les autres corporations professionnelles, ce sont toutes des corporations dont les membres de ces corporations sont des personnes essentielles.

Vous allez me dire que le tribunal pourrait toujours aller chercher des services d'experts, vous allez me dire aussi que le ministre pourra toujours, lui, décider ça sans que ce soit dans le projet de loi, mais moi je dis: J'aime mieux le voir dans le projet de loi. J'aime mieux voir que ce tribunal va comporter au moins un ingénieur, au moins un arpenteur-géomètre, au moins un comptable, au moins un évaluateur agréé. Ce que je crains, soit dit en passant, c'est qu'on oublie de mettre un évaluateur. Je le crains sérieusement si on ne le met pas dans le projet de loi. C'est pour ça que j'appuie l'amendement du député d'Abitibi-Ouest. Puis au moins un agronome. Il est fort possible qu'à un moment donné on ait besoin de quelqu'un qui ait des idées sur ce qui se passe dans le domaine agricole, à cause des fermes qui pourront être expropriées. Je pense, entre autres, que ce n'est pas exagéré de demander qu'il y ait un agronome là-dedans et que les autres professions aussi soient là.

Le ministre nous dit: Laissez ça à ma discrétion. Je dis: Bien non, j'aime bien mieux qu'on mette dans la loi la limite de votre discrétion. On vous croit, M. le ministre, quand vous dites que vous voulez en mettre de ces gens, de ces professions au tribunal, bravo ! Si c'est votre intention, pourquoi éviter de l'écrire dans la loi? C'est ça qu'on vous demande, tout simplement. Je suis entièrement d'accord sur cet amendement que je vais appuyer, M. le Président.

M. LESSARD: M. le Président, je voudrais ajouter ceci. Le ministre disait tout à l'heure: Pourquoi pas un écologiste, pourquoi pas autre chose? Je pense bien que ce tribunal pourra toujours s'associer d'autres experts qui sont peut-être moins reconnus au niveau professionnel aujourd'hui puis au niveau des corporations, il n'y a aucun problème. Je pense bien, que ce tribunal ne fonctionnera pas sans s'associer à un certain nombre d'experts. En tout cas, le ministre réfléchit...

M. LEVESQUE: Faites rapport.

M. AUDET: II y a seulement cinq postes à nommer. Ce ne serait pas tellement difficile pour le ministre de déterminer les professions qui siégeront au tribunal d'expropriation.

M. LEVESQUE: Faites rapport.

M. AUDET: Dès maintenant, on fait figurer à l'article...

M. LEVESQUE: Faites rapport.

M. PINARD: Je pense que j'ai une bonne réponse à donner quand même à la motion d'amendement du député. C'est qu'à sa connaissance personnelle...

M. LESSARD: La mise aux voix.

M. PINARD: ... il y a eu plus de corporations professionnelles...

M. LESSARD: La mise aux voix, il est minuit moins deux.

M. PINARD: ... qui sont venues présenter des mémoires sur le bill 88 que je ne peux nommer de représentant au sein du tribunal. Alors pourquoi je m'encarcanerais? J'aime mieux être, libre de faire un choix et d'aller puiser parmi les membres de ces corporations professionnelles directement ou indirectement

intéressées par l'administration de la Loi de l'expropriation et qui vont venir...

M. BURNS: M. le Président, il y a une motion du leader du gouvernement de faire rapport actuellement.

M. PINARD: Oui, je comprends. Mais il n'est pas...

M. BURNS: Le ministre enfreint complètement le règlement.

M. PINARD: ... minuit.

M. BURNS: Ce n'est pas moi qui ai fait la motion, c'est le leader du gouvernement.

M. PINARD: M. le Président, si on était capable d'avancer dans nos travaux; je réponds au député d'Abitibi, et je pense qu'il va comprendre le bien-fondé de mon argument.

M. AUDET: Est-ce que le ministre veut dire, actuellement, qu'il veut se garder la liberté d'échanger une profession contre une autre au cours de l'existence du tribunal ou si, â un moment donné, il décidera, une fois pour toutes, quelles seront les professions qui siégeront au tribunal? Est-ce que vous le ferez plus tard, définitivement, ou si vous voulez vous garder une porte de sortie pour les changer suivant les besoins futurs?

M. PINARD: Le député peut faire confiance aux législateurs, au conseil exécutif pour composer le Tribunal...

M. BURNS: A l'ordre!

M. LESSARD: Les lois doivent être faites pour les pires ministres!

M. PINARD: ... des expropriations avec des personnes compétentes.

LE PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre! M. LAFONTAINE: On ne sait jamais.

M. PINARD: Même si on m'interrogeait pendant trois semaines, je ne changerais pas d'idée là-dessus.

M. BLANK (président de la commission plénière): M. le Président, j'ai l'honneur de faire rapport que votre commission a siégé, et n'a pas fini de délibérer et demande la permission de siéger à nouveau.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontange): Quand siégera-t-elle? Prochaine séance ou séance subséquente.

M. LEVESQUE: M. le Président, on sait le programme de demain matin. A dix heures, à la salle 81, la commission parlementaire de la justice; à la salle 91, la commission parlementaire sur les corporations professionnelles; à la salle 93, les engagements financiers.

Je propose l'ajournement de la Chambre à demain, quinze heures.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'Assemblée ajourne ses travaux à demain après-midi, quinze heures.

(Fin de la séance à 0 h 1)

ANNEXE

Question de M. Tremblay (Chicoutimi) 1. Depuis le 12 mai 1970, le gouvernement du Québec a-t-il autorisé aucun de ses membres ou fonctionnaires ou tout autre agent à trouver un locataire pour l'administration de restaurants, bars, discothèques ou tout établissement du même genre dans l'une ou l'autre des maisons de la Place Royale à Québec? 2. Quels sont les locataires intéressés à cette exploitation? 3. Les représentants de Hilton International ont-ils été rencontrés à cet effet, par qui et quand? 4. Des soumissions ont-elles été ou seront-elles demandées et quand? 5. Quand les baux de location doivent-ils être signés? 6. Quels espaces seront loués et où sont-ils situés?

Réponse de M. Cloutier (Ahuntsic) 1. Non, aucune autorisation n'a été donnée, les personnes intéressées dans la location d'un logement ou d'un commerce adressent une demande écrite au coordonnateur de Place Royale. 2. Certains locataires anciens de la Place Royale désirent conserver leur activité dans ce quartier, d'autres qui en ont entendu parler font application.

3. Les représentants de Hilton se sont adressés au coordonnateur, au début de l'été 1972. Ils ont visité le chantier alors en cours.

A l'automne, ils ont visité à nouveau les lieux qu'ils désiraient louer. 4. Pas de soumissions demandées, mais plusieurs offres reçues (4 en tout). MM. Gérard Julien de Montréal

Pierre Labossière, Guy Lefèvre, Jean-Jacques Racicot, Mario Poudrette de Montréal Yves Simard, Québec (La Traite du Roy) Hilton Place Québec Ltée. L'offre la plus avantageuse était Hilton. 5. Le bail a été signé en mars 1973. 6. Les espaces sont les sous-sols des maisons Leber, Charest et St-Amant (rue St-Pierre) et les étages en partie de la maison St-Amant.

Question de M. Lavoie (Wolfe) 1. Le ministère de l'Education a-t-il autorisé la vente du Séminaire de Joliette, connu aussi sous le nom de Société d'Education? 2. Dans l'affirmative: a) à quelle date; b) à quel prix; c) à qui? 3. Quelle est la subvention consentie par le ministère? 4. Quels sont les liens de parenté entre l'avocat Serge Joyal et le notaire Claude Joyal qui ont présidé à la négociation et à la rédaction de documents juridiques dans cette affaire? 5. Me Serge Joyal a-t-il été ou est-il encore à l'emploi du gouvernement fédéral? 6. Sinon, depuis quelle date? 7. Quels sont les honoraires reçus par chacun d'eux et sont-ils inclus dans le coût de la transaction? 8. Quels sont les autres honoraires et à qui ont-ils été payés?

Réponse de M. Cloutier (Ahuntsic) 1. Le lieutenant-gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de l'Education, a autorisé le CEGEP de Joliette à acquérir les biens, meubles et immeubles du Séminaire de Joliette et ce, par l'arrêté en conseil no 1250-73 du 4 avril 73.

Cette transaction était toutefois sujette à une condition : que les propriétaires du Séminaire de Joliette fassent clarifier, par une loi privée, les titres de propriété et ce, avant le 1er juillet 1973. 2. a) Le 6 avril 1973 b) $3,515,000 plus $850,000 de dettes en cours, plus un intérêt de 5 1/2 p.c. depuis le 1er juillet 1969, date d'occupation des lieux. c) Au CEGEP de Joliette. 3. A) Le montant de $3,515,000. et les intérêts seront payés à même le produit d'une émission d'obligations spéciale qui sera acquise par la partie venderesse. Le ministère subventionnera le remboursement du capital et des intérêts de cette émission à chaque échéance.

B) La dette en cours sera remboursée, à échéance, par le CEGEP à même une subvention du ministère de l'Education.

C) Les subventions seront autorisées lorsque la condition de la vente aura été satisfaite. 4. En autant que nous pouvons savoir, Me Serge Joyal faisait partie de l'étude légale de Dugas et Dugas, de Joliette, conseillers juridiques de la partie venderesse. Le ministère n'est donc pas en mesure ni en droit de répondre à cette question, non plus qu'aux question 5, 6 et 7. 5. N.A. 6. N.A. 7. N.A. 8. A ce jour, des honoraires ont été payés à l'arpenteur géomètre, Lucien Leclerc, au montant de $3,188.00 pour l'établissement du certificat de localisation des immeubles et des terrains. Des honoraires seront vraisemblablement versés au conseiller juridique, Me Luc Râtelle, et au notaire Luc Forest, dont les services ont été retenus par le CEGEP de Joliette pour cette transaction. Leurs comptes d'honoraires n'ont pas encore été soumis.

Question de M. Samson

1. Combien le ministère des Travaux publics et de l'Approvisionnement a-t-il signé de contrats de location pour locaux dans le comté de Rouyn-Noranda : a) pour l'année 1972; b) pour l'année 1973? 2. a) Quels étaient les signataires de ces contrats; b) quel était le montant de chacun; c) à quoi servent ces locaux; d) quelle est la durée de chaque bail; e) dans le cas où un immeuble est loué au complet, quelle est son évaluation municipale? 3. a) Y a-t-il eu appels d'offre dans chaque cas; b) s'il s'agit de contrats négociés, par qui l'ont-ils été?

Réponse de M. Tessier 1. a) Trois (3) baux furent signés en 1972; b) Aucun bail signé en 1973 à ce jour. 2. a) Hôpital Youville de Noranda; b) 5,280 pieds carrés à $3.10 pour un coût annuel de $16,368.00; c) Occupé par le ministère de l'Education (Multi-Média); d) Durée du bail est d'un (1 ) mois, renouvelable mensuellement; e) Edifice loué partiellement. a) Docteur Roch Paradis; b) 1,458 pieds carrés à $3.60 pour un coût annuel de $5,248.80; c) Occupé par la Protection Civile du Québec; d) Durée du bail est de deux (2) ans; e) Edifice loué partiellement. a) Hôpital de Noranda; b) 1,400 pieds carrés à $3.10 pour un coût annuel de $4,464.00; c) Occupé par le ministère des Affaires sociales (Service de Probation); d) Durée du bail est de un (1 ) mois renouvelable mensuellement; e) Edifice loué partiellement. 3. a) Nous ne procédons pas par appels d'offre pour ces locations. b) Les baux susmentionnés furent négocies par notre Représentant au Bureau Régional de Rouyn et furent soumis à Québec pour approbation.

Question de M. Vincent 1. Quel était le nombre des employés occasionnels dans la Fonction publique: a) au 1er avril 1970; b) au 1er avril 1971 ; c) au 1er avril 1972; d) au 1er avril 1973? 2. Quel organisme gouvernemental fixait la rémunération? 3. En vertu des règlements en vigueur, quelles sont les circonstances qui autorisent les ministères ou organismes à procéder à de tels engagements? 4. Quelle doit être la durée maximum d'un emploi occasionnel? 5. Par qui est établie l'éligibilité de chaque candidat?

Réponse de M. Parent 1. Aucune donnée d'ensemble n'existe sur le nombre d'employés occasionnels embauchés par chaque ministère et organisme. L'engagement des employés occasionnels relève de la compétence des ministères. Vu qu'il y a des périodes de pointe au cours d'une année, il devient impossible d'avoir des renseignement exacts. Pour répondre à une telle question, il faudrait qu'un recensement soit effectué et qu'une conversion en années-hommes soit faite. 2. Pour les fins de la classification, des qualifications, de la rémunération et des heures de travail du titulaire d'un emploi ou fonction d'un caractère occasionnel, il appartient au chef du ministère de les déterminer suivant la nature du travail à accomplir en tenant compte des conditions applicables dans l'espèce aux employés réguliers de l'unité administrative à laquelle tel titulaire est assigné.

3. Besoin causé par une période de pointe ou un projet spécifique. 4. Habituellement, quatre (4) mois et deux (2) mois de prolongation. Une telle période peut être d'une durée plus longue lorsqu'il s'agit d'un projet spécifique. Ex: Commission d'enquête. 5. Par le chef de chaque ministère et organisme en suivant les normes d'admission apparaissant aux divers règlements de la Commission de la fonction publique.

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