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(Quinze heures quatre minutes)
M.LAVOIE (président): A l'ordre, messieurs!
Affaires courantes.
Dépôt de rapports de commissions élues.
Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi
privés.
Présentation de motions non annoncées.
Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.
Présentation de projets de loi au nom des
députés.
Déclarations ministérielles.
Dépôt de documents.
Questions orales des députés
QUESTIONS DES DÉPUTÉS
LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.
Commission des valeurs mobilières
M. LESSARD: M. le Président, en l'absence du ministre de
l'Agriculture, j'adresse ma question au ministre responsable des Institutions
financières, Compagnies et Coopératives et de la protection du
consommateur. Est-ce que le ministre pourrait nous dire qui fait enquête,
actuellement, sur les agissements de certains fonctionnaires à la
Commission des valeurs mobilières du Québec qui lui ont
été rapportés le 20 septembre dernier par M. Gérard
Paquet-te, président de Malartic Hygrade & Gold Mines Ltd., et
rappelés par la suite les 27 septembre, 4 octobre, 16 octobre et 18
octobre, dont copie de la correspondance m'est parvenue?
M. TETLEY: M. le Président, j'aimerais répondre en
détail demain avec les chiffres à l'appui. Mais je peux dire que
j'ai fait une enquête sommaire. J'ai demandé une enquête
formelle du chef de notre service d'enquête et à un avocat du
ministère de la Justice de toutes les demandes et les
déclarations de M. Paquette. Je n'ai pas reçu de rapport. Mais
sur l'enquête sommaire, je crois que M. Paquette a tort.
M. LESSARD: Question additionnelle, M. le Président. Le ministre
nous dit qu'il n'a pas reçu le rapport. Est-ce que le ministre pourrait
nous dire à quelle date a été fixé le
dépôt du rapport final? Dernière question
supplémentaire: Est-ce que le ministre pourrait nous dire si certains
employés de la Commission des valeurs mobilières ont
été suspendus en attendant le dépôt de ce
rapport?
M. TETLEY: Je crois qu'aucun employé ne devrait être
suspendu. Les déclarations de M. Paquette contre ces employés
sont parfaitement injustes. Je vais déposer le rapport aussitôt
que je le recevrai, moi et le ministre de la Justice.
M. LESSARD: Dernière question additionnelle. Etant donné
l'adoption du bill 22, est-ce la coutume du ministre de répondre, au nom
de son ministère, dans la langue anglaise à des individus ou
à des corporations qui correspondent avec lui dans cette langue?
M. TETLEY: Si je réponds ou écris à un Anglais ou
à quelqu'un qui parle anglais ou qui semble parler anglais, en vertu de
la loi 22, j'ai parfaitement le droit de répondre à cette
personne dans sa langue, la langue qu'elle a choisie; c'est ce que j'ai
fait.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Jacques.
CEGEP de Valleyfield
M. CHARRON: M. le Président, j'adresse ma question au ministre de
l'Education. Je crois que, depuis hier, le ministre de l'Education a entre les
mains une demande provenant du syndicat des enseignants du collège de
Valleyfield pour la nomination d'un enquêteur, comme celui qu'il avait
nommé dans le cas du CEGEP Bourgchemin, à Saint-Hyacinthe, sur le
conflit qui dure depuis déjà plusieurs jours à
Valleyfield. Je veux demander au ministre quelle réponse il entend
donner à cette demande.
M. CLOUTIER: M. le Président, je n'ai pas encore reçu une
demande officielle. J'ai pris connaissance par les journaux de ce désir
exprimé par l'Association des étudiants. J'attendrai d'avoir le
document en main pour voir toutes les implications et je le mettrai très
certainement à l'étude. Cependant, c'est toujours avec beaucoup
de réticence que j'envisage de nommer des enquêteurs. Je souhaite
que les problèmes locaux se règlent au niveau local. Il n'est pas
suffisant de prêcher la décentralisation, encore faut-il que les
responsabilités soient situées au niveau où elles doivent
exister. Si j'intervenais chaque fois qu'il y a une difficulté, j'irais
à l'encontre de l'orientation que je cherche à donner,
actuellement, au système d'éducation.
Il y a eu, entre les étudiants et l'administration, toute une
série de négociations qui n'ont pas donné les
résultats escomptés. Je crois comprendre que ces
négociations ne sont pas terminées. L'administration a
fermé le collège la semaine dernière, mais rouvre
officiellement jeudi de cette semaine.
Si le collège a été fermé, c'est uniquement
parce qu'il y a eu une occupation et qu'il était nécessaire de
nettoyer les lieux et de remettre l'immeuble en fonctionnement.
M. CHARRON: M. le Président, avant que la décision du
conseil d'administration du CEGEP de Valleyfield de faire évacuer les
bureaux de l'administration qui étaient occupés par les
étudiants n'ait lieu, est-ce que le ministre avait été
prévenu par la direction du collège?
M. CLOUTIER: M. le Président, le ministère respecte
l'autorité locale, mais suit en même temps de très
près tous les conflits où qu'ils se passent à
l'intérieur du système. C'est dire que le ministère et
moi-même étions au courant de cette intention du conseil
d'administration, mais nous ne lui avons pas donné d'instructions
précisément parce que nous considérons que c'est là
sa responsabilité. C'est le type de système qui existe au
Québec et j'entends justement que chacun le respecte.
M. CHARRON: Dernière question supplémentaire, M. le
Président. Deux des points en litige entre les étudiants et
l'administration du collège de Valleyfield portent, d'abord, sur la
volonté qu'ont les étudiants de gérer leurs propres
affaires eux-mêmes, les affaires étudiantes, d'une part, et,
deuxièmement, sur une représentation qu'ils croient
légitime de demander à la commission pédagogique du CEGEP.
M. le Président, je crois que ma question est réglementaire parce
que je demande au ministre non pas son opinion, mais la politique de son
ministère, c'est-à-dire de la Direction générale de
l'enseignement collégial sur ces deux points.
M. CLOUTIER: Je pense, M. le Président, que c'est une excellente
question. C'est précisément parce que je me posais une question
de cet ordre que j'ai demandé au Conseil supérieur de
l'éducation, l'année dernière, de faire une vaste
enquête sur l'enseignement collégial. Il me paraissait normal,
après cinq ou six ans de fonctionnement, que l'on s'interroge sur les
résultats. J'ai voulu justement éviter d'apporter des
modifications parcellaires. Le député de Saint-Jacques se
souvient fort bien de ce que nous avons appelé la crise du nouveau
régime pédagogique; il s'agissait justement de modifications qui
auraient pu apporter des améliorations ici et là, mais qui
n'étaient pas suffisamment intégrées dans une
révision possible et même une révision éventuelle de
la loi constitutive des CEGEP. Par conséquent, je ne peux pas dire qu'il
y a une politique établie de ce point de vue. La marge de manoeuvre, en
ce qui concerne les conseils d'administration, est large. Cependant, n'allons
pas oublier qu'il s'agit de fonds publics. Il ne peut être question, au
nom de ce nouveau mythe de la participation, de permettre des implications de
différents milieux qui ne tiennent pas compte du bon ordre et qui ne
tiennent pas compte de la gestion financière.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.
Déportation d'Haïtiens
M. SAMSON: M. le Président, je voudrais adresser une question
à l'honorable premier ministre. Cela va faire suite aux questions que je
lui posais la semaine dernière concernant le problème
occasionné par les Haïtiens qui font face à la
déportation.
J'ai entendu personnellement le premier ministre qui, interviewé
sur les ondes d'un poste radiophonique en fin de semaine, disait qu'il
s'attendait à pouvoir faire connaître au début de la
semaine des développements concernant ce problème. Il a
même été jusqu'à dire que, même si vendredi
dernier j'ai fait une intervention colorée, elle était
justifiée; il l'a reconnu lui-même.
Alors, c'est pour vous démontrer que...
LE PRESIDENT: Question. Question, messieurs.
M. SAMSON: M. le Président, je suis très calme. Je ne vois
pas pourquoi on voudrait me bousculer, là. Je dis que, vendredi
dernier...
LE PRESIDENT: S'il vous plaît, messieurs!
M. SAMSON: ... je demandais au premier ministre...
LE PRESIDENT: C'est justement parce que j'ai l'intention que cela
demeure calme. Le meilleur moyen, c'est que vous posiez votre question.
M. SAMSON: M. le Président, je suis très calme.
LE PRESIDENT: D'accord.
M. CHOQUETTE: Le député de Beauce-Sud est moins calme.
LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!
M. SAMSON: M. le Président...
M. ROY: Je suis très calme, très calme.
M. SAMSON: ... je demande au premier ministre... Si vous m'invitez
à me choquer, je vais me choquer. Je demande au premier ministre si
c'est aujourd'hui qu'il a l'intention de nous faire connaître les
décisions de son gouvernement et les façons dont il croit pouvoir
venir en aide aux Haïtiens.
M. BOURASSA: M. le Président, moi aussi, j'ai entendu le
député de Rouyn-Noranda et le chef parlementaire en fin de
semaine...
UNE VOIX: II a même chanté.
M. BOURASSA: Non, à l'occasion du... Oui,
ça, entre autres. Je dois dire, en passant, que le
député a été très habile durant le
congrès de la fin de semaine.
UNE VOIX: II a une bonne voix.
M. SAMSON: M. le Président, j'invoque le règlement, car,
vous le savez, je n'aurais pas le droit de dire au premier ministre d'aller
acheter ses "walkies-talkies" pour son prochain congrès. Je ne le lui
dirai pas. Mais je vous demande, M. le Président, de lui dire de
répondre à ma question. Il y a des gens qui attendent
après des réponses. C'est extrêmement sérieux.
M. BOURASSA: Je le sais, M. le Président. C'est pour ça
que je peux faire une remarque. C'est quand même le député
de Rouyn-Noranda qui a parlé de mon intervention en fin de semaine.
Je ne puis pas faire de déclaration aujourd'hui. J'ai
discuté avec le ministre de l'Immigration au cours de la fin de semaine.
Nous envisageons différentes formules et nous allons en discuter demain
soir au conseil des ministres. Donc, pour l'instant, je ne puis pas
répondre de façon plus précise à la question fort
justifiée du chef parlementaire du Ralliement créditiste.
M. SAMSON: Je crois comprendre, M. le Président, que le premier
ministre n'est peut-être pas en mesure de me donner une réponse
immédiatement.
Est-ce que le premier ministre est en mesure, au moins, de me dire ceci,
avant de consulter. Parce que, si j'ai bien compris, c'est demain soir, le
conseil des ministres, et vous avez dit dans votre déclaration que vous
feriez connaître votre position au début de la semaine. Alors,
à compter de demain soir, ce ne sera plus au début de la semaine.
Je me demande pourquoi le premier ministre tente de retarder cela. Mais est-ce
que les représentants de la Communauté chrétienne des
Haïtiens, à Montréal, M. Dejean ou les autres, seront
directement consultés par le premier ministre avant que la
décision soit connue?
M. BOURASSA: Le ministère de l'Immigration et le ministre, en
particulier, sont en communication constante j'en suis convaincu
avec la communauté en question et c'est en pleine connaissance de cause
que le gouvernement du Québec veut prendre ses décisions.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Johnson.
Crise agricole
M. BELLEMARE(Johnson): M. le Président, ma question s'adresse
à l'honorable ministre de l'Agriculture. Il a dû lire comme nous
tous, ce matin, la déclaration qu'a faite le président de l'Ordre
des agronomes de la province, à savoir qu'il n'y avait, dans les $15
millions accordés aux cultivateurs la semaine dernière, aucun
élément de solution. Ce n'est pas un moyen à long terme ou
à court terme de régler le problème.
Est-ce que le ministre pourrait nous dire s'il a l'intention de
conserver avec le président de l'ordre, à savoir s'il est
nécessaire ou non d'avoir un conseil consultatif de l'agriculture et de
l'alimentation, ou s'il a d'autres problèmes ou d'autres solutions
à lui soumettre?
M. TOUPIN: M. le Président, j'ai déjà
conversé avec le président de cet ordre, qui est responsable de
la profession agronomique au Québec. Il m'a
téléphoné hier, précisément pour me tenir au
courant du fait qu'il voulait rendre publique cette déclaration à
laquelle vous faites allusion.
Si le député de Johnson se rappelle bien, la campagne
menée par les producteurs portait sur deux problèmes bien
précis: celui d'une aide immédiate aux producteurs de bovins et,
dans cette aide demandée par les producteurs, il n'était pas
question de politique à long terme. Il était question
d'intervenir immédiatement sur un problème en particulier qu'eux
appelaient un accident de parcours.
Alors, avec les $15 millions que le gouvernement a offerts, nous allons
régler ce qu'eux ont appelé cet accident de parcours. Au fond, ce
sont simplement des comportements de marchés qui sont normaux, à
tous les cinq ou six ans, dans le domaine des bovins.
Il y a ce cycle qui fait que nous sommes au creux de la vague et
après, les marchés se rétablissent; déjà les
marchés commencent à se raffermir.
L'autre demande de producteurs, c'était d'assurer que les revenus
des agriculteurs seront à peu près égaux à ceux des
travailleurs spécialisés au Québec. Cela, c'est une
politique à long terme et si ma mémoire est fidèle, je
pense que nous avons offert aux producteurs le principe de les
rémunérer en fonction de ces revenus des travailleurs
spécialisés au Québec.
Il reste maintenant à s'entendre sur des formules production par
production. Quant à la proposition que fait l'Ordre des agronomes
concernant un Conseil supérieur de l'agriculture et de l'alimentation,
cette suggestion n'est pas nouvelle. Elle s'est fait valoir dans le
passé sous d'autres formes. Je pense que le député de
Johnson se rappelle bien que le gouvernement qui nous a
précédé avait proposé une sorte de Conseil
supérieur de l'agriculture. Après, on avait proposé une
sorte de conseil général de l'ensemble des éléments
qui composent l'économie agricole et nous revenons, aujourd'hui, avec
une proposition d'un Conseil de l'agriculture et de l'alimentation.
Nous avons examiné cette proposition à plusieurs reprises
et la question que nous nous posons est la suivante: Ce qui est important, pour
nous, du ministère de l'Agriculture, c'est
de trouver, avec les producteurs, les solutions qui touchent leurs
problèmes à eux, c'est de regarder, par la suite, avec tout le
secteur agro-alimentaire, y compris les agriculteurs, comment on peut
compléter l'action primaire d'un agriculteur, c'est-à-dire
comment on peut rendre jusque sur la table du consommateur le produit qui
provient d'une ferme. D'où l'idée du plan agro-alimentaire que
nous avons mis de l'avant. Néanmoins, cette suggestion, je ne pense pas
qu'on puisse la rejeter du revers de la main; elle mériterait qu'on
l'examine à nouveau, mais dans un contexte, je dirais, un peu plus
moderne de l'agriculture qui pourrait inclure tous les éléments
qui composent le secteur agricole.
Est-ce que c'est possible maintenant de faire s'entendre, au niveau d'un
conseil général, les producteurs qui n'ont jamais assez, et c'est
normal, pour le prix de leurs produits si on peut vendre le bovin
à $1 les cent livres, c'est plus payant que de le vendre à $0.50
est-ce que c'est possible de faire s'entendre autour d'un Conseil
général de l'agriculture et de l'alimentation et les
transformateurs et les distributeurs et les producteurs, etc.?
Donc ça mérite d'être examiné plus en
profondeur et je ne peux pas, aujourd'hui, dire oui ou non à une telle
formule proposée par les agronomes du Québec.
M. BELLEMARE (Johnson): M. le Président, rien qu'une question
supplémentaire. Est-ce que l'honorable ministre, maintenant que
l'accident de parcours semble se régler, ne serait pas d'avis, pour
faire suite à la suggestion qu'a faite la semaine dernière le
député de Beauce-Sud, maintenant que les esprits sont plus
calmes, de convoquer la commission parlementaire de l'agriculture et d'entendre
justement l'Ordre des agronomes et tous les autres intéressés,
parce qu'ils dénoncent de façon véhémente les
intermédiaires. Il y a là tout un lot de renseignements qui
seraient fort utiles à la commission parlementaire pour établir,
et pour le ministre et pour l'agriculture en général, une
politique d'ensemble qui aurait, je pense, des résultats plus pratiques
pour l'avenir. La suggestion qu'a faite l'honorable député de
Beauce-Sud la semaine dernière, je la reprends à mon compte et je
serais très heureux si l'honorable ministre voulait, d'ici la fin de
l'année, par exemple, convoquer une commission parlementaire pour
entendre tous les intéressés. Peut-être que cela lui
fournirait l'occasion, à lui comme à nous, de trouver des
solutions pour l'avenir.
M. TOUPIN: M. le Président, j'ai déjà dit que je
n'étais pas du tout contre une commission parlementaire. Encore
faudrait-il savoir exactement ce que nous allons discuter à cette
commission parlementaire. Les problèmes, même s'ils semblent
reliés de très près les uns aux autres, sont quand
même distincts; c'est-à-dire qu'ils ont des particularités.
Le problème des intermédiaires n'est pas nécessairement en
soi le problème des producteurs agricoles. Il est évident que si
on découvrait que les intermédiaires prennent trop de la part du
dollar que dépense le consommateur, il y aurait avantage à ce que
ce trop-perçu soit remis au producteur. Mais ce sont deux
problèmes distincts qu'il faut regarder de façon distincte. Dans
mon esprit, c'est très clair.
Mais si nous voulons apporter une solution à long terme au
problème de l'agriculture, il faut, bien sûr, sortir des
subventions ponctuelles que nous versons d'année en année. Et une
des solutions que j'ai déjà proposées et dont mes
collègues ont déjà été saisis est qu'il est
nécessaire que nous ayons au Québec une loi de stabilisation des
revenus des agriculteurs. Le ministère est en train de préparer
cette loi que nous essaierons de déposer avant Noël, si possible.
Au moment où cette loi sera déposée, je pense qu'il y aura
lieu, dans le cadre de cette loi, de faire discuter la commission parlementaire
sur les revenus des agriculteurs et, par le biais, nous pourrons aborder le
problème des prix payés par les intermédiaires aux
producteurs et, par la suite, s'il y a lieu, prolonger le débat.
LE PRESIDENT: Question supplémentaire. L'honorable
député de Saguenay.
M. LESSARD: Question additionnelle. Maintenant que nous connaissons
cette accalmie, qui sera sans doute temporaire, est-ce que le ministre a
également l'intention d'en profiter pour créer enfin ce qu'il a
déjà promis, son office des grains de provende, pour stabiliser
les prix des intrants, de mettre aussi en place un office de commercialisation
du boeuf, soit sous forme de plan conjoint ou autrement, et, enfin le
ministre en parlait un peu tout à l'heure d'instituer une
enquête pour étudier tout le problème des
intermédiaires qui semblent s'enrichir à même les
contribuables, les consommateurs et les agriculteurs?
M. TOUPIN: M. le Président, je n'ai pas parlé
d'enquête. J'ai déjà soutenu ceci et je le soutiens encore:
II me paraît évident que, dans le domaine des
intermédiaires, c'est-à-dire de la mise en marché des
produits de l'alimentation, s'il y a un travail d'enquête qui doit
être mené, on doit le mener à l'échelle nationale
parce qu'il n'est pas possible de trouver, je crois, dans le cadre d'une
province, les principaux problèmes qui pourraient se dégager des
relations entre les intermédiaires et les consommateurs et entre les
producteurs et les intermédiaires. Le problème est beaucoup trop
vaste pour que nous puissions l'aborder exclusivement sur une base provinciale.
J'ai déjà suggéré à la commission Plumptre
de regarder plus en profondeur quelles sont les marges que peuvent se garder
certains distributeurs ou certains transformateurs des produits alimentaires au
Québec et au Canada. On s'est déjà penché sur le
problème de la commercialisation des oeufs. On a fait de ce
problème une sorte d'examen qui ne me paraissait pas coller
tellement à la réalité. C'était relié
à une organisation que les producteurs s'étaient donnée,
sur laquelle, d'ailleurs, les gouvernements provinciaux étaient
d'accord. On a rendu publics un certain nombre d'éléments
reliés à ce problème, qu'il était
nécessaire, je pense, de rendre publics, notamment la destruction d'une
certaine quantité d'oeufs, etc.
Donc, au niveau de l'enquête, on ne peut pas dépasser
beaucoup plus cette perspective. Quant aux autres problèmes, celui d'un
office des grains de provende, encore là il faut faire des distinctions.
Il ne servirait à rien au Québec d'avoir un office des grains de
provende parce que nous n'avons pas de grains à commercialiser. Ce qu'il
est important que nous ayons...
M.LESSARD: Je parle d'acheter, M. le Président.
M. TOUPIN: D'accord, là, c'est très bien. Ce qu'il est
important que nous ayons, c'est un mécanisme, au gouvernement, qui
pourrait travailler en collaboration avec les personnes en place afin que nous
puissions devenir, à l'intérieur du commerce des grains de
provende au pays, un témoin qui soit valable. C'est
précisément la politique que, personnellement, je
préconise depuis trois ou quatre mois, c'est-à-dire depuis que
nous avons rendu public le plan agro-alimentaire.
M. LESSARD: Trois ou quatre ans.
M. TOUPIN: Au fond, ce que je veux dire, c'est que vous n'avez rien
inventé lorsque vous avez suggéré cela.
M. LESSARD: Concernant la commercialisation du boeuf, le plan conjoint?
M. le Président, j'avais une question...
LE PRESIDENT: La dernière question, pour donner la chance aux
autres. Il y a deux autres députés qui désirent poser des
questions additionnelles.
M. LESSARD: D'accord, M. le Président, mais c'est parce que le
ministre n'a pas répondu à une partie de ma question, concernant
l'office de commercialisation du boeuf. Il y a l'office des grains de provende,
mais aussi l'office de commercialisation du boeuf.
M. TOUPIN: M. le Président, il y a des mécanismes à
l'intérieur de la Loi sur la mise en marché qui sont
prévus. Il y a deux façons maintenant de mettre en place un plan
conjoint de mise en marché: ou les organismes de producteurs le
soumettent au référendum ou une demande est faite au
lieutenant-gouverneur en conseil.
Que la demande me soit faite et j'étudierai sérieusement
cette question.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Beauce-Sud, question
supplémentaire, et l'honorable chef de l'Opposition, également,
sur une question supplémentaire.
M. ROY: M. le Président, le ministre nous a dit tout à
l'heure qu'il n'était pas contre une commission parlementaire;
d'ailleurs, le premier ministre l'a dit lui-même, la semaine
dernière. J'aimerais savoir si le ministre de l'Agriculture est pour une
commission parlementaire et s'il entend prendre les dispositions
nécessaires afin que cette commission parlementaire puisse siéger
le plus tôt possible pour examiner les sources d'approvisionnement des
grandes chaînes d'alimentation, étudier toute la question de
l'importation des viandes qui se fait au Québec actuellement,
étudier le cartel des viandes à cette commission parlementaire,
et étudier la façon dont les prix des viandes sont fixés,
parce que le producteur et le consommateur sont impliqués.
Je demande au ministre qu'il nous dise clairement s'il a bien
l'intention de prendre les mesures qui s'imposent pour que cette commission
parlementaire siège dans les meilleurs délais. Je remercie le
député de Johnson de son appui, et je compte également sur
l'appui du Parti québécois pour que cette commission soit
convoquée, pour qu'on puisse faire pression auprès du
gouvernement pour qu'elle ait lieu le plus tôt possible. Je demande au
ministre de nous faire connaître son point de vue, sa réponse.
M. TOUPIN: J'ai dit, tantôt, que j'étais d'accord pour
convoquer une commission parlementaire. La seule occasion que je cherche pour
la réunir, cette commission, c'est dans le cadre d'une politique
à long terme des revenus des agriculteurs, que nous sommes en train de
préparer au ministère, qui sera connue de l'Assemblée
nationale d'ici un mois. Une fois que cette politique sera connue, je n'ai non
seulement pas d'inconvénient mais je suis d'avis qu'on convoque,
à ce moment-là, la commission parlementaire et qu'on
étudie, dans le cadre de ce programme-là, l'ensemble des
problèmes soulevés par le député de Beauce-Sud
sauf, peut-être, un certain nombre qui dépassent largement les
compétences provinciales.
M. ROY: Le ministre veut dire, par sa réponse...
LE PRESIDENT: Dernière.
M. ROY: ... qu'il exclurait l'étude de la question de
l'approvisionnement des grandes chaînes d'alimentation, l'importation des
viandes et ces choses-là. Est-ce la réserve ou la restriction que
le ministre vient de faire? J'aimerais être certain d'avoir bien compris,
avoir des précisions là-dessus.
M. TOUPIN: Je pense que ça va être très facile. Le
député de Beauce-Sud sait fort bien que le problème des
importations et des exportations ne relève pas du gouvernement
provincial mais bien du gouvernement fédéral.
LE PRESIDENT: L'honorable... M. MERCIER: Sur le même sujet.
M. ROY: ... pour qu'on puisse aborder ces questions en commission
parlementaire, qu'on puisse faire connaître notre point de vue au
gouvernement fédéral là-dessus.
M. TOUPIN: M. le Président, si le député de
Beauce-Sud veut faire valoir son point de vue au gouvernement
fédéral, je ne pense pas que ce soit nécessaire qu'il
passe par une commission parlementaire provinciale; il peut faire valoir ses
points de vue publiquement et demander au gouvernement fédéral
qu'il révise sa politique d'importation et d'exportation quoique je ne
voie pas d'inconvénient à ce qu'un tel problème soit
abordé et discuté à la commission parlementaire. Ce que je
veux faire comprendre au député de Beauce-Sud, c'est que je ne
crois pas qu'on puisse trouver, à l'intérieur de cette
commission, vis-à-vis d'un problème comme celui-là, les
solutions qu'il cherche.
LE PRESIDENT: Question supplémentaire...
M MERCIER: Sur le même sujet, M. le Président.
M. MORIN: M. le Président... M MERCIER : Sur le même
sujet.
LE PRESIDENT: Oui, après l'honorable chef de l'Opposition
officielle, l'honorable député de Bellechasse.
M. MORIN: ... question supplémentaire. Dans l'octroi des $15
millions, il y a une inconnue qui en intrigue plusieurs. J'aimerais demander au
ministre quels sont les calculs qui ont fondé l'octroi du montant
spécifique de $15 millions. Est-ce le nombre des producteurs? Est-ce le
nombre d'animaux? Comment en est-on venu à ce montant-là
plutôt qu'à un autre? Je pense que la auestion est importante
parce que si on ne connaît pas les bases du calcul, on peut
spéculer, comme on l'a fait en fin de semaine, et laisser entendre que
peut-être c'était un montant politique.
M. TOUPIN: Le chef de l'Opposition, lorsqu'il dit que peut-être
ça serait un montant politique, il est important que nous mettions le
mot "peut-être", parce que ce n'est pas une somme qui a été
donnée pour des fins politiques. Ce sont des montants qui ont
été versés pour aider les producteurs dans une
période creuse.
Quels sont les critères sur lesquels nous nous sommes
basés? Ce sont les suivants: Le premier c'était la demande des
producteurs. Ils demandaient $15 millions pour régler le problème
des bovins. Il me paraît que c'est là un critère
important.
Le deuxième des critères, nous avons étudié,
quant à nous, les pertes que les producteurs ont faites, cette
année, dans la vente de leurs bovins, par rapport au prix qu'ils avaient
reçu l'an dernier et cela se rapprochait, à quelque $200,000 ou
$300,000 près, des $15 millions que nous avons offerts aux
producteurs.
M. MORIN: Encore une question supplémentaire, la dernière
si vous voulez, M. le Président. Si ce montant de $15 millions
était justifié, lorsque le gouvernement a pris la décision
de l'octroyer, pourquoi ne l'avoir pas accordé plus tôt, un mois
plus tôt, six semaines plus tôt? A ce que je sache, le
problème était le même, il y a un mois, lorsque nous avons
rencontré ensemble les agriculteurs à Sainte-Foy.
M. TOUPIN: M. le Président, je pense que le chef de l'Opposition
va être d'accord avec moi sur ce point. Le problème des bovins
laitiers a surgi au cours de la campagne de protestation. Les producteurs ne
m'ont jamais demandé avant cette campagne que j'intervienne
personnellement, vis-à-vis du problème des bovins laitiers. On
m'avait simplement dit que les $2,600,000, plus les $3 millions que nous
verserons au printemps, ce qui fait quelque $5,600,000, n'étaient pas
suffisants pour les producteurs de bovins de boucherie. C'était
seulement sur ce point, au départ, que les demandes des producteurs ont
porté. C'est au cours de la campagne que nous avons découvert que
les producteurs voulaient aller plus loin que dans les bovins de boucherie,
mais aussi dans les bovins laitiers. C'est à ce moment que nous avons
cru bon faire une étude plus approfondie de la question des bovins
laitiers et que nous en sommes arrivés à la conclusion qui a
été, non seulement offerte, mais acceptée aussi par les
producteurs et demandée au départ par les producteurs.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Bellechasse,
dernière question supplémentaire.
M. MERCIER: M. le Président, c'est une question qui a
été soulevée précédemment, touchant le
problème des producteurs. Ma question s'adresserait au ministre des
Institutions financières, Compagnies et Coopératives, responsable
de la protection du consommateur, relativement à cet écart, si
vous voulez, auquel les producteurs ont fait allusion dans les profits
réalisés par les intermédiaires. Suite aux informations du
ministre de l'Agriculture, on comprend que c'est une question qui touche
l'ensemble du pays. Est-ce que le ministre des Institutions financières,
Compagnies et Coopé-
ratives pourrait nous dire, tout de même, si une étude fut
amorcée ou entreprise par l'Office de la protection du consommateur sur
les données québécoises, les statistiques
québécoises, relativement à cette question des
intermédiaires et des profits réalisés, pour le
bénéfice des consommateurs?
M. TETLEY: Je vais étudier la question, et je vous remercie de
l'avis. Je dois dire que depuis plusieurs semaines j'ai communiqué avec
mon homologue à Ottawa, qui, apparemment, avait fait l'étude dont
vous parlez et n'avait pas trouvé l'écart dont vous parlez.
Apparemment, Mme Plumptre, qui est très bien connue, a fait la
même enquête avec le même résultat.
LE PRESIDENT: Dernière question principale.
L'honorable député de Lafontaine.
Jeux olympiques
M. LEGER: M. le Président, ma question s'adresse au ministre
d'Etat, responsable du COJO auprès du gouvernement. Le 15 juillet
dernier, le ministre nous disait qu'il attendait, dans les quelques jours qui
viennent, les dernières prévisions budgétaires globales,
concernant les Jeux olympiques. Est-ce que le ministre peut nous dire s'il a,
entre les mains, maintenant, puisque cela fait déjà cinq mois,
ces prévisions budgétaires et est-ce qu'il peut les
déposer à la Chambre?
M. LALONDE: M. le Président, en effet, après la nomination
du coordonnateur par la ville de Montréal, la révision des
budgets a été entreprise et, à plusieurs reprises, j'ai
demandé le résultat de cette révision qui a
été retardée, comme les réponses me l'ont
confirmé, par la préparation des plans et devis.
Maintenant, quant à la date limite, l'échéance
avait d'abord été remise à septembre et snsuite au 15
novembre. Je n'ai pas eu, dernièrement, d'indication à l'effet
que la dernière date limite, c'est-à-dire le 15 novembre,
était changée et je les attends d'un jour à l'autre.
M. LEGER: Question supplémentaire, M. le Président. A la
même date, le ministre m'avait dit qu'il allait peut-être demander
au ministre des Affaires municipales la convocation de la commission
parlementaire pour entendre les représentants du COJO et de la ville de
Montréal sur les implications financières des jeux olympiques en
général.
Est-ce que le ministre a contacté le ministre des Affaires
municipales et est-ce qu'il entend faire siéger bientôt la
commission parlementaire pour entendre les intéressés nous donner
les versions exactes et finales de ces implications financières des jeux
olympiques?
M. LALONDE: M. le Président, naturellement, j'en ai parlé
au ministre des Affaires municipales. Maintenant, ce n'est qu'à la
lumière des prévisions budgétaires et des changements
possibles dans les chiffres qu'une décision pourrait être prise
à cet effet, c'est-à-dire sur l'opportunité de
réunir la commission parlementaire pour examiner les implications
financières, tel que le député de Lafontaine le
demande.
M. LEGER: Dernière question supplémentaire.
LE PRESIDENT: Dernière.
M. LEGER: Est-ce que le ministre peut nous dire s'il va nous
déposer dès réception, peut-être la semaine
prochaine, les prévisions qu'il aura entre les mains après le 15
novembre?
M. LALONDE: Comme je l'avais dit, M. le Président, si les
prévisions budgétaires témoignent de changements
substantiels, j'en informerai la Chambre. S'il y a lieu, les budgets pourront
même être déposés à la Chambre.
LE PRESIDENT: Avant de passer aux affaires du jour, demain, à la
prochaine séance, après les deux questions de l'Opposition
officielle, j'accorderai une priorité à l'honorable
député de Beauce-Sud.
Affaires du jour.
M. ROY: M. le Président, auparavant, je pense que le ministre de
l'Agriculture devait nous donner une réponse aujourd'hui sur une
question que j'avais posée la semaine dernière, une question qui
est assez urgente.
M. TOUPIN: M. le Président, je voudrais m'excuser parce que je
n'ai pu, ce matin. Les documents devaient me parvenir d'ici quatre heures moins
le quart et ils ne me sont pas encore parvenus. Je puis dire au
député de Beauce-Sud que j'ai maintenant en main toutes les
statistiques et qu'au moment où j'aurai les documents, si la Chambre n'y
voit pas d'inconvénient, je pourrai les déposer ou attendre
à demain pour le faire. J'ai en main les documents.
M. ROY: Vous les déposerez demain. LE PRESIDENT: Affaires...
M. SAINT-HILAIRE: Question supplémentaire, M. le
Président.
LE PRESIDENT: Oui. L'honorable député de...
Travaux de la Chambre
M. SAINT-HILAIRE: Est-ce que le leader pourrait nous dire quand le
gouvernement a
l'intention de continuer l'étude du bill no 4 sur la
Société Inter-Port?
M. LEVESQUE: M. le Président, nous avons au menu, aujourd'hui,
deux autres projets de loi qui seront discutés. Demain, c'est la
journée des députés. Je pense bien que jeudi nous
poursuivrons le débat sur le projet de loi no 50. Il est possible que
nous ne siégions pas vendredi. Cela voudrait dire que cela pourrait
aller à la semaine prochaine.
LE PRESIDENT: Affaires du jour.
M. LEVESQUE: M. le Président, pouvons-nous revenir un instant au
dépôt de documents?
LE PRESIDENT: Avec le consentement de la Chambre, dépôt de
documents.
L'honorable ministre des Terres et Forêts.
DÉPÔT DE DOCUMENTS REXFOR
M. DRUMMOND: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le
rapport annuel de REXFOR pour 1973/74.
M. LEVESQUE: M. le Président, je voudrais prévenir les
membres de cette Chambre que, pour mardi prochain, nous aurons une convocation
d'une commission parlementaire...
LE PRESIDENT: Un peu de silence, s'il vous plait.
M. LEVESQUE: ... la commission parlementaire des finances, des comptes
publics et du revenu, qui poursuivra ses travaux et continuera d'entendre le
vérificateur général; mardi prochain, 19 novembre,
à dix heures trente de la matinée, à la salle 91-A.
Il y aura sans doute, en même temps, d'autres commissions; au
moins une autre commission parlementaire siégera, mais je l'annoncerai
un peu plus tard. Tout dépendra du progrès des travaux.
M. le Président, je propose que la commission du travail et de la
main-d'oeuvre se réunisse immédiatement, au salon rouge, aux fins
d'entendre les parties dans le conflit à la United Aircraft.
M. ROY: M. le Président, est-ce qu'on peut demander à
l'honorable leader du gouvernement s'il est prévu que la commission
puisse prolonger ses travaux en soirée ou si on prévoit ajourner
les travaux pour six heures?
M. LEVESQUE: M. le Président, j'en ai discuté avec le
ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre et il sera en mesure de faire une
proposition lorsque la commission poursuivra ses travaux, cet
après-midi. Avant la suspension prévue pour 18 heures, il pourra,
à ce moment-là, faire part à la commission de la
proposition qu'il jugera à propos, selon évidemment la marche des
travaux.
M. BURNS: M. le Président, je demande un vote enregistré,
s'il vous plaît.
Motion pour faire siéger la commission
parlementaire sur le problème de la
United Aircraft
M. LEVESQUE: M. le Président, je fais donc motion pour que la
commission du travail et de la main-d'oeuvre poursuive ses travaux et cela, en
vertu du même mandat que je mentionnais lors d'une récente
séance.
M. BURNS: Vote enregistré, s'il vous plaît.
LE PRESIDENT: Qu'on appelle les députés!
Vote sur la motion
LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur de la motion de l'honorable
leader parlementaire du gouvernement veuillent bien se lever s'il vous
plaît.
LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bourassa, Levesque, Parent (Hull), Mailloux,
Choquette, Garneau, Cloutier, Phaneuf, Lalonde, Lachapelle, Berthiaume,
Cournoyer, Goldbloom, Simard, Quenneville, Mme Bacon, MM. Tetley, Drummond,
Lacroix, Bienvenue, Toupin, Massé, Harvey (Jonquière),
Vaillancourt, Cadieux, Arsenault, Houde (Fabre), Houde (Abitibi-Est),
Desjardins, Giasson, Perreault, Brown, Fortier, Bossé, Kennedy, Bacon,
Blank, Veilleux, Saint-Hilaire, Saindon, Cornellier, Houde (Limoilou), Pilote,
Lamontagne, Picard, Gratton, Carpentier, Dionne, Faucher, Saint-Germain, Harvey
(Charlesbourg), Pelletier, Shanks, Pepin, Beauregard, Bellemare (Rosemont),
Bérard, Bonnier, Boutin, Chagnon, Leduc, Caron, Côté,
Denis, Déziel, Dufour, Harvey (Dubuc), Lachance, Lapointe,
Malépart, Malouin, Massicotte, Mercier, Pagé, Parent
(Prévost), Picotte, Sylvain, Tardif, Tremblay, Vallières,
Verreault, Morin, Burns, Léger, Charron, Lessard, Bédard
(Chicoutimi), Samson, Roy, Bellemare (Johnson).
LE SECRETAIRE: Pour: 90 Contre: 0
LE PRESIDENT: La motion est adoptée, et cette commission peut
siéger immédiatement.
M. LEVESQUE: M. le Président, nous allons, si on le veut bien,
procéder à l'étude du projet
de loi no 26 jusqu'à cinq heures au plus tard. A cinq heures,
nous entreprendrons l'étude du projet de loi no 50, Loi concernant les
droits et libertés de la personne. Lorsque le ministre de la Justice
aura terminé son intervention, nous suspendrons et le chef de
l'Opposition pourra donner sa réplique à 20 h 15, si tout le
monde est d'accord.
LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a consentement unanime à cet
effet?
M. BURNS: Oui, M. le Président.
LE PRESIDENT: Sans qu'il y ait de vote sur la suspension du
débat?
M. BURNS: D'accord.
LE PRESIDENT: Consentement unanime, et ça devient un ordre de la
Chambre.
M. LEVESQUE: M. le Président, puis-je vous demander, avant que
nous entreprenions ce débat, quelle sera la motion ou les motions qui
seront discutées demain?
LE PRESIDENT: Je pense que, normalement, on devrait continuer la motion
de l'honorable député de Rouyn-Noranda sur le problème des
affaires sociales. Demain, il s'agit du deuxième mercredi.
M. LEVESQUE: Est-ce que je peux avoir le consentement unanime de la
Chambre également pour que nous revenions un instant en arrière
pour que le ministre de l'Agriculture puisse donner une réponse au
député de Beauce-Sud, simplement en déposant un document
qu'il avait promis?
M. ROY: M. le Président, pour les fins du journal des
Débats, il faudrait quand même que le ministre donne sa
réponse comme il était censé normalement le faire. Je suis
prêt à donner mon consentement pour que le ministre donne sa
réponse verbalement.
M. LEVESQUE: C'est très court, M. le Président. Ce serait
peut-être moins long si vous acceptiez.
LE PRESIDENT: Et les questions supplémentaires seront
posées demain? D'accord, si la Chambre est d'accord.
DES VOIX: D'accord.
QUESTIONS DES DÉPUTÉS (suite) Grains de
provende
M. TOUPIN: M. le Président, la question portait sur les
approvisionnements en provende. Alors, au 6 novembre 1974, les stocks totaux
dans les élévateurs du Saint-Laurent étaient de 6,677,400
boisseaux, alors qu'ils étaient, en 1973, à peu près
à la même période, de 9,682,000 boisseaux. La
différence majeure provient d'un surplus d'entreposage du mais
américain l'an passé. En effet, au 30 octobre 1974, il n'y avait
que 2,101,700 boisseaux de mais américain, comparativement à
4,236,300 en 1973. Ces entreposages se composent comme suit: le blé,
1,537,900; l'avoine, 1,059,900 toujours en termes de boisseaux
l'orge, 2,048,400; les criblures, 10,500; le mais canadien, 132,800; le mais
américain, 1,001,900; pour un total de 5,782,400 boisseaux. Ces
dernières informations, bien sûr, ne dissipent pas la menace de
pénurie de grains de provende au cours de l'hiver 1974-75 parce que les
stocks présentement sont un peu plus bas que ceux de l'an dernier. Mais,
même s'ils étaient au même niveau, on constate quand
même une certaine menace de pénurie. Par contre, et c'est cela qui
est le plus consolant, on prévoit pour le mois de novembre des
expéditions de4,650,000 boisseaux pour le blé, 1,635,000 pour
l'avoine, 4,960,000 pour l'orge et, quant au mais américain, 3,125,000;
pour un total de 14,870,000 boisseaux, ce qui ferait qu'à la fin de
novembre les entreposages au Québec seraient plus élevés
que ceux de l'an dernier. Si vous me le permettez, M. le Président, je
déposerais seulement quelques copies de cette déclaration.
DÉPÔT DE DOCUMENTS (suite)
LE PRESIDENT: Vous avez le droit de la déposer comme document
sessionnel, si vous le désirez.
Statistiques sur les grains de provende
M. TOUPIN: Je le peux? Alors, document déposé.
M. LEVESQUE: Article no 3).
LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: M. le Président, la loi...
M. LEVESQUE: Est-ce qu'on me permettrait...
M. SAMSON: Oui, oui.
M. LEVESQUE: J'avais mentionné tout à l'heure qu'il
était possible que la commission parlementaire du travail et de la
main-d'oeuvre ajourne à dix-huit heures. C'est une possibilité
peut-être éloignée, mais, afin de bien remplir la
journée, je suggère que nous fassions motion, et je le fais
immédiatement, pour que, si cette commission ajourne ses travaux
à dix-huit heures ou avant dix-huit heures, à vingt heures
quinze nous puissions procéder avec une autre commission
parlementaire, celle des richesses naturelles et des terres et forêts
pour l'étude article par article du projet de loi no 27, Loi modifiant
la loi des terres et forêts. Je donne cet avis et je fais motion,
également, pour que ceci arrive simplement s'il n'y a pas d'autre
commission qui siège.
M. BURNS: M. le Président, nous sommes d'accord. Si je comprends
bien, la motion est conditionnelle. Par contre, pour nous qui participons aux
travaux de la commission du travail et de la main-d'oeuvre, j'entretiens un
certain nombre de doutes sur le fait que nous aurons terminé nos travaux
ce soir, à moins que les parties n'aient décidé de
négocier, auquel cas notre intervention n'est plus nécessaire. Je
suis entièrement d'accord pour qu'on prévoie le cas où
nous aurions terminé les travaux.
M. BELLEMARE: M. le Président, simplement une remarque au leader
du gouvernement. J'aurais bien aimé être en Chambre pour entendre
le discours de l'honorable ministre de la Justice sur le projet de loi no 50.
Je crois que cela aurait été, pour moi particulièrement,
une source d'information. Comme je serai appelé à donner mon
opinion, je serai obligé de lire de nuit ce grand discours d'une heure.
S'il y avait possibilité que la commission parlementaire s'ajourne
à cinq heures, pour que le ministre de la Justice puisse faire son
premier exposé, cela nous avantagerait beaucoup parce que je serai pris
de l'autre côté et je ne pourrai pas être ici à cinq
heures pour entendre l'honorable ministre de la Justice.
M. LEVESQUE: Je comprends très bien les bonnes dispositions du
député de Johnson. Je lui rappellerai simplement les propos que
vient de tenir le député de Maisonneuve et je crois bien que les
chances que la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre ait
terminé ses travaux à dix-huit heures sont très minces. De
toute façon, même si le ministre parle maintenant à cinq
heures ou à vingt heures, je pense bien que si le député
de Johnson est à la commission parlementaire, il n'aura pas l'occasion
d'entendre le ministre de la Justice.
Cependant, je lui conseille je sais qu'il a certainement une
expérience de la lecture rapide de peut-être prendre
connaissance des galées, des épreuves du journal des
Débats, entre dix-huit heures et vingt heures quinze. Je suis sûr
qu'il peut, en deux heures quinze, lire quelque chose qui aurait pris une heure
à se dire.
M. BELLEMARE (Johnson): Je vais faire autre chose entre dix-huit heures
et vingt heures, je vais aller parler contre vous autres.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que cette motion conditionnelle, de
faire siéger la commission des terres et forêts, est
adoptée?
M. BURNS: Adopté.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté.
M. LEVESQUE: Conditionnellement.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Conditionnellement. J'ai dit "motion
conditionnelle". Le député de Rouyn-Noranda, sur le bill 26.
Projet de loi no 26
Deuxième lecture
M. Camille Samson
M. SAMSON: M. le Président, quand on nous a
présenté la loi 26 sur les agents de recouvrement, une chose nous
intéressait d'abord et avant tout, c'était d'entendre à la
commission parlementaire les représentants des agences de recouvrement,
les représentants de différents organismes
intéressés. La question qui a semblé se poser, à ce
moment-là, à certaines personnes était la suivante :
Est-ce que nous devons permettre la survie des différentes agences de
recouvrement ou si on ne doit pas profiter de l'occasion qui nous est
donnée d'en discuter pour les abolir purement et simplement?
A cette question je pense qu'avant de donner la réponse nous
devons, très objectivement, tenter de déterminer ensemble quels
sont les services qui peuvent être rendus par les agences de recouvrement
et dans quelle proportion ces services sont nécessaires et doivent
être rendus par elles. Nous devons aussi nous interroger sur les
différentes revendications qui nous viennent d'associations de
consommateurs, de travailleurs ou d'autres, nous disant que les méthodes
couramment utilisées par les différentes agences de recouvrement
font en sorte que c'est de la pression sur le consommateur. On est allé
même jusqu'à parler de pressions indues sur les consommateurs.
C'est pourquoi j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt
et de sérieux les différents organismes qui sont venus devant la
commission parlementaire.
Je vous avoue qu'à l'avance, par l'expérience que j'ai du
monde des affaires, je m'étais fait une opinion assez claire. Mais
d'écouter les experts des différentes associations, les personnes
concernées m'a permis de confirmer les prétentions que j'avais au
tout début de la commission parlementaire, à savoir que les
agences de recouvrement sont nécessaires et utiles. Donc, pour moi, il
n'est pas question d'envisager que l'on profite de la circonstance pour les
abolir. Il n'en est pas question parce que, dans le monde des affaires, dans le
monde du commerce, par exemple, les commerçants n'ont pas tous les
structures nécessaires et valables pour leur permettre de recouvrer
eux-mêmes leurs créances.
Donc, n'ayant pas ces structures valables pour le recouvrement des
créances, ils doivent pouvoir faire affaires avec un organisme
spécialisé. Les organismes spécialisés sont ou bien
des agences de recouvrement ou bien des avocats. La pratique veut que la
plupart des bureaux d'avocats aient beaucoup d'autres choses à faire que
du recouvrement. On peut en déduire qu'ils ne sont pas plus
intéressés qu'il le faut à faire du recouvrement de
créances. C'est pourquoi l'organisme spécialisé qu'est
l'agence de recouvrement a son importance. Il est impensable que nous
détruisions ce mécanisme et que nous disions, en quelque sorte,
aux hommes d'affaires: Débrouillez-vous avec vos comptes. Montez, dans
vos propres bureaux des bureaux de recouvrement.
Le commerce étant ce qu'il est, déjà très
difficile, les marges de profit étant de plus en plus réduites,
compte tenu du temps dans lequel nous vivons, je pense que ne pas permettre un
mécanisme adéquat pour le recouvrement des créances est
admettre que nous ne voulons pas favoriser l'entreprise privée. Je pense
que c'est bien connu que je suis un adepte de l'entreprise libre, l'entreprise
privée, l'entreprise concurrentielle.
Le gouvernement ne doit pas présenter des lois qui visent
à amener des contraintes qui risqueraient même la vie de
l'entreprise privée. Et quand je dis entreprise privée, je
pourrais aussi, dans le cas du recouvrement de créances, parler
d'entreprises mixtes, par exemple. Dans le domaine du recouvrement des
créances, on doit admettre et ça même les plus
bornés l'admettront que quelqu'un qui vend des choses doit
pouvoir s'attendre à être payé. Cela est absolument normal.
Ce n'est pas au nom de fausses conceptions de la protection du consommateur,
par exemple, qu'on réglerait ce problème.
J'ai entendu des gens, devant la commission parlementaire, se
réclamer des protecteurs du consommateur en même temps qu'ils se
réclamaient de vouloir amener l'abolition des agents de recouvrement,
tout comme s'ils nous avaient dit à peu près carrément, en
pleine face, qu'on peut permettre à tout le monde d'acheter quoi que ce
soit, sans condition, sans garantie de paiement. C'est impensable, on ne
réglera jamais le problème que ces gens voulaient régler
en ne permettant pas que quelqu'un qui est en affaires puisse recouvrer le
paiement des choses qu'il a vendues. Autrement, si on permettait cela, cela
voudrait dire qu'on est prêt à laisser crouler tout le monde des
affaires pour en laisser rebâtir un, peut-être d'une autre sorte,
où on enlèverait toute forme de concurrence.
M. le Président, ma position et la position de notre parti est
très claire là-dessus. Nous sommes d'accord que les agences de
recouvrement doivent continuer, mais, et c'est là la nuance importante
que nous apportons, c'est qu'il ne faut pas les laisser continuer à tort
et à travers. Suivant les informations que nous avons, suivant
l'expérience vécue en ce domaine, il arrive que, dans la pratique
générale, certains agents de recouvrement, dont les bureaux sont
en même temps combinés avec des bureaux de crédit, par
exemple, utilisent des méthodes qui sont inacceptables, comme appeler un
consommateur à son lieu de travail et l'appeler souvent.
M. le Président, je m'excuse de l'expression, mais c'est
l'expression qui est utilisée dans le milieu: Pour un bureau de
crédit ou une agence de recouvrement, appeler un consommateur à
son lieu de travail, plusieurs fois par jour, cela s'appelle écoeurer le
monde. Dans le milieu, c'est comme ça qu'on dit ça et je m'excuse
de l'expression.
Mais il arrive que non seulement les agences de recouvrement ne sont pas
capables de recouvrer la créance, mais qu'en plus elles mettent en
péril l'emploi de ce consommateur. Or, c'est ce genre de choses, ce
genre d'abus, qui est assez courant, qu'il nous faut absolument empêcher.
Egalement, on peut utiliser une autre formule: en correspondant avec un
consommateur, on lui envoie de belles lettres qui ressemblent à des
lettres d'avocats, qui ressemblent à des lettres d'un homme de loi
quelconque. Cela s'appelle de la fausse représentation, faire peur au
monde avec des formules qui ne sont pas légales dans le fond, qui ne
sont pas exactement et qui ne disent pas exactement ce qu'elles doivent
dire.
Or, ce genre de méthodes, de tactiques doit être absolument
prohibé. En plus de ça, le ministre a eu raison de nous laisser
voir qu'il y aura des infractions aux causes. C'est important, M. le
Président, parce que, dans ce domaine, il ne s'agit pas uniquement
d'émettre des voeux pieux, mais il nous faut absolument bien
protéger le consommateur. Il faut que le consommateur connaisse ses
droits, qu'il sache bien que l'agence de recouvrement n'a pas le droit de
l'appeler à son domicile avant une certaine heure le matin et
après une certaine heure le soir, par exemple, que la population le
sache bien. Je pense que le ministre aura beaucoup d'avantages à faire
connaître cette loi dans le public pour que le consommateur connaisse
très bien ses droits.
Egalement, ce genre de formules qui sont envoyées au consommateur
en leur disant: C'est votre deuxième avis et un troisième avis va
vous coûter tant pour cent plus cher. Ou encore un appel interurbain est
logé par l'agence de recouvrement, aux frais du consommateur, et on lui
dit: Si vous refusez de payer les frais de l'appel, cela va vous coûter
plus cher, on envoie le compte tout de suite chez l'avocat et des choses comme
ça.
Alors, ce sont des choses que nous connaissons. Ce sont des pratiques
que nous connaissons et que nous voulons voir abolir. L'agence de recouvrement,
je le reconnais, a un rôle à jouer; à la condition qu'elle
le joue d'une façon normale, on n'aura rien à y redire. Mais,
présentement, ce n'est pas comme ça que cela se fait. Ou encore
une autre méthode qui est utilisée assez fréquemment:
Quand un consom-
mateur, par exemple, a des paiements qui retardent soit pour une voiture
qu'il a achetée, soit pour un appareil ménager, un appareil de
télévision ou d'autres choses, on confie cela à une agence
de recouvrement et des gens se présentent chez le consommateur sous de
fausses représentations en quelque sorte en ne disant pas clairement qui
ils représentent. Là, comme par hasard, il arrive que ces gens se
font accompagner d'une personne qui est généralement assez grande
et assez costaude, ce que nous appelons dans le jargon du métier des
armoires à glace. Et l'armoire à glace ne dit pas un mot. C'est
l'autre qui fait le travail en disant: Ecoutez, vous êtes mieux de payer
ce soir parce que, si vous ne payez pas ce soir, il peut vous arriver n'importe
quoi. Vous savez, on a connu tellement de gens qui se sont fait casser les
jambes comme ça, parce qu'ils ne voulaient pas payer à temps ou
des choses comme ça. L'autre ne dit jamais un mot à
côté, mais sa présence est suffisante pour intimider les
personnes qui sont concernées.
C'est le genre de chose qui se produit dans ce domaine.
Il y a également le fait que l'agence de recouvrement,
après avoir communiqué avec un client, une fois que le client a
contesté la créance en disant qu'il ne doit pas ces sommes et
qu'il y a des arrangements de pris avec le marchand concerné, a comme
habitude de continuer à harceler le client pour tenter de
réclamer encore de l'argent, quitte à faire les ajustements par
la suite. Evidemment, vous avez bien compris, M. le Président, que ces
méthodes sont pour tenter d'aller chercher la commission, quand
même, malgré le fait que la personne ne doit pas ces sommes.
Ce sont des méthodes que nous n'admettons pas, que nous
n'admettons pas non plus.
M. le Président, je pense qu'à l'occasion de discussions
en commission parlementaire, nous avons couvert plusieurs de ces points, mais
il y a une chose que je n'ai pas retrouvée, à moins que je n'aie
pas lu comme il faut ce que le ministre nous a présenté comme
étant des amendements qu'il veut nous apporter. Nous avions
manifesté, à l'occasion de la commission parlementaire, le
désir que soit incluse dans la loi une disposition à l'effet que
le consommateur lui-même puisse porter plainte contre toute
méthode utilisée par les agences de recouvrement et qui pourrait
être à l'encontre de la loi.
Pourquoi avions-nous suggéré cela? C'est que, bien
entendu, si on laisse à l'Office de la protection du consommateur ou
encore à un ministre la besogne d'intenter les poursuites et de
rechercher à intenter les poursuites en faisant, si vous le voulez, une
espèce d'enquête permanente, je pense que cela ne serait pas trop
trop pratique.
M. TETLEY: Est-ce que le député me permet une
question?
M. SAMSON: Oui, M. le Président.
M. TETLEY: Je trouve votre suggestion intéressante, mais puis-je
vous demander de préparer le plus tôt possible le texte de votre
amendement, parce que le ministère de la Justice et les avocats, vous
savez vous connaissez les avocats gardent certains droits
jusqu'à la mort et parfois après la mort? Ils envoient cela par
testament à leurs successeurs, pour de bonnes raisons parfois.
Donc, au sujet du droit que vous suggérez, je crois que c'est un
amendement à l'article 40 "Des poursuites en vertu de la
présente loi sont intentées par le directeur, etc.," bla bla bla
j'aimerais voir votre amendement parce que si c'est possible, je peux
entreprendre non pas des procédures avec le ministre de la Justice mais
des négociations si c'est possible.
M. SAMSON: M. le Président, je ne voudrais pas...
LE PRESIDENT: Nous sommes un peu dans l'irrégularité
actuellement, parce que nous sommes sur une question d'article. Ce débat
devrait avoir lieu en commission plénière. Je le comprends,
mais...
M TETLEY: ... principe.
LE PRESIDENT: D'accord. Qu'on s'en tienne au principe sans la lecture de
l'article.
M. SAMSON: M. le Président, c'est peut-être un peu pourquoi
je n'avais pas voulu toucher à l'article tantôt, mais je n'en veux
pas du tout au ministre, parce que je pense que c'est sur une base
pratique.
Dans le fond, des deux côtés de la Chambre, on recherche un
peu la même chose. C'est que le consommateur puisse être utile,
pour les fins de la poursuite, et qu'il puisse être utile aussi pour les
fins de détection des infractions.
Maintenant, peut-être que le ministre pourrait demander à
ses conseillers de reformuler, en fonction de l'article qui est
concerné, un article qui rejoindrait ce principe. Je voudrais bien me
faire comprendre. Je ne voudrais pas que soient enlevées au procureur
général, par exemple, les prérogatives qui sont les
siennes, c'est-à-dire d'effectuer les poursuites. Le mécanisme
que je suggère, c'est qu'on mette, si vous le voulez, davantage à
contribution le consommateur dans les mécanismes appelés à
entraîner des poursuites.
Cela veut dire, à mon point de vue, que c'est le procureur
général qui devrait, quand même, faire les poursuites, mais
sur demande d'un consommateur, d'un client qui s'est senti frustré et
qui apporte des preuves. Tous les adjoints du procureur général
devraient être habilités, je pense, à prendre
immédiatement ces choses-là. Peut-être qu'il serait valable
de songer à une disposition qui pourrait ressembler à celle que
nous voyons dans la loi sur l'étiquetage bilingue, où les
consommateurs peuvent déposer une plainte et recevoir une partie de la
contraven-
tion advenant qu'ils aient gain de cause. Cela amène les
consommateurs, dans ces cas-là, à être très
vigilants, et cela amènerait également les agences de
recouvrement à l'être. Les agences de recouvrement seraient ainsi
beaucoup plus appelées à respecter l'ensemble de la loi qui sera
la leur et à être beaucoup plus respectueuses des pratiques
normales et à ne pas faire de pratique anormale. C'est une...
M. TETLEY: Le distingué député de Rouyn-Noranda me
permettrait-il une question?
Si, par hasard, le juge décide que l'homme devrait aller en
prison pour six mois, qu'est-ce qu'il y a pour le citoyen? Il y va pour trois
mois ou est-ce qu'il a un crédit pour trois mois?
M. SAMSON: Dans ce cas-là, M. le Président, je permettrais
au ministre de se substituer à cette personne-là.
C'est le sens de ma suggestion. Je laisse le soin aux conseillers et aux
experts qui ont préparé la loi de nous présenter, avant la
troisième lecture, peut-être quelque chose qui pourra concorder,
parce que je pense qu'on est d'accord qu'il nous faut assurer une protection
aux consommateurs de ce côté-là.
M. le Président, je n'en dirai pas plus long. Je pense que le
sujet d'ailleurs cela va faire plaisir à mon collègue, le
député de Rosemont est couvert, en ce qui me concerne. Ce
que je voulais faire valoir, c'est que les agences de recouvrement sont
nécessaires. Par contre, il est aussi nécessaire de bien
protéger le consommateur. A mon sens, elles sont nécessaires
à la condition qu'elles agissent normalement. Je considère qu'il
est du devoir du gouvernement de mettre toutes les clauses nécessaires
dans cette loi pour que les agences de recouvrement agissent normalement.
Merci, M. le Président.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député de
Charlesbourg.
M. André Harvey
M. HARVEY (Charlesbourg): M. le Président, je serai assez bref
à mon tour puisque le projet de loi no 26, étudié en
commission parlementaire, a pu, en partant, par l'audition des organismes
intéressés, être extrapolé davantage. C'est pourquoi
je me résumerai à dire tout simplement que le principe de cette
loi en deuxième lecture donne en fait des additions à l'ensemble
des lois visant à protéger le public. C'est coiffé par un
ministère qui se veut à la fois le protecteur du citoyen, du
Québécois, le consommateur. Lorsqu'on voit que le projet de loi
rend obligatoire l'obtention d'un permis pour les vendeurs, on n'a qu'à
se rappeler quel bienfait a été apporté par l'adoption des
permis obligatoires dans le cadre de la loi 45, dans le cas des vendeurs
itinérants. Ceci a eu pour effet de bonifier et d'améliorer ce
secteur qui était exploité parfois sous de fausses
représentations par des vendeurs peu scrupuleux. Ce projet de loi no 26
oblige d'avoir en dépôt ou en fiducie, si vous voulez, les sommes
d'argent recouvrées par les agences, en plus d'un service d'inspection
qui sera obligatoire et nécessaire par le ministère des
Institutions financières, en plus d'un "bound" de garantie, excusez
l'anglicisme, d'une assurance de garantie pour les dépôts. Elle
pourra elle aussi, cette dernière mesure, avoir pour effet d'assainir le
secteur des agents de recouvrement et prévoir des pratiques qu'il sera
interdit d'utiliser pour le recouvrement. On a fait état, tout à
l'heure et la semaine dernière, des méthodes plus ou moins
catholiques qui étaient employées par certains agents de
recouvrement. Alors, je pense que la disposition interdisant certaines
méthodes de recouvrement aura elle aussi son effet.
Lorsque j'entendais, la semaine dernière, l'unilinguiste de
Lafontaine s'en prendre au ministre des Institutions financières alors
qu'il s'exprimait dans sa langue maternelle et dans un français
châtié, soit dit en passant, un français qui se veut
à la mesure et davantage même du français employé
par l'unilinguiste de Lafontaine, je trouvais que c'était franchement le
seul coup bas qui pouvait être logé dans cette mesure ou dans
cette loi qui vient, elle aussi, couvrir un secteur qui n'était pas
encore couvert, si ce n'est que les agences de recouvrement pouvaient exister
en vertu de certains règlements, mais maintenant elles sont assujetties
à une loi.
Il disait, par exemple, le député de Lafontaine,
écoutez bien son raisonnement: "Un consommateur est un emprunteur et il
doit savoir ce à quoi il s'engage." Mais son principe était que
le prêteur lui-même devait, en fait, y aller de ses propres moyens
pour recouvrer son argent, non pas passer par le biais d'une agence de
recouvrement. Ce qui veut dire que le consommateur pourrait aller emprunter
n'importe où, quelle que soit sa réputation personnelle; il peut
mentir ou faire de fausses déclarations, ou de la fausse
représentation, mais pour le recouvrement, même s'il se soustrait
aux obligations pour lesquelles il a déjà signé, on laisse
à elle-même la compagnie ou l'entreprise prêteuse devant un
consommateur qui, lui aussi, peut avoir des défauts et faire aussi de la
fausse représentation.
Je pense que le mal n'est pas seulement du côté des
compagnies prêteuses puisque, encore là, dans le cadre de la loi
45, il y a eu un assainissement par l'obligation de publier le taux
d'intérêt prêté sur les sommes; cela s'est
étendu même au système bancaire et par ricochet dans le
cadre des compagnies prêteuses, c'est-à-dire les compagnies de
finance. Je pense que poser un raisonnement de la sorte dire qu'il y a
seulement des méchants du côté des compagnies
prêteuses c'est ne pas reconnaître le système dans
lequel nous vivons. Evidemment, il y a toujours place à de
l'éduca-
tion en matière d'endettement; il y a toujours place en
matière d'information et de formation du jeune consommateur et je pense
que cela a déjà été reconnu. Il se fait
véritablement des efforts, tant du côté du ministère
de l'Education que des institutions bancaires et des institutions
coopératives qui, elles aussi, ont un mandat et un code d'éthique
qui leur permettent d'assainir le milieu des emprunts ou le milieu
financier.
Je pense que la clarification qui est apportée dans le cadre de
la loi 26, première phase, et des six nouvelles précisions qui
seront en correction à cette loi, viennent réellement, dans
l'immense majorité des mémoires, se coller à la
réalité et aussi aux requêtes qui nous ont
été formulées. M. le Président, je termine
là en appuyant le principe de cette loi 26 et en félicitant le
ministre de l'avoir apportée devant cette Chambre.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): The Honourable member from
Brome-Missisquoi.
M. Glendon Brown
M. BROWN: Mr Speaker, it gives me a great deal of pleasure to back and
speak for this bill 26. During the eighteen years that I have been a member,
there is no one item that has come before me as much as collection agencies,
and it is dealing with the poor people and people who are in a misery
situation, that these collection agencies have actively tyrannized a great many
women and children and people that are not in right circumstances, for instance
a woman who has a husband that has been put in jail and their furniture is not
paid for it. Under the old rules and regulations, a collection agency would
come in and partly take this furniture out of the house.
It is a bill, and I feel that this is the reason I want to talk for the
bill, that is for the poor people. It does not touch the richer people because
they can pay their accounts.
But in the past, certainly there are been many undesirables, finding a
job in a miserable position to terrorize people, who made victims of women and
children and I am extremely pleased that this is going to be regulated by this
bill.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député de
Taschereau.
M. Irénée Bonnier
M. BONNIER: M. le Président, dans cette Chambre, il y a
différentes sortes de discussions, toutes sortes de sujets qui nous sont
proposés, toutes sortes de projets de loi. Ce qu'on oublie parfois,
c'est d'établir une relation entre ces différents projets de loi
qui nous sont proposés et de voir jusqu'à quel point les travaux
de cette Chambre constituent tout un édifice pour l'orientation d'une
société. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il y
a une relation entre l'augmentation des allocations sociales, qui a
été soulevée la semaine dernière, l'inflation qui a
également été abordée et ce projet de loi sur les
agents de recouvrement.
En effet, ceux qui font l'objet de recouvrement, comme vient de le
souligner avec beaucoup d'à-propos le député qui m'a
précédé, ce sont des gens qui, malheureusement, sont en
difficulté financière pour une certaine période. Ces
mêmes gens se retrouvent souvent du côté des assités
sociaux. C'est avec raison qu'il faut, non pas pour les aider à payer
des anciennes dettes, mais beaucoup plus pour les aider à joindre les
deux bouts, examiner de temps à autre des ajustements aux allocations
sociales.
Par ailleurs, on sait fort bien que, dans une période
d'inflation, ce sont les gens qui ont des revenus limités et surtout des
revenus fixes, qui, parfois sont davantage affectés. Ils doivent se
procurer des biens qui coûtent de plus en plus cher et, leur pouvoir
d'achat étant jusqu'à un certain point réduit, ils ont de
plus en plus de difficulté à subvenir à leurs besoins.
M. le Président, nous devons donc accepter la suggestion du
ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives
d'examiner le principe du projet de loi no 26 qui porte sur les agents de
recouvrement. Je crois qu'il faut également féliciter le ministre
de ce geste à ce moment-ci, parce qu'il s'impose. C'est un très
bon ministre.
Je voudrais également souligner que c'est avec beaucoup de
satisfaction aussi que nous avons appris qu'un amendement serait apporté
à ce projet de loi, pour préciser qu'il ne concerne pas les
transactions entre marchands, mais bien entre le marchand et le consommateur.
Il s'agissait là d'une espèce de malentendu dans la
rédaction du premier texte et je crois qu'avec cette nouvelle
précision nous nous trouvons de plain-pied dans le domaine de la
consommation.
Nous savons fort bien que toute cette question des agents de
recouvrement s'est développée de plus en plus à mesure que
notre société avait recours au crédit. Notre
société de production a constaté, à un moment
donné, qu'il fallait de plus en plus de consommation si on voulait que
les entreprises continuent à produire et il s'est installé une
espèce de cercle vicieux. On a insisté sur la consommation, mais,
en même temps, comme on voulait que les individus consomment davantage,
il a fallu mettre sur pied de nouveaux instruments et une insistance de plus en
plus grande sur le crédit.
Or, le crédit en soi n'est pas mauvais, puisqu'il permet à
un certain nombre de consommateurs d'utiliser à l'avance les avantages
de biens mobiliers comme des réfrigérateurs ou d'autres
biens semblables, même d'une voiture dont ils ont absolument
besoin, même s'ils
ne peuvent utiliser tout le montant d'épargne qu'ils ont dans
leur compte d'épargne en vue d'acheter ces biens. Ils peuvent donc les
acheter à l'avance et en jouir, à condition qu'ils aient les
moyens suffisants pour les payer au mois ou à la semaine, selon qu'il
convient.
Donc, le principe du crédit n'est pas faux en soi; il a
certainement aidé à stimuler l'ensemble de l'économie
nord-américaine et il s'est répandu dans d'autres régions
également. Mais, arrivé à un certain point, on l'a
tellement poussé au bout qu'on s'est rendu compte qu'un certain nombre
d'individus n'étaient pas capables de faire des remboursements comme les
autres. On s'est rendu compte que la publicité qui s'adressait
peut-être à des gens qui avaient $10,000 par année
était également écoutée par des gens qui en avaient
$5,000 ou $6,000. Ces gens-là se sont imaginé que les biens qui
leur étaient offerts par les moyens publicitaires devaient être
aussi appropriés pour eux que pour leurs voisins. C'est sûr
qu'à ce moment-là s'est établie ce qu'on a appelé
une certaine société de consommation, que M. Galbraith a
appelée la société d'opulence, avec les
inconvénients qui en ont résulté vis-à-vis du
crédit. Parce que tous les individus ne sont pas nécessairement
sur le même pied, parce qu'ils n'ont pas tous les mêmes
possibilités de revenu, les mêmes possibilités de
remboursement lorsqu'ils ont accès au crédit, il s'est
installé un certain déséquilibre. Il a fallu que les
marchands aient recours à des intermédiaires afin de recouvrer le
crédit où il était difficile à percevoir. C'est
à ce moment-là que s'est installé le système des
agents de recouvrement.
Ce qu'on a oublié, c'est que les marchands les ont chargés
de recouvrer du crédit qui était plus ou moins bon, et ces agents
ont utilisé des méthodes qui sont plus ou moins honnêtes,
plus ou moins morales. Je crois que l'avantage de ce projet de loi est qu'il va
mettre de l'ordre dans le recouvrement du crédit. Il va empêcher
un certain nombre d'abus. Il ne faudrait pas que les agents de recouvrement se
considèrent comme des policiers qui sont là pour prendre en
défaut le consommateur. Il faut bien se rendre compte que le
consommateur, qui n'a pas toujours les moyens suffisants pour se procurer les
biens qu'il désire acheter comme son voisin, n'est pas toujours
entièrement responsable. Il se laisse malheureusement influencer,
anonyme qu'il est dans une société urbaine et
industrialisée, par les moyens de communication de niasse et il tombe
dans certains défauts. Il faudrait plutôt qu'à travers
cette loi les agents de recouvrement se considèrent beaucoup plus comme
des individus qui sont là pour aider le consommateur à mettre de
l'ordre dans leurs finances, à mettre de l'ordre dans le
crédit.
Il faut bien se rendre compte que les agissements des agents de
recouvrement ont été responsables dans le passé non
seulement de la faillite d'individus, mais de la faillite d'un certain nombre
de commerces. Si vous avez une bonne proportion de consommateurs qui, à
un moment donné, poursuivis qu'ils étaient par des agents de
recouvrement, ne retournent plus acheter les effets dont ils ont besoin, au
risque même d'utiliser un bon crédit de temps à autre, ceci
a un effet négatif sur l'ensemble de l'économie, c'est
indéniable. Si les marchands eux-mêmes n'y prennent garde, c'est
sûr qu'un secteur de l'économie risque de s'effondrer à un
moment donné.
Il faut donc que les agents de recouvrement se considèrent
eux-mêmes comme des aides vis-à-vis du consommateur et non pas
comme des policiers qui, par toutes sortes de moyens, essaient de les faire
tomber dans un traquenard ou de leur forcer la main plus qu'ils ne sont
capables de le faire, vis-à-vis des remboursements possibles pour tel ou
tel consommateur.
A ce moment, on détruit non seulement le consommateur, son
pouvoir de crédit éventuel, mais on le détruit en tant que
personne.
Je crois, en second lieu, M. le Président, que les agents de
recouvrement devraient aider l'individu à ne pas s'endetter outre
mesure, parce que ceci est au détriment de l'ensemble de
l'économie du Québec. On se rend compte, à l'heure
actuelle, M. le Président, qu'il y a au Québec un niveau de
consommation beaucoup trop élevé, par rapport à nos
moyens. On a dit, l'autre jour, qu'il était possible probablement,
à travers nos épargnes, de faire fonctionner notre
économie, mais il reste bien que ces épargnes ne sont
malheureusement pas orientées suffisamment du côté de la
production mais du côté de la consommation. De ce point de vue, je
crois que ce projet de loi, qui nous a été apporté par le
ministre des Institutions financières, Compagnies et
Coopératives, devrait aider les agents de recouvrement à
valoriser leur rôle et à les rendre conscients du fait qu'ils ne
sont pas là pour prendre en défaut le consommateur, mais beaucoup
plus pour l'aider à mieux utiliser le crédit.
Avant de terminer, M. le Président, étant donné que
nos lois sont interreliées, jusqu'à un certain point, dans
l'édification globale d'une société, je crois qu'il y
aurait lieu d'examiner, très bientôt, l'ensemble des agents de
crédit et de toutes les lois, autant fédérales que
provinciales, qui doivent réglementer le crédit, de façon
que ces agents de recouvrement soient de moins en moins nécessaires dans
notre société.
Merci.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député
d'Anjou.
M. Yves Tardif
M. TARDIF: M. le Président, le projet de loi no 26 que nous avons
devant nous et qui porte sur les agents de recouvrement contient, à mon
avis, deux principes fondamentaux. Ces principes fondamentaux visent tout
d'abord à la protection du public en général et
également à
la protection des créanciers, c'est-à-dire les personnes
qui confient le recouvrement de leurs comptes en souffrance a des agents de
recouvrement.
Deuxièmement, le projet de loi no 26 établit une
espèce de cadre qui va permettre à certaines personnes qui sont
exclues par l'article 2 de recouvrer des créances en souffrance.
M. le Président, le projet de loi no 26 constitue d'abord une
protection vis-à-vis du public en général et
vis-à-vis des débiteurs, en ce sens qu'il établit
certaines règles qui n'existaient pas auparavant et qui visent à
accorder une protection plus grande, une protection qui n'existait pas dans
l'ancienne loi, à ceux qui doivent un montant d'argent à un
créancier et qui sont poursuivis par des agents de recouvrement pour le
paiement de ce compte.
Nous n'avons qu'à regarder l'article 26 du projet de loi qui
mentionne un bon nombre de pratiques qui seront désormais
défendues par la loi et que l'agent de recouvrement ne pourra plus
utiliser, désormais, dans ses fonctions.
Egalement, ce projet de loi no 26 donne une protection vis-à-vis
du créancier, c'est-à-dire le mandant. Auparavant, il va de soi
qu'avec la loi qui existait, il était assez difficile pour le
créancier de savoir précisément ce qui se passait
relativement à un certain nombre de comptes qu'il avait confiés
pour fins de perception. C'était peut-être difficile pour le
créancier de savoir précisément ce qui se produisait,
justement parce que dans la loi il n'existait pas vraiment d'obligation pour le
percepteur de rendre compte au mandant. Mais si on jette un coup d'oeil assez
attentif sur le projet de loi, on se rend compte que, désormais, l'agent
de recouvrement devra maintenir en vigueur un cautionnement qui sera en
proportion de son chiffre d'affaires. Egalement, il devra maintenir les fonds
appartenant au créancier dans un compte en fiducie. Et
troisièmement, il ne pourra réclamer de son mandant une
rémunération supérieure à celle qui est
prévue dans un contrat.
Voilà trois faits qui sont maintenant inscrits dans le projet de
loi et qui vont permettre au créancier de savoir
précisément de quoi retourne un compte.
Ils vont permettre aux créanciers de savoir, à un certain
moment, ce qui a été perçu par l'agent de recouvrement
alors que, bien souvent, dans le passé, l'agent de recouvrement
percevait certaines sommes et ensuite il s'envolait.
L'ancienne loi avait un bon nombre de lacunes. Je pense que tout le
monde est d'accord là-dessus. Suffit-il de mentionner que cette loi ne
contenait que neuf articles et qu'elle ne couvrait que deux pages de texte. Les
dispositions qui étaient incluses dans cette loi étaient
tellement élastiques qu'elles ont sûrement permis qu'un bon nombre
d'abus puissent se produire.
Les députés de Rouyn-Noranda et de Lafontaine ont fait
part d'un certain nombre de ces abus. Je pense que, d'autre part, on ne doit
pas généraliser en disant que ces abus constituaient une
règle générale. Le député de Lafontaine,
entre autres, dans un texte qu'il a lu et qui était manifestement
préparé par un autre, nous a cité le cas d'une personne
qui avait été appelée par un agent de recouvrement et
laquelle personne se faisait passer pour un médecin. Cela est un cas
dont on a entendu parler à plusieurs reprises. Je ne dis pas que cela ne
s'est pas produit mais je pense qu'il ne faudrait pas généraliser
et dire que cela s'est produit constamment.
Le député de Rouyn-Noranda a semblé faire une
certaine équation entre des agents de recouvrement il n'a pas
mentionné la proportion et des casseurs de jambes. J'imagine que
c'est une chose qui a pu se produire à plus d'une reprise. Je ne doute
pas de la parole du député de Rouyn-Noranda lorsqu'il dit que
cela s'est produit. Mais, encore là, dire que tous les agents de
recouvrement ont eu ou ont recours à des méthodes telles que
celles mentionnées par le député de Rouyn-Noranda et le
député de Lafontaine, je pense que c'est une
généralisation qui est trop facile.
Si on veut réprimer ces abus, qui ont été
relativement nombreux, je pense que la meilleure façon de rejoindre le
but qu'on s'est fixé, c'est d'adopter le projet de loi no 26. Ce projet
de loi contient des dispositions, comme je l'ai mentionné tout à
l'heure, qui sont beaucoup plus sévères à l'égard
des agents de recouvrement et qui ne permettront pas de jouer à la fois
les créanciers et les débiteurs comme ils ont pu le faire
auparavant.
UNE VOIX: Très bien.
M. TARDIF: Dans le discours du député de Lafontaine, je
n'ai pas réussi à savoir si, effectivement, il était en
faveur de la loi ou s'il était contre. A un moment donné, il
parlait en faveur de certaines dispositions de la loi. A un autre moment, il
aurait préféré qu'on abolisse tout simplement les agents
de recouvrement. A un moment donné, le député de
Lafontaine a dit: Nous aimerions que la disparition de ces agents de
recouvrement soit prévue et que ce soit l'intention du gouvernement. Il
n'est pas le seul à avoir le même point de vue. Je pense que
l'ACEF également s'est présentée devant la commission
parlementaire et a eu une position semblable. Je recevais ce matin un
mémoire du Centre communautaire juridique de Montréal qui disait
inter alia: L'agent de recouvrement se présente plutôt comme un
facteur de ralentissement des échanges. Tout en n'étant pas
d'accord sur les formules ou les façons d'agir des agents de
recouvrement dans le passé et actuellement, je me demande si l'abolition
complète de ce phénomène que sont les agents de
recouvrement constituerait une solution préférable à la
solution qu'a semblé proposer, à un moment ou l'autre, le
député de Lafontaine et à la solution qu'ont
proposée, de façon bien catégorique, le Centre
communautaire juridique de Montréal et l'ACEF.
S'il n'y avait pas d'agences de recouvrement, que devrions-nous faire
à ce moment-là? Les créanciers n'auraient pas grand choix,
soit qu'ils devraient essayer eux-mêmes de percevoir le compte ou soit
qu'ils devraient confier le compte aux avocats. Mais, je comprends la
réticence d'un certain nombre de créanciers à
l'idée de confier à certains avocats la perception d'un compte.
Lorsqu'il s'agit d'un petit compte d'environ $100 et que la compagnie est
incorporée, si la compagnie en question prend action et que, pour une
raison ou pour une autre, elle obtienne jugement, ou pas, en sa faveur, il n'en
reste pas moins que les frais de cour vont être passablement plus
élevés.
Lorsqu'une compagnie incorporée confie à un avocat la
perception d'un compte de $100 ou $150, les frais judiciaires vont
s'élever à environ $60 à $80. Et, étant
donné que c'est un montant inférieur à $300, le
débiteur ne sera forcé de payer les frais que pour $10, ce qui
signifie que le créancier va devoir payer à son avocat une somme
additionnelle de $50, $60 ou $70.
On peut comprendre que ces personnes soient un peu hésitantes
à aller voir un avocat pour confier la perception de leurs comptes.
Même lorsqu'il s'agit de montants plus élevés, cela
n'intéresse pas toujours les avocats, M. le Président, de
percevoir certains comptes qui leur viennent de façon
régulière, de façon systématique, ne serait-ce que
parce que les avocats, bien souvent, ne sont pas équipés pour
retracer certains débiteurs, alors que les agents de recouvrement sont
mieux équipés pour jouer ce rôle.
M. le Président, si on devait abolir la fonction d'agent de
recouvrement, je pense qu'on rendrait un mauvais service à ceux qui sont
peut-être les moins bien nantis dans la société, en ce sens
qu'il y aurait une restriction du crédit. Un bon nombre de
commerçants se diraient tout simplement: Désormais, nous allons
vendre, mais nous ne ferons pas crédit. Nous demanderons d'être
payés comptant.
S'il fallait que cela se produise, ce ne serait certainement pas les
gens qui font $10,000, $20,000, $30,000, $40,000 ou $50,000 qui seraient les
premiers à en souffrir. Ce serait les gens qui sont moins bien nantis,
ceux qui ont un salaire moins élevé, ceux qui ont des revenus
moins élevés.
M. le Président, lorsqu'on demande purement et simplement
l'abolition des agents de recouvrement, cela paraît facile, parce que
c'est beaucoup plus facile de demander l'abolition d'une chose que d'essayer de
la réformer, cela va de soi. C'est plus difficile de construire avec du
vieux que de demander l'abolition pure et complète d'une chose qui
existe depuis un certain temps.
Lorsqu'on demande l'abolition, M. le Président, il faudrait tout
de même tenir compte des conséquences sociales que cela peut
impliquer et tenir compte également du fait que ce sont ceux qui sont
les moins bien nantis dans la société qui risquent d'en
pâtir.
M. le Président, quant à moi, je suis convaincu du
bien-fondé du projet de loi no 26. J'estime que cela va mieux aider les
agents de recouvrement à remplir la fonction qui leur a
été confiée. J'estime également que les
créanciers seront mieux protégés parce qu'ils sauront
précisément où ils en sont vis-à-vis d'un certain
compte. J'estime finalement que le public en général et plus
particulièrement les débiteurs seront mieux
protégés parce qu'ils sauront désormais que les agents de
recouvrement ne doivent pas recourir à certaines mesures auxquelles ils
ont souvent recouru dans le passé.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Le député de
Bellechasse.
M. Pierre Mercier
M. MERCIER: M. le Président, après avoir entendu mes
collègues, je vois difficilement les choses que nous pourrions ajouter
à ces commentaires fort intéressants et à ces
appréciations sur le projet de loi no 26.
J'aimerais tout d'abord peut-être, suite aux travaux de la
commission parlementaire qui ont précédé la
présentation de ce projet de loi, souligner de façon
particulière l'ouverture d'esprit dont le ministre des Institutions
financières, Compagnies et Coopératives a fait montre à
cette commission. Cette ouverture d'esprit, cette réceptivité
face aux suggestions qu'il a accueillies favorablement, de part et d'autre,
témoignent justement de cette personnalité remarquable que
présente l'honorable ministre des Institutions financières,
Compagnies et Coopératives.
Je pense que c'est tout à son honneur et je voudrais, pour ma
part, le féliciter de cela. Autant à cette commission, au cours
de laquelle nous avons eu l'occasion de discuter des représentations qui
ont été faites par différentes associations, qu'à
d'autres commissions, nous avons toujours l'occasion de constater ce grand
esprit de démocratie qui caractérise le ministre des Institutions
financières, Compagnies et Coopératives.
Je voudrais le féliciter également pour ce projet de loi
no 26 que nous étudions aujourd'hui, qui vient corriger et
améliorer de façon considérable le statut de ces personnes
qui étaient, dans le passé, affectées à la
perception de comptes pour différentes maisons.
Nous avons entendu des commentaires, au cours de l'après-midi,
faisant état de situations déplorables qui se sont produites dans
le passé. Même en commission parlementaire, des exemples concrets
nous furent cités, faisant état de personnes qui ont subi un
préjudice, et même un préjudice grave, tant sur le plan
moral que physique, de la part de certains percepteurs de comptes. Je crois que
tous, nous avons été
conscients, à un moment quelconque, d'exemples, dans notre
entourage, de ce genre de méthodes que nous avons
déplorées dans le passé et que le projet de loi no 26
vient corriger.
Evidemment, tout ceci, M. le Président, remonte à des us
et coutumes antérieurs, à des méthodes qui, il y a
peut-être quinze ou vingt ans, ne laissaient pas percevoir de
problèmes majeurs et pouvaient, pour plusieurs propriétaires de
petits commerces, faciliter les choses en passant comme ça les
créances à des individus qui se chargeaient de les percevoir.
Mais c'est toujours évidemment lorsqu'il y a abus dans un domaine
d'activité quelconque que le gouvernement est invité à
agir pour ordonner ou coordonner l'action de ces personnes à
l'intérieur d'une profession donnée, établir des
règles d'éthique, un code d'éthique et aussi pour
protéger, dans l'ensemble, les consommateurs.
Nous l'avons vu par différentes lois qui ont été
adoptées antérieurement, particulièrement touchant la
protection du consommateur. A ce chapitre, je crois qu'il y a eu
énormément de fait. Il reste encore beaucoup à faire,
particulièrement sur le plan de l'information. Il me parait important
que l'on puisse peut-être redoubler notre action dans ce domaine de
l'information touchant la protection du consommateur. Il y a certaines
régions qui sont mieux informées que d'autres. Je pense que dans
les régions rurales, alors que les media d'information,
évidemment, pénètrent certains secteurs de nos
régions rurales, il nous paraît difficile de transmettre cette
information à l'ensemble des citoyens du Québec. Selon aussi les
activités de ces citoyens, ils n'ont pas toujours le loisir... Est-ce
que je dois comprendre, M. le Président, qu'il y a...
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): C'est parce que le débat doit se
terminer à cinq heures et, si vous avez un long discours, vous pourriez
le continuer un autre jour. Si vous désirez continuer, je peux vous
accorder une minute.
M. MERCIER: Alors, une minute, M. le Président?
M. LEVESQUE: Ah! Deux, trois, quatre, on peut toujours, ce n'est pas
sacramentel. Si je veux interpréter ce que le président vient de
dire, c'est qu'il y a...
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): C'est parce que j'ai un ordre de la
Chambre.
M. LEVESQUE: ... un ordre de la Chambre de passer à autre chose
à dix-sept heures. Mais je pense que, de consentement unanime, si le
discours ou l'intervention du député de Bellechasse était
de quelques minutes, on pourrait attendre et disposer de ce projet de loi.
M. MERCIER: Je vous remercie, M. le Prési- dent. Tout simplement
pour résumer ces commentaires exprimés par mes collègues,
mais particulièrement au nom d'une population rurale, nous voyons d'un
oeil bienveillant la venue de ce projet de loi no 26 qui va protéger,
d'une façon particulière les petites gens, en ce sens que
peut-être par un manque d'information dans certains milieux on
était peut-être plus enclins à se laisser influencer par
les méthodes plus ou moins catholiques de ces personnes qui oeuvraient
dans le domaine de la perception des comptes et qui causaient préjudice
à ces gens.
On a eu l'occasion d'entendre parler de cas dramatiques qui se sont
produits dans le passé dans des régions non seulement urbaines,
mais aussi rurales. C'est pourquoi, au nom de la population que je
représente, je voudrais féliciter le ministre des Institutions
financières et le gouvernement de nous arriver aujourd'hui avec ce
projet de loi qui va ordonner l'exercice de la profession, si vous me permettez
cette expression, de réglementer sur des points bien précis les
coutumes ou les façons d'agir de ces gens alors qu'antérieurement
on pouvait peut-être utiliser les méthodes dites de la pesanteur,
si je me réfère aux commentaires du député de
Rouyn-Noranda tout à l'heure lorsqu'il faisait allusion aux armoires
à glace. Je pense qu'aujourd'hui, avec cette loi, nous allons tout de
même pouvoir suivre avec un oeil vigilant la population
étant informée en ce sens les façons d'agir des
agents de recouvrement qui devront s'en tenir à des points bien
spécifiques dans l'exercice de leurs fonctions, et ce pour le
bénéfice et la protection du consommateur.
Encore une fois, je fais miens les témoignages
d'appréciation de mes collègues sur ce projet de loi no 26 en
soulignant de façon particulière l'article 26 qui proscrit
certaines pratiques que nous avons déplorées dans le passé
et, encore une fois, c'est avec plaisir que je voterai pour ce projet de loi.
Merci.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce qu'il y a d'autres
députés qui veulent parler? Est-ce que la deuxième lecture
de ce projet de loi est adoptée?
UNE VOIX: Adopté.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté.
LE SECRETAIRE ADJOINT: Deuxième lecture de ce projet de loi.
Second reading of this bill.
Commission plénière
M. LEVESQUE: M. le Président, je propose que vous quittiez
maintenant le fauteuil et que la Chambre se forme en commission
plénière pour l'étude article par article de ce projet de
loi.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que la motion pour que je quitte
maintenant le
fauteuil et que la commission plénière étudie ce
projet de loi est adoptée?
UNE VOIX: Adopté.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté. La commission fait rapport
avant d'être...
M. LEVESQUE: M. le Président, je propose qu'on fasse les
écritures nécessaires pour que le président fasse rapport
et demande la permission de siéger de nouveau.
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que cette motion est
adoptée?
UNE VOIX: Adopté.
Projet de loi no 50 Deuxième lecture
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Le ministre de la Justice
propose la deuxième lecture du projet de loi no 50, Loi sur les droits
et libertés de la personne.
M. Jérôme Choquette
M. CHOQUETTE: M. le Président, l'honorable lieutenant-gouverneur
de la province a pris connaissance de ce projet de loi et il en recommande
l'étude à l'Assemblée.
M. le Président, au moment d'aborder l'étude en
deuxième lecture de ce projet de loi, vous me permettrez de
répondre à une interrogation qui peut se trouver dans votre
esprit comme dans celui d'autres membres de cette Assemblée, comme
d'ailleurs chez le public en général, à savoir: Quel est
l'objet ou quels sont les objets de ce projet de loi? Je dirais, M. le
Président, qu'on peut définir les objets ou les buts visés
par ce projet de loi de la façon suivante: Premièrement, situer
le Québec dans le courant du développement législatif des
pays occidentaux dans le domaine du respect des droits individuels et des
libertés de la personne. Tous les pays de l'Occident, M. le
Président, se sont donné des lois qui ont pour but de
protéger les droits et les libertés de la personne, les droits et
libertés considérés comme fondamentaux.
Or, au Québec, soit par négligence, soit pour d'autres
raisons historiques, nous n'avions pas jusqu'à ce jour
légiféré dans ce domaine. Et l'on sait, M. le
Président, jusqu'à quel point les interventions de l'Etat
moderne, que ce soit l'Etat québécois ou d'autres gouvernements,
se font de plus en plus insistantes et de plus en plus pressantes sur les
citoyens de notre ou des collectivités actuelles. C'est donc dire que
protéger les droits et libertés de la personne devient un enjeu
véritable au fur et à mesure de l'expansion des pouvoirs des
gouvernements.
Je sais bien que certains pays se sont donné de telles chartes
alors que les droits et libertés de la personne, en fait, sont fort peu
respectés.
Mais ce n'est pas parce que certains pays se donnent une façade
de liberté ou de libéralisme que ceci devrait nous empêcher
d'agir et surtout d'adopter un projet de loi qui corresponde vraiment aux
valeurs qui ont été acquises par notre société et
que nous voulons sauvegarder au niveau des droits des libertés
individuels.
Un deuxième objet de ce projet de loi est de faire une
systhèse de certaines valeurs démocratiques et sociales acquises
au Québec, au Canada et, généralement, en Occident. Je
ferai tout à l'heure un développement au cours de mes propos sur
l'évolution des droits et des libertés de la personne depuis
quelques siècles.
Mais une chose est certaine, c'est qu'au Québec, comme au Canada
et comme dans tous les pays occidentaux je veux mentionner en
particulier certains pays dont nous sommes tributaires en large partie, soit au
point de vue des principes démocratiques, soit au point de vue
juridique, des pays comme la France, l'Angleterre, les Etats-Unis des
valeurs de respect des droits de la personne humaine ont été
mises en valeur par chacune de ces civilisations qui nous ont influencés
au Québec et au Canada.
Il y a, derrière certaines des conquêtes en faveur de
l'individu, dans les lois françaises, dans les lois anglaises, dans la
constitution et les lois américaines, des principes qui sont communs,
des valeurs qui font que ces pays peuvent se réclamer du titre de
démocratie et qui caractérisent un climat de liberté et de
respect de l'individu qui a cours au Québec. Et ici, je veux dire que,
contrairement à certaines affirmations que j'ai entendues en d'autres
lieux, le Québec a une riche tradition démocratique; le
Québec a, dans l'ensemble, un passé historique,
législatif, social qui honore les valeurs démocratiques et le
respect de la personne humaine. Je sais bien qu'on pourra toujours signaler
quelques excès, quelques abus aux dépens des droits fondamentaux
de la personne, mais, chaque fois, le bon sens populaire a rétabli les
choses de telle sorte qu'il n'est pas osé d'affirmer que, aujourd'hui,
au Québec et au Canada, nous vivons dans l'une des
sociétés les plus libres, les plus libérales du monde
entier.
Par conséquent, je pense qu'il n'est pas audacieux que le
gouvernement, dont je fais partie, et ce Parlement décident de faire une
synthèse de ces principes acquis à travers les âges par
d'autres et dont nous avons peut-être hérité, de principes
que nous avons acceptés et de principes que nous vivons et que nous
acceptons pleinement. Le temps était donc venu de donner au
Québec une charte des droits et libertés de la personne.
Un troisième objectif que vise ce projet de loi, c'est aussi de
permettre le développement ultérieur des valeurs que recouvrent
les droits et libertés de la personne reconnues dans la tradition
libérale.
Je ne crois pas qu'il soit possible de définir, une fois pour
toutes, quels sont les droits et libertés de la personne et que ces
droits et
libertés ne puissent subir de changements et de
développements ultérieurement. Au contraire, toute l'histoire
nous enseigne que la progression des droits et libertés de la personne
s'est faite par ajouts. Il s'agit d'une série de conquêtes et
d'affirmations de principes qui viennent de plus en plus faire partie du
patrimoine législatif et social d'une nation.
Je crois donc que le projet que nous présentons ne devrait pas
viser à définir, une fois pour toutes, quels sont ces droits et
libertés de la personne comme si ceux-ci ne pouvaient subir aucun
progrès ultérieur, comme si ceux-ci ne pouvaient être
explicités et soutenus par d'autres lois, car une charte des droits et
libertés de la personne n'existe pas isolément ni de l'avenir, ni
des autres lois en vigueur qui la complètent et qui viennent la
soutenir. Donc, la charte que nous proposons, on peut dire qu'elle est ouverte
aux développements futurs et qu'elle s'ouvre également sur les
autres lois pertinentes.
Je donnerai quelques exemples au cours de mon discours pour montrer que
l'affirmation, au niveau juridique, de certains droits, dans le monde actuel,
n'est souvent pas suffisante pour faire en sorte que ces droits soient
pleinement soutenus, mais qu'au contraire il faut prendre en
considération d'autres lois qui viennent, en fait, l'appuyer et lui
permettre de se concrétiser. Je donnerai l'exemple de la Loi de l'aide
juridique. On pourra mettre dans n'importe quelle charte des droits de l'homme
que tous sont égaux devant la loi et que tous ont droit à un
procès devant un tribunal impartial, si on ne leur fournit pas les
moyens d'avoir un avocat pour se faire représenter, qu'est-ce que vaut
cette charte? Que vaut ce principe énoncé dans les termes les
plus ronflants possible?
Si l'on parle des autres droits, il en va de même. C'est donc dire
que toute la législation gouvernementale... Je ne parle pas simplement
de droit judiciaire, on pourrait examiner tout le contexte social pour dire que
souvent il est loin d'être suffisant d'affirmer un droit dans une charte,
mais qu'au contraire il faut lui donner les institutions pour le soutenir. Il
faut donner au citoyen les moyens de faire valoir ses droits ou encore il faut
expliciter des principes qui peuvent être énoncés dans une
charte par des lois plus techniques, plus complexes, plus
détaillées, alors que la simple énonciation du principe
n'aurait pas été suffisante si elle avait été
laissée seule.
Je donnerai un autre exemple de ce genre de choses. Par exemple, dans ce
projet de charte, nous énonçons le principe, qui se trouve
à l'article 36, que tout enfant a droit à la protection et
à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les
personnes qui en tiennent lieu. Eh bien, ce principe, énoncé
même avec conviction dans la charte, doit quand même comporter,
d'un autre côté, des dispositions législatives qui
pourraient se trouver dans une loi au sujet de la protection sociale et
judiciaire de l'enfance. Vous savez que nous avons, à l'heure actuelle,
une Loi de la protection de la jeunesse et que le gouvernement, dont je fais
partie, avait déposé un projet qui reprenait toute la question de
la protection de la jeunesse.
M. le Président, je veux simplement illustrer par cela qu'un
principe énoncé dans une charte requiert souvent une loi qui
vienne lui permettre de se concrétiser dans la
réalité.
Je termine donc, M. le Président, en disant que le
troisième objet de cette charte et je me résume est
de permettre le développement ultérieur des principes contenus
dans la charte, mais aussi de permettre à ces principes de s'ouvrir sur
des lois concrètes établies.
Le quatrième objet du projet de charte est d'accorder des recours
dans les cas de violation de ces droits et libertés de la personne. Dans
certains milieux, on pense que les matières qui concernent les droits et
libertés de la personne ne sont pas des matières qu'il est
susceptible de faire sanctionner par les tribunaux, qu'il faut que ces chartes
soient des énoncés de grands principes, si nobles soient-ils, qui
n'ont pas d'application immédiate devant les cours de justice, dans des
procès ou vis-à-vis des administrations publiques ou
privées.
Or, M. le Président, le projet que j'ai l'honneur de
présenter aujourd'hui assure des recours à ces droits et
libertés de la personne, parce que vous aurez noté que non
seulement il sanctionne l'action en dommages et l'injonction au cas de
violation de ces droits, mais il innove et le chef de l'Opposition
pourra corroborer cela en ce qu'il permet aux tribunaux d'accorder les
dommages exemplaires; non pas des dommages moraux, comme cela a toujours
été le cas dans notre jurisprudence traditionnelle, mais des
dommages exemplaires au cas d'une violation délibérée des
principes de la charte.
C'est donc dire, M. le Président, que ce texte n'est pas
seulement un énoncé de grands principes, si valables soient-ils,
mais qu'il se veut également un outil dont les citoyens et les
justiciables pourront se servir devant les tribunaux et dont ils pourront se
servir avec efficacité.
J'ajouterai, M. le Président, qu'en plus de ces recours devant
les tribunaux ordinaires que je mentionnais tout à l'heure; action en
dommages, injonction, dommages exemplaires, le projet de loi institue une
commission des droits de la personne à laquelle on pourra s'adresser
dans les cas de discrimination. La commission pourra, dans un premier temps,
faire une intervention conciliatrice entre la personne qui a subi la
discrimination et la personne qui a causé la discrimination. Mais si
cette intervention conciliatrice n'est pas couronnée de succès,
à la suite des demandes ou des suggestions de la commission des droits
de la personne, la commission pourra prendre le fait et cause de la personne
à l'égard de laquelle la discrimination a été
commise et pourra elle-même se porter demanderesse devant les tribunaux
ordinaires pour
obtenir la sanction à l'égard du droit de la personne
contre laquelle on a discriminé.
Ceci se passerait évidemment dans un deuxième temps. Nous
avons préféré retenir cette formule d'avoir tout d'abord
une intervention conciliatrice, et si celle-ci n'apportait pas de
résultat positif, d'assurer la sanction des décisions de la
commission par les tribunaux ordinaires, ce qui comporte évidemment une
intervention plus décisive de la part des tribunaux. Cette formule nous
paraissait plus conforme à ce que nous voulons faire par ce projet de
loi, c'est-à-dire non pas créer la discorde, le désordre
et les conflits sociaux, mais au contraire, M. le Président, les
régler.
Puisque je suis sur ce sujet de la discrimination, je dirais que le
Québec devait se donner une loi d'une portée beaucoup plus
considérable à ce chapitre.
Quand je parle de discrimination, je me réfère,
évidemment, à celle qui peut avoir lieu, ainsi que
l'énonce le projet de loi, par suite d'une exclusion, d'une
préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la
religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique,
nationale ou sociale de personnes.
Nous avions assurément certaines dispositions législatives
mais elles n'étaient que partielles et le Québec devait avoir une
législation étendue dans ce domaine, surtout au moment où
nous sommes tous d'accord, je pense, pour vouloir faire arriver à
maturité cette province à tous points de vue et vouloir faire en
sorte que des conflits sociaux ne résultent pas de discrimination.
Par conséquent, voilà les quatre objets principaux que
vise ce projet de loi. Permettez-moi, maintenant, d'expliquer en termes assez
généraux, le contenu du projet. Le projet est divisé en
deux parties; la première partie du projet de loi contient la charte des
droits et libertés de la personne et la deuxième partie contient
la constitution de la future Commission des droits de la personne.
Je reviens à la première partie pour expliquer, toujours
d'une façon générale, quelle est l'extension des droits
qui sont définis à cette charte. Tout d'abord, il y a les
libertés et droits fondamentaux. Ici, nous sommes en plein droit civil
et aussi en plein droit public. Non seulement nous énonçons
certains principes qui concernent l'individu comme tel et certains droits
fondamentaux inaliénables, imprescriptibles de l'individu, tels que le
droit à la vie, le droit à la sûreté et à la
liberté de la personne, le droit de se voir venir en aide au cas de
péril, non seulement ces droits qui s'attachent à la personne
comme être vivant mais également certaines libertés qui
sont des libertés reconnues à la fois en droit civil et en droit
public, telles que les libertés fondamentales de conscience, de
religion, d'opinion, d'expression, de réunion pacifique et
d'association. Ainsi de suite, en passant par le développement de
certains nouveaux droits qui n'ont pas reçu leur pleine évolution
ou extension, soit dans le droit écrit, soit dans la jurisprudence, le
droit au respect de la vie privée et d'autres droits du même ordre
qui font l'objet de possibilités de recours au cas d'infractions.
Je tiens à signaler que, dans cette énumération des
droits et libertés de la personne, il y a des nouveautés sur
lesquelles j'insisterai plus tard. Puis, nous passons dans ce projet de loi aux
dispositions particulières concernant la discrimination. Ici, le projet
de loi innove franchement par rapport au passé. En effet, les
dispositions antidiscriminatoires, soit pour des motifs de race, de couleur, de
sexe, de religion, de convictions politiques, de langue, d'origine ethnique,
nationale ou sociale, reçoivent leur pleine extension au point de vue de
l'exercice des libertés et droits fondamentaux que je mentionnais tout
à l'heure.
Ainsi, en vertu des dispositions qui suivent, dans cette partie du
projet de loi, il devient interdit de discriminer à l'égard d'une
personne, pour les motifs que j'ai mentionnés, dans tout acte juridique,
dans tout avis public, dans l'admission dans tout lieu public et
également dans toute admission dans une association professionnelle ou
à l'occasion d'un emploi.
Par conséquent, M. le Président, on devra
reconnaître, je pense, qu'ici le gouvernement a innové et est
allé de l'avant au point de vue des dispositions
antidiscriminatoires.
Suivent, M. le Président, les définitions de deux droits
fondamentaux que l'on peut qualifier de droits politiques. Le droit d'adresser
des pétitions à l'Assemblée nationale est un droit qui a
évolué au cours de l'histoire et qui a fait l'objet d'antiques
lois anglaises. C'est un droit qui existe, je pense, encore, même dans
notre règlement de l'Assemblée nationale, et c'est un droit qui
existait dans notre ancien règlement de l'Assemblée nationale,
parce que le droit d'adresser des pétitions peut paraître, pour
une personne qui n'est pas avertie sur le plan juridique, un droit qui n'a que
peu d'importance mais, en fait, c'est un droit essentiel, puisque c'est
consacrer le droit des citoyens de s'adresser directement au Parlement.
Le deuxième droit politique qui est énoncé, M. le
Président, c'est le droit, pour toute personne légalement
habilitée et qualifiée, de se porter candidat lors d'une
élection provinciale, municipale ou scolaire, ainsi que le droit d'y
voter, ce qui est, je pense bien, la base du système
démocratique.
Maintenant, M. le Président, nous arrivons aux définitions
qui concernent les droits judiciaires. Je ne les décrirai pas en
détail mais la lecture du projet de loi indiquera à chacun quel
souci le gouvernement a pris afin d'énoncer d'une façon claire et
précise les droits des gens devant les tribunaux, les droits des gens
lorsqu'ils sont en état d'arrestation, les droits des gens lorsqu'ils
sont incarcérés, ou les droits des témoins lorsqu'ils sont
appelés à témoigner devant des tribunaux.
Finalement, nous arrivons, M. le Président, à une autre
série de droits, qui se trouvent au chapitre IV du projet de loi, qui
sont appelés droits économiques et sociaux. Ces droits ont une
portée importante. Certains diront peut-être que, dans des cas, il
s'agit d'expressions de bonne volonté, mais je pense que le fait qu'ils
soient reconnus dans un projet de loi comme celui-là va leur assurer un
caractère important dans ce contexte des valeurs démocratiques
dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire qu'un certain nombre
de ces droits socio-économiques résument d'une certaine
façon certaines choses, certains principes, certaines valeurs auxquels
nous sommes attachés au Québec. Malgré que, pour certains
d'entre eux, ils sont soumis à l'effet d'autres lois gouvernementales,
ce que je suis loin de nier, ils représentent quand même des
acquisitions de notre patrimoine démocratique. C'est la raison pour
laquelle nous les avons inscrits à cette charte.
Par conséquent, M. le Président, il ne fait aucun doute
que le projet de charte des droits et libertés de la personne que nous
présentons est un projet qui comporte une très grande extension
des droits qui y sont définis et incorporés comparativement
à d'autres chartes existantes soit dans ce pays-ci, soit ailleurs.
On verra, à comparer les dispositions qui se trouvent dans la
charte projetée avec d'autres lois canadiennes ou ailleurs, que le
terrain des droits et libertés fondamentales a été couvert
d'une façon que je qualifierais de presque complète. Je pense que
les critiques qui ont été formulées à
l'égard du projet de loi dans certains milieux n'ont pas porté,
pour un seul instant, contre les droits qui étaient proposés dans
cette charte des droits et libertés de la personne. Je n'ai pas entendu
une seule critique à l'effet qu'on avait inscrit à tort certains
droits, dans cette charte.
Certes, on a souligné certaines carences; on a mentionné
que certains droits ou certaines libertés devraient y être
inscrits et je suis parfaitement prêt, en commission parlementaire,
à examiner ces omissions.
Mais, pour le contenu de la définition des droits, je n'ai pas
entendu de représentations à l'effet que nous aurions mal
représenté ces valeurs démocratiques et ces valeurs
individuelles dont je parlais tout à l'heure, que le gouvernement
aurait, d'une certaine façon, caricaturé, ce patrimoine de
principes et de droits qui existent dans la réalité juridique
québécoise et dans les usages et coutumes
québécois, mais même aussi, sous les aspects qui sont
nouveaux dans ce projet de loi, caricaturé l'idéal actuel des
Québécois de voir de nouveaux principes s'introduire dans cette
charte.
Je crois donc que nous pouvons dire, avec une certaine modestie sans
doute, que l'approche, que la rédaction, que la façon d'exposer
l'ensemble de ces valeurs et de ces principes auxquels nous tenons a
reçu un certain assentiment, au moins par les groupes qui se sont
prononcés et qui étaient, pour la plupart, des groupes conscients
de ces problèmes, soucieux du progrès des droits et
libertés de la personnes, des groupes avertis qui avaient
étudié le sujet depuis bien des années, qui attendaient le
projet de loi avec impatience, en somme, des groupes qui sont sérieux et
qui peuvent représenter un jugement auquel ce gouvernement et ce
Parlement peuvent se reporter.
Maintenant, j'ajoute que, avant de terminer cette charte, il existe
certaines dispositions qui donnent à ces droits que je mentionnais tout
à l'heure leur impact, leur effet percutant sur la vie, sur la
législation ou sur d'autres aspects du courant de l'histoire. J'ai
mentionné tout à l'heure que nous avions inscrit dans cette
charte des droits d'utiliser les recours en dommages par injonction et
d'obtenir des dommages exemplaires. J'ajouterais à ce chapitre qu'il y a
une disposition interprétative qui s'applique lorsqu'il y a divergence
entre une autre loi et la charte des droits de la personne. Même si cette
disposition interprétative fait que les autres lois l'emportent sur la
charte, néanmoins, la première règle
d'interprétation à laquelle il faudra avoir recours est la
règle qu'au cas de doute, la charte doit l'emporter.
Je veux dire, M. le Président, pour être plus
spécifique dans un domaine qu'il est assez difficile d'expliquer parce
qu'il est très technique, que sans aucun doute nous avons laissé
coexister les autres lois et la charte. J'expliquerai tout à l'heure les
motifs de cette décision. Je dirai pourquoi nous avons pris cette
orientation sur le plan juridique, qui, d'ailleurs, a été, je
dois l'admettre, l'objet de critiques dans certains des milieux dont je parlais
tout à l'heure parce qu'on a vu dans ces milieux que la charte n'avait
pas assez de dents, comme on dit. On a dit que la charte ne transcendait pas
d'autres lois de ce Parlement. On a dit que la charte cédait le pas
à d'autres lois lorsqu'il y avait contradiction. Je reviendrai tout
à l'heure sur ces objets de critique et je pense pouvoir vous justifier
que nous avons pris la bonne décision.
Avant d'arriver à ce sujet, je veux quand même mentionner,
M. le Président, qu'au cas de divergence entre un texte légal
autre que la charte et un article de la charte, eh! bien, la première
règle d'interprétation à laquelle il faudra avoir recours
est de donner priorité à la charte sur les autres lois. Ceci au
cas où il y aurait doute dans l'interprétation du texte de loi
qui semblerait s'opposer au texte de la charte.
Avant d'aborder la question de la portée juridique de la charte
sur d'autres lois, sur laquelle je parlerai tout à l'heure, je voudrais
parler quand même de la deuxième partie du projet de loi qui
institue la Commission des droits de la personne, pour brièvement
décrire cette commission et ses rôles, ses fonctions et la
façon dont nous entrevoyons son avenir. D'abord, la Commission des
droits de la personne sera nommée directement par le Parlement, par
l'Assemblée nationale sur la proposition du premier ministre.
Deuxièmement, la commis-
sion fera rapport directement à l'Assemblée nationale,
comme le protecteur du citoyen. Les pouvoirs de la commission sont
principalement de se faire l'animateur des programmes d'éducation et
d'instruction pour promouvoir les principes de cette charte, diriger la
recherche dans ce domaine et coopérer avec d'autres organismes ayant des
fins identiques. Mais aussi et surtout, M. le Président,
d'enquêter sur les matières qui font objet de plaintes en vertu de
la partie de ce texte de loi concernant la discrimination. A ce point de vue,
la commission pourra jouer, comme je le mentionnais tout à l'heure, un
rôle conciliateur et tant mieux si son rôle conciliateur est
efficace et réussit à mettre des parties ayant des
intérêts divergents en accord mais si son rôle ne
peut s'accomplir dans l'harmonie, elle pourra exercer des recours devant les
tribunaux au nom de la personne qui a été victime de
discrimination ou qui a été lésée.
Je crois que c'est une solution très originale qui conservera
à la commission son rôle de propagandiste des principes contenus
dans cette charte, mais aussi lui permettra d'exercer une action efficace
devant les tribunaux si cela devient nécessaire.
Maintenant, M. le Président, je voudrais aborder le sujet sous un
autre aspect.
Je vais tenter de situer les droits et libertés de la personne
qui sont incorporés à cette charte d'une certaine façon
sur le plan historique. Mais, avant de ce faire, je crois qu'on peut
définir les libertés et les droits fondamentaux contenus dans
cette charte sous trois chapitres.
D'abord, il y a les droits de l'individu ou de la personne contre
l'Etat, c'est-à-dire contre l'exécutif ou l'administration,
contre l'administration de la justice et contre le législatif.
Voilà, une catégorie de droits qui se sont
développés sur le plan historique depuis quelques siècles.
Et il s'est agi, en vertu de ces développements, d'affirmer
jusqu'à quel point l'Etat pouvait aller vis-à-vis du citoyen
qu'il avait devant lui sur le plan législatif, jusqu'où le
système judiciaire pouvait aller à l'égard du citoyen sur
le plan judiciaire et jusqu'où l'exécutif ou l'administratif
pouvait aller vis-à-vis du citoyen.
Il s'agit donc d'un ensemble de droits qui ont reçu un
développement historique et que l'on peut regrouper sous une
appellation, ce sont les droits de l'individu d'être respecté par
l'Etat et par les pouvoirs ou les fonctions de l'Etat, soit qu'elles s'exercent
sur le plan législatif, administratif ou judiciaire. Qu'est-ce qui est
demandé à l'Etat en vertu de ses pouvoirs sinon de ne pas agir
à l'égard de la personne, de s'empêcher d'exercer une
action? Et c'est dans ce sens qu'au 19e siècle on a vu l'apogée
de ce genre de droit, en fait le droit à l'abstention de l'Etat
vis-à-vis du citoyen.
Mais le 20e siècle a suivi le 19e siècle et le 20e
siècle a vu l'éclosion d'une autre série de droits que
l'on pourrait qualifier de créances du citoyen contre l'Etat. Tout le
développement de la sécurité sociale, par exemple, fait
partie de cette famille de droits. La personne qui est dans le besoin non
seulement peut dire à l'Etat: Abstenez-vous d'agir pour m'empêcher
d'exercer ma liberté de parole, ma liberté d'expression, ma
liberté d'association, enfin les libertés fondamentales dont je
parlais il y a un instant, mais elle peut, en vertu de ce nouveau type de droit
qui est de conception moderne, dire à l'Etat: Je suis dans le
dénuement, j'ai le droit d'exiger des mesures de sécurité
sociale pour me permettre de vivre décemment. Toujours en vertu de ce
type de droit, et là je m'adresse au ministre de l'Education, c'est
ainsi que l'enfant ou ses parents peuvent exiger de l'Etat qu'il lui donne
l'instruction gratuite.
C'est ainsi que nous avons un nouveau droit qui n'existait pas au XIXe
siècle.
Il y a, finalement, une troisième famille de droits qui est
née dans les dernières années et qui vise à
établir l'égalité entre les citoyens. Là, nous
sommes devant des droits antidiscriminatoires: le droit d'être
traité de la même façon que d'autres membres de la
société, le droit de ne pas être victime de discrimination,
soit pour des motifs de conviction politique, soit pour des motifs de couleur,
de convictions religieuses, de langue, enfin, tous les motifs exposés
dans un des articles du projet de loi. Là encore, il s'agit d'une
nouvelle famille de droits qui est née du droit moderne et de
l'évolution des sociétés modernes, en particulier des
sociétés démocratiques. Donc, je tenais à grouper,
d'une certaine façon, trois types de droits qu'il est nécessaire
de reconnaître dans une telle charte.
Maintenant, sans vouloir faire une revue exhaustive du
développement historique de ces droits, on peut quand même
reconnaître que les droits qui ont été reconnus les
premiers et le plus facilement ont toujours été les droits
judiciaires parce que les droits judiciaires sont des droits qui s'expriment
d'une façon absolue, qui n'ont pas le caractère relatif, par
exemple, des droits socio-économiques que je mentionnais tout à
l'heure, par exemple, en matière d'instruction gratuite. Même si
on affirme le principe de l'instruction gratuite, encore faut-il que le
gouvernement mette un certain type d'instruction gratuite à la
portée des citoyens, dans certains cadres, et souvent certaines
circonstances, jusqu'à tel niveau d'éducation; c'est donc dire
que le droit à l'instruction gratuite, même s'il reçoit
aujourd'hui une reconnaissance parce qu'il fait partie de cette famille des
droits socio-économiques, que ce droit à l'éducation n'a
pas une portée aussi absolue que des droits de nature judiciaire,
c'est-à-dire le droit à un avocat, parce que c'est un fait pur et
simple d'avoir un avocat pour se faire assister à son procès.
Donc, historiquement, et si on part de la Grande charte de 1215, de Jean
Santerre, et des lois anglaises, par exemple, l'Acte de l'habeas corpus de
1670, le "Bill of rights" de 1688, en passant par la Constitution
américaine de 1776, modifiée par les dix premiers amendements de
1791, en arrivant à la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen, du 17 août 1789, incorporée à
la Constitution française du 3 septembre 1791, on notera que dans
l'évolution du droit en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, on a
réussi beaucoup plus tôt à concrétiser et à
préciser les droits fondamentaux en matière judiciaire que tous
autres droits.
Evidemment, je ne dis pas, M. le Président, que, dans ce
développement, il n'y a pas eu des droits politiques qui ont
été reconnus. C'est un fait qu'en vertu de la Constitution
américaine que j'ai citée tout à l'heure, en vertu de la
Grande Charte et en vertu de la Constitution française du 3 septembre
1791 des droits politiques sont venus recevoir, à peu près en
même temps, une certaine reconnaissance. Là encore, quand nous
sommes dans les droits politiques, il est relativement facile, pour le
législateur qui représente la volonté de la
société, de dire et de préciser que tout le monde a le
droit d'adresser des pétitions au Parlement, que tout le monde a le
droit d'être éligible à des postes publics et qu'en
principe tout le monde a le droit d'y voter. Même ces droits ne sont pas
absolus, parce qu'ils requièrent, quand même, certaines
qualifications au point de vue de l'âge, etc.
Mais, si j'insiste sur ce point, c'est peut-être pour expliquer
que dans cette charte, étant donné son extension et son
éventail très général au point de vue des droits,
il était extrêmement difficile, sinon impossible, de donner
à tous et à chacun des articles de la loi une portée
absolue, contraignante, transcendante sur toute autre législation
gouvernementale.
Je vous l'ai expliqué en prenant le cas de l'instruction
gratuite. Même si on énonce le principe, ce principe a quand
même des contingences matérielles dont le ministre de l'Education
est responsable. Mais on peut aller plus loin; si on prend, par exemple, le
droit à des mesures de sécurité sociale, même si
nous l'énonçons comme un principe, parce que c'est un acquis de
la société moderne, parce que ça fait partie du patrimoine
des droits socio-économiques acquis au XXe siècle, on ne peut pas
dire que c'est un principe qui a une valeur absolue. Encore faut-il que le
ministre des Affaires sociales mette le chiffre que la société
est prête à donner à toutes les personnes qui ont droit
à des mesures d'assistance sociale.
Donc, nous nous trouvons devant une série de principes qui ont
une valeur inégale au point de vue de leur impact immédiat sur la
législation et sur la vie sociale du Québec. Il fallait, dans ces
conditions, adopter une solution quelque peu flexible, compte tenu de
l'extension que nous voulions donner à la charte.
M. le Président, c'est là, je pense, un argument
très important qu'il faudra garder en mémoire pour la solution
qui a été adoptée de faire en sorte que la charte ne
primera pas sur d'autres lois, que la charte ne viendra pas, du jour au
lendemain, supprimer d'autres lois, que la charte ne remplacera pas d'autres
lois.
Elle vient, au contraire, soutenir les autres lois par des recours que
j'ai mentionnés tout à l'heure, sans doute, et aussi par une
philosophie, par un ensemble de principes qui viennent véritablement
donner une vie morale et intellectuelle à l'ensemble de notre
législation.
Il y a un autre argument pour lequel nous n'avons pas senti la
nécessité de formuler d'une façon intangible et absolue
les principes de cette charte. C'est parce que lorsqu'on regarde les grands
documents législatifs qui ont été adoptés dans
l'histoire, et tout à l'heure je faisais allusion à un certain
nombre d'entre eux: la grande charte de 1215, la Constitution
américaine, la déclaration française des droits de l'homme
et du citoyen et même la déclaration universelle des droits de
l'homme adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948, il
faut noter que ces grands documents ont tous été adoptés
pour marquer la fin d'une période de l'histoire et le commencement d'une
autre période de l'histoire où on voulait vivre en vertu de
nouveaux principes qui reconnaissaient mieux les droits et libertés de
l'individu et de la personne humaine.
Chacun de ces textes est survenu dans des circonstances historiques bien
précises: la déclaration française, évidemment,
après la révolution française; la Grande Charte et les
lois britanniques au moment où le Parlement, en Angleterre, affirmait
ses droits contre l'arbitraire de la royauté anglaise et où il
devenait nécessaire de poser les gestes qui faisaient qu'on transportait
des pouvoirs du roi au Parlement et, par conséquent, aux citoyens; la
Constitution américaine, évidemment, après que les
Américains eurent acquis leur indépendance de l'Angleterre et au
moment où ils ont voulu instaurer un régime démocratique
plutôt que royaliste aux Etats-Unis; la déclaration universelle
des droits de l'homme de 1948 après la guerre de 1939 à 1945, au
cours de laquelle six millions de juifs, sans compter des peuples de toute
autre nationalité, ont été annihilés par les effets
d'une doctrine totalitaire au service de l'Allemagne.
Donc, M. le Président, dans ces textes, il faut reconnaître
qu'il y a un besoin de transformation fondamentale de la situation
précédente. Or, quand je regarde dans quelles circonstances nous
présentons ce projet de loi ici, au Québec, et aussi dans quelles
circonstances la déclaration canadienne, c'est-à-dire le bill
Diefenbaker, adopté le 10 août 1960, ainsi que les autres lois des
autres provinces ont été adoptés, force nous est de
constater, M. le Président, que le Québec et le Canada ne sont
pas en proie à des bouleversements, des changements radicaux sur le plan
des institutions, sur le plan constitutionnel. Force nous est de constater
qu'au contraire nous faisons simplement venir ajouter, venir faire la
synthèse d'un certain nombre de principes et de valeurs qui sont
généralement ou souvent je le dis sans hésitation
reconnus dans nos lois et dans nos institutions.
Par conséquent, M. le Président, je ne vois
pas pourquoi nous devrions sentir utile de venir dire: Non. Nous faisons
une césure avec le passé démocratique,
québécois ou canadien, et il nous faut là affirmer des
principes que personne ne pourra jamais ébranler au Québec ou au
Canada. Au contraire, ces principes sont déjà dans la
réalité législative et sociale chez nous. Il nous faut
généralement mieux les exprimer dans un texte qui a valeur
éducative, dans un texte qui aura valeur d'enseignement et ce texte que
nous proposons ne représente en aucune façon une rupture avec le
passé.
C'est la raison pour laquelle je trouve qu'il y a là un
deuxième argument pour faire en sorte qu'on ne recherche pas à
rendre, disons donc, les principes contenus à cette charte intangibles,
absolus, s'appliquant à toute autre loi.
Je disais, M. le Président et c'est là un
troisième argument en faveur de la formule adoptée dans ce cas-ci
que la charte aura un rôle éducatif et d'enseignement. M.
le Président, nous avons adopté une formule qui est extensive,
une formule qui énonce d'une façon très large, dans un
éventail très complet, l'ensemble des droits acquis par notre
civilisation et par notre société.
Parce que ces droits ne peuvent avoir le même effet, le même
impact, la même répercussion sur d'autres lois, il nous faut, par
conséquent, sacrifier, d'une certaine façon,
l'intangi-bilité des principes qui y sont énoncés pour
obtenir leur généralité. Et à ce point de vue
là, nous y gagnons sur le plan éducatif et sur le plan de
l'instruction parce que s'il fallait se contenter, dans cette charte,
d'énoncer seulement des principes absolus, je vous dis qu'il y a un
certain nombre de droits que nous ne pourrions sûrement pas
énoncer comme étant acquis, parce qu'ils seraient
nécessairement relatifs, et je fais allusion aux exemples que j'ai
donnés tout à l'heure dans le domaine de l'éducation, des
affaires sociales, mais on peut multiplier les exemples à
volonté. Je vais même en donner un, dans le domaine judiciaire,
pour le bénéfice du chef de l'Opposition.
Dans le domaine judiciaire, qui est le domaine qui se prête le
mieux à une affirmation absolue des principes, nous
énonçons dans cette charte que toute personne a le droit
d'être représentée par un avocat, et personnellement, je
crois à ce principe. Et j'interroge ici le chef de l'Opposition sans
qu'il m'interroge lui-même, le prenant comme un interlocuteur
sûrement valable parce qu'il nous parlera, sans aucun doute, de tout cela
avec beaucoup d'intelligence et de compréhension, étant
donné qu'il s'est intéressé à la question alors
qu'il était universitaire. Mais, lorsque nous parlons du droit pour tout
citoyen d'être représenté par un avocat devant les
tribunaux, est-ce qu'on sait que le gouvernement actuel et le ministre de la
Justice actuel ont piétiné ce principe dans le cas de la Loi des
petites créances, et ceci, au nom des intérêts
socio-économiques des justiciables? Il m'a semblé que si nous
laissions le droit aux avocats de continuer à représenter leurs
clients devant les tribunaux, même des petites créances, nous
n'échapperions pas au système des honoraires et des frais
judiciaires trop lourds pour l'enjeu de la cause. Et c'est en vertu de la
reconnaissance de cette réalité socio-économique que je me
suis fait moi-même le fossoyeur du droit à la
représentation par avocat.
Mais je l'ai fait pour la bonne cause, et si je le dis aujourd'hui ce
n'est pas parce que j'ai honte, c'est parce que je crois que cette
décision a été sage.
Avec l'expérience, j'en suis arrivé à la
conclusion, M. le Président, que même dans le domaine juridique,
qui, comme je le disais tout à l'heure, est le plus facile à
affirmer d'une façon absolue, souvent les principes ne s'appliquent pas
d'une façon aussi absolue qu'on le pense. Je donne l'exemple de la
représentation par avocat qui est sûrement un des droits,
dirais-je, fondamentaux de tout accusé ou de toute personne qui va
devant les tribunaux.
M. le Président, donc, nous avons dû tenir compte, du fait
de la diversité des droits énoncés, de leur niveau
d'abstraction particulier; certains sont à un très haut niveau
d'abstraction, d'autres sont très immédiatement concrets. Nous
avons préféré, M. le Président, laisser tout cet
ensemble de droits subsister à l'intérieur du même texte,
plutôt que de commencer à amputer ici et là, soit au nom du
principe de l'efficacité des droits qui pouvaient y être
énoncés, soit pour d'autres considérations.
Il y a, par contre, M. le Président, d'autres arguments qu'on
peut apporter. C'est que nous vivons dans un système
fédéral. Je sais que le chef de l'Opposition le regrette, mais
c'est un fait. Il faut bien admettre que, dans le système
fédéral où nous vivons, le gouvernement central a
compétence en droit criminel et que nous, nous avons compétence
en droit civil. Or, en droit criminel, le gouvernement fédéral
peut adopter des mesures qui vont avoir des répercussions sur le droit
civil. Le gouvernement fédéral peut déclarer, à un
moment donné, un acte criminel ou il peut permettre qu'un acte soit
commis qui, autrement, serait criminel.
Donc, quand nous légiférons au niveau provincial en
matière de droits et libertés fondamentaux, il est assez
difficile de donner à notre loi une portée absolue, alors que
nous devons avoir un mécanisme de reconnaissance de ce que peut faire le
gouvernement fédéral par le biais de son autorité
constitutionnelle sur le droit criminel, qui peut avoir des
répercussions sur notre propre droit civil. Je pourrais donner des
exemples. Supposons qu'on énonce le droit pour toute personne de se
réunir, d'une façon absolue, il reste qu'en vertu du droit
criminel, si une assemblée à un moment donné devient
désordonnée, le premier magistrat d'une ville ou d'autres
personnes ont le droit d'aller lire l'acte d'émeute et de demander
à tout le monde de se disperser.
Donc, nous avons immédiatement là une incidence possible
du droit criminel sur le droit
civil parce que les personnes qui ne se disperseraient pas et qui
causeraient des dommages pourraient être poursuivies en dommages si elles
ne se sont pas dispersées à la suite de la lecture de la loi de
l'émeute.
Par conséquent, dans notre propre législation au
Québec en matière de droits de l'homme, il ne nous est pas
possible d'ignorer le fait que le fédéral peut
légiférer en matière de droit criminel et peut-être
en matière d'autres droits qui peuvent avoir des répercussions
sur la façon absolue dont on a énoncé les principes dans
un projet de loi au niveau provincial. Ceci était un aspect dont il
fallait tenir compte, en plus d'être forcément obligé de
tenir compte de nos propres lois dans d'autres domaines. Je ne reviendrai pas
sur ce sujet parce que j'en ai suffisamment parlé. Je voulais simplement
mentionner que le système fédéral étant ce qu'il
est, il y a des règles du jeu qu'il faut observer. C'est à ce
point de vue que les législations fédérale et provinciale
doivent s'ajuster l'une à l'autre et parfois se superposent l'une
à l'autre, et il faut tenir compte de cette réalité.
Maintenant, M. le Président, il y a un autre argument pour lequel
nous avons adopté cette formule de la non-transcendance de la charte sur
les autres lois: c'est que nous sommes dans un Parlement de type britannique.
Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel, et on sait que
les chartes qui énoncent des principes absolus se prêtent beaucoup
plus à la tradition des régimes présidentiels qu'à
celle des systèmes parlementaires. On n'a qu'à prendre comme
exemple la constitution américaine où un certain nombre de
principes sont énoncés d'une façon absolue et intangible.
Par contre, l'Angleterre, qui a sans doute une tradition démocratique
qui vaut celle des Etats-Unis, n'a jamais senti le besoin de s'enfermer dans
une constitution absolue qui érige un certain nombre de principes
absolus, de sorte qu'on ne puisse y déroger. L'Angleterre, vivant dans
un régime parlementaire, a plutôt énoncé ses droits
et libertés de la personne dans différents statuts, dans
différentes lois qui pourraient être amendées par les
Parlements successifs, et ceci, le chef de l'Opposition le sait et qu'il
ne me contredise pas sur cela en vertu du principe de la
suprématie du Parlement et des élus du peuple,
c'est-à-dire que l'Angleterre a préféré mettre sa
confiance dans les élus du peuple plutôt que dans un texte
constitutionnel, sans doute, que voudrait nous donner le chef de
l'Opposition.
Donc, deux traditions, deux façons d'agir; je ne les juge pas et
je ne dis pas qu'il n'y a pas du bon et du mauvais des deux côtés.
Mais, étant partisan du système parlementaire plutôt que du
système présidentiel, j'aime mieux continuer dans la tradition
parlementaire et faire comme en Angleterre, où les lois viennent peu
à peu consacrer des droits et les affirmer. C'est la raison pour
laquelle cette charte devra se lire avec les autres lois. C'est un grand
principe de l'interprétation des lois et des statuts, principe que vous
connaissez bien, M. le Président. Les lois ne se lisent jamais
isolément les unes des autres. Aucune loi ne contient l'ensemble des
principes qui s'appliquent à une situation. Le juriste que vous
êtes sait toujours prendre les textes qui sont pertinents à une
question pour en faire l'interprétation et en dégager le sens qui
s'impose. Donc, nous faisons simplement, dans ce domaine-là, le
même travail sur le plan législatif et c'est la raison pour
laquelle la charte n'a pas une fonction transcendante sur les autres lois.
J'ajouterai que la charte, à mon sens, aura bien plus de
répercussion que l'on pense dans certains milieux. Les gouvernements qui
vont nous suivre, même à l'occasion de la refonte des statuts,
vont être obligés d'observer les principes qui sont
énoncés dans cette charte dans leur législation future.
S'ils ne l'observent pas, ils vont être obligés de s'expliquer
sérieusement, devant l'Opposition, des raisons pour lesquelles ils ont
fait exception dans ces cas. On sait, pour être pratique, qu'il y a des
exceptions. Par conséquent, on pourra expliquer qu'on n'ait pas suivi
les principes de la charte dans certains cas particuliers où il fallait,
en fonction de certains intérêts légitimes et
généraux, ne pas observer les grands principes de la charte. On
saura les expliquer mais il faudra quand même donner les explications
voulues. C'est la raison pour laquelle je pense que le simple fait d'adopter la
charte va être un guide pour le législateur futur à
l'occasion de lois à venir mais aussi et je pense qu'à ce
point de vue-là la charte représente un intérêt
certain à l'occasion de la refonte de nos lois qui se passe
périodiquement à tous les dix ou quinze ans.
On devra alors réexaminer nos lois actuelles pour les rendre de
plus en plus conformes aux principes de la charte.
M. le Président, j'ajouterai ceci en terminant sur ce sujet. Il y
a des désavantages sérieux à faire en sorte qu'il y ait
une charte des droits de l'homme qui transcende les autres lois. Je pense que
ceci devrait être énoncé d'une façon même si
c'est sommaire, mais d'une façon, assez claire.
D'abord si on donnait une portée absolue aux articles contenus
dans la charte, on devrait, à la suite de ces mêmes articles,
prévoir toutes les exceptions aux principes. Parce qu'on ne peut pas
faire autrement qu'avoir des exceptions où on devrait prévoir les
modalités de l'exercice de ces droits, où on devrait
prévoir des portes de sortie, pour ne pas rendre ces principes aussi
absolus qu'on voudrait.
J'ai donné, tout à l'heure, l'exemple de la
représentation par avocat, j'ai donné l'exemple de l'instruction
gratuite, j'ai donné l'exemple des mesures de sécurité
sociale, mais on peut appliquer ce raisonnement à presque tous les
articles, c'est-à-dire que si on devait donner une valeur absolue
à ces principes, il faudrait presque prévoir des exceptions
à tous les articles, ce qui ferait perdre énormément
d'impact à la charte. On détruirait, d'une certaine façon,
l'esprit et son niveau, sa valeur éducative, comme je le mentionnais
tout à l'heure.
Mais il y a plus grave: adopter, du jour au
lendemain, une charte avec des principes aussi étendus que
ceux-ci et dire que ceux-ci s'appliquent nonobstant toute autre
législation introduirait la plus grande incertitude sur le plan
judiciaire qu'on puisse connaître. Toutes les lois, actuellement
adoptées par ce Parlement, devraient être
réexaminées et pourraient être réexaminées
à la loupe des contestations devant les tribunaux avec un
résultat effarant sur le plan du nombre de procès de
l'incertitude des citoyens, sur le plan juridique. Evidemment, le chef de
l'Opposition peut en rire, il est professeur, c'est son métier que
d'ergoter sur des textes de loi, mais il ne sait pas se mettre à la
place des pauvres justiciables qui veulent savoir quelle est la loi. C'est une
des grandes vertus de la...
M. MORIN: M. le Président, le ministre me permettrait-il une
question?
Dois-je comprendre de son discours qu'il y a, dans la législation
québécoise, de très nombreux accrocs aux droits de
l'homme?
M. CHOQUETTE: Dyena, c'est évident. Je pourrais vous donner un
exemple. Prenez à l'égard de la discrimination, les femmes ne
sont pas admises dans les tavernes, vous le savez. Voici un accroc.
Le droit, par exemple, qu'ont certaines municipalités de limiter
les manifestations ou d'en contrôler les modalités, cela peut
être un accroc si on pense à une charte en termes de droits
absolus. Mais je crois que la vertu de n'importe quelle loi et de n'importe
quelle législation gouvernementale, c'est sa certitude, parce que le
citoyen veut savoir quelle est la loi. Cela est peut-être plus important
que de savoir qu'il peut avoir un procès et qu'il peut contester tel
droit du gouvernement ou tel droit d'un organisme public ou d'un citoyen. A ce
point de vue, le texte de loi n'introduit pas d'ambiguité
dans la conception du droit que se font les citoyens et il n'introduit pas, par
conséquent, ce facteur d'incertitude qui serait grave.
Finalement, dans ce domaine, il faut aussi se garder d'un certain
immobilisme, c'est-à-dire qu'une charte ne peut pas dire qu'elle
définit, une fois pour toutes, les droits et les libertés de la
personne. Tenter de dire cela ou de l'affirmer, c'est vraiment non seulement
présumer de la capacité de le faire, qui n'est sûrement pas
vérifiée sur le plan historique, mais aussi c'est peut-être
empêcher l'évolution ultérieure. C'est la raison pour
laquelle le texte proposé, en gardant une certaine flexibilité,
permettra une évolution future souhaitable dans le sens du
développement des droits et libertés des personnes.
Juste avant de terminer, je réponds à une objection qui
m'a été faite par certains membres de la presse et par d'autres
personnes. On m'a dit: Mais avec votre charte, qu'est-ce qui va arriver en
temps de crise, octobre 1970, la guerre de 1939-1940? Qu'est-ce que cela vaut
si cela ne vaut rien en temps de crise? Mais c'est la même chose dans
tous les pays sous toutes les latitudes. En temps de crise, c'est l'Etat qui a
le droit de se protéger et l'Etat prend les moyens qu'il pense
nécessaires, compte tenu de la situation sociale. Ceci est vrai sous
tous les régimes, même sous l'empire de la Constitution
américaine. On a, après tout, des droits consacrés par la
Constitution. Advenant un état de guerre ou de crise, le
président, avec les procédures appropriées, peut retirer
un certain nombre des droits qui s'y trouvent énoncés.
C'est donc dire qu'il y a des circonstances où les
impératifs de la société et de l'Etat priment sur les
droits individuels.
A ce moment, tout en faisant en sorte que ces droits soient le moins
brimés possible, il faut agir et je pense que ceci devrait
répondre à certaines questions qui m'ont été
posées à ce sujet.
M. le Président, je termine aussi en disant que le gouvernement
et tous ses organismes seront liés par cette charte. Il est vrai que la
charte ne transcendera pas les autres lois, mais le gouvernement lui-même
sera lié par la charte ainsi que tous ses organismes, ainsi que toutes
les municipalités. Par conséquent, à ce point de vue, la
charte a une extension certaine.
L'adoption de ce projet de loi, M. le Président, marquera une
date importante et significative dans le renforcement et le
développement des droits et libertés de la personne au
Québec. Le Québec sera, je le pense, M. le Président, une
société plus mûre et plus civilisée par
l'application des principes qui sont contenus dans ce projet de loi.
LE PRESIDENT: Si je comprends bien, le prochain intervenant sera le chef
de l'Opposition officielle.
M. MORIN: C'est bien cela, M. le Président.
LE PRESIDENT: Avant de suspendre les travaux jusqu'à 20 heures
15, j'imagine...
M. BIENVENUE: Vingt heures 30. Nous ne sommes que de pauvres humains, M.
le Président.
LE PRESIDENT: Bon, 20 heures 30. Je dois donner avis à
l'Assemblée que ce soir, à la fin de la séance, nous
suspendrons l'ajournement pour permettre deux minidébats en vertu de
l'article 174: l'un demandé par le député de
Saint-Jacques, s'adressant au ministre de l'Education, et l'autre par le
député de Saguenay, s'adressant au ministre de l'Agriculture.
L'Assemblée suspend ses travaux jusqu'à vingt heures
trente.
(Suspension de la séance à 18 h 18)
Reprise de la séance à 20 h 31
LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre, messieurs!
L'honorable chef de l'Opposition officielle.
M. Jacques-Yvan Morin
M. MORIN: M. le Président, les Québécois attendent
une charte des droits de l'homme depuis plus de dix ans maintenant. On en
parlait déjà avant 1960, à l'époque où le
Québec offrait un saisissant contraste avec les principes qui avaient
été consacrés dans la déclaration universelle des
droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale
de l'ONU en 1948.
Je me permets d'ajouter que j'attendais personnellement ce projet de loi
avec un intérêt particulier puisque, comme s'est plu à le
rappeler le ministre, je l'ai réclamé dans divers écrits
depuis 1963 et que j'ai servi comme rapporteur du comité des droits de
l'homme de l'Office de révision du code civil, dont le rapport a servi
de fondement au premier chapitre du projet qui nous est soumis.
Nous souhaitions tous une charte authentique depuis longtemps. Aussi
va-t-il sans dire je m'empresse de rassurer le ministre sur ce point
que nous voterons, nous de l'Opposition, en faveur de tout projet, si
modeste soit-il, qui favorise l'avancement des droits de l'homme.
Malheureusement, il nous faut constater que le projet qui nous est
proposé ne constitue pas une véritable charte ou loi fondamentale
qui l'emporterait sur toutes les autres lois et pourrait servir de cadre
général de référence pour la législation.
C'est une loi parmi d'autres, une loi "bien ordinaire". Cela vaut mieux que
rien, assurément; c'est pourquoi, d'ailleurs, nous voterons pour le
principe de cette loi. Mais, ce n'est pas, à vrai dire, ce que nous
attendions de la part d'un gouvernement qui se dit, depuis plusieurs
années car on nous annonce ce projet depuis Dieu sait quand
résolu à protéger efficacement les droits de la
personne.
C'est ce qui fait craindre au Barreau du Québec, dans l'une de
ses récentes déclarations, que le projet ne demeure "une
déclaration de beaux principes ou un énoncé de voeux
pieux". Pourtant, M. le Président, la nécessité d'une loi
fondamentale dont les principes primeraient des lois ordinaires et qui ne
pourrait être modifiée que par une majorité spéciale
ou qualifiée de cette Assemblée n'est plus à
démontrer. Il nous aurait fallu il nous faudra un jour ou l'autre
une loi cadre que nous n'avons pas, nous qui, à vrai dire,
n'avons même pas de constitution écrite du Québec.
Depuis quelques décennies, en effet, sont apparus au
Québec deux phénomènes qui ont transformé
complètement la société traditionnelle au sein de laquelle
la personne était davantage intégrée, davantage
protégée par les liens communautaires qu'elle ne l'est
aujourd'hui. Ces deux phénomènes sont la société
industrielle et l'Etat moderne, lesquels ont littéralement balayé
les anciennes structures pour leur substituer, il faut bien le dire, le
laisser-faire économique, le laisser-faire social. Nous avons
été témoins de l'intervention croissante de l'Etat, en
partie pour répondre au vide laissé par le laisser-faire
économique et social, de l'intervention croissante d'une bureaucratie
bienveillante, certes, mais tout de même lourde, d'un appareil à
l'occasion tracassier dans la vie quotidienne des gens.
Le laisser-faire économique et social a entraîné des
tensions entre classes sociales, qu'il a d'ailleurs contribué à
créer. Il a accentué l'exploitation de l'homme par l'homme au
Québec et remis en question les droits des personnes dans un contexte
entièrement nouveau.
Quant à l'Etat, souvent perçu comme l'arbitre de ces
nouvelles tensions ou comme la providence des faibles, il n'a
été, jusqu'ici, qu'un fort médiocre arbitre quand il
n'était pas tout simplement le garant de l'ordre établi, que
certains ont appelé, de manière plus réaliste, le
"désordre établi". Entre le dispensateur de pensions, des
subventions destinées à corriger les pires abus du système
et les citoyens ordinaires, il s'est établi des rapports de haut en bas,
de technocrates abstraits à personnes aux prises le plus souvent avec
des problèmes fort concrets. C'est avec raison que l'on a
soulevé, dans ce contexte, le problème de la "personne humaine",
ce slogan si cher à mes voisins de droite. La personne humaine, il faut
bien le dire, dans ce nouveau contexte, n'est souvent plus qu'un numéro
matricule.
Nous sommes donc devant la nécessité d'un nouveau contrat
social, et j'imagine que le projet du ministre a pour but de répondre,
au moins partiellement, à cette nécessité. La vie
communautaire d'antan a presque disparu. Il faut inventer de nouvelles formes
de vie en commun dans une société industrielle fondée,
hélas, comme le veut la civilisation nord-américaine, sur la
foire d'empoigne. Il faut redéfinir les buts sociaux de la
collectivité, la place qui occupe l'individu et, de ce point de vue, une
charte des droits de l'homme constitue un instrument idéal de
construction sociale. Une véritable charte, et non le document que nous
avons devant nous, qui n'est qu'un projet de loi ordinaire, permettrait de
définir les exigences réciproques des particuliers et de la
collectivité ainsi que les droits sociaux, économiques,
politiques, culturels des Québécois, et leurs libertés
fondamentales. Il serait possible, avec une véritable charte, de faire
de ce monument législatif qu'elle pourrait être le cadre de
référence de toute la législation du Québec.
De même, il importe que soit définie solennellement
l'orientation des activités de l'Etat vers le progrès social.
L'intervention croissante
de l'Etat, en effet, ravive un conflit maintenant classique entre d'une
part, la liberté personnelle, qui demeure la condition de tout
progrès social ou économique, et, d'autre part, les formes
d'organisation nécessaires à la poursuite d'objectifs
collectifs.
Il est donc grand temps que le législateur intervienne pour
garantir un meilleur équilibre entre la liberté des personnes et
les pouvoirs requis pour le fonctionnement d'une machine administrative de plus
en plus complexe, qui ressemble à une sorte de vaste ordinateur.
A côté de ces deux phénomènes, qui sont
à vrai dire universels, que nous ne retrouvons pas qu'au Québec,
il en existe un troisième qui, lui, est particulier au contexte
québécois et qui nécessite, lui aussi, l'adoption de
règles du jeu nouvelles sur les plans politique et social. Dans une
société longtemps demeurée monolithe, où la
majorité affirme de plus en plus son droit à une existence
distincte, en tant que groupe national, se manifeste dans le même temps
le pluralisme ethnique et religieux des Québécois. L'Etat se voit
donc forcé, dans ce contexte, d'intervenir à nouveau pour assurer
la coexistence pacifique des groupes, des personnes et des croyances, tout en
permettant à la majorité longtemps minorisée de prendre sa
place au soleil.
L'apparition de groupes politiques, dont les idées plus ou moins
radicales paraissent volontiers suspectes au pouvoir, ne doit pas servir non
plus de prétexte à des occasions multipliées
d'ingérence policière, d'arbitraire, d'intimidation, comme nous
avons connues il n'y a pas si longtemps. C'est l'un des buts essentiels d'une
charte authentique, d'une "charte" digne de ce nom, que d'assurer les
libertés publiques des citoyens.
Je pense, en particulier, à la liberté de penser, à
la liberté d'exprimer ses idées et de se grouper pour les
défendre.
L'exercice de ces libertés, dans une démocratie, ne
saurait être subordonné à des restrictions autres que
celles qui, expressément prévues dans la loi, constituent des
mesures absolument nécessaires au respect des droits et des
libertés d'autrui, à la sauvegarde de la paix publique et
à la prévention du crime.
Le ministre de la Justice a déclaré, tout à
l'heure, que le Québec ne saurait rester à l'écart de ce
vaste mouvement d'idées qui se développe en Occident aujourd'hui,
qui tend, de plus en plus, à protéger la personne. Ce courant
tire ses origines, plonge ses racines dans l'histoire d'une civilisation
à laquelle les Québécois appartiennent de façon
très profonde. Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec ce
que nous a dit le ministre.
Je ne puis que lui donner raison, en effet, en particulier sur le point
suivant: nous ne pouvons rester à l'écart de l'Occident. Nous
avons été longtemps maintenus dans l'isolement par rapport aux
autres pays avec lesquels nous partageons cette civilisation occidentale, mais,
depuis quelque temps, nous sortons de cet isolement et nous voulons participer
pleinement à tous ces courants d'idées qui traversent le monde.
Toutefois, si telle est bien notre démarche, comme le laissait entendre,
tout à l'heure, le ministre de la Justice, poursuivons-la jusqu'au bout.
Donnons-nous une véritable charte des droits de l'homme, une
véritable loi fondamentale et non un document qui, s'il constitue un
départ, un pas dans la bonne direction, n'en demeure pas moins un
document tronqué, une loi à portée fort
limitée.
M. le Président, jusqu'ici, on a opposé deux arguments
principaux à ceux qui voulaient que le Québec se donne une
véritable charte des droits de l'homme. Tout à l'heure, le
ministre a repris certains de ces arguments; je voudrais maintenant, tenter de
les analyser.
On a dit, en premier lieu : Le cadre fédéral ne permet pas
au Québec d'agir dans ce domaine parce que les compétences sont
partagées et que le Québec ne possède que la portion
congrue. En second lieu, on a soutenu que le Parlement ne peut se lier les
mains pour l'avenir et ne saurait s'imposer des obligations intangibles. C'est
surtout ce second argument qui a été repris par le ministre.
Je commencerai par jeter un coup d'oeil sur le premier. Le cadre
fédéral serait contraignant au point d'empêcher le
Québec de s'occuper de la protection des droits de l'homme. Il est vrai,
par exemple, que la législation pénale et la procédure en
matière criminelle, qui touchent de façon immédiate aux
droits de la personne, sont du ressort fédéral. On pourrait
être tenté de croire qu'à la suite de l'adoption de la
déclaration des droits par le Parlement fédéral il n'y a
plus rien à dire dans ce domaine au Québec.
Il existe, effectivement, le ministre le sait, des
fédérations, par exemple, l'Inde et le Mexique, qui ont des
dispositions constitutionnelles qui leur permettent de légiférer
dans le domaine des droits de l'homme sans avoir à respecter le partage
des compétences.
M. CHOQUETTE: Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition me permettrait
une question?
M. MORIN: Volontiers, à condition que ce ne soit pas trop
fréquent.
M. CHOQUETTE: Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition peut nous
citer en exemple le cas du Mexique et de l'Inde comme pays où on
respecte effectivement les droits de l'homme?
M. MORIN: Effectivement l'Inde, avec les problèmes énormes
auxquels elle se heurte, problèmes de surpopulation, fait des efforts
extrêmement louables pour les respecter. Je connais beaucoup de pays aux
prises avec des problèmes moindres, qui respectent moins les
libertés fondamentales et les droits de l'homme que l'Inde ne
peut le faire. Je n'entends pas, cependant...
M. CHOQUETTE: II ne faudrait pas...
M. MORIN: ... citer ces pays en modèles. Je dis que ce sont des
fédérations centralisées où le partage des
compétences s'efface en quelque sorte devant l'exclusivisme du pouvoir
fédéral en matière des droits de l'homme. Cela est
prévu expressément dans la constitution.
Mais ici, dans ce pays, il en va différemment. Qu'on se souvienne
de l'arrêt très célèbre de 1935 dans l'affaire des
Conventions du travail, arrêt du conseil privé. D'après
cette décision qui portait indirectement sur les droits de l'homme, le
pouvoir central ne peut adopter une loi pour mettre en oeuvre des conventions,
des traités dont l'objet relève de la compétence des
provinces.
C'est la raison pour laquelle le gouvernement d'Ottawa s'est
montré très réticent, comme le ministre le sait
sûrement, à l'égard de tous les pactes internationaux
portant sur les droits de l'homme. Depuis que les clauses
fédérales, comme on les appelait autrefois, ont été
abolies, à l'ONU et dans les institutions spécialisées, le
gouvernement fédéral a dû s'abstenir de ratifier la plupart
des conventions portant sur les droits de l'homme.
C'est donc là une première preuve, M. le Président,
que le Québec possède une compétence dans ce domaine,
puisque les plus hauts tribunaux du pays et, autrefois, de l'Empire, ont
interdit au pouvoir fédéral de s'immiscer dans ces domaines dont
plusieurs aspects relèvent des compétences provinciales. Aussi,
les responsabilités du Québec sont-elles considérables. Je
voudrais en énumérer quelques-unes.
En premier lieu, le Québec possède le pouvoir de modifier
sa propre constitution, d'après l'article 92 de l'A.A.B.N., sauf en ce
qui a trait aux fonctions du lieutenant-gouverneur. Il peut donc modifier la
composition de cette Assemblée, il peut modifier les conditions
d'éligibilité des représentants du peuple. Il peut amender
les modes de scrutin; j'espère d'ailleurs, M. le Président, qu'il
va le faire rapidement. Il peut modifier la durée de cette
Assemblée, la fréquence des sessions; il peut modifier la carte
électorale, aussi bien pour favoriser les partis d'Opposition que pour
favoriser le parti au pouvoir. Or, tout cela touche très directement aux
droits politiques fondamentaux des citoyens.
H en est bien peu question dans votre projet, M. le ministre et, tout
à l'heure, j'aurai l'occasion de jeter un coup d'oeil rapide sur les
droits politiques, tels qu'ils sont définis dans ce que vous appelez
votre "charte".
En second lieu, le Québec possède une compétence
exclusive en matière de propriété et de droit civil. Cela
embrasse la capacité des personnes, par exemple le statut de la femme
mariée, les biens, les successions, les contrats, les délits,
toutes choses qui touchent de très près également aux
droits fondamentaux de la personne.
Troisièmement, les tribunaux, vous le savez, ont fait appel au
principe de la liberté contractuelle pour justifier des distinctions
fondées notamment sur la race. Je ne vais pas m'amuser à passer
en revue toute la jurisprudence, puisque la plupart des juristes dans cette
Assemblée connaissent fort bien les arrêts qui, se fondant sur la
liberté contractuelle, permettaient d'établir des distinctions
fondées sur la race. Cela relève également du droit
civil.
Quatrièmement, le Québec possède une
compétence très large en matière économique et
sociale. Il est vrai que cette compétence, il doit la partager, dans
l'état actuel de la constitution, avec l'Etat central lequel
possède, à vrai dire, les principales compétences en
matière économique. Cependant, rien n'interdit à
l'Assemblée nationale d'adopter sa propre déclaration des droits
à l'égard des aspects qui la concernent. Je pense, en
particulier, à des aspects qui ont été
négligés comme, par exemple, le droit au travail, avec toutes les
nuances que cela peut comporter j'y reviendrai tout à l'heure
la liberté syndicale, dont il n'est pas dit un mot...
M. CHOQUETTE: Est-ce que le député me permettrait une
question?
M. MORIN: ...dans le projet. Cette fois vous voudrez bien attendre. Si
c'est purement pour m'interrompre, vous aurez...
M. CHOQUETTE: Le droit d'association.
M. MORIN: ...le loisir de me rappeler que l'article 3, de façon
très vague, parle du droit d'association. Mais la plupart des chartes,
à travers le monde, consacrent de façon explicite la
liberté syndicale et même, parfois, dans le détail; vous
êtes trop bien renseigné pour l'ignorer.
On pourrait aussi mentionner le niveau de vie minimum auquel on fait
allusion mais de biais et avec toutes sortes de clauses échappatoires
dans le projet de loi. On pourrait aussi mentionner le droit à
l'instruction où, là encore, le projet actuel nous dit que ce
droit existe, bien sûr, mais "dans la mesure prévue par la loi".
Ce qui, on en conviendra, est une façon détournée
d'accorder un droit fondamental.
Cinquièmement, bien que le Parlement fédéral
possède la compétence à l'égard du droit
pénal et en matière de procédure criminelle, le
Québec est responsable de l'administration de la justice. Il a le
pouvoir d'infliger des peines par voie d'amendes, d'emprisonnement même.
Les libertés personnelles sont donc tout autant à la merci du
gouvernement du Québec qu'elle ne sont à la merci du pouvoir
fédéral. Les personnes peuvent être arrêtées
par des autorités
québécoises, elles peuvent être détenues,
avoir à se défendre dans des affaires qui découlent de
l'application de la législation du Québec.
En sixième lieu, les libertés publiques, auxquelles il est
fait allusion de manière un peu trop rapide dans l'article 3 du projet
de loi, c'est-à-dire les libertés de religion, de pensée,
d'expression, sont déjà protégées dans une large
mesure par le droit public de ce pays. Dans la tradition britannique, c'est la
jurisprudence qui joue ce rôle, en l'absence d'une constitution
écrite. Mais nombreux sont les cas de conflits de compétence qui
ont démontré que le Québec peut fort bien, et n'a pas
hésité dans le passé, surtout à l'époque
Duplessis, à brimer les libertés fondamentales. Je songe, par
exemple, à la loi du cadenas, à l'affaire Roncarelli, à
l'affaire Saumur, à l'affaire Switzman, et combien d'autres qui ont
démontré qu'une Législature provinciale, bien que ses
compétences soient limitées, peut empiéter de façon
très abrupte sur les droits de la personne. La liberté comporte
donc des aspects provinciaux et même des aspects municipaux puisqu'on a
vu encore tout récemment un tribunal supérieur déclarer
qu'un certain règlement antimanifestation de la ville de Montréal
était parfaitement conforme à la constitution, au droit
public.
Tout cela, M. le Président, démontre l'ampleur des
responsabilités du Québec, de nos responsabilités devant
les Québécois. Aussi était-il fort opportun que nous
adoptions une loi. Encore une fois, nous allons voter en faveur du projet que
vous venez de nous soumettre. Mais nous avons des réserves à
exprimer et nous aurons des suggestions à vous faire. Nous regrettons
simplement, M. le ministre, que de façon un peu cavalière vous
ayez empêché les intéressés de comparaître
devant la commission parlementaire avant la seconde lecture et avant l'adoption
du principe de ce projet. Nous les entendrons sûrement comme vous
en avez donné l'assurance, je l'ai noté au passage
après la deuxième lecture, mais ce ne sera pas la même
chose. Ce ne sera pas comme si nous avions publié des avis invitant la
population et toutes les personnes intéressées à venir
devant la commission. Ne viendront que quelques organismes et ils seront
à la merci des décisions de la commission. Si le ministre n'est
pas d'accord sur mon interprétation, j'espère qu'il nous donnera
des assurances beaucoup plus précises tout à l'heure, dans sa
réplique.
Il était donc opportun d'adopter une loi, une loi fondamentale,
une véritable charte. Avons-nous exécuté convenablement
cette tâche avec le projet qui nous est soumis aujourd'hui? Je ne vais
m'attacher, étant donné que le temps passe qu'aux trois aspects
qui me paraissent les plus importants: premièrement, les droits
politiques; deuxièmement, les droits économiques et sociaux et,
enfin, je dirai un mot des droits de la femme, qui semblent quelque peu
négligés dans ce projet de loi.
Oh! je sais que le ministre va me répondre qu'au sens
générique "l'homme embrasse la femme", mais ce n'est pas
là une réponse satisfaisante aux problèmes que j'ai
à soulever.
En ce qui concerne, en premier lieu, les droits politiques, il n'y a que
deux articles dans l'ensemble de ce projet de loi, lesquels consacrent tout
d'abord le droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée
nationale droit qui existe déjà de toute façon en
droit parlementaire et les droits d'éligibilité et de
vote. M. le Président, c'est un peu court. Le Québec a une
compétence plus étendue que cela dans ce domaine. Puis-je
suggérer au ministre, anticipant sur la troisième lecture, deux
autres dispositions fort importantes dont l'une, en tout cas, me paraît
essentielle. La première est la suivante: les citoyens ont le droit
d'exprimer leur volonté par des élections honnêtes qui
doivent avoir lieu au moins tous les cinq ans, au suffrage universel
égal et au scrutin secret. Ce sont là des garanties fondamentales
qui ne se trouvent pas dans le projet. Or, ce n'est pas au ministre que je vais
expliquer à quel point il serait important que nous ayons au
Québec des élections honnêtes. Tous ceux qui, dans cette
Assemblée, ont participé, par la force des choses, à des
élections savent je n'accuse personne et je ne fais même
pas de distinction de partis que les élections ne sont pas
toujours honnêtes au Québec, que cela laisse fort à
désirer. Comme je n'ai mis en cause aucun parti en particulier,
j'espère que tous ici pourront convenir qu'à tout le moins on
pourrait améliorer les choses dans ce domaine, notamment en s'assurant
de l'identité de ceux qui votent. Eh bien! ce serait une excellente
disposition à ajouter à ce projet de loi. En tout cas, pour ma
part, je la considère comme étant essentielle parce qu'il n'y a
pas de démocratie véritable sans des élections
honnêtes.
Deuxièmement, j'estime qu'il faudrait prévoir que tout
citoyen québécois a le droit d'accéder, dans des
conditions d'égalité, à toutes les fonctions publiques. Le
ministre conviendra avec moi qu'il n'y a pas un mot là-dessus dans la
"charte". C'est peut-être un oubli. Je dois lui souligner le fait qu'on
trouve des dispositions de ce genre dans la plupart des chartes des pays
étrangers.
Au chapitre des droits économiques et sociaux, j'estime qu'on y
trouve les dispositions les plus faibles, les plus aléatoires de tout le
projet de loi. Ces droits économiques et sociaux, le ministre l'a
rappelé, ce sont les droits de l'homme du XXe siècle. Le reste de
la charte, les droits politiques et les droits civils qui, j'en conviens, sont
assez bien protégés ils le seraient du moins s'il
s'agissait d'une loi fondamentale sont des droits qui ont
été consacrés par l'histoire, depuis le XVIIIe
siècle en particulier. Mais les droits du XXe siècle, ce sont les
droits économiques et sociaux. Ce n'est pas pour rien que
l'Assemblée générale de
l'ONU a rédigé et adopté un Pacte spécial
portant sur ces droits.
J'irais jusqu'à dire qu'aujourd'hui il n'est pas de
démocratie politique sans démocratie économique. Et nous
pouvons peut-être arriver un jour à avoir une démocratie
pseudo-politique au Québec sans avoir pour autant obtenu la
démocratie économique. Je veux dire qu'on pourrait arriver
à une situation où les lois ayant été
améliorées, les lois électorales notamment, on aurait
l'impression que nous vivons en démocratie alors qu'en
réalité, faute de protéger et de développer les
droits économiques et sociaux, nous n'aurions de la démocratie
que la façade, celle qu'a voulu défendre le XVIIIe
siècle.
Aujourd'hui, dans la plupart des pays et à l'Organisation des
Nations unies, ce sont les droits économiques et sociaux qui priment
dans les esprits. Nous nous serions attendus à les trouver bien
développés dans le projet; ce n'est malheureusement pas le cas.
Que trouve-t-on? Deux articles touchent vraiment des droits sociaux
fondamentaux. L'article 37, qui nous dit que l'instruction publique est
gratuite, mais qui ajoute aussitôt "dans la mesure et suivant les normes
prévues par la loi". De même, l'article 41, qui nous décrit
le droit à l'assistance financière pour toute personne qui se
trouve dans le besoin, mais, là encore, dans les limites prévues
par la loi.
Au XXe siècle et surtout depuis une vingtaine d'années, si
le ministre désire vraiment se situer dans le courant des idées
actuelles, s'il veut que le Québec ne soit pas à l'écart
de ces courants qui parcourent le monde en matière de droits de l'homme,
il faudrait qu'il se rende compte que ce n'est plus d'assistance
financière que les citoyens ont besoin; c'est de quelque chose qui
répond beaucoup plus à la dignité de la personne et que
nous appelons, pour notre part, le revenu minimum garanti. C'est une notion qui
répond beaucoup mieux à ce dont un citoyen a besoin pour
vivre.
En matière de droits économiques et sociaux, le ministre
nous a dit qu'il voulait adopter une attitude "flexible". M. le ministre,
savez-vous qu'elle est flexible au point que vous pourriez lui faire prendre
presque toutes les formes imaginables? Savez-vous que cela en est même
informe? Il aurait fallu reconnaître, au moins, avant toute chose, le
droit fondamental pour toute personne de gagner sa vie par un travail librement
accepté. Ce n'est pas moi qui invente cette expression; elle se trouve
dans les documents internationaux et dans nombre de constitutions. Evidemment,
lorsqu'on ne peut trouver de travail et je conviens que, dans certains
cas, cette situation se présente c'est alors que l'Etat doit
assurer un revenu minimum garanti aux travailleurs.
De même, on nous apprend que "quiconque travaille a droit,
conformément à la loi c'est-à-dire
conformément à l'ensemble des autres lois à des
conditions de travail justes et raisonnables, c'est l'article 42. Pourquoi
être si vague, si "flexible"? Pourquoi ne pas être plus explicite,
comme le sont les articles 6 et 7 du pacte de l'ONU sur les droits
économiques et sociaux? Pourquoi ne pas mentionner certains
éléments particulièrement fondamentaux parmi ces
conditions de travail comme, par exemple, l'hygiène et la
sécurité dont on sait à quel point les travailleurs
québécois ont à se plaindre?
Pourquoi passer sous silence les loisirs des travailleurs, les
congés périodiques payés? Est-ce que le ministre a rendu
visite à des ateliers ou usines du Québec où l'on
travaille à la pièce? Est-ce qu'il sait ce que c'est que forcer
la cadence en payant à la pièce? Est-ce que le ministre s'est
rendu sur place pour voir ce que c'était, dans le Québec de 1974,
des conditions de travail justes et raisonnables? Que va-t-il faire pour
corriger les abus qu'on trouve dans ces usines et dont j'ai été
témoin à plusieurs reprises? Je me demande si je ne devrais pas
inviter le ministre de la Justice à m'accompagner lors de l'une de mes
prochaines tournées. Nous verrions ensemble beaucoup de choses; il
apprendrait beaucoup de choses.
Que dit la charte pour venir en aide à ces travailleurs qui sont
aux prises avec des problèmes bien concrets, comme deux des cadences
forcées? J'ai bien l'impression, M. le ministre, que votre projet de loi
ne changera absolument rien à cela, pas plus qu'il ne changera quoi que
ce soit aux conditions de sécurité qui règnent sur les
chantiers.
Pourquoi n'avoir pas consacré, dans cette soi-disant charte, le
droit de former des associations syndicales? Pourquoi ne pas l'avoir dit
expressément, comme dans la plupart des chartes qu'on trouve dans les
pays étrangers? Pourquoi n'avoir pas consacré les
intérêts économiques et sociaux des travailleurs de
façon plus explicite? Pourquoi n'avoir pas consacré le droit
à la négociation collective? Pourquoi n'avoir pas consacré
le droit de grève, en précisant, si cela est nécessaire,
les limites de ce droit dans les services publics? C'était l'occasion de
le faire.
En troisième lieu, M. le Président, j'estime que la place
de la femme dans cette charte est tout à fait secondaire; elle n'y est
mentionnée qu'en passant. Il s'agit d'une loi qui protège les
droits de la personne, même si l'on parle des droits "de l'homme".
Pourquoi n'avoir pas consacré le droit à l'identité, par
exemple? Que le ministre n'aille pas me dire que les Québécoises
et les Québécois ne sont pas prêts pour une démarche
de cet ordre. Est-ce qu'il n'est pas temps de permettre à la femme
mariée de conserver son nom de famille, si elle le désire, tout
en précisant que ses papiers d'identité, le cas
échéant, son statut matrimonial et le nom de son mari? Pourquoi
ne pas reconnaître, puisque nous parlons de droits fondamentaux, que le
nom d'une personne, c'est un élément indispensable de sa
personnalité? Pourquoi n'avoir pas consacré également le
droit de la femme mariée en particulier, de s'instruire, de
continuer à s'instruire ou de travailler sans la permission de
son mari?
Enfin, M. le Président, on aurait pu prévoir une
interdiction de pénaliser la femme de quelque façon que ce soit,
à la suite d'une maternité. Il aurait été possible
de prévoir dans une charte vraiment complète, qui aurait vraiment
répondu aux problèmes réels auxquels nous faisons face
dans le Québec d'aujourd'hui, un droit de la femme mariée
à des congés de maternité et l'obligation, pour son
employeur, de lui conserver son emploi et ses avantages sociaux.
En conclusion de cette première partie, M. le Président,
je dirais que la charte que nous avons devant nous, comme l'a soutenu
d'ailleurs la Ligue des droits de l'homme, est pleine de trous béants.
J'espère qu'avant la troisième lecture, le ministre se montrera
ouvert aux suggestions destinées à compléter ce qu'il
appelle, un peu pompeusement, sa "charte".
En second lieu, et c'est le deuxième argument important à
l'encontre de...
M. CHOQUETTE: Je n'ai pas de droit de propriété.
M. MORIN: Je faisais allusion au mot "charte" plutôt qu'à
votre droit de propriété, car il ne s'agit pas d'une charte, bien
que le mot paraisse dans le texte même du projet de loi. Ce n'est ni une
charte, ni une loi fondamentale, comme je vais d'ailleurs maintenant le dire
dans le temps qu'il me reste.
Le second argument qu'on fait valoir à l'encontre de la
compétence du Québec en matière des droits de l'homme est
celui-ci: Le Parlement ne pourrait se lier les mains en régime
britannique; il ne saurait s'imposer d'obligations intangibles. Cet argument
comporte deux aspects dont je vais traiter tour à tour.
Le premier aspect est le suivant: On ne saurait, en régime
d'inspiration britannique, bien qu'on le saurait en régime
présidentiel, nous a dit le ministre, conférer la primauté
ou un caractère primordial à un projet de loi sur les droits de
l'homme.
Deuxièmement, on ne saurait accorder à ce projet de loi
une protection spéciale, ce qu'on appelle dans la langue anglaise, en
droit constitutionnel britannique, "entrenchment".
Pour ce qui est de la primauté de la charte, le ministre nous a
dit qu'il préférait laisser coexister (ce sont les termes qu'il a
employés) les lois qui viendraient à l'encontre de la charte. Il
a souligné le fait que si un doute surgit dans l'interprétation
d'une loi qui paraît contraire au présent projet de loi, celle-ci
prévaudra, mais c'est là une situation tout à fait
exceptionnelle. Le ministre sait bien que, dans la plupart des cas, les
contradictions seront flagrantes. Et en cas de contradictions claires, ce sera
la loi qui sera la plus précise, même si elle vient à
l'encontre de la charte des droits de l'homme, qui l'emportera.
C'est surtout le second alinéa de l'article 45 qu'il faut lire
avec soin et dont nous devons tenir compte dans ce débat. La charte,
nous dit-on, ne doit pas être interprétée de manière
à modifier ou restreindre la portée de toute autre loi. On veut
dire, par là, toute loi, antérieure ou postérieure. M. le
Président, c'est abuser du mot "charte" que d'y inclure un article comme
le 45e. Ce mot, d'habitude, signifie: loi fondamentale. Cela traduit le
caractère fondamental d'un document législatif. Le projet qui
nous est proposé ce soir n'est ni une charte, ni une loi fondamentale.
C'est une loi ordinaire qui peut être contredite demain par une autre
loi; elle n'a rien à voir avec ce qu'on appelle "charte" dans les
constitutions ou dans la législation des Etats étrangers.
De fait, je dois dire que le projet sur ce point ne change absolument
rien au droit existant ou si peu que ce n'est pas la peine d'insister. Il
codifie ce qui existe; d'ailleurs, la Ligue des droits de l'homme l'a reconnu.
A notre avis, ce n'est pas assez. Il aurait fallu une véritable charte
l'emportant sur les autres lois et pouvant constituer un cadre de
références pour l'ensemble de la législation
québécoise.
Le ministre nous a dit: Ce serait créer de la confusion et de
l'ambiguïté que de préciser que le projet de loi
l'emporterait sur toute autre législation. Il faudrait alors, dit le
ministre, prévoir les exceptions dans la charte même. Je conviens
que c'est une difficulté. Ce n'est pas facile de dire tout l'essentiel
dans une véritable charte. Mais beaucoup de pays l'ont fait et je ne
vois pas pourquoi le Québec ne pourrait pas en faire autant. Par
exemple, la Convention européenne, que le ministre connaît, et qui
a servi de base à la législation dans de nombreux Etats
européens, a un caractère fondamental; elle a donné
naissance à des lois nationales, qui ont un caractère fondamental
et à l'encontre desquelles aucune autre loi ne saurait aller. Eh bien,
dans la Convention européenne, pour répondre à l'objection
du ministre, on a réservé les cas où des mesures sont
nécessaires pour assurer la paix publique, la prévention du crime
ainsi que le respect des droits et des libertés d'autrui. Il serait
possible d'inclure dans la charte québécoise une disposition
générale de cette sorte et un certain nombre de dispositions plus
précises qui donneraient plus de mordant aux droits et libertés
que nous prétendons protéger.
Le ministre disait: Si l'on fait cela, nous serons dans l'incertitude et
dans l'ambiguité. Eh bien! je lui réponds que c'est exactement le
contraire. C'est la loi que nous allons adopter qui va engendrer
l'ambiguité et l'incertitude. Pourquoi? Parce qu'en lisant ce projet
devenu loi, personne ne connaîtra exactement l'étendue de ses
droits parce qu'il faudra toujours se référer à ce qui
peut se trouver dans d'autres lois.
C'est très beau d'avoir un projet de loi qui prétend nous
décrire nos droits et nos libertés,
mais à lire quelqu'article que ce soit, dans ce projet, on ne
sera jamais sûr que c'est complet et qu'on peut bénéficier
pleinement du droit et des libertés qui y sont énoncés. Je
dis au ministre que c'est sa technique qui va créer de l'incertitude et
de la confusion car on ne saura jamais exactement si l'article 43 ou l'article
55 dit toute la vérité ou s'il ne faut pas plutôt se
référer à l'ensemble de la législation pour
être bien sûr qu'on n'a rien oublié et qu'on connaît
l'étendue exacte de ses droits.
Le second aspect, M. le Président je devrai en arriver
bientôt à mes conclusions est tout de même important.
Ce second aspect des objections qu'on nous fait à la compétence
québécoise en matière des droits de l'homme, est le
suivant: La souveraineté du Parlement est le principe fondamental contre
lequel rien ne saurait prévaloir. Le ministre s'est
référé à cela tout à l'heure et, ma foi, il
est en bonne compagnie, mais quelque peu vieillotte puisqu'il s'agit de Dicey.
Cet auteur enseignait, en effet, que le Parlement britannique ne pouvait
restreindre ses propres pouvoirs, ses propres compétences, par une
loi.
Le ministre a repris ce raisonnement juridique un peu désuet et,
disons-le, sclérosé, en 1974. Il serait donc impossible, si l'on
se fiait à Dicey et à Choquette je cite le ministre comme
on cite un savant auteur de donner un caractère fondamental aux
lois destinées à protéger l'individu et impossible de
stipuler, par exemple, que ces lois ne sauraient être modifiées
par la suite, que par telle ou telle majorité renforcée de
l'Assemblée nationale, telle majorité qualifiée des
députés présents et votant.
Pourtant, M. le Président, la jurisprudence du Commonwealth
contredit à la fois Dicey et le ministre. S'il est indéniable
qu'un Parlement ne peut limiter sa propre compétence
discrétionnaire, sa souveraineté, comme disait le ministre, ou
celle de ses successeurs, quant au fond, ou à la substance de la
législation, plusieurs auteurs modernes ont soutenu qu'il lui est
cependant possible de se lier dans sa manière de
légiférer.
Je songe en particulier à un auteur qui m'est
particulièrement cher, puisqu'il a été mon professeur
autrefois: Ivor Jennings. Il soutenait que si le Parlement britannique votait
une loi à l'effet que la reine ne puisse être
déposée par le Parlement qu'à la suite d'un vote
renforcé des deux tiers des deux Chambres, par exemple, les tribunaux
britanniques se verraient forcés de respecter cette disposition
législative.
Jennings soutient qu'en dépit du dogme de la souveraineté
parce que c'est un dogme, quand on se réfère à
Dicey en dépit du dogme de la souveraineté du Parlement,
celui-ci, s'il ne peut se lier sur le fond de la législation, peut se
lier dans sa manière de voter.
Je ne vois pas pourquoi nous n'adoptons pas ce raisonnement qui me
paraît répondre mieux aux besoins de la société
moderne que les élucubrations savantes de Dicey.
Je sais que ce raisonnement est combattu par d'autres auteurs, qui
soutiennent la thèse du ministre, mais la jurisprudence du Commonwealth
semble bien donner raison à ceux qui soutiennent que le Parlement peut
se lier les mains quant à la procédure. Je me
réfère, en particulier, à un arrêt que la plupart
des juristes ici doivent connaître puisqu'il est célèbre.
C'est l'arrêt Harris contre The Minister of the Interior, lequel a
été rendu par la cour Suprême de l'Union sud-africaine en
1952, au moment où le Parlement sud-africain prétendait
établir une double représentation au sein des institutions
parlementaires. C'était au début de l'apartheid et le Parlement
voulait revenir sur une loi antérieure qui disait qu'en matière
électorale on ne pouvait faire de distinction entre électeurs
blancs et électeurs de couleur. En 1951, le Parlement sud-africain
voulut abolir cette loi, mais on découvrit qu'il y avait une
procédure d'amendement spéciale incorporée dans la loi,
qui prévoyait qu'il fallait une majorité des deux tiers des deux
Chambres pour que cette garantie fondamentale de non-discrimination
électorale fût modifiée.
L'affaire aboutit devant les tribunaux, naturellement, et la Cour
suprême de l'Union sud-africaine décida que le Parlement
était lié par cette disposition de procédure. Donc, pour
modifier la loi protégeant les électeurs de couleur et
prévoyant qu'il ne saurait y avoir deux sortes de représentation
au sein du Parlement, il fallait adopter cette loi à la majorité
des deux tiers dans les deux Chambres.
Le législateur québécois pourrait se
prévaloir de cette méthode; d'ailleurs, je m'en étais fait
l'avocat il y a plus de dix ans. Il pourrait le faire en vue d'assurer la
prépondérance et le caractère permanent du présent
projet de loi. Ce serait une protection très précieuse le
ministre n'en conviendra-t-il pas contre les fluctuations de la
conjoncture politique.
Il ne pourrait y avoir de modification, par exemple, sans un vote des
deux tiers ou des trois quarts des députés de cette Chambre.
Naturellement, le mode d'amendement lui-même serait protégé
par la même règle de majorité.
Il est temps, M. le Président, que j'en vienne à mes
conclusions sur cet important projet de loi. Quelle est sa portée
concrète? La plupart des droits et libertés décrits dans
le projet existent déjà en droit québécois et en
droit canadien. Ils sont, pour la plupart, consacrés par la
jurisprudence, puisque la plus grande partie du droit public d'origine
britannique n'est pas écrit, que cette partie du droit, en particulier,
n'est pas écrite, n'a pas fait l'objet d'une constitution ou d'une loi
fondamentale. Les tribunaux n'ont pas attendu une loi ou une charte pour les
protéger; ils ont même déclaré ultra vires, le
ministre le sait, des lois ou des règlements qu'ils ont estimés
contraires aux libertés et aux droits fondamentaux.
Comme, d'autre part, le projet n'accorde
aucun caractère fondamental aux droits qu'il prétend
protéger, quelle sera son utilité? J'y vois une certaine
utilité, mais elle est avant tout d'ordre pédagogique.
D'ailleurs, le ministre le reconnaît; il nous a parlé de la
"valeur éducative" du projet. C'est le cas de la Déclaration
universelle des Droits de l'homme, d'ailleurs, qui n'oblige pas les Etats, qui
n'oblige personne, mais qui c'est un fait est à l'origine
du mouvement d'idées qui tend à protéger de mieux en mieux
les droits de l'homme dans le monde.
Enfin, dans le monde, c'est-à-dire dans certains Etats
occidentaux, dans quelques autres, faudrait-il, si l'on veut faire
évoluer les mentalités, que la loi fasse l'objet d'un
enseignement dans les écoles. C'est un voeu que je me permettrais
d'exprimer devant le ministre de l'Education. Nous n'avons pas, comme dans
plusieurs pays, d'enseignement civique. Nous n'apprenons pas à nos
enfants quels sont leurs droits et quels sont leurs devoirs sociaux. La morale
individuelle traditionnelle s'en va à vau-l'eau dans bien des cas et
nous n'avons pas su, par notre système d'enseignement, la remplacer ou
l'épauler par un enseignement qui développerait la morale
collective des Québécois.
M. le Président, puisqu'il me faut bientôt terminer, je
dirai que ce projet de loi règle beaucoup de problèmes sauf les
plus essentiels: Cette loi est-elle fondamentale, s'impose-t-elle en toute
circonstance au législateur et au pouvoir administratif? Cette loi
l'emporte-t-elle sur les autres lois antérieures ou postérieures?
C'est ce qui a fait dire au Barreau que cette loi contient de belles phrases -
j'irais un peu plus loin et je reconnaîtrais que l'énoncé
de certains droits est clair et utile mais que cette loi a peu de
mordant parce qu'elle ne s'impose pas en toute circonstance et qu'elle ne peut
forcer le législateur lui-même à respecter un certain cadre
fondamental.
M. le Président, une loi fondamentale constitue une sorte de
contrat social par lequel les citoyens se reconnaissent les uns aux autres des
droits, c'est-à-dire également des devoirs, puisque la
reconnaissance d'un droit comporte implicitement la reconnaissance d'un devoir.
Reconnaître un droit, c'est s'obliger, en vue d'une dignité plus
grande des personnes, en vue d'une vie sociale mieux équilibrée.
Cependant, pour qu'un tel contrat social ait quelque racine dans la
réalité, on doit y associer le plus possible les citoyens.
Autrement, la loi demeure une abstraction votée par quelque lointaine
assemblée comme, hélas! l'est trop souvent la nôtre. Or, on
peut juger du caractère que le gouvernement entend conférer au
présent projet de loi par son refus d'entendre, avant la deuxième
lecture, les citoyens intéressés. J'estime que cela est beaucoup
plus révélateur qu'on ne le pense; cela traduit peut-être
les frustrations accumulées par le ministre de l'Education au cours du
débat sur le bill 22. Il n'en reste pas moins que le moment normal
d'entendre les citoyens le président de l'Assemblée l'a
rappelé avec raison c'était avant la seconde lecture avant
l'adoption de principe.
Comment peut-on parler, dans ce cadre où vous placez les
Québécois, de véritable "charte", de loi fondamentale et
comment peut-on parler de nouveau contrat social? Ce sont là des mots
creux, des phrases.
Motion de report à trois mois
M. MORIN: M. le Président, dans les circonstances, je propose que
la motion que nous débattons en ce moment soit amendée en
retranchant le mot "maintenant" et en ajoutant à la fin les mots "dans
trois mois", en vue de permettre l'audition des personnes et des organismes
intéressés à se faire entendre par la commission
parlementaire. Ce n'est qu'alors que nous pourrons parler de véritable
"charte", de loi fondamentale.
Je vous remercie, M. le Président.
DES VOIX: Vote.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que les membres de cette
Assemblée sont prêts à se prononcer sur la motion?
UNE VOIX: Oui. M. MORIN: Non. DES VOIX: Vote.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Saguenay.
M. LEVESQUE: C'est le projet de loi no 50.
M. Lucien Lessard
M. LESSARD: M. le Président, je remercie le leader parlementaire
de l'Opposition de m'avoir bien informé qu'il s'agit du projet de loi no
50.
M. LEVESQUE: Le leader parlementaire de l'Opposition vous l'avait dit,
aussi.
M. LESSARD: M. le Président, j'ai bien l'intention de parler sur
la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition. En
effet, contrairement à ce que semblent penser les libéraux, il
s'agit d'un projet de loi fort important. D'ailleurs, le ministre de la Justice
lui-même nous a affirmé à plusieurs reprises qu'il
s'agissait là d'un projet de loi fondamental pour l'ensemble des droits
des Québécois.
Or, tel que nous l'avons fait dans le passé lorsqu'il s'est agi
de projets de loi qui touchent aux droits fondamentaux des
Québécois, lorsqu'il s'agit d'un projet de loi qui aura une
importance considérable pour les libertés des citoyens
québécois dans l'avenir, il me semble
que nous devrions prendre toutes les précautions
nécessaires pour faire en sorte que ce projet de loi corresponde
véritablement aux réalités québécoises. Il
me semble que nous devrions prendre les précautions nécessaires
afin que les citoyens qui seront touchés par ce projet de loi, les
citoyens qui sont intéressés par ce projet de loi puissent se
faire entendre, mais non pas seulement après que nous aurons
adopté le ou les principes du projet de loi. Tel que nous l'a
confirmé d'ailleurs le président de l'Assemblée nationale,
il sera trop tard à ce moment pour modifier les principes mêmes du
projet de loi.
Mais les citoyens qui sont directement impliqués, l'ensemble des
citoyens, et plus particulièrement les citoyens qui sont
regroupés, les citoyens qui veulent faire entendre leur voix sur ce
projet de loi, il me semble que ce n'est pas après l'adoption du
principe qu'ils auraient le droit, qu'ils devraient avoir la possibilité
de se faire entendre. Mais c'est bien avant la deuxième lecture, tel que
ceci s'est passé lorsque nous avons étudié un projet de
loi qui touchait une liberté fondamentale des Québécois,
à savoir la nécessité ou le droit de conserver leur
langue. Eh bien, c'est d'abord après la première lecture que ces
citoyens devraient avoir la possibilité de se faire entendre. Et c'est
d'ailleurs ce qui justifie, je pense, la motion qui est présentée
par le chef de l'Opposition. Cette motion est d'autant plus justifiée
qu'il s'agit probablement d'un des projets de loi les plus importants que nous
aurons à voter au cours de cette session, un des projets de loi qui
auront le plus de conséquences, à la fois peut-être
positives comme négatives sur l'ensemble de la population
québécoise.
Or, qu'est-ce qui justifierait le ministre de la Justice de ne pas
accepter la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition?
A-t-on peur, encore une fois, comme cela a été le cas pour le
bill 22, que les principaux organismes représentatifs de la population
viennent, dès après la première lecture, en commission
parlementaire contester non pas le bien-fondé général de
ce projet de loi, mais viennent simplement nous dire qu'il ne s'agit encore une
fois que de la poudre que l'on jette aux yeux des Québécois?
Que ces gens viennent nous expliquer comment ce projet de loi ne vient
pas changer grand-chose dans la réalité québécoise.
Je pense qu'il serait important que le ministre de la Justice accepte la
proposition ou la motion présentée par le chef de l'Opposition.
Je pense que le ministre de la Justice devrait accepter, étant
donné l'importance de ce projet de loi, que les corps
intermédiaires, que les citoyens, que l'ensemble de la population, qui
serait regroupée à l'intérieur d'organismes, viennent,
avant l'adoption du principe de ce projet de loi, viennent nous dire en quoi ce
projet de loi a des trous béants, en quoi ce projet de loi ne
représente pas la réalité ou les besoins de l'ensemble des
Québécois, qu'ils viennent nous dire pourquoi, comme c'est
arrivé souvent dans les projets de loi qui nous ont été
proposés par ce gouvernement, ce projet de loi est encore de la poudre
aux yeux, pourquoi ce projet de loi ne changera en rien la situation actuelle
au niveau des libertés fondamentales des Québécois.
M. LEVESQUE: A l'ordre! La motion.
M. LESSARD: M. le Président, je justifie la motion qui est
présentée par le chef de l'Opposition. Si le chef de l'Opposition
a présenté cette motion, c'est justement parce que, tel qu'il
nous l'a expliqué tout à l'heure, avec brio d'ailleurs, ce projet
de loi a des trous importants. Si le chef de l'Opposition demande au ministre
d'accepter la motion de renvoi à trois mois, c'est parce que le chef de
l'Opposition nous dit, en même temps, que cette période de trois
mois permettra d'entendre des personnes, d'entendre des témoins, de
faire l'audition des personnes et organismes intéressés à
se faire entendre par la commission parlementaire. Je pense que c'est l'objet
même de la motion présentée par le chef de
l'Opposition.
S'il l'a fait, ce n'est pas parce que nous sommes complètement
opposés au projet de loi tel qu'il est actuellement déposé
par le ministre, mais c'est parce que, dans un projet de loi, comme l'a
affirmé le ministre, aussi fondamental, aussi important, un projet de
loi qui touche l'ensemble des droits des citoyens québécois, je
pense qu'il est tout à fait normal que les citoyens soient entendus.
Nous ne pouvons pas comprendre quelle attitude, à l'encontre de ce qu'a
affirmé le président de l'Assemblée nationale, a
tenté de défendre le ministre de la Justice comme le ministre de
l'Education lorsqu'ils nous disaient que ce n'est qu'après la
deuxième lecture que les citoyens seront entendus, que ce n'est
qu'après que le principe du projet de loi lui-même sera
adopté par l'Assemblée nationale que les citoyens seront
entendus. N'est-ce pas tout simplement affirmer, comme ç'a
été malheureusement le cas lors des auditions sur le bill 22,
qu'il s'agit encore d'auditions pour la frime?
N'est-ce pas simplement dire aux citoyens: Vous pouvez venir nous voir,
vous pouvez venir témoigner sur des modalités du projet de loi,
sur des choses peu importantes à l'intérieur du projet de
loi.
Mais sur les principes mêmes, sur les principes fondamentaux, le
ministre de la Justice ou ce gouvernement a décidé de
n'absolument rien changer, parce que, s'il le faisait, ce serait à
l'encontre même de l'économie, tel que l'expliquait le
président de l'Assemblée nationale, de nos règlements. Tel
que le disait le ministre, ce serait à l'encontre même de la
suprématie du Parlement, parce que le Parlement, M. le Président,
aura accepté un principe.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre!
M. LESSARD: Mais en quoi, M. le Président?
M. LEVESQUE: Votre droit de parole est fini. C'est terminé.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): C'est votre droit de parole qui est
terminé. Si vous voulez conclure, s'il vous plaît.
M. LESSARD: M. le Président, je termine en disant que la motion
qui est présentée actuellement par le chef de l'Opposition, si on
croit véritablement...
M. LEVESQUE: Que le député nous remercie.
M. LESSARD: ... à la démocratie au Québec et
à l'importance de cette Chambre...
M. LEVESQUE: Sauvé par la cloche.
M. LESSARD: ... devrait véritablement être acceptée
par les membres du parti ministériel. Merci.
DES VOIX: Vote.
M. BLANK: Adopté?
M. LEVESQUE: Sur division.
M. BLANK: Sur division.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que les membres de cette
Assemblée sont prêts à se prononcer sur la motion
d'amendement?
M. LEVESQUE: Adopté sur division.
LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de
Chicoutimi.
M. Marc-André Bédard
M. BEDARD (Chicoutimi): Je m'interroge, M. le Président, sur les
objections que pourraient avoir le gouvernement et le ministre de la Justice au
fait de pouvoir entendre des personnes ou des organismes qui pourraient
être intéressés à se faire entendre non seulement au
niveau de chacun des éléments qui sont contenus dans ce projet de
loi, mais au niveau du principe même de ce projet de loi.
En ce sens, je crois que la demande du chef de l'Opposition à
l'effet que la commission parlementaire puisse siéger et que des
organismes et des individus, experts en la matière, puissent être
entendus avant le vote sur le principe même de cette loi est loin
d'être une proposition farfelue.
Je crois que le ministre de la Justice a très bien traduit sa
pensée, lorsqu'il nous a présenté ce projet de loi comme
étant une charte; le terme est employé à
l'intérieur du texte même du projet de loi qui nous est
présenté. En ce sens, je crois qu'il est dans
l'intérêt du ministre de la Justice, puisqu'il nous le
présente comme tel, de s'assurer que ce soit bien une charte des droits
de l'homme. Puisqu'on lui donne toute cette ampleur, une ampleur encore
beaucoup plus grande que celle d'un simple projet de loi, je ne vois pas
comment le ministre de la Justice pourrait refuser cela, lui qui a dit, entre
autres, lors de la présentation de son projet de loi, très
clairement, que la charte et c'est textuel était ouverte
aux développements futurs, qu'elle était susceptible de
changements. A partir de cette expression de bonne volonté de la part du
ministre de la Justice, s'il est conséquent avec la possibilité
que cette charte soit ouverte aux développements, qu'elle soit amendable
même au niveau des principes, en quoi le ministre de la Justice et le
gouvernement seraient-ils réfrac-taires à l'idée
d'entendre des organismes qui se prononceraient justement sur le principe
même de ce projet de loi?
M. le Président, c'est quand même un projet de loi que le
gouvernement nous présente comme très important. Effectivement,
il l'est, je crois. C'est un projet de loi qui touche d'une manière
fondamentale la vie quotidienne de tous les citoyens du Québec, la vie
future de tous les citoyens du Québec. Elle traite, entre autres, des
droits et libertés fondamentaux. Elle traite des droits politiques des
citoyens, de leurs droits judiciaires.
Ce n'est pas seulement des questions de principe, leurs droits
judiciaires ce sont des droits qui, effectivement, n'affectent pas seulement au
niveau des principes mais affectent journellement la vie de centaines de
milliers de Québécois. Il me semble que cette charte qui,
également, traite de façon spéciale des droits
économiques et des droits sociaux se veut être non seulement,
comme l'a dit le ministre de la Justice, de beaux énoncés de
principe, mais également entrer d'une façon pratique dans les
mesures à promouvoir afin que les questions de principe
énoncées ne soient pas seulement des voeux pieux mais soient
accompagnées de lois et de mesures à l'intérieur des lois
qui confirment que l'énoncé de principe n'est pas seulement fait
pour la forme.
Dans ce sens-là, je crois...
M. CLOUTIER: Un point de règlement, M. le Président.
M. BEDARD (Chicoutimi): ... qu'il serait tout à fait...
LE PRESIDENT: Question de règlement.
M. CLOUTIER: Je me demande de quoi parle le député
actuellement. J'ai l'impression
qu'il fait un discours de deuxième lecture. Je sais qu'il manque
d'inspiration et qu'on l'a mobilisé à la dernière minute.
Mais je vous prierais de le ramener à la pertinence.
M. BEDARD (Chicoutimi): Si le ministre m'avait écouté
plutôt que de penser qu'il était nécessaire de faire une
intervention et de s'inscrire au journal des Débats, il aurait au moins
remarqué une chose...
M. CLOUTIER: Je...
M. BEDARD (Chicoutimi): ... c'est que je ne suis entré en aucune
façon au niveau de la discussion article par article, je ne le crois
pas, mais simplement au niveau des principes fondamentaux...
M. CLOUTIER: C'est justement ça.
M. BEDARD (Chicoutimi): ... et de l'énoncé qui a
été fait par le ministre...
M. CLOUTIER: Ceci prouve ma thèse.
M. BEDARD (Chicoutimi): ... de la Justice.
M. CLOUTIER: C'est un aveu, M. le Président.
LE PRESIDENT: Nous sommes sur la motion d'amendement.
M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord, M. le Président. Sur la motion
d'amendement à l'effet de reporter à trois mois c'est bien
ça le vote sur la deuxième lecture, de manière
à pouvoir entendre les corps intermédiaires, il faut bien que
j'explique pourquoi il est important d'entendre les corps intermédiaires
ou les personnes qui peuvent être intéressées à se
faire entendre à une commission parlementaire sur ce sujet.
M. LEVESQUE: Essayez...
M. BEDARD (Chicoutimi): C'est dans ce sens-là que je dis, M. le
Président...
M. LEVESQUE: ... d'endurer encore deux minutes.
M. BEDARD (Chicoutimi): ... que les personnes...
M. LEVESQUE: Essayez.
M. BEDARD (Chicoutimi): Pardon?
M. LEVESQUE: II ne reste que deux minutes. Essayez encore.
M. BEDARD (Chicoutimi): C'est dans ce sens-là que je dis...
M. LEVESQUE: Le député de Maisonneuve va vous arranger
ça.
LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. BEDARD (Chicoutimi): Ce sont les libéraux.
LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. BEDARD (Chicoutimi): M. le Président, c'est dans ce sens que
je dis que les personnes ou les organismes qui vont être entendus vont se
prononcer, à mon sens, sur la question de principe. Et c'est dans ce
sens qu'il est important que nous les entendions avant qu'un vote ait lieu sur
la question de principe en deuxième lecture.
Je crois que la motion qui a été faite par le chef de
l'Opposition est tout simplement dans le sens d'avantager pas seulement
l'Opposition, mais tous les membres de cette Chambre qui auront l'occasion,
lors de la tenue de cette commission, de se renseigner de façon efficace
afin de voter correctement.
UNE VOIX: Vote.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.
M. Camille Samson
M. SAMSON: M. le Président, je ne sais pas dans quelle proportion
cela serait bien vu des deux côtés de la Chambre, mais j'ai
oui-dire que ce serait bien vu si on demandait l'ajournement du débat
à cette heure-ci.
M. LEVESQUE: Non, non, pas là-dessus.
M. SAMSON: Pas là-dessus? Bien, M. le Président, cela va
être mal vu !
Puisque c'est pour être mal vu, je vais profiter des quelques
minutes qui restent avant l'heure fatidique pour vous dire que la motion
d'amendement qui a été présentée pour reporter la
deuxième lecture à trois mois peut être
interprétée de différentes façons.
Quand on demande et qu'on veut permettre...
M. le Président, je les vois rire, de l'autre côté
de la Chambre. Je me demandais cet après-midi, quand il parlait de sa
loi no 50, si le ministre n'était pas, à un moment donné,
pour en venir à nous dire que sa 50, il n'y a rien qui la batte!
M. le Président, je pense que personne ne peut refuser à
qui que ce soit la possibilité de venir devant une commission
parlementaire présenter ses points de vue sur ce projet de loi no 50.
Or, les motifs invoqués par l'honorable chef de l'Opposition officielle
sont à l'effet de permettre à tous ceux qui sont
intéressés de venir devant une commission parlementaire.
Cela se retrouve, d'ailleurs, M. le Président, à
l'intérieur même du projet de loi no 50, parmi les nombreux
principes qu'on y retrouve, la possibilité de se présenter devant
l'Assemblée nationale. Or moi, évidemment, quand j'aurai à
parler sur la deuxième lecture, je ferai valoir mes points de vue
là-dessus. Mais comme j'ai entendu le ministre, cet après-midi,
nous parler de ce point de vue, de la possibilité pour les gens, pour
les citoyens, de présenter devant l'Assemblée nationale, comme il
en a parlé, il m'a convaincu de ce point de vue. C'est parce qu'il ma
convaincu que je pense qu'il serait raisonnable qu'on donne la
possibilité à tout le monde de venir devant l'Assemblée
nationale faire valoir ses points de vue sur le projet de loi no 50,
c'est-à-dire la charte des droits de l'homme.
Mais, M. le Président, je vous avoue que je ne suis pas tellement
certain j'aurais évidemment préféré que cela
se fasse avant la deuxième lecture que cela va empêcher les
gens de venir après la deuxième lecture, parce qu'il s'agit d'un
principe que nous avons à discuter en deuxième lecture. Le
principe du projet de loi no 50, il est simple, et je pense que pour une fois
les députés libéraux d'arrière-ban vont comprendre
cela facilement.
M. MALOUIN: Si tu comprends, on va comprendre !
M. SAMSON: M. le Président, il est simple, le principe de ce
projet de loi no 50! On dit: Oui, on en veut ou on dit: Non, on n'en veut pas.
C'est aussi simple que ça. Il n'y a pas d'autre principe que cela
là-dedans. On veut une charte des droits de l'homme ou on n'en veut
pas.
Or, si on en veut une, évidemment, on va voter oui. Le chef de
l'Opposition officielle a dit tantôt qu'il était pour voter en
faveur, comme je dis que je voterai, M. le Président, en faveur du
projet de loi no 50, comme je dis que tous les députés en cette
Chambre doivent voter en faveur du projet de loi no 50. Puisqu'on est, de toute
façon, pour voter en faveur du projet de loi no 50, qu'on invite les
gens immédiatement après le vote ou avant le vote, il va rester
que, dans la pratique, ils vont venir pareil.
Moi, ce que je veux, c'est être bien certain que ces gens vont
venir devant la commission parlementaire. Je ne sais pas si le ministre s'est
prononcé clairement là-dessus. Je ne sais pas si le ministre nous
a affirmé qu'il y aurait cette possibilité. M. le
Président, cela me permettrait peut-être de...
M. CHOQUETTE: Vous avez raison.
M. SAMSON: Oui, j'ai raison? Vous l'avez affirmé?
M. CHOQUETTE: Je l'affirme. M. SAMSON: Le ministre, M. le
Président, nous l'affirme. Il lève la main droite par-dessus le
marché, la main sur le coeur, la main en l'air, M. le Président.
Si le ministre continue comme cela, il n'aura pas besoin de continuer à
affirmer, je vais être convaincu. Je pense que c'est le fond de
l'histoire. On permet aux gens de venir devant la commission parlementaire.
Puisqu'on est pour leur permettre de venir devant la commission parlementaire,
personnellement je n'ai pas d'objection à ce que la loi soit lue une
deuxième fois avant la commission parlementaire. Par contre, je n'ai pas
d'objection non plus, si vous décidez de la retarder, de faire venir ces
gens avant la deuxième lecture. Je pense qu'objectivement c'est
peut-être une lutte. Chacun veut tenir son bout. Mais, objectivement,
qu'est-ce que les citoyens veulent?
UNE VOIX: La Loi.
M. SAMSON: Qu'est-ce que la Ligue des droits de l'homme, par exemple,
dont M. Maurice Champagne a fait connaître le point de vue, veut?
Qu'est-ce qu'on veut? On veut venir devant la commission parlementaire pour
exposer en détail son point de vue.
Alors puisque, M. le Président, on permettra de toute
façon à ces gens de venir devant la commission parlementaire,
puisque le ministre vient de nous l'affirmer, puisqu'il va probablement nous
affirmer aussi que cela va se faire immédiatement, que cela ne tramera
pas trop longtemps...
M. CHOQUETTE: Est-ce que le député me pose la
question?
M. SAMSON: Oui. oui, c'est une question que je pose, avec la
permission...
M. CHOQUETTE: Aussitôt après la deuxième lecture, je
vais proposer, avec le consentement unanime de la Chambre, que nous adoptions
des règles semblables à la convocation des commissions
parlementaires avant la deuxième lecture et que nous invitions les
groupes et les personnes intéressés à comparaître en
commission parlementaire de la justice.
Pour les dates des séances, je ne veux pas brusquer l'Opposition.
J'avais pensé qu'on pourrait commencer les séances en janvier et
les poursuivre peut-être en février, pour adopter le projet de loi
dans sa forme définitive au printemps prochain.
Maintenant, si le député insiste, je suis bien prêt
à faire en sorte que les commissions parlementaires commencent en
décembre. J'ai parlé à beaucoup de groupes, entre autres
à M. Louis Laberge, qui est ici à la commission parlementaire du
travail...
M. BURNS: ... actuellement.
M. CHOQUETTE: ... ainsi que d'autres personnes qui m'ont dit qu'elles
aimeraient bien
avoir un certain délai pour se préparer en vue de venir
faire des représentations intelligentes et bien étoffées
devant la commission parlementaire. Alors, je ne veux pas brusquer les
séances. C'est la raison pour laquelle j'ai dit: D'accord, nous
pourrions tenir ces séances en janvier et février durant
l'ajournement. Est-ce que ma réponse éclaire le
député de Rouyn-Noranda?
M. SAMSON: Oui, M. le Président.
M. MORIN: Est-ce que je pourrais demander au ministre, M. le
Président, s'il compte donner des avis publics pour convoquer les
personnes et les organismes intéressés?
M. CHOQUETTE: Je comptais faire cela, pour vous montrer jusqu'à
quel point vous n'avez pas besoin de faire des motions dilatoires.
M. SAMSON: Je pense, M. le Président, que le ministre ne devrait
pas avoir cette attitude-là.
UNE VOIX: Non, non même pas envers le chef de l'Opposition.
M. CHOQUETTE: Le député de Rouyn-Noranda est
irréprochable.
M. SAMSON: M. le Président, des fleurs en provenance du ministre
de la Justice, cela m'inquiète.
M. MERCIER: Une performance de fin de semaine.
M. SAMSON: Je pense que le ministre ne devrait pas avoir cette attitude
envers le chef de l'Opposition officielle parce que les renseignements qu'on
vient d'obtenir, on ne les avait pas avant que le chef de l'Opposition
officielle fasse sa motion, et je pense...
M. MALOUIN: Cela a pris le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: ... c'est mon interprétation, en tout cas, que si on
les avait eus avant, peut-être que la motion n'aurait pas
été nécessaire.
De toute façon, avec ces indications-là, puisqu'on pourra
aller devant la commission parlementaire en suivant les mêmes
règles que si nous avions été avant la deuxième
lecture, au point de vue pratique, cela ne change rien. Alors, dans ces
circonstances, bien sûr, je voterai contre la motion.
LE PRESIDENT: L'honorable député de Maisonneuve.
M. Robert Burns M. BURNS: M. le Président, je pense qu'il
est bon de rappeler un certain nombre d'étapes préliminaires
à l'étude de ce projet de loi, et je ne quitterai pas le corridor
normal de la motion qui est faite par le chef de l'Opposition,
c'est-à-dire celle qui voudrait que le projet de loi ne soit pas lu en
deuxième lecture immédiatement mais seulement dans trois
mois.
Mais pour comprendre le sens qui n'est pas dilatoire au sens
procédural du mot mais plutôt dilatoire au sens intelligent du mot
de la motion du député de Sauvé, le chef de l'Opposition,
je pense qu'il est important de rappeler certaines étapes.
D'abord, le projet de loi no 50 a été déposé
en première lecture et, je l'avoue ouvertement, il y a eu des
discussions d'ailleurs à ce sujet-là. Vous avez même rendu
des décisions à ce sujet-là. Il n'y a pas eu de
commentaires à ce stade-là des procédures. Personne ne
s'est levé lors de l'adoption de la première lecture du projet de
loi no 50 pour dire: II faudrait que le projet de loi soit
déféré immédiatement à la commission
parlementaire.
Cependant, M. le Président, je ne veux pas revenir sur une
décision que vous avez déjà rendue. Ce n'est pas du tout
mon intention. Je vous prie de me croire, je suis trop respectueux de vos
décisions pour ça. Mais il est bon de noter, d'ailleurs cela
apparaît dans votre décision, que l'article 117 nous dit qu'il n'y
a pas de débat au niveau de la première lecture. Il est vrai que
vous, vous nous avez dit qu'il était très facile, dans le fond,
M. le Président je fais une brève parenthèse, vous
nous invitiez à passer outre au règlement, je ferme la
parenthèse il était très facile, nous disiez-vous
dans votre décision, de nous lever et de poser des questions. Mais je
sais que c'est habituellement quelque chose qui est acceptable. D'ailleurs, je
l'admets, cela s'est déjà fait dans le passé.
Cependant, M. le Président, dans votre décision, et c'est
la chose peut-être qui m'a frappé le plus et sur laquelle je suis
entièrement mais entièrement d'accord, l'économie de notre
règlement vise à une déférence à une
commission parlementaire aux fins d'entendre des témoins après la
première et non pas après la deuxième lecture.
C'est ça le plein sens de la motion faite par le chef de
l'Opposition.
Pourquoi, M. le Président, après la première
lecture et non pas après la deuxième? Il me semble que ça
devrait apparaître, avec une limpidité extraordinaire, à
tous les membres de l'Assemblée nationale. Pourquoi, M. le
Président? Parce qu'une fois la deuxième lecture adoptée
le principe ou, en l'occurence, les principes du projet de loi sont
définitivement adoptés. Or, qu'est-ce que cela crée comme
situation pour des gens qui sont invités à témoigner
devant une commission parlementaire après que la deuxième lecture
a été adoptée? Faisons, M. le Président,
très brièvement, une simple énumération des
premiers chapitres que nous rencontrons et même de certaines sections du
projet de loi 50; cela peut être intéressant.
Je n'ai pas l'impression que je vais convaincre le ministre de la
Justice parce qu'il ne m'écoute pas du tout. Mais je vois que le
ministre de l'Education écoute...
M. CLOUTIER: Je ne suis pas d'accord.
M. BURNS: ... et, déjà, c'est bon signe. Même si
vous dites que vous n'êtes pas d'accord, s'il y a au moins un ministre
qui m'écoute, je me dis qu'il y a peut-être des chances que je le
convainque. Mais, M. le Président, remarquez que je suis tenace et, dans
ce sens, je me dis: Même devant une bataille perdue d'avance, je vais
tenter de le convaincre.
M. CLOUTIER: Moi, je suis coriace.
M. BURNS: Oui, bon! M. le Président, si on regarde, par exemple,
la structure du projet de loi, il y a quand même plus qu'un principe dans
ce projet de loi. Qu'on le veuille ou non, chacune des libertés
fondamentales, chacun des droits, chacune des libertés civiles, à
toutes fins pratiques, constituent un principe. On n'est pas dans un projet de
loi, M. le Président...
M. LEVESQUE: M. le Président, est-ce que le député
de Maisonneuve me permettrait une question?
M. BURNS: Certainement.
M. LEVESQUE: Peut-il m'expliquer pourquoi le chef parlementaire de
l'Opposition officielle a déclaré je l'ai bien entendu
Je suis et nous sommes en faveur du principe du projet de loi. De
quel?
M. BURNS: Oui, bon! Un instant! M. MORIN: Avec des réserves.
M. BURNS: Oui, avec des réserves. Lorsque le chef parlementaire a
parlé du principe, il y a un premier principe. D'ailleurs, on va faire
ça ouvertement. C'est ce que vous voulez. Vous pensez qu'on a des
problèmes? On n'en a pas de problèmes, le chef de
l'Opposition.
DES VOIX: Ah! Ah!
M. CLOUTIER: On verra ça en fin de semaine.
M. BURNS: Bon! Il y a un principe tout à fait, à mon avis,
légaliste c'est plutôt à vous, M. le
Président, que je devrais m'adresser lorsque je dis cela à
savoir: Doit-on ou ne doit-on pas adopter une loi qui régit les droits
et les libertés de la personne? C'est sûr que c'est un principe.
Si on veut prendre un principe, c'est le principe de la loi. Bon, d'accord.
M. CHOQUETTE: C'est ça, vous avez découvert ça.
M. BURNS: Non, non. C'est sans doute comme ça qu'on veut essayer
de nous mettre en opposition, mais je suis convaincu le chef de
l'Opposition vous l'a dit cependant, qu'à l'intérieur de
ce grand principe on retrouve de multiples principes. Bien oui, mais c'est
ça le problème, M. le Président; il faut exactement faire
la distinction. Même si, l'autre jour, je lui ai dit de méchantes
choses, d'habitude, on ne se parle pas comme ça, je dis avec tout le
respect que j'ai pour le ministre de la Justice...
M. LEVESQUE: Vous ne pourrez pas dire grand bêtise, il reste juste
deux minutes.
M. BURNS: Non, non, II reste beaucoup plus que ça. Oui? Bon, en
tout cas, vous allez me permettre de dire ceci: M. le Président, dans un
projet de loi normal, c'est sûr qu'habituellement il y a un principe
qu'on peut circonscrire facilement. Celui-ci a un principe, un grand principe,
mais on a aussi à l'intérieur une série de principes. Je
vous place, M. le Président, devant la position suivante qui risque
je vous le dis d'avance de se présenter à la
commission si on n'accepte pas la motion du chef de l'Opposition. Si on dit
tout simplement: Non, on va les entendre après la deuxième
lecture, voici la situation qui pourrait nous arriver. Quelqu'un qui va
demander à être entendu peut facilement arriver et prendre
n'importe quel des principes énoncés dans le projet de loi.
Il peut nous dire: Je ne suis pas d'accord sur cela, et peut-être
nous convaincre qu'il a raison. Ou encore, ce qui pourrait se présenter
plus facilement, nous dire: II y a tel principe qui n'est pas dans le projet de
loi, s'il vous plaît, vous devriez l'inclure, voici les raisons, et nous
convaincre de l'inclure.
Il est possible à ce moment que des membres de l'Assemblée
nationale qui ont voté pour le projet en deuxième lecture disent:
Bien, j'ai voté pour le projet en deuxième lecture, mais je ne
voulais pas que ce principe paraisse dans ce projet de loi. Vous savez, quand
on parle de choses comme la discrimination raciale, avec toutes et chacune de
ses sous-ramifications, on est en train d'examiner des principes du projet de
loi. Et je vous dis, M. le Président, je le dis en toute
sincérité, que nous faisons erreur si nous adoptons la
deuxième lecture avant d'entendre... On ne vous demande pas... Le
ministre de l'Education, ne faites pas...
M. CLOUTIER: C'est évident. LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. BURNS: Je demande au ministre de l'Education de ne pas faire de
simplicité comme celle-là. Il n'est pas question de voter contre.
On essaie de vous convaincre non pas pour des buts politiques, mais pour des
buts pratiques, pour faciliter le travail de la commission, pour faciliter, si
vous êtes sincères... Ecoutez-moi donc deux secondes.
M. LEVESQUE: Non, non, je déchire.
M. BURNS: ... écoutez-moi donc. La raison de la motion est
simplement et uniquement pour faciliter le travail de la commission afin que
l'on ne s'enfarge pas c'est un beau canadianisme qui devrait d'ailleurs
être dans le Larousse dans des questions de procédure, dans
les fleurs du tapis. C'est ce qui va nous arriver si on n'admet pas
actuellement que certains principes de ce projet de loi risquent d'être
contestés par des gens qui témoigneront devant la commission et,
à ce moment, le président de la commission, s'il suit à la
lettre le règlement, n'aura d'autre solution que de dire: Je m'excuse,
mais vous ne pouvez pas faire cela, l'Assemblée nationale a
déjà adopté ce principe.
LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. BURNS: M. le Président, ce sont les quelques mots que j'avais
à dire, je m'excuse d'avoir un peu abusé du temps de la
Chambre.
DES VOIX: Vote!
LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur...
M. BURNS: M. le Président, nous demandons un vote
enregistré, je m'aperçois que l'on est cinq.
LE PRESIDENT: Un instant! Qu'on appelle les députés !
Vote sur la motion
LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur de la motion d'amendement de
l'honorable chef de l'Opposition officielle, à l'effet de remettre
à trois mois la deuxième lecture du projet de loi no 50,
veuillent bien se lever, s'il vous plaît.
LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Morin, Burns, Charron, Lessard, Bédard
(Chicoutimi).
LE PRESIDENT: Que ceux qui sont contre cette motion veuillent bien se
lever, s'il vous plaît.
LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bourassa, Levesque, Choquette, Garneau,
Cloutier, Cournoyer, Mme Bacon, MM. Bienvenue, Massé, Harvey
(Jonquière), Houde (Abitibi-Est), Giasson, Perreault, Brown, Fortier,
Kennedy, Blank, Bédard (Montmorency), Veilleux, Brisson, Houde
(Limoilou), Lafrance, Pilote, La-montagne, Gratton, Dionne, Faucher,
Saint-Germain, Harvey (Charlesbourg), Pelletier, Shanks, Beauregard, Bellemare
(Rosemont), Bonnier, Boutin, Chagnon, Caron, Côté, Denis,
Déziel, Dufour, Harvey (Dubuc), Lachance,
Lecours, Malépart, Malouin, Massicotte, Mercier, Pagé,
Parent (Prévost), Tardif, Tremblay, Verreault, Samson, Bellemare
(Johnson).
LE SECRETAIRE: Pour: 5 Contre; 55
LE PRESIDENT: La motion est rejetée. M. CLOUTIER: M. le
Président...
LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Education.
M. CLOUTIER: M. le Président, je demande l'ajournement du
débat.
M. BURNS: On est d'accord, M. le Président.
LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée?
DES VOIX: Adopté.
LE PRESIDENT: Adopté.
M. LEVESQUE: M. le Président, avant les minidébats, je
propose l'ajournement de la Chambre à demain, quinze heures.
LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée?
Mais l'effet en sera suspendu pendant vingt minutes.
Adopté.
L'honorable député de Saint-Jacques.
Minidébat
CEGEP de Valleyfield M. Claude Charron
M. CHARRON: M. le Président, je vous ai demandé la
permission de tenir ce minidébat sur la situation au collège de
Valleyfield, parce qu'à ma troisième question, en particulier,
lors de la période régulière des questions, cet
après-midi, j'ai trouvé insatisfaisante la réponse du
ministre de l'Education.
M. le Président, j'avais posé une question très
précise, j'avais demandé au ministre de l'Education quelle
était la politique de son ministère sur les points en litige
entre les étudiants et l'administration du collège de
Valleyfield.
Le ministre m'a répondu en se référant à
cette commission d'enquête que s'est trouvé à constituer le
Conseil supérieur de l'Education sur l'ensemble de l'enseignement
collégial québécois, mais ne m'a pas répondu
à ces questions très précises.
M. le Président, il me semble, de la part du ministre de
l'Education, qu'il est impérieux, non seulement dans le cas du CEGEP
de
Valleyfield, où la situation s'est étendue en crise, mais
aussi pour l'ensemble du niveau collégial, avant même que nous
n'ayons les recommandations du Conseil supérieur que nous devrons encore
attendre pendant une autre année, et avant même leur mise en
application, ce qui augmente le délai, de connaf-tre la politique du
ministère de l'Education sur ces deux questions.
Il me semble impérieux, M. le Président, que le ministre
de l'Education affirme que c'est l'intention, le souhait du ministère de
l'Education de voir, par exemple, une des demandes des étudiants du
collège de Valleyfield, non seulement étendues, implantées
au collège de Valleyfield, mais implantées dans les autres
collèges d'enseignement général et professionnel où
cela ne se fait pas, je veux dire la participation des étudiants aux
commissions pédagogiques des collèges d'enseignement
général et professionnel. Ce ne serait pas un
précédent, M. le Président, puisque, pour n'en nommer
qu'un, le collège Lionel-Groulx, de Sainte-Thérèse, a
déjà, dans ses structures, une commission pédagogique
où enseignants, étudiants et administrateurs se retrouvent pour
remplir les tâches qui incombent à une commission
pédagogique, dans un collège d'enseignement général
et professionnel.
Ce que demandent les étudiants de Valleyfield, c'est
l'implantation d'un même système chez eux, avec l'appui de leurs
professeurs, d'ailleurs. H me semble normal, sans interférer dans les
affaires d'une instance locale et dans les affaires internes du collège
de Valleyfield, que le ministre de l'Education dise qu'il est favorable
à ce genre d'ouverture et souhaiterait que, si telle est la
décision du conseil d'administration du collège de Valleyfield,
une pareille ouverture soit admise en 1974, au moment où le
réseau d'enseignement collégial n'en est plus à ses
premières heures, mais véritablement installé.
Il me semble impérieux également que le ministre de
l'Education affirme qu'il trouve justifiée la demande des
étudiants du collège de Valleyfield, qui pourrait être,
demain, reprise par n'importe quel groupe d'étudiants de n'importe quel
CEGEP, à l'effet que les services aux étudiants dans une maison
d'éducation collégiale soient aux mains des étudiants et
ne soient plus, comme c'est malheureusement le cas dans plusieurs institutions,
l'espèce d'outil dont les administrations se servent pour paralyser le
développement des mouvements d'étudiants ou, du moins, les
conduire dans une direction qui n'est pas celle que les étudiants
eux-mêmes veulent se donner.
Il me semble également qu'à l'égard de ces citoyens
de 17, 18 ou 19 ans, qui sont à l'âge normal on n'est plus
à l'époque de la noirceur d'au moins prendre en main ce
qui les concerne directement, c'est-à-dire les affaires
étudiantes dans les institutions, le ministre de l'Education du
Québec affirme à nouveau que ce qui a été
essayé dans certains CEGEP par exemple, le collège
Edouard-Montpetit dans la banlieue de Montréal, soit un exemple repris
et répandu dans d'autres CEGEP. Cela n'entame pas la réforme
générale que nous aurons à faire un jour ou l'autre dans
l'ensemble du système collégial. Là-dessus, les avis du
conseil supérieur nous seront un bon guide, comme ils nous l'ont
été dans bien d'autres sujets. Mais qu'immédiatement,
avant que d'autres conflits surgissent alentour de choses qui, selon nous,
doivent être accordées aux étudiants, le ministre de
l'Education dise qu'il admet la participation des étudiants à des
commissions pédagogiques ce n'est peut-être pas la fin des
maux, mais c'est, à mon avis, une étape essentielle à
franchir maintenant avant que le tout ne dégénère en
conflit qu'on se trouverait à avoir causé et que la remise
aux étudiants des affaires étudiantes lui paraît
également une chose parfaitement acceptable en 1974, alors que le
mouvement collégial a pris sa maturité et est capable de produire
de lui-même maintenant.
Les étudiants du collège de Valleyfield, peut-être
sans le savoir, mènent actuellement une bataille au nom de tous les
étudiants du Québec et ils ne se battent pas contre des moulins
à vent, permettez-moi de vous le signaler en terminant.
Pensez seulement que dans ce CEGEP, il est interdit aux
étudiants, par exemple, d'afficher les activités culturelles
qu'eux-mêmes ont organisées, vieux règlement datant des
collèges classiques et qui, malgré l'implantation d'un
régime public depuis une dizaine d'années, continue à
végéter.
C'est pour cela, M. le Président, que je vous ai demandé
ce débat, parce qu'il me semblerait impérieux ce soir que le
ministre de l'Education prenne position sur ces sujets.
LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Education.
M. François Cloutier
M. CLOUTIER: M. le Président, tout d'abord, je désire
féliciter le député de Saint-Jacques. Il m'a posé
ce matin une question sur un ton parfaitement parlementaire, parfaitement poli,
ce qui n'est pas toujours son cas. Comme il n'était pas satisfait de ma
réponse et je le conçois très bien, il est dans
l'Opposition il a choisi d'utiliser le règlement et de demander
ce minidébat. Je l'ai écouté avec attention et je vais
tenter de lui répondre.
Il y a deux aspects qu'il a soulevés au cours de son
intervention. Le premier aspect concerne la crise ou, plus exactement, le
conflit qui a lieu actuellement au CEGEP de Valleyfield et le deuxième
aspect concerne un certain nombre de modifications qui ne sont pas, comme il
semble le croire, des modifications mineures mais des modifications qui
remettent un peu en cause une certaine orientation au niveau
collégial.
En ce qui concerne le premier aspect, j'ai
reçu cet après-midi, c'est-à-dire après ma
réponse lors de la séance, le télégramme du
syndicat des professeurs, qui me demande de nommer un enquêteur. C'est
une demande que je vais considérer très sérieusement,
parce que d'autres renseignements m'ont également été
apportés. J'ai raison de croire que malgré une souplesse
considérable qui a été manifestée par le conseil
d'administration, le conflit s'est envenimé.
Il ne faut pas oublier que dans certains collèges et je ne
veux pas nécessairement parler du collège de Valleyfield
il y a des étudiants qui, pour des raisons plus ou moins valables et qui
ne sont pas toujours celles de l'intérêt des étudiants
eux-mêmes et de l'intérêt du système
d'éducation, sèment un certain malaise ou déterminent un
certain malaise. Je ne veux pas reprendre les vieilles expressions d'agitateurs
professionnels mais j'entends bien, par exemple, aller au fond des choses.
Soyez convaincu que toute demande légitime qui est faite dans le bien
commun sera retenue.
D'autre part, si l'on se trouve en présence d'affrontements et
d'affrontements qui sont télécommandés, à ce
moment-là je saurai prendre mes responsabilités.
C'est la raison pour laquelle je n'élimine pas d'emblée la
nomination d'un enquêteur spécial, bien que, je l'ai
indiqué, c'est toujours pour moi un dernier recours. Je tiens à
respecter le système décentralisé qui est le nôtre
et à permettre aux milieux de régler leurs propres
problèmes dans la mesure du possible. Je ne suis pas sûr que le
moment ne soit pas venu de le dire et je déterminerai d'ici deux ou
trois jours la décision qui devra être prise.
En ce qui concerne le deuxième aspect, ce n'est pas dans un an
que je recevrai le rapport du Conseil supérieur de l'éducation,
c'est dans quinze jours à trois semaines. Le rapport préliminaire
doit m'être remis, il a déjà été
présenté au conseil en tant qu'entité par la commission
présidée par M. Nadeau et, d'ici certainement la fin de novembre
ou le début de décembre, j'aurai un tableau d'ensemble. C'est
dans ce cadre-là que j'ai l'intention d'étudier ces
possibilités. Il ne faut pas non plus pécher par naiveté.
Autant je souhaite une participation valable à l'intérieur de
notre système d'éducation, autant il ne faut pas que cette
participation soit simplement l'opposition de deux pouvoirs, un pouvoir
légitime ou un pouvoir étudiant, qui ne voudraient
peut-être pas s'exercer en tenant compte du fait qu'il y a des fonds
publics dont nous sommes comptables devant la population et qu'il faut
dépenser à bon escient et également en tenant compte du
fait qu'il faut qu'une certaine autorité puisse s'exercer.
Je ne crois pas, M. le Président, être réactionnaire
en employant le mot autorité. Je considère que la majorité
des étudiants du Québec, comme la majorité des professeurs
du Québec veulent véritablement profiter de l'occasion qui leur
est donnée d'étudier et d'enseigner.
Mais, en revanche, je ne voudrais pas que l'on se serve de certains
prétextes pour mousser des situations locales. Je ne dis pas que c'est
nécessairement le cas à Valleyfield mais je prendrai toutes les
dispositions qui s'imposeront. Et en ce qui concerne ces modifications, elles
seront revues mais dans le cadre de la révision d'ensemble qui
débutera d'ici quelques semaines à peine.
Crise agricole
LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.
M. Lucien Lessard
M. LESSARD: M. le Président, ce matin ie soulevais une question
qui me paraît fort importante dans les circonstances actuelles au
ministre de l'Agriculture, à savoir si le ministre a l'intention
d'instituer une enquête pour étudier tout le problème des
intermédiaires qui semblent actuellement s'enrichir à même
les contribuables et les producteurs québécois.
Le ministre, M. le Président, fidèle à
lui-même, nous a répondu ceci: M. le Président, je n'ai pas
parlé d'enquête, j'ai déjà soutenu ceci et je le
soutiens encore.
Il me parait évident que, dans le domaine des
intermédiaires, c'est-à-dire de la mise en marché des
produits de l'alimentation, s'il y a un travail d'enquête qui doit
être mené, on doit le mener à l'échelle nationale
parce qu'il n'est pas possible de trouver, je crois, dans le cadre d'une
province, les principaux problèmes qui pourraient se dégager des
relations entre les intermédiaires et les consommateurs et entre les
producteurs et les intermédiaires.
M. le Président, encore une fois, nous considérons qu'il
s'agit là d'une aliénation des pouvoirs du gouvernement du
Québec. En effet, nous avons, sur le territoire québécois,
non pas en Colombie-Britannique ou en Alberta ou au Manitoba, nous avons sur le
territoire québécois un problème qui touche l'ensemble des
Québécois. En effet, je voudrais vous illustrer ce
problème par quelques faits. Ce que les producteurs n'admettent pas et
ce qui est d'ailleurs inadmissible, c'est le fait, par exemple, que le veau se
vend actuellement au détail $1.59 la livre, s'il est acheté en
quartier, et au moins $2 la livre s'il est acheté en steak. La
population montréalaise paie dans les supermarchés une moyenne de
$2.69 la livre pour du veau payé $0.20 au cultivateur producteur.
Je pourrais vous citer toute une série de chiffres qui
démontrent qu'actuellement à la fois le producteur, dans le
secteur agricole, et le consommateur se fait littéralement voler. M. le
Président, nous demandons au ministre de l'Agriculture, nous demandons
à ce gouvernement d'instituer une enquête qui doit se faire sur le
territoire québécois. En effet, on sait, et
les agriculteurs nous l'ont prouvé depuis quelques jours, qu'il y
a à peu près, sur $1 qui se dépense dans le domaine de la
viande actuellement par le consommateur québécois, $0.35 qui vont
au producteur et $0.65 aux intermédiaires, c'est-à-dire à
toute cette série de transformateurs et de distributeurs que constituent
les intermédiaires.
Le gouvernement québécois a certainement les pouvoirs
nécessaires pour instaurer cette enquête et le faire dans le plus
bref délai possible. On nous parle toujours de lutte à
l'inflation. Or, l'une des solutions fondamentales à cette lutte
à l'inflation, c'est justement de contrôler les
intermédiaires. C'est d'autant plus important, cette demande, qu'il y a
quelques jours, M. Guy Gauvin, dans la Tribune de Sherbrooke, le 31 octobre, M.
Gauvin qui est président du Syndicat des producteurs de boeuf de
l'Estrie, directeur national des Producteurs de boeuf du Canada, etc. affirmait
que la pègre, actuellement, contrôle une bonne partie de la viande
au Québec. En effet, poursuivant son analyse, M. Gauvin a dit qu'il
fallait maintenant, compte tenu de la situation actuelle, que le grand public
apprenne certaines choses qui lui étaient cachées jusqu'à
maintenant, que les gens en place toléraient.
Une de ces choses est l'emprise exercée par la pègre
montréalaise sur la manipulation, à quelque degré que ce
soit, de toute la viande qui passe par la métropole.
Ainsi, selon M. Gauvin, la pègre toucherait $0.10 sur chaque
livre de viande fraîche et $0.05 sur chaque livre de viande
congelée qui passe par Montréal, réalisant ainsi des
bénéfices extraordinaires, compte tenu des millions de livres de
viande passant dans la métropole chaque année.
La question que je pose maintenant au ministre de l'Agriculture est
celle-ci: Est-ce qu'en nous refusant cette enquête il aurait peur de
toucher à des gens qui s'appellent William O'Bront ou Saputo et qui
contrôlent le commerce de la viande dans la région de
Montréal?
LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Agriculture.
M. Normand Toupin
M. TOUPIN: M. le Président, j'ai apprécié le
début du discours du député de Saguenay, mais je n'ai pas
trouvé très logique et très rationnelle la dernière
partie de son discours, tout au moins les deux ou trois dernières
phrases. Je crois qu'en arriver à de telles conclusions, c'est vouloir
mettre dans des problèmes des éléments qui, s'ils
existent, ne peuvent pas constituer, tout au moins dans les mains du
député de Saguenay, des preuves suffisantes pour le crier
publiquement.
M. LESSARD: On verra après enquête.
M. TOUPIN: Je pense que c'est dangereux d'affirmer des choses aussi
faciles dans ce domaine que vous venez de le faire ce soir.
Le problème de la distribution, de la transformation, de
l'entreposage et du transport des denrées alimentaires est très
complexe, beaucoup plus que l'on n'est porté à le laisser
entendre. Je ne pense pas, pour autant, qu'il faille ignorer le
problème. Nous sommes conscients que, depuis déjà quelques
décennies, la part que paie le consommateur par rapport à la part
que reçoit le producteur s'amenuise de plus en plus, c'est-à-dire
que, pour chaque dollar que le consommateur dépense pour s'alimenter, il
en reste moins au producteur en 1974 qu'il n'en restait en 1968 ou en 1969. En
termes de revenu pour l'agriculteur, cela s'est corrigé par la
productivité. Ce que deux ou trois agriculteurs produisaient en 1949, un
seul le produisait en 1970, selon les dernières statistiques, et
probablement qu'en 1974 moins d'un homme produit ce que trois produisaient en
1949.
Donc, ça été, au niveau de l'agriculture,
corrigé par la productivité.
Le problème a une envergure non seulement nationale mais
internationale. Je ne pense pas qu'il soit, de la part du gouvernement du
Québec, utile que nous mettions en place une telle enquête. Il
existe, au niveau du gouvernement du Canada, et nous vivons encore dans ce
pays-là... Si jamais nous en sortons un jour ou l'autre, ceux qui seront
là prendront alors les décisions qu'il sera bon de prendre, mais
pour le moment nous sommes dedans et parce que nous sommes dedans, nous devons
vivre avec. Etant donné qu'il s'agit d'un problème où les
relations commerciales entre provinces sont libres, où les sièges
sociaux des compagnies qui vendent au Québec, tout comme ceux des
compagnies du Québec qui vendent dans d'autres provinces, ne sont pas
nécessairement situés dans la province où ces compagnies
vendent leurs produits, il paraît évident qu'une telle
enquête doit prendre une envergure nationale. C'est logique en soi, c'est
évident en soi. Tenter de le nier, c'est nier purement et simplement non
pas une réalité politique, mais c'est nier une
réalité économique, c'est nier une réalité
de relations commerciales, de libre mouvement, de circulation normale et libre
des produits à travers les dix provinces du Canada.
C'est ce que ça veut dire si nous pensons que dans une province
comme la nôtre il est possible, au niveau d'une enquête, de
régler le problème soulevé. Le ministre des Institutions
financières, cet après-midi, disait qu'il a communiqué
avec le gouvernement fédéral, avec le responsable des
consommateurs, pour trouver une solution à ce problème.
Personnellement, je ne suis pas contre le fait que nous regardions le
problème. J'applaudirais à deux mains si le gouvernement
fédéral, demain matin, décidait de donner plus de pouvoirs
à la commission Plumptre. J'applaudirais à deux mains si le
gouvernement fédéral décidait de regarder, au
niveau d'une enquête, comment se comporte l'économie des
denrées alimentaires au Québec, de l'alimentation au Canada. Je
serais entièrement d'accord.
Mais, je suis convaincu qu'à ce moment on serait capable de
mettre le doigt sur un certain nombre de problèmes, s'il en existe des
problèmes comme ceux-là. Probablement qu'il doit en exister. Le
ministre de l'Agriculture du gouvernement fédéral a
déjà dit, a déjà affirmé, il n'y a pas bien
bien des mois, qu'il y avait des abus de la part de certains acheteurs ou de
certains intermédiaires dans le domaine des denrées
alimentaires.
Donc, M. le Président, je ne crois pas que ce soit utile, tout au
moins pour le moment, que le gouvernement du Québec instaure une telle
enquête. Mais je pense qu'il serait normal et ce n'est pas mettre
la responsabilité sur le dos d'un autre que le gouvernement
fédéral, avec les équipements qu'il a actuellement ou avec
de nouveaux équipements, fasse ce travail, qui lui revient de droit.
LE PRESIDENT: L'Assemblée ajourne ses travaux à demain,
quinze heures.
(Fin de la séance à 22 h 47)