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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mardi 12 novembre 1974 - Vol. 15 N° 79

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures quatre minutes)

M.LAVOIE (président): A l'ordre, messieurs!

Affaires courantes.

Dépôt de rapports de commissions élues.

Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

Présentation de motions non annoncées.

Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.

Présentation de projets de loi au nom des députés.

Déclarations ministérielles.

Dépôt de documents.

Questions orales des députés

QUESTIONS DES DÉPUTÉS

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.

Commission des valeurs mobilières

M. LESSARD: M. le Président, en l'absence du ministre de l'Agriculture, j'adresse ma question au ministre responsable des Institutions financières, Compagnies et Coopératives et de la protection du consommateur. Est-ce que le ministre pourrait nous dire qui fait enquête, actuellement, sur les agissements de certains fonctionnaires à la Commission des valeurs mobilières du Québec qui lui ont été rapportés le 20 septembre dernier par M. Gérard Paquet-te, président de Malartic Hygrade & Gold Mines Ltd., et rappelés par la suite les 27 septembre, 4 octobre, 16 octobre et 18 octobre, dont copie de la correspondance m'est parvenue?

M. TETLEY: M. le Président, j'aimerais répondre en détail demain avec les chiffres à l'appui. Mais je peux dire que j'ai fait une enquête sommaire. J'ai demandé une enquête formelle du chef de notre service d'enquête et à un avocat du ministère de la Justice de toutes les demandes et les déclarations de M. Paquette. Je n'ai pas reçu de rapport. Mais sur l'enquête sommaire, je crois que M. Paquette a tort.

M. LESSARD: Question additionnelle, M. le Président. Le ministre nous dit qu'il n'a pas reçu le rapport. Est-ce que le ministre pourrait nous dire à quelle date a été fixé le dépôt du rapport final? Dernière question supplémentaire: Est-ce que le ministre pourrait nous dire si certains employés de la Commission des valeurs mobilières ont été suspendus en attendant le dépôt de ce rapport?

M. TETLEY: Je crois qu'aucun employé ne devrait être suspendu. Les déclarations de M. Paquette contre ces employés sont parfaitement injustes. Je vais déposer le rapport aussitôt que je le recevrai, moi et le ministre de la Justice.

M. LESSARD: Dernière question additionnelle. Etant donné l'adoption du bill 22, est-ce la coutume du ministre de répondre, au nom de son ministère, dans la langue anglaise à des individus ou à des corporations qui correspondent avec lui dans cette langue?

M. TETLEY: Si je réponds ou écris à un Anglais ou à quelqu'un qui parle anglais ou qui semble parler anglais, en vertu de la loi 22, j'ai parfaitement le droit de répondre à cette personne dans sa langue, la langue qu'elle a choisie; c'est ce que j'ai fait.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Jacques.

CEGEP de Valleyfield

M. CHARRON: M. le Président, j'adresse ma question au ministre de l'Education. Je crois que, depuis hier, le ministre de l'Education a entre les mains une demande provenant du syndicat des enseignants du collège de Valleyfield pour la nomination d'un enquêteur, comme celui qu'il avait nommé dans le cas du CEGEP Bourgchemin, à Saint-Hyacinthe, sur le conflit qui dure depuis déjà plusieurs jours à Valleyfield. Je veux demander au ministre quelle réponse il entend donner à cette demande.

M. CLOUTIER: M. le Président, je n'ai pas encore reçu une demande officielle. J'ai pris connaissance par les journaux de ce désir exprimé par l'Association des étudiants. J'attendrai d'avoir le document en main pour voir toutes les implications et je le mettrai très certainement à l'étude. Cependant, c'est toujours avec beaucoup de réticence que j'envisage de nommer des enquêteurs. Je souhaite que les problèmes locaux se règlent au niveau local. Il n'est pas suffisant de prêcher la décentralisation, encore faut-il que les responsabilités soient situées au niveau où elles doivent exister. Si j'intervenais chaque fois qu'il y a une difficulté, j'irais à l'encontre de l'orientation que je cherche à donner, actuellement, au système d'éducation.

Il y a eu, entre les étudiants et l'administration, toute une série de négociations qui n'ont pas donné les résultats escomptés. Je crois comprendre que ces négociations ne sont pas terminées. L'administration a fermé le collège la semaine dernière, mais rouvre officiellement jeudi de cette semaine.

Si le collège a été fermé, c'est uniquement parce qu'il y a eu une occupation et qu'il était nécessaire de nettoyer les lieux et de remettre l'immeuble en fonctionnement.

M. CHARRON: M. le Président, avant que la décision du conseil d'administration du CEGEP de Valleyfield de faire évacuer les bureaux de l'administration qui étaient occupés par les étudiants n'ait lieu, est-ce que le ministre avait été prévenu par la direction du collège?

M. CLOUTIER: M. le Président, le ministère respecte l'autorité locale, mais suit en même temps de très près tous les conflits où qu'ils se passent à l'intérieur du système. C'est dire que le ministère et moi-même étions au courant de cette intention du conseil d'administration, mais nous ne lui avons pas donné d'instructions précisément parce que nous considérons que c'est là sa responsabilité. C'est le type de système qui existe au Québec et j'entends justement que chacun le respecte.

M. CHARRON: Dernière question supplémentaire, M. le Président. Deux des points en litige entre les étudiants et l'administration du collège de Valleyfield portent, d'abord, sur la volonté qu'ont les étudiants de gérer leurs propres affaires eux-mêmes, les affaires étudiantes, d'une part, et, deuxièmement, sur une représentation qu'ils croient légitime de demander à la commission pédagogique du CEGEP. M. le Président, je crois que ma question est réglementaire parce que je demande au ministre non pas son opinion, mais la politique de son ministère, c'est-à-dire de la Direction générale de l'enseignement collégial sur ces deux points.

M. CLOUTIER: Je pense, M. le Président, que c'est une excellente question. C'est précisément parce que je me posais une question de cet ordre que j'ai demandé au Conseil supérieur de l'éducation, l'année dernière, de faire une vaste enquête sur l'enseignement collégial. Il me paraissait normal, après cinq ou six ans de fonctionnement, que l'on s'interroge sur les résultats. J'ai voulu justement éviter d'apporter des modifications parcellaires. Le député de Saint-Jacques se souvient fort bien de ce que nous avons appelé la crise du nouveau régime pédagogique; il s'agissait justement de modifications qui auraient pu apporter des améliorations ici et là, mais qui n'étaient pas suffisamment intégrées dans une révision possible et même une révision éventuelle de la loi constitutive des CEGEP. Par conséquent, je ne peux pas dire qu'il y a une politique établie de ce point de vue. La marge de manoeuvre, en ce qui concerne les conseils d'administration, est large. Cependant, n'allons pas oublier qu'il s'agit de fonds publics. Il ne peut être question, au nom de ce nouveau mythe de la participation, de permettre des implications de différents milieux qui ne tiennent pas compte du bon ordre et qui ne tiennent pas compte de la gestion financière.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.

Déportation d'Haïtiens

M. SAMSON: M. le Président, je voudrais adresser une question à l'honorable premier ministre. Cela va faire suite aux questions que je lui posais la semaine dernière concernant le problème occasionné par les Haïtiens qui font face à la déportation.

J'ai entendu personnellement le premier ministre qui, interviewé sur les ondes d'un poste radiophonique en fin de semaine, disait qu'il s'attendait à pouvoir faire connaître au début de la semaine des développements concernant ce problème. Il a même été jusqu'à dire que, même si vendredi dernier j'ai fait une intervention colorée, elle était justifiée; il l'a reconnu lui-même.

Alors, c'est pour vous démontrer que...

LE PRESIDENT: Question. Question, messieurs.

M. SAMSON: M. le Président, je suis très calme. Je ne vois pas pourquoi on voudrait me bousculer, là. Je dis que, vendredi dernier...

LE PRESIDENT: S'il vous plaît, messieurs!

M. SAMSON: ... je demandais au premier ministre...

LE PRESIDENT: C'est justement parce que j'ai l'intention que cela demeure calme. Le meilleur moyen, c'est que vous posiez votre question.

M. SAMSON: M. le Président, je suis très calme.

LE PRESIDENT: D'accord.

M. CHOQUETTE: Le député de Beauce-Sud est moins calme.

LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M. SAMSON: M. le Président...

M. ROY: Je suis très calme, très calme.

M. SAMSON: ... je demande au premier ministre... Si vous m'invitez à me choquer, je vais me choquer. Je demande au premier ministre si c'est aujourd'hui qu'il a l'intention de nous faire connaître les décisions de son gouvernement et les façons dont il croit pouvoir venir en aide aux Haïtiens.

M. BOURASSA: M. le Président, moi aussi, j'ai entendu le député de Rouyn-Noranda et le chef parlementaire en fin de semaine...

UNE VOIX: II a même chanté.

M. BOURASSA: Non, à l'occasion du... Oui,

ça, entre autres. Je dois dire, en passant, que le député a été très habile durant le congrès de la fin de semaine.

UNE VOIX: II a une bonne voix.

M. SAMSON: M. le Président, j'invoque le règlement, car, vous le savez, je n'aurais pas le droit de dire au premier ministre d'aller acheter ses "walkies-talkies" pour son prochain congrès. Je ne le lui dirai pas. Mais je vous demande, M. le Président, de lui dire de répondre à ma question. Il y a des gens qui attendent après des réponses. C'est extrêmement sérieux.

M. BOURASSA: Je le sais, M. le Président. C'est pour ça que je peux faire une remarque. C'est quand même le député de Rouyn-Noranda qui a parlé de mon intervention en fin de semaine.

Je ne puis pas faire de déclaration aujourd'hui. J'ai discuté avec le ministre de l'Immigration au cours de la fin de semaine. Nous envisageons différentes formules et nous allons en discuter demain soir au conseil des ministres. Donc, pour l'instant, je ne puis pas répondre de façon plus précise à la question fort justifiée du chef parlementaire du Ralliement créditiste.

M. SAMSON: Je crois comprendre, M. le Président, que le premier ministre n'est peut-être pas en mesure de me donner une réponse immédiatement.

Est-ce que le premier ministre est en mesure, au moins, de me dire ceci, avant de consulter. Parce que, si j'ai bien compris, c'est demain soir, le conseil des ministres, et vous avez dit dans votre déclaration que vous feriez connaître votre position au début de la semaine. Alors, à compter de demain soir, ce ne sera plus au début de la semaine. Je me demande pourquoi le premier ministre tente de retarder cela. Mais est-ce que les représentants de la Communauté chrétienne des Haïtiens, à Montréal, M. Dejean ou les autres, seront directement consultés par le premier ministre avant que la décision soit connue?

M. BOURASSA: Le ministère de l'Immigration et le ministre, en particulier, sont en communication constante — j'en suis convaincu — avec la communauté en question et c'est en pleine connaissance de cause que le gouvernement du Québec veut prendre ses décisions.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Johnson.

Crise agricole

M. BELLEMARE(Johnson): M. le Président, ma question s'adresse à l'honorable ministre de l'Agriculture. Il a dû lire comme nous tous, ce matin, la déclaration qu'a faite le président de l'Ordre des agronomes de la province, à savoir qu'il n'y avait, dans les $15 millions accordés aux cultivateurs la semaine dernière, aucun élément de solution. Ce n'est pas un moyen à long terme ou à court terme de régler le problème.

Est-ce que le ministre pourrait nous dire s'il a l'intention de conserver avec le président de l'ordre, à savoir s'il est nécessaire ou non d'avoir un conseil consultatif de l'agriculture et de l'alimentation, ou s'il a d'autres problèmes ou d'autres solutions à lui soumettre?

M. TOUPIN: M. le Président, j'ai déjà conversé avec le président de cet ordre, qui est responsable de la profession agronomique au Québec. Il m'a téléphoné hier, précisément pour me tenir au courant du fait qu'il voulait rendre publique cette déclaration à laquelle vous faites allusion.

Si le député de Johnson se rappelle bien, la campagne menée par les producteurs portait sur deux problèmes bien précis: celui d'une aide immédiate aux producteurs de bovins et, dans cette aide demandée par les producteurs, il n'était pas question de politique à long terme. Il était question d'intervenir immédiatement sur un problème en particulier qu'eux appelaient un accident de parcours.

Alors, avec les $15 millions que le gouvernement a offerts, nous allons régler ce qu'eux ont appelé cet accident de parcours. Au fond, ce sont simplement des comportements de marchés qui sont normaux, à tous les cinq ou six ans, dans le domaine des bovins.

Il y a ce cycle qui fait que nous sommes au creux de la vague et après, les marchés se rétablissent; déjà les marchés commencent à se raffermir.

L'autre demande de producteurs, c'était d'assurer que les revenus des agriculteurs seront à peu près égaux à ceux des travailleurs spécialisés au Québec. Cela, c'est une politique à long terme et si ma mémoire est fidèle, je pense que nous avons offert aux producteurs le principe de les rémunérer en fonction de ces revenus des travailleurs spécialisés au Québec.

Il reste maintenant à s'entendre sur des formules production par production. Quant à la proposition que fait l'Ordre des agronomes concernant un Conseil supérieur de l'agriculture et de l'alimentation, cette suggestion n'est pas nouvelle. Elle s'est fait valoir dans le passé sous d'autres formes. Je pense que le député de Johnson se rappelle bien que le gouvernement qui nous a précédé avait proposé une sorte de Conseil supérieur de l'agriculture. Après, on avait proposé une sorte de conseil général de l'ensemble des éléments qui composent l'économie agricole et nous revenons, aujourd'hui, avec une proposition d'un Conseil de l'agriculture et de l'alimentation.

Nous avons examiné cette proposition à plusieurs reprises et la question que nous nous posons est la suivante: Ce qui est important, pour nous, du ministère de l'Agriculture, c'est

de trouver, avec les producteurs, les solutions qui touchent leurs problèmes à eux, c'est de regarder, par la suite, avec tout le secteur agro-alimentaire, y compris les agriculteurs, comment on peut compléter l'action primaire d'un agriculteur, c'est-à-dire comment on peut rendre jusque sur la table du consommateur le produit qui provient d'une ferme. D'où l'idée du plan agro-alimentaire que nous avons mis de l'avant. Néanmoins, cette suggestion, je ne pense pas qu'on puisse la rejeter du revers de la main; elle mériterait qu'on l'examine à nouveau, mais dans un contexte, je dirais, un peu plus moderne de l'agriculture qui pourrait inclure tous les éléments qui composent le secteur agricole.

Est-ce que c'est possible maintenant de faire s'entendre, au niveau d'un conseil général, les producteurs qui n'ont jamais assez, et c'est normal, pour le prix de leurs produits — si on peut vendre le bovin à $1 les cent livres, c'est plus payant que de le vendre à $0.50 — est-ce que c'est possible de faire s'entendre autour d'un Conseil général de l'agriculture et de l'alimentation et les transformateurs et les distributeurs et les producteurs, etc.?

Donc ça mérite d'être examiné plus en profondeur et je ne peux pas, aujourd'hui, dire oui ou non à une telle formule proposée par les agronomes du Québec.

M. BELLEMARE (Johnson): M. le Président, rien qu'une question supplémentaire. Est-ce que l'honorable ministre, maintenant que l'accident de parcours semble se régler, ne serait pas d'avis, pour faire suite à la suggestion qu'a faite la semaine dernière le député de Beauce-Sud, maintenant que les esprits sont plus calmes, de convoquer la commission parlementaire de l'agriculture et d'entendre justement l'Ordre des agronomes et tous les autres intéressés, parce qu'ils dénoncent de façon véhémente les intermédiaires. Il y a là tout un lot de renseignements qui seraient fort utiles à la commission parlementaire pour établir, et pour le ministre et pour l'agriculture en général, une politique d'ensemble qui aurait, je pense, des résultats plus pratiques pour l'avenir. La suggestion qu'a faite l'honorable député de Beauce-Sud la semaine dernière, je la reprends à mon compte et je serais très heureux si l'honorable ministre voulait, d'ici la fin de l'année, par exemple, convoquer une commission parlementaire pour entendre tous les intéressés. Peut-être que cela lui fournirait l'occasion, à lui comme à nous, de trouver des solutions pour l'avenir.

M. TOUPIN: M. le Président, j'ai déjà dit que je n'étais pas du tout contre une commission parlementaire. Encore faudrait-il savoir exactement ce que nous allons discuter à cette commission parlementaire. Les problèmes, même s'ils semblent reliés de très près les uns aux autres, sont quand même distincts; c'est-à-dire qu'ils ont des particularités. Le problème des intermédiaires n'est pas nécessairement en soi le problème des producteurs agricoles. Il est évident que si on découvrait que les intermédiaires prennent trop de la part du dollar que dépense le consommateur, il y aurait avantage à ce que ce trop-perçu soit remis au producteur. Mais ce sont deux problèmes distincts qu'il faut regarder de façon distincte. Dans mon esprit, c'est très clair.

Mais si nous voulons apporter une solution à long terme au problème de l'agriculture, il faut, bien sûr, sortir des subventions ponctuelles que nous versons d'année en année. Et une des solutions que j'ai déjà proposées et dont mes collègues ont déjà été saisis est qu'il est nécessaire que nous ayons au Québec une loi de stabilisation des revenus des agriculteurs. Le ministère est en train de préparer cette loi que nous essaierons de déposer avant Noël, si possible. Au moment où cette loi sera déposée, je pense qu'il y aura lieu, dans le cadre de cette loi, de faire discuter la commission parlementaire sur les revenus des agriculteurs et, par le biais, nous pourrons aborder le problème des prix payés par les intermédiaires aux producteurs et, par la suite, s'il y a lieu, prolonger le débat.

LE PRESIDENT: Question supplémentaire. L'honorable député de Saguenay.

M. LESSARD: Question additionnelle. Maintenant que nous connaissons cette accalmie, qui sera sans doute temporaire, est-ce que le ministre a également l'intention d'en profiter pour créer enfin ce qu'il a déjà promis, son office des grains de provende, pour stabiliser les prix des intrants, de mettre aussi en place un office de commercialisation du boeuf, soit sous forme de plan conjoint ou autrement, et, enfin — le ministre en parlait un peu tout à l'heure — d'instituer une enquête pour étudier tout le problème des intermédiaires qui semblent s'enrichir à même les contribuables, les consommateurs et les agriculteurs?

M. TOUPIN: M. le Président, je n'ai pas parlé d'enquête. J'ai déjà soutenu ceci et je le soutiens encore: II me paraît évident que, dans le domaine des intermédiaires, c'est-à-dire de la mise en marché des produits de l'alimentation, s'il y a un travail d'enquête qui doit être mené, on doit le mener à l'échelle nationale parce qu'il n'est pas possible de trouver, je crois, dans le cadre d'une province, les principaux problèmes qui pourraient se dégager des relations entre les intermédiaires et les consommateurs et entre les producteurs et les intermédiaires. Le problème est beaucoup trop vaste pour que nous puissions l'aborder exclusivement sur une base provinciale. J'ai déjà suggéré à la commission Plumptre de regarder plus en profondeur quelles sont les marges que peuvent se garder certains distributeurs ou certains transformateurs des produits alimentaires au Québec et au Canada. On s'est déjà penché sur le problème de la commercialisation des oeufs. On a fait de ce

problème une sorte d'examen qui ne me paraissait pas coller tellement à la réalité. C'était relié à une organisation que les producteurs s'étaient donnée, sur laquelle, d'ailleurs, les gouvernements provinciaux étaient d'accord. On a rendu publics un certain nombre d'éléments reliés à ce problème, qu'il était nécessaire, je pense, de rendre publics, notamment la destruction d'une certaine quantité d'oeufs, etc.

Donc, au niveau de l'enquête, on ne peut pas dépasser beaucoup plus cette perspective. Quant aux autres problèmes, celui d'un office des grains de provende, encore là il faut faire des distinctions. Il ne servirait à rien au Québec d'avoir un office des grains de provende parce que nous n'avons pas de grains à commercialiser. Ce qu'il est important que nous ayons...

M.LESSARD: Je parle d'acheter, M. le Président.

M. TOUPIN: D'accord, là, c'est très bien. Ce qu'il est important que nous ayons, c'est un mécanisme, au gouvernement, qui pourrait travailler en collaboration avec les personnes en place afin que nous puissions devenir, à l'intérieur du commerce des grains de provende au pays, un témoin qui soit valable. C'est précisément la politique que, personnellement, je préconise depuis trois ou quatre mois, c'est-à-dire depuis que nous avons rendu public le plan agro-alimentaire.

M. LESSARD: Trois ou quatre ans.

M. TOUPIN: Au fond, ce que je veux dire, c'est que vous n'avez rien inventé lorsque vous avez suggéré cela.

M. LESSARD: Concernant la commercialisation du boeuf, le plan conjoint? M. le Président, j'avais une question...

LE PRESIDENT: La dernière question, pour donner la chance aux autres. Il y a deux autres députés qui désirent poser des questions additionnelles.

M. LESSARD: D'accord, M. le Président, mais c'est parce que le ministre n'a pas répondu à une partie de ma question, concernant l'office de commercialisation du boeuf. Il y a l'office des grains de provende, mais aussi l'office de commercialisation du boeuf.

M. TOUPIN: M. le Président, il y a des mécanismes à l'intérieur de la Loi sur la mise en marché qui sont prévus. Il y a deux façons maintenant de mettre en place un plan conjoint de mise en marché: ou les organismes de producteurs le soumettent au référendum ou une demande est faite au lieutenant-gouverneur en conseil.

Que la demande me soit faite et j'étudierai sérieusement cette question.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Beauce-Sud, question supplémentaire, et l'honorable chef de l'Opposition, également, sur une question supplémentaire.

M. ROY: M. le Président, le ministre nous a dit tout à l'heure qu'il n'était pas contre une commission parlementaire; d'ailleurs, le premier ministre l'a dit lui-même, la semaine dernière. J'aimerais savoir si le ministre de l'Agriculture est pour une commission parlementaire et s'il entend prendre les dispositions nécessaires afin que cette commission parlementaire puisse siéger le plus tôt possible pour examiner les sources d'approvisionnement des grandes chaînes d'alimentation, étudier toute la question de l'importation des viandes qui se fait au Québec actuellement, étudier le cartel des viandes à cette commission parlementaire, et étudier la façon dont les prix des viandes sont fixés, parce que le producteur et le consommateur sont impliqués.

Je demande au ministre qu'il nous dise clairement s'il a bien l'intention de prendre les mesures qui s'imposent pour que cette commission parlementaire siège dans les meilleurs délais. Je remercie le député de Johnson de son appui, et je compte également sur l'appui du Parti québécois pour que cette commission soit convoquée, pour qu'on puisse faire pression auprès du gouvernement pour qu'elle ait lieu le plus tôt possible. Je demande au ministre de nous faire connaître son point de vue, sa réponse.

M. TOUPIN: J'ai dit, tantôt, que j'étais d'accord pour convoquer une commission parlementaire. La seule occasion que je cherche pour la réunir, cette commission, c'est dans le cadre d'une politique à long terme des revenus des agriculteurs, que nous sommes en train de préparer au ministère, qui sera connue de l'Assemblée nationale d'ici un mois. Une fois que cette politique sera connue, je n'ai non seulement pas d'inconvénient mais je suis d'avis qu'on convoque, à ce moment-là, la commission parlementaire et qu'on étudie, dans le cadre de ce programme-là, l'ensemble des problèmes soulevés par le député de Beauce-Sud sauf, peut-être, un certain nombre qui dépassent largement les compétences provinciales.

M. ROY: Le ministre veut dire, par sa réponse...

LE PRESIDENT: Dernière.

M. ROY: ... qu'il exclurait l'étude de la question de l'approvisionnement des grandes chaînes d'alimentation, l'importation des viandes et ces choses-là. Est-ce la réserve ou la restriction que le ministre vient de faire? J'aimerais être certain d'avoir bien compris, avoir des précisions là-dessus.

M. TOUPIN: Je pense que ça va être très facile. Le député de Beauce-Sud sait fort bien que le problème des importations et des exportations ne relève pas du gouvernement provincial mais bien du gouvernement fédéral.

LE PRESIDENT: L'honorable... M. MERCIER: Sur le même sujet.

M. ROY: ... pour qu'on puisse aborder ces questions en commission parlementaire, qu'on puisse faire connaître notre point de vue au gouvernement fédéral là-dessus.

M. TOUPIN: M. le Président, si le député de Beauce-Sud veut faire valoir son point de vue au gouvernement fédéral, je ne pense pas que ce soit nécessaire qu'il passe par une commission parlementaire provinciale; il peut faire valoir ses points de vue publiquement et demander au gouvernement fédéral qu'il révise sa politique d'importation et d'exportation quoique je ne voie pas d'inconvénient à ce qu'un tel problème soit abordé et discuté à la commission parlementaire. Ce que je veux faire comprendre au député de Beauce-Sud, c'est que je ne crois pas qu'on puisse trouver, à l'intérieur de cette commission, vis-à-vis d'un problème comme celui-là, les solutions qu'il cherche.

LE PRESIDENT: Question supplémentaire...

M MERCIER: Sur le même sujet, M. le Président.

M. MORIN: M. le Président... M MERCIER : Sur le même sujet.

LE PRESIDENT: Oui, après l'honorable chef de l'Opposition officielle, l'honorable député de Bellechasse.

M. MORIN: ... question supplémentaire. Dans l'octroi des $15 millions, il y a une inconnue qui en intrigue plusieurs. J'aimerais demander au ministre quels sont les calculs qui ont fondé l'octroi du montant spécifique de $15 millions. Est-ce le nombre des producteurs? Est-ce le nombre d'animaux? Comment en est-on venu à ce montant-là plutôt qu'à un autre? Je pense que la auestion est importante parce que si on ne connaît pas les bases du calcul, on peut spéculer, comme on l'a fait en fin de semaine, et laisser entendre que peut-être c'était un montant politique.

M. TOUPIN: Le chef de l'Opposition, lorsqu'il dit que peut-être ça serait un montant politique, il est important que nous mettions le mot "peut-être", parce que ce n'est pas une somme qui a été donnée pour des fins politiques. Ce sont des montants qui ont été versés pour aider les producteurs dans une période creuse.

Quels sont les critères sur lesquels nous nous sommes basés? Ce sont les suivants: Le premier c'était la demande des producteurs. Ils demandaient $15 millions pour régler le problème des bovins. Il me paraît que c'est là un critère important.

Le deuxième des critères, nous avons étudié, quant à nous, les pertes que les producteurs ont faites, cette année, dans la vente de leurs bovins, par rapport au prix qu'ils avaient reçu l'an dernier et cela se rapprochait, à quelque $200,000 ou $300,000 près, des $15 millions que nous avons offerts aux producteurs.

M. MORIN: Encore une question supplémentaire, la dernière si vous voulez, M. le Président. Si ce montant de $15 millions était justifié, lorsque le gouvernement a pris la décision de l'octroyer, pourquoi ne l'avoir pas accordé plus tôt, un mois plus tôt, six semaines plus tôt? A ce que je sache, le problème était le même, il y a un mois, lorsque nous avons rencontré ensemble les agriculteurs à Sainte-Foy.

M. TOUPIN: M. le Président, je pense que le chef de l'Opposition va être d'accord avec moi sur ce point. Le problème des bovins laitiers a surgi au cours de la campagne de protestation. Les producteurs ne m'ont jamais demandé avant cette campagne que j'intervienne personnellement, vis-à-vis du problème des bovins laitiers. On m'avait simplement dit que les $2,600,000, plus les $3 millions que nous verserons au printemps, ce qui fait quelque $5,600,000, n'étaient pas suffisants pour les producteurs de bovins de boucherie. C'était seulement sur ce point, au départ, que les demandes des producteurs ont porté. C'est au cours de la campagne que nous avons découvert que les producteurs voulaient aller plus loin que dans les bovins de boucherie, mais aussi dans les bovins laitiers. C'est à ce moment que nous avons cru bon faire une étude plus approfondie de la question des bovins laitiers et que nous en sommes arrivés à la conclusion qui a été, non seulement offerte, mais acceptée aussi par les producteurs et demandée au départ par les producteurs.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Bellechasse, dernière question supplémentaire.

M. MERCIER: M. le Président, c'est une question qui a été soulevée précédemment, touchant le problème des producteurs. Ma question s'adresserait au ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives, responsable de la protection du consommateur, relativement à cet écart, si vous voulez, auquel les producteurs ont fait allusion dans les profits réalisés par les intermédiaires. Suite aux informations du ministre de l'Agriculture, on comprend que c'est une question qui touche l'ensemble du pays. Est-ce que le ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopé-

ratives pourrait nous dire, tout de même, si une étude fut amorcée ou entreprise par l'Office de la protection du consommateur sur les données québécoises, les statistiques québécoises, relativement à cette question des intermédiaires et des profits réalisés, pour le bénéfice des consommateurs?

M. TETLEY: Je vais étudier la question, et je vous remercie de l'avis. Je dois dire que depuis plusieurs semaines j'ai communiqué avec mon homologue à Ottawa, qui, apparemment, avait fait l'étude dont vous parlez et n'avait pas trouvé l'écart dont vous parlez. Apparemment, Mme Plumptre, qui est très bien connue, a fait la même enquête avec le même résultat.

LE PRESIDENT: Dernière question principale.

L'honorable député de Lafontaine.

Jeux olympiques

M. LEGER: M. le Président, ma question s'adresse au ministre d'Etat, responsable du COJO auprès du gouvernement. Le 15 juillet dernier, le ministre nous disait qu'il attendait, dans les quelques jours qui viennent, les dernières prévisions budgétaires globales, concernant les Jeux olympiques. Est-ce que le ministre peut nous dire s'il a, entre les mains, maintenant, puisque cela fait déjà cinq mois, ces prévisions budgétaires et est-ce qu'il peut les déposer à la Chambre?

M. LALONDE: M. le Président, en effet, après la nomination du coordonnateur par la ville de Montréal, la révision des budgets a été entreprise et, à plusieurs reprises, j'ai demandé le résultat de cette révision qui a été retardée, comme les réponses me l'ont confirmé, par la préparation des plans et devis.

Maintenant, quant à la date limite, l'échéance avait d'abord été remise à septembre et snsuite au 15 novembre. Je n'ai pas eu, dernièrement, d'indication à l'effet que la dernière date limite, c'est-à-dire le 15 novembre, était changée et je les attends d'un jour à l'autre.

M. LEGER: Question supplémentaire, M. le Président. A la même date, le ministre m'avait dit qu'il allait peut-être demander au ministre des Affaires municipales la convocation de la commission parlementaire pour entendre les représentants du COJO et de la ville de Montréal sur les implications financières des jeux olympiques en général.

Est-ce que le ministre a contacté le ministre des Affaires municipales et est-ce qu'il entend faire siéger bientôt la commission parlementaire pour entendre les intéressés nous donner les versions exactes et finales de ces implications financières des jeux olympiques?

M. LALONDE: M. le Président, naturellement, j'en ai parlé au ministre des Affaires municipales. Maintenant, ce n'est qu'à la lumière des prévisions budgétaires et des changements possibles dans les chiffres qu'une décision pourrait être prise à cet effet, c'est-à-dire sur l'opportunité de réunir la commission parlementaire pour examiner les implications financières, tel que le député de Lafontaine le demande.

M. LEGER: Dernière question supplémentaire.

LE PRESIDENT: Dernière.

M. LEGER: Est-ce que le ministre peut nous dire s'il va nous déposer dès réception, peut-être la semaine prochaine, les prévisions qu'il aura entre les mains après le 15 novembre?

M. LALONDE: Comme je l'avais dit, M. le Président, si les prévisions budgétaires témoignent de changements substantiels, j'en informerai la Chambre. S'il y a lieu, les budgets pourront même être déposés à la Chambre.

LE PRESIDENT: Avant de passer aux affaires du jour, demain, à la prochaine séance, après les deux questions de l'Opposition officielle, j'accorderai une priorité à l'honorable député de Beauce-Sud.

Affaires du jour.

M. ROY: M. le Président, auparavant, je pense que le ministre de l'Agriculture devait nous donner une réponse aujourd'hui sur une question que j'avais posée la semaine dernière, une question qui est assez urgente.

M. TOUPIN: M. le Président, je voudrais m'excuser parce que je n'ai pu, ce matin. Les documents devaient me parvenir d'ici quatre heures moins le quart et ils ne me sont pas encore parvenus. Je puis dire au député de Beauce-Sud que j'ai maintenant en main toutes les statistiques et qu'au moment où j'aurai les documents, si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, je pourrai les déposer ou attendre à demain pour le faire. J'ai en main les documents.

M. ROY: Vous les déposerez demain. LE PRESIDENT: Affaires...

M. SAINT-HILAIRE: Question supplémentaire, M. le Président.

LE PRESIDENT: Oui. L'honorable député de...

Travaux de la Chambre

M. SAINT-HILAIRE: Est-ce que le leader pourrait nous dire quand le gouvernement a

l'intention de continuer l'étude du bill no 4 sur la Société Inter-Port?

M. LEVESQUE: M. le Président, nous avons au menu, aujourd'hui, deux autres projets de loi qui seront discutés. Demain, c'est la journée des députés. Je pense bien que jeudi nous poursuivrons le débat sur le projet de loi no 50. Il est possible que nous ne siégions pas vendredi. Cela voudrait dire que cela pourrait aller à la semaine prochaine.

LE PRESIDENT: Affaires du jour.

M. LEVESQUE: M. le Président, pouvons-nous revenir un instant au dépôt de documents?

LE PRESIDENT: Avec le consentement de la Chambre, dépôt de documents.

L'honorable ministre des Terres et Forêts.

DÉPÔT DE DOCUMENTS REXFOR

M. DRUMMOND: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel de REXFOR pour 1973/74.

M. LEVESQUE: M. le Président, je voudrais prévenir les membres de cette Chambre que, pour mardi prochain, nous aurons une convocation d'une commission parlementaire...

LE PRESIDENT: Un peu de silence, s'il vous plait.

M. LEVESQUE: ... la commission parlementaire des finances, des comptes publics et du revenu, qui poursuivra ses travaux et continuera d'entendre le vérificateur général; mardi prochain, 19 novembre, à dix heures trente de la matinée, à la salle 91-A.

Il y aura sans doute, en même temps, d'autres commissions; au moins une autre commission parlementaire siégera, mais je l'annoncerai un peu plus tard. Tout dépendra du progrès des travaux.

M. le Président, je propose que la commission du travail et de la main-d'oeuvre se réunisse immédiatement, au salon rouge, aux fins d'entendre les parties dans le conflit à la United Aircraft.

M. ROY: M. le Président, est-ce qu'on peut demander à l'honorable leader du gouvernement s'il est prévu que la commission puisse prolonger ses travaux en soirée ou si on prévoit ajourner les travaux pour six heures?

M. LEVESQUE: M. le Président, j'en ai discuté avec le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre et il sera en mesure de faire une proposition lorsque la commission poursuivra ses travaux, cet après-midi. Avant la suspension prévue pour 18 heures, il pourra, à ce moment-là, faire part à la commission de la proposition qu'il jugera à propos, selon évidemment la marche des travaux.

M. BURNS: M. le Président, je demande un vote enregistré, s'il vous plaît.

Motion pour faire siéger la commission

parlementaire sur le problème de la

United Aircraft

M. LEVESQUE: M. le Président, je fais donc motion pour que la commission du travail et de la main-d'oeuvre poursuive ses travaux et cela, en vertu du même mandat que je mentionnais lors d'une récente séance.

M. BURNS: Vote enregistré, s'il vous plaît.

LE PRESIDENT: Qu'on appelle les députés!

Vote sur la motion

LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur de la motion de l'honorable leader parlementaire du gouvernement veuillent bien se lever s'il vous plaît.

LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bourassa, Levesque, Parent (Hull), Mailloux, Choquette, Garneau, Cloutier, Phaneuf, Lalonde, Lachapelle, Berthiaume, Cournoyer, Goldbloom, Simard, Quenneville, Mme Bacon, MM. Tetley, Drummond, Lacroix, Bienvenue, Toupin, Massé, Harvey (Jonquière), Vaillancourt, Cadieux, Arsenault, Houde (Fabre), Houde (Abitibi-Est), Desjardins, Giasson, Perreault, Brown, Fortier, Bossé, Kennedy, Bacon, Blank, Veilleux, Saint-Hilaire, Saindon, Cornellier, Houde (Limoilou), Pilote, Lamontagne, Picard, Gratton, Carpentier, Dionne, Faucher, Saint-Germain, Harvey (Charlesbourg), Pelletier, Shanks, Pepin, Beauregard, Bellemare (Rosemont), Bérard, Bonnier, Boutin, Chagnon, Leduc, Caron, Côté, Denis, Déziel, Dufour, Harvey (Dubuc), Lachance, Lapointe, Malépart, Malouin, Massicotte, Mercier, Pagé, Parent (Prévost), Picotte, Sylvain, Tardif, Tremblay, Vallières, Verreault, Morin, Burns, Léger, Charron, Lessard, Bédard (Chicoutimi), Samson, Roy, Bellemare (Johnson).

LE SECRETAIRE: Pour: 90 Contre: 0

LE PRESIDENT: La motion est adoptée, et cette commission peut siéger immédiatement.

M. LEVESQUE: M. le Président, nous allons, si on le veut bien, procéder à l'étude du projet

de loi no 26 jusqu'à cinq heures au plus tard. A cinq heures, nous entreprendrons l'étude du projet de loi no 50, Loi concernant les droits et libertés de la personne. Lorsque le ministre de la Justice aura terminé son intervention, nous suspendrons et le chef de l'Opposition pourra donner sa réplique à 20 h 15, si tout le monde est d'accord.

LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a consentement unanime à cet effet?

M. BURNS: Oui, M. le Président.

LE PRESIDENT: Sans qu'il y ait de vote sur la suspension du débat?

M. BURNS: D'accord.

LE PRESIDENT: Consentement unanime, et ça devient un ordre de la Chambre.

M. LEVESQUE: M. le Président, puis-je vous demander, avant que nous entreprenions ce débat, quelle sera la motion ou les motions qui seront discutées demain?

LE PRESIDENT: Je pense que, normalement, on devrait continuer la motion de l'honorable député de Rouyn-Noranda sur le problème des affaires sociales. Demain, il s'agit du deuxième mercredi.

M. LEVESQUE: Est-ce que je peux avoir le consentement unanime de la Chambre également pour que nous revenions un instant en arrière pour que le ministre de l'Agriculture puisse donner une réponse au député de Beauce-Sud, simplement en déposant un document qu'il avait promis?

M. ROY: M. le Président, pour les fins du journal des Débats, il faudrait quand même que le ministre donne sa réponse comme il était censé normalement le faire. Je suis prêt à donner mon consentement pour que le ministre donne sa réponse verbalement.

M. LEVESQUE: C'est très court, M. le Président. Ce serait peut-être moins long si vous acceptiez.

LE PRESIDENT: Et les questions supplémentaires seront posées demain? D'accord, si la Chambre est d'accord.

DES VOIX: D'accord.

QUESTIONS DES DÉPUTÉS (suite) Grains de provende

M. TOUPIN: M. le Président, la question portait sur les approvisionnements en provende. Alors, au 6 novembre 1974, les stocks totaux dans les élévateurs du Saint-Laurent étaient de 6,677,400 boisseaux, alors qu'ils étaient, en 1973, à peu près à la même période, de 9,682,000 boisseaux. La différence majeure provient d'un surplus d'entreposage du mais américain l'an passé. En effet, au 30 octobre 1974, il n'y avait que 2,101,700 boisseaux de mais américain, comparativement à 4,236,300 en 1973. Ces entreposages se composent comme suit: le blé, 1,537,900; l'avoine, 1,059,900 — toujours en termes de boisseaux — l'orge, 2,048,400; les criblures, 10,500; le mais canadien, 132,800; le mais américain, 1,001,900; pour un total de 5,782,400 boisseaux. Ces dernières informations, bien sûr, ne dissipent pas la menace de pénurie de grains de provende au cours de l'hiver 1974-75 parce que les stocks présentement sont un peu plus bas que ceux de l'an dernier. Mais, même s'ils étaient au même niveau, on constate quand même une certaine menace de pénurie. Par contre, et c'est cela qui est le plus consolant, on prévoit pour le mois de novembre des expéditions de4,650,000 boisseaux pour le blé, 1,635,000 pour l'avoine, 4,960,000 pour l'orge et, quant au mais américain, 3,125,000; pour un total de 14,870,000 boisseaux, ce qui ferait qu'à la fin de novembre les entreposages au Québec seraient plus élevés que ceux de l'an dernier. Si vous me le permettez, M. le Président, je déposerais seulement quelques copies de cette déclaration.

DÉPÔT DE DOCUMENTS (suite)

LE PRESIDENT: Vous avez le droit de la déposer comme document sessionnel, si vous le désirez.

Statistiques sur les grains de provende

M. TOUPIN: Je le peux? Alors, document déposé.

M. LEVESQUE: Article no 3).

LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: M. le Président, la loi...

M. LEVESQUE: Est-ce qu'on me permettrait...

M. SAMSON: Oui, oui.

M. LEVESQUE: J'avais mentionné tout à l'heure qu'il était possible que la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre ajourne à dix-huit heures. C'est une possibilité peut-être éloignée, mais, afin de bien remplir la journée, je suggère que nous fassions motion, et je le fais immédiatement, pour que, si cette commission ajourne ses travaux à dix-huit heures ou avant dix-huit heures, à vingt heures

quinze nous puissions procéder avec une autre commission parlementaire, celle des richesses naturelles et des terres et forêts pour l'étude article par article du projet de loi no 27, Loi modifiant la loi des terres et forêts. Je donne cet avis et je fais motion, également, pour que ceci arrive simplement s'il n'y a pas d'autre commission qui siège.

M. BURNS: M. le Président, nous sommes d'accord. Si je comprends bien, la motion est conditionnelle. Par contre, pour nous qui participons aux travaux de la commission du travail et de la main-d'oeuvre, j'entretiens un certain nombre de doutes sur le fait que nous aurons terminé nos travaux ce soir, à moins que les parties n'aient décidé de négocier, auquel cas notre intervention n'est plus nécessaire. Je suis entièrement d'accord pour qu'on prévoie le cas où nous aurions terminé les travaux.

M. BELLEMARE: M. le Président, simplement une remarque au leader du gouvernement. J'aurais bien aimé être en Chambre pour entendre le discours de l'honorable ministre de la Justice sur le projet de loi no 50. Je crois que cela aurait été, pour moi particulièrement, une source d'information. Comme je serai appelé à donner mon opinion, je serai obligé de lire de nuit ce grand discours d'une heure. S'il y avait possibilité que la commission parlementaire s'ajourne à cinq heures, pour que le ministre de la Justice puisse faire son premier exposé, cela nous avantagerait beaucoup parce que je serai pris de l'autre côté et je ne pourrai pas être ici à cinq heures pour entendre l'honorable ministre de la Justice.

M. LEVESQUE: Je comprends très bien les bonnes dispositions du député de Johnson. Je lui rappellerai simplement les propos que vient de tenir le député de Maisonneuve et je crois bien que les chances que la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre ait terminé ses travaux à dix-huit heures sont très minces. De toute façon, même si le ministre parle maintenant à cinq heures ou à vingt heures, je pense bien que si le député de Johnson est à la commission parlementaire, il n'aura pas l'occasion d'entendre le ministre de la Justice.

Cependant, je lui conseille —je sais qu'il a certainement une expérience de la lecture rapide — de peut-être prendre connaissance des galées, des épreuves du journal des Débats, entre dix-huit heures et vingt heures quinze. Je suis sûr qu'il peut, en deux heures quinze, lire quelque chose qui aurait pris une heure à se dire.

M. BELLEMARE (Johnson): Je vais faire autre chose entre dix-huit heures et vingt heures, je vais aller parler contre vous autres.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que cette motion conditionnelle, de faire siéger la commission des terres et forêts, est adoptée?

M. BURNS: Adopté.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté.

M. LEVESQUE: Conditionnellement.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Conditionnellement. J'ai dit "motion conditionnelle". Le député de Rouyn-Noranda, sur le bill 26.

Projet de loi no 26

Deuxième lecture

M. Camille Samson

M. SAMSON: M. le Président, quand on nous a présenté la loi 26 sur les agents de recouvrement, une chose nous intéressait d'abord et avant tout, c'était d'entendre à la commission parlementaire les représentants des agences de recouvrement, les représentants de différents organismes intéressés. La question qui a semblé se poser, à ce moment-là, à certaines personnes était la suivante : Est-ce que nous devons permettre la survie des différentes agences de recouvrement ou si on ne doit pas profiter de l'occasion qui nous est donnée d'en discuter pour les abolir purement et simplement?

A cette question je pense qu'avant de donner la réponse nous devons, très objectivement, tenter de déterminer ensemble quels sont les services qui peuvent être rendus par les agences de recouvrement et dans quelle proportion ces services sont nécessaires et doivent être rendus par elles. Nous devons aussi nous interroger sur les différentes revendications qui nous viennent d'associations de consommateurs, de travailleurs ou d'autres, nous disant que les méthodes couramment utilisées par les différentes agences de recouvrement font en sorte que c'est de la pression sur le consommateur. On est allé même jusqu'à parler de pressions indues sur les consommateurs. C'est pourquoi j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt et de sérieux les différents organismes qui sont venus devant la commission parlementaire.

Je vous avoue qu'à l'avance, par l'expérience que j'ai du monde des affaires, je m'étais fait une opinion assez claire. Mais d'écouter les experts des différentes associations, les personnes concernées m'a permis de confirmer les prétentions que j'avais au tout début de la commission parlementaire, à savoir que les agences de recouvrement sont nécessaires et utiles. Donc, pour moi, il n'est pas question d'envisager que l'on profite de la circonstance pour les abolir. Il n'en est pas question parce que, dans le monde des affaires, dans le monde du commerce, par exemple, les commerçants n'ont pas tous les structures nécessaires et valables pour leur permettre de recouvrer eux-mêmes leurs créances.

Donc, n'ayant pas ces structures valables pour le recouvrement des créances, ils doivent pouvoir faire affaires avec un organisme spécialisé. Les organismes spécialisés sont ou bien des agences de recouvrement ou bien des avocats. La pratique veut que la plupart des bureaux d'avocats aient beaucoup d'autres choses à faire que du recouvrement. On peut en déduire qu'ils ne sont pas plus intéressés qu'il le faut à faire du recouvrement de créances. C'est pourquoi l'organisme spécialisé qu'est l'agence de recouvrement a son importance. Il est impensable que nous détruisions ce mécanisme et que nous disions, en quelque sorte, aux hommes d'affaires: Débrouillez-vous avec vos comptes. Montez, dans vos propres bureaux des bureaux de recouvrement.

Le commerce étant ce qu'il est, déjà très difficile, les marges de profit étant de plus en plus réduites, compte tenu du temps dans lequel nous vivons, je pense que ne pas permettre un mécanisme adéquat pour le recouvrement des créances est admettre que nous ne voulons pas favoriser l'entreprise privée. Je pense que c'est bien connu que je suis un adepte de l'entreprise libre, l'entreprise privée, l'entreprise concurrentielle.

Le gouvernement ne doit pas présenter des lois qui visent à amener des contraintes qui risqueraient même la vie de l'entreprise privée. Et quand je dis entreprise privée, je pourrais aussi, dans le cas du recouvrement de créances, parler d'entreprises mixtes, par exemple. Dans le domaine du recouvrement des créances, on doit admettre — et ça même les plus bornés l'admettront — que quelqu'un qui vend des choses doit pouvoir s'attendre à être payé. Cela est absolument normal. Ce n'est pas au nom de fausses conceptions de la protection du consommateur, par exemple, qu'on réglerait ce problème.

J'ai entendu des gens, devant la commission parlementaire, se réclamer des protecteurs du consommateur en même temps qu'ils se réclamaient de vouloir amener l'abolition des agents de recouvrement, tout comme s'ils nous avaient dit à peu près carrément, en pleine face, qu'on peut permettre à tout le monde d'acheter quoi que ce soit, sans condition, sans garantie de paiement. C'est impensable, on ne réglera jamais le problème que ces gens voulaient régler en ne permettant pas que quelqu'un qui est en affaires puisse recouvrer le paiement des choses qu'il a vendues. Autrement, si on permettait cela, cela voudrait dire qu'on est prêt à laisser crouler tout le monde des affaires pour en laisser rebâtir un, peut-être d'une autre sorte, où on enlèverait toute forme de concurrence.

M. le Président, ma position et la position de notre parti est très claire là-dessus. Nous sommes d'accord que les agences de recouvrement doivent continuer, mais, et c'est là la nuance importante que nous apportons, c'est qu'il ne faut pas les laisser continuer à tort et à travers. Suivant les informations que nous avons, suivant l'expérience vécue en ce domaine, il arrive que, dans la pratique générale, certains agents de recouvrement, dont les bureaux sont en même temps combinés avec des bureaux de crédit, par exemple, utilisent des méthodes qui sont inacceptables, comme appeler un consommateur à son lieu de travail et l'appeler souvent.

M. le Président, je m'excuse de l'expression, mais c'est l'expression qui est utilisée dans le milieu: Pour un bureau de crédit ou une agence de recouvrement, appeler un consommateur à son lieu de travail, plusieurs fois par jour, cela s'appelle écoeurer le monde. Dans le milieu, c'est comme ça qu'on dit ça et je m'excuse de l'expression.

Mais il arrive que non seulement les agences de recouvrement ne sont pas capables de recouvrer la créance, mais qu'en plus elles mettent en péril l'emploi de ce consommateur. Or, c'est ce genre de choses, ce genre d'abus, qui est assez courant, qu'il nous faut absolument empêcher. Egalement, on peut utiliser une autre formule: en correspondant avec un consommateur, on lui envoie de belles lettres qui ressemblent à des lettres d'avocats, qui ressemblent à des lettres d'un homme de loi quelconque. Cela s'appelle de la fausse représentation, faire peur au monde avec des formules qui ne sont pas légales dans le fond, qui ne sont pas exactement et qui ne disent pas exactement ce qu'elles doivent dire.

Or, ce genre de méthodes, de tactiques doit être absolument prohibé. En plus de ça, le ministre a eu raison de nous laisser voir qu'il y aura des infractions aux causes. C'est important, M. le Président, parce que, dans ce domaine, il ne s'agit pas uniquement d'émettre des voeux pieux, mais il nous faut absolument bien protéger le consommateur. Il faut que le consommateur connaisse ses droits, qu'il sache bien que l'agence de recouvrement n'a pas le droit de l'appeler à son domicile avant une certaine heure le matin et après une certaine heure le soir, par exemple, que la population le sache bien. Je pense que le ministre aura beaucoup d'avantages à faire connaître cette loi dans le public pour que le consommateur connaisse très bien ses droits.

Egalement, ce genre de formules qui sont envoyées au consommateur en leur disant: C'est votre deuxième avis et un troisième avis va vous coûter tant pour cent plus cher. Ou encore un appel interurbain est logé par l'agence de recouvrement, aux frais du consommateur, et on lui dit: Si vous refusez de payer les frais de l'appel, cela va vous coûter plus cher, on envoie le compte tout de suite chez l'avocat et des choses comme ça.

Alors, ce sont des choses que nous connaissons. Ce sont des pratiques que nous connaissons et que nous voulons voir abolir. L'agence de recouvrement, je le reconnais, a un rôle à jouer; à la condition qu'elle le joue d'une façon normale, on n'aura rien à y redire. Mais, présentement, ce n'est pas comme ça que cela se fait. Ou encore une autre méthode qui est utilisée assez fréquemment: Quand un consom-

mateur, par exemple, a des paiements qui retardent soit pour une voiture qu'il a achetée, soit pour un appareil ménager, un appareil de télévision ou d'autres choses, on confie cela à une agence de recouvrement et des gens se présentent chez le consommateur sous de fausses représentations en quelque sorte en ne disant pas clairement qui ils représentent. Là, comme par hasard, il arrive que ces gens se font accompagner d'une personne qui est généralement assez grande et assez costaude, ce que nous appelons dans le jargon du métier des armoires à glace. Et l'armoire à glace ne dit pas un mot. C'est l'autre qui fait le travail en disant: Ecoutez, vous êtes mieux de payer ce soir parce que, si vous ne payez pas ce soir, il peut vous arriver n'importe quoi. Vous savez, on a connu tellement de gens qui se sont fait casser les jambes comme ça, parce qu'ils ne voulaient pas payer à temps ou des choses comme ça. L'autre ne dit jamais un mot à côté, mais sa présence est suffisante pour intimider les personnes qui sont concernées.

C'est le genre de chose qui se produit dans ce domaine.

Il y a également le fait que l'agence de recouvrement, après avoir communiqué avec un client, une fois que le client a contesté la créance en disant qu'il ne doit pas ces sommes et qu'il y a des arrangements de pris avec le marchand concerné, a comme habitude de continuer à harceler le client pour tenter de réclamer encore de l'argent, quitte à faire les ajustements par la suite. Evidemment, vous avez bien compris, M. le Président, que ces méthodes sont pour tenter d'aller chercher la commission, quand même, malgré le fait que la personne ne doit pas ces sommes.

Ce sont des méthodes que nous n'admettons pas, que nous n'admettons pas non plus.

M. le Président, je pense qu'à l'occasion de discussions en commission parlementaire, nous avons couvert plusieurs de ces points, mais il y a une chose que je n'ai pas retrouvée, à moins que je n'aie pas lu comme il faut ce que le ministre nous a présenté comme étant des amendements qu'il veut nous apporter. Nous avions manifesté, à l'occasion de la commission parlementaire, le désir que soit incluse dans la loi une disposition à l'effet que le consommateur lui-même puisse porter plainte contre toute méthode utilisée par les agences de recouvrement et qui pourrait être à l'encontre de la loi.

Pourquoi avions-nous suggéré cela? C'est que, bien entendu, si on laisse à l'Office de la protection du consommateur ou encore à un ministre la besogne d'intenter les poursuites et de rechercher à intenter les poursuites en faisant, si vous le voulez, une espèce d'enquête permanente, je pense que cela ne serait pas trop trop pratique.

M. TETLEY: Est-ce que le député me permet une question?

M. SAMSON: Oui, M. le Président.

M. TETLEY: Je trouve votre suggestion intéressante, mais puis-je vous demander de préparer le plus tôt possible le texte de votre amendement, parce que le ministère de la Justice et les avocats, vous savez — vous connaissez les avocats — gardent certains droits jusqu'à la mort et parfois après la mort? Ils envoient cela par testament à leurs successeurs, pour de bonnes raisons parfois.

Donc, au sujet du droit que vous suggérez, je crois que c'est un amendement à l'article 40 — "Des poursuites en vertu de la présente loi sont intentées par le directeur, etc.," bla bla bla — j'aimerais voir votre amendement parce que si c'est possible, je peux entreprendre non pas des procédures avec le ministre de la Justice mais des négociations si c'est possible.

M. SAMSON: M. le Président, je ne voudrais pas...

LE PRESIDENT: Nous sommes un peu dans l'irrégularité actuellement, parce que nous sommes sur une question d'article. Ce débat devrait avoir lieu en commission plénière. Je le comprends, mais...

M TETLEY: ... principe.

LE PRESIDENT: D'accord. Qu'on s'en tienne au principe sans la lecture de l'article.

M. SAMSON: M. le Président, c'est peut-être un peu pourquoi je n'avais pas voulu toucher à l'article tantôt, mais je n'en veux pas du tout au ministre, parce que je pense que c'est sur une base pratique.

Dans le fond, des deux côtés de la Chambre, on recherche un peu la même chose. C'est que le consommateur puisse être utile, pour les fins de la poursuite, et qu'il puisse être utile aussi pour les fins de détection des infractions.

Maintenant, peut-être que le ministre pourrait demander à ses conseillers de reformuler, en fonction de l'article qui est concerné, un article qui rejoindrait ce principe. Je voudrais bien me faire comprendre. Je ne voudrais pas que soient enlevées au procureur général, par exemple, les prérogatives qui sont les siennes, c'est-à-dire d'effectuer les poursuites. Le mécanisme que je suggère, c'est qu'on mette, si vous le voulez, davantage à contribution le consommateur dans les mécanismes appelés à entraîner des poursuites.

Cela veut dire, à mon point de vue, que c'est le procureur général qui devrait, quand même, faire les poursuites, mais sur demande d'un consommateur, d'un client qui s'est senti frustré et qui apporte des preuves. Tous les adjoints du procureur général devraient être habilités, je pense, à prendre immédiatement ces choses-là. Peut-être qu'il serait valable de songer à une disposition qui pourrait ressembler à celle que nous voyons dans la loi sur l'étiquetage bilingue, où les consommateurs peuvent déposer une plainte et recevoir une partie de la contraven-

tion advenant qu'ils aient gain de cause. Cela amène les consommateurs, dans ces cas-là, à être très vigilants, et cela amènerait également les agences de recouvrement à l'être. Les agences de recouvrement seraient ainsi beaucoup plus appelées à respecter l'ensemble de la loi qui sera la leur et à être beaucoup plus respectueuses des pratiques normales et à ne pas faire de pratique anormale. C'est une...

M. TETLEY: Le distingué député de Rouyn-Noranda me permettrait-il une question?

Si, par hasard, le juge décide que l'homme devrait aller en prison pour six mois, qu'est-ce qu'il y a pour le citoyen? Il y va pour trois mois ou est-ce qu'il a un crédit pour trois mois?

M. SAMSON: Dans ce cas-là, M. le Président, je permettrais au ministre de se substituer à cette personne-là.

C'est le sens de ma suggestion. Je laisse le soin aux conseillers et aux experts qui ont préparé la loi de nous présenter, avant la troisième lecture, peut-être quelque chose qui pourra concorder, parce que je pense qu'on est d'accord qu'il nous faut assurer une protection aux consommateurs de ce côté-là.

M. le Président, je n'en dirai pas plus long. Je pense que le sujet — d'ailleurs cela va faire plaisir à mon collègue, le député de Rosemont — est couvert, en ce qui me concerne. Ce que je voulais faire valoir, c'est que les agences de recouvrement sont nécessaires. Par contre, il est aussi nécessaire de bien protéger le consommateur. A mon sens, elles sont nécessaires à la condition qu'elles agissent normalement. Je considère qu'il est du devoir du gouvernement de mettre toutes les clauses nécessaires dans cette loi pour que les agences de recouvrement agissent normalement.

Merci, M. le Président.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député de Charlesbourg.

M. André Harvey

M. HARVEY (Charlesbourg): M. le Président, je serai assez bref à mon tour puisque le projet de loi no 26, étudié en commission parlementaire, a pu, en partant, par l'audition des organismes intéressés, être extrapolé davantage. C'est pourquoi je me résumerai à dire tout simplement que le principe de cette loi en deuxième lecture donne en fait des additions à l'ensemble des lois visant à protéger le public. C'est coiffé par un ministère qui se veut à la fois le protecteur du citoyen, du Québécois, le consommateur. Lorsqu'on voit que le projet de loi rend obligatoire l'obtention d'un permis pour les vendeurs, on n'a qu'à se rappeler quel bienfait a été apporté par l'adoption des permis obligatoires dans le cadre de la loi 45, dans le cas des vendeurs itinérants. Ceci a eu pour effet de bonifier et d'améliorer ce secteur qui était exploité parfois sous de fausses représentations par des vendeurs peu scrupuleux. Ce projet de loi no 26 oblige d'avoir en dépôt ou en fiducie, si vous voulez, les sommes d'argent recouvrées par les agences, en plus d'un service d'inspection qui sera obligatoire et nécessaire par le ministère des Institutions financières, en plus d'un "bound" de garantie, excusez l'anglicisme, d'une assurance de garantie pour les dépôts. Elle pourra elle aussi, cette dernière mesure, avoir pour effet d'assainir le secteur des agents de recouvrement et prévoir des pratiques qu'il sera interdit d'utiliser pour le recouvrement. On a fait état, tout à l'heure et la semaine dernière, des méthodes plus ou moins catholiques qui étaient employées par certains agents de recouvrement. Alors, je pense que la disposition interdisant certaines méthodes de recouvrement aura elle aussi son effet.

Lorsque j'entendais, la semaine dernière, l'unilinguiste de Lafontaine s'en prendre au ministre des Institutions financières alors qu'il s'exprimait dans sa langue maternelle et dans un français châtié, soit dit en passant, un français qui se veut à la mesure et davantage même du français employé par l'unilinguiste de Lafontaine, je trouvais que c'était franchement le seul coup bas qui pouvait être logé dans cette mesure ou dans cette loi qui vient, elle aussi, couvrir un secteur qui n'était pas encore couvert, si ce n'est que les agences de recouvrement pouvaient exister en vertu de certains règlements, mais maintenant elles sont assujetties à une loi.

Il disait, par exemple, le député de Lafontaine, écoutez bien son raisonnement: "Un consommateur est un emprunteur et il doit savoir ce à quoi il s'engage." Mais son principe était que le prêteur lui-même devait, en fait, y aller de ses propres moyens pour recouvrer son argent, non pas passer par le biais d'une agence de recouvrement. Ce qui veut dire que le consommateur pourrait aller emprunter n'importe où, quelle que soit sa réputation personnelle; il peut mentir ou faire de fausses déclarations, ou de la fausse représentation, mais pour le recouvrement, même s'il se soustrait aux obligations pour lesquelles il a déjà signé, on laisse à elle-même la compagnie ou l'entreprise prêteuse devant un consommateur qui, lui aussi, peut avoir des défauts et faire aussi de la fausse représentation.

Je pense que le mal n'est pas seulement du côté des compagnies prêteuses puisque, encore là, dans le cadre de la loi 45, il y a eu un assainissement par l'obligation de publier le taux d'intérêt prêté sur les sommes; cela s'est étendu même au système bancaire et par ricochet dans le cadre des compagnies prêteuses, c'est-à-dire les compagnies de finance. Je pense que poser un raisonnement de la sorte — dire qu'il y a seulement des méchants du côté des compagnies prêteuses — c'est ne pas reconnaître le système dans lequel nous vivons. Evidemment, il y a toujours place à de l'éduca-

tion en matière d'endettement; il y a toujours place en matière d'information et de formation du jeune consommateur et je pense que cela a déjà été reconnu. Il se fait véritablement des efforts, tant du côté du ministère de l'Education que des institutions bancaires et des institutions coopératives qui, elles aussi, ont un mandat et un code d'éthique qui leur permettent d'assainir le milieu des emprunts ou le milieu financier.

Je pense que la clarification qui est apportée dans le cadre de la loi 26, première phase, et des six nouvelles précisions qui seront en correction à cette loi, viennent réellement, dans l'immense majorité des mémoires, se coller à la réalité et aussi aux requêtes qui nous ont été formulées. M. le Président, je termine là en appuyant le principe de cette loi 26 et en félicitant le ministre de l'avoir apportée devant cette Chambre.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): The Honourable member from Brome-Missisquoi.

M. Glendon Brown

M. BROWN: Mr Speaker, it gives me a great deal of pleasure to back and speak for this bill 26. During the eighteen years that I have been a member, there is no one item that has come before me as much as collection agencies, and it is dealing with the poor people and people who are in a misery situation, that these collection agencies have actively tyrannized a great many women and children and people that are not in right circumstances, for instance a woman who has a husband that has been put in jail and their furniture is not paid for it. Under the old rules and regulations, a collection agency would come in and partly take this furniture out of the house.

It is a bill, and I feel that this is the reason I want to talk for the bill, that is for the poor people. It does not touch the richer people because they can pay their accounts.

But in the past, certainly there are been many undesirables, finding a job in a miserable position to terrorize people, who made victims of women and children and I am extremely pleased that this is going to be regulated by this bill.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député de Taschereau.

M. Irénée Bonnier

M. BONNIER: M. le Président, dans cette Chambre, il y a différentes sortes de discussions, toutes sortes de sujets qui nous sont proposés, toutes sortes de projets de loi. Ce qu'on oublie parfois, c'est d'établir une relation entre ces différents projets de loi qui nous sont proposés et de voir jusqu'à quel point les travaux de cette Chambre constituent tout un édifice pour l'orientation d'une société. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il y a une relation entre l'augmentation des allocations sociales, qui a été soulevée la semaine dernière, l'inflation qui a également été abordée et ce projet de loi sur les agents de recouvrement.

En effet, ceux qui font l'objet de recouvrement, comme vient de le souligner avec beaucoup d'à-propos le député qui m'a précédé, ce sont des gens qui, malheureusement, sont en difficulté financière pour une certaine période. Ces mêmes gens se retrouvent souvent du côté des assités sociaux. C'est avec raison qu'il faut, non pas pour les aider à payer des anciennes dettes, mais beaucoup plus pour les aider à joindre les deux bouts, examiner de temps à autre des ajustements aux allocations sociales.

Par ailleurs, on sait fort bien que, dans une période d'inflation, ce sont les gens qui ont des revenus limités et surtout des revenus fixes, qui, parfois sont davantage affectés. Ils doivent se procurer des biens qui coûtent de plus en plus cher et, leur pouvoir d'achat étant jusqu'à un certain point réduit, ils ont de plus en plus de difficulté à subvenir à leurs besoins.

M. le Président, nous devons donc accepter la suggestion du ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives d'examiner le principe du projet de loi no 26 qui porte sur les agents de recouvrement. Je crois qu'il faut également féliciter le ministre de ce geste à ce moment-ci, parce qu'il s'impose. C'est un très bon ministre.

Je voudrais également souligner que c'est avec beaucoup de satisfaction aussi que nous avons appris qu'un amendement serait apporté à ce projet de loi, pour préciser qu'il ne concerne pas les transactions entre marchands, mais bien entre le marchand et le consommateur. Il s'agissait là d'une espèce de malentendu dans la rédaction du premier texte et je crois qu'avec cette nouvelle précision nous nous trouvons de plain-pied dans le domaine de la consommation.

Nous savons fort bien que toute cette question des agents de recouvrement s'est développée de plus en plus à mesure que notre société avait recours au crédit. Notre société de production a constaté, à un moment donné, qu'il fallait de plus en plus de consommation si on voulait que les entreprises continuent à produire et il s'est installé une espèce de cercle vicieux. On a insisté sur la consommation, mais, en même temps, comme on voulait que les individus consomment davantage, il a fallu mettre sur pied de nouveaux instruments et une insistance de plus en plus grande sur le crédit.

Or, le crédit en soi n'est pas mauvais, puisqu'il permet à un certain nombre de consommateurs d'utiliser à l'avance les avantages de biens mobiliers — comme des réfrigérateurs ou d'autres biens semblables, même d'une voiture — dont ils ont absolument besoin, même s'ils

ne peuvent utiliser tout le montant d'épargne qu'ils ont dans leur compte d'épargne en vue d'acheter ces biens. Ils peuvent donc les acheter à l'avance et en jouir, à condition qu'ils aient les moyens suffisants pour les payer au mois ou à la semaine, selon qu'il convient.

Donc, le principe du crédit n'est pas faux en soi; il a certainement aidé à stimuler l'ensemble de l'économie nord-américaine et il s'est répandu dans d'autres régions également. Mais, arrivé à un certain point, on l'a tellement poussé au bout qu'on s'est rendu compte qu'un certain nombre d'individus n'étaient pas capables de faire des remboursements comme les autres. On s'est rendu compte que la publicité qui s'adressait peut-être à des gens qui avaient $10,000 par année était également écoutée par des gens qui en avaient $5,000 ou $6,000. Ces gens-là se sont imaginé que les biens qui leur étaient offerts par les moyens publicitaires devaient être aussi appropriés pour eux que pour leurs voisins. C'est sûr qu'à ce moment-là s'est établie ce qu'on a appelé une certaine société de consommation, que M. Galbraith a appelée la société d'opulence, avec les inconvénients qui en ont résulté vis-à-vis du crédit. Parce que tous les individus ne sont pas nécessairement sur le même pied, parce qu'ils n'ont pas tous les mêmes possibilités de revenu, les mêmes possibilités de remboursement lorsqu'ils ont accès au crédit, il s'est installé un certain déséquilibre. Il a fallu que les marchands aient recours à des intermédiaires afin de recouvrer le crédit où il était difficile à percevoir. C'est à ce moment-là que s'est installé le système des agents de recouvrement.

Ce qu'on a oublié, c'est que les marchands les ont chargés de recouvrer du crédit qui était plus ou moins bon, et ces agents ont utilisé des méthodes qui sont plus ou moins honnêtes, plus ou moins morales. Je crois que l'avantage de ce projet de loi est qu'il va mettre de l'ordre dans le recouvrement du crédit. Il va empêcher un certain nombre d'abus. Il ne faudrait pas que les agents de recouvrement se considèrent comme des policiers qui sont là pour prendre en défaut le consommateur. Il faut bien se rendre compte que le consommateur, qui n'a pas toujours les moyens suffisants pour se procurer les biens qu'il désire acheter comme son voisin, n'est pas toujours entièrement responsable. Il se laisse malheureusement influencer, anonyme qu'il est dans une société urbaine et industrialisée, par les moyens de communication de niasse et il tombe dans certains défauts. Il faudrait plutôt qu'à travers cette loi les agents de recouvrement se considèrent beaucoup plus comme des individus qui sont là pour aider le consommateur à mettre de l'ordre dans leurs finances, à mettre de l'ordre dans le crédit.

Il faut bien se rendre compte que les agissements des agents de recouvrement ont été responsables dans le passé non seulement de la faillite d'individus, mais de la faillite d'un certain nombre de commerces. Si vous avez une bonne proportion de consommateurs qui, à un moment donné, poursuivis qu'ils étaient par des agents de recouvrement, ne retournent plus acheter les effets dont ils ont besoin, au risque même d'utiliser un bon crédit de temps à autre, ceci a un effet négatif sur l'ensemble de l'économie, c'est indéniable. Si les marchands eux-mêmes n'y prennent garde, c'est sûr qu'un secteur de l'économie risque de s'effondrer à un moment donné.

Il faut donc que les agents de recouvrement se considèrent eux-mêmes comme des aides vis-à-vis du consommateur et non pas comme des policiers qui, par toutes sortes de moyens, essaient de les faire tomber dans un traquenard ou de leur forcer la main plus qu'ils ne sont capables de le faire, vis-à-vis des remboursements possibles pour tel ou tel consommateur.

A ce moment, on détruit non seulement le consommateur, son pouvoir de crédit éventuel, mais on le détruit en tant que personne.

Je crois, en second lieu, M. le Président, que les agents de recouvrement devraient aider l'individu à ne pas s'endetter outre mesure, parce que ceci est au détriment de l'ensemble de l'économie du Québec. On se rend compte, à l'heure actuelle, M. le Président, qu'il y a au Québec un niveau de consommation beaucoup trop élevé, par rapport à nos moyens. On a dit, l'autre jour, qu'il était possible probablement, à travers nos épargnes, de faire fonctionner notre économie, mais il reste bien que ces épargnes ne sont malheureusement pas orientées suffisamment du côté de la production mais du côté de la consommation. De ce point de vue, je crois que ce projet de loi, qui nous a été apporté par le ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives, devrait aider les agents de recouvrement à valoriser leur rôle et à les rendre conscients du fait qu'ils ne sont pas là pour prendre en défaut le consommateur, mais beaucoup plus pour l'aider à mieux utiliser le crédit.

Avant de terminer, M. le Président, étant donné que nos lois sont interreliées, jusqu'à un certain point, dans l'édification globale d'une société, je crois qu'il y aurait lieu d'examiner, très bientôt, l'ensemble des agents de crédit et de toutes les lois, autant fédérales que provinciales, qui doivent réglementer le crédit, de façon que ces agents de recouvrement soient de moins en moins nécessaires dans notre société.

Merci.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): L'honorable député d'Anjou.

M. Yves Tardif

M. TARDIF: M. le Président, le projet de loi no 26 que nous avons devant nous et qui porte sur les agents de recouvrement contient, à mon avis, deux principes fondamentaux. Ces principes fondamentaux visent tout d'abord à la protection du public en général et également à

la protection des créanciers, c'est-à-dire les personnes qui confient le recouvrement de leurs comptes en souffrance a des agents de recouvrement.

Deuxièmement, le projet de loi no 26 établit une espèce de cadre qui va permettre à certaines personnes qui sont exclues par l'article 2 de recouvrer des créances en souffrance.

M. le Président, le projet de loi no 26 constitue d'abord une protection vis-à-vis du public en général et vis-à-vis des débiteurs, en ce sens qu'il établit certaines règles qui n'existaient pas auparavant et qui visent à accorder une protection plus grande, une protection qui n'existait pas dans l'ancienne loi, à ceux qui doivent un montant d'argent à un créancier et qui sont poursuivis par des agents de recouvrement pour le paiement de ce compte.

Nous n'avons qu'à regarder l'article 26 du projet de loi qui mentionne un bon nombre de pratiques qui seront désormais défendues par la loi et que l'agent de recouvrement ne pourra plus utiliser, désormais, dans ses fonctions.

Egalement, ce projet de loi no 26 donne une protection vis-à-vis du créancier, c'est-à-dire le mandant. Auparavant, il va de soi qu'avec la loi qui existait, il était assez difficile pour le créancier de savoir précisément ce qui se passait relativement à un certain nombre de comptes qu'il avait confiés pour fins de perception. C'était peut-être difficile pour le créancier de savoir précisément ce qui se produisait, justement parce que dans la loi il n'existait pas vraiment d'obligation pour le percepteur de rendre compte au mandant. Mais si on jette un coup d'oeil assez attentif sur le projet de loi, on se rend compte que, désormais, l'agent de recouvrement devra maintenir en vigueur un cautionnement qui sera en proportion de son chiffre d'affaires. Egalement, il devra maintenir les fonds appartenant au créancier dans un compte en fiducie. Et troisièmement, il ne pourra réclamer de son mandant une rémunération supérieure à celle qui est prévue dans un contrat.

Voilà trois faits qui sont maintenant inscrits dans le projet de loi et qui vont permettre au créancier de savoir précisément de quoi retourne un compte.

Ils vont permettre aux créanciers de savoir, à un certain moment, ce qui a été perçu par l'agent de recouvrement alors que, bien souvent, dans le passé, l'agent de recouvrement percevait certaines sommes et ensuite il s'envolait.

L'ancienne loi avait un bon nombre de lacunes. Je pense que tout le monde est d'accord là-dessus. Suffit-il de mentionner que cette loi ne contenait que neuf articles et qu'elle ne couvrait que deux pages de texte. Les dispositions qui étaient incluses dans cette loi étaient tellement élastiques qu'elles ont sûrement permis qu'un bon nombre d'abus puissent se produire.

Les députés de Rouyn-Noranda et de Lafontaine ont fait part d'un certain nombre de ces abus. Je pense que, d'autre part, on ne doit pas généraliser en disant que ces abus constituaient une règle générale. Le député de Lafontaine, entre autres, dans un texte qu'il a lu et qui était manifestement préparé par un autre, nous a cité le cas d'une personne qui avait été appelée par un agent de recouvrement et laquelle personne se faisait passer pour un médecin. Cela est un cas dont on a entendu parler à plusieurs reprises. Je ne dis pas que cela ne s'est pas produit mais je pense qu'il ne faudrait pas généraliser et dire que cela s'est produit constamment.

Le député de Rouyn-Noranda a semblé faire une certaine équation entre des agents de recouvrement — il n'a pas mentionné la proportion — et des casseurs de jambes. J'imagine que c'est une chose qui a pu se produire à plus d'une reprise. Je ne doute pas de la parole du député de Rouyn-Noranda lorsqu'il dit que cela s'est produit. Mais, encore là, dire que tous les agents de recouvrement ont eu ou ont recours à des méthodes telles que celles mentionnées par le député de Rouyn-Noranda et le député de Lafontaine, je pense que c'est une généralisation qui est trop facile.

Si on veut réprimer ces abus, qui ont été relativement nombreux, je pense que la meilleure façon de rejoindre le but qu'on s'est fixé, c'est d'adopter le projet de loi no 26. Ce projet de loi contient des dispositions, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, qui sont beaucoup plus sévères à l'égard des agents de recouvrement et qui ne permettront pas de jouer à la fois les créanciers et les débiteurs comme ils ont pu le faire auparavant.

UNE VOIX: Très bien.

M. TARDIF: Dans le discours du député de Lafontaine, je n'ai pas réussi à savoir si, effectivement, il était en faveur de la loi ou s'il était contre. A un moment donné, il parlait en faveur de certaines dispositions de la loi. A un autre moment, il aurait préféré qu'on abolisse tout simplement les agents de recouvrement. A un moment donné, le député de Lafontaine a dit: Nous aimerions que la disparition de ces agents de recouvrement soit prévue et que ce soit l'intention du gouvernement. Il n'est pas le seul à avoir le même point de vue. Je pense que l'ACEF également s'est présentée devant la commission parlementaire et a eu une position semblable. Je recevais ce matin un mémoire du Centre communautaire juridique de Montréal qui disait inter alia: L'agent de recouvrement se présente plutôt comme un facteur de ralentissement des échanges. Tout en n'étant pas d'accord sur les formules ou les façons d'agir des agents de recouvrement dans le passé et actuellement, je me demande si l'abolition complète de ce phénomène que sont les agents de recouvrement constituerait une solution préférable à la solution qu'a semblé proposer, à un moment ou l'autre, le député de Lafontaine et à la solution qu'ont proposée, de façon bien catégorique, le Centre communautaire juridique de Montréal et l'ACEF.

S'il n'y avait pas d'agences de recouvrement, que devrions-nous faire à ce moment-là? Les créanciers n'auraient pas grand choix, soit qu'ils devraient essayer eux-mêmes de percevoir le compte ou soit qu'ils devraient confier le compte aux avocats. Mais, je comprends la réticence d'un certain nombre de créanciers à l'idée de confier à certains avocats la perception d'un compte. Lorsqu'il s'agit d'un petit compte d'environ $100 et que la compagnie est incorporée, si la compagnie en question prend action et que, pour une raison ou pour une autre, elle obtienne jugement, ou pas, en sa faveur, il n'en reste pas moins que les frais de cour vont être passablement plus élevés.

Lorsqu'une compagnie incorporée confie à un avocat la perception d'un compte de $100 ou $150, les frais judiciaires vont s'élever à environ $60 à $80. Et, étant donné que c'est un montant inférieur à $300, le débiteur ne sera forcé de payer les frais que pour $10, ce qui signifie que le créancier va devoir payer à son avocat une somme additionnelle de $50, $60 ou $70.

On peut comprendre que ces personnes soient un peu hésitantes à aller voir un avocat pour confier la perception de leurs comptes. Même lorsqu'il s'agit de montants plus élevés, cela n'intéresse pas toujours les avocats, M. le Président, de percevoir certains comptes qui leur viennent de façon régulière, de façon systématique, ne serait-ce que parce que les avocats, bien souvent, ne sont pas équipés pour retracer certains débiteurs, alors que les agents de recouvrement sont mieux équipés pour jouer ce rôle.

M. le Président, si on devait abolir la fonction d'agent de recouvrement, je pense qu'on rendrait un mauvais service à ceux qui sont peut-être les moins bien nantis dans la société, en ce sens qu'il y aurait une restriction du crédit. Un bon nombre de commerçants se diraient tout simplement: Désormais, nous allons vendre, mais nous ne ferons pas crédit. Nous demanderons d'être payés comptant.

S'il fallait que cela se produise, ce ne serait certainement pas les gens qui font $10,000, $20,000, $30,000, $40,000 ou $50,000 qui seraient les premiers à en souffrir. Ce serait les gens qui sont moins bien nantis, ceux qui ont un salaire moins élevé, ceux qui ont des revenus moins élevés.

M. le Président, lorsqu'on demande purement et simplement l'abolition des agents de recouvrement, cela paraît facile, parce que c'est beaucoup plus facile de demander l'abolition d'une chose que d'essayer de la réformer, cela va de soi. C'est plus difficile de construire avec du vieux que de demander l'abolition pure et complète d'une chose qui existe depuis un certain temps.

Lorsqu'on demande l'abolition, M. le Président, il faudrait tout de même tenir compte des conséquences sociales que cela peut impliquer et tenir compte également du fait que ce sont ceux qui sont les moins bien nantis dans la société qui risquent d'en pâtir.

M. le Président, quant à moi, je suis convaincu du bien-fondé du projet de loi no 26. J'estime que cela va mieux aider les agents de recouvrement à remplir la fonction qui leur a été confiée. J'estime également que les créanciers seront mieux protégés parce qu'ils sauront précisément où ils en sont vis-à-vis d'un certain compte. J'estime finalement que le public en général et plus particulièrement les débiteurs seront mieux protégés parce qu'ils sauront désormais que les agents de recouvrement ne doivent pas recourir à certaines mesures auxquelles ils ont souvent recouru dans le passé.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Le député de Bellechasse.

M. Pierre Mercier

M. MERCIER: M. le Président, après avoir entendu mes collègues, je vois difficilement les choses que nous pourrions ajouter à ces commentaires fort intéressants et à ces appréciations sur le projet de loi no 26.

J'aimerais tout d'abord peut-être, suite aux travaux de la commission parlementaire qui ont précédé la présentation de ce projet de loi, souligner de façon particulière l'ouverture d'esprit dont le ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives a fait montre à cette commission. Cette ouverture d'esprit, cette réceptivité face aux suggestions qu'il a accueillies favorablement, de part et d'autre, témoignent justement de cette personnalité remarquable que présente l'honorable ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives.

Je pense que c'est tout à son honneur et je voudrais, pour ma part, le féliciter de cela. Autant à cette commission, au cours de laquelle nous avons eu l'occasion de discuter des représentations qui ont été faites par différentes associations, qu'à d'autres commissions, nous avons toujours l'occasion de constater ce grand esprit de démocratie qui caractérise le ministre des Institutions financières, Compagnies et Coopératives.

Je voudrais le féliciter également pour ce projet de loi no 26 que nous étudions aujourd'hui, qui vient corriger et améliorer de façon considérable le statut de ces personnes qui étaient, dans le passé, affectées à la perception de comptes pour différentes maisons.

Nous avons entendu des commentaires, au cours de l'après-midi, faisant état de situations déplorables qui se sont produites dans le passé. Même en commission parlementaire, des exemples concrets nous furent cités, faisant état de personnes qui ont subi un préjudice, et même un préjudice grave, tant sur le plan moral que physique, de la part de certains percepteurs de comptes. Je crois que tous, nous avons été

conscients, à un moment quelconque, d'exemples, dans notre entourage, de ce genre de méthodes que nous avons déplorées dans le passé et que le projet de loi no 26 vient corriger.

Evidemment, tout ceci, M. le Président, remonte à des us et coutumes antérieurs, à des méthodes qui, il y a peut-être quinze ou vingt ans, ne laissaient pas percevoir de problèmes majeurs et pouvaient, pour plusieurs propriétaires de petits commerces, faciliter les choses en passant comme ça les créances à des individus qui se chargeaient de les percevoir.

Mais c'est toujours évidemment lorsqu'il y a abus dans un domaine d'activité quelconque que le gouvernement est invité à agir pour ordonner ou coordonner l'action de ces personnes à l'intérieur d'une profession donnée, établir des règles d'éthique, un code d'éthique et aussi pour protéger, dans l'ensemble, les consommateurs.

Nous l'avons vu par différentes lois qui ont été adoptées antérieurement, particulièrement touchant la protection du consommateur. A ce chapitre, je crois qu'il y a eu énormément de fait. Il reste encore beaucoup à faire, particulièrement sur le plan de l'information. Il me parait important que l'on puisse peut-être redoubler notre action dans ce domaine de l'information touchant la protection du consommateur. Il y a certaines régions qui sont mieux informées que d'autres. Je pense que dans les régions rurales, alors que les media d'information, évidemment, pénètrent certains secteurs de nos régions rurales, il nous paraît difficile de transmettre cette information à l'ensemble des citoyens du Québec. Selon aussi les activités de ces citoyens, ils n'ont pas toujours le loisir... Est-ce que je dois comprendre, M. le Président, qu'il y a...

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): C'est parce que le débat doit se terminer à cinq heures et, si vous avez un long discours, vous pourriez le continuer un autre jour. Si vous désirez continuer, je peux vous accorder une minute.

M. MERCIER: Alors, une minute, M. le Président?

M. LEVESQUE: Ah! Deux, trois, quatre, on peut toujours, ce n'est pas sacramentel. Si je veux interpréter ce que le président vient de dire, c'est qu'il y a...

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): C'est parce que j'ai un ordre de la Chambre.

M. LEVESQUE: ... un ordre de la Chambre de passer à autre chose à dix-sept heures. Mais je pense que, de consentement unanime, si le discours ou l'intervention du député de Bellechasse était de quelques minutes, on pourrait attendre et disposer de ce projet de loi.

M. MERCIER: Je vous remercie, M. le Prési- dent. Tout simplement pour résumer ces commentaires exprimés par mes collègues, mais particulièrement au nom d'une population rurale, nous voyons d'un oeil bienveillant la venue de ce projet de loi no 26 qui va protéger, d'une façon particulière les petites gens, en ce sens que peut-être par un manque d'information dans certains milieux on était peut-être plus enclins à se laisser influencer par les méthodes plus ou moins catholiques de ces personnes qui oeuvraient dans le domaine de la perception des comptes et qui causaient préjudice à ces gens.

On a eu l'occasion d'entendre parler de cas dramatiques qui se sont produits dans le passé dans des régions non seulement urbaines, mais aussi rurales. C'est pourquoi, au nom de la population que je représente, je voudrais féliciter le ministre des Institutions financières et le gouvernement de nous arriver aujourd'hui avec ce projet de loi qui va ordonner l'exercice de la profession, si vous me permettez cette expression, de réglementer sur des points bien précis les coutumes ou les façons d'agir de ces gens alors qu'antérieurement on pouvait peut-être utiliser les méthodes dites de la pesanteur, si je me réfère aux commentaires du député de Rouyn-Noranda tout à l'heure lorsqu'il faisait allusion aux armoires à glace. Je pense qu'aujourd'hui, avec cette loi, nous allons tout de même pouvoir suivre avec un oeil vigilant — la population étant informée en ce sens — les façons d'agir des agents de recouvrement qui devront s'en tenir à des points bien spécifiques dans l'exercice de leurs fonctions, et ce pour le bénéfice et la protection du consommateur.

Encore une fois, je fais miens les témoignages d'appréciation de mes collègues sur ce projet de loi no 26 en soulignant de façon particulière l'article 26 qui proscrit certaines pratiques que nous avons déplorées dans le passé et, encore une fois, c'est avec plaisir que je voterai pour ce projet de loi. Merci.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce qu'il y a d'autres députés qui veulent parler? Est-ce que la deuxième lecture de ce projet de loi est adoptée?

UNE VOIX: Adopté.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté.

LE SECRETAIRE ADJOINT: Deuxième lecture de ce projet de loi. Second reading of this bill.

Commission plénière

M. LEVESQUE: M. le Président, je propose que vous quittiez maintenant le fauteuil et que la Chambre se forme en commission plénière pour l'étude article par article de ce projet de loi.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que la motion pour que je quitte maintenant le

fauteuil et que la commission plénière étudie ce projet de loi est adoptée?

UNE VOIX: Adopté.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté. La commission fait rapport avant d'être...

M. LEVESQUE: M. le Président, je propose qu'on fasse les écritures nécessaires pour que le président fasse rapport et demande la permission de siéger de nouveau.

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Est-ce que cette motion est adoptée?

UNE VOIX: Adopté.

Projet de loi no 50 Deuxième lecture

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): Adopté. Le ministre de la Justice propose la deuxième lecture du projet de loi no 50, Loi sur les droits et libertés de la personne.

M. Jérôme Choquette

M. CHOQUETTE: M. le Président, l'honorable lieutenant-gouverneur de la province a pris connaissance de ce projet de loi et il en recommande l'étude à l'Assemblée.

M. le Président, au moment d'aborder l'étude en deuxième lecture de ce projet de loi, vous me permettrez de répondre à une interrogation qui peut se trouver dans votre esprit comme dans celui d'autres membres de cette Assemblée, comme d'ailleurs chez le public en général, à savoir: Quel est l'objet ou quels sont les objets de ce projet de loi? Je dirais, M. le Président, qu'on peut définir les objets ou les buts visés par ce projet de loi de la façon suivante: Premièrement, situer le Québec dans le courant du développement législatif des pays occidentaux dans le domaine du respect des droits individuels et des libertés de la personne. Tous les pays de l'Occident, M. le Président, se sont donné des lois qui ont pour but de protéger les droits et les libertés de la personne, les droits et libertés considérés comme fondamentaux.

Or, au Québec, soit par négligence, soit pour d'autres raisons historiques, nous n'avions pas jusqu'à ce jour légiféré dans ce domaine. Et l'on sait, M. le Président, jusqu'à quel point les interventions de l'Etat moderne, que ce soit l'Etat québécois ou d'autres gouvernements, se font de plus en plus insistantes et de plus en plus pressantes sur les citoyens de notre ou des collectivités actuelles. C'est donc dire que protéger les droits et libertés de la personne devient un enjeu véritable au fur et à mesure de l'expansion des pouvoirs des gouvernements.

Je sais bien que certains pays se sont donné de telles chartes alors que les droits et libertés de la personne, en fait, sont fort peu respectés.

Mais ce n'est pas parce que certains pays se donnent une façade de liberté ou de libéralisme que ceci devrait nous empêcher d'agir et surtout d'adopter un projet de loi qui corresponde vraiment aux valeurs qui ont été acquises par notre société et que nous voulons sauvegarder au niveau des droits des libertés individuels.

Un deuxième objet de ce projet de loi est de faire une systhèse de certaines valeurs démocratiques et sociales acquises au Québec, au Canada et, généralement, en Occident. Je ferai tout à l'heure un développement au cours de mes propos sur l'évolution des droits et des libertés de la personne depuis quelques siècles.

Mais une chose est certaine, c'est qu'au Québec, comme au Canada et comme dans tous les pays occidentaux — je veux mentionner en particulier certains pays dont nous sommes tributaires en large partie, soit au point de vue des principes démocratiques, soit au point de vue juridique, des pays comme la France, l'Angleterre, les Etats-Unis — des valeurs de respect des droits de la personne humaine ont été mises en valeur par chacune de ces civilisations qui nous ont influencés au Québec et au Canada.

Il y a, derrière certaines des conquêtes en faveur de l'individu, dans les lois françaises, dans les lois anglaises, dans la constitution et les lois américaines, des principes qui sont communs, des valeurs qui font que ces pays peuvent se réclamer du titre de démocratie et qui caractérisent un climat de liberté et de respect de l'individu qui a cours au Québec. Et ici, je veux dire que, contrairement à certaines affirmations que j'ai entendues en d'autres lieux, le Québec a une riche tradition démocratique; le Québec a, dans l'ensemble, un passé historique, législatif, social qui honore les valeurs démocratiques et le respect de la personne humaine. Je sais bien qu'on pourra toujours signaler quelques excès, quelques abus aux dépens des droits fondamentaux de la personne, mais, chaque fois, le bon sens populaire a rétabli les choses de telle sorte qu'il n'est pas osé d'affirmer que, aujourd'hui, au Québec et au Canada, nous vivons dans l'une des sociétés les plus libres, les plus libérales du monde entier.

Par conséquent, je pense qu'il n'est pas audacieux que le gouvernement, dont je fais partie, et ce Parlement décident de faire une synthèse de ces principes acquis à travers les âges par d'autres et dont nous avons peut-être hérité, de principes que nous avons acceptés et de principes que nous vivons et que nous acceptons pleinement. Le temps était donc venu de donner au Québec une charte des droits et libertés de la personne.

Un troisième objectif que vise ce projet de loi, c'est aussi de permettre le développement ultérieur des valeurs que recouvrent les droits et libertés de la personne reconnues dans la tradition libérale.

Je ne crois pas qu'il soit possible de définir, une fois pour toutes, quels sont les droits et libertés de la personne et que ces droits et

libertés ne puissent subir de changements et de développements ultérieurement. Au contraire, toute l'histoire nous enseigne que la progression des droits et libertés de la personne s'est faite par ajouts. Il s'agit d'une série de conquêtes et d'affirmations de principes qui viennent de plus en plus faire partie du patrimoine législatif et social d'une nation.

Je crois donc que le projet que nous présentons ne devrait pas viser à définir, une fois pour toutes, quels sont ces droits et libertés de la personne comme si ceux-ci ne pouvaient subir aucun progrès ultérieur, comme si ceux-ci ne pouvaient être explicités et soutenus par d'autres lois, car une charte des droits et libertés de la personne n'existe pas isolément ni de l'avenir, ni des autres lois en vigueur qui la complètent et qui viennent la soutenir. Donc, la charte que nous proposons, on peut dire qu'elle est ouverte aux développements futurs et qu'elle s'ouvre également sur les autres lois pertinentes.

Je donnerai quelques exemples au cours de mon discours pour montrer que l'affirmation, au niveau juridique, de certains droits, dans le monde actuel, n'est souvent pas suffisante pour faire en sorte que ces droits soient pleinement soutenus, mais qu'au contraire il faut prendre en considération d'autres lois qui viennent, en fait, l'appuyer et lui permettre de se concrétiser. Je donnerai l'exemple de la Loi de l'aide juridique. On pourra mettre dans n'importe quelle charte des droits de l'homme que tous sont égaux devant la loi et que tous ont droit à un procès devant un tribunal impartial, si on ne leur fournit pas les moyens d'avoir un avocat pour se faire représenter, qu'est-ce que vaut cette charte? Que vaut ce principe énoncé dans les termes les plus ronflants possible?

Si l'on parle des autres droits, il en va de même. C'est donc dire que toute la législation gouvernementale... Je ne parle pas simplement de droit judiciaire, on pourrait examiner tout le contexte social pour dire que souvent il est loin d'être suffisant d'affirmer un droit dans une charte, mais qu'au contraire il faut lui donner les institutions pour le soutenir. Il faut donner au citoyen les moyens de faire valoir ses droits ou encore il faut expliciter des principes qui peuvent être énoncés dans une charte par des lois plus techniques, plus complexes, plus détaillées, alors que la simple énonciation du principe n'aurait pas été suffisante si elle avait été laissée seule.

Je donnerai un autre exemple de ce genre de choses. Par exemple, dans ce projet de charte, nous énonçons le principe, qui se trouve à l'article 36, que tout enfant a droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. Eh bien, ce principe, énoncé même avec conviction dans la charte, doit quand même comporter, d'un autre côté, des dispositions législatives qui pourraient se trouver dans une loi au sujet de la protection sociale et judiciaire de l'enfance. Vous savez que nous avons, à l'heure actuelle, une Loi de la protection de la jeunesse et que le gouvernement, dont je fais partie, avait déposé un projet qui reprenait toute la question de la protection de la jeunesse.

M. le Président, je veux simplement illustrer par cela qu'un principe énoncé dans une charte requiert souvent une loi qui vienne lui permettre de se concrétiser dans la réalité.

Je termine donc, M. le Président, en disant que le troisième objet de cette charte — et je me résume — est de permettre le développement ultérieur des principes contenus dans la charte, mais aussi de permettre à ces principes de s'ouvrir sur des lois concrètes établies.

Le quatrième objet du projet de charte est d'accorder des recours dans les cas de violation de ces droits et libertés de la personne. Dans certains milieux, on pense que les matières qui concernent les droits et libertés de la personne ne sont pas des matières qu'il est susceptible de faire sanctionner par les tribunaux, qu'il faut que ces chartes soient des énoncés de grands principes, si nobles soient-ils, qui n'ont pas d'application immédiate devant les cours de justice, dans des procès ou vis-à-vis des administrations publiques ou privées.

Or, M. le Président, le projet que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui assure des recours à ces droits et libertés de la personne, parce que vous aurez noté que non seulement il sanctionne l'action en dommages et l'injonction au cas de violation de ces droits, mais il innove — et le chef de l'Opposition pourra corroborer cela — en ce qu'il permet aux tribunaux d'accorder les dommages exemplaires; non pas des dommages moraux, comme cela a toujours été le cas dans notre jurisprudence traditionnelle, mais des dommages exemplaires au cas d'une violation délibérée des principes de la charte.

C'est donc dire, M. le Président, que ce texte n'est pas seulement un énoncé de grands principes, si valables soient-ils, mais qu'il se veut également un outil dont les citoyens et les justiciables pourront se servir devant les tribunaux et dont ils pourront se servir avec efficacité.

J'ajouterai, M. le Président, qu'en plus de ces recours devant les tribunaux ordinaires que je mentionnais tout à l'heure; action en dommages, injonction, dommages exemplaires, le projet de loi institue une commission des droits de la personne à laquelle on pourra s'adresser dans les cas de discrimination. La commission pourra, dans un premier temps, faire une intervention conciliatrice entre la personne qui a subi la discrimination et la personne qui a causé la discrimination. Mais si cette intervention conciliatrice n'est pas couronnée de succès, à la suite des demandes ou des suggestions de la commission des droits de la personne, la commission pourra prendre le fait et cause de la personne à l'égard de laquelle la discrimination a été commise et pourra elle-même se porter demanderesse devant les tribunaux ordinaires pour

obtenir la sanction à l'égard du droit de la personne contre laquelle on a discriminé.

Ceci se passerait évidemment dans un deuxième temps. Nous avons préféré retenir cette formule d'avoir tout d'abord une intervention conciliatrice, et si celle-ci n'apportait pas de résultat positif, d'assurer la sanction des décisions de la commission par les tribunaux ordinaires, ce qui comporte évidemment une intervention plus décisive de la part des tribunaux. Cette formule nous paraissait plus conforme à ce que nous voulons faire par ce projet de loi, c'est-à-dire non pas créer la discorde, le désordre et les conflits sociaux, mais au contraire, M. le Président, les régler.

Puisque je suis sur ce sujet de la discrimination, je dirais que le Québec devait se donner une loi d'une portée beaucoup plus considérable à ce chapitre.

Quand je parle de discrimination, je me réfère, évidemment, à celle qui peut avoir lieu, ainsi que l'énonce le projet de loi, par suite d'une exclusion, d'une préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale de personnes.

Nous avions assurément certaines dispositions législatives mais elles n'étaient que partielles et le Québec devait avoir une législation étendue dans ce domaine, surtout au moment où nous sommes tous d'accord, je pense, pour vouloir faire arriver à maturité cette province à tous points de vue et vouloir faire en sorte que des conflits sociaux ne résultent pas de discrimination.

Par conséquent, voilà les quatre objets principaux que vise ce projet de loi. Permettez-moi, maintenant, d'expliquer en termes assez généraux, le contenu du projet. Le projet est divisé en deux parties; la première partie du projet de loi contient la charte des droits et libertés de la personne et la deuxième partie contient la constitution de la future Commission des droits de la personne.

Je reviens à la première partie pour expliquer, toujours d'une façon générale, quelle est l'extension des droits qui sont définis à cette charte. Tout d'abord, il y a les libertés et droits fondamentaux. Ici, nous sommes en plein droit civil et aussi en plein droit public. Non seulement nous énonçons certains principes qui concernent l'individu comme tel et certains droits fondamentaux inaliénables, imprescriptibles de l'individu, tels que le droit à la vie, le droit à la sûreté et à la liberté de la personne, le droit de se voir venir en aide au cas de péril, non seulement ces droits qui s'attachent à la personne comme être vivant mais également certaines libertés qui sont des libertés reconnues à la fois en droit civil et en droit public, telles que les libertés fondamentales de conscience, de religion, d'opinion, d'expression, de réunion pacifique et d'association. Ainsi de suite, en passant par le développement de certains nouveaux droits qui n'ont pas reçu leur pleine évolution ou extension, soit dans le droit écrit, soit dans la jurisprudence, le droit au respect de la vie privée et d'autres droits du même ordre qui font l'objet de possibilités de recours au cas d'infractions.

Je tiens à signaler que, dans cette énumération des droits et libertés de la personne, il y a des nouveautés sur lesquelles j'insisterai plus tard. Puis, nous passons dans ce projet de loi aux dispositions particulières concernant la discrimination. Ici, le projet de loi innove franchement par rapport au passé. En effet, les dispositions antidiscriminatoires, soit pour des motifs de race, de couleur, de sexe, de religion, de convictions politiques, de langue, d'origine ethnique, nationale ou sociale, reçoivent leur pleine extension au point de vue de l'exercice des libertés et droits fondamentaux que je mentionnais tout à l'heure.

Ainsi, en vertu des dispositions qui suivent, dans cette partie du projet de loi, il devient interdit de discriminer à l'égard d'une personne, pour les motifs que j'ai mentionnés, dans tout acte juridique, dans tout avis public, dans l'admission dans tout lieu public et également dans toute admission dans une association professionnelle ou à l'occasion d'un emploi.

Par conséquent, M. le Président, on devra reconnaître, je pense, qu'ici le gouvernement a innové et est allé de l'avant au point de vue des dispositions antidiscriminatoires.

Suivent, M. le Président, les définitions de deux droits fondamentaux que l'on peut qualifier de droits politiques. Le droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale est un droit qui a évolué au cours de l'histoire et qui a fait l'objet d'antiques lois anglaises. C'est un droit qui existe, je pense, encore, même dans notre règlement de l'Assemblée nationale, et c'est un droit qui existait dans notre ancien règlement de l'Assemblée nationale, parce que le droit d'adresser des pétitions peut paraître, pour une personne qui n'est pas avertie sur le plan juridique, un droit qui n'a que peu d'importance mais, en fait, c'est un droit essentiel, puisque c'est consacrer le droit des citoyens de s'adresser directement au Parlement.

Le deuxième droit politique qui est énoncé, M. le Président, c'est le droit, pour toute personne légalement habilitée et qualifiée, de se porter candidat lors d'une élection provinciale, municipale ou scolaire, ainsi que le droit d'y voter, ce qui est, je pense bien, la base du système démocratique.

Maintenant, M. le Président, nous arrivons aux définitions qui concernent les droits judiciaires. Je ne les décrirai pas en détail mais la lecture du projet de loi indiquera à chacun quel souci le gouvernement a pris afin d'énoncer d'une façon claire et précise les droits des gens devant les tribunaux, les droits des gens lorsqu'ils sont en état d'arrestation, les droits des gens lorsqu'ils sont incarcérés, ou les droits des témoins lorsqu'ils sont appelés à témoigner devant des tribunaux.

Finalement, nous arrivons, M. le Président, à une autre série de droits, qui se trouvent au chapitre IV du projet de loi, qui sont appelés droits économiques et sociaux. Ces droits ont une portée importante. Certains diront peut-être que, dans des cas, il s'agit d'expressions de bonne volonté, mais je pense que le fait qu'ils soient reconnus dans un projet de loi comme celui-là va leur assurer un caractère important dans ce contexte des valeurs démocratiques dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire qu'un certain nombre de ces droits socio-économiques résument d'une certaine façon certaines choses, certains principes, certaines valeurs auxquels nous sommes attachés au Québec. Malgré que, pour certains d'entre eux, ils sont soumis à l'effet d'autres lois gouvernementales, ce que je suis loin de nier, ils représentent quand même des acquisitions de notre patrimoine démocratique. C'est la raison pour laquelle nous les avons inscrits à cette charte.

Par conséquent, M. le Président, il ne fait aucun doute que le projet de charte des droits et libertés de la personne que nous présentons est un projet qui comporte une très grande extension des droits qui y sont définis et incorporés comparativement à d'autres chartes existantes soit dans ce pays-ci, soit ailleurs.

On verra, à comparer les dispositions qui se trouvent dans la charte projetée avec d'autres lois canadiennes ou ailleurs, que le terrain des droits et libertés fondamentales a été couvert d'une façon que je qualifierais de presque complète. Je pense que les critiques qui ont été formulées à l'égard du projet de loi dans certains milieux n'ont pas porté, pour un seul instant, contre les droits qui étaient proposés dans cette charte des droits et libertés de la personne. Je n'ai pas entendu une seule critique à l'effet qu'on avait inscrit à tort certains droits, dans cette charte.

Certes, on a souligné certaines carences; on a mentionné que certains droits ou certaines libertés devraient y être inscrits et je suis parfaitement prêt, en commission parlementaire, à examiner ces omissions.

Mais, pour le contenu de la définition des droits, je n'ai pas entendu de représentations à l'effet que nous aurions mal représenté ces valeurs démocratiques et ces valeurs individuelles dont je parlais tout à l'heure, que le gouvernement aurait, d'une certaine façon, caricaturé, ce patrimoine de principes et de droits qui existent dans la réalité juridique québécoise et dans les usages et coutumes québécois, mais même aussi, sous les aspects qui sont nouveaux dans ce projet de loi, caricaturé l'idéal actuel des Québécois de voir de nouveaux principes s'introduire dans cette charte.

Je crois donc que nous pouvons dire, avec une certaine modestie sans doute, que l'approche, que la rédaction, que la façon d'exposer l'ensemble de ces valeurs et de ces principes auxquels nous tenons a reçu un certain assentiment, au moins par les groupes qui se sont prononcés et qui étaient, pour la plupart, des groupes conscients de ces problèmes, soucieux du progrès des droits et libertés de la personnes, des groupes avertis qui avaient étudié le sujet depuis bien des années, qui attendaient le projet de loi avec impatience, en somme, des groupes qui sont sérieux et qui peuvent représenter un jugement auquel ce gouvernement et ce Parlement peuvent se reporter.

Maintenant, j'ajoute que, avant de terminer cette charte, il existe certaines dispositions qui donnent à ces droits que je mentionnais tout à l'heure leur impact, leur effet percutant sur la vie, sur la législation ou sur d'autres aspects du courant de l'histoire. J'ai mentionné tout à l'heure que nous avions inscrit dans cette charte des droits d'utiliser les recours en dommages par injonction et d'obtenir des dommages exemplaires. J'ajouterais à ce chapitre qu'il y a une disposition interprétative qui s'applique lorsqu'il y a divergence entre une autre loi et la charte des droits de la personne. Même si cette disposition interprétative fait que les autres lois l'emportent sur la charte, néanmoins, la première règle d'interprétation à laquelle il faudra avoir recours est la règle qu'au cas de doute, la charte doit l'emporter.

Je veux dire, M. le Président, pour être plus spécifique dans un domaine qu'il est assez difficile d'expliquer parce qu'il est très technique, que sans aucun doute nous avons laissé coexister les autres lois et la charte. J'expliquerai tout à l'heure les motifs de cette décision. Je dirai pourquoi nous avons pris cette orientation sur le plan juridique, qui, d'ailleurs, a été, je dois l'admettre, l'objet de critiques dans certains des milieux dont je parlais tout à l'heure parce qu'on a vu dans ces milieux que la charte n'avait pas assez de dents, comme on dit. On a dit que la charte ne transcendait pas d'autres lois de ce Parlement. On a dit que la charte cédait le pas à d'autres lois lorsqu'il y avait contradiction. Je reviendrai tout à l'heure sur ces objets de critique et je pense pouvoir vous justifier que nous avons pris la bonne décision.

Avant d'arriver à ce sujet, je veux quand même mentionner, M. le Président, qu'au cas de divergence entre un texte légal autre que la charte et un article de la charte, eh! bien, la première règle d'interprétation à laquelle il faudra avoir recours est de donner priorité à la charte sur les autres lois. Ceci au cas où il y aurait doute dans l'interprétation du texte de loi qui semblerait s'opposer au texte de la charte.

Avant d'aborder la question de la portée juridique de la charte sur d'autres lois, sur laquelle je parlerai tout à l'heure, je voudrais parler quand même de la deuxième partie du projet de loi qui institue la Commission des droits de la personne, pour brièvement décrire cette commission et ses rôles, ses fonctions et la façon dont nous entrevoyons son avenir. D'abord, la Commission des droits de la personne sera nommée directement par le Parlement, par l'Assemblée nationale sur la proposition du premier ministre. Deuxièmement, la commis-

sion fera rapport directement à l'Assemblée nationale, comme le protecteur du citoyen. Les pouvoirs de la commission sont principalement de se faire l'animateur des programmes d'éducation et d'instruction pour promouvoir les principes de cette charte, diriger la recherche dans ce domaine et coopérer avec d'autres organismes ayant des fins identiques. Mais aussi et surtout, M. le Président, d'enquêter sur les matières qui font objet de plaintes en vertu de la partie de ce texte de loi concernant la discrimination. A ce point de vue, la commission pourra jouer, comme je le mentionnais tout à l'heure, un rôle conciliateur — et tant mieux si son rôle conciliateur est efficace et réussit à mettre des parties ayant des intérêts divergents en accord — mais si son rôle ne peut s'accomplir dans l'harmonie, elle pourra exercer des recours devant les tribunaux au nom de la personne qui a été victime de discrimination ou qui a été lésée.

Je crois que c'est une solution très originale qui conservera à la commission son rôle de propagandiste des principes contenus dans cette charte, mais aussi lui permettra d'exercer une action efficace devant les tribunaux si cela devient nécessaire.

Maintenant, M. le Président, je voudrais aborder le sujet sous un autre aspect.

Je vais tenter de situer les droits et libertés de la personne qui sont incorporés à cette charte d'une certaine façon sur le plan historique. Mais, avant de ce faire, je crois qu'on peut définir les libertés et les droits fondamentaux contenus dans cette charte sous trois chapitres.

D'abord, il y a les droits de l'individu ou de la personne contre l'Etat, c'est-à-dire contre l'exécutif ou l'administration, contre l'administration de la justice et contre le législatif. Voilà, une catégorie de droits qui se sont développés sur le plan historique depuis quelques siècles. Et il s'est agi, en vertu de ces développements, d'affirmer jusqu'à quel point l'Etat pouvait aller vis-à-vis du citoyen qu'il avait devant lui sur le plan législatif, jusqu'où le système judiciaire pouvait aller à l'égard du citoyen sur le plan judiciaire et jusqu'où l'exécutif ou l'administratif pouvait aller vis-à-vis du citoyen.

Il s'agit donc d'un ensemble de droits qui ont reçu un développement historique et que l'on peut regrouper sous une appellation, ce sont les droits de l'individu d'être respecté par l'Etat et par les pouvoirs ou les fonctions de l'Etat, soit qu'elles s'exercent sur le plan législatif, administratif ou judiciaire. Qu'est-ce qui est demandé à l'Etat en vertu de ses pouvoirs sinon de ne pas agir à l'égard de la personne, de s'empêcher d'exercer une action? Et c'est dans ce sens qu'au 19e siècle on a vu l'apogée de ce genre de droit, en fait le droit à l'abstention de l'Etat vis-à-vis du citoyen.

Mais le 20e siècle a suivi le 19e siècle et le 20e siècle a vu l'éclosion d'une autre série de droits que l'on pourrait qualifier de créances du citoyen contre l'Etat. Tout le développement de la sécurité sociale, par exemple, fait partie de cette famille de droits. La personne qui est dans le besoin non seulement peut dire à l'Etat: Abstenez-vous d'agir pour m'empêcher d'exercer ma liberté de parole, ma liberté d'expression, ma liberté d'association, enfin les libertés fondamentales dont je parlais il y a un instant, mais elle peut, en vertu de ce nouveau type de droit qui est de conception moderne, dire à l'Etat: Je suis dans le dénuement, j'ai le droit d'exiger des mesures de sécurité sociale pour me permettre de vivre décemment. Toujours en vertu de ce type de droit, et là je m'adresse au ministre de l'Education, c'est ainsi que l'enfant ou ses parents peuvent exiger de l'Etat qu'il lui donne l'instruction gratuite.

C'est ainsi que nous avons un nouveau droit qui n'existait pas au XIXe siècle.

Il y a, finalement, une troisième famille de droits qui est née dans les dernières années et qui vise à établir l'égalité entre les citoyens. Là, nous sommes devant des droits antidiscriminatoires: le droit d'être traité de la même façon que d'autres membres de la société, le droit de ne pas être victime de discrimination, soit pour des motifs de conviction politique, soit pour des motifs de couleur, de convictions religieuses, de langue, enfin, tous les motifs exposés dans un des articles du projet de loi. Là encore, il s'agit d'une nouvelle famille de droits qui est née du droit moderne et de l'évolution des sociétés modernes, en particulier des sociétés démocratiques. Donc, je tenais à grouper, d'une certaine façon, trois types de droits qu'il est nécessaire de reconnaître dans une telle charte.

Maintenant, sans vouloir faire une revue exhaustive du développement historique de ces droits, on peut quand même reconnaître que les droits qui ont été reconnus les premiers et le plus facilement ont toujours été les droits judiciaires parce que les droits judiciaires sont des droits qui s'expriment d'une façon absolue, qui n'ont pas le caractère relatif, par exemple, des droits socio-économiques que je mentionnais tout à l'heure, par exemple, en matière d'instruction gratuite. Même si on affirme le principe de l'instruction gratuite, encore faut-il que le gouvernement mette un certain type d'instruction gratuite à la portée des citoyens, dans certains cadres, et souvent certaines circonstances, jusqu'à tel niveau d'éducation; c'est donc dire que le droit à l'instruction gratuite, même s'il reçoit aujourd'hui une reconnaissance parce qu'il fait partie de cette famille des droits socio-économiques, que ce droit à l'éducation n'a pas une portée aussi absolue que des droits de nature judiciaire, c'est-à-dire le droit à un avocat, parce que c'est un fait pur et simple d'avoir un avocat pour se faire assister à son procès.

Donc, historiquement, et si on part de la Grande charte de 1215, de Jean Santerre, et des lois anglaises, par exemple, l'Acte de l'habeas corpus de 1670, le "Bill of rights" de 1688, en passant par la Constitution américaine de 1776, modifiée par les dix premiers amendements de 1791, en arrivant à la Déclaration des droits de

l'homme et du citoyen, du 17 août 1789, incorporée à la Constitution française du 3 septembre 1791, on notera que dans l'évolution du droit en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, on a réussi beaucoup plus tôt à concrétiser et à préciser les droits fondamentaux en matière judiciaire que tous autres droits.

Evidemment, je ne dis pas, M. le Président, que, dans ce développement, il n'y a pas eu des droits politiques qui ont été reconnus. C'est un fait qu'en vertu de la Constitution américaine que j'ai citée tout à l'heure, en vertu de la Grande Charte et en vertu de la Constitution française du 3 septembre 1791 des droits politiques sont venus recevoir, à peu près en même temps, une certaine reconnaissance. Là encore, quand nous sommes dans les droits politiques, il est relativement facile, pour le législateur qui représente la volonté de la société, de dire et de préciser que tout le monde a le droit d'adresser des pétitions au Parlement, que tout le monde a le droit d'être éligible à des postes publics et qu'en principe tout le monde a le droit d'y voter. Même ces droits ne sont pas absolus, parce qu'ils requièrent, quand même, certaines qualifications au point de vue de l'âge, etc.

Mais, si j'insiste sur ce point, c'est peut-être pour expliquer que dans cette charte, étant donné son extension et son éventail très général au point de vue des droits, il était extrêmement difficile, sinon impossible, de donner à tous et à chacun des articles de la loi une portée absolue, contraignante, transcendante sur toute autre législation gouvernementale.

Je vous l'ai expliqué en prenant le cas de l'instruction gratuite. Même si on énonce le principe, ce principe a quand même des contingences matérielles dont le ministre de l'Education est responsable. Mais on peut aller plus loin; si on prend, par exemple, le droit à des mesures de sécurité sociale, même si nous l'énonçons comme un principe, parce que c'est un acquis de la société moderne, parce que ça fait partie du patrimoine des droits socio-économiques acquis au XXe siècle, on ne peut pas dire que c'est un principe qui a une valeur absolue. Encore faut-il que le ministre des Affaires sociales mette le chiffre que la société est prête à donner à toutes les personnes qui ont droit à des mesures d'assistance sociale.

Donc, nous nous trouvons devant une série de principes qui ont une valeur inégale au point de vue de leur impact immédiat sur la législation et sur la vie sociale du Québec. Il fallait, dans ces conditions, adopter une solution quelque peu flexible, compte tenu de l'extension que nous voulions donner à la charte.

M. le Président, c'est là, je pense, un argument très important qu'il faudra garder en mémoire pour la solution qui a été adoptée de faire en sorte que la charte ne primera pas sur d'autres lois, que la charte ne viendra pas, du jour au lendemain, supprimer d'autres lois, que la charte ne remplacera pas d'autres lois.

Elle vient, au contraire, soutenir les autres lois par des recours que j'ai mentionnés tout à l'heure, sans doute, et aussi par une philosophie, par un ensemble de principes qui viennent véritablement donner une vie morale et intellectuelle à l'ensemble de notre législation.

Il y a un autre argument pour lequel nous n'avons pas senti la nécessité de formuler d'une façon intangible et absolue les principes de cette charte. C'est parce que lorsqu'on regarde les grands documents législatifs qui ont été adoptés dans l'histoire, et tout à l'heure je faisais allusion à un certain nombre d'entre eux: la grande charte de 1215, la Constitution américaine, la déclaration française des droits de l'homme et du citoyen et même la déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948, il faut noter que ces grands documents ont tous été adoptés pour marquer la fin d'une période de l'histoire et le commencement d'une autre période de l'histoire où on voulait vivre en vertu de nouveaux principes qui reconnaissaient mieux les droits et libertés de l'individu et de la personne humaine.

Chacun de ces textes est survenu dans des circonstances historiques bien précises: la déclaration française, évidemment, après la révolution française; la Grande Charte et les lois britanniques au moment où le Parlement, en Angleterre, affirmait ses droits contre l'arbitraire de la royauté anglaise et où il devenait nécessaire de poser les gestes qui faisaient qu'on transportait des pouvoirs du roi au Parlement et, par conséquent, aux citoyens; la Constitution américaine, évidemment, après que les Américains eurent acquis leur indépendance de l'Angleterre et au moment où ils ont voulu instaurer un régime démocratique plutôt que royaliste aux Etats-Unis; la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 après la guerre de 1939 à 1945, au cours de laquelle six millions de juifs, sans compter des peuples de toute autre nationalité, ont été annihilés par les effets d'une doctrine totalitaire au service de l'Allemagne.

Donc, M. le Président, dans ces textes, il faut reconnaître qu'il y a un besoin de transformation fondamentale de la situation précédente. Or, quand je regarde dans quelles circonstances nous présentons ce projet de loi ici, au Québec, et aussi dans quelles circonstances la déclaration canadienne, c'est-à-dire le bill Diefenbaker, adopté le 10 août 1960, ainsi que les autres lois des autres provinces ont été adoptés, force nous est de constater, M. le Président, que le Québec et le Canada ne sont pas en proie à des bouleversements, des changements radicaux sur le plan des institutions, sur le plan constitutionnel. Force nous est de constater qu'au contraire nous faisons simplement venir ajouter, venir faire la synthèse d'un certain nombre de principes et de valeurs qui sont généralement ou souvent — je le dis sans hésitation — reconnus dans nos lois et dans nos institutions.

Par conséquent, M. le Président, je ne vois

pas pourquoi nous devrions sentir utile de venir dire: Non. Nous faisons une césure avec le passé démocratique, québécois ou canadien, et il nous faut là affirmer des principes que personne ne pourra jamais ébranler au Québec ou au Canada. Au contraire, ces principes sont déjà dans la réalité législative et sociale chez nous. Il nous faut généralement mieux les exprimer dans un texte qui a valeur éducative, dans un texte qui aura valeur d'enseignement et ce texte que nous proposons ne représente en aucune façon une rupture avec le passé.

C'est la raison pour laquelle je trouve qu'il y a là un deuxième argument pour faire en sorte qu'on ne recherche pas à rendre, disons donc, les principes contenus à cette charte intangibles, absolus, s'appliquant à toute autre loi.

Je disais, M. le Président — et c'est là un troisième argument en faveur de la formule adoptée dans ce cas-ci — que la charte aura un rôle éducatif et d'enseignement. M. le Président, nous avons adopté une formule qui est extensive, une formule qui énonce d'une façon très large, dans un éventail très complet, l'ensemble des droits acquis par notre civilisation et par notre société.

Parce que ces droits ne peuvent avoir le même effet, le même impact, la même répercussion sur d'autres lois, il nous faut, par conséquent, sacrifier, d'une certaine façon, l'intangi-bilité des principes qui y sont énoncés pour obtenir leur généralité. Et à ce point de vue là, nous y gagnons sur le plan éducatif et sur le plan de l'instruction parce que s'il fallait se contenter, dans cette charte, d'énoncer seulement des principes absolus, je vous dis qu'il y a un certain nombre de droits que nous ne pourrions sûrement pas énoncer comme étant acquis, parce qu'ils seraient nécessairement relatifs, et je fais allusion aux exemples que j'ai donnés tout à l'heure dans le domaine de l'éducation, des affaires sociales, mais on peut multiplier les exemples à volonté. Je vais même en donner un, dans le domaine judiciaire, pour le bénéfice du chef de l'Opposition.

Dans le domaine judiciaire, qui est le domaine qui se prête le mieux à une affirmation absolue des principes, nous énonçons dans cette charte que toute personne a le droit d'être représentée par un avocat, et personnellement, je crois à ce principe. Et j'interroge ici le chef de l'Opposition sans qu'il m'interroge lui-même, le prenant comme un interlocuteur sûrement valable parce qu'il nous parlera, sans aucun doute, de tout cela avec beaucoup d'intelligence et de compréhension, étant donné qu'il s'est intéressé à la question alors qu'il était universitaire. Mais, lorsque nous parlons du droit pour tout citoyen d'être représenté par un avocat devant les tribunaux, est-ce qu'on sait que le gouvernement actuel et le ministre de la Justice actuel ont piétiné ce principe dans le cas de la Loi des petites créances, et ceci, au nom des intérêts socio-économiques des justiciables? Il m'a semblé que si nous laissions le droit aux avocats de continuer à représenter leurs clients devant les tribunaux, même des petites créances, nous n'échapperions pas au système des honoraires et des frais judiciaires trop lourds pour l'enjeu de la cause. Et c'est en vertu de la reconnaissance de cette réalité socio-économique que je me suis fait moi-même le fossoyeur du droit à la représentation par avocat.

Mais je l'ai fait pour la bonne cause, et si je le dis aujourd'hui ce n'est pas parce que j'ai honte, c'est parce que je crois que cette décision a été sage.

Avec l'expérience, j'en suis arrivé à la conclusion, M. le Président, que même dans le domaine juridique, qui, comme je le disais tout à l'heure, est le plus facile à affirmer d'une façon absolue, souvent les principes ne s'appliquent pas d'une façon aussi absolue qu'on le pense. Je donne l'exemple de la représentation par avocat qui est sûrement un des droits, dirais-je, fondamentaux de tout accusé ou de toute personne qui va devant les tribunaux.

M. le Président, donc, nous avons dû tenir compte, du fait de la diversité des droits énoncés, de leur niveau d'abstraction particulier; certains sont à un très haut niveau d'abstraction, d'autres sont très immédiatement concrets. Nous avons préféré, M. le Président, laisser tout cet ensemble de droits subsister à l'intérieur du même texte, plutôt que de commencer à amputer ici et là, soit au nom du principe de l'efficacité des droits qui pouvaient y être énoncés, soit pour d'autres considérations.

Il y a, par contre, M. le Président, d'autres arguments qu'on peut apporter. C'est que nous vivons dans un système fédéral. Je sais que le chef de l'Opposition le regrette, mais c'est un fait. Il faut bien admettre que, dans le système fédéral où nous vivons, le gouvernement central a compétence en droit criminel et que nous, nous avons compétence en droit civil. Or, en droit criminel, le gouvernement fédéral peut adopter des mesures qui vont avoir des répercussions sur le droit civil. Le gouvernement fédéral peut déclarer, à un moment donné, un acte criminel ou il peut permettre qu'un acte soit commis qui, autrement, serait criminel.

Donc, quand nous légiférons au niveau provincial en matière de droits et libertés fondamentaux, il est assez difficile de donner à notre loi une portée absolue, alors que nous devons avoir un mécanisme de reconnaissance de ce que peut faire le gouvernement fédéral par le biais de son autorité constitutionnelle sur le droit criminel, qui peut avoir des répercussions sur notre propre droit civil. Je pourrais donner des exemples. Supposons qu'on énonce le droit pour toute personne de se réunir, d'une façon absolue, il reste qu'en vertu du droit criminel, si une assemblée à un moment donné devient désordonnée, le premier magistrat d'une ville ou d'autres personnes ont le droit d'aller lire l'acte d'émeute et de demander à tout le monde de se disperser.

Donc, nous avons immédiatement là une incidence possible du droit criminel sur le droit

civil parce que les personnes qui ne se disperseraient pas et qui causeraient des dommages pourraient être poursuivies en dommages si elles ne se sont pas dispersées à la suite de la lecture de la loi de l'émeute.

Par conséquent, dans notre propre législation au Québec en matière de droits de l'homme, il ne nous est pas possible d'ignorer le fait que le fédéral peut légiférer en matière de droit criminel et peut-être en matière d'autres droits qui peuvent avoir des répercussions sur la façon absolue dont on a énoncé les principes dans un projet de loi au niveau provincial. Ceci était un aspect dont il fallait tenir compte, en plus d'être forcément obligé de tenir compte de nos propres lois dans d'autres domaines. Je ne reviendrai pas sur ce sujet parce que j'en ai suffisamment parlé. Je voulais simplement mentionner que le système fédéral étant ce qu'il est, il y a des règles du jeu qu'il faut observer. C'est à ce point de vue que les législations fédérale et provinciale doivent s'ajuster l'une à l'autre et parfois se superposent l'une à l'autre, et il faut tenir compte de cette réalité.

Maintenant, M. le Président, il y a un autre argument pour lequel nous avons adopté cette formule de la non-transcendance de la charte sur les autres lois: c'est que nous sommes dans un Parlement de type britannique. Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel, et on sait que les chartes qui énoncent des principes absolus se prêtent beaucoup plus à la tradition des régimes présidentiels qu'à celle des systèmes parlementaires. On n'a qu'à prendre comme exemple la constitution américaine où un certain nombre de principes sont énoncés d'une façon absolue et intangible. Par contre, l'Angleterre, qui a sans doute une tradition démocratique qui vaut celle des Etats-Unis, n'a jamais senti le besoin de s'enfermer dans une constitution absolue qui érige un certain nombre de principes absolus, de sorte qu'on ne puisse y déroger. L'Angleterre, vivant dans un régime parlementaire, a plutôt énoncé ses droits et libertés de la personne dans différents statuts, dans différentes lois qui pourraient être amendées par les Parlements successifs, et ceci, le chef de l'Opposition le sait — et qu'il ne me contredise pas sur cela — en vertu du principe de la suprématie du Parlement et des élus du peuple, c'est-à-dire que l'Angleterre a préféré mettre sa confiance dans les élus du peuple plutôt que dans un texte constitutionnel, sans doute, que voudrait nous donner le chef de l'Opposition.

Donc, deux traditions, deux façons d'agir; je ne les juge pas et je ne dis pas qu'il n'y a pas du bon et du mauvais des deux côtés. Mais, étant partisan du système parlementaire plutôt que du système présidentiel, j'aime mieux continuer dans la tradition parlementaire et faire comme en Angleterre, où les lois viennent peu à peu consacrer des droits et les affirmer. C'est la raison pour laquelle cette charte devra se lire avec les autres lois. C'est un grand principe de l'interprétation des lois et des statuts, principe que vous connaissez bien, M. le Président. Les lois ne se lisent jamais isolément les unes des autres. Aucune loi ne contient l'ensemble des principes qui s'appliquent à une situation. Le juriste que vous êtes sait toujours prendre les textes qui sont pertinents à une question pour en faire l'interprétation et en dégager le sens qui s'impose. Donc, nous faisons simplement, dans ce domaine-là, le même travail sur le plan législatif et c'est la raison pour laquelle la charte n'a pas une fonction transcendante sur les autres lois.

J'ajouterai que la charte, à mon sens, aura bien plus de répercussion que l'on pense dans certains milieux. Les gouvernements qui vont nous suivre, même à l'occasion de la refonte des statuts, vont être obligés d'observer les principes qui sont énoncés dans cette charte dans leur législation future. S'ils ne l'observent pas, ils vont être obligés de s'expliquer sérieusement, devant l'Opposition, des raisons pour lesquelles ils ont fait exception dans ces cas. On sait, pour être pratique, qu'il y a des exceptions. Par conséquent, on pourra expliquer qu'on n'ait pas suivi les principes de la charte dans certains cas particuliers où il fallait, en fonction de certains intérêts légitimes et généraux, ne pas observer les grands principes de la charte. On saura les expliquer mais il faudra quand même donner les explications voulues. C'est la raison pour laquelle je pense que le simple fait d'adopter la charte va être un guide pour le législateur futur à l'occasion de lois à venir mais aussi — et je pense qu'à ce point de vue-là la charte représente un intérêt certain — à l'occasion de la refonte de nos lois qui se passe périodiquement à tous les dix ou quinze ans.

On devra alors réexaminer nos lois actuelles pour les rendre de plus en plus conformes aux principes de la charte.

M. le Président, j'ajouterai ceci en terminant sur ce sujet. Il y a des désavantages sérieux à faire en sorte qu'il y ait une charte des droits de l'homme qui transcende les autres lois. Je pense que ceci devrait être énoncé d'une façon même si c'est sommaire, mais d'une façon, assez claire.

D'abord si on donnait une portée absolue aux articles contenus dans la charte, on devrait, à la suite de ces mêmes articles, prévoir toutes les exceptions aux principes. Parce qu'on ne peut pas faire autrement qu'avoir des exceptions où on devrait prévoir les modalités de l'exercice de ces droits, où on devrait prévoir des portes de sortie, pour ne pas rendre ces principes aussi absolus qu'on voudrait.

J'ai donné, tout à l'heure, l'exemple de la représentation par avocat, j'ai donné l'exemple de l'instruction gratuite, j'ai donné l'exemple des mesures de sécurité sociale, mais on peut appliquer ce raisonnement à presque tous les articles, c'est-à-dire que si on devait donner une valeur absolue à ces principes, il faudrait presque prévoir des exceptions à tous les articles, ce qui ferait perdre énormément d'impact à la charte. On détruirait, d'une certaine façon, l'esprit et son niveau, sa valeur éducative, comme je le mentionnais tout à l'heure.

Mais il y a plus grave: adopter, du jour au

lendemain, une charte avec des principes aussi étendus que ceux-ci et dire que ceux-ci s'appliquent nonobstant toute autre législation introduirait la plus grande incertitude sur le plan judiciaire qu'on puisse connaître. Toutes les lois, actuellement adoptées par ce Parlement, devraient être réexaminées et pourraient être réexaminées à la loupe des contestations devant les tribunaux avec un résultat effarant sur le plan du nombre de procès de l'incertitude des citoyens, sur le plan juridique. Evidemment, le chef de l'Opposition peut en rire, il est professeur, c'est son métier que d'ergoter sur des textes de loi, mais il ne sait pas se mettre à la place des pauvres justiciables qui veulent savoir quelle est la loi. C'est une des grandes vertus de la...

M. MORIN: M. le Président, le ministre me permettrait-il une question?

Dois-je comprendre de son discours qu'il y a, dans la législation québécoise, de très nombreux accrocs aux droits de l'homme?

M. CHOQUETTE: Dyena, c'est évident. Je pourrais vous donner un exemple. Prenez à l'égard de la discrimination, les femmes ne sont pas admises dans les tavernes, vous le savez. Voici un accroc.

Le droit, par exemple, qu'ont certaines municipalités de limiter les manifestations ou d'en contrôler les modalités, cela peut être un accroc si on pense à une charte en termes de droits absolus. Mais je crois que la vertu de n'importe quelle loi et de n'importe quelle législation gouvernementale, c'est sa certitude, parce que le citoyen veut savoir quelle est la loi. Cela est peut-être plus important que de savoir qu'il peut avoir un procès et qu'il peut contester tel droit du gouvernement ou tel droit d'un organisme public ou d'un citoyen. A ce point de vue, le texte de loi n'introduit pas d'ambiguité dans la conception du droit que se font les citoyens et il n'introduit pas, par conséquent, ce facteur d'incertitude qui serait grave.

Finalement, dans ce domaine, il faut aussi se garder d'un certain immobilisme, c'est-à-dire qu'une charte ne peut pas dire qu'elle définit, une fois pour toutes, les droits et les libertés de la personne. Tenter de dire cela ou de l'affirmer, c'est vraiment non seulement présumer de la capacité de le faire, qui n'est sûrement pas vérifiée sur le plan historique, mais aussi c'est peut-être empêcher l'évolution ultérieure. C'est la raison pour laquelle le texte proposé, en gardant une certaine flexibilité, permettra une évolution future souhaitable dans le sens du développement des droits et libertés des personnes.

Juste avant de terminer, je réponds à une objection qui m'a été faite par certains membres de la presse et par d'autres personnes. On m'a dit: Mais avec votre charte, qu'est-ce qui va arriver en temps de crise, octobre 1970, la guerre de 1939-1940? Qu'est-ce que cela vaut si cela ne vaut rien en temps de crise? Mais c'est la même chose dans tous les pays sous toutes les latitudes. En temps de crise, c'est l'Etat qui a le droit de se protéger et l'Etat prend les moyens qu'il pense nécessaires, compte tenu de la situation sociale. Ceci est vrai sous tous les régimes, même sous l'empire de la Constitution américaine. On a, après tout, des droits consacrés par la Constitution. Advenant un état de guerre ou de crise, le président, avec les procédures appropriées, peut retirer un certain nombre des droits qui s'y trouvent énoncés.

C'est donc dire qu'il y a des circonstances où les impératifs de la société et de l'Etat priment sur les droits individuels.

A ce moment, tout en faisant en sorte que ces droits soient le moins brimés possible, il faut agir et je pense que ceci devrait répondre à certaines questions qui m'ont été posées à ce sujet.

M. le Président, je termine aussi en disant que le gouvernement et tous ses organismes seront liés par cette charte. Il est vrai que la charte ne transcendera pas les autres lois, mais le gouvernement lui-même sera lié par la charte ainsi que tous ses organismes, ainsi que toutes les municipalités. Par conséquent, à ce point de vue, la charte a une extension certaine.

L'adoption de ce projet de loi, M. le Président, marquera une date importante et significative dans le renforcement et le développement des droits et libertés de la personne au Québec. Le Québec sera, je le pense, M. le Président, une société plus mûre et plus civilisée par l'application des principes qui sont contenus dans ce projet de loi.

LE PRESIDENT: Si je comprends bien, le prochain intervenant sera le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: C'est bien cela, M. le Président.

LE PRESIDENT: Avant de suspendre les travaux jusqu'à 20 heures 15, j'imagine...

M. BIENVENUE: Vingt heures 30. Nous ne sommes que de pauvres humains, M. le Président.

LE PRESIDENT: Bon, 20 heures 30. Je dois donner avis à l'Assemblée que ce soir, à la fin de la séance, nous suspendrons l'ajournement pour permettre deux minidébats en vertu de l'article 174: l'un demandé par le député de Saint-Jacques, s'adressant au ministre de l'Education, et l'autre par le député de Saguenay, s'adressant au ministre de l'Agriculture.

L'Assemblée suspend ses travaux jusqu'à vingt heures trente.

(Suspension de la séance à 18 h 18)

Reprise de la séance à 20 h 31

LE VICE-PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre, messieurs!

L'honorable chef de l'Opposition officielle.

M. Jacques-Yvan Morin

M. MORIN: M. le Président, les Québécois attendent une charte des droits de l'homme depuis plus de dix ans maintenant. On en parlait déjà avant 1960, à l'époque où le Québec offrait un saisissant contraste avec les principes qui avaient été consacrés dans la déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en 1948.

Je me permets d'ajouter que j'attendais personnellement ce projet de loi avec un intérêt particulier puisque, comme s'est plu à le rappeler le ministre, je l'ai réclamé dans divers écrits depuis 1963 et que j'ai servi comme rapporteur du comité des droits de l'homme de l'Office de révision du code civil, dont le rapport a servi de fondement au premier chapitre du projet qui nous est soumis.

Nous souhaitions tous une charte authentique depuis longtemps. Aussi va-t-il sans dire — je m'empresse de rassurer le ministre sur ce point — que nous voterons, nous de l'Opposition, en faveur de tout projet, si modeste soit-il, qui favorise l'avancement des droits de l'homme.

Malheureusement, il nous faut constater que le projet qui nous est proposé ne constitue pas une véritable charte ou loi fondamentale qui l'emporterait sur toutes les autres lois et pourrait servir de cadre général de référence pour la législation. C'est une loi parmi d'autres, une loi "bien ordinaire". Cela vaut mieux que rien, assurément; c'est pourquoi, d'ailleurs, nous voterons pour le principe de cette loi. Mais, ce n'est pas, à vrai dire, ce que nous attendions de la part d'un gouvernement qui se dit, depuis plusieurs années — car on nous annonce ce projet depuis Dieu sait quand — résolu à protéger efficacement les droits de la personne.

C'est ce qui fait craindre au Barreau du Québec, dans l'une de ses récentes déclarations, que le projet ne demeure "une déclaration de beaux principes ou un énoncé de voeux pieux". Pourtant, M. le Président, la nécessité d'une loi fondamentale dont les principes primeraient des lois ordinaires et qui ne pourrait être modifiée que par une majorité spéciale ou qualifiée de cette Assemblée n'est plus à démontrer. Il nous aurait fallu — il nous faudra un jour ou l'autre — une loi cadre que nous n'avons pas, nous qui, à vrai dire, n'avons même pas de constitution écrite du Québec.

Depuis quelques décennies, en effet, sont apparus au Québec deux phénomènes qui ont transformé complètement la société traditionnelle au sein de laquelle la personne était davantage intégrée, davantage protégée par les liens communautaires qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ces deux phénomènes sont la société industrielle et l'Etat moderne, lesquels ont littéralement balayé les anciennes structures pour leur substituer, il faut bien le dire, le laisser-faire économique, le laisser-faire social. Nous avons été témoins de l'intervention croissante de l'Etat, en partie pour répondre au vide laissé par le laisser-faire économique et social, de l'intervention croissante d'une bureaucratie bienveillante, certes, mais tout de même lourde, d'un appareil à l'occasion tracassier dans la vie quotidienne des gens.

Le laisser-faire économique et social a entraîné des tensions entre classes sociales, qu'il a d'ailleurs contribué à créer. Il a accentué l'exploitation de l'homme par l'homme au Québec et remis en question les droits des personnes dans un contexte entièrement nouveau.

Quant à l'Etat, souvent perçu comme l'arbitre de ces nouvelles tensions ou comme la providence des faibles, il n'a été, jusqu'ici, qu'un fort médiocre arbitre quand il n'était pas tout simplement le garant de l'ordre établi, que certains ont appelé, de manière plus réaliste, le "désordre établi". Entre le dispensateur de pensions, des subventions destinées à corriger les pires abus du système et les citoyens ordinaires, il s'est établi des rapports de haut en bas, de technocrates abstraits à personnes aux prises le plus souvent avec des problèmes fort concrets. C'est avec raison que l'on a soulevé, dans ce contexte, le problème de la "personne humaine", ce slogan si cher à mes voisins de droite. La personne humaine, il faut bien le dire, dans ce nouveau contexte, n'est souvent plus qu'un numéro matricule.

Nous sommes donc devant la nécessité d'un nouveau contrat social, et j'imagine que le projet du ministre a pour but de répondre, au moins partiellement, à cette nécessité. La vie communautaire d'antan a presque disparu. Il faut inventer de nouvelles formes de vie en commun dans une société industrielle fondée, hélas, comme le veut la civilisation nord-américaine, sur la foire d'empoigne. Il faut redéfinir les buts sociaux de la collectivité, la place qui occupe l'individu et, de ce point de vue, une charte des droits de l'homme constitue un instrument idéal de construction sociale. Une véritable charte, et non le document que nous avons devant nous, qui n'est qu'un projet de loi ordinaire, permettrait de définir les exigences réciproques des particuliers et de la collectivité ainsi que les droits sociaux, économiques, politiques, culturels des Québécois, et leurs libertés fondamentales. Il serait possible, avec une véritable charte, de faire de ce monument législatif qu'elle pourrait être le cadre de référence de toute la législation du Québec.

De même, il importe que soit définie solennellement l'orientation des activités de l'Etat vers le progrès social. L'intervention croissante

de l'Etat, en effet, ravive un conflit maintenant classique entre d'une part, la liberté personnelle, qui demeure la condition de tout progrès social ou économique, et, d'autre part, les formes d'organisation nécessaires à la poursuite d'objectifs collectifs.

Il est donc grand temps que le législateur intervienne pour garantir un meilleur équilibre entre la liberté des personnes et les pouvoirs requis pour le fonctionnement d'une machine administrative de plus en plus complexe, qui ressemble à une sorte de vaste ordinateur.

A côté de ces deux phénomènes, qui sont à vrai dire universels, que nous ne retrouvons pas qu'au Québec, il en existe un troisième qui, lui, est particulier au contexte québécois et qui nécessite, lui aussi, l'adoption de règles du jeu nouvelles sur les plans politique et social. Dans une société longtemps demeurée monolithe, où la majorité affirme de plus en plus son droit à une existence distincte, en tant que groupe national, se manifeste dans le même temps le pluralisme ethnique et religieux des Québécois. L'Etat se voit donc forcé, dans ce contexte, d'intervenir à nouveau pour assurer la coexistence pacifique des groupes, des personnes et des croyances, tout en permettant à la majorité longtemps minorisée de prendre sa place au soleil.

L'apparition de groupes politiques, dont les idées plus ou moins radicales paraissent volontiers suspectes au pouvoir, ne doit pas servir non plus de prétexte à des occasions multipliées d'ingérence policière, d'arbitraire, d'intimidation, comme nous avons connues il n'y a pas si longtemps. C'est l'un des buts essentiels d'une charte authentique, d'une "charte" digne de ce nom, que d'assurer les libertés publiques des citoyens.

Je pense, en particulier, à la liberté de penser, à la liberté d'exprimer ses idées et de se grouper pour les défendre.

L'exercice de ces libertés, dans une démocratie, ne saurait être subordonné à des restrictions autres que celles qui, expressément prévues dans la loi, constituent des mesures absolument nécessaires au respect des droits et des libertés d'autrui, à la sauvegarde de la paix publique et à la prévention du crime.

Le ministre de la Justice a déclaré, tout à l'heure, que le Québec ne saurait rester à l'écart de ce vaste mouvement d'idées qui se développe en Occident aujourd'hui, qui tend, de plus en plus, à protéger la personne. Ce courant tire ses origines, plonge ses racines dans l'histoire d'une civilisation à laquelle les Québécois appartiennent de façon très profonde. Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec ce que nous a dit le ministre.

Je ne puis que lui donner raison, en effet, en particulier sur le point suivant: nous ne pouvons rester à l'écart de l'Occident. Nous avons été longtemps maintenus dans l'isolement par rapport aux autres pays avec lesquels nous partageons cette civilisation occidentale, mais, depuis quelque temps, nous sortons de cet isolement et nous voulons participer pleinement à tous ces courants d'idées qui traversent le monde. Toutefois, si telle est bien notre démarche, comme le laissait entendre, tout à l'heure, le ministre de la Justice, poursuivons-la jusqu'au bout. Donnons-nous une véritable charte des droits de l'homme, une véritable loi fondamentale et non un document qui, s'il constitue un départ, un pas dans la bonne direction, n'en demeure pas moins un document tronqué, une loi à portée fort limitée.

M. le Président, jusqu'ici, on a opposé deux arguments principaux à ceux qui voulaient que le Québec se donne une véritable charte des droits de l'homme. Tout à l'heure, le ministre a repris certains de ces arguments; je voudrais maintenant, tenter de les analyser.

On a dit, en premier lieu : Le cadre fédéral ne permet pas au Québec d'agir dans ce domaine parce que les compétences sont partagées et que le Québec ne possède que la portion congrue. En second lieu, on a soutenu que le Parlement ne peut se lier les mains pour l'avenir et ne saurait s'imposer des obligations intangibles. C'est surtout ce second argument qui a été repris par le ministre.

Je commencerai par jeter un coup d'oeil sur le premier. Le cadre fédéral serait contraignant au point d'empêcher le Québec de s'occuper de la protection des droits de l'homme. Il est vrai, par exemple, que la législation pénale et la procédure en matière criminelle, qui touchent de façon immédiate aux droits de la personne, sont du ressort fédéral. On pourrait être tenté de croire qu'à la suite de l'adoption de la déclaration des droits par le Parlement fédéral il n'y a plus rien à dire dans ce domaine au Québec.

Il existe, effectivement, le ministre le sait, des fédérations, par exemple, l'Inde et le Mexique, qui ont des dispositions constitutionnelles qui leur permettent de légiférer dans le domaine des droits de l'homme sans avoir à respecter le partage des compétences.

M. CHOQUETTE: Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition me permettrait une question?

M. MORIN: Volontiers, à condition que ce ne soit pas trop fréquent.

M. CHOQUETTE: Est-ce que l'honorable chef de l'Opposition peut nous citer en exemple le cas du Mexique et de l'Inde comme pays où on respecte effectivement les droits de l'homme?

M. MORIN: Effectivement l'Inde, avec les problèmes énormes auxquels elle se heurte, problèmes de surpopulation, fait des efforts extrêmement louables pour les respecter. Je connais beaucoup de pays aux prises avec des problèmes moindres, qui respectent moins les

libertés fondamentales et les droits de l'homme que l'Inde ne peut le faire. Je n'entends pas, cependant...

M. CHOQUETTE: II ne faudrait pas...

M. MORIN: ... citer ces pays en modèles. Je dis que ce sont des fédérations centralisées où le partage des compétences s'efface en quelque sorte devant l'exclusivisme du pouvoir fédéral en matière des droits de l'homme. Cela est prévu expressément dans la constitution.

Mais ici, dans ce pays, il en va différemment. Qu'on se souvienne de l'arrêt très célèbre de 1935 dans l'affaire des Conventions du travail, arrêt du conseil privé. D'après cette décision qui portait indirectement sur les droits de l'homme, le pouvoir central ne peut adopter une loi pour mettre en oeuvre des conventions, des traités dont l'objet relève de la compétence des provinces.

C'est la raison pour laquelle le gouvernement d'Ottawa s'est montré très réticent, comme le ministre le sait sûrement, à l'égard de tous les pactes internationaux portant sur les droits de l'homme. Depuis que les clauses fédérales, comme on les appelait autrefois, ont été abolies, à l'ONU et dans les institutions spécialisées, le gouvernement fédéral a dû s'abstenir de ratifier la plupart des conventions portant sur les droits de l'homme.

C'est donc là une première preuve, M. le Président, que le Québec possède une compétence dans ce domaine, puisque les plus hauts tribunaux du pays et, autrefois, de l'Empire, ont interdit au pouvoir fédéral de s'immiscer dans ces domaines dont plusieurs aspects relèvent des compétences provinciales. Aussi, les responsabilités du Québec sont-elles considérables. Je voudrais en énumérer quelques-unes.

En premier lieu, le Québec possède le pouvoir de modifier sa propre constitution, d'après l'article 92 de l'A.A.B.N., sauf en ce qui a trait aux fonctions du lieutenant-gouverneur. Il peut donc modifier la composition de cette Assemblée, il peut modifier les conditions d'éligibilité des représentants du peuple. Il peut amender les modes de scrutin; j'espère d'ailleurs, M. le Président, qu'il va le faire rapidement. Il peut modifier la durée de cette Assemblée, la fréquence des sessions; il peut modifier la carte électorale, aussi bien pour favoriser les partis d'Opposition que pour favoriser le parti au pouvoir. Or, tout cela touche très directement aux droits politiques fondamentaux des citoyens.

H en est bien peu question dans votre projet, M. le ministre et, tout à l'heure, j'aurai l'occasion de jeter un coup d'oeil rapide sur les droits politiques, tels qu'ils sont définis dans ce que vous appelez votre "charte".

En second lieu, le Québec possède une compétence exclusive en matière de propriété et de droit civil. Cela embrasse la capacité des personnes, par exemple le statut de la femme mariée, les biens, les successions, les contrats, les délits, toutes choses qui touchent de très près également aux droits fondamentaux de la personne.

Troisièmement, les tribunaux, vous le savez, ont fait appel au principe de la liberté contractuelle pour justifier des distinctions fondées notamment sur la race. Je ne vais pas m'amuser à passer en revue toute la jurisprudence, puisque la plupart des juristes dans cette Assemblée connaissent fort bien les arrêts qui, se fondant sur la liberté contractuelle, permettaient d'établir des distinctions fondées sur la race. Cela relève également du droit civil.

Quatrièmement, le Québec possède une compétence très large en matière économique et sociale. Il est vrai que cette compétence, il doit la partager, dans l'état actuel de la constitution, avec l'Etat central lequel possède, à vrai dire, les principales compétences en matière économique. Cependant, rien n'interdit à l'Assemblée nationale d'adopter sa propre déclaration des droits à l'égard des aspects qui la concernent. Je pense, en particulier, à des aspects qui ont été négligés comme, par exemple, le droit au travail, avec toutes les nuances que cela peut comporter — j'y reviendrai tout à l'heure — la liberté syndicale, dont il n'est pas dit un mot...

M. CHOQUETTE: Est-ce que le député me permettrait une question?

M. MORIN: ...dans le projet. Cette fois vous voudrez bien attendre. Si c'est purement pour m'interrompre, vous aurez...

M. CHOQUETTE: Le droit d'association.

M. MORIN: ...le loisir de me rappeler que l'article 3, de façon très vague, parle du droit d'association. Mais la plupart des chartes, à travers le monde, consacrent de façon explicite la liberté syndicale et même, parfois, dans le détail; vous êtes trop bien renseigné pour l'ignorer.

On pourrait aussi mentionner le niveau de vie minimum auquel on fait allusion mais de biais et avec toutes sortes de clauses échappatoires dans le projet de loi. On pourrait aussi mentionner le droit à l'instruction où, là encore, le projet actuel nous dit que ce droit existe, bien sûr, mais "dans la mesure prévue par la loi". Ce qui, on en conviendra, est une façon détournée d'accorder un droit fondamental.

Cinquièmement, bien que le Parlement fédéral possède la compétence à l'égard du droit pénal et en matière de procédure criminelle, le Québec est responsable de l'administration de la justice. Il a le pouvoir d'infliger des peines par voie d'amendes, d'emprisonnement même. Les libertés personnelles sont donc tout autant à la merci du gouvernement du Québec qu'elle ne sont à la merci du pouvoir fédéral. Les personnes peuvent être arrêtées par des autorités

québécoises, elles peuvent être détenues, avoir à se défendre dans des affaires qui découlent de l'application de la législation du Québec.

En sixième lieu, les libertés publiques, auxquelles il est fait allusion de manière un peu trop rapide dans l'article 3 du projet de loi, c'est-à-dire les libertés de religion, de pensée, d'expression, sont déjà protégées dans une large mesure par le droit public de ce pays. Dans la tradition britannique, c'est la jurisprudence qui joue ce rôle, en l'absence d'une constitution écrite. Mais nombreux sont les cas de conflits de compétence qui ont démontré que le Québec peut fort bien, et n'a pas hésité dans le passé, surtout à l'époque Duplessis, à brimer les libertés fondamentales. Je songe, par exemple, à la loi du cadenas, à l'affaire Roncarelli, à l'affaire Saumur, à l'affaire Switzman, et combien d'autres qui ont démontré qu'une Législature provinciale, bien que ses compétences soient limitées, peut empiéter de façon très abrupte sur les droits de la personne. La liberté comporte donc des aspects provinciaux et même des aspects municipaux puisqu'on a vu encore tout récemment un tribunal supérieur déclarer qu'un certain règlement antimanifestation de la ville de Montréal était parfaitement conforme à la constitution, au droit public.

Tout cela, M. le Président, démontre l'ampleur des responsabilités du Québec, de nos responsabilités devant les Québécois. Aussi était-il fort opportun que nous adoptions une loi. Encore une fois, nous allons voter en faveur du projet que vous venez de nous soumettre. Mais nous avons des réserves à exprimer et nous aurons des suggestions à vous faire. Nous regrettons simplement, M. le ministre, que de façon un peu cavalière vous ayez empêché les intéressés de comparaître devant la commission parlementaire avant la seconde lecture et avant l'adoption du principe de ce projet. Nous les entendrons sûrement — comme vous en avez donné l'assurance, je l'ai noté au passage — après la deuxième lecture, mais ce ne sera pas la même chose. Ce ne sera pas comme si nous avions publié des avis invitant la population et toutes les personnes intéressées à venir devant la commission. Ne viendront que quelques organismes et ils seront à la merci des décisions de la commission. Si le ministre n'est pas d'accord sur mon interprétation, j'espère qu'il nous donnera des assurances beaucoup plus précises tout à l'heure, dans sa réplique.

Il était donc opportun d'adopter une loi, une loi fondamentale, une véritable charte. Avons-nous exécuté convenablement cette tâche avec le projet qui nous est soumis aujourd'hui? Je ne vais m'attacher, étant donné que le temps passe qu'aux trois aspects qui me paraissent les plus importants: premièrement, les droits politiques; deuxièmement, les droits économiques et sociaux et, enfin, je dirai un mot des droits de la femme, qui semblent quelque peu négligés dans ce projet de loi.

Oh! je sais que le ministre va me répondre qu'au sens générique "l'homme embrasse la femme", mais ce n'est pas là une réponse satisfaisante aux problèmes que j'ai à soulever.

En ce qui concerne, en premier lieu, les droits politiques, il n'y a que deux articles dans l'ensemble de ce projet de loi, lesquels consacrent tout d'abord le droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale — droit qui existe déjà de toute façon en droit parlementaire — et les droits d'éligibilité et de vote. M. le Président, c'est un peu court. Le Québec a une compétence plus étendue que cela dans ce domaine. Puis-je suggérer au ministre, anticipant sur la troisième lecture, deux autres dispositions fort importantes dont l'une, en tout cas, me paraît essentielle. La première est la suivante: les citoyens ont le droit d'exprimer leur volonté par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu au moins tous les cinq ans, au suffrage universel égal et au scrutin secret. Ce sont là des garanties fondamentales qui ne se trouvent pas dans le projet. Or, ce n'est pas au ministre que je vais expliquer à quel point il serait important que nous ayons au Québec des élections honnêtes. Tous ceux qui, dans cette Assemblée, ont participé, par la force des choses, à des élections savent — je n'accuse personne et je ne fais même pas de distinction de partis— que les élections ne sont pas toujours honnêtes au Québec, que cela laisse fort à désirer. Comme je n'ai mis en cause aucun parti en particulier, j'espère que tous ici pourront convenir qu'à tout le moins on pourrait améliorer les choses dans ce domaine, notamment en s'assurant de l'identité de ceux qui votent. Eh bien! ce serait une excellente disposition à ajouter à ce projet de loi. En tout cas, pour ma part, je la considère comme étant essentielle parce qu'il n'y a pas de démocratie véritable sans des élections honnêtes.

Deuxièmement, j'estime qu'il faudrait prévoir que tout citoyen québécois a le droit d'accéder, dans des conditions d'égalité, à toutes les fonctions publiques. Le ministre conviendra avec moi qu'il n'y a pas un mot là-dessus dans la "charte". C'est peut-être un oubli. Je dois lui souligner le fait qu'on trouve des dispositions de ce genre dans la plupart des chartes des pays étrangers.

Au chapitre des droits économiques et sociaux, j'estime qu'on y trouve les dispositions les plus faibles, les plus aléatoires de tout le projet de loi. Ces droits économiques et sociaux, le ministre l'a rappelé, ce sont les droits de l'homme du XXe siècle. Le reste de la charte, les droits politiques et les droits civils qui, j'en conviens, sont assez bien protégés — ils le seraient du moins s'il s'agissait d'une loi fondamentale — sont des droits qui ont été consacrés par l'histoire, depuis le XVIIIe siècle en particulier. Mais les droits du XXe siècle, ce sont les droits économiques et sociaux. Ce n'est pas pour rien que l'Assemblée générale de

l'ONU a rédigé et adopté un Pacte spécial portant sur ces droits.

J'irais jusqu'à dire qu'aujourd'hui il n'est pas de démocratie politique sans démocratie économique. Et nous pouvons peut-être arriver un jour à avoir une démocratie pseudo-politique au Québec sans avoir pour autant obtenu la démocratie économique. Je veux dire qu'on pourrait arriver à une situation où les lois ayant été améliorées, les lois électorales notamment, on aurait l'impression que nous vivons en démocratie alors qu'en réalité, faute de protéger et de développer les droits économiques et sociaux, nous n'aurions de la démocratie que la façade, celle qu'a voulu défendre le XVIIIe siècle.

Aujourd'hui, dans la plupart des pays et à l'Organisation des Nations unies, ce sont les droits économiques et sociaux qui priment dans les esprits. Nous nous serions attendus à les trouver bien développés dans le projet; ce n'est malheureusement pas le cas. Que trouve-t-on? Deux articles touchent vraiment des droits sociaux fondamentaux. L'article 37, qui nous dit que l'instruction publique est gratuite, mais qui ajoute aussitôt "dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi". De même, l'article 41, qui nous décrit le droit à l'assistance financière pour toute personne qui se trouve dans le besoin, mais, là encore, dans les limites prévues par la loi.

Au XXe siècle et surtout depuis une vingtaine d'années, si le ministre désire vraiment se situer dans le courant des idées actuelles, s'il veut que le Québec ne soit pas à l'écart de ces courants qui parcourent le monde en matière de droits de l'homme, il faudrait qu'il se rende compte que ce n'est plus d'assistance financière que les citoyens ont besoin; c'est de quelque chose qui répond beaucoup plus à la dignité de la personne et que nous appelons, pour notre part, le revenu minimum garanti. C'est une notion qui répond beaucoup mieux à ce dont un citoyen a besoin pour vivre.

En matière de droits économiques et sociaux, le ministre nous a dit qu'il voulait adopter une attitude "flexible". M. le ministre, savez-vous qu'elle est flexible au point que vous pourriez lui faire prendre presque toutes les formes imaginables? Savez-vous que cela en est même informe? Il aurait fallu reconnaître, au moins, avant toute chose, le droit fondamental pour toute personne de gagner sa vie par un travail librement accepté. Ce n'est pas moi qui invente cette expression; elle se trouve dans les documents internationaux et dans nombre de constitutions. Evidemment, lorsqu'on ne peut trouver de travail — et je conviens que, dans certains cas, cette situation se présente — c'est alors que l'Etat doit assurer un revenu minimum garanti aux travailleurs.

De même, on nous apprend que "quiconque travaille a droit, conformément à la loi — c'est-à-dire conformément à l'ensemble des autres lois — à des conditions de travail justes et raisonnables, c'est l'article 42. Pourquoi être si vague, si "flexible"? Pourquoi ne pas être plus explicite, comme le sont les articles 6 et 7 du pacte de l'ONU sur les droits économiques et sociaux? Pourquoi ne pas mentionner certains éléments particulièrement fondamentaux parmi ces conditions de travail comme, par exemple, l'hygiène et la sécurité dont on sait à quel point les travailleurs québécois ont à se plaindre?

Pourquoi passer sous silence les loisirs des travailleurs, les congés périodiques payés? Est-ce que le ministre a rendu visite à des ateliers ou usines du Québec où l'on travaille à la pièce? Est-ce qu'il sait ce que c'est que forcer la cadence en payant à la pièce? Est-ce que le ministre s'est rendu sur place pour voir ce que c'était, dans le Québec de 1974, des conditions de travail justes et raisonnables? Que va-t-il faire pour corriger les abus qu'on trouve dans ces usines et dont j'ai été témoin à plusieurs reprises? Je me demande si je ne devrais pas inviter le ministre de la Justice à m'accompagner lors de l'une de mes prochaines tournées. Nous verrions ensemble beaucoup de choses; il apprendrait beaucoup de choses.

Que dit la charte pour venir en aide à ces travailleurs qui sont aux prises avec des problèmes bien concrets, comme deux des cadences forcées? J'ai bien l'impression, M. le ministre, que votre projet de loi ne changera absolument rien à cela, pas plus qu'il ne changera quoi que ce soit aux conditions de sécurité qui règnent sur les chantiers.

Pourquoi n'avoir pas consacré, dans cette soi-disant charte, le droit de former des associations syndicales? Pourquoi ne pas l'avoir dit expressément, comme dans la plupart des chartes qu'on trouve dans les pays étrangers? Pourquoi n'avoir pas consacré les intérêts économiques et sociaux des travailleurs de façon plus explicite? Pourquoi n'avoir pas consacré le droit à la négociation collective? Pourquoi n'avoir pas consacré le droit de grève, en précisant, si cela est nécessaire, les limites de ce droit dans les services publics? C'était l'occasion de le faire.

En troisième lieu, M. le Président, j'estime que la place de la femme dans cette charte est tout à fait secondaire; elle n'y est mentionnée qu'en passant. Il s'agit d'une loi qui protège les droits de la personne, même si l'on parle des droits "de l'homme". Pourquoi n'avoir pas consacré le droit à l'identité, par exemple? Que le ministre n'aille pas me dire que les Québécoises et les Québécois ne sont pas prêts pour une démarche de cet ordre. Est-ce qu'il n'est pas temps de permettre à la femme mariée de conserver son nom de famille, si elle le désire, tout en précisant que ses papiers d'identité, le cas échéant, son statut matrimonial et le nom de son mari? Pourquoi ne pas reconnaître, puisque nous parlons de droits fondamentaux, que le nom d'une personne, c'est un élément indispensable de sa personnalité? Pourquoi n'avoir pas consacré également le droit de la femme mariée en particulier, de s'instruire, de

continuer à s'instruire ou de travailler sans la permission de son mari?

Enfin, M. le Président, on aurait pu prévoir une interdiction de pénaliser la femme de quelque façon que ce soit, à la suite d'une maternité. Il aurait été possible de prévoir dans une charte vraiment complète, qui aurait vraiment répondu aux problèmes réels auxquels nous faisons face dans le Québec d'aujourd'hui, un droit de la femme mariée à des congés de maternité et l'obligation, pour son employeur, de lui conserver son emploi et ses avantages sociaux.

En conclusion de cette première partie, M. le Président, je dirais que la charte que nous avons devant nous, comme l'a soutenu d'ailleurs la Ligue des droits de l'homme, est pleine de trous béants. J'espère qu'avant la troisième lecture, le ministre se montrera ouvert aux suggestions destinées à compléter ce qu'il appelle, un peu pompeusement, sa "charte".

En second lieu, et c'est le deuxième argument important à l'encontre de...

M. CHOQUETTE: Je n'ai pas de droit de propriété.

M. MORIN: Je faisais allusion au mot "charte" plutôt qu'à votre droit de propriété, car il ne s'agit pas d'une charte, bien que le mot paraisse dans le texte même du projet de loi. Ce n'est ni une charte, ni une loi fondamentale, comme je vais d'ailleurs maintenant le dire dans le temps qu'il me reste.

Le second argument qu'on fait valoir à l'encontre de la compétence du Québec en matière des droits de l'homme est celui-ci: Le Parlement ne pourrait se lier les mains en régime britannique; il ne saurait s'imposer d'obligations intangibles. Cet argument comporte deux aspects dont je vais traiter tour à tour.

Le premier aspect est le suivant: On ne saurait, en régime d'inspiration britannique, bien qu'on le saurait en régime présidentiel, nous a dit le ministre, conférer la primauté ou un caractère primordial à un projet de loi sur les droits de l'homme.

Deuxièmement, on ne saurait accorder à ce projet de loi une protection spéciale, ce qu'on appelle dans la langue anglaise, en droit constitutionnel britannique, "entrenchment".

Pour ce qui est de la primauté de la charte, le ministre nous a dit qu'il préférait laisser coexister (ce sont les termes qu'il a employés) les lois qui viendraient à l'encontre de la charte. Il a souligné le fait que si un doute surgit dans l'interprétation d'une loi qui paraît contraire au présent projet de loi, celle-ci prévaudra, mais c'est là une situation tout à fait exceptionnelle. Le ministre sait bien que, dans la plupart des cas, les contradictions seront flagrantes. Et en cas de contradictions claires, ce sera la loi qui sera la plus précise, même si elle vient à l'encontre de la charte des droits de l'homme, qui l'emportera.

C'est surtout le second alinéa de l'article 45 qu'il faut lire avec soin et dont nous devons tenir compte dans ce débat. La charte, nous dit-on, ne doit pas être interprétée de manière à modifier ou restreindre la portée de toute autre loi. On veut dire, par là, toute loi, antérieure ou postérieure. M. le Président, c'est abuser du mot "charte" que d'y inclure un article comme le 45e. Ce mot, d'habitude, signifie: loi fondamentale. Cela traduit le caractère fondamental d'un document législatif. Le projet qui nous est proposé ce soir n'est ni une charte, ni une loi fondamentale. C'est une loi ordinaire qui peut être contredite demain par une autre loi; elle n'a rien à voir avec ce qu'on appelle "charte" dans les constitutions ou dans la législation des Etats étrangers.

De fait, je dois dire que le projet sur ce point ne change absolument rien au droit existant ou si peu que ce n'est pas la peine d'insister. Il codifie ce qui existe; d'ailleurs, la Ligue des droits de l'homme l'a reconnu. A notre avis, ce n'est pas assez. Il aurait fallu une véritable charte l'emportant sur les autres lois et pouvant constituer un cadre de références pour l'ensemble de la législation québécoise.

Le ministre nous a dit: Ce serait créer de la confusion et de l'ambiguïté que de préciser que le projet de loi l'emporterait sur toute autre législation. Il faudrait alors, dit le ministre, prévoir les exceptions dans la charte même. Je conviens que c'est une difficulté. Ce n'est pas facile de dire tout l'essentiel dans une véritable charte. Mais beaucoup de pays l'ont fait et je ne vois pas pourquoi le Québec ne pourrait pas en faire autant. Par exemple, la Convention européenne, que le ministre connaît, et qui a servi de base à la législation dans de nombreux Etats européens, a un caractère fondamental; elle a donné naissance à des lois nationales, qui ont un caractère fondamental et à l'encontre desquelles aucune autre loi ne saurait aller. Eh bien, dans la Convention européenne, pour répondre à l'objection du ministre, on a réservé les cas où des mesures sont nécessaires pour assurer la paix publique, la prévention du crime ainsi que le respect des droits et des libertés d'autrui. Il serait possible d'inclure dans la charte québécoise une disposition générale de cette sorte et un certain nombre de dispositions plus précises qui donneraient plus de mordant aux droits et libertés que nous prétendons protéger.

Le ministre disait: Si l'on fait cela, nous serons dans l'incertitude et dans l'ambiguité. Eh bien! je lui réponds que c'est exactement le contraire. C'est la loi que nous allons adopter qui va engendrer l'ambiguité et l'incertitude. Pourquoi? Parce qu'en lisant ce projet devenu loi, personne ne connaîtra exactement l'étendue de ses droits parce qu'il faudra toujours se référer à ce qui peut se trouver dans d'autres lois.

C'est très beau d'avoir un projet de loi qui prétend nous décrire nos droits et nos libertés,

mais à lire quelqu'article que ce soit, dans ce projet, on ne sera jamais sûr que c'est complet et qu'on peut bénéficier pleinement du droit et des libertés qui y sont énoncés. Je dis au ministre que c'est sa technique qui va créer de l'incertitude et de la confusion car on ne saura jamais exactement si l'article 43 ou l'article 55 dit toute la vérité ou s'il ne faut pas plutôt se référer à l'ensemble de la législation pour être bien sûr qu'on n'a rien oublié et qu'on connaît l'étendue exacte de ses droits.

Le second aspect, M. le Président — je devrai en arriver bientôt à mes conclusions — est tout de même important. Ce second aspect des objections qu'on nous fait à la compétence québécoise en matière des droits de l'homme, est le suivant: La souveraineté du Parlement est le principe fondamental contre lequel rien ne saurait prévaloir. Le ministre s'est référé à cela tout à l'heure et, ma foi, il est en bonne compagnie, mais quelque peu vieillotte puisqu'il s'agit de Dicey. Cet auteur enseignait, en effet, que le Parlement britannique ne pouvait restreindre ses propres pouvoirs, ses propres compétences, par une loi.

Le ministre a repris ce raisonnement juridique un peu désuet et, disons-le, sclérosé, en 1974. Il serait donc impossible, si l'on se fiait à Dicey et à Choquette — je cite le ministre comme on cite un savant auteur — de donner un caractère fondamental aux lois destinées à protéger l'individu et impossible de stipuler, par exemple, que ces lois ne sauraient être modifiées par la suite, que par telle ou telle majorité renforcée de l'Assemblée nationale, telle majorité qualifiée des députés présents et votant.

Pourtant, M. le Président, la jurisprudence du Commonwealth contredit à la fois Dicey et le ministre. S'il est indéniable qu'un Parlement ne peut limiter sa propre compétence discrétionnaire, sa souveraineté, comme disait le ministre, ou celle de ses successeurs, quant au fond, ou à la substance de la législation, plusieurs auteurs modernes ont soutenu qu'il lui est cependant possible de se lier dans sa manière de légiférer.

Je songe en particulier à un auteur qui m'est particulièrement cher, puisqu'il a été mon professeur autrefois: Ivor Jennings. Il soutenait que si le Parlement britannique votait une loi à l'effet que la reine ne puisse être déposée par le Parlement qu'à la suite d'un vote renforcé des deux tiers des deux Chambres, par exemple, les tribunaux britanniques se verraient forcés de respecter cette disposition législative.

Jennings soutient qu'en dépit du dogme de la souveraineté — parce que c'est un dogme, quand on se réfère à Dicey — en dépit du dogme de la souveraineté du Parlement, celui-ci, s'il ne peut se lier sur le fond de la législation, peut se lier dans sa manière de voter.

Je ne vois pas pourquoi nous n'adoptons pas ce raisonnement qui me paraît répondre mieux aux besoins de la société moderne que les élucubrations savantes de Dicey.

Je sais que ce raisonnement est combattu par d'autres auteurs, qui soutiennent la thèse du ministre, mais la jurisprudence du Commonwealth semble bien donner raison à ceux qui soutiennent que le Parlement peut se lier les mains quant à la procédure. Je me réfère, en particulier, à un arrêt que la plupart des juristes ici doivent connaître puisqu'il est célèbre. C'est l'arrêt Harris contre The Minister of the Interior, lequel a été rendu par la cour Suprême de l'Union sud-africaine en 1952, au moment où le Parlement sud-africain prétendait établir une double représentation au sein des institutions parlementaires. C'était au début de l'apartheid et le Parlement voulait revenir sur une loi antérieure qui disait qu'en matière électorale on ne pouvait faire de distinction entre électeurs blancs et électeurs de couleur. En 1951, le Parlement sud-africain voulut abolir cette loi, mais on découvrit qu'il y avait une procédure d'amendement spéciale incorporée dans la loi, qui prévoyait qu'il fallait une majorité des deux tiers des deux Chambres pour que cette garantie fondamentale de non-discrimination électorale fût modifiée.

L'affaire aboutit devant les tribunaux, naturellement, et la Cour suprême de l'Union sud-africaine décida que le Parlement était lié par cette disposition de procédure. Donc, pour modifier la loi protégeant les électeurs de couleur et prévoyant qu'il ne saurait y avoir deux sortes de représentation au sein du Parlement, il fallait adopter cette loi à la majorité des deux tiers dans les deux Chambres.

Le législateur québécois pourrait se prévaloir de cette méthode; d'ailleurs, je m'en étais fait l'avocat il y a plus de dix ans. Il pourrait le faire en vue d'assurer la prépondérance et le caractère permanent du présent projet de loi. Ce serait une protection très précieuse — le ministre n'en conviendra-t-il pas — contre les fluctuations de la conjoncture politique.

Il ne pourrait y avoir de modification, par exemple, sans un vote des deux tiers ou des trois quarts des députés de cette Chambre. Naturellement, le mode d'amendement lui-même serait protégé par la même règle de majorité.

Il est temps, M. le Président, que j'en vienne à mes conclusions sur cet important projet de loi. Quelle est sa portée concrète? La plupart des droits et libertés décrits dans le projet existent déjà en droit québécois et en droit canadien. Ils sont, pour la plupart, consacrés par la jurisprudence, puisque la plus grande partie du droit public d'origine britannique n'est pas écrit, que cette partie du droit, en particulier, n'est pas écrite, n'a pas fait l'objet d'une constitution ou d'une loi fondamentale. Les tribunaux n'ont pas attendu une loi ou une charte pour les protéger; ils ont même déclaré ultra vires, le ministre le sait, des lois ou des règlements qu'ils ont estimés contraires aux libertés et aux droits fondamentaux.

Comme, d'autre part, le projet n'accorde

aucun caractère fondamental aux droits qu'il prétend protéger, quelle sera son utilité? J'y vois une certaine utilité, mais elle est avant tout d'ordre pédagogique. D'ailleurs, le ministre le reconnaît; il nous a parlé de la "valeur éducative" du projet. C'est le cas de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, d'ailleurs, qui n'oblige pas les Etats, qui n'oblige personne, mais qui — c'est un fait — est à l'origine du mouvement d'idées qui tend à protéger de mieux en mieux les droits de l'homme dans le monde.

Enfin, dans le monde, c'est-à-dire dans certains Etats occidentaux, dans quelques autres, faudrait-il, si l'on veut faire évoluer les mentalités, que la loi fasse l'objet d'un enseignement dans les écoles. C'est un voeu que je me permettrais d'exprimer devant le ministre de l'Education. Nous n'avons pas, comme dans plusieurs pays, d'enseignement civique. Nous n'apprenons pas à nos enfants quels sont leurs droits et quels sont leurs devoirs sociaux. La morale individuelle traditionnelle s'en va à vau-l'eau dans bien des cas et nous n'avons pas su, par notre système d'enseignement, la remplacer ou l'épauler par un enseignement qui développerait la morale collective des Québécois.

M. le Président, puisqu'il me faut bientôt terminer, je dirai que ce projet de loi règle beaucoup de problèmes sauf les plus essentiels: Cette loi est-elle fondamentale, s'impose-t-elle en toute circonstance au législateur et au pouvoir administratif? Cette loi l'emporte-t-elle sur les autres lois antérieures ou postérieures? C'est ce qui a fait dire au Barreau que cette loi contient de belles phrases - j'irais un peu plus loin et je reconnaîtrais que l'énoncé de certains droits est clair et utile — mais que cette loi a peu de mordant parce qu'elle ne s'impose pas en toute circonstance et qu'elle ne peut forcer le législateur lui-même à respecter un certain cadre fondamental.

M. le Président, une loi fondamentale constitue une sorte de contrat social par lequel les citoyens se reconnaissent les uns aux autres des droits, c'est-à-dire également des devoirs, puisque la reconnaissance d'un droit comporte implicitement la reconnaissance d'un devoir. Reconnaître un droit, c'est s'obliger, en vue d'une dignité plus grande des personnes, en vue d'une vie sociale mieux équilibrée. Cependant, pour qu'un tel contrat social ait quelque racine dans la réalité, on doit y associer le plus possible les citoyens. Autrement, la loi demeure une abstraction votée par quelque lointaine assemblée comme, hélas! l'est trop souvent la nôtre. Or, on peut juger du caractère que le gouvernement entend conférer au présent projet de loi par son refus d'entendre, avant la deuxième lecture, les citoyens intéressés. J'estime que cela est beaucoup plus révélateur qu'on ne le pense; cela traduit peut-être les frustrations accumulées par le ministre de l'Education au cours du débat sur le bill 22. Il n'en reste pas moins que le moment normal d'entendre les citoyens — le président de l'Assemblée l'a rappelé avec raison — c'était avant la seconde lecture avant l'adoption de principe.

Comment peut-on parler, dans ce cadre où vous placez les Québécois, de véritable "charte", de loi fondamentale et comment peut-on parler de nouveau contrat social? Ce sont là des mots creux, des phrases.

Motion de report à trois mois

M. MORIN: M. le Président, dans les circonstances, je propose que la motion que nous débattons en ce moment soit amendée en retranchant le mot "maintenant" et en ajoutant à la fin les mots "dans trois mois", en vue de permettre l'audition des personnes et des organismes intéressés à se faire entendre par la commission parlementaire. Ce n'est qu'alors que nous pourrons parler de véritable "charte", de loi fondamentale.

Je vous remercie, M. le Président.

DES VOIX: Vote.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que les membres de cette Assemblée sont prêts à se prononcer sur la motion?

UNE VOIX: Oui. M. MORIN: Non. DES VOIX: Vote.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Saguenay.

M. LEVESQUE: C'est le projet de loi no 50.

M. Lucien Lessard

M. LESSARD: M. le Président, je remercie le leader parlementaire de l'Opposition de m'avoir bien informé qu'il s'agit du projet de loi no 50.

M. LEVESQUE: Le leader parlementaire de l'Opposition vous l'avait dit, aussi.

M. LESSARD: M. le Président, j'ai bien l'intention de parler sur la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition. En effet, contrairement à ce que semblent penser les libéraux, il s'agit d'un projet de loi fort important. D'ailleurs, le ministre de la Justice lui-même nous a affirmé à plusieurs reprises qu'il s'agissait là d'un projet de loi fondamental pour l'ensemble des droits des Québécois.

Or, tel que nous l'avons fait dans le passé lorsqu'il s'est agi de projets de loi qui touchent aux droits fondamentaux des Québécois, lorsqu'il s'agit d'un projet de loi qui aura une importance considérable pour les libertés des citoyens québécois dans l'avenir, il me semble

que nous devrions prendre toutes les précautions nécessaires pour faire en sorte que ce projet de loi corresponde véritablement aux réalités québécoises. Il me semble que nous devrions prendre les précautions nécessaires afin que les citoyens qui seront touchés par ce projet de loi, les citoyens qui sont intéressés par ce projet de loi puissent se faire entendre, mais non pas seulement après que nous aurons adopté le ou les principes du projet de loi. Tel que nous l'a confirmé d'ailleurs le président de l'Assemblée nationale, il sera trop tard à ce moment pour modifier les principes mêmes du projet de loi.

Mais les citoyens qui sont directement impliqués, l'ensemble des citoyens, et plus particulièrement les citoyens qui sont regroupés, les citoyens qui veulent faire entendre leur voix sur ce projet de loi, il me semble que ce n'est pas après l'adoption du principe qu'ils auraient le droit, qu'ils devraient avoir la possibilité de se faire entendre. Mais c'est bien avant la deuxième lecture, tel que ceci s'est passé lorsque nous avons étudié un projet de loi qui touchait une liberté fondamentale des Québécois, à savoir la nécessité ou le droit de conserver leur langue. Eh bien, c'est d'abord après la première lecture que ces citoyens devraient avoir la possibilité de se faire entendre. Et c'est d'ailleurs ce qui justifie, je pense, la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition. Cette motion est d'autant plus justifiée qu'il s'agit probablement d'un des projets de loi les plus importants que nous aurons à voter au cours de cette session, un des projets de loi qui auront le plus de conséquences, à la fois peut-être positives comme négatives sur l'ensemble de la population québécoise.

Or, qu'est-ce qui justifierait le ministre de la Justice de ne pas accepter la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition? A-t-on peur, encore une fois, comme cela a été le cas pour le bill 22, que les principaux organismes représentatifs de la population viennent, dès après la première lecture, en commission parlementaire contester non pas le bien-fondé général de ce projet de loi, mais viennent simplement nous dire qu'il ne s'agit encore une fois que de la poudre que l'on jette aux yeux des Québécois?

Que ces gens viennent nous expliquer comment ce projet de loi ne vient pas changer grand-chose dans la réalité québécoise. Je pense qu'il serait important que le ministre de la Justice accepte la proposition ou la motion présentée par le chef de l'Opposition. Je pense que le ministre de la Justice devrait accepter, étant donné l'importance de ce projet de loi, que les corps intermédiaires, que les citoyens, que l'ensemble de la population, qui serait regroupée à l'intérieur d'organismes, viennent, avant l'adoption du principe de ce projet de loi, viennent nous dire en quoi ce projet de loi a des trous béants, en quoi ce projet de loi ne représente pas la réalité ou les besoins de l'ensemble des Québécois, qu'ils viennent nous dire pourquoi, comme c'est arrivé souvent dans les projets de loi qui nous ont été proposés par ce gouvernement, ce projet de loi est encore de la poudre aux yeux, pourquoi ce projet de loi ne changera en rien la situation actuelle au niveau des libertés fondamentales des Québécois.

M. LEVESQUE: A l'ordre! La motion.

M. LESSARD: M. le Président, je justifie la motion qui est présentée par le chef de l'Opposition. Si le chef de l'Opposition a présenté cette motion, c'est justement parce que, tel qu'il nous l'a expliqué tout à l'heure, avec brio d'ailleurs, ce projet de loi a des trous importants. Si le chef de l'Opposition demande au ministre d'accepter la motion de renvoi à trois mois, c'est parce que le chef de l'Opposition nous dit, en même temps, que cette période de trois mois permettra d'entendre des personnes, d'entendre des témoins, de faire l'audition des personnes et organismes intéressés à se faire entendre par la commission parlementaire. Je pense que c'est l'objet même de la motion présentée par le chef de l'Opposition.

S'il l'a fait, ce n'est pas parce que nous sommes complètement opposés au projet de loi tel qu'il est actuellement déposé par le ministre, mais c'est parce que, dans un projet de loi, comme l'a affirmé le ministre, aussi fondamental, aussi important, un projet de loi qui touche l'ensemble des droits des citoyens québécois, je pense qu'il est tout à fait normal que les citoyens soient entendus. Nous ne pouvons pas comprendre quelle attitude, à l'encontre de ce qu'a affirmé le président de l'Assemblée nationale, a tenté de défendre le ministre de la Justice comme le ministre de l'Education lorsqu'ils nous disaient que ce n'est qu'après la deuxième lecture que les citoyens seront entendus, que ce n'est qu'après que le principe du projet de loi lui-même sera adopté par l'Assemblée nationale que les citoyens seront entendus. N'est-ce pas tout simplement affirmer, comme ç'a été malheureusement le cas lors des auditions sur le bill 22, qu'il s'agit encore d'auditions pour la frime?

N'est-ce pas simplement dire aux citoyens: Vous pouvez venir nous voir, vous pouvez venir témoigner sur des modalités du projet de loi, sur des choses peu importantes à l'intérieur du projet de loi.

Mais sur les principes mêmes, sur les principes fondamentaux, le ministre de la Justice ou ce gouvernement a décidé de n'absolument rien changer, parce que, s'il le faisait, ce serait à l'encontre même de l'économie, tel que l'expliquait le président de l'Assemblée nationale, de nos règlements. Tel que le disait le ministre, ce serait à l'encontre même de la suprématie du Parlement, parce que le Parlement, M. le Président, aura accepté un principe.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre!

M. LESSARD: Mais en quoi, M. le Président?

M. LEVESQUE: Votre droit de parole est fini. C'est terminé.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): C'est votre droit de parole qui est terminé. Si vous voulez conclure, s'il vous plaît.

M. LESSARD: M. le Président, je termine en disant que la motion qui est présentée actuellement par le chef de l'Opposition, si on croit véritablement...

M. LEVESQUE: Que le député nous remercie.

M. LESSARD: ... à la démocratie au Québec et à l'importance de cette Chambre...

M. LEVESQUE: Sauvé par la cloche.

M. LESSARD: ... devrait véritablement être acceptée par les membres du parti ministériel. Merci.

DES VOIX: Vote.

M. BLANK: Adopté?

M. LEVESQUE: Sur division.

M. BLANK: Sur division.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que les membres de cette Assemblée sont prêts à se prononcer sur la motion d'amendement?

M. LEVESQUE: Adopté sur division.

LE VICE-PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Chicoutimi.

M. Marc-André Bédard

M. BEDARD (Chicoutimi): Je m'interroge, M. le Président, sur les objections que pourraient avoir le gouvernement et le ministre de la Justice au fait de pouvoir entendre des personnes ou des organismes qui pourraient être intéressés à se faire entendre non seulement au niveau de chacun des éléments qui sont contenus dans ce projet de loi, mais au niveau du principe même de ce projet de loi.

En ce sens, je crois que la demande du chef de l'Opposition à l'effet que la commission parlementaire puisse siéger et que des organismes et des individus, experts en la matière, puissent être entendus avant le vote sur le principe même de cette loi est loin d'être une proposition farfelue.

Je crois que le ministre de la Justice a très bien traduit sa pensée, lorsqu'il nous a présenté ce projet de loi comme étant une charte; le terme est employé à l'intérieur du texte même du projet de loi qui nous est présenté. En ce sens, je crois qu'il est dans l'intérêt du ministre de la Justice, puisqu'il nous le présente comme tel, de s'assurer que ce soit bien une charte des droits de l'homme. Puisqu'on lui donne toute cette ampleur, une ampleur encore beaucoup plus grande que celle d'un simple projet de loi, je ne vois pas comment le ministre de la Justice pourrait refuser cela, lui qui a dit, entre autres, lors de la présentation de son projet de loi, très clairement, que la charte — et c'est textuel — était ouverte aux développements futurs, qu'elle était susceptible de changements. A partir de cette expression de bonne volonté de la part du ministre de la Justice, s'il est conséquent avec la possibilité que cette charte soit ouverte aux développements, qu'elle soit amendable même au niveau des principes, en quoi le ministre de la Justice et le gouvernement seraient-ils réfrac-taires à l'idée d'entendre des organismes qui se prononceraient justement sur le principe même de ce projet de loi?

M. le Président, c'est quand même un projet de loi que le gouvernement nous présente comme très important. Effectivement, il l'est, je crois. C'est un projet de loi qui touche d'une manière fondamentale la vie quotidienne de tous les citoyens du Québec, la vie future de tous les citoyens du Québec. Elle traite, entre autres, des droits et libertés fondamentaux. Elle traite des droits politiques des citoyens, de leurs droits judiciaires.

Ce n'est pas seulement des questions de principe, leurs droits judiciaires ce sont des droits qui, effectivement, n'affectent pas seulement au niveau des principes mais affectent journellement la vie de centaines de milliers de Québécois. Il me semble que cette charte qui, également, traite de façon spéciale des droits économiques et des droits sociaux se veut être non seulement, comme l'a dit le ministre de la Justice, de beaux énoncés de principe, mais également entrer d'une façon pratique dans les mesures à promouvoir afin que les questions de principe énoncées ne soient pas seulement des voeux pieux mais soient accompagnées de lois et de mesures à l'intérieur des lois qui confirment que l'énoncé de principe n'est pas seulement fait pour la forme.

Dans ce sens-là, je crois...

M. CLOUTIER: Un point de règlement, M. le Président.

M. BEDARD (Chicoutimi): ... qu'il serait tout à fait...

LE PRESIDENT: Question de règlement.

M. CLOUTIER: Je me demande de quoi parle le député actuellement. J'ai l'impression

qu'il fait un discours de deuxième lecture. Je sais qu'il manque d'inspiration et qu'on l'a mobilisé à la dernière minute. Mais je vous prierais de le ramener à la pertinence.

M. BEDARD (Chicoutimi): Si le ministre m'avait écouté plutôt que de penser qu'il était nécessaire de faire une intervention et de s'inscrire au journal des Débats, il aurait au moins remarqué une chose...

M. CLOUTIER: Je...

M. BEDARD (Chicoutimi): ... c'est que je ne suis entré en aucune façon au niveau de la discussion article par article, je ne le crois pas, mais simplement au niveau des principes fondamentaux...

M. CLOUTIER: C'est justement ça.

M. BEDARD (Chicoutimi): ... et de l'énoncé qui a été fait par le ministre...

M. CLOUTIER: Ceci prouve ma thèse.

M. BEDARD (Chicoutimi): ... de la Justice.

M. CLOUTIER: C'est un aveu, M. le Président.

LE PRESIDENT: Nous sommes sur la motion d'amendement.

M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord, M. le Président. Sur la motion d'amendement à l'effet de reporter à trois mois — c'est bien ça — le vote sur la deuxième lecture, de manière à pouvoir entendre les corps intermédiaires, il faut bien que j'explique pourquoi il est important d'entendre les corps intermédiaires ou les personnes qui peuvent être intéressées à se faire entendre à une commission parlementaire sur ce sujet.

M. LEVESQUE: Essayez...

M. BEDARD (Chicoutimi): C'est dans ce sens-là que je dis, M. le Président...

M. LEVESQUE: ... d'endurer encore deux minutes.

M. BEDARD (Chicoutimi): ... que les personnes...

M. LEVESQUE: Essayez.

M. BEDARD (Chicoutimi): Pardon?

M. LEVESQUE: II ne reste que deux minutes. Essayez encore.

M. BEDARD (Chicoutimi): C'est dans ce sens-là que je dis...

M. LEVESQUE: Le député de Maisonneuve va vous arranger ça.

LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BEDARD (Chicoutimi): Ce sont les libéraux.

LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BEDARD (Chicoutimi): M. le Président, c'est dans ce sens que je dis que les personnes ou les organismes qui vont être entendus vont se prononcer, à mon sens, sur la question de principe. Et c'est dans ce sens qu'il est important que nous les entendions avant qu'un vote ait lieu sur la question de principe en deuxième lecture.

Je crois que la motion qui a été faite par le chef de l'Opposition est tout simplement dans le sens d'avantager pas seulement l'Opposition, mais tous les membres de cette Chambre qui auront l'occasion, lors de la tenue de cette commission, de se renseigner de façon efficace afin de voter correctement.

UNE VOIX: Vote.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Rouyn-Noranda.

M. Camille Samson

M. SAMSON: M. le Président, je ne sais pas dans quelle proportion cela serait bien vu des deux côtés de la Chambre, mais j'ai oui-dire que ce serait bien vu si on demandait l'ajournement du débat à cette heure-ci.

M. LEVESQUE: Non, non, pas là-dessus.

M. SAMSON: Pas là-dessus? Bien, M. le Président, cela va être mal vu !

Puisque c'est pour être mal vu, je vais profiter des quelques minutes qui restent avant l'heure fatidique pour vous dire que la motion d'amendement qui a été présentée pour reporter la deuxième lecture à trois mois peut être interprétée de différentes façons.

Quand on demande et qu'on veut permettre...

M. le Président, je les vois rire, de l'autre côté de la Chambre. Je me demandais cet après-midi, quand il parlait de sa loi no 50, si le ministre n'était pas, à un moment donné, pour en venir à nous dire que sa 50, il n'y a rien qui la batte!

M. le Président, je pense que personne ne peut refuser à qui que ce soit la possibilité de venir devant une commission parlementaire présenter ses points de vue sur ce projet de loi no 50. Or, les motifs invoqués par l'honorable chef de l'Opposition officielle sont à l'effet de permettre à tous ceux qui sont intéressés de venir devant une commission parlementaire.

Cela se retrouve, d'ailleurs, M. le Président, à l'intérieur même du projet de loi no 50, parmi les nombreux principes qu'on y retrouve, la possibilité de se présenter devant l'Assemblée nationale. Or moi, évidemment, quand j'aurai à parler sur la deuxième lecture, je ferai valoir mes points de vue là-dessus. Mais comme j'ai entendu le ministre, cet après-midi, nous parler de ce point de vue, de la possibilité pour les gens, pour les citoyens, de présenter devant l'Assemblée nationale, comme il en a parlé, il m'a convaincu de ce point de vue. C'est parce qu'il ma convaincu que je pense qu'il serait raisonnable qu'on donne la possibilité à tout le monde de venir devant l'Assemblée nationale faire valoir ses points de vue sur le projet de loi no 50, c'est-à-dire la charte des droits de l'homme.

Mais, M. le Président, je vous avoue que je ne suis pas tellement certain — j'aurais évidemment préféré que cela se fasse avant la deuxième lecture — que cela va empêcher les gens de venir après la deuxième lecture, parce qu'il s'agit d'un principe que nous avons à discuter en deuxième lecture. Le principe du projet de loi no 50, il est simple, et je pense que pour une fois les députés libéraux d'arrière-ban vont comprendre cela facilement.

M. MALOUIN: Si tu comprends, on va comprendre !

M. SAMSON: M. le Président, il est simple, le principe de ce projet de loi no 50! On dit: Oui, on en veut ou on dit: Non, on n'en veut pas. C'est aussi simple que ça. Il n'y a pas d'autre principe que cela là-dedans. On veut une charte des droits de l'homme ou on n'en veut pas.

Or, si on en veut une, évidemment, on va voter oui. Le chef de l'Opposition officielle a dit tantôt qu'il était pour voter en faveur, comme je dis que je voterai, M. le Président, en faveur du projet de loi no 50, comme je dis que tous les députés en cette Chambre doivent voter en faveur du projet de loi no 50. Puisqu'on est, de toute façon, pour voter en faveur du projet de loi no 50, qu'on invite les gens immédiatement après le vote ou avant le vote, il va rester que, dans la pratique, ils vont venir pareil.

Moi, ce que je veux, c'est être bien certain que ces gens vont venir devant la commission parlementaire. Je ne sais pas si le ministre s'est prononcé clairement là-dessus. Je ne sais pas si le ministre nous a affirmé qu'il y aurait cette possibilité. M. le Président, cela me permettrait peut-être de...

M. CHOQUETTE: Vous avez raison.

M. SAMSON: Oui, j'ai raison? Vous l'avez affirmé?

M. CHOQUETTE: Je l'affirme. M. SAMSON: Le ministre, M. le Président, nous l'affirme. Il lève la main droite par-dessus le marché, la main sur le coeur, la main en l'air, M. le Président. Si le ministre continue comme cela, il n'aura pas besoin de continuer à affirmer, je vais être convaincu. Je pense que c'est le fond de l'histoire. On permet aux gens de venir devant la commission parlementaire. Puisqu'on est pour leur permettre de venir devant la commission parlementaire, personnellement je n'ai pas d'objection à ce que la loi soit lue une deuxième fois avant la commission parlementaire. Par contre, je n'ai pas d'objection non plus, si vous décidez de la retarder, de faire venir ces gens avant la deuxième lecture. Je pense qu'objectivement c'est peut-être une lutte. Chacun veut tenir son bout. Mais, objectivement, qu'est-ce que les citoyens veulent?

UNE VOIX: La Loi.

M. SAMSON: Qu'est-ce que la Ligue des droits de l'homme, par exemple, dont M. Maurice Champagne a fait connaître le point de vue, veut? Qu'est-ce qu'on veut? On veut venir devant la commission parlementaire pour exposer en détail son point de vue.

Alors puisque, M. le Président, on permettra de toute façon à ces gens de venir devant la commission parlementaire, puisque le ministre vient de nous l'affirmer, puisqu'il va probablement nous affirmer aussi que cela va se faire immédiatement, que cela ne tramera pas trop longtemps...

M. CHOQUETTE: Est-ce que le député me pose la question?

M. SAMSON: Oui. oui, c'est une question que je pose, avec la permission...

M. CHOQUETTE: Aussitôt après la deuxième lecture, je vais proposer, avec le consentement unanime de la Chambre, que nous adoptions des règles semblables à la convocation des commissions parlementaires avant la deuxième lecture et que nous invitions les groupes et les personnes intéressés à comparaître en commission parlementaire de la justice.

Pour les dates des séances, je ne veux pas brusquer l'Opposition. J'avais pensé qu'on pourrait commencer les séances en janvier et les poursuivre peut-être en février, pour adopter le projet de loi dans sa forme définitive au printemps prochain.

Maintenant, si le député insiste, je suis bien prêt à faire en sorte que les commissions parlementaires commencent en décembre. J'ai parlé à beaucoup de groupes, entre autres à M. Louis Laberge, qui est ici à la commission parlementaire du travail...

M. BURNS: ... actuellement.

M. CHOQUETTE: ... ainsi que d'autres personnes qui m'ont dit qu'elles aimeraient bien

avoir un certain délai pour se préparer en vue de venir faire des représentations intelligentes et bien étoffées devant la commission parlementaire. Alors, je ne veux pas brusquer les séances. C'est la raison pour laquelle j'ai dit: D'accord, nous pourrions tenir ces séances en janvier et février durant l'ajournement. Est-ce que ma réponse éclaire le député de Rouyn-Noranda?

M. SAMSON: Oui, M. le Président.

M. MORIN: Est-ce que je pourrais demander au ministre, M. le Président, s'il compte donner des avis publics pour convoquer les personnes et les organismes intéressés?

M. CHOQUETTE: Je comptais faire cela, pour vous montrer jusqu'à quel point vous n'avez pas besoin de faire des motions dilatoires.

M. SAMSON: Je pense, M. le Président, que le ministre ne devrait pas avoir cette attitude-là.

UNE VOIX: Non, non même pas envers le chef de l'Opposition.

M. CHOQUETTE: Le député de Rouyn-Noranda est irréprochable.

M. SAMSON: M. le Président, des fleurs en provenance du ministre de la Justice, cela m'inquiète.

M. MERCIER: Une performance de fin de semaine.

M. SAMSON: Je pense que le ministre ne devrait pas avoir cette attitude envers le chef de l'Opposition officielle parce que les renseignements qu'on vient d'obtenir, on ne les avait pas avant que le chef de l'Opposition officielle fasse sa motion, et je pense...

M. MALOUIN: Cela a pris le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: ... c'est mon interprétation, en tout cas, que si on les avait eus avant, peut-être que la motion n'aurait pas été nécessaire.

De toute façon, avec ces indications-là, puisqu'on pourra aller devant la commission parlementaire en suivant les mêmes règles que si nous avions été avant la deuxième lecture, au point de vue pratique, cela ne change rien. Alors, dans ces circonstances, bien sûr, je voterai contre la motion.

LE PRESIDENT: L'honorable député de Maisonneuve.

M. Robert Burns M. BURNS: M. le Président, je pense qu'il est bon de rappeler un certain nombre d'étapes préliminaires à l'étude de ce projet de loi, et je ne quitterai pas le corridor normal de la motion qui est faite par le chef de l'Opposition, c'est-à-dire celle qui voudrait que le projet de loi ne soit pas lu en deuxième lecture immédiatement mais seulement dans trois mois.

Mais pour comprendre le sens qui n'est pas dilatoire au sens procédural du mot mais plutôt dilatoire au sens intelligent du mot de la motion du député de Sauvé, le chef de l'Opposition, je pense qu'il est important de rappeler certaines étapes.

D'abord, le projet de loi no 50 a été déposé en première lecture et, je l'avoue ouvertement, il y a eu des discussions d'ailleurs à ce sujet-là. Vous avez même rendu des décisions à ce sujet-là. Il n'y a pas eu de commentaires à ce stade-là des procédures. Personne ne s'est levé lors de l'adoption de la première lecture du projet de loi no 50 pour dire: II faudrait que le projet de loi soit déféré immédiatement à la commission parlementaire.

Cependant, M. le Président, je ne veux pas revenir sur une décision que vous avez déjà rendue. Ce n'est pas du tout mon intention. Je vous prie de me croire, je suis trop respectueux de vos décisions pour ça. Mais il est bon de noter, d'ailleurs cela apparaît dans votre décision, que l'article 117 nous dit qu'il n'y a pas de débat au niveau de la première lecture. Il est vrai que vous, vous nous avez dit qu'il était très facile, dans le fond, M. le Président — je fais une brève parenthèse, vous nous invitiez à passer outre au règlement, je ferme la parenthèse — il était très facile, nous disiez-vous dans votre décision, de nous lever et de poser des questions. Mais je sais que c'est habituellement quelque chose qui est acceptable. D'ailleurs, je l'admets, cela s'est déjà fait dans le passé.

Cependant, M. le Président, dans votre décision, et c'est la chose peut-être qui m'a frappé le plus et sur laquelle je suis entièrement mais entièrement d'accord, l'économie de notre règlement vise à une déférence à une commission parlementaire aux fins d'entendre des témoins après la première et non pas après la deuxième lecture.

C'est ça le plein sens de la motion faite par le chef de l'Opposition.

Pourquoi, M. le Président, après la première lecture et non pas après la deuxième? Il me semble que ça devrait apparaître, avec une limpidité extraordinaire, à tous les membres de l'Assemblée nationale. Pourquoi, M. le Président? Parce qu'une fois la deuxième lecture adoptée le principe ou, en l'occurence, les principes du projet de loi sont définitivement adoptés. Or, qu'est-ce que cela crée comme situation pour des gens qui sont invités à témoigner devant une commission parlementaire après que la deuxième lecture a été adoptée? Faisons, M. le Président, très brièvement, une simple énumération des premiers chapitres que nous rencontrons et même de certaines sections du projet de loi 50; cela peut être intéressant.

Je n'ai pas l'impression que je vais convaincre le ministre de la Justice parce qu'il ne m'écoute pas du tout. Mais je vois que le ministre de l'Education écoute...

M. CLOUTIER: Je ne suis pas d'accord.

M. BURNS: ... et, déjà, c'est bon signe. Même si vous dites que vous n'êtes pas d'accord, s'il y a au moins un ministre qui m'écoute, je me dis qu'il y a peut-être des chances que je le convainque. Mais, M. le Président, remarquez que je suis tenace et, dans ce sens, je me dis: Même devant une bataille perdue d'avance, je vais tenter de le convaincre.

M. CLOUTIER: Moi, je suis coriace.

M. BURNS: Oui, bon! M. le Président, si on regarde, par exemple, la structure du projet de loi, il y a quand même plus qu'un principe dans ce projet de loi. Qu'on le veuille ou non, chacune des libertés fondamentales, chacun des droits, chacune des libertés civiles, à toutes fins pratiques, constituent un principe. On n'est pas dans un projet de loi, M. le Président...

M. LEVESQUE: M. le Président, est-ce que le député de Maisonneuve me permettrait une question?

M. BURNS: Certainement.

M. LEVESQUE: Peut-il m'expliquer pourquoi le chef parlementaire de l'Opposition officielle a déclaré — je l'ai bien entendu — Je suis et nous sommes en faveur du principe du projet de loi. De quel?

M. BURNS: Oui, bon! Un instant! M. MORIN: Avec des réserves.

M. BURNS: Oui, avec des réserves. Lorsque le chef parlementaire a parlé du principe, il y a un premier principe. D'ailleurs, on va faire ça ouvertement. C'est ce que vous voulez. Vous pensez qu'on a des problèmes? On n'en a pas de problèmes, le chef de l'Opposition.

DES VOIX: Ah! Ah!

M. CLOUTIER: On verra ça en fin de semaine.

M. BURNS: Bon! Il y a un principe tout à fait, à mon avis, légaliste — c'est plutôt à vous, M. le Président, que je devrais m'adresser lorsque je dis cela — à savoir: Doit-on ou ne doit-on pas adopter une loi qui régit les droits et les libertés de la personne? C'est sûr que c'est un principe. Si on veut prendre un principe, c'est le principe de la loi. Bon, d'accord.

M. CHOQUETTE: C'est ça, vous avez découvert ça.

M. BURNS: Non, non. C'est sans doute comme ça qu'on veut essayer de nous mettre en opposition, mais je suis convaincu — le chef de l'Opposition vous l'a dit — cependant, qu'à l'intérieur de ce grand principe on retrouve de multiples principes. Bien oui, mais c'est ça le problème, M. le Président; il faut exactement faire la distinction. Même si, l'autre jour, je lui ai dit de méchantes choses, d'habitude, on ne se parle pas comme ça, je dis avec tout le respect que j'ai pour le ministre de la Justice...

M. LEVESQUE: Vous ne pourrez pas dire grand bêtise, il reste juste deux minutes.

M. BURNS: Non, non, II reste beaucoup plus que ça. Oui? Bon, en tout cas, vous allez me permettre de dire ceci: M. le Président, dans un projet de loi normal, c'est sûr qu'habituellement il y a un principe qu'on peut circonscrire facilement. Celui-ci a un principe, un grand principe, mais on a aussi à l'intérieur une série de principes. Je vous place, M. le Président, devant la position suivante qui risque — je vous le dis d'avance — de se présenter à la commission si on n'accepte pas la motion du chef de l'Opposition. Si on dit tout simplement: Non, on va les entendre après la deuxième lecture, voici la situation qui pourrait nous arriver. Quelqu'un qui va demander à être entendu peut facilement arriver et prendre n'importe quel des principes énoncés dans le projet de loi.

Il peut nous dire: Je ne suis pas d'accord sur cela, et peut-être nous convaincre qu'il a raison. Ou encore, ce qui pourrait se présenter plus facilement, nous dire: II y a tel principe qui n'est pas dans le projet de loi, s'il vous plaît, vous devriez l'inclure, voici les raisons, et nous convaincre de l'inclure.

Il est possible à ce moment que des membres de l'Assemblée nationale qui ont voté pour le projet en deuxième lecture disent: Bien, j'ai voté pour le projet en deuxième lecture, mais je ne voulais pas que ce principe paraisse dans ce projet de loi. Vous savez, quand on parle de choses comme la discrimination raciale, avec toutes et chacune de ses sous-ramifications, on est en train d'examiner des principes du projet de loi. Et je vous dis, M. le Président, je le dis en toute sincérité, que nous faisons erreur si nous adoptons la deuxième lecture avant d'entendre... On ne vous demande pas... Le ministre de l'Education, ne faites pas...

M. CLOUTIER: C'est évident. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BURNS: Je demande au ministre de l'Education de ne pas faire de simplicité comme celle-là. Il n'est pas question de voter contre. On essaie de vous convaincre non pas pour des buts politiques, mais pour des buts pratiques, pour faciliter le travail de la commission, pour faciliter, si vous êtes sincères... Ecoutez-moi donc deux secondes.

M. LEVESQUE: Non, non, je déchire.

M. BURNS: ... écoutez-moi donc. La raison de la motion est simplement et uniquement pour faciliter le travail de la commission afin que l'on ne s'enfarge pas — c'est un beau canadianisme qui devrait d'ailleurs être dans le Larousse — dans des questions de procédure, dans les fleurs du tapis. C'est ce qui va nous arriver si on n'admet pas actuellement que certains principes de ce projet de loi risquent d'être contestés par des gens qui témoigneront devant la commission et, à ce moment, le président de la commission, s'il suit à la lettre le règlement, n'aura d'autre solution que de dire: Je m'excuse, mais vous ne pouvez pas faire cela, l'Assemblée nationale a déjà adopté ce principe.

LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. BURNS: M. le Président, ce sont les quelques mots que j'avais à dire, je m'excuse d'avoir un peu abusé du temps de la Chambre.

DES VOIX: Vote!

LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur...

M. BURNS: M. le Président, nous demandons un vote enregistré, je m'aperçois que l'on est cinq.

LE PRESIDENT: Un instant! Qu'on appelle les députés !

Vote sur la motion

LE PRESIDENT: Que ceux qui sont en faveur de la motion d'amendement de l'honorable chef de l'Opposition officielle, à l'effet de remettre à trois mois la deuxième lecture du projet de loi no 50, veuillent bien se lever, s'il vous plaît.

LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Morin, Burns, Charron, Lessard, Bédard (Chicoutimi).

LE PRESIDENT: Que ceux qui sont contre cette motion veuillent bien se lever, s'il vous plaît.

LE SECRETAIRE ADJOINT: MM. Bourassa, Levesque, Choquette, Garneau, Cloutier, Cournoyer, Mme Bacon, MM. Bienvenue, Massé, Harvey (Jonquière), Houde (Abitibi-Est), Giasson, Perreault, Brown, Fortier, Kennedy, Blank, Bédard (Montmorency), Veilleux, Brisson, Houde (Limoilou), Lafrance, Pilote, La-montagne, Gratton, Dionne, Faucher, Saint-Germain, Harvey (Charlesbourg), Pelletier, Shanks, Beauregard, Bellemare (Rosemont), Bonnier, Boutin, Chagnon, Caron, Côté, Denis, Déziel, Dufour, Harvey (Dubuc), Lachance,

Lecours, Malépart, Malouin, Massicotte, Mercier, Pagé, Parent (Prévost), Tardif, Tremblay, Verreault, Samson, Bellemare (Johnson).

LE SECRETAIRE: Pour: 5 Contre; 55

LE PRESIDENT: La motion est rejetée. M. CLOUTIER: M. le Président...

LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je demande l'ajournement du débat.

M. BURNS: On est d'accord, M. le Président.

LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée?

DES VOIX: Adopté.

LE PRESIDENT: Adopté.

M. LEVESQUE: M. le Président, avant les minidébats, je propose l'ajournement de la Chambre à demain, quinze heures.

LE PRESIDENT: Cette motion est-elle adoptée?

Mais l'effet en sera suspendu pendant vingt minutes.

Adopté.

L'honorable député de Saint-Jacques.

Minidébat

CEGEP de Valleyfield M. Claude Charron

M. CHARRON: M. le Président, je vous ai demandé la permission de tenir ce minidébat sur la situation au collège de Valleyfield, parce qu'à ma troisième question, en particulier, lors de la période régulière des questions, cet après-midi, j'ai trouvé insatisfaisante la réponse du ministre de l'Education.

M. le Président, j'avais posé une question très précise, j'avais demandé au ministre de l'Education quelle était la politique de son ministère sur les points en litige entre les étudiants et l'administration du collège de Valleyfield.

Le ministre m'a répondu en se référant à cette commission d'enquête que s'est trouvé à constituer le Conseil supérieur de l'Education sur l'ensemble de l'enseignement collégial québécois, mais ne m'a pas répondu à ces questions très précises.

M. le Président, il me semble, de la part du ministre de l'Education, qu'il est impérieux, non seulement dans le cas du CEGEP de

Valleyfield, où la situation s'est étendue en crise, mais aussi pour l'ensemble du niveau collégial, avant même que nous n'ayons les recommandations du Conseil supérieur que nous devrons encore attendre pendant une autre année, et avant même leur mise en application, ce qui augmente le délai, de connaf-tre la politique du ministère de l'Education sur ces deux questions.

Il me semble impérieux, M. le Président, que le ministre de l'Education affirme que c'est l'intention, le souhait du ministère de l'Education de voir, par exemple, une des demandes des étudiants du collège de Valleyfield, non seulement étendues, implantées au collège de Valleyfield, mais implantées dans les autres collèges d'enseignement général et professionnel où cela ne se fait pas, je veux dire la participation des étudiants aux commissions pédagogiques des collèges d'enseignement général et professionnel. Ce ne serait pas un précédent, M. le Président, puisque, pour n'en nommer qu'un, le collège Lionel-Groulx, de Sainte-Thérèse, a déjà, dans ses structures, une commission pédagogique où enseignants, étudiants et administrateurs se retrouvent pour remplir les tâches qui incombent à une commission pédagogique, dans un collège d'enseignement général et professionnel.

Ce que demandent les étudiants de Valleyfield, c'est l'implantation d'un même système chez eux, avec l'appui de leurs professeurs, d'ailleurs. H me semble normal, sans interférer dans les affaires d'une instance locale et dans les affaires internes du collège de Valleyfield, que le ministre de l'Education dise qu'il est favorable à ce genre d'ouverture et souhaiterait que, si telle est la décision du conseil d'administration du collège de Valleyfield, une pareille ouverture soit admise en 1974, au moment où le réseau d'enseignement collégial n'en est plus à ses premières heures, mais véritablement installé.

Il me semble impérieux également que le ministre de l'Education affirme qu'il trouve justifiée la demande des étudiants du collège de Valleyfield, qui pourrait être, demain, reprise par n'importe quel groupe d'étudiants de n'importe quel CEGEP, à l'effet que les services aux étudiants dans une maison d'éducation collégiale soient aux mains des étudiants et ne soient plus, comme c'est malheureusement le cas dans plusieurs institutions, l'espèce d'outil dont les administrations se servent pour paralyser le développement des mouvements d'étudiants ou, du moins, les conduire dans une direction qui n'est pas celle que les étudiants eux-mêmes veulent se donner.

Il me semble également qu'à l'égard de ces citoyens de 17, 18 ou 19 ans, qui sont à l'âge normal —on n'est plus à l'époque de la noirceur — d'au moins prendre en main ce qui les concerne directement, c'est-à-dire les affaires étudiantes dans les institutions, le ministre de l'Education du Québec affirme à nouveau que ce qui a été essayé dans certains CEGEP par exemple, le collège Edouard-Montpetit dans la banlieue de Montréal, soit un exemple repris et répandu dans d'autres CEGEP. Cela n'entame pas la réforme générale que nous aurons à faire un jour ou l'autre dans l'ensemble du système collégial. Là-dessus, les avis du conseil supérieur nous seront un bon guide, comme ils nous l'ont été dans bien d'autres sujets. Mais qu'immédiatement, avant que d'autres conflits surgissent alentour de choses qui, selon nous, doivent être accordées aux étudiants, le ministre de l'Education dise qu'il admet la participation des étudiants à des commissions pédagogiques — ce n'est peut-être pas la fin des maux, mais c'est, à mon avis, une étape essentielle à franchir maintenant avant que le tout ne dégénère en conflit qu'on se trouverait à avoir causé — et que la remise aux étudiants des affaires étudiantes lui paraît également une chose parfaitement acceptable en 1974, alors que le mouvement collégial a pris sa maturité et est capable de produire de lui-même maintenant.

Les étudiants du collège de Valleyfield, peut-être sans le savoir, mènent actuellement une bataille au nom de tous les étudiants du Québec et ils ne se battent pas contre des moulins à vent, permettez-moi de vous le signaler en terminant.

Pensez seulement que dans ce CEGEP, il est interdit aux étudiants, par exemple, d'afficher les activités culturelles qu'eux-mêmes ont organisées, vieux règlement datant des collèges classiques et qui, malgré l'implantation d'un régime public depuis une dizaine d'années, continue à végéter.

C'est pour cela, M. le Président, que je vous ai demandé ce débat, parce qu'il me semblerait impérieux ce soir que le ministre de l'Education prenne position sur ces sujets.

LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Education.

M. François Cloutier

M. CLOUTIER: M. le Président, tout d'abord, je désire féliciter le député de Saint-Jacques. Il m'a posé ce matin une question sur un ton parfaitement parlementaire, parfaitement poli, ce qui n'est pas toujours son cas. Comme il n'était pas satisfait de ma réponse — et je le conçois très bien, il est dans l'Opposition — il a choisi d'utiliser le règlement et de demander ce minidébat. Je l'ai écouté avec attention et je vais tenter de lui répondre.

Il y a deux aspects qu'il a soulevés au cours de son intervention. Le premier aspect concerne la crise ou, plus exactement, le conflit qui a lieu actuellement au CEGEP de Valleyfield et le deuxième aspect concerne un certain nombre de modifications qui ne sont pas, comme il semble le croire, des modifications mineures mais des modifications qui remettent un peu en cause une certaine orientation au niveau collégial.

En ce qui concerne le premier aspect, j'ai

reçu cet après-midi, c'est-à-dire après ma réponse lors de la séance, le télégramme du syndicat des professeurs, qui me demande de nommer un enquêteur. C'est une demande que je vais considérer très sérieusement, parce que d'autres renseignements m'ont également été apportés. J'ai raison de croire que malgré une souplesse considérable qui a été manifestée par le conseil d'administration, le conflit s'est envenimé.

Il ne faut pas oublier que dans certains collèges — et je ne veux pas nécessairement parler du collège de Valleyfield — il y a des étudiants qui, pour des raisons plus ou moins valables et qui ne sont pas toujours celles de l'intérêt des étudiants eux-mêmes et de l'intérêt du système d'éducation, sèment un certain malaise ou déterminent un certain malaise. Je ne veux pas reprendre les vieilles expressions d'agitateurs professionnels mais j'entends bien, par exemple, aller au fond des choses. Soyez convaincu que toute demande légitime qui est faite dans le bien commun sera retenue.

D'autre part, si l'on se trouve en présence d'affrontements et d'affrontements qui sont télécommandés, à ce moment-là je saurai prendre mes responsabilités.

C'est la raison pour laquelle je n'élimine pas d'emblée la nomination d'un enquêteur spécial, bien que, je l'ai indiqué, c'est toujours pour moi un dernier recours. Je tiens à respecter le système décentralisé qui est le nôtre et à permettre aux milieux de régler leurs propres problèmes dans la mesure du possible. Je ne suis pas sûr que le moment ne soit pas venu de le dire et je déterminerai d'ici deux ou trois jours la décision qui devra être prise.

En ce qui concerne le deuxième aspect, ce n'est pas dans un an que je recevrai le rapport du Conseil supérieur de l'éducation, c'est dans quinze jours à trois semaines. Le rapport préliminaire doit m'être remis, il a déjà été présenté au conseil en tant qu'entité par la commission présidée par M. Nadeau et, d'ici certainement la fin de novembre ou le début de décembre, j'aurai un tableau d'ensemble. C'est dans ce cadre-là que j'ai l'intention d'étudier ces possibilités. Il ne faut pas non plus pécher par naiveté. Autant je souhaite une participation valable à l'intérieur de notre système d'éducation, autant il ne faut pas que cette participation soit simplement l'opposition de deux pouvoirs, un pouvoir légitime ou un pouvoir étudiant, qui ne voudraient peut-être pas s'exercer en tenant compte du fait qu'il y a des fonds publics dont nous sommes comptables devant la population et qu'il faut dépenser à bon escient et également en tenant compte du fait qu'il faut qu'une certaine autorité puisse s'exercer.

Je ne crois pas, M. le Président, être réactionnaire en employant le mot autorité. Je considère que la majorité des étudiants du Québec, comme la majorité des professeurs du Québec veulent véritablement profiter de l'occasion qui leur est donnée d'étudier et d'enseigner.

Mais, en revanche, je ne voudrais pas que l'on se serve de certains prétextes pour mousser des situations locales. Je ne dis pas que c'est nécessairement le cas à Valleyfield mais je prendrai toutes les dispositions qui s'imposeront. Et en ce qui concerne ces modifications, elles seront revues mais dans le cadre de la révision d'ensemble qui débutera d'ici quelques semaines à peine.

Crise agricole

LE PRESIDENT: L'honorable député de Saguenay.

M. Lucien Lessard

M. LESSARD: M. le Président, ce matin ie soulevais une question qui me paraît fort importante dans les circonstances actuelles au ministre de l'Agriculture, à savoir si le ministre a l'intention d'instituer une enquête pour étudier tout le problème des intermédiaires qui semblent actuellement s'enrichir à même les contribuables et les producteurs québécois.

Le ministre, M. le Président, fidèle à lui-même, nous a répondu ceci: M. le Président, je n'ai pas parlé d'enquête, j'ai déjà soutenu ceci et je le soutiens encore.

Il me parait évident que, dans le domaine des intermédiaires, c'est-à-dire de la mise en marché des produits de l'alimentation, s'il y a un travail d'enquête qui doit être mené, on doit le mener à l'échelle nationale parce qu'il n'est pas possible de trouver, je crois, dans le cadre d'une province, les principaux problèmes qui pourraient se dégager des relations entre les intermédiaires et les consommateurs et entre les producteurs et les intermédiaires.

M. le Président, encore une fois, nous considérons qu'il s'agit là d'une aliénation des pouvoirs du gouvernement du Québec. En effet, nous avons, sur le territoire québécois, non pas en Colombie-Britannique ou en Alberta ou au Manitoba, nous avons sur le territoire québécois un problème qui touche l'ensemble des Québécois. En effet, je voudrais vous illustrer ce problème par quelques faits. Ce que les producteurs n'admettent pas et ce qui est d'ailleurs inadmissible, c'est le fait, par exemple, que le veau se vend actuellement au détail $1.59 la livre, s'il est acheté en quartier, et au moins $2 la livre s'il est acheté en steak. La population montréalaise paie dans les supermarchés une moyenne de $2.69 la livre pour du veau payé $0.20 au cultivateur producteur.

Je pourrais vous citer toute une série de chiffres qui démontrent qu'actuellement à la fois le producteur, dans le secteur agricole, et le consommateur se fait littéralement voler. M. le Président, nous demandons au ministre de l'Agriculture, nous demandons à ce gouvernement d'instituer une enquête qui doit se faire sur le territoire québécois. En effet, on sait, et

les agriculteurs nous l'ont prouvé depuis quelques jours, qu'il y a à peu près, sur $1 qui se dépense dans le domaine de la viande actuellement par le consommateur québécois, $0.35 qui vont au producteur et $0.65 aux intermédiaires, c'est-à-dire à toute cette série de transformateurs et de distributeurs que constituent les intermédiaires.

Le gouvernement québécois a certainement les pouvoirs nécessaires pour instaurer cette enquête et le faire dans le plus bref délai possible. On nous parle toujours de lutte à l'inflation. Or, l'une des solutions fondamentales à cette lutte à l'inflation, c'est justement de contrôler les intermédiaires. C'est d'autant plus important, cette demande, qu'il y a quelques jours, M. Guy Gauvin, dans la Tribune de Sherbrooke, le 31 octobre, M. Gauvin qui est président du Syndicat des producteurs de boeuf de l'Estrie, directeur national des Producteurs de boeuf du Canada, etc. affirmait que la pègre, actuellement, contrôle une bonne partie de la viande au Québec. En effet, poursuivant son analyse, M. Gauvin a dit qu'il fallait maintenant, compte tenu de la situation actuelle, que le grand public apprenne certaines choses qui lui étaient cachées jusqu'à maintenant, que les gens en place toléraient.

Une de ces choses est l'emprise exercée par la pègre montréalaise sur la manipulation, à quelque degré que ce soit, de toute la viande qui passe par la métropole.

Ainsi, selon M. Gauvin, la pègre toucherait $0.10 sur chaque livre de viande fraîche et $0.05 sur chaque livre de viande congelée qui passe par Montréal, réalisant ainsi des bénéfices extraordinaires, compte tenu des millions de livres de viande passant dans la métropole chaque année.

La question que je pose maintenant au ministre de l'Agriculture est celle-ci: Est-ce qu'en nous refusant cette enquête il aurait peur de toucher à des gens qui s'appellent William O'Bront ou Saputo et qui contrôlent le commerce de la viande dans la région de Montréal?

LE PRESIDENT: L'honorable ministre de l'Agriculture.

M. Normand Toupin

M. TOUPIN: M. le Président, j'ai apprécié le début du discours du député de Saguenay, mais je n'ai pas trouvé très logique et très rationnelle la dernière partie de son discours, tout au moins les deux ou trois dernières phrases. Je crois qu'en arriver à de telles conclusions, c'est vouloir mettre dans des problèmes des éléments qui, s'ils existent, ne peuvent pas constituer, tout au moins dans les mains du député de Saguenay, des preuves suffisantes pour le crier publiquement.

M. LESSARD: On verra après enquête.

M. TOUPIN: Je pense que c'est dangereux d'affirmer des choses aussi faciles dans ce domaine que vous venez de le faire ce soir.

Le problème de la distribution, de la transformation, de l'entreposage et du transport des denrées alimentaires est très complexe, beaucoup plus que l'on n'est porté à le laisser entendre. Je ne pense pas, pour autant, qu'il faille ignorer le problème. Nous sommes conscients que, depuis déjà quelques décennies, la part que paie le consommateur par rapport à la part que reçoit le producteur s'amenuise de plus en plus, c'est-à-dire que, pour chaque dollar que le consommateur dépense pour s'alimenter, il en reste moins au producteur en 1974 qu'il n'en restait en 1968 ou en 1969. En termes de revenu pour l'agriculteur, cela s'est corrigé par la productivité. Ce que deux ou trois agriculteurs produisaient en 1949, un seul le produisait en 1970, selon les dernières statistiques, et probablement qu'en 1974 moins d'un homme produit ce que trois produisaient en 1949.

Donc, ça été, au niveau de l'agriculture, corrigé par la productivité.

Le problème a une envergure non seulement nationale mais internationale. Je ne pense pas qu'il soit, de la part du gouvernement du Québec, utile que nous mettions en place une telle enquête. Il existe, au niveau du gouvernement du Canada, et nous vivons encore dans ce pays-là... Si jamais nous en sortons un jour ou l'autre, ceux qui seront là prendront alors les décisions qu'il sera bon de prendre, mais pour le moment nous sommes dedans et parce que nous sommes dedans, nous devons vivre avec. Etant donné qu'il s'agit d'un problème où les relations commerciales entre provinces sont libres, où les sièges sociaux des compagnies qui vendent au Québec, tout comme ceux des compagnies du Québec qui vendent dans d'autres provinces, ne sont pas nécessairement situés dans la province où ces compagnies vendent leurs produits, il paraît évident qu'une telle enquête doit prendre une envergure nationale. C'est logique en soi, c'est évident en soi. Tenter de le nier, c'est nier purement et simplement non pas une réalité politique, mais c'est nier une réalité économique, c'est nier une réalité de relations commerciales, de libre mouvement, de circulation normale et libre des produits à travers les dix provinces du Canada.

C'est ce que ça veut dire si nous pensons que dans une province comme la nôtre il est possible, au niveau d'une enquête, de régler le problème soulevé. Le ministre des Institutions financières, cet après-midi, disait qu'il a communiqué avec le gouvernement fédéral, avec le responsable des consommateurs, pour trouver une solution à ce problème. Personnellement, je ne suis pas contre le fait que nous regardions le problème. J'applaudirais à deux mains si le gouvernement fédéral, demain matin, décidait de donner plus de pouvoirs à la commission Plumptre. J'applaudirais à deux mains si le gouvernement fédéral décidait de regarder, au

niveau d'une enquête, comment se comporte l'économie des denrées alimentaires au Québec, de l'alimentation au Canada. Je serais entièrement d'accord.

Mais, je suis convaincu qu'à ce moment on serait capable de mettre le doigt sur un certain nombre de problèmes, s'il en existe des problèmes comme ceux-là. Probablement qu'il doit en exister. Le ministre de l'Agriculture du gouvernement fédéral a déjà dit, a déjà affirmé, il n'y a pas bien bien des mois, qu'il y avait des abus de la part de certains acheteurs ou de certains intermédiaires dans le domaine des denrées alimentaires.

Donc, M. le Président, je ne crois pas que ce soit utile, tout au moins pour le moment, que le gouvernement du Québec instaure une telle enquête. Mais je pense qu'il serait normal — et ce n'est pas mettre la responsabilité sur le dos d'un autre — que le gouvernement fédéral, avec les équipements qu'il a actuellement ou avec de nouveaux équipements, fasse ce travail, qui lui revient de droit.

LE PRESIDENT: L'Assemblée ajourne ses travaux à demain, quinze heures.

(Fin de la séance à 22 h 47)

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