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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le jeudi 6 mars 1980 - Vol. 21 N° 90

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quatorze heures huit minutes)

Le Président: A l'ordre, mesdames et messieurs!

Un moment de recueillement. Veuillez vous asseoir.

Affaires courantes. Déclarations ministérielles. Dépôt de documents.

DÉPÔT DE DOCUMENTS

Avis de la Commission de la fonction publique au Conseil du trésor

Conformément au paragraphe b) de l'article 30 de la Loi sur la fonction publique, je dépose les avis de la Commission de la fonction publique au Conseil du trésor, concernant les règlements suivants qui sont énumérés ici à la liste que je dépose.

M. le leader parlementaire du gouvernement.

Rapport de l'Office franco-québécois pour la jeunesse

M. Charron: M. le Président, à titre de coprésident de l'Office franco-québécois pour la jeunesse, je voudrais déposer le rapport annuel de cet organisme pour 1978.

Le Président: Document déposé. Merci. Mme la ministre d'Etat à la Condition féminine.

Bilan gouvernemental en matière de condition féminine

Mme Payette: M. le Président, je voudrais déposer un bilan des actions gouvernementales en matière de condition féminine pour 1979-1980.

Le Président: Merci. Document déposé.

Dépôt de rapports de commissions élues. Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.

Présentation de projets de loi au nom des députés. Questions orales des députés.

M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, est-ce que je puis demander au leader parlementaire du gouvernement s'il attend les ministres pour lesquels nous avons quelques questions, entre autres le ministre de la Justice et le ministre des Affaires sociales?

M. Charron: Oui, M. le Président, je pense que nous sommes affectés d'une manière moindre que l'Opposition, mais nous sommes quand même affectés par un absentéisme passager; tous mes collègues devraient être ici cet après-midi.

M. Levesque (Bonaventure): Nous allons peut-être procéder d'une façon inverse.

Le Président: M. le député de Mont-Royal.

QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS

Application de la Convention de la Baie James

M. Ciaccia: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre. Après des années de soupçons et même de confrontations entre le gouvernement du Québec et les autochtones, nous avons pu réussir, finalement, à établir de nouvelles relations harmonieuses par la conclusion de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Ces relations semblent s'être détériorées à un tel point que les Cris ont pris des procédures devant les tribunaux contre le gouvernement.

Le 4 mars, les autochtones ont envoyé un long télégramme au premier ministre alléguant que le gouvernement du Québec ne respecte pas plusieurs dispositions de la convention, entre autres, la question de l'électrification des communautés, la construction de routes d'accès, les programmes de développement économique. Si ces plaintes sont fondées, M. le Président, la situation est très grave. Même si, par hypothèse, elles ne l'étaient pas, le fait qu'il y ait une telle détérioration dans les relations entre le Québec et les autochtones exige un redressement immédiat.

Ma première question au premier ministre est celle-ci: Qu'est-ce que le premier ministre entend faire pour correspondre aux obligations du Québec dans ces domaines et restaurer le climat de confiance avec les autochtones?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, en effet, M. Billy Diamond, le grand chef des Cris, et M. Watt, président de l'association qui représente officiellement la majorité des Inuit, ont envoyé un long télégramme quelque peu surprenant. On va essayer d'examiner cela. J'ai seulement eu le temps de le parcourir convenablement et d'avoir quelques premiers éléments de mise au point, par exemple — je prends seulement un ou deux points — l'électrification. C'est vrai qu'il y a un certain retard. Seulement, c'est vrai aussi que ce retard est dû à des années et des années, enfin, à des générations d'administration fédérale — ce n'est pas dans le débat référendaire, mais c'est un fait — et qu'une entente — si j'ai bonne mémoire —

signée autour de 1974 ou 1975 prévoyait — je pense que le député de Mont-Royal doit s'en souvenir, il était là à l'époque — qu'Hydro-Québec se substituerait et ferait le travail qui n'a pas été fait pendant des générations de moderniser et de garder à jour l'approvisionnement électrique, et impliquait aussi qu'Hydro-Québec ait une certaine compensation pour assumer des charges qui lui seront passées éventuellement par l'Etat fédéral. On espère finalement en arriver — je peux le dire en ce moment, seulement, il y a eu les changements de gouvernement qu'on connaît — à définir une entente de compensation un peu convenable, peut-être au cours des prochains jours — peut-être que cela va aider d'ailleurs — de façon qu'on puisse mettre Hydro en chantier et moderniser cet approvisionnement qui est évidemment déficient.

D'autre part, je soulignerais — je pense que tout le monde peut en être conscient et, au besoin, cela pourrait même être plus qu'éloquent, presque dramatique — qu'on a à peu près doublé, en dehors des chiffres prévus par l'entente, les budgets qui étaient consacrés au Grand-Nord québécois par l'administration fédérale depuis deux ou trois ans et c'est déjà énorme comme progression.

Maintenant, je lui ai dit que c'est surprenant comme télégramme. J'ai besoin d'étudier un peu les implications et de voir si, bientôt, le temps permettra la rencontre avec les deux messieurs, Watt et Diamond, qu'il propose. C'est surprenant pour la raison suivante. Pas plus loin que le 28 novembre, à la fin de l'année dernière, je lisais ceci qui venait directement de la source, c'est-à-dire des Cris, en particulier de M. Diamond: Le président du Grand conseil — c'était le 28 novembre — des Cris, le même M. Billy Diamond, a affirmé au Soleil hier que les 10 000 membres de cette nation indienne qui habitent le Nord-Ouest québécois sont très heureux de leur sort présent. La signature de l'entente — c'était sa déclaration de la fin de novembre — en 1975 a valu aux Cris un montant total de $150 millions en échange de l'abandon de droits de propriété sur le territoire couvert par le projet hydroélectrique de la Baie James. Joint par téléphone à ses bureaux de Val-d'Or, M. Diamond a dit — toujours le 28 novembre, enfin le 27 — que les clauses de l'entente s'appliquaient normalement à sa pleine satisfaction.

C'était aussi clair et aussi catégorique que cela. Alors, si on se demande ce qui s'est passé depuis le 28 novembre, la seule chose qui est, pour l'instant, sub judice, comme on le sait, c'est qu'il n'y a pas eu accord entre le gouvernement et la société qui représente les Cris en ce qui concerne une forme de desserte aérienne du Grand-Nord qui aurait passé le contrôle de cette desserte aérienne essentiellement à une compagnie de l'Ontario, Austin Airways. Là-dessus, c'est évident, il n'y a pas eu d'accord et, de fil en aiguille, tout cela a amené à une dénonciation virulente de M. Diamond et forcément — je pense que tout le monde le sait, en tout cas, sûrement, le député de Mont-Royal — à une action qui a été inscrite devant un tribunal. Donc, ce sera au tribunal de décider du bien-fondé de leur position.

Mais c'est le seul événement qu'on puisse voir et qui explique peut-être beaucoup de mauvaise humeur temporaire, mais qui est la seule façon dont je puisse expliquer, pour le moment — tant qu'il n'y aura pas eu de rencontre — la contradiction entre le 28 novembre, où cela s'appliquait à leur pleine satisfaction, et aujourd'hui, où on trouve en trois ou quatre pages de télégramme le moyen quasiment de dire que rien ne va plus.

Le Président: M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je crois que cela n'explique pas la situation et ne donne pas les éclaircissements voulus quand on dit seulement que les budgets ont été doublés dans le Grand-Nord, parce que cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils ont été doublés pour les autochtones. Quand vous dites que les Cris ont des griefs quant à la question du transport aérien, cela n'explique pas non plus les télégrammes qui vous ont été envoyés par les Inuit, qui n'ont rien à voir avec cette compagnie de transport, mais qui se plaignent aussi d'autres aspects de l'entente que le gouvernement ne respecte pas.

Je voudrais demander au premier ministre, M. le Président, pourquoi son gouvernement n'a pas appuyé les Cris dans leur effort de fournir un service aérien aux communautés cries et d'acheter avec d'autres Québécois 70% de Québec Aviation Ltée. Ce n'était pas une question de donner le contrôle à une compagnie ontarienne. Le service se faisait au Québec et en Ontario. C'était 70% qui devaient être retenus par des résidents du Québec. Pouvez-vous expliquer pourquoi, dans votre arrêté en conseil du 28 novembre 1979 qui a empêché les Cris de faire cet achat, vous parlez de l'acquisition par des Québécois avec la participation éventuelle des Cris, traitant encore une fois — je m'y oppose — un autre groupe de notre société comme n'étant pas québécois? Vous faites la distinction entre les Québécois et d'autres groupes comme les Cris.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je vais laisser de côté la sournoiserie habituelle du député de Mont-Royal qui essaie toujours de trouver des moyens de donner des leçons de démocratie aux autres, ce qui ne correspond pas tout à fait à sa façon de déformer les choses régulièrement. Quel que soit le libellé de l'arrêté en conseil, ce qu'il signifiait, c'était qu'une entreprise basée au Québec, ancrée au Québec — dans ce sens, c'est le mot québécois — devrait être la tête de pont de la desserte du Nord québécois. Ce Nord québécois, il est au Québec et on ne voit pas de raison qu'au point de vue aérien comme à d'autres points de vue il soit peu à peu grugé et annexé par d'autres, dans ce domaine comme dans les autres.

Pour ce qui est des tenants et des aboutissants, autant qu'on peut les donner en respectant le sub judice — c'est devant le tribunal — je vais passer la parole dans un instant, en ce qui

concerne cette question spécifique, si le député de Mont-Royal le veut bien, à mon collègue, le ministre des Transports de qui relève ce domaine dans son ensemble. Mais je soulignerais de nouveau que la deuxième question du député de Mont-Royal, à travers tout son développement, confirme ce que j'ai dit: Entre le mois de novembre où tout le monde se disait, à commencer par M. Diamond, pleinement satisfait — et, avec les efforts qu'on a faits, je crois qu'il était justifié de le dire — et maintenant, la seule chose qu'on puisse voir qui se soit passée et qui puisse être sous-jacente à ce télégramme diversifié, c'est ce cas spécifique de la desserte aérienne. (14 h 20)

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: M. le Président, juste pour reprendre aussi la remarque du député de Mont-Royal sur le libellé de l'arrêté en conseil, je lui ferai remarquer, s'il ne l'a pas remarqué lui-même, que dans un attendu précédent on parle des Cris et d'autres Québécois; ce qui démontre bien qu'on considère les Cris comme des Québécois.

Maintenant, pour en revenir au fond de la question, le député de Mont-Royal sait très bien que, depuis plusieurs mois, mon prédécesseur au ministère des Transports avait commencé une opération avec plusieurs entreprises québécoises régionales de transport aérien dans l'Abitibi-Té-miscamingue, une opération qui visait à unifier entre elles ces entreprises de façon à asseoir dans le Nord-Ouest une présence d'une compagnie aérienne privée forte. C'est-à-dire une entreprise avec un capital important et aussi des moyens techniques importants plutôt qu'une multitude de petites entreprises se faisant concurrence et n'étant pas en mesure, d'abord, d'assurer leur propre survie et, ensuite, un service compétent, un service correct, pour, d'abord, bien sûr, les communautés de la Baie James, de l'Ungava, du Nouveau-Québec, mais aussi pour les communautés de l'Abitibi-Témiscamingue, en particulier les régions de Rouyn-Noranda et de Val-d'Or.

Ce regroupement d'entreprises devait s'effectuer avec la participation très large des Cris. Or, qu'est-ce qu'on retrouve? Au moment où le gouvernement québécois, avec ses entrepreneurs privés, les corps intermédiaires de la région, effectue ce regroupement, cette rationalisation, le gouvernement fédéral, 40 heures avant le vote aux dernières élections fédérales, par son ministre des Transports du temps, M. Mazankowski, décide unilatéralement, au-dessus de la Commission canadienne des transports dont il renverse une décision, d'enlever les permis à une compagnie québécoise, Québec Aviation — ou Air Brazeau, si vous voulez — et de les donner à une autre compagnie qu'il crée, à toutes fins pratiques, de toutes pièces dans son décret, de donner ces permis à une autre entreprise nouvelle, cette fois composée des Cris, bien sûr — comme d'ailleurs devait l'être la nouvelle compagnie québécoise réunissant les petits transporteurs dont je parlais tantôt — mais en plus, cette fois, à un transporteur ontarien qui est Austin Airways, dont on sait très bien que depuis des dizaines d'années il domine littéralement le trafic aérien dans le Nord-Ouest québécois et qui, à partir de cette domination, évidemment, monopolise un tas de retombées économiques importantes en termes d'emplois, pilotes, personnel d'entretien, bases d'entretien, etc., situés en Ontario.

Alors, je comprends mal qu'un ministre fédéral — c'est sans précédent à notre avis — puisse prendre une telle décision et il faut que cette décision soit renversée. Mais notre position là-dedans n'est pas contre les Cris, au contraire, nous sommes tout à fait disposés à réunir ces entrepreneurs québécois, avec la participation des Cris, mais à condition que ça se fasse au nom des intérêts du Québec et avec des partenaires québécois et non pas avec un partenaire ontarien qui, par suite d'un lobby personnel ou autrement, réussit comme ça, à peine deux jours avant les élections fédérales, à prendre une telle décision qui est sans précédent.

Quand on sait combien le gouvernement fédéral s'est traîné les pieds... Je termine là-dessus, M. le Président. Je pense que c'est important qu'on voie...

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît. M. le ministre des Transports, puis-je vous demander de tirer les conclusions, s'il vous plaît?

M. de Belleval: Je comprends nos amis d'en face de ne pas vouloir me laisser terminer ma réponse, parce que ça leur fait mal dans leur démonstration. Je termine là-dessus, M. le Président. Cette décision, à peine 48 heures avant une élection fédérale, sur ce dossier qui avantage une compagnie ontarienne, contraste étrangement avec la lenteur que ce même gouvernement fédéral, pendant des mois, a prise pour régler le dossier de la fusion Québecair-Nordair.

M. Ciaccia: M. le Président, un instant. Le Président: M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Est-ce que le ministre peut nous confirmer que la décision du gouvernement fédéral a été prise, suite à un appel par les Cris, après que l'arrêté en conseil a empêché les Cris d'acheter Air Brazeau? Parce que cet arrêté en conseil les a empêchés de l'acheter et le permis à été donné à Air Brazeau, les Cris ont fait appel au gouvernement fédéral, conformément à la loi, et la décision du ministre fédéral a été qu'il y avait compatibilité avec la proposition des Cris d'acheter Air Brazeau et de l'acheter avec d'autres Québécois.

Ne faussez pas le débat, il ne s'agit pas de l'acheter avec des Non-Québécois, c'est une entreprise québécoise et le ministre fédéral a dit qu'il y a une compatibilité entre cette proposition des Cris et l'entente de la Baie James. Pour cette raison, parce que vous avez empêché qu'ils achètent Air Brazeau, il a renversé cette décision et il l'a redonné aux Cris, conformément à l'entente.

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: M. le Président, le député de Mont-Royal, conformément à son habitude, ne présente qu'une partie des faits, celle qui fait l'affaire de sa démonstration, mais non pas l'ensemble des faits. Voici quel est l'ensemble des faits. M. le député de Saint-Laurent, qui êtes expert en tout, pourriez-vous me laisser terminer le dialogue avec le député de Mont-Royal, qui en connaît malgré tout un peu plus que vous dans ce domaine?

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: Calmement, on va expliquer l'ensemble des faits et non pas juste une partie des faits. Les Cris étaient disposés à acheter Air Brazeau, mais pas simplement exploiter la nouvelle entreprise avec Air Brazeau, puisque Air Brazeau ou Québec Aviation se retire complètement de l'activité aérienne dans le Nord-Ouest. Son partenaire était surtout encore une fois Austin Airways et c'est ce contre quoi le gouvernement du Québec en a, c'est-à-dire que les Cris s'associent non pas avec d'autres transporteurs aériens québécois, mais d'abord et avant tout avec Austin Airways, de façon à maintenir le monopole ontarien sur le transport aérien québécois dans le Nord-Ouest. C'est ça le fondement de notre décision et c'est ça le fondement de notre opposition. Ce n'est pas contre les Cris. On est d'accord à fournir aux Cris une large participation dans ce regroupement de transporteurs québécois, mais nous disons aux Cris: Vous dites que vous êtes des Québécois à part entière, on vous considère nous aussi comme des Québécois à part entière. Dans ce cas-là, montrez votre bonne foi, associez-vous avec des compagnies québécoises plutôt qu'avec des compagnies ontariennes. C'est ça notre position, M. le Président.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

Les relations entre la Sûreté du Québec et les bandes indiennes

M. Forget: Ma question s'adresse au ministre de la Justice. Elle vise à déterminer la capacité du gouvernement actuel à respecter les principes généralement reconnus dans les pays civilisés relatifs à l'administration de la justice. Aussi récemment que le 23 janvier dernier, le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, le juge Jules Deschênes, traçait un parallèle très frappant et qui n'est pas du tout à l'avantage du Québec et surtout du gouvernement actuel du Québec quant à l'attitude que ce gouvernement a adoptée lorsque des tribunaux sont intervenus pour déclarer simplement ce qu'était le droit. Je pourrai donner des détails là-dessus si le ministre de la Justice le demande.

Récemment le Barreau du Québec a cru nécessaire d'intervenir auprès de ses membres à cause d'une pratique répétée de l'administration gouvernementale du Québec de passer par-dessus la tête des avocats qui représentent des citoyens dans leurs relations avec l'administration publique québécoise, afin de leur rappeler qu'ils ont le droit d'être les interprètes et les porte-parole de leurs clients auprès de cette administration publique lorsqu'ils interviennent dans un dossier, ce que l'administration semble vouloir ignorer systématiquement.

Enfin, et ce qui est plus caractéristique de l'attitude du gouvernement actuel, on se souvient d'un incident qui a résulté dans la mort d'un Amérindien l'automne dernier, dans la réserve Caugh-nawaga, près de Montréal, et qui mettait en présence cet Amérindien et deux agents de la Sûreté du Québec, Robert Lessard et Gervais Ouellet. Cet incident a résulté dans la mort de l'Amérindien, on s'en souvient. Le ministre de la Justice s'était engagé, ici même à l'Assemblée nationale, à ce que ces deux agents de la Sûreté du Québec seraient désormais confinés, en attendant le résultat de l'enquête du coroner, ainsi de suite, à des activités de bureau, autrement dit qu'ils n'agiraient plus comme agents de la paix auprès des citoyens. (14 h 30)

Or, le 14 décembre dernier, on apprenait qu'ils procédaient à l'arrestation d'un autre citoyen, ce qui a aussi donné lieu à des accusations et à des contre-accusations de violence excessive utilisée, encore une fois, semble-t-il, par ces policiers. Comment se fait-il que la parole du ministre de la Justice n'ait pas été suivie d'effets à cette occasion?

Subséquemment, dans la même cause, le coroner, le 3 janvier dernier, a trouvé que la conduite de l'agent Robert Lessard était telle, dans ces circonstances datant du mois d'octobre, qu'il fallait le tenir criminellement responsable et l'envoyer à son procès. Or, quelques jours plus tard, le directeur de la Sûreté du Québec...

M. Charron: M. le Président, je crois que le député de Saint-Laurent a déjà posé sa question. Il a demandé, je crois, comment il se fait. C'est à ce moment-ci que le député de Chicoutimi doit répondre. S'il a une question supplémentaire, il reviendra par la suite.

M. Forget: J'arrive à ma question, M. le Président.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Quelques jours plus tard, le directeur de la Sûreté du Québec a jugé bon de faire une conférence de presse pour dire que, tant que le jugement criminel final n'était pas rendu dans cette cause, il considérait cet agent comme innocent, ce qui, on le présume, veut dire qu'il continue à exercer ses fonctions d'agent de la paix.

Est-ce que le ministre de la Justice pourrait éclaircir les circonstances qui entourent ce cas et, en particulier, le fait que la parole qu'il avait donnée à l'Assemblée nationale n'a pas été suivie d'effets?

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: M. le Président, l'agent Lessard auquel se réfère le député de Saint-Laurent attend, comme on le sait, son procès pour homicide involontaire. Au moment où on se parle, il est affecté à du travail de bureau.

Je ne pense pas qu'on puisse faire reproche au directeur de la Sûreté du Québec de le considérer — puisque c'est cela, notre droit et la présomption d'innocence — innocent jusqu'à ce qu'un tribunal en ait décidé autrement. Effectivement, avant les Fêtes, j'avais évoqué que l'agent Lessard devait immédiatement être confiné à du travail de bureau. Cela rejoignait également l'opinion et la décision du directeur de la Sûreté du Québec. Or, tel que le député de Saint-Laurent l'a dit, on a pu constater que l'agent Lessard avait exercé un travail de patrouille et que, à cette occasion il avait eu un contact avec des citoyens.

Le député de Saint-Laurent est peut-être un peu trop vite dans ses conclusions sur la manière avec laquelle ledit agent s'est conduit à cette occasion. Je pense que, s'il y a, à un moment donné, quelque chose de répréhensible, vous savez qu'il y a toujours la possibilité pour n'importe quel citoyen de s'adresser à la Commission de police, de porter une plainte en bonne et due forme de manière que la conduite de l'agent en question soit traitée concernant ce deuxième aspect auquel a référé le député de Saint-Laurent.

J'ai été informé effectivement par le directeur de la Sûreté du Québec qu'il m'avait induit en erreur, parce que lui-même avait été induit en erreur par un de ceux qui sont sous sa responsabilité qui, effectivement, n'avait pas donné des ordres allant dans le sens des propos que j'avais exprimés ici à l'Assemblée nationale; quoiqu'au moment où j'ai exprimé ces propos à l'Assemblée nationale, effectivement, l'agent Lessard était confiné à du travail de bureau et ce n'est que plus tard qu'un subordonné a donné des ordres dans le sens contraire.

Le directeur de la Sûreté du Québec doit prendre les mesures disciplinaires qui s'imposent vis-à-vis de cet autre supérieur qui n'a pas suivi les instructions qui avaient été données, non seulement par l'énoncé que j'avais fait à l'Assemblée nationale, mais également par les ordres mêmes qui avaient été donnés par le directeur de la Sûreté du Québec.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Bon! Alors, si je comprends bien, le ministre de la Justice dit qu'il a été induit en erreur. Je remarque que nul n'a cru bon d'informer l'Assemblée nationale et le ministre non plus qu'il y avait eu contrordre et que l'information qu'il avait donnée à l'Assemblée nationale n'était plus exacte.

M. Bédard: Question de privilège.

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Je voudrais que le député de Saint-Laurent tienne pour acquis que je ne peux quand même pas informer l'Assemblée nationale lorsque moi-même je ne suis pas informé d'un changement de situation. Je crois que je peux m'attendre au moins à ce minimum de justice, ce minimum d'objectivité de la part du député de Saint-Laurent. Ce que je vous dis aujourd'hui — en décembre, la Chambre a ajourné ses travaux — j'en ai été informé il y a seulement quelques jours. Puisque vous me posez la question, je vous dis exactement ce qu'il en est.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, nous avions déjà, au moment des incidents qui ont donné origine à toute cette question, demandé au ministre de la Justice de s'intéresser au problème de façon sérieuse parce que ce n'est pas — on le voit bien d'ailleurs — l'enquête du coroner qui va régler tous les problèmes sous-jacents. Les relations entre la Sûreté du Québec et les réserves indiennes, les bandes indiennes qui sont sur le territoire du Québec posaient des problèmes. Le ministre, à moins qu'il ait été informé de cela et qu'il ne nous l'ait pas dit, ne nous a pas fait part d'une solution d'ensemble des problèmes reliés à la collaboration avec les forces de l'ordre dans les réserves qui agissent avec l'appui des bandes indiennes. Ne serait-il pas nécessaire de faire une enquête plus large qu'une enquête du coroner — c'est déjà terminé de toute façon et cela n'éclaire pas du tout le problème — de manière à s'assurer qu'une solution permanente est trouvée? Il y a eu des incidents qui se sont déroulés dans les semaines qui ont suivi, d'ailleurs, et qui ont conduit à d'autres condamnations récemment. Est-ce que le ministre va donner enfin suite aux problèmes soulevés à cette occasion ou s'il attend qu'une autre crise éclate dans le même domaine?

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: le Président, effectivement, non seulement j'ai donné suite mais j'ai donné suite immédiatement à cette préoccupation qu'énonce le député de Saint-Laurent puisque, à l'heure actuelle et déjà depuis que les incidents sont arrivés, des relations continues se poursuivent entre, d'une part, la direction de la Sûreté du Québec et les autorités de la réserve, d'autre part. Ces rapports et ces échanges sont très positifs. Je pense également que l'enquête du coroner a quand même permis de mettre en relief certaines difficultés auxquelles il fallait apporter des remèdes ou des solutions. Je crois qu'à l'heure actuelle on est en mesure de dire que ces relations sont assez positives, tenant compte de l'ensemble des circonstances. Le dossier est suivi d'une façon très soutenue.

Je redis encore, concernant l'incident auquel référait le député de Saint-Laurent en ce qui a trait à l'agent Lessard, que je viens tout simplement d'être informé par la direction de la Sûreté du

Québec qu'une telle chose s'était effectivement produite contrairement aux ordres qui avaient été donnés.

Des Voix: Quand?

M. Bédard: II y a à peu près une semaine, M. le Président. Alors, je pense bien que je peux dire récemment. Je pense bien qu'on ne me fera pas le reproche de dire récemment lorsque je viens d'en être informé. Il s'agit d'une faute — je tiens à le préciser — qui s'est produite à un niveau hiérarchique intermédiaire de la sûreté et des mesures disciplinaires appropriées seront prises. Pour ce qui est des relations entre la Sûreté du Québec et les autorités de la réserve, je pense que le dialogue est quand même assez positif au moment où on se parle et que les remèdes appropriés seront mis de l'avant.

Le Président: Dernière question, M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Pour ce qui est des relations entre la Sûreté du Québec et les réserves, il sera peut-être nécessaire un jour que le ministre fasse état d'une entente précise qui fasse une démarcation claire des responsabilités des forces policières des réserves et de la Sûreté du Québec. C'est très rassurant d'entendre que les gens sont gentils gentils, mais il faudrait peut-être savoir sur quoi, précisément, on s'entend pour éviter les malentendus. Mais, puisque nous y sommes, est-ce que le ministre de la Justice pourrait nous indiquer d'autres déclarations qu'il a faites sur lesquelles il aurait obtenu des informations supplémentaires qui lui permettraient de nous faire des corrections à ce moment-ci?

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Le député de Saint-Laurent est très drôle. C'est la déclaration que j'ai à faire présentement suite à des informations qui m'ont été données par la Sûreté du Québec. Je n'attendrai pas les suggestions du député de Saint-Laurent pour faire les corrections lorsque ces corrections seront nécessaires.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Union Nationale.

Les installations d'Hydro-Québec à Terre-Neuve

M. Brochu: M. le Président, ma question s'adresse à l'honorable ministre responsable de l'Energie et des Ressources et concerne le contentieux qui existe entre Terre-Neuve et Québec au sujet du Labrador. On sait que, depuis quelque temps, la province de Terre-Neuve a manifesté son désir de rouvrir les clauses du contrat qui la lie à la province de Québec en ce qui concerne les installations d'Hydro-Québec, à tel point, nous infor-me-t-on, que Terre-Neuve songerait même à procéder par expropriation d'Hydro-Québec sur ce territoire si on n'arrive pas à une entente. J'aimerais savoir de la part du ministre, tout d'abord, s'il est prêt à rouvrir les clauses de ce contrat qui lie le Québec à Terre-Neuve ou s'il a envisagé d'autres avenues possibles de réaménagement de ces ententes pour en arriver à une entente quelconque dans ce domaine sans passer par les tribunaux. (14 h 40)

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: Effectivement, M. le Président, Terre-Neuve voudrait remettre en cause le contrat qui livre de l'électricité de la Churchill Falls au Québec, parce que, prétend-on, le prix de vente de cette électricité est trop bas, compte tenu de l'accroissement des puits de pétrole. Non pas qu'elle ne fasse pas de profits, mais elle ne fait pas assez de profits par rapport à ce qu'elle pense qu'elle pourrait faire maintenant. Cela est indéniable.

Cependant, je dois dire que le contrat, tel que rédigé, a été rédigé de façon très serrée. A titre d'exemple, si les livraisons d'électricité ne sont pas faites au Québec, Hydro-Québec peut devenir propriétaire du barrage. Présentement, il n'y a pas lieu d'exproprier le barrage parce qu'il appartient à Terre-Neuve, mais si le contrat n'est pas respecté, Hydro-Québec peut devenir propriétaire du barrage. Alors là, c'est plutôt l'inverse que ce dont vous avez parlé.

Concernant la réouverture du contrat, on a toujours dit, comme gouvernement, qu'un contrat était un contrat et que ça se respectait, mais, également, il y a des avantages. Par exemple, du côté de Terre-Neuve, on aurait l'intention de développer Lower Churchill Falls, Muskeg Rat; ce sont des rivières qui, si elles étaient aménagées, pourraient produire plusieurs milliers de kilowatts ou de mégawatts. A ce moment, pour livrer cette électricité, il faut passer par le Québec; donc, Terre-Neuve a besoin du Québec pour développer ses ressources hydroélectriques.

De la même façon, en ce qui nous concerne, il y a des rivières sur la Moyenne-Côte-Nord qui partagent des bassins qui, comme vous le savez, sont en litige, à savoir est-ce que ça relève de Terre-Neuve ou est-ce que ça relève du Québec, à l'intérieur du Labrador. Il y a peut-être moyen de s'entendre à l'avantage des deux parties, de manière que — là, même quitte à rouvrir le contrat dans le cadre de ça — une réouverture du contrat soit avantageuse aussi bien pour nous que pour eux.

Dans ces conditions, oui, c'est possible d'examiner à nouveau une ouverture de contrat, mais je pense que ça joue pour nous et que ça joue pour eux. D'ailleurs, c'est ça la notion d'association entre partenaires égaux.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Union Nationale.

M. Brochu: M. le Président, il semble que les positions, de part et d'autre, soient quand même assez fermes; le ministre vient d'indiquer, dans ce

sens, la position du gouvernement du Québec. On sait, par ailleurs, que la position de Terre-Neuve a été manifestée de nouveau dans le discours inaugural qui a été lu récemment, discours où on indiquait clairement que, si on n'en arrivait pas à une entente, on allait procéder par expropriation. Est-ce que je dois comprendre que les deux positions sont très fermes dans ce secteur et que les positions sont à ce point catégoriques qu'il n'y a pas du tout moyen d'en arriver à une entente, sinon de passer inévitablement par la voie des tribunaux?

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: Je n'ai pas dû être clair, M. le Président, j'avais l'impression d'avoir dit exactement le contraire. J'avais l'impression d'avoir identifié un certain nombre d'éléments qui permettraient justement de rouvrir l'entente et, à la satisfaction mutuelle des deux parties, en arriver à régler ce contentieux. J'ai l'impression d'avoir dit exactement le contraire, je m'excuse de ne pas avoir été clair.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Union Nationale.

M. Brochu: Depuis que ces positions ont été rendues publiques, est-ce qu'il y a eu discussion entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de Terre-Neuve concernant cette expropriation possible ou concernant les modalités de réouverture de ce dossier? Est-ce que, depuis le discours du trône, depuis que Terre-Neuve a manifesté son désir d'en arriver le plus rapidement possible à une entente, le gouvernement du Québec et le gouvernement de Terre-Neuve se sont rencontrés et est-ce qu'on a commencé un processus d'ouverture ou de discussion des contrats en question dans le domaine?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, étant donné qu'il s'agit d'un sujet qui a été discuté avant, juste avant, et après, juste après, c'est-à-dire, à toutes fins utiles, deux jours après, hier, au Conseil des ministres, je vais donner une réponse très brève, mais qui peut situer les événements. Il y a quelques semaines, peut-être trois semaines ou un mois au maximum, à sa demande, j'ai rencontré le premier ministre Peckford qui était, comme on le sait, ministre de l'Energie au temps de son prédécesseur, le premier ministre Frank Moores.

Avec M. Moores on avait déjà entrepris des discussions et je pense que c'est facile de se référer aux journaux d'il y a un certain nombre de mois, de l'an dernier en tout cas, pour savoir qu'il y a eu des rencontres et des échanges de vues à propos, justement, de ce qu'on peut appeler, comme on dit en anglais, un "package deal", c'est-à-dire d'essayer de trouver une solution globale qui soit rentable et convenable pour les deux côtés et qui permette, entre autres, de faire déboucher du Labrador — il faut nécessairement que ça vienne au Québec — des ressources additionnelles qui doivent être développées encore sur le fleuve Churchill.

Tout ça forme un ensemble qu'on doit étudier avec beaucoup de soin, que Terre-Neuve devra étudier avec beaucoup de soin aussi, c'est normal, et à propos duquel au moins une première amorce nouvelle devrait parvenir au premier ministre de Terre-Neuve d'ici la fin de semaine ou au plus tard au début de la semaine prochaine, après les discussions qu'on a eues au Conseil des ministres. Je ne peux pas en dire davantage pour l'instant.

Le Président: M. le député de Saint-Louis.

M. Lalonde: Question additionnelle, M. le Président.

Le Président: Additionnelle, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: C'est une question au ministre de l'Energie. Dans l'éventualité où Terre-Neuve tiendrait un référendum sur l'opportunité de rouvrir l'entente et de faire une nouvelle entente et dans l'éventualité d'un oui massif, est-ce que le ministre respecterait cette décision de Terre-Neuve?

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: Oui, M. le Président, parce que le respect d'une majorité est fondamental en démocratie.

Le Président: M. le député de Rouyn-Noranda.

Trop-perçus de Beneficial Finance

M. Samson: M. le Président, j'avais l'occasion lundi dernier de poser une question au premier ministre concernant des trop-perçus en intérêts par la compagnie Beneficial Finance. Le premier ministre a alors répondu qu'il prendrait avis et que j'aurais une réponse avant la fin de la semaine. Comme c'est aujourd'hui le dernier jour de session, j'imagine que lui ou le ministre des Institutions financières, qui est maintenant présent, pourrait me donner une réponse à cette question que je posais lundi.

M. Joron: Oui, M. le Président...

Le Président: M. le premier ministre.

M. Joron: ... effectivement, M. le député de Rouyn-Noranda, je me préparais à répondre à votre question hier, mais, vu votre absence, j'attendais votre retour aujourd'hui pour le faire.

La question que vous avez soulevée il y a quelques jours concerne des trop-perçus découlant d'une méthode de calcul disons discutable

que pratiquait Beneficial Finance entre les années 1974 et 1977. La situation que vous avez évoquée, il faut le dire, est quelque chose qui est passé et qui a été réglé. En fait, c'est en avril 1977 que l'Office de la protection du consommateur en est arrivé avec la compagnie à une entente qui avait pour but de rembourser les consommateurs qui auraient pu être victimes de cette méthode de calcul discutable. Par voie de négociation, l'office en est arrivé à persuader la compagnie de rembourser tous ceux qui avaient pu en être victimes. Cela a été fait et vérification a été faite par la suite par l'Office de la protection du consommateur quelques mois après. Il y a déjà deux ans, on avait déjà pu constater que tout le monde avait été remboursé. La chose est classée en fait depuis déjà deux ans.

Le Président: M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Je posais également la question au premier ministre lundi aux fins de savoir, parce que cette entente n'a pas été publiée, qu'on sache, à ce moment-là pourquoi l'Office de la protection du consommateur ne s'est pas servi de son pouvoir de mise en garde. J'aimerais savoir également, même si cela a été réglé en avril 1977, si on peut assurer cette Chambre que la même compagnie n'a pas continué à faire la même chose depuis ce temps-là. Est-ce qu'on peut assurer cette Chambre qu'il n'y a pas d'autres compagnies qui ont fait la même chose et qui n'ont pas remboursé leurs consommateurs? C'est le genre de question qu'on se pose, M. le Président.

Le Président: M. le ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières.

M. Joron: Oui, M. le Président, on peut incontestablement assurer cette Chambre que la pratique ne s'est pas continuée, parce que vérification a été faite régulièrement depuis. On peut assurer cette Chambre également que d'autres entreprises du même genre ne pratiquent pas cette méthode de calcul. (14 h 50)

Troisièmement, on peut être assuré maintenant, de façon définitive, avec l'entrée en vigueur le 30 avril prochain de la nouvelle Loi sur la protection du consommateur, que cela ne pourra plus se produire, parce que la nouvelle loi, contrairement à l'ancienne, au moment où se passaient les événements dont on parle, prévoit ce genre de cas et l'empêche.

La raison pour laquelle, à l'époque, il n'y avait pas eu de poursuite mais négociation, c'est qu'il n'y a pas de fondement juridique compte tenu de ce qu'était la Loi sur la protection du consommateur de 1971 qui permettait à l'office d'être sûr de sa poursuite. S'il n'y a pas eu de mise en garde, ce qui est à la discrétion de l'office, c'est que les cas de tout le monde avaient été réglés effectivement.

Le Président: M. le député de Saint-Louis.

La grève des cols bleus de Montréal

M. Blank: M. le Président, j'ai une question à l'endroit du ministre du Travail. A Montréal, la météo et la température n'attendent pas que le processus normal de négociation ou de médiation soit fini. Ce matin, les rues de Montréal étaient une grande patinoire; les autobus étaient détournés et même, il y a des parcours qui n'étaient pas desservis par les autobus. Le service de police rapporte qu'il est débordé d'appels et même il ne peut pas répondre à des appels pour des accidents impliquant des blessés. C'est maintenant devenu un danger pour la sécurité publique.

Est-ce que le ministre a eu son rapport du médiateur qui devait le lui présenter hier soir? Si oui, a-t-il l'intention de faire quelque chose immédiatement? Parce que la ville de Montréal est un danger pour tous les citoyens; particulièrement, les vieillards, à ce moment-ci, ne peuvent sortir de leur maison. C'est impossible de marcher sur les trottoirs de la ville de Montréal.

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, effectivement, il semble que le gel a apporté des inconvénients de plus en plus importants pour les citoyens de Montréal, hier, et qu'ils ne devraient pas faire l'objet de risée de la part de qui que ce soit. Ce n'est pas ce que le député de Saint-Louis a fait, si je comprends bien.

Cela dit, cependant, j'ai eu l'occasion, ce matin, de communiquer avec les autorités de la ville de Montréal pour m'enquérir de la situation de façon générale, strictement en termes de confort pour les citoyens. On m'avise qu'il est vrai qu'il y a plus d'inconvénients qu'il y a trois jours, mais on ne m'a pas décrit la chose comme un débordement des appels chez les policiers, ainsi de suite.

J'ai bien vérifié, ce matin, auprès des autorités de la ville et on ne semblait pas dire cela. Cependant, je pense qu'il faudra — c'est un devoir de la part des travailleurs cols bleus de la ville de Montréal — faire en sorte qu'un minimum de services essentiels soient assurés dans les circonstances.

Je pense qu'ils doivent le faire et je suis assuré qu'ils le feront dans la mesure où, du côté des tables de négociations, le médiateur a réussi hier à mettre en présence les parties, ce qui n'avait pas été fait depuis 20 jours. Or, elles ont réussi à parcourir différents chapitres de la convention collective touchant les heures de travail, le travail supplémentaire, les modes de règlement de griefs, les congés de maladie. Mon médiateur a également demandé aux parties de faire connaître à partir de demain, en présence l'une de l'autre, leur position et leurs analyses sur toute la fameuse question d'ancienneté qui constitue le coeur de ce litige. J'ai donc espoir, dans les circonstances, que la médiation quant au progrès du dossier évoluera très rapidement. M. Desilets a demandé

aux parties d'être disponibles d'ici la fin de la semaine, 24 heures par jour s'il le faut. Nous devons faire faire des études en même temps. Nous devons analyser différents documents au ministère qui nous proviennent des parties, mais la médiation se poursuivra sans arrêts autres que les arrêts normaux pour des êtres humains qui doivent quand même fonctionner et être capables de fonctionner pendant une certaine période de temps.

Le Président: Une brève question, M. le député de Saint-Louis.

M. Blank: Mr minister, in other strikes that we had just a while ago, which were serious, the minister took it upon himself to give a deadline, either you settle or we have drastic action by way of legislation; in two cases you went by special legislation. In other cases, your threats bore fruit and the strikes were settled. Is it the intention of the minister to give both sides of this conflict a deadline because the people in Montréal are in a serious situation? If the weather turns warm and the snow melts, we are going to have a problem of rats and vermin with the garbage that is all over the streets. So, either way, we cannot win.

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: Evidemment, M. le Président, on ne peut pas mettre en doute que cette grève, cet arrêt de travail des cols bleus cause des ennuis aux citoyens. C'est évident. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que mon ministère est intervenu, parce que les parties étaient incapables de s'entendre, elles ne s'étaient pas parlé pendant 20 jours. Cela dit, je m'attends que, d'ici la fin de semaine, les parties aient suffisamment parcouru de terrain en compagnie de M. Désilets pour qu'on puisse espérer le règlement au tout début de la semaine.

Le Président: Fin de la période des questions. J'appelle maintenant le débat sur...

Mme Lavoie-Roux: J'avais une question, M. le Président.

Une Voix: ...

Le Président: Nous en sommes plutôt aux motions non annoncées. Mme le député de...

M. Charron: ... complément de réponse.

Le Président: Ah! On m'informe que Mme la ministre...

Une Voix: Un instant! Vous...

Le Président: C'est un complément de réponse que Mme la ministre des Travaux publics voudrait apporter à une question qui a été posée antérieurement. Je suppose que c'est la question de M. le député de Gatineau. Mme la ministre.

Préposées à l'entretien ménager de l'édifice A

Mme Ouellette: M. le Président, à la suite de la question posée par le député de Gatineau concernant les préposées à l'entretien ménager de l'édifice A, je voudrais apporter les précisions suivantes. La situation exposée par le député de Gatineau m'a conduite à consulter, immédiatement après la période des questions, le lundi 3 mars, les fonctionnaires responsables de ce dossier. Donc, à la suite de ces consultations, j'ai demandé que soient arrêtées immédiatement toutes les procédures en cours afin que le problème soit examiné en profondeur. Les résultats de l'étude des fonctionnaires responsables du dossier sont les suivants. Premièrement, le fond du problème consiste en un surplus de contremaîtresses au service de l'entretien ménager du ministère des Travaux publics, de 10 et non pas de 50, comme le stipulait le député de Gatineau. De dix actuellement en poste, on doit réduire le nombre à trois. Les employées concernées, m'informe-t-on également, sont toutes des femmes âgées entre 56 et 62 ans et elles ont de 20 à 38 ans de service au gouvernement du Québec.

Je pense que ces considérations suffisent à indiquer à quel point l'Etat doit être conscient de ses responsabilités face à ses employés. En conséquence, j'ai donc demandé au service du personnel de garder toutes les employées concernées au titre de contremaîtresses au ministère des Travaux publics jusqu'à ce qu'une responsabilité équivalente et, à tout le moins, au même salaire leur soit trouvée dans un autre service gouvernemental.

Le Président: M. le député de Gatineau. M. Gratton: M. le Président.

Une Voix: Avec ce gouvernement, c'est l'Opposition qui crée les emplois.

Le Président: M. le député de Gatineau, je vous ai reconnu.

Une Voix: De 52 à 60 ans, c'est trop vieux pour travailler ici.

M. Gratton: M. le Président, je voudrais d'abord demander au ministre de relire le journal des Débats. J'ai effectivement mentionné que, du total de 55 employées, il y en avait sept sur dix qui ont le poste de contremaîtresses et qui pourraient possiblement être affectées. En deuxième lieu, je remercie le ministre d'avoir agi comme elle l'a fait et de nous avoir donné raison, à savoir qu'il fallait intervenir avant que les fonctionnaires de son ministère ne soient allés trop loin dans cette affaire.

Le Président: Motions non annoncées. Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, compte tenu de notre absence à l'Assemblée nationale le samedi 8 mars, Journée internationale de la femme, j'aimerais solliciter le consentement des membres de cette Chambre afin de souligner, par anticipation, cette Journée internationale de la femme.

A cette fin, j'aimerais faire la motion suivante: "Que tous les membres de cette Assemblée s'associent, dans un esprit de solidarité, aux femmes du Québec, du Canada et du monde entier pour souligner la Journée internationale de la femme et les assurer de leur détermination de travailler à la reconnaissance véritable de tous leurs droits."

Le Président: Est-ce qu'il y a consentement unanime à la présentation de la motion?

Il n'y a pas consentement, Mme la députée de L'Acadie.

M. Pagé: Que fait-elle, elle?

M. Charron: M. le Président...

M. Lamontagne: Ah! Il n'y a plus de Canada.

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, ce n'est pas une surprise...

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. le leader parlementaire du gouvernement, j'ai déjà rendu plusieurs décisions sur le fait qu'on n'avait pas à justifier un refus de consentement ou un consentement, sauf au moment d'un débat. (15 heures)

A l'ordre, s'il vous plaît!

Nous en sommes à l'enregistrement des noms sur les votes en suspens; il n'y a pas de votes en suspens.

Maintenant, conformément... A moins qu'il n'y ait des questions en vertu de l'article 34.

M. le député de Saint-Laurent.

Avis à la Chambre

M. Forget: Vous m'y faites penser, M. le Président. J'aimerais demander au leader du gouvernement s'il envisage qu'une commission parlementaire soit appelée à examiner le projet de loi no 83. On sait que le Conseil du statut de la femme, de même que d'autres groupements féminins ont demandé de s'exprimer relativement à ce projet de perception des pensions alimentaires.

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, j'accepte volontiers de répondre à cette question. J'avais bien dit que je n'acceptais aucune motion non annoncée pendant le débat sur la question, mais les questions en vertu de l'article 34 sont toujours bienvenues, parce qu'elles, elles ne peuvent pas retarder le débat. En conséquence, j'informe le député qu'il a mieux fait d'utiliser l'article 34 d'abord, plutôt qu'une motion non annoncée, premièrement, ce qui lui donne droit à la réponse suivante, M. le Président. Le Conseil des ministres a pris en considération, hier, à la fois les demandes qui nous étaient venues de l'extérieur et, la proposition faite par le député de Saint-Laurent.

Sans dire que nous n'en sommes pas venus à une décision, je ne pourrais pas la qualifier de finale puisqu'elle va nécessiter, avant d'être finale, une consultation précisément avec l'Opposition officielle et l'Union Nationale. En conséquence, M. le Président, je veux m'engager à avoir ce genre de consultation auprès de l'Opposition au cours des prochaines semaines. Je donne l'assurance tout de suite au député de Saint-Laurent que ce projet de loi ne pourra pas, mathématiquement ni politiquement, être appelé, à mon avis, avant qu'un certain nombre de réactions ait été entendues et avant que la Chambre ait disposé du débat sur la question et du budget. Donc, le plus tôt où cette question pourra être appelée, M. le Président, c'est au printemps, à la mi-avril. De même, la demande qui a été formulée sur le projet de loi concernant les pensions alimentaires et qui demandera une commission parlementaire, je crois que nous pourrons lui donner réponse à ce moment. Je m'engage donc à tenir les consultations avec l'Opposition.

Le Président: M. le député de Mont-Royal.

Question de privilège

Les Cris et le transport aérien

M. Ciaccia: M. le Président, question de privilège. A la suite d'une affirmation, le ministre des Transports — je viens de prendre connaissance du document, alors, je n'ai pas pu intervenir au moment où il a donné sa réponse — a laissé entendre que la demande de devenir propriétaires du service aérien dans le Nord québécois a été faite par les Cris. Quant à Austin Airways, il a indiqué que c'était une compagnie ontarienne. Il a suggéré que, si les Cris étaient vraiment Québécois, ils s'associent avec une compagnie québécoise. Ce que le ministre a omis de dire, c'est que dans l'achat d'Air Brazeau c'étaient les Cris, c'était la compagnie Héli Voyageur, une compagnie québécoise, et que la compagnie Austin Airways était seulement en position minoritaire. Une des raisons pour lesquelles elle était dans cette position est qu'on devait donner aussi un service en Ontario en plus du Québec. Ils se sont associés à une compagnie québécoise pour prendre la majorité d'Air Brazeau et le gouvernement a refusé leur demande par arrêté en conseil.

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: M. le Président, le député de Mont-Royal vient exactement de confirmer...

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle.

M. Levesque (Bonaventure): Question de règlement, M. le Président. Si je comprends bien, le député de Mont-Royal a soulevé une question de privilège pour rétablir les faits et notre règlement prévoit qu'il n'y a pas de débat sur une question de privilège. En vertu de quel règlement le ministre des Transports se lève-t-il présentement, M. le Président? Je voudrais simplement savoir cela.

M. de Belleval: M. le Président...

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: M. le Président, ce que j'ai indiqué tantôt, c'est que les Cris étaient disposés à s'associer d'abord et avant tout avec une compagnie ontarienne, Austin Airways, plutôt qu'avec des transporteurs québécois. Ce que le député de Mont-Royal vient de confirmer, c'est que, effectivement, le projet des Cris était de s'associer avec Austin Airways; c'est ce que vous venez de dire. Dans cette association, quel est le partenaire important? Ce ne sont pas les...

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. de Belleval: Je termine là-dessus, M. le Président, si on veut me laisser terminer une phrase.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. de Belleval: II me semble que la vérité ne devrait pas vous faire peur, ou bien c'est la vérité qui vous fait peur. Laissez-moi donc terminer ma phrase.

La réalité, c'est que ni les Cris, ni Air Brazeau qui se retirait du service aérien ne sont en mesure de faire fonctionner cette entreprise et que les vrais promoteurs de cette entreprise sont Austin Airways. Le député de Mont-Royal vient justement de confirmer que Austin Airways était le partenaire des Cris dans cette entreprise.

Le Président: J'appelle maintenant...

M. Ciaccia: Question de privilège, M. le Président.

Le Président: Remarquez que la question de privilège soulevée par le député de Mont-Royal, tout à l'heure, s'apparentait aussi, en quelque sorte, à une nouvelle question additionnelle. C'est pour cela que je ne voudrais pas que le débat se prolonge indéfiniment sur cette question. Je vous autorise à prendre la parole sur votre question de privilège, M. le député de Mont-Royal, en vous demandant votre collaboration pour le faire conformément aux règlements.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Très brièvement, encore une fois, le ministre a omis de faire référence à Héli Voyageur. C'est pour cette raison que je me suis levé, afin de porter à l'attention de la Chambre que le ministre avait induit la Chambre en erreur, qu'il n'y avait pas seulement la compagnie Austin Airways qui devait faire affaires avec les Cris. Austin Airways avait une partie minoritaire des actions et l'autre compagnie qui devait faire affaires avec les Cris était Héli Voyageur. Ce sont des compagnies québécoises qui devaient détenir 70% des actions. Je dépose, si le ministre le veut, l'arrêté en conseil qui fait référence à Héli Voyageur; même l'arrêté en conseil du gouvernement mentionne Héli Voyageur et une dépense de $700 000 des fonds québécois pour empêcher les Cris d'acheter Air Brazeau. Vous devriez avoir honte!

M. de Belleval: Question de privilège, M. le Président.

Le Président: M. le ministre des Transports, à moins que vous ne vouliez intervenir sur une autre question de privilège, puis-je vous suggérer d'apporter un complément de réponse demain, si vous le souhaitez?

M. de Belleval: M. le Président, je regrette, question de privilège. Je comprends la remarque que vous venez de faire parce que, de toute évidence, ce que cherche le député de Mont-Royal, ce n'est pas à rectifier des faits, mais tout simplement à prolonger le débat pour en arriver avec d'autres éléments nouveaux ou à poser de façon détournée une nouvelle question.

Dans les circonstances, compte tenu que les questions ont été posées cet après-midi et que les remarques du député de Mont-Royal viennent d'être faites, pour les parlementaires comme pour la population qui regarde ces débats, il est important que j'apporte les compléments de réponse immédiatement, M. le Président, et je pense que les privilèges auxquels j'ai droit en cette Chambre seraient violés si vous ne me permettiez pas de répondre immédiatement aux faits que soulève le député de Mont-Royal.

Le Président: M. le ministre des Transports, comme vous avez eu l'occasion d'affirmer que vous souhaitiez apporter un complément de réponse, j'imagine que tout le monde sera en mesure d'attendre jusqu'à demain pour que vous apportiez le complément. Autrement, M. le ministre des Transports, on créerait un dangereux précédent ou on reprend un débat. Bon.

M. Lavoie: Demain.

M. Levesque (Bonaventure): Demain.

Une Voix: Mardi.

M. de Belleval: M. le Président...

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval: ... j'aimerais apporter immédiatement ce complément de réponse et je pense que ça réglerait la question.

Le Président: M. le ministre des Transports, tout le monde sachant que vous voulez apporter un complément de réponse, on attendra votre complément de réponse demain. Conformément...

M. de Belleval: M. le Président, je poserai une question de privilège...

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. de Belleval:... plutôt qu'un complément de réponse. Le député de Mont-Royal vient d'indiquer que j'induisais cette Chambre en erreur. Je pense que mon privilège est brimé et que j'ai le droit de répondre au député de Mont-Royal. Dans ce cas-là, je poserai la question de privilège carrément et je répondrai à l'accusation de mensonge que vient de faire... C'est ce que vous venez de dire, à toutes fins pratiques, que j'induis cette Chambre en erreur.

M. le Président, les faits sont les suivants. Il est vrai que les Cris avaient proposé de constituer une nouvelle entreprise de transport aérien dans le Nord-Ouest; j'ai admis ces faits tout à l'heure. J'ai admis aussi que, pour ce faire, les Cris étaient disposés à acheter des entreprises québécoises; cependant, j'ai ajouté — et le député de Mont-Royal l'a confirmé — qu'à toutes fins pratiques le partenaire réel, au niveau de l'exploitation de cette entreprise, était Austin Airways, et vous venez de confirmer qu'effectivement Austin Airways était membre de cette nouvelle entreprise. Pourquoi Austin Airways? Pour permettre effectivement à Austin Airways de continuer à garder son monopole sur le Nord-Ouest québécois à partir de l'Ontario. (15 h 10)

Avis à la Chambre (suite)

Le Président: Est-ce que je pourrais maintenant demander à M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle quelle sera la nature ou le sujet de la question avec débat du vendredi 14 mars?

M. Levesque (Bonaventure): Oui, M. le Président. On retrouve cette question en appendice au feuilleton d'aujourd'hui: Question avec débat en vertu de l'article 174A du règlement, commission permamente des affaires sociales. Question avec débat du député de L'Acadie au ministre des Affaires sociales sur le sujet suivant: La politique gouvernementale au sujet des centres d'accueil, des centres hospitaliers pour soins prolongés et des soins à domicile.

Le Président: Alors, je donne avis en conséquence à M. le ministre des Affaires sociales pour le vendredi 14 mars.

J'appelle maintenant, conformément à la loi et au règlement, le débat sur la question référendai- re. Avant de vous céder la parole, M. le ministre des Finances, puisque c'est vous qui avez sollicité et obtenu hier l'ajournement du débat, je voudrais encore une fois rappeler aux membres de cette Assemblée que ce qui est en discussion, ce qui devrait être discuté, ce qui devrait faire l'objet principal du débat, ce sont les trois motions qui ont été jusqu'à maintenant soumises à la discussion: la motion principale de M. le premier ministre, la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle et la motion également d'amendement du chef de l'Union Nationale.

Je compte donc sur la collaboration de tous pour que la pertinence du débat soit respectée et qu'on discute de la motion principale et des motions d'amendement qui ont été apportées jusqu'ici. Il me semble que c'est là le sens que devrait avoir ce débat. Bien sûr, je tiens compte aussi de la difficulté d'interprétation qu'il y a lieu... Et je me rallie d'emblée à l'opinion émise hier par le leader parlementaire de l'Union Nationale, de même qu'à l'opinion émise par M. le député de Pointe-Claire, selon lesquelles il serait périlleux de tracer un corridor trop étroit: il me semble que cela non plus ne peut pas se faire. Je me réfère encore une fois à Beauchesne que je cite cette fois — je l'avais de mémoire — dans le texte.

Il dit, à la page 98 de la cinquième édition de la jurisprudence parlementaire, que "L'interdiction des disgressions abusives suppose l'application de ce qu'on appelle la "règle de la pertinence". Cette règle est malaisée à définir et, dans les cas difficiles, est interprétée au bénéfice du député." Mais nonobstant cette jurisprudence, nonobstant le fait que j'admets, M. le leader parlementaire de l'Union Nationale, qu'il n'est pas toujours facile de tracer un corridor très étroit et de ne pas en sortir, je fais quand même appel à votre collaboration pour que le sujet en discussion soit les motions dont est saisie l'Assemblée nationale.

M. le ministre des Finances, en faisant ce rappel, je vous cède la parole.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président...

Le Président: Excusez-moi.

M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: M. le Président, au nom de l'Opposition officielle, je voudrais vous dire que j'apprécie particulièrement les remarques que vous venez de faire. La distinction que vous avez rappelée paraissait parfaitement claire quand vous avez rendu votre décision mardi au sujet de la répartition du temps entre les différents partis et les députés présents en cette Chambre.

Mais depuis que vous avez rendu votre décision, nous avons été témoins, de la part du gouvernement, d'un exercice systématique de propagande. On a oublié complètement la distinction que vous avez faite. On essaie de profiter du fait qu'on dispose de deux fois plus de temps que l'Opposition pour faire de la propagande. On n'a jamais discuté de la question jusqu'à maintenant.

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Moi, M. le Président, je vais vous poser régulièrement une question de règlement. Quel article de notre règlement permet et donne le droit au chef de l'Opposition de sanctifier vos décisions?

Des Voix: Ah!

M. Charron: A quel endroit celui-ci peut-il avoir le droit de commenter vos décisions par la suite? A quel endroit dans le règlement? En quoi était régulière son intervention? Je vais le faire de la même façon que lui, M. le Président.

Une Voix: Vous n'êtes pas le président.

M. Charron: La décision que vous avez rendue au début de ce débat, la décision que vous venez de rappeler, que je respecte et que je ne commente pas, a été non seulement respectée, mais dans l'ouverture que vous avez faite... Je le dis et je prends à témoin non seulement mes propres collègues...

Une Voix: II y a des gens qui entendent!

M. Charron: ... ceux qui sont restés hier de l'autre côté pendant le débat — parce qu'on s'est souvent adressé à des banquettes vides — ceux qui nous ont écoutés et ceux qui ont profité de la largeur normale que vous avez offerte au débat, lors de votre décision, ne sont pas de ce seul côté, M. le Président, mais bien aussi de toute l'Assemblée, et il est bon qu'il en soit ainsi.

La largeur de vues que vous manifestez, depuis que vous êtes en place, depuis trois ans, lors des débats de principe en deuxième lecture, le moins que l'on puisse en dire, lorsqu'il s'agit d'une motion de cette importance, c'est qu'elle doit avoir son équivalent.

Le Président: M. le ministre des Finances. Une Voix: D'égal à égal.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, si le chef de l'Opposition officielle s'est levé à ce moment-ci, c'est justement à la suite du rappel que vous avez jugé à propos de faire, que vous-même avez jugé à propos de faire auprès de chacun des collègues. Le chef de l'Opposition officielle a lui-même donné l'exemple en s'en tenant à la question, à la motion à l'étude. C'est lui qui a donné le ton, mais de l'autre côté, à partir du premier ministre et des membres du cabinet, on s'est fouté royalement de la question et on a fait des catalogues de fédéralisme rentable ou pas rentable. C'est cela qu'on a fait.

M. le Président, je termine en disant ceci: Ou bien on fait le débat, d'un côté, les tenants du oui, de l'autre côté, les tenants du non, et, à ce moment, c'est l'esprit qui préside à la loi no 92 qui doit nous inspirer, c'est-à-dire l'égalité... Egal à égal. C'est le temps de le faire d'égal à égal, non pas deux contre un de cette façon.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle, je me permets, à la suite de votre intervention, de faire une remarque. La décision que j'ai rendue au début du débat a finalement pour conséquence de réduire le temps accordé à la majorité ministérielle de 200 minutes, c'est-à-dire l'équivalent du temps qui serait normalement attribué à dix députés. C'est donc une réduction de dix députés.

D'autre part, je signale que dans aucun Parlement à travers le monde, malgré toutes les recherches que nous avons faites, nous n'avons pu trouver un exemple, un seul exemple, de répartition du temps sans tenir compte de la représentation proportionnelle des Assemblées.

Sur ce, M. le ministre des Finances, je vous cède la parole.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, un instant! Il y a deux points, je pense, qu'il est important, à ce moment-ci...

M. Charron: M. le Président, c'est un appel constant de votre décision que fait le député.

M. Levesque (Bonaventure): ... de soumettre respectueusement à la présidence. Deux points, très brièvement.

M. Charron: A l'ordre! Non, M. le Président. Une Voix: Question de règlement. Des Voix: A l'ordre!

Le Président: Un moment.

M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle. (15 h 20)

M. Levesque (Bonaventure): Quant au temps réparti entre le gouvernement et l'Opposition officielle, même s'il y a 200 minutes, je tiens à rappeler qu'il y a plus de 20 heures consacrées aux ministériels et environ dix heures et quelques minutes à l'Opposition, soit deux à un, premièrement. C'est pour ça que j'ai dit, M. le Président: D'égal à égal. Il me semble que j'ai le droit de dire ça.

M. Charron: Menteur!

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je demanderais au leader parlementaire du gouvernement de retirer ses paroles. Si ce n'est pas vrai, ce que je viens de dire, qu'il me rappelle à l'ordre.

M. Charron: Ce qui n'est pas vrai, M. le Président, c'est que ce que vous avez offert, c'est

20 h 30 et 14 h 30 à l'Opposition. Ce n'est pas du deux à un.

M. Levesque (Bonaventure): A l'Opposition officielle, ai-je dit, M. le Président. Si on prend toutes les oppositions réunies, à ce moment c'est 20 heures et quelques minutes au gouvernement et environ 15 heures à toutes les oppositions réunies, dont quelques-unes peuvent avoir des nuances quant à l'expression de leurs sentiments.

M. Charron: Est-ce que, pour être dans le non, il faut être un inconditionnel libéral?

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Levesque (Bonaventure): Oui, je suis libéral; oui, je suis inconditionnellement canadien; ça fait toute une différence avec vous!

M. Charron: Votre non est beaucoup plus libéral que québécois, à ce moment-ci !

Une Voix: Mon non est canadien.

Le Président: M. le ministre des Finances.

Motion privilégiée relative à la question

devant faire l'objet d'une consultation

populaire sur une nouvelle entente

avec le Canada

Reprise du débat M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, la question qui a été soumise à cette Assemblée par le gouvernement me semble être le résultat normal d'un débat engagé entre nous depuis fort longtemps et dont je souhaite esquisser les étapes.

Si la démonstration que je vais tenter apparaîtra peut-être un peu longue, la conclusion quant à la validité de la question n'en sera, je l'espère, que mieux motivée.

Nous ne sommes pas la première génération de Québécois à s'interroger sur l'avenir du Québec. Nous ne sommes pas, non plus, la première à hésiter devant la possibilité de réconcilier le goût profond de l'autonomie de notre patrie et les conséquences économiques des gestes qui la traduiraient. Pendant longtemps, on s'est consolé de la difficulté de vivre dans le Canada en constatant qu'après tout on y trouvait le deuxième niveau de vie du monde. Ce que l'on perdait sur le plan des aspirations profondes, on le gagnait sur le plan de l'aisance relative. Puis, le monde a changé. On est devenu de plus en plus conscient que les revenus au Québec étaient assez nettement inférieurs à la moyenne canadienne. La commission Laurendeau-Dunton créa tout un émoi en révélant qu'au Québec même, de tous les groupes ethniques, les francophones étaient parmi ceux dont les revenus étaient les plus bas; cela, c'était au début des années soixante.

Puis, le Canada se mit à décrocher par rapport au reste du monde. En peu de temps, le produit intérieur brut par habitant glissa du deuxième au troisième rang et au douzième rang et la chute se poursuit. Quels sont ces pays les plus riches que nous maintenant? De grands pays comme l'Allemagne de l'Ouest, mais aussi plusieurs petits pays dont la plupart ne produisent pas plus de pétrole que le Québec. La Suisse, la Suède, le Danemark, l'Islande, par exemple, ont des populations à peine supérieures ou nettement inférieures a celle du Québec et, la plupart du temps, des ressources naturelles limitées ou même dérisoires. Devant la montée des aspirations souverainistes, on cherche à affirmer les avantages de vivre au Canada, mais la conviction n'est plus ce qu'elle était. Comment expliquer un tel glissement?

Il serait, bien sûr, trop facile de l'attribuer à une seule cause. Les choses ne sont jamais aussi simples. Sans doute l'économie américaine qui nous a si longtemps portés à bout de bras n'a-t-elle plus la vigueur et le dynamisme d'autrefois. D'autre part, nous avons réussi au Canada à flanquer un désordre étonnant dans nos propres affaires. Le Canada est devenu de plus en plus difficile à administrer. Les gouvernements sont faits pour gouverner et non pas pour se battre entre eux et annuler leurs actions respectives. De cet état de choses, le Québec est largement responsable. Depuis un quart de siècle, les gouvernements qui se sont succédé ici ont à peu près tout fait pour empêcher le fédéralisme canadien de fonctionner correctement. Se retirer de la plupart des programmes conjoints fédéraux, par exemple, comme le Québec l'a fait en 1964, était, sur le plan de la cohérence canadienne, une absurdité. Provoquer la crise politique de 1967 pour tenter de récupérer d'Ottawa la totalité des grands impôts directs sur le revenu et les profits, c'était prendre le risque de flanquer par terre le gouvernement fédéral. Refuser de ratifier la Charte de Victoria en 1971, cela n'avait peut-être pas de conséquences majeures sur le plan de l'économie, mais cela marquait une fois de plus qu'avec le Québec il n'y avait jamais moyen de s'entendre.

Les fédéralistes du Québec ont passé un quart de siècle à dire non, à refuser, à réclamer, à menacer et, forcément, ils ont créé un climat irrespirable. A force de vouloir avoir un gouvernement provincial plus fort, plus puissant, plus musclé, ils ont amené chez d'autres provinces les mêmes appétits et c'est ainsi que s'est développée cette atmosphère qu'au Canada rien n'est jamais réglable. Les bagarres actuelles entre Toronto, Ottawa et Edmonton autour du prix du pétrole n'en sont que le plus récent et un des plus tristes exemples. Ceux qui sèment le vent récoltent la tempête. Le Québécois est trop viscéralement autonomiste et nationaliste pour qu'on puisse impunément lui dire tous les jours qu'Ottawa est l'adversaire, sinon l'ennemi. Il arrive tôt ou tard que se lève l'idée que, si Ottawa ne peut pas être un vrai gouvernement, il doit y avoir moyen d'en construire un à Québec.

On finit par se dire que, si le fédéralisme, c'est l'affrontement, le désordre et la confusion, il doit y avoir moyen de vivre autrement. On se dit aussi qu'il n'est peut-être pas inévitable que le Québec soit forcé d'avoir, bon an mal an, un des plus hauts taux de chômage du monde industriel. De la patrie, on veut passer au pays. Nos impôts, nous voulons d'abord qu'ils nous servent; nos instruments, nos leviers économiques et sociaux, nous finissons par nous dire qu'il serait sans doute possible de s'en servir mieux.

La souveraineté apparaît alors non pas seulement comme l'affirmation d'un épanouissement collectif, mais aussi comme la condition du relèvement économique et de la prospérité. Pour une fois, les deux objectifs coïncident. On a fini par nous convaincre qu'on pourrait à la fois être indépendants et mieux vivre. Ne nous étonnons pas alors de la victoire du Parti québécois aux élections de 1976; ne nous étonnons pas non plus de l'affirmation graduelle du désir de souveraineté qui s'accompagne d'une ouverture sereine vers le Canada sur le plan des échanges. Nous ne pouvons tout de même pas en vouloir aux Canadiens si nous avons, depuis un quart de siècle, "complexifié" leur pays, tordu son orientation et si nous les avons dégoûtés eux-mêmes du dialogue. Nous savons fort bien que de maintenir l'espace écono-que canadien présente, sur le plan industriel, commercial et financier, des avantages pour les deux parties.

L'association économique que nous proposons et que la question souligne, elle doit être, bien sûr, négociée avec le Canada, mais elle n'a pas, contrairement à ce que suggéraient certains de nos amis d'en face, à être négociée entre Québécois. Sur les avantages d'une telle association, tout le monde s'entend, pour des motifs différents, bien sûr: pour les uns, c'est commode; pour les autres, c'est une façon de maintenir des liens économiques efficaces; pour tous, ici au Québec, la cause est entendue, c'est sur la souveraineté que non pas un consensus, mais au moins une majorité doit se dégager.

Voilà que ceux-là mêmes qui nous ont amenés où nous sommes, ceux-là mêmes qui sont historiquement responsables du désordre, constatant qu'ils ont joué aux apprentis sorciers, sentant "sourcer" de toute part les aspirations des Québécois, renversent la vapeur et cherchent à convaincre que si l'état actuel des choses est mauvais, et de plus en plus mauvais, le changement serait pire. Nous avons été de médiocres Canadiens, disent-ils, nous ferions d'affreux Québécois. Les arguments pleuvent à peu près, d'ailleurs, toujours les mêmes.

Un premier argument voudrait que le Québec perde, en acquérant sa souveraineté, toute espèce d'avantage financier. La péréquation, perdue; les pensions de vieillesse, perdues. On connaît le refrain. Pourtant, en dépit de ce que d'aucuns appellent la bataille des chiffres, le vrai visage de cet argument commence à se dégager. Il faut comparer, en somme, les impôts que nous envoyons à Ottawa et les sommes qu'Ottawa dépense au Québec sous toutes leurs formes: paiements du gouvernement du Québec aux particuliers, paiements du gouvernement, au Québec, aux particuliers, subventions aux entreprises, commandes et contrats, salaires des fonctionnaires et la part des frais de l'appareil central qu'il nous faut assumer. (15 h 30)

De 1961, année où les premiers calculs ont été réalisés, jusqu'en 1973 inclusivement, l'image, comme j'ai eu l'occasion de le souligner en Chambre, est très claire: Le Québec paie plus à Ottawa qu'il ne reçoit de lui. A partir de 1974, deux phénomènes se produisent qui modifient l'image. D'abord, Ottawa décide de maintenir temporairement le prix du pétrole au Canada à un niveau inférieur au prix mondial; pour la première fois, on peut dire que les Québécois tirent un profit net de l'appartenance au système fédéral, mais c'est un profit bien passager.

Déjà, en 1975, le gouvernement fédéral impose une première taxe d'accise sur l'essence pour financer une partie des subventions qu'il trouve lourdes à porter. Et puis le budget Crosbie a bien failli abolir d'un seul coup toutes les subventions que nous tirions d'Ottawa pour financer la différence entre le prix mondial et le prix intérieur. En tout état de cause, les deux partis fédéraux qui ont alterné au pouvoir nous assurent de leur intention de ramener le prix du pétrole au niveau mondial ou tout près. Avantage, donc? Oui, actuellement; non, demain. Profitons-en pour le moment sans nous faire d'illusions pour l'avenir.

En second lieu, le gouvernement fédéral a monté depuis trois ans un énorme déficit qui atteint maintenant $12 milliards; cela veut dire forcément qu'il dépense plus dans toutes les provinces qu'il n'y ramasse d'impôts. Un Québec souverain, en rapatriant tous les impôts qu'il paie aujourd'hui à Ottawa, ramasserait aussi sa part du déficit budgétaire fédéral, pas de bon coeur, bien sûr, mais inévitablement. Il n'y a rien là qui doive surprendre. Quand on double ses recettes, on peut sans risque accroître son déficit. On le réduira, évidemment, en se débarrassant graduellement des dépenses faites en double, des chevauchements et d'une partie du mou qu'Ottawa a laissé paraître à l'occasion de cette explosion de son déficit, mais, encore une fois, on assumera notre part du déficit inévitablement.

Alors, dans ce contexte, la disparition de la péréquation mettra-t-elle en péril l'équilibre du trésor québécois? Les pensions de vieillesse pourront-elles être payées? On comprend à quel point de telles inquiétudes sont sans fondement. La récupération de nos impôts assurera ce qui doit être assuré. L'argent pour les pensions est disponible, tout le reste de l'argumentation n'est là que pour faire peur. Un argument un peu plus subtil impliquerait que jamais une monnaie commune avec le Québec ne serait acceptable au Canada parce que le Québec ne pourrait jamais avoir autre chose que d'énormes déficits dans sa balance des paiements et que les Canadiens ne voudront jamais payer tout cela.

Notons d'abord que, de 1961 à 1973 inclusivement, le Québec, aussi surprenant que cela puisse paraître, a à peu près toujours eu un

surplus à sa balance des exportations et des Importations de produits et de services. A partir de 1974 et surtout en 1975, comme les pays européens ou le Japon qui ne produisent pas de pétrole, un déficit considérable est apparu à la suite des décisions de l'OPEP.

M. Scowen: M. le Président, question de règlement.

Le Vice-Président: M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, sur une question de règlement.

Des Voix: Cela fait mal!

M. Scowen: Est-ce que je pourrais rappeler le ministre des Finances à la pertinence du débat?

Le Vice-Président: M. le ministre des Finances.

Des Voix: N'y a-t-il pas une réponse?

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! La réponse est la suivante: Je pense que la présidence de l'Assemblée nationale a dit, depuis au-delà de deux jours, qu'il est extrêmement difficile de mesurer ce qui était pertinent et non pertinent et qu'en cas de doute la chance devait être donnée à l'orateur.

M. le ministre des Finances.

M. Charron: M. le Président, sur la même question de règlement...

Le Vice-Président: M. le leader du gouvernement.

M. Charron: ... pour rassurer le député de Notre-Dame-de-Grâce, s'il prend la peine de lire la motion, au nom du premier ministre, que nous discutons, on y prévoit l'utilisation de la même monnaie. C'est ce dont parle le ministre des Finances actuellement.

Le Vice-Président: M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Je regrette, M. le Président, que l'on ne me donne pas la possibilité de continuer sans interruption; on se rendra compte que, quant à la pertinence du débat, j'amène graduellement le député de Notre-Dame-de-Grâce dans l'entonnoir. Il y sera d'ici peu de temps.

Petit à petit, M. le Président, le déficit s'est résorbé. Le retour à l'équilibre de la balance des paiements n'est pas loin. Revenons à des arguments moins techniques. La souveraineté va faire fuir les entreprises et les capitaux. Regardons, disent nos opposants, ce qui s'est produit depuis trois ans. On a beau regarder, on est de moins en moins convaincu. Bien sûr, beaucoup de ceux qui ont toujours eu le haut du pavé dans les milieux d'affaires n'ont pas été ravis de l'arrivée au pouvoir du Parti québécois. Bien sûr aussi, le déplacement de certaines sociétés vers Toronto, commencé depuis 25 ans, se poursuit. Bien sûr enfin, un certain nombre d'anglophones ont préféré poursuivre leur vie en Ontario. Mais, face à ces mouvements, déferle la vague d'hommes d'affaires nouveaux, francophones pour la plupart, ambitieux comme il faut l'être dans ce milieu, voulant toutes les places tout de suite, et qui sont largement responsables de la remarquable performance de l'économie du Québec depuis deux ans.

Que reste-t-il alors comme arguments? Il en reste un qui est au coeur de la question que cette Assemblée doit débattre: Le Canada va dire non. C'est fondamentalement tout ce qui reste aux opposants de la souveraineté-association. On comprend alors pourquoi la question a été posée comme elle l'a été et on comprend pourquoi le député de Notre-Dame-de-Grâce est intervenu une minute trop tôt. Nous devons dire à ces opposants, et néanmoins amis: Vous pensez que le Canada dira non? Venez voir avec nous. Donnons-nous tous ensemble le mandat d'aller proposer la formule. Nous nous engageons à ne pas modifier le statut politique du Québec sans revenir devant la population à l'occasion d'un autre référendum. Mais, d'ici là, cherchons à nous entendre pour aller voir comment, devant l'affirmation majoritaire du Québec quant à son projet collectif, quant à l'établissement d'une nouvelle entente avec le Canada, le Canada, lui, va réagir. (15 h 40)

Quant à moi, M. le Président, cette question est une marche de plus sur cet escalier qui nous rapproche petit à petit de l'objectif. J'ai été associé de près aux opérations qui ont rendu le Canada si peu gouvernable et que je décrivais tout à l'heure. C'est en me rendant compte de ce à quoi j'ai été associé que je suis devenu souverainiste. Le cheminement que je retraçais tout à l'heure, les conclusions politiques de cet état de choses, l'émergence d'un pays du Québec, j'ai eu l'occasion de décrire tout cela à la fin de 1967 dans une conférence à Banff qui précéda de peu mon adhésion au Parti québécois. A l'invitation de la commission constitutionnelle conjointe de la Chambre des communes et du Sénat, j'ai eu l'occasion, en 1971, de reposer le même diagnostic et d'exprimer les mêmes conclusions. Cette sorte de persistance que je partage avec tant de gens au Québec me laisse profondément convaincu que notre vieille patrie n'est plus bien loin d'être notre nouveau pays. Merci, M. le Président.

Des Voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Gouin.

Des Voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Gouin, vous avez maintenant la parole.

M. Rodrigue Tremblay

M. Tremblay: M. le Président, mes propos s'enchaînent bien avec ceux du député de

L'Assomption, mais vous me permettrez tout d'abord de souligner que personne dans cette Assemblée ne défend le statu quo constitutionnel. Tous, nous voulons améliorer nos institutions politiques et nous souhaitons tous, davantage de démocratie, de justice, d'égalité et de décentralisation politique. Personne n'a le monopole de la vertu sous ce rapport. Il convient de le rappeler.

La vraie question, dans le fond, consiste donc à choisir, pour autant qu'on nous le permette, une amélioration de nos institutions politiques soit dans le cadre d'une nouvelle constitution canadienne soit, plutôt, dans le cadre d'un pays souverain limité aux frontières du Québec avec un seul gouvernement à Québec, celui du Québec. C'est pourquoi j'ai demandé au premier ministre, le 7 novembre et le 5 décembre dernier, de laisser la population elle-même choisir la direction constitutionnelle et politique qu'elle souhaitait voir le Québec adopter, en lui permettant de choisir parmi les principales options constitutionnelles celle qui respecterait le mieux ses intérêts et ses préférences plutôt que de ne lui offrir qu'une seule option, à prendre ou à laisser.

Le premier ministre — on le sait — a donné sa réponse le 20 décembre dernier en annonçant que, fort de sa majorité en Chambre, il ferait en sorte qu'il n'y ait qu'une seule option sur le bulletin de vote, la sienne. C'est cette intransigeance, difficile à qualifier, qui rend mal à l'aise bien des gens au Québec. En vertu de quel principe, en effet, un parti au pouvoir a-t-il tous les droits d'abuser d'un processus référendaire et de se l'approprier pour évincer les idées et les options concurrentes? Pourquoi ne le ferait-il pas pour des élections, s'il le fait à l'occasion d'un référendum? Pourquoi ne changerait-il pas à son avantage le système électoral, par exemple, en se servant de sa majorité parlementaire si la majorité peut tout faire?

M. le Président, ce coup de force d'une option unique sur le bulletin de vote, on peut nous l'imposer, mais nous ne l'acceptons pas. Mais il y a plus! Non content d'évincer les autres options constitutionnelles et de les placer hors d'atteinte du choix des électeurs, le parti gouvernemental s'est inspiré des vieux manuels de stratégie et de propagande en limitant encore davantage le choix des électeurs, en les forçant à voter non pas sur le fond de son option, mais sur un astucieux mandat de négocier. Chose curieuse, M. le Président, dans le débat actuel, personne du côté gouvernemental n'a osé ouvertement défendre cette stratégie. Tout le monde sait, par contre, à quoi cette "stratégie du petit doigt" conduit habituellement: L'adhésion arrachée sur un mandat dilué, c'est-à-dire le petit doigt, permet ensuite de mettre la dynamique en marche et de faire passer et le bras, et ensuite, tout le corps dans le tordeur!

La population est ainsi amenée petit à petit, par ce conditionnement stratégique, à finalement accepter ce qu'elle n'aurait jamais accepté si on le lui avait demandé ouvertement et directement.

Mme la Présidente, le parti gouvernemental avait la responsabilité de rechercher un consensus de cette Assemblée sur le libellé de la question et sur sa signification. Une question référendaire appartient à l'Assemblée nationale et non pas au parti au pouvoir. Mais cela, il ne l'a pas fait. Il a plutôt choisi de "bulldozer" le Parlement. Il n'a, par conséquent, à s'en prendre qu'à lui-même si le référendum est contesté dans sa légitimité et si personne ne se sent lié d'avance par ses résultats. C'est justement à cause de cette stratégie qui se veut trop astucieuse que tout le monde va de plus en plus se rendre compte au Québec que la question référendaire est essentiellement un "trompe-l'oeil", car toute personne qui voterait "oui" à la question sans être au préalable d'accord avec l'idée d'ériger des frontières légales autour du Québec et sans souhaiter la sécession du Québec s'en trouverait, par le fait même, leurrée. On aurait alors obtenu son vote, en quelque sorte, sous de fausses représentations. Ceci est sérieux, Mme la Présidente, car en démocratie, s'il y a un droit fondamental que possèdent les citoyens, c'est bien de pouvoir compter ne pas être trompés ou leurrés par un gouvernement. C'est peut-être ce qu'il y a de plus grave dans ce plébiscite perdu dans la confusion des mots que l'on s'apprête à vivre.

En effet, si la question peut s'interpréter de deux ou de trois ou même de cinq façons, comme l'a dit le chef de l'Opposition officielle, il va de soi que les adhésions et les résultats pourront aussi s'interpréter de deux, de trois ou de cinq façons. 1° Considérez que tantôt, l'adhésion à la question est présentée comme une façon de "faire débloquer" la réforme constitutionnelle. C'est le vague "mandat de négocier" prétendument réversible ou le chèque en blanc inoffensif sur lequel portera, semble-t-il, le gros de la stratégie gouvernementale. Première interprétation. 2° Tantôt l'adhésion à la question est présentée comme un appui au principe même de l'indépendance politique et de la sécession du Québec du reste du Canada. Deuxième interprétation. 3° Tantôt l'adhésion à la question est plutôt présentée comme une acceptation du dollar canadien et de l'espace économique canadien et du désir de ne pas "briser le Canada". Troisième interprétation. On pourrait continuer! C'est un peu comme l'auberge espagnole; on y trouve tout ce qu'on a bien voulu y apporter. Il y a à boire et à manger pour tous!

Mais, si on y regarde bien de près, on demande de négocier quoi au juste? La souveraineté politique du Québec? Ceci n'a pas tellement de sens, on en conviendra, à moins que la population n'ait déjà décidé explicitement, en faveur de l'indépendance politique, ce qui est loin d'être le cas. Ceci n'a pas tellement de sens non plus pour une autre raison, dans le contexte actuel, car il est absurde de demander de négocier la souveraineté politique, c'est-à-dire, entre autres choses, la disparition des députés québécois au parlement d'Ottawa, quand le premier ministre du Canada est lui-même un député du Québec et vient tout récemment de recueillir 68% des suffrages au Québec. Demande-t-on plutôt de négocier l'association économique? Ceci n'a pas tellement de

sens non plus car le Québec est déjà associé économiquement et le dollar canadien est déjà notre monnaie. Cette question ne se poserait évidemment que si le Québec était déjà indépendant, mais l'autorisation de faire l'indépendance, le parti gouvernemental ne la demande pas explicitement par peur de perdre "son" référendum.

La conclusion devait donc être claire pour tous: Le fameux "mandat de négocier" ne conduit nulle part: Ce n'est et ce ne peut être qu'un truc de marketing politique et électoral, et on doit le traiter comme tel. Que faire alors, se demandent, à juste titre, les citoyens québécois? Se résigner à subir la stratégie cousue de fil blanc du parti gouvernemental ou bien, comme il convient dans une démocratie, protester en votant "non"? A mon avis, nous n'avons pas d'autre choix que de défaire ce référendum, que l'on doit qualifier de faux référendum, qui n'est, en fait, qu'un plébiscite tronqué et qui n'a qu'un seul but, soit de permettre au parti gouvernemental de gagner du temps, et de continuer à faire avancer le Québec dans une direction ultime que la très grande majorité de la population rejette. Ou bien on consulte directement et ouvertement la population et on respecte alors ses préférences et ses volontés; ou bien on déclenche des élections générales et on sollicite carrément un nouveau mandat de confiance pour gouverner et pour négocier tous les "package deals" que l'on veut! (15 h 50)

En fait, parce que ce référendum pose la question de confiance dans le gouvernement actuel, il s'agit bien plus d'une élection déguisée que d'un vrai référendum, que d'un véritable référendum. Une élection sur le thème constitutionnel aurait donné les mêmes résultats, mais on aurait par contre épargné de $25 millions à $30 millions et tout le monde aurait été placé sur le même pied, les partisans d'une option donnée, comme les partisans de l'option du parti gouvernemental.

C'est la raison pour laquelle, Mme la Présidente, il faut conclure à un gaspillage. Mais il y a plus, c'est aussi et surtout une occasion historique ratée pour le Québec de jouer un rôle positif de leadership dans l'élaboration d'une nouvelle constitution canadienne, à partir d'un consensus québécois sur ce que nous voulons comme institutions politiques.

A mon avis, le gouvernement actuel est le seul responsable de ce gaspillage et il sera sévèrement blâmé pour cela dans les mois et dans les années à venir.

M. le Président, j'ai entendu le premier ministre dire, en jouant habilement sur les mots, qu'il ne veut pas "abolir le Canada". M. le Président, c'est drôle comme la langue française, la langue des diplomates est si peu claire quand c'est le parti gouvernemental qui l'utilise!

Cette balkanisation politique du Canada, cependant — parce que c'est de cela que nous parlons — soulève quelques questions de fond qui devraient amener tout citoyen éclairé à faire certaines réflexions.

Demandons-nous donc lucidement, s'il est vraiment de notre intérêt, à nous du Québec, de provoquer la balkanisation et l'émiettement prévisible de la Confédération canadienne. Il est facile de détruire, il est plus difficile de construire! Je suis persuadé, par exemple, que les Etats-Unis accepteraient à bras ouverts l'Ouest canadien avec son pétrole, son gaz naturel et sa jonction géographique avec l'Alaska. Est-ce que cette éventualité est à notre avantage, oui ou non? Et alors, cet espace économique que l'on veut préserver, que lui arriverait-il? Quel serait alors l'espace économique canadien?

Autre question, Mme la Présidente: Quelles seraient les conséquences de la balkanisation du Canada sur la monnaie? Parmi les autres monnaies le dollar canadien est stable et fort, en grande partie à cause des compensations entre les richesses et les productions d'une région à l'autre, que ce soit la production manufacturière ou agricole ou les richesses comme les mines, le pétrole, le gaz, etc. Tout le monde sait, par exemple, que le Québec ne produit pas une goutte de pétrole et que nous devrions débourser au-delà de $5 milliards par année, au prix international, pour nos importations de pétrole et de gaz. Avec une note à payer de cette importance et qui grandit d'année en année, il n'est pas nécessaire d'être économiste pour comprendre que de telles charges pèsent lourd sur une monnaie. Et les dangers d'inflation sont, bien sûr, à la mesure de la faiblesse de la monnaie.

On peut, en contrepartie, se demander si une monnaie commune, sans un Parlement commun, mais avec nécessairement un fonds des échanges commun, serait acceptable au reste du Canada, une fois que le Québec aurait quitté politiquement la Confédération?

Mme la Présidente, vous me permettrez d'en douter fortement, pour la même raison qu'il est difficile de garder le même compte en banque après un divorce! La générosité, habituellement, ça ne se fait qu'en famille et, dans ce domaine, il est difficile "d'avoir son gâteau et de le manger en même temps". La logique veut plutôt que la balkanisation politique se transforme rapidement en balkanisation économique. C'est le gros bon sens et c'est ce que l'Histoire nous apprend partout où la balkanisation politique s'est produite. La vérité, c'est qu'il ne peut y avoir de monnaie, commune et de fonds des changes commun sans un Parlement commun, c'est-à-dire sans une solidarité et une communauté politiques. Et la monnaie, Mme la Présidente, c'est la clef de voûte de la stabilité d'une société et d'une économie.

Que cela plaise ou non à certains collègues du parti gouvernemental, pour qui la nécessité d'une monnaie canadienne stable et forte n'est rien d'autre qu'une concession tactique — car on n'y croit pas vraiment à la monnaie commune, sans quoi on proposerait un Parlement commun — la population du Québec, elle, à juste titre, tient à la stabilité économique; elle y tient à l'association économique; elle y tient à la stabilité monétaire. Et il n'y a rien de déshonorant dans

cela, c'est plutôt un grand signe de l'intelligence et de la maturité de notre population.

Mais tout cela — monnaie stable et disponibilité de ressources énergétiques — nous l'avons déjà, et on serait mal avisé de les abandonner au profit de quelques symboles politiques de plus et d'une casquette de douanier! Des douaniers, dans le monde, nous en avons trop! La majorité au Québec se rend bien compte que, dans cette conjoncture économique de la fin du XXe siècle, une population qui se couperait politiquement de cette stabilité, de ces richesses et d'une telle source diversifiée et assurée en pétrole et en gaz, à moins d'être opprimée de façon intolérable, serait la risée du reste du monde! La vérité, c'est que le reste du monde envie notre sort, et combien! La preuve en est qu'il faut ralentir le flot d'immigration. Ici, Mme la Présidente, est-il besoin de rappeler que les appels à la solidarité tribale ne reflètent pas notre vraie situation. Nous ne sommes pas un peuple opprimé et nous ne sommes pas une colonie.

Mme la Présidente, le seul fait que nous contrôlions ce Parlement de qui relève un budget de plus de $15 milliards, en est la preuve vivante et éloquente. A l'étranger, surtout depuis qu'on a un Québécois premier ministre à Ottawa, on ne comprend tout simplement pas ce qui se passe au Québec, à commencer, d'ailleurs, par les ministres français qui nous ont visités l'an dernier! On serait, par conséquent, malvenu au Québec de sombrer dans une psychose sécessionniste et de briser la Confédération. Posons donc la vraie question. Est-ce que la hantise d'ériger une frontière et de créer une bureaucratie encore plus grosse et encore plus monopolisée en un seul endroit, dans un seul gouvernement, vaut vraiment la peine de détruire la Confédération canadienne? Ma réponse et celle de la majorité, c'est NON.

Et si le parti gouvernemental doute de ce que je dis, et s'il croit plutôt que la sécession politique est la meilleure, et la seule solution pour les Québécois, je le mets alors au défi d'amender sa motion et sa question et d'y placer côte à côte, l'option de la sécession et l'option du renouveau constitutionnel, on verra bien alors, dans quelle direction la population du Québec veut fondamentalement aller.

Evidemment, il est plus intéressant d'être tout seul sur le bulletin de vote. On part ainsi avec une longueur d'avance, puisque la population ne peut pas appuyer les autres opinions constitutionnelles pour la bonne raison qu'elles ne sont pas sur le bulletin de vote. Mme la Présidente, avec la question telle que présentée, il est clair que tous ceux et toutes celles qui désirent appuyer l'option du renouveau constitutionnel, c'est-à-dire cette troisième option moderne et logique que tant de Québécois recherchent entre les deux pôles extrêmes de la sécession politique et du statu quo, ne pourront pas le faire, sinon en votant NON.

Motion de sous-amendement

C'est pourquoi, afin d'éviter un gaspillage complet du référendum; afin d'offrir un véritable choix à la population; afin d'aider le parti gouvernemental, lui-même, à souscrire au principe de la clarté même brutale et, finalement; afin que tous les membres de cette Assemblée puissent se sentir liés par la décision de l'électorat, je désire proposer une motion de sous-amendement à la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle. Vous avez reçu, Mme la Présidente, copie de cette motion qui se lit comme suit: "Que la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle soit amendée en ajoutant ce qui suit: 3° Dans la négative, pensez-vous que le gouvernement du Québec devrait prendre l'initiative de proposer au gouvernement fédéral et aux gouvernements des autres provinces un projet cohérent de réforme en profondeur du fédéralisme canadien, afin de doter le Canada d'une nouvelle constitution selon le principe de l'égalité des deux communautés linguistiques et selon le principe d'une répartition claire ef fonctionnelle des compétences entre les deux ordres souverains de gouvernement? OUI ou NON? Mme la Présidente, j'en recommande l'adoption à cette Assemblée. Merci.

La Vice-Présidente: Je remercie le député de Gouin de m'avoir fait parvenir sa motion d'amendement avant de prononcer son discours. Cette motion est recevable. Elle peut donc être discutée en même temps que la motion du premier ministre, que la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle et de la motion d'amendement du chef de l'Union Nationale.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales. (16 heures)

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je vais intervenir seulement quelques minutes pour dire que je suis peiné de ce que je viens d'entendre, et surtout surpris, parce que j'ai ici un document du 13 août 1979 qui m'a été transmis par celui qui vient de parler, alors qu'il était ministre de l'Industrie et du Commerce, alors qu'il participait avec nous aux premiers préparatifs du livre blanc gouvernemental et dans lequel — je pense que je vais citer un court passage — il nous suggérait avec beaucoup de vigueur d'introduire les éléments suivants. Ce document, évidemment, est beaucoup plus complet, mais je pense que c'est assez important.

M. Tremblay: Mme la Présidente, question de privilège!

La Vice-Présidente: M. le ministre, un moment, s'il vous plaît, question de privilège. A l'ordre!

M. le député de Gouin.

M. Tremblay: Le ministre des Affaires intergouvernementales s'apprête à sortir un document que j'aurais écrit lorsque j'étais ministre dans le gouvernement. Lorsque nous sommes ministre dans un gouvernement, nous écrivons des textes et des lois en très grand nombre. Je voudrais simplement dire ceci: Si on commence à sortir des textes confidentiels qui circulent à l'intérieur du

Conseil des ministres, aujourd'hui, je sortirai d'autres textes moi aussi.

Je voudrais mettre en garde le ministre des Affaires intergouvernementales. Je crois qu'il joue avec le feu s'il commence à sortir des textes qui sont internes à un gouvernement alors qu'un de ses membres est parti. En sortant du gouvernement, j'ai dit en cette Assemblée que, pendant au moins trois mois, je ne ferais même pas allusion à des documents ou à des dossiers dont j'avais une connaissance privilégiée. J'ai tenu ma parole, je ne me suis pas servi de ces textes et de ces documents à des fins personnelles et j'aimerais qu'on ait la décence et la courtoisie, de l'autre côté, d'en faire autant.

La Vice-Présidente: M. le député de Gouin, je vous ai laissé vous lever sur une question de privilège. Je n'étais même pas encore sûre qu'il y ait lieu à une question de privilège.

A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Rivest: Question de privilège, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: On n'a pas parlé de vous, M. le député.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Rivest: Question de privilège.

La Vice-Présidente: Sur une question de privilège, M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Mme la Présidente, c'est une question de privilège de la Chambre parce que...

La Vice-Présidente: De la Chambre.

M. Rivest: Oui, parce qu'il n'a jamais rté établi, en raison de la procédure que le ministre des Affaires intergouvernementales est en train d'entreprendre à l'endroit de son ancien collègue... Il faut bien se rendre compte de l'importance pour la Chambre de ce qui est en train de se produire. Si le ministre des Affaires intergouvernementales est autorisé à sortir un document interne du gouvernement en cette Chambre, alors que son collègue a quitté le cabinet, je pense que nous pourrions... Avec le ministre des Affaires intergouvernementales, j'ai participé à la conférence de Victoria et on pourra donner des mémos du ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Samson: Mme la Présidente, question de règlement, s'il vous plaît.

La Vice-Présidente: Sur la question de règlement, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Mme la Présidente, c'est une question qui me semble très sérieuse et peut-être grave de conséquences, suivant la décision que vous aurez à prendre dans quelques instants. Si la solidarité ministérielle est brisée aujourd'hui et si des textes privés sortent du Conseil des ministres pour être cités en cette Chambre, je voudrais que vous me disiez de quelle façon, en tant que parlementaire, pour préserver tous mes droits, je pourrais exiger du gouvernement qu'il fasse part à cette Chambre de tous les textes privés qui ont circulé dans ce gouvernement depuis son arrivée au pouvoir.

La Vice-Présidente: Sur ces questions de règlement, je pense que la mise en garde doit être suffisante.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je ne vois pas pourquoi on s'oppose tellement à ce que je fasse une lecture brève de ce que j'ai ici parce que, d'une part, il ne s'agit pas du tout d'un document secret et, d'autre part, son titre est absolument excellent, à mon avis. Cela s'appelle: Le Québec, notre seule vraie patrie.

Juste une parenthèse à propos des documents de la conférence de Victoria. M. le député de Jean-Talon, si jamais vous voulez en parler, j'ai justement celui auquel je tiens le plus avec moi, ici, et éventuellement on pourra peut-être s'amuser beaucoup plus que vous ne pensez.

M. Tremblay: Question de privilège, encore.

M. Morin (Louis-Hébert): Je le conserve toujours avec moi.

M. Tremblay: Mme la Présidente, question de privilège.

M. Rivest: A ce moment-là, on peut sortir aussi...

La Vice-Présidente: A l'ordre! M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaît! S'il vous plaît!

M. Tremblay: Question de privilège, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le député de Gouin.

M. Tremblay: Je dois vous demander de statuer quand même sur mes privilèges de parlementaire. En tant que ministre d'un cabinet, j'ai dû prêter un serment d'office me défendant de dévoiler les discussions, les décisions, et les divergences d'opinions à l'intérieur du Conseil des ministres. Avec ce serment d'office, je ne pouvais par conséquent publier des documents qui reflétaient peut-être des opinions divergentes que j'aurais pu avoir quand j'étais au Conseil des ministres. Je suis donc lié par un serment d'office et mes anciens collègues le sont aussi. Mes droits et privilèges seront violés si on commence, de façon sélective, à sortir des morceaux de textes qui avaient été rédigés pour être portés à la connaissance du Conseil des ministres ou d'un ministre en particulier et non pas à celle de la population en général.

A mon avis, Mme la Présidente, vous devez statuer sur cette question avant qu'on s'apprête à violer un serment d'office non pas de mon côté, mais du côté du ministre des Affaires intergouvernementales qui non seulement manque à son serment d'office, mais manque à sa parole et à la crédibilité qu'il peut avoir lorsqu'on lui communique des textes et qu'il les rend publics lorsque c'est à son avantage politique personnel à court terme.

La Vice-Présidente: J'ai bien entendu votre question de privilège et je considère que je n'ai pas à trancher. Il ne s'agit pas maintenant d'une question parlementaire comme telle, mais bien d'une question de responsabilité ministérielle. Cette responsabilité appartient à ceux qui doivent l'assumer.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je vais mettre un terme assez rapide à tout cela.

M. Tremblay: Question de privilège, à nouveau.

M. Charron: A l'ordre, à l'ordre!

La Vice-Présidente: M. le député de Gouin, je pense avoir fait état de la décision qui est rendue quant à la question que vous avez posée. Je crois que vous avez suffisamment étayé votre intervention pour que chacun soit très au courant de ce qui se passe maintenant.

M. Tremblay: Je me lève maintenant sur un fait nouveau de question de privilège. En tant que parlementaire, je ne permets à personne de divulguer des textes confidentiels et privés. Cette mise en demeure doit être acceptée par tous mes collègues de l'Assemblée nationale. Je pense qu'il s'agit, pour un Parlement, d'une règle fondamentale; c'est non seulement une règle de fonctionnement interne d'un Conseil des ministres, mais une règle de droit parlementaire élémentaire. Il s'agit d'un privilge élémentaire pour un parlementaire. Si on veut faire appel à des textes publics ou à des discours publics, qu'on fasse appel à ces publications. J'ai publié un texte, il y a deux ou trois mois, qui s'appelle la Troisième option, un livre qui exprime mes idées personnelles sur la réforme constitutionnelle. Qu'on fasse référence à des textes publics de ma part, mais qu'on ne fasse pas appel à des documents ou à des notes de service qui ont été rédigés pour régie interne ou pour discussion interne à l'intérieur d'un Conseil des ministres.

Il s'agit, à mon avis, Mme la Présidente — et c'est là où mon privilège est directement concerné — ... Je comprends que le ministre des Affaires intergouvernementales voudrait discréditer celui qui vous parle, c'est la seule motivation qui l'amène à briser son serment d'office lui-même pour des avantages personnels.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je pense qu'on est en train de compliquer les choses. D'abord, j'affirme clairement qu'il ne s'agit pas d'un document du Conseil des ministres. Deuxièmement, je ne le lirai pas. Je n'ai lu que le titre: Le Québec, notre seule vraie patrie. Mais je demande...

Des Voix: Oh!

M. Morin (Louis-Hébert): ... au député devant tout le monde s'il me donne la permission de déposer ou de rendre public éventuellement — ou peut-être qu'il voudra le faire lui-même — le document qu'il m'envoyait le 13 août 1979 et qui est ici avec la lettre qu'il me transmettait. C'est tout simplement ce que je veux dire pour le moment, Mme la Présidente.

M. Tremblay: Je ne donne l'autorisation de distribuer aucun document privé et des échanges entre collègues à l'intérieur du Conseil des ministres...

Une Voix: Parlez de la question.

M. Tremblay: ... d'autant plus, Mme la Présidente, que la plupart de mes recommandations ont été rejetées par la majorité du Conseil des ministres quand j'y étais!

La Vice-Présidente: M. le ministre.

M. Charron: Question de privilège, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Le député de Gouin vient d'affirmer que la plupart de ses recommandations, la majorité de ses recommandations, a-t-il dit, ont été refusées par le Conseil des ministres.

Une Voix: Non, non. C'est faux.

M. Charron: Le document qu'il demande au député de Gouin de nous permettre de déposer à ce moment-ci prouve que le gouvernement a exactement suivi les recommandations du député de Gouin.

Une Voix: Voilà!

M. Tremblay: Mme la Présidente, je n'ai pas dit qu'on avait refusé toutes mes idées...

Des Voix: Ah!

M. Tremblay:... parce qu'il y a bien des idées qui ont été annoncées par d'autres ministres, mais qui venaient de celui qui vous parle et je n'en ai pas fait mention publiquement...

Des Voix: Ah!

M. Tremblay: ... entre autres, l'année de l'économie. C'est le premier anniversaire du discours inaugural, il y a un an. Cette année de l'économie n'a pas eu lieu parce que mes projets de loi n'ont pas été mis de l'avant...

La Vice-Présidente: M. le député de Gouin, s'il vous plaît! S'il vous plaît! Revenons à la pertinence du débat.

M. Gratton: Mme la Présidente...

La Vice-Présidente: M. le député de Gatineau, sur une question de règlement?

M. Gratton: Non, sur la motion, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Vous aviez terminé, M. le ministre. M. le député de Gatineau. A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Mercier! A l'ordre, s'il vous plaît, M. le député de Laval. M. le député de Maskinongé, puis-je vous rappeler à l'ordre, s'il vous plaît?

Bon! Nous pourrons continuer la discussion sur la motion et les amendements qui sont proposés.

M. le député de Gatineau.

M. Michel Gratton

M. Gratton: Mme la Présidente, on voit bien jusqu'où ces gens sont prêts à aller pour avoir raison, pour donner l'impression d'avoir raison, lorsque le père de l'étapisme lui-même, le brillant ministre des Affaires intergouvernementales, est prêt à descendre au niveau le plus bas, que ce soit à l'endroit d'un ancien collègue ou à l'endroit d'un collègue actuel.

Une Voix: C'est écoeurant! Chien sale!

M. Gratton: D'ailleurs, Mme la Présidente, je ne suis pas surpris que pas un seul des députés de l'autre côté n'ait osé digresser le moindrement de la cassette qu'on nous sert de ce côté-là. Autrement, ils pourraient subir les foudres de ce vaillant ministre des Affaires intergouvernementales.

Une Voix: On le voit visière levée!

M. Gratton: M. le Président, quant à l'amendement ou au sous-amendement que vient de nous proposer le député de Gouin, quant à moi — et je parle en mon nom personnel — il me semble qu'il serait tout à fait acceptable à titre d'amendement à l'amendement déjà proposé par le député d'Argenteuil. Je suis convaincu qu'après étude... En fait, notre formation en fera une étude sérieuse et un intervenant, un peu plus tard, pourra exprimer la position officielle de notre formation à ce sujet. (16 h 20)

M. le Président, je suppose qu'il ne fallait pas s'attendre que le ministre des Finances, d'habitude beaucoup plus transparent, dénonce la ques- tion de son gouvernement. On aurait pu quand même espérer qu'il ne dise rien s'il n'était pas prêt à se dire en désaccord. Lui qui a toujours dit que l'indépendance nécessitait une monnaie québécoise et non une monnaie commune avec le reste du Canada, lui qui, après avoir, par solidarité, accepté l'idée d'un premier référendum, frappait presque le ministre des Affaires intergouvernementales, au moment où on a déposé la question et qu'on y prévoyait un deuxième référendum — oui, on a tout vu cela — voici que cet après-midi ce vaillant ministre des Finances a trouvé le moyen d'intervenir dans le débat en parlant tellement peu de la motion, de la question qui fait l'objet de cette motion, que la seule conclusion qu'on peut en tirer, c'est qu'il n'est pas d'accord avec le libellé, mais qu'il n'ose pas le dire, par solidarité, j'imagine, comme plusieurs des collègues du premier ministre.

M. le Président, quant à moi, j'appuierai la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle car, à mon avis, le débat historique dont nous parlent les gens d'en face ne sera pas possible à moins, justement, qu'on débatte d'une question franche, d'une question plus transparente, comme celle qui est suggérée par le chef de l'Opposition officielle dans sa motion d'amendement.

Pourquoi le premier ministre et le gouvernement ont-ils préféré nous offrir une question bidon, une question où on retrouve un peu un petit quelque chose pour chacun? C'est tout simplement, M. le Président, parce qu'on veut s'attirer le plus grand nombre de oui possible. C'est tellement vrai que moi qui ne suis pas un souverainiste — ai-je besoin de le dire? — je pourrais facilement voter oui à quatre des cinq éléments principaux que contient la question du gouvernement. Comme l'a expliqué le chef de l'Opposition, qui peut ne pas être d'accord avec l'égalité des peuples? C'est un des principes de base de la proposition constitutionnelle du Parti libéral. Qui peut s'opposer à une association économique du Québec avec le reste du Canada? Le système fédéral comporte déjà une association qui est plus complète, plus durable, donc plus profitable que ne pourrait l'être une association entre deux pays souverains. Négocier une nouvelle entente, M. le Président, les libéraux ne s'y opposent pas. Au contraire. On a même détaillé notre proposition pour une nouvelle fédération canadienne à être négociée. Un deuxième référendum pour ratifier le résultat de la négociation. Notre livre beige n'exclut pas de recourir au référendum pour obtenir l'approbation de la population à une nouvelle constitution canadienne.

Reste la souveraineté politique. C'est à cela et seulement à cela qu'on dit non, de ce côté-ci. Assez curieusement, c'est également la seule chose à laquelle les gens d'en face tiennent, mais ils n'ont malheureusement pas le courage de l'admettre franchement, M. le Président. C'est pourquoi l'amendement du chef de l'Opposition est si pertinent. Il vise à remplacer la question bidon du Parti québécois par une question beau-

coup plus simple, beaucoup plus claire, beaucoup plus directe, beaucoup plus pertinente et qui se lit comme suit: "Le gouvernement du Québec a fait connaître dans son livre blanc son projet d'un nouveau régime politique pour le Québec. En conséquence, 1) pensez-vous que le Québec devrait devenir un Etat souverain? Pas un Etat indépendant, pas la séparation, un Etat souverain. Oui. Non. 2) Dans l'affirmative, pensez-vous qu'un Québec souverain devrait rechercher par voie de négociation une association économique avec le reste du Canada? Oui. Non.

Vous voyez, M. le Président, que dans cette question que propose le député d'Argenteuil, on retrouve les trois éléments clés de la question du PQ. Elle permet d'abord de se prononcer sur l'accession à la souveraineté qui constitue le fond du débat. Elle permet également de se prononcer sur le mandat de négocier. Mais contrairement à la question bidon, la négociation porterait sur l'association économique — d'ailleurs, c'est le troisième élément qu'on retrouve dans la question du chef de l'Opposition — et non sur la souveraineté. Cela est juste et bon, comme le dirait le nouveau chef de l'Union Nationale, car même les péquistes admettent que la souveraineté, cela ne se négocie pas, cela se proclame. (16 h 20)

La question du chef de l'Opposition laisse tomber le deuxième référendum parce qu'il n'est plus nécessaire. Pourquoi les péquistes s'y opposeraient-ils? Cela risquerait de ne pas humilier leur chef, lui qui a la fierté si fragile.

M. le Président, voilà la question qu'on devrait poser au référendum. Elle n'empêcherait pas les péquistes de faire exactement les mêmes discours qu'ils font présentement. Au contraire, elle les rendrait plus pertinents car présentement, les uns après les autres, le ministre des Finances inclus, ils nous passent la cassette pour vendre la souveraineté-association. Ils ont honte de parler du libellé de la question qui fait l'objet de ce débat.

Je dis que tant et aussi longtemps qu'ils auront peur de parler de la vraie question, de poser la vraie question, le référendum, loin d'être perçu comme un événement historique, demeurera plutôt un sondage de haut niveau, insignifiant, un exercice futile. Ce n'est pas moi qui dis cela, M. le Président, c'est un chevalier sans peur ni reproche de l'indépendance, Pierre Bourgault, qui, dans le Montreal Gazette, disait, en décembre: "Six millions de mendiants, c'est ce que les Québécois sont appelés à devenir s'ils disent oui; s'ils disent non, ils sont toujours des mendiants." Quel choix! Et quel moment historique!

M. le Président, vous me direz: Oui, mais il va voter oui, Bourgault; il fait campagne pour le oui. La raison est fort simple. C'est sûr, parce qu'il sait que le véritable objectif, le seul objectif que le Parti québécois a jamais eu a toujours été de réaliser coûte que coûte l'indépendance du Québec. D'ailleurs, les péquistes eux-mêmes ne niaient pas cela durant les campagnes électorales de 1970 et de 1973. Ils disaient clairement qu'un vote pour le PQ, c'était un vote pour l'indépen- dance. Ils ont même produit le budget de l'an 1 d'un Québec indépendant, en 1973. On connaît le résultat de l'élection. Forcément, les gens ne voulaient pas, à ce moment-là, de l'indépendance, pas plus qu'aujourd'hui. Ils ont dit non une première fois en avril 1970, une seconde fois de façon encore plus retentissante en octobre 1973. Ils l'ont dit encore sept fois aux sept élections partielles tenues en 1978 et en 1979. Non à l'indépendance.

Après l'élection de 1973, c'est là qu'on a vu le vaillant ministre des Affaires intergouvernementales avec son bon ami, Doris Lussier, entrer en scène comme les deux bons comédiens qu'ils sont. On a inventé l'étapisme. On a promis un référendum sur l'indépendance, ce qui leur a permis de gagner le pouvoir. Depuis ce temps, on manie les leviers du pouvoir pour tenter de convaincre les Québécois de préférer l'indépendance. A ceux qu'on ne peut pas convaincre, Doris Lussier a suggéré des façons de leur faire croire qu'on ne veut plus faire l'indépendance. C'est la stratégie, c'est exactement la technique que les péquistes ont suivie depuis trois ans. Des millions de dollars en fonds publics ont servi à faire des campagnes de publicité à saveur nettement nationaliste. On a multiplié les études sur le fédéralisme canadien. On a publié celles qui venaient appuyer l'option péquiste et on a caché délibérément celles qui allaient en sens contraire. C'est le finasseur ministre des Affaires intergouvemementales. Tout ce qui va mal, c'est la faute au fédéral, c'est la faute aux Anglais ou c'est la faute aux deux.

Pendant ce temps, on faisait des sondages pour tenter de savoir si les Québécois n'accepteraient pas peut-être un peu mieux l'indépendance, toujours à nos frais, bien entendu. Peine perdue, M. le Président. La majorité des Québécois ne veulent pas encore de l'indépendance. Les sondages auront servi à quelque chose, cependant. On aura pu décortiquer quel genre de question serait susceptible d'obtenir le plus de oui possible et c'est celle-là qu'ils poseront au référendum. La question bidon.

C'est ainsi que ce référendum historique dont ils nous parlent ne devient, en réalité, qu'un simple test électoral qu'eux, du Parti québécois, doivent absolument gagner pour tenter de se maintenir au pouvoir. Au fond, que nous dit le premier ministre? Aux indépendantistes, aux membres de son parti, il dit: Ne faites pas attention à la question; elle est faite seulement pour rassurer le plus de gens possible. Mais si vous voulez faire l'indépendance un jour, vous devez voter oui au référendum. Aux autres, qu'est-ce qu'il dit? Pas de problème, c'est un grand moment historique. Laissez votre partisanerie de côté. En réalité", tout ce qu'on vous demande, c'est un petit "bargaining power" pour le gouvernement des Québécois. Vous pouvez voter oui; cela n'engage absolument rien d'irréversible.

Malhonnête, me direz-vous? Je laisse la population en juger, M. le Président. Mais, pour un parti désespéré, j'imagine que tous les moyens sont bons, y compris celui d'essayer de soutirer un oui

à ceux qui ne veulent pas de l'indépendance, et on leur dit qu'ils pourront toujours voter contre le Parti québécois à l'élection ou voter non au deuxième référendum. A ceux-là, M. le Président, je rappellerai ce que disait le premier ministre lui-même en cette Chambre, le 21 décembre dernier, au lendemain du dépôt de la question, page 4896 du journal des Débats: "Quand on aura dit oui au référendum, on aura, oui, très clairement indiqué qu'on veut être maître chez nous, qu'on veut l'indépendance... qu'on veut la souveraineté — je m'excuse, je ne veux pas me faire accuser de mal citer, mais c'est la même chose...

C'est clair, M. le Président, si nous disons oui au printemps, le chef du gouvernement nous dit d'avance que nous aurons dit: Oui, on veut la souveraineté. Eh bien, imaginez-vous, M. le Président, que moi, je n'en veux pas de la souveraineté, je n'en veux pas de l'indépendance et je n'en veux pas de la séparation; je n'en veux pas, avec ou sans association, et je n'en veux ni maintenant ni plus tard.

M. le Président, que dois-je faire, sinon voter non?

Mr Speaker... Oui, ça les fait rire, on parle anglais, imaginez, quel traître!

Mr Speaker, for the first time in seven years that I have been a member of this House, I will address myself in English and nobody on that side of the House is going to prevent me from doing so!

Mr Speaker, I cannot say yes to this question or any other question that the PQ might ask me. How could I possibly say yes to those who would deprive me of what I hold dearest? I want to remain what I have been since birth, Québécois and Canadian. Not just big true sentiment, but because it gives me advantages. I cannot express that by voting yes in a referendum. I shall therefore vote no.

What i want also, Mr Speaker, is to do like thousands of immigrants to Québec, that is choose freely Québec and Canada, and I cannot express that choice by voting yes in a referendum. I shall therefore have to say no and I shall say no to independence, no matter what the gentlemen in front call it. No, no, thank you!

M. le Président, quant à nous, nous sommes prêts à débattre le fond de la question, nous sommes prêts à nous prononcer contre la souve-rainté-association, nous sommes prêts à participer franchement à ce débat qui pourra être historique si le PQ accepte de laisser tomber son masque. Et nous le ferons ouvertement, à titre de fédéralistes convaincus, qui n'ont pas peur de l'admettre; nous le ferons avec d'autant plus d'empressement que nous sommes foncièrement convaincus que le fédéralisme canadien a grandement avantagé les Québécois jusqu'à maintenant et qu'il continuera à nous avantager encore plus lorsque nous aurons modernisé et renouvelé la constitution du pays.

En matière de transport, M. le Président, par exemple, je suis sûr que si le ministre intervient, il fera comme ses collègues qui l'ont précédé, fidèle aux directives de Doris Lussier, il tentera de faire le procès de l'expérience fédérale passée; il nous parlera sûrement des gens de l'air et là, il aura raison, M. le Président. Mais je lui rappellerai simplement que, malgré les difficultés et le temps qu'on y a mis, cette situation a été réglée sans qu'il soit nécessaire de faire l'indépendance du Québec.

Je rappellerai également, M. le Président, ce que le ministre oubliera sûrement de mentionner, que, sous le régime fédéral, les trois plus grandes sociétés de transport au Canada, soit Air Canada, Canadien National et Canadien Pacifique, ont installé leur siège social et leur principal centre de décision à Montréal, au Québec. Il en est de même de la Société canadienne de télécommunication et du service de télécommunication de Bell Canada. Ces sièges sociaux demeureraient-ils à Montréal si le Québec devenait indépendant? Il est permis au moins de poser la question, M. le Président.

Nous défendrons donc le fédéralisme canadien et nous le ferons en respectant ceux qui auront le courage d'admettre et de défendre franchement leurs convictions souverainistes, mais nous ne pouvons respecter ceux qui, par opportunisme, ont peur d'afficher leurs vraies couleurs. Nous ne respecterons surtout pas, M. le Président, ceux qui pousseront l'indécence jusqu'à se dire non-partisans. (16 h 30)

Je répète que nous sommes prêts à un débat sur le fond de la question, mais, si le PQ veut un débat historique, il devra d'abord admettre franchement que ce qu'il vise dans le oui qu'il courtise, c'est d'atteindre tôt ou tard le moment où seule sa propre stratégie étapiste recule toujours plus loin dans le temps, c'est-à-dire le moment où il pourra enclencher le processus d'accession à la souveraineté du Québec. Il devra donc laisser tomber sa stratégie étapiste et faire face à la musique. Le gouvernement peut en arriver là, M. le Président, tout simplement en acceptant l'amendement du chef de l'Opposition officielle. A ce moment, nous souscrirons au libellé de la question à laquelle nous inviterons les Québécois à répondre non, parce que nous sommes profondément et sincèrement convaincus que les vrais intérêts des Québécois seront mieux servis dans un Canada renouvelé que dans un Québec souverain, associé ou non avec le reste du pays. Ce non sera donc, M. le Président, non seulement plus positif que le oui de certains, mais il sera même plus québécois.

Le Vice-Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Yves Bérubé

M. Bérubé: M. le Président, je n'arrive vraiment pas à comprendre comment entreprendre une discussion avec son voisin dans le respect l'un de l'autre, comment essayer de s'entendre sur la façon de vivre ensemble, de s'échanger des avantages, sans que l'un n'écrase l'autre et puisque, de toute façon, quelle que soit l'entente, il y aura un contrat avec le voisin que l'on aura ample-

ment le temps de relire et de ratifier, je n'arrive pas à comprendre comment on peut qualifier cette démarche de démarche vers la séparation, et c'est ce qu'on vient d'entendre. Parce que qu'est-ce qui reste à celui qui se voit privé de son droit le plus strict de s'exprimer sur un pied d'égalité avec ses voisins? Celui qui doit toujours passer par d'autres pour défendre ses volontés, ses aspirations, ses rêves, eh bien! il se renfrogne, il s'isole. On pourrait dire qu'il se sépare et c'est là que mène l'inégalité. C'est là la contradiction qui force un fédéraliste, finalement, à se replier sur lui-même et un souverainiste à s'ouvrir sur le monde. C'est cette contradiction que l'Opposition ne réalise pas et c'est d'ailleurs cette crainte que les fédéralistes exploitent, cette crainte du lendemain, cette peur du changement qui est véhiculée dans un slogan qui est tellement révélateur: J'y suis, j'y reste pour ma sécurité.

Il y a une de ces craintes que les partisans de la peur ont exploitée chez les Québécois et c'est celle de geler, l'hiver, avec la souveraineté-association. Qu'est-ce qui en est vraiment de cette pénurie de pétrole? En fait, M. le Président, cette pénurie de pétrole a commencé en 1970 quand on a découvert, en pratique, que chaque année, l'exploration nous faisait découvrir moins de pétrole qu'on en brûlait au cours de l'année et c'est parce que les pays arabes ont pris conscience de ce fait qu'on a commencé à parler de pénurie et qu'ils ont voulu faire durer leur pétrole le plus longtemps possible et en avoir le meilleur prix possible. Qu'est-ce que nous avons fait, nous au Canada, pendant ce temps pour tenir compte de cette préoccupation des pays producteurs vis-à-vis du pétrole qui s'écoulait? On a organisé une grande vente. Vente de fermeture, vente de liquidation du pétrole, tout doit partir, deux barils pour le prix d'un, sauter dessus pendant qu'il en reste. C'est cela qu'on a fait. On a fait cela pendant cinq ans et on a trouvé le fond du baril, M. le Président.

Déjà, parce qu'on est au bout du pipe-line, il a fallu au Québec — et quand j'ai préparé mon discours, c'était le chiffre, c'était le tiers parce qu'on n'avait pas les chiffres — le tiers de notre consommation, on l'a importé des pays étrangers. Cependant, au cours d'une semaine, les chiffres sont sortis et ce n'est pas pour 1979; le tiers, c'était devenu, à partir de 1978, 46,7%.

En d'autres termes, du pétrole albertain, il n'y en aura plus pour le Québec d'ici cinq ans, de toute façon. La pénurie, c'est pour nous, ce n'est pas pour l'Ontario; il faut s'en rendre compte tout de suite. A quel prix, le pétrole? Bien sûr, quand le gouvernement fédéral, il y a cinq ans, pouvait exporter du pétrole, les profits qu'on faisait ont servi à payer les subventions et, de cette façon, le gouvernement fédéral, avec son programme de subventions, a fait, en plus, $600 millions de profits. Mais, on n'en exporte plus de pétrole. L'an dernier, on a importé 323 000 barils par jour, ce qui veut dire que si on n'a pas de pétrole pour exporter, comment va-t-on financer les importations? La seule façon, c'est en empruntant. Le gouvernement fédéral a emprunté. Si vous doutez de ma parole, on vient d'élire un nouveau gouvernement et, déjà, M. Lalonde ne garantit plus rien sur le prix de l'essence. Le président de Panartic Oil, une filiale d'une compagnie fédérale, nous disait, cette semaine, que, sans s'en rendre compte, les Canadiens payaient $1.50 le gallon pour leur pétrole.

En fait, il n'y aura plus de subvention, il n'y aura plus de pétrole canadien conventionnel bon marché pour nous. L'Alberta nous a avertis. Sa production a baissé. Ce qu'on a toujours reproché au gouvernement fédéral, c'est finalement de nous faire miroiter de telles subventions pour essayer de nous accrocher alors que, sur l'essentiel, on perdait. Par exemple, qu'est-ce qu'on a eu, dans le domaine de l'énergie, sur le plan investissements du gouvernement fédéral? On a eu Gentilly 1, une centrale nucléaire qui n'a jamais fonctionné; on a eu Gentilly 2. Le gouvernement fédéral, pour toutes les autres centrales, les premières centrales au Canada, au Nouveau-Brunswick, en Ontario, payait la moitié des coûts. Quant à nous, il nous a payés 15% des coûts. Bécancour, LaPrade, avec ses grandes tours inutilisées et inutilisables; tout ce qu'on a eu, c'est $150 millions sur $2 500 000 000 d'investissement fédéral en cinq ans. Non, on n'a pas eu notre part. Il est temps de renégocier une entente.

Il ne faut pas essayer de négocier une entente en dévalisant les autres pour se refaire. Parce que, en vertu de quel principe va-t-on accepter de dépouiller l'Alberta de ses richesses naturelles, de lui payer son pétrole à demi-prix et, après cela, dire, avec notre électricité: Ah non! nous, on ne partage pas? Savez-vous, si on avait voulu avoir une politique des prix uniques au Canada pour l'électricité, combien nous aurait-on demandé sur notre facture d'électricité? On nous aurait demandé $600 millions de plus par année si on avait appliqué le même principe. Ce qui veut dire que les subventions au pétrole, on les aurait toutes payées à nouveau.

Or, on sait qu'on est extraordinairement riche dans le domaine de l'électricité. Le ministre d'Etat au Développement économique le soulignait, les Albertains nous le disent: Quand il n'y aura plus une goutte de pétrole dans le sous-sol albertain, il coulera encore de l'eau dans vos rivières. Savez-vous ce que ça représente? Si on voulait mettre toute l'électricité qu'on va produire au Québec — quand on aura fini, en 1995, de harnacher nos rivières, comme le fait l'Ontario, comme le font les Maritimes et les Etats-Unis — dans des centrales thermiques, il faudrait trois fois plus d'énergie, il faudrait 1 500 000 barils de pétrole par jour; c'est plus que l'Alberta en produit présentement. C'est une richesse extraordinaire.

Comment peut-on croire les libéraux qui vont nous dire: Le vrai fédéralisme, comme on le comprend, est basé sur le respect de la propriété provinciale des richesses naturelles; c'est ce qu'ils ont dit lors de leur dernier congrès. En même temps, on nous présente, à cette Assemblée, comme un avantage du fédéralisme, le fait pour Ottawa d'avoir fixé le prix du pétrole et d'avoir, en

pratique, spolié l'Alberta, de lui avoir retiré ses richesses. On joue sur les deux tableaux. A vouloir jouer ainsi sur les deux tableaux, en faisant croire, d'un côté, qu'on va être propriétaire de nos richesses et, en même temps, qu'on va être obligés de céder nos richesses, je ne vois pas comment le citoyen comprendra quelle est la solution proposée.

De deux choses l'une: Ou bien on défend la juridiction des provinces sur leurs richesses naturelles, ou bien on favorise les politiques de partage, comme pour le pétrole, mais, alors, on propose de céder ses propres richesses naturelles au reste du Canada. C'est ce qu'il faudrait dire, c'est ce que le Parti libéral devrait dire, que le fédéralisme beige, c'est l'abandon entre les mains de la majorité canadienne de tout ce qu'il y a d'instruments nécessaires à notre développement économique. Le seul instrument qui nous restait, c'était le contrôle de nos richesses naturelles, dites donc que c'est ce que ça veut dire, le céder complètement. (16 h 40)

Si, à l'intérieur d'un vrai fédéralisme, il faut respecter la propriété provinciale des richesses, je vois mal comment ils peuvent être propriétaires et que nous, en même temps, on puisse se servir dans leurs richesses naturelles. C'est ce qu'on entend depuis le début du débat de l'autre côté: On ne veut pas se priver des richesses naturelles du reste du Canada. Si c'est à eux, ce n'est pas à nous. Si cela a toujours été à eux, ce n'est pas à nous et quand on en veut, il faut les acheter. Si on veut les acheter, il va falloir les échanger.

Qu'est-ce que les Québécois attendent de nous, finalement? On n'a pas manqué de pétrole, par exemple, cet hiver, parce que la température a été clémente; pourtant, au cours de l'année dernière, les pays producteurs de pétrole ont décidé de couper l'approvisionnement des multinationales dans le monde de 35%. Nous, on s'approvisionne uniquement à partir des multinationales et les pays arabes ont décidé que désormais ils négocieraient d'Etat à Etat pour vendre leur pétrole. Cela veut dire que nos compagnies de pétrole vont avoir de moins en moins de pétrole à acheter elles-mêmes et que c'est l'Etat qui va l'acheter à leur place.

Quand l'Opposition, l'Union Nationale et même les libéraux nous demandent: II y a une pénurie de pétrole qui s'en vient, qu'est-ce que le gouvernement entend faire? Moi, je pose la question: Est-ce qu'on va être absent quand on va s'interroger face à ces problèmes? Est-ce Bernard Cloutier, le président de SOQUIP, notre société nationale, qui engage des Québécois, peut-être de vos parents, peut-être de vos amis, peut-être des gens avec qui vous avez fait vos études? Est-ce que ce sera notre société d'Etat qui va défendre nos intérêts ou bien Pétro-Canada avec M. Hopper qui, lui, n'a jamais été capable d'attirer de Québécois chez lui parce qu'il vit à Calgary? C'est la question qu'il faut se poser. La souveraineté-association va nous permettre de relever véritablement ce défi. C'est-à-dire que quand on va se tourner vers le gouvernement du Québec, il dira: Oui, c'est ma responsabi- lité, je suis capable de l'assumer, plutôt que de passer son temps à se blâmer de ne pas avoir réglé les problèmes alors que les pouvoirs ne sont pas ici, mais à Ottawa.

En pratique, le plus bel exemple de ces politiques d'un Québec souverain associé au reste du Canada, c'est dans le secteur énergétique qu'on le trouve. On dispose d'un extraordinaire potentiel en énergie électrique, on est entouré de voisins qui doivent gaspiller des combustibles pour produire de l'électricité alors que nous pouvons disposer d'excédents. Pendant ce temps-là, il y a d'autres régions environnantes au Canada qui, elles, vont disposer de surplus de gaz naturel: l'Alberta, l'Arctique, le Labrador, la Nouvelle-Ecosse et possiblement notre propre golfe, sans parler des pays arabes qui brûlent leur gaz naturel et qui commencent à être de plus en plus intéressés à le vendre. Voilà des conditions idéales pour rechercher, à une échelle continentale, l'utilisation la plus rationnelle de nos richesses, c'est-à-dire échanger nos surplus contre leurs surplus. Terre-Neuve a besoin du Québec pour développer ses ressources hydrauliques et les écouler. La voie maritime est nécessaire pour l'importation de pétrole en Ontario. A ce moment-là, dans le cadre d'une véritable association, au sein d'une communauté économique canadienne, avec une libre circulation des biens et des personnes, on pourra reconnaître comme partenaires privilégiés nos compatriotes du Canada, on pourra leur assurer la priorité d'accès à nos ressources, oui, mais sur une base d'égalité, en respectant l'autonomie des deux peuples.

En fait, par la souveraineté-association on pourra enfin s'occuper de nos affaires, cesser de gaspiller une énergie folle dans des querelles fédérales-provinciales inutiles. Les défis sont fascinants. Combien de Québécois vivent d'impatience à l'idée de mettre leur dévouement, leur intelligence, leurs connaissances, leurs convictions au service de leur nation? Ouvrons-leur donc l'univers, disons oui à la négociation d'une nouvelle entente entre le Québec et le Canada, basée sur l'ouverture sur le monde et le sens des responsabilités.

Le Vice-Président: J'aimerais demander aux leaders respectifs s'il y avait une entente sur l'alternance des députés.

Une Voix: C'est deux à un! M. Lamontagne: Deux à un! Une Voix: D'égal à égal!

M. Lamontagne: Je comprends que vous ne considérez pas comme une intervention celle de votre ministre fabricant de la question!

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Champlain et par la suite Mme la députée.

M. le député de Champlain.

M. Marcel Gagnon

M. Gagnon: M. le Président, merci infiniment. Je n'ai pas à vous dire, comme député du comté de Champlain, l'émotion que je ressens actuellement de participer à ce débat extrêmement important pour l'avenir du Québec.

En fait, ce débat est pour discuter de la question qui sera posée par le gouvernement au moment du référendum et qui parle d'une nouvelle entente basée sur l'égalité.

M. le Président, dans le comté de Champlain comme dans la Mauricie, je pense que les gens que je représente sont bien connus pour leur nationalisme. Je n'ai pas à vous rappeler les débats qu'on a vécus longtemps alors que, par exemple, le premier ministre du Québec était député de Trois-Rivières, M. Duplessis, alors que son collègue a été longtemps député dans le comté de Champlain. Je peux vous dire que les gens ont le nationalisme éveillé. Lorsque j'entends des gens de l'Union Nationale, par exemple, dire que l'Union Nationale a toujours été un parti fédéraliste, cela me fait rire un peu et les gens de mon comté aussi.

Je voudrais vous parler des industries des pâtes et papiers. Comme vous le savez, l'industrie des pâtes et papiers, pour la Mauricie, a été tellement importante qu'on a même donné le titre de capitale mondiale du papier à Trois-Rivières. Pour vous donner une idée de cette importance, en 1977, l'industrie des pâtes et papiers et les industries forestières en général produisaient 70 000 emplois au Québec, $700 millions de salaires et une valeur de $3 100 000 000.

Malgré cette importance, l'industrie des pâtes et papiers déclinait rapidement. Pourtant, pour une industrie aussi importante et avec un fédéralisme qu'on nous dit aussi rentable, je me demande pourquoi le laisser-aller du gouvernement fédéral face à ces industries des pâtes et papiers, fit ce n'est pas d'aujourd'hui, puisque les 25 dernières années ont permis à l'industrie des pâtes et papiers du Québec de perdre 1% par année environ de leurs marchés mondiaux. En plus, malgré les offres qu'on leur faisait l'aide n'est jamais venue parce que je pense que là-dedans comme dans d'autres domaines dont on a eu l'occasion de parler depuis deux jours, pour le gouvernement fédéral, ce n'était pas tellement grave de perdre notre industrie des pâtes et papiers parce qu'il est normal qu'au Québec ce soit le chômage; le travail, c'est ailleurs.

Le résultat, c'est que, lorsqu'on a pris le pouvoir en 1976, on s'est vite aperçu que notre industrie extrêmement importante pour le Québec était en déclin et rapidement. Les usines étaient désuètes; leur perte de position concurrentielle était extrêmement grave. On parlait de menace de fermeture d'usines. Je peux vous dire que, pour moi, au Cap-de-la-Madeleine, et pour les travailleurs de la Wayagamack cela n'a pas été une menace de fermeture d'usine, mais effectivement une fermeture d'usine.

C'est là que je me suis rendu compte de l'importance de la solidarité des gens parce que, lorsqu'on a vu que l'usine de la Wayagamack du Cap-de-la-Madeleine fermait ses portes, dans un geste spontané, on a obtenu un oui massif de la population du Cap-de-la-Madeleine et de la région pour demander qu'on s'occupe non seulement de sauver la Wayagamack du Cap-de-la-Madeleine, mais l'industrie des pâtes et papiers dans l'ensemble du Québec. Le résultat a été une commission parlementaire sur-le-champ, le recyclage de la vieille usine du Cap-de-la-Madeleine et, aujourd'hui on y voit opérer deux industries, LUPEL-Amiante et les Forges HPC. Mais ce qui est encore plus important de cette prise de conscience, de ce oui massif de la région, c'est que les 947 employés de l'usine Wayagamack à l'île sont maintenant sauvés.

La consolidation des emplois a été assurée puisque actuellement, il se fait un investissement de $81 millions pour moderniser l'usine de la Wayagamack à l'île. Cela ne s'est pas fait trop trop facilement. On s'est vite aperçu que le gouvernement fédéral ne voulait pas trop participer au développement. On parlait bien des intérêts qu'on pouvait avoir, par exemple, à essayer d'améliorer les conditions de l'environnement; on parlait de diminuer la consommation d'énergie, mais jamais on ne voulait s'attaquer aux racines du mal. (16 h 50)

En janvier 1978, après avoir bâti une table de concertation avec tous les gens du milieu, on a décidé de s'attaquer à la modernisation. On a obtenu la collaboration de tous les gens du milieu, mais Ottawa ne semblait pas intéressé. On n'était pas intéressé, surtout, à créer des emplois. La négociation a duré huit mois. De multiples rencontres entre Ottawa et Québec, Québec et Ottawa, tant au niveau des mrnistres qu'au niveau des fonctionnaires. On est habitué à ce genre de pèlerinage, dans le système dans lequel on vit. Mais les travailleurs étaient toujours dans l'attente. Les travailleurs étaient toujours sur l'assurance-chômage. Les travailleurs, chez nous, vivaient nerveusement, à savoir si on pourrait réellement sauver les usines de pâtes et papiers au Québec.

Au bout des huit mois, attention! On a peut-être des chances que le gouvernement fédéral embarque. On a décidé d'embarquer, mais avec une nouvelle philosophie. Les Québécois, on n'est pas trop, trop capables, alors on a recommencé à dire qu'on est prêt à aider pour la dépollution, pour l'économie d'énergie, mais le plan global qui avait été présenté et préparé avec les travailleurs, avec les compagnies et avec le gouvernement du Québec, ça, c'était douteux. Le gouvernement fédéral avait décidé de refaire une étude parce qu'on était plus ou moins crédible, et, surtout, on avait peur de prendre de l'expansion et, si on prenait de l'expansion, on créait des emplois au Québec. Ce n'est pas trop, trop bon pour les provinces qui sont habituées à avoir les jobs et nous, le chômage.

Mais, après huit mois et quatre autres mois de supplication de la part du ministre et à la chance qu'on a eue d'avoir une élection — il y a un gouvernement opportuniste qui a profité de l'élection — on est venu à bout de débloquer le 15 mai. Mais, les négociations ne sont pas finies. D'ailleurs, avec le gouvernement fédéral, ce n'est jamais fini. C'est toujours à reprendre.

Le succès est tel de notre plan de relance des pâtes et papiers, le oui est si massif des compagnies et des travailleurs et de tout le monde que même ça dépasse nos aspirations. Les compagnies papetières ont . décidé d'investir $2 500 000 000 au cours des cinq prochaines années. Si on enlève de ça les $700 000 000 qui vont pour l'entretien des usines, c'est une augmentation de plus de $600 000 000 d'investissement qu'on espérait voir dans ce domaine. Ce qui fait que le gouvernement du Québec a décidé lui aussi de faire sa part pour récupérer le maximum des retombées économiques et d'augmenter, de $150 000 000 à $250 000 000, sa part. Mais voilà, le pélerinage doit recommencer parce qu'on n'est pas sûr du tout, et on est moins que sûr que le gouvernement fédéral accepte, lui aussi, de faire sa part. On va recommencer le même pélerinage qu'on a toujours fait.

Vous savez, M. le Président, pour certains hommes politiques qu'on retrouve ici, à l'Assemblée nationale, entre autres le chef du non, le chef négatif, être obligé d'attendre un an pour obtenir une participation fédérale constitue un prix minime pour notre participation dans le régime fédéral. Mais pour les travailleurs qui doivent attendre douze mois sur l'assurance-chômage, en vivant dans l'espoir d'une éventuelle entente fédérale-provinciale, c'est 365 jours de trop.

Cela me fait penser à une petite histoire que mon père me contait et qu'il a vécue en 1933, alors qu'il était employé de la Canadian Vickers, à Montréal. Comme plusieurs Québécois du temps, parce qu'on n'a pas inventé le nationalisme, ça fait longtemps qu'il existe, qu'il est à l'état latent, après avoir exigé d'être traité d'égal à égal par son "boss" — et je présume qu'il avait dû lui servir des arguments assez frappants — son "boss" lui a dit: Donne-moi la main, Jos, si tous les Québécois exigeaient la même chose que toi, on vous traiterait d'égal à égal. Je suis persuadé — mon père est malheureusement décédé; il ne verra pas le jour qu'il souhaitait voir — que, comme plusieurs personnes âgées, s'il vivait actuellement, il dirait: Bien oui, mon vieux, je vais dire oui au référendum.

A la suite de tant d'efforts dans la région pour sauver les industries de pâtes et papiers et dans le domaine forestier... Comme les travailleurs dans ces domaines, comme les pêcheurs de la députée des Iles-de-la-Madeleine, comme les cultivateurs dans mon comté, comme l'ensemble des Québécois, comme l'ensemble des travailleurs québécois dans tous les domaines, je peux vous dire que c'est avec une très grande fierté que je dirai oui, comme les gens de mon comté et l'ensemble du Québec, à la question qui nous sera posée.

Des Voix: Bravo!

Le Vice-Président: Mme la députée de Prévost.

Mme Solange Chaput-Rolland

Mme Chaput-Rolland: M. le Président, nous sommes plusieurs à être entrés en politique pour prendre part au débat référendaire et c'est donc avec gravité et beaucoup de sérieux que je me lève à mon tour pour participer à ce que l'on nous a dit être la plus importante décision de notre histoire politique et nationale.

M. le Président, je vais essayer de me conformer à ce que vous appelez la pertinence, mais vraiment, par moments, je me demande où je suis entre la pertinence, la désobéissance, l'obéissance et l'éloquence.

De toute évidence, cette question a été rédigée pour contenter tout le monde et ne faire peur à personne, mais elle me semble avoir mécontenté beaucoup de monde et fait peur à plusieurs citoyens qui, comme moi, aussi honnêtement que moi, désiraient participer à la course référendaire dans la clarté du jour politique. Prétendre, comme le suggère la question dans son actuel libellé, qu'il s'agit de négocier de nouvelles ententes pour continuer dans des institutions partagées à faire bon ménage avec le Canada, c'est, à mon avis — je m'excuse de le dire tout de go — leurrer dangereusement ceux qui, bientôt, se rendront aux isoloirs pour tracer leur oui ou leur non. D'autant plus que la plupart des premiers ministres du Canada ont déjà refusé de négocier une association économique sans une union politique de type fédéral, et cela a été dit clairement à travers le pays.

La question jaillit donc de la philosophie fondamentale d'un parti qui a toujours eu le courage de ses opinions et qui ne songeait pas, avant la formulation de la question, à maquiller son option. Je ne serai pas traumatisée, ni terrorisée, ni scandalisée par ceux qui diront oui. Il ne me viendrait pas à l'idée de dire et d'affirmer, comme on le fait de nous, qu'ils trichent ou mentent ou faussent le jeu référendaire parce que, comme nous, ils choisiront de répondre à la question selon leur vérité et selon leurs allégeances constitutionnelles, comme nous allons le faire avec autant de courage.

Mais, M. le Président, ce qui entame ma confiance dans ladite question, c'est son recul devant l'expression claire de la volonté du gouvernement de former, à même le Canada, comme il l'a dit et comme il l'a dit cet après-midi, deux Etats souverains associés par un traité et, qui plus est, deux Etats dont les ressortissants à l'intérieur de leurs frontières seront munis d'un passeport différent, comme l'indique clairement le livre blanc. Si la thèse qu'on nous propose n'est pas la brisure canadiene, alors pourquoi aurais-je besoin d'un autre passeport de celui que j'ai et qui m'ouvre depuis très longtemps les portes du monde?

S'il est vrai que notre peuple est debout, et c'est vrai, pourquoi la question qui le pousse à choisir son destin n'est-elle pas claire, forte et aussi courageuse que ce peuple? (17 heures)

Je refuse de penser que sous le couvert des mots "souveraineté-association", il m'est demandé de faire semblant de croire qu'il ne s'agit pas de couper un pont entre le Québec et le pays d'alentour, mais tout simplement de maintenir le Québec dans un Canada d'égal à égal, selon l'esprit des documents politiques du Parti québécois.

La notion d'égal à égal, pour séduisante qu'elle soit au plan philosophique et moral, ne correspond pas à la dimension démographique et réelle de ce pays formé de deux sociétés inégales par le nombre et la force économique.

Je n'ai pas ri de vous, messieurs, quand vous avez parlé, je vous demanderais de m'écouter!

M. le Président, le destin d'un peuple, dans une société mûrie par la difficulté d'être, ne se réduit pas à une transcription plus ou moins fidèle de l'humeur du moment, exprimée par de multiples sondages, lesquels ont quantifié nos émotions, nos attentes et ont transformé nos espérances en statistiques.

Le gouvernement a, de toute évidence, choisi une question de stratégie à une question de substance. C'était son droit, je le reconnais; mais c'est le mien, à titre de députée de Prévost et de Québécoise, tout autant que vous et peut-être depuis plus longtemps que certains de vous, de dire que je vais scruter la tonalité de la question. Elle fut choisie sans aucune consultation avec les membres de cette Chambre et sans égard à la simple courtoisie qui devrait exister entre nous. Pourquoi ne pas tous nous associer, justement, à ce qui relève d'une des plus hautes formes de la dignité humaine, soit le droit de choisir, en toute connaissance des faits, notre destin collectif et politique?

La question évoque la tenue de deux référendums; le premier devient alors un sondage, mais le second, M. le Président, sera-t-il plus déterminant?

M. le Président, comment notre économie pourra-t-elle résister à ces tensions internes et externes? Les impératifs du développement nous imposent de réfléchir à notre réalité; notre standard de vie à l'américaine, notre faim de vivre enfin comme tout le monde, enfin avec autant de confort que tous les autres citoyens de ce pays, nous demendont, je crois, de refuser un divorce à la canadienne.

Je ne possède pas une très grande expertise en économie, et je le sais, mais dans l'optique d'une nouvelle entente dont la question affirme qu'elle doit reposer sur une union monétaire, le Québec se retrouvera plus coincé dans sa marge de manoeuvre et il deviendra dépendant des décisions canadiennes et américaines encore plus qu'il ne l'est déjà.

La question, on le sait, propose de retenir le dollar canadien, ce qui démontre que le gouvernement pense Québec, mais vit Canada, puisqu'il a assorti la souveraineté derrère le projet d'associa- tion économique avec le partenaire plus riche, donc plus susceptible de rassurer ceux dont la ceinture est déjà usée à force de se la serrer.

Mais comment regarder au bout de l'actualité sans regarder au matin même de notre histoire? Et cette histoire n'est pas simplement le récit d'injustices sur lesquelles on s'appesentit dans cette Chambre, pour oublier ce que le Canada nous a aussi donné, elle est aussi, cette histoire, celle des libertés politiques et individuelles et, sans cela, nous n'aurions pas le courage, dans cette Chambre, de nous affronter aussi ouvertement et aussi librement.

J'ai appris, au cours des dernières années — et ce ne me fut pas facile — que la liberté consiste tout autant à protéger ce qu'on a qu'à obtenir ce qu'on n'a pas. J'ai un pays, le Canada, j'ai une patrie, le Québec; il s'agit, au-delà de la question, pour moi, d'un pays à défendre par un non à faire entendre.

J'aurais moi aussi, croyez-moi, M. le Président, préféré respecter la question et ne pas perdre tant de temps à en parler; j'aurais voulu la bien comprendre, pour être capable, de l'interpréter honnêtement à mes commettants, mais, comme c'est là, je sais fort bien pourquoi je dirai non, mais je ne sais pas très bien avec qui ceux qui diront oui vont négocier. Avec un ou avec neuf?

Si la réponse était uniquement politique, M. le Président, le gouvernement seul en ferait les frais. C'est comme cela dans tous les pays du monde. Mais puisqu'elle est nationale et constitutionnelle et, partant, morale, alors le peuple tout entier en assumera le poids, les conséquences et les lourdes obligations.

M. le Président, j'épouse l'amendement proposé par le chef de l'Opposition officielle. Je ne suis pas assez familière avec cette Chambre pour savoir si je peux soutenir la proposition du député de Gouin, mais je pense que oui. Cet amendement me rassure et clarifie ma notion de ce que devrait être le référendum sur notre avenir. Cet amendement exprime clairement le choix que devront faire les Québécois et j'ai mal à comprendre pourquoi il apparaît tout à coup ridicule de vouloir plus de clarté entre nous tous. Au-delà de la question, de son libellé, de ses interprétations des uns et des autres, sûrement que nos concitoyens ne se décideront pas à dire oui ou non à leur avenir simplement parce que j'ai écrit des éditoriaux, il y a quelques années, qu'on s'amuse à me retourner, ou d'autres, ou pour admettre les qualités de certains membres du gouvernement, ou pour approuver certaines législations péquistes quand c'était le temps.

Les Québécois savent, M. le Président, qu'ils doivent vivre dans leur difficile quotidien avec des matins de grandes espérances et des brunantes de grandes difficultés. Ils doivent conjuguer les deux dans une journée pleine de labeur, pour enfin donner à ceux qui sont exaspérés de tous ces débats référendaires la paix sociale, la sécurité et la fraternité dont nous avons besoin pour être sûrs de notre lendemain. M. le Président, je dirai non à la question. Pas parce que j'ai peur du lendemain

souverainiste. Pas parce que je crois que nous mourrons tous d'inanition dans un Québec souverain. Pas parce que je suis une affreuse Québécoise. Pas parce que j'ai peur du lendemain. Mais pour une raison pour moi fondamentale, M. le Président, et très claire. J'aime ce pays, malgré ses petitesses et ses injustices, et bon Dieu! qu'il en a commis au cours des âges! Je n'en connais point d'autre à l'intérieur duquel je me sentirais plus libre de dire clairement et ouvertement, et avec beaucoup de respect, aux plus hautes instances et aux plus hautes autorités du Québec et dans cette Chambre que je suis incapable de dire oui à la brisure du pays et que donc, pour le garder intact, je dirai non, sans bravade, sans hargne, avec peut-être un peu de tristesse, mais avec beaucoup de foi. A la question que le gouvernement pose à tous les Québécois, je dis non.

Le Président: M. le ministre des Transports.

M. Denis de Belleval

M. de Belleval: M. le Président, je voudrais, le plus directement et le plus sobrement possible, expliquer pourquoi et comment la question que nous pose le gouvernement, en ce qui concerne l'obtention par le Québec de ses pouvoirs législatifs, de ses pouvoirs fiscaux au sein d'une nouvelle association économique avec le reste du Canada, pourquoi cette question s'applique particulièrement bien en matière de développement de nos moyens de transports. Ceci est particulièrement opportun puisque, vous le savez, M. le Président, le régime politique dans lequel on vit actuellement, la Confédération de 1867, a été largement fondée, a été constituée sur l'extension des systèmes de transport ferroviaire à travers l'ensemble du continent nord-américain et en particulier, évidemment, cette partie nordique de ce continent que constitue le Canada. (17 h 10)

Une des causes fondamentales de la Confédération, c'est ce besoin qu'éprouvaient les colon-nies britanniques de mettre ensemble leurs moyens financiers et, en particulier, leurs pouvoirs d'emprunt pour obtenir les fonds de façon à étendre le réseau ferroviaire canadien à travers l'Ouest jusqu'au Pacifique. Cette façon de concevoir l'organisation politique au Canada pour des raisons de transport n'était pas nouvelle, d'ailleurs, puisque l'Acte d'Union de 1840 poursuivait lui aussi, en partie, les mêmes fins. En particulier, entre 1840 et 1867, les impôts des Québécois d'alors — ceux qui étaient unis au sein d'une même colonie, avec le Haut-Canada, c'est-à-dire l'Ontario — avaient surtout servi, pendant cette trentaine d'années, à construire, dans ce qui est devenu l'Ontario d'aujourd'hui, un immense réseau de canaux et de chemins de fer tandis qu'au Québec on se retrouvait avec des infrastructures presque inexistantes.

Déjà, entre 1840 et 1867, les impôts des Québécois avaient servi à développer les moyens de transport en Ontario. En 1867, les mêmes buts étaient poursuivis et, effectivement, pendant les années qui suivirent, les impôts des Québécois servirent à développer les moyens de transport à travers tout le Canada, et presque surtout en Ontario, dans les provinces maritimes et dans l'Ouest du Canada.

Je voudrais seulement souligner à cette Assemblée certains effets politiques et culturels de cette politique d'expansion de nos moyens de transport. Au moment où le chemin de fer reliait Montréal à Winnipeg, le gouvernement du Canada avait entrepris une politique de colonisation des nouveaux territoires ainsi accessibles par chemin de fer. A cette époque, au début de ce siècle, il en coûtait moins cher, grâce à cette politique d'immigration du gouvernement canadien, pour peupler les Territoires du Nord-Ouest, pour peupJer la Saskatchewan, pour peupler le Manitoba, en vertu de leurs politiques de transport du temps, pour faire venir des immigrants d'Ukraine à travers un port de Pologne ou d'Allemagne, par bateau et, ensuite, par chemin de fer de Montréal à Winnipeg, il en coûtait moins cher à ces familles d'immigrants d'Ukraine, dis-je, pour coloniser l'Ouest du Canada, que pour des Québécois qui partaient de Montréal, prenaient le chemin de fer et allaient à Winnipeg pour les mêmes fins.

Pendant toutes ces années, les politiques tarifaires du gouvernement fédéral faisaient en sorte que les Québécois étaient des sous-immigrants dans leur propre pays et qu'on favorisait davantage l'accès de ces nouvelles terres aux immigrants d'Ukraine et d'Europe centrale qu'aux propres habitants du Québec qui, à ce moment-là, étaient à l'étroit dans leurs terres dans la vallée du Saint-Laurent. On sait quelles ont été les conséquences de cette politique de transport, en particulier. De la moitié qu'était la population française du Manitoba, vers 1880 ou 1890, on se retrouvait, quelques années plus tard, avec une diminution constante de la population francophone noyée dans ces nouveaux immigrants d'Ukraine, de Pologne, ou d'Europe du Nord. Aujourd'hui, la deuxième langue, dans l'Ouest du Canada, c'est l'ukrainien, ce n'est plus le français, et seulement 4% de la population du Manitoba est maintenant francophone.

Pendant ce temps, qu'est-ce qu'on faisait avec le surplus de population que nous avions au Québec? Essentiellement, on encourageait l'émigration de cette population vers les Etats de la Nouvelle-Angleterre, vers Lowell, au Massachusetts, vers toutes ces petites villes que l'on connaît dans ces Etats voisins. Nous étions non seulement considérés comme des sous-immigrants dans notre propre pays, mais nous étions tout simplement forcés, à toutes fins pratiques, et encouragés à émigrer aux Etats-Unis.

Les politiques de transport ont donc non seulement des effets sur le plan économique, mais elles ont aussi des effets culturels importants et ce sont les Québécois, les francophones du Canada qui, ni plus ni moins, se sont vus "ostracisés" dans leur propre pays, par ces politiques au bénéfice d'immigrants d'Europe centrale, au siècle dernier.

Vous me direz que tout ça, c'est de la vieille politique, que tout ça, c'est de la vieille histoire, qu'aujourd'hui les choses ont changé. Je voudrais, par quelques chiffres, essayer de démontrer que cette situation n'a pas changé au fil des années et qu'encore aujourd'hui les Québécois et le Québec se trouvent défavorisés par les politiques de transport du gouvernement fédéral. Quelle est actuellement la situation sur le plan économique, quelle est l'importance, sur le plan économique, du système de transport? Tous savent qu'effectivement les moyens de transport jouent un rôle de tout premier plan dans l'économie du Québec, à la foi comme activité de service et comme secteur économique. En fait, le secteur des transports au Québec, dans notre économie, représente 6% de notre produit intérieur brut. Il s'agit d'un chiffre d'affaires d'environ $1 600 000 000, 4% des immobilisations annuelles et près de 100 000 emplois, sans compter les effets d'entraînement qui sont évidemment très appréciables et très importants.

Les modes de transport effectivement contrôlés par le gouvernement fédéral dans cette économie — le transport ferroviaire, maritime et aérien — totalisent 51% des recettes, 42% des emplois et 46% des salaires directement reliés aux activités des transporteurs au Québec. Cette situation donne au gouvernement fédéral un rôle déterminant non seulement dans l'organisation des systèmes de transport, mais également dans le développement économique du Québec. Or, ce rôle déterminant, comment a-t-il été utilisé par le gouvernement fédéral dans les différents systèmes de transport dont il est question?

Je commencerai d'abord par le système routier. En vertu de la constitution actuelle, les systèmes routiers au Canada sont de compétence provinciale et, pourtant, cela n'a pas empêché le gouvernement fédéral, au fil des années, d'investir de façon très importante à travers le Canada dans le développement routier en vertu de ce fameux pouvoir de dépenser que s'arroge le gouvernement fédéral, y compris dans les secteurs de juridiction provinciale.

Entre 1952 et 1973 — j'attire là-dessus l'attention du député de Gatineau; il ne s'agit pas dans ce cas-là d'études du gouvernement du Québec, mais d'études du gouvernement fédéral lui-même; ce sont des statistiques fédérales que je vais citer — $2 375 000 000 ont été investis au Canada dans les systèmes de transport routier de compétence provinciale. $420 millions de ces $2 375 000 000 auront été investis au Québec, soit 17% et un peu plus, 17,7% des dépenses alors que pour les voies routières au Canada la part du Québec est de 24%. Notre population, comme vous le savez, durant ces années, était d'environ 28% de la population canadienne. 28% de la population canadienne, 24% du parc routier, 17,7% des dépenses. Cela dans le domaine routier. Ce sont donc plusieurs centaines de millions de dollars que nous avons financés avec nos impôts dans les provinces du reste du Canada.

Dans le domaine des chemins de fer, maintenant. 12% du réseau des chemins de fer sont situés au Québec. J'entends l'Opposition dire: Oui, mais c'est pour des raisons géographiques. Comment se fait-il, dans ce cas-là, que 9% du réseau des chemins de fer au Canada sont dans les provinces atlantiques? Comment se fait-il que 23% du réseau des chemins de fer au Canada sont dans la province de l'Ontario? Est-ce pour des raisons géographiques quand on compare l'étendue de ces provinces à l'étendue du territoire habité québécois? Comment se fait-il que nous ayons si peu notre part dans les chemins de fer alors que des millions de dollars des impôts des Québécois ont servi à financer ces investissements dans les autres provinces? (17 h 20)

Quand on regarde maintenant les taux de transport qui sont payés pour l'utilisation des chemins de fer au Québec, ces taux de transport sont de 41%, ce qui fait que, quand il s'agit de concurrencer non seulement les Etats américains dans le domaine du transport des pâtes et papiers, mais, par exemple, des entreprises qui fabriquent du papier en Ontario, nous devons payer en moyenne $20 de plus la tonne/mille pour transporter notre papier du Québec sur des distances semblables entre le Québec et les Etats-Unis, comparé à une même tonne de papier transportée sur la même distance entre l'Ontario et les Etats-Unis. Ce sont tous des désavantages, bien sûr, qui nous coûtent non seulement très cher en termes de profits pour nos entreprises, mais aussi en termes de développement en général de ce secteur économique.

Dans le domaine économique, me direz-vous, cependant, grâce au fleuve Saint-Laurent, nous devons être bénéficiaires dans le système fédéral actuel. Or, M. le Président, il n'en est rien, non plus. Même avant la canalisation du Saint-Laurent, dans les entreprises maritimes, c'est-à-dire dans les installations, dans les infrastructures maritimes, essentiellement les ports et les canaux, le Québec avait moins d'investissements en capital que l'Ontario en cette matière. Le coût du capital des investissements qui avaient été faits par le gouvernement fédéral au fil des années, en 1955, était d'environ $78 millions pour le Québec et de $91 millions pour l'Ontario, ce qui reflète bien la différence entre l'importance des installations maritimes en Ontario par rapport aux installations maritimes au Québec.

Entre 1955 et 1969, la valeur de ce capital a augmenté de 8% au Québec; en Ontario, durant la même période, de 56%, M. le Président. Dans les Maritimes, durant la même période, de 60%. Ces quelques chiffres, je pense, illustrent bien — et je pourrais continuer dans le domaine aérien — toujours, ce même fait, c'est-à-dire le sous-investissement systématique du gouvernement fédéral dans les infrastructures de transport au Québec par rapport aux autres provinces du Canada. Effectivement, nos impôts en général dans le domaine du transport ont servi à enrichir d'infrastructures le reste du Canada.

C'est pour cette raison, M. le Président, qu'il nous faut rapatrier au Québec ces impôts, ces pouvoirs législatifs afin de rétablir ce déséquilibre,

de faire en sorte qu'à l'avenir ces impôts, ces lois, ces règlements servent aux intérêts des Québécois.

M. Scowen: M. le Président...

Le Président: M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, vous avez maintenant la parole.

M. Reed Scowen

M. Scowen: Merci, M. le Président. Je regrette que je n'aie pas l'habileté de parler d'une façon émotive comme mon collègue, le député de Prévost. Je suis obligé, à cause de ma formation et peut-être de mon sang, de parler sur un ton un peu plus rationnel. Mais je suis persuadé, quand même, qu'il existe aujourd'hui beaucoup de jeunes Québécois et beaucoup de personnes qui prennent au sérieux la question qui est devant nous et qui ont l'intention de suivre le débat et de le suivre d'une façon...

M. Landry: M. le Président, je m'excuse sincèrement auprès du député.

Le Président: M. le ministre d'Etat au Développement économique.

M. Landry: Je veux soulever une question de privilège qui n'en sera peut-être pas une parce que peut-être que j'ai mal saisi. J'ai cru comprendre que le député, notre collègue, avait parlé de son sang. Il a dit: Peut-être qu'à cause de mon sang je vais parler de façon plus rationnelle. Est-ce qu'il pourrait m'expliquer avant que je me sente insulté par des questions de sang ce qu'il voulait dire par cette phrase: que son sang le ferait parler d'une façon plus rationnelle? Je suis un défenseur des libertés civiles et les arguments basés sur le sang, je ne les ai jamais employés et je serais étonné que...

Le Président: M. le ministre d'Etat au Développement économique, bon.

M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

Une Voix: Ne réponds pas à cela. M. Scowen: Je...

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, vous avez la parole.

M. Scowen: J'espère, M. le Président, que vous avez compris au moins le sens de mes paroles, mon collègue de Prévost aussi et la population également. Je vais continuer.

Une Voix: En anglais.

M. Scowen: Non. Je vais parler en anglais plus tard. Je vais parler pour le moment en français.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, vous avez la parole. Je demande votre collaboration, — comme elle nous a été accordée jusqu'à maintenant — pour permettre au député de Notre-Dame-de-Grâce de s'exprimer sans interruption.

M. Marchand: Ne t'occupe pas d'eux.

M. Scowen: Merci, M. le Président. Je vais continuer. Je voulais dire que je vais parler ici sur la base de la réalité, de la raison et surtout aux personnes qui s'interrogent sérieusement quant à la portée des questions qui sont devant nous.

D'après moi, avant de faire un changement fondamental dans la vie politique d'un pays comme dans n'importe quel autre aspect de notre vie, il me semble essentiel qu'on soit convaincu de deux choses: premièrement, que les conditions actuelles ne sont pas vraiment acceptables, et deuxièmement, que l'alternative qui nous est proposée est quelque chose qui nous donne de bonnes chances d'améliorer notre situation. C'est sur ces deux questions que je veux parler. Je veux de plus, parler surtout de l'actualité d'aujourd'hui. Je vous dis franchement, au début, que je ne m'intéresse pas beaucoup à tout ce qui est arrivé ici au Québec il y a 100 ou 150 ans ou même il y a 25 ans. Mes prédécesseurs sont morts. Ils sont responsables, j'imagine, devant le bon Dieu, de leurs actes. Je veux seulement parler aux gens qui habitent ici, qui ont des problèmes aujourd'hui et qui veulent penser un peu à l'avenir.

La première question que je veux poser est la suivante: Sur le plan économique — et je veux surtout parler de l'économie — est-ce que cela va mal aujourd'hui au Québec dans le Canada ou est-ce que cela va pas mal bien? Dans le livre blanc, on a consacré au moins la moitié — 50 pages — à essayer de nous persuader que cela va mal, que nous sommes des exploités, des déprimés, incapables de prendre nos choses en main pour notre propre avenir. Le ministre de l'Industrie et du Commerce lui-même disait à peu près la même chose hier dans son discours. Il disait que nous sommes défavorisés dans notre proportion du marché de l'industrie de l'automobile et du nucléaire, par exemple. Cependant, il n'a pas dit que dans beaucoup d'industries québécoises, nous avons une part du marché qui dépasse énormément notre part de la population. Nous avons 25% ou 27% de la population du Canada ici au Québec. Nous avons 52% de l'industrie de l'avionnerie, une industrie très avancée sur le plan technologique. Ce sont les autres provinces qui sont défavorisées là-dedans. Nous avons 35% de l'industrie canadienne des pâtes et papiers, 34% de l'industrie chimique, 50% de l'industrie du textile, 60% de l'industrie du tabac, 38% de l'industrie laitière et 33% de l'industrie du porc. Dans tous ces domaines et dans beaucoup d'autres, ce sont les autres provinces du Canada qui sont défavorisées par rapport au Québec. Je ne pense pas que le

ministre de l'Industrie et du Commerce veuille que nous reculions à 27% de notre part de la population dans toutes ces industries simplement pour faire plaisir aux autres provinces.

La raison pour laquelle nous sommes favorisés dans quelques industries et défavorisés dans d'autres, c'est tout simplement à cause de la spécialisation qui est normale et même souhaitable dans un marché commun. C'est l'essence même d'un marché commun. C'est l'avantage du Canada, du marché commun que nous vivons. Je comprends mal comment le ministre pourrait être compris ou cru par la population quand il parle seulement des industries dans lesquelles nous avons moins que 27% du total canadien. De plus, je veux simplement souligner à la population et à vous, Mme la Présidente, que, même si le ministre a dit hier que cela va très mal au Québec sur le plan économique dans un système fédéral, il y a seulement quelques semaines, le 15 décembre 1979, il a convoqué une conférence de presse avec M. Landry pour dire, et je cite les manchettes: "1979 a été une bonne année pour l'économie québécoise". M. Duhaime disait qu'il a été très satisfait de la performance de l'économie québécoise en 1979, à l'intérieur de notre Canada fédéral: baisse du chômage, hausse des exportations, augmentation de 15% des immobilisations. Le secteur primaire a aussi connu de bonnes performances, etc. (17 h 30)

II s'est vanté, pendant toute une conférence de presse, de la bonne performance de l'économie du Québec à l'intérieur du gouvernement fédéral canadien. A moins que vous puissiez accepter que tout ce qui est bon dans cette province, c'est à cause du gouvernement péquiste, et que tout ce qui est mauvais, c'est à cause du gouvernement fédéral, à moins que vous puissiez vraiment croire une telle chose, il faut que vous admettiez que le ministre est tombé un peu dans l'incohérence.

La deuxième question que je veux vous poser est la suivante: Même si vous croyez que cela ne va pas bien, ici au Québec, dans le Canada, pensez-vous que la souveraineté-association est la meilleure façon de régler ou d'améliorer le problème? Dans ce livre blanc, mesdames et messieurs, le gouvernement, comme je l'ai dit, a consacré la moitié ou les deux tiers de ses pages à une liste des faiblesses du Canada. Il a consacré dix pages seulement à une description très mince de son propre programme d'association. Cela vaut la peine de la lire. Par exemple, vous verrez que ce n'est pas d'égal à égal. En ce qui concerne l'union monétaire, l'élément clef, il avance que le Québec sera minoritaire à 25% contre 75% pour le reste du Canada. C'est loin d'être d'égal à égal.

Mais ce n'est pas le point que je veux soulever maintenant. Je veux prendre, à titre d'exemple, le taux de chômage. Le gouvernement nous dit souvent que nous devons quitter le Canada parce que le taux de chômage est plus élevé au Québec qu'en Ontario et c'est vrai. Mais est-ce que l'on nous permet de croire que, dans un Québec indépendant, associé peut-être avec le Canada, le taux de chômage ne sera pas encore pire? Est-ce que nous avons des indications dans ce document, dans ces dix pages, qu'il a un programme pour régler le problème de chômage et que l'association va le régler? Je vous propose de le lire attentivement et vous verrez que ce n'est pas du tout le cas.

Le ministre des Transports disait, il y a quelques minutes, que nous avons seulement 12% des chemins de fer du Canada au Québec. Est-ce que c'est une promesse, à savoir que, advenant un Québec indépendant, il nous donnera 27% des chemins de fer du Canada? Est-ce que nous avons vraiment besoin de 27% des chemins de fer du Canada? Je veux lui signaler, de plus, que nous avons exactement 12% de toutes les routes du Canada aussi. Je suis certain que nous n'avons pas un besoin pressant de plus de chemins ou de plus de routes. Nous sommes très bien servis ici au Québec avec les chemins de fer, sauf quelques exceptions peut-être, et également avec les routes. Le nombre de lignes de chemin de fer dans une province n'est pas du tout en relation avec la proportion de la population. C'est relié aux besoins géographiques.

Je veux ajouter deux ou trois autres éléments. Dans le projet de souveraineté-association, est-ce qu'on vous donne une indication que l'inflation sera moins élevée, que des grèves se produiront moins souvent...

Une Voix: Seront moins nombreuses.

M. Scowen: Seront moins nombreuses, que les organismes centraux vont nous donner plus que la part que nous avons maintenant? Je ne pense pas. Il n'y a presque rien qui indique que ce sera mieux avec la souveraineté-association.

Je veux ajouter un autre point. Ces aventures politiques conçues par les intellectuels, par les politicologues, par les sociologues sont souvent faites sur le dos des personnes qui sont les moins capables de subir les conséquences d'une telle aventure si cela ne marche pas. Parmi mes électeurs, ceux de la ville de Saint-Pierre, je connais bien les électeurs du comté de Maisonneuve, de Mégantic-Compton et de partout au Québec, il y en a qui ne sont pas du tout favorables aux aventures politiques créées par des personnes qui n'ont rien à perdre, mais qui peuvent vraiment toucher fondamentalement ceux qui sont les plus démunis de notre pays.

Il y a un dernier point que je veux soulever, un autre exemple de la faiblesse de pensée du Parti québécois. Dans la question, il dit vouloir percevoir tous les impôts des Québécois, ici, au Québec; que le fédéral ne recevrait jamais plus d'impôts de nous; c'est bel et bien et beau. Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'au lendemain d'une déclaration d'indépendance — avec le résultat que les taxes ne seraient plus payées au fédéral — il faudra accepter que nous ne recevrons jamais plus de bénéfices du fédéral. Il faut accepter qu'au lendemain d'une déclaration d'indépendance nous ne

recevrons plus, du fédéral, les allocations familiales, les pensions de sécurité de la vieillesse, l'assurance-chômage, les péréquations — $1 600 000 000 l'an passé — les subventions de l'industrie par le ministre de l'Expansion économique, M. Pierre de Bané, les subventions pour le pétrole — on peut s'attendre immédiatement à une augmentation du prix du pétrole jusqu'à $0.50 le litre, sans question — plus d'hypothèques à prix réduit de la Société centrale d'hypothèques et de logement et plus d'autres dépenses du fédéral. Très bien, plus d'impôts, plus de bénéfices du fédéral. Est-ce que nous sortons les gagnants ou les perdants?

M. Parizeau et les autres vont vous donner des chiffres basés sur les années 1961 à 1975, 1977, le passé. Je vais vous dire, sans possibilité d'être contredit, que cette année nous allons recevoir en paiements, du gouvernement fédéral, $3 300 000 000 de plus que ce que nous payons en impôts au fédéral. En effet, c'est le fédéral qui doit être très content de nous laisser reprendre tous nos impôts et tous nos bénéfices, parce que, en effet, pour chaque famille québécoise, ça va comprendre une perte de $2500; aujourd'hui, nous recevons $2500 de plus du fédéral par famille que nous n'en payons en impôts.

C'est quelque chose auquel on doit penser, je pense!

The economic arguments of the Parti québécois in favour of their option make no more sense than the political arguments. They argue that federalism has enabled the English provinces to exploit Québec and yet they argue that they do not wish to disturb this association in any way. They argue that Québec has reached a remarkable level of economic maturity and prosperity and yet they fail to explain that it has all taken place within a federal system. They say that we have less than our share of Canada's auto industry and nuclear industry, and they fail to note that we have more than our share of the aviation industry and the chemical industry. They claim that we have to import beef, yet they fail to mention that we export pork and milk. They say that we should reclaim all our taxes from Ottawa, yet they do not mention that Ottawa is going to spend $3 300 000 000 more here than they take in taxes. They say that the unemployment rate is higher in Québec than in Ontario, yet they fail to show how sovereignty-association could solve this problem.

They have read too many novels, like Madame Bovary, and their project is an incredible salad of nostalgia, blackmail, romance, ethnocentricity, vengeance and self-pity combined with an incredible passion for rewriting history.

Some Quebeckers will undoubtedly support their cause for other reasons than reason itself. But, for the vast majority of Quebeckers, an examination of this incoherent question will be enough to convince them that those who drafted it should not be turned loose to write a constitution.

La Vice-Présidente: M. le député de Laprairie.

M. Gilles Michaud

M. Michaud: Mme la Présidente, je vous remercie. Vous comprenez, vous, Mme la Présidente, le privilège que j'ai de participer à ce débat historique sur la question au référendum. Historique parce que, pour la première fois, les Québécoises et les Québécois donneront à leurs élus le mandat de négocier une nouvelle entente basée sur l'égalité des peuples, comme le dit si bien la question. (17 h 40)

Depuis la déportation de nos frères les Acadiens, en 1755, et la prise de Québec, en 1760, par l'armée anglaise, les Québécois c'est-à-dire les Canadiens français, se sont fait imposer, ont subi quatre régimes politiques différents sans être consultés nullement. En 1774, l'Acte de Québec, et ceci pour satisfaire les marchands anglais qui, naturellement, suivaient l'armée anglaise. 1791, l'Acte constitutionnel pour donner la moitié de notre territoire aux Loyalistes américains. 1840, l'Acte d'union qui confirmait la mise en infériorité numérique et politique des Canadiens français de l'époque; nous étions plus de 60% et on nous a cédé à peine 50% des sièges ou des postes de députés. Enfin, 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique voté à Londres; la constitution canadienne est une loi du Parlement britannique. Donc, la population d'ici ne fut consultée ni par élections, ni par référendum. Le peuple du Québec n'a jamais été consulté sur son régime politique et pourtant nous vivons en démocratie.

Ce qui devait être une confédération, c'est-à-dire une association d'Etats souverains, est devenue une fédération qui a causé les injustices, les inégalités économiques que nous connaissons. Pour le prouver, vous me permettrez de me référer au livre.de Paul Phillipps. Paul Phillipps, ce n'est pas un Québécois. Ce n'est pas un membre du Parti québécois. C'est un professeur à l'Université de Winnipeg au Manitoba et c'est un économiste qui a écrit plusieurs livres sur la situation économique et sur la crise économique que nous connaissons. Son livre est intitulé: Regional disparities, ou les inégalités régionales, avec sous-titre: Pourquoi l'Ontario a autant et les autres provinces ne peuvent la rattraper. Vous me permettrez aussi de traduire l'endos de son livre: Pourquoi les travailleurs de l'Ontario gagnent presque deux fois plus que les travailleurs de Terre-Neuve. Pourquoi plus de la moitié de l'industrie canadienne est située en Ontario. Celle-là, il faut que je la dise dans la langue officielle du Canada: Why have Canada's national policies only divided the country more. Pourquoi les politiques nationales du Canada n'ont fait que diviser le pays de plus en plus. C'est de M. Philipps, un économiste de l'Université de Winnipeg au Manitoba. Je continue son texte et je le traduis: Le problème a été avec nous depuis la Confédération, c'est-à-dire depuis que l'Ontario a commencé à s'enrichir aux dépens des autres et les efforts — écoutez bien ceci — du gouvernement central pour arrêter cette tendance

ont été désastreux et les multinationales, naturellement, ont fait de leur mieux pour maintenir ce statu quo.

Maintenir ce statu quo pour perpétuer souvent les inégalités dans le manque de respect des francophones, non seulement en 1930 et 1940, mais même aujourd'hui en 1980; interdiction de parler français entre eux par politesse pour leurs collègues anglophones. Maintenir les inégalités par le financement de Pro-Canada.

Pro-Canada est financé et contrôlé par des entreprises multinationales, des banques et les autres, qui sont contre l'épanouissement de la nation québécoise, qui profitent du système fédéral actuel, qui protègent leurs intérêts.

M. Phillips, l'auteur de ce livre, nous dit que ces multinationales veulent protéger leurs intérêts, perpétuer les inégalités et maintenir le statu quo. Ces compagnies ont de l'argent, au-delà de $3 millions. Quand tu as $3 millions, ça te prend des porte-parole, et les porte-parole que nous avons, à ce jour, ce sont nos amis d'en face qui veulent faire dire non à la population, non pas pour le bien-être des Québécoises et des Québécois, mais pour le bien-être de ces compagnies qui veulent perpétuer, ici, au Canada, non seulement au Québec, mais dans d'autres régions, les inégalités et les injustices économiques.

Lorsque l'on lit ce livre, on conclut très vite qu'une nouvelle entente est nécessaire pour corriger ces inégalités, ces injustices économiques. Il est grand temps que nous devenions maîtres chez nous et que nous prenions notre économie en main. Nous ne pouvons donc pas être d'accord avec le livre beige de M. Ryan qui concentre l'économie à Ottawa et une partie seulement de la culture à Québec. On a vu ce que ça a donné. En recherche scientifique, pour une année bien précise — les chiffres sont du ministre d'Etat chargé des sciences et de la technologie d'Ottawa — l'Ontario, $378 millions; le Québec, $36,3 millions — quand le chiffre est petit, il faut mettre la virgule — c'est-à-dire 64% en Ontario et 6% au Québec, dix fois plus en Ontario qu'au Québec. C'est rentable, le fédéralisme.

On a vu ce que ça a donné, aussi, dans l'industrie de l'automobile. Tout le monde le sait, 90% de l'industrie sont concentrés en Ontario. En sidérurgie, 80% sont concentrés en Ontario. Les chemins de fer sont deux fois moins nombreux au Québec; le député de Notre-Dame-de-Grâce l'a confirmé, et il trouve normal qu'on paie quasiment deux fois plus cher. C'est, encore une fois, son fédéralisme rentable, c'est-à-dire que c'est la justice: quand c'est bon pour les autres, on ne dit pas un mot. Il ne faut pas se plaindre mais il faut réaliser les situations d'injustice économique. Ce n'est pas normal, ce n'est pas ce qui va enrichir le Québec et ce n'est pas ce qui va faire travailler les Québécoises et les Québécois.

Si on accepte, par contre, le livre beige, encore une fois, de M. Ryan, on accepte ce qui précède et on se satisfait que tout le développement de la pétrochimie, au cours des quinze dernières années, se soit fait à Sarnia, en Ontario.

Si on accepte le statu quo, les négatifs, ceux qui vont dire non à un changement, trouvent normal — écoutez bien — que la voie maritime, qui a vidé les ports du Saint-Laurent, qui a créé des chômeurs, soit administrée par nos voisins d'Ottawa et de Washington qui nous font pourtant payer une partie du déficit. Sans compter ce que M. Le-clerc, de Brassard, me disait il y a quinze jours, lors d'une réunion de cuisine — M. Leclerc demeure juste à côté du fleuve — les inondations, sans compter la vue qu'on nous a bouchée de ce beau fleuve.

Mme la Présidente, si la situation économique ou si le potentiel économique du Québec, pour nos amis d'en face, c'est d'aller aux barrages, aux écluses de Saint-Lambert, durant les beaux dimanches après-midi, pour voir passer des bateaux, c'est merveilleux pour eux, mais les Québécois méritent plus.

Il ne faut surtout pas croire les adversaires du Québec qui disent que le Québec est trop petit et qu'il a une population trop faible. Le Québec est trop petit? Bien, voyons! Dans le grand journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung du 14 octobre 1975, on disait que le Québec était si grand et si riche, si grand que la Suisse entre dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, si grand que la Belgique entre dans la région de Montréal et les Cantons de l'Est, si grand que la France, l'Espagne, les deux Allemagnes et le Portugal entrent dans le territoire du Québec, sans compter le Labrador que le gouvernement britannique nous a enlevé en 1926 pour donner à qui? A sa colonie de Terre-Neuve. Et on dit que le Québec est trop petit! (17 h 50)

Une population trop faible? Notre population est l'égale de celle des pays les plus riches au monde. Et dire qu'on veut empêcher les Québécois de devenir un des pays les plus riches au monde. Le potentiel économique du Québec exige une nouvelle entente pour notre prospérité économique. Cette nouvelle entente que nous proposons dans la question s'enligne dans la continuité des demandes traditionnelles du Québec, se fera dans l'égalité politique et se réalisera dans le respect des peuples fondateurs. Depuis 20 ans, nous vivons au Québec le fait fleurdelisé, c'est-à-dire le fait fleurdelisé qui a créé la garde montante des Québécois et des Québécoises de plus en plus compétents qui veulent non seulement prendre leur place au soleil, mais prendre la place de voisins qui sont devenus trop ambitieux. Ce sont des Québécois et des Québécoises qui veulent réaliser un pays à leur image. L'avenir des Québécoises et des Québécois demande que le centre de décision soit à Québec, non seulement pour le culturel, mais aussi et surtout pour l'économique. Aucun pays ne s'est développé et enrichi par les étrangers ou ses voisins. Les Québécois et les Québécoises sont capables et fiers; assez fiers pour relever le défi et dire oui aux revendications des 40 dernières années. Nous pourrons alors, et enfin, ouvrir une fenêtre sur le monde et, solidairement, affirmer notre existence comme peuple.

Un oui au référendum sera la fin des inégalités économiques, la fin des injustices économiques. Un oui au référendum, c'est un oui à la prospérité économique du Québec, des Québécoises et des Québécois. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le député de Terrebonne.

M. Elie Fallu

M. Fallu: Mme la Présidente, la question déposée au feuilleton de l'Assemblée nationale reflète avec fidélité ce que nous avons toujours proposé avec constance. J'y trouve les termes mêmes d'Option Québec, ce livre que René Lévesque éditait en 1967 et qui nous servit d'ailleurs de point de départ lorsque nous nous appelions à l'époque Mouvement souveraineté-association.

Il faudrait relire, en page 39, un Québec souverain — les termes sont importants — une association économique, en page 49, faite d'une union monétaire, page 58, et d'un marché commun, page 62. Le programme rédigé au congrès de fondation du Parti québécois, en 1968, reprenait les mêmes expressions: souveraineté, page 22; union douanière, page 28; union monétaire, page 29. Je peux donc affirmer, Mme la Présidente, que, depuis treize ans déjà, les Québécois connaissent la question.

Certains de nos amis d'en face ne semblent pas ou ne veulent pas saisir encore, après tant d'années, le sens de la démarche politique qui aboutira dans quelques mois. Je voudrais leur rappeler les circonstances historiques dans lesquelles nous avons opéré cette réflexion. 1967. C'était l'époque — souvenez-vous-en — où les MM. Pelletier, Marchand et Trudeau arrivaient à Ottawa pour donner une dernière chance au fédéralisme. Ils allaient, disaient-ils, jouer pleinement le jeu du fédéralisme et faire la preuve que notre vieille constitution pouvait encore marcher. Au même moment, les partis républicain, riniste, Rassemblement national, Ralliement national se portaient à la conquête des électeurs.

Par les uns et par les autres, la question constitutionnelle était posée: fédéralisme ou séparatisme. Elle était posée en termes de dissociation. Après si longtemps d'ailleurs, le chef de l'Opposition voudrait nous ramener à une vision aussi simpliste du problème par l'amendement qu'il a déposé ici en cette Chambre.

Nous étions, quant à nous, de ceux qui regardaient se transformer l'univers politique contemporain à travers la planète. Nous avions vu les 51 pays souverains s'unir en 1945 dans les Nations Unies. Depuis lors, nous avions vu les empires coloniaux éclater. De 1945 à 1967, 72 pays nouveaux s'étaient inscrits à l'Organisation des Nations Unies. Nous constations que c'était l'ère non pas des fédéralismes, mais de la souveraineté des peuples. En même temps, la souveraineté des peuples allait dans le sens de l'association économique. Deux grands courants mondiaux se dessinaient, celui de la souveraineté, celui de l'association.

Chaque Québécois et chaque Québécoise doit savoir que la question référendaire sur la souveraineté-association inscrira le Québec dans le courant universel des dernières décennies, car, depuis lors, 29 nouveaux pays ont vu le jour.

Quant à l'association économique entre les pays, il en existe partout à travers le monde, en Europe, en Amérique centrale et du Sud, en Asie et en Afrique; quinze associations qui regroupent quelque 96 pays. Quand une question référendaire, M. le Président, propose la souveraineté et, en même temps, de déterminer avec le Canada une association économique, il n'y a là rien de singulier et surtout rien de neuf. Le fédéralisme était en vogue au 19e siècle. Il a cédé le pas à l'association entre pays souverains.

Quand, en 1967, nous proposions comme aujourd'hui encore la souveraineté-association, nous avions en tête l'Union économique belgo-luxembourgeoise qui, dès le 1er mai 1922, s'était donné une association douanière, un traité de libre circulation des personnes et une association monétaire; qui, de plus, s'était donné des institutions pour gérer cette entente: un comité de ministres, une commission administrative et un conseil des douanes.

Nous pouvions également en 1967 regarder fonctionner le Benelux, cette union économique entre la Belgique, la Hollande et le Luxembourg depuis 1932. Ces pays venaient de réviser leur traité en 1966 pour en faire un traité de libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services.

La Communauté européenne du charbon et de l'acier regroupait depuis 1952 six pays d'Europe: l'Allemagne, la France, l'Italie et les trois pays du Benelux. Vainqueurs et vaincus abordaient le problème de la souveraineté à la suite de la guerre sans esprit de revanche, ni de domination et tombaient d'accord pour l'exercer en commun sur une part de leurs richesses conjointes. Nous avions également ce modèle sous les yeux en 1967.

La Communauté économique européenne avait vu le jour en 1957 par le traité de Rome. Le Marché commun, comme on l'appelle généralement, rapprochait les politiques économiques des Etats membres, douanes et libre circulation des personnes, six pays à l'origine, douze maintenant.

En 1957, l'Europe avait donné le jour à la Communauté européenne de l'énergie atomique. En 1960, naissait, comme contrepoids au Marché commun, l'Association européenne de libre échange. Sept Etats en étaient membres.

En 1967, quand le Mouvement souveraineté-association est né, le Conseil nordique réunissait cinq pays Scandinaves dans le même pavillon à l'Exposition internationale de Montréal. Ces pays mettaient en pratique le traité d'association qui les réunissait depuis longtemps, à la suite d'ailleurs de leur souveraineté acquise par le démantèlement des fédéralismes.

Ce que nous pouvions constater en 1967, c'est que les pays les plus près de nous, les pays européens, ne se fédéraient pas; ils s'associaient. Ce que nous pouvions constater aussi en 1967,

c'était que les Lesage du "Maîtres chez nous" et les Johnson de "Egalité ou indépendance" avaient échoué dans leur tentative de replâtrer la Confédération canadienne. Nous avons donc proposé alors aux Québécois de se dire souverains et, en même temps, associés au reste du Canada. La question est toujours posée et toujours posée dans les mêmes termes. La forme de souveraineté-association nous apparaissait, comme elle nous apparaît toujours, la meilleure solution après l'échec des treize dernières années.

L'année, M. le Président, où s'écrivait Option Québec en 1967, cinq pays d'Asie formaient l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est: Indonésie, Philippines, Malaisie, Singapour et Thaïlande. La Malaisie et Singapour se trouvaient, en conséquence, des pays souverains et associés à la fois non seulement entre eux, mais avec trois autres pays après s'être défédérés.

L'Amérique du Sud nous fournit un certain nombre d'exemples. Le groupe Andin...

Le Président: M. le député de Terrebonne, je m'excuse de devoir vous interrompre. Il est maintenant 18 heures. S'il y a un consentement...

Des Voix: Consentement.

Le Président: Si vous avez besoin d'une ou deux minutes... Est-ce qu'il y a consentement pour permettre à M. le député de Terrebonne de poursuivre durant deux minutes après 18 heures?

Des Voix: Consentement.

Le Président: II y a consentement, M. le député de Terrebonne.

M. Fallu: J'évoquerai brièvement la communauté et le Marché commun des Caraïbes. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, deux associations en 1960 avaient déjà été créées: le Marché commun centre-américain et l'Association latino-américaine de libre échange.

M. le Président, ce mouvement d'association économique de pays s'est constitué depuis que nous avons fait connaître notre option: création de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, l'Union monétaire ouest-africaine, etc. 40 ans d'histoire, 152 nations souveraines, tant d'associations économiques de pays souverains. En face de nous, des gens qui ne s'inscrivent pas dans l'histoire. Ils vivent toujours au 19e siècle. (18 h)

La souveraineté, M. le Président, ça n'existe que dans la mesure où elle permet à un peuple de négocier son interindépendance. Mais il n'est certes pas besoin d'un cadre politique de type fédératif pour encadrer l'espace économique que nous voulons maintenir. Un traité d'association entre un Québec souverain et le reste du Canada ne nécessiterait pour ce maintien que les outils habituels d'une association de peuples souverains, quelque chose comme un conseil commu- nautaire, une cour de justice, une autorité monétaire.

Que l'association s'appelle traité, pacte, conseil, communauté, peu importe l'appellation, il nous faut choisir notre interdépendance librement acceptée. Nous voulons être unis dans la liberté et non dans la dépendance.

Dans tout système politique, le Québec doit échanger spécialement avec ses voisins; toutefois, le fédéralisme renouvelé ou supposément renouvelable ne nous donne pas les pouvoirs dont nous avons besoin pour régulariser selon nos intérêts, les mouvements économiques à l'intérieur de la fédération.

M. le Président, pour résoudre la crise constitutionnelle que nous vivons, c'est de la souveraineté que nous avons besoin, pour définir en même temps notre interdépendance librement choisie par une association économique et monétaire négociée avec le Canada: Québec, Canada, deux souverainetés associées. M. le Président, je dis oui.

Des Voix: Bravo! Bravol

Le Président: L'Assemblée suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

Suspension de la séance à 18 h 4

Reprise de la séance à 20 h 5

Le Vice-Président: A l'ordre, mesdames et messieurs!

Nous poursuivons le débat sur la motion du premier ministre. Est-ce qu'il y a un orateur qui doit prendre la parole?

À ce stade-ci, j'aimerais rappeler qu'il y avait une entente entre les différentes formations politiques.

M. le député de Laurier.

M. André Marchand

M. Marchand: M. le Président, c'est avec énormément d'émotion et, dans un sens, avec obligation que je me lève ce soir pour parler et donner mon opinion sur la question posée à l'occasion du référendum, et, surtout, j'aurais le désir de dire pourquoi nous sommes obligés de faire face à une telle situation. En effet, pourquoi en sommes-nous arrivés à une telle situation? Je le comprendrais facilement si j'habitais dans un autre pays. Mais comment peut-on concevoir de diviser un pays où vous-mêmes, les adeptes de la séparation, avez vécu, étudié, travaillé, avez vécu facilement dans ce beau pays? Combien parmi vous ont eu un travail des plus lucratifs, et dans quel pays l'avez-vous eu? Dans le pays des libertés les plus grandes au monde, et je pourrais dire peut-être le seul actuellement. Dans le pays où il fait bon vivre. Dans le pays où toute personne,

avec le potentiel qu'elle a, avec de la bonne volonté, peut réussir et aspirer aux plus hautes sphères de la société.

Combien de nos compatriotes depuis au moins une trentaine d'années — je n'irai pas plus loin — ont atteint les sphères les plus hautes de la société, que ce soit dans le domaine des affaires, que ce soit dans le domaine politique? Nous pourrions facilement souligner quelques noms. Pourquoi ne soulignerions-nous pas le nom des De Grandpré, des Turmel, des Rodrigue Bilodeau, des Alfred Hamel, des frères Prévost, les Rolland, dont l'ancêtre était Damien, le patron de mon grand-père maternel, Jean-Marie Poitras, Pierre Nadeau, Jean-Louis Lévesque, Paul Desmarais, Camille Dagenais, les frères Vachon — cela vous fait rire — les Miron, Dalpé et Frères, de Verchères, des petits gars qui sont partis de rien, Gérard Plourde, les Murdock, de Chicoutimi, que vous connaissez bien, M. le Président, les Lacroix, les Dutil, les Boisvert, de Boucherville, qui viennent de Verchères, les Marchand, même en électricité, en imprimerie, dans tous les domaines, en fiducie et les autres que j'oublie? Je pourrais faire une liste extraordinaire de gens qui ont réussi dans notre pays. (20 h 10)

En politique, est-ce qu'on peut oublier ceux qui nous ont faits et ceux qui, actuellement, sont là? Les Trudeau, les Marchand, encore, les Ouellet, les Chrétien, les Pépin et tous les autres de notre origine qui ont réussi en politique canadienne? Aussi, je ne comprends rien dans cette idée de faire du Québec un petit pays, un ghetto, de vouloir briser ce beau pays que j'aime pour satisfaire certaines aspirations personnelles. En effet, comment la population du Québec pourra-t-elie souscrire à une telle demande, à une telle proposition?

Je me pose une question, M. le Président. On peut se poser cette question... devant cette question qui nous est posée... Comme le disait mon collègue de Gatineau, c'est une question bidon. Comment ne peut-on pas se poser une telle question? C'est une question que je qualifierais de vicieuse, hypocrite et mensongère qui est posée par ce gouvernement. Comment peut-on se fier à la parole de ce gouvernement — si nous avions le malheur de lui faire confiance — quand on sait qu'en 1973 ce parti faisait une élection sur l'indépendance du Québec et qu'en 1975 ce parti, à son congrès, aspirait à la souveraineté, un mot un peu plus subtil naturellement que la séparation du Québec? En 1976, c'était une élection pour un bon gouvernement, en oubliant la séparation du Québec pour la population du Québec, en la laissant croire qu'on l'oublierait.

Devant toutes ces contradictions, ces fourberies, l'on ne peut faire confiance à ce gouvernement, M. le Président, car on sait très bien qu'un oui est un vote pour la séparation du Québec. Aux futurs ex-députés de l'Assemblée nationale PQ, aux futurs ex-ministres je demande tout simplement de retourner en caucus, d'aller voir leur chef et de lui dire: Posez donc une question honnête, une question que toute la population comprendra.

A ce moment-là, même si vous êtes battus, vous pourrez sincèrement retourner chez vous la tête haute et fiers de vous. Je demande aussi à tous ceux qui sont pour la séparation du Québec de voter oui, mais je demande à tous les Canadiens de voter non!

Le Vice-Président: M. le ministre du Revenu. M. Michel Clair

M. Clair: M. le Président, l'Assemblée nationale du Québec, notre Assemblée nationale à nous tous les Québécois, vit ces jours-ci les heures les plus intenses de son histoire. Depuis l'ouverture de la première session de l'Assemblée législative du Bas-Canada, qui s'est réunie pour la première fois le 17 décembre 1792, jamais ceux qui ont siégé dans ce Parlement n'ont eu l'occasion, je dirais la chance de discuter d'une question qui force aussi directement, aussi clairement tous les élus du peuple à dire, à répondre de ce qu'ils conçoivent être le passé, l'avenir et le présent du Québec.

C'est avec fierté, M. le Président, que je vous livre ma conception du Québec qui, d'ailleurs, se retrouve dans la question qui est débattue. Depuis la venue des premiers arrivants il y a 400 ans, un peuple est né en Amérique; je parle du peuple québécois. Toute la question s'appuie sur cette affirmation. Le peuple québécois existe, différent de ses voisins actuels, tout autant que de ceux dont il est issu ou qui l'ont influencé. C'est l'existence même du peuple québécois qui l'amène à réclamer de plus en plus clairement depuis des décennies le droit fondamental et inaliénable qui découle de sa simple existence, le droit à l'égalité. A quoi avons-nous le droit d'aspirer si nous existons comme peuple, si ce n'est à l'égalité? Qu'est-ce que les générations d'hommes et de femmes qui nous ont précédés préparaient par leurs sacrifices et leur ténacité à faire survivre ce peuple et à bâtir ce Québec, si ce n'était le chemin de l'égalité?

Mais de quelle égalité parlons-nous? La question propose une égalité concrète, réelle. L'Egalité — avec un grand E — qui permettrait au Québec d'avoir comme institutions ce qu'il est normal pour un peuple d'avoir pour assurer son développement, soit un gouvernement et un Parlement pour nous les Québécois, un gouvernement et un Parlement que nous serions les seuls à contrôler, un Parlement et un gouvernement par lesquels le Québec voterait toutes les lois qui le concernent, administrerait tous les impôts qu'il paie et établirait lui-même ses relations extérieures.

Toute forme d'égalité alambiquée, encarcanée par un régime fédéral conduit inévitablement notre peuple vers une égalité où les autres seront toujours plus égaux que nous parce que majoritaires dans un gouvernement central chargé de décider de la moitié de nos lois et de la moitié de nos impôts.

De plus, cette égalité nous permettrait en même temps de connaître un aboutissement heureux à ce drôle de concubinage forcé qu'est la fédération actuelle. Dans une égalité réelle, nous aurions, d'un côté, le Québec maître de ses lois et de ses impôts et, de l'autre, le Canada maître des siens. Nous pourrions enfin, par une association économique négociée sur une base d'égal à égal, nous atteler ensemble au développement de nos économies respectives plutôt que de s'arc-bouter l'un contre l'autre dans le ridicule jeu de souque-à-la-corde qu'est devenu et que nous condamne à faire le régime fédéral actuel. Mettons un terme à ce gaspillage de nos impôts. Finissons-en avec ces querelles de lois, de programmes et de règlements fédéraux et québécois qui se contredisent. Allons négocier une nouvelle entente que notre passé aussi bien que notre présent nous appellent à mettre en vigueur entre le Québec et le Canada.

Une des dimensions les plus fondamentales de cette nouvelle entente que nous proposons concerne sûrement le pouvoir pour le Québec d'administrer tous ses impôts. La lutte du peuple québécois pour contrôler les taxes qu'il paie n'est pas nouvelle. Elle plonge, en fait, ses racines jusqu'aux temps de la colonie. Je dirais même qu'en fait cette revendication du Québec existe depuis qu'il y a ici des gens qui ont compris que celui qui contrôle les cordons de la bourse, c'est celui qui décide. Après la perte de l'exclusivité de l'impôt sur le revenu par le Québec en 1917, l'envahissement par le fédéral d'importants pouvoirs fiscaux du Québec en 1942 sous le gouvernement Godbout, jamais le gouvernement du Québec, unioniste, libéral ou péquiste, n'a cessé de réclamer pour les Québécois plus de contrôle sur nos impôts.

Il y a deux ou trois raisons bien simples pour demander le contrôle de nos impôts. Premièrement, c'est le seul gouvernement que nous, les Québécois, contrôlons d'une façon incontestable. Deuxièmement, c'est celui qui connaît le mieux les besoins des Québécois et, enfin, nous savons tous que le pouvoir de faire des lois ne signifie rien si on ne contrôle pas ses impôts. M. Duplessis avait compris cela, M. le Président. Intervenant ici dans cette Chambre, en 1942, contre les ententes fiscales proposées par le gouvernement Godbout, le chef de l'Opposition, Maurice Duplessis, s'indignait, et je cite: "On est en train de sacrifier l'autonomie de la province. L'autonomie, c'est le privilège de s'administrer soi-même par des lois que nous faisons nous-mêmes. Mais, pour administrer, il faut des revenus — L'argent, c'est le sang des Etats — Si nous abandonnons de nouvelles sources de revenus, nous mettons en danger le pouvoir de nous administrer nous-mêmes." (20 h 20)

A la conférence d'Ottawa, en 1955, M. Duplessis affirmait ceci: "Quel avantage y aurait-il à ce que le dollar d'impôt perçu pour des fins provinciales fasse un grand détour par Ottawa avant de nous revenir?" Plus loin, il disait encore: "La perception de ces impôts est profondément liée au fonctionnement même du gouvernement et deux axiomes bien connus sont incontestables: celui qui contrôle les cordons de la bourse exerce toujours l'autorité suprême et "the right to tax is the right to govern", le droit de taxer, c'est le droit de gouverner".

Le 5 avril 1963, dans son discours sur le budget, le premier ministre de l'époque, Jean Lesage, évoque le spectre de la double taxation en lançant l'ultimatum suivant au gouvernement fédéral, et je cite: "Douze mois se passeront avant le prochain discours sur le budget. Ou bien le gouvernement fédéral, quel que soit le parti élu, aura profité des douze mois à venir pour tenir compte des exigences du Québec en matière fiscale, ou bien nous, du Québec, nous aurons vu de notre côté, au cours de la même période, à prendre, en matière fiscale, les décisions qui s'imposent. Et ces décisions seront celles que nous dicte l'objectif d'affirmation économique, sociale et culturelle que nous nous sommes fixé à la demande même du peuple du Québec".

Je pourrais citer d'autres discours de Paul Sauvé, d'Antonio Barrette, de Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa. Tous ont cherché à assurer plus d'emprise au gouvernement de Québec sur les impôts payés par les Québécois. Tous ont eu, à de nombreuses reprises, des priorités différentes de celles du gouvernement central pour l'utilisation de nos impôts et le développement du Québec. Tous se sont battus pour défendre les intérêts du Québec dans la manière de dépenser nos impôts par le gouvernement d'Ottawa. Tous avaient dans le fond compris quelque chose de bien simple: c'est que le gouvernement du Québec est le plus apte à répondre aux besoins des Québécois, mais qu'on ne peut le faire sans contrôler de plus en plus cette immense richesse, ce formidable levier que constituent les taxes et les impôts que nous payons.

Seul le chef actuel de l'Opposition n'a pas hésité à rompre avec cette revendication traditionnelle du Québec. Il n'a pas hésité à renoncer pour le Québec à des revenus fiscaux supplémentaires. Au contraire, le chef du Parti libéral veut, et je cite son livre beige: "Eviter de restreindre indûment les pouvoirs fiscaux du gouvernement central "au nom de programmes fédéraux de péréquation et de développement régional dont l'inefficacité et, dans bien des cas, la nuisance ont été abondamment prouvées sur le territoire québécois. Le chef du non veut, et je rappelle sa citation: "Eviter de restreindre indûment les pouvoirs fiscaux du gouvernement central". Un chef de parti politique qui défend, au Québec, les pouvoirs de taxation du fédéral, ça ne s'est jamais vu en 113 ans, M. le Président.

Mais, est-ce que cet homme, ce chef du non, serait un naïf ou un vertueux défenseur de la veuve fédérale ne se rendant pas trop compte des conséquences de ce qu'il propose? Non, M. le Président. Le chef du non sait très bien ce qu'il propose. En voici la triste preuve extraite encore une fois du livre beige. Je cite: "Finalement, nous sommes d'avis qu'il est impossible de garantir par voie constitutionnelle que les ressources fiscales

des deux ordres du gouvernement correspondront toujours à leurs responsabilités." Fin de la citation. Comprenez-vous bien que ce chef du non accepte d'avance, dans son livre beige, que les ressources fiscales du Québec ne correspondront pas toujours aux responsabilités du Québec, selon sa propre hypothèse? Si le Québec répond non à la question comme le chef du non invite les Québécois à le faire, le voyez-vous arrivant à Ottawa pour négocier son fédéralisme renouvelé en disant: On veut négocier un fédéralisme renouvelé mais on vous dit d'avance que ce n'est pas nécessaire pour le Québec d'avoir des ressources fiscales correspondant à ses responsabilités? C'est un scandale, M. le Président. Jamais on n'a vu cela à Québec.

Avez-vous pensé à la puissance de cet instrument que le chef de l'Opposition propose de laisser entre les mains du gouvernement d'Ottawa, où le Québec n'envoie que 75 députés sur 207? Savez-vous ce que représente la somme de près de $9 milliards d'impôts payés à même notre travail à nous les Québécois entre les mains d'un gouvernement où nous sommes minoritaires? Près de $9 milliards; c'est l'argent que nous avons payé l'an dernier, nous, les Québécois, à ce gouvernement tuteur qu'est le gouvernement fédéral dans le régime actuel. Ces $9 milliards représentent près de 50% des sommes payées par les Québécois l'an passé aux deux niveaux de gouvernement. Plus de $18 milliards d'impôts pour six millions d'habitants. Comprenez-vous l'importance pour les Québécois de contrôler nous-mêmes cette immense richesse afin de l'utiliser en fonction de nos intérêts plutôt que de laisser les autres décider ce qui est bon pour nous?

Le chef de l'Opposition officielle peut-il me donner une seule raison pour laquelle, s'il se trouvait aujourd'hui chef du gouvernement, il préférerait que son gouvernement contrôle la moitié de nos impôts plutôt que la totalité?

A-t-on jamais vu, dans l'histoire de l'humanité, un seul chef proposer à son peuple d'abandonner à ses voisins la moitié de ses ressources fiscales, la moitié de ses taxes, M. le Président? A chaque jour ouvrable qui passe, c'est $30 millions qui partent du Québec pour aller se faire administrer à Ottawa. Pourquoi ces $30 millions seraient-ils mieux administrés par les autres que par nous-mêmes?

D'où vient cette gêne du chef de l'Opposition à réclamer avec nous la juridiction sur 100% de nos impôts? Serait-il vrai, M. le Président, si on suit la logique du chef de l'Opposition, que ce que le Québec a bâti depuis 30 ans, avec seulement la moitié de nos impôts, c'est un échec? Serait-il vrai que les députés qui siègent ici, et dont il fait lui-même partie, seraient des demi-compétents qui ne peuvent administrer que la moitié de nos impôts? Serait-il vrai qu'on aurait toujours besoin d'un gouvernement tuteur pour administrer l'autre moitié?

Non, M. le Président. Tous les Québécois refusent de croire cela, et c'est pourquoi nous réclamons le contrôle de la totalité de nos impôts.

D'ailleurs, ce serait tellement plus simple, M. le Président, pour les particuliers comme pour les corporations, un seul rapport d'impôts, une seule déduction à la source, un seul ministère avec qui transiger. Combien de paperasse inutile et coûteuse serait éliminée! Combien pensez-vous, M. le Président, que nous gaspillons chaque année pour envoyer nos $9 milliards d'impôts se faire administrer à Ottawa? Nous gaspillons environ $10 millions par année seulement en papier, en imprimerie, en timbres et en enveloppes pour envoyer notre argent se faire administrer par Ottawa.

Savez-vous qu'en plus, le coût de perception pour chaque $100 de revenu est de $0.99 au ministère du Revenu du Québec alors qu'il est de $1.24 au Revenu national à Ottawa? En plus de faire administrer nos taxes par les autres, cela nous coûte plus cher, M. le Président. Mais que retenir de tout cela? J'aurais aimé vous parler d'un sujet qui me tenait fort à coeur pour ma région, l'industrie du textile, avec laquelle on a joué comme un yo-yo depuis des décennies, mais, malheureusement, le temps me presse, je me contenterai de vous poser la question suivante: Que retenir de tout cela?

Il me semble qu'une simple constatation s'impose à nous tous, les Québécois. Par-delà nos options libérales, péquistes ou unionistes, ce sont les gouvernements qui se sont succédé ici, à Québec, qui ont toujours le mieux compris nos besoins et défendu nos intérêts. C'est pour cela qu'ils ont toujours réclamé plus de contrôle sur nos taxes, à l'exception du chef du non. Pour une fois dans notre histoire, oublions nos préjugés partisans et nos luttes électorales. Dans un grand geste de solidarité, faisons confiance au Québec. Disons oui à un Québec en marche vers sa destinée, associé avec ses voisins, maître de ses lois et de ses impôts. Si nous disons oui, M. le Président, nous serons tous plus fiers de nous. Nous aurons tous une garantie, la garantie que notre gouvernement de Québec, qu'il soit libéral, qu'il soit unioniste, qu'il soit péquiste, n'aura plus à se contenter d'administrer seulement la moitié des impôts que nous payons, n'aura plus à quémander à Ottawa le retour de l'autre moitié en se faisant parfois traiter, comme cela a déjà été, malheureusement, le cas, de mangeur de hot dogs. Notre gouvernement pourra alors, en fonction de nos intérêts à nous, les Québécois, et pour notre développement à nous, utiliser ce formidable levier que sont les quelque $20 milliards de taxes et d'impôts que nous payons à la sueur de nos fronts. (20 h 30)

Nous avons notre Parlement, nous avons nos lois, nos institutions, nos ministères, il nous reste maintenant à conquérir le contrôle de la totalité de nos lois, de la totalité de nos taxes et de nos impôts en négociant une nouvelle entente, une nouvelle association. Un oui massif à la question référendaire, c'est non seulement le meilleur moyen, mais c'est le seul moyen de nous assurer que nous, les Québécois, contrôlerons les taxes et les impôts que nous payons à même nos salaires et les biens que nous achetons.

Le Vice-Président: M. le chef de l'Opposition officielle. A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ryan: Question de privilège, M. le Président. Le député de Drummond vient de citer un document dont il m'attribue la paternité.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ryan: II me donne, en conséquence, le droit de rectifier les mensonges qu'il essaie de véhiculer à la télévision. Je vais donner un extrait du document qu'il a cité, le livre beige du Parti libéral du Québec, qui vous dit la vérité en ce qui touche la position constitutionnelle de mon parti et la mienne dans les questions fiscales. Je lis: "Nous avons insisté à plusieurs reprises sur le principe de non-subordination entre les deux ordres de gouvernement comme élément essentiel d'un fédéralisme authentique. La répartition des ressources fiscales entre le gouvernement central et les provinces est un des domaines où ce principe prend une signification particulière. En effet, l'autonomie des provinces dans leur sphère de juridiction serait illusoire si elles ne disposaient pas de ressources financières adéquates pour faire face à leurs responsabilités... Ce principe que les experts appellent "la responsabilité fiscale" est, non seulement conforme aux traditions canadiennes en matière de partage des ressources fiscales, mais également une garantie d'une plus grande responsabilité..."

Voilà, M. le Président, la position véritable du Parti libéral en matière de fiscalité. Ce n'est pas du tout la version contournée et tronquée qu'a présentée le député de Drummond.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Drummond, sur une question de privilège, très rapidement et sans débat.

M. Clair: M. le Président, très rapidement, premièrement, le député d'Argenteuil cite des textes qui, j'imagine, sont exacts. Je veux simplement relire le passage du livre beige et demander au chef de l'Opposition s'il renie ce texte...

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. le ministre du Revenu, vous avez déjà lu le texte et je pense que ce serait abuser du temps de la Chambre de le lire une deuxième fois.

A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Clair: M. le Président, ma question de privilège vise l'objet suivant. Le député d'Argenteuil laisse entendre que je n'aurais pas cité le texte du livre beige. Je veux simplement le relire, j'en ai un extrait devant moi. Voici le dernier paragraphe du chapitre 14 de son document que je cite, c'est très bref: "Finalement, nous sommes d'avis qu'il est impossible de garantir par voie constitutionnelle que les ressources fiscales des deux ordres de gouvernement correspondront toujours à leurs responsabilités."

C'est ce que j'ai cité, M. le Président.

Des Voix: Bravo! Bravo!

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

J'aimerais vous rappeler qu'il nous reste au-delà de 25 heures de débat et que tous les députés de cette Assemblée auront l'occasion de se faire entendre s'ils le veulent bien.

M. le député de Beauharnois.

M. Laurent Lavigne

M. Lavigne: M. le Président, il me fait énormément plaisir d'avoir l'occasion d'adresser la parole au peuple du Québec dans de telles circonstances historiques. Je regrette, par contre, qu'énormément de Québécois risquent d'être mêlés au moment où je vous dis cela, et je vais vous dire pourquoi. Vous avez, bien sûr, les tenants du oui et vous avez la contrepartie, les tenants du non. Les gens qui sont habitués de vivre en politique, pour qui c'est leur travail quotidien, peuvent arriver, évidemment, à décortiquer tout cela assez facilement et se faire, bien sûr, une opinion claire et précise des faits et des situations. Mais le commun des mortels, le père de famille ou la mère de famille qui doit aller travailler chaque matin ou préparer les repas et tenir la maison, évidemment, ces gens ne sont pas habilités ou habitués à entendre parler de politique comme ils auront à en entendre parler pendant les 35 heures qui viennent. C'est pourquoi plusieurs citoyens du comté de Beauharnois m'ont dit, depuis la période des Fêtes: M. Lavigne, on va vous organiser des assemblées de cuisine pour que vous puissiez venir nous expliquer ce qui se passe au Québec avec le fameux référendum. J'ai accepté et ça m'a fait grandement plaisir.

Depuis le Jour de l'an, j'ai fait une quarantaine de réunions, d'assemblées de cuisine comptant environ de 25 à 30 personnes chaque fois... M. le Président, je regrette infiniment que M. le député de Laurier me dérange au moment où j'interviens.

Le Vice-Président: Vous avez la parole, M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: N'y aurait-il pas moyen, M. le Président, de tenir compte du temps qu'il me fait perdre? Donc, lors de ces fameuses assemblées de cuisine où j'ai accepté de donner de l'information, je me suis efforcé de donner l'information la plus objective possible. Pour ce faire, j'ai demandé à tous les gens que je rencontrais lors des assemblées de cuisine d'y venir avec un esprit dégagé, en laissant chez eux leur couleur politique. Il n'était pas question, lors de ces assemblées, de parler soit du Parti québécois, soit du Parti libéral, du parti de l'Union Nationale, des créditistes ou que sais-je encore, mais bel et bien de la question référendaire. C'est effectivement de cela que les gens avaient soif; ils avaient soif d'information sur la question référendaire. A partir du moment où on fait cet exercice, je pense qu'on peut arriver facilement à comprendre la situation.

J'invite donc tous les gens du comté de Beauharnois que je n'ai pas eu l'occasion de

rencontrer dans les assemblées de cuisine, parce que j'ai 39 000 électeurs — vous me comprendrez, c'est excessivement difficile pour moi de rencontrer ces 39 000 électeurs en assemblées de cuisine, par groupes de 15 ou 20, pour leur parler du référendum qui viendra le printemps prochain — je profite de l'occasion qui m'est offerte ce soir pour inviter tous les Québécois devant leur télévision, dans leur salon, et particulièrement les gens du comté de Beauharnois, pour me sauver du temps. De plus, je vous le dis, chers amis du comté de Beauharnois, vous allez faire l'économie de la gardienne! Bien des femmes m'ont dit: M. Lavigne, j'aurais aimé aller à votre assemblée de cuisine, mais je n'ai pas de gardienne. Je vous évite ce problème. Je permets aussi à toutes les personnes âgées, qui n'avaient pas de moyen de transport pour venir à mes assemblées, de m'écouter ce soir, et aussi aux handicapés.

Donc, à tous les Québécois je dis que c'est relativement simple. J'oserais même dire que, quand on veut mettre de côté la partisanerie, c'est très simple, la question sur laquelle vous allez avoir à voter le jour du référendum. Je vais vous dire pourquoi et sans partisanerie. Parce que, d'abord, la constitution canadienne, moi, je vois ça comme une vieille bagnole de 113 ans. Même si vous changiez les gouvernements pour la conduire, ça ne rajeunirait pas la bagnole. Ce n'est pas le chauffeur qu'il faut changer, c'est la constitution. Je pense que c'est primordial. Quand on fait cet exercice, on s'aperçoit que toute notre réflexion est à savoir si on doit changer le gouvernement qui représente, en l'occurrence, le chauffeur ou bien l'automobile, la vieille bagnole, qui est en fait la constitution canadienne vieille, comme je vous le disais, de 113 ans.

Pourquoi faut-il la changer? On n'a pas inventé les boutons à quatre trous, nous, du Parti québécois, mais il y a tous nos prédécesseurs québécois, que ce soit, par exemple, M. Duplessis, à travers l'Union Nationale, qui s'est battu, qui est allé à Ottawa mille et une fois pour revendiquer des droits qu'il savait ne pas avoir pour être capable d'administrer le Québec convenablement. (20 h 40)

M. Duplessis a été là pendant 20 ans et il n'est jamais venu à bout d'aller chercher la moitié du coffre d'outils dont il avait besoin pour administrer le Québec convenablement. On n'a que la moitié d'un coffre d'outils pour administrer notre Québec. Quand il est parti de la scène provinciale, c'est M. Jean Lesage qui l'a remplacé. M. Duplessis, lui, disait qu'il fallait aller chercher notre butin. Il avait pris conscience qu'il lui manquait quelque chose pour administrer le Québec. M. Lesage, la même chose. Et vous allez voir qu'il y a une espèce de crescendo dans les slogans. M. Duplessis, c'était: On va aller chercher notre butin à Ottawa. M. Jean Lesage, un homme déterminé de l'équipe du tonnerre des années soixante, a dit: On va être maîtres chez nous. On voit là un cran. Ils ont monté d'un échelon vers la détermination à aller chercher à Ottawa ce qu'ils ont senti qu'il nous manquait ici pour administrer convenable- ment notre Québec. M. Lesage, un gars fier, un gars déterminé, un gars qui parlait bien, un gars qui a été respecté à Ottawa, il a passé, comme Duplessis, sans pour autant aller chercher la moitié du coffre d'outils qu'il nous manque pour administrer le Québec convenablement.

Il fut suivi par M. Johnson et M. Johnson, aigri par la situation des échanges fédéraux-provinciaux, à travers lesquels M. Duplessis et M. Lesage avaient échoué, a dit: Cela va être l'égalité ou l'indépendance. On voit encore dans le slogan un crescendo et c'est cela, la continuité au Québec vers la souveraineté. M. Johnson, en dépit du fait qu'il est parti à Ottawa avec la détermination qu'il avait, qu'on lui connaissait, a échoué aussi dans son projet d'aller rapatrier à Ottawa ce qui nous revenait ici au Québec.

Suivi par M. Bourassa. M. Bourassa, un peu fin filou, a dit: Aller essayer de négocier à Ottawa la souveraineté du Québec, cela ne passera pas. Ils ne le prendront pas et je vais sûrement échouer. Il a dit: Je vais prendre cela en deux morceaux; je vais m'essayer sur la souveraineté culturelle. M. Bourassa est allé essayer la souveraineté culturelle, peut-être avec l'intention d'aller essayer, ensuite de cela, la souveraineté économique. On ne le sait pas, il ne nous l'a pas dit; c'étaient peut-être ses intentions, on ne le sait pas. Mais M. Bourassa aussi, comme tous les autres, a constaté que, dans la fédération canadienne actuelle, il pouvait difficilement administrer le Québec. Il n'a même pas eu sa souveraineté culturelle et, quand il est allé à Ottawa, ils ne l'ont même pas respecté comme chef élu démocratiquement au Québec. Ils l'ont retourné au Québec en le traitant de "mangeur de hot dogs". C'est tout le respect qu'Ottawa a eu pour le Québec depuis la Confédération.

Nous, on suit M. Bourassa. On est élu le 15 novembre 1976. Si on revient dans l'histoire politique du Québec et qu'on constate tout cela, on se dit: Pourquoi ne sortirait-on pas des ornières dans lesquelles les autres ont échoué? Même si le Parti québécois est un nouveau parti, rajeuni, fringant, si on demeure dans les mêmes ornières, la moitié du coffre d'outils qu'il y a à Ottawa pour administrer convenablement le Québec, on ne sera pas plus fins que les autres, on ne sera pas capables d'aller la chercher. C'est ce pourquoi, M. le Président, on arrive aujourd'hui avec une question. D'ailleurs, on l'avait promis à tous les Québécois, qu'à l'intérieur de notre mandat on irait consulter le peuple du Québec par un référendum pour savoir si on doit demeurer dans la Confédération canadienne ou pas, ou si on ne doit pas changer les règles du jeu.

On arrive, finalement, au terme de toute notre évolution qu'est révolution du Parti québécois depuis un certain nombre d'années, évolution qui fait qu'aujourd'hui les Québécois ont devant eux une question sur laquelle ils auront à se prononcer. Mesdames et messieurs du comté de Beauharnois, qui êtes en assemblée de cuisine avec votre député du comté de Beauharnois et tous les Québécois qui veulent en profiter, la question,

même si les tenants du non la disent fumeuse, farfelue, compliquée, trop longue, je dis que c'est faux. En effet, si on avait mis la question aussi courte que: Etes-vous pour ou contre la souveraineté du Québec, les premiers qui seraient intervenus là-dessus auraient été les tenants du non qui nous auraient dit: Qu'est-ce que vous entendez par souveraineté et qu'est-ce que vous entendez par association économique? Eclaircissez vos positions! Si on la met trop longue, ce n'est pas mieux, non plus. Je pense qu'il y avait moyen, à travers la question, de mettre l'essentiel. L'essentiel, M. le Président — je vois qu'on me fait signe que le temps passe — ce sont les trois premières lignes.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît.

M. Lavigne: On va la disséquer. Les trois premières lignes, M. le Président, visent à demander...

Le Vice-Président: M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, s'il vous plaît! Si vous voulez parler à la présidence, allez prendre votre siège, s'il vous plaît. M. le député de Beauharnois. A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre!

M. Lavigne: M. le Président, les trois premières lignes de la question ne sont pas compliquées à comprendre. Je pense qu'il n'y a aucun Québécois qui serait contre l'idée de voter oui aux trois premières lignes de la question qui consistent à aller à Ottawa chercher notre demi-coffre d'outils qu'il nous manque ici sur un plan d'égalité. On n'ira pas en culottes courtes. On n'ira pas à genoux. On n'ira pas à plat ventre. On veut y aller debout. Et, pour pouvoir y aller debout, il faut qu'Ottawa reconnaisse le peuple du Québec comme étant une entité, comme étant un peuple qui doit discuter avec l'autre d'égal à égal. Donc, ce sont les trois premières lignes de la question et je pense qu'il n'y a aucun Québécois qui souhaiterait que le gouvernement du Québec aille à Ottawa sur un plan d'inégalité. Je pense qu'on peut dire oui à cela.

Quand on continue à lire la question, on voit dans le coeur de la question trois choses essentielles pour lesquelles on va aller à Ottawa négocier sur un plan d'égalité. La première chose, M. le Président, c'est le rapatriement de notre pouvoir législatif et je pense que c'est très important parce que la constitution canadienne a été faite non pas pour les Québécois de langue française, mais elle a été faite par les Anglais. Elle a été faite pour les Anglais...

M. Scowen: ... peuple conquis.

M. Lavigne: Non, non. On a été un peuple conquis en 1760. Ce sont les Anglais qui ont gagné. L'Angleterre a envoyé ici des biens et c'est pour cette raison que l'économie a été aux Anglais. Je ne leur en veux pas pour autant. Si c'était nous qui avions gagné sur les plaines d'Abraham, probablement qu'on se serait écrit une constitution qui aurait été à notre image, pour nous. Mais que voulez-vous, les choses étant ce qu'elles sont, on a été obligé de tenir compte de cela. On s'aperçoit qu'on a beau vouloir adopter des lois ici pour nous, la constitution canadienne nous empêche de les adopter comme bon nous semble. Le plus bel exemple qu'on a vu là-dessus, M. le Président, c'est l'automne passé, un peu avant Noël, quand la Cour suprême a décrété que la loi 101, qui faisait du français la langue officielle au Québec, selon la constitution canadienne, était jugée ultra vires, une certaine partie de la loi 101.

Donc, je pense qu'il est grand temps, M. le Président, que le Québec puisse, avec le rapatriement de son pouvoir législatif, adopter ses lois pour lui, comme il l'entend, pour les Québécois et non pas pour les voisins.

Il y a une deuxième chose qu'on veut aller négocier à Ottawa. C'est le rapatriement de nos taxes et de nos impôts. Je pense qu'il y a eu maints et maints exemples qui ont été donnés par mes collègues sur le plan économique. Pourquoi voudrait-on rapatrier nos taxes et nos impôts d'Ottawa? C'est parce qu'on a toujours été "discriminé" par rapport aux autres et c'est facile. J'ai ici des chiffres qui sont assez éloquents. Depuis 30 ans, vous voyez une constante. Au Québec, on maintient un taux de chômage de 6%, quand on sait que, dans l'ensemble canadien, le taux de chômage est de 4,6% et qu'en Ontario il est de 3,7%. Pourquoi y a-t-il une différence, presque le double, entre le Québec et l'Ontario? C'est parce que, M. le Président, ce qui devrait nous revenir de nos impôts dans les différents programmes ici au Québec ne nous revient pas, et particulièrement au niveau du chômage et au niveau des programmes pour combattre le chômage. Vous avez ici les dépenses créatrices d'emplois. Le comté de Beauharnois a été, M. le Président, énormément frustré, il y a un an et demi à peu près, parce que longtemps on a attendu que soit GM ou Ford viennent dans le comté de Beauharnois investir ce qu'ils avaient à investir, même si on avait fait un effort, nous du comté de Beauharnois, pour être reconnus comme zone désignée dans le grand Montréal métropolitain, chose finalement que le MEER a accepté de reconnaître. On a été reconnu comme zone désignée et en dépit de tout cela, quand est venu le temps d'investir...

Une Voix: Attendez!

M. Lavigne:... ce qui est arrivé, c'est qu'ils ont pris $40 millions à Ottawa et ils sont allés donner cela à l'Ontario pour que Ford aille s'installer là-bas plutôt que dans le comté de Beauharnois. Pourtant, dans les $40 millions, il y avait $10 millions qui appartenaient aux Québécois. On a pris $10 millions de notre argent pour aller combattre le chômage en Ontario quand, en fait, le chômage depuis 30 ans se maintient deux fois plus élevé au Québec. C'est pour cette raison, M. le Président, qu'on veut rapatrier nos taxes et nos impôts ici.

J'aurais une foule d'autres exemples à donner, mais je vois qu'on me fait signe. Le temps presse. Je ne voudrais pas empiéter sur le temps de mes collègues. Il y a une autre chose qu'on voudrait aussi négocier à Ottawa, c'est le pouvoir d'aller négocier des ententes économiques avec l'étranger. (20 h 50)

Le plus bel exemple que je peux donner encore là, le comté de Beauharnois a été témoin de cela parce qu'on a installé des lignes hydroélectriques chez nous pour aller desservir ou vendre de l'électricité à l'Etat de New York. Pour pouvoir aller vendre de l'électricité du Québec à l'Etat de New York, on a été obligé de demander à la société de...

Une Voix: ...

M. Lavigne: Soyez donc un peu sérieux! On a été obligé de demander à Ottawa la permission de pouvoir vendre notre électricité à l'étranger.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lavigne: Donc, on voudrait, avec le rapatriement de notre pouvoir...

Une Voix: ...

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lavigne: M. le Président, s'il vous plaît!

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Beauharnois. A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lavigne: Merci, M. le Président. Je termine en disant qu'au niveau de nos dépenses et de nos impôts qui sont à Ottawa on se paie le luxe de deux gouvernements, un à Ottawa et un ici, des doubles ministères à peu près dans chaque sphère d'activité. Sur 192 programmes canadiens, il y a 143 programmes qui sont doubles, ce qui fait qu'on paie double partout.

M. le Président, je suis obligé de terminer ici. Je suis malheureux de voir mon assemblée de cuisine un peu écourtée, mais je peux vous dire que, le jour du référendum, je pense que les Québécois sauront ce qu'il faut faire. En mettant de côté toute la question partisane, ils réaliseront une fois pour toutes qu'ils ont une chance dans leur histoire de se tenir debout et de faire en sorte que leur gouvernement éventuel ait tous les leviers de commande et l'autre moitié du coffre d'outils qu'il lui manque pour administrer au Québec pour les Québécois et dans leur intérêt. Je vous remercie, M. le Président.

Des Voix: Bravo!

Le Vice-Président: M. le député de Maisonneuve.

M. Georges Lalande

M. Lalande: M. le Président, si je me lève ce soir comme membre de cette Assemblée, c'est tout d'abord pour parler aux gens du comté de Maisonneuve évidemment. C'est également pour m'adresser directement à tous mes frères québécois, surtout ceux qui, comme moi, croient fermement que la lutte de près de quatre siècles que les Canadiens français entreprirent jadis pour s'imposer en Amérique a encore aujourd'hui toute sa signification et toute sa raison d'être.

La question que l'actuel gouvernement pé-quiste essaie d'esquisser en vue — il faut bien le dire — de tromper la vigilance du peuple du Québec trouve, de toute évidence, sa source dans son livre blanc de novembre dernier, mais également et surtout dans le programme politique du Parti québécois. Ce n'est donc pas une question qui se situe au-delà des partis politiques du Québec, mais qui émane plutôt directement de la pensée péquiste. D'ailleurs, cette filiation qui s'établit à sa face même a été exposée amplement et avec autorité par le chef de notre formation politique. Cette question reflète également la forme floue et le caractère intrigant qui devient de plus en plus la marque de commerce de ce gouvernement péquiste.

M. le Président, cette question, outre le fait qu'elle est, dans sa forme, visqueuse et huileuse, comporte tout l'odieux d'essayer de diluer et de masquer l'option véritablement séparatiste du PQ. C'est cette manière répréhensible d'essayer de faire indirectement ce qu'il n'a pas le courage de faire directement qui est profondément vexatoire de la part de ce parti politique.

Cette option séparatiste d'ailleurs, qui est un projet humiliant — oui, humiliant — de démission pour les véritables nationalistes, pour ceux qui ont foi au génie propre des Canadiens français et à leur force d'entraînement à la grandeur du Canada, n'aura servi à la fin qu'à diviser inutilement et malheureusement les forces vives de la nation qui ont pourtant besoin, à ce moment-ci de notre histoire nationale comme en tout autre temps d'ailleurs, de la plus grande unité.

M. le Président, il eut été si simple et si clair, et il est encore possible de clarifier leur option et leur question et adopter la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle. D'ailleurs, il est bon de se la rappeler, elle se lit comme suit: "Le gouvernement du Québec a fait connaître dans son livre blanc son projet d'un nouveau régime politique pour le Québec. En conséquence: "1. pensez-vous que le Québec devrait devenir un Etat souverain? Oui ou non. "2. Dans l'affirmative, pensez-vous qu'un Québec souverain devrait rechercher, par voie de négociation, une association économique avec le reste du Canada? Oui ou non". Il me semble que ceci est tout à fait clair, il me semble que ceci correspond davantage et de façon beaucoup plus éclairée à ce que l'on peut retrouver dans le livre blanc du Parti québécois.

Mais les gens d'en face — il faut le constater aussi — s'accrochent à leur question pourtant perfide, hélas! M. le Président, quel affront et quelle mesquinerie que ceux d'un gouvernement qui demande à son peuple de renoncer à concourir à la plus grande gloire du pays? Quel genre de gouvernement est donc ce gouvernement péquiste qui demande à ses soldats, qui demande à ses troupes de choc, qui demande à ses conquérants de rester à la maison et de se barricader à l'intérieur des murs? Le PQ ne sait-il pas encore que les Québécois sont des gens d'espace et de grandes étendues, des gens qui ont besoin pour vivre de l'air du Pacifique et de l'air de l'Atlantique?

Cela vous énerve? Je reviens, soyez sans crainte, M. le ministre, je reviens.

Le premier ministre — vous vous le rappelez — dans une allocution qu'il prononçait dernièrement, se demandait comment un véritable Québécois pouvait dire non à la question du PQ et à son projet de séparation du Québec. Plusieurs d'entre nous de ce côté-ci de la Chambre et un nombre déjà impressionnant de Québécois ont déjà répondu fort éloquemment qu'ils voulaient conserver ce pays pour la prospérité qui s'y rattachait, à cause de l'immense richesse collective que recèle le territoire canadien et à cause de la sécurité économique que le Québec seul ne saurait jamais procurer en si grande abondance aux citoyens du Québec.

Sans me dissocier d'aucune façon de cet aspect fort important de l'attachement à la richesse économique du pays, je voudrais toutefois répondre que, quant à moi, c'est spontanément et d'abord à cause d'un sentiment de fierté et de fidélité inébranlables à l'endroit de mes ancêtres et de mes descendants que je veux conserver notre pays. Le premier ministre aurait-il si peu le sens de l'histoire pour ne pas comprendre que le grand nationaliste qu'était Henri Bourassa n'a jamais prôné la séparation du Québec mais a plutôt prêché avec vigueur l'accroissement de l'influence du Québec au sein du Canada, ne vous en déplaise, messieurs?

Le premier ministre aurait-il déjà oublié que les Duplessis, Lesage, Johnson, qui, sûrement, à vos yeux, messieurs, n'ont pas à faire la preuve d'être de véritables Québécois, n'ont jamais été des séparatistes? J'en viens à me dire quelle insulte je lancerais à la figure de mon père, de mon grand-père, de mes ancêtres venus de France et d'Ecosse qui, depuis près de 400 ans, ont poussé des racines profondes en terre canadienne et en terre québécoise, oui, quelle insulte si, aujourd'hui je les abandonnais! Quelle manque de loyauté de ma part si, maintenant, je ne continuais pas le combat! Le combat se situe — j'en ai la ferme conviction — dans le sens de l'égalité des peuples fondateurs du Canada, dans la reconnaissance du principe dualiste de deux nations et dans l'affirmation de la spécificité du Québec à l'intérieur de la fédération canadienne. (21 heures)

Bref, M. le Président, dans le sens des principes premiers du livre beige du Parti libéral du Québec, qui fait si mal à nos gens d'en face. Mme la Présidente, il y a quelque temps, le gouvernement péquiste faisait circuler une brochure intitulée "Bâtir le Québec", comme si le Québec était né avec l'avènement d'un gouvernement péquiste qui veut justement l'affaiblir ou, à tout le moins, l'émasculer, de manière à lui enlever toute influence en sol canadien.

Mme la Présidente, laissez-moi vous dire que, lorsque mon grand-père décida avec le curé Labelle de remonter la rivière Rouge en canot pour aller fonder les pays d'En Haut, il n'a pas attendu l'arrivée des séparatistes pour commencer à bâtir le Québec. Les milliers de Québécois, de Canadiens français qui, suivant son exemple, se sont embarqués à la gare Moreau, justement située dans le bassin de mon comté de Maisonneuve, pour aller conquérir les territoires du Nord et de l'Abitibi n'ont pas, eux non plus, attendu le PQ pour commencer à bâtir le Québec.

Plus près de moi encore, tous ces autres membres de ma famille, tous ceux-là qui sont allés s'installer au Manitoba, en Ontario, n'ont pas attendu l'arrivée des séparatistes pour bâtir le pays dans lequel nous vivons aujourd'hui. Faut-il le rappeler, Mme la Présidente, depuis 100 ans, 113 ans pour être plus exact, les Québécois n'auront jamais été aussi influents et importants qu'aujourd'hui dans les politiques générales du pays et au niveau de la scène fédérale. A l'heure actuelle, sur 146 députés libéraux au pouvoir à Ottawa, 73 d'entre eux sont québécois. 73 à 73, d'égal à égal, Mme la Présidente. 74 bientôt, me dit-on.

Tout cela, cette longue marche, cette longue lutte des Canadiens français pour bâtir le Québec et le Canada, tout cela, dites-moi, aura-t-il été vain? Des gens repliés sur eux-mêmes, qui redoutent la saine émulation et qui veulent rapetisser nos horizons à celui du tour de l'île, diraient certains artistes, auront-ils raison du combat qu'ont livré sans relâche nos ancêtres et nos parents? Ces dirigeants séparatistes, et j'insiste sur le mot "dirigeants", ces faux arpenteurs-géomètres qui n'en finissent plus de tirer des lignes en tous sens, qui n'en finissent plus de mesurer et de chaîner les sondages pour éviter le combat, ces gens auront-ils raison des forces vives de la nation? Réussiront-ils à brouiller et à frapper la vigilance des Québécois? Réussiront-ils, par leurs questions limoneuses, glissantes, impossibles à saisir, réussiront-ils, par leurs tartuferies — oui, par leurs tartuferies — à piéger les Québécois?

Mme la Présidente, au nom de la grandeur de notre nation, je demande aux Québécois, je demande aux ardents nationalistes qui ne sont pas des séparatistes, je fais appel à tous les miens, spécialement aux gens de Maisonneuve qui ont la renommée bien méritée d'ailleurs, d'être des gens qui se tiennent debout, vous en savez quelque chose, des gens qui ont le mérite d'avoir, les premiers, entrepris le grand ménage, le 14 novembre dernier, je demande à tous ceux-là de ne cas plier

l'échine devant les manoeuvres de certains organisateurs péquistes. Mme la Présidente, le premier ministre aura-t-il compris enfin que, tout comme les francs-nationalistes si nombreux dans notre histoire nationale, comme eux, je m'inscris en faux contre son projet de séparation et de cassure du pays? Aura-t-il aussi compris que c'est justement à cause de ma fierté et de ma dignité nationale que je dois répondre, en mon âme et conscience, que "mon non est québécois."

La Vice-Présidente: M. le ministre de la Fonction publique et député d'Abitibi-Ouest.

M. François Gendron

M. Gendron: Mme la Présidente, la question qui est devant nous et qui fait l'objet du présent débat doit être discutée par les parlementaires de cette Chambre, afin que nous l'adoptions avec ou sans modification, et ce, en vertu de la Loi sur la consultation populaire. L'enjeu de ce débat est très important. J'aimerais y apporter ma modeste contribution pour expliquer pourquoi le gouvernement souhaite obtenir le mandat de négocier une entente qui lui permettrait, entre autres, de percevoir la totalité de ses impôts et d'établir, avec le reste du Canada, une association économique.

Rassurez-vous, citoyens et citoyennes du Québec, je n'ai pas l'intention de reprendre ici tout le débat comptable pour savoir si, effectivement, nous recevons...

M. Chevrette: Mme la Présidente, je m'excuse auprès de mon collègue. Pourriez-vous demander à ces respectueux personnages d'aller faire les caucus à l'extérieur de la Chambre?

La Vice-Présidente: M. le ministre de la Fonction publique.

M. Lamontagne: On les comprend, Mme la Présidente...

La Vice-Présidente: M. le député de Roberval, s'il vous plaît!

M. Ryan: ...

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle, s'il vous plaît! Messieurs, s'il vous plaît, à l'ordre!

M. Lamontagne: ...

La Vice-Présidente: M. le député de Roberval, s'il vous plaît! Puis-je vous rappeler à l'ordre, s'il vous plaît!

Une Voix: ... le député de Roberval qui a fait bâiller son chef toute la soirée...

La Vice-Présidente: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

M. le ministre de la Fonction publique.

M. Gendron: Mme la Présidente, j'allais dire que je n'avais pas l'intention de reprendre le débat comptable...

Une Voix: Je n'ai pas peur de vous!

M. Bédard: ... toute la soirée, hier soir, écoutez ceux qui nous gardent éveillés.

La Vice-Présidente: S'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

Une Voix: Je n'ai pas peur de mes origines.

La Vice-Présidente: M. le ministre de la Justice! M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je vous rappelle à l'ordre.

M. le ministre de la Fonction publique, c'est vous qui avez la parole.

M. Gendron: Je suis convaincu, Mme la Présidente... De toute façon, tout ce qui m'intéresse, c'est d'avoir l'occasion de m'adresser aux citoyens et citoyennes du Québec, calmement, parce que je suis convaincu que c'est un débat qui a une très haute importance. Tout en étant très modeste, je pense que je suis en mesure d'apporter ma contribution. C'est ce que je veux faire, et c'est ce que je vais continuer de faire.

Je n'ai pas l'intention de reprendre toute la question du débat comptable, on va laisser cela à d'autres, parce que je sais que, de toute façon, ce qui intéresse la population, c'est de savoir quelle est la question que nous posons. Je m'attarderai plutôt à vous démontrer, Mme la Présidente, ainsi qu'à tous les auditeurs du Québec, l'importance capitale pour un peuple adulte ayant atteint sa maturité de prendre en main son propre développement économique pour l'orienter à ses priorités les plus fondamentales. Une des constantes difficilement contestables de l'histoire mondiale tend à démontrer qu'au niveau économique, les décisions ont toujours été prises en fonction des intérêts propres et immédiats de ceux qui les prenaient. Notre histoire nationale regorge d'exemples bien précis pouvant illustrer adéquatement cette vérité. (21 h 10)

Au mercantilisme métropolitain du régime français, où il était formellement interdit à la Nouvelle-France de transformer sa matière première, succéda la férule britannique du roi Georges. Le contrôle économique de cet empire anglais était tel que 13 colonies semblables à la nôtre se révoltèrent et fondèrent les Etats-Unis d'Amérique. Et puis ce fut le régime confédéral de 1867 qui créa de toutes pièces un nouveau centre décisionnel pour notre économie, Ottawa.

C'est justement cette organisation insouciante — comme l'étaient ses prédécesseurs — de nos besoins économiques fondamentaux qui perdure depuis 113 ans. En d'autres termes, notre histoire nationale démontre sans équivoque que nous fûmes traditionnellement écartés, aussi bien par Versailles, Londres ou Ottawa, des pouvoirs déci-

sionnels de notre économie. Bref, les décisions économiques qui furent prises ici ou ailleurs en notre nom, par d'autres, le furent toujours en fonction d'intérêts régulièrement différents, voire même divergents des nôtres; et pour d'autres.

Le bilan de cette interdiction colonialiste est facilement vérifiable en 1980. Foncièrement, force nous est d'admettre que le fait d'être maintenant en situation d'éloignement par rapport au pouvoir décisionnel a entraîné sur notre économie des effets pour le moins indésirables et contraires à nos priorités. Si vous me le permettez, Mme la Présidente, j'aimerais tout simplement vous illustrer, à partir de quelques exemples de l'Abitibi-Témiscamingue, une des conséquences de ce type anachronique de développement, phénomène injuste et illogique que s'évertue à vouloir préserver et défendre le livre beige du chef du non, et dire pourquoi, également, la motion du premier ministre réclame la négociation d'une nouvelle entente.

Dans notre région, le développement économique, particulièrement pour ce qui est du secteur secondaire, a dû souffrir de nombreuses carences. J'aimerais l'illustrer par quelques exemples. Le dernier intervenant, le député de Maisonneuve, a dit entre autres qu'on avait publié un document, "Bâtir le Québec", comme si on avait la prétention d'avoir tout inventé. Non, on n'a pas tout inventé et on le sait, nous, qu'on a eu des prédécesseurs, parce qu'on s'inscrit dans une continuité historique; nous en sommes conscients, nous l'admettons. Nous savons également qu'énormément de gens ont fait beaucoup de choses pour le Québec avant nous, mais on n'a pas cette conviction et on va vous prouver par quelques chiffres qu'on a eu cette volonté de bâtir le Québec à sa mesure, à son rythme et à ses besoins; ça, on ne l'a jamais accepté. Si on parle de la région de l'Abitibi-Témiscamingue, on a trois vocations fondamentales. On peut parler de quatre, mais on en a trois fondamentales: agriculture, forêts, mines. Je voudrais juste vous faire deux illustrations.

En 1976, dans mon coin, je me suis promené et pendant toute la campagne électorale je me suis fait dire par des cultivateurs que ça n'avait pas de bon sens, qu'ils étaient obligés de jeter leur lait et de tuer leurs veaux. Qui contrôle l'attribution des quotas de lait? La Commission canadienne du lait. Je n'essaie même pas de vous dire que nous aurions notre propre commission québécoise du lait, je ne vous dis même pas que ce serait parfait et qu'il n'y aurait pas de problèmes, mais, au moins, ce serait fait par un Québécois comme nous, qui comprend le Québec, qui comprend les besoins du Québec, et peut-être celui-ci croirait-il un peu à l'agriculture au Québec, ce à quoi le fédéral n'a jamais cru, au moins pour la région de l'Abitibi-Témiscamingue.

On a toujours voulu nous confiner dans un seul secteur, le lait, et même pas avec les quotas requis pour notre région. On a déjà dit à ces gens-là qu'il serait possible de faire de l'élevage chez nous. Il n'est pas question de faire de l'élevage chez nous parce que l'élevage c'est pour l'Ouest, selon le fédéral. Je ne fais que vous dire qu'en agriculture il y aura encore des problèmes, mais, au moins, si on avait l'entière responsabilité de nos juridictions, je suis en mesure de dire ce soir aux cultivateurs de la région de l'Abitibi-Témiscamingue qu'on n'aurait pas permis qu'ils déversent leur lait dans les lacs et dans les rivières en 1976. C'est une situation absolument intolérable.

Nos amis d'en face applaudissent, ils aiment ça. Ils disent qu'ils sont pour l'égalité, mais l'égalité d'un régime qui n'a jamais servi les vrais intérêts des Québécois. Je pourrais donner juste un autre exemple. On a une route chez nous, dont on a parlé pendant vingt ans et qui s'appelle la 117. Ce n'est pas une route pour aller au village, à Dupuis; c'est une route qui relie l'Abitibi-Témiscamingue à toute la région métropolitaine. Si ce n'est pas un axe routier prioritaire, moi, je n'y comprends plus rien! Cette route-là, on s'est battu pendant des années pour qu'on accepte de la reconnaître comme un axe routier prioritaire. Après des efforts comme ce n'est pas possible, on est venu à bout, imaginez, de trouver la magnifique somme de $36 millions pour des coûts estimés à $150 millions. On nous a dit: Une entente auxiliaire, on va en signer une de $36 millions: 21-14. Le fédéral paie $21 millions et nous, avec nos deniers, mais toujours en l'absence de 50% de nos impôts, on est obligé d'assumer entièrement la responsabilité du développement d'une route prioritaire capitale et on est obligé de le faire seul!

Si on avait l'entière responsabilité de nos impôts, je ne dis pas que le lendemain tout serait changé et que là on aurait un Québec où il n'y a plus de taux de chômage, il n'y a plus de ceci, il n'y a plus de cela. On n'a jamais dit cela ici, Mme la Présidente. Tout ce qu'on a dit, tout le monde, je pense, même nos amis d'en face, a fait l'illustration que, dans le régime actuel, la situation du Québec est quand même assez bonne et que c'est avec la moitié de nos moyens. Nous demandons: Donnez-nous l'autre moitié. Le pire qui peut nous arriver, c'est de s'améliorer, Mme la Présidente.

Je pourrais également parler du dossier des transporteurs aériens, avoir le temps. On a vu encore, pas plus tard que cet après-midi, le député de Mont-Royal avoir une position contre les intérêts des Québécois dans ce dossier. J'en sais quelque chose, je connais le dossier, je suis de la région de l'Abitibi-Témiscamingue. Cela n'intéresse pas nos amis d'en face de permettre que les transporteurs régionaux assument leurs responsabilités; ils aiment mieux que ce soit Austin Airways, c'est l'Ontario, fédéral. Ils favorisent l'Ontario, ce n'est pas grave. Cela, ça les intéresse. Je pourrais multiplier ces exemples.

Si j'ai voulu les donner, c'est tout simplement que je voulais illustrer la spoliation de notre droit fondamental à décider de notre avenir économique et la grande nécessité pour nous de répondre oui à la nouvelle entente proposée. Pourtant, c'est au mépris de son passé remarqué d'éditorialiste de premier plan que le chef des disciplines du "no, thanks" veut, envers et contre tous, perpétuer cette situation intolérable.

Comme autre illustration de ce contrôle économique qui nous échappe en bonne partie, on peut mentionner les investissements fédéraux en Abitibi-Témiscamingue depuis 1974; vous allez voir que ce n'est pas beau. Cette péréquation piégée d'Ottawa, authentique poudre aux yeux, que l'on doit honnêtement dénoncer, fait en sorte qu'en six ans — écoutez bien cela — seulement 8,6% des investissements publics faits dans ma région peuvent être attribués au gouvernement d'Ottawa. Je reprends le chiffre: 8,6%. Rappelez-vous toujours qu'il nous manque 50% de notre argent, et, même à cela, dans la même période, le gouvernement du Québec, lui, a dû assumer à 63% les investissements publics.

En admettant que de tels investissements publics constituent habituellement de bons générateurs d'emplois, j'affirme que, dans notre région, ce sont des fonds québécois qui ont servi et qui servent au redressement économique et plus particulièrement depuis 1977.

Pourtant, en dehors de ces quelques fonds de tiroir, force nous est d'admettre qu'Ottawa injecte une masse considérable de "Canadian dollars". Je ne dis pas qu'Ottawa n'investit pas chez nous des "Canadian dollars", mais voici où il les investit, Mme la Présidente. Ces entrées monétaires prennent massivement la forme de prestations d'assurance-chômage. Au lieu d'épauler les énergies dans une mission économique, laquelle incidemment doit porter seule le très dispendieux fardeau de la création d'emplois, du financement d'entreprises, de la recherche industrielle et j'en passe, Ottawa, avec 50% de nos impôts qu'on lui envoie, finance le chômage régional. Vous allez me dire: Ce n'est pas grave parce que, selon M. Raynauld, qui est un spécialiste, le député d'Outremont, de toute façon, $100 d'assurance-chômage ou $100 d'emploi, c'est exactement la même affaire, c'est $100. Mais ne venez pas dire cela aux gens de l'Abitibi-Témiscamingue parce que vous allez avoir des problèmes, un peu comme un autre que je ne nommerai pas, mais la région le connaît très bien, qui était venu dire que le programme OSE dans la région était un programme bidon, un programme pète bretelles, une farce. Pour un gouvernement d'emballage, je peux vous dire que, dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue, on ne peut pas ridiculiser les programmes OSE parce qu'ils ont donné des résultats concrets. On a prs nos responsabilités pour renforcer le secteur secondaire.

Au même moment, toujours avec les miracles de la péréquation piégée, il finance surtout les infrastructures industrielles ontariennes; en d'autres termes, le Canada expédie les dollars nécessaires aux chômeurs du Nord-Ouest afin de leur permettre de devenir des consommateurs de la production ontarienne. Il s'agit là d'une manoeuvre carrément scandaleuse qui doit être dénoncée et condamnée. Pourtant, encore une fois, c'est ce que nous propose de perpétuer le chef du non et du tendancieux slogan "Mon non est québécois".

Voilà donc quelques exemples du vécu de ma région avec lesquels j'ai voulu illustrer ce qui se produit généralement lorsque nous laissons à d'autres le soin d'administrer notre portefeuille. Même si c'est avec la meilleure volonté du monde, aucune société normale ayant, comme le Québec, atteint sa maturité ne peut accepter une telle situation. Le simple bon sens n'en exige pas moins.

Un oui massif à la question du premier ministre de la part des citoyens et citoyennes du Québec permettrait de régulariser cette situation et peut-être, une fois pour toutes, de répondre... historique qu'on a toujours posée au Québec: "What does Quebec want?" (21 h 20)

Qu'est-ce que tu veux, fatigant? Qu'est-ce qu'il y a de travers tout le temps? Mais remarquez bien, par exemple! Même ces gens, en face, qui nous accusent de tous les péchés du monde, ils essaient de nous faire croire que le Québec est comme les autres provinces et n'a pas de revendication spécifique. Il faut être malhonnête. Seul le Québec a un dossier historique de 40 ans, quels qu'aient été les premiers ministres qui se sont succédé au Québec.

De quoi avons-nous besoin pour développer rationnellement notre économie nationale? Il nous faut, bien sûr, connaître notre territoire, ses particularités, les volontés de ses habitants, son "en-trepreneurship", ses disparités et sa complémentarité. Tout cela, c'est fait. Il faut également des ressources. Nous les avons, les ressources, au Québec. On en a parlé et on les a surtout dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue parce que c'est une région ressource. Il nous faut avoir, pour planifier, dresser des priorités et établir des échéanciers, tout notre budget pour budgétiser convenablement. C'est ce qu'il nous manque. Il nous manque la moitié de nos outils et on les réclame. Si l'on veut parler de bon sens, il faut donc pouvoir coordonner les énergies dans le secteur clé de notre réalité collective. Il faut donc pouvoir contrôler l'ensemble des décisions gouvernementales qui touchent à notre économie nationale. Il faut donc bénéficier de la totalité de nos impôts fournis sous forme de taxes par les Québécois pour la destinée de notre économie. Un oui à la question soumise par le premier ministre nous permettrait de réaliser nos objectifs.

Malheureusement, en matière économique, le livre beige n'est, encore une fois, que la reconduction des illusions qui ont bloqué notre développement. Si on peut comprendre que les anglophones du Canada ne saisissent pas toujours nos intérêts en cette matière comme en d'autres, on comprend moins bien et on pardonne beaucoup plus mal que des francophones se comportent comme des agents délégués des intérêts des autres et s'en tiennent encore, en 1980, à des politiques et à un régime qui nous exclut de la prise en charge de nos responsabilités et de nos décisions en matière de développement économique.

Parce que nous croyons en l'avenir de cette nation, parce que notre projet articulé à partir du gros bon sens et de la réalité historique du Québec en est un surtout de liberté, de dignité, de pouvoir national et d'égalité des partenaires, parce

que c'est également, quoi qu'en disent les obscurantistes du fédéralisme renouvelé, la seule issue au développement harmonieux de notre économie nationale, nous répondrons positivement, collectivement et massivement à cet appel historique. Je suis certain également que les citoyens et les citoyennes du Québec, que ceux de la région de l'Abitibi-Témiscamingue voudront répondre par un oui au chef du non et, ainsi, indiquer que l'on peut bien avoir un non québécois, mais l'on ne peut dire non aux Québécois et aux Québécoises qui veulent un régime politique qui les respecte et qui tienne compte de notre histoire.

C'est pourquoi, M. le Président, nous dirons oui au oui et non au non. Merci.

Des Voix: Bravo! Bravo!

Le Président: M. le député de Saint-François, vous avez maintenant la parole.

M. Réal Rancourt

M. Rancourt: M. le Président, aujourd'hui, en me levant, je sens le poids des générations de Louis-Ernest à Jean, à Augustin, à Pierre, le premier à s'établir à Québec sur cette nouvelle terre. Je sens en moi vibrer cette question qui amorcera le choix de vivre en plénitude de nos moyens en société avec tous nos concitoyens québécois de toute origine. Vos ancêtres, les miens, M. le Président, ont travaillé et ont peiné, mais ils ont aussi réussi à apprivoiser le milieu avec leur génie propre. Ils ont toujours eu une conscience collective, une volonté de continuité et un désir d'ouverture au monde. Cette idée d'ouverture au monde, quant à moi, passe par le processus d'accession à l'égalité. Toujours en réponse à la question, j'aimerais, comme représentant d'une région du Québec où mes concitoyens anglo-québécois sont nombreux, vous dire que pour eux aussi le fédéralisme a été néfaste. A preuve, les jeunes anglo-québécois qui ont dû aller vers l'Ontario, l'Ouest canadien, sinon vers les Etats-Unis. Ils n'ont pu trouver une place au Québec car l'argent manquait dans notre région pour une expansion économique.

Comme agriculteur, j'aimerais vous faire connaître un point de vue qui me préoccupe. Dans la soi-disant confédération canadienne, nos impôts, bien sûr expédiés à moitié à Ottawa, ils les ont distribués comme le veut le principe démocratique normal qui est celui de la majorité. M. le Président, l'avenir du Québec dans le monde d'aujourd'hui est de rejoindre l'excellence dans ce en quoi nous sommes les meilleurs.

Ces créneaux en agriculture, nous le savons tous, c'est chez nous la production laitière dans toutes ses spécialisations, la production porcine, avicole, les cultures maraîchères et fruitières dans la mesure possible de notre climat qui a un potentiel beaucoup plus étendu que la majorité des gens le croit.

M. le Président, nous avons été vraiment lésés par ce système fédéral dans le domaine de la recherche en agriculture. Pour en arriver à une nouvelle entente, il faut comprendre que l'agriculture au Québec est sans contredit un secteur primordial et dynamique de l'économie. Avec 40 000 fermes employant plus de 90 000 travailleurs, avec 1400 usines alimentaires et ses 65 000 employés, ses 9000 entreprises de distribution et ses 50 000 emplois, l'industrie agro-alimentaire au Québec est devenue le secteur qui engendre le plus de retombées économiques en termes de revenus et d'emplois.

Du producteur au consommateur, des liens mutuellement avantageux tissent la toile de l'auto-aprovisionnement et garantissent à l'ensemble de la population une alimentation essentielle à son bien-être. Un des éléments essentiels à l'essor du dynamisme et de l'excellence de la production agricole est sans contredit le soutien d'une recherche efficace, tant au niveau de la production qu'aux diverses étapes de la commercialisation des produits alimentaires.

A titre d'exemple, la production céréalière des Prairies de l'Ouest canadien est directement tributaire des efforts de recherche considérables consacrés par le gouvernement fédéral depuis la Confédération dans ce sens. La recherche a permis la rentabilisation des sols relativement difficiles des Prairies. Assurés par le développement d'espèces de blé résistantes aux conditions de la région — ce que vient de dire le député d'Abitibi-Témiscamingue — on aurait pu peut-être faire les mêmes recherches pour rentabiliser certaines céréales en Abitibi.

Pour pouvoir répondre à la question, il ne faut pas oublier que les Québécois ont justement financé largement cette opération au détriment d'un accroissement de leur propre production céréalière qui connaissait, à cette époque, une position enviable au Canada. Le gouvernement fédéral est intervenu massivement par le passé pour assurer une recherche agricole essentielle. Par exemple, le service de recherche du ministère fédéral de l'Agriculture employait 1035 personnes et détenait un budget de $107 millions. Ces chiffres d'abord impressionnent, mais en y regardant d'un peu plus près, on découvre que l'agriculture québécoise y a été largement négligée. Selon le Conseil canadien de la recherche agricole, il se faisait au Québec 8,5% de toute la recherche canadienne que les Québécois pourtant paient dans une proportion de 25%.

Une Voix: Incroyable.

M. Rancourt: II ne faut pas oublier de mentionner également que le Québec n'abrite que 10% du personnel de recherche agricole employé par le gouvernement fédéral.

Une Voix: C'est incroyable. Une Voix:Scandaleux.

M. Rancourt: Certains diront que les agriculteurs québécois ont sûrement, d'une façon ou d'une autre, bénéficié des retombées de recher-

ches effectuées par l'ensemble du pays. Voyons-y de plus près. Comme on le sait, l'agriculture québécoise est fortement spécialisée autour de trois productions particulières: laitière, porcine et avicole. Or, toujours selon le Centre canadien de la recherche agricole, on a consacré seulement huit années de recherche aux bovins laitiers au Québec sur les 74 années-hommes pour l'ensemble du Canada.

Une Voix: C'est effrayant.

M. Rancourt: II ne faut pas perdre de vue ici que la production laitière québécoise compte pour plus de 40% de la production canadienne. La recherche consacrée à la production porcine au Québec se limite à une année-homme sur les 58 années-hommes au Canada.

Une Voix: C'est incroyable.

M. Rancourt: L'apport du Québec représente donc un fabuleux 1,7% de l'ensemble canadien. Pourtant, la production porcine québécoise couvre plus de 30% de toute la production canadienne.

Enfin, concernant la recherche consacrée à la production avicole au Québec, tout en gardant bien à l'esprit que le Québec est le premier producteur de poulets au Canada, depuis 1965, elle n'obtient que deux années-hommes des 72 années-hommes de recherche consacrée à ce secteur. Tout cela sans compter que la recherche est inexistante dans d'autres secteurs de l'agriculture québécoise.

Une Voix: C'est effrayant.

M. Rancourt: II y a bien quelques stations régionales fédérales de recherche au Québec. Il y en a même une dans mon comté, à Lennoxville, qui a des disponibilités, hommes et équipements, mais pas d'argent depuis quelques années pour fonctionner d'une façon normale. (21 h 30)

Pour fermer le cercle de ce tour d'horizon des interventions fédérales en matière de recherche agricole, je me dois de soulever deux derniers secteurs dans lesquels on ne peut que douter encore une fois que le Québec et les agriculteurs n'obtiennent pas les considérations qui leur sont dévolues en tant que participants à part entière à la Confédération canadienne. Ce sont les secteurs de la recherche fondamentale et de l'économie agricole. L'activité de ces secteurs est presque exclusivement concentrée à Ottawa.

Compte tenu que, dans le système politique fédéral actuel, les empiétements de juridiction sont nombreux et que l'agriculture n'échappe pas à cette maladie du fédéralisme, le secteur agricole québécois pourrait bénéficier d'un essor particulièrement intéressant si les sommes investies par les Québécois dans le gouvernement fédéral en matière de recherche agricole étaient retournées sous la responsabilité du Québec.

Ainsi, en récupérant les sommes de notre part de la recherche fédérale agricole, ce serait plus de $25 millions qui profiteraient aux productions les plus prometteuses pour l'avenir économique du Québec. Par voie de conséquence, c'est le rayonnement des produits agricoles québécois sur les marchés internationaux que nous assurerions ainsi. Il apparaît ici que le fédéralisme actuel, par ses structures, n'a pas répondu adéquatement aux attentes révélées par le dynamisme de nos agriculteurs.

La nouvelle entente que nous proposons à tous les Québécois et en particulier aux agriculteurs dans ce cas-ci nous permettrait de remédier à cette situation pour le moins aberrante pour l'agriculture. Il nous apparaît souhaitable que le Québec devienne le seul gestionnaire de l'argent des Québécois pour garantir à notre agriculture l'essor auquel elle est appelée contrairement à la recommandation no 22, page 104, du livre beige.

Mais là ne doivent pas s'arrêter nos préoccupations. Il devient même indispensable aujourd'hui que tous les outils essentiels de notre progrès se retrouvent aux mains de ceux qui croient fermement que cette terre est celle de leur avenir. Pour terminer, M. le Président, à la motion du premier ministre, je dirai oui pour vivre en fraternité et en association avec notre partenaire "Canadian". Je dirai oui pour notre épanouissement collectif. Je dirai oui pour notre prospérité. Je dirai oui pour notre sécurité. Je dirai oui pour notre liberté. Merci, M. le Président.

Le Président: M. le député de Laviolette, vous avez maintenant la parole.

M. Jean-Pierre Jolivet

M. Jolivet: Merci, M. le Président. Comme beaucoup de citoyens de mon comté que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans la tournée du printemps, du début de janvier jusqu'à maintenant, et comme beaucoup de citoyens du Québec, je suis d'accord avec la motion présentée par le premier ministre en cette Chambre. Si je dis oui à cette motion et, par le fait même, à la question qui sera posée lors du référendum du printemps prochain, c'est que je me souviens de l'histoire du Québec, surtout dans ma région, en ce qui concerne le dossier de l'hydroélectricité.

Si je posais la question suivante: Où a été construit le premier barrage hydroélectrique au Canada et même au Commonwealth et par quels maîtres d'oeuvre a-t-il été construit? je suis assuré que bien des gens seraient incapables d'apporter une réponse à ma question. Eh bien, c'est à Saint-Narcisse, dans le comté de mon ami Marcel Gagnon, le comté de Champlain. Ce barrage permettait la fabrication d'électricité qui était transportée sur une distance de 25 milles vers Trois-Rivières; on me dit, dans le comté de mon ami le député Vaugeois. Les maîtres d'oeuvre de ce barrage étaient aussi des Canadiens français de l'époque. Je dis bien Canadiens français, parce que c'était ainsi qu'on appelait les Québécois d'alors.

Quand ces mêmes Canadiens français voulurent construire un barrage hydroélectrique sur la rivière Saint-Maurice, à Shawinigan, les intérêts financiers anglophones, s'étant aperçus qu'ils étaient capables de faire quelque chose d'important, refusèrent de prêter les sommes nécessaires à ces travaux d'envergure.

Souvenons-nous qu'à cette époque, il n'y avait aucune caisse populaire, aucune caisse de dépôt, seulement des banques qui étaient contrôlées par d'autres. Ce n'est qu'en 1962 que le Québec a enfin décidé de reprendre en main la fabrication de son électricité. Or, depuis ce temps, HydroQuébec n'a fait que prospérer. A ceux qui veulent nous faire croire que nous sommes des incapables, j'aimerais leur rappeler ceci: En 1962, le président de la Shawinigan Water and Power se faisait poser la question suivante: Pourquoi n'y a-t-il que 12% de francophones aux postes clés de la Shawinigan Water et pourquoi n'y a-t-il que 30% de francophones aux postes clés dans l'ensemble des compagnies privées d'électricité au Québec? Il répondit alors qu'il n'y avait pas assez de francophones qualifiés, compétents, diplômés et qu'ils n'avaient pas, de plus, l'expertise nécessaire en hydroélectricité.

Or, 18 ans après la nationalisation de ces compagnies privées d'électricité, voici que près de 90% des postes clés sont entre les mains de francophones et cette compagnie, Hydro-Québec, est reconnue de façon mondiale. Est-ce que la prise du pouvoir économique donnerait tout d'un coup la compétence, la qualification, les diplômes et l'expertise?

Comme la question implique l'association économique dans la question présentée par la motion du premier ministre, j'aimerais maintenant vous parler de cette association économique avec le Canada, mais avec un exemple concret. Alors que les chevaliers de la peur voudraient nous faire croire que les compagnies quittent le Québec pour aller en Ontario, imaginez-vous qu'une compagnie ontarienne de Timmins, Mallette Waferboard, a décidé de venir s'implanter à Saint-Georges-de-Champlain, dans mon comté. Tout en conservant son usine à Timmins, cette compagnie a concrétisé son expansion en construisant chez nous une usine de $27 à $28 millions qui créera près de 300 emplois directs, sans compter tous les autres emplois indirects de sous-traitance. Lors de la levée de la première pelletée de terre, M. Lavigne, directeur de la compagnie, disait, devant plusieurs hommes d'affaires de la région de Grand-Mère et de Shawinigan, qu'il n'était pas venu s'implanter à Saint-Georges-de-Champlain pour leurs beaux yeux, mais parce qu'il y avait de l'argent à faire, parce que le gouvernement lui donnait l'aide nécessaire et parce qu'il lui garantissait en même temps son approvisionnement en bois.

M. Lavigne ajoutait en même temps qu'ils étaient, les membres de cette compagnie, des survenants surprenants. Survenants parce qu'ils revenaient au Québec après avoir vécu plusieurs années en Ontario. Surprenants parce que, contrairement à ceux qui veulent nous faire peur, à nous les Québécois, en quittant le Québec, ils venaient s'installer au Québec. Quant à lui, il soulignait qu'il ne craignait pas la décision que les Québécois prendront au référendum prochain parce qu'il avait confiance dans l'avenir économique du Québec.

En effet, alors que le produit est presque totalement exporté aux Etats-Unis actuellement, il venait s'installer à Saint-Georges-de-Champlain afin de pénétrer désormais le marché québécois. Située près de l'autoroute 55 et du chemin de fer, son industrie se trouve à égale distance entre Montréal et Québec par la future autoroute 40. De plus, elle est en ligne directe avec les Etats-Unis par l'autoroute 55. Donc, s'il est venu chez nous, c'est qu'il avait confiance au Québec et que, comme tout industriel, il est assuré qu'il y avait de l'argent à faire chez nous.

Je voudrais maintenant, M. le Président, vous entretenir de la fameuse théorie keynésienne du député d'Outremont. En effet, il prétend qu'une somme de $100 versée en assurance-chômage a le même effet économique que la somme de $100 versée pour créer des emplois. Je ne suis ni actuaire, ni professeur d'économie. Je ne suis, comme la plupart des citoyens du Québec, qu'un simple citoyen qui raisonne avec son bon sens. (21 h 40)

Si j'ai $100 à donner à quelqu'un, je peux les lui donner de deux façons. Dans un premier cas, je décide de donner à un de mes amis une part de $100 de la compagnie Ford Motor. Après un an, mon ami possède toujours sa part de $100 qu'il peut garder ou revendre, mais il en recevra de plus les dividendes. Dans trois ans, il aura toujours sa part, s'il ne l'a pas vendue, et les dividendes lui auront probablement permis de s'acheter une autre part.

Dans le deuxième cas, je décide d'inviter un couple de mes amis à souper dans un chic restaurant. Après avoir pris un bon repas, avec un apéritif avant le souper, un vin en soupant, un digestif après le souper, je constate que j'ai dépensé $100 pour ce souper. Mes amis sont contents, heureux d'avoir pris un bon repas. Mais, que me reste-t-il ensuite? Rien. Au bout de trois ans, si j'ai invité mes amis à souper à chaque année, j'aurai dépensé $300, mais il ne me restera rien d'autre que le souvenir d'avoir pris un bon repas et d'avoir passé une belle soirée.

Par cet exemple, je ne veux pas décrier autre chose que le système qui fait que l'on donne $100 de nos impôts à l'Ontario pour y installer une compagnie Ford et y créer par le fait même près de 4000 emplois, alors qu'on envoie au Québec $100 en assurance-chômage ou en péréquation.

Peu m'importe de savoir si le fédéral donne plus au Québec, moins au Québec ou autant que les impôts qu'il paie. Ce que je veux critiquer, c'est la qualité des sommes que le fédéral retourne au Québec. Demandez à M. Chrétien pourquoi La Mauricie a perdu $200 millions avec LaPrade jusqu'à maintenant. Faut-il lui rappeler que LaPrade était quand même un des plus grands chantiers publics après la Baie James au Québec? Pour-

quoi, alors, l'Ontario a-t-il reçu $40 millions pour créer 4000 emplois? N'est-ce pas parce que l'Ontario devait décider de l'élection du 22 mai 1979? Point, c'est tout.

Si l'Ontario a profité du pacte de l'automobile Canada-Etats-Unis, c'est parce que, disait-on à l'époque, il avait les aciéries pour fournir l'acier entrant dans la fabrication des automobiles et des camions. Maintenant que la matière entrant dans la fabrication des moteurs d'automobile est l'aluminium, comment pouvons-nous expliquer que Ford se soit installée à Windsor, en Ontario, au lieu de Shawinigan, Beauharnois ou Arvida? Le Québec n'est-il pourtant pas l'un des plus grands producteurs d'aluminium au monde? Cet état de choses n'est rien d'autre que le fait du système fédéral qui fait que les élections se décident en Ontario et non pas au Québec, où les libéraux considèrent ce territoire comme, irrémédiablement, leur chasse gardée.

J'écoutais, cet après-midi, le député de Notre-Dame-de-Grâce, lors de son discours, parler de la différence entre le pourcentage d'industries ici et là à l'intérieur du Québec et du Canada. Il donnait la raison pour laquelle nous sommes favorisés dans quelques industries et défavorisés dans d'autres; c'est tout simplement à cause de la spécialisation qui est normale, et même souhaitable dans un marché commun.

Allez expliquer aux gens de mon comté, qui ont du textile et du cuir, que les emplois les moins rémunérateurs se trouvent au Québec et que les emplois les plus rémunérateurs, comme dans le secteur de l'automobile, se trouvent en Ontario. Ce n'est pas la différence du pourcentage qui est importante.

Je demanderais au député de Notre-Dame-de-Grâce s'il accepterait que sur les 90% des automobiles fabriquées par l'Ontario il y en ait une part qui vienne au Québec. On verrait la différence entre le textile en Ontario et l'automobile au Québec. Malgré le fait que près de 50% des députés libéraux formant la députation libérale actuelle à Ottawa viennent du Québec, je suis assuré que le Québec sera encore une fois délaissé au profit de l'Ontario.

Ce que nous proposons par la question posée lors du référendum, c'est que les Québécois décident par eux-mêmes ce qu'ils feront avec leurs impôts. Fini le temps où nos impôts servent à créer des emplois en Ontario et du chômage au Québec.

En terminant, permettez-moi de vous rappeler ce qu'une personne âgée me déclarait l'autre jour: Si j'ai décidé de voter oui à la question présentée par le premier ministre du Québec, et par le fait même oui au référendum du Québec au printemps prochain, c'est que j'ai compris qu'il fallait arrêter de penser seulement à mes ancêtres, qu'au contraire je devais désormais travailler pour mes descendants. Quant à moi, lorsque mes enfants me demanderont plus tard: Où étais-tu, papa, lorsque le Québec a voté oui au référendum? je veux être capable de leur répondre que j'étais du côté du oui. Merci.

Le Président: M. le député de Matapédia, vous avez la parole.

M. Marquis: M. le Président...

Le Président: M. le député de Matapédia...

M. Charron: M. le Président, je m'excuse...

Le Président: ... le leader parlementaire du gouvernement demande la parole.

M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Je m'excuse auprès de mon collègue. Je crois que jusqu'ici non seulement l'aternance 2-1 a été maintenue mais dans ce cas-ci nous en serions à notre troisième opinant d'affilée. Je crois que vous devez reconnaître un député de l'Opposition, à ce moment-ci.

Le Président: M. le député de Matapédia. Des Voix: Vous n'avez rien à dire? Le Président:M. le député de Matapédia. M. Léopold Marquis

M. Marquis: Merci, M. le Président. Je pense que c'est un devoir, pour tout député de cette Assemblée, de prendre la parole afin de faire connaître à la population qu'il représente les implications d'un oui ou d'un non à la question qui fait l'objet du présent débat. Ce moment historique, que nous vivrons dans quelques mois, il faut que nos concitoyens en soient conscients afin que non seulement ils puissent se prononcer en leur âme et conscience, mais également qu'ils puissent le faire en toute connaissance de cause, après avoir évalué le pour et le contre afin qu'ils n'aient pas à regretter le reste qu'ils auront posé.

Cette tâche de bien informer la population revient d'abord aux députés ici présents, en utilisant les moyens démocratiques qui sont à notre disposition et, en particulier, ce débat qui se déroule sous le feu des caméras de télévision, débat qui est largement couvert par les autres media d'information.

Si j'ai choisi, M. le Président, un exemple pris dans le domaine économique pour illustrer ce à quoi nous engage la question posée, c'est qu'un comté comme celui de Matapédia a souffert et souffre encore cruellement d'un mal qu'on appelle le sous-développement de son potentiel économique.

Comme le Québec dans son ensemble, nous possédons des richesses naturelles dont l'exploitation, dans le passé, s'est faite trop souvent au détriment de notre population et à l'avantage de nos voisins, en l'occurrence, dans notre cas, à l'avantage de nos voisins du Nouveau-Brunswick. Vous devinez sans doute que je veux illustrer mes propos en prenant comme exemple cette richesse naturelle renouvelable qu'est la forêt. Certains de mes collègues ont fait allusion à cette richesse

pour l'ensemble du Québec. Je voudrais, en ce qui me concerne, vous entretenir brièvement de l'importance de la forêt du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie.

Savez-vous, M. le Président, que l'industrie forestière a rapporté $185 millions dans notre région en 1978 et que ce seront probablement plus de $200 millions en 1979, lorsque les chiffres officiels seront connus? Savez-vous que 174 usines de toutes sortes font de la transformation de bois non ouvré sur le même territoire? Savez-vous que cette industrie, grâce surtout au plan de relance de l'industrie du sciage du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, crée environ 10 000 emplois directs et fait vivre ainsi plus de 50 000 personnes, d'après les relevés statistiques les plus récents? Savez-vous que, pour chaque dollar que nous dépensons comme Québécois, plus de $0.20 sont constitués par nos exportations de produits forestiers? Savez-vous que cette industrie représente le principal gagne-pain d'une forte proportion des gens que je représente ici, à l'Assemblée nationale? C'est donc dire que, pour moi, la forêt constitue un sujet de préoccupations constantes à titre de député du comté de Matapédia. (21 h 50)

Qui se souvient de la lutte menée par certaines provinces dont le Québec depuis 1976 pour empêcher le gouvernement fédéral de mettre à exécution une autre de ses idées lumineuses, c'est-à-dire une politique nationale des forêts? Permettez-moi simplement de vous rappeler que l'arrêté en conseil 2120-76 du 9 juin 1976 définissait en termes non équivoques le mandat de la délégation québécoise à la conférence fédérale-provinciale des ministres responsables des forêts qui avait lieu ce même mois. Je cite: "Que le ministre des Terres et Forêts, M. Normand Toupin, ait pour mandat spécifique de faire savoir au gouvernement fédéral et aux autres provinces que le Québec ne voit pas la nécessité d'une politique nationale sur les forêts."

En dépit de cette prise de position du Québec, il a fallu attendre à la fin de janvier 1980 pour que le gouvernement fédéral abandonne toute idée d'une politique nationale des forêts et adopte plutôt une approche de collaboration dans le respect des priorités des provinces. La différence est de taille puisqu'une politique nationale aurait été contraignante pour les provinces alors que la nouvelle approche proposée régit l'action du gouvernement central sans contraindre les provinces, mais en amenant plutôt les actions fédérales à une comptabilité intégrale avec les politiques provinciales. Il s'agit donc d'une importante victoire pour le Québec et pour les provinces en général.

De plus, cette importante victoire du Québec signifie une défaite pour le chef du Parti libéral actuel, M. Claude Ryan. En effet, le document constitutionnel du Parti libéral du Québec — le document Ryan également appelé le document Langlois selon les circonstances — fait, à la recommandation 21.5, l'obligation au gouvernement fédéral d'élaborer des politiques nationales dans le domaine des richesses naturelles, alors que la récente décision relativement aux forêts démontre bien l'impraticabilité d'une telle voie. Selon M. Bérubé, ministre des Terres et Forêts, la situation présente du secteur des forêts démontre hors de tout doute que le document constitutionnel du Parti libéral du Québec est le fruit de gens coupés totalement de la froide réalité des rapports fédéraux-provinciaux.

Voilà, M. le Président, un tout petit exemple qui prouve que quand on est à la remorque du système fédéral, on a des positions comme celles que défend M. Ryan. C'est une règle que l'on retrouve dans toutes les fédérations. C'est ce que veut le Canada anglais, à commencer par l'Ontario qui n'accepterait jamais que le gouvernement fédéral perde l'un ou l'autre de ses principaux pouvoirs économiques. Voilà pourquoi le Québec ne peut espérer récupérer la maîtrise des leviers économiques les plus nécessaires à son propre développement en demeurant dans un régime fédéral tel que celui que nous connaissons depuis 113 ans.

Mais heureusement pour nous, le fédéralisme n'est pas la seule formule qui permette de maintenir une union économique. Depuis une trentaine d'années d'ailleurs, il ne se forme plus de nouvelles fédérations dans le monde. Le fédéralisme, en effet, est une formule rigide qui exige une intégration absolue, une intégration poussée dans le domaine politique, social et culturel où les gouvernements régionaux sont nécessairement subordonnés au gouvernement central et qui s'accommodent mal d'une dualité ou d'une multiplicité culturelle. Au contraire. Il s'est formé, durant la même période, une dizaine d'associations d'Etats souverains. Cette formule, en effet, est beaucoup plus flexible et s'adapte mieux à la diversité sociale des nations qui veulent s'associer sur le plan économique. Elle a, de plus, l'immense avantage, pour des gens qui ont un peu de dignité, de remplacer la subordination inhérente au régime fédéral par l'égalité de droits des différents partenaires.

Voilà comment est née la souveraineté-association qui concilie mieux que toute formule de fédéralisme renouvelé, la double exigence qui serait de permettre au Québec de se donner les outils pour assurer son propre développement tout en n'empêchant pas Ottawa de continuer à jouer ce rôle pour ce qui est du Canada anglais.

En entrant d'égal à égal dans une nouvelle communauté économique canadienne, le Québec ne s'appauvrira pas, non plus qu'il n'appauvrira le reste du Canada qui possède lui-même de grandes richesses puisque l'espace économique canadien actuel sera maintenu. Le Québec pourra, au contraire, contribuer plus activement au progrès de l'ensemble de la communauté économique en prenant en main sa propre orientation économique. Cette tâche commune ne doit pas être l'affaire d'un seul parti, mais d'abord de tous les Québécois qui nous écoutent de ce temps-ci en essayant de mieux comprendre le sens de la démarche que nous leur demandons de faire avec nous.

Je comprends que cela demande beaucoup de réflexion d'abord et un certain courage ensuite pour s'affirmer pour le oui. Ce serait beaucoup plus facile de maintenir le statu quo ou encore de reculer comme le propose le livre beige de Ryan.

M. le Président, je voterai oui à la question, telle que proposée. Voter oui, c'est prouver au reste du Canada comme au reste du monde que les Québécoises et les Québécois de toutes les origines ethniques constituent un peuple qui se tient debout, prêt à assumer son propre développement économique. Voter oui, c'est retrouver notre dignité d'hommes et de femmes du Québec tannés d'être traités comme des citoyens de seconde zone par une certaine minorité dominante. Voter oui, c'est nous débarrasser de nos complexes qui nous ont trop longtemps "encar-cannés" comme si nous étions un peuple inférieur. Voter oui, c'est prendre conscience que nous sommes capables de réaliser des choses, telles que la Manic, la Baie James, etc. Voter oui, c'est ne pas avoir peur que la manne fédérale disparaisse puisque nous sommes assez intelligents pour comprendre que cet argent provient de nos impôts. Voter oui pour les gens de mon comté, c'est vouloir accélérer le développement économique de notre région et nous assurer que le MEER s'impliquera dans des projets, tels que la papeterie de la Matapédia, que l'argent du fédéral, c'est notre argent. Il s'agit tout simplement de récupérer puisque, à ce jour, nous n'avons pas eu notre part dans ce domaine. Voter oui, c'est avancer lentement, mais sûrement. Voter oui enfin, c'est faire confiance à l'avenir.

Pour enfin terminer sur une note un peu plus gaie et empêcher, à cette heure-ci, que nos députés ne deviennent trop fatigués, empruntons à notre Vigneault national l'une de ses idées les plus originales en l'adaptant tant bien que mal à une période qui n'est pas banale: Gens de l'Outaouais, gens de la Gaspésie, gens du Nord-Ouest, gens de la Mauricie, gens du Lac-Saint-Jean, gens de Laval, gens des Bois-Francs, gens de Montréal, c'est à notre tour de jouer un vilain tour à ceux qui ne croient pas qu'un jour, nous aurons enfin notre tour. Merci, chers amis. Le jour choisi, donnons-nous un pays en votant pour le oui. Merci.

M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le ministre de l'Education.

M. Morin (Sauvé): Je demande l'ajournement du débat, s'il vous plaît.

La Vice-Présidente: Cette motion est-elle adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Un instant, Mme la Présidente. Parlant sur la motion du ministre de l'Education et vice-premier ministre, je suis bien d'accord pour qu'on accepte la motion d'ajournement du débat. Cependant, je pense que le règlement me permet de faire certaines considérations à ce moment-ci.

La Vice-Présidente: Malheureusement, M. le leader, je me dois...

M. Levesque (Bonaventure): Je pense bien que j'aurai le consentement pour une minute.

La Vice-Présidente: Est-ce qu'il y a consentement?

Des Voix: Consentement.

M. Levesque (Bonaventure): Merci. Le leader parlementaire du gouvernement disait tout à l'heure qu'il était surpris qu'il n'y ait pas alternance et que le Parti libéral du Québec ou d'autres membres de l'Opposition ne puissent pas s'exprimer. C'est simplement — je le rappelle avec beaucoup d'objectivité, mais avec le même sens du devoir — que s'il n'y a pas eu d'autres députés qui ont pu intervenir du côté de l'Opposition, c'est justement à cause du fait qu'entre le gouvernement, le parti ministériel, et le parti de l'Opposition officielle, la relation est de deux à un et nous ne pouvons pas utiliser toutes les minutes que nous aimerions utiliser dans ce débat. Je vous remercie, Mme la Présidente.

M. Charron: Madame.

La Vice-Présidente: M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Je suis convaincu que, jusqu'à la fin, chaque fois qu'il le pourra, le député de Bonaventure répétera cette fausseté. Il vient encore de dire qu'entre le gouvernement et l'Opposition officielle le rapport est de deux à un. C'est inexact. J'ai offert tout à l'heure de respecter le rapport de deux à un et c'est ce qui a été refusé. Je ne vois pas pourquoi maintenant — puisque l'Opposition a refusé d'y souscrire — je reviendrais sur ma décision. (22 heures)

M. Levesque (Bonaventure): Question de privilège, Mme la Présidente.

Si nous acceptions cela, ça veut dire qu'à la troisième semaine des discussions, il n'y aurait que des PQ qui parleraient.

La Vice-Présidente: Alors, cette assemblée... M. Charron: Madame.

La Vice-Présidente: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Ou bien la mathématique veut dire quelque chose ou elle ne veut rien dire. Si, comme il le soutient depuis le début, la décision du Président est de deux à un comme rapport entre le gouvernement et l'Opposition officielle, il fait bien abstraction des services que lui donne l'Union Nationale dans ce cas-là également. Mais, passons outre.

Si, par définition, et je prends son chiffre, le rapport est de deux à un, si nous continuions à deux intervenants contre un jusqu'à la fin, par définition, nous nous rendrions jusqu'à la fin de la troisième semaine. Ou son chiffre est exact ou il ne l'est pas. Quand on dit qu'il y a deux fois le temps chez le gouvernement pour une fois chez l'Opposition officielle, cela veut dire que si, jusqu'à la fin, il y avait deux députés du gouvernement et un de l'Opposition officielle, on serait capable de faire le débat dans ces circonstances. On l'a refusé tout à l'heure, ce qui fait que c'est le ministre de l'Education qui a demandé l'ajournement.

La Vice-Présidente: Cette Assemblée ajourne ses travaux à mardi, 14 heures.

Fin de la séance à 22 h 2

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