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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le mardi 18 mars 1980 - Vol. 21 N° 94

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quatorze heures huit minutes)

Le Président: A l'ordre, mesdames et messieurs!

Un moment de recueillement. Veuillez vous asseoir.

Affaires courantes. Déclarations ministérielles. Dépôt de documents. M. le ministre des Finances.

DÉPÔT DE DOCUMENTS

Rapport du vérificateur des comptes

M. Parizeau: M. le Président, conformément à l'article 82 de la Loi sur l'administration financière, j'ai l'honneur de déposer le rapport du vérificateur des comptes relatifs au Vérificateur général pour l'année financière terminée le 31 mars 1979.

Le Président: Merci. Rapport déposé.

Dépôt de rapports de commissions élues. M. le député d'Iberville.

Etude des projets de loi privés nos 251, 209, 204, 200, 216 et 205

M. Beauséjour: M. le Président, qu'il me soit permis, conformément aux dispositions de notre règlement, de déposer le rapport de la commission élue permanente des affaires municipales qui a siégé les 19, 20, 27 et 28 février 1980 aux fins d'étudier article par article les projets de loi no 251, Loi concernant la ville de Saint-Laurent; no 209, Loi annexant certains territoires à celui de la ville de Fermont; no 204, Loi concernant la ville de Gagnon; no 200, Loi modifiant la Charte de la ville de Montréal; no 216, Loi modifiant la Charte de la ville de Québec, et no 205, Loi modifiant la Charte de la cité de Verdun, et les a adoptés avec des amendements.

Le Président: Est-ce que ce rapport sera adopté?

Des Voix: Adopté. Le Président: Adopté.

Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.

Présentation de projets de loi au nom des députés.

Questions orales des députés. M. le député de Portneuf. (14 h 10)

QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS

Grève des cols bleus de Montréal

M. Pagé: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au ministre du Travail. Il aura certainement compris qu'elle est relative à la grève des cols bleus à Montréal qui perdure depuis déjà 36 jours. En fin de semaine, le rapport de médiation de M. Désilets a été déposé auprès des parties. Ce rapport a été refusé, M. le Président, et, ce matin, je prenais connaissance d'un article de la Presse, de Montréal, dans lequel le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre, M. Johnson, disait: "Cela ne peut durer plus longtemps comme ça."

J'en conviens, cela ne peut pas durer plus longtemps, après 36 jours d'une grève qui a affecté la qualité des services dispensés aux citoyens de la région de Montréal. M. le Président, ma question est la suivante: Est-ce que le ministre pourrait d'abord nous informer et informer cette Chambre du déroulement des négociations à la suite du refus du rapport de médiation? Deuxièmement, est-ce que le ministre pourrait enfin, après que je lui ai formulé ces questions mardi dernier, nous dire quelles sont les avenues que le gouvernement, particulièrement le ministre du Travail, entend prendre pour en arriver, dans les meilleurs délais, à une solution de ce conflit? Le ministre se rappellera certainement les avenues que je lui avais signalées à ce moment-là, soit la suspension du droit de grève, l'adoption d'une loi spéciale, une commission parlementaire ou encore l'implication personnelle du ministre dans le conflit.

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, il est exact que la ville de Montréal a accepté vendredi dernier, dans une lettre que me faisait parvenir le maire, le rapport de médiation de M. Désilets.

Il est, d'autre part, exact que le syndicat a refusé le rapport de médiation, lors d'une assemblée dimanche dernier, au sens d'y trouver là le règlement du conflit qui oppose les cols bleus à la ville de Montréal.

Cependant, le syndicat, en adoptant cette résolution, a bien fait connaître sa position quant à l'essentiel du rapport de médiation qu'il jugeait adéquat, garantissant aux travailleurs les droits essentiels qu'il recherchait quant à la sécurité d'emploi et à la mobilité, entre autres.

Cependant, l'exécutif syndical a obtenu un mandat pour négocier sur d'autres points qui étaient des objectifs syndicaux. Les cols bleus ont choisi de donner ce mandat à leur exécutif.

A compter de dimanche soir et jusqu'à environ 4 h 30 ce matin, quand je quittais les bureaux de Montréal, les parties se sont rencontrées. M. Désilets et mes collaborateurs ont été dans ce

dossier à peu près sans relâche. Il reste en suspens, pour pouyoir en arriver à un règlement négocié quant à la convention collective — ce qui, à mon avis, serait éminemment souhaitable, par opposition à une solution ou à un rétablissement imposé des services — quelques points seulement au sujet desquels je recevais encore des communications — puisque je suis un peu entre Montréal et Québec aujourd'hui — de mes bureaux de Montréal où il y aura à 17 h 30 une rencontre avec l'une des parties.

Le Président: M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, je conviens que le rapport de médiation couvrait l'essentiel des problèmes en litige, de ce qui pouvait rester à régler. Le ministre du Travail a lui-même déclaré en fin de semaine que, somme toute, il ne restait pas grand-chose à régler, que le rapprochement pouvait se faire dans des délais assez brefs et c'est ce qui l'a incité à continuer et à promouvoir la négociation entre les parties.

Par contre, on en est à la 36e journée, M. le Président, et le ministre lui-même nous dit que cela ne peut plus durer longtemps comme cela. Je conviens qu'on aura des résultats de rencontres à 17 heures. Entre autres, le ministre serait-il prêt à s'engager, au début de la séance de ce soir, à nous indiquer les résultats des rencontres qui ont eu lieu en fin de semaine et des rencontres d'aujourd'hui? Le ministre pourrait-il enfin répondre à la question que je lui formule et qu'on lui formule de ce côté-ci depuis déjà plusieurs jours? On convient que, dans son esprit, cela a peut-être trop duré, mais combien de temps est-ce que cela va encore durer dans son esprit? Où est la limite? A quel moment allez-vous intervenir et à quel moment allez-vous remplir la responsabilité qui vous incombe?

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: D'abord, M. le Président, cela fait déjà plus de 36 jours qu'on est intervenu, puisque mes représentants et moi — car j'ai l'occasion quotidiennement de vérifier le cheminement de l'ensemble de ces dossiers — sommes au dossier effectivement depuis bien avant le début de la grève.

Deuxièmement, je pense qu'on reconnaîtra qu'aujourd'hui, même si la situation peut être pénible dans certains quartiers de Montréal, même si le nombre de feux de circulation en panne ou défectueux a augmenté, à comparer, par exemple, à vendredi, ce n'est pas le fait de l'écoulement du temps qui rend les choses difficiles en ce moment pour les Montréalais; c'est quand ils sont aux prises avec des bancs de neige ou encore des rues qui sont très glissantes et dangereuses.

Or, heureusement, aujourd'hui, alors que les parties continuent cette négociation et envisagent différentes hypothèses, à Montréal, contrairement à ce que nous vivons à Québec, le temps est un peu plus clément. Je pense qu'en pratique on vit une situation heureusement un peu moins alarmante que celle qu'on vivait vendredi à cause de la tempête de neige.

Encore une fois, je pense que ce n'est pas tellement le nombre de jours que la quantité des inconvénients, la santé, la sécurité et finalement la tolérance du public qui peuvent être la limite qui devrait amener une intervention. Cette intervention, elle pourrait être de divers ordres, si cela devait s'imposer. Le député de Portneuf connaît fort les ouvertures qu'il y a de ce côté-là.

Le Président: M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, une dernière question. J'ai presque envie de demander au premier ministre s'il n'a pas l'intention de changer le nom du ministère pour celui de ministère du beau temps. Ce n'est pas un ministre du Travail qu'on a au Québec, c'est un ministre du beau temps. Le ministre du Travail a une responsabilité qui lui incombe d'administrer et de voir à l'application des lois qui sont prévues, particulièrement le Code du travail et les droits spécifiques à l'égard de la suspension du droit de grève. Que le gouvernement et que le ministre du Travail aujourd'hui... Non, j'y arrive, M. le Président! Le gouvernement ne peut pas se fier uniquement au beau temps pour régler les problèmesà Montréal. La population attend une solution et attend une application du gouvernement. J'ai posé la question à de nombreuses reprises et je reviens encore de façon bien sereine, bien calme en demandant au ministre d'y répondre. Quelles sont les avenues que vous envisagez prendre pour le régler, le problème? La médiation a échoué. Quand allez-vous prendre la responsabilité qui vous incombe? Vous avez plusieurs choix, j'en ai fait état la semaine dernière: suspension du droit de grève, loi spéciale, etc. Quand allez-vous agir? Quand cela aura-t-il trop duré?

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, les parties seront aux bureaux du ministère à 17 heures cet après-midi. C'est cela, l'intervention. Je comprends que cela ne satisfait peut-être pas le député de la tempête de Portneuf, à moins qu'on ne le qualifie d'oiseau de malheur ou de faucon, dans les circonstances.

M. Pagé: Question de privilège!

M. Johnson: Je pense qu'effectivement...

Le Président: M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Ce vocabulaire s'inscrit peut-être dans le vocabulaire typique de violence tel que celui que le premier ministre a utilisé en fin de semaine. Ma participation dans ce dossier, c'est une obligation qu'on a ici, parce que, de ce côté,

on est sensible à la préoccupation des gens. C'est ce pourquoi on pose les questions. Nous, on prend notre responsabilité et on fait notre job. Faites-en autant!

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, je voudrais simplement m'assurer que le député n'a pas été blessé. J'ai parlé de l'oiseau et non pas de deux mots séparés. Effectivement, il y aurait quatre avenues possibles s'il n'y avait pas de règlement négocié sur la convention collective. Le député de Portneuf les a énumérées. Il serait irresponsable et même sans doute dangereux à l'égard de ce qui se passe en ce moment dans les bureaux du ministère à Montréal d'évoquer l'une ou l'autre des hypothèses quant au contenu ou au mécanisme qui pourrait être utilisé en cas d'échec. S'il y a échec au moment où nous jugerons, compte tenu de la situation, pour les fins de la protection de la population, nous verrons à prendre nos responsabilités. On n'a pas hésité à le faire dans le passé, le député de Portneuf le sait. (14 h 20)

Le Président: M. le député de Maskinongé.

Extension de la Loi sur la protection du territoire agricole à tout le Québec

M. Picotte: M. le Président, il y a plus d'un an, ce gouvernement faisait adopter par la Chambre la Loi sur la protection du territoire agricole et, dernièrement, les dirigeants de l'UPA mentionnaient que le fait que cette loi régisse uniquement une partie de la province causait de graves préjudices aux agriculteurs d'autres régions.

J'aimerais demander au premier ministre, étant donné qu'il a fait une déclaration dernièrement, quand prévoit-il généraliser, étendre à tout le Québec la loi du zonage agricole puisqu'il l'a déclaré lui-même et puisqu'en commission parlementaire on nous a toujours mentionné que les plans étaient prêts au ministère depuis déjà de nombreuses années.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je suis heureux de voir que le député de Maskinongé — j'espère que c'est vrai pour nos autres amis d'en face — a trouvé son chemin de Damas...

M. Picotte: Non.

M. Lévesque (Taillon): ... par rapport à une mesure qu'ils ont combattue tant qu'ils ont pu, contre laquelle, si j'ai bonne mémoire, ils ont voté et qui, maintenant, devrait être généralisée le plus vite possible. Je suis parfaitement d'accord avec le député de Maskinongé. Cela fait partie de ces "non" sur lesquels on revient à l'occasion quand on s'aperçoit...

Tout ce que je peux dire au député de Maskinongé, c'est que l'étape actuelle sera com- plètement terminée... Je n'entrerai pas dans le détail technique. Si le député veut des réponses plus élaborées, le ministre de l'Agriculture est en Chambre. Mais tout ce que je peux dire, c'est ceci: L'étape actuelle, qui était déjà un gros morceau et celui qui pressait le plus, c'est-à-dire les basses terres du Saint-Laurent, devrait être complétée, nettoyée, si vous voulez, autour du mois de juillet. Entre-temps, il va se passer des choses qui vont nous permettre d'approcher d'une protection plus complète, aussi complète que possible des territoires agricoles du Québec.

M. Picotte: M. le Président...

Le Président: M. le député de Maskinongé.

M. Picotte: ... est-ce que le premier ministre, qui prétend que la loi est si bonne et si parfaite, voudrait dire à cette Chambre la raison pour laquelle il attend après le référendum pour étendre la loi du zonage agricole à tout l'ensemble du Québec? Pourquoi attend-on après, si c'est si important de le faire immédiatement, alors que tous les plans sont prêts? Le ministre de l'Agriculture nous en a donné l'assurance déjà.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): Le ministre de l'Agriculture ne vous a pas donné l'assurance que tous les plans étaient prêts pour la bonne et simple raison qu'ils ne le sont pas dans toutes les régions. Ceci ne veut pas dire qu'on va attendre après le référendum pour certains éléments de la continuation. Mais pourquoi attend-on pour généraliser tout ça? C'est que, justement, l'étape actuelle, de toute façon, ne sera pas terminée complètement avant le mois de juillet, c'est-à-dire assez tard l'été prochain.

Le Président: M. le député de Maskinongé.

M. Picotte: Dans l'esprit du premier ministre, M. le Président, lorsqu'il parlait d'étendre le zonage de façon générale, il a mentionné uniquement quelques régions. Est-ce qu'il s'agit bien seulement de quelques régions ou si c'est l'ensemble du Québec?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): Je ne sais pas s'il restera certains morceaux de régions qui ne seront pas couverts; il faudrait le demander au ministre de l'Agriculture. Il y aura peut-être des morceaux qui ne pourront pas être complètement couverts. Je peux dire une chose, par exemple, au député de Maskinongé: C'est que bien avant quelque échéance finale que ce soit, y compris l'échéance toujours dangereuse pour n'importe quel groupe politique des élections générales, l'ensemble du territoire agricole, pour autant qu'on pourra le compléter, sera protégé au Québec justement pour qu'on ne risque pas que des gens qui ont voté contre puissent avoir le goût d'enrayer cela ou de l'arrêter.

Le Président: M. le chef de l'Union Nationale.

Vote des anglophones

M. le Moignan: M. le Président, j'aurais une brève question seulement à adresser au premier ministre, suite à un commentaire qu'il a fait au lendemain de l'annonce du sondage CROP de Radio-Canada où il a souligné la solidarité des Québécois anglophones qui ont voté non dans une proportion, je crois, de 80% et de 20% pour le oui. Si je ne me trompe pas trop, c'est à peu près cela et le premier ministre faisait appel aux Québécois francophones pour qu'ils fassent de même dans l'option du oui. Jusque-là, on se comprend très bien.

Maintenant, pour une poursuite démocratique de ce débat référendaire et pour que le Québec ne connaisse pas, peut-être, un réveil trop brutal, je voudrais demander au premier ministre de demander à ses stratèges de ne pas faire jouer cette opposition des races. Je pense que ce serait très mauvais des deux côtés de la Chambre.

Tout ce que je demande au premier ministre, c'est une mise au point assez sérieuse parce qu'il y a d'excellents amis qui optent déjà pour le oui et qui parlent de prendre la minorité anglophone en otage. Je voudrais que le premier ministre dissipe tous les doutes sur cela.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, j'aurai l'occasion, en fin de semaine, lors d'un colloque — comme on dit dans le jargon courant — avec nos concitoyens anglophones, à Montréal, de faire toutes les précisions qui pourraient s'imposer.

Je répéterai simplement au député de Gaspé ce que j'ai dit en gros au lendemain des deux sondages, parce qu'il y en a eu deux en attendant la suite. C'est que, premièrement, il y a un fait qu'il faut constater. L'ensemble très majoritaire, massivement majoritaire, de nos concitoyens non francophones, pour toute une série de raisons dont les unes sont historiques et dont les autres sont reliées au contexte d'information — je mets le mot "information" entre guillemets très souvent — contexte d'information dans lequel ils sont baignés, veut, veut pas, cet ensemble massivement majoritaire de nos concitoyens non francophones est nécessairement coupé — c'est, jusqu'à un certain point, les deux solitudes qui se respectent — est quelque peu coupé, en tout cas, de certains des éléments clés de l'évolution du Québec. Cela est un fait; il faut être hypocrite ou des autruches pour ne pas s'en rendre compte.

Derrière ce fait se trouvent aussi — j'ai le plus immense respect pour les deux attitudes pour la bonne et simple raison que ce sont des faits — d'une part, ceux qui ne peuvent pas, qui se sentent incapables d'opter pour le genre d'évolution du Québec avec laquelle ils ne se sentent pas en relation et, d'autre part, j'ai également un immense respect pour le courage et, quant à nous, la lucidité d'un nombre croissant, modestement croissant, mais d'un nombre croissant de nos concitoyens non francophones qui adhèrent de plus en plus à l'évolution du Québec, à la direction que nous proposons et au oui au référendum.

Le Président: M. le député de Maisonneuve.

Interruption des analyses de laboratoire au CLSC Hochelaga-Maisonneuve

M. Lalande: M. le Président, ma question s'adresse au ministre des Affaires sociales. Le 25 février dernier, 25 personnes, pour la plupart des gens du troisième âge, se faisaient expulser par la force, manu militari, par une douzaine de policiers du CLSC Hochelaga-Maisonneuve. Le motif de cette expulsion était, paraît-il, d'avoir troublé la paix publique. En réalité, ces gens se rendaient au CLSC pour protester contre la décision des administrateurs, MM. Tremblay et Massi-cotte, de ne plus donner le service de prélèvement, entre autres, le service d'analyse de sang, service qui s'était toujours donné depuis plus de huit ans. Cette décision du ministre des Affaires sociales, de toute façon, est d'ailleurs généralisée partout au Québec. Au cours de la fin de semaine dernière, le ministre le sait, il a été saisi d'une pétition signée par au moins 500 personnes, pétition qui demande au ministre de réinstaller ce service d'analyse dans les plus brefs délais.

Ma question est celle-ci: Est-ce que le ministre est en faveur d'une participation des gens du milieu aux services sociaux de leur quartier et, si oui — je l'espère bien parce qu'autrement ce serait une volte-face du gouvernement — quand et à quelle date a-t-il l'intention de donner à nouveau ce service à la population du quartier?

Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.

M. Lazure: M. le Président, effectivement, j'ai été saisi, en fin de semaine, de cette pétition et j'ai appris, par le fait même, la décision, non pas du ministère des Affaires sociales, mais bien de la direction du CLSC, du Centre local de services communautaires d'Hochelaga-Maisonneuve, de discontinuer les analyses de laboratoire pour un certain nombre, pour une certaine clientèle, non pas pour tout le monde.

M. le Président, premièrement, il ne s'agit pas d'une décision du ministère des Affaires sociales. Au contraire, durant l'année financière qui s'achève, nous avons accordé des subventions spéciales à tous les CLSC qui ont des laboratoires, et il y en a un certain nombre, une trentaine, 30 ou 35 sur les 81. Nous leur avons accordé une subvention spéciale pour leur permettre de continuer à rendre au public ce service. Je vous avoue que je ne comprends pas la décision de la direction du CLSC Hochelaga-Maisonneuve. Je sais que cette décision a été durement contestée à l'intérieur même du conseil d'administration de ce CLSC, selon les informations que j'ai reçues en fin de

semaine. M. le Président, pour le député de Maisonneuve, je pense bien pouvoir, demain ou après demain au plus tard, donner une réponse plus complète et donner plus d'explications. (14 h 30)

Encore une fois, je résume en disant qu'il ne s'agit pas du tout d'une décision du ministère des Affaires sociales. Au contraire, nous avons accordé de nouveaux crédits précisément pour élargir ce service à la population.

Le Président: M. le député de Maisonneuve.

M. Lalande: M. le Président, je voudrais simplement rappeler au ministre qu'il nous donne une réponse à cette heure-ci, d'ailleurs évasive, nous promettant d'y revenir. Pourquoi le ministre, après au moins 20 appels à son bureau de la part des citoyens, surtout du Comité du droit à la santé d'Hochelaga-Maisonneuve, n'a-t-il pas daigné répondre à au moins 20 appels qui ont été faits à son bureau?

Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.

M. Lazure: M. le Président, je ne sais pas si cela vaut la peine de répondre à une telle question. Il y a des appels qui sont retournés. Je ne sais pas sur quoi le député base son affirmation. Aussi longtemps qu'il aura simplement une affirmation gratuite à lancer comme cela, je pense qu'il ne vaut pas la peine de s'y attarder. Mais si le député a quelque chose de plus solide comme représentation à faire, j'y répondrai avec plaisir. De toute façon, je vous répète qu'il s'agit d'une décision locale du CLSC et, encore une fois, le député s'adresse à la mauvaise porte. Je veux bien demander des explications à la direction du CLSC, ce que je fais actuellement. Je verrai, s'il y a lieu, oui ou non, de contester la décision du CLSC.

Le Président: Question additionnelle, M. le député de Rosemont.

M. Paquette: M. le Président, j'ai également eu des représentations de citoyens à ce sujet. J'aimerais savoir si le ministre est en mesure de nous dire si la politique de son ministère est bien de déconcentrer les services de prélèvement et de s'assurer que, dans les CLSC, ces services sont assurés à la population.

Deuxièmement, est-ce que ce problème semble spécifique au CLSC Hochelaga-Maisonneuve ou s'il existe également dans d'autres CLSC?

Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.

M. Lazure: Encore une fois, je répète que la politique est justement de pouvoir offrir ces services dans les quartiers, de les déconcentrer, si vous voulez, de les décentraliser. Plutôt que de voir des douzaines et des douzaines de personnes se rendre dans une salle d'urgence ou une clini- que externe pour des prélèvements, nous essayons d'offrir ce service dans le plus grand nombre de points de service possible.

A ma connaissance, il s'agit de quelque chose d'isolé. Nous avons précisément voulu remédier à cette situation, il y a déjà huit ou neuf mois, en accordant ces crédits spéciaux aux CLSC pour qu'ils puissent augmenter les services de laboratoire à la population.

Le Président: M. le député de Pontiac-Témiscamingue.

M. Goulet: M. le Président...

Le Président: M. le député de Bellechasse, il y aura le temps pour vous permettre une question.

M. Goulet: M. le député de Pontiac-Témiscamingue ne s'est pas levé, M. le Président.

Le Président: II y aura tout le temps pour vous permettre une question, si on n'en perd pas trop, de même que vous, M. le député de Gouin; de même que vous, M. le député de Verchères.

M. le député de Pontiac-Témiscamingue.

M. O'Gallagher: Robert Baldwin, M. le Président.

Le Président: M. le député de Robert Baldwin.

Difficultés financières au projet AMBCAL

M. O'Gallagher: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au ministre des Affaires sociales. Il en a sans doute reçu avis par télégrammes, par lettres et par d'autres moyens de communication.

Mr Minister, AMBCAL youth project, which serves more than thirteen municipalities of Montreal, and more important than that helps some 300 young people yearly, is again in financial difficulty for the third consecutive year. This difficulty is entirely due to a bureaucratic bungling. This 24 hour youth assistance service has been approved by all the Social Affairs agencies. However, at this moment, they have had to terminate the employment of ten staff members who are presently continuing on a volontary basis only.

Mr Minister, will this 24 hour youth shelter receive financial aid or will it have to close, "oui ou non"?

Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.

M. Lazure: C'est un oui, c'est un oui éclatant, mais, M. le Président, le député fait part des inquiétudes d'un groupement qui reçoit actuellement une subvention de notre ministère. Le groupe en question, comme bien d'autres groupes, se demande si, oui ou non, l'an prochain, avec le budget 1980-1981, il y aura encore une subvention. C'est cela, la question.

Je vois que le député fait oui de la tête. On se comprend sur l'objet en litige. Je pense que cela peut devenir très instructif pour cette Assemblée, si chacun des quelque 200 groupes qui reçoivent des subventions passe le message à son député de bien vouloir poser la question au ministre des Affaires sociales: Est-ce que, oui ou non, nous aurons la subvention l'an prochain?

De toute façon, le député sait fort bien que nous devrons attendre le discours du budget avant d'annoncer aux organismes bénévoles, tels que AMBCAL ou d'autres, qui font un excellent travail, quelle subvention ils auront l'an prochain. Il est probable qu'une telle subvention sera versée, comme elle l'a été depuis quelques années. Je pense que le député fait bien son travail de député et que nous ferons aussi notre travail de ministre aussitôt que le discours du budget sera annoncé.

Le Président: M. le député de Robert Baldwin, une brève question additionnelle.

M. O'Gallagher: C'est très bien, M. le ministre, mais cela fait déjà trois ans et c'est toujours la même histoire tous les ans. Pourriez-vous trouver une solution permanente pour cette institution-là, parce que, tous les ans, les gens sont "barouet-tés" d'un service à l'autre? Y a-t-il moyen de trouver une solution permanente à cet organisme qui rend service à au-delà de 300 enfants dans treize municipalités de Montréal?

Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.

M. Lazure: M. le Président, j'ai le même problème que ce groupement et de tous les groupements. Moi aussi, j'ai à défendre un budget; moi aussi, je vis dans l'insécurité par rapport au budget que va nous révéler mon collègue d'en face, de ce côté-ci de la Chambre, qui est juste en face de moi. M. le Président, on vit dans un système où il faut voter un budget, chaque année. Je ne connais pas de façon magique d'éviter ce vote annuel du budaet.

On m'indique que les dictatures ont réglé ce problème une fois pour toutes, mais je pense que, dans notre système, nous devons étudier les crédits annuellement. Ce groupe, comme d'autres groupes, devrait avoir une réponse d'ici quelques semaines.

Le Président: M. le député de Bellechasse.

Attribution des contrats du gouvernement

M. Goulet: Merci, M. le Président. Je ne vous en veux pas pour votre décision de tout à l'heure, M. le Président, je vous comprends. Quand le député de Robert Baldwin est debout, vous ne pouvez m'apercevoir. Ma question s'adresse au ministre des Travaux publics et de l'Approvisionnement. Le 24 octobre 1978, en conférence de presse sur la mise en vigueur de la nouvelle politique d'attribution des contrats du gouverne- ment, Mme la ministre disait ceci, et je cite: "Les nouvelles procédures d'octroi de ces contrats visent donc à éliminer le favoritisme et l'arbitraire dans l'engagement des professionnels, des techniciens concernés ou dans la location de certains biens, en assurant à tous les fournisseurs compétents une chance égale de fournir leurs services à l'Etat, indépendamment de leurs bonnes ou mauvaises relations avec le gouvernement", et ainsi de suite. A partir de là, pour la bonne compréhension de la population, j'aimerais que le ministre nous dise si la soumission publique, c'est bien pour assurer à tous les fournisseurs compétents une chance égale de fournir leurs services à l'Etat, et, dans un autre temps, j'aimerais savoir du ministre si tous les ministères du gouvernement du Québec sont tenus de se conformer au principe de la soumission publique. (14 h 40)

Le Président: Mme la ministre des Travaux publics.

Mme Ouellette: On ne peut rien cacher au député. Il va sans dire que l'octroi des contrats par soumissions publiques dit, parce que c'est la règle, que c'est effectivement équitable, et donc le contrat est octroyé au plus bas soumissionnaire, même si, quand on annonce une soumission publique, on ajoute, à cause des avocasseries, que le ministère n'est pas tenu d'octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire. A ce moment, il faut vraiment avoir une raison très importante pour ne pas donner un contrat au plus bas soumissionnaire. A cette question, je réponds que oui. A votre deuxième question, effectivement, tous les ministères doivent se conformer aux soumissions publiques, sauf s'il y a vraiment des exceptions, urgence, notamment; quand on doit réparer des choses de toute urgence, parfois on est obligé d'aller en dérogation, mais, règle générale, on doit aller en soumissions publiques.

Le Président: M. le député de Bellechasse.

M. Goulet: M. le Président, j'aimerais savoir, après l'affirmation du ministre, en vertu de quel principe le gouvernement a instauré les soumis-missions sur invitation. De cette façon, comment assure-t-on à tous les fournisseurs compétents une chance de fournir leurs services à l'Etat, comme le veut le principe que vient d'énoncer le ministre?

Il y a, bien entendu, M. le Président, le fichier central des fournisseurs, mais quand le gouvernement y fait appel, vous ne donnez pas la chance égale à tout le monde, mais vous sélectionnez un nombre déterminé de fournisseurs. A partir de là, comment peut-on affirmer que tous les fournisseurs ont une chance égale? Je pense qu'il serait beaucoup plus logique d'inviter tous ceux qui sont inscrits au moins au fichier, plutôt que de restreindre le nombre, par exemple, à neuf, dans des cas que je pourrai vous donner.

Le Président: Mme la ministre des Travaux publics et de l'Approvisionnement.

Mme Ouellette: Je pense qu'il ne faut pas mêler tout ça. Cela dépend des niveaux d'honoraires. Cela dépend de l'ampleur des contrats. Il est bien entendu que si on a à construire, par exemple, comme on le fait présentement, un palais des congrès à Montréal, c'est quand même un contrat de $60 millions avec un niveau d'honoraires assez élevé. A ce moment-là, on va en soumissions publiques avant de procéder par concours. Cela dépend, encore une fois, du type de travaux, des services que requièrent le gouvernement et les différents ministères. Quant à moi, je n'ai pas d'objections du tout à retenir des suggestions à cet égard.

Quant au fichier central, c'est une autre chose. J'ai toujours dit qu'on n'avait pas les pieds dans le béton, que c'était une réglementation — ce n'est donc pas une loi — et qu'on avait le goût, au fur et à mesure que le nouveau système évolue, d'apporter des modificaî;ons, compte tenu de l'expérience et de l'évolution de ce système.

Cela étant dit, comme je l'ai fait à plusieurs reprises ici, je vous inviterais également à venir au fichier central rencontrer les gens qui le font fonctionner. On n'a jamais eu la prétention de dire que, là-dedans, tout avait été dit et que c'était parfait à tous les points de vue; on s'est donné par là, une nouvelle formule, un nouveau système ayant comme but, comme principe de base, de dépolitiser et de régionaliser l'octroi des contrats.

Qu'on puisse en cours de route, dans un tel système, apporter des améliorations — je pense qu'il y a toujours place à l'amélioration — pour ma part, je suis tout à fait disposée à considérer des suggestions visant à améliorer le système. Mais, si vous avez un cas particulier, je suis tout à fait prête à le regarder et à voir ce qu'on peut faire pour améliorer ce système.

Le Président: M. le député de Bellechasse, une brève question.

M. Goulet: Une courte question additionnelle, M. le Président, merci. Toujours en vertu du principe de la chance égale à tout le monde, j'aimerais savoir en vertu de quel principe de justice et d'équité le gouvernement a accordé le contrat, par exemple, d'une maquette de $150 000 de façon on ne peut plus discrétionnaire, à Maquette 3-D et Promosit, au moment où ces compagnies, selon nos renseignements, n'apparaissaient même pas au fichier central des fournisseurs, alors que d'autres compagnies spécialisées apparaissaient au fichier des fournisseurs. L'une des raisons pour lesquelles on a procédé, ainsi selon la réponse que nous avons reçue par courrier, c'est à cause de l'échéance très serrée pour l'exécution du travail.

M. le Président, dans ce cas précis, le travail est terminé depuis le mois d'octobre 1979 et cette fameuse maquette n'a servi qu'une fois depuis pour un bref reportage à la télévision. J'ajoute, si vous me le permettez, qu'il en est de même également — j'ai écrit à Mme la ministre là-dessus — pour un contrat de concassage dans mon propre comté où le seul entrepreneuréquipé pour faire ce genre de contrat, entre parenthèses, Les Concassages de la Rive-Sud, n'a même pas été — inscrit, oui, au fichier central des fournisseurs — invité à soumissionner alors que c'est le seul fournisseur de la région inscrit à ce fichier. Comment peut-on défendre ce principe de la chance égale à tout le monde?

Le Président: Mme la ministre des Travaux publics et de l'Approvisionnement.

Mme Ouellette: II y a des contrats effectivement qui sont donnés sur invitation, dépendant souvent de l'urgence des travaux à être exécutés, pour la première partie de votre question.

Dans la deuxième partie, vous faites état d'une maquette qui aurait été commandée par un ministère. J'aimerais vous souligner ceci: Le fichier central des fournisseurs au ministère des Travaux publics, au service général des achats, n'est pas une machine à contrat; c'est un service, c'est un nouveau système. Donc, chaque ministère qui a à octroyer un contrat est tenu de passer par le fichier central, dépendant des niveaux d'honoraires, ou par soumissions publiques, comme on le fait depuis quand même un certain temps.

Donc, c'est le ministère qu'on dit, nous, dans notre jargon, le ministère client, qui est responsable en fin de compte, une fois qu'il s'est prévalu de ce service, de ce nouveau système, de l'octroi des contrats. La chose qu'on a ajoutée en plus, c'est que le ministre a à répondre, bien sûr, de l'octroi de ces contrats à une commission chargée de l'étude des crédits et, si le ministre ne retient pas, pour toute espèce de raison, la firme suggérée, il a à donner les explications.

Dans ce cas précis de la maquette, je peux vous dire que ce n'est donc pas le fichier central des fournisseurs, au Service général des achats, qui a suggéré les noms; c'est le ministère en question qui a jugé qu'il devait aller, pour toute espèce de raison — et, à ce moment-là, vous pourrez demander des informations au ministre responsable — en contrat ouvert auprès de fournisseurs pouvant lui donner ce type de service.

Quant aux travaux de concassage, c'est la même chose. Je vais voir spécifiquement, quant à ce dossier, ce qui a été fait et cela me fera un grand plaisir de répondre à votre question cette semaine.

M. Goulet: Question additionnelle, M. le Président.

Le Président: M. le député de Gouin.

M. Goulet: Une courte question additionnelle, M. le Président.

Des Voix: A l'ordre! Le Président: M. le député de Gouin. Les comptes économiques

M. Tremblay: M. le Président, ma question s'adresse au premier ministre. Si je ne m'abuse, les

comptes économiques du Québec disponibles pour la dernière année ont été remis à la presse le 20 février dernier, donc il y aura un mois cette semaine. Les comptes économiques, évidemment, constituent ou contiennent énormément de renseignements statistiques sur l'état de l'économie et bien d'autres choses qu'uniquement le bilan Québec-Ottawa.

Dans les années passées, les comptes économiques étaient déposés à l'Assemblée nationale dès leur parution. Je voudrais demander au premier ministre, pour les députés de l'Opposition, 1°) pourquoi les comptes économiques n'ont pas été déposés à l'Assemblée nationale lorsqu'ils ont été remis à la presse, et 2°) quand ils seront déposés, si jamais ils le sont, parce que, comme députés, nous pouvons lire les journaux, mais je pense qu'il serait utile, dans notre travail, d'avoir copie des comptes économiques. J'aurai une courte question additionnelle.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, vu qu'il s'agit justement des comptes économiques, le député de Gouin comprendra que, en ce qui concerne les délais et en ce qui concerne aussi les perspectives plus ou moins prochaines de dépôt complet, je demande au ministre d'Etat au Développement économique de donner l'essentiel de la réponse qui est disponible en ce moment.

Le Président: M. le ministre d'Etat au Développement économique.

M. Landry: Autant que je sache, M. le Président, on a suivi, sous toute réserve, la tradition établie par nos prédécesseurs. Les comptes économiques ont été publiés à 13 heures par le gouvernement du Canada et, comme l'a souligné le député, à 14 heures, une heure après, suivant une tradition que lui-même avait établie, nous avons remis ce que nous avions en main à la presse. Nous n'avons pas l'intention de déroger à cela. S'il y a eu un délai, je vais me faire expliquer pourquoi il a eu lieu. Nous n'avons pas non plus l'intention de déroger à l'autre élément de la tradition qui consiste à déposer en cette Assemblée les comptes économiques.

M. Tremblay: M. le Président...

Le Président: M. le député de Gouin.

M. Tremblay:... je pense qu'il y a méprise. Je ne soulève pas une question de privilège pour les journalistes. Je pense qu'ils ont reçu le document, effectivement, il y a un mois. Je soulève en quelque sorte une question de privilège pour les députés de l'Opposition et peut-être même pour les députés du côté gouvernemental aussi. La tradition, c'est que, lorsqu'on remettait les comptes économiques à la presse, on les remettait en même temps aux députés pour qu'ils puissent en prendre connaissance. A ma connaissance, nous ne les avons pas reçus. Du moins, je ne les ai pas reçus et mon collègue d'à- côté ne les a pas reçus. Est-ce que nous allons recevoir très bientôt les comptes économiques ajustés pour la dernière année?

Le Président: M. le ministre d'Etat au Développement économique.

M. Landry: M. le Président, je redis à mon collègue que c'est oui. J'ajoute que, lors du dépôt, j'expliquerai à cette Chambre, car il n'est pas question de vouloir violer les privilèges de quiconque, pourquoi cette chose n'a pas encore été faite. (14 h 50)

Le Président: M. le député de Verchères.

M. Tremblay: Question additionnelle, M. le Président, comme je l'avais demandé, au premier ministre.

Le Président: M. le député de Gouin, brièvement.

M. Tremblay: Sur cette question de l'accès à l'information gouvernementale, je demanderai au premier ministre s'il est prêt à reconnaître que l'accès à l'information gouvernementale est un droit et non pas un privilège, pas seulement pour les députés, mais pour l'ensemble de la population. Et est-ce qu'il serait favorable à l'adoption par cette Assemblée d'une loi qui garantirait ce droit à l'information? Plusieurs pays ont des lois semblables; nous ici, au Québec, je ne crois pas que nous en ayons une.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Lévesque (Taillon): La réponse, c'est catégoriquement oui, M. le Président.

Le Président: M. le député de Verchères.

M. Tremblay: C'est quand?

M. Lévesque (Taillon): Le plus vite possible.

Le Président: M. le député de Verchères.

Projet de modernisation de la Raffinerie de sucre de Québec

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Le ministre de l'Agriculture est venu annoncer dans le comté de Verchères, précisément à Saint-Hilai-re, au sujet de la Raffinerie de sucre de Québec, l'automne dernier, un projet de modernisation de $32 600 000. Le ministre avait indiqué, à ce moment, que la mise en oeuvre de ce projet était conditionnelle à la participation du gouvernement fédéral pour une somme de plusieurs millions de dollars, $6 700 000, si ma mémoire m'est fidèle. Je voudrais demander au ministre de l'Agriculture ce qui est arrivé des pourparlers entre le Québec et le gouvernement fédéral depuis l'annonce des intentions du gouvernement du Québec. Et est-ce qu'il peut nous dire si une réponse pointe à l'horizon

concernant ce projet de modernisation, qui est passablement important pour les gens non seulement du comté de Verchères, mais de la grande région agricole de Saint-Hyacinthe-Mont-Hilaire?

Le Président: M. le ministre de l'Agriculture, essayez de faire rapidement s'il vous plaît.

M. Garon: M. le Président, il est exact que nous avons annoncé, à la fin d'octobre ou au début de novembre, un projet conditionnel à l'octroi de subvention de $6 700 000 par le MEER, sur des investissements de $32 500 000 — le reste des $26 millions étant assumé par le gouvernement du Québec — conditionnelle à l'acceptation, par le ministère de l'Expansion économique régionale, d'une subvention de $6 700 000. Les fonctionnaires fédéraux sont au courant de ce dossier depuis le mois d'août 1979. Le dossier a été remis officiellement à la fin d'octobre ou au début de novembre et on nous avait donné l'assurance qu'on aurait une réponse avant le 14 janvier 1980. Cela, c'est avant que soient déclenchées les élections fédérales. Je ne sais pas si les fonctionnaires sont un peu partisans ou non, mais on m'a dit que toutes les approbations étaient favorables du côté des fonctionnaires fédéraux, mais le dossier n'a pas été présenté, apparemment, au gouvernement en place. Il y avait peut-être des sympathies du côté des fonctionnaires, mais après le déclenchement des élections fédérales, ils nous disaient que le dossier serait présenté le 20 février. Depuis cette date, on n'a pas eu de réponse. Vous avez un exemple probant M. le Président: si tous nos impôts étaient payés au Québec, l'usine serait en construction depuis le mois d'octobre dernier.

Le Président: M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Je veux, d'ailleurs, signaler que j'ai personnellement écrit aux deux députés fédéraux de la région pour leur demander de pousser un peu sur le dossier. Je n'ai eu que des accusés de réception polis jusqu'à maintenant.

Je voudrais demander au ministre, compte tenu de ce qu'il vient de nous indiquer, si c'est exact que les hauts fonctionnaires fédéraux dont il est question, entre autres un fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture dont on s'est fait un plaisir, au gouvernement du Québec, de se débarrasser et qui a finalement trouvé une bonne "job" à Ottawa...

Deuxièmement, est-ce qu'il est exact que l'ancien ministre d'Etat chargé du Développement économique du gouvernement conservateur, M. De Cotret, avait annoncé officiellement à deux reprises, au cours de la campagne électorale fédérale, que cette décision avait été prise par le gouvernement précédent? Comment se fait-il, si cette décision avait été prise, que la réponse n'a pas encore été annoncée au gouvernement du Québec et aux gens de la région? Est-ce que c'était une promesse électorale des conservateurs qui se fiaient sur des hauts fonctionnaires libéraux? Ou est-ce que c'était effectivement une décision gouvernementale de dire oui au gouvernement du Québec et de donner ce qui était dû à la région de Saint-Hyacinthe, à Mont-Saint-Hilaire, c'est-à-dire une subvention de $6 700 000?

Le Président: Une minute pour la réponse, M. le ministre de l'Agriculture.

M. Garon: M. le Président, je peux vous dire que je ne me suis débarrassé d'aucun fonctionnaire. Ceux qui ont quitté pour aller à Ottawa y sont allés d'eux-mêmes.

Deuxièmement, concernant les déclarations de M. De Cotret, je n'en ai jamais entendu parler. Tout ce qu'on m'a dit, c'est que le candidat conservateur dans Saint-Hyacinthe disait que cela serait annoncé. Mais on n'a jamais eu de réponse officielle concernant cette question.

On m'a dit, par ailleurs, que les multinationales dans le domaine du sucre faisaient de grandes pressions auprès du gouvernement fédéral pour que le gouvernement fédéral n'accepte pas le projet québécois et ne le subventionne pas. Vous savez que, dans le domaine du sucre, ce sont des multinationales qui sont ici.

Le Président: Avant de mettre un terme aux questions — demain, M. le député de Jean-Talon — le ministre des Affaires culturelles et des Communications m'a signalé qu'il voudrait apporter un complément de réponse ou une réponse à une question qui a été formulée la semaine dernière.

M. le ministre des Affaires culturelles.

Des pressions ont-elles été faites pour utiliser les services d'une société particulière?

M. Vaugeois: Merci, M. le Président. Effectivement, ce n'est même pas un complément de réponse, c'est une réponse, parce que, la semaine dernière, je l'avoue, j'ai été totalement pris au dépourvu.

J'ai rompu avec la tradition des anciens députés de Trois-Rivières et le patronage est assez loin de mes préoccupations. On raconte dans Trois-Rivières que, quand les députés de Trois-Rivières étaient dans l'Opposition, ils dénonçaient le patronage et que, quand ils étaient au pouvoir, ils le pratiquaient. Je ne suis pas rendu là.

La question du député de Marguerite-Bourgeoys se formulait à peu près comme ceci: Le ministre a-t-il déjà fait des pressions auprès d'autres ministères? Il pourra la préciser tout à l'heure, si le coeur lui en dit, mais il revient là-dessus dans une sous-question en parlant encore de démarches de moi-même ou de mon cabinet auprès d'autres ministères. En me donnant l'occasion de répondre, M. le Président, vous avez déjà clarifié un élément. Quand je communique ou quand les gens de mon cabinet communiquent avec le sous-ministre des Communications, nous ne communiquons pas avec un autre ministère, nous communiquons avec l'un des deux ministères dont j'ai la responsabilité à ce moment-ci. Une petite nuance!

Deuxièmement, ce que les gens de mon cabinet ont fait, c'est qu'ils ont tranmis une lettre du député de Rimouski qui nous informait de l'existence... D'ailleurs, je le sais, M. le Président, je suis en train de donner des éléments de réponse qui sont connus de l'Opposition. Je m'étonne un peu d'ailleurs de leurs questions, mais, en tout cas, qu'ils me laissent continuer. Cela va? En tout cas, cela va y aller. Je vais déposer ces documents, M. le Président.

J'ai ici une lettre du député de Rimouski, qui a fait son travail et qui nous informe de l'existence d'une compagnie québécoise qui offre de tels services. Les gens de mon cabinet avaient le choix entre faire ce qu'on ne fait jamais, c'est-à-dire prendre une offre de services, une proposition d'un groupe de citoyens et la mettre au panier, ou plutôt la transmettre aux services administratifs. C'est ce qui a été fait.

Je vais déposer également aujourd'hui la note de transmission de cette personne de mon cabinet qui transmet aux deux sous-ministres tout simplement pour appréciation sur le plan administratif et non pas partisan, parce que les gens d'en face savent maintenant — ils l'ont vérifié depuis — que, sur les trois porte-parole de ladite compagnie, d'après les informations que j'ai prises maintenant, il y en a un qui est réputé être péquiste et il y en a deux qui sont réputés être libéraux, mais ni les gens de mon cabinet, ni les sous-ministres en question. Je vous rappelle qu'il s'agit de M. Deschênes et de M. Frigon qu'on ne peut quand même pas soupçonner. Ces deux sous-ministres ont apprécié la note transmise et la lettre du député de Rimouski, à la lumière des politiques en vigueur.

Je vais déposer, aux fins de rappel, et peut-être que ce sera carrément de l'information nouvelle, une note toute récente du 3 mars du Service général des achats, qui s'intitule: Concernant la location de biens meubles qui ne sont pas couverts par le répertoire des taux de location. C'est une directive officielle du Service général des achats. Je ne veux pas en donner lecture. Cela ne sert à rien d'entrer dans trop de détails. (15 heures)

Les deux sous-ministres ont apprécié l'information transmise, à la lumière de ces procédures du Service général des achats, qui s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de la politique d'achats du gouvernement, une politique qu'on a mise au point dès les premières semaines de la prise du pouvoir. Les sous-ministres ont fait leur travail. J'ai retracé, en fouillant le dossier, une note du sous-ministre adjoint à l'Industrie et au Commerce, M. Turgeon, qui a été plus rapide, je l'avoue, que nos propres services, et qui avait rejoint MM. Frigon et Deschênes avant même que nous l'ayons fait pour les informer de l'existence de la compagnie. M. Turgeon a pris soin de vérifier au ministère des Transports si le permis avait été obtenu, a vérifié tout ce qu'il fallait et a transmis l'information.

Comme le dit le député de Saint-Louis — je tiens à terminer là-dessus — tout ce mal, effectivement, pour informer...

J'aimerais terminer ma réponse sur une curiosité que j'ai eue de vérifier ce que fait le gouvernement fédéral. J'ai ici — tout cela pour une location de voiture, comme le dit le député de Saint-Louis — un rapport du groupe d'étude au sujet des concessions de location de voitures aux aéroports. Le gouvernement fédéral s'est payé une étude là-dessus. Je ne vous ennuierai pas en vous lisant ce qui nous intéresse aujourd'hui, mais je vous rendrai disponibles ces documents. Le ministre Otto Lang, en juillet 1976, émet des directives là-dessus, tendant à favoriser les entreprises canadiennes.

M. le Président, je termine. La politique du ministre Lang, qui tend à favoriser des entreprises canadiennes, a été critiquée par des maisons comme Avis — j'ai ici un télégramme d'Avis à Otto Lang — et la politique non seulement n'a pas été adoucie, mais elle a été renforcée en octobre 1979, et est expliquée dans ce document. Ce qui est bon pour Ottawa peut quand même être légitime pour le gouvernement du Québec.

Le Président: M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, si le ministre des Affaires culturelles copie le fédéral quant au patronage, je me demande pourquoi il veut se séparer.

M. le Président, est-ce que le député de Rimouski, dans sa bienveillante recommandation, avait inclus les autres "entreprises québécoises" qui font affaires à Rimouski?

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lalonde: Le ministre est-il allé jusqu'à se demander pour quelles considérations, s'il y en a, le député de Rimouski a fait une recommandation pour une société seulement, au lieu des sept ou huit autres québécoises — comme vous dites toujours — qui font affaires à Rimouski? Est-ce que le ministre s'est posé cette question?

Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et des Communications.

M. Vaugeois: M. le Président, je me suis posé beaucoup de questions et j'ai pris beaucoup de soin à préparer la réponse d'aujourd'hui, parce que pour moi, la question est importante. Il suffit, d'ailleurs, de voir le traitement que certains media lui ont donné pour que je sois justifié de la prendre au sérieux. Je pense d'ailleurs que, de la même façon, le député de Marguerite-Bourgeoys aurait pu prendre au sérieux sa question, parce qu'on fait tellement d'efforts pour se débarrasser d'une vieille tradition québécoise...

M. Lalonde: Question de privilège, M. le Président.

M. Vaugeois: Les privilèges sont les miens, à ce moment-ci, M. le Président.

M. Lalonde: Question de privilège.

Le Président: M. le député de Marguerite-Bourgeoys, sur votre question de privilège, ensuite, je vous céderai la parole, M. le ministre des Affaires culturelles.

M. Lalonde: M. le Président, c'est mon privilège de député de poser des questions. Je crois que je l'ai posée de façon très claire et très sérieuse. Je pense que les paroles, les qualificatifs du ministre sont injustes et non fondés. C'est donc ce privilège que je veux soulever, M. le Président, en disant: le ministre me dit que je ne l'ai pas traitée de façon sérieuse. J'aimerais plutôt que le ministre réponde à la question.

Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et des Communications.

M. Vaugeois: M. le Président, j'ai dit que je déposerais la lettre de M. Marcoux, député de Rimouski. Je ne veux pas la lire aujourd'hui. Je ne veux pas allonger cela. J'ai plein de documents qu'il serait intéressant de lire ici. Je les dépose, je les rends publics. Vous voulez que je lise la lettre. Allons-y. Ecoutez, M. le leader, vous ne consentez pas? Allons-y. Ecoutez, c'est un peu "niaiseux".

Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et des Communications, je voudrais vous souligner qu'on a déjà passé dix minutes sur cette question. Alors, essayez d'abréger un peu.

M. Vaugeois: M. le Président, vraiment, je ne cède pas à la provocation et je vais déposer ce document; on pourra le lire demain dans les journaux.

Des Voix: On la lira demain!

M. Vaugeois: On la lira demain si vous voulez, mais je réponds à la question du député: Pourquoi avoir agi dans ce cas-ci? Le député de Rimouski nous informe tout simplement de l'existence d'une nouvelle compagnie qui offre un service nouveau avec un jeu de franchises dans différents aéroports. Il ne nous dit pas, dans sa lettre, d'oublier les autres, de proscrire les autres, pas du tout. Et même, dans sa lettre, il nous demande comment on peut informer: "Le gouvernement et les sociétés publiques et parapubliques sont de grands consommateurs de services de location d'automobiles", écrit-il. La présente a donc pour but de vous faire connaître ce nouveau service, de vous demander de le faire connaître à tous les fonctionnaires qui dépendent de votre juridiction et à tous les fonctionnaires des sociétés gouvernementales dont vous êtes responsable." Là, il fait référence à la politique du gouvernement fédéral qui agit à peu près de la même façon.

Cela n'a pas été fait par mon cabinet; cela a d'abord été transmis aux deux sous-ministres concernés pour évaluation, à la lumière des politiques en place qui sont officielles et publiques. Les sous-ministres ont fait leur travail de transmission sans évaluation partisane, ne vous en déplaise, messieurs.

Le Président: Motions non annoncées.

Enregistrement des noms sur les votes en suspens.

Aux avis à la Chambre, M. le leader parlementaire du gouvernement.

J'appelle maintenant la reprise du débat sur la motion de M. le premier ministre sur la question référendaire. Je crois que l'ajournement avait été sollicité et obtenu par M. le leader parlementaire du gouvernement à qui je cède la parole.

Motion privilégiée relative à la question

devant faire l'objet d'une consultation

populaire sur une nouvelle entente

avec le Canada

Reprise du débat

M. Claude Charron M. Charron: Merci, M. le Président. Le journal Le Pays qui existait à l'époque nous dit ceci, dans son édition du 13 mars 1865: "La séance fut levée à 4 h 30 du matin, samedi. Les députés composant la glorieuse majorité, suivant le rapport, auraient chanté en choeur le "God save the Queen".

Après une séance où l'on venait de créer une nouvelle nationalité et de sacrifier la nôtre, nous comprenons qu'il était de toute convenance d'entonner l'hymne national anglais. Sur les 62 députés du Bas-Canada, à Toronto, 37 venaient de voter en faveur de la Confédération tandis que 25 s'étaient déclarés contre. Cependant, une analyse plus précise du vote montre que le projet d'adhésion du Québec à la Confédération n'avait été appuyé que par 27 députés canadiens-français sur 49. Mieux que cela, si on enlève, d'une part, les voix de M. Poupart et de M. Robitaille, qui représentaient les circonscriptions majoritairement anglophones de Pontiac et de Bonaventure et si on ajoute, d'autre part, celles de M. Holton et de M. Hungtindon, qui représentaient des comtés majoritairement francophones, on peut dire que parmi les 49 représentants des comtés francophones qui prirent part au vote, 25 votèrent pour l'adhésion du Québec, 24 s'y opposèrent.

Une Voix: 27.

M. Charron: Ce qui importe, M. le Président, c'est que ceux des nôtres qui s'y étaient opposés étaient non seulement battus...

M. Levesque (Bonaventure): Question de privilège. M. le Président, à moins que le leader parlementaire ne veuille me donner une leçon d'histoire — et je suis prêt à la prendre — à moins qu'il y ait eu des changements dans les frontières, il faudrait que je fasse une recherche, mais quand il dit que Bonaventure était un comté anglophone, j'aimerais bien qu'il me précise car à peine avons-nous 10, 11 ou 12% d'anglophones dans le comté de Bonaventure. Je suis prêt à prendre la parole du ministre, mais tout de même il y a eu des gros changements apparemment depuis quelques années.

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement. (15 h 10)

M. Charron: J'espère que ce n'est pas tout simplement pour m'interrompre que le député de Bonaventure a fait cette fausse question de privilège. Ce que dit l'historien que je cite est "qu'en 1865, le comté de Bonaventure était un comté à majorité anglophone."

De toute façon, M. le Président, ceux qui s'y étaient opposés non seulement avaient perdu, mais ils avaient préalablement perdu la demande qu'ils avaient faite que le peuple soit consulté. Antoine-Aimé Dorion, qui était député du Bas-Canada à l'époque, avait même déposé à la Chambre une pétition qui venait de 19 comtés du Québec, demandant que le peuple soit consulté avant ce changement. Des municipalités du Québec votèrent des résolutions, comme celle dont le député de Rivière-du-Loup a fait état, demandant que le peuple soit consulté avant qu'une décision aussi importante soit prise.

Dans sa motion présentée le 14 février, Antoine-Aimé Dorion disait ceci: "Un changement aussi radical des institutions et des relations politiques de cette province n'était pas prévu lors des élections générales et il faut que le peuple se prononce." Elle fut adoptée et le Québec s'en trouva, sans trop savoir combien de temps cela allait durer — qui aurait dit que ce serait 115 ans — dans une nouvelle constitution.

De quel changement radical s'agissait-il? En fait, on quittait ce qu'on appelle l'Acte d'Union, après un soulèvement où certains des nôtres ont laissé leur vie. Le Québec, alors le Bas-Canada, était, comme on le sait, uni dans un même Parlement avec le Haut-Canada, pour un gouvernement responsable. Nous avions le même nombre de députés, même si nous étions plus nombreux, et nous avions aussi dû assumer la dette que le Haut-Canada nous avait passée en nous fusionnant. La langue française avait même été abolie au moment de l'Acte d'Union. C'est le travail de certains des nôtres et la persistance qui avaient réussi à la réinstaller à l'intérieur de ce Parlement.

Mais, peu importe, comme on dit toujours, c'était déjà peut-être la nature des Québécois; on avait fini, au bout de 17 ou 18 ans de ce régime, par s'y accommoder. Mais quand, en 1861, les Anglais devinrent plus nombreux que nous sur le territoire — et, effectivement, le recensement de 1861 dit que les anglophones étaient devenus 1 396 000 et les francophones, 1111 000 à peine — la Confédération devenait donc possible. C'est à ce moment-là que notre peuple, divisé, avait à choisir et que nos députés, comme je l'évoquais tantôt, presque à 50-50, ont hésité jusqu'à la fin à se prononcer sur cette nouvelle proposition, car le choix était ambivalent.

Si je l'évoque aujourd'hui, c'est parce qu'il existe encore. Certains disaient: Allons-y dans la Confédération, nous aurons notre gouvernement provincial. C'était un peu un hameau qu'on leur offrait mais, déjà, on espérait en faire une forte- resse qui pourrait les défendre. De l'autre côté, d'autres disaient: Non, allons plutôt dans cette aventure qu'on nous propose; même si nous acceptons d'être une minorité pour toujours, même si nous abandonnons l'essentiel de nos pouvoirs économiques pour toujours, nous allons profiter du succès économique que la fusion des différentes colonies anglaises va nous apporter. Effectivement, ils avaient raison, ceux qui avaient cette thèse, ils l'ont d'ailleurs remporté. Car le Québec acceptait d'être une minorité pour toujours, et le Québec, dans la Confédération, acceptait de laisser les principaux pouvoirs de son développement ailleurs. "Johnny Macdonald l'a dit: Nous avons concentré la force dans le gouvernement général. Nous avons déféré à la Législature générale toutes les grandes questions de la législation. Nous lui avons conféré, non seulement en les spécifiant et en les détaillant, tous les pouvoirs inhérents à la souveraineté et à la nationalité, mais nous avons expressément déclaré que tous les sujets d'un intérêt général qui ne seraient pas expressément délégués aux Législatures locales seraient du ressort du gouvernement fédéré." C'était clair, M. le Président, mais ceux des nôtres qui s'opposèrent à cela savaient ce qui était en train de se préparer.

Si je fais cette description historique que j'arrête tout de suite, M. le Président, d'une question qui divisa ce peuple et nos représentants jusqu'à cette nuit de mars 1865, c'est qu'elle n'est pas encore tranchée. Les premières années — encore aujourd'hui, on pourra le dire, c'est la thèse de nos amis d'en face — ont donné raison à ceux qui parlaient d'un développement. C'est un fait que cette partie de l'Amérique a connu, pendant un certain temps, un développement sans précédent de son territoire. Notre appartenance à l'Amérique, notre appartenance aux découvertes, notre proximité de cet élan qui était continental à l'époque ne nous ont pas valu que des désavantages.

Ce développement de l'espace économique que nous partageons avec les Canadiens actuellement, il est souventefois venu, M. le Président, à partir du sud. Tantôt, nous en avons profité, tantôt nous l'avons subi, mais l'extraordinaire poussée que le continent nord-américain a connue au XIX siècle ne nous a pas échappé et nous a donné, il est vrai, une qualité de vie moyenne supérieure à une bonne partie de la planète. Mais ce développement remarquable, M. le Président, gigantesque, unique même dans une aussi courte période de temps dans l'histoire, les Québécois y ont participé, les Québécois y ont mis de leurs énergies, de leurs talents, de leurs bras.

C'est notre principale réalisation collective et personne aujourd'hui dans cette Assemblée ne songe à nous départir de cette réussite économique que, comparés à tous les peuples du monde, ceux qui vivent en Amérique du Nord ont réussi à se donner. C'est pour participer davantage à ce que nous avons déjà d'acquis, pour contrôler le développement futur afin que celui-ci

joue pleinement à notre avantage que cette Assemblée est aujourd'hui en train de mesurer comment nous allons nous lancer dans l'avenir et prendre le contrôle de notre avenir.

Les Québécois de l'époque, M. le Président, ceux qui, après l'adhésion des députés, apprirent tout à coup, même si on avait demandé qu'ils soient consultés, qu'ils venaient d'entrer dans un nouveau régime et que ce régime s'appelait le Dominion du Canada dont ils devenaient une province et qu'ils allaient — d'ailleurs c'était même écrit en toutes lettres — être limités à 65 députés. Quoi qu'il arrive dans les autres provinces, quelle que soit l'immigration, ici, c'était 65; nous étions plafonnés dans notre représentation.

Les Québécois, M. le Président, c'est vrai, ont peut-être cru très légitimement et très sincèrement et ils ont peut-être voulu devenir des Canadiens à part entière. Après tout, ce continent, nous avions été parmi les premiers à le découvrir. Joliette et Marquette venaient d'ici. Le Mississippi a été découvert par des gens qui étaient nés sur le bord du Saint-Laurent, et les Rocheuses, c'est par un Québécois qui venait d'ici. Avec cette habitude de coureurs de bois que nous avions, avec ce goût de nous lancer dans l'aventure, ce goût de foncer, cette Amérique nous était beaucoup plus familière qu'on ne le pense.

Mais c'est là que ceux qui s'étaient opposés à la Confédération se mirent à avoir raison. L'autre versant, la minorisation, l'absence des leviers économiques que nous venions de céder à un gouvernement que nous ne contrôlions pas, allait jouer désormais contre nous. Très tôt, nous comprîmes que si la Confédération nous avait établi un territoire, une province et un gouvernement régional, le dynamisme de la Confédération, d'abord à un sur quatre et puis à un sur cinq et puis à un sur six et puis jusqu'à un sur dix, allait nous confiner à ce territoire. Très tôt, les francophones du Québec découvrirent — comme ceux qui s'étaient opposés à la Confédération le leur avaient prédit — et comprirent ce que c'est que de débarquer à Toronto quand ton nom est québécois.

C'est ainsi, M. le Président, que la Confédération devint notre enchâssement entre les Maritimes et l'Ontario. Et de l'Ontario, on peut dire de cet Ouest qui était rempli de promesses, mais, où, pour y accéder, il fallait que les nôtres abandonnent leur langue, leur culture ou alors fassent une lutte sauvage pour avoir le droit de les maintenir; les nôtres, à qui on disait qu'ils étaient des Canadiens à part entière, à qui on avait fait valoir ce mirage pour qu'ils adhèrent à la Confédération, ont compris très vite que, dès qu'était franchi l'Outaouais ou dès qu'était franchie la Baie des Chaleurs, ils se mettaient eux-mêmes en danger.

Quand je parle des nôtres, ce sont ceux du Manitoba, les francophones qui, dès qu'ils devinrent une minorité en 1890, se virent refuser leur droit de parler leur langue dans leur Parlement d'une manière anticonstitutionnelle, d'ailleurs, comme on le découvrit 90 ans plus tard. Certains des nôtres qui travaillaient pour nous, qui croyaient qu'il s'agissait de leur pays ont été pendus en Saskatchewan devant toute l'insulte que ça causait aux Québécois d'ici.

Qu'est-ce qu'on a fait dans ces conditions, dans ce pays qu'on nous avait promis et qui nous échappait? Le repli, M. le Président. Le repli était devenu obligatoire. Cela allait conduire à un phénomène encore pire. Nous sommes devenus frileux, nous nous sommes sentis en danger, nous avons eu peur, nous avons voulu demeurer ce que nous étions. En ce sens, cantonnés au Québec, séparés du courant continental, nous avons cru bon de mettre tous nos oeufs dans le même panier au niveau fédéral. Nous avons fait un choix politique. Nous nous sommes livrés inconditionnellement, tellement nous avions peur, au seul et même parti politique fédéral qui, de tout ce temps, nous a manipulés à sa façon. Savions-nous qu'en mettant tous nos oeufs dans le même panier et en nous livrant inconditionnellement aux libéraux fédéraux nous nous livrions à l'Ontario? A ce moment-là, l'Ontario n'avait qu'à nous prendre ou à nous laisser. En mai 1979, l'Ontario a décidé de nous laisser et nous nous sommes retrouvés dans l'Opposition. En février 1980, il a décidé de nous reprendre; nous sommes revenus au pouvoir mais nous renoncions, par ce fait même, à jouer de quelque manière que ce soit sur le levier fédéral. Nous nous livrions pieds et mains liés à la majorité anglaise que constituait l'Ontario à ce moment-là.

Ce repli — j'ai presque envie de dire cette indépendance — que nous avions nous a valu des points car, cantonnés au Québec, confinés au Québec par la volonté même de la Confédération, nous n'avons pas hésité à prendre possession du morceau de territoire qui nous avait été confié et qu'il nous était permis de développer dans notre langue, selon notre volonté, selon notre culture. Il n'y a pas un coin du territoire qui nous a échappé: La région du Saguenay, d'abord, où on est allés planter nos villages; plus tard, l'Abitibi, où on s'est entêtés à défricher des coins qui nous étaient hostiles au départ. Comme le dit un de nos poètes, "nous nous sommes entêtés sur toutes les rives du golfe Saint-Laurent à jeter nos villages". Ce coin qui nous avait été confié, il n'y en a pas une parcelle qui devait nous en échapper. Les Québécois ont pris possession de leur territoire, se sont installés, ont mis leur mentalité à l'oeuvre, ont créé leurs villes, ont créé leurs coutumes, ont créé leurs commissions scolaires, ont créé leur réseau social qui leur appartenaient.

Nous avions la parfaite conviction, autant il était vrai qu'ailleurs ce n'était pas chez nous, qu'ici, c'était l'endroit où nous voulions demeurer. Notre langue, elle, constituait notre acquis. Si elle était un handicap dont on nous rappelait tellement la limite à chaque occasion où nous osions montrer le nez là où les terrains nous étaient interdits, elle est devenue une miraculeuse frontière qui nous a permis, aujourd'hui, d'aspirer et d'échanger dans une langue que nous comprenons. Cela nous a permis de développer notre mentalité. On trimait dur dans les régions. Le pays est sauvage, le pays est hostile. Mais là où nous nous installions, M. le Président, nous avons

développé cette mentalité, cette entraide dont les Québécois sont capables, cette vie de famille, cette vie de village qui a été, pendant des années, notre garantie de succès.

Et puis, on avait toujours la fête, un peu. Le violon n'était jamais très loin. La musique à bouche non plus. Notre folklore, M. le Président, s'est développé par lui-même, replié, indépendant à l'intérieur d'un continent qui nous avait été interdit. Nous avons fait contre mauvaise fortune bon coeur et avons développé ce territoire qui nous appartient.

En même temps, M. le Président, que sur ce territoire, avec notre langue et avec notre culture, nous étions en train de faire de nous un peuple normal, s'est ajoutée la dimension unique sans laquelle un peuple normal ne peut penser se développer. Il nous a pris le goût de durer. N'est-ce pas la richesse la plus forte, la plus évidente, la moins exploitable aussi, parce qu'elle est au fond de l'âme d'un peuple? N'est-ce pas, quand on a le goût de durer, l'énergie la plus renouvelable, un peu comme l'eau qui coule dans nos barrages? Même les libéraux aujourd'hui, tout soumis qu'ils soient, l'admettent que nous avons ce goût de durer. Ils l'admettent d'une telle façon, M. le Président, ils capitalisent sur le goût de durer qu'ont les Québécois au point de dire que nous pouvons demeurer une minorité éternelle, que nous pouvons ouvrir nos frontières à n'importe qui et à n'importe quelles conditions, que nous pouvons livrer notre école au libre choix ou à n'importe quoi, parce que le goût de durer va finir toujours, comme il l'a toujours fait, par nous sauver.

Ce qui nous divise, si nous sommes d'accord dans cette Assemblée pour dire que les Québécois ont le goût de durer, c'est que nous ici, nous ne comptons pas sur ce goût de durer comme une masse inerte sur laquelle on peut toujours se reposer en dernier lieu. Nous, le goût de durer des Québécois, on a le goût de le développer, de le harnacher comme on harnache une rivière, de le mettre à profit, de le mettre à contribution en lui laissant pour voir, ne serait-ce que pour voir, le contrôle de nos impôts, le contrôle de nos taxes. A moins que cette richesse fondamentale, cette plus grande richesse naturelle que n'importe quel peuple peut avoir qui est celle du goût de durer, nos amis d'en face n'aient le goût de la vendre, celle-là aussi, comme ils ont vendu nos forêts, comme ils acceptent encore de vendre notre amiante et comme, demain, ils voudront vendre notre électricité. Nous avons mis du temps à la transmettre, cette richesse naturelle dans notre peuple.

Un jour, M. le Président, le siècle dans lequel nous sommes et l'Amérique dans son élan nous ont rejoints. Puisque ce repli nous avait sauvés, il faut bien admettre qu'il nous avait coûté cher aussi. Quand l'esprit moderne du XXe siècle a atteint les rives du Saint-Laurent au même titre qu'il s'est répandu sur la planète en entier, alors il a bien fallu reconnaître que le régime nous avait incités à négliger de nous doter des sources nécessaires pour faire face aux risques normaux d'un peuple au XXe siècle.

Nous n'avions à offrir — pour paraphraser le mot célèbre — que des bras, du "cheap labor" et du coeur à l'ouvrage, mais nous y étions.

Nous découvrîmes ensemble, consternés, au début de ce siècle, après 50 ans de Confédération, et même avec un premier ministre fédéral qui parlait français, que nous n'avions pas eu notre part. On faisait les gorges chaudes, la semaine dernière, quand certains de mes collègues évoquaient comme statistique que nous n'avions que 13% des chemins de fer au Canada. Non pas que nous réclamions intégralement les 27% de ce que notre population représente, ce serait chose idiote, mais n'est-ce pas que le chemin de fer a été demandé aux apôtres du Grand Tronc? Demandez aux Macdonald et Cartier de la Confédération, n'est-ce pas que le chemin de fer a été, pendant un bout de temps, la source même du développement économique, que l'Ontario en a si largement profité à la fin du XIXe et au début du XXe siècle et, lorsque nous avons eu cette mince part du réseau ferroviaire canadien duquel dépendait le développement économique, n'était-ce pas un retard que nous accumulions et dont nous allions mettre des années à nous départir?

Alors, M. le Président, malgré cette différence, les Québécois, les Canadiens français, comme ils s'appelaient à l'époque, touchaient bien ça et là des retombées du développement économique de ce continent, voyaient bien leurs villes se développer, pouvaient, à l'occasion, profiter de certaines mesures, bien sûr, puisqu'ils payaient pour, c'était tout à fait normal. Cette infériorité que nous avions constante dans les revenus, ce taux de chômage que nous avions constamment plus élevé que la province voisine, cet handicap que nous avions à contrôler même la vie urbaine du Québec n'étaient pas un phénomène du début, du milieu ou de la fin de la Confédération, c'est un domaine permanent. Le produit interne brut, en 1978, la richesse collective au sens de la valeur totale par habitant, base sur laquelle on évalue non seulement le potentiel, mais la capacité de réalisation des peuples, pour l'Ontario, après 113 ans de Confédération était encore de 19% plus élevé que celui du Québec: $10 650 pour l'Ontario, $8948 pour le Québec. La moyenne canadienne était plus élevée que la moyenne québécoise. Pourquoi les Québécois doivent-ils toujours avoir la dernière part du développement économique ou la part la moins élevée qu'ils puissent espérer? (15 h 30)

M. le Président, quand, au début du XXe siècle, notre peuple découvrit que son repli lui avait coûté, dans le régime, une place qu'il aurait pu normalement espérer dans le développement économique, qu'est-ce qu'il nous restait? Certains des nôtres ont choisi l'exil à proximité de la frontière américaine où un certain nombre de Franco-Américains étaient déjà installés; c'était une incitation que plusieurs n'ont pas refusée. D'autres ont choisi de quitter les campagnes québécoises où

ils avaient grandi et vécu et ce fut la prise en charge de Montréal. Car, le croirez-vous et le croirons-nous aujourd'hui, Montréal fut, au cours de la Confédération, pendant un bon moment, une ville à majorité anglaise.

C'est lorsque la misère nous a chassés de nos rangs, c'est lorsque la difficulté de vivre nous a obligés à nous regrouper pour trouver du travail et profiter de l'industrialisation, que les anglophones contrôlaient à Montréal, que nous sommes arrivés en masse. M. le Président, dans le comté de Saint-Jacques, il y a encore des citoyens originaires du Lac-Saint-Jean, originaires de la Gaspésie, originaires de l'Outaouais, qui sont venus un jour, eux-mêmes ou leurs ancêtres, s'installer, prendre en charge Montréal, créer littéralement le Montréal français. Nous nous sommes installés alentour comme une deuxième solitude à côté de celle qui ne voulait pas nous voir. Nous avons pris charge de cette partie de Montréal. Nous avons encadré le parc Lafontaine. Nous avons pris en charge l'Est de Montréal où nous nous sommes installés comme peuple jusqu'à ce que nous soyons la majorité.

M. le Président, même devenus la majorité dans la ville de Montréal, le régime n'avait pas changé. Il fallait encore nous traduire, et cela jusqu'à il y a 3 ou 4 ans, ou plus, M. le Président, parce que nous avions accès aux grands magasins de l'Ouest de Montréal. Tous les Montréalais ont connu cela. Nous avons connu, aussi, au coeur même de Montréal, un maire de Montréal venu se faire littéralement enlever parce qu'il avait prôné, au sein de son peuple, de refuser la conscription à laquelle nous nous étions opposés par une majorité aussi éclatante que 4 sur 5 au moment où nous avions été consultés. Et puis, nous avons assisté, impassibles, dans le régime actuel, à la décision qui allait littéralement tuer le port de Montréal. L'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent allait enlever à ce plus grand port intérieur au monde que nous étions toute capacité de compter sur cet accès fluvial, unique au monde, que constitue le Saint-Laurent pour développer l'économie montréalaise.

M. le Président, ce n'est pas un phénomène nouveau. Au début du siècle, Montréal avait une dimension qui atteignait près de 3 fois celle de Toronto. Montréal était le plus important centre financier du pays, la ville par excellence des activités commerciales, manufacturières, publicitaires. Cette situation lui conférait le titre de cité économique. Le premier transfert de cette influence économique de Montréal au profit de Toronto devait se produire dès les années vingt, M. le Président, lorsque les banques montréalaises ont surestimé l'importance des possibilités de financement dans le domaine minier que l'on faisait miroiter à Toronto. Cette vision erronée a profité à Toronto. Le marché boursier démanagea peu à peu pour profiter des transactions sur les titres miniers, ce qui contribua à la création, en 1934 — les Montréalais se rappellent la crise — de l'ancien centre boursier de Toronto et, dans les années quarante, au fait que Toronto dépassa

Montréal pour la première fois au titre des transactions négociées.

Quand on compare le taux de croissance de Montréal, dans le régime actuel, M. le Président, et celui de Toronto, de 1941 à 1971, on constate que le taux de croissance de Toronto a constamment été supérieur à celui de Montréal. Dans les années quarante, alors que Montréal avait un taux de croissance d'environ 20%, Toronto connaissait un taux de 25%. Au cours des années cinquante, alors que la population de Montréal augmentait de 35%, Toronto voyait sa population augmenter de 45%. De 1961 à 1971, Montréal devait connaître un taux de croissance inférieur à 20% alors que celui de Toronto atteignait tout près de 30%. C'est ainsi qu'au terme des années soixante-dix Toronto surclassait Montréal et que la ville de Montréal perdait son titre de métropole.

Aujourd'hui, mes concitoyens de Saint-Jacques, les Montréalais et tous les Québécois qui reconnaissent l'importance de Montréal dans le développement du Québec savent, devant ce phénomène qui a joué contre nous depuis une cinquantaine d'années sans arrêt, que nous avons besoin d'une nouvelle entente et d'un nouveau régime qui reconsacrerait à Montréal la place d'importance qu'elle doit avoir à l'intérieur de notre société.

Rentable, le vieux régime? Avons-nous, à l'horizon, dans le vieux régime, quelque chose d'éminent qui puisse penser que Montréal puisse reprendre son titre, puisse reprendre sa croissance, puisse, pour les Montréalais, reprendre son développement? Rentable, le vieux régime, quand il a fallu faire des courbettes pour obtenir une contribution fédérale par loterie déguisée dans l'aventure olympique qui a assommé les finances publiques de la ville? Rentable, le vieux régime, pour Montréal, quand tout ce que cela a donné, au cours des dix dernières années, de gestes qui devaient économiquement développer Montréal, a été l'arrivée de l'aéroport de Mirabel, cette expropriation, au coeur du jardin québécois, de 93 000 acres dé terrain, dont seulement 17 000 acres sont aujourd'hui occupés? En même temps, les compagnies aériennes obtenaient la permission d'atterrir à Toronto plutôt qu'à cet éléphant blanc situé au coeur de la région que le fédéral avait choisie. Rentable, le vieux régime, pour Montréal, témoins les Montréalais qui passent chaque jour auprès de ce trou situé au coin de Dorchester et Jeanne-Mance et qui s'appelle le fameux complexe Guy-Favreau? Je n'ai rien contre ce trou, pourvu qu'il serve de tombeau au régime!

Rentable, le vieux régime, actuellement, pour Montréal, quand le gouvernement du Québec sur lui seul doit compter pour la construction du Centre des congrès et son établissement, alors que Toronto, avant même que d'avoir le sien en construction, est déjà assuré d'une subvention de $25 millions? Rentable, le vieux régime, honorable le vieux régime, pour les Montréalais, quand les membres de l'équipe de Montréal, dès qu'ils amènent le fait français dans n'importe quelle autre ville du pays, sont conspués comme si

c'étaient les représentats de la ville de Montréal?

M. le Président, on a beau me dire que le pays n'est pas la patrie ou que la patrie n'est pas nécessairement le pays, ou que le pays n'a pas les mêmes droits que la patrie, cela importe peu, ces raisonnements de fin de carrière ou de démission annoncée. Ce qui m'importe, comme le disait Solange Chaput-Rolland un jour, c'est que ces faits marquent les Montréalais, tous les Montréalais, bien plus qu'on le pense. Comme le disait Solange Chaput-Rolland, à la page 170 de son roman "Mon pays, Québec ou Canada ": "Vous savez, mon adieu au Canada anglais repose aussi sur une foule de petites choses sans importance, sans valeur constitutionnelle, sans implication politique, mais si profondément frustrantes et douloureuses que leur répétition a fini par me convaincre que si nous pouvons encore vivre sous le même toit, jamais plus nous ne devons espérer partager la même chambre". C'est la conviction des Montréalais, M. le Président.

Cette nouvelle entente, que les citoyens de Montréal sont les premiers parmi tout le Québec à souhaiter, je suis d'une génération qui la souhaite moderne et adaptée à cette fin du siècle. Je suis d'un comté qui la souhaite juste et équitable à l'égard des Québécois, cette nouvelle entente. Et pour qu'elle soit à la hauteur de ce que le Québec mérite et dont il a besoin, pour qu'elle conduise d'une façon sûre à nous faire tirer le meilleur de nous-mêmes, qu'elle soit un stimulus plutôt qu'un carcan, qu'elle soit une rampe de lancement, cette nouvelle entente, plutôt qu'une barrière.

Voilà la question que nous débattons maintenant: Est-ce que cette nouvelle entente dont Montréal a besoin, dont le Québec a besoin pour son développement peut venir par un rafistolage du vieux régime, par un replâtrage de la constitution? Est-ce qu'on peut, comme on dit, soigner d'une manière équitable, pour un retour à la santé ce que pourrait être la vieille Confédération qui s'étire sur 115 ans? (15 h 40)

J'en viens donc, M. le Président, à évoquer les deux hypothèses que nous avons devant nous. A tout seigneur, tout honneur, prenons la plus vieille, M. le Président, le mot "fourre-tout" que notre collègue de Gouin a gracieusement réintroduit dans le débat, cette grande nouveauté et cette auberge espagnole qu'on appelle le fédéralisme renouvelé. M. le Président, quand je pense au fédéralisme renouvelé et quand je vois les fédéralistes renouvelés, j'ai l'impression d'être devant une pièce — ce qu'on appelle un vieux boulevard — perpétuellement à l'affiche, une reprise constante où les comédiens libéraux et conservateurs s'échangent les textes et brouillent les reparties. On dirait que la garantie de ce que le régime ne change pas, c'est que tout le monde veuille le changer. Chaque premier ministre de province, chaque chef de parti politique fédéraliste a son petit projet de fédéralisme renouvelé sous le bras. C'est plutôt une farce, M. le Président, qu'un projet constitutionnel. Pirandello disait: Six personnages en quête d'auteur. Je dirais: Onze menteurs en quête d'une sortie, M. le Président!

Des Voix: Ah, ah!

M. Charron: C'est presque du vaudeville, M. le Président, et peut-être que le député de Bonaventure nous en donnera le plus récent numéro tout à l'heure.

Des Voix: Ah, ah!

M. Charron: Imaginez...

Des Voix: Ah, ah!

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, vu que j'ai été interpellé et comme cela va permettre au leader parlementaire du gouvernement de se reposer un peu, peut-être de revenir à ses sens, je voudrais en profiter, M. le Président, dans cette question de privilège, pour dire au leader parlementaire du gouvernement qu'il a non volontairement — parce que apparemment, c'est une citation — induit la Chambre en erreur lorsqu'il a parlé tout à l'heure du comté de Bonaventure. Je tiens à lui dire... Voici les chiffres du dénombrement de 1871, quatre ans après la Confédération: francophones, 9545; anglophones, 1799. Je tiens simplement à profiter de cette petite interruption pour dire au leader parlementaire du gouvernement que si le reste de ses statistiques sont aussi bonnes que celles qu'il vient de citer, j'ai bien des doutes sur la validité de son discours.

M. Charron: M. le Président, l'information que j'ai livrée à la Chambre est tirée de la page 265 d'un document qui s'appelle Les rouges, libéralisme, nationalisme et anticléricalisme de M. Jean-Paul Bernard. Je pourrai remettre la copie au député.

Une Voix: ... faire attention.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Charron: M. le Président, avec le député de Bonaventure, je peux dire que nous en sommes à notre troisième ou quatrième génération de fédéralistes renouvelés. On naît fédéraliste renouvelé. On meurt fédéraliste renouvelé. On transmet en héritage le fédéralisme renouvelé. C'est un peu un magasin général, M. le Président, vous y retrouvez les Broadbent, les Bennett, les Lougheed, les Davis, les Forget, les Peckford et comble de tout. M. le Président, les Lyon et les Chrétien!

Des Voix: Ah, ah!

M. Charron: M. le Président, la plus récente de ces psychanalyses du futur, le plus moderne de ces romans d'évasion et le plus gracieux de ces traités de politique-fiction, c'est notre ami le chef de l'Opposition qui vient de l'écrire. M. le Président, mes collègues avant moi — et je ne veux pas du tout m'attarder sur le contenu plus qu'il ne faut — vous ont dit ce qu'ils pensaient des propositions du livre beige adopté par le congrès libéral. Je veux parler seulement, M. le Président, de la pierre sur laquelle le chef de l'Opposition a voulu

bâtir son château de cartes et je le cite, M. le Président, pour qu'on ne me dise pas que je me trompe: "Nous avons délibérément omis dans ce rapport, dit-il, toute proposition qui nous apparaissait déraisonnable. Par conséquent, nous les défendrons toutes. Nous sommes la contrepartie à un autre groupe qui veut faire la séparation politique du Québec et tout cela va peser lourd dans la balance aux yeux de nos concitoyens du reste du pays".

Oui, M. le Président, vous allez voir comment cela va peser lourd dans la balance.

Les media rapportaient également que M. Ryan considérait sa proposition du conseil fédéral comme le pilier de sa réforme et que, si cela était rejeté, tout le projet s'écroulerait. Sachez, M. le Président, et apprenez-le, si vous ne l'aviez pas encore compris, que tout le pétillement, que toute la marche en avant du Québec depuis 20 ans, que toutes ces démarches des dernières années et ces revendications que les gouvernements bleus et rouges ont soutenues, tout cela devait aboutir et devait atterrir à la création du conseil fédéral. Le conseil fédéral, si je l'ai bien compris dans ce document, serait un peu le troisième oeil du régime, qui ne voit plus clair déjà depuis très longtemps. Ce serait une manière d'éditorial permanent qu'il y aurait sur les politiques fédérales. Le chef de l'Opposition, qui ne manque pas de modestie, a même prévu la répartition des sièges. Les Anglais ont dû adorer cela. L'lle-du-Prince-Edouard en a deux, Terre-Neuve en a trois, le Nouveau-Brunswick en a quatre, le Québec en avait une vingtaine, ce qui veut dire environ 25%, mais on nous a informés que les congressistes avaient fait sauter cette clause de 25% et on n'est même pas sûr de cette contribution. M. le Président, imaginez-vous que les élus d'Ottawa acceptent, imaginez simplement que celui qui gouverne à Ottawa actuellement accepte qu'un conseil de spécialistes issu de toutes les provinces et de toutes les régions se prononce, avise, sanctifie, bonifie des projets que lui, légitimement, a le droit de faire, puisqu'il est élu par la population!

Le reste de ce qu'il y a dans ce document, je n'en parle même pas. Pensez un instant que nos collègues proposent que l'article 133 de la constitution, celui qui nous oblige ici, nous, Québécois, à faire nos lois en français et en anglais, soit étendu à l'Ontario et au Nouveau-Brunswick, alors que les francophones ont même du mal à obtenir une école à Penetanguishene, voilà que le chef libéral propose que la langue française devienne langue officielle à la Législature de l'Ontario.

Quand les Ontariens, et non seulement les Ontariens, mais les Canadiens anglais ont vu cette proposition dans le livre beige, voici des réactions. Le Globe and Mail a de très sérieuses réserves sur le conseil fédéral, mais fait tout un éditorial sur l'éloge du système fédéral fait dans le document. Le Toronto Star émet l'espoir que les Québécois non seulement vont rejeter la souveraineté-association, mais aussi tout projet pouvant rendre le gouvernement, le Canada "unworkable". "Ryan's cure, dit-il, is worse than disease." Le remède que propose Claude Ryan est pire que la maladie qu'il veut soigner, disent-ils. Le Toronto Sun est aux abois, M. le Président: "Even worse than René's sovereignty association." Le Financial Post n'accepte ni la diminution des pouvoirs fédéraux, ni le conseil fédéral, pierre d'assise du document et du château de cartes du chef de l'Opposition. La Gazette écrit: "A king size bed of nails", ce que mon collègue de Saint-Jean appellerait un panier de crabes, ce conseil fédéral.

M. Ryan: Question de privilège, M. le Président.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ryan: Ce n'est pas la Gazette qui a dit cela; c'est M. Charles Lynch, dont l'esprit se rapproche du vôtre.

Des Voix: Ah!

Le Vice-Président: M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Que je sache, M. Charles Lynch est journaliste à la Gazette. M. Gwyn aussi est jpurnaliste à la Gazette. Il dit: "An offer that we have to refuse." J'ai l'Ottawa Journal, M. le Président; le Chronicle Herald, de la Nouvelle-Ecosse; le Winnipeg Free Press; le Vancouver Sun. Tous ces journaux, unanimement, désapprouvent le document qui vient d'être présenté par le chef de l'Opposition. Nous nous trouverions donc dans cette situation...

Le Vice-Président: S'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Charron: Que reste-t-il, M. le Président, aux Québécois comme possibilité? Est-ce que le chef de l'Opposition avait prévu cette réaction du Canada anglais? Il semble que non, M. le Président, quand on voit l'effort qu'il a fait pour passer le document au nom de M. Langlois. (15 h 50)

Mme Chaput-Rolland elle-même évoque, M. le Président, lorsqu'interviewée par Denise Bombardier le soir même du congrès du Parti libéral: "Je dis que la dimension québécoise est peut-être plus diluée qu'elle ne l'était dans le rapport Pepin-Robarts, qui y avait consacré un chapitre. Le document de M. Ryan est un document constitution-naliste et légaliste. Notre document — quand elle dit nous, elle parle de la commission Pepin-Robarts — était un contrat social. Je pense que les libéraux et les commissaires de M. Ryan doivent en avoir plein le dos de se faire constamment comparer à la commission Pepin-Robarts, parce que ça n'a pas été fait dans le même esprit."

Mme Chaput-Rolland continue même un peu plus loin dans l'entrevue: "Mais, par ailleurs, si vous faites une lecture exhaustive de ce document, vous allez vous apercevoir que les éléments

spécifiques d'une certaine québécité, pour parler comme les intellectuels, sont là, un peu plus diffus, moins ramassés, moins concentrés que dans notre rapport, mais sont là quand même", veut-elle nous assurer.

M. le Président, la pression de la commission constitutionnelle au Parti libéral a réussi à extirper du programme libéral toutes les revendications majeures du Québec, celles-là même que le parti libéral lui-même avait pendant longtemps portées. Une fois vidé de son contenu de revendications, dilué dans un canadianisme aveugle, provincia-liste par volonté et minoritaire par choix, le parti libéral... Est-ce que c'était par cynisme ou pour vous soulager l'âme que les militants libéraux ont accueilli avec frénésie l'annonce qu'il leur restait au moins le non de québécois? Plusieurs et d'autres encore qui se rajouteront n'ont pas compris que ce parti, qui fut un jour un parti important dans révolution nationale, sabre avec autant de voracité dans des demandes si naturelles et si longtemps soutenues par autant de gouvernements du Québec.

J'essaie de vous replacer non seulement dans la lignée du Québec, mais dans la lignée de votre propre parti; tout en sachant que votre non est québécois, votre non ne me revient pas, j'essaie de placer dans la vie québécoise ce revirement que lui a donné le chef du Parti libéral. Quand on abandonne, quand on rejette même les demandes traditionnelles que les gouvernements québécois, bleus ou rouges, ont maintenues ne serait-ce que par respect pour les hommes et les femmes qui les ont maintenues, qui nous en ont instruits, qui nous ont invités à les poursuivre, on peut ne pas partager notre opinion, bien sûr, mais il est malhonnête, pour reprendre le vocabulaire du chef de l'Opposition, frauduleux, quand son non est québécois, de dire, d'écrire et d'annoncer qu'on ne les réclame plus.

S'il fallait, M. le Président, que les Québécois disent non à cette chance de nous mettre en marche vers une nouvelle entente basée sur l'égalité de notre peuple, celui avec lequel nous partageons et avons partagé le développement économique de cet espace de l'Amérique du Nord, qu'arriverait-il? Qu'arriverait-il si nous nous trouvions devant le non? Le chef de l'Opposition n'aime pas être cité; je le sais mais, le 25 février 1977, vous saviez que, lorsque quelqu'un se mettrait à souhaiter ce que vous souhaitez maintenant, il pourrait se trouver qu'il travaille à l'encon-tre du Québec. "A supposer — disiez-vous — que la thèse souverainiste subisse un échec écrasant — ce que, je crois, vous souhaitez aujourd'hui — on retomberait vite, par contre, dans l'immobilisme constitutionnel; l'opinion anglo-canadienne serait trop heureuse de conclure — vous aviez raison — "business as usual". La possibilité de changements sérieux pourrait s'en trouver reculée pour longtemps."

Un des plus éminents membres de votre parti, celui-là même à qui vous vouliez refiler la paternité du document, a parlé franchement. "Le livre beige, disait-il à des militants libéraux au Club de réforme, a été bien accueilli en dehors du Québec. Il y a bien eu des réactions négatives — vous voyez que ça descend d'un cran — mais l'analyse que j'ai pu faire de ce qui s'est publié en dehors du Québec — ce que je vous citais, M. le Président — depuis le 10 janvier m'a convaincu que les réactions positives sont largement majoritaires. Ce qui me déçoit cependant — on descend encore d'un cran — c'est que cette réaction positive revêt un certain caractère négatif." "Je m'explique. Les propositions du livre beige — c'est M. Raynold Langlois éminent membre, président de la commission constitutionnelle du Parti libéral qui le dit — sont perçues moins comme étant un projet du Canada qui soit avantageux pour l'ensemble des Canadiens qu'un moindre mal face aux propositions du gouvernement québécois actuel. Entre deux maux, on choisit le moindre. Cette attitude négative me cause des appréhensions, dit cet éminent membre du Parti libéral, quand je m'interroge sur l'impact qu'aurait un vote négatif au référendum sur le désir de changement qui peut exister chez nos concitoyens. En effet, on peut soutenir, dit M. Langlois, que voyant l'option du gouvernement écartée, l'urgence disparaît de telle sorte que la question nationale deviendrait un sujet que l'on voudrait bien discuter, une bonne base de discussion, mais sans vraiment rechercher à lui apporter une solution à court terme."

Entrons dans les rêves du chef du Parti libéral pour un moment. Imaginons, pour un moment, que le chef du Parti libéral gagnerait le référendum, que son voeu le plus cher de gagner les élections par la suite serait réalisé et qu'il partirait un jour, fier de cette double victoire, avec le député de Saint-Laurent, avec le député de Laurier et qu'il s'en irait négocier. Restons dans cette hypothèse. Je dis au chef de l'Opposition, qui aime se faire photographier avec les premiers ministres des provinces anglaises: Ils seraient tous là pour vous accueillir, si vous arriviez, avec des fleurs artificielles comme celles que votre livre beige a reçues; ils seraient tous là, et vous savez pourquoi. Parce que cela fait des dizaines d'années qu'ils attendent un premier ministre québécois qui leur arrive avec un non. Autour de la table, toutefois, lorsque vous y seriez — et vous le savez, parce que vous les connaissez — ils vous expliqueraient, calmement, poliment, mais implacablement, que si vous avez gagné votre référendum, que le non que vous souhaitez l'a remporté et que si par la suite vous avez gagné vos élections, c'est grâce à leur appui. On n'a rien pour rien.

Davis, dont le nom est ontarien, Lougheed, dont le nom est albertain, vous rappelleraient qu'ils se sont déplacés pour venir se faire photographier aux côtés de vous et qu'en conséquence vous leur devez quelque chose, l'électricité, par exemple. Il y a des centaines d'hommes d'affaires qui sont, aujourd'hui, actifs dans différentes petites et moyennes entreprises du Québec qui ont réussi — ils sont même nombreux dans votre parti — qui vous diraient que négocier avec un non accroché au pied, sans faire jouer en notre faveur tout le potentiel humain, financier et économique du Québec, c'est négocier en perdant.

Le chef de l'Opposition non seulement croit, mais a déjà écrit dans le document de son parti qui s'appelle Choisir le Québec et le Canada, qu'au lendemain d'un non, croyez-le ou non, M. le Président, gagné au référendum, alors, presque par enchantement, les négociations bloquées depuis des années s'ouvriraient en sa faveur, un peu comme si on le récompensait. Il me fait penser, M. le Président, à ce personnage qu'un de nos humoristes fantastiques a évoqué, celui qui pour gagner une augmentation de salaire, va couper le gazon du "boss".

Oui, M. le Président, j'ai bien l'impression que celle qui avait raison par-dessus tout en évoquant les possibilités du non, c'est celle qui disait que, si malgré la force que nous représentions, si en dépit d'une consultation à l'échelle pancanadienne des dix provinces, nous, de la Commission Pepin-Robarts, disait Mme Chaput-Rolland, avons échoué à changer le grand ordre fédéral alors pourquoi imaginer que Claude Ryan, libéral, partisan, chef de l'Opposition d'une seule province, qui de plus est la province la plus discutée et la plus détestée du pays, pourra réussir à imposer ses propositions au gouvernement canadien? Je ne sous-estime en rien les qualités exceptionnelles de Claude Ryan, mais pourquoi réussirait-il là où nous avons échoué? (16 heures)

M. le Président, quel est le moyen d'obtenir la meilleure entente, celle qui nous soit la plus respectueuse? C'est celui de mettre le poids du peuple dans la balance en notre faveur, maintenant, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Après des années, notre évolution, plutôt le contraire, le manque d'évolution du régime nous oblige à recourir à cet instrument fondamental, mais sans équivoque et sans retour, qui s'appelle la décision d'un peuple souverain. Le mandat de négocier que recherche le gouvernement lui viendrait directement du peuple; le gouvernement serait fort et pourrait jouir, durant la période de négociations, de toute cette force s'il avait, au moment du référendum, un oui de la majorité de la population.

La question posée par le premier ministre vise à faire intervenir le peuple du Québec dans une négociation bloquée et destructrice pour les deux nations. Lui seul peut trancher, mais son intervention pose l'exigence d'une nouvelle entente parce que le peuple est souverain. Voilà pourquoi les araignées du vieux régime qui ont fait leur bonheur dans la poussière de la vieille entente s'insurgent et se rebiffent. Elles sont capables d'absorber dans leur toile tous les politiciens de toutes les couleurs, mais elles reconnaissent que le poids du peuple est un facteur déterminant. Quand un peuple intervient, on change de niveau; quand il est intervenu, on a changé de niveau. Le gouvernement qui en sort gagnant ou perdant est amoindri ou enrichi. Le référendum, c'est prendre tout le poids d'une décision aussi longuement mûrie et démocratiquement prise, la déposer selon notre droit le plus légitime dans le plateau de nos négociations éternelles avec nos voisins afin d'orienter d'une manière déterminante ce que nous voulons.

Le gouvernement affirme clairement dans cette question, M. le Président, que, selon lui et une majorité déjà perceptible de nos concitoyens, cette égalité moderne n'existe entre nos deux peuples que si chacun a le contrôle de ses impôts, de ses lois et de ses relations extérieures. Si le gouvernement du Québec obtient ce mandat, si le poids du peuple, désormais, joue dans cette négociation pour l'avenir du Québec, qu'est-ce que nous pouvons espérer? Qu'est-ce qu'il y a de changé le lendemain? Rien, M. le Président. On continue tous à travailler le lendemain du référendum, on continue tous à payer des taxes à Ottawa, on continue tous à recevoir de l'assurance-chômage ou des pensions de vieillesse le lendemain du référendum. Rien de cela n'est changé, mais tout est changé à un autre niveau parce que le gouvernement du Québec peut maintenant négocier avec l'appui de la population; il peut désormais revendiquer, lorsqu'il s'assoit à la table, qu'il tient son mandat de la population du Québec. S'il obtient un oui, le gouvernement du Québec sera autorisé à négocier une nouvelle entente qui ne saurait être atteinte sans que l'égalité, selon la façon des peuples souverains associés ensemble, n'ait ici son application.

Cette nouvelle entente, si nous en recevons le mandat, sera négociée, bien sûr, au vu et au su des citoyens à l'origine du mandat et qui seront la force même de ce mandat, mais cette nouvelle entente, puis-je le rappeler, n'entrera en vigueur que si les citoyens, par un deuxième référendum, ne l'endossent et ne l'agréent. Puisque cet engagement figure dans le texte même de la question, constitue l'engagement on ne peut plus solennel de cette nation, est-ce qu'on peut espérer que les citoyens et citoyennes du Québec consentent, choisissent, optent ensemble d'intervenir enfin à leur tour dans la négociation en vue de cette nouvelle entente dont les Québécois ont besoin, dont les Montréalais ont besoin et dont l'ensemble de toute la vie collective et économique, sociale, politique même du Québec a le plus urgent des besoins. La voie que nous trace le vieux régime est bloquée, est finie; la seule façon de la débloquer, c'est qu'au cours de ce référendum du printemps 1980 nous rajoutions dans la balance qui nous a été défavorable, éternellement nuisible depuis le début, le poids d'une décision sagement et mûrement prise par les Québécois. (16 h 10)

Par la suite, M. le Président, je suis convaincu que les Québécois seront ébahis, eux-mêmes, de leur succès, qu'ils connaîtront, eux-mêmes, la marche qu'ils suivront, eux-mêmes, la marche de leur poids, la marche de leur force qui n'avait préalablement jamais été utilisée. Voilà le sens, voilà l'espoir, M. le Président, et voilà l'occasion historique qui se présentera le printemps prochain de nous ouvrir et de nous offrir la voie de l'avenir. Merci, M. le Président.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le leader parlementaire de l'Opposition officielle, vous avez maintenant la parole.

M. Gérard D. Levesque

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, celui que nous venons d'entendre a terminé son intervention qui a duré une heure. On sait que nos honorables amis d'en face sont bien forts sur l'égalité, d'égal à égal, mais on sait que vis-à-vis l'Opposition officielle, ils ont deux fois plus de temps que nous, et pour l'heure que vient d'utiliser le leader parlementaire du gouvernement, je vais être obligé de suivre le règlement et m'en tenir à pas plus de vingt minutes, M. le Président.

Cependant, M. le Président, devant ce leader parlementaire du gouvernement qui termine son intervention en parlant du mandat de négocier, du déblocage, de la nouvelle entente, aurons-nous le droit — je pense qu'on a le droit, M. le Président, qu'on a ce droit — simplement de rappeler les paroles de ce même leader parlementaire du gouvernement, le député de Saint-Jacques, rapportées par la revue L'Appel de janvier 1979? Question: Ce qui laisse sous-entendre que vous auriez une politique étrangère? Réponse de M. Charron: Autonome, étant entendu que nous avons déjà fait connaître notre intention de participer au système de défense nord-atlantique, comme nous en faisons déjà partie par le biais du Canada. Le Québec s'inscrirait donc à l'OTAN. Nous n'avons d'ailleurs pas le choix. Le cas échéant, je pense que les amis d'en bas nous le rappelleraient assez vite. Question du journaliste: Militairement, il y aurait donc une armée québécoise pour vous aider à remplir vos engagements atlantiques? Réponse de M. Charron: Oui, c'est cela. Question du journaliste: Donc, c'est quand même une forme d'indépendance que vous proposez aux Québécois? Réponse de M. Charron: C'est l'indépendance.

Une Voix: Ce n'est pas une entente, ce n'est pas une entente!

M. Levesque (Bonaventure): Question du journaliste: En conclusion, nous pouvons dire que le concept de souveraineté contient l'indépendance? Réponse de M. Charron: Nous avons ajouté le terme d'association à la fois parce que nous pensons que l'économie du Québec trouvera un avantage à maintenir des liens économiques avec le Canada et aussi pour des raisons tactiques.

M. le Président, je pense qu'il faut justement associer ce que nous disent au cours de ce débat nos honorables amis d'en face avec ce qu'ils nous ont dit jusqu'à maintenant. Il est important, je pense, M. le Président, avant d'entreprendre cette brève intervention, que nous situions ce débat là où il se doit. C'est la loi 92 qui a prévu qu'au cours de 35 heures nous pourrions discuter d'une question, la question du référendum. Il était bien indiqué là-dedans que la raison pour laquelle il y avait un débat était justement de voir s'il y avait une question pertinente, une question claire, de regarder le libellé de la question, autrement dit, pour la protection du public.

C'était là le but recherché par le législateur. Or, M. le Président, vous êtes tellement témoin de la situation que nous vivons qu'à trois reprises vous êtes intervenu pour demander à ces honorables amis d'en face de s'en tenir à la pertinence du débat et de parler de la question.

Or, ils ont continuellement parlé à côté de la question. Ce qu'ils ont fait, c'est de suivre les directives de M. Doris Lussier: faire le procès du fédéralisme et dire que tout ce qui allait mal au Québec c'était la faute du régime fédéral. Voilà le débat, voilà le propos de nos amis d'en face? Jamais n'a-t-on parlé de la question elle-même et comment elle devait correspondre aux promesses du Parti québécois.

Quelles étaient ces promesses du Parti québécois? Tenir un référendum sur l'indépendance du Québec. Voilà la seule promesse que ce gouvernement ait faite. C'est ainsi qu'on s'est fait élire le 15 novembre 1976 en disant à la population du Québec: Ne vous inquiétez pas, votez pour nous et vous aurez un référendum sur la question constitutionnelle qui portera sur l'indépendance du Québec. D'ailleurs, nous pouvons prendre citation sur citation et vous le prouver très facilement, M. le Président, et tout le monde le sait, que ce soit à New-York où le premier ministre s'est rendu immédiatement après les élections, pour dire: Nous allons poser la question aux Québécois. Là il parlait ouvertement de l'indépendance du Québec qui était irréversible, bien qu'il n'ait jamais eu de mandat pour le faire. Il est allé à Paris où il a parlé du nouveau pays. Partout, il disait: Les Québécois auront l'occasion de se prononcer sur l'indépendance du Québec.

Ce que nous devons faire, aujourd'hui, ce que nous devons faire dans tout ce débat, c'est de regarder si cette question correspond à la promesse du Parti québécois. Nous n'avons jamais fait la promesse d'avoir un référendum. On connaît la position qui est la nôtre; nous voulons que le Québec demeure à l'intérieur du Canada. Nous sommes contre la séparation du Québec, nous avons à coeur les intérêts véritables des Québécois et nous croyons fermement que cet intérêt des Québécois se retrouve dans le fédéralisme canadien, dans le Canada, dans ce Canada que nous allons continuer de défendre et comme Québécois et comme Canadiens.

C'est le Parti québécois qui a fait la promesse. C'est un engagement du Parti québécois. Lorsque l'on dit que tout ceci se situe au-dessus des partis politiques, je dis: Mon oeil! Pas de partisa-nerie, mon oeil! M. le Président, il y a un parti qui est impliqué, qui est identifié à une option séparatiste de souveraineté-association, d'indépendance, c'est le Parti québécois. Prenez tous les autres partis politiques au Québec et au Canada et vous n'avez pas de ces gens qui veulent briser le pays comme le Parti québécois veut le faire. C'est son option que l'on doit retrouver, cette option qui est celle du Parti québécois et qui est sa raison d'être.

Nous avons, aujourd'hui, un référendum voulu et promis par le Parti québécois. C'est le Parti québécois avec sa majorité qui a fait la loi 92 sur la consultation populaire. C'est le Parti québécois qui a établi les règles du jeu. C'est ce gouvernement, autrement dit, qui a même, au cours de ces débats, fait en sorte que, malgré vos instruc-

tions, malgré vos directives, tout se fasse de la façon que cela se passe, c'est-à-dire un exercice de propagande.

Nous allons maintenant regarder ce que notre devoir nous appelle à faire, la question proprement dite. Où est-elle? Nous l'avons ici, M. le Président, au feuilleton. C'est notre devoir de législateur de voir si cette question correspond à la promesse et à l'engagement du Parti québécois. Vous avez là une question, comme on l'a dit bien souvent au cours de ce débat, à cinq volets: l'égalité des peuples, c'est le drapeau au-dessus de l'édifice; ensuite, vous descendez un étage et vous avez la souveraineté, l'indépendance; ensuite, vous avez, un autre étage plus bas, l'association économique et, au sous-sol, le deuxième référendum. (16 h 20)

Mais au rez-de-chaussée, vous avez la nouvelle entente, le mandat de négocier, le Canada. Tout ce qui est le plus beau à l'affichage, au rez-de-chaussée, justement à la hauteur des yeux du citoyen qui passe. Mais vous avez dans cet édifice, M. le Président, qui est cette question, le poison que vous savez et refusé par les Québécois. Vous avez là votre indépendance. Elle se situe en caractère très fins dans le deuxième paragraphe du préambule. C'est là que cela se retrouve, M. le Président, et c'est là ce qui permettra au gouvernement actuel, si jamais les Québécois votaient oui, de dire: Vous avez voté — vous le saviez, c'était écrit — vous avez donné pour la première fois une adhésion au principe de l'indépendance du Québec, de la souveraineté-association, appelez-le comme vous le voudrez. C'est ce que vous voulez par cette question.

Vous auriez pu être beaucoup plus transparents. Vous auriez pu avoir une question — et vous avez encore le temps de le faire — qui corresponde à votre option, qui corresponde à vos engagements, qui corresponde à l'article no 1 de votre programme. Vous prendrez l'amendement proposé par le chef de l'Opposition, amendement qui est clair. Ce serait, il me semble, M. le Président... Pourquoi s'oppose-t-on de l'autre côté à un amendement comme celui-ci? La question se lirait: "Le gouvernement du Québec a fait connaître dans son livre blanc son projet d'un nouveau régime politique pour le Québec. En conséquence, 1. Pensez-vous que le Québec devrait devenir un Etat souverain? OUI NON 2. Dans l'affirmative, pensez-vous qu'un Québec souverain devrait rechercher par voie de négociation une association économique avec le reste du Canada? OUI NON. C'est trop simple. Cela représente trop ce que vous avez promis. Pourquoi arrivez-vous avec cette question complètement remplie de confusion, d'ambiguïté? Vous aurez une réponse qui équivaudra à la question. La qualité de la réponse équivaudra à la qualité de la question.

M. le Président, si on me permet simplement de vous rappeler ce que le programme du Parti québécois — je le rappelle à ces gens — l'édition de 1970, au moment où ces gens avaient encore à la bouche le mot "transparence", où on avait en- core un peu de virginité apparente dans ce groupement, voici ce que l'on disait — vous vous en rappelez sans doute, M. le Président — en parlant du référendum. A ce moment-là, on parlait du principe d'un référendum. On disait ceci, M. le Président: "Les référendums devront offrir au peuple québécois — et vous le relirez dans votre programme — des options claires et distinctes, des formulations non ambiguës. Les questions devront être scindées selon la spécificité des projets soumis, de façon à permettre l'expression de choix véritables." Voilà, M. le Président, quelque chose qui devrait être rappelé à nos honorables amis d'en face.

M. Ryan: Quel recul!

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je sais fort bien que tous ces amis d'en face, à quelques exceptions près, ne sont pas responsables de la question. D'ailleurs, ils l'ont apprise quelques minutes avant que nous entrions en Chambre, quelques minutes après que le caucus libéral l'eut lui-même connue. M. le Président, je sais fort bien que 98% de nos amis d'en face ne connaissaient pas la question. On l'a triturée. On l'a torturée. On l'a travaillée jusqu'aux petites heures de la nuit avant l'annonce pour la changer encore. Voilà la vérité et que le vice-premier ministre se lève et me dise le contraire!

M. Morin (Sauvé): C'est faux! Le Président: A l'ordre! A l'ordre!

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, on a...

Une Voix: Le ministre des Finances...

M. Levesque (Bonaventure): Oui, le ministre des Finances est peut-être l'un des meilleurs témoins, mais je ne veux pas l'impliquer à ce moment-ci.

M. le Président, lorsqu'on entendait le député de Vanier, mon bon ami, dire, et je cite la Presse de Montréal du jeudi 4 octobre 1979: "C'est pourquoi la population sera appelée à se prononcer sur la question d'un mandat de négocier la souveraineté-association, a indiqué M. Bertrand, précisant que la formulation de la question va faire toute la différence." M. le Président, il reprenait simplement une idée de notre bon ami, le ministre des Affaires intergouvernementales, le père du référendum, qui disait, à un moment donné, en mai 1978, en parlant de nous... Que disait-il, le bon ministre, le bon père de l'étapisme? Je le cite. "Ils vont avoir l'air fou quand ils vont connaître la question." Voyez-vous la transparence, M. le Président, dans cet exposé? Voyez-vous la recherche de l'intérêt public, M. le Président? (16 h 20)

Le grand organisateur du Parti québécois, le ministre de l'Environnement, disait ceci en novembre 1978: La question sera rédigée non pas de

façon à correspondre à l'engagement du Parti québécois, non, la question sera rédigée de façon à aller chercher le nombre maximum de oui à l'extérieur du parti. Voilà, M. le Président, qui caractérise ces gens-là.

M. le Président, est-ce que je puis rappeler que, lorsque je disais qu'il n'y avait pas grand monde de l'autre côté qui avait participé à la rédaction de la question... On voit, par exemple, que le député de Rosemont, pour qui j'ai beaucoup de respect, était cité par la Gazette du 25 mai 1977: "Paquette, a member of the special caucus committee working on the referendum, said Saturday, during an interview taped in Montréal for a CTV network program, that the referendum should give three or four options." Il disait que ce référendum devrait permettre à la population du Québec d'avoir à choisir.

Présentement, le citoyen québécois n'a pas de véritable choix. Il n'a comme choix que de dire non au Parti québécois, que de dire non à cette question piégée et truquée. Pourquoi, lorsqu'on a réellement à coeur l'intérêt des Québécois, lorsqu'on veut permettre à cette grande société de pouvoir exercer un choix véritable, n'aurait-on pas une question qui traduise les différents courants de pensée qui existent présentement au Québec? Non, plaçons tout le monde sous des parapluies inventés par le Parti québécois, deux seuls parapluies, et mettons les gens qui sont en faveur de l'indépendance d'un côté et tous les autres sous l'autre parapluie. Faisons attention de parler de l'indépendance, parce qu'on se rappelle toujours les directives, en toute transparence, reçues du bon ami du premier ministre, notre bon ami à tous, le père Gédéon.

M. Ryan: II va prêcher le oui à différents endroits.

M. Levesque (Bonaventure): Lorsque nous relisons ceci, on comprend mieux ce que disait M. Doris Lussier, le 21 juin 1978, dans une lettre aux camarades: "Notre première priorité dans l'ordre de l'action, c'est d'obtenir un oui au référendum coûte que coûte." Je continue avec une autre citation de la même lettre. Lorsqu'on parle d'utiliser l'argent du public à des fins de propagande souverainiste préréférendaire, on dit: "Les bons moyens, ce sont ceux qui donnent la victoire. Il y a même certains cas où, comme dit l'autre, non seulement la fin justifie les moyens, mais les ennoblit." Ecoutez cela, M. le Président, et on comprendra le genre de discours tenus par nos amis d'en face depuis deux semaines lorsque l'on voit la directive no 4 que vous avez lue, chacun, que vous avez assimilée tellement vous incarnez ce que demande justement cette directive: "La quatrième leçon des faits, c'est qu'il va falloir chauffer à blanc le nationalisme québécois."

Une Voix: Des robots! M. Ryan: Ayoye!

M. Levesque (Bonaventure): C'est cela, M. le Président...

M. Ryan: C'est cela qu'ils font.

M. Levesque (Bonaventure): ... que l'on retrouve dans les directives aux camarades. Il y a également ceci dans la stratégie et je cite...

Une Voix: Le mot d'ordre.

M. Levesque (Bonaventure):... M. Doris Lussier: "II ne faudra pas prononcer le mot "indépendance" une seule fois." Vous avez bien compris?

M. Ryan: On ne l'a pas entendu une fois.

M. Levesque (Bonaventure): "Un traitement d'égal à égal, les Québécois vont acheter cela."

Des Voix: Ah!

M. Levesque (Bonaventure): C'est cela le respect que vous avez pour les Québécois. Cela traduit bien ce que vous en pensez. Ils vont acheter cela. Mais je vous dis qu'ils n'achèteront pas votre patente. Ce sera un non retentissant que vous allez avoir. C'est cela que vous allez avoir.

Je continue: "La seule façon au Québec de faire l'indépendance, c'est de ne jamais en parler." Finalement, M. le Président, une autre perle. On a vu exactement le discours de nos amis d'en face depuis que ce débat est commencé, c'est la tactique. Qu'est-ce que la tactique? Tout mettre ce qui va mal au Québec sur le dos du gouvernement fédéral. Voici exactement le résumé des discours que nous avons entendus de nos amis d'en face depuis le commencement de ce débat, même que nous les avons entendus à satiété, parce qu'ils ont toujours eu deux fois plus de temps que l'Opposition officielle pour les faire.

J'espère, M. le Président, dans les quelques minutes qui me restent... J'aurai d'ailleurs l'occasion d'y revenir; je pense qu'on a une petite banque. Peut-être pourriez-vous l'augmenter dans votre grande sagesse voyant ce qui s'est passé, voyant que tout le débat s'est fait entre les tenants du oui et les tenants du non et non pas sur la question. Quant à nous, nous avons essayé de toujours ramener ce débat sur la question. Je pense qu'à un moment donné, peut-être que les remords, la sagesse, l'expérience — que dis-je — feront que vous allez suggérer au gouvernement de faire preuve d'un peu de décence.

Tout de même, dans les quelques minutes qu'il me reste, j'aimerais simplement, dans ce souci de transparence que nous avons devant nous, citer l'honorable premier ministre, qui s'adressait au Point, le 11 février 1980 — cela ne fait pas longtemps. Question: Pourquoi demandez-vous au peuple québécois la simple permission de négocier avec Ottawa? Ne serait-il pas plus honnête de lui demander s'il est ou non pour l'indépendance? Réponse: On aurait pu, bien sûr,

poser aux gens une question suffisamment brutale pour être sûrs de perdre mais nous ne sommes pas complètement idiots.

Or, devant un tel témoignage, comment pouvons-nous dire que la question qui est posée correspond aux critères d'honnêteté, d'objectivité, de concision, de clarté qui feraient que nous ayons une réponse significative et valable? M. le Président, tout est là, tout ce débat devrait se centrer et se concentrer autour de cette question que finalement nous allons retrouver sur les bulletins de vote. On m'a même dit que le directeur des élections était un peu en peine pour le bulletin de vote. Il avait à choisir entre soit mettre la question en caractères microscopiques ou agrandir le trou de chacune des boîtes de scrutin tellement la question est longue et confuse. Je comprends tellement cette préoccupation mais c'était simplement pour vous dire qu'alors que nous avons eu des référendums où c'était simplement un oui ou un non, une question très brève, aujourd'hui nous avons une question et un préambule d'environ 135 mots et cela dans chacun des bulletins de vote. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas adopter l'amendement proposé par le chef de l'Opposition?

Lorsque je regarde nos amis d'en face, je pense à toutes leurs préoccupations dont ils nous ont fait part pendant des années et surtout depuis un an ou deux où ils nous parlent de tout ce qu'ils vont faire et tout ce qu'il faut faire pour protéger le consommateur québécois. On a passé de heures, des jours et des semaines à préparer des projets de loi pour protéger le consommateur québécois et on sait combien l'Opposition officielle et les oppositions ont travaillé dans le même sens. Mais, cette préoccupation, est-ce qu'elle se limite pour le Parti québécois à protéger les ménagères québécoises contre les vendeurs de chaudrons à domicile ou est-ce que ça ne pourrait pas entrer dans une question qui touche l'avenir collectif des Québécois? Est-ce qu'à ce moment-là on ne devrait pas apporter un minimum de préoccupation, de sincérité, d'objectivité et de transparence pour nous offrir une question qui corresponde aux engagements du Parti québécois pour que nous ayons justement une question claire et précise, une question courte qui aurait au moins le mérite d'être honnête, de correspondre aux engagements de nos amis d'en face et qui permettrait une réponse valable? (16 h 30)

M. le Président, je termine avec ceci. Ce sera pris sur notre temps de toute façon. Je sais que cela n'inquiète personne mais je terminerai en disant ceci: Mandat de négocier, c'est ça qu'on veut vendre présentement jusqu'au moment du référendum proprement dit. On parle de mandat de négocier et de déblocage. Mais négocier quoi? C'est cela la question. Qu'est-ce que vous voulez négocier? Avec qui voulez-vous négocier? Comment voulez-vous négocier? Pourquoi un référendum pour négocier? Vous auriez pu négocier pendant les quatre ans ou presque que vous êtes au pouvoir. Vous n'avez pas négocié. Vous avez regardé passer les miettes. Vous avez regardé passer le train, comme dirait le ministre des Finances. Mais pourquoi n'avez-vous pas négocié? Vous êtes un gouvernement capable de négocier, oui ou non? Et, si vous ne pouviez pas négocier, c'est parce que ce que vous vouliez négocier, vous n'aviez pas le droit de le faire. Si vous n'aviez pas le droit de le faire, c'est quoi que vous ne pouviez pas négocier? C'est l'indépendance du Québec que vous ne pouviez pas négocier. C'est l'association économique que vous ne pouviez pas négocier, parce que vous n'aviez pas un vote du peuple sur la souveraineté. C'est pour cela que vous ne pouviez pas le faire.

Si vous avez besoin pour ce faire d'un référendum, avec qui allez-vous négocier? Avec des gens qui n'auront pas besoin de référendum. Qu'est-ce que vous allez faire le lendemain du référendum? Avec qui allez-vous négocier? Si vous avez absolument besoin juridiquement et légalement d'un référendum pour avoir, justement, ce pouvoir, comment se fait-il que vos interlocuteurs n'auraient pas besoin, eux aussi, d'un référendum? Les autres provinces, le gouvernement fédéral n'a jamais de mandat et n'a jamais eu de mandat pour négocier avec vous la séparation du Québec et une association économique éventuelle. Voyons donc! Répondez à ces questions et, à ce moment, on pourra peut-être préparer une question plus adéquate, plus claire, plus objective, plus honnête. Voilà ce que nous recherchons et c'est notre devoir, M. le Président, de le faire.

M. Johnson: M. le Président...

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre, vous avez maintenant la parole.

M. Pierre-Marc Johnson

M. Johnson: M. le Président, qu'il me soit d'abord permis de m'étonner de l'emportement un peu frénétique du député de Bonaventure. Vous savez, M. le Président, quand, à l'origine de ce qui est aujourd'hui le Parti québécois, fut formé un mouvement qui s'appelait le MSA, je n'ai pas le souvenir que les initiales et les lettres MSA étaient le mouvement pour la séparation assurée, mais c'était le Mouvement souveraineté-association, en 1967. Je m'étonne donc de la surprise du député de Bonaventure. Je suis également un peu étonné du fait que le député de Bonaventure reproche à un parti politique d'avoir évolué, lui qui devrait savoir, pourtant, qu'un parti politique, cela peut évoluer, surtout que le Parti libéral vient d'évoluer à reculons, 20 ans en arrière, d'un coup sec, avec son dernier congrès. Quant à nous, notre évolution, comme parti, elle a toujours voulu suivre la population. Elle a toujours voulu être à l'écoute. Elle a toujours voulu être perméable aux citoyens du Québec, parce que ce parti politique qui défend la souveraineté-association est un parti démocratique qui ne s'est jamais gêné pour ouvrir ses portes et non pas confiner dans des séminaires d'intellectuels les grands projets qui touchent notre collectivité. En ce sens, notre évolution et

l'évolution des engagements du gouvernement de ce parti touchent effectivement le souci que nous avons de respecter la volonté du peuple.

La population du Québec est témoin, depuis maintenant plus de deux semaines, de contradictions entre les membres de cette Assemblée. Ces contradictions, ces oppositions, ces affirmations de part et d'autre de l'Assemblée nationale sont parfois source de confusion pour nos concitoyens. Les hommes et les femmes que nous rencontrons dans nos comtés — dans Anjou, dans l'Estrie ou ailleurs — se demandent parfois qui et quoi croire. Il faut peut-être revenir à l'essentiel, justement, à la question. Non pas à ce qu'on veut faire dire à cette question, non pas au procès d'interprétation ou au procès d'intention qu'on fait à la question ou au gouvernement qui l'a soumise, mais bel et bien à ce que dit cette question bien écrite très clairement devant nos yeux.

Cette question, Mme la Présidente, comme la plupart des interventions que vous avez entendues venant de ce côté-ci de la Chambre, en tout cas, a été façonnée d'une façon réfléchie. Elle n'est pas parfaite, mais, c'est une question qui dit présenter aux Québécoises et aux Québécois le projet d'avenir que nous partageons. Quand le débat sera terminé à l'Assemblée nationale, quand les comités du oui et du non auront été constitués, quand pendant plusieurs semaines les Québécois et les Québécoises dans toutes les régions du Québec, dans leurs milieux de travail, chez eux dans leurs familles, à Pâques, par exemple, auront eu l'occasion d'en discuter, arrivera quelque part au mois de mai ou au mois de juin, le moment de faire un choix, il faudra faire sa croix à côté d'un oui ou d'un non, il n'y a pas de casier pour les peut-être. Ce sera un geste qui ne sera pas dramatique, mais sûrement un geste sérieux. Ce ne sera pas un moment tragique pour le Québec, mais ce sera un moment important pour le Québec.

Que nous dit cette question? Elle nous dit qu'il faut en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples. Il y a ici, au Québec, un peuple; ce peuple a une histoire, des racines, il partage des institutions, une culture, un vouloir-vivre commun comme on dit. C'est-à-dire qu'entre nous, Québécois, il y a des façons de faire qui nous sont caractéristiques, ni mieux ni pires que les autres, mais différentes des autres. Il y a ici une volonté de vivre ensemble, de faire des choses ensemble, de construire et de partager, que ce soient la musique, les paroles de nos chansonniers, les textes de nos écrivains, de nos poètes, les arts, oui, mais aussi le culte de la PME, notre engouement pour le hockey, notre amour des régionalismes, c'est le succès du mouvement coopératif, c'est l'extraordinaire force d'Hydro-Québec, ce sont ces ingénieurs québécois qui sillonnent le monde à construire des Manic et des Baie James.

Etre un peuple, c'est aussi le tuyauteur ou le plombier qui vient du Québec et qui est en demande en Alberta, qui va travailler en Alberta, mais qui revient au Québec avec sa famille parce que quand on est Québécois, c'est ici qu'on éduque ses enfants. Etre un peuple, c'est aussi peut-être, comme moi, avoir un nom irlandais et être francophone. Etre un peuple, c'est considérer que notre gouvernement, c'est celui, d'abord, de Québec.

La question nous dit également que cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire des lois, de percevoir des impôts et d'établir ses relations avec l'extérieur, ce qui est la souveraineté. Voilà donc le coeur du changement proposé, avec l'association. Comme citoyens québécois, nous payons tous les ans des centaines de millions de dollars en taxes que nous envoyons au gouvernement fédéral. La notion de souveraineté politique implique que les Québécois cesseraient de payer de l'impôt à Ottawa et évidemment, en échange, nous ne nous attendons pas que le fédéral continue de rendre, sur le territoire québécois, des services ou maintienne des services, sauf ceux que nous voudrions ensemble bâtir dans l'association.

Faire nos lois, ça veut dire décider entre nous de mettre des ressources, de l'argent, des budgets, des bureaux du gouvernement, des subventions pour implanter tantôt des industries, tantôt des commerces, pour faire des zones touristiques, pour des équipements culturels, des programmes sociaux, des routes, en décider entre nous. Qui devrait décider de la taxe de vente, de l'impôt sur les corporations de l'ensemble de l'impôt sur les successions et des particuliers, cent, cent, cent des impôts? Pourquoi accepter un système politique où une Cour suprême qui est parfaitement étrangère à notre Parlement, à notre Assemblée nationale viendra décider d'annuler en partie une loi sur notre langue, comme la loi 101? Pour le moment, une bonne partie des décisions qui nous touchent sont prises ailleurs qu'au Québec, sont prises à Ottawa, avec l'argent de nos taxes. (16 h 40)

A Ottawa, le secrétaire général du Conseil privé, ce plus haut fonctionnaire du Canada, brasse des milliards tous les ans, dont les milliards de nos taxes. Pour lui, le Canada est divisé en régions: il y a les Maritimes, le Québec, l'Ontario, les Prairies, la Colombie-Britannique et les territoires du Yukon et du Nord-Ouest. Mais quand vient au Québec le temps de décider ce qu'on va tenter de faire de nos jeunes qui sont au bien-être social ou de nos jeunes chômeurs, pour faire un programme qui s'appelle PIJE-OSE, pour intégrer des jeunes à l'emploi, le sous-ministre à la Main-d'Oeuvre du Québec qui a à prendre des décisions d'orientation, pour lui, une région c'est autre chose. Pour lui, comme pour moi, comme pour des milliers de Québécois, une région c'est l'Outaouais, c'est le Pontiac, c'est l'Abitibi-Témiscamingue, c'est le Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est la Côte-Nord, c'est la Gaspésie, les Iles-de-la-Madeleine, c'est la région de Québec, c'est la Beauce, c'est l'Estrie, c'est la région de l'Amiante, c'est la Mauricie, les Bois-Francs, c'est la région de Mont-

réal, c'est la rive sud, c'est Laurentides-Lanau-dière. C'est cela une région.

Le Québec, ce n'est pas un morceau d'organigramme aux mains d'un gouvernement central qui ne nous appartient pas. Le Québec, il est vécu. Il faut que ceux qui prennent des décisions qui touchent les Québécois et le peuple québécois connaissent le Québec. Que ce soient des décisions qui touchent les travailleurs, les chômeurs, la femme au travail, les agriculteurs, la femme au foyer, il faut que les programmes d'aide, la taxation, l'impôt, les allocations diverses, il faut que ces choses soient décidées par des personnes pour qui Sainte-Catherine, c'est une rue importante à Montréal et non pas une ville de l'Ontario.

La souveraineté politique, bien sûr, c'est un drapeau. C'est notre histoire. C'est notre façon de vibrer à Félix Leclerc, à Gilles Vigneault, de rire aux monologues d'Yvon Deschamps ou aux jeux de Dominique. Mais c'est surtout, c'est surtout s'assurer que c'est nous qui décidons sur notre territoire pour l'ensemble des gestes qui touchent la vie des citoyens.

La souveraineté, c'est savoir qui, quant à nos taxes, va décider: les autres ou nous autres. Mais en même temps cette question nous dit aussi de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie. L'association, c'est maintenir la communauté canadienne sur le plan économique. C'est faire en sorte qu'au nord des Grands Lacs subsiste cet espace auquel nous appartenons qui permet à deux peuples, sur ce territoire, de s'enrichir réciproquement, véritablement, honnêtement, mais dans les deux sens, par exemple. L'association cela signifie: pas de douanes entre le Québec et l'Ontario, pas de passeport pour aller au Nouveau-Brunswick. L'association, c'est maintenir la libre circulation des biens, des personnes, des capitaux, avec le reste du Canada et, évidemment, l'association, c'est conserver la monnaie canadienne. L'association, c'est aussi un mot à dire d'égal à égal dans les décisions qui affectent l'économie et qui affectent les citoyens québécois. Nous avons vécu séparés des vrais pouvoirs de décision au Canada qui ont fait que le Québec a dû subir éternellement de 30% à 50% de chômeurs de plus que les Ontariens. Nous avons vécu séparés des véritables pouvoirs qui nous permettraient de subventionner l'industrie automobile pour qu'elle crée des emplois ici plutôt qu'en Ontario. Nous avons vécu séparés des décisions qui font qu'aujourd'hui le taux d'intérêt pour un jeune couple qui veut s'acheter une maison est tellement élevé qu'il est prohibitif. Nous avons vécu séparés de ces décisions-là. L'association c'est maintenir l'unité canadienne sur le plan économique parce que nous y avons intérêt et parce que le Canada lui-même y a intérêt.

C'est un peu comme si, bien jeunes, on nous avait conduits à un mariage arrangé. Il faut faire maintenant, dans le respect de l'un et de l'autre, peut-être un véritable mariage.

La question nous dit aussi que tout changement de statut politique résultant de ces négo- ciations sera soumis à la population par référendum. C'est-à-dire que si le Québec doit devenir, après la négociation — après la négociation — autre chose qu'une province, un Etat associé au reste du Canada ou autre chose, les Québécois pourront, lors d'un deuxième référendum, sanctionner et approuver ce devenir du Québec. Ce Québec ne deviendra ce qu'il est, sur le plan de son statut politique, qu'une fois que nous aurons l'approbation démocratique de l'ensemble de nos citoyens. Pourquoi? Parce que, depuis 300 ans, les Québécois n'ont jamais vraiment entièrement fait confiance aux hommes et aux femmes politiques et, ma foi! il y avait sans doute là quelque sagesse. Parce que les Québécois ne veulent pas donner de chèque en blanc, c'est leur droit le plus légitime. Et c'est parce que nous respectons ce droit que nous leur disons: Donnez au gouvernement du Québec un mandat de négocier cette entente nouvelle, la souveraineté-association, avec le reste du Canada. Nous ferons rapport et rien de définitif ne sera accompli sans qu'à nouveau vous soyez consultés et que vous approuviez comme peuple, comme citoyens, ce devenir du Québec.

Au lendemain du référendum, un oui ne réduira pas les montagnes Rocheuses en poussière, c'est bien évident. Au lendemain du référendum, cependant, il y aura sûrement quelques surprises sur certaines rues de Toronto, mais nous aurons simplement, avec fermeté, permis au gouvernement de Québec de se présenter avec un mandat. De génération en génération, nous nous serons transmis ce flambeau de la revendication québécoise en même temps que cette volonté que nous avons de partager le sol au nord des Etats-Unis, d'égal à égal, avec fierté et avec respect, chez nous avec nos voisins. Le lendemain du oui, le gouvernement du Québec se présentera à quelques conférences, quelles qu'elles soient, non pas cette fois avec une délégation de ministres et de quelques fonctionnaires, mais sûrement de quelques ministres, de quelques fonctionnaires et de millions de Québécois qui appuient leur gouvernement dans cette négociation.

Dire non, ce serait reculer 35 ans en arrière. Dire non, c'est peut-être approuver le projet de livre beige qui fait du Québec une province comme les autres, ce que tous les premiers ministres du Québec, Maurice Duplessis, Paul Sauvé, Jean Lesage, Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa, depuis la dernière guerre mondiale, ont rejeté, faire du Québec une province comme les autres. N'est-elle pas significative, d'ailleurs, cette couleur beige, que le dictionnaire définit comme étant la couleur de la laine naturelle, la couleur du mouton. C'est le livre mouton du Québec, province comme les autres, qu'on voudrait nous faire approuver.

A la question que nous posent les générations de Québécois, il faut enfin poser un choix clair. Le oui, c'est le oui à l'égalité des peuples; le oui, c'est le mandat de négocier une nouvelle entente, la souveraineté-association, le contrôle de nos taxes, de nos lois, de nos relations sur notre territoire, et également le maintien de l'ensemble économique

canadien qu'il faut fortifier et auquel il faut participer. Le oui, c'est l'assurance démocratique qu'aucun changement n'interviendra dans le statut politique du Québec sans que la population n'ait à l'approuver clairement.

Pour certains, ce choix auquel nous sommes amenés est une affaire de coeur. Pour d'autres, c'est une affaire de tête. Pour moi, ce choix, c'est celui à la fois du coeur et de la tête, et cela devient tellement facile de dire oui.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Mme la Présidente, plus j'écoute les orateurs du Parti québécois dans ce débat, plus j'en viens à la conclusion que la question qu'ils veulent nous faire avaler à l'occasion du référendum recèle une confusion profonde. Ce qu'ils veulent faire, le député de Bonaventure l'a amplement rappelé et illustré cet après-midi, c'est l'indépendance politique du Québec. (16 h 50)

Or, ils nous parlent dans la question d'une entente. Ce n'est pas une entente que vous voulez. C'est l'indépendance politique du Québec et je ne sache pas que l'indépendance politique d'un peuple se fasse par une entente. Cela se fait par une décision collective, souveraine et libre, et c'est ce que vous n'osez pas dire. C'est ce que vous n'osez pas demander à la population. Une fois que vous auriez demandé et obtenu du peuple la permission de faire la souveraineté du Québec, vous pourriez envisager de négocier une association économique avec le reste du Canada. On comprendrait très bien. Mais quand vous voulez envelopper votre projet d'indépendance dans le manteau d'une entente hypothétique et artificielle, nous ne pouvons pas marcher là-dedans parce que c'est une confusion délibérément entretenue qui cache l'essentiel derrière un revêtement.

Le genre d'entente que vous voulez négocier est absolument impossible, à part cela, pour trois raisons bien simples. D'abord, en bonne logique, pour négocier une association économique avec l'autre partenaire, il faut d'abord avoir fait soi-même sa souveraineté. J'entendais le ministre des Affaires municipales dire l'autre jour quelque chose comme ceci: Vouloir s'associer n'est pas vouloir se séparer. Je lui réponds: Pour vouloir s'associer, il faut avoir décidé d'être souverain pour commencer. C'est élémentaire. Dites-le franchement. C'est ce qu'on vous demande dans l'amendement qu'on vous propose. On ne vous propose pas la lune. On vous propose une chose très simple, mais, encore une fois, au point de vue logique, un des deux éléments vient avant l'autre et le premier ministre aura beau dire tant qu'il voudra qu'ils sont concurrents et simultanés, en bonne logique, c'est impossible, et je le défie de faire la démonstration contraire.

Deuxièmement, au plan politique, M. le Président, c'est absolument impensable. J'entendais le député de Saint-Jacques cet après-midi ramasser toutes les coupures de journaux de deuxième et troisième ordre qu'il a pu ramasser. Il n'est même pas capable de les citer comme il faut.

Des Voix: Ah!

M. Ryan: II n'est même pas capable de les citer comme il faut, M. le Président. Il mêlait Charles Lynch, un chroniqueur populiste qui est intéressant à lire, mais qui n'a jamais grand-chose à dire...

Des Voix: Ah, ah!

M. Ryan: II le mêlait avec la Gazette qui a quand même écrit des articles très substantiels sur le projet constitutionnel du Parti libéral. Vous n'avez pas parlé de ceux-là, par exemple! Vous n'avez pas cité un seul témoignage d'hommes politiques responsables au Canada, des témoignages sur votre document, votre livre blanc et votre projet et des témoignages qu'ils ont publiés sur nos propositions.

J'avais l'occasion de rencontrer M. Lougheed encore récemment. Je ne lui ai pas demandé de venir ici. Il est venu de sa propre initiative, et j'espère que vous reconnaissez encore au moins le droit de libre déplacement des personnes dans ce pays. M. Lougheed est venu ici et il l'a répété devant tous les journalistes qui étaient présents à la conférence de presse qui a suivi notre rencontre, il a dit: Je trouve l'essentiel du projet constitutionnel du Parti libéral du Québec extrêmement intéressant sur le fond du problème.

Une Voix: ...

M. Ryan: Ecoutez! Sur le fond du problème, en particulier sur le partage des pouvoirs. Je pense que personne dans cette Chambre ne voudra soupçonner ou accuser M. Lougheed d'être le moindrement tenté de vendre son droit d'aînesse au Parlement fédéral. S'il y en a un qui défend les prérogatives provinciales actuellement — et le ministre des Richesses naturelles a été le premier à l'en féliciter et à chercher à se solidariser avec lui — c'est M. Lougheed. M. Lougheed m'a dit: Ce que vous dites sur les ressources naturelles dans votre document, cela va dans la même ligne que ce que nous disons, nous, de l'Alberta. Il y a seulement le Parti québécois qui ne comprend pas cela et qui essaie de tout déformer.

Ce que je peux vous dire, M. le Président, c'est que les hommes politiques du Canada, les uns après les autres, ont tous dit qu'ils n'accepteraient pas de négocier avec le gouvernement du Parti québécois dans un contexte ambigu et hypocrite comme celui qui est proposé par cette question. M. Trudeau lui-même — M. Mailloux, le député de Charlevoix, l'a rappelé l'autre jour — s'il était en face d'un gouvernement qui se présenterait avec le genre de oui que sollicite ce gouvernement, un oui au rabais, un oui de deuxième classe, parce qu'un oui pas clair, un oui hypocrite

et hybride, M. Trudeau serait le premier à dire: Je n'ai pas reçu de mandat pour discuter sur une base aussi confuse. Le premier ministre du Canada, on doit au moins lui donner une qualité; il a l'esprit clair, il a l'esprit logique et des sophismes dans le genre de ceux qu'on entend ici, on doit au moins lui concéder qu'il n'en fait pas trop souvent. Il vous dirait: Je n'ai pas de mandat pour cela. Allez vous chercher un mandat. Je vais aller m'en chercher un moi aussi, et toute la ribambelle recommencerait. Ce serait le début d'une période de confusion.

Au point de vue légal, à part cela, au strict point de vue légal, on ne peut à la fois être dans la fédération et en dehors. Il faut que ce soit un ou l'autre. Si vous êtes dans la fédération, vous devrez discuter suivant les règles de la fédération. Si vous êtes en dehors, vous devrez le reconnaître franchement, mais vous voulez jouer les deux chaises en même temps, être dedans et en dehors en même temps, et ceci, à aucun point de vue n'est possible.

Il y a une deuxième remarque que je voudrais faire. Vous nous parlez — on connaît le scénario, parce qu'on a entendu cela tellement souvent, et la plus belle illustration, c'était le discours du ministre d'Etat au Développement culturel, l'autre jour — du fameux diptyque: d'un côté, les gros méchants — ils nous ont volés pendant un siècle, ils nous ont exploités, dominés, écrasés — et, de l'autre côté, on se fait tout miel, toute douceur, tout agneau. O ce peuple ami avec lequel un siècle d'histoire nous a permis de nouer des rapports de solidarité! Nous formerons une entente avec lui, nous discuterons dans un climat d'amitié, d'égalité, etc.

Quand vous vous arrogez la liberté de ramener tout ce qui existe au Canada à une seule autre nation, savez-vous que vous violez le principe même de l'autodétermination dont vous vous réclamez? Si le reste du Canada vient vous dire: Nous autres, en Ontario, nous formons une population, nous formons une communauté, ce sera d'égal à égal avec vous autres du Québec, qu'est-ce que vous pourrez faire? Si les gens des provinces du Pacifique vous disent: Nous formons une communauté nous aussi; nous voulons être sur un pied d'égalité à la table de négociation, qu'est-ce que vous pourrez faire? Si des provinces de l'Atlantique font la même chose, on se ramassera encore à une table à quatre.

Où sera votre égalité d'un à un? C'est un mythe, c'est une création factice de votre esprit qui ne correspond pas du tout à la réalité du Canada. Quand on veut définir le Canada sur la base réaliste et vérifique, il faut dire qu'il y a deux grandes communautés linguistiques dans ce pays auxquelles sont venues s'ajouter d'autres communautés culturelles et qui sont regroupées dans quatre ou cinq grandes régions dont chacune a aussi sa personnalité propre et dont aucune ne veut être fondue dans aucun tout qui soit inventé par le gouvernement fédéral à Ottawa ou par le Parti québécois à Québec.

C'est la base du projet que nous avons conçu de notre côté. Nous essayons de respecter la réalité. Vous autres, vous essayez de faire croire aux Québécois que tout cela se ramène à: une nation, une nation. C'est bien plus complexe que cela le problème canadien, et, avec la base que vous proposez, vous allez directement vers un échec et vers la confusion.

Troisième point. Je crois que nous avons entendu, depuis deux semaines, dans cette Chambre, des propos qu'il importe de relever. A entendre ces messieurs d'en face, tout ce qui se rattache au gouvernement fédéral est synonyme d'étranger. Non seulement cela, mais ils nous arriveront à un point où tout ce qui sera synonyme du non à la question du Parti québécois sera aussi synonyme d'étranger, si vous continuez de parler comme vous parlez.

A vous entendre parler — je ne sais pas si vous vous regardez dans un miroir de temps en temps — tout ce qui n'est pas de votre option à vous autres, c'est du mauvais québécois, c'est du québécois au rabais, c'est du québécois de seconde classe. Nous vous disons que notre non est aussi québécois que votre oui et nous allons l'affirmer pendant toute la campagne référendaire. Nous vous disons en plus que le gouvernement fédéral, le Parlement fédéral, les institutions fédérales du Canada, sont des institutions qui nous appartiennent autant qu'aux autres Canadiens et au sein desquelles nous occupons une place qui nous interdit de les considérer comme des institutions étrangères. Chaque fois que vous ramenez tout ce qui est synonyme d'institutions fédérales à des réalités étrangères, vous faussez la réalité, vous semez le préjugé dans les esprits et vous rétrécissez les horizons des nôtres à des frontières qui ne correspondent pas à la réalité véritable.

Qu'il y ait eu des imperfections dans les institutions fédérales, qu'il y ait eu des injustices à notre endroit, c'est un fait. Notre parti les a combattues chaque fois que cela a été nécessaire et nous continuerons de les combattre également, mais nous n'acceptons pas et nous n'accepterons pas que vous fassiez croire à nos concitoyens que tout ce qui est fédéral est étranger et qu'une personne qui a eu le malheur de se faire élire député à la Chambre des communes soit une personne qui ait moins de légitimité que nous qui sommes en cette Chambre.

Nous avons été élus dans les deux cas par les mêmes électeurs souverains et libres à l'occasion d'élections démocratiques. Quand une décision est prise par le Parlement fédéral, elle est prise par nous autres autant que par les autres. Quand vous essayez de nous faire croire et de faire croire au public du Québec qu'à Ottawa cela se résume toujours à: une nation, l'autre nation, c'est absolument faux. (17 heures)

Les décisions se prennent par une espèce de conjugaison, d'harmonisation d'intérêts très divers, souvent opposés, mais qui, la plupart du temps, ne répondent pas d'abord à la ligne de partage que vous invoquez continuellement, la ligne du nationalisme et de la langue. La ligne des intérêts régionaux, la ligne des intérêts de classe, la

ligne des considérations internationales sont autant de facteurs qui jouent dans les grandes décisions fédérales. Ce que nous vous reprochons profondément et à quoi nous ne pouvons pas du tout souscrire, c'est de vouloir tout résumer sous le chapeau de ces différences linguistiques et nationales dont nous tenons compte mais dont nous refusons que vous en fassiez l'unique véhicule, l'unique réceptacle par lequel doivent passer toutes les décisions et tous les comportements des citoyens et des groupes dans ce pays. Nous estimons que les citoyens du Québec sont assez responsables et adultes pour être capables, s'ils le veulent librement, de confier une partie de leurs préoccupations, une partie des décisions politiques à une autorité qui siégera à Ottawa et qu'ils partageront avec les autres citoyens du pays. Ce n'est pas être un moins bon Québécois que d'envisager une chose comme celle-là, c'est peut-être avoir l'esprit un peu plus large par exemple.

Je tiens à signaler avec beaucoup de force que nous n'accepterons pas que vous rameniez à un synonyme d'étranger tout ce qui se rattache à l'institution fédérale dans ce pays-ci. Encore une fois, j'ai remarqué souvent que, quand il y a eu des choses qui n'ont pas marché dans ce pays-ci, tout de suite c'est le conseil de Doris Lussier qui s'applique: C'est la faute du fédéral, c'est la faute des maudits Anglais, c'est la faute du régime. Quand les choses ont marché, le fédéralisme n'a rien eu à voir là-dedans. Là, c'est la comparaison avec l'URSS, avec le Brésil: Le fédéralisme est une affaire indifférente et neutre. Voyons messieurs, un peu de consistance dans vos propos! Si le fédéralisme a été responsable de certaines lacunes et de certaines carences — et nous sommes les premiers à en convenir — convenez au moins qu'il a été aussi responsable des choses qui ont marché dans ce pays-ci.

Le Président: M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez maintenant la parole.

M. Fabien Cordeau

M. Cordeau: Merci, M. le Président. Je tiens à apporter mon humble contribution à ce débat important pour chacun d'entre nous et pour tous les Québécois. Nous sommes en train d'écrire une page historique non seulement parce qu'il s'agit du premier référendum fait par des Québécois pour des Québécois mais aussi parce que c'est la première fois, comme le disait si bien notre chef, le député de Gaspé, que, depuis la naissance du Canada en 1867, ur gouvernement du Québec a droit de vote, de se prononcer pour ou contre la négociation d'une option politique qui exclut, dans son essence même, le fédéralisme comme mode de gouvernement.

Ce fait m'apparaît primordial dans les circonstances et je crois que c'est ma responsabilité comme représentant des citoyens du comté de Saint-Hyacinthe de le dire à la population. Bien avant que je décide de me lancer en politique active, j'étais opposé à l'indépendance politique du Québec comme solution viable aux problèmes que pose depuis longtemps cette nécessité devenue urgente de réviser en profondeur notre régime politique et constitutionnel. Depuis 1976, je n'ai pas changé d'idée. Le Parti québécois ne m'a pas convaincu de la justesse de sa thèse constitutionnelle. Celle-ci est toujours demeurée aventureuse, pour ne pas dire dangereuse pour le Québec et pour les Québécois individuellement.

En me présentant sous la bannière unioniste, j'ai opté pour un parti politique dont les racines québécoises sont bien connues et toujours vivantes à travers le Québec, un parti dont le programme politique est basé sur une conception de l'égalité de nos peuples fondateurs qui, loin d'exclure le Canada, englobe tout l'ensemble canadien dans une vision positive du rôle que le Québec peut et veut jouer à l'intérieur d'un cadre fédéral plus décentralisé.

Mon premier intérêt en politique a toujours été et est de bien servir mes concitoyens, de les traiter avec respect, avec honnêteté et franchise. La franchise, dans ce débat, m'oblige de dire à mes concitoyens qui, à l'instar de leur député, croient sincèrement au renouvellement du fédéralisme canadien en vue de doter le Québec des instruments qu'il lui faut pour son épanouissement collectif, de faire preuve de prudence face à la question référendaire; car cette question, pour attrayante qu'elle soit, renferme sournoisement l'objectif réel que poursuit le gouvernement du Parti québécois. J'incite mes concitoyens à la prudence. Ne vous laissez pas séduire par l'apparence des choses, par ce qu'on peut appeler l'emballage. En d'autres mots, ne vous laissez pas endormir par cette idée d'un mandat de négocier une nouvelle entente Québec-Canada.

Tout le monde est en faveur de négocier une nouvelle entente Québec-Canada. La question n'est pas là. Il faut aller au-delà de ce cliché facile et factice pour se demander: négocier quoi? Quelle est cette nouvelle entente? C'est alors qu'on touche au fond de la question. C'est alors qu'en toute franchise, il faut être conscient que ce que nous demande le gouvernement du Parti québécois, par le truchement de cette question c'est le mandat de négocier deux choses: Premièrement, l'accession du Québec au statut d'Etat souverain; deuxièmement, l'association économique avec le reste du Canada. Voilà la question de fond. Voilà ce sur quoi vous devez décider si vous êtes d'accord ou non.

Tel que l'a affirmé le chef de l'Union Nationale et député de Gaspé, il y a deux semaines, vous devez savoir qu'en acceptant l'idée d'un mandat de négocier, que ce soit pour des raisons de sentiment, de déblocage ou de "bargaining power", peu importe, vous acceptez aussi que cette négociation porte exclusivement sur la souveraineté-association. En acceptant l'un, vous acceptez l'autre. Les deux sont indissociables. Et si vous osez l'oublier, soyez assurés que le Parti québécois sera là, dès le lendemain du référendum, pour vous le rappeler.

M. le Président, examinons de plus près cette fameuse question. On y parle d'une entente remettant au Québec les pouvoirs exclusifs de faire des

lois, percevoir ses impôts, établir ses relations extérieures et maintenir une association économique avec le Canada. Selon le Petit Larousse l'exclusivité suppose la possession sans partage, le droit absolu. A la lumière de cette précision, il me semble que les intentions des ministériels se font beaucoup plus claires. Dans la mesure où le pouvoir exclusif de faire des lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures nécessitent, pour le Québec, un pouvoir sans partage, aucune autre autorité que la sienne propre, nous parlons d'indépendance. En ce sens, la question m'apparaît lourdement électoraliste puisqu'elle espère camoufler, sous le couvert commandé d'un mandat de négocier, une intention continuellement exprimée par le Parti québécois depuis sa fondation.

La dernière partie du préambule, précisant que tout changement de statut politique résultant de ces négociations sera soumis à la population par référendum, me semble tendancieuse. Il apparaît clairement que le gouvernement du Parti québécois, afin de sécuriser une population qui rejette depuis toujours son option, a sacrifié l'honnêteté à l'efficacité. Il rentabilise ce référendum et, fidèle à son principe étapiste, encourage un oui dans un premier référendum qui pourrait facilement se transformer en non dans un second.

Ce gouvernement introduit donc l'éphémère d'un oui, ne reposant que sur l'acceptation momentanée d'un principe de négociation. Finalement, M. le Président, cette question ne peut être l'expression de la solidarité nationale des Québécois par son caractère limitatif et partisan. Elle n'en est pas l'expression, parce qu'elle oblige la négociation exclusive d'un projet péquiste. Ce projet n'a pas d'envergure nationale puisqu'il se réserve à quelques partisans qui se disent les seuls dignes du titre de Québécois. L'unanimité tant souhaitée chez les Québécois aurait dû être précédée d'un consensus sur le texte de la question. (17 h 10)

M. le Président, je ne suis pas seul à penser de cette façon et, pour affermir mon dire, je vais vous lire une partie d'un éditorial de M. Pierre Bornais, directeur du Courrier de Saint-Hyacinthe, daté du 12 mars 1980 et intitulé "Texte, contexte et prétexte" où il fait une analyse du débat actuel. Je cite: "Quoique puissent en dire certains, les dés étaient pipés d'avance puisque c'est le gouvernement qui a posé la question et qu'il entend ne pas en changer un iota même s'il est le premier à vouloir parler de solidarité, de débat au-dessus des partis. Pourtant, l'intention du législateur était louable; un projet de question à être débattu par tout le monde afin d'en arriver à faire le consensus constituait un idéal, mais il aurait fait en sorte que tout le monde se sente vraiment lié par les résultats du scrutin, ce qui n'est pas précisément le cas puisque, à tort ou à raison, la question représente plus l'opinion politique d'un parti que l'interrogation d'un gouvernement au peuple."

Plus loin, il ajoute: "Mais il est regrettable que la rigueur gouvernementale ne puisse rendre pos- sible un changement dans la formulation, changement qui semble souhaité par une majorité de Québécois, mais qui ne serait pas nécessairement à l'avantage du gouvernement."

M. le Président, lorsque ce gouvernement a été élu en novembre 1976, il avait pour mandat la bonne administration de la province et la tenue d'une consultation populaire sur notre avenir. Prenant aujourd'hui les allures d'un vaste plébiscite, cette consultation limite notre avenir à l'indépendance nationale, elle suppose qu'il ne peut y avoir de fédéralisme viable et éclipse de la sorte, par sa partisanerie, toute solidarité nationale. A ne voir qu'un seul côté de la médaille, les Québécois pourraient en arriver à espérer que l'autre côté soit le meilleur et le choisir.

Je conteste fortement l'affirmation péquiste selon laquelle tous ceux et celles qui ne partagent pas leur point de vue sont à leurs yeux des colonisés et des gens qui veulent maintenir le statu quo. Rien n'est plus faux, rien n'est plus mensonger et les gens d'en face le savent. Je connais de nombreux Québécois et de nombreuses Québécoises qui refuseront ce jeu de ping-pong constitutionnel que nous propose le gouvernement du Parti québécoise. Pour autant, ils ne veulent pas du statu quo; d'ailleurs, les gens d'en face le savent très bien: il ne reste presque plus personne au pays qui veut maintenir le statu quo en matière constitutionnelle. Toutes les provinces sans exception réclament des changements profonds tant au niveau du partage des pouvoirs qu'à celui des institutions fédérales à refaire de fond en comble.

Le Québec n'est plus seul dans ce domaine et cela, nos amis d'en face se doivent de l'admettre s'ils veulent jouer franc jeu. Nous, de l'Union Nationale, croyons que le processus de révision constitutionnelle est devenu, surtout depuis la dernière année, un mouvement irréversible. Il n'est plus possible de préconiser le statu quo au Canada en matière de relations fédérales-provinciales quand presque plus personne n'en veut et ce, pour des raisons qui diffèrent d'une région à l'autre. Prétendre le contraire, c'est se boucher les oreilles et faire l'autruche, ce qu'avouent bien nos amis d'en face quand ça fait leur affaire.

Mon opposition à la question telle que posée, trouve sa raison d'être dans le principe de base du Parti québécois qui est essentiellement la séparation du Québec d'avec le Canada. Je n'ai qu'à me rappeler la déclaration du ministre d'Etat à la Condition féminine, Mme Lise Payette, lors de sa participation à la semaine référendaire tenue au CEGEP de Saint-Hyacinthe. M. le Président, à une question d'un auditeur, Mme la ministre avouait candidement que la souveraineté-association était synonyme d'indépendance, de séparation.

Mon opposition à la question telle que posée signifie que je demeure sur mes positions passées. En 1976, lors des élections, lorsque j'ai offert mes services à mes concitoyens, je leur ai dit honnêtement et sincèrement que j'étais opposé au Parti québécois à cause de ses politiques indépendantistes et séparatistes déguisées depuis en souveraineté-association. Comme preuve de ce que je

viens de dire, je n'ai qu'à vous citer un éditorial du poste CJRP, de Québec, en date du 27 mars 1979. C'était, M. le Président, lors du congrès régional du Parti québécois. Je cite: "Plus de 200 personnes ont participé en fin de semaine au congrès régional du Parti québécois qui regroupait des délégués venant de 16 comtés du Québec métropolitain. Les délégués ont adopté une résolution afin que l'on retire le mot "indépendance" pour le remplacer par "souveraineté". Evidemment, la résolution ne fut pas adoptée de façon unanime, les députés ministres Garon, de Lévis, et O'Neill, de Chauveau, s'y opposant.

M. le Président, le Parti québécois a adopté une telle résolution parce qu'il sait que le mot indépendance fait peur aux Québécois et que ces derniers n'en veulent pas. En conséquence, ils doivent éviter de parler d'indépendance, même si dans le fond tout le monde sait que le but premier des membres de cette formation est l'indépendance. De plus, le député de Chauveau a maintenu sa position contre le mot souveraineté-association en en faisant part aux militants de son comté dans un manifeste publié le 19 octobre 1979, intitulé Règles d'action pour la campagne référendaire, où l'on peut lire que ces règles s'adressent à ceux qui feront campagne pour le oui car c'est à eux d'abord qu'il pensait à titre de camarades engagés dans un même combat. J'ai bien dit "camarades", M. le Président. A l'intérieur de la première règle, on lit: La souveraineté-association est une formation concrète de l'indépendance et non pas un prix de consolation pour une indépendance qu'on jugerait impossible.

Voilà, M. le Président, des témoignages convaincants concrétisés dans l'esprit de nombreux péquistes, et non pas les moindres, à savoir que le but premier de leur aspiration est l'indépendance complète du Québec.

M. le Président, on accuse le système actuel d'être responsable du taux de chômage au Québec. Est-ce à dire que la souveraineté-association va garantir à tous les Québécois le plein emploi, qu'il n'y aura plus de chômage au Québec? Est-ce que la souveraineté-association va permettre à ceux qui reçoivent actuellement de l'aide sociale et qui sont aptes au travail de se trouver un emploi? Est-ce que la souveraineté-association va garantir à tous les finissants des polyvalentes, des CEGEP, des universités et à tous les jeunes qui veulent travailler et qui ont besoin de travail, un emploi à la fin de leurs études?

Une Voix: Répondez à cela! Répondez! (17 h 20)

M. Cordeau: M. le Président, plusieurs de nos amis d'en face ne sont que des marchands d'illusions en ne faisant valoir que des aspects négatifs du fédéralisme actuel. Je respecte ceux qui ont assez de franchise pour s'exprimer librement et clairement. Par contre, je ne peux respecter ceux qui, frauduleusement ou malhonnêtement, n'ont pas assez de courage ou ont peur de demander aux Québécois et aux Québécoises un mandat clair afin de réaliser honnêtement leur option politique.

J'invite tous les citoyens du Québec qui ne croient pas à l'indépendance politique à voter non à la question présentement à l'étude car, ne vous y trompez pas, celle-ci nous amène sûrement sur la route qui conduit à l'indépendance. Chose certaine, le député de Saint-Hyacinthe, à l'instar des collègues unionistes en cette Chambre, dira non à la question telle que soumise à notre attention.

En terminant, un mot sur l'attitude à adopter au cours de la campagne référendaire. Je souhaite qu'on maintienne un ton civilisé de discussion afin de respecter l'opinion d'autrui. N'oublions pas que la période post-référendaire sera plus longue que la période référendaire proprement dite. A nous de la préparer pour qu'un dialogue serein et honnête puisse se poursuivre, nonobstant le résultat du référendum. Je vous remercie.

Le Vice-Président: M. le ministre de l'Education.

M. Jacques-Yvan Morin

M. Morin (Sauvé): M. le Président, il y a un argument utilisé par le chef de l'Opposition dans son intervention, il y a quelques minutes, que je ne puis vraiment pas laisser passer parce qu'il tend à nier toute l'évolution constitutionnelle de plus d'une centaine d'Etats depuis la dernière guerre. Il soutient, en somme, qu'il faudrait d'abord être souverain pour ensuite négocier une association. Il soutient qu'il faut divorcer pour ensuite se remarier, si je l'ai bien compris.

Or, la réalité est tout autre. Je sais que cela ferait son affaire si nous demandions aux Québécois de proclamer la souveraineté ou l'indépendance de façon unilatérale. Il sait bien qu'une question comme celle-là ne serait pas très populaire. Mais ce n'est pas là notre projet. Le projet du gouvernement, c'est vraiment la souveraineté et l'association à la fois, dans un même temps, dans une même négociation.

Ce que nous voulons, ce n'est pas, comme dit le chef de l'Opposition — et ce n'est guère possible juridiquement — être à la fois dans et en dehors du fédéralisme. C'est mal poser la question et je m'étonne un peu, puisque j'ai eu l'occasion, il y a quelques années, de fréquenter le chef de l'Opposition à l'occasion de débats constitutionnels, d'entendre dans sa bouche des arguments comme ceux-là. En somme, le chef de l'Opposition nierait toute l'évolution du Commonwealth depuis un demi-siècle et toute l'évolution des Etats devenus à la fois souverains et associés depuis 25 ans. Il nierait toute l'histoire de la décolonisation depuis 25 ans.

M. le Président, à l'intérieur du Commonwealth, les Etats comme le Canada sont devenus souverains presque insensiblement et ils sont restés associés à l'intérieur du Commonwealth. C'est une démarche subtile; j'espère qu'elle n'échappe pas au chef de l'Opposition. De plus, Mme la Présidente, la plupart des Etats qui sont nés depuis un quart de siècle sont nés à la fois souverains et associés. Ils ont négocié en même temps, avec leur ancienne mère-patrie, la souveraineté et l'association.

En somme, le chef de l'Opposition nous dit: II faut divorcer pour se remarier. Nous disons: II faut aller chez le notaire et renégocier en toute bonne foi. Il n'est pas nécessaire de divorcer.

Cependant, il nous faut un bon mandat pour allez chez le notaire!

La Vice-Présidente: M. le député de Richelieu.

M. Maurice Martel

M. Martel: Mme la Présidente, il y a bientôt quatorze ans, je faisais pour la première fois mon entrée dans cette Assemblée, privilège que je partage de ce côté-ci de la Chambre avec mon collègue de Saint-Jean, ayant été élu en 1966 sous la bannière de l'Union Nationale et réélu en 1976 avec le Parti québécois, suite logique à l'engagement politique que nous avons pris à ce moment-là.

Depuis ces nombreuses années, Mme la Présidente, je n'ai pas trouvé une seule mesure gouvernementale qui corresponde à une si grande attente des Québécois. En effet, pour la première fois de leur histoire, les Québécois et Québécoises auront à se prononcer sur un mandat à donner à leur gouvernement d'aller négocier, comme un Etat adulte, dans l'égalité, une nouvelle association avec le reste du Canada. Depuis 40 ans, les hommes politiques québécois, bleus comme rouges, essaient de faire valoir l'égalité de la nation francophone avec la nation anglophone. Toutes ces démarches ont démontré — et cela, d'un bout à l'autre du Canada — que la constitution actuelle ne correspond pas à la réalité canadienne, tant pour assurer l'épanouissement des francophones que des anglophones.

Nous devons, devant l'échec de la fédération, la remplacer par une constitution de notre temps, une constitution moderne qui s'appelle une association entre deux Etats souverains. C'est une question réaliste, une question de fait qui demande la prise de conscience nationale des Québécois en ce tournant de leur histoire. La prise de conscience nationale à laquelle j'avais auparavant eu l'honneur de participer activement, au début des années soixante, à l'université, constituait déjà un épanouissement logique de l'environnement culturel de mon enfance vécue dans cette vallée du Richelieu, berceau des patriotes. Et c'est d'ailleurs avec beaucoup de fierté, mais surtout avec grand espoir que tous les Québécois et Québécoises de la continuité et de la persévérance que nous sommes ne pourront aujourd'hui oublier le sens de l'histoire qui a fait que notre peuple a grandi et a mûri.

Aussi, en cette veillée d'armes symbolique de notre victoire collective nationale, je voudrais leur rappeler toute l'admiration et la gratitude que résume encore mieux que tout notre devise nationale si pertinente: Je me souviens. Cette continuité nationale, sociale, culturelle, linguistique, même religieuse, qui s'est également enrichie de nombreux apports ethniques au cours de ces deux siècles de domination et d'asservissement parfois, n'a-t-elle trouvé de meilleure synthèse du moment, alors que la seule formation politique reconnue de l'époque, entièrement québécoise, s'est clairement prononcée pour l'égalité de notre peuple ou, à défaut, son indépendance.

L'attrait irrésistible d'une telle orientation du premier parti québécois émanant surtout d'un si grand homme d'Etat, Daniel Johnson, se doublait d'une urgence à souscrire prioritairement à toute poursuite, même méritoire, des paramètres socio-économiques dominant la révolution tranquille d'alors dont notre actuel premier ministre était la cheville ouvrière. C'était d'ajouter "Le Québec d'abord" de l'Union Nationale au "Maîtres chez nous" du Parti libéral. Le caractère brutal, oppressif d'octobre 1970, on se le rappellera, de la répression qui a suivi les derniers espoirs de changements profonds qui s'éteignaient visiblement avec le régime Pearson, rend aujourd'hui prémonitoire le choix que beaucoup d'entre nous ont effectué à cette époque, ou en 1967 et par la suite, cette convergence historique qui témoignait déjà du caractère fondamentalement non partisan, ou encore multipartisan selon le sens, de nos démarches, de nos réflexions et de nos cheminements individuels, saura encore, j'en suis persuadé, entraîner l'adhésion de ceux qui ont le courage et la capacité intellectuelle de se dégager d'un colonialisme dépassé ou de la partisanerie aveugle. (17 h 30)

Voilà pourquoi, amis de l'Union Nationale, vous qui avez un passé et qui, sans doute, voulez avoir un avenir prometteur, devez, à l'image du député de Lotbinière, réfléchir aux valeurs qui ont été celles d'un grand parti et dont l'actuel chef intérimaire devrait se faire le devoir, ne serait-ce qu'en pensant au grand chanoine Groulx, qui fut comme lui, homme d'Eglise et homme politique, de se rallier à cette voie nationale à laquelle nous ne saurons échapper. La question formulée par l'Union Nationale de Daniel Johnson il y a bientôt quatorze ans ne saurait être éternelle, pas plus d'ailleurs que le poste de chef intérimaire de l'Union Nationale. Le député de Gaspé devrait se le rappeler. Cette question mérite une réponse et cette réponse n'est pas la séparation, mais l'égalité, et cette égalité s'appelle souveraineté-association. Ce sont les termes mêmes qu'emploie la motion à l'étude.

Voilà pourquoi je ne pourrai souscrire évidemment à l'amendement de l'Union Nationale, qui trompe la population en voulant lui faire croire que le gouvernement préconise la séparation alors, qu'elle omet d'ajouter ce mot qu'emploie la présente motion et qui est "égalité", qu'on y retrouve d'ailleurs en toutes lettres. Je le répète et je lis quelques lignes de la motion qu'on y soumet: "Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver avec le reste du Canada à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples." Cette égalité, Mme la Présidente, prend tout son sens avec le mot "association". On est égal à quelqu'un, on est égal

à quelque chose. C'est un lieu commun de redire encore que les motifs qui animaient à l'époque mon entrée au service de mes concitoyens de Richelieu comme ceux qui guidaient le groupe politique auquel je fus associé se retrouvent en substance comme en synthèse dans l'énoncé de la question qui fait l'objet de la motion présentement à l'étude.

Le député de Saint-Louis, l'autre jour, en mentionnant que toutes les particules et même les partis, évidemment, se trouvaient de ce côté-là de la Chambre, avait sans doute à l'esprit le nombre de chefs qui caractérise leur dissension plutôt que la véritable unité dans la diversité des idées et des hommes qui constitue, de ce côté-ci de la Chambre, la véritable unité des Québécois à laquelle encore, tout récemment, se ralliait le dernier chef de l'Union Nationale, le député de Lotbinière, comme d'ailleurs Maurice Duplessis, en 1936, a rallié en une seule formation libéraux nationalistes et conservateurs québécois. Oui, de ce côté-ci de la Chambre, c'est la cohérence de l'unité alors que, de l'autre côté, c'est la mosaïque de la dissension et surtout de la partisanerie, comme l'expliquait d'ailleurs si bien le député de Rouyn-Noranda lorsqu'il faisait son éloge funèbre au premier comité du non appelé Pro-Canada.

Ici, Mme la Présidente, c'est l'unité des forces vives de tous les Québécois et Québécoises. Quelle tristesse, par contre, d'entendre le chef du non, au nom de sa loyale Opposition à Sa Majesté, définir aussi son rôle en un moment aussi solennel en fonction du rendement qu'il se croit astreint de donner évidemment en retour des émoluments qu'il recevrait à cette seule fin des contribuables qu'il serait probablement incapable, comme il l'admet lui-même, de représenter souverainement!

C'est tout à fait normal de voir le chef de l'Opposition officielle se débattre comme un diable dans l'eau bénite, lorsqu'on sait d'avance — pour employer votre terme — qu'il a dit non d'avance et avant de connaître la question. C'est normal qu'il essaie d'en changer les mots pour donner un sens à la réponse qu'il a déjà donnée.

J'espère, Mme la Présidente, que de nombreux libéraux, comme il en sera d'ailleurs des unionistes et des créditistes pour lesquels j'ai beaucoup de respect, n'entendent pas se défiler de leurs obligations morales en accordant au Québec le mandat qu'il sollicite. Pourtant, l'équilibre, le bon sens qui se dégagent des propositions de négociations — et rien d'autre — sur lesquelles les citoyens sauront se prononcer en faisant appel autant à leur coeur qu'à leur raison devraient toucher également les apprentis sorciers de l'économique dans lesquels on retrouve facilement le déguisement dans lequel se cachent plusieurs de nos opposants.

Dans le régime fédéral, par exemple, mes commettants de Richelieu, d'après ces pseudoéconomistes, seraient surtout avantagés des paiements de transfert ou encore des bénéfices de la péréquation, mot savant qui n'arrive même plus à cacher le versement de prestations d'assurance-chômage, ou encore des seuls projets Canada de tout poil ou de tout crin, d'un temporaire et d'un saisonnier à faire peur, à faire pleurer même. Voilà que la dernière contrepartie, la construction des bateaux, s'en va rejoindre en Ontario, bien sûr, celle des autos, comme le soulignait mon collègue, le ministre d'Etat au Développement économique, dans sa réponse à une question que je lui posais dans cette Chambre il y a quelques mois.

En effet, on constate que, sur un montant de $195 millions que le gouvernement fédéral a octroyé à des chantiers maritimes canadiens au cours des cinq dernières années, seulement $221 000 l'ont été à des chantiers québécois; même pas 0,01% pour nos ouvriers québécois. Si c'est cela le fédéralisme renouvelé pour nos travailleurs de nos chantiers maritimes québécois, notre réponse est: Non, merci à ce fédéralisme. Attendrons-nous que cette continuité néfaste nous force aussi à donner à ce pouvoir spoliateur une Hydro-Canada dont il s'emparerait sans doute d'une façon très avide dès que seraient asséchés, à son égoïste profit, tous les puits de l'Alberta? A moins, comme le suggérait le prédécesseur du chef de l'Opposition officielle, que l'on en ait déjà disposé, libéralement bien sûr, envers nos voisins du sud pour une poignée de dollars, l'autre poignée nous étant vissée dans le dos en permanence.

Non, M. le Président. C'est cependant la dernière fois que j'emploie ce mot. Ce type de continuité des quelques moments malheureux de notre histoire nationale à l'époque des libéralités du régime Godbout, par exemple, envers le pouvoir fédéral qui, lui non plus, ne se sentait pas lié par la réponse québécoise à son référendum sur la conscription de 1942, ce type de continuité, dis-je, à cette époque-là, a été définitivement interrompu par la reprise en main de nos instruments économiques sous Jean Lesage et de nos revendications historiques constitutionnelles sous Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand jusqu'à nos jours.

En cela, il est aisé de suivre la continuité de nos prédécesseurs, Alexandre Taschereau, Honoré Mercier — pour ne mentionner que ceux-là — qui se sont montrés dignes et dont les racines profondes rejoignent le patriotisme de nos pères et la tenacité des ancêtres qui, eux, ont refusé ce que l'on veut encore nous imposer aujourd'hui au lieu de l'association d'égal à égal à laquelle, en toute solidarité historique, je vous indique souscrire autant de coeur que de raison. (17 h 40)

M. Alfred: Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le député de Verdun. Je reconnaîtrai ensuite M. le député de Papineau.

M. Lucien Caron

M. Caron: Mme la Présidente, permettez-moi, au début de ce discours, d'exprimer mon sentiment de grand respect pour tous les députés qui interviennent dans ce débat au nom de leurs convictions profondes. Cependant, je ne peux oublier la promesse formelle du Parti québécois, lors des

élections de 1976, de poser la seule, la vraie question au moment du référendum: La question, disaient les candidats péquistes, portera sur l'indépendance, la séparation et la souveraineté.

Nous avons attendu trois ans avant que ce gouvernement péquiste nous fasse connaître la question. L'astuce, la ruse et le stratagème du Parti québécois et de ce gouvernement ont été finalement dévoilés. Le chef du Parti libéral du Québec, M. Claude Ryan, le 20 décembre dernier, a clairement indiqué que la question visait à procurer au gouvernement, par des voies détournées, un mandat qui lui permettrait d'entraîner le Québec sur la voie de la séparation.

Je n'ai plus le choix, Mme la Présidente; je dois, en tant que député de Verdun, dire à la population que, pour la première fois dans son histoire, le Canada risque de ne plus être le Canada. Car au-delà des pièges de la question que veut poser ce gouvernement au référendum, c'est bel et bien la destruction du Canada qui est en cause et ce, malgré la ruse et l'astuce dont font montre les députés péquistes depuis quelques jours.

Remercions, ici, le député péquiste de Deux-Montagnes, M. Pierre de Bellefeuille, de son honnêteté intellectuelle. Espérons qu'il gardera cette attitude pendant ce débat et que ses collègues péquistes l'imiteront. Le journal Le Soleil du 9 février dernier, nous rapporte la déclaration suivante du député de Bellefeuille, Mme la Présidente: Une victoire du oui au référendum québécois sera interprétée par le Parti québécois comme une approbation du principe de la souveraineté-association; ne nous cachons rien, c'est l'indépendance. Mme la Présidente, ce sont les gens d'en face qui écrivent cela.

Les propos de ce député péquiste sont courts et clairs. Certains collègues de ce député ont bien crié que leur référendum ne veut pas briser le Canada. C'est pourtant exactement vers la rupture que la stratégie par étapes du Parti québécois nous entraîne.

C'est pourquoi, Mme la Présidente, le chef du Parti libéral du Québec, M. Claude Ryan, a déposé un amendement à la question au début de ses interventions. Nous, du Parti libéral, voulons que la question soit claire, précise, franche et honnête. Pour une fois, depuis trois ans, que ce gouvernement ne mette pas son masque, que ce gouvernement soit franc, que ce gouvernement pose la vraie question, l'unique question: Etes-vous, oui ou non, en faveur de la souveraineté politique du Québec?

Mme la Présidente, il n'y a pas d'autre question; quel que soit l'emballage dont se servira ce gouvernement de slogans, la population saura voir clair. Nous, du Parti libéral du Québec, nous chargerons de dire la vérité à la population du Québec. Au nom de la majorité de la population du comté de Verdun, une population formée d'honnêtes travailleurs tant francophones qu'anglophones, je viens dire à ce gouvernement pourquoi des milliers de citoyens de Verdun et moi-même écrirons un non québécois sur le bulletin de vote.

Ces milliers de citoyens de Verdun, du Québec, diront un non québécois parce qu'ils veulent garder leurs droits de copropriété sur le territoire canadien, parce qu'ils veulent conserver leur juste part des richesses naturelles et énergétiques du Canada, parce qu'ils veulent avoir des représentants au Parlement fédéral pour défendre leurs intérêts, parce qu'ils ont trop travaillé pour abandonner leur droit d'aînesse des richesses sur leur territoire, parce qu'ils veulent maintenir le système de la vraie justice sociale qui permet un meilleur partage de notre richesse entre tous les Canadiens, parce qu'ils apprécient le niveau élevé de liberté, de prospérité économique et de bien-être que leur offre la chance d'être Canadiens, parce qu'ils désirent garder leur citoyenneté canadienne et leur passeport canadien, parce qu'ils veulent participer aux promesses d'avenir de leur pays, parce qu'ils refusent de se replier sur eux-mêmes et aussi parce qu'ils aiment trop le Québec et le Canada.

Madam Speaker, thousands of citizens from Verdun and myself will say no because we want to keep our Canadian citizenship and our Canadian passport, because we want to participate in the promising future of our country, because we refuse to retire inside of ourselves and also because we love our province and our country.

A l'instar de milliers de Verdunois, Mme la Présidente, mon non est Québécois. Je sais que tout n'est pas partait et que des changements raisonnables doivent être apportés à notre constitution pour permettre aux Québécois de continuer à s'épanouir dans un climat de solidarité et de liberté dans un régime fédéral canadien renouvelé, et c'est possible.

Mon non est Québécois et j'opte pour la forme d'avenir la plus riche qui puisse être offerte au peuple québécois: le fédéralisme. Mon choix, je le fais avec le même patriotisme et la même foi aux valeurs démocratiques que mes adversaires d'en face. Mon non, comme celui de milliers de citoyens de mon comté, signifie un non à la séparation du Québec, un non au projet de cassure et un oui au projet de changement mis de l'avant par les forces fédéralistes.

Certains prétendent que dire non au référendum c'est se déshonorer devant l'histoire et limiter nos pouvoirs de négociation. Je crois que cet argument dénote un manque déplorable de respect pour l'intelligence de notre peuple. Je ne vois pas comment, en votant oui au référendum, les Québécois gagneraient en force de négociation. Au contraire, ils perdraient une part importante de leur crédibilité et de l'estime de leurs compatriotes canadiens. On n'arrive jamais à rien en utilisant le langage du chantage, du bluff et de la confrontation. En 1980, Mme le Présidente, comprendre le Canada, comprendre le fédéralisme et les défis qu'il offre, c'est cesser d'avoir peur et, comme conséquence, de se replier presque mécaniquement sur soi. C'est son désir de liberté et d'égalité dans une nouvelle identité canadienne basée sur l'accès enrichissant des deux grandes civilisations française et anglaise et sur l'ouverture de plus vastes possibilités d'action sur la scène mondiale. En 1980, comprendre le Canada, comprendre le fédéralisme, c'est ouvrir nos horizons à la gran-

deur de ce grand pays qui nous appartient et dont nous pouvons faire une réussite remarquable dans l'histoire du peuple.

Mme la Présidente, si, naturellement, de ce côté-ci, nous avions eu le même temps que nos amis d'en face, j'en aurais eu beaucoup plus à dire, non seulement pour les gens de Verdun, mais pour l'ensemble du Québec. En terminant, Mme la Présidente, j'aime trop le Québec et le Canada, mon non est québécois. (17 h 50)

Mme la Présidente: M. le député de Papineau.

M. Jean Alfred

M. Alfred: Mme la Présidente, le 22 décembre 1979, comme nous l'avons promis, nous avons porté à l'attention de la population la question qui précise la nouvelle entente entre le Québec et le Canada. Cette question se lit comme suit: Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver avec le reste du Canada à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples. Cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures. C'est ça la souveraineté. Et en même temps, il ne faut pas l'oublier, en même temps, concurremment, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie. Tout changement de statut politique résultant de ces négociations sera soumis à la population par référendum. En conséquence, accordez-vous ou non au gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada?

Cette question, par son contenu et au moment même où elle est posée, revêt un caractère historique. C'est un rendez-vous avec l'histoire, avec cette histoire que Jean Alfred, après onze ans au Québec, fait sienne. C'est un rendez-vous avec l'histoire, avec notre histoire, et qu'il ne faudrait pas manquer car, à la différence des événements heureux et malheureux qui ont jalonné notre passé et dont nos prédécesseurs ont été les témoins plus que les acteurs, nous avons cette fois l'occasion première et inespérée de forger le cours de notre destinée collective parce que nous en deviendrons les véritables artisans.

Comme tous les grands historiens, je ne crois pas à la génération spontanée. C'est la raison pour laquelle je rends hommage à tous ceux qui ont contribué à conserver l'originalité du peuple québécois. Dois-je citer, Mme la Présidente, Mercier, Duplessis, Lesage, Johnson et même Bourassa qui, en 1971, a refusé, au nom de tous les Québécois, la charte de Victoria?

Le référendum se situe non seulement dans la continuité de l'histoire mais il est l'aboutissement logique du cheminement du vécu des Québécois. Je ne crois pas que les Québécois passeraient à côté de cette chance unique qui nous est offerte. Je ne le crois pas. Dans sa prise en main par nous-mêmes, c'est notre avenir collectif que nous allons jouer comme peuple, sans distinction de race ni d'ethnie. Nous sommes tous des Québécois, que nous soyons d'origine haïtienne, britannique, française, italienne, grecque, portugaise, belge et j'en passe.

D'ailleurs, la politique du gouvernement du Québec en matière d'immigration a consisté essentiellement à démontrer à tous les Québécois, quelle que soit leur origine — et j'ai travaillé là-dedans pour affirmer ce que je dis — qu'il n'y a pas de distinction entre les Québécois de nouvelle souche et les Québécois qui sont nés ici.

Nous faisons tous partie de ces six millions de Québécois qui vivent au Québec, vivant dans ce coin de terre par la naissance ou par choix délibéré, et le député de Papineau l'a fait par choix délibéré. Dès lors, nous devenons solidaires les uns des autres parce que c'est notre avenir à tous, aux six millions de Québécois, qui est en jeu.

C'est un bien grand honneur que m'ont fait les électrices et les électeurs du comté de Papineau en m'élisant à l'Assemblée nationale. Je vous le dis, Mme la Présidente, avec beaucoup d'émotion. C'est un grand honneur que m'ont conféré les électrices et les électeurs du comté de Papineau en m'élisant à l'Assemblée nationale du Québec et je voudrais souligner précisément cette solidarité exemplaire qui fait que je les représente ici. Je les remercie très sincèrement de la confiance qu'ils ont mise en moi, de la confiance qu'ils m'ont témoignée et que je me suis efforcé, tant bien que mal, de mériter. La solidarité de mes électrices et de mes électeurs est exemplaire car elle a permis, pour la première fois dans notre histoire, l'élection non seulement d'un Québécois de nouvelle souche après seulement l'intégration à la communauté québécoise, mais, je le répète, d'un Québécois qui n'est pas de race blanche.

C'est une preuve que les Québécois sont ouverts aux communautés qui veulent cohabiter au Québec avec eux. Je remercie toutes les Québécoises et tous les Québécois qui m'ont accueilli et qui m'ont permis de prendre part à ce grand débat national. Quelle fierté pour Jean Alfred! Quelle émotion, quel enthousiasme, mais aussi quelle fierté!

Si je suis ce que je suis aujourd'hui — je vais vous dire pourquoi — je le dois à un Québécois de Dolbeau, au Lac-Saint-Jean, M. Richard Veilleux, frère de l'Instruction chrétienne. C'est grâce au dévouement et à la générosité de ce Québécois que ma famille a reçu l'aide et l'assistance dont elle avait besoin et que j'ai pu faire mes études en Haïti. M. Richard Veilleux et sa communauté m'ont en effet pris en charge dès ma quatrième année d'études très tôt.

C'était un Québécois. C'est avec beaucoup d'affection et de reconnaissance que je témoigne aujourd'hui ma gratitude à tous ceux dont je suis redevable de quelque chose, à ce religieux du Québec surtout, qui porta en terre haïtienne le don de soi et, à travers lui, le message d'accueil et d'amour de tout ce peuple qui m'a accueilli. (18 heures)

C'est regrettable que la mort prématurée de ce Québécois de Dolbeau l'empêche aujourd'hui

de partager avec moi ce débat politique. Je suis heureux de donner aux Québécois et aux Québécoises mon temps et mes énergies en retour de ce qui m'a été donné par les jeunes qui furent mes élèves ici au Québec et, ensuite, par toutes les familles québécoises qui m'ont accueilli comme leur fils, dès mon arrivée au Québec.

Permettez-moi, s'il vous plaît, de citer ces familles québécoises de l'Outaouais qui m'ont accueilli comme leur fils, les Gauthier, les Maisonneuve, les Saint-Jean, les Charbonneau, les Charette, les Desjardins, les Favreau, et j'en passe, toutes ces familles québécoises qui m'ont accueilli comme Québécois et qui m'ont élu pour les représenter ici après sept ans seulement de partage avec elles.

Cela démontre que les Québécois et les Québécoises acceptent d'emblée les Québécois de nouvelle souche qui, d'une part, les respectent et qui, d'autre part, vivent avec eux et partagent leurs aspirations les plus fondamentales. C'est avec des Québécois et des Québécoises de cette trempe, c'est avec ces groupes solidaires de notre avenir, c'est avec des citoyens engagés, parce que responsables, c'est avec toute cette collectivité que nous nous embarquons maintenant pour notre avenir.

J'adresse maintenant un vibrant appel aux citoyens de la région de l'Outaouais, où je suis depuis onze ans, pour qu'ils examinent sérieusement le livre blanc qui fait état de la proposition gouvernementale du Québec pour une nouvelle entente d'égal à égal se concrétisant dans la souveraineté-association. Cette proposition contient tous les éléments d'un projet d'association qui serait souple et sur une base d'égalité réciproque. La souveraineté-association assure — et cela est très important pour la population de l'Outaouais — la libre circulation des biens et des services, la libre circulation des investissements, la libre circulation des marchandises, c'est-à-dire qu'au lendemain de la réponse positive les citoyens de l'Outaouais pourront continuer à aller, bien sûr — à y acheter, s'ils le veulent — à Ottawa sans problème, quoi qu'en disent les adversaires. Ceci, dès le lendemain, parce que ce que nous demandons, c'est un mandat pour aller négocier; ce n'est pas un mandat pour réaliser quelque chose le lendemain, c'est un mandat pour aller négocier avec eux cette souveraineté-association.

Dire oui, c'est faire un choix majeur. Le député de Papineau dit oui. Dire oui, c'est faire le pas pour mettre fin à cette distorsion entre les deux peuples. Je l'ai vu et vécu depuis douze ans. La souveraineté-association, je ne continuerai pas, vous l'avez dans le livre blanc, et j'invite toutes les Québécoises et tous les Québécois de l'Outaouais québécois, tous les Québécois du Québec à le lire, à le comprendre et à dire et avoir des yeux... depuis 1968 nous avons travaillé bien sûr pour arriver à cette égalité, parce que moi j'aime cela, égal aux autres. Je souhaite que le jour "R", tous ensemble, Québécoises et Québécois, jeunes, moins jeunes, troisième âge, nous allons tous, bien sûr, nous donner ce mandat que nous demandons d'aller négocier d'égal à égal cette fois avec les autres. Québécoises et Québécois, je crois dans ce oui et je suis sûr que vous allez nous donner ce oui.

Merci, Québécois, merci pour tout ce que vous avez fait pour Jean Alfred, député de Papineau. Merci pour ce que vous avez fait pour lui en Haïti et merci pour ce que vous avez fait pour lui en arrivant ici.

Québécoises et Québécois, Jean Alfred, député de Papineau, ne peut que vous remercier. Merci.

La Vice-Présidente: M. le ministre d'Etat à l'Aménagement du territoire.

M. Léonard: Je demande l'ajournement, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Cette Assemblée suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

Suspension de la séance à 18 h 7

Reprise de la séance à 20 h 7

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! Veuillez vous asseoir.

M. le ministre d'Etat à l'Aménagement.

M. Jacques Léonard

M. Léonard: M. le Président, pour qu'on voie mieux l'avenir du Québec, je veux rappeler une page de notre histoire et l'on admettra d'autant mieux le sens et la pertinence de la question que nous débattons aujourd'hui. J'évoquerai les discussions et les jeux de coulisse auxquels se sont prêtés les hommes politiques du Canada en 1864 jusqu'à ce que la reine Victoria d'Angleterre proclame notre Confédération actuelle, de son vrai nom The British North America Act.

A l'époque, le Canada-Uni avait une dette publique de $75 millions qui lui venait majoritairement du Haut-Canada. Les compagnies de chemin de fer où on retrouve peu de francophones avaient, à l'égard du gouvernement, $20 millions de dettes en souffrance. Le commerce anglophone n'allait pas et les provinces maritimes, anglophones aussi, n'allaient pas non plus. Les colonies britanniques de l'Amérique s'en allaient donc vers la faillite et les gouvernements se succédaient au rythme de un par année. Il fallait consolider au plus vite les dettes et ouvrir les marchés aux usines du Haut-Canada, l'Ontario d'aujourd'hui. Pour cela, il fallait rassembler les colonies sous un gouvernement qui aurait tous les pouvoirs sur les revenus et le commerce.

Le Canada francophone n'avait pas d'intérêt là-dedans. Tout ce plan d'unification, c'est le tra-

vail pressé d'un petit groupe de politiciens et d'hommes d'affaires plus britanniques que canadiens qui doivent se sortir de l'impasse. On se réunit à Charlottetown puis à Québec. On en arrive à un compromis. On l'envoie à Londres qui s'assure de n'y voir aucun sentiment patriotique, mais qui s'assure surtout qu'on relie au plus vite les Maritimes au Haut-Canada par chemin de fer.

Il n'est pas question de peuple, ni de nation dans le document signé, par la reine Victoria. Pourtant, au Québec, il y a méprise. La démarche n'a pas été claire. Les journaux francophones de l'époque, comme Le Canadien et La Minerve, parlent "d'Etats souverains déléguant une partie de leurs droits et de leurs pouvoirs à un gouvernement central". (20 h 10)

Le British North America Act fut, en fait, un compromis terre à terre discuté, échafaudé, remanié et négocié bien commode que se sont passé entre eux un petit groupe de politiciens et d'hommes d'affaires pour régler les problèmes financiers qu'ils jugeaient préoccupants au Canada. C'est sur cet immense malentendu qu'est née la Confédération d'aujourd'hui, et j'ai cru important de le rappeler. C'est la raison pour laquelle Macdonald a toujours refusé de consulter nos ancêtres québécois.

Je retrouve, malheureusement, aujourd'hui les mêmes attitudes et la même démarche, 113 ans plus tard, non plus chez Georges-Etienne Cartier, mais chez Claude Ryan. Ce politicien a concocté en quelques mois un autre compromis pour le Canada, avec quelques autres politiciens avec qui il n'avait pas trop de divergences, avec quelques juristes du Québec, avec une clique qui aura toujours à l'oeil les désirs, les diktats et les urgences de la finance anglo-canadienne.

Avant même d'en faire connaître la teneur aux Québécois ou tout au moins à ceux qui l'ont élu dans Argenteuil, M. Ryan est passé par sa priorité, normale pour lui. Il a vu les Lougheed et les Davis bien avant le 10 janvier dernier, moment où il nous a fait connaître son livre beige. Il y avait sûrement à Toronto des désirs plus importants à combler qu'au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et à Québec. Qu'est-ce que M. Ryan pense faire de son livre? Comme Georges-Etienne Cartier, il dit: Faites-moi confiance, élisez-moi, je n'ai pas besoin de mandat. M. Ryan ne dit pas qu'il faut demander au Québec ce qu'il pense d'un tel projet. Il nous dit: Mes amis à Calgary m'ont dit qu'ils aimaient bien.

Je crois, M. le Président qu'avec une telle démarche, qui, j'en conviens, est tristement fidèle à notre histoire en ce qu'elle ressemble à celle de Macdonald, nous avons toutes les chances du monde d'en arriver à un autre grave malentendu historique. Ce que ne dit pas M. Ryan, c'est qu'il veut retricoter le même vieux compromis que Macdonald a déjà réussi à faire avaler au Québec qui en est d'ailleurs malade depuis. C'est ce même Macdonald qui a écrit dans ses mémoires: "Eussions-nous déclaré la question ouverte, le Québec se serait levé comme un seul homme et adieu la Confédération!

Ce que le gouvernement, M. le Président, propose, c'est d'ouvrir la question à toute la population du Québec, n'en déplaise à M. Macdonald dans sa tombe et n'en déplaise à M. Ryan sur son siège.

Par cette question, notre démarche est claire. La population y est associée et connaît déjà les étapes et la direction des négociations. Notre démarche est si simple que le chef du non feint de ne pas la comprendre. L'esprit partisan l'aveugle comme le désir du pouvoir. Mais les Québécois, eux, l'ont déjà comprise.

Une première étape, le premier référendum maintenant. Il faut d'abord établir le principe qu'on négociera, un peuple avec un autre peuple, d'égal à égal. C'est là le cadre des négociations. Quant au mandat, à la mission qui est sollicitée aujourd'hui, en 1980, par le gouvernement, dans la question que nous étudions, c'est de négocier une nouvelle entente, pour la première fois, avec le reste du Canada.

Une deuxième étape, les négociations. C'est la démarche en plein jour, devant tous les Québécois, jour après jour, du gouvernement du Québec qui veut en arriver à une entente d'égalité harmonieuse, simple et efficace, négociée avec le reste du Canada.

Comment le gouvernement compte-t-il assurer cette égalité? Quelle orientation le gouvernement veut-il donner aux négociations pour assurer cette égalité? Le texte de la question est clair là-dessus. "Cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté — et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie." Voilà la direction que veut donner le gouvernement aux négociations ouvertes et claires qu'il propose aux Québécois.

Ensuite, la troisième étape. Le gouvernement s'engage à présenter, noir sur blanc, lors du deuxième référendum, le bilan des négociations. Avec cet engagement, aucun changement de statut politique n'est possible avant le second référendum. Cette démarche demande la participation des Québécois et je demande à tous les Québécois de comparer notre démarche à celle du chef du non. Si on avait suivi cette démarche aussi démocratique et aussi respectueuse du citoyen en 1864-1867, tout le Québec aurait pu suivre toutes les étapes de la création de la fédération, et tout le Québec aurait pu dire oui ou non, un jour. Mais non, Mercier, premier ministre du Québec, convoque la première conférence fédérale-provinciale pour changer la loi de 1867, Macdonald décline l'invitation. Aucun résultat. Et ce n'était là que le début d'une série de refus que tous les premiers ministres du Québec vont devoir essuyer par la suite.

A ceux qui demanderont pourquoi nous devons aujourd'hui faire cette démarche, je rappellerai tous les échecs et les insuccès de nos gouvernements depuis 100 ans lorsqu'ils ont voulu négocier, à un contre quatre, à un contre sept, à un

contre dix, morceau par morceau, des changements aux pouvoirs politiques et économiques de 1867. Sans mandat, ils n'ont obtenu que des miettes en 100 ans d'efforts. Je les ramènerai au constat qu'ont fait toutes les commissions royales d'enquête, pourtant créées par Ottawa, et qui recommandent à tout coup l'égalité entre les deux peuples.

C'est toujours la même éternelle conclusion: l'égalité entre deux groupes majoritaires. Il faudra bien un jour y arriver dans la réalité et le seul outil qui nous soit possible et démocratique pour faire débloquer la discussion, c'est un oui au référendum du printemps, d'autant plus qu'il y a consensus, qu'il y a même unanimité, tant dans la population que chez tous les hommes politiques du Canada, sur l'urgence de revoir le compromis à l'origine du Canada actuel. Cet itinéraire, avec ses trois étapes, assure plus de liberté, plus de transparence et plus de participation, M. le Président.

Vont-ils négocier? Je réponds oui, comme bien d'autres. David Crombie, ex-maire de Toronto, a déjà répondu en janvier 1979: Refuser de négocier serait tout à fait stupide, dit-il. M. Clark, alors premier ministre, sur les ondes de Radio-Québec, le 10 septembre dernier, disait: Oui ou non, je serai là pour négocier. Même M. Trudeau qui est aujourd'hui de retour l'a avoué: Quelqu'un devra s'asseoir et négocier avec eux, a-t-il dit. Quant à moi, j'ai mon idée là-dessus.

Au lendemain du 15 novembre 1976, j'ai été chargé par le gouvernement du Québec de négocier les ententes Québec-Canada avec le ministre fédéral de l'Expansion économique régionale. Qu'on se rappelle que, durant toute la campagne électorale précédente et encore le 17 novembre 1976, ce ministre s'était laissé aller à dire qu'il ne négocierait plus avec le Québec. Qu'on se le rappelle. Je ne sais si c'est parce que le Québec avait parlé fort et qu'il avait voulu un rapport de forces plus vigoureux avec Ottawa, mais ce ministre a signé avec le Québec le triple — je dis bien le triple — des ententes qu'il avait consenties au gouvernement Bourassa. Tirez-en vos propres conclusions.

En fait, il y a une volonté réelle de négocier au Canada anglais et je citerai là-dessus une enquête faite par la York University de Toronto où, à part d'autres statistiques plus élevées, 59% de la population du Canada anglais affirment que le Canada devrait être prêt à négocier un accord économique si le Québec décidait d'être souverain.

D'ailleurs, M. le Président, soyons réalistes, le Canada et le Québec ont tous deux des marchés et des emplois à conserver, des ressources à partager; 75% du boeuf que nous mangeons proviennent des Prairies; l'Ontario nous expédie pour près de $5 milliards de produits, ce qui implique 200 000 emplois; nous exportons dans le reste du Canada, et, comme les Canadiens, nous tenons à ce que ces échanges continuent.

Ce sont les mêmes entreprises qui financent le non qui, après le oui au référendum, seront les premières à pousser les négociations d'une union économique Québec-Canada, à pousser pour que ça se fasse rapidement, proprement, rondement, à pousser pour que la nouvelle entente soit enfin une véritable garantie de stabilité. Ces entreprises savent que plus de 70 pays parmi les plus industrialisés du monde, gros comme l'Allemagne, petits comme la Norvège, ont fait de telles ententes avec leurs voisins. Donc, M. le Président, par un premier référendum, les Québécois nous donneront leur appui pour aller discuter, négocier d'égal à égal avec le reste du Canada. Devant tous les Québécois, nous discuterons quelques mois, nous tirerons les différentes lignes de l'entente, les règlements pour l'application de l'entente, et nous déterminerons les changements réalistes, conséquents et nécessaires au nouveau statut politique envisagé. (20 h 20)

Ces changements seront alors soumis à un deuxième référendum avant de pouvoir prendre effet dans la réalité de tous les jours. M. le Président, c'est à partir de ce moment que le gouvernement du Québec sera seul à faire des lois, seul à percevoir des impôts. Ce n'est qu'à ce moment que les pensions de vieillesse, les allocations familiales et tous les paiements de cette nature viendront du Québec. Ce n'est aussi qu'après ce deuxième référendum que nous pourrons envisager le développement du Québec tout entier et celui de chacune de nos régions selon nos aptitudes, nos goûts, notre imagination, sans recourir à deux équipes de fonctionnaires qui s'enfargent l'une dans l'autre, sans recourir à deux équipes de politiciens qui, trop souvent, doivent surveiller leurs intérêts partisans avant celui du Québec. Fini de quémander notre argent à Ottawa pour construire un centre de congrès à Montréal; fini de quémander notre argent à Ottawa pour ouvrir une papeterie à Amos ou dans la Matapédia ou pour exploiter le sel des Iles-de-la-Madeleine. Nous sommes assez grands pour organiser notre territoire nous-mêmes, selon nos goûts, selon nos priorités.

Un oui au référendum permettra aux Québécois d'assurer dans le domaine politique la même solidarité qu'ils ont commencé d'exercer dans le domaine économique. Nous avons amorcé la reconquête de notre économie dans une telle solidarité à partir de toutes les régions du Québec et à une telle vitesse qu'il est aujourd'hui naturel que nous voulions tous, citoyens et gouvernement solidaires, amorcer la reconquête de notre autonomie. Notre liberté, notre prospérité et notre sécurité, nous pouvons les assurer avec notre imagination et selon notre démarche.

A l'image de toutes les régions du Québec qui ont leur Armand Bombardier ou leur Casavant, à l'image des Perron et de l'Abitibi, à l'image des centaines d'industriels de la Beauce et des centaines de pêcheurs de la Gaspésie qui n'aspirent qu'à aller au large avec de vrais moyens, à l'image de Jacques Gagnon dont je salue respectueusement la mémoire et de Desjardins et de leur réseau de solidarité, à l'image de tout ce fer, de cet amiante, de cet aluminium, de ce papier qui

viennent de chacun de nos coins, c'est parce que tous ces gens ont dit oui au Québec un jour que nous pourrons ce printemps dire oui, un oui si normal, un oui si naturel. Merci.

M. Dussault: M. le Président.

Le Président: M. le député de Châteauguay, vous avez maintenant la parole.

M. Roland Dussault

M. Dussault: Merci, M. le Président. Depuis 18 ans que je milite pour libérer ma patrie du carcan fédéral qui l'étouffe dans la douceur, il faut le dire, depuis 113 ans, je ne surprendrai personne en disant que je voterai oui au référendum et à la question proposée. Elle me semble être celle qui convient.

Pendant cent ans, les Britanniques et les Français se sont fait la guerre. Cette guerre de Cent Ans a eu ses échos en Amérique. Un jour, la raison doit finir par triompher, vous le savez. Les Anglais et les Français ont mis ensemble argent et talent. Ils ont bâti le Concorde. Cet avion géant est devenu le symbole de la volonté de ces deux peuples souverains de vivre en harmonie dans la paix. La réalisation du rêve que caresse l'actuel premier ministre du Québec depuis 1967 qu'il a nommé au début union canadienne et qu'il a appelé par la suite d'un nom plus près de la formule qu'il a conçue, la souveraineté-association.

Le jour où les Québécois auront fait voir de façon claire et sans équivoque à la nation canadienne-anglaise qu'ils sont capables de se tenir debout, au-dessus des intérêts partisans, la réalisation de ce rêve, dis-je, ce sera notre Concorde, M. le Président.

Depuis décembre dernier, le peuple québécois connaît la question que le gouvernement entend lui poser lors du référendum sur l'avenir du Québec, qu'il s'est engagé à tenir dans un premier mandat. A moins d'une correction qui n'aura rien à voir avec les amendements déjà déposés par le clan du non, la question devrait être celle que l'on connaît et qui se lit comme suit: "Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples; "cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté — et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie; "tout changement de statut politique résultant de ces négociations sera soumis à la population par référendum; "en conséquence, accordez-vous au gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada? "

Cette question, à mon avis, est conforme à l'esprit de changement qui anime la population du

Québec et qui a animé les gouvernements précédents. C'est dans la continuité des demandes traditionnelles de ces gouvernements que la question trouve ses racines, ceux des Duplessis, Johnson, Lesage, ceux qui disaient: "Rendez-moi mon butin", soyons "maîtres chez nous" et "égalité ou indépendance".

Avec le temps et face aux difficultés que lui faisait vivre le fédéralisme canadien, le peuple québécois a identifié de plus en plus clairement la base sur laquelle une nouvelle entente pourrait exister entre le peuple québécois et l'autre peuple fondateur de la fédération canadienne. Depuis la commission Laurendeau-Dunton en 1965 qui proclamait que l'espoir traditionnel du Canada français, c'est celui d'être l'égal comme partenaire du Canada anglais; cette base, c'est l'égalité des peuples.

Les Québécois ont maintenant la conviction qu'en dehors de cette reconnaissance d'égalité juridique que tous les peuples recherchent naturellement, la sécurité à tout point de vue n'est pas et ne sera jamais possible pour les Québécois dans le fédéralisme à dix provinces pour deux peuples majoritaires chacun chez eux.

Le oui au référendum confirmera cette conviction. La question référendaire respecte la vitesse de croisière de ce peuple dont le gouvernement a le devoir et l'obligation de ne jamais le diriger dans un cul-de-sac face à l'avenir. Le gouvernement québécois se devait donc d'être conscient que, face au pouvoir fédéral, un non pourrait être terriblement mortel quant aux perspectives d'avenir des négociations avec nos voisins séculaires.

Le chef du non avait très bien compris cela — dommage que la partisanerie l'ait rendu si aveugle — quand, en décembre 1976, dans un éditorial d'analyse serrée des différentes hypothèses d'approche de la question, il avait envisagé — le mot est de lui — très sérieusement la possibilité que les Québécois et les Québécoises disent oui massivement à une question qui serait du genre de celle préparée par le gouvernement.

Je cite cet extrait important de cet éditorial écrit par l'actuel chef du non: "Mais combien plus périlleuse pour M. Trudeau pourrait se révéler une démarche à deux paliers qui consisterait, dans un premier temps, à demander aux Québécois s'ils autorisent leur gouvernement à rechercher par la négociation une nouvelle alliance avec le reste du Canada fondée sur le principe que le Québec forme une nation distincte, ou encore sur l'objectif d'un nouveau pacte entre les deux nations; dans un second temps, à inviter les Québécois à se prononcer sur les résultats obtenus et à conclure en conséquence. Une première démarche formulée dans le sens que nous envisageons aurait de très fortes chances d'être appuyée par une solide majorité d'électeurs". C'est bien la question que nous posons, M. le Président.

Si on pouvait reculer dans le temps, je féliciterais le chef du non pour avoir eu autant de clairvoyance. Etant sans doute, à ce moment-là, complètement détaché d'ambitions politiques, sa

disponibilité d'esprit a rendu possible cette expression d'idées qui constitue aujourd'hui un éclairage important pour les Québécois face à la décision historique qu'ils doivent prendre. Si une majorité de Québécois et de Québécoises répond oui à cette question, le gouvernement considérera qu'il a le droit de négocier au nom des Québécois une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples qui permettra au Québec d'acquérir sa souveraineté, c'est-à-dire faire ses lois, lever lui-même ses impôts et avoir directement avec les autres pays des relations extérieures; donc, d'élargir ses horizons contrairement à ce que nos adversaires en disent, tout en maintenant avec le Canada une association économique comportant l'usage de la même monnaie. (20 h 30)

Après l'obtention de ce mandat, aucun changement de statut politique ne sera effectué sans que la population québécoise ait eu l'occasion de l'approuver spécifiquement par voie de référendum. Malgré que la démarche référendaire ait été l'objet de retouches à l'occasion, cette option est restée fidèle à ce que son promoteur l'avait voulue au départ. En effet, pour quiconque voudra s'en donner la peine du côté du non, il sera facile de consulter le livre Option Québec que l'animateur du grand mouvement du oui a écrit à la fin des années soixante. C'est cette toile de fond qui servira de décor à la négociation que le peuple québécois exigera le jour du référendum. Cette toile de fond n'a pas changé, contrairement à ce que voudraient faire croire les tenants du non dans leur tentative de discréditer la question et ce qu'elle véhicule, n'ayant rien à dire de sérieux sur le fond.

La parution du livre blanc a été l'occasion de constater la constance du premier ministre quant aux idées qu'il véhicule depuis 1967. J'en veux pour témoin l'analyste politique anglophone de la Gazette, M. Graham Fraser qui, au lendemain du dépôt du livre blanc gouvernemental, "La nouvelle entente Québec-Canada" disait — le titre a lui seul est assez éloquent: "Lévesque has changed little since 1967", Lévesque a peu changé depuis 1967. L'analyse de M. Fraser est intéressante en ce sens qu'elle conclut, comparaison faite entre le livre Option Québec de 1967 et le livre blanc récent du gouvernement, que M. Lévesque n'a pas trahi son option de départ, loin de là. La lecture de trois courts extraits suffira à démontrer cela.

Après avoir fait état que pour le ministre des Affaires intergouvernementales, le livre blanc du gouvernement, c'est l'Option Québec, version 1979, M. Fraser dit — je le citerai en français, si vous permettez, le document illustre aussi de façon saisissante combien peu a changé la politique de René Lévesque depuis qu'il l'a imaginée dans le sous-sol — je l'ai appris — de M. Robert Bourassa, en 1967. Politique qu'il a essayé de faire approuver par le Parti libéral du Québec. Ayant échoué — toujours selon ce que dit M. Fraser— il a quitté ce parti, a fondé le Mouvement souveraineté-association et a publié sa politique dans le livre Option Québec. Plus loin, il dit — je cite encore — "Mais la substance est, parfois à un degré époustouflant, pratiquement identique, "virtually identical". Suit ensuite une série de comparaisons qui démontrent cet avancé. Plus loin, il ajoute: "Ce qui est extraordinaire au sujet de cette similarité des deux documents, c'est que Lévesque — je m'excuse, c'est comme cela qu'il le dit — a écrit le premier comme député indépendant à l'Assemblée nationale alors qu'il avait quitté le Parti libéral.

La différence que voit M. Fraser est davantage dans la motivation parce que chacun a droit à ses motivations, n'est-ce pas? S'il perçoit que le livre Option Québec est empreint d'un certain pessimisme — c'est lui qui le dit, M. Lévesque — il affirme que le livre blanc est empreint de maturité et de responsabilité adulte. Dois-je rappeler que cette analyse, M. le Président, ne vient pas d'un péquis-te? Sur le fond de son option, donc, M. Lévesque n'a pas changé et je rends hommage à cet analyste anglophone de l'avoir écrit.

Si les apôtres du non — car dire non pour eux, c'est devenu un réflexe conditionné; il s'agit qu'on leur mette quelque chose de bon sous les yeux pour qu'ils disent non merci — si ces apôtres du non mettent tant d'insistance à faire croire à la malhonnêteté de la question, à lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit, c'est qu'ils ont l'espoir — quel triste espoir, M. le Président! — qu'à force de le répéter, une majorité de Québécois et de Québécoises finiront par le croire. C'est connu: Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. Leur attitude face à la question ne nous surprend pas, M. le Président. Elle n'était pas connue que déjà ils disaient non et ils la disaient déjà malhonnête. Leur attitude est toujours la même, M. le Président: jouer avec la portée émotive des mots, faire peur, créer le soupçon, faire des procès d'intention. Voilà leur ligne de conduite; c'est avec cela qu'ils espèrent masquer leur à-plat-ventrisme devant les intéressés du régime. Jusqu'à maintenant, M. le Président, cette manoeuvre des négatifs de l'avenir leur a évité de s'expliquer sur leur option. La vérité, c'est que les silences du clan du non visent à cacher que son option constitutionnelle a été élaborée dans les louches dédales de la compromission.

En fait, les tenants du non pensent tellement peu à l'avenir du Québec, mais tellement plus à l'avenir de leur parti qu'ils ont fini par oublier qu'eux-mêmes, avant le débat en cours, qu'ils croyaient à la nécessité d'un changement. Un tel consensus s'était fait au Québec, d'ailleurs. Leur partisanerie a pris tellement de place qu'ils en sont arrivés à défendre systématiquement le statu quo — l'intervention de M. le député de Jean-Talon en est la meilleure preuve — à défendre systématiquement, si ce n'est pas la souhaiter, la stagnation de notre développement collectif, à décourager littéralement notre ambition légitime sous prétexte de sauver le fédéralisme. Selon la dialectique du non, M. le Président, notre peuple devrait être comparé à ce travailleur qui gagne $250 par semaine, qui a un potentiel lui permettant d'en gagner $500 et qui refuserait de partir à son

compte en s'associant avec son ancien patron sous prétexte que le décor aura changé après qu'il aura pris une telle décision et que ce serait haïr son patron. Celui qui décourage quelqu'un de viser un tel développement de son potentiel, c'est un éteignoir, M. le Président. Or, dans le présent débat le clan du non s'est avéré le plus grand éteignoir que l'histoire nous ait jamais permis de connaître.

M. le Président, le mariage que l'on veut tous avec le Canada anglais ne pourrait être, expérience vécue, autre chose qu'un mariage de raison — notre amour ne doit pas être aveugle, n'en déplaise à Mme la députée de Prévost — sur la base d'une association sur le plan économique. N'est-ce pas ce qui intéresse tous les citoyens de l'actuel pays canadien, le bien-être économique? Le Canada anglais n'a aucune faveur à nous faire et, comme le péché, le changement lui déplaît. Il faudra donc parler fort, nous montrer solidaires, dégager entre nous une majorité solide qui permette de faire comprendre au Canada anglais que si, pour lui, la bâtisse de 1867 est encore très convenable, pour nous il n'est plus question d'y cohabiter selon la règle de l'inégalité. La prochaine entente devra être propice à laisser fleurir notre potentiel non pas seulement culturel, mais aussi et surtout économique.

Dorénavant, seul un oui massif à un mandat de négocier sur la base de l'égalité des peuples en vue d'un régime de souveraineté-association permettra au Canada anglais de nous prendre vraiment au sérieux. Aujourd'hui, embarquons-nous dans le train du changement; lors du prochain référendum, le deuxième, on dira au gouvernement où on veut que le train arrête. Merci, M. le Président.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Robert Baldwin, vous avez maintenant la parole.

M. John O'Gallagher

M. O'Gallagher: Merci, M. le Président. Vous allez vous rappeler que Robert Baldwin était un grand Canadien, un Irlandais comme les députés d'Anjou, de Chauveau et de Bonaventure, car hier c'était la fête des Irlandais, la fête de saint Patrick. Merci.

M. le Président, les discours que nous avons entendus depuis deux semaines, de la part des membres du gouvernement, m'ont blessé un peu, mais, plus encore, ils ont insulté l'intelligence des Québécois. D'abord, le moment historique de confrontation entre les ultra-nationalistes et les fédéralistes est gâté par une question extrêmement ambiguë. Evidemment, c'est une question toute fabriquée et surtout dorée pour cacher sa brutalité. La brutalité qu'elle cache sous le couvert de la souveraineté-association, c'est l'indépendance du Québec, tout simplement. Le mandat de négocier, c'est simplement de la frime. Le gouvernement, par son ministre des Affaires intergouvernementales, a déjà le mandat de négocier quoi que ce soit avec qui que ce soit. Mais il a, depuis trois ans, refusé de négocier aux conférences fédérales-provinciales. Drôles de négociations qu'on envisage, destinées à l'avance à la rupture.

D'ailleurs, ces négociations peuvent-elles simplement être entreprises puisque le gouvernement fédéral et les autres provinces n'ont absolument aucun mandat pour négocier la souveraineté-association? Combinez tout cela avec un deuxième référendum, chez nous ou dans les dix provinces, si vous voulez. On n'est pas sorti du bois! En anglais, on appelle cela "institutionalized permanent uncertainty".

Je veux comprendre pourquoi le Conseil du patronat votera non. Il veut tout simplement protéger ses affaires, ses valeurs et surtout ses employés. Il a tout à perdre et rien à gagner là-dedans. Le premier ministre, il y a exactement trois ans, le 16 mars 1977, trois ans plus deux jours, a répondu au député de Bonaventure qui posait la question suivante: Voulez-vous la juridiction sur la monnaie, les douanes, la paix, la défense et les postes? Le député de Taillon, M. Lévesque, le premier ministre a répondu oui à la première question. Oui, on veut la juridiction sur la monnaie, les douanes, la défense et même les postes.

M. le Président, la question, la campagne référendaire qui va suivre sera seulement la première étape du marketing de l'indépendance. C'est ce qu'on veut avoir, l'indépendance. C'est le marketing de cela. C'est clair comme de l'eau de roche que toutes les forces nationalistes, indépendantistes ou séparatistes, à partir des plus doux jusqu'aux plus durs, conspirent afin de duper la population. Permettez-moi, M. le Président, d'analyser les théories présentées par les députés péquistes dans ce débat historique.

Pauvre histoire! Je vous dis qu'elle en prend pour son rhume! Le Parti québécois nous dit que les Québécois n'ont jamais été consultés lors de la Confédération en 1867. En réponse à cela, mes amis, j'aimerais vous rappeler un peu l'histoire. On a vu, avant la Confédération, beaucoup d'hostilité entre les Anglais et les Français, hostilité datant sans doute de la conquête. On a vu, au cours des années précédant la Confédération, la révolution dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. Le parlement a brûlé à Montréal. Il y eut la guerre entre les troupes et les citoyens.

On a vu aux Etats-Unis, par exemple, entre 1861 et 1865, deux ans avant la Confédération, une révolte terrible. Un million de soldats morts. Plus d'Américains tués dans la guerre civile que dans les deux guerres mondiales. A Gettysburg, mes chers amis, au nord de Washington — ce n'est pas loin de chez nous, c'est à quatre heures de voiture à peu près, si vous y êtes allés — 40 000 soldats tués en 1865, deux ans avant la Confédération. Ce n'était pas une guerre entre les Anglais et les Français. C'était entre des Américains qui parlaient la même langue et, dans plusieurs cas, entre des familles et des frères.

Chers amis, professeurs d'histoire, quelles questions allez-vous poser à ce peuple voisin

anglais et français, qui était vraiment écoeuré de se battre et de voir ses voisins se massacrer?

Chers citoyens, comme question, voulez-vous la révolution, oui ou non?

Des Voix: Non! on veut le Québec.

M. O'Gallagher: La Confédération est un instrument humain; pas parfait, mais l'instrument par lequel les deux peuples ont dit: Non, non, c'est assez, on peut vivre ensemble en paix, dans la générosité et la tolérance, et partager ensemble les richesses humaines et physiques de ce vaste pays; on peut montrer au monde comment vivre comme des hommes, et ce pacte dure depuis 113 ans. D'accord?

Le Parti québécois nous dit qu'on s'est fait avoir dans la Confédération et c'est seulement depuis quelques années que la péréquation est profitable aux Québécois. Oui profitable! En réponse à ça, bien sûr, je puis dire: Cela a coûté de l'argent; le Québec et l'Ontario ont ouvert l'Ouest, ont construit les chemins de fer, ont ouvert leurs portes aux réfugiés du monde entier.

Parmi ces milliers d'Ukrainiens réfugiés ici pour fuir la persécution et la famine, plusieurs ont aidé à sauver la belle France. Deux fois! Ils ont aidé les Maritimes à supporter un taux de chômage deux fois celui du nôtre. Ils ont aidé Terre-Neuve, en 1949, quand son niveau de vie était la moitié du nôtre.

Non, M. le Président, je refuse de demander pardon pour notre générosité, non!

L'économie, maintenant, M. le Président; il y a tellement d'exemples, mais je vais en prendre un seul. Le ministre des Transports vous a dit qu'on était déficitaire dans la Confédération quand, avec 27% de la population du Canada, on n'a que 12% des voies ferrées. A cette affirmation, il y a deux questions qu'on pourrait poser; l'une est aussi stu-pide que l'autre, a) Devrait-on construire des chemins de fer au prorata de la population ou selon les besoins? b) Devrait-on construire des ponts là où il n'y a pas de rivière? Venant d'un ministre des Transports, ce n'est pas fort!

Le même ministre des Transports oublie cependant de mentionner que, dans le domaine du transport, le Québec compte 100%, pas 27%, mais 100% des sièges sociaux et des ateliers des plus importantes compagnies nationales de transport et de communication, telles que CN, CP, Air Canada, Bell Canada et 52% des installations portuaires au Canada.

Mes chers amis, députés de Montréal, vous n'aurez pas besoin de beaucoup de "bargaining power" pour partager d'égal à égal avec le reste du Canada ces jobs. Franchement, les autres provinces seraient très heureuses de recevoir leur part de ces jobs des ateliers de Pointe Saint-Charles. Mon cher député de Sainte-Anne — il n'est pas là — elles seraient bien contentes d'avoir les deux tiers des jobs de Dorval, dans les bases d'Air Canada, elles seraient bien contentes d'avoir les jobs de Canadair, à Saint-Laurent, ou les jobs à United Aircraft. Elles seraient bien contentes de les avoir. Cela, mes amis, c'est un exemple du prix de la souveraineté-association d'égal à égal. (20 h 50)

Parlons maintenant, mes amis, de l'égalité des peuples. D'abord, il n'y a pas deux peuples dans ce pays. Le Canada français, c'est vrai, est demeuré assez homogène depuis la Confédération, mais le Canada anglais n'existe plus. Les Anglais sont minoritaires. Le reste du Canada est composé de toutes les races, un bon nombre d'entre elles de réfugiés de pays souverains: Italiens, Hongrois, Polonais, Allemands, Ukrainiens, Grecs, Portu-guais, Juifs, Espagnols et j'en passe.

M. Goulet: II y en a des Français en masse. M. O'Gallagher: Oui, il y a des Français aussi.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Robert Baldwin, je m'excuse d'interrompre votre discours. Je voudrais tout simplement l'interrompre pour demander à ceux qui vous interrompent de cesser de le faire.

M. le député de Robert Baldwin.

M. Springate: L'arrogance péquiste.

M. O'Gallagher: La preuve que le nationalisme exagéré n'a jamais pris dans le reste du Canada et ne prendrait jamais, c'est parce qu'il est composé de trop de races différentes. Ces personnes ont déjà vu le nationalisme à outrance dans leur pays d'origine et savent ce que ça peut produire. C'est vrai que le Québec a été lent à faire démarrer sa révolution tranquille, mais, aujourd'hui, on peut dire qu'on est aussi égal que n'importe quelle province ou n'importe quel Etat américain, si on veut. On ne cesse pas de vanter nos institutions d'éducation, l'ingénierie québécoise, Hydro-Québec, les caisses populaires, les caisses d'entraide économique et nos services sociaux qui ont tous été créés à l'intérieur de la Confédération.

En plus de cela, nous avons le meilleur standard de vie au monde et ta plus grande liberté. C'est cela, l'égalité. Ceux qui voudraient introduire la question de la langue dans ce débat le feraient seulement pour stimuler les émotions et pour aveugler la raison, car 5 millions de francophones ne pourront jamais devenir égaux en nombre à 200 millions d'anglophones, séparés ou non. En général, les Canadiens sont assez fiers, assez forts et assez heureux dans leur peau. Ils sont fiers de leur identité canadienne et de leur langue et ils peuvent voyager n'importe où dans ce pays et partout dans le monde sans avoir de problèmes. Quand on dit qu'on est fier de soi et quand on sait ce qu'on vaut, on est égal à n'importe qui. On veut vivre dans le présent.

C'est vrai qu'il y a aujourd'hui dédoublement de plusieurs services fédéraux-provinciaux: l'assurance-chômage, les centres de main-d'oeuvre, les pensions, la Société centrale d'hypothèques et de logement, les allocations familiales, etc. Il faut se rappeler que le gouvernement fédéral a pris ces

pouvoirs à sa charge à cause d'un manque d'initiative des provinces et pour le grand bien de tout le monde, on le sait bien. Aujourd'hui, rien n'empêche de négocier un nouveau partage de quelques-uns de ces pouvoirs, comme décrit dans le livre beige.

Concernant l'énergie, M. le ministre, les faits sont qu'on n'a pas de gaz ni de pétrole au Québec. Il y en a dans l'Ouest, il y en a dans le Nord et prochainement à Terre-Neuve. Le ministre de l'Energie et des Ressources a beau se servir de sa calculatrice et convertir des kilowatts d'énergie en barils d'huile mais c'est sur papier, cela ne se fait pas en réalité. Essayez donc de prendre votre rallonge électrique et de remplir votre réservoir, d'accord? C'est un magicien!

A mes amis péquistes, ceux qui crient qu'ils sont écrasés, à genoux, courbés, colonisés, dominés, même terrorisés par leurs voisins — dans la première partie de leurs discours — et qu'ils sont gros, grands, forts, égaux à tout le monde et prêts à négocier avec leurs bons "chums" — dans la deuxième partie de leurs discours — et tout cela en dedans de quinze minutes, je n'ai qu'une chose à dire: Vous autres, les "pelleteux" de nuages, n'avez jamais fait augmenter le PNB, n'avez jamais arpenté des montagnes en hiver, n'avez jamais construit des chemins de fer, ni des routes, ni des bâtisses et surtout pas des barrages, parce que c'est vous autres qui étiez contre la Baie James, d'accord? M. le Président, c'était le travail des Français, des Anglais, des ethniques, des vrais hommes de cette province. M. le Président, les deux peuples fondateurs ou les deux nations, si vous voulez, ce sont seulement des mots. Ceux qui ont créé ce pays sont des gens, des personnes et non des conquérants, des exploitants, des vaincus ou des mis à genoux ou des colonisés. Nous sommes tous des survivants d'une Europe que nos ancêtres ont quittée pour trouver une vie meilleure et la liberté. 240 years after the USA and 113 years after Canada, Europe with its Common Market has finally taken a minuscule step up the ladder of political evolution, a step towards a Federal Parliament away from the warring states that they had been. Do you expect the people of this province who are survivors of that antiquated sovereign system to negotiate their one way trip back 113 years? Voyons donc! Mr President, the task of continuing to build this country together and of strenghthening the bonds between all its people, as an example to the world, is much too noble and too important to be delated any longer. Non, M. le Président, le peuple du Québec, votera non à cette tentative de faire reculer notre pays sur l'échelle de l'évolution politique.

Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles, vous avez maintenant la parole.

M. Denis Vaugeois

M. Vaugeois: M. le Président, on pourrait s'amuser à dénoncer la Confédération à peu près uniquement en utilisant les discours des députés libéraux du Québec vers les années 1865. Sans doute que leurs discours, à plusieurs moments, seraient passablement plus lucides que ceux qu'on a l'occasion d'entendre maintenant. Je vais m'en tenir à Joseph-Octave Beaubien, député de Montmagny, qui s'amusait à l'époque, lui, aux dépens des conservateurs, et je le cite: "Au risque de nous perdre dans les nuages en compagnie des avocats de la Confédération, je propose d'adopter l'arc-en-ciel comme notre emblème. Par la variété de ses couleurs, l'arc-en-ciel donnerait une excellente idée de la diversité des races, des religions, des sentiments et des intérêts des différentes parties de la Confédération. Par sa forme, mince et allongée, l'arc-en-ciel représenterait parfaitement les configurations géographiques de la Confédération. Par son manque de consistance, une image sans corps, l'arc-en-ciel donnerait une excellente idée de la solidité de notre Confédération." (21 heures)

Nous pourrions nous amuser comme cela à retenir de nombreuses citations. Il s'en trouve tout au long des 113 années du régime fédéral. Ces dénonciateurs du régime fédéral, on les retrouve tantôt dans les rangs des libéraux, tantôt dans les rangs de l'Action libérale, du Bloc populaire, de l'Union Nationale et, bien sûr, dans les rangs des partis indépendantistes des années 1920 ou des années 1960.

M. Lévesque, pour sa part, dans son livre Option Québec, constate en 1968, "l'invraisemblable gaspillage d'énergie" qu'engendre le régime actuel. Il regrette, comme bien d'autres, la double paralysie qui affecte à la fois le Québec et le Canada.

Cette impasse, devenue de plus en plus évidente, cette double paralysie amène, en 1967, une poignée de souverainistes et de fédéralistes à s'interroger comme jamais auparavant. De même que nous avions vu naître, au début du XIXe siècle, un parti canadien autour de Papineau, cette fois, nous assistons à la naissance d'un parti québécois. Il s'agit essentiellement d'un rassemblement d'indépendantistes et de fédéralistes animés d'un désir de dégager une voie entre la séparation et le statu quo. Rassemblés par souci de réalisme, par sentiment de fierté, par conviction, ils se sont ralliés autour de l'Option Québec proposée par M. Lévesque et ont mis au point une formule nouvelle, nouvelle pour nous, mais non pas nouvelle en soi: la souveraineté-association.

De quoi s'agit-il? De séparation? De repli sur soi? D'isolement? Voyons à nouveau la question proposée. La souveraineté, nous prenons le soin de la définir. Pourquoi? Parce que plusieurs de nos adversaires ont, et ce depuis des années, entretenu l'ignorance, la confusion et souvent la peur. Fait rare, sinon fait absolument sans précédent dans l'histoire de l'humanité, il s'est trouvé ici des gens pour prêcher la dépendance, la soumission, la médiocrité et la résignation.

On nous a dit que nous n'étions pas capables ou, à l'exemple du député de D'Arcy McGee, on ne nous dit pas que la souveraineté est impossible,

on nous dit plutôt qu'on n'en veut pas. Pour ma part, je n'en croyais pas mes oreilles quand je l'ai entendu. En effet, ce député renonce à l'avance, pour le Parlement où il siège, aux pouvoirs de faire toutes les lois et d'administrer tous les impôts. Il ne veut pas de la responsabilité pour le Québec de régler ses affaires extérieures. Il ne veut pas que nous soyons responsables et maîtres de nos relations internationales, de nos traités, de nos accords de commerce et de coopération. Il choisit de siéger ici et de laisser à un autre Parlement la moitié des pouvoirs, la moitié des taxes et les affaires extérieures. Je dis, M. le Président, que certains membres de cette Chambre se sont décidément trompés de Parlement.

A partir du moment où on reconnaît que le Québec constitue une société distincte — à cet égard, j'invite le député de Robert Baldwin à relire le livre beige — comme l'ont fait la commission Rowell-Sirois, la commission Tremblay, la commission Laurendeau-Dunton, la commission Pepin-Robarts et donc le livre beige du Parti libéral, il faut accepter que cette société distincte ait son système de valeurs, ait ses propres priorités. Il faut lui permettre d'agir selon son être propre; si nous sommes différents, il faut tolérer que nous puissions agir selon notre différence.

Ce besoin d'agir selon ce que nous sommes a été ressenti dès l'époque de la Nouvelle-France. Canadiens face aux Français, nous n'étions pas différents des Américains face aux Anglais ou des Mexicains face aux Espagnols, ou des Brésiliens face aux Portuguais. Alors que tous ces peuples obtenaient leur indépendance, nos ancêtres ont eux aussi parlé d'indépendance.

En 1831, par exemple, Etienne Parent, journaliste et porte-parole des modérés du Québec, écrit "II n'y aura de paix ni d'affection tant que la métropole n'imitera pas le bon père de famille qui diminue son autorité à mesure que son enfant avance en âge. Nous sommes maintenant assez avancés en civilisation pour conduire nos affaires seuls. Point de milieu — écrivait Parent — si nous ne gouvernons pas, nous serons gouvernés".

Conquis par les armes, en 1760 — il faut quand même se le rappeler — mis en minorité en 1840, en minorité démographique vers 1845, nos ancêtres se voient proposer la provincialisation en 1867. Echaudés par tant de luttes et de difficultés, ils se méfient de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. On ne les consulte pas, on le leur impose.

Pourtant, l'autonomie provinciale qui découle de la Confédération de 1867 permet d'encadrer tant bien que mal une survivance peut-être médiocre, sûrement difficile, mais indestructible.

Annexés, provincialisés, les Québécois ont su retirer le maximum de leur situation. Aujourd'hui, pour aller plus loin, il leur faut plus de pouvoirs, plus de moyens. Les Québécois savent reconnaître, cependant, que l'histoire a créé des liens majeurs entre le Canada et le Québec. Ils ne proposent pas la séparation, mais l'association. Ils veulent devenir des associés et prendre la responsabilité de développer les ressources de leur territoire, le Québec.

Un nouveau Canada est possible. Une communauté économique canadienne est possible.

Nous ne demandons pas au reste du Canada de nous retourner plus d'argent que nous ne lui en donnons. Nous ne sommes pas des quêteux. Nous sommes capables de prendre en charge le développement de notre territoire. Qu'on nous permette de récupérer le pouvoir de faire nos lois, d'administrer nos impôts et nous deviendrons un partenaire vraiment intéressant pour le Canada.

La liberté ça se prend et l'égalité ça se mérite. Ne les attendons pas comme un cadeau. Il faudra négocier les termes de l'association, et pour pouvoir négocier correctement, il faudra un oui massif, ici, au Québec. Dans le cas contraire, j'entends déjà l'immense éclat de rire interminable qui secouerait le reste du Canada. Sachons nous serrer les coudes et proposer une nouvelle alliance. Nous ne serons pas le premier peuple en terre d'Amérique à lever la tête, à redresser l'échine, à se prendre en main; nous serons, de tous ceux qui ont survécu à l'époque coloniale et aux diverses conquêtes, le dernier. Oui, le dernier peuple d'Amérique à devenir maître de son destin.

J'aurais aimé, M. le Président, prendre le temps de faire un parallèle entre l'indépendance du Canada à laquelle les Canadiens français ont été étroitement associés et cette démarche de souveraineté-association que nous proposons. Que l'on me permette de citer seulement un texte de la conférence impériale de 1926 alors que les Canadiens de l'époque, depuis John Macdonald jusqu'à Mackenzie King, avaient refusé la formule de fédération impériale. En 1926, le rapport de la conférence impériale dit ceci: "Les Dominions "les anciennes colonies de Londres" sont, au sein de l'empire britannique, des collectivités autonomes, de statut égal. Elles ne sont d'aucune manière subordonnées les unes aux autres, mais elles sont unies par une allégeance commune à la même couronne et associées librement comme membres du Commonwealth des nations britanniques". Ce qui fut bon pour le Canada par rapport à l'Angleterre ne pourrait-il pas l'être également pour le Québec par rapport au Canada? Les Canadiens anglais ont opté à l'époque pour la formule du Commonwealth, forme d'association comparable à celle que nous proposons. Bien plus, longtemps le Canada et l'Angleterre ont partagé le même drapeau, le même hymne national, la même monnaie, oui la même monnaie pendant longtemps, la même citoyenneté, le même passeport. Ce qui a été possible entre le Canada et l'Angleterre ne le serait pas entre le Québec et le Canada? Pourquoi, messieurs?

Le Président: M. le ministre, je m'excuse de vous interrompre, mais je vais demander à ceux qui vous interrompent de cesser de le faire, s'il vous plaît. M. le ministre, vous pouvez continuer.

M. Vaugeois: Une association libre, M. le Président, une association libre du type Commonwealth, plutôt qu'une formule fédérale refusée depuis John Macdonald jusqu'à Mackenzie King, aurait été bonne pour le Canada et ne le serait pas

pour le Québec? Pourquoi? A peu près tout le monde maintenant souhaite modifier cette constitution, cette vieille loi britannique. Pourquoi ne pas le faire dans le respect mutuel et sur une base de partenaires, d'associés?

Un ancien député de Trois-Rivières — que je n'ai pas besoin de nommer — disait, en 1946: Oui, je suis prêt à tendre la main à Ottawa, mais pas comme un inférieur à un supérieur, pas comme un serviteur à son maître, mais d'égaux à égaux..." Nous voulons être respectés du reste du Canada. Nous ne demandons pas de faveurs, nous ne demandons pas de cadeaux. Nous voulons tout simplement, après tant d'autres, la maîtrise de notre devenir.

Un Québec séparé, replié sur soi, isolé, personne n'en veut. Nul n'a jamais voulu de la souveraineté pour être seul, mais pour choisir ses partenaires, négocier ses traités, ses accords et, dans notre cas, pour négocier l'association avec le reste du Canada. (21 h 10)

L'histoire nous enseigne, il faut avoir l'humilité de l'écouter parfois. Il y eut la Louisiane, il y eut le Manitoba. A cet égard, voici un bref passage d'un très beau texte de l'écrivain Jacques God-bout: "On dit que le royaume des Celtes s'étendait aussi loin que portait le regard du roi et que, quand celui-ci fermait les yeux, le royaume disparaissait. Le royaume québécois s'étend à portée de voix, et si le peuple se tait, le royaume disparaîtra. Cela s'est vu déjà, plus loin, au Manitoba, dans les plaines de l'Ouest, où les enfants des Canadiens français n'entendent plus aujourd'hui la langue de leurs parents".

Les uns nous disent: Cela irait plus mal si on s'occupait de nos affaires. Non seulement je crois assez dans les Québécois pour dire que cela irait mieux, mais cela irait mieux aussi pour le Canada. Et, comme peuple, nous aurons enfin des chances de devenir un peu plus adultes ou, comme l'écrivait M. Lévesque, en 1968: "Nous aurons enfin l'occasion, et l'obligation, de déployer, au maximum, nos énergies et nos talents pour résoudre, sans excuse et sans échappatoire, toutes les questions qui nous concernent.

La vraie question est finalement de savoir si, comme Québécois, nous sommes prêts à nous faire confiance.

Le Président: M. le député d'Iberville, vous avez maintenant la parole.

M. Jacques Beauséjour

M. Beauséjour: M. le Président, est-il besoin de rappeler à cette Assemblée que la question référendaire proposée par le gouvernement au peuple du Québec va enfin lui permettre de se prononcer démocratiquement sur son avenir et ce, pour la première fois de son histoire.

Si nous jetons un coup d'oeil sur le vécu de la nation québécoise, nous remarquons que la constitution signée en 1867 nous fut imposée sans consultation de la population, que ce soit par un référendum ou une élection. Déjà, en octobre 1866, sir John Macdonald écrivait au premier ministre du Nouveau-Brunswick du temps, M. Tilley — et je cite, écoutez bien cela — "II nous semble important que le projet de loi — Macdonald voulait ici parler du projet constitutionnel de 1867 — ne soit rédigé sous sa forme définitive qu'immédiatement avant la convocation du Parlement. La mesure doit être adoptée d'un seul coup et sans éveiller aucun écho dans les provinces britanniques tant qu'elle ne sera pas adoptée. Une fois la loi adoptée, sans possibilité de recours, la population apprendra vite à l'accepter." Franchement, M. le Président, c'était un drôle de style de démocratie.

Aujourd'hui, un gouvernement nous soumet une démarche et nous offre la possibilité de nous prononcer sur notre avenir. C'est le gouvernement du Québec actuel. J'aimerais souligner que la prochaine décennie comportera de nombreux défis à relever. Pourquoi alors ne pas souhaiter que le Québec ait à sa disposition tous les instruments de réussite possible? Nous n'avons vraiment plus les moyens de continuer à gaspiller le temps et l'argent occasionnés par le chevauchement de deux paliers de gouvernement. Les tenants du non en cette Chambre savent-ils que, selon une étude publiée en 1978 par l'Ecole nationale d'administration publique, 72% des programmes gouvernementaux se dédoublent? Savent-ils, les opposants, que nous devons payer pour deux ministères des Finances, deux ministères du Revenu, deux ministères de l'Agriculture, deux ministères du Travail, deux ministères de la Santé, deux ministères de l'Immigration, deux ministères de l'Industrie et du Commerce, deux ministères des Communications? Une telle duplication de services me laisse croire que c'est actuellement qu'on vit dans un système séparatiste.

Comme si ce n'était pas assez de vivre dans un système séparatiste, cetains veulent diviser notre peuple en l'invitant à dire non à une question d'unité nationale des Québécois. On ne peut vraiment plus tolérer l'incohérence d'un système fédéral, lequel oblige trop souvent le gouvernement du Québec à contrebalancer les gaffes du régime central. Non seulement les Québécois doivent payer pour les gaffes, mais ils doivent aussi payer pour les réparer.

M. le Président, chez nous, on appelle cela du gaspillage. Y aurait-il une seule personne en cette Chambre assez aveugle pour prétendre que ce régime à deux têtes a favorisé le développement économique du Québec? Les miettes reçues du régime fédéral, nous les avons payées deux fois plutôt qu'une et la réalité de tous les jours nous le prouve trop souvent.

Regardons, par exemple, ce qui se passe en agriculture. Pourquoi, en 1976, les politiques agricoles fédérales ont-elles réduit les revenus de 70 000 agriculteurs et producteurs laitiers du Québec? Serait-ce, M. le Président, que, dans le système actuel, il faut pénaliser les agriculteurs québécois pour accorder plus de poids aux producteurs de l'Ouest? Pourquoi le fédéral subven-

tionne-t-il moins la recherche en agriculture au Québec? En 1978, le budget accordé dans l'Ouest pour la recherche agricole était de $42 millions; en Ontario, $42 millions, mais, au Québec, il n'était que de $21 millions. Excusez-moi, M. le Président, mais $21 millions, pour Ottawa, c'est trop donner au Québec. Il faut y ajouter aussi la recherche dans les Maritimes.

Serait-ce que le système actuel considère l'agriculture au Québec comme un simple passe-temps? Pourquoi le fédéral a-t-il fait de l'agriculture de l'Ouest, son grenier; de l'agriculture de l'Ontario, son jardin, et de celle du Québec, le marché public où l'on vient de l'extérieur pour écouler les surplus agricoles? Serait-ce que, dans le système actuel, les agriculteurs québécois doivent servir de bouche-trous? M. le Président, les agriculteurs québécois méritent mieux que cela.

De tels exemples expliquent pourquoi tous les premiers ministres du Québec ont constamment réclamé d'Ottawa plus de pouvoirs. Bien des fois, ils ont même dû se battre pour préserver nos droits acquis. Combien de conférences fédérales-provinciales ont tourné en queue de poisson depuis la Confédération! Combien nos premiers ministres ont usé leurs énergies à la recherche d'un maximum d'autonomie, à la recherche d'un statut d'égalité des deux peuples!

Pour corriger cette situation, le gouvernement actuel précise, dans la question que nous avons devant nous, ce que doit contenir une égalité des deux peuples. A chacun ses lois, à chacun ses impôts! A cette égalité fondamentale s'adjoint une association économique ayant comme base la même monnaie. Un oui à la question signifie un mandat accordé au gouvernement du Québec pour aller négocier l'entente proposée. Après l'obtention de ce mandat, aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera effectué sans que la population québécoise ait eu l'occasion de l'approuver par voie de référendum. A la suite de telles garanties d'honnêteté et de franchise, quel individu pourrait être assez malhonnête pour prétendre que le gouvernement aurait de sombres desseins?

Mme la Présidente, le chef du clan du non a parlé en cette Chambre de principe d'égalité des peuples. Il a dit ceci: "Le principe de l'égalité des peuples, une question sur laquelle on pourrait m'inviter à me prononcer, je n'ai pas d'objection, je répondrais oui à cela tout de suite." Mais avez-vous remarqué que ni lui ni ses collègues n'ont osé dire comment ils entendaient obtenir cette égalité? L'égalité des peuples serait-elle une formule creuse pour les tenants du non? Faut-il se surprendre, Mme la Présidente, que nos amis d'en face ne demeurent qu'au niveau du principe sans jamais l'expliquer? Pour ma part, je ne le crois pas. Il n'y a rien de surprenant dans leur attitude puisque les vrais chefs du non ne sont pas ici.

Les vrais chefs du non, ce sont plutôt les différentes compagnies qui engraissent Pro-Canada. Par exemple, que penser, Mme la Présidente, de la compagnie Sun Life, bien connue, on le sait, pour prendre les intérêts des Québécois — elle l'a manifesté, il y a environ un an — que l'on retrouve parmi les généreux donateurs de Pro-Canada, $50 000, afin que les Québécois et les Québécoises disent non au mandat pour le Québec de négocier une nouvelle entente fondée sur l'égalité des deux peuples? Que penser, Mme la Présidente, des compagnies comme Canadian Pacific, Molson, Imperial Oil, Aluminum Company of Canada, Bell Canada et sa filiale, Northern Telecom, qui ont contribué pour un montant de $75 000 chacune dans les goussets de Pro-Canada? D'ailleurs, vous avez probablement remarqué, comme moi, Mme la Présidente, qu'avec les comptes de Bell, récemment, on reçoit une petite feuille nous indiquant qu'elle a l'intention d'augmenter ses tarifs. Probablement qu'elle a trouvé un trou dans son budget. (21 h 20)

Voulez-vous d'autres noms de fournisseurs de Pro-Canada? Mme la Présidente, j'en ai toute une liste, $75 000, $50 000, $30 000, $20 000. La majorité de ces montants proviennent de la haute finance. Que ces compagnies étrangères viennent faire des affaires au Québec, il n'y a personne qui va s'y opposer, mais, comme le dirait Félix Leclerc, qu'elles viennent mettre leurs gros doigts dans nos papiers de famille, les Québécois et les Québécoises ne pourront pas l'accepter.

Mme la Présidente, j'ai l'impression que le vrai slogan des tenants du non devrait être plutôt "mon non, c'est la haute finance". Quel intérêt, quels intérêts défendent ces entreprises, ceux des Québécois ou leurs intérêts personnels? De qui se moque-t-on, Mme la Présidente? Les Québécois et les Québécoises méritent mieux que ça. De tous les horizons politiques, de toutes les origines ethniques, les Québécois et les Québécoises se regroupent pour le oui.

Je voudrais signaler que le chef du Parti créditiste-démocrate laisse ses militants libres de leur choix, de dire oui ou non. Je voudrais aussi donner un extrait de ce qu'affirmait le chef de l'Union Nationale et député de Gaspé, à l'émission Présent du 5 mars.

Une Voix: Le chef intérimaire.

M. Beauséjour: "Nous ne ferons pas de chasse aux sorcières, nous avons fait l'unanimité à l'intérieur du caucus pour nous ranger dans le comité du non". Ecoutez ça, maintenant. "Maintenant, nous n'imposerons à aucun de nos membres, en province ou n'importe où, l'excommunication, parce qu'un de nos membres décide de dire oui au référendum". Je peux vous garantir que, dans mon comté — et c'est probablement la même chose dans tout le reste du Québec — les membres de ces deux partis ont très bien compris.

Pour ma part, Mme la Présidente, je voterai oui au libellé de la question contenue dans la motion du gouvernement, puisque le projet proposé aux Québécois et aux Québécoises répond au désir d'égalité des peuples. Le projet de maintenir avec le reste du Canada une association économique correspond au principe de l'interdé-

pendance des Etats modernes, tout en assurant le respect mutuel de chacun des partenaires. Il s'agit d'une question honnête et claire que les Québécois et les Québécoises attendaient depuis déjà trop longtemps. Dire oui, c'est s'unir comme peuple, dire oui, c'est se tenir debout. Mme la Présidente, le Québec mérite un oui.

La Vice-Présidente: M. le député de Sherbrooke.

M. Gérard Gosselin

M. Gosselin: Mme la Présidente, c'est en tant que simple député, ce soir, davantage que comme député ministériel, que je veux m'exprimer sur la question référendaire, au nom d'une tradition de militantisme qui remonte déjà à une dizaine d'années, à la défense et à la promotion des citoyens à faible revenu.

Mme la Présidente, il y a un million de Québécois au Québec, un million de citoyens dont on ne parle pas souvent et qui se situent sous le seuil de la pauvreté. Dans mon comté de Sherbrooke — Sherbrooke est une ville comme les autres, il y a à peu près la même proportion de gens à faible revenu que partout ailleurs — il y a environ 12 000 personnes qui sont au niveau du seuil de la pauvreté. Les derniers relevés du chômage, selon Statistique Canada, qui, pour l'ensemble du Québec, indiquaient un taux de chômage de 9,8%, montrent pour la région de l'Estrie, pour Sherbrooke un taux de 10,9%, ce qui représente de 6000 à 7000 chômeurs dans la seule ville de Sherbrooke.

Mme la Présidente, à l'occasion de ce débat sur la question référendaire, à l'occasion de l'intention que le gouvernement du Québec exprime de récupérer tous ses pouvoirs d'Ottawa, de faire des lois et d'administrer ses impôts, la question que je pose, c'est: Dans le régime actuel, est-ce que nous sommes responsables, est-ce que nous sommes efficaces, est-ce que nous sommes cohérents, est-ce que nous exerçons bien notre responsabilité politique face au chômage et face à la pauvreté? Ma réponse est non. Ma réponse, c'est que le système actuel, les dédoublements, les rapiècements, les raboutements de politiques entre deux paliers de gouvernement concurrents constituent un scandale permanent et un préjudice constant pour les citoyens à faible revenu, particulièrement, qui ont à en souffrir davantage et qui sont particulièrement démunis dans ce système.

Mardi dernier, le 11 mars, j'entendais le député d'Outremont dire placidement qu'il était bon que l'assistance sociale soit actuellement divisée entre les deux paliers de gouvernement. Je vous jure que je reçois à toutes les semaines des chômeurs, des gens qui se démènent avec les divers régimes d'assistance sociale entre les deux paliers de gouvernement. Et à quelqu'un, à un jeune qui se cherche un emploi, comme j'en ai vu plusieurs depuis huit mois, un an, je fais la ritournelle habituelle demandant au jeune: Est-ce que tu es allé au centre de main-d'oeuvre du Canada? Il me dit oui, on va toujours au centre de main-d'oeuvre du Canada. Est-ce que tu es allé au centre de main-d'oeuvre du Québec? Il me dit oui parce que, dorénavant, tout le monde va aussi au centre de main-d'oeuvre du Québec. Soit dit en passant, les centres de main-d'oeuvre du Québec font autant de placements que les centres de main-d'oeuvre du Canada. Mais, peu importe, le jeune en question est toujours en chômage. Les gens qui se cherchent de l'emploi sont un exemple. L'éparpillement des politiques entre les deux paliers de gouvernement, au niveau de la formation professionnelle, au niveau de l'assurance-chômage, de l'assistance sociale, au niveau des politiques de placement, les deux structures concurrentielles qui sont là, la conséquence en est que le citoyen qui est sur le terrain et qui essaie de se trouver un emploi vit, subit cette situation. On a chacun nos excuses. On dit: Que veux-tu, ce n'est pas nous qui avons les leviers économiques; ce n'est pas nous qui avons en main les politiques de main-d'oeuvre. On a les excuses.

Je voudrais prendre un exemple concret des conséquences pour les citoyens à faible revenu du régime d'éparpillement des politiques comme actuellement. Je voudrais prendre l'exemple d'un père de famille marié ayant deux enfants à sa charge dont l'épouse ne travaille pas et qui travaille actuellement au salaire minimum sur le marché privé. Ce père de famille, comme cela arrive malheureusement trop souvent, se retrouve en chômage au milieu de l'année parce que son entreprise a fermé ou parce qu'il est arrivé une difficulté. Au salaire minimum, il gagne à peu près $540 par mois. Si ce n'était du supplément au revenu de travail que le gouvernement québécois a implanté, il aurait à peu près des montants équivalents à l'aide sociale. (21 h 30)

Or, ce père de famille tombe en chômage. Qu'est-ce qui se produit? D'une part, il lui faut ses papiers de cessation d'emploi. Il va à l'assurance-chômage, il a un délai d'attente de deux semaines. Il se retrouve sans revenu pendant deux semaines et il a une famille à faire vivre. D'accord? Il a déjà des dettes. Il a les hypothèques à payer de sa maison, le financement de son automobile et l'épicerie hebdomadaire qui doit entrer. Il n'a pas de revenu. L'assurance-chômage lui prescrit un délai d'attente. Qu'est-ce qu'il fait? Il va à l'aide sociale. Il fait un autre bureau. Il va au gouvernement provincial. Il demande une avance sur son chèque d'assurance-chômage. On lui avance l'argent à condition qu'il le rembourse au moment où ses chèques d'assurance-chômage vont entrer. Un mois plus tard — parce que cela prend souvent un mois — ses premiers chèques d'assurance-chômage entrent. Comme il s'est endetté entretemps, comme il a dépensé, évidemment, tout l'argent de l'aide sociale qui lui avait été versé en avance, le père de famille en question se retrouve en dette par rapport à l'aide sociale. Il va se retrouver en dette s'il est dans une situation prolongée de chômage pendant le restant de l'année, pendant plusieurs mois, parce qu'il n'a

pas d'argent neuf qui entre, qui lui permette de rembourser cette dette.

Bénéficiaire de l'assurance-chômage, ce père de famille aurait $360 par mois. Bénéficiaire de l'assistance sociale, $549 par mois. Comme l'assurance-chômage ne lui donne pas ce qu'il faut pour subvenir aux besoins de sa famille, il doit retourner à l'aide sociale pour bénéficier d'un supplément de revenu garanti, un montant de $189 par mois qui va lui être versé par Québec en supplément des $360 par mois qu'il reçoit déjà de l'assurance-chômage. Deux paliers de gouvernement, des démarches infinies entre les deux administrations, en plus de subir le chômage, en plus de se promener entre les deux centres de main-d'oeuvre et se faire dire par son député fédéral et par son député provincial : On ne peut rien faire pour toi. C'est l'humiliation des hommes. C'est l'oppression des hommes. C'est l'irresponsabilité d'un système qui nous fournit des excuses, à nous comme au gouvernement central de dire: Ce n'est pas nous qui sommes responsables, c'est l'autre.

Quand je fais un plaidoyer, voyez-vous, pour dire qu'il est important qu'on récupère au Québec notre pouvoir d'administration sur les impôts et sur nos lois, c'est un plaidoyer qui se veut pour l'exercice d'une responsabilité politique pleine et entière.

Il appartient à l'Etat, il appartient au gouvernement d'assurer le bien commun, d'assurer une plus équitable distribution des richesses entre les citoyens. Pour ce faire, il faut avoir une volonté politique unifiée. Il faut avoir des institutions cohérentes qui nous permettent de le faire sereinement, d'une manière déterminée et d'en être pleinement responsable. C'est ce que le gouvernement du Québec réclame. C'est ce qu'il a toujours réclamé au chapitre de la sécurité sociale. Nos amis libéraux — j'en suis sincèrement désolé — retraitent cette fois, par le livre beige, devant cette revendication québécoise traditionnelle, à savoir que Québec devrait avoir la pleine maîtrise de la sécurité sociale. Je conviens qu'ils peuvent continuer d'être fédéralistes, mais démissionner devant une revendication qui a été maintenue par tous les gouvernements québécois jusqu'à présent au nom de la dignité et d'un exercice complet de la responsabilité qu'on sent devoir exercer au nom des citoyens du Québec, nous, du gouvernement du Québec, trouvons que c'est faire preuve d'irresponsabilité politique.

Voyez-vous, quant au système actuel, dans le fond — on parle beaucoup de péréquation et de comptes économiques — on dit: Si jamais le Québec devenait souverain et associé, il se priverait de montants énormes des paiements de transfert qui sont faits entre les deux paliers de gouvernement. J'ai évalué cela sommairement; 5000 chômeurs à Sherbrooke, combien cela coûte-t-il? Combien coûte un chômeur pendant un an? On faisait le calcul dernièrement et on disait: Un chômeur, l'Etat ou les deux gouvernements lui versent sûrement la valeur de $100 par semaine. C'est au moins $100 par semaine que coûte un chômeur en coûts directs. Cela veut dire $300 millions qui entrent à Sherbrooke. Le gros de cette somme vient de l'assurance-chômage, mais les Québécois paient de l'assurance-chômage aussi, c'est à même nos impôts que cela se paie.

Il y a aussi d'autres coûts beaucoup plus considérables: la détérioration du tissu humain par des situations de chômage prolongé, des situations chroniques qui font que dans une ville comme Sherbrooke il y a, en permanence, de 5000 à 6000 personnes en chômage; c'est un scandale permanent. Il va falloir, un jour, avoir des responsabilités politiques claires et les assumer parce que, actuellement, notre système, à tous égards, est irresponsable et encourage justement la détérioration des énergies vives de la nation qui se retrouve ainsi prise dans un système à tout prix incohérent et qui entretient la pauvreté.

J'écrivais, en 1977: La démonstration des "in-congruences" entre les régimes d'assurance-chômage, de salaire minimum, d'aide sociale, l'illustration des situations difficiles imposées par l'occupation provisoire dans l'emploi et l'insuffisance des divers régimes pour combler les manques à gagner dans les périodes de chômage, tout cela constitue un plaidoyer vigoureux pour la mise en oeuvre d'un véritable régime de plein emploi et de sécurité du revenu, revenu minimum garanti.

La mise en oeuvre des politiques de plein emploi doit accompagner les politiques de revenu minimum garanti, sans quoi on contribuerait à perpétuer une situation qui finit par être scandaleuse.

Je voterai oui à la question référendaire parce que ce que le Québec revendique maintenant, ce n'est pas un caprice de l'histoire, c'est la revendication légitime d'exercer une responsabilité politique pleine et entière pour l'ensemble des citoyens du Québec. Je voterai oui au mandat de négocier la récupération totale de nos impôts et de notre pouvoir de faire des lois parce que je crois en une société plus juste, je crois que nous avons à y travailler, je crois que c'est notre responsabilité première, je crois que c'est un chapitre de développement qu'il nous faut résolument engager. Je voterai oui au nom de toute la détermination que je veux mettre à réaliser au Québec une société plus juste et pleinement responsable.

La Vice-Présidente: M. le député de Berthier. M. Jean-Guy Mercier

M. Mercier: Mme la Présidente, pour plusieurs Québécois, ce débat est une autre étape dans une lutte difficile à laquelle beaucoup de dévouement a été consenti et nous avons conscience que ce n'est pas la dernière étape d'une longue démarche. Je dis cela sans lassitude car toutes les années pendant lesquelles l'essentiel de nos préoccupations de militants a été de susciter patiemment notre éveil national, c'est à nous-mêmes, individuellement, en tout premier lieu, que cet effort a été bénéfique sur le plan humain et à nous tous, Québécois, qui avons acquis le respect qui est dû à ceux qui luttent pour la défense de leurs droits.

Dans un monde occidental un peu blasé à relever des défis technologiques, le projet national qui prend forme malgré les obstacles représente pour notre peuple l'occasion de vivre des moments de solidarité dont tous les peuples qui ont pris en main leur destin se souviennent avec nostalgie. C'est aussi l'occasion, à travers notre fierté retrouvée, d'attaquer avec le maximum de chances de succès possible les problèmes modernes de l'énergie, de l'harmonie entre l'homme et la nature, de l'éducation des besoins qui seule permettra de sortir du cercle infernal de l'inflation et de la récession. C'est à partir de ces ressources humaines que l'homme pourra résoudre les contradictions des sociétés industrielles. (21 h 40)

Notre lutte, Mme la Présidente, est une lutte éminemment moderne. A travers cette lutte pour la reconnaissance de nos droits les plus légitimes, j'aurai appris à connaître et à aimer mes compatriotes. Vous savez, Mme la Présidente, et cela, je pense que l'action politique nous le démontre, si cette société devait payer le prix de tous les gestes bénévoles faits pour que la vie en société soit agréable, les budgets des gouvernements seraient bien insuffisants. Nous particulièrement, au Québec, nous avons vécu ces situations. Tout le système scolaire, les institutions de santé, nos hôpitaux, les centres d'hébergement pour personnes âgées ont au départ été mis en bonne partie sur pied à coup de bénévolat et de dévouement. Nous avons accompli tout cela, et si nous pouvions retrouver ce même dynamisme, les autres défis qui s'offrent à notre peuple seraient bien faciles à surmonter.

Pour que nous soyons aujourd'hui le peuple que nous sommes, il a fallu beaucoup de rêves et d'espoirs, de travail et de ténacité. Si, aujourd'hui, la réussite d'une carrière et la fidélité à nos valeurs et à nos traditions ne sont plus incompatibles, c'est déjà que le nationalisme québécois est devenu un élément dynamique de notre société. Il y a une génération, Mme la Présidente, ce n'était pas si simple. J'aurai vécu un épisode de l'histoire du Québec pendant lequel il était possible d'affirmer notre identité sans s'attirer les foudres de nos concitoyens anglophones. C'est tout à notre honneur et aussi à celui des conquérants qui progressivement sont devenus nos voisins.

Notre lutte n'est quand même pas sans contraintes, mais celles-ci sont beaucoup plus à l'intérieur de notre volonté que sous la forme d'une pression physique, sociale ou économique.

La question qui est devant nous et qui, essentiellement, réclame un mandat pour le gouvernement du Québec de négocier une nouvelle entente d'égal à égal avec la nation anglophone va dans le sens de la continuité historique du Québec. Dire non à cela, ce serait nous renier; cela ne se fait pas. L'attitude du Canada anglais a beaucoup évolué à notre égard depuis vingt ans, mais nous avons aussi, au cours des années, fait notre large part au nom de la coexistence pacifique des deux peuples. Malgré tout, nous avons eu, plus souvent qu'à notre tour, à subir une forme d'hostilité. Moi, j'ai vécu cette hostilité en 1963, pour la première fois, dans l'Aviation royale du Canada où j'étais perpétuellement en contradiction entre mon désir de rester fidèle aux aspirations du peuple québécois et cette espèce de raison d'Etat à laquelle il me fallait participer. J'ai pris conscience rapidement que ce problème ne pouvait être éliminé que par notre volonté collective. J'ai pris conscience que nous pouvions, en tant que peuple, résoudre des injustices qui nous étaient faites quotidiennement en tant qu'individus. Ce fut le début de mon engagement politique.

Les nationalistes du Québec ont permis à de nombreux francophones bilingues d'obtenir des postes qui nous étaient, depuis toujours, refusés. Le pouvoir anglo-saxon voulait par cela, sans doute, nous amadouer. Qu'importe, nous avons occupé ces postes et consolidé nos positions. Loin de nous rassasier, ces victoires nous ont donné le goût d'obtenir davantage. La liberté, quand un peuple goûte à cela, il ne veut plus s'en passer et en réclame davantage.

Mais toutes ces victoires sont encore bien fragiles car, si le mouvement allant vers notre affirmation nationale devait être freiné, nous perdrions bien vite le respect acquis de haute lutte, pendant des générations. Car, dans l'ensemble canadien, nous ne sommes toujours, et de plus en plus, qu'une minorité. Si nous laissions le gouvernement fédéral accentuer sans contrainte la centralisation des pouvoirs politiques et économiques, comme le propose de fait le livre beige, entre autres, le gouvernement du Québec ne serait bientôt plus qu'un gouvernement provincial comme tous les autres, alors que, de tout temps, tous les gouvernements du Québec ont tenté d'en faire le gouvernement par excellence, le premier gouvernement des Québécois.

La question proposée à cette Assemblée nationale et sur laquelle nous aurons bientôt à voter s'inscrit bien dans cette trame historique. En somme, une proposition qui est celle du gouvernement contenue dans le livre blanc, et une autre proposition servant de base au non qui est celle de l'Opposition officielle. Je tiens pour acquis que le livre blanc a déjà été lu par des milliers de Québécois. Je me permets cette publicité du livre beige, je l'ai lu personnellement avec beaucoup d'attention; je pense que tous ceux qui s'intéressent à la question politique québécoise découvriront bientôt que cette proposition serait très rapidement la sépulture de toutes nos aspirations nationales depuis des générations.

Depuis cette publication du livre beige de l'Opposition, nous savons mieux quelle est la pseudo-solution de rechange de l'Opposition pour faire face au mandat de négocier une nouvelle entente qui est proposée par le gouvernement par le livre blanc.

Je vais donner deux exemples au hasard, extraits du livre beige, qui illustrent bien le niveau de servilité qu'a atteint l'Opposition officielle. Un premier exemple dans le domaine de l'agriculture, et un deuxième dans le domaine du partage des responsabilités économiques. Dans le domai-

ne de l'agriculture, à la page 104 du livre beige, au paragraphe 3 de la recommandation 22, il est dit et je cite: "Le gouvernement fédéral aura compétence sur les aspects interprovinciaux et internationaux du commerce agricole, la classification, l'inspection et le contrôle épidémiologique des produits agricoles et du bétail qui sortent du marché local.

En principe, Mme la Présidente, cela veut dire que le gouvernement fédéral pourra continuer, si cette solution devait être appliquée, à accepter le dumping de poulets américains, pourra continuer à subventionner le dumping de la patate du Nouveau-Brunswick, pourra continuer à couper les quotas des producteurs de lait québécois et affecter une foule d'autres secteurs de l'activité économique sur lesquels nous avons fait un effort sans précédent, de façon à hausser le niveau de la production québécoise et de la rendre le plus rentable possible. Bref, tous les problèmes qu'on vit dans le domaine de l'agriculture depuis des années restent entiers.

Dans le domaine du partage des responsabilités économiques, on lit, à la page 111 du livre beige, à l'article 2, et je cite: "La constitution imposera au gouvernement central l'obligation de réduire les inégalités économiques entre les régions et de favoriser l'équilibre dans le développement des différentes parties du pays, entendre le Canada." Ceux qui, comme on en voit des exemples dans mon comté, ont vécu les chinoiseries des zones spéciales et des zones désignées et non désignées doivent savoir que le livre beige ne règle rien en laissant au gouvernement fédéral, si cette solution devait être acceptée, et à ses organismes le pouvoir de faire de la discrimination entre les régions du Québec. (21 h 50)

Et puisqu'un exemple vaut mille mots, je me permets de lire une lettre qui a été envoyée au ministre des Terres et Forêts et dont j'ai obtenu copie. Elle provient d'un industriel de mon comté. Elle nous a été envoyée le 16 octobre 1979 et je lis: "Dû à un concours de circonstances incontrôlables dont nous faisons mention plus bas, il appert que la construction de notre future scierie à Saint-Côme ne pourra être terminée avant la fin de 1980. En effet, le MEER au fédéral nous affirme que la ville de Saint-Côme n'est pas située dans une zone désignée par leur ministère et qu'en conséquence, nous ne sommes pas éligibles à une subvention ou à un octroi de 25% du coût total de notre investissement. Comme ce dernier se chiffre à $1 million, il va sans dire qu'une somme de $250 000 à titre d'aide gratuite serait bénéfique pour la rentabilité de notre usine. En conséquence, nous sommes coincés entre deux réalités. "D'une part, nous sommes heureux depuis dix ans à Saint-Corne et nous envisageons de bâtir une scierie à cet endroit, nous conformant ainsi aux exigences du ministère des Terres et Forêts. D'autre part, le fédéral, lui, nous suggère de nous établir vers Saint-Michel " — qui a déjà, soit dit en passant, la plus grosse scierie du comté, le plus gros "moulin" à scie du comté — "c'est-à-dire à sept milles et plus au nord de Saint-Zénon afin de remplir les critères d'éligibilité. Puisqu'on parle de $250 000 sur un projet de $1 million, il s'agit de quelque chose d'important. Enfin, nous croyons qu'avec la permission de votre ministère, nous pourrions attendre à la fin de l'été 1980 pour débuter les travaux et ainsi courir la chance que le zonage du MEER soit changé d'ici là et que Saint-Côme y soit inclus, car c'est en juin 1980 que sera révisé le zonage. Qu'il suffise de souligner, en guise de conclusion, que quiconque coule des fondations ou achète des pièces de machinerie avant d'avoir eu au préalable le "OK" du MEER quant à l'approbation d'une subvention se retrouve alors déclassé et inéligible à l'obtention d'un tel octroi." C'est signé Jean-Pierre Lussier de Simon Lussier Ltée.

Bref, ces chinoiseries, Mme la Présidente, qui donnent lieu à un sabotage de la concurrence entre diverses régions, à même les taxes perçues auprès des citoyens, je pense que c'est une façon pour le gouvernement fédéral de nuire au développement régional.

A l'intérieur du cadre étroit de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, loi du Parlement britannique, qui est l'essentiel du débat qu'on a depuis des générations, qui nous sert de constitution, à l'article 92, qui définit les pouvoirs des provinces, les gouvernements du Québec ont de tout temps tenté de donner le maximum de portée à tous ces pouvoirs. De son côté, Ottawa, à partir de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et des pouvoirs unilatéraux du gouvernement fédéral, soit le pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, le pouvoir d'urgence, le pouvoir déclaratoire, le pouvoir de réserve et de désaveu, le pouvoir résiduaire et surtout le pouvoir de dépenser, Ottawa, dis-je, a tenté de tout temps de minimiser les pouvoirs du Québec et de reconstituer un Etat unitaire, avec la complicité de la Cour suprême qui, comme le disait si bien feu Maurice Duplessis, penche toujours du même bord.

Dans sa rédaction même, la constitution contenait des contradictions qui nous ont causé tous les problèmes que nous vivons depuis des générations, depuis au moins 113 ans, nous, en tant que gouvernement du Québec, mais aussi le gouvernement fédéral.

Il y a des constances historiques qui finissent par avoir une signification et nous avons abouti à cette absurdité que deux gouvernements, prétendant tous deux représenter la volonté des citoyens, avec des taxes issues des mêmes citoyens et des pouvoirs politiques issus de la même constitution, poursuivent des politiques qui sont essentiellement contradictoires, l'un, le gouvernement fédéral, de plus en plus fort et voulant centraliser, l'autre, toujours sur la défensive, le gouvernement du Québec, voulant décentraliser. On sait que — c'est la première constatation d'un homme politique — c'est très lourd, l'appareil gouvernemental; deux machines gouvernementales tirant en sens opposé trop souvent, c'est épouvantable.

Cette constance historique des relations fédérales-provinciales, a usé plus d'un gouvernement du Québec; il faut avoir beaucoup de prétention

pour croire qu'à partir d'un mandat de statu quo que constitue un non au référendum, ce conflit historique entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec va se transformer en négociations empreintes de calme et de sérénité. Les conférences fédérales-provinciales nous ont appris que, peu importe la vigueur des chefs que le Québec envoyait à Ottawa pour discuter des changements, les résultats étaient plutôt minces. Je crois que c'est parce que jamais aucun gouvernement du Québec n'a obtenu le mandat que nous demandons à la population du Québec.

Si, comme je le disais plus tôt, notre affirmation collective dans le domaine de la langue et de la culture nous a permis d'obtenir le respect de nos droits individuels, de la même façon notre affirmation collective autour d'une question politique amènera les changements correspondant aux aspirations du peuple du Québec. Si nous devions, au contraire, comme peuple, choisir la voie tortueuse du livre beige, nous constaterions bientôt qu'il s'agit beaucoup plus d'un mandat de vendre le Québec à la pièce pour satisfaire les gourmandises centralisatrices fédérales qu'un mandat pour défendre les intérêts traditionnels du Québec.

Tous les gouvernements du Québec qui ont négocié debout se sont attiré les foudres d'Ottawa. Ce qui était vrai pour le statut des francophones des années soixante est encore vrai pour la reconnaissance du statut de leur gouvernement en 1980. Faut-il donc comprendre que les partisans du non veulent négocier à genoux ou, pire, à plat ventre? Quant à nous, parce que nous savons que la négociation sera difficile et longue, il nous apparaît important dès le départ d'avoir l'appui le plus unanime possible du peuple québécois sur cette question précise. Cela nous apparaît être la meilleure façon de sortir de l'impasse constitutionnelle, une négociation debout avec un peuple uni pour appuyer son gouvernement parce que les neuf autres provinces anglophones et le gouvernement fédéral, eux, seront unis comme toujours quand c'est sérieux. Merci, M. le Président.

Le Président: S'il n'y a plus d'intervenant, est-ce que cela signifie qu'on passe au vote, M. le leader parlementaire du gouvernement?

M. Vaillancourt (Orford): Je demande l'ajournement.

Le Président: M. le député d'Orford demande l'ajournement. Est-ce que cette motion sera adoptée?

Des Voix: Adopté.

Le Président: Vous proposez l'ajournement des travaux?

Des Voix: Adopté.

Le Président: Adopté.

L'Assemblée ajourne ses travaux à demain 10 heures.

Fin de la séance à 21 h 58

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