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(Quatorze heures huit minutes)
Le Président: A l'ordre, mesdames et messieurs!
Un moment de recueillement. Veuillez vous asseoir.
Affaires courantes. Déclarations ministérielles.
Dépôt de documents. M. le ministre des Finances.
DÉPÔT DE DOCUMENTS
Rapport du vérificateur des comptes
M. Parizeau: M. le Président, conformément à
l'article 82 de la Loi sur l'administration financière, j'ai l'honneur
de déposer le rapport du vérificateur des comptes relatifs au
Vérificateur général pour l'année financière
terminée le 31 mars 1979.
Le Président: Merci. Rapport déposé.
Dépôt de rapports de commissions élues. M. le
député d'Iberville.
Etude des projets de loi privés nos 251, 209,
204, 200, 216 et 205
M. Beauséjour: M. le Président, qu'il me soit
permis, conformément aux dispositions de notre règlement, de
déposer le rapport de la commission élue permanente des affaires
municipales qui a siégé les 19, 20, 27 et 28 février 1980
aux fins d'étudier article par article les projets de loi no 251, Loi
concernant la ville de Saint-Laurent; no 209, Loi annexant certains territoires
à celui de la ville de Fermont; no 204, Loi concernant la ville de
Gagnon; no 200, Loi modifiant la Charte de la ville de Montréal; no 216,
Loi modifiant la Charte de la ville de Québec, et no 205, Loi modifiant
la Charte de la cité de Verdun, et les a adoptés avec des
amendements.
Le Président: Est-ce que ce rapport sera
adopté?
Des Voix: Adopté. Le Président:
Adopté.
Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi
privés.
Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.
Présentation de projets de loi au nom des
députés.
Questions orales des députés. M. le député
de Portneuf. (14 h 10)
QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS
Grève des cols bleus de Montréal
M. Pagé: Merci, M. le Président. Ma question
s'adresse au ministre du Travail. Il aura certainement compris qu'elle est
relative à la grève des cols bleus à Montréal qui
perdure depuis déjà 36 jours. En fin de semaine, le rapport de
médiation de M. Désilets a été déposé
auprès des parties. Ce rapport a été refusé, M. le
Président, et, ce matin, je prenais connaissance d'un article de la
Presse, de Montréal, dans lequel le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre, M. Johnson, disait: "Cela ne peut durer plus longtemps comme
ça."
J'en conviens, cela ne peut pas durer plus longtemps, après 36
jours d'une grève qui a affecté la qualité des services
dispensés aux citoyens de la région de Montréal. M. le
Président, ma question est la suivante: Est-ce que le ministre pourrait
d'abord nous informer et informer cette Chambre du déroulement des
négociations à la suite du refus du rapport de médiation?
Deuxièmement, est-ce que le ministre pourrait enfin, après que je
lui ai formulé ces questions mardi dernier, nous dire quelles sont les
avenues que le gouvernement, particulièrement le ministre du Travail,
entend prendre pour en arriver, dans les meilleurs délais, à une
solution de ce conflit? Le ministre se rappellera certainement les avenues que
je lui avais signalées à ce moment-là, soit la suspension
du droit de grève, l'adoption d'une loi spéciale, une commission
parlementaire ou encore l'implication personnelle du ministre dans le
conflit.
Le Président: M. le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre.
M. Johnson: M. le Président, il est exact que la ville de
Montréal a accepté vendredi dernier, dans une lettre que me
faisait parvenir le maire, le rapport de médiation de M.
Désilets.
Il est, d'autre part, exact que le syndicat a refusé le rapport
de médiation, lors d'une assemblée dimanche dernier, au sens d'y
trouver là le règlement du conflit qui oppose les cols bleus
à la ville de Montréal.
Cependant, le syndicat, en adoptant cette résolution, a bien fait
connaître sa position quant à l'essentiel du rapport de
médiation qu'il jugeait adéquat, garantissant aux travailleurs
les droits essentiels qu'il recherchait quant à la
sécurité d'emploi et à la mobilité, entre
autres.
Cependant, l'exécutif syndical a obtenu un mandat pour
négocier sur d'autres points qui étaient des objectifs syndicaux.
Les cols bleus ont choisi de donner ce mandat à leur
exécutif.
A compter de dimanche soir et jusqu'à environ 4 h 30 ce matin,
quand je quittais les bureaux de Montréal, les parties se sont
rencontrées. M. Désilets et mes collaborateurs ont
été dans ce
dossier à peu près sans relâche. Il reste en
suspens, pour pouyoir en arriver à un règlement
négocié quant à la convention collective ce qui,
à mon avis, serait éminemment souhaitable, par opposition
à une solution ou à un rétablissement imposé des
services quelques points seulement au sujet desquels je recevais encore
des communications puisque je suis un peu entre Montréal et
Québec aujourd'hui de mes bureaux de Montréal où il
y aura à 17 h 30 une rencontre avec l'une des parties.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: M. le Président, je conviens que le
rapport de médiation couvrait l'essentiel des problèmes en
litige, de ce qui pouvait rester à régler. Le ministre du Travail
a lui-même déclaré en fin de semaine que, somme toute, il
ne restait pas grand-chose à régler, que le rapprochement pouvait
se faire dans des délais assez brefs et c'est ce qui l'a incité
à continuer et à promouvoir la négociation entre les
parties.
Par contre, on en est à la 36e journée, M. le
Président, et le ministre lui-même nous dit que cela ne peut plus
durer longtemps comme cela. Je conviens qu'on aura des résultats de
rencontres à 17 heures. Entre autres, le ministre serait-il prêt
à s'engager, au début de la séance de ce soir, à
nous indiquer les résultats des rencontres qui ont eu lieu en fin de
semaine et des rencontres d'aujourd'hui? Le ministre pourrait-il enfin
répondre à la question que je lui formule et qu'on lui formule de
ce côté-ci depuis déjà plusieurs jours? On convient
que, dans son esprit, cela a peut-être trop duré, mais combien de
temps est-ce que cela va encore durer dans son esprit? Où est la limite?
A quel moment allez-vous intervenir et à quel moment allez-vous remplir
la responsabilité qui vous incombe?
Le Président: M. le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre.
M. Johnson: D'abord, M. le Président, cela fait
déjà plus de 36 jours qu'on est intervenu, puisque mes
représentants et moi car j'ai l'occasion quotidiennement de
vérifier le cheminement de l'ensemble de ces dossiers sommes au
dossier effectivement depuis bien avant le début de la grève.
Deuxièmement, je pense qu'on reconnaîtra qu'aujourd'hui,
même si la situation peut être pénible dans certains
quartiers de Montréal, même si le nombre de feux de circulation en
panne ou défectueux a augmenté, à comparer, par exemple,
à vendredi, ce n'est pas le fait de l'écoulement du temps qui
rend les choses difficiles en ce moment pour les Montréalais; c'est
quand ils sont aux prises avec des bancs de neige ou encore des rues qui sont
très glissantes et dangereuses.
Or, heureusement, aujourd'hui, alors que les parties continuent cette
négociation et envisagent différentes hypothèses, à
Montréal, contrairement à ce que nous vivons à
Québec, le temps est un peu plus clément. Je pense qu'en pratique
on vit une situation heureusement un peu moins alarmante que celle qu'on vivait
vendredi à cause de la tempête de neige.
Encore une fois, je pense que ce n'est pas tellement le nombre de jours
que la quantité des inconvénients, la santé, la
sécurité et finalement la tolérance du public qui peuvent
être la limite qui devrait amener une intervention. Cette intervention,
elle pourrait être de divers ordres, si cela devait s'imposer. Le
député de Portneuf connaît fort les ouvertures qu'il y a de
ce côté-là.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: M. le Président, une dernière
question. J'ai presque envie de demander au premier ministre s'il n'a pas
l'intention de changer le nom du ministère pour celui de
ministère du beau temps. Ce n'est pas un ministre du Travail qu'on a au
Québec, c'est un ministre du beau temps. Le ministre du Travail a une
responsabilité qui lui incombe d'administrer et de voir à
l'application des lois qui sont prévues, particulièrement le Code
du travail et les droits spécifiques à l'égard de la
suspension du droit de grève. Que le gouvernement et que le ministre du
Travail aujourd'hui... Non, j'y arrive, M. le Président! Le gouvernement
ne peut pas se fier uniquement au beau temps pour régler les
problèmesà Montréal. La population attend une solution et
attend une application du gouvernement. J'ai posé la question à
de nombreuses reprises et je reviens encore de façon bien sereine, bien
calme en demandant au ministre d'y répondre. Quelles sont les avenues
que vous envisagez prendre pour le régler, le problème? La
médiation a échoué. Quand allez-vous prendre la
responsabilité qui vous incombe? Vous avez plusieurs choix, j'en ai fait
état la semaine dernière: suspension du droit de grève,
loi spéciale, etc. Quand allez-vous agir? Quand cela aura-t-il trop
duré?
Le Président: M. le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre.
M. Johnson: M. le Président, les parties seront aux
bureaux du ministère à 17 heures cet après-midi. C'est
cela, l'intervention. Je comprends que cela ne satisfait peut-être pas le
député de la tempête de Portneuf, à moins qu'on ne
le qualifie d'oiseau de malheur ou de faucon, dans les circonstances.
M. Pagé: Question de privilège!
M. Johnson: Je pense qu'effectivement...
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: Ce vocabulaire s'inscrit peut-être dans le
vocabulaire typique de violence tel que celui que le premier ministre a
utilisé en fin de semaine. Ma participation dans ce dossier, c'est une
obligation qu'on a ici, parce que, de ce côté,
on est sensible à la préoccupation des gens. C'est ce
pourquoi on pose les questions. Nous, on prend notre responsabilité et
on fait notre job. Faites-en autant!
Le Président: M. le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre.
M. Johnson: M. le Président, je voudrais simplement
m'assurer que le député n'a pas été blessé.
J'ai parlé de l'oiseau et non pas de deux mots séparés.
Effectivement, il y aurait quatre avenues possibles s'il n'y avait pas de
règlement négocié sur la convention collective. Le
député de Portneuf les a énumérées. Il
serait irresponsable et même sans doute dangereux à l'égard
de ce qui se passe en ce moment dans les bureaux du ministère à
Montréal d'évoquer l'une ou l'autre des hypothèses quant
au contenu ou au mécanisme qui pourrait être utilisé en cas
d'échec. S'il y a échec au moment où nous jugerons, compte
tenu de la situation, pour les fins de la protection de la population, nous
verrons à prendre nos responsabilités. On n'a pas
hésité à le faire dans le passé, le
député de Portneuf le sait. (14 h 20)
Le Président: M. le député de
Maskinongé.
Extension de la Loi sur la protection du territoire
agricole à tout le Québec
M. Picotte: M. le Président, il y a plus d'un an, ce
gouvernement faisait adopter par la Chambre la Loi sur la protection du
territoire agricole et, dernièrement, les dirigeants de l'UPA
mentionnaient que le fait que cette loi régisse uniquement une partie de
la province causait de graves préjudices aux agriculteurs d'autres
régions.
J'aimerais demander au premier ministre, étant donné qu'il
a fait une déclaration dernièrement, quand prévoit-il
généraliser, étendre à tout le Québec la loi
du zonage agricole puisqu'il l'a déclaré lui-même et
puisqu'en commission parlementaire on nous a toujours mentionné que les
plans étaient prêts au ministère depuis déjà
de nombreuses années.
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je suis
heureux de voir que le député de Maskinongé
j'espère que c'est vrai pour nos autres amis d'en face a
trouvé son chemin de Damas...
M. Picotte: Non.
M. Lévesque (Taillon): ... par rapport à une mesure
qu'ils ont combattue tant qu'ils ont pu, contre laquelle, si j'ai bonne
mémoire, ils ont voté et qui, maintenant, devrait être
généralisée le plus vite possible. Je suis parfaitement
d'accord avec le député de Maskinongé. Cela fait partie de
ces "non" sur lesquels on revient à l'occasion quand on
s'aperçoit...
Tout ce que je peux dire au député de Maskinongé,
c'est que l'étape actuelle sera com- plètement terminée...
Je n'entrerai pas dans le détail technique. Si le député
veut des réponses plus élaborées, le ministre de
l'Agriculture est en Chambre. Mais tout ce que je peux dire, c'est ceci:
L'étape actuelle, qui était déjà un gros morceau et
celui qui pressait le plus, c'est-à-dire les basses terres du
Saint-Laurent, devrait être complétée, nettoyée, si
vous voulez, autour du mois de juillet. Entre-temps, il va se passer des choses
qui vont nous permettre d'approcher d'une protection plus complète,
aussi complète que possible des territoires agricoles du
Québec.
M. Picotte: M. le Président...
Le Président: M. le député de
Maskinongé.
M. Picotte: ... est-ce que le premier ministre, qui
prétend que la loi est si bonne et si parfaite, voudrait dire à
cette Chambre la raison pour laquelle il attend après le
référendum pour étendre la loi du zonage agricole à
tout l'ensemble du Québec? Pourquoi attend-on après, si c'est si
important de le faire immédiatement, alors que tous les plans sont
prêts? Le ministre de l'Agriculture nous en a donné l'assurance
déjà.
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): Le ministre de l'Agriculture ne
vous a pas donné l'assurance que tous les plans étaient
prêts pour la bonne et simple raison qu'ils ne le sont pas dans toutes
les régions. Ceci ne veut pas dire qu'on va attendre après le
référendum pour certains éléments de la
continuation. Mais pourquoi attend-on pour généraliser tout
ça? C'est que, justement, l'étape actuelle, de toute
façon, ne sera pas terminée complètement avant le mois de
juillet, c'est-à-dire assez tard l'été prochain.
Le Président: M. le député de
Maskinongé.
M. Picotte: Dans l'esprit du premier ministre, M. le
Président, lorsqu'il parlait d'étendre le zonage de façon
générale, il a mentionné uniquement quelques
régions. Est-ce qu'il s'agit bien seulement de quelques régions
ou si c'est l'ensemble du Québec?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): Je ne sais pas s'il restera
certains morceaux de régions qui ne seront pas couverts; il faudrait le
demander au ministre de l'Agriculture. Il y aura peut-être des morceaux
qui ne pourront pas être complètement couverts. Je peux dire une
chose, par exemple, au député de Maskinongé: C'est que
bien avant quelque échéance finale que ce soit, y compris
l'échéance toujours dangereuse pour n'importe quel groupe
politique des élections générales, l'ensemble du
territoire agricole, pour autant qu'on pourra le compléter, sera
protégé au Québec justement pour qu'on ne risque pas que
des gens qui ont voté contre puissent avoir le goût d'enrayer cela
ou de l'arrêter.
Le Président: M. le chef de l'Union Nationale.
Vote des anglophones
M. le Moignan: M. le Président, j'aurais une brève
question seulement à adresser au premier ministre, suite à un
commentaire qu'il a fait au lendemain de l'annonce du sondage CROP de
Radio-Canada où il a souligné la solidarité des
Québécois anglophones qui ont voté non dans une
proportion, je crois, de 80% et de 20% pour le oui. Si je ne me trompe pas
trop, c'est à peu près cela et le premier ministre faisait appel
aux Québécois francophones pour qu'ils fassent de même dans
l'option du oui. Jusque-là, on se comprend très bien.
Maintenant, pour une poursuite démocratique de ce débat
référendaire et pour que le Québec ne connaisse pas,
peut-être, un réveil trop brutal, je voudrais demander au premier
ministre de demander à ses stratèges de ne pas faire jouer cette
opposition des races. Je pense que ce serait très mauvais des deux
côtés de la Chambre.
Tout ce que je demande au premier ministre, c'est une mise au point
assez sérieuse parce qu'il y a d'excellents amis qui optent
déjà pour le oui et qui parlent de prendre la minorité
anglophone en otage. Je voudrais que le premier ministre dissipe tous les
doutes sur cela.
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, j'aurai
l'occasion, en fin de semaine, lors d'un colloque comme on dit dans le
jargon courant avec nos concitoyens anglophones, à
Montréal, de faire toutes les précisions qui pourraient
s'imposer.
Je répéterai simplement au député de
Gaspé ce que j'ai dit en gros au lendemain des deux sondages, parce
qu'il y en a eu deux en attendant la suite. C'est que, premièrement, il
y a un fait qu'il faut constater. L'ensemble très majoritaire,
massivement majoritaire, de nos concitoyens non francophones, pour toute une
série de raisons dont les unes sont historiques et dont les autres sont
reliées au contexte d'information je mets le mot "information"
entre guillemets très souvent contexte d'information dans lequel
ils sont baignés, veut, veut pas, cet ensemble massivement majoritaire
de nos concitoyens non francophones est nécessairement coupé
c'est, jusqu'à un certain point, les deux solitudes qui se
respectent est quelque peu coupé, en tout cas, de certains des
éléments clés de l'évolution du Québec. Cela
est un fait; il faut être hypocrite ou des autruches pour ne pas s'en
rendre compte.
Derrière ce fait se trouvent aussi j'ai le plus immense
respect pour les deux attitudes pour la bonne et simple raison que ce sont des
faits d'une part, ceux qui ne peuvent pas, qui se sentent incapables
d'opter pour le genre d'évolution du Québec avec laquelle ils ne
se sentent pas en relation et, d'autre part, j'ai également un immense
respect pour le courage et, quant à nous, la lucidité d'un nombre
croissant, modestement croissant, mais d'un nombre croissant de nos concitoyens
non francophones qui adhèrent de plus en plus à
l'évolution du Québec, à la direction que nous proposons
et au oui au référendum.
Le Président: M. le député de
Maisonneuve.
Interruption des analyses de laboratoire au CLSC
Hochelaga-Maisonneuve
M. Lalande: M. le Président, ma question s'adresse au
ministre des Affaires sociales. Le 25 février dernier, 25 personnes,
pour la plupart des gens du troisième âge, se faisaient expulser
par la force, manu militari, par une douzaine de policiers du CLSC
Hochelaga-Maisonneuve. Le motif de cette expulsion était,
paraît-il, d'avoir troublé la paix publique. En
réalité, ces gens se rendaient au CLSC pour protester contre la
décision des administrateurs, MM. Tremblay et Massi-cotte, de ne plus
donner le service de prélèvement, entre autres, le service
d'analyse de sang, service qui s'était toujours donné depuis plus
de huit ans. Cette décision du ministre des Affaires sociales, de toute
façon, est d'ailleurs généralisée partout au
Québec. Au cours de la fin de semaine dernière, le ministre le
sait, il a été saisi d'une pétition signée par au
moins 500 personnes, pétition qui demande au ministre de
réinstaller ce service d'analyse dans les plus brefs délais.
Ma question est celle-ci: Est-ce que le ministre est en faveur d'une
participation des gens du milieu aux services sociaux de leur quartier et, si
oui je l'espère bien parce qu'autrement ce serait une volte-face
du gouvernement quand et à quelle date a-t-il l'intention de
donner à nouveau ce service à la population du quartier?
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: M. le Président, effectivement, j'ai
été saisi, en fin de semaine, de cette pétition et j'ai
appris, par le fait même, la décision, non pas du ministère
des Affaires sociales, mais bien de la direction du CLSC, du Centre local de
services communautaires d'Hochelaga-Maisonneuve, de discontinuer les analyses
de laboratoire pour un certain nombre, pour une certaine clientèle, non
pas pour tout le monde.
M. le Président, premièrement, il ne s'agit pas d'une
décision du ministère des Affaires sociales. Au contraire, durant
l'année financière qui s'achève, nous avons accordé
des subventions spéciales à tous les CLSC qui ont des
laboratoires, et il y en a un certain nombre, une trentaine, 30 ou 35 sur les
81. Nous leur avons accordé une subvention spéciale pour leur
permettre de continuer à rendre au public ce service. Je vous avoue que
je ne comprends pas la décision de la direction du CLSC
Hochelaga-Maisonneuve. Je sais que cette décision a été
durement contestée à l'intérieur même du conseil
d'administration de ce CLSC, selon les informations que j'ai reçues en
fin de
semaine. M. le Président, pour le député de
Maisonneuve, je pense bien pouvoir, demain ou après demain au plus tard,
donner une réponse plus complète et donner plus d'explications.
(14 h 30)
Encore une fois, je résume en disant qu'il ne s'agit pas du tout
d'une décision du ministère des Affaires sociales. Au contraire,
nous avons accordé de nouveaux crédits précisément
pour élargir ce service à la population.
Le Président: M. le député de
Maisonneuve.
M. Lalande: M. le Président, je voudrais simplement
rappeler au ministre qu'il nous donne une réponse à cette
heure-ci, d'ailleurs évasive, nous promettant d'y revenir. Pourquoi le
ministre, après au moins 20 appels à son bureau de la part des
citoyens, surtout du Comité du droit à la santé
d'Hochelaga-Maisonneuve, n'a-t-il pas daigné répondre à au
moins 20 appels qui ont été faits à son bureau?
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: M. le Président, je ne sais pas si cela vaut la
peine de répondre à une telle question. Il y a des appels qui
sont retournés. Je ne sais pas sur quoi le député base son
affirmation. Aussi longtemps qu'il aura simplement une affirmation gratuite
à lancer comme cela, je pense qu'il ne vaut pas la peine de s'y
attarder. Mais si le député a quelque chose de plus solide comme
représentation à faire, j'y répondrai avec plaisir. De
toute façon, je vous répète qu'il s'agit d'une
décision locale du CLSC et, encore une fois, le député
s'adresse à la mauvaise porte. Je veux bien demander des explications
à la direction du CLSC, ce que je fais actuellement. Je verrai, s'il y a
lieu, oui ou non, de contester la décision du CLSC.
Le Président: Question additionnelle, M. le
député de Rosemont.
M. Paquette: M. le Président, j'ai également eu des
représentations de citoyens à ce sujet. J'aimerais savoir si le
ministre est en mesure de nous dire si la politique de son ministère est
bien de déconcentrer les services de prélèvement et de
s'assurer que, dans les CLSC, ces services sont assurés à la
population.
Deuxièmement, est-ce que ce problème semble
spécifique au CLSC Hochelaga-Maisonneuve ou s'il existe également
dans d'autres CLSC?
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: Encore une fois, je répète que la
politique est justement de pouvoir offrir ces services dans les quartiers, de
les déconcentrer, si vous voulez, de les décentraliser.
Plutôt que de voir des douzaines et des douzaines de personnes se rendre
dans une salle d'urgence ou une clini- que externe pour des
prélèvements, nous essayons d'offrir ce service dans le plus
grand nombre de points de service possible.
A ma connaissance, il s'agit de quelque chose d'isolé. Nous avons
précisément voulu remédier à cette situation, il y
a déjà huit ou neuf mois, en accordant ces crédits
spéciaux aux CLSC pour qu'ils puissent augmenter les services de
laboratoire à la population.
Le Président: M. le député de
Pontiac-Témiscamingue.
M. Goulet: M. le Président...
Le Président: M. le député de Bellechasse,
il y aura le temps pour vous permettre une question.
M. Goulet: M. le député de
Pontiac-Témiscamingue ne s'est pas levé, M. le
Président.
Le Président: II y aura tout le temps pour vous permettre
une question, si on n'en perd pas trop, de même que vous, M. le
député de Gouin; de même que vous, M. le
député de Verchères.
M. le député de Pontiac-Témiscamingue.
M. O'Gallagher: Robert Baldwin, M. le Président.
Le Président: M. le député de Robert
Baldwin.
Difficultés financières au projet
AMBCAL
M. O'Gallagher: Merci, M. le Président. Ma question
s'adresse au ministre des Affaires sociales. Il en a sans doute reçu
avis par télégrammes, par lettres et par d'autres moyens de
communication.
Mr Minister, AMBCAL youth project, which serves more than thirteen
municipalities of Montreal, and more important than that helps some 300 young
people yearly, is again in financial difficulty for the third consecutive year.
This difficulty is entirely due to a bureaucratic bungling. This 24 hour youth
assistance service has been approved by all the Social Affairs agencies.
However, at this moment, they have had to terminate the employment of ten staff
members who are presently continuing on a volontary basis only.
Mr Minister, will this 24 hour youth shelter receive financial aid or
will it have to close, "oui ou non"?
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: C'est un oui, c'est un oui éclatant, mais, M.
le Président, le député fait part des inquiétudes
d'un groupement qui reçoit actuellement une subvention de notre
ministère. Le groupe en question, comme bien d'autres groupes, se
demande si, oui ou non, l'an prochain, avec le budget 1980-1981, il y aura
encore une subvention. C'est cela, la question.
Je vois que le député fait oui de la tête. On se
comprend sur l'objet en litige. Je pense que cela peut devenir très
instructif pour cette Assemblée, si chacun des quelque 200 groupes qui
reçoivent des subventions passe le message à son
député de bien vouloir poser la question au ministre des Affaires
sociales: Est-ce que, oui ou non, nous aurons la subvention l'an prochain?
De toute façon, le député sait fort bien que nous
devrons attendre le discours du budget avant d'annoncer aux organismes
bénévoles, tels que AMBCAL ou d'autres, qui font un excellent
travail, quelle subvention ils auront l'an prochain. Il est probable qu'une
telle subvention sera versée, comme elle l'a été depuis
quelques années. Je pense que le député fait bien son
travail de député et que nous ferons aussi notre travail de
ministre aussitôt que le discours du budget sera annoncé.
Le Président: M. le député de Robert
Baldwin, une brève question additionnelle.
M. O'Gallagher: C'est très bien, M. le ministre, mais cela
fait déjà trois ans et c'est toujours la même histoire tous
les ans. Pourriez-vous trouver une solution permanente pour cette
institution-là, parce que, tous les ans, les gens sont
"barouet-tés" d'un service à l'autre? Y a-t-il moyen de trouver
une solution permanente à cet organisme qui rend service à
au-delà de 300 enfants dans treize municipalités de
Montréal?
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: M. le Président, j'ai le même
problème que ce groupement et de tous les groupements. Moi aussi, j'ai
à défendre un budget; moi aussi, je vis dans
l'insécurité par rapport au budget que va nous
révéler mon collègue d'en face, de ce côté-ci
de la Chambre, qui est juste en face de moi. M. le Président, on vit
dans un système où il faut voter un budget, chaque année.
Je ne connais pas de façon magique d'éviter ce vote annuel du
budaet.
On m'indique que les dictatures ont réglé ce
problème une fois pour toutes, mais je pense que, dans notre
système, nous devons étudier les crédits annuellement. Ce
groupe, comme d'autres groupes, devrait avoir une réponse d'ici quelques
semaines.
Le Président: M. le député de
Bellechasse.
Attribution des contrats du gouvernement
M. Goulet: Merci, M. le Président. Je ne vous en veux pas
pour votre décision de tout à l'heure, M. le Président, je
vous comprends. Quand le député de Robert Baldwin est debout,
vous ne pouvez m'apercevoir. Ma question s'adresse au ministre des Travaux
publics et de l'Approvisionnement. Le 24 octobre 1978, en conférence de
presse sur la mise en vigueur de la nouvelle politique d'attribution des
contrats du gouverne- ment, Mme la ministre disait ceci, et je cite: "Les
nouvelles procédures d'octroi de ces contrats visent donc à
éliminer le favoritisme et l'arbitraire dans l'engagement des
professionnels, des techniciens concernés ou dans la location de
certains biens, en assurant à tous les fournisseurs compétents
une chance égale de fournir leurs services à l'Etat,
indépendamment de leurs bonnes ou mauvaises relations avec le
gouvernement", et ainsi de suite. A partir de là, pour la bonne
compréhension de la population, j'aimerais que le ministre nous dise si
la soumission publique, c'est bien pour assurer à tous les fournisseurs
compétents une chance égale de fournir leurs services à
l'Etat, et, dans un autre temps, j'aimerais savoir du ministre si tous les
ministères du gouvernement du Québec sont tenus de se conformer
au principe de la soumission publique. (14 h 40)
Le Président: Mme la ministre des Travaux publics.
Mme Ouellette: On ne peut rien cacher au député. Il
va sans dire que l'octroi des contrats par soumissions publiques dit, parce que
c'est la règle, que c'est effectivement équitable, et donc le
contrat est octroyé au plus bas soumissionnaire, même si, quand on
annonce une soumission publique, on ajoute, à cause des avocasseries,
que le ministère n'est pas tenu d'octroyer le contrat au plus bas
soumissionnaire. A ce moment, il faut vraiment avoir une raison très
importante pour ne pas donner un contrat au plus bas soumissionnaire. A cette
question, je réponds que oui. A votre deuxième question,
effectivement, tous les ministères doivent se conformer aux soumissions
publiques, sauf s'il y a vraiment des exceptions, urgence, notamment; quand on
doit réparer des choses de toute urgence, parfois on est obligé
d'aller en dérogation, mais, règle générale, on
doit aller en soumissions publiques.
Le Président: M. le député de
Bellechasse.
M. Goulet: M. le Président, j'aimerais savoir,
après l'affirmation du ministre, en vertu de quel principe le
gouvernement a instauré les soumis-missions sur invitation. De cette
façon, comment assure-t-on à tous les fournisseurs
compétents une chance de fournir leurs services à l'Etat, comme
le veut le principe que vient d'énoncer le ministre?
Il y a, bien entendu, M. le Président, le fichier central des
fournisseurs, mais quand le gouvernement y fait appel, vous ne donnez pas la
chance égale à tout le monde, mais vous sélectionnez un
nombre déterminé de fournisseurs. A partir de là, comment
peut-on affirmer que tous les fournisseurs ont une chance égale? Je
pense qu'il serait beaucoup plus logique d'inviter tous ceux qui sont inscrits
au moins au fichier, plutôt que de restreindre le nombre, par exemple,
à neuf, dans des cas que je pourrai vous donner.
Le Président: Mme la ministre des Travaux publics et de
l'Approvisionnement.
Mme Ouellette: Je pense qu'il ne faut pas mêler tout
ça. Cela dépend des niveaux d'honoraires. Cela dépend de
l'ampleur des contrats. Il est bien entendu que si on a à construire,
par exemple, comme on le fait présentement, un palais des congrès
à Montréal, c'est quand même un contrat de $60 millions
avec un niveau d'honoraires assez élevé. A ce moment-là,
on va en soumissions publiques avant de procéder par concours. Cela
dépend, encore une fois, du type de travaux, des services que
requièrent le gouvernement et les différents ministères.
Quant à moi, je n'ai pas d'objections du tout à retenir des
suggestions à cet égard.
Quant au fichier central, c'est une autre chose. J'ai toujours dit qu'on
n'avait pas les pieds dans le béton, que c'était une
réglementation ce n'est donc pas une loi et qu'on avait le
goût, au fur et à mesure que le nouveau système
évolue, d'apporter des modificaî;ons, compte tenu de
l'expérience et de l'évolution de ce système.
Cela étant dit, comme je l'ai fait à plusieurs reprises
ici, je vous inviterais également à venir au fichier central
rencontrer les gens qui le font fonctionner. On n'a jamais eu la
prétention de dire que, là-dedans, tout avait été
dit et que c'était parfait à tous les points de vue; on s'est
donné par là, une nouvelle formule, un nouveau système
ayant comme but, comme principe de base, de dépolitiser et de
régionaliser l'octroi des contrats.
Qu'on puisse en cours de route, dans un tel système, apporter des
améliorations je pense qu'il y a toujours place à
l'amélioration pour ma part, je suis tout à fait
disposée à considérer des suggestions visant à
améliorer le système. Mais, si vous avez un cas particulier, je
suis tout à fait prête à le regarder et à voir ce
qu'on peut faire pour améliorer ce système.
Le Président: M. le député de Bellechasse,
une brève question.
M. Goulet: Une courte question additionnelle, M. le
Président, merci. Toujours en vertu du principe de la chance
égale à tout le monde, j'aimerais savoir en vertu de quel
principe de justice et d'équité le gouvernement a accordé
le contrat, par exemple, d'une maquette de $150 000 de façon on ne peut
plus discrétionnaire, à Maquette 3-D et Promosit, au moment
où ces compagnies, selon nos renseignements, n'apparaissaient même
pas au fichier central des fournisseurs, alors que d'autres compagnies
spécialisées apparaissaient au fichier des fournisseurs. L'une
des raisons pour lesquelles on a procédé, ainsi selon la
réponse que nous avons reçue par courrier, c'est à cause
de l'échéance très serrée pour l'exécution
du travail.
M. le Président, dans ce cas précis, le travail est
terminé depuis le mois d'octobre 1979 et cette fameuse maquette n'a
servi qu'une fois depuis pour un bref reportage à la
télévision. J'ajoute, si vous me le permettez, qu'il en est de
même également j'ai écrit à Mme la ministre
là-dessus pour un contrat de concassage dans mon propre
comté où le seul entrepreneuréquipé pour faire ce
genre de contrat, entre parenthèses, Les Concassages de la Rive-Sud, n'a
même pas été inscrit, oui, au fichier central des
fournisseurs invité à soumissionner alors que c'est le
seul fournisseur de la région inscrit à ce fichier. Comment
peut-on défendre ce principe de la chance égale à tout le
monde?
Le Président: Mme la ministre des Travaux publics et de
l'Approvisionnement.
Mme Ouellette: II y a des contrats effectivement qui sont
donnés sur invitation, dépendant souvent de l'urgence des travaux
à être exécutés, pour la première partie de
votre question.
Dans la deuxième partie, vous faites état d'une maquette
qui aurait été commandée par un ministère.
J'aimerais vous souligner ceci: Le fichier central des fournisseurs au
ministère des Travaux publics, au service général des
achats, n'est pas une machine à contrat; c'est un service, c'est un
nouveau système. Donc, chaque ministère qui a à octroyer
un contrat est tenu de passer par le fichier central, dépendant des
niveaux d'honoraires, ou par soumissions publiques, comme on le fait depuis
quand même un certain temps.
Donc, c'est le ministère qu'on dit, nous, dans notre jargon, le
ministère client, qui est responsable en fin de compte, une fois qu'il
s'est prévalu de ce service, de ce nouveau système, de l'octroi
des contrats. La chose qu'on a ajoutée en plus, c'est que le ministre a
à répondre, bien sûr, de l'octroi de ces contrats à
une commission chargée de l'étude des crédits et, si le
ministre ne retient pas, pour toute espèce de raison, la firme
suggérée, il a à donner les explications.
Dans ce cas précis de la maquette, je peux vous dire que ce n'est
donc pas le fichier central des fournisseurs, au Service général
des achats, qui a suggéré les noms; c'est le ministère en
question qui a jugé qu'il devait aller, pour toute espèce de
raison et, à ce moment-là, vous pourrez demander des
informations au ministre responsable en contrat ouvert auprès de
fournisseurs pouvant lui donner ce type de service.
Quant aux travaux de concassage, c'est la même chose. Je vais voir
spécifiquement, quant à ce dossier, ce qui a été
fait et cela me fera un grand plaisir de répondre à votre
question cette semaine.
M. Goulet: Question additionnelle, M. le Président.
Le Président: M. le député de Gouin.
M. Goulet: Une courte question additionnelle, M. le
Président.
Des Voix: A l'ordre! Le Président: M. le
député de Gouin. Les comptes économiques
M. Tremblay: M. le Président, ma question s'adresse au
premier ministre. Si je ne m'abuse, les
comptes économiques du Québec disponibles pour la
dernière année ont été remis à la presse le
20 février dernier, donc il y aura un mois cette semaine. Les comptes
économiques, évidemment, constituent ou contiennent
énormément de renseignements statistiques sur l'état de
l'économie et bien d'autres choses qu'uniquement le bilan
Québec-Ottawa.
Dans les années passées, les comptes économiques
étaient déposés à l'Assemblée nationale
dès leur parution. Je voudrais demander au premier ministre, pour les
députés de l'Opposition, 1°) pourquoi les comptes
économiques n'ont pas été déposés à
l'Assemblée nationale lorsqu'ils ont été remis à la
presse, et 2°) quand ils seront déposés, si jamais ils le
sont, parce que, comme députés, nous pouvons lire les journaux,
mais je pense qu'il serait utile, dans notre travail, d'avoir copie des comptes
économiques. J'aurai une courte question additionnelle.
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, vu qu'il
s'agit justement des comptes économiques, le député de
Gouin comprendra que, en ce qui concerne les délais et en ce qui
concerne aussi les perspectives plus ou moins prochaines de dépôt
complet, je demande au ministre d'Etat au Développement
économique de donner l'essentiel de la réponse qui est disponible
en ce moment.
Le Président: M. le ministre d'Etat au
Développement économique.
M. Landry: Autant que je sache, M. le Président, on a
suivi, sous toute réserve, la tradition établie par nos
prédécesseurs. Les comptes économiques ont
été publiés à 13 heures par le gouvernement du
Canada et, comme l'a souligné le député, à 14
heures, une heure après, suivant une tradition que lui-même avait
établie, nous avons remis ce que nous avions en main à la presse.
Nous n'avons pas l'intention de déroger à cela. S'il y a eu un
délai, je vais me faire expliquer pourquoi il a eu lieu. Nous n'avons
pas non plus l'intention de déroger à l'autre
élément de la tradition qui consiste à déposer en
cette Assemblée les comptes économiques.
M. Tremblay: M. le Président...
Le Président: M. le député de Gouin.
M. Tremblay:... je pense qu'il y a méprise. Je ne
soulève pas une question de privilège pour les journalistes. Je
pense qu'ils ont reçu le document, effectivement, il y a un mois. Je
soulève en quelque sorte une question de privilège pour les
députés de l'Opposition et peut-être même pour les
députés du côté gouvernemental aussi. La tradition,
c'est que, lorsqu'on remettait les comptes économiques à la
presse, on les remettait en même temps aux députés pour
qu'ils puissent en prendre connaissance. A ma connaissance, nous ne les avons
pas reçus. Du moins, je ne les ai pas reçus et mon
collègue d'à- côté ne les a pas reçus. Est-ce
que nous allons recevoir très bientôt les comptes
économiques ajustés pour la dernière année?
Le Président: M. le ministre d'Etat au
Développement économique.
M. Landry: M. le Président, je redis à mon
collègue que c'est oui. J'ajoute que, lors du dépôt,
j'expliquerai à cette Chambre, car il n'est pas question de vouloir
violer les privilèges de quiconque, pourquoi cette chose n'a pas encore
été faite. (14 h 50)
Le Président: M. le député de
Verchères.
M. Tremblay: Question additionnelle, M. le Président,
comme je l'avais demandé, au premier ministre.
Le Président: M. le député de Gouin,
brièvement.
M. Tremblay: Sur cette question de l'accès à
l'information gouvernementale, je demanderai au premier ministre s'il est
prêt à reconnaître que l'accès à l'information
gouvernementale est un droit et non pas un privilège, pas seulement pour
les députés, mais pour l'ensemble de la population. Et est-ce
qu'il serait favorable à l'adoption par cette Assemblée d'une loi
qui garantirait ce droit à l'information? Plusieurs pays ont des lois
semblables; nous ici, au Québec, je ne crois pas que nous en ayons
une.
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): La réponse, c'est
catégoriquement oui, M. le Président.
Le Président: M. le député de
Verchères.
M. Tremblay: C'est quand?
M. Lévesque (Taillon): Le plus vite possible.
Le Président: M. le député de
Verchères.
Projet de modernisation de la Raffinerie de sucre de
Québec
M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Le ministre de
l'Agriculture est venu annoncer dans le comté de Verchères,
précisément à Saint-Hilai-re, au sujet de la Raffinerie de
sucre de Québec, l'automne dernier, un projet de modernisation de $32
600 000. Le ministre avait indiqué, à ce moment, que la mise en
oeuvre de ce projet était conditionnelle à la participation du
gouvernement fédéral pour une somme de plusieurs millions de
dollars, $6 700 000, si ma mémoire m'est fidèle. Je voudrais
demander au ministre de l'Agriculture ce qui est arrivé des pourparlers
entre le Québec et le gouvernement fédéral depuis
l'annonce des intentions du gouvernement du Québec. Et est-ce qu'il peut
nous dire si une réponse pointe à l'horizon
concernant ce projet de modernisation, qui est passablement important
pour les gens non seulement du comté de Verchères, mais de la
grande région agricole de Saint-Hyacinthe-Mont-Hilaire?
Le Président: M. le ministre de l'Agriculture, essayez de
faire rapidement s'il vous plaît.
M. Garon: M. le Président, il est exact que nous avons
annoncé, à la fin d'octobre ou au début de novembre, un
projet conditionnel à l'octroi de subvention de $6 700 000 par le MEER,
sur des investissements de $32 500 000 le reste des $26 millions
étant assumé par le gouvernement du Québec
conditionnelle à l'acceptation, par le ministère de l'Expansion
économique régionale, d'une subvention de $6 700 000. Les
fonctionnaires fédéraux sont au courant de ce dossier depuis le
mois d'août 1979. Le dossier a été remis officiellement
à la fin d'octobre ou au début de novembre et on nous avait
donné l'assurance qu'on aurait une réponse avant le 14 janvier
1980. Cela, c'est avant que soient déclenchées les
élections fédérales. Je ne sais pas si les fonctionnaires
sont un peu partisans ou non, mais on m'a dit que toutes les approbations
étaient favorables du côté des fonctionnaires
fédéraux, mais le dossier n'a pas été
présenté, apparemment, au gouvernement en place. Il y avait
peut-être des sympathies du côté des fonctionnaires, mais
après le déclenchement des élections
fédérales, ils nous disaient que le dossier serait
présenté le 20 février. Depuis cette date, on n'a pas eu
de réponse. Vous avez un exemple probant M. le Président: si tous
nos impôts étaient payés au Québec, l'usine serait
en construction depuis le mois d'octobre dernier.
Le Président: M. le député de
Verchères.
M. Charbonneau: Je veux, d'ailleurs, signaler que j'ai
personnellement écrit aux deux députés
fédéraux de la région pour leur demander de pousser un peu
sur le dossier. Je n'ai eu que des accusés de réception polis
jusqu'à maintenant.
Je voudrais demander au ministre, compte tenu de ce qu'il vient de nous
indiquer, si c'est exact que les hauts fonctionnaires fédéraux
dont il est question, entre autres un fonctionnaire du ministère
fédéral de l'Agriculture dont on s'est fait un plaisir, au
gouvernement du Québec, de se débarrasser et qui a finalement
trouvé une bonne "job" à Ottawa...
Deuxièmement, est-ce qu'il est exact que l'ancien ministre d'Etat
chargé du Développement économique du gouvernement
conservateur, M. De Cotret, avait annoncé officiellement à deux
reprises, au cours de la campagne électorale fédérale, que
cette décision avait été prise par le gouvernement
précédent? Comment se fait-il, si cette décision avait
été prise, que la réponse n'a pas encore été
annoncée au gouvernement du Québec et aux gens de la
région? Est-ce que c'était une promesse électorale des
conservateurs qui se fiaient sur des hauts fonctionnaires libéraux? Ou
est-ce que c'était effectivement une décision gouvernementale de
dire oui au gouvernement du Québec et de donner ce qui était
dû à la région de Saint-Hyacinthe, à
Mont-Saint-Hilaire, c'est-à-dire une subvention de $6 700 000?
Le Président: Une minute pour la réponse, M. le
ministre de l'Agriculture.
M. Garon: M. le Président, je peux vous dire que je ne me
suis débarrassé d'aucun fonctionnaire. Ceux qui ont quitté
pour aller à Ottawa y sont allés d'eux-mêmes.
Deuxièmement, concernant les déclarations de M. De Cotret,
je n'en ai jamais entendu parler. Tout ce qu'on m'a dit, c'est que le candidat
conservateur dans Saint-Hyacinthe disait que cela serait annoncé. Mais
on n'a jamais eu de réponse officielle concernant cette question.
On m'a dit, par ailleurs, que les multinationales dans le domaine du
sucre faisaient de grandes pressions auprès du gouvernement
fédéral pour que le gouvernement fédéral n'accepte
pas le projet québécois et ne le subventionne pas. Vous savez
que, dans le domaine du sucre, ce sont des multinationales qui sont ici.
Le Président: Avant de mettre un terme aux questions
demain, M. le député de Jean-Talon le ministre des
Affaires culturelles et des Communications m'a signalé qu'il voudrait
apporter un complément de réponse ou une réponse à
une question qui a été formulée la semaine
dernière.
M. le ministre des Affaires culturelles.
Des pressions ont-elles été faites pour
utiliser les services d'une société particulière?
M. Vaugeois: Merci, M. le Président. Effectivement, ce
n'est même pas un complément de réponse, c'est une
réponse, parce que, la semaine dernière, je l'avoue, j'ai
été totalement pris au dépourvu.
J'ai rompu avec la tradition des anciens députés de
Trois-Rivières et le patronage est assez loin de mes
préoccupations. On raconte dans Trois-Rivières que, quand les
députés de Trois-Rivières étaient dans
l'Opposition, ils dénonçaient le patronage et que, quand ils
étaient au pouvoir, ils le pratiquaient. Je ne suis pas rendu
là.
La question du député de Marguerite-Bourgeoys se formulait
à peu près comme ceci: Le ministre a-t-il déjà fait
des pressions auprès d'autres ministères? Il pourra la
préciser tout à l'heure, si le coeur lui en dit, mais il revient
là-dessus dans une sous-question en parlant encore de démarches
de moi-même ou de mon cabinet auprès d'autres ministères.
En me donnant l'occasion de répondre, M. le Président, vous avez
déjà clarifié un élément. Quand je
communique ou quand les gens de mon cabinet communiquent avec le sous-ministre
des Communications, nous ne communiquons pas avec un autre ministère,
nous communiquons avec l'un des deux ministères dont j'ai la
responsabilité à ce moment-ci. Une petite nuance!
Deuxièmement, ce que les gens de mon cabinet ont fait, c'est
qu'ils ont tranmis une lettre du député de Rimouski qui nous
informait de l'existence... D'ailleurs, je le sais, M. le Président, je
suis en train de donner des éléments de réponse qui sont
connus de l'Opposition. Je m'étonne un peu d'ailleurs de leurs
questions, mais, en tout cas, qu'ils me laissent continuer. Cela va? En tout
cas, cela va y aller. Je vais déposer ces documents, M. le
Président.
J'ai ici une lettre du député de Rimouski, qui a fait son
travail et qui nous informe de l'existence d'une compagnie
québécoise qui offre de tels services. Les gens de mon cabinet
avaient le choix entre faire ce qu'on ne fait jamais, c'est-à-dire
prendre une offre de services, une proposition d'un groupe de citoyens et la
mettre au panier, ou plutôt la transmettre aux services administratifs.
C'est ce qui a été fait.
Je vais déposer également aujourd'hui la note de
transmission de cette personne de mon cabinet qui transmet aux deux
sous-ministres tout simplement pour appréciation sur le plan
administratif et non pas partisan, parce que les gens d'en face savent
maintenant ils l'ont vérifié depuis que, sur les
trois porte-parole de ladite compagnie, d'après les informations que
j'ai prises maintenant, il y en a un qui est réputé être
péquiste et il y en a deux qui sont réputés être
libéraux, mais ni les gens de mon cabinet, ni les sous-ministres en
question. Je vous rappelle qu'il s'agit de M. Deschênes et de M. Frigon
qu'on ne peut quand même pas soupçonner. Ces deux sous-ministres
ont apprécié la note transmise et la lettre du
député de Rimouski, à la lumière des politiques en
vigueur.
Je vais déposer, aux fins de rappel, et peut-être que ce
sera carrément de l'information nouvelle, une note toute récente
du 3 mars du Service général des achats, qui s'intitule:
Concernant la location de biens meubles qui ne sont pas couverts par le
répertoire des taux de location. C'est une directive officielle du
Service général des achats. Je ne veux pas en donner lecture.
Cela ne sert à rien d'entrer dans trop de détails. (15
heures)
Les deux sous-ministres ont apprécié l'information
transmise, à la lumière de ces procédures du Service
général des achats, qui s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement
de la politique d'achats du gouvernement, une politique qu'on a mise au point
dès les premières semaines de la prise du pouvoir. Les
sous-ministres ont fait leur travail. J'ai retracé, en fouillant le
dossier, une note du sous-ministre adjoint à l'Industrie et au Commerce,
M. Turgeon, qui a été plus rapide, je l'avoue, que nos propres
services, et qui avait rejoint MM. Frigon et Deschênes avant même
que nous l'ayons fait pour les informer de l'existence de la compagnie. M.
Turgeon a pris soin de vérifier au ministère des Transports si le
permis avait été obtenu, a vérifié tout ce qu'il
fallait et a transmis l'information.
Comme le dit le député de Saint-Louis je tiens
à terminer là-dessus tout ce mal, effectivement, pour
informer...
J'aimerais terminer ma réponse sur une curiosité que j'ai
eue de vérifier ce que fait le gouvernement fédéral. J'ai
ici tout cela pour une location de voiture, comme le dit le
député de Saint-Louis un rapport du groupe d'étude
au sujet des concessions de location de voitures aux aéroports. Le
gouvernement fédéral s'est payé une étude
là-dessus. Je ne vous ennuierai pas en vous lisant ce qui nous
intéresse aujourd'hui, mais je vous rendrai disponibles ces documents.
Le ministre Otto Lang, en juillet 1976, émet des directives
là-dessus, tendant à favoriser les entreprises canadiennes.
M. le Président, je termine. La politique du ministre Lang, qui
tend à favoriser des entreprises canadiennes, a été
critiquée par des maisons comme Avis j'ai ici un
télégramme d'Avis à Otto Lang et la politique non
seulement n'a pas été adoucie, mais elle a été
renforcée en octobre 1979, et est expliquée dans ce document. Ce
qui est bon pour Ottawa peut quand même être légitime pour
le gouvernement du Québec.
Le Président: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, si le ministre des Affaires
culturelles copie le fédéral quant au patronage, je me demande
pourquoi il veut se séparer.
M. le Président, est-ce que le député de Rimouski,
dans sa bienveillante recommandation, avait inclus les autres "entreprises
québécoises" qui font affaires à Rimouski?
Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!
M. Lalonde: Le ministre est-il allé jusqu'à se
demander pour quelles considérations, s'il y en a, le
député de Rimouski a fait une recommandation pour une
société seulement, au lieu des sept ou huit autres
québécoises comme vous dites toujours qui font
affaires à Rimouski? Est-ce que le ministre s'est posé cette
question?
Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et
des Communications.
M. Vaugeois: M. le Président, je me suis posé
beaucoup de questions et j'ai pris beaucoup de soin à préparer la
réponse d'aujourd'hui, parce que pour moi, la question est importante.
Il suffit, d'ailleurs, de voir le traitement que certains media lui ont
donné pour que je sois justifié de la prendre au sérieux.
Je pense d'ailleurs que, de la même façon, le député
de Marguerite-Bourgeoys aurait pu prendre au sérieux sa question, parce
qu'on fait tellement d'efforts pour se débarrasser d'une vieille
tradition québécoise...
M. Lalonde: Question de privilège, M. le
Président.
M. Vaugeois: Les privilèges sont les miens, à ce
moment-ci, M. le Président.
M. Lalonde: Question de privilège.
Le Président: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, sur votre question de privilège, ensuite, je vous
céderai la parole, M. le ministre des Affaires culturelles.
M. Lalonde: M. le Président, c'est mon privilège de
député de poser des questions. Je crois que je l'ai posée
de façon très claire et très sérieuse. Je pense que
les paroles, les qualificatifs du ministre sont injustes et non fondés.
C'est donc ce privilège que je veux soulever, M. le Président, en
disant: le ministre me dit que je ne l'ai pas traitée de façon
sérieuse. J'aimerais plutôt que le ministre réponde
à la question.
Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et
des Communications.
M. Vaugeois: M. le Président, j'ai dit que je
déposerais la lettre de M. Marcoux, député de Rimouski. Je
ne veux pas la lire aujourd'hui. Je ne veux pas allonger cela. J'ai plein de
documents qu'il serait intéressant de lire ici. Je les dépose, je
les rends publics. Vous voulez que je lise la lettre. Allons-y. Ecoutez, M. le
leader, vous ne consentez pas? Allons-y. Ecoutez, c'est un peu "niaiseux".
Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles et
des Communications, je voudrais vous souligner qu'on a déjà
passé dix minutes sur cette question. Alors, essayez d'abréger un
peu.
M. Vaugeois: M. le Président, vraiment, je ne cède
pas à la provocation et je vais déposer ce document; on pourra le
lire demain dans les journaux.
Des Voix: On la lira demain!
M. Vaugeois: On la lira demain si vous voulez, mais je
réponds à la question du député: Pourquoi avoir agi
dans ce cas-ci? Le député de Rimouski nous informe tout
simplement de l'existence d'une nouvelle compagnie qui offre un service nouveau
avec un jeu de franchises dans différents aéroports. Il ne nous
dit pas, dans sa lettre, d'oublier les autres, de proscrire les autres, pas du
tout. Et même, dans sa lettre, il nous demande comment on peut informer:
"Le gouvernement et les sociétés publiques et parapubliques sont
de grands consommateurs de services de location d'automobiles",
écrit-il. La présente a donc pour but de vous faire
connaître ce nouveau service, de vous demander de le faire
connaître à tous les fonctionnaires qui dépendent de votre
juridiction et à tous les fonctionnaires des sociétés
gouvernementales dont vous êtes responsable." Là, il fait
référence à la politique du gouvernement
fédéral qui agit à peu près de la même
façon.
Cela n'a pas été fait par mon cabinet; cela a d'abord
été transmis aux deux sous-ministres concernés pour
évaluation, à la lumière des politiques en place qui sont
officielles et publiques. Les sous-ministres ont fait leur travail de
transmission sans évaluation partisane, ne vous en déplaise,
messieurs.
Le Président: Motions non annoncées.
Enregistrement des noms sur les votes en suspens.
Aux avis à la Chambre, M. le leader parlementaire du
gouvernement.
J'appelle maintenant la reprise du débat sur la motion de M. le
premier ministre sur la question référendaire. Je crois que
l'ajournement avait été sollicité et obtenu par M. le
leader parlementaire du gouvernement à qui je cède la parole.
Motion privilégiée relative à la
question
devant faire l'objet d'une consultation
populaire sur une nouvelle entente
avec le Canada
Reprise du débat
M. Claude Charron M. Charron: Merci, M. le Président. Le
journal Le Pays qui existait à l'époque nous dit ceci, dans son
édition du 13 mars 1865: "La séance fut levée à 4 h
30 du matin, samedi. Les députés composant la glorieuse
majorité, suivant le rapport, auraient chanté en choeur le "God
save the Queen".
Après une séance où l'on venait de créer une
nouvelle nationalité et de sacrifier la nôtre, nous comprenons
qu'il était de toute convenance d'entonner l'hymne national anglais. Sur
les 62 députés du Bas-Canada, à Toronto, 37 venaient de
voter en faveur de la Confédération tandis que 25
s'étaient déclarés contre. Cependant, une analyse plus
précise du vote montre que le projet d'adhésion du Québec
à la Confédération n'avait été appuyé
que par 27 députés canadiens-français sur 49. Mieux que
cela, si on enlève, d'une part, les voix de M. Poupart et de M.
Robitaille, qui représentaient les circonscriptions majoritairement
anglophones de Pontiac et de Bonaventure et si on ajoute, d'autre part, celles
de M. Holton et de M. Hungtindon, qui représentaient des comtés
majoritairement francophones, on peut dire que parmi les 49
représentants des comtés francophones qui prirent part au vote,
25 votèrent pour l'adhésion du Québec, 24 s'y
opposèrent.
Une Voix: 27.
M. Charron: Ce qui importe, M. le Président, c'est que
ceux des nôtres qui s'y étaient opposés étaient non
seulement battus...
M. Levesque (Bonaventure): Question de privilège. M. le
Président, à moins que le leader parlementaire ne veuille me
donner une leçon d'histoire et je suis prêt à la
prendre à moins qu'il y ait eu des changements dans les
frontières, il faudrait que je fasse une recherche, mais quand il dit
que Bonaventure était un comté anglophone, j'aimerais bien qu'il
me précise car à peine avons-nous 10, 11 ou 12% d'anglophones
dans le comté de Bonaventure. Je suis prêt à prendre la
parole du ministre, mais tout de même il y a eu des gros changements
apparemment depuis quelques années.
Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.
(15 h 10)
M. Charron: J'espère que ce n'est pas tout simplement pour
m'interrompre que le député de Bonaventure a fait cette fausse
question de privilège. Ce que dit l'historien que je cite est "qu'en
1865, le comté de Bonaventure était un comté à
majorité anglophone."
De toute façon, M. le Président, ceux qui s'y
étaient opposés non seulement avaient perdu, mais ils avaient
préalablement perdu la demande qu'ils avaient faite que le peuple soit
consulté. Antoine-Aimé Dorion, qui était
député du Bas-Canada à l'époque, avait même
déposé à la Chambre une pétition qui venait de 19
comtés du Québec, demandant que le peuple soit consulté
avant ce changement. Des municipalités du Québec votèrent
des résolutions, comme celle dont le député de
Rivière-du-Loup a fait état, demandant que le peuple soit
consulté avant qu'une décision aussi importante soit prise.
Dans sa motion présentée le 14 février,
Antoine-Aimé Dorion disait ceci: "Un changement aussi radical des
institutions et des relations politiques de cette province n'était pas
prévu lors des élections générales et il faut que
le peuple se prononce." Elle fut adoptée et le Québec s'en
trouva, sans trop savoir combien de temps cela allait durer qui aurait
dit que ce serait 115 ans dans une nouvelle constitution.
De quel changement radical s'agissait-il? En fait, on quittait ce qu'on
appelle l'Acte d'Union, après un soulèvement où certains
des nôtres ont laissé leur vie. Le Québec, alors le
Bas-Canada, était, comme on le sait, uni dans un même Parlement
avec le Haut-Canada, pour un gouvernement responsable. Nous avions le
même nombre de députés, même si nous étions
plus nombreux, et nous avions aussi dû assumer la dette que le
Haut-Canada nous avait passée en nous fusionnant. La langue
française avait même été abolie au moment de l'Acte
d'Union. C'est le travail de certains des nôtres et la persistance qui
avaient réussi à la réinstaller à
l'intérieur de ce Parlement.
Mais, peu importe, comme on dit toujours, c'était
déjà peut-être la nature des Québécois; on
avait fini, au bout de 17 ou 18 ans de ce régime, par s'y accommoder.
Mais quand, en 1861, les Anglais devinrent plus nombreux que nous sur le
territoire et, effectivement, le recensement de 1861 dit que les
anglophones étaient devenus 1 396 000 et les francophones, 1111 000
à peine la Confédération devenait donc possible.
C'est à ce moment-là que notre peuple, divisé, avait
à choisir et que nos députés, comme je l'évoquais
tantôt, presque à 50-50, ont hésité jusqu'à
la fin à se prononcer sur cette nouvelle proposition, car le choix
était ambivalent.
Si je l'évoque aujourd'hui, c'est parce qu'il existe encore.
Certains disaient: Allons-y dans la Confédération, nous aurons
notre gouvernement provincial. C'était un peu un hameau qu'on leur
offrait mais, déjà, on espérait en faire une forte- resse
qui pourrait les défendre. De l'autre côté, d'autres
disaient: Non, allons plutôt dans cette aventure qu'on nous propose;
même si nous acceptons d'être une minorité pour toujours,
même si nous abandonnons l'essentiel de nos pouvoirs économiques
pour toujours, nous allons profiter du succès économique que la
fusion des différentes colonies anglaises va nous apporter.
Effectivement, ils avaient raison, ceux qui avaient cette thèse, ils
l'ont d'ailleurs remporté. Car le Québec acceptait d'être
une minorité pour toujours, et le Québec, dans la
Confédération, acceptait de laisser les principaux pouvoirs de
son développement ailleurs. "Johnny Macdonald l'a dit: Nous avons
concentré la force dans le gouvernement général. Nous
avons déféré à la Législature
générale toutes les grandes questions de la législation.
Nous lui avons conféré, non seulement en les spécifiant et
en les détaillant, tous les pouvoirs inhérents à la
souveraineté et à la nationalité, mais nous avons
expressément déclaré que tous les sujets d'un
intérêt général qui ne seraient pas
expressément délégués aux Législatures
locales seraient du ressort du gouvernement fédéré."
C'était clair, M. le Président, mais ceux des nôtres qui
s'opposèrent à cela savaient ce qui était en train de se
préparer.
Si je fais cette description historique que j'arrête tout de
suite, M. le Président, d'une question qui divisa ce peuple et nos
représentants jusqu'à cette nuit de mars 1865, c'est qu'elle
n'est pas encore tranchée. Les premières années
encore aujourd'hui, on pourra le dire, c'est la thèse de nos amis d'en
face ont donné raison à ceux qui parlaient d'un
développement. C'est un fait que cette partie de l'Amérique a
connu, pendant un certain temps, un développement sans
précédent de son territoire. Notre appartenance à
l'Amérique, notre appartenance aux découvertes, notre
proximité de cet élan qui était continental à
l'époque ne nous ont pas valu que des désavantages.
Ce développement de l'espace économique que nous
partageons avec les Canadiens actuellement, il est souventefois venu, M. le
Président, à partir du sud. Tantôt, nous en avons
profité, tantôt nous l'avons subi, mais l'extraordinaire
poussée que le continent nord-américain a connue au XIX
siècle ne nous a pas échappé et nous a donné, il
est vrai, une qualité de vie moyenne supérieure à une
bonne partie de la planète. Mais ce développement remarquable, M.
le Président, gigantesque, unique même dans une aussi courte
période de temps dans l'histoire, les Québécois y ont
participé, les Québécois y ont mis de leurs
énergies, de leurs talents, de leurs bras.
C'est notre principale réalisation collective et personne
aujourd'hui dans cette Assemblée ne songe à nous départir
de cette réussite économique que, comparés à tous
les peuples du monde, ceux qui vivent en Amérique du Nord ont
réussi à se donner. C'est pour participer davantage à ce
que nous avons déjà d'acquis, pour contrôler le
développement futur afin que celui-ci
joue pleinement à notre avantage que cette Assemblée est
aujourd'hui en train de mesurer comment nous allons nous lancer dans l'avenir
et prendre le contrôle de notre avenir.
Les Québécois de l'époque, M. le Président,
ceux qui, après l'adhésion des députés, apprirent
tout à coup, même si on avait demandé qu'ils soient
consultés, qu'ils venaient d'entrer dans un nouveau régime et que
ce régime s'appelait le Dominion du Canada dont ils devenaient une
province et qu'ils allaient d'ailleurs c'était même
écrit en toutes lettres être limités à 65
députés. Quoi qu'il arrive dans les autres provinces, quelle que
soit l'immigration, ici, c'était 65; nous étions plafonnés
dans notre représentation.
Les Québécois, M. le Président, c'est vrai, ont
peut-être cru très légitimement et très
sincèrement et ils ont peut-être voulu devenir des Canadiens
à part entière. Après tout, ce continent, nous avions
été parmi les premiers à le découvrir. Joliette et
Marquette venaient d'ici. Le Mississippi a été découvert
par des gens qui étaient nés sur le bord du Saint-Laurent, et les
Rocheuses, c'est par un Québécois qui venait d'ici. Avec cette
habitude de coureurs de bois que nous avions, avec ce goût de nous lancer
dans l'aventure, ce goût de foncer, cette Amérique nous
était beaucoup plus familière qu'on ne le pense.
Mais c'est là que ceux qui s'étaient opposés
à la Confédération se mirent à avoir raison.
L'autre versant, la minorisation, l'absence des leviers économiques que
nous venions de céder à un gouvernement que nous ne
contrôlions pas, allait jouer désormais contre nous. Très
tôt, nous comprîmes que si la Confédération nous
avait établi un territoire, une province et un gouvernement
régional, le dynamisme de la Confédération, d'abord
à un sur quatre et puis à un sur cinq et puis à un sur six
et puis jusqu'à un sur dix, allait nous confiner à ce territoire.
Très tôt, les francophones du Québec découvrirent
comme ceux qui s'étaient opposés à la
Confédération le leur avaient prédit et comprirent
ce que c'est que de débarquer à Toronto quand ton nom est
québécois.
C'est ainsi, M. le Président, que la Confédération
devint notre enchâssement entre les Maritimes et l'Ontario. Et de
l'Ontario, on peut dire de cet Ouest qui était rempli de promesses,
mais, où, pour y accéder, il fallait que les nôtres
abandonnent leur langue, leur culture ou alors fassent une lutte sauvage pour
avoir le droit de les maintenir; les nôtres, à qui on disait
qu'ils étaient des Canadiens à part entière, à qui
on avait fait valoir ce mirage pour qu'ils adhèrent à la
Confédération, ont compris très vite que, dès
qu'était franchi l'Outaouais ou dès qu'était franchie la
Baie des Chaleurs, ils se mettaient eux-mêmes en danger.
Quand je parle des nôtres, ce sont ceux du Manitoba, les
francophones qui, dès qu'ils devinrent une minorité en 1890, se
virent refuser leur droit de parler leur langue dans leur Parlement d'une
manière anticonstitutionnelle, d'ailleurs, comme on le découvrit
90 ans plus tard. Certains des nôtres qui travaillaient pour nous, qui
croyaient qu'il s'agissait de leur pays ont été pendus en
Saskatchewan devant toute l'insulte que ça causait aux
Québécois d'ici.
Qu'est-ce qu'on a fait dans ces conditions, dans ce pays qu'on nous
avait promis et qui nous échappait? Le repli, M. le Président. Le
repli était devenu obligatoire. Cela allait conduire à un
phénomène encore pire. Nous sommes devenus frileux, nous nous
sommes sentis en danger, nous avons eu peur, nous avons voulu demeurer ce que
nous étions. En ce sens, cantonnés au Québec,
séparés du courant continental, nous avons cru bon de mettre tous
nos oeufs dans le même panier au niveau fédéral. Nous avons
fait un choix politique. Nous nous sommes livrés inconditionnellement,
tellement nous avions peur, au seul et même parti politique
fédéral qui, de tout ce temps, nous a manipulés à
sa façon. Savions-nous qu'en mettant tous nos oeufs dans le même
panier et en nous livrant inconditionnellement aux libéraux
fédéraux nous nous livrions à l'Ontario? A ce
moment-là, l'Ontario n'avait qu'à nous prendre ou à nous
laisser. En mai 1979, l'Ontario a décidé de nous laisser et nous
nous sommes retrouvés dans l'Opposition. En février 1980, il a
décidé de nous reprendre; nous sommes revenus au pouvoir mais
nous renoncions, par ce fait même, à jouer de quelque
manière que ce soit sur le levier fédéral. Nous nous
livrions pieds et mains liés à la majorité anglaise que
constituait l'Ontario à ce moment-là.
Ce repli j'ai presque envie de dire cette indépendance
que nous avions nous a valu des points car, cantonnés au
Québec, confinés au Québec par la volonté
même de la Confédération, nous n'avons pas
hésité à prendre possession du morceau de territoire qui
nous avait été confié et qu'il nous était permis de
développer dans notre langue, selon notre volonté, selon notre
culture. Il n'y a pas un coin du territoire qui nous a échappé:
La région du Saguenay, d'abord, où on est allés planter
nos villages; plus tard, l'Abitibi, où on s'est entêtés
à défricher des coins qui nous étaient hostiles au
départ. Comme le dit un de nos poètes, "nous nous sommes
entêtés sur toutes les rives du golfe Saint-Laurent à jeter
nos villages". Ce coin qui nous avait été confié, il n'y
en a pas une parcelle qui devait nous en échapper. Les
Québécois ont pris possession de leur territoire, se sont
installés, ont mis leur mentalité à l'oeuvre, ont
créé leurs villes, ont créé leurs coutumes, ont
créé leurs commissions scolaires, ont créé leur
réseau social qui leur appartenaient.
Nous avions la parfaite conviction, autant il était vrai
qu'ailleurs ce n'était pas chez nous, qu'ici, c'était l'endroit
où nous voulions demeurer. Notre langue, elle, constituait notre acquis.
Si elle était un handicap dont on nous rappelait tellement la limite
à chaque occasion où nous osions montrer le nez là
où les terrains nous étaient interdits, elle est devenue une
miraculeuse frontière qui nous a permis, aujourd'hui, d'aspirer et
d'échanger dans une langue que nous comprenons. Cela nous a permis de
développer notre mentalité. On trimait dur dans les
régions. Le pays est sauvage, le pays est hostile. Mais là
où nous nous installions, M. le Président, nous avons
développé cette mentalité, cette entraide dont les
Québécois sont capables, cette vie de famille, cette vie de
village qui a été, pendant des années, notre garantie de
succès.
Et puis, on avait toujours la fête, un peu. Le violon
n'était jamais très loin. La musique à bouche non plus.
Notre folklore, M. le Président, s'est développé par
lui-même, replié, indépendant à l'intérieur
d'un continent qui nous avait été interdit. Nous avons fait
contre mauvaise fortune bon coeur et avons développé ce
territoire qui nous appartient.
En même temps, M. le Président, que sur ce territoire, avec
notre langue et avec notre culture, nous étions en train de faire de
nous un peuple normal, s'est ajoutée la dimension unique sans laquelle
un peuple normal ne peut penser se développer. Il nous a pris le
goût de durer. N'est-ce pas la richesse la plus forte, la plus
évidente, la moins exploitable aussi, parce qu'elle est au fond de
l'âme d'un peuple? N'est-ce pas, quand on a le goût de durer,
l'énergie la plus renouvelable, un peu comme l'eau qui coule dans nos
barrages? Même les libéraux aujourd'hui, tout soumis qu'ils
soient, l'admettent que nous avons ce goût de durer. Ils l'admettent
d'une telle façon, M. le Président, ils capitalisent sur le
goût de durer qu'ont les Québécois au point de dire que
nous pouvons demeurer une minorité éternelle, que nous pouvons
ouvrir nos frontières à n'importe qui et à n'importe
quelles conditions, que nous pouvons livrer notre école au libre choix
ou à n'importe quoi, parce que le goût de durer va finir toujours,
comme il l'a toujours fait, par nous sauver.
Ce qui nous divise, si nous sommes d'accord dans cette Assemblée
pour dire que les Québécois ont le goût de durer, c'est que
nous ici, nous ne comptons pas sur ce goût de durer comme une masse
inerte sur laquelle on peut toujours se reposer en dernier lieu. Nous, le
goût de durer des Québécois, on a le goût de le
développer, de le harnacher comme on harnache une rivière, de le
mettre à profit, de le mettre à contribution en lui laissant pour
voir, ne serait-ce que pour voir, le contrôle de nos impôts, le
contrôle de nos taxes. A moins que cette richesse fondamentale, cette
plus grande richesse naturelle que n'importe quel peuple peut avoir qui est
celle du goût de durer, nos amis d'en face n'aient le goût de la
vendre, celle-là aussi, comme ils ont vendu nos forêts, comme ils
acceptent encore de vendre notre amiante et comme, demain, ils voudront vendre
notre électricité. Nous avons mis du temps à la
transmettre, cette richesse naturelle dans notre peuple.
Un jour, M. le Président, le siècle dans lequel nous
sommes et l'Amérique dans son élan nous ont rejoints. Puisque ce
repli nous avait sauvés, il faut bien admettre qu'il nous avait
coûté cher aussi. Quand l'esprit moderne du XXe siècle a
atteint les rives du Saint-Laurent au même titre qu'il s'est
répandu sur la planète en entier, alors il a bien fallu
reconnaître que le régime nous avait incités à
négliger de nous doter des sources nécessaires pour faire face
aux risques normaux d'un peuple au XXe siècle.
Nous n'avions à offrir pour paraphraser le mot
célèbre que des bras, du "cheap labor" et du coeur
à l'ouvrage, mais nous y étions.
Nous découvrîmes ensemble, consternés, au
début de ce siècle, après 50 ans de
Confédération, et même avec un premier ministre
fédéral qui parlait français, que nous n'avions pas eu
notre part. On faisait les gorges chaudes, la semaine dernière, quand
certains de mes collègues évoquaient comme statistique que nous
n'avions que 13% des chemins de fer au Canada. Non pas que nous
réclamions intégralement les 27% de ce que notre population
représente, ce serait chose idiote, mais n'est-ce pas que le chemin de
fer a été demandé aux apôtres du Grand Tronc?
Demandez aux Macdonald et Cartier de la Confédération, n'est-ce
pas que le chemin de fer a été, pendant un bout de temps, la
source même du développement économique, que l'Ontario en a
si largement profité à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle et, lorsque nous avons eu cette mince part du réseau
ferroviaire canadien duquel dépendait le développement
économique, n'était-ce pas un retard que nous accumulions et dont
nous allions mettre des années à nous départir?
Alors, M. le Président, malgré cette différence,
les Québécois, les Canadiens français, comme ils
s'appelaient à l'époque, touchaient bien ça et là
des retombées du développement économique de ce continent,
voyaient bien leurs villes se développer, pouvaient, à
l'occasion, profiter de certaines mesures, bien sûr, puisqu'ils payaient
pour, c'était tout à fait normal. Cette infériorité
que nous avions constante dans les revenus, ce taux de chômage que nous
avions constamment plus élevé que la province voisine, cet
handicap que nous avions à contrôler même la vie urbaine du
Québec n'étaient pas un phénomène du début,
du milieu ou de la fin de la Confédération, c'est un domaine
permanent. Le produit interne brut, en 1978, la richesse collective au sens de
la valeur totale par habitant, base sur laquelle on évalue non seulement
le potentiel, mais la capacité de réalisation des peuples, pour
l'Ontario, après 113 ans de Confédération était
encore de 19% plus élevé que celui du Québec: $10 650 pour
l'Ontario, $8948 pour le Québec. La moyenne canadienne était plus
élevée que la moyenne québécoise. Pourquoi les
Québécois doivent-ils toujours avoir la dernière part du
développement économique ou la part la moins élevée
qu'ils puissent espérer? (15 h 30)
M. le Président, quand, au début du XXe siècle,
notre peuple découvrit que son repli lui avait coûté, dans
le régime, une place qu'il aurait pu normalement espérer dans le
développement économique, qu'est-ce qu'il nous restait? Certains
des nôtres ont choisi l'exil à proximité de la
frontière américaine où un certain nombre de
Franco-Américains étaient déjà installés;
c'était une incitation que plusieurs n'ont pas refusée. D'autres
ont choisi de quitter les campagnes québécoises où
ils avaient grandi et vécu et ce fut la prise en charge de
Montréal. Car, le croirez-vous et le croirons-nous aujourd'hui,
Montréal fut, au cours de la Confédération, pendant un bon
moment, une ville à majorité anglaise.
C'est lorsque la misère nous a chassés de nos rangs, c'est
lorsque la difficulté de vivre nous a obligés à nous
regrouper pour trouver du travail et profiter de l'industrialisation, que les
anglophones contrôlaient à Montréal, que nous sommes
arrivés en masse. M. le Président, dans le comté de
Saint-Jacques, il y a encore des citoyens originaires du Lac-Saint-Jean,
originaires de la Gaspésie, originaires de l'Outaouais, qui sont venus
un jour, eux-mêmes ou leurs ancêtres, s'installer, prendre en
charge Montréal, créer littéralement le Montréal
français. Nous nous sommes installés alentour comme une
deuxième solitude à côté de celle qui ne voulait pas
nous voir. Nous avons pris charge de cette partie de Montréal. Nous
avons encadré le parc Lafontaine. Nous avons pris en charge l'Est de
Montréal où nous nous sommes installés comme peuple
jusqu'à ce que nous soyons la majorité.
M. le Président, même devenus la majorité dans la
ville de Montréal, le régime n'avait pas changé. Il
fallait encore nous traduire, et cela jusqu'à il y a 3 ou 4 ans, ou
plus, M. le Président, parce que nous avions accès aux grands
magasins de l'Ouest de Montréal. Tous les Montréalais ont connu
cela. Nous avons connu, aussi, au coeur même de Montréal, un maire
de Montréal venu se faire littéralement enlever parce qu'il avait
prôné, au sein de son peuple, de refuser la conscription à
laquelle nous nous étions opposés par une majorité aussi
éclatante que 4 sur 5 au moment où nous avions été
consultés. Et puis, nous avons assisté, impassibles, dans le
régime actuel, à la décision qui allait
littéralement tuer le port de Montréal. L'ouverture de la voie
maritime du Saint-Laurent allait enlever à ce plus grand port
intérieur au monde que nous étions toute capacité de
compter sur cet accès fluvial, unique au monde, que constitue le
Saint-Laurent pour développer l'économie montréalaise.
M. le Président, ce n'est pas un phénomène nouveau.
Au début du siècle, Montréal avait une dimension qui
atteignait près de 3 fois celle de Toronto. Montréal était
le plus important centre financier du pays, la ville par excellence des
activités commerciales, manufacturières, publicitaires. Cette
situation lui conférait le titre de cité économique. Le
premier transfert de cette influence économique de Montréal au
profit de Toronto devait se produire dès les années vingt, M. le
Président, lorsque les banques montréalaises ont surestimé
l'importance des possibilités de financement dans le domaine minier que
l'on faisait miroiter à Toronto. Cette vision erronée a
profité à Toronto. Le marché boursier démanagea peu
à peu pour profiter des transactions sur les titres miniers, ce qui
contribua à la création, en 1934 les Montréalais se
rappellent la crise de l'ancien centre boursier de Toronto et, dans les
années quarante, au fait que Toronto dépassa
Montréal pour la première fois au titre des transactions
négociées.
Quand on compare le taux de croissance de Montréal, dans le
régime actuel, M. le Président, et celui de Toronto, de 1941
à 1971, on constate que le taux de croissance de Toronto a constamment
été supérieur à celui de Montréal. Dans les
années quarante, alors que Montréal avait un taux de croissance
d'environ 20%, Toronto connaissait un taux de 25%. Au cours des années
cinquante, alors que la population de Montréal augmentait de 35%,
Toronto voyait sa population augmenter de 45%. De 1961 à 1971,
Montréal devait connaître un taux de croissance inférieur
à 20% alors que celui de Toronto atteignait tout près de 30%.
C'est ainsi qu'au terme des années soixante-dix Toronto surclassait
Montréal et que la ville de Montréal perdait son titre de
métropole.
Aujourd'hui, mes concitoyens de Saint-Jacques, les Montréalais et
tous les Québécois qui reconnaissent l'importance de
Montréal dans le développement du Québec savent, devant ce
phénomène qui a joué contre nous depuis une cinquantaine
d'années sans arrêt, que nous avons besoin d'une nouvelle entente
et d'un nouveau régime qui reconsacrerait à Montréal la
place d'importance qu'elle doit avoir à l'intérieur de notre
société.
Rentable, le vieux régime? Avons-nous, à l'horizon, dans
le vieux régime, quelque chose d'éminent qui puisse penser que
Montréal puisse reprendre son titre, puisse reprendre sa croissance,
puisse, pour les Montréalais, reprendre son développement?
Rentable, le vieux régime, quand il a fallu faire des courbettes pour
obtenir une contribution fédérale par loterie
déguisée dans l'aventure olympique qui a assommé les
finances publiques de la ville? Rentable, le vieux régime, pour
Montréal, quand tout ce que cela a donné, au cours des dix
dernières années, de gestes qui devaient économiquement
développer Montréal, a été l'arrivée de
l'aéroport de Mirabel, cette expropriation, au coeur du jardin
québécois, de 93 000 acres dé terrain, dont seulement 17
000 acres sont aujourd'hui occupés? En même temps, les compagnies
aériennes obtenaient la permission d'atterrir à Toronto
plutôt qu'à cet éléphant blanc situé au coeur
de la région que le fédéral avait choisie. Rentable, le
vieux régime, pour Montréal, témoins les
Montréalais qui passent chaque jour auprès de ce trou
situé au coin de Dorchester et Jeanne-Mance et qui s'appelle le fameux
complexe Guy-Favreau? Je n'ai rien contre ce trou, pourvu qu'il serve de
tombeau au régime!
Rentable, le vieux régime, actuellement, pour Montréal,
quand le gouvernement du Québec sur lui seul doit compter pour la
construction du Centre des congrès et son établissement, alors
que Toronto, avant même que d'avoir le sien en construction, est
déjà assuré d'une subvention de $25 millions? Rentable, le
vieux régime, honorable le vieux régime, pour les
Montréalais, quand les membres de l'équipe de Montréal,
dès qu'ils amènent le fait français dans n'importe quelle
autre ville du pays, sont conspués comme si
c'étaient les représentats de la ville de
Montréal?
M. le Président, on a beau me dire que le pays n'est pas la
patrie ou que la patrie n'est pas nécessairement le pays, ou que le pays
n'a pas les mêmes droits que la patrie, cela importe peu, ces
raisonnements de fin de carrière ou de démission annoncée.
Ce qui m'importe, comme le disait Solange Chaput-Rolland un jour, c'est que ces
faits marquent les Montréalais, tous les Montréalais, bien plus
qu'on le pense. Comme le disait Solange Chaput-Rolland, à la page 170 de
son roman "Mon pays, Québec ou Canada ": "Vous savez, mon adieu au
Canada anglais repose aussi sur une foule de petites choses sans importance,
sans valeur constitutionnelle, sans implication politique, mais si
profondément frustrantes et douloureuses que leur
répétition a fini par me convaincre que si nous pouvons encore
vivre sous le même toit, jamais plus nous ne devons espérer
partager la même chambre". C'est la conviction des Montréalais, M.
le Président.
Cette nouvelle entente, que les citoyens de Montréal sont les
premiers parmi tout le Québec à souhaiter, je suis d'une
génération qui la souhaite moderne et adaptée à
cette fin du siècle. Je suis d'un comté qui la souhaite juste et
équitable à l'égard des Québécois, cette
nouvelle entente. Et pour qu'elle soit à la hauteur de ce que le
Québec mérite et dont il a besoin, pour qu'elle conduise d'une
façon sûre à nous faire tirer le meilleur de
nous-mêmes, qu'elle soit un stimulus plutôt qu'un carcan, qu'elle
soit une rampe de lancement, cette nouvelle entente, plutôt qu'une
barrière.
Voilà la question que nous débattons maintenant: Est-ce
que cette nouvelle entente dont Montréal a besoin, dont le Québec
a besoin pour son développement peut venir par un rafistolage du vieux
régime, par un replâtrage de la constitution? Est-ce qu'on peut,
comme on dit, soigner d'une manière équitable, pour un retour
à la santé ce que pourrait être la vieille
Confédération qui s'étire sur 115 ans? (15 h 40)
J'en viens donc, M. le Président, à évoquer les
deux hypothèses que nous avons devant nous. A tout seigneur, tout
honneur, prenons la plus vieille, M. le Président, le mot "fourre-tout"
que notre collègue de Gouin a gracieusement réintroduit dans le
débat, cette grande nouveauté et cette auberge espagnole qu'on
appelle le fédéralisme renouvelé. M. le Président,
quand je pense au fédéralisme renouvelé et quand je vois
les fédéralistes renouvelés, j'ai l'impression
d'être devant une pièce ce qu'on appelle un vieux boulevard
perpétuellement à l'affiche, une reprise constante
où les comédiens libéraux et conservateurs
s'échangent les textes et brouillent les reparties. On dirait que la
garantie de ce que le régime ne change pas, c'est que tout le monde
veuille le changer. Chaque premier ministre de province, chaque chef de parti
politique fédéraliste a son petit projet de
fédéralisme renouvelé sous le bras. C'est plutôt une
farce, M. le Président, qu'un projet constitutionnel. Pirandello disait:
Six personnages en quête d'auteur. Je dirais: Onze menteurs en
quête d'une sortie, M. le Président!
Des Voix: Ah, ah!
M. Charron: C'est presque du vaudeville, M. le Président,
et peut-être que le député de Bonaventure nous en donnera
le plus récent numéro tout à l'heure.
Des Voix: Ah, ah!
M. Charron: Imaginez...
Des Voix: Ah, ah!
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, vu que j'ai
été interpellé et comme cela va permettre au leader
parlementaire du gouvernement de se reposer un peu, peut-être de revenir
à ses sens, je voudrais en profiter, M. le Président, dans cette
question de privilège, pour dire au leader parlementaire du gouvernement
qu'il a non volontairement parce que apparemment, c'est une citation
induit la Chambre en erreur lorsqu'il a parlé tout à
l'heure du comté de Bonaventure. Je tiens à lui dire... Voici les
chiffres du dénombrement de 1871, quatre ans après la
Confédération: francophones, 9545; anglophones, 1799. Je tiens
simplement à profiter de cette petite interruption pour dire au leader
parlementaire du gouvernement que si le reste de ses statistiques sont aussi
bonnes que celles qu'il vient de citer, j'ai bien des doutes sur la
validité de son discours.
M. Charron: M. le Président, l'information que j'ai
livrée à la Chambre est tirée de la page 265 d'un document
qui s'appelle Les rouges, libéralisme, nationalisme et
anticléricalisme de M. Jean-Paul Bernard. Je pourrai remettre la copie
au député.
Une Voix: ... faire attention.
Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!
M. Charron: M. le Président, avec le député
de Bonaventure, je peux dire que nous en sommes à notre troisième
ou quatrième génération de fédéralistes
renouvelés. On naît fédéraliste renouvelé. On
meurt fédéraliste renouvelé. On transmet en
héritage le fédéralisme renouvelé. C'est un peu un
magasin général, M. le Président, vous y retrouvez les
Broadbent, les Bennett, les Lougheed, les Davis, les Forget, les Peckford et
comble de tout. M. le Président, les Lyon et les Chrétien!
Des Voix: Ah, ah!
M. Charron: M. le Président, la plus récente de ces
psychanalyses du futur, le plus moderne de ces romans d'évasion et le
plus gracieux de ces traités de politique-fiction, c'est notre ami le
chef de l'Opposition qui vient de l'écrire. M. le Président, mes
collègues avant moi et je ne veux pas du tout m'attarder sur le
contenu plus qu'il ne faut vous ont dit ce qu'ils pensaient des
propositions du livre beige adopté par le congrès libéral.
Je veux parler seulement, M. le Président, de la pierre sur laquelle le
chef de l'Opposition a voulu
bâtir son château de cartes et je le cite, M. le
Président, pour qu'on ne me dise pas que je me trompe: "Nous avons
délibérément omis dans ce rapport, dit-il, toute
proposition qui nous apparaissait déraisonnable. Par conséquent,
nous les défendrons toutes. Nous sommes la contrepartie à un
autre groupe qui veut faire la séparation politique du Québec et
tout cela va peser lourd dans la balance aux yeux de nos concitoyens du reste
du pays".
Oui, M. le Président, vous allez voir comment cela va peser lourd
dans la balance.
Les media rapportaient également que M. Ryan considérait
sa proposition du conseil fédéral comme le pilier de sa
réforme et que, si cela était rejeté, tout le projet
s'écroulerait. Sachez, M. le Président, et apprenez-le, si vous
ne l'aviez pas encore compris, que tout le pétillement, que toute la
marche en avant du Québec depuis 20 ans, que toutes ces démarches
des dernières années et ces revendications que les gouvernements
bleus et rouges ont soutenues, tout cela devait aboutir et devait atterrir
à la création du conseil fédéral. Le conseil
fédéral, si je l'ai bien compris dans ce document, serait un peu
le troisième oeil du régime, qui ne voit plus clair
déjà depuis très longtemps. Ce serait une manière
d'éditorial permanent qu'il y aurait sur les politiques
fédérales. Le chef de l'Opposition, qui ne manque pas de
modestie, a même prévu la répartition des sièges.
Les Anglais ont dû adorer cela. L'lle-du-Prince-Edouard en a deux,
Terre-Neuve en a trois, le Nouveau-Brunswick en a quatre, le Québec en
avait une vingtaine, ce qui veut dire environ 25%, mais on nous a
informés que les congressistes avaient fait sauter cette clause de 25%
et on n'est même pas sûr de cette contribution. M. le
Président, imaginez-vous que les élus d'Ottawa acceptent,
imaginez simplement que celui qui gouverne à Ottawa actuellement accepte
qu'un conseil de spécialistes issu de toutes les provinces et de toutes
les régions se prononce, avise, sanctifie, bonifie des projets que lui,
légitimement, a le droit de faire, puisqu'il est élu par la
population!
Le reste de ce qu'il y a dans ce document, je n'en parle même pas.
Pensez un instant que nos collègues proposent que l'article 133 de la
constitution, celui qui nous oblige ici, nous, Québécois,
à faire nos lois en français et en anglais, soit étendu
à l'Ontario et au Nouveau-Brunswick, alors que les francophones ont
même du mal à obtenir une école à Penetanguishene,
voilà que le chef libéral propose que la langue française
devienne langue officielle à la Législature de l'Ontario.
Quand les Ontariens, et non seulement les Ontariens, mais les Canadiens
anglais ont vu cette proposition dans le livre beige, voici des
réactions. Le Globe and Mail a de très sérieuses
réserves sur le conseil fédéral, mais fait tout un
éditorial sur l'éloge du système fédéral
fait dans le document. Le Toronto Star émet l'espoir que les
Québécois non seulement vont rejeter la
souveraineté-association, mais aussi tout projet pouvant rendre le
gouvernement, le Canada "unworkable". "Ryan's cure, dit-il, is worse than
disease." Le remède que propose Claude Ryan est pire que la maladie
qu'il veut soigner, disent-ils. Le Toronto Sun est aux abois, M. le
Président: "Even worse than René's sovereignty association." Le
Financial Post n'accepte ni la diminution des pouvoirs fédéraux,
ni le conseil fédéral, pierre d'assise du document et du
château de cartes du chef de l'Opposition. La Gazette écrit: "A
king size bed of nails", ce que mon collègue de Saint-Jean appellerait
un panier de crabes, ce conseil fédéral.
M. Ryan: Question de privilège, M. le
Président.
Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!
M. Ryan: Ce n'est pas la Gazette qui a dit cela; c'est M. Charles
Lynch, dont l'esprit se rapproche du vôtre.
Des Voix: Ah!
Le Vice-Président: M. le leader du gouvernement.
M. Charron: Que je sache, M. Charles Lynch est journaliste
à la Gazette. M. Gwyn aussi est jpurnaliste à la Gazette. Il dit:
"An offer that we have to refuse." J'ai l'Ottawa Journal, M. le
Président; le Chronicle Herald, de la Nouvelle-Ecosse; le Winnipeg Free
Press; le Vancouver Sun. Tous ces journaux, unanimement, désapprouvent
le document qui vient d'être présenté par le chef de
l'Opposition. Nous nous trouverions donc dans cette situation...
Le Vice-Président: S'il vous plaît! A l'ordre, s'il
vous plaît!
M. Charron: Que reste-t-il, M. le Président, aux
Québécois comme possibilité? Est-ce que le chef de
l'Opposition avait prévu cette réaction du Canada anglais? Il
semble que non, M. le Président, quand on voit l'effort qu'il a fait
pour passer le document au nom de M. Langlois. (15 h 50)
Mme Chaput-Rolland elle-même évoque, M. le
Président, lorsqu'interviewée par Denise Bombardier le soir
même du congrès du Parti libéral: "Je dis que la dimension
québécoise est peut-être plus diluée qu'elle ne
l'était dans le rapport Pepin-Robarts, qui y avait consacré un
chapitre. Le document de M. Ryan est un document constitution-naliste et
légaliste. Notre document quand elle dit nous, elle parle de la
commission Pepin-Robarts était un contrat social. Je pense que
les libéraux et les commissaires de M. Ryan doivent en avoir plein le
dos de se faire constamment comparer à la commission Pepin-Robarts,
parce que ça n'a pas été fait dans le même
esprit."
Mme Chaput-Rolland continue même un peu plus loin dans
l'entrevue: "Mais, par ailleurs, si vous faites une lecture exhaustive de
ce document, vous allez vous apercevoir que les éléments
spécifiques d'une certaine québécité, pour
parler comme les intellectuels, sont là, un peu plus diffus, moins
ramassés, moins concentrés que dans notre rapport, mais sont
là quand même", veut-elle nous assurer.
M. le Président, la pression de la commission constitutionnelle
au Parti libéral a réussi à extirper du programme
libéral toutes les revendications majeures du Québec,
celles-là même que le parti libéral lui-même avait
pendant longtemps portées. Une fois vidé de son contenu de
revendications, dilué dans un canadianisme aveugle, provincia-liste par
volonté et minoritaire par choix, le parti libéral... Est-ce que
c'était par cynisme ou pour vous soulager l'âme que les militants
libéraux ont accueilli avec frénésie l'annonce qu'il leur
restait au moins le non de québécois? Plusieurs et d'autres
encore qui se rajouteront n'ont pas compris que ce parti, qui fut un jour un
parti important dans révolution nationale, sabre avec autant de
voracité dans des demandes si naturelles et si longtemps soutenues par
autant de gouvernements du Québec.
J'essaie de vous replacer non seulement dans la lignée du
Québec, mais dans la lignée de votre propre parti; tout en
sachant que votre non est québécois, votre non ne me revient pas,
j'essaie de placer dans la vie québécoise ce revirement que lui a
donné le chef du Parti libéral. Quand on abandonne, quand on
rejette même les demandes traditionnelles que les gouvernements
québécois, bleus ou rouges, ont maintenues ne serait-ce que par
respect pour les hommes et les femmes qui les ont maintenues, qui nous en ont
instruits, qui nous ont invités à les poursuivre, on peut ne pas
partager notre opinion, bien sûr, mais il est malhonnête, pour
reprendre le vocabulaire du chef de l'Opposition, frauduleux, quand son non est
québécois, de dire, d'écrire et d'annoncer qu'on ne les
réclame plus.
S'il fallait, M. le Président, que les Québécois
disent non à cette chance de nous mettre en marche vers une nouvelle
entente basée sur l'égalité de notre peuple, celui avec
lequel nous partageons et avons partagé le développement
économique de cet espace de l'Amérique du Nord, qu'arriverait-il?
Qu'arriverait-il si nous nous trouvions devant le non? Le chef de l'Opposition
n'aime pas être cité; je le sais mais, le 25 février 1977,
vous saviez que, lorsque quelqu'un se mettrait à souhaiter ce que vous
souhaitez maintenant, il pourrait se trouver qu'il travaille à
l'encon-tre du Québec. "A supposer disiez-vous que la
thèse souverainiste subisse un échec écrasant ce
que, je crois, vous souhaitez aujourd'hui on retomberait vite, par
contre, dans l'immobilisme constitutionnel; l'opinion anglo-canadienne serait
trop heureuse de conclure vous aviez raison "business as usual".
La possibilité de changements sérieux pourrait s'en trouver
reculée pour longtemps."
Un des plus éminents membres de votre parti, celui-là
même à qui vous vouliez refiler la paternité du document, a
parlé franchement. "Le livre beige, disait-il à des militants
libéraux au Club de réforme, a été bien accueilli
en dehors du Québec. Il y a bien eu des réactions
négatives vous voyez que ça descend d'un cran mais
l'analyse que j'ai pu faire de ce qui s'est publié en dehors du
Québec ce que je vous citais, M. le Président
depuis le 10 janvier m'a convaincu que les réactions positives sont
largement majoritaires. Ce qui me déçoit cependant on
descend encore d'un cran c'est que cette réaction positive
revêt un certain caractère négatif." "Je m'explique. Les
propositions du livre beige c'est M. Raynold Langlois éminent
membre, président de la commission constitutionnelle du Parti
libéral qui le dit sont perçues moins comme étant
un projet du Canada qui soit avantageux pour l'ensemble des Canadiens qu'un
moindre mal face aux propositions du gouvernement québécois
actuel. Entre deux maux, on choisit le moindre. Cette attitude négative
me cause des appréhensions, dit cet éminent membre du Parti
libéral, quand je m'interroge sur l'impact qu'aurait un vote
négatif au référendum sur le désir de changement
qui peut exister chez nos concitoyens. En effet, on peut soutenir, dit M.
Langlois, que voyant l'option du gouvernement écartée, l'urgence
disparaît de telle sorte que la question nationale deviendrait un sujet
que l'on voudrait bien discuter, une bonne base de discussion, mais sans
vraiment rechercher à lui apporter une solution à court
terme."
Entrons dans les rêves du chef du Parti libéral pour un
moment. Imaginons, pour un moment, que le chef du Parti libéral
gagnerait le référendum, que son voeu le plus cher de gagner les
élections par la suite serait réalisé et qu'il partirait
un jour, fier de cette double victoire, avec le député de
Saint-Laurent, avec le député de Laurier et qu'il s'en irait
négocier. Restons dans cette hypothèse. Je dis au chef de
l'Opposition, qui aime se faire photographier avec les premiers ministres des
provinces anglaises: Ils seraient tous là pour vous accueillir, si vous
arriviez, avec des fleurs artificielles comme celles que votre livre beige a
reçues; ils seraient tous là, et vous savez pourquoi. Parce que
cela fait des dizaines d'années qu'ils attendent un premier ministre
québécois qui leur arrive avec un non. Autour de la table,
toutefois, lorsque vous y seriez et vous le savez, parce que vous les
connaissez ils vous expliqueraient, calmement, poliment, mais
implacablement, que si vous avez gagné votre référendum,
que le non que vous souhaitez l'a remporté et que si par la suite vous
avez gagné vos élections, c'est grâce à leur appui.
On n'a rien pour rien.
Davis, dont le nom est ontarien, Lougheed, dont le nom est albertain,
vous rappelleraient qu'ils se sont déplacés pour venir se faire
photographier aux côtés de vous et qu'en conséquence vous
leur devez quelque chose, l'électricité, par exemple. Il y a des
centaines d'hommes d'affaires qui sont, aujourd'hui, actifs dans
différentes petites et moyennes entreprises du Québec qui ont
réussi ils sont même nombreux dans votre parti qui
vous diraient que négocier avec un non accroché au pied, sans
faire jouer en notre faveur tout le potentiel humain, financier et
économique du Québec, c'est négocier en perdant.
Le chef de l'Opposition non seulement croit, mais a déjà
écrit dans le document de son parti qui s'appelle Choisir le
Québec et le Canada, qu'au lendemain d'un non, croyez-le ou non, M. le
Président, gagné au référendum, alors, presque par
enchantement, les négociations bloquées depuis des années
s'ouvriraient en sa faveur, un peu comme si on le récompensait. Il me
fait penser, M. le Président, à ce personnage qu'un de nos
humoristes fantastiques a évoqué, celui qui pour gagner une
augmentation de salaire, va couper le gazon du "boss".
Oui, M. le Président, j'ai bien l'impression que celle qui avait
raison par-dessus tout en évoquant les possibilités du non, c'est
celle qui disait que, si malgré la force que nous représentions,
si en dépit d'une consultation à l'échelle pancanadienne
des dix provinces, nous, de la Commission Pepin-Robarts, disait Mme
Chaput-Rolland, avons échoué à changer le grand ordre
fédéral alors pourquoi imaginer que Claude Ryan, libéral,
partisan, chef de l'Opposition d'une seule province, qui de plus est la
province la plus discutée et la plus détestée du pays,
pourra réussir à imposer ses propositions au gouvernement
canadien? Je ne sous-estime en rien les qualités exceptionnelles de
Claude Ryan, mais pourquoi réussirait-il là où nous avons
échoué? (16 heures)
M. le Président, quel est le moyen d'obtenir la meilleure
entente, celle qui nous soit la plus respectueuse? C'est celui de mettre le
poids du peuple dans la balance en notre faveur, maintenant, car c'est bien de
cela qu'il s'agit. Après des années, notre évolution,
plutôt le contraire, le manque d'évolution du régime nous
oblige à recourir à cet instrument fondamental, mais sans
équivoque et sans retour, qui s'appelle la décision d'un peuple
souverain. Le mandat de négocier que recherche le gouvernement lui
viendrait directement du peuple; le gouvernement serait fort et pourrait jouir,
durant la période de négociations, de toute cette force s'il
avait, au moment du référendum, un oui de la majorité de
la population.
La question posée par le premier ministre vise à faire
intervenir le peuple du Québec dans une négociation
bloquée et destructrice pour les deux nations. Lui seul peut trancher,
mais son intervention pose l'exigence d'une nouvelle entente parce que le
peuple est souverain. Voilà pourquoi les araignées du vieux
régime qui ont fait leur bonheur dans la poussière de la vieille
entente s'insurgent et se rebiffent. Elles sont capables d'absorber dans leur
toile tous les politiciens de toutes les couleurs, mais elles reconnaissent que
le poids du peuple est un facteur déterminant. Quand un peuple
intervient, on change de niveau; quand il est intervenu, on a changé de
niveau. Le gouvernement qui en sort gagnant ou perdant est amoindri ou enrichi.
Le référendum, c'est prendre tout le poids d'une décision
aussi longuement mûrie et démocratiquement prise, la
déposer selon notre droit le plus légitime dans le plateau de nos
négociations éternelles avec nos voisins afin d'orienter d'une
manière déterminante ce que nous voulons.
Le gouvernement affirme clairement dans cette question, M. le
Président, que, selon lui et une majorité déjà
perceptible de nos concitoyens, cette égalité moderne n'existe
entre nos deux peuples que si chacun a le contrôle de ses impôts,
de ses lois et de ses relations extérieures. Si le gouvernement du
Québec obtient ce mandat, si le poids du peuple, désormais, joue
dans cette négociation pour l'avenir du Québec, qu'est-ce que
nous pouvons espérer? Qu'est-ce qu'il y a de changé le lendemain?
Rien, M. le Président. On continue tous à travailler le lendemain
du référendum, on continue tous à payer des taxes à
Ottawa, on continue tous à recevoir de l'assurance-chômage ou des
pensions de vieillesse le lendemain du référendum. Rien de cela
n'est changé, mais tout est changé à un autre niveau parce
que le gouvernement du Québec peut maintenant négocier avec
l'appui de la population; il peut désormais revendiquer, lorsqu'il
s'assoit à la table, qu'il tient son mandat de la population du
Québec. S'il obtient un oui, le gouvernement du Québec sera
autorisé à négocier une nouvelle entente qui ne saurait
être atteinte sans que l'égalité, selon la façon des
peuples souverains associés ensemble, n'ait ici son application.
Cette nouvelle entente, si nous en recevons le mandat, sera
négociée, bien sûr, au vu et au su des citoyens à
l'origine du mandat et qui seront la force même de ce mandat, mais cette
nouvelle entente, puis-je le rappeler, n'entrera en vigueur que si les
citoyens, par un deuxième référendum, ne l'endossent et ne
l'agréent. Puisque cet engagement figure dans le texte même de la
question, constitue l'engagement on ne peut plus solennel de cette nation,
est-ce qu'on peut espérer que les citoyens et citoyennes du
Québec consentent, choisissent, optent ensemble d'intervenir enfin
à leur tour dans la négociation en vue de cette nouvelle entente
dont les Québécois ont besoin, dont les Montréalais ont
besoin et dont l'ensemble de toute la vie collective et économique,
sociale, politique même du Québec a le plus urgent des besoins. La
voie que nous trace le vieux régime est bloquée, est finie; la
seule façon de la débloquer, c'est qu'au cours de ce
référendum du printemps 1980 nous rajoutions dans la balance qui
nous a été défavorable, éternellement nuisible
depuis le début, le poids d'une décision sagement et
mûrement prise par les Québécois. (16 h 10)
Par la suite, M. le Président, je suis convaincu que les
Québécois seront ébahis, eux-mêmes, de leur
succès, qu'ils connaîtront, eux-mêmes, la marche qu'ils
suivront, eux-mêmes, la marche de leur poids, la marche de leur force qui
n'avait préalablement jamais été utilisée.
Voilà le sens, voilà l'espoir, M. le Président, et
voilà l'occasion historique qui se présentera le printemps
prochain de nous ouvrir et de nous offrir la voie de l'avenir. Merci, M. le
Président.
Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le
leader parlementaire de l'Opposition officielle, vous avez maintenant la
parole.
M. Gérard D. Levesque
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, celui que nous
venons d'entendre a terminé son intervention qui a duré une
heure. On sait que nos honorables amis d'en face sont bien forts sur
l'égalité, d'égal à égal, mais on sait que
vis-à-vis l'Opposition officielle, ils ont deux fois plus de temps que
nous, et pour l'heure que vient d'utiliser le leader parlementaire du
gouvernement, je vais être obligé de suivre le règlement et
m'en tenir à pas plus de vingt minutes, M. le Président.
Cependant, M. le Président, devant ce leader parlementaire du
gouvernement qui termine son intervention en parlant du mandat de
négocier, du déblocage, de la nouvelle entente, aurons-nous le
droit je pense qu'on a le droit, M. le Président, qu'on a ce
droit simplement de rappeler les paroles de ce même leader
parlementaire du gouvernement, le député de Saint-Jacques,
rapportées par la revue L'Appel de janvier 1979? Question: Ce qui laisse
sous-entendre que vous auriez une politique étrangère?
Réponse de M. Charron: Autonome, étant entendu que nous avons
déjà fait connaître notre intention de participer au
système de défense nord-atlantique, comme nous en faisons
déjà partie par le biais du Canada. Le Québec s'inscrirait
donc à l'OTAN. Nous n'avons d'ailleurs pas le choix. Le cas
échéant, je pense que les amis d'en bas nous le rappelleraient
assez vite. Question du journaliste: Militairement, il y aurait donc une
armée québécoise pour vous aider à remplir vos
engagements atlantiques? Réponse de M. Charron: Oui, c'est cela.
Question du journaliste: Donc, c'est quand même une forme
d'indépendance que vous proposez aux Québécois?
Réponse de M. Charron: C'est l'indépendance.
Une Voix: Ce n'est pas une entente, ce n'est pas une entente!
M. Levesque (Bonaventure): Question du journaliste: En
conclusion, nous pouvons dire que le concept de souveraineté contient
l'indépendance? Réponse de M. Charron: Nous avons ajouté
le terme d'association à la fois parce que nous pensons que
l'économie du Québec trouvera un avantage à maintenir des
liens économiques avec le Canada et aussi pour des raisons
tactiques.
M. le Président, je pense qu'il faut justement associer ce que
nous disent au cours de ce débat nos honorables amis d'en face avec ce
qu'ils nous ont dit jusqu'à maintenant. Il est important, je pense, M.
le Président, avant d'entreprendre cette brève intervention, que
nous situions ce débat là où il se doit. C'est la loi 92
qui a prévu qu'au cours de 35 heures nous pourrions discuter d'une
question, la question du référendum. Il était bien
indiqué là-dedans que la raison pour laquelle il y avait un
débat était justement de voir s'il y avait une question
pertinente, une question claire, de regarder le libellé de la question,
autrement dit, pour la protection du public.
C'était là le but recherché par le
législateur. Or, M. le Président, vous êtes tellement
témoin de la situation que nous vivons qu'à trois reprises vous
êtes intervenu pour demander à ces honorables amis d'en face de
s'en tenir à la pertinence du débat et de parler de la
question.
Or, ils ont continuellement parlé à côté de
la question. Ce qu'ils ont fait, c'est de suivre les directives de M. Doris
Lussier: faire le procès du fédéralisme et dire que tout
ce qui allait mal au Québec c'était la faute du régime
fédéral. Voilà le débat, voilà le propos de
nos amis d'en face? Jamais n'a-t-on parlé de la question elle-même
et comment elle devait correspondre aux promesses du Parti
québécois.
Quelles étaient ces promesses du Parti québécois?
Tenir un référendum sur l'indépendance du Québec.
Voilà la seule promesse que ce gouvernement ait faite. C'est ainsi qu'on
s'est fait élire le 15 novembre 1976 en disant à la population du
Québec: Ne vous inquiétez pas, votez pour nous et vous aurez un
référendum sur la question constitutionnelle qui portera sur
l'indépendance du Québec. D'ailleurs, nous pouvons prendre
citation sur citation et vous le prouver très facilement, M. le
Président, et tout le monde le sait, que ce soit à New-York
où le premier ministre s'est rendu immédiatement après les
élections, pour dire: Nous allons poser la question aux
Québécois. Là il parlait ouvertement de
l'indépendance du Québec qui était irréversible,
bien qu'il n'ait jamais eu de mandat pour le faire. Il est allé à
Paris où il a parlé du nouveau pays. Partout, il disait: Les
Québécois auront l'occasion de se prononcer sur
l'indépendance du Québec.
Ce que nous devons faire, aujourd'hui, ce que nous devons faire dans
tout ce débat, c'est de regarder si cette question correspond à
la promesse du Parti québécois. Nous n'avons jamais fait la
promesse d'avoir un référendum. On connaît la position qui
est la nôtre; nous voulons que le Québec demeure à
l'intérieur du Canada. Nous sommes contre la séparation du
Québec, nous avons à coeur les intérêts
véritables des Québécois et nous croyons fermement que cet
intérêt des Québécois se retrouve dans le
fédéralisme canadien, dans le Canada, dans ce Canada que nous
allons continuer de défendre et comme Québécois et comme
Canadiens.
C'est le Parti québécois qui a fait la promesse. C'est un
engagement du Parti québécois. Lorsque l'on dit que tout ceci se
situe au-dessus des partis politiques, je dis: Mon oeil! Pas de partisa-nerie,
mon oeil! M. le Président, il y a un parti qui est impliqué, qui
est identifié à une option séparatiste de
souveraineté-association, d'indépendance, c'est le Parti
québécois. Prenez tous les autres partis politiques au
Québec et au Canada et vous n'avez pas de ces gens qui veulent briser le
pays comme le Parti québécois veut le faire. C'est son option que
l'on doit retrouver, cette option qui est celle du Parti
québécois et qui est sa raison d'être.
Nous avons, aujourd'hui, un référendum voulu et promis par
le Parti québécois. C'est le Parti québécois avec
sa majorité qui a fait la loi 92 sur la consultation populaire. C'est le
Parti québécois qui a établi les règles du jeu.
C'est ce gouvernement, autrement dit, qui a même, au cours de ces
débats, fait en sorte que, malgré vos instruc-
tions, malgré vos directives, tout se fasse de la façon
que cela se passe, c'est-à-dire un exercice de propagande.
Nous allons maintenant regarder ce que notre devoir nous appelle
à faire, la question proprement dite. Où est-elle? Nous l'avons
ici, M. le Président, au feuilleton. C'est notre devoir de
législateur de voir si cette question correspond à la promesse et
à l'engagement du Parti québécois. Vous avez là une
question, comme on l'a dit bien souvent au cours de ce débat, à
cinq volets: l'égalité des peuples, c'est le drapeau au-dessus de
l'édifice; ensuite, vous descendez un étage et vous avez la
souveraineté, l'indépendance; ensuite, vous avez, un autre
étage plus bas, l'association économique et, au sous-sol, le
deuxième référendum. (16 h 20)
Mais au rez-de-chaussée, vous avez la nouvelle entente, le mandat
de négocier, le Canada. Tout ce qui est le plus beau à
l'affichage, au rez-de-chaussée, justement à la hauteur des yeux
du citoyen qui passe. Mais vous avez dans cet édifice, M. le
Président, qui est cette question, le poison que vous savez et
refusé par les Québécois. Vous avez là votre
indépendance. Elle se situe en caractère très fins dans le
deuxième paragraphe du préambule. C'est là que cela se
retrouve, M. le Président, et c'est là ce qui permettra au
gouvernement actuel, si jamais les Québécois votaient oui, de
dire: Vous avez voté vous le saviez, c'était écrit
vous avez donné pour la première fois une adhésion
au principe de l'indépendance du Québec, de la
souveraineté-association, appelez-le comme vous le voudrez. C'est ce que
vous voulez par cette question.
Vous auriez pu être beaucoup plus transparents. Vous auriez pu
avoir une question et vous avez encore le temps de le faire qui
corresponde à votre option, qui corresponde à vos engagements,
qui corresponde à l'article no 1 de votre programme. Vous prendrez
l'amendement proposé par le chef de l'Opposition, amendement qui est
clair. Ce serait, il me semble, M. le Président... Pourquoi
s'oppose-t-on de l'autre côté à un amendement comme
celui-ci? La question se lirait: "Le gouvernement du Québec a fait
connaître dans son livre blanc son projet d'un nouveau régime
politique pour le Québec. En conséquence, 1. Pensez-vous que le
Québec devrait devenir un Etat souverain? OUI NON 2. Dans l'affirmative,
pensez-vous qu'un Québec souverain devrait rechercher par voie de
négociation une association économique avec le reste du Canada?
OUI NON. C'est trop simple. Cela représente trop ce que vous avez
promis. Pourquoi arrivez-vous avec cette question complètement remplie
de confusion, d'ambiguïté? Vous aurez une réponse qui
équivaudra à la question. La qualité de la réponse
équivaudra à la qualité de la question.
M. le Président, si on me permet simplement de vous rappeler ce
que le programme du Parti québécois je le rappelle
à ces gens l'édition de 1970, au moment où ces gens
avaient encore à la bouche le mot "transparence", où on avait en-
core un peu de virginité apparente dans ce groupement, voici ce que l'on
disait vous vous en rappelez sans doute, M. le Président
en parlant du référendum. A ce moment-là, on parlait du
principe d'un référendum. On disait ceci, M. le Président:
"Les référendums devront offrir au peuple québécois
et vous le relirez dans votre programme des options claires et
distinctes, des formulations non ambiguës. Les questions devront
être scindées selon la spécificité des projets
soumis, de façon à permettre l'expression de choix
véritables." Voilà, M. le Président, quelque chose qui
devrait être rappelé à nos honorables amis d'en face.
M. Ryan: Quel recul!
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je sais fort
bien que tous ces amis d'en face, à quelques exceptions près, ne
sont pas responsables de la question. D'ailleurs, ils l'ont apprise quelques
minutes avant que nous entrions en Chambre, quelques minutes après que
le caucus libéral l'eut lui-même connue. M. le Président,
je sais fort bien que 98% de nos amis d'en face ne connaissaient pas la
question. On l'a triturée. On l'a torturée. On l'a
travaillée jusqu'aux petites heures de la nuit avant l'annonce pour la
changer encore. Voilà la vérité et que le vice-premier
ministre se lève et me dise le contraire!
M. Morin (Sauvé): C'est faux! Le Président:
A l'ordre! A l'ordre!
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, on a...
Une Voix: Le ministre des Finances...
M. Levesque (Bonaventure): Oui, le ministre des Finances est
peut-être l'un des meilleurs témoins, mais je ne veux pas
l'impliquer à ce moment-ci.
M. le Président, lorsqu'on entendait le député de
Vanier, mon bon ami, dire, et je cite la Presse de Montréal du jeudi 4
octobre 1979: "C'est pourquoi la population sera appelée à se
prononcer sur la question d'un mandat de négocier la
souveraineté-association, a indiqué M. Bertrand, précisant
que la formulation de la question va faire toute la différence." M. le
Président, il reprenait simplement une idée de notre bon ami, le
ministre des Affaires intergouvernementales, le père du
référendum, qui disait, à un moment donné, en mai
1978, en parlant de nous... Que disait-il, le bon ministre, le bon père
de l'étapisme? Je le cite. "Ils vont avoir l'air fou quand ils vont
connaître la question." Voyez-vous la transparence, M. le
Président, dans cet exposé? Voyez-vous la recherche de
l'intérêt public, M. le Président? (16 h 20)
Le grand organisateur du Parti québécois, le ministre de
l'Environnement, disait ceci en novembre 1978: La question sera
rédigée non pas de
façon à correspondre à l'engagement du Parti
québécois, non, la question sera rédigée de
façon à aller chercher le nombre maximum de oui à
l'extérieur du parti. Voilà, M. le Président, qui
caractérise ces gens-là.
M. le Président, est-ce que je puis rappeler que, lorsque je
disais qu'il n'y avait pas grand monde de l'autre côté qui avait
participé à la rédaction de la question... On voit, par
exemple, que le député de Rosemont, pour qui j'ai beaucoup de
respect, était cité par la Gazette du 25 mai 1977: "Paquette, a
member of the special caucus committee working on the referendum, said
Saturday, during an interview taped in Montréal for a CTV network
program, that the referendum should give three or four options." Il disait que
ce référendum devrait permettre à la population du
Québec d'avoir à choisir.
Présentement, le citoyen québécois n'a pas de
véritable choix. Il n'a comme choix que de dire non au Parti
québécois, que de dire non à cette question
piégée et truquée. Pourquoi, lorsqu'on a réellement
à coeur l'intérêt des Québécois, lorsqu'on
veut permettre à cette grande société de pouvoir exercer
un choix véritable, n'aurait-on pas une question qui traduise les
différents courants de pensée qui existent présentement au
Québec? Non, plaçons tout le monde sous des parapluies
inventés par le Parti québécois, deux seuls parapluies, et
mettons les gens qui sont en faveur de l'indépendance d'un
côté et tous les autres sous l'autre parapluie. Faisons attention
de parler de l'indépendance, parce qu'on se rappelle toujours les
directives, en toute transparence, reçues du bon ami du premier
ministre, notre bon ami à tous, le père Gédéon.
M. Ryan: II va prêcher le oui à différents
endroits.
M. Levesque (Bonaventure): Lorsque nous relisons ceci, on
comprend mieux ce que disait M. Doris Lussier, le 21 juin 1978, dans une lettre
aux camarades: "Notre première priorité dans l'ordre de l'action,
c'est d'obtenir un oui au référendum coûte que
coûte." Je continue avec une autre citation de la même lettre.
Lorsqu'on parle d'utiliser l'argent du public à des fins de propagande
souverainiste préréférendaire, on dit: "Les bons moyens,
ce sont ceux qui donnent la victoire. Il y a même certains cas où,
comme dit l'autre, non seulement la fin justifie les moyens, mais les
ennoblit." Ecoutez cela, M. le Président, et on comprendra le genre de
discours tenus par nos amis d'en face depuis deux semaines lorsque l'on voit la
directive no 4 que vous avez lue, chacun, que vous avez assimilée
tellement vous incarnez ce que demande justement cette directive: "La
quatrième leçon des faits, c'est qu'il va falloir chauffer
à blanc le nationalisme québécois."
Une Voix: Des robots! M. Ryan: Ayoye!
M. Levesque (Bonaventure): C'est cela, M. le
Président...
M. Ryan: C'est cela qu'ils font.
M. Levesque (Bonaventure): ... que l'on retrouve dans les
directives aux camarades. Il y a également ceci dans la stratégie
et je cite...
Une Voix: Le mot d'ordre.
M. Levesque (Bonaventure):... M. Doris Lussier: "II ne faudra pas
prononcer le mot "indépendance" une seule fois." Vous avez bien
compris?
M. Ryan: On ne l'a pas entendu une fois.
M. Levesque (Bonaventure): "Un traitement d'égal à
égal, les Québécois vont acheter cela."
Des Voix: Ah!
M. Levesque (Bonaventure): C'est cela le respect que vous avez
pour les Québécois. Cela traduit bien ce que vous en pensez. Ils
vont acheter cela. Mais je vous dis qu'ils n'achèteront pas votre
patente. Ce sera un non retentissant que vous allez avoir. C'est cela que vous
allez avoir.
Je continue: "La seule façon au Québec de faire
l'indépendance, c'est de ne jamais en parler." Finalement, M. le
Président, une autre perle. On a vu exactement le discours de nos amis
d'en face depuis que ce débat est commencé, c'est la tactique.
Qu'est-ce que la tactique? Tout mettre ce qui va mal au Québec sur le
dos du gouvernement fédéral. Voici exactement le
résumé des discours que nous avons entendus de nos amis d'en face
depuis le commencement de ce débat, même que nous les avons
entendus à satiété, parce qu'ils ont toujours eu deux fois
plus de temps que l'Opposition officielle pour les faire.
J'espère, M. le Président, dans les quelques minutes qui
me restent... J'aurai d'ailleurs l'occasion d'y revenir; je pense qu'on a une
petite banque. Peut-être pourriez-vous l'augmenter dans votre grande
sagesse voyant ce qui s'est passé, voyant que tout le débat s'est
fait entre les tenants du oui et les tenants du non et non pas sur la question.
Quant à nous, nous avons essayé de toujours ramener ce
débat sur la question. Je pense qu'à un moment donné,
peut-être que les remords, la sagesse, l'expérience que
dis-je feront que vous allez suggérer au gouvernement de faire
preuve d'un peu de décence.
Tout de même, dans les quelques minutes qu'il me reste, j'aimerais
simplement, dans ce souci de transparence que nous avons devant nous, citer
l'honorable premier ministre, qui s'adressait au Point, le 11 février
1980 cela ne fait pas longtemps. Question: Pourquoi demandez-vous au
peuple québécois la simple permission de négocier avec
Ottawa? Ne serait-il pas plus honnête de lui demander s'il est ou non
pour l'indépendance? Réponse: On aurait pu, bien sûr,
poser aux gens une question suffisamment brutale pour être
sûrs de perdre mais nous ne sommes pas complètement idiots.
Or, devant un tel témoignage, comment pouvons-nous dire que la
question qui est posée correspond aux critères
d'honnêteté, d'objectivité, de concision, de clarté
qui feraient que nous ayons une réponse significative et valable? M. le
Président, tout est là, tout ce débat devrait se centrer
et se concentrer autour de cette question que finalement nous allons retrouver
sur les bulletins de vote. On m'a même dit que le directeur des
élections était un peu en peine pour le bulletin de vote. Il
avait à choisir entre soit mettre la question en caractères
microscopiques ou agrandir le trou de chacune des boîtes de scrutin
tellement la question est longue et confuse. Je comprends tellement cette
préoccupation mais c'était simplement pour vous dire qu'alors que
nous avons eu des référendums où c'était simplement
un oui ou un non, une question très brève, aujourd'hui nous avons
une question et un préambule d'environ 135 mots et cela dans chacun des
bulletins de vote. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas adopter l'amendement
proposé par le chef de l'Opposition?
Lorsque je regarde nos amis d'en face, je pense à toutes leurs
préoccupations dont ils nous ont fait part pendant des années et
surtout depuis un an ou deux où ils nous parlent de tout ce qu'ils vont
faire et tout ce qu'il faut faire pour protéger le consommateur
québécois. On a passé de heures, des jours et des semaines
à préparer des projets de loi pour protéger le
consommateur québécois et on sait combien l'Opposition officielle
et les oppositions ont travaillé dans le même sens. Mais, cette
préoccupation, est-ce qu'elle se limite pour le Parti
québécois à protéger les ménagères
québécoises contre les vendeurs de chaudrons à domicile ou
est-ce que ça ne pourrait pas entrer dans une question qui touche
l'avenir collectif des Québécois? Est-ce qu'à ce
moment-là on ne devrait pas apporter un minimum de préoccupation,
de sincérité, d'objectivité et de transparence pour nous
offrir une question qui corresponde aux engagements du Parti
québécois pour que nous ayons justement une question claire et
précise, une question courte qui aurait au moins le mérite
d'être honnête, de correspondre aux engagements de nos amis d'en
face et qui permettrait une réponse valable? (16 h 30)
M. le Président, je termine avec ceci. Ce sera pris sur notre
temps de toute façon. Je sais que cela n'inquiète personne mais
je terminerai en disant ceci: Mandat de négocier, c'est ça qu'on
veut vendre présentement jusqu'au moment du référendum
proprement dit. On parle de mandat de négocier et de déblocage.
Mais négocier quoi? C'est cela la question. Qu'est-ce que vous voulez
négocier? Avec qui voulez-vous négocier? Comment voulez-vous
négocier? Pourquoi un référendum pour négocier?
Vous auriez pu négocier pendant les quatre ans ou presque que vous
êtes au pouvoir. Vous n'avez pas négocié. Vous avez
regardé passer les miettes. Vous avez regardé passer le train,
comme dirait le ministre des Finances. Mais pourquoi n'avez-vous pas
négocié? Vous êtes un gouvernement capable de
négocier, oui ou non? Et, si vous ne pouviez pas négocier, c'est
parce que ce que vous vouliez négocier, vous n'aviez pas le droit de le
faire. Si vous n'aviez pas le droit de le faire, c'est quoi que vous ne pouviez
pas négocier? C'est l'indépendance du Québec que vous ne
pouviez pas négocier. C'est l'association économique que vous ne
pouviez pas négocier, parce que vous n'aviez pas un vote du peuple sur
la souveraineté. C'est pour cela que vous ne pouviez pas le faire.
Si vous avez besoin pour ce faire d'un référendum, avec
qui allez-vous négocier? Avec des gens qui n'auront pas besoin de
référendum. Qu'est-ce que vous allez faire le lendemain du
référendum? Avec qui allez-vous négocier? Si vous avez
absolument besoin juridiquement et légalement d'un
référendum pour avoir, justement, ce pouvoir, comment se fait-il
que vos interlocuteurs n'auraient pas besoin, eux aussi, d'un
référendum? Les autres provinces, le gouvernement
fédéral n'a jamais de mandat et n'a jamais eu de mandat pour
négocier avec vous la séparation du Québec et une
association économique éventuelle. Voyons donc! Répondez
à ces questions et, à ce moment, on pourra peut-être
préparer une question plus adéquate, plus claire, plus objective,
plus honnête. Voilà ce que nous recherchons et c'est notre devoir,
M. le Président, de le faire.
M. Johnson: M. le Président...
Le Président: M. le ministre du Travail et de la
Main-d'Oeuvre, vous avez maintenant la parole.
M. Pierre-Marc Johnson
M. Johnson: M. le Président, qu'il me soit d'abord permis
de m'étonner de l'emportement un peu frénétique du
député de Bonaventure. Vous savez, M. le Président, quand,
à l'origine de ce qui est aujourd'hui le Parti québécois,
fut formé un mouvement qui s'appelait le MSA, je n'ai pas le souvenir
que les initiales et les lettres MSA étaient le mouvement pour la
séparation assurée, mais c'était le Mouvement
souveraineté-association, en 1967. Je m'étonne donc de la
surprise du député de Bonaventure. Je suis également un
peu étonné du fait que le député de Bonaventure
reproche à un parti politique d'avoir évolué, lui qui
devrait savoir, pourtant, qu'un parti politique, cela peut évoluer,
surtout que le Parti libéral vient d'évoluer à reculons,
20 ans en arrière, d'un coup sec, avec son dernier congrès. Quant
à nous, notre évolution, comme parti, elle a toujours voulu
suivre la population. Elle a toujours voulu être à
l'écoute. Elle a toujours voulu être perméable aux citoyens
du Québec, parce que ce parti politique qui défend la
souveraineté-association est un parti démocratique qui ne s'est
jamais gêné pour ouvrir ses portes et non pas confiner dans des
séminaires d'intellectuels les grands projets qui touchent notre
collectivité. En ce sens, notre évolution et
l'évolution des engagements du gouvernement de ce parti touchent
effectivement le souci que nous avons de respecter la volonté du
peuple.
La population du Québec est témoin, depuis maintenant plus
de deux semaines, de contradictions entre les membres de cette
Assemblée. Ces contradictions, ces oppositions, ces affirmations de part
et d'autre de l'Assemblée nationale sont parfois source de confusion
pour nos concitoyens. Les hommes et les femmes que nous rencontrons dans nos
comtés dans Anjou, dans l'Estrie ou ailleurs se demandent
parfois qui et quoi croire. Il faut peut-être revenir à
l'essentiel, justement, à la question. Non pas à ce qu'on veut
faire dire à cette question, non pas au procès
d'interprétation ou au procès d'intention qu'on fait à la
question ou au gouvernement qui l'a soumise, mais bel et bien à ce que
dit cette question bien écrite très clairement devant nos
yeux.
Cette question, Mme la Présidente, comme la plupart des
interventions que vous avez entendues venant de ce côté-ci de la
Chambre, en tout cas, a été façonnée d'une
façon réfléchie. Elle n'est pas parfaite, mais, c'est une
question qui dit présenter aux Québécoises et aux
Québécois le projet d'avenir que nous partageons. Quand le
débat sera terminé à l'Assemblée nationale, quand
les comités du oui et du non auront été constitués,
quand pendant plusieurs semaines les Québécois et les
Québécoises dans toutes les régions du Québec, dans
leurs milieux de travail, chez eux dans leurs familles, à Pâques,
par exemple, auront eu l'occasion d'en discuter, arrivera quelque part au mois
de mai ou au mois de juin, le moment de faire un choix, il faudra faire sa
croix à côté d'un oui ou d'un non, il n'y a pas de casier
pour les peut-être. Ce sera un geste qui ne sera pas dramatique, mais
sûrement un geste sérieux. Ce ne sera pas un moment tragique pour
le Québec, mais ce sera un moment important pour le Québec.
Que nous dit cette question? Elle nous dit qu'il faut en arriver, avec
le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe
de l'égalité des peuples. Il y a ici, au Québec, un
peuple; ce peuple a une histoire, des racines, il partage des institutions, une
culture, un vouloir-vivre commun comme on dit. C'est-à-dire qu'entre
nous, Québécois, il y a des façons de faire qui nous sont
caractéristiques, ni mieux ni pires que les autres, mais
différentes des autres. Il y a ici une volonté de vivre ensemble,
de faire des choses ensemble, de construire et de partager, que ce soient la
musique, les paroles de nos chansonniers, les textes de nos écrivains,
de nos poètes, les arts, oui, mais aussi le culte de la PME, notre
engouement pour le hockey, notre amour des régionalismes, c'est le
succès du mouvement coopératif, c'est l'extraordinaire force
d'Hydro-Québec, ce sont ces ingénieurs québécois
qui sillonnent le monde à construire des Manic et des Baie James.
Etre un peuple, c'est aussi le tuyauteur ou le plombier qui vient du
Québec et qui est en demande en Alberta, qui va travailler en Alberta,
mais qui revient au Québec avec sa famille parce que quand on est
Québécois, c'est ici qu'on éduque ses enfants. Etre un
peuple, c'est aussi peut-être, comme moi, avoir un nom irlandais et
être francophone. Etre un peuple, c'est considérer que notre
gouvernement, c'est celui, d'abord, de Québec.
La question nous dit également que cette entente permettrait au
Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire des lois, de
percevoir des impôts et d'établir ses relations avec
l'extérieur, ce qui est la souveraineté. Voilà donc le
coeur du changement proposé, avec l'association. Comme citoyens
québécois, nous payons tous les ans des centaines de millions de
dollars en taxes que nous envoyons au gouvernement fédéral. La
notion de souveraineté politique implique que les
Québécois cesseraient de payer de l'impôt à Ottawa
et évidemment, en échange, nous ne nous attendons pas que le
fédéral continue de rendre, sur le territoire
québécois, des services ou maintienne des services, sauf ceux que
nous voudrions ensemble bâtir dans l'association.
Faire nos lois, ça veut dire décider entre nous de mettre
des ressources, de l'argent, des budgets, des bureaux du gouvernement, des
subventions pour implanter tantôt des industries, tantôt des
commerces, pour faire des zones touristiques, pour des équipements
culturels, des programmes sociaux, des routes, en décider entre nous.
Qui devrait décider de la taxe de vente, de l'impôt sur les
corporations de l'ensemble de l'impôt sur les successions et des
particuliers, cent, cent, cent des impôts? Pourquoi accepter un
système politique où une Cour suprême qui est parfaitement
étrangère à notre Parlement, à notre
Assemblée nationale viendra décider d'annuler en partie une loi
sur notre langue, comme la loi 101? Pour le moment, une bonne partie des
décisions qui nous touchent sont prises ailleurs qu'au Québec,
sont prises à Ottawa, avec l'argent de nos taxes. (16 h 40)
A Ottawa, le secrétaire général du Conseil
privé, ce plus haut fonctionnaire du Canada, brasse des milliards tous
les ans, dont les milliards de nos taxes. Pour lui, le Canada est divisé
en régions: il y a les Maritimes, le Québec, l'Ontario, les
Prairies, la Colombie-Britannique et les territoires du Yukon et du Nord-Ouest.
Mais quand vient au Québec le temps de décider ce qu'on va tenter
de faire de nos jeunes qui sont au bien-être social ou de nos jeunes
chômeurs, pour faire un programme qui s'appelle PIJE-OSE, pour
intégrer des jeunes à l'emploi, le sous-ministre à la
Main-d'Oeuvre du Québec qui a à prendre des décisions
d'orientation, pour lui, une région c'est autre chose. Pour lui, comme
pour moi, comme pour des milliers de Québécois, une région
c'est l'Outaouais, c'est le Pontiac, c'est l'Abitibi-Témiscamingue,
c'est le Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est la Côte-Nord, c'est la
Gaspésie, les Iles-de-la-Madeleine, c'est la région de
Québec, c'est la Beauce, c'est l'Estrie, c'est la région de
l'Amiante, c'est la Mauricie, les Bois-Francs, c'est la région de
Mont-
réal, c'est la rive sud, c'est Laurentides-Lanau-dière.
C'est cela une région.
Le Québec, ce n'est pas un morceau d'organigramme aux mains d'un
gouvernement central qui ne nous appartient pas. Le Québec, il est
vécu. Il faut que ceux qui prennent des décisions qui touchent
les Québécois et le peuple québécois connaissent le
Québec. Que ce soient des décisions qui touchent les
travailleurs, les chômeurs, la femme au travail, les agriculteurs, la
femme au foyer, il faut que les programmes d'aide, la taxation, l'impôt,
les allocations diverses, il faut que ces choses soient décidées
par des personnes pour qui Sainte-Catherine, c'est une rue importante à
Montréal et non pas une ville de l'Ontario.
La souveraineté politique, bien sûr, c'est un drapeau.
C'est notre histoire. C'est notre façon de vibrer à Félix
Leclerc, à Gilles Vigneault, de rire aux monologues d'Yvon Deschamps ou
aux jeux de Dominique. Mais c'est surtout, c'est surtout s'assurer que c'est
nous qui décidons sur notre territoire pour l'ensemble des gestes qui
touchent la vie des citoyens.
La souveraineté, c'est savoir qui, quant à nos taxes, va
décider: les autres ou nous autres. Mais en même temps cette
question nous dit aussi de maintenir avec le Canada une association
économique comportant l'utilisation de la même monnaie.
L'association, c'est maintenir la communauté canadienne sur le plan
économique. C'est faire en sorte qu'au nord des Grands Lacs subsiste cet
espace auquel nous appartenons qui permet à deux peuples, sur ce
territoire, de s'enrichir réciproquement, véritablement,
honnêtement, mais dans les deux sens, par exemple. L'association cela
signifie: pas de douanes entre le Québec et l'Ontario, pas de passeport
pour aller au Nouveau-Brunswick. L'association, c'est maintenir la libre
circulation des biens, des personnes, des capitaux, avec le reste du Canada et,
évidemment, l'association, c'est conserver la monnaie canadienne.
L'association, c'est aussi un mot à dire d'égal à
égal dans les décisions qui affectent l'économie et qui
affectent les citoyens québécois. Nous avons vécu
séparés des vrais pouvoirs de décision au Canada qui ont
fait que le Québec a dû subir éternellement de 30% à
50% de chômeurs de plus que les Ontariens. Nous avons vécu
séparés des véritables pouvoirs qui nous permettraient de
subventionner l'industrie automobile pour qu'elle crée des emplois ici
plutôt qu'en Ontario. Nous avons vécu séparés des
décisions qui font qu'aujourd'hui le taux d'intérêt pour un
jeune couple qui veut s'acheter une maison est tellement élevé
qu'il est prohibitif. Nous avons vécu séparés de ces
décisions-là. L'association c'est maintenir l'unité
canadienne sur le plan économique parce que nous y avons
intérêt et parce que le Canada lui-même y a
intérêt.
C'est un peu comme si, bien jeunes, on nous avait conduits à un
mariage arrangé. Il faut faire maintenant, dans le respect de l'un et de
l'autre, peut-être un véritable mariage.
La question nous dit aussi que tout changement de statut politique
résultant de ces négo- ciations sera soumis à la
population par référendum. C'est-à-dire que si le
Québec doit devenir, après la négociation
après la négociation autre chose qu'une province, un Etat
associé au reste du Canada ou autre chose, les Québécois
pourront, lors d'un deuxième référendum, sanctionner et
approuver ce devenir du Québec. Ce Québec ne deviendra ce qu'il
est, sur le plan de son statut politique, qu'une fois que nous aurons
l'approbation démocratique de l'ensemble de nos citoyens. Pourquoi?
Parce que, depuis 300 ans, les Québécois n'ont jamais vraiment
entièrement fait confiance aux hommes et aux femmes politiques et, ma
foi! il y avait sans doute là quelque sagesse. Parce que les
Québécois ne veulent pas donner de chèque en blanc, c'est
leur droit le plus légitime. Et c'est parce que nous respectons ce droit
que nous leur disons: Donnez au gouvernement du Québec un mandat de
négocier cette entente nouvelle, la souveraineté-association,
avec le reste du Canada. Nous ferons rapport et rien de définitif ne
sera accompli sans qu'à nouveau vous soyez consultés et que vous
approuviez comme peuple, comme citoyens, ce devenir du Québec.
Au lendemain du référendum, un oui ne réduira pas
les montagnes Rocheuses en poussière, c'est bien évident. Au
lendemain du référendum, cependant, il y aura sûrement
quelques surprises sur certaines rues de Toronto, mais nous aurons simplement,
avec fermeté, permis au gouvernement de Québec de se
présenter avec un mandat. De génération en
génération, nous nous serons transmis ce flambeau de la
revendication québécoise en même temps que cette
volonté que nous avons de partager le sol au nord des Etats-Unis,
d'égal à égal, avec fierté et avec respect, chez
nous avec nos voisins. Le lendemain du oui, le gouvernement du Québec se
présentera à quelques conférences, quelles qu'elles
soient, non pas cette fois avec une délégation de ministres et de
quelques fonctionnaires, mais sûrement de quelques ministres, de quelques
fonctionnaires et de millions de Québécois qui appuient leur
gouvernement dans cette négociation.
Dire non, ce serait reculer 35 ans en arrière. Dire non, c'est
peut-être approuver le projet de livre beige qui fait du Québec
une province comme les autres, ce que tous les premiers ministres du
Québec, Maurice Duplessis, Paul Sauvé, Jean Lesage, Daniel
Johnson, Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa, depuis la dernière
guerre mondiale, ont rejeté, faire du Québec une province comme
les autres. N'est-elle pas significative, d'ailleurs, cette couleur beige, que
le dictionnaire définit comme étant la couleur de la laine
naturelle, la couleur du mouton. C'est le livre mouton du Québec,
province comme les autres, qu'on voudrait nous faire approuver.
A la question que nous posent les générations de
Québécois, il faut enfin poser un choix clair. Le oui, c'est le
oui à l'égalité des peuples; le oui, c'est le mandat de
négocier une nouvelle entente, la souveraineté-association, le
contrôle de nos taxes, de nos lois, de nos relations sur notre
territoire, et également le maintien de l'ensemble économique
canadien qu'il faut fortifier et auquel il faut participer. Le oui,
c'est l'assurance démocratique qu'aucun changement n'interviendra dans
le statut politique du Québec sans que la population n'ait à
l'approuver clairement.
Pour certains, ce choix auquel nous sommes amenés est une affaire
de coeur. Pour d'autres, c'est une affaire de tête. Pour moi, ce choix,
c'est celui à la fois du coeur et de la tête, et cela devient
tellement facile de dire oui.
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Claude Ryan
M. Ryan: Mme la Présidente, plus j'écoute les
orateurs du Parti québécois dans ce débat, plus j'en viens
à la conclusion que la question qu'ils veulent nous faire avaler
à l'occasion du référendum recèle une confusion
profonde. Ce qu'ils veulent faire, le député de Bonaventure l'a
amplement rappelé et illustré cet après-midi, c'est
l'indépendance politique du Québec. (16 h 50)
Or, ils nous parlent dans la question d'une entente. Ce n'est pas une
entente que vous voulez. C'est l'indépendance politique du Québec
et je ne sache pas que l'indépendance politique d'un peuple se fasse par
une entente. Cela se fait par une décision collective, souveraine et
libre, et c'est ce que vous n'osez pas dire. C'est ce que vous n'osez pas
demander à la population. Une fois que vous auriez demandé et
obtenu du peuple la permission de faire la souveraineté du
Québec, vous pourriez envisager de négocier une association
économique avec le reste du Canada. On comprendrait très bien.
Mais quand vous voulez envelopper votre projet d'indépendance dans le
manteau d'une entente hypothétique et artificielle, nous ne pouvons pas
marcher là-dedans parce que c'est une confusion
délibérément entretenue qui cache l'essentiel
derrière un revêtement.
Le genre d'entente que vous voulez négocier est absolument
impossible, à part cela, pour trois raisons bien simples. D'abord, en
bonne logique, pour négocier une association économique avec
l'autre partenaire, il faut d'abord avoir fait soi-même sa
souveraineté. J'entendais le ministre des Affaires municipales dire
l'autre jour quelque chose comme ceci: Vouloir s'associer n'est pas vouloir se
séparer. Je lui réponds: Pour vouloir s'associer, il faut avoir
décidé d'être souverain pour commencer. C'est
élémentaire. Dites-le franchement. C'est ce qu'on vous demande
dans l'amendement qu'on vous propose. On ne vous propose pas la lune. On vous
propose une chose très simple, mais, encore une fois, au point de vue
logique, un des deux éléments vient avant l'autre et le premier
ministre aura beau dire tant qu'il voudra qu'ils sont concurrents et
simultanés, en bonne logique, c'est impossible, et je le défie de
faire la démonstration contraire.
Deuxièmement, au plan politique, M. le Président, c'est
absolument impensable. J'entendais le député de Saint-Jacques cet
après-midi ramasser toutes les coupures de journaux de deuxième
et troisième ordre qu'il a pu ramasser. Il n'est même pas capable
de les citer comme il faut.
Des Voix: Ah!
M. Ryan: II n'est même pas capable de les citer comme il
faut, M. le Président. Il mêlait Charles Lynch, un chroniqueur
populiste qui est intéressant à lire, mais qui n'a jamais
grand-chose à dire...
Des Voix: Ah, ah!
M. Ryan: II le mêlait avec la Gazette qui a quand
même écrit des articles très substantiels sur le projet
constitutionnel du Parti libéral. Vous n'avez pas parlé de
ceux-là, par exemple! Vous n'avez pas cité un seul
témoignage d'hommes politiques responsables au Canada, des
témoignages sur votre document, votre livre blanc et votre projet et des
témoignages qu'ils ont publiés sur nos propositions.
J'avais l'occasion de rencontrer M. Lougheed encore récemment. Je
ne lui ai pas demandé de venir ici. Il est venu de sa propre initiative,
et j'espère que vous reconnaissez encore au moins le droit de libre
déplacement des personnes dans ce pays. M. Lougheed est venu ici et il
l'a répété devant tous les journalistes qui étaient
présents à la conférence de presse qui a suivi notre
rencontre, il a dit: Je trouve l'essentiel du projet constitutionnel du Parti
libéral du Québec extrêmement intéressant sur le
fond du problème.
Une Voix: ...
M. Ryan: Ecoutez! Sur le fond du problème, en particulier
sur le partage des pouvoirs. Je pense que personne dans cette Chambre ne voudra
soupçonner ou accuser M. Lougheed d'être le moindrement
tenté de vendre son droit d'aînesse au Parlement
fédéral. S'il y en a un qui défend les prérogatives
provinciales actuellement et le ministre des Richesses naturelles a
été le premier à l'en féliciter et à
chercher à se solidariser avec lui c'est M. Lougheed. M. Lougheed
m'a dit: Ce que vous dites sur les ressources naturelles dans votre document,
cela va dans la même ligne que ce que nous disons, nous, de l'Alberta. Il
y a seulement le Parti québécois qui ne comprend pas cela et qui
essaie de tout déformer.
Ce que je peux vous dire, M. le Président, c'est que les hommes
politiques du Canada, les uns après les autres, ont tous dit qu'ils
n'accepteraient pas de négocier avec le gouvernement du Parti
québécois dans un contexte ambigu et hypocrite comme celui qui
est proposé par cette question. M. Trudeau lui-même M.
Mailloux, le député de Charlevoix, l'a rappelé l'autre
jour s'il était en face d'un gouvernement qui se
présenterait avec le genre de oui que sollicite ce gouvernement, un oui
au rabais, un oui de deuxième classe, parce qu'un oui pas clair, un oui
hypocrite
et hybride, M. Trudeau serait le premier à dire: Je n'ai pas
reçu de mandat pour discuter sur une base aussi confuse. Le premier
ministre du Canada, on doit au moins lui donner une qualité; il a
l'esprit clair, il a l'esprit logique et des sophismes dans le genre de ceux
qu'on entend ici, on doit au moins lui concéder qu'il n'en fait pas trop
souvent. Il vous dirait: Je n'ai pas de mandat pour cela. Allez vous chercher
un mandat. Je vais aller m'en chercher un moi aussi, et toute la ribambelle
recommencerait. Ce serait le début d'une période de
confusion.
Au point de vue légal, à part cela, au strict point de vue
légal, on ne peut à la fois être dans la
fédération et en dehors. Il faut que ce soit un ou l'autre. Si
vous êtes dans la fédération, vous devrez discuter suivant
les règles de la fédération. Si vous êtes en dehors,
vous devrez le reconnaître franchement, mais vous voulez jouer les deux
chaises en même temps, être dedans et en dehors en même
temps, et ceci, à aucun point de vue n'est possible.
Il y a une deuxième remarque que je voudrais faire. Vous nous
parlez on connaît le scénario, parce qu'on a entendu cela
tellement souvent, et la plus belle illustration, c'était le discours du
ministre d'Etat au Développement culturel, l'autre jour du fameux
diptyque: d'un côté, les gros méchants ils nous ont
volés pendant un siècle, ils nous ont exploités,
dominés, écrasés et, de l'autre côté,
on se fait tout miel, toute douceur, tout agneau. O ce peuple ami avec lequel
un siècle d'histoire nous a permis de nouer des rapports de
solidarité! Nous formerons une entente avec lui, nous discuterons dans
un climat d'amitié, d'égalité, etc.
Quand vous vous arrogez la liberté de ramener tout ce qui existe
au Canada à une seule autre nation, savez-vous que vous violez le
principe même de l'autodétermination dont vous vous
réclamez? Si le reste du Canada vient vous dire: Nous autres, en
Ontario, nous formons une population, nous formons une communauté, ce
sera d'égal à égal avec vous autres du Québec,
qu'est-ce que vous pourrez faire? Si les gens des provinces du Pacifique vous
disent: Nous formons une communauté nous aussi; nous voulons être
sur un pied d'égalité à la table de négociation,
qu'est-ce que vous pourrez faire? Si des provinces de l'Atlantique font la
même chose, on se ramassera encore à une table à
quatre.
Où sera votre égalité d'un à un? C'est un
mythe, c'est une création factice de votre esprit qui ne correspond pas
du tout à la réalité du Canada. Quand on veut
définir le Canada sur la base réaliste et vérifique, il
faut dire qu'il y a deux grandes communautés linguistiques dans ce pays
auxquelles sont venues s'ajouter d'autres communautés culturelles et qui
sont regroupées dans quatre ou cinq grandes régions dont chacune
a aussi sa personnalité propre et dont aucune ne veut être fondue
dans aucun tout qui soit inventé par le gouvernement
fédéral à Ottawa ou par le Parti québécois
à Québec.
C'est la base du projet que nous avons conçu de notre
côté. Nous essayons de respecter la réalité. Vous
autres, vous essayez de faire croire aux Québécois que tout cela
se ramène à: une nation, une nation. C'est bien plus complexe que
cela le problème canadien, et, avec la base que vous proposez, vous
allez directement vers un échec et vers la confusion.
Troisième point. Je crois que nous avons entendu, depuis deux
semaines, dans cette Chambre, des propos qu'il importe de relever. A entendre
ces messieurs d'en face, tout ce qui se rattache au gouvernement
fédéral est synonyme d'étranger. Non seulement cela, mais
ils nous arriveront à un point où tout ce qui sera synonyme du
non à la question du Parti québécois sera aussi synonyme
d'étranger, si vous continuez de parler comme vous parlez.
A vous entendre parler je ne sais pas si vous vous regardez dans
un miroir de temps en temps tout ce qui n'est pas de votre option
à vous autres, c'est du mauvais québécois, c'est du
québécois au rabais, c'est du québécois de seconde
classe. Nous vous disons que notre non est aussi québécois que
votre oui et nous allons l'affirmer pendant toute la campagne
référendaire. Nous vous disons en plus que le gouvernement
fédéral, le Parlement fédéral, les institutions
fédérales du Canada, sont des institutions qui nous appartiennent
autant qu'aux autres Canadiens et au sein desquelles nous occupons une place
qui nous interdit de les considérer comme des institutions
étrangères. Chaque fois que vous ramenez tout ce qui est synonyme
d'institutions fédérales à des réalités
étrangères, vous faussez la réalité, vous semez le
préjugé dans les esprits et vous rétrécissez les
horizons des nôtres à des frontières qui ne correspondent
pas à la réalité véritable.
Qu'il y ait eu des imperfections dans les institutions
fédérales, qu'il y ait eu des injustices à notre endroit,
c'est un fait. Notre parti les a combattues chaque fois que cela a
été nécessaire et nous continuerons de les combattre
également, mais nous n'acceptons pas et nous n'accepterons pas que vous
fassiez croire à nos concitoyens que tout ce qui est
fédéral est étranger et qu'une personne qui a eu le
malheur de se faire élire député à la Chambre des
communes soit une personne qui ait moins de légitimité que nous
qui sommes en cette Chambre.
Nous avons été élus dans les deux cas par les
mêmes électeurs souverains et libres à l'occasion
d'élections démocratiques. Quand une décision est prise
par le Parlement fédéral, elle est prise par nous autres autant
que par les autres. Quand vous essayez de nous faire croire et de faire croire
au public du Québec qu'à Ottawa cela se résume toujours
à: une nation, l'autre nation, c'est absolument faux. (17 heures)
Les décisions se prennent par une espèce de conjugaison,
d'harmonisation d'intérêts très divers, souvent
opposés, mais qui, la plupart du temps, ne répondent pas d'abord
à la ligne de partage que vous invoquez continuellement, la ligne du
nationalisme et de la langue. La ligne des intérêts
régionaux, la ligne des intérêts de classe, la
ligne des considérations internationales sont autant de facteurs
qui jouent dans les grandes décisions fédérales. Ce que
nous vous reprochons profondément et à quoi nous ne pouvons pas
du tout souscrire, c'est de vouloir tout résumer sous le chapeau de ces
différences linguistiques et nationales dont nous tenons compte mais
dont nous refusons que vous en fassiez l'unique véhicule, l'unique
réceptacle par lequel doivent passer toutes les décisions et tous
les comportements des citoyens et des groupes dans ce pays. Nous estimons que
les citoyens du Québec sont assez responsables et adultes pour
être capables, s'ils le veulent librement, de confier une partie de leurs
préoccupations, une partie des décisions politiques à une
autorité qui siégera à Ottawa et qu'ils partageront avec
les autres citoyens du pays. Ce n'est pas être un moins bon
Québécois que d'envisager une chose comme celle-là, c'est
peut-être avoir l'esprit un peu plus large par exemple.
Je tiens à signaler avec beaucoup de force que nous n'accepterons
pas que vous rameniez à un synonyme d'étranger tout ce qui se
rattache à l'institution fédérale dans ce pays-ci. Encore
une fois, j'ai remarqué souvent que, quand il y a eu des choses qui
n'ont pas marché dans ce pays-ci, tout de suite c'est le conseil de
Doris Lussier qui s'applique: C'est la faute du fédéral, c'est la
faute des maudits Anglais, c'est la faute du régime. Quand les choses
ont marché, le fédéralisme n'a rien eu à voir
là-dedans. Là, c'est la comparaison avec l'URSS, avec le
Brésil: Le fédéralisme est une affaire indifférente
et neutre. Voyons messieurs, un peu de consistance dans vos propos! Si le
fédéralisme a été responsable de certaines lacunes
et de certaines carences et nous sommes les premiers à en
convenir convenez au moins qu'il a été aussi responsable
des choses qui ont marché dans ce pays-ci.
Le Président: M. le député de
Saint-Hyacinthe, vous avez maintenant la parole.
M. Fabien Cordeau
M. Cordeau: Merci, M. le Président. Je tiens à
apporter mon humble contribution à ce débat important pour chacun
d'entre nous et pour tous les Québécois. Nous sommes en train
d'écrire une page historique non seulement parce qu'il s'agit du premier
référendum fait par des Québécois pour des
Québécois mais aussi parce que c'est la première fois,
comme le disait si bien notre chef, le député de Gaspé,
que, depuis la naissance du Canada en 1867, ur gouvernement du Québec a
droit de vote, de se prononcer pour ou contre la négociation d'une
option politique qui exclut, dans son essence même, le
fédéralisme comme mode de gouvernement.
Ce fait m'apparaît primordial dans les circonstances et je crois
que c'est ma responsabilité comme représentant des citoyens du
comté de Saint-Hyacinthe de le dire à la population. Bien avant
que je décide de me lancer en politique active, j'étais
opposé à l'indépendance politique du Québec comme
solution viable aux problèmes que pose depuis longtemps cette
nécessité devenue urgente de réviser en profondeur notre
régime politique et constitutionnel. Depuis 1976, je n'ai pas
changé d'idée. Le Parti québécois ne m'a pas
convaincu de la justesse de sa thèse constitutionnelle. Celle-ci est
toujours demeurée aventureuse, pour ne pas dire dangereuse pour le
Québec et pour les Québécois individuellement.
En me présentant sous la bannière unioniste, j'ai
opté pour un parti politique dont les racines québécoises
sont bien connues et toujours vivantes à travers le Québec, un
parti dont le programme politique est basé sur une conception de
l'égalité de nos peuples fondateurs qui, loin d'exclure le
Canada, englobe tout l'ensemble canadien dans une vision positive du rôle
que le Québec peut et veut jouer à l'intérieur d'un cadre
fédéral plus décentralisé.
Mon premier intérêt en politique a toujours
été et est de bien servir mes concitoyens, de les traiter avec
respect, avec honnêteté et franchise. La franchise, dans ce
débat, m'oblige de dire à mes concitoyens qui, à l'instar
de leur député, croient sincèrement au renouvellement du
fédéralisme canadien en vue de doter le Québec des
instruments qu'il lui faut pour son épanouissement collectif, de faire
preuve de prudence face à la question référendaire; car
cette question, pour attrayante qu'elle soit, renferme sournoisement l'objectif
réel que poursuit le gouvernement du Parti québécois.
J'incite mes concitoyens à la prudence. Ne vous laissez pas
séduire par l'apparence des choses, par ce qu'on peut appeler
l'emballage. En d'autres mots, ne vous laissez pas endormir par cette
idée d'un mandat de négocier une nouvelle entente
Québec-Canada.
Tout le monde est en faveur de négocier une nouvelle entente
Québec-Canada. La question n'est pas là. Il faut aller
au-delà de ce cliché facile et factice pour se demander:
négocier quoi? Quelle est cette nouvelle entente? C'est alors qu'on
touche au fond de la question. C'est alors qu'en toute franchise, il faut
être conscient que ce que nous demande le gouvernement du Parti
québécois, par le truchement de cette question c'est le mandat de
négocier deux choses: Premièrement, l'accession du Québec
au statut d'Etat souverain; deuxièmement, l'association
économique avec le reste du Canada. Voilà la question de fond.
Voilà ce sur quoi vous devez décider si vous êtes d'accord
ou non.
Tel que l'a affirmé le chef de l'Union Nationale et
député de Gaspé, il y a deux semaines, vous devez savoir
qu'en acceptant l'idée d'un mandat de négocier, que ce soit pour
des raisons de sentiment, de déblocage ou de "bargaining power", peu
importe, vous acceptez aussi que cette négociation porte exclusivement
sur la souveraineté-association. En acceptant l'un, vous acceptez
l'autre. Les deux sont indissociables. Et si vous osez l'oublier, soyez
assurés que le Parti québécois sera là, dès
le lendemain du référendum, pour vous le rappeler.
M. le Président, examinons de plus près cette fameuse
question. On y parle d'une entente remettant au Québec les pouvoirs
exclusifs de faire des
lois, percevoir ses impôts, établir ses relations
extérieures et maintenir une association économique avec le
Canada. Selon le Petit Larousse l'exclusivité suppose la possession sans
partage, le droit absolu. A la lumière de cette précision, il me
semble que les intentions des ministériels se font beaucoup plus
claires. Dans la mesure où le pouvoir exclusif de faire des lois, de
percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures
nécessitent, pour le Québec, un pouvoir sans partage, aucune
autre autorité que la sienne propre, nous parlons d'indépendance.
En ce sens, la question m'apparaît lourdement électoraliste
puisqu'elle espère camoufler, sous le couvert commandé d'un
mandat de négocier, une intention continuellement exprimée par le
Parti québécois depuis sa fondation.
La dernière partie du préambule, précisant que tout
changement de statut politique résultant de ces négociations sera
soumis à la population par référendum, me semble
tendancieuse. Il apparaît clairement que le gouvernement du Parti
québécois, afin de sécuriser une population qui rejette
depuis toujours son option, a sacrifié l'honnêteté à
l'efficacité. Il rentabilise ce référendum et,
fidèle à son principe étapiste, encourage un oui dans un
premier référendum qui pourrait facilement se transformer en non
dans un second.
Ce gouvernement introduit donc l'éphémère d'un oui,
ne reposant que sur l'acceptation momentanée d'un principe de
négociation. Finalement, M. le Président, cette question ne peut
être l'expression de la solidarité nationale des
Québécois par son caractère limitatif et partisan. Elle
n'en est pas l'expression, parce qu'elle oblige la négociation exclusive
d'un projet péquiste. Ce projet n'a pas d'envergure nationale puisqu'il
se réserve à quelques partisans qui se disent les seuls dignes du
titre de Québécois. L'unanimité tant souhaitée chez
les Québécois aurait dû être
précédée d'un consensus sur le texte de la question. (17 h
10)
M. le Président, je ne suis pas seul à penser de cette
façon et, pour affermir mon dire, je vais vous lire une partie d'un
éditorial de M. Pierre Bornais, directeur du Courrier de
Saint-Hyacinthe, daté du 12 mars 1980 et intitulé "Texte,
contexte et prétexte" où il fait une analyse du débat
actuel. Je cite: "Quoique puissent en dire certains, les dés
étaient pipés d'avance puisque c'est le gouvernement qui a
posé la question et qu'il entend ne pas en changer un iota même
s'il est le premier à vouloir parler de solidarité, de
débat au-dessus des partis. Pourtant, l'intention du législateur
était louable; un projet de question à être débattu
par tout le monde afin d'en arriver à faire le consensus constituait un
idéal, mais il aurait fait en sorte que tout le monde se sente vraiment
lié par les résultats du scrutin, ce qui n'est pas
précisément le cas puisque, à tort ou à raison, la
question représente plus l'opinion politique d'un parti que
l'interrogation d'un gouvernement au peuple."
Plus loin, il ajoute: "Mais il est regrettable que la rigueur
gouvernementale ne puisse rendre pos- sible un changement dans la formulation,
changement qui semble souhaité par une majorité de
Québécois, mais qui ne serait pas nécessairement à
l'avantage du gouvernement."
M. le Président, lorsque ce gouvernement a été
élu en novembre 1976, il avait pour mandat la bonne administration de la
province et la tenue d'une consultation populaire sur notre avenir. Prenant
aujourd'hui les allures d'un vaste plébiscite, cette consultation limite
notre avenir à l'indépendance nationale, elle suppose qu'il ne
peut y avoir de fédéralisme viable et éclipse de la sorte,
par sa partisanerie, toute solidarité nationale. A ne voir qu'un seul
côté de la médaille, les Québécois pourraient
en arriver à espérer que l'autre côté soit le
meilleur et le choisir.
Je conteste fortement l'affirmation péquiste selon laquelle tous
ceux et celles qui ne partagent pas leur point de vue sont à leurs yeux
des colonisés et des gens qui veulent maintenir le statu quo. Rien n'est
plus faux, rien n'est plus mensonger et les gens d'en face le savent. Je
connais de nombreux Québécois et de nombreuses
Québécoises qui refuseront ce jeu de ping-pong constitutionnel
que nous propose le gouvernement du Parti québécoise. Pour
autant, ils ne veulent pas du statu quo; d'ailleurs, les gens d'en face le
savent très bien: il ne reste presque plus personne au pays qui veut
maintenir le statu quo en matière constitutionnelle. Toutes les
provinces sans exception réclament des changements profonds tant au
niveau du partage des pouvoirs qu'à celui des institutions
fédérales à refaire de fond en comble.
Le Québec n'est plus seul dans ce domaine et cela, nos amis d'en
face se doivent de l'admettre s'ils veulent jouer franc jeu. Nous, de l'Union
Nationale, croyons que le processus de révision constitutionnelle est
devenu, surtout depuis la dernière année, un mouvement
irréversible. Il n'est plus possible de préconiser le statu quo
au Canada en matière de relations fédérales-provinciales
quand presque plus personne n'en veut et ce, pour des raisons qui
diffèrent d'une région à l'autre. Prétendre le
contraire, c'est se boucher les oreilles et faire l'autruche, ce qu'avouent
bien nos amis d'en face quand ça fait leur affaire.
Mon opposition à la question telle que posée, trouve sa
raison d'être dans le principe de base du Parti québécois
qui est essentiellement la séparation du Québec d'avec le Canada.
Je n'ai qu'à me rappeler la déclaration du ministre d'Etat
à la Condition féminine, Mme Lise Payette, lors de sa
participation à la semaine référendaire tenue au CEGEP de
Saint-Hyacinthe. M. le Président, à une question d'un auditeur,
Mme la ministre avouait candidement que la souveraineté-association
était synonyme d'indépendance, de séparation.
Mon opposition à la question telle que posée signifie que
je demeure sur mes positions passées. En 1976, lors des
élections, lorsque j'ai offert mes services à mes concitoyens, je
leur ai dit honnêtement et sincèrement que j'étais
opposé au Parti québécois à cause de ses politiques
indépendantistes et séparatistes déguisées depuis
en souveraineté-association. Comme preuve de ce que je
viens de dire, je n'ai qu'à vous citer un éditorial du
poste CJRP, de Québec, en date du 27 mars 1979. C'était, M. le
Président, lors du congrès régional du Parti
québécois. Je cite: "Plus de 200 personnes ont participé
en fin de semaine au congrès régional du Parti
québécois qui regroupait des délégués venant
de 16 comtés du Québec métropolitain. Les
délégués ont adopté une résolution afin que
l'on retire le mot "indépendance" pour le remplacer par
"souveraineté". Evidemment, la résolution ne fut pas
adoptée de façon unanime, les députés ministres
Garon, de Lévis, et O'Neill, de Chauveau, s'y opposant.
M. le Président, le Parti québécois a adopté
une telle résolution parce qu'il sait que le mot indépendance
fait peur aux Québécois et que ces derniers n'en veulent pas. En
conséquence, ils doivent éviter de parler d'indépendance,
même si dans le fond tout le monde sait que le but premier des membres de
cette formation est l'indépendance. De plus, le député de
Chauveau a maintenu sa position contre le mot souveraineté-association
en en faisant part aux militants de son comté dans un manifeste
publié le 19 octobre 1979, intitulé Règles d'action pour
la campagne référendaire, où l'on peut lire que ces
règles s'adressent à ceux qui feront campagne pour le oui car
c'est à eux d'abord qu'il pensait à titre de camarades
engagés dans un même combat. J'ai bien dit "camarades", M. le
Président. A l'intérieur de la première règle, on
lit: La souveraineté-association est une formation concrète de
l'indépendance et non pas un prix de consolation pour une
indépendance qu'on jugerait impossible.
Voilà, M. le Président, des témoignages
convaincants concrétisés dans l'esprit de nombreux
péquistes, et non pas les moindres, à savoir que le but premier
de leur aspiration est l'indépendance complète du
Québec.
M. le Président, on accuse le système actuel d'être
responsable du taux de chômage au Québec. Est-ce à dire que
la souveraineté-association va garantir à tous les
Québécois le plein emploi, qu'il n'y aura plus de chômage
au Québec? Est-ce que la souveraineté-association va permettre
à ceux qui reçoivent actuellement de l'aide sociale et qui sont
aptes au travail de se trouver un emploi? Est-ce que la
souveraineté-association va garantir à tous les finissants des
polyvalentes, des CEGEP, des universités et à tous les jeunes qui
veulent travailler et qui ont besoin de travail, un emploi à la fin de
leurs études?
Une Voix: Répondez à cela! Répondez! (17 h
20)
M. Cordeau: M. le Président, plusieurs de nos amis d'en
face ne sont que des marchands d'illusions en ne faisant valoir que des aspects
négatifs du fédéralisme actuel. Je respecte ceux qui ont
assez de franchise pour s'exprimer librement et clairement. Par contre, je ne
peux respecter ceux qui, frauduleusement ou malhonnêtement, n'ont pas
assez de courage ou ont peur de demander aux Québécois et aux
Québécoises un mandat clair afin de réaliser
honnêtement leur option politique.
J'invite tous les citoyens du Québec qui ne croient pas à
l'indépendance politique à voter non à la question
présentement à l'étude car, ne vous y trompez pas,
celle-ci nous amène sûrement sur la route qui conduit à
l'indépendance. Chose certaine, le député de
Saint-Hyacinthe, à l'instar des collègues unionistes en cette
Chambre, dira non à la question telle que soumise à notre
attention.
En terminant, un mot sur l'attitude à adopter au cours de la
campagne référendaire. Je souhaite qu'on maintienne un ton
civilisé de discussion afin de respecter l'opinion d'autrui. N'oublions
pas que la période post-référendaire sera plus longue que
la période référendaire proprement dite. A nous de la
préparer pour qu'un dialogue serein et honnête puisse se
poursuivre, nonobstant le résultat du référendum. Je vous
remercie.
Le Vice-Président: M. le ministre de l'Education.
M. Jacques-Yvan Morin
M. Morin (Sauvé): M. le Président, il y a un
argument utilisé par le chef de l'Opposition dans son intervention, il y
a quelques minutes, que je ne puis vraiment pas laisser passer parce qu'il tend
à nier toute l'évolution constitutionnelle de plus d'une centaine
d'Etats depuis la dernière guerre. Il soutient, en somme, qu'il faudrait
d'abord être souverain pour ensuite négocier une association. Il
soutient qu'il faut divorcer pour ensuite se remarier, si je l'ai bien
compris.
Or, la réalité est tout autre. Je sais que cela ferait son
affaire si nous demandions aux Québécois de proclamer la
souveraineté ou l'indépendance de façon
unilatérale. Il sait bien qu'une question comme celle-là ne
serait pas très populaire. Mais ce n'est pas là notre projet. Le
projet du gouvernement, c'est vraiment la souveraineté et l'association
à la fois, dans un même temps, dans une même
négociation.
Ce que nous voulons, ce n'est pas, comme dit le chef de l'Opposition
et ce n'est guère possible juridiquement être
à la fois dans et en dehors du fédéralisme. C'est mal
poser la question et je m'étonne un peu, puisque j'ai eu l'occasion, il
y a quelques années, de fréquenter le chef de l'Opposition
à l'occasion de débats constitutionnels, d'entendre dans sa
bouche des arguments comme ceux-là. En somme, le chef de l'Opposition
nierait toute l'évolution du Commonwealth depuis un demi-siècle
et toute l'évolution des Etats devenus à la fois souverains et
associés depuis 25 ans. Il nierait toute l'histoire de la
décolonisation depuis 25 ans.
M. le Président, à l'intérieur du Commonwealth, les
Etats comme le Canada sont devenus souverains presque insensiblement et ils
sont restés associés à l'intérieur du Commonwealth.
C'est une démarche subtile; j'espère qu'elle n'échappe pas
au chef de l'Opposition. De plus, Mme la Présidente, la plupart des
Etats qui sont nés depuis un quart de siècle sont nés
à la fois souverains et associés. Ils ont négocié
en même temps, avec leur ancienne mère-patrie, la
souveraineté et l'association.
En somme, le chef de l'Opposition nous dit: II faut divorcer pour se
remarier. Nous disons: II faut aller chez le notaire et renégocier en
toute bonne foi. Il n'est pas nécessaire de divorcer.
Cependant, il nous faut un bon mandat pour allez chez le notaire!
La Vice-Présidente: M. le député de
Richelieu.
M. Maurice Martel
M. Martel: Mme la Présidente, il y a bientôt
quatorze ans, je faisais pour la première fois mon entrée dans
cette Assemblée, privilège que je partage de ce
côté-ci de la Chambre avec mon collègue de Saint-Jean,
ayant été élu en 1966 sous la bannière de l'Union
Nationale et réélu en 1976 avec le Parti québécois,
suite logique à l'engagement politique que nous avons pris à ce
moment-là.
Depuis ces nombreuses années, Mme la Présidente, je n'ai
pas trouvé une seule mesure gouvernementale qui corresponde à une
si grande attente des Québécois. En effet, pour la
première fois de leur histoire, les Québécois et
Québécoises auront à se prononcer sur un mandat à
donner à leur gouvernement d'aller négocier, comme un Etat
adulte, dans l'égalité, une nouvelle association avec le reste du
Canada. Depuis 40 ans, les hommes politiques québécois, bleus
comme rouges, essaient de faire valoir l'égalité de la nation
francophone avec la nation anglophone. Toutes ces démarches ont
démontré et cela, d'un bout à l'autre du Canada
que la constitution actuelle ne correspond pas à la
réalité canadienne, tant pour assurer l'épanouissement des
francophones que des anglophones.
Nous devons, devant l'échec de la fédération, la
remplacer par une constitution de notre temps, une constitution moderne qui
s'appelle une association entre deux Etats souverains. C'est une question
réaliste, une question de fait qui demande la prise de conscience
nationale des Québécois en ce tournant de leur histoire. La prise
de conscience nationale à laquelle j'avais auparavant eu l'honneur de
participer activement, au début des années soixante, à
l'université, constituait déjà un épanouissement
logique de l'environnement culturel de mon enfance vécue dans cette
vallée du Richelieu, berceau des patriotes. Et c'est d'ailleurs avec
beaucoup de fierté, mais surtout avec grand espoir que tous les
Québécois et Québécoises de la continuité et
de la persévérance que nous sommes ne pourront aujourd'hui
oublier le sens de l'histoire qui a fait que notre peuple a grandi et a
mûri.
Aussi, en cette veillée d'armes symbolique de notre victoire
collective nationale, je voudrais leur rappeler toute l'admiration et la
gratitude que résume encore mieux que tout notre devise nationale si
pertinente: Je me souviens. Cette continuité nationale, sociale,
culturelle, linguistique, même religieuse, qui s'est également
enrichie de nombreux apports ethniques au cours de ces deux siècles de
domination et d'asservissement parfois, n'a-t-elle trouvé de meilleure
synthèse du moment, alors que la seule formation politique reconnue de
l'époque, entièrement québécoise, s'est clairement
prononcée pour l'égalité de notre peuple ou, à
défaut, son indépendance.
L'attrait irrésistible d'une telle orientation du premier parti
québécois émanant surtout d'un si grand homme d'Etat,
Daniel Johnson, se doublait d'une urgence à souscrire prioritairement
à toute poursuite, même méritoire, des paramètres
socio-économiques dominant la révolution tranquille d'alors dont
notre actuel premier ministre était la cheville ouvrière.
C'était d'ajouter "Le Québec d'abord" de l'Union Nationale au
"Maîtres chez nous" du Parti libéral. Le caractère brutal,
oppressif d'octobre 1970, on se le rappellera, de la répression qui a
suivi les derniers espoirs de changements profonds qui s'éteignaient
visiblement avec le régime Pearson, rend aujourd'hui prémonitoire
le choix que beaucoup d'entre nous ont effectué à cette
époque, ou en 1967 et par la suite, cette convergence historique qui
témoignait déjà du caractère fondamentalement non
partisan, ou encore multipartisan selon le sens, de nos démarches, de
nos réflexions et de nos cheminements individuels, saura encore, j'en
suis persuadé, entraîner l'adhésion de ceux qui ont le
courage et la capacité intellectuelle de se dégager d'un
colonialisme dépassé ou de la partisanerie aveugle. (17 h 30)
Voilà pourquoi, amis de l'Union Nationale, vous qui avez un
passé et qui, sans doute, voulez avoir un avenir prometteur, devez,
à l'image du député de Lotbinière,
réfléchir aux valeurs qui ont été celles d'un grand
parti et dont l'actuel chef intérimaire devrait se faire le devoir, ne
serait-ce qu'en pensant au grand chanoine Groulx, qui fut comme lui, homme
d'Eglise et homme politique, de se rallier à cette voie nationale
à laquelle nous ne saurons échapper. La question formulée
par l'Union Nationale de Daniel Johnson il y a bientôt quatorze ans ne
saurait être éternelle, pas plus d'ailleurs que le poste de chef
intérimaire de l'Union Nationale. Le député de
Gaspé devrait se le rappeler. Cette question mérite une
réponse et cette réponse n'est pas la séparation, mais
l'égalité, et cette égalité s'appelle
souveraineté-association. Ce sont les termes mêmes qu'emploie la
motion à l'étude.
Voilà pourquoi je ne pourrai souscrire évidemment à
l'amendement de l'Union Nationale, qui trompe la population en voulant lui
faire croire que le gouvernement préconise la séparation alors,
qu'elle omet d'ajouter ce mot qu'emploie la présente motion et qui est
"égalité", qu'on y retrouve d'ailleurs en toutes lettres. Je le
répète et je lis quelques lignes de la motion qu'on y soumet: "Le
gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en
arriver avec le reste du Canada à une nouvelle entente fondée sur
le principe de l'égalité des peuples." Cette
égalité, Mme la Présidente, prend tout son sens avec le
mot "association". On est égal à quelqu'un, on est
égal
à quelque chose. C'est un lieu commun de redire encore que les
motifs qui animaient à l'époque mon entrée au service de
mes concitoyens de Richelieu comme ceux qui guidaient le groupe politique
auquel je fus associé se retrouvent en substance comme en
synthèse dans l'énoncé de la question qui fait l'objet de
la motion présentement à l'étude.
Le député de Saint-Louis, l'autre jour, en mentionnant que
toutes les particules et même les partis, évidemment, se
trouvaient de ce côté-là de la Chambre, avait sans doute
à l'esprit le nombre de chefs qui caractérise leur dissension
plutôt que la véritable unité dans la diversité des
idées et des hommes qui constitue, de ce côté-ci de la
Chambre, la véritable unité des Québécois à
laquelle encore, tout récemment, se ralliait le dernier chef de l'Union
Nationale, le député de Lotbinière, comme d'ailleurs
Maurice Duplessis, en 1936, a rallié en une seule formation
libéraux nationalistes et conservateurs québécois. Oui, de
ce côté-ci de la Chambre, c'est la cohérence de
l'unité alors que, de l'autre côté, c'est la mosaïque
de la dissension et surtout de la partisanerie, comme l'expliquait d'ailleurs
si bien le député de Rouyn-Noranda lorsqu'il faisait son
éloge funèbre au premier comité du non appelé
Pro-Canada.
Ici, Mme la Présidente, c'est l'unité des forces vives de
tous les Québécois et Québécoises. Quelle
tristesse, par contre, d'entendre le chef du non, au nom de sa loyale
Opposition à Sa Majesté, définir aussi son rôle en
un moment aussi solennel en fonction du rendement qu'il se croit astreint de
donner évidemment en retour des émoluments qu'il recevrait
à cette seule fin des contribuables qu'il serait probablement incapable,
comme il l'admet lui-même, de représenter souverainement!
C'est tout à fait normal de voir le chef de l'Opposition
officielle se débattre comme un diable dans l'eau bénite,
lorsqu'on sait d'avance pour employer votre terme qu'il a dit non
d'avance et avant de connaître la question. C'est normal qu'il essaie
d'en changer les mots pour donner un sens à la réponse qu'il a
déjà donnée.
J'espère, Mme la Présidente, que de nombreux
libéraux, comme il en sera d'ailleurs des unionistes et des
créditistes pour lesquels j'ai beaucoup de respect, n'entendent pas se
défiler de leurs obligations morales en accordant au Québec le
mandat qu'il sollicite. Pourtant, l'équilibre, le bon sens qui se
dégagent des propositions de négociations et rien d'autre
sur lesquelles les citoyens sauront se prononcer en faisant appel autant
à leur coeur qu'à leur raison devraient toucher également
les apprentis sorciers de l'économique dans lesquels on retrouve
facilement le déguisement dans lequel se cachent plusieurs de nos
opposants.
Dans le régime fédéral, par exemple, mes
commettants de Richelieu, d'après ces pseudoéconomistes, seraient
surtout avantagés des paiements de transfert ou encore des
bénéfices de la péréquation, mot savant qui
n'arrive même plus à cacher le versement de prestations
d'assurance-chômage, ou encore des seuls projets Canada de tout poil ou
de tout crin, d'un temporaire et d'un saisonnier à faire peur, à
faire pleurer même. Voilà que la dernière contrepartie, la
construction des bateaux, s'en va rejoindre en Ontario, bien sûr, celle
des autos, comme le soulignait mon collègue, le ministre d'Etat au
Développement économique, dans sa réponse à une
question que je lui posais dans cette Chambre il y a quelques mois.
En effet, on constate que, sur un montant de $195 millions que le
gouvernement fédéral a octroyé à des chantiers
maritimes canadiens au cours des cinq dernières années, seulement
$221 000 l'ont été à des chantiers
québécois; même pas 0,01% pour nos ouvriers
québécois. Si c'est cela le fédéralisme
renouvelé pour nos travailleurs de nos chantiers maritimes
québécois, notre réponse est: Non, merci à ce
fédéralisme. Attendrons-nous que cette continuité
néfaste nous force aussi à donner à ce pouvoir spoliateur
une Hydro-Canada dont il s'emparerait sans doute d'une façon très
avide dès que seraient asséchés, à son
égoïste profit, tous les puits de l'Alberta? A moins, comme le
suggérait le prédécesseur du chef de l'Opposition
officielle, que l'on en ait déjà disposé,
libéralement bien sûr, envers nos voisins du sud pour une
poignée de dollars, l'autre poignée nous étant
vissée dans le dos en permanence.
Non, M. le Président. C'est cependant la dernière fois que
j'emploie ce mot. Ce type de continuité des quelques moments malheureux
de notre histoire nationale à l'époque des
libéralités du régime Godbout, par exemple, envers le
pouvoir fédéral qui, lui non plus, ne se sentait pas lié
par la réponse québécoise à son
référendum sur la conscription de 1942, ce type de
continuité, dis-je, à cette époque-là, a
été définitivement interrompu par la reprise en main de
nos instruments économiques sous Jean Lesage et de nos revendications
historiques constitutionnelles sous Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand
jusqu'à nos jours.
En cela, il est aisé de suivre la continuité de nos
prédécesseurs, Alexandre Taschereau, Honoré Mercier
pour ne mentionner que ceux-là qui se sont montrés dignes
et dont les racines profondes rejoignent le patriotisme de nos pères et
la tenacité des ancêtres qui, eux, ont refusé ce que l'on
veut encore nous imposer aujourd'hui au lieu de l'association d'égal
à égal à laquelle, en toute solidarité historique,
je vous indique souscrire autant de coeur que de raison. (17 h 40)
M. Alfred: Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: M. le député de Verdun.
Je reconnaîtrai ensuite M. le député de Papineau.
M. Lucien Caron
M. Caron: Mme la Présidente, permettez-moi, au
début de ce discours, d'exprimer mon sentiment de grand respect pour
tous les députés qui interviennent dans ce débat au nom de
leurs convictions profondes. Cependant, je ne peux oublier la promesse formelle
du Parti québécois, lors des
élections de 1976, de poser la seule, la vraie question au moment
du référendum: La question, disaient les candidats
péquistes, portera sur l'indépendance, la séparation et la
souveraineté.
Nous avons attendu trois ans avant que ce gouvernement péquiste
nous fasse connaître la question. L'astuce, la ruse et le
stratagème du Parti québécois et de ce gouvernement ont
été finalement dévoilés. Le chef du Parti
libéral du Québec, M. Claude Ryan, le 20 décembre dernier,
a clairement indiqué que la question visait à procurer au
gouvernement, par des voies détournées, un mandat qui lui
permettrait d'entraîner le Québec sur la voie de la
séparation.
Je n'ai plus le choix, Mme la Présidente; je dois, en tant que
député de Verdun, dire à la population que, pour la
première fois dans son histoire, le Canada risque de ne plus être
le Canada. Car au-delà des pièges de la question que veut poser
ce gouvernement au référendum, c'est bel et bien la destruction
du Canada qui est en cause et ce, malgré la ruse et l'astuce dont font
montre les députés péquistes depuis quelques jours.
Remercions, ici, le député péquiste de
Deux-Montagnes, M. Pierre de Bellefeuille, de son honnêteté
intellectuelle. Espérons qu'il gardera cette attitude pendant ce
débat et que ses collègues péquistes l'imiteront. Le
journal Le Soleil du 9 février dernier, nous rapporte la
déclaration suivante du député de Bellefeuille, Mme la
Présidente: Une victoire du oui au référendum
québécois sera interprétée par le Parti
québécois comme une approbation du principe de la
souveraineté-association; ne nous cachons rien, c'est
l'indépendance. Mme la Présidente, ce sont les gens d'en face qui
écrivent cela.
Les propos de ce député péquiste sont courts et
clairs. Certains collègues de ce député ont bien
crié que leur référendum ne veut pas briser le Canada.
C'est pourtant exactement vers la rupture que la stratégie par
étapes du Parti québécois nous entraîne.
C'est pourquoi, Mme la Présidente, le chef du Parti
libéral du Québec, M. Claude Ryan, a déposé un
amendement à la question au début de ses interventions. Nous, du
Parti libéral, voulons que la question soit claire, précise,
franche et honnête. Pour une fois, depuis trois ans, que ce gouvernement
ne mette pas son masque, que ce gouvernement soit franc, que ce gouvernement
pose la vraie question, l'unique question: Etes-vous, oui ou non, en faveur de
la souveraineté politique du Québec?
Mme la Présidente, il n'y a pas d'autre question; quel que soit
l'emballage dont se servira ce gouvernement de slogans, la population saura
voir clair. Nous, du Parti libéral du Québec, nous chargerons de
dire la vérité à la population du Québec. Au nom de
la majorité de la population du comté de Verdun, une population
formée d'honnêtes travailleurs tant francophones qu'anglophones,
je viens dire à ce gouvernement pourquoi des milliers de citoyens de
Verdun et moi-même écrirons un non québécois sur le
bulletin de vote.
Ces milliers de citoyens de Verdun, du Québec, diront un non
québécois parce qu'ils veulent garder leurs droits de
copropriété sur le territoire canadien, parce qu'ils veulent
conserver leur juste part des richesses naturelles et
énergétiques du Canada, parce qu'ils veulent avoir des
représentants au Parlement fédéral pour défendre
leurs intérêts, parce qu'ils ont trop travaillé pour
abandonner leur droit d'aînesse des richesses sur leur territoire, parce
qu'ils veulent maintenir le système de la vraie justice sociale qui
permet un meilleur partage de notre richesse entre tous les Canadiens, parce
qu'ils apprécient le niveau élevé de liberté, de
prospérité économique et de bien-être que leur offre
la chance d'être Canadiens, parce qu'ils désirent garder leur
citoyenneté canadienne et leur passeport canadien, parce qu'ils veulent
participer aux promesses d'avenir de leur pays, parce qu'ils refusent de se
replier sur eux-mêmes et aussi parce qu'ils aiment trop le Québec
et le Canada.
Madam Speaker, thousands of citizens from Verdun and myself will say no
because we want to keep our Canadian citizenship and our Canadian passport,
because we want to participate in the promising future of our country, because
we refuse to retire inside of ourselves and also because we love our province
and our country.
A l'instar de milliers de Verdunois, Mme la Présidente, mon non
est Québécois. Je sais que tout n'est pas partait et que des
changements raisonnables doivent être apportés à notre
constitution pour permettre aux Québécois de continuer à
s'épanouir dans un climat de solidarité et de liberté dans
un régime fédéral canadien renouvelé, et c'est
possible.
Mon non est Québécois et j'opte pour la forme d'avenir la
plus riche qui puisse être offerte au peuple québécois: le
fédéralisme. Mon choix, je le fais avec le même patriotisme
et la même foi aux valeurs démocratiques que mes adversaires d'en
face. Mon non, comme celui de milliers de citoyens de mon comté,
signifie un non à la séparation du Québec, un non au
projet de cassure et un oui au projet de changement mis de l'avant par les
forces fédéralistes.
Certains prétendent que dire non au référendum
c'est se déshonorer devant l'histoire et limiter nos pouvoirs de
négociation. Je crois que cet argument dénote un manque
déplorable de respect pour l'intelligence de notre peuple. Je ne vois
pas comment, en votant oui au référendum, les
Québécois gagneraient en force de négociation. Au
contraire, ils perdraient une part importante de leur crédibilité
et de l'estime de leurs compatriotes canadiens. On n'arrive jamais à
rien en utilisant le langage du chantage, du bluff et de la confrontation. En
1980, Mme le Présidente, comprendre le Canada, comprendre le
fédéralisme et les défis qu'il offre, c'est cesser d'avoir
peur et, comme conséquence, de se replier presque mécaniquement
sur soi. C'est son désir de liberté et d'égalité
dans une nouvelle identité canadienne basée sur l'accès
enrichissant des deux grandes civilisations française et anglaise et sur
l'ouverture de plus vastes possibilités d'action sur la scène
mondiale. En 1980, comprendre le Canada, comprendre le
fédéralisme, c'est ouvrir nos horizons à la gran-
deur de ce grand pays qui nous appartient et dont nous pouvons faire une
réussite remarquable dans l'histoire du peuple.
Mme la Présidente, si, naturellement, de ce côté-ci,
nous avions eu le même temps que nos amis d'en face, j'en aurais eu
beaucoup plus à dire, non seulement pour les gens de Verdun, mais pour
l'ensemble du Québec. En terminant, Mme la Présidente, j'aime
trop le Québec et le Canada, mon non est québécois. (17 h
50)
Mme la Présidente: M. le député de
Papineau.
M. Jean Alfred
M. Alfred: Mme la Présidente, le 22 décembre 1979,
comme nous l'avons promis, nous avons porté à l'attention de la
population la question qui précise la nouvelle entente entre le
Québec et le Canada. Cette question se lit comme suit: Le gouvernement
du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver avec le
reste du Canada à une nouvelle entente fondée sur le principe de
l'égalité des peuples. Cette entente permettrait au Québec
d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses
impôts et d'établir ses relations extérieures. C'est
ça la souveraineté. Et en même temps, il ne faut pas
l'oublier, en même temps, concurremment, de maintenir avec le Canada une
association économique comportant l'utilisation de la même
monnaie. Tout changement de statut politique résultant de ces
négociations sera soumis à la population par
référendum. En conséquence, accordez-vous ou non au
gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente
proposée entre le Québec et le Canada?
Cette question, par son contenu et au moment même où elle
est posée, revêt un caractère historique. C'est un
rendez-vous avec l'histoire, avec cette histoire que Jean Alfred, après
onze ans au Québec, fait sienne. C'est un rendez-vous avec l'histoire,
avec notre histoire, et qu'il ne faudrait pas manquer car, à la
différence des événements heureux et malheureux qui ont
jalonné notre passé et dont nos prédécesseurs ont
été les témoins plus que les acteurs, nous avons cette
fois l'occasion première et inespérée de forger le cours
de notre destinée collective parce que nous en deviendrons les
véritables artisans.
Comme tous les grands historiens, je ne crois pas à la
génération spontanée. C'est la raison pour laquelle je
rends hommage à tous ceux qui ont contribué à conserver
l'originalité du peuple québécois. Dois-je citer, Mme la
Présidente, Mercier, Duplessis, Lesage, Johnson et même Bourassa
qui, en 1971, a refusé, au nom de tous les Québécois, la
charte de Victoria?
Le référendum se situe non seulement dans la
continuité de l'histoire mais il est l'aboutissement logique du
cheminement du vécu des Québécois. Je ne crois pas que les
Québécois passeraient à côté de cette chance
unique qui nous est offerte. Je ne le crois pas. Dans sa prise en main par
nous-mêmes, c'est notre avenir collectif que nous allons jouer comme
peuple, sans distinction de race ni d'ethnie. Nous sommes tous des
Québécois, que nous soyons d'origine haïtienne, britannique,
française, italienne, grecque, portugaise, belge et j'en passe.
D'ailleurs, la politique du gouvernement du Québec en
matière d'immigration a consisté essentiellement à
démontrer à tous les Québécois, quelle que soit
leur origine et j'ai travaillé là-dedans pour affirmer ce
que je dis qu'il n'y a pas de distinction entre les
Québécois de nouvelle souche et les Québécois qui
sont nés ici.
Nous faisons tous partie de ces six millions de Québécois
qui vivent au Québec, vivant dans ce coin de terre par la naissance ou
par choix délibéré, et le député de Papineau
l'a fait par choix délibéré. Dès lors, nous
devenons solidaires les uns des autres parce que c'est notre avenir à
tous, aux six millions de Québécois, qui est en jeu.
C'est un bien grand honneur que m'ont fait les électrices et les
électeurs du comté de Papineau en m'élisant à
l'Assemblée nationale. Je vous le dis, Mme la Présidente, avec
beaucoup d'émotion. C'est un grand honneur que m'ont
conféré les électrices et les électeurs du
comté de Papineau en m'élisant à l'Assemblée
nationale du Québec et je voudrais souligner précisément
cette solidarité exemplaire qui fait que je les représente ici.
Je les remercie très sincèrement de la confiance qu'ils ont mise
en moi, de la confiance qu'ils m'ont témoignée et que je me suis
efforcé, tant bien que mal, de mériter. La solidarité de
mes électrices et de mes électeurs est exemplaire car elle a
permis, pour la première fois dans notre histoire, l'élection non
seulement d'un Québécois de nouvelle souche après
seulement l'intégration à la communauté
québécoise, mais, je le répète, d'un
Québécois qui n'est pas de race blanche.
C'est une preuve que les Québécois sont ouverts aux
communautés qui veulent cohabiter au Québec avec eux. Je remercie
toutes les Québécoises et tous les Québécois qui
m'ont accueilli et qui m'ont permis de prendre part à ce grand
débat national. Quelle fierté pour Jean Alfred! Quelle
émotion, quel enthousiasme, mais aussi quelle fierté!
Si je suis ce que je suis aujourd'hui je vais vous dire pourquoi
je le dois à un Québécois de Dolbeau, au
Lac-Saint-Jean, M. Richard Veilleux, frère de l'Instruction
chrétienne. C'est grâce au dévouement et à la
générosité de ce Québécois que ma famille a
reçu l'aide et l'assistance dont elle avait besoin et que j'ai pu faire
mes études en Haïti. M. Richard Veilleux et sa communauté
m'ont en effet pris en charge dès ma quatrième année
d'études très tôt.
C'était un Québécois. C'est avec beaucoup
d'affection et de reconnaissance que je témoigne aujourd'hui ma
gratitude à tous ceux dont je suis redevable de quelque chose, à
ce religieux du Québec surtout, qui porta en terre haïtienne le don
de soi et, à travers lui, le message d'accueil et d'amour de tout ce
peuple qui m'a accueilli. (18 heures)
C'est regrettable que la mort prématurée de ce
Québécois de Dolbeau l'empêche aujourd'hui
de partager avec moi ce débat politique. Je suis heureux de
donner aux Québécois et aux Québécoises mon temps
et mes énergies en retour de ce qui m'a été donné
par les jeunes qui furent mes élèves ici au Québec et,
ensuite, par toutes les familles québécoises qui m'ont accueilli
comme leur fils, dès mon arrivée au Québec.
Permettez-moi, s'il vous plaît, de citer ces familles
québécoises de l'Outaouais qui m'ont accueilli comme leur fils,
les Gauthier, les Maisonneuve, les Saint-Jean, les Charbonneau, les Charette,
les Desjardins, les Favreau, et j'en passe, toutes ces familles
québécoises qui m'ont accueilli comme Québécois et
qui m'ont élu pour les représenter ici après sept ans
seulement de partage avec elles.
Cela démontre que les Québécois et les
Québécoises acceptent d'emblée les Québécois
de nouvelle souche qui, d'une part, les respectent et qui, d'autre part, vivent
avec eux et partagent leurs aspirations les plus fondamentales. C'est avec des
Québécois et des Québécoises de cette trempe, c'est
avec ces groupes solidaires de notre avenir, c'est avec des citoyens
engagés, parce que responsables, c'est avec toute cette
collectivité que nous nous embarquons maintenant pour notre avenir.
J'adresse maintenant un vibrant appel aux citoyens de la région
de l'Outaouais, où je suis depuis onze ans, pour qu'ils examinent
sérieusement le livre blanc qui fait état de la proposition
gouvernementale du Québec pour une nouvelle entente d'égal
à égal se concrétisant dans la
souveraineté-association. Cette proposition contient tous les
éléments d'un projet d'association qui serait souple et sur une
base d'égalité réciproque. La
souveraineté-association assure et cela est très important
pour la population de l'Outaouais la libre circulation des biens et des
services, la libre circulation des investissements, la libre circulation des
marchandises, c'est-à-dire qu'au lendemain de la réponse positive
les citoyens de l'Outaouais pourront continuer à aller, bien sûr
à y acheter, s'ils le veulent à Ottawa sans
problème, quoi qu'en disent les adversaires. Ceci, dès le
lendemain, parce que ce que nous demandons, c'est un mandat pour aller
négocier; ce n'est pas un mandat pour réaliser quelque chose le
lendemain, c'est un mandat pour aller négocier avec eux cette
souveraineté-association.
Dire oui, c'est faire un choix majeur. Le député de
Papineau dit oui. Dire oui, c'est faire le pas pour mettre fin à cette
distorsion entre les deux peuples. Je l'ai vu et vécu depuis douze ans.
La souveraineté-association, je ne continuerai pas, vous l'avez dans le
livre blanc, et j'invite toutes les Québécoises et tous les
Québécois de l'Outaouais québécois, tous les
Québécois du Québec à le lire, à le
comprendre et à dire et avoir des yeux... depuis 1968 nous avons
travaillé bien sûr pour arriver à cette
égalité, parce que moi j'aime cela, égal aux autres. Je
souhaite que le jour "R", tous ensemble, Québécoises et
Québécois, jeunes, moins jeunes, troisième âge, nous
allons tous, bien sûr, nous donner ce mandat que nous demandons d'aller
négocier d'égal à égal cette fois avec les autres.
Québécoises et Québécois, je crois dans ce oui et
je suis sûr que vous allez nous donner ce oui.
Merci, Québécois, merci pour tout ce que vous avez fait
pour Jean Alfred, député de Papineau. Merci pour ce que vous avez
fait pour lui en Haïti et merci pour ce que vous avez fait pour lui en
arrivant ici.
Québécoises et Québécois, Jean Alfred,
député de Papineau, ne peut que vous remercier. Merci.
La Vice-Présidente: M. le ministre d'Etat à
l'Aménagement du territoire.
M. Léonard: Je demande l'ajournement, Mme la
Présidente.
La Vice-Présidente: Cette Assemblée suspend ses
travaux jusqu'à 20 heures.
Suspension de la séance à 18 h 7
Reprise de la séance à 20 h 7
Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!
Veuillez vous asseoir.
M. le ministre d'Etat à l'Aménagement.
M. Jacques Léonard
M. Léonard: M. le Président, pour qu'on voie mieux
l'avenir du Québec, je veux rappeler une page de notre histoire et l'on
admettra d'autant mieux le sens et la pertinence de la question que nous
débattons aujourd'hui. J'évoquerai les discussions et les jeux de
coulisse auxquels se sont prêtés les hommes politiques du Canada
en 1864 jusqu'à ce que la reine Victoria d'Angleterre proclame notre
Confédération actuelle, de son vrai nom The British North America
Act.
A l'époque, le Canada-Uni avait une dette publique de $75
millions qui lui venait majoritairement du Haut-Canada. Les compagnies de
chemin de fer où on retrouve peu de francophones avaient, à
l'égard du gouvernement, $20 millions de dettes en souffrance. Le
commerce anglophone n'allait pas et les provinces maritimes, anglophones aussi,
n'allaient pas non plus. Les colonies britanniques de l'Amérique s'en
allaient donc vers la faillite et les gouvernements se succédaient au
rythme de un par année. Il fallait consolider au plus vite les dettes et
ouvrir les marchés aux usines du Haut-Canada, l'Ontario d'aujourd'hui.
Pour cela, il fallait rassembler les colonies sous un gouvernement qui aurait
tous les pouvoirs sur les revenus et le commerce.
Le Canada francophone n'avait pas d'intérêt
là-dedans. Tout ce plan d'unification, c'est le tra-
vail pressé d'un petit groupe de politiciens et d'hommes
d'affaires plus britanniques que canadiens qui doivent se sortir de l'impasse.
On se réunit à Charlottetown puis à Québec. On en
arrive à un compromis. On l'envoie à Londres qui s'assure de n'y
voir aucun sentiment patriotique, mais qui s'assure surtout qu'on relie au plus
vite les Maritimes au Haut-Canada par chemin de fer.
Il n'est pas question de peuple, ni de nation dans le document
signé, par la reine Victoria. Pourtant, au Québec, il y a
méprise. La démarche n'a pas été claire. Les
journaux francophones de l'époque, comme Le Canadien et La Minerve,
parlent "d'Etats souverains déléguant une partie de leurs droits
et de leurs pouvoirs à un gouvernement central". (20 h 10)
Le British North America Act fut, en fait, un compromis terre à
terre discuté, échafaudé, remanié et
négocié bien commode que se sont passé entre eux un petit
groupe de politiciens et d'hommes d'affaires pour régler les
problèmes financiers qu'ils jugeaient préoccupants au Canada.
C'est sur cet immense malentendu qu'est née la
Confédération d'aujourd'hui, et j'ai cru important de le
rappeler. C'est la raison pour laquelle Macdonald a toujours refusé de
consulter nos ancêtres québécois.
Je retrouve, malheureusement, aujourd'hui les mêmes attitudes et
la même démarche, 113 ans plus tard, non plus chez Georges-Etienne
Cartier, mais chez Claude Ryan. Ce politicien a concocté en quelques
mois un autre compromis pour le Canada, avec quelques autres politiciens avec
qui il n'avait pas trop de divergences, avec quelques juristes du
Québec, avec une clique qui aura toujours à l'oeil les
désirs, les diktats et les urgences de la finance anglo-canadienne.
Avant même d'en faire connaître la teneur aux
Québécois ou tout au moins à ceux qui l'ont élu
dans Argenteuil, M. Ryan est passé par sa priorité, normale pour
lui. Il a vu les Lougheed et les Davis bien avant le 10 janvier dernier, moment
où il nous a fait connaître son livre beige. Il y avait
sûrement à Toronto des désirs plus importants à
combler qu'au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et à Québec.
Qu'est-ce que M. Ryan pense faire de son livre? Comme Georges-Etienne Cartier,
il dit: Faites-moi confiance, élisez-moi, je n'ai pas besoin de mandat.
M. Ryan ne dit pas qu'il faut demander au Québec ce qu'il pense d'un tel
projet. Il nous dit: Mes amis à Calgary m'ont dit qu'ils aimaient
bien.
Je crois, M. le Président qu'avec une telle démarche, qui,
j'en conviens, est tristement fidèle à notre histoire en ce
qu'elle ressemble à celle de Macdonald, nous avons toutes les chances du
monde d'en arriver à un autre grave malentendu historique. Ce que ne dit
pas M. Ryan, c'est qu'il veut retricoter le même vieux compromis que
Macdonald a déjà réussi à faire avaler au
Québec qui en est d'ailleurs malade depuis. C'est ce même
Macdonald qui a écrit dans ses mémoires: "Eussions-nous
déclaré la question ouverte, le Québec se serait
levé comme un seul homme et adieu la Confédération!
Ce que le gouvernement, M. le Président, propose, c'est d'ouvrir
la question à toute la population du Québec, n'en déplaise
à M. Macdonald dans sa tombe et n'en déplaise à M. Ryan
sur son siège.
Par cette question, notre démarche est claire. La population y
est associée et connaît déjà les étapes et la
direction des négociations. Notre démarche est si simple que le
chef du non feint de ne pas la comprendre. L'esprit partisan l'aveugle comme le
désir du pouvoir. Mais les Québécois, eux, l'ont
déjà comprise.
Une première étape, le premier référendum
maintenant. Il faut d'abord établir le principe qu'on négociera,
un peuple avec un autre peuple, d'égal à égal. C'est
là le cadre des négociations. Quant au mandat, à la
mission qui est sollicitée aujourd'hui, en 1980, par le gouvernement,
dans la question que nous étudions, c'est de négocier une
nouvelle entente, pour la première fois, avec le reste du Canada.
Une deuxième étape, les négociations. C'est la
démarche en plein jour, devant tous les Québécois, jour
après jour, du gouvernement du Québec qui veut en arriver
à une entente d'égalité harmonieuse, simple et efficace,
négociée avec le reste du Canada.
Comment le gouvernement compte-t-il assurer cette égalité?
Quelle orientation le gouvernement veut-il donner aux négociations pour
assurer cette égalité? Le texte de la question est clair
là-dessus. "Cette entente permettrait au Québec d'acquérir
le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et
d'établir ses relations extérieures, ce qui est la
souveraineté et, en même temps, de maintenir avec le Canada
une association économique comportant l'utilisation de la même
monnaie." Voilà la direction que veut donner le gouvernement aux
négociations ouvertes et claires qu'il propose aux
Québécois.
Ensuite, la troisième étape. Le gouvernement s'engage
à présenter, noir sur blanc, lors du deuxième
référendum, le bilan des négociations. Avec cet
engagement, aucun changement de statut politique n'est possible avant le second
référendum. Cette démarche demande la participation des
Québécois et je demande à tous les Québécois
de comparer notre démarche à celle du chef du non. Si on avait
suivi cette démarche aussi démocratique et aussi respectueuse du
citoyen en 1864-1867, tout le Québec aurait pu suivre toutes les
étapes de la création de la fédération, et tout le
Québec aurait pu dire oui ou non, un jour. Mais non, Mercier, premier
ministre du Québec, convoque la première conférence
fédérale-provinciale pour changer la loi de 1867, Macdonald
décline l'invitation. Aucun résultat. Et ce n'était
là que le début d'une série de refus que tous les premiers
ministres du Québec vont devoir essuyer par la suite.
A ceux qui demanderont pourquoi nous devons aujourd'hui faire cette
démarche, je rappellerai tous les échecs et les insuccès
de nos gouvernements depuis 100 ans lorsqu'ils ont voulu négocier,
à un contre quatre, à un contre sept, à un
contre dix, morceau par morceau, des changements aux pouvoirs politiques
et économiques de 1867. Sans mandat, ils n'ont obtenu que des miettes en
100 ans d'efforts. Je les ramènerai au constat qu'ont fait toutes les
commissions royales d'enquête, pourtant créées par Ottawa,
et qui recommandent à tout coup l'égalité entre les deux
peuples.
C'est toujours la même éternelle conclusion:
l'égalité entre deux groupes majoritaires. Il faudra bien un jour
y arriver dans la réalité et le seul outil qui nous soit possible
et démocratique pour faire débloquer la discussion, c'est un oui
au référendum du printemps, d'autant plus qu'il y a consensus,
qu'il y a même unanimité, tant dans la population que chez tous
les hommes politiques du Canada, sur l'urgence de revoir le compromis à
l'origine du Canada actuel. Cet itinéraire, avec ses trois
étapes, assure plus de liberté, plus de transparence et plus de
participation, M. le Président.
Vont-ils négocier? Je réponds oui, comme bien d'autres.
David Crombie, ex-maire de Toronto, a déjà répondu en
janvier 1979: Refuser de négocier serait tout à fait stupide,
dit-il. M. Clark, alors premier ministre, sur les ondes de Radio-Québec,
le 10 septembre dernier, disait: Oui ou non, je serai là pour
négocier. Même M. Trudeau qui est aujourd'hui de retour l'a
avoué: Quelqu'un devra s'asseoir et négocier avec eux, a-t-il
dit. Quant à moi, j'ai mon idée là-dessus.
Au lendemain du 15 novembre 1976, j'ai été chargé
par le gouvernement du Québec de négocier les ententes
Québec-Canada avec le ministre fédéral de l'Expansion
économique régionale. Qu'on se rappelle que, durant toute la
campagne électorale précédente et encore le 17 novembre
1976, ce ministre s'était laissé aller à dire qu'il ne
négocierait plus avec le Québec. Qu'on se le rappelle. Je ne sais
si c'est parce que le Québec avait parlé fort et qu'il avait
voulu un rapport de forces plus vigoureux avec Ottawa, mais ce ministre a
signé avec le Québec le triple je dis bien le triple
des ententes qu'il avait consenties au gouvernement Bourassa. Tirez-en
vos propres conclusions.
En fait, il y a une volonté réelle de négocier au
Canada anglais et je citerai là-dessus une enquête faite par la
York University de Toronto où, à part d'autres statistiques plus
élevées, 59% de la population du Canada anglais affirment que le
Canada devrait être prêt à négocier un accord
économique si le Québec décidait d'être
souverain.
D'ailleurs, M. le Président, soyons réalistes, le Canada
et le Québec ont tous deux des marchés et des emplois à
conserver, des ressources à partager; 75% du boeuf que nous mangeons
proviennent des Prairies; l'Ontario nous expédie pour près de $5
milliards de produits, ce qui implique 200 000 emplois; nous exportons dans le
reste du Canada, et, comme les Canadiens, nous tenons à ce que ces
échanges continuent.
Ce sont les mêmes entreprises qui financent le non qui,
après le oui au référendum, seront les premières
à pousser les négociations d'une union économique
Québec-Canada, à pousser pour que ça se fasse rapidement,
proprement, rondement, à pousser pour que la nouvelle entente soit enfin
une véritable garantie de stabilité. Ces entreprises savent que
plus de 70 pays parmi les plus industrialisés du monde, gros comme
l'Allemagne, petits comme la Norvège, ont fait de telles ententes avec
leurs voisins. Donc, M. le Président, par un premier
référendum, les Québécois nous donneront leur appui
pour aller discuter, négocier d'égal à égal avec le
reste du Canada. Devant tous les Québécois, nous discuterons
quelques mois, nous tirerons les différentes lignes de l'entente, les
règlements pour l'application de l'entente, et nous déterminerons
les changements réalistes, conséquents et nécessaires au
nouveau statut politique envisagé. (20 h 20)
Ces changements seront alors soumis à un deuxième
référendum avant de pouvoir prendre effet dans la
réalité de tous les jours. M. le Président, c'est à
partir de ce moment que le gouvernement du Québec sera seul à
faire des lois, seul à percevoir des impôts. Ce n'est qu'à
ce moment que les pensions de vieillesse, les allocations familiales et tous
les paiements de cette nature viendront du Québec. Ce n'est aussi
qu'après ce deuxième référendum que nous pourrons
envisager le développement du Québec tout entier et celui de
chacune de nos régions selon nos aptitudes, nos goûts, notre
imagination, sans recourir à deux équipes de fonctionnaires qui
s'enfargent l'une dans l'autre, sans recourir à deux équipes de
politiciens qui, trop souvent, doivent surveiller leurs intérêts
partisans avant celui du Québec. Fini de quémander notre argent
à Ottawa pour construire un centre de congrès à
Montréal; fini de quémander notre argent à Ottawa pour
ouvrir une papeterie à Amos ou dans la Matapédia ou pour
exploiter le sel des Iles-de-la-Madeleine. Nous sommes assez grands pour
organiser notre territoire nous-mêmes, selon nos goûts, selon nos
priorités.
Un oui au référendum permettra aux Québécois
d'assurer dans le domaine politique la même solidarité qu'ils ont
commencé d'exercer dans le domaine économique. Nous avons
amorcé la reconquête de notre économie dans une telle
solidarité à partir de toutes les régions du Québec
et à une telle vitesse qu'il est aujourd'hui naturel que nous voulions
tous, citoyens et gouvernement solidaires, amorcer la reconquête de notre
autonomie. Notre liberté, notre prospérité et notre
sécurité, nous pouvons les assurer avec notre imagination et
selon notre démarche.
A l'image de toutes les régions du Québec qui ont leur
Armand Bombardier ou leur Casavant, à l'image des Perron et de
l'Abitibi, à l'image des centaines d'industriels de la Beauce et des
centaines de pêcheurs de la Gaspésie qui n'aspirent qu'à
aller au large avec de vrais moyens, à l'image de Jacques Gagnon dont je
salue respectueusement la mémoire et de Desjardins et de leur
réseau de solidarité, à l'image de tout ce fer, de cet
amiante, de cet aluminium, de ce papier qui
viennent de chacun de nos coins, c'est parce que tous ces gens ont dit
oui au Québec un jour que nous pourrons ce printemps dire oui, un oui si
normal, un oui si naturel. Merci.
M. Dussault: M. le Président.
Le Président: M. le député de
Châteauguay, vous avez maintenant la parole.
M. Roland Dussault
M. Dussault: Merci, M. le Président. Depuis 18 ans que je
milite pour libérer ma patrie du carcan fédéral qui
l'étouffe dans la douceur, il faut le dire, depuis 113 ans, je ne
surprendrai personne en disant que je voterai oui au référendum
et à la question proposée. Elle me semble être celle qui
convient.
Pendant cent ans, les Britanniques et les Français se sont fait
la guerre. Cette guerre de Cent Ans a eu ses échos en Amérique.
Un jour, la raison doit finir par triompher, vous le savez. Les Anglais et les
Français ont mis ensemble argent et talent. Ils ont bâti le
Concorde. Cet avion géant est devenu le symbole de la volonté de
ces deux peuples souverains de vivre en harmonie dans la paix. La
réalisation du rêve que caresse l'actuel premier ministre du
Québec depuis 1967 qu'il a nommé au début union canadienne
et qu'il a appelé par la suite d'un nom plus près de la formule
qu'il a conçue, la souveraineté-association.
Le jour où les Québécois auront fait voir de
façon claire et sans équivoque à la nation
canadienne-anglaise qu'ils sont capables de se tenir debout, au-dessus des
intérêts partisans, la réalisation de ce rêve,
dis-je, ce sera notre Concorde, M. le Président.
Depuis décembre dernier, le peuple québécois
connaît la question que le gouvernement entend lui poser lors du
référendum sur l'avenir du Québec, qu'il s'est
engagé à tenir dans un premier mandat. A moins d'une correction
qui n'aura rien à voir avec les amendements déjà
déposés par le clan du non, la question devrait être celle
que l'on connaît et qui se lit comme suit: "Le gouvernement du
Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste
du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de
l'égalité des peuples; "cette entente permettrait au
Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de
percevoir ses impôts et d'établir ses relations
extérieures, ce qui est la souveraineté et, en même
temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant
l'utilisation de la même monnaie; "tout changement de statut politique
résultant de ces négociations sera soumis à la population
par référendum; "en conséquence, accordez-vous au
gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente
proposée entre le Québec et le Canada? "
Cette question, à mon avis, est conforme à l'esprit de
changement qui anime la population du
Québec et qui a animé les gouvernements
précédents. C'est dans la continuité des demandes
traditionnelles de ces gouvernements que la question trouve ses racines, ceux
des Duplessis, Johnson, Lesage, ceux qui disaient: "Rendez-moi mon butin",
soyons "maîtres chez nous" et "égalité ou
indépendance".
Avec le temps et face aux difficultés que lui faisait vivre le
fédéralisme canadien, le peuple québécois a
identifié de plus en plus clairement la base sur laquelle une nouvelle
entente pourrait exister entre le peuple québécois et l'autre
peuple fondateur de la fédération canadienne. Depuis la
commission Laurendeau-Dunton en 1965 qui proclamait que l'espoir traditionnel
du Canada français, c'est celui d'être l'égal comme
partenaire du Canada anglais; cette base, c'est l'égalité des
peuples.
Les Québécois ont maintenant la conviction qu'en dehors de
cette reconnaissance d'égalité juridique que tous les peuples
recherchent naturellement, la sécurité à tout point de vue
n'est pas et ne sera jamais possible pour les Québécois dans le
fédéralisme à dix provinces pour deux peuples majoritaires
chacun chez eux.
Le oui au référendum confirmera cette conviction. La
question référendaire respecte la vitesse de croisière de
ce peuple dont le gouvernement a le devoir et l'obligation de ne jamais le
diriger dans un cul-de-sac face à l'avenir. Le gouvernement
québécois se devait donc d'être conscient que, face au
pouvoir fédéral, un non pourrait être terriblement mortel
quant aux perspectives d'avenir des négociations avec nos voisins
séculaires.
Le chef du non avait très bien compris cela dommage que la
partisanerie l'ait rendu si aveugle quand, en décembre 1976, dans
un éditorial d'analyse serrée des différentes
hypothèses d'approche de la question, il avait envisagé le
mot est de lui très sérieusement la possibilité que
les Québécois et les Québécoises disent oui
massivement à une question qui serait du genre de celle
préparée par le gouvernement.
Je cite cet extrait important de cet éditorial écrit par
l'actuel chef du non: "Mais combien plus périlleuse pour M. Trudeau
pourrait se révéler une démarche à deux paliers qui
consisterait, dans un premier temps, à demander aux
Québécois s'ils autorisent leur gouvernement à rechercher
par la négociation une nouvelle alliance avec le reste du Canada
fondée sur le principe que le Québec forme une nation distincte,
ou encore sur l'objectif d'un nouveau pacte entre les deux nations; dans un
second temps, à inviter les Québécois à se
prononcer sur les résultats obtenus et à conclure en
conséquence. Une première démarche formulée dans le
sens que nous envisageons aurait de très fortes chances d'être
appuyée par une solide majorité d'électeurs". C'est bien
la question que nous posons, M. le Président.
Si on pouvait reculer dans le temps, je féliciterais le chef du
non pour avoir eu autant de clairvoyance. Etant sans doute, à ce
moment-là, complètement détaché d'ambitions
politiques, sa
disponibilité d'esprit a rendu possible cette expression
d'idées qui constitue aujourd'hui un éclairage important pour les
Québécois face à la décision historique qu'ils
doivent prendre. Si une majorité de Québécois et de
Québécoises répond oui à cette question, le
gouvernement considérera qu'il a le droit de négocier au nom des
Québécois une nouvelle entente fondée sur le principe de
l'égalité des peuples qui permettra au Québec
d'acquérir sa souveraineté, c'est-à-dire faire ses lois,
lever lui-même ses impôts et avoir directement avec les autres pays
des relations extérieures; donc, d'élargir ses horizons
contrairement à ce que nos adversaires en disent, tout en maintenant
avec le Canada une association économique comportant l'usage de la
même monnaie. (20 h 30)
Après l'obtention de ce mandat, aucun changement de statut
politique ne sera effectué sans que la population
québécoise ait eu l'occasion de l'approuver spécifiquement
par voie de référendum. Malgré que la démarche
référendaire ait été l'objet de retouches à
l'occasion, cette option est restée fidèle à ce que son
promoteur l'avait voulue au départ. En effet, pour quiconque voudra s'en
donner la peine du côté du non, il sera facile de consulter le
livre Option Québec que l'animateur du grand mouvement du oui a
écrit à la fin des années soixante. C'est cette toile de
fond qui servira de décor à la négociation que le peuple
québécois exigera le jour du référendum. Cette
toile de fond n'a pas changé, contrairement à ce que voudraient
faire croire les tenants du non dans leur tentative de discréditer la
question et ce qu'elle véhicule, n'ayant rien à dire de
sérieux sur le fond.
La parution du livre blanc a été l'occasion de constater
la constance du premier ministre quant aux idées qu'il véhicule
depuis 1967. J'en veux pour témoin l'analyste politique anglophone de la
Gazette, M. Graham Fraser qui, au lendemain du dépôt du livre
blanc gouvernemental, "La nouvelle entente Québec-Canada" disait
le titre a lui seul est assez éloquent: "Lévesque has changed
little since 1967", Lévesque a peu changé depuis 1967. L'analyse
de M. Fraser est intéressante en ce sens qu'elle conclut, comparaison
faite entre le livre Option Québec de 1967 et le livre blanc
récent du gouvernement, que M. Lévesque n'a pas trahi son option
de départ, loin de là. La lecture de trois courts extraits
suffira à démontrer cela.
Après avoir fait état que pour le ministre des Affaires
intergouvernementales, le livre blanc du gouvernement, c'est l'Option
Québec, version 1979, M. Fraser dit je le citerai en
français, si vous permettez, le document illustre aussi de façon
saisissante combien peu a changé la politique de René
Lévesque depuis qu'il l'a imaginée dans le sous-sol je
l'ai appris de M. Robert Bourassa, en 1967. Politique qu'il a
essayé de faire approuver par le Parti libéral du Québec.
Ayant échoué toujours selon ce que dit M. Fraser il
a quitté ce parti, a fondé le Mouvement
souveraineté-association et a publié sa politique dans le livre
Option Québec. Plus loin, il dit je cite encore "Mais la
substance est, parfois à un degré époustouflant,
pratiquement identique, "virtually identical". Suit ensuite une série de
comparaisons qui démontrent cet avancé. Plus loin, il ajoute: "Ce
qui est extraordinaire au sujet de cette similarité des deux documents,
c'est que Lévesque je m'excuse, c'est comme cela qu'il le dit
a écrit le premier comme député indépendant
à l'Assemblée nationale alors qu'il avait quitté le Parti
libéral.
La différence que voit M. Fraser est davantage dans la motivation
parce que chacun a droit à ses motivations, n'est-ce pas? S'il
perçoit que le livre Option Québec est empreint d'un certain
pessimisme c'est lui qui le dit, M. Lévesque il affirme
que le livre blanc est empreint de maturité et de responsabilité
adulte. Dois-je rappeler que cette analyse, M. le Président, ne vient
pas d'un péquis-te? Sur le fond de son option, donc, M. Lévesque
n'a pas changé et je rends hommage à cet analyste anglophone de
l'avoir écrit.
Si les apôtres du non car dire non pour eux, c'est devenu
un réflexe conditionné; il s'agit qu'on leur mette quelque chose
de bon sous les yeux pour qu'ils disent non merci si ces apôtres
du non mettent tant d'insistance à faire croire à la
malhonnêteté de la question, à lui faire dire autre chose
que ce qu'elle dit, c'est qu'ils ont l'espoir quel triste espoir, M. le
Président! qu'à force de le répéter, une
majorité de Québécois et de Québécoises
finiront par le croire. C'est connu: Mentez, mentez, il en restera toujours
quelque chose. Leur attitude face à la question ne nous surprend pas, M.
le Président. Elle n'était pas connue que déjà ils
disaient non et ils la disaient déjà malhonnête. Leur
attitude est toujours la même, M. le Président: jouer avec la
portée émotive des mots, faire peur, créer le
soupçon, faire des procès d'intention. Voilà leur ligne de
conduite; c'est avec cela qu'ils espèrent masquer leur
à-plat-ventrisme devant les intéressés du régime.
Jusqu'à maintenant, M. le Président, cette manoeuvre des
négatifs de l'avenir leur a évité de s'expliquer sur leur
option. La vérité, c'est que les silences du clan du non visent
à cacher que son option constitutionnelle a été
élaborée dans les louches dédales de la compromission.
En fait, les tenants du non pensent tellement peu à l'avenir du
Québec, mais tellement plus à l'avenir de leur parti qu'ils ont
fini par oublier qu'eux-mêmes, avant le débat en cours, qu'ils
croyaient à la nécessité d'un changement. Un tel consensus
s'était fait au Québec, d'ailleurs. Leur partisanerie a pris
tellement de place qu'ils en sont arrivés à défendre
systématiquement le statu quo l'intervention de M. le
député de Jean-Talon en est la meilleure preuve à
défendre systématiquement, si ce n'est pas la souhaiter, la
stagnation de notre développement collectif, à décourager
littéralement notre ambition légitime sous prétexte de
sauver le fédéralisme. Selon la dialectique du non, M. le
Président, notre peuple devrait être comparé à ce
travailleur qui gagne $250 par semaine, qui a un potentiel lui permettant d'en
gagner $500 et qui refuserait de partir à son
compte en s'associant avec son ancien patron sous prétexte que le
décor aura changé après qu'il aura pris une telle
décision et que ce serait haïr son patron. Celui qui
décourage quelqu'un de viser un tel développement de son
potentiel, c'est un éteignoir, M. le Président. Or, dans le
présent débat le clan du non s'est avéré le plus
grand éteignoir que l'histoire nous ait jamais permis de
connaître.
M. le Président, le mariage que l'on veut tous avec le Canada
anglais ne pourrait être, expérience vécue, autre chose
qu'un mariage de raison notre amour ne doit pas être aveugle, n'en
déplaise à Mme la députée de Prévost
sur la base d'une association sur le plan économique. N'est-ce pas ce
qui intéresse tous les citoyens de l'actuel pays canadien, le
bien-être économique? Le Canada anglais n'a aucune faveur à
nous faire et, comme le péché, le changement lui
déplaît. Il faudra donc parler fort, nous montrer solidaires,
dégager entre nous une majorité solide qui permette de faire
comprendre au Canada anglais que si, pour lui, la bâtisse de 1867 est
encore très convenable, pour nous il n'est plus question d'y cohabiter
selon la règle de l'inégalité. La prochaine entente devra
être propice à laisser fleurir notre potentiel non pas seulement
culturel, mais aussi et surtout économique.
Dorénavant, seul un oui massif à un mandat de
négocier sur la base de l'égalité des peuples en vue d'un
régime de souveraineté-association permettra au Canada anglais de
nous prendre vraiment au sérieux. Aujourd'hui, embarquons-nous dans le
train du changement; lors du prochain référendum, le
deuxième, on dira au gouvernement où on veut que le train
arrête. Merci, M. le Président.
Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le
député de Robert Baldwin, vous avez maintenant la parole.
M. John O'Gallagher
M. O'Gallagher: Merci, M. le Président. Vous allez vous
rappeler que Robert Baldwin était un grand Canadien, un Irlandais comme
les députés d'Anjou, de Chauveau et de Bonaventure, car hier
c'était la fête des Irlandais, la fête de saint Patrick.
Merci.
M. le Président, les discours que nous avons entendus depuis deux
semaines, de la part des membres du gouvernement, m'ont blessé un peu,
mais, plus encore, ils ont insulté l'intelligence des
Québécois. D'abord, le moment historique de confrontation entre
les ultra-nationalistes et les fédéralistes est gâté
par une question extrêmement ambiguë. Evidemment, c'est une question
toute fabriquée et surtout dorée pour cacher sa brutalité.
La brutalité qu'elle cache sous le couvert de la
souveraineté-association, c'est l'indépendance du Québec,
tout simplement. Le mandat de négocier, c'est simplement de la frime. Le
gouvernement, par son ministre des Affaires intergouvernementales, a
déjà le mandat de négocier quoi que ce soit avec qui que
ce soit. Mais il a, depuis trois ans, refusé de négocier aux
conférences fédérales-provinciales. Drôles de
négociations qu'on envisage, destinées à l'avance à
la rupture.
D'ailleurs, ces négociations peuvent-elles simplement être
entreprises puisque le gouvernement fédéral et les autres
provinces n'ont absolument aucun mandat pour négocier la
souveraineté-association? Combinez tout cela avec un deuxième
référendum, chez nous ou dans les dix provinces, si vous voulez.
On n'est pas sorti du bois! En anglais, on appelle cela "institutionalized
permanent uncertainty".
Je veux comprendre pourquoi le Conseil du patronat votera non. Il veut
tout simplement protéger ses affaires, ses valeurs et surtout ses
employés. Il a tout à perdre et rien à gagner
là-dedans. Le premier ministre, il y a exactement trois ans, le 16 mars
1977, trois ans plus deux jours, a répondu au député de
Bonaventure qui posait la question suivante: Voulez-vous la juridiction sur la
monnaie, les douanes, la paix, la défense et les postes? Le
député de Taillon, M. Lévesque, le premier ministre a
répondu oui à la première question. Oui, on veut la
juridiction sur la monnaie, les douanes, la défense et même les
postes.
M. le Président, la question, la campagne
référendaire qui va suivre sera seulement la première
étape du marketing de l'indépendance. C'est ce qu'on veut avoir,
l'indépendance. C'est le marketing de cela. C'est clair comme de l'eau
de roche que toutes les forces nationalistes, indépendantistes ou
séparatistes, à partir des plus doux jusqu'aux plus durs,
conspirent afin de duper la population. Permettez-moi, M. le Président,
d'analyser les théories présentées par les
députés péquistes dans ce débat historique.
Pauvre histoire! Je vous dis qu'elle en prend pour son rhume! Le Parti
québécois nous dit que les Québécois n'ont jamais
été consultés lors de la Confédération en
1867. En réponse à cela, mes amis, j'aimerais vous rappeler un
peu l'histoire. On a vu, avant la Confédération, beaucoup
d'hostilité entre les Anglais et les Français, hostilité
datant sans doute de la conquête. On a vu, au cours des années
précédant la Confédération, la révolution
dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. Le parlement a brûlé
à Montréal. Il y eut la guerre entre les troupes et les
citoyens.
On a vu aux Etats-Unis, par exemple, entre 1861 et 1865, deux ans avant
la Confédération, une révolte terrible. Un million de
soldats morts. Plus d'Américains tués dans la guerre civile que
dans les deux guerres mondiales. A Gettysburg, mes chers amis, au nord de
Washington ce n'est pas loin de chez nous, c'est à quatre heures
de voiture à peu près, si vous y êtes allés
40 000 soldats tués en 1865, deux ans avant la
Confédération. Ce n'était pas une guerre entre les Anglais
et les Français. C'était entre des Américains qui
parlaient la même langue et, dans plusieurs cas, entre des familles et
des frères.
Chers amis, professeurs d'histoire, quelles questions allez-vous poser
à ce peuple voisin
anglais et français, qui était vraiment
écoeuré de se battre et de voir ses voisins se massacrer?
Chers citoyens, comme question, voulez-vous la révolution, oui ou
non?
Des Voix: Non! on veut le Québec.
M. O'Gallagher: La Confédération est un instrument
humain; pas parfait, mais l'instrument par lequel les deux peuples ont dit:
Non, non, c'est assez, on peut vivre ensemble en paix, dans la
générosité et la tolérance, et partager ensemble
les richesses humaines et physiques de ce vaste pays; on peut montrer au monde
comment vivre comme des hommes, et ce pacte dure depuis 113 ans. D'accord?
Le Parti québécois nous dit qu'on s'est fait avoir dans la
Confédération et c'est seulement depuis quelques années
que la péréquation est profitable aux Québécois.
Oui profitable! En réponse à ça, bien sûr, je puis
dire: Cela a coûté de l'argent; le Québec et l'Ontario ont
ouvert l'Ouest, ont construit les chemins de fer, ont ouvert leurs portes aux
réfugiés du monde entier.
Parmi ces milliers d'Ukrainiens réfugiés ici pour fuir la
persécution et la famine, plusieurs ont aidé à sauver la
belle France. Deux fois! Ils ont aidé les Maritimes à supporter
un taux de chômage deux fois celui du nôtre. Ils ont aidé
Terre-Neuve, en 1949, quand son niveau de vie était la moitié du
nôtre.
Non, M. le Président, je refuse de demander pardon pour notre
générosité, non!
L'économie, maintenant, M. le Président; il y a tellement
d'exemples, mais je vais en prendre un seul. Le ministre des Transports vous a
dit qu'on était déficitaire dans la Confédération
quand, avec 27% de la population du Canada, on n'a que 12% des voies
ferrées. A cette affirmation, il y a deux questions qu'on pourrait
poser; l'une est aussi stu-pide que l'autre, a) Devrait-on construire des
chemins de fer au prorata de la population ou selon les besoins? b) Devrait-on
construire des ponts là où il n'y a pas de rivière? Venant
d'un ministre des Transports, ce n'est pas fort!
Le même ministre des Transports oublie cependant de mentionner
que, dans le domaine du transport, le Québec compte 100%, pas 27%, mais
100% des sièges sociaux et des ateliers des plus importantes compagnies
nationales de transport et de communication, telles que CN, CP, Air Canada,
Bell Canada et 52% des installations portuaires au Canada.
Mes chers amis, députés de Montréal, vous n'aurez
pas besoin de beaucoup de "bargaining power" pour partager d'égal
à égal avec le reste du Canada ces jobs. Franchement, les autres
provinces seraient très heureuses de recevoir leur part de ces jobs des
ateliers de Pointe Saint-Charles. Mon cher député de Sainte-Anne
il n'est pas là elles seraient bien contentes d'avoir les
deux tiers des jobs de Dorval, dans les bases d'Air Canada, elles seraient bien
contentes d'avoir les jobs de Canadair, à Saint-Laurent, ou les jobs
à United Aircraft. Elles seraient bien contentes de les avoir. Cela, mes
amis, c'est un exemple du prix de la souveraineté-association
d'égal à égal. (20 h 50)
Parlons maintenant, mes amis, de l'égalité des peuples.
D'abord, il n'y a pas deux peuples dans ce pays. Le Canada français,
c'est vrai, est demeuré assez homogène depuis la
Confédération, mais le Canada anglais n'existe plus. Les Anglais
sont minoritaires. Le reste du Canada est composé de toutes les races,
un bon nombre d'entre elles de réfugiés de pays souverains:
Italiens, Hongrois, Polonais, Allemands, Ukrainiens, Grecs, Portu-guais, Juifs,
Espagnols et j'en passe.
M. Goulet: II y en a des Français en masse. M.
O'Gallagher: Oui, il y a des Français aussi.
Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le
député de Robert Baldwin, je m'excuse d'interrompre votre
discours. Je voudrais tout simplement l'interrompre pour demander à ceux
qui vous interrompent de cesser de le faire.
M. le député de Robert Baldwin.
M. Springate: L'arrogance péquiste.
M. O'Gallagher: La preuve que le nationalisme
exagéré n'a jamais pris dans le reste du Canada et ne prendrait
jamais, c'est parce qu'il est composé de trop de races
différentes. Ces personnes ont déjà vu le nationalisme
à outrance dans leur pays d'origine et savent ce que ça peut
produire. C'est vrai que le Québec a été lent à
faire démarrer sa révolution tranquille, mais, aujourd'hui, on
peut dire qu'on est aussi égal que n'importe quelle province ou
n'importe quel Etat américain, si on veut. On ne cesse pas de vanter nos
institutions d'éducation, l'ingénierie québécoise,
Hydro-Québec, les caisses populaires, les caisses d'entraide
économique et nos services sociaux qui ont tous été
créés à l'intérieur de la
Confédération.
En plus de cela, nous avons le meilleur standard de vie au monde et ta
plus grande liberté. C'est cela, l'égalité. Ceux qui
voudraient introduire la question de la langue dans ce débat le feraient
seulement pour stimuler les émotions et pour aveugler la raison, car 5
millions de francophones ne pourront jamais devenir égaux en nombre
à 200 millions d'anglophones, séparés ou non. En
général, les Canadiens sont assez fiers, assez forts et assez
heureux dans leur peau. Ils sont fiers de leur identité canadienne et de
leur langue et ils peuvent voyager n'importe où dans ce pays et partout
dans le monde sans avoir de problèmes. Quand on dit qu'on est fier de
soi et quand on sait ce qu'on vaut, on est égal à n'importe qui.
On veut vivre dans le présent.
C'est vrai qu'il y a aujourd'hui dédoublement de plusieurs
services fédéraux-provinciaux: l'assurance-chômage, les
centres de main-d'oeuvre, les pensions, la Société centrale
d'hypothèques et de logement, les allocations familiales, etc. Il faut
se rappeler que le gouvernement fédéral a pris ces
pouvoirs à sa charge à cause d'un manque d'initiative des
provinces et pour le grand bien de tout le monde, on le sait bien. Aujourd'hui,
rien n'empêche de négocier un nouveau partage de quelques-uns de
ces pouvoirs, comme décrit dans le livre beige.
Concernant l'énergie, M. le ministre, les faits sont qu'on n'a
pas de gaz ni de pétrole au Québec. Il y en a dans l'Ouest, il y
en a dans le Nord et prochainement à Terre-Neuve. Le ministre de
l'Energie et des Ressources a beau se servir de sa calculatrice et convertir
des kilowatts d'énergie en barils d'huile mais c'est sur papier, cela ne
se fait pas en réalité. Essayez donc de prendre votre rallonge
électrique et de remplir votre réservoir, d'accord? C'est un
magicien!
A mes amis péquistes, ceux qui crient qu'ils sont
écrasés, à genoux, courbés, colonisés,
dominés, même terrorisés par leurs voisins dans la
première partie de leurs discours et qu'ils sont gros, grands,
forts, égaux à tout le monde et prêts à
négocier avec leurs bons "chums" dans la deuxième partie
de leurs discours et tout cela en dedans de quinze minutes, je n'ai
qu'une chose à dire: Vous autres, les "pelleteux" de nuages, n'avez
jamais fait augmenter le PNB, n'avez jamais arpenté des montagnes en
hiver, n'avez jamais construit des chemins de fer, ni des routes, ni des
bâtisses et surtout pas des barrages, parce que c'est vous autres qui
étiez contre la Baie James, d'accord? M. le Président,
c'était le travail des Français, des Anglais, des ethniques, des
vrais hommes de cette province. M. le Président, les deux peuples
fondateurs ou les deux nations, si vous voulez, ce sont seulement des mots.
Ceux qui ont créé ce pays sont des gens, des personnes et non des
conquérants, des exploitants, des vaincus ou des mis à genoux ou
des colonisés. Nous sommes tous des survivants d'une Europe que nos
ancêtres ont quittée pour trouver une vie meilleure et la
liberté. 240 years after the USA and 113 years after Canada, Europe with
its Common Market has finally taken a minuscule step up the ladder of political
evolution, a step towards a Federal Parliament away from the warring states
that they had been. Do you expect the people of this province who are survivors
of that antiquated sovereign system to negotiate their one way trip back 113
years? Voyons donc! Mr President, the task of continuing to build this country
together and of strenghthening the bonds between all its people, as an example
to the world, is much too noble and too important to be delated any longer.
Non, M. le Président, le peuple du Québec, votera non à
cette tentative de faire reculer notre pays sur l'échelle de
l'évolution politique.
Le Président: M. le ministre des Affaires culturelles,
vous avez maintenant la parole.
M. Denis Vaugeois
M. Vaugeois: M. le Président, on pourrait s'amuser
à dénoncer la Confédération à peu
près uniquement en utilisant les discours des députés
libéraux du Québec vers les années 1865. Sans doute que
leurs discours, à plusieurs moments, seraient passablement plus lucides
que ceux qu'on a l'occasion d'entendre maintenant. Je vais m'en tenir à
Joseph-Octave Beaubien, député de Montmagny, qui s'amusait
à l'époque, lui, aux dépens des conservateurs, et je le
cite: "Au risque de nous perdre dans les nuages en compagnie des avocats de la
Confédération, je propose d'adopter l'arc-en-ciel comme notre
emblème. Par la variété de ses couleurs, l'arc-en-ciel
donnerait une excellente idée de la diversité des races, des
religions, des sentiments et des intérêts des différentes
parties de la Confédération. Par sa forme, mince et
allongée, l'arc-en-ciel représenterait parfaitement les
configurations géographiques de la Confédération. Par son
manque de consistance, une image sans corps, l'arc-en-ciel donnerait une
excellente idée de la solidité de notre
Confédération." (21 heures)
Nous pourrions nous amuser comme cela à retenir de nombreuses
citations. Il s'en trouve tout au long des 113 années du régime
fédéral. Ces dénonciateurs du régime
fédéral, on les retrouve tantôt dans les rangs des
libéraux, tantôt dans les rangs de l'Action libérale, du
Bloc populaire, de l'Union Nationale et, bien sûr, dans les rangs des
partis indépendantistes des années 1920 ou des années
1960.
M. Lévesque, pour sa part, dans son livre Option Québec,
constate en 1968, "l'invraisemblable gaspillage d'énergie" qu'engendre
le régime actuel. Il regrette, comme bien d'autres, la double paralysie
qui affecte à la fois le Québec et le Canada.
Cette impasse, devenue de plus en plus évidente, cette double
paralysie amène, en 1967, une poignée de souverainistes et de
fédéralistes à s'interroger comme jamais auparavant. De
même que nous avions vu naître, au début du XIXe
siècle, un parti canadien autour de Papineau, cette fois, nous assistons
à la naissance d'un parti québécois. Il s'agit
essentiellement d'un rassemblement d'indépendantistes et de
fédéralistes animés d'un désir de dégager
une voie entre la séparation et le statu quo. Rassemblés par
souci de réalisme, par sentiment de fierté, par conviction, ils
se sont ralliés autour de l'Option Québec proposée par M.
Lévesque et ont mis au point une formule nouvelle, nouvelle pour nous,
mais non pas nouvelle en soi: la souveraineté-association.
De quoi s'agit-il? De séparation? De repli sur soi? D'isolement?
Voyons à nouveau la question proposée. La souveraineté,
nous prenons le soin de la définir. Pourquoi? Parce que plusieurs de nos
adversaires ont, et ce depuis des années, entretenu l'ignorance, la
confusion et souvent la peur. Fait rare, sinon fait absolument sans
précédent dans l'histoire de l'humanité, il s'est
trouvé ici des gens pour prêcher la dépendance, la
soumission, la médiocrité et la résignation.
On nous a dit que nous n'étions pas capables ou, à
l'exemple du député de D'Arcy McGee, on ne nous dit pas que la
souveraineté est impossible,
on nous dit plutôt qu'on n'en veut pas. Pour ma part, je n'en
croyais pas mes oreilles quand je l'ai entendu. En effet, ce
député renonce à l'avance, pour le Parlement où il
siège, aux pouvoirs de faire toutes les lois et d'administrer tous les
impôts. Il ne veut pas de la responsabilité pour le Québec
de régler ses affaires extérieures. Il ne veut pas que nous
soyons responsables et maîtres de nos relations internationales, de nos
traités, de nos accords de commerce et de coopération. Il choisit
de siéger ici et de laisser à un autre Parlement la moitié
des pouvoirs, la moitié des taxes et les affaires extérieures. Je
dis, M. le Président, que certains membres de cette Chambre se sont
décidément trompés de Parlement.
A partir du moment où on reconnaît que le Québec
constitue une société distincte à cet égard,
j'invite le député de Robert Baldwin à relire le livre
beige comme l'ont fait la commission Rowell-Sirois, la commission
Tremblay, la commission Laurendeau-Dunton, la commission Pepin-Robarts et donc
le livre beige du Parti libéral, il faut accepter que cette
société distincte ait son système de valeurs, ait ses
propres priorités. Il faut lui permettre d'agir selon son être
propre; si nous sommes différents, il faut tolérer que nous
puissions agir selon notre différence.
Ce besoin d'agir selon ce que nous sommes a été ressenti
dès l'époque de la Nouvelle-France. Canadiens face aux
Français, nous n'étions pas différents des
Américains face aux Anglais ou des Mexicains face aux Espagnols, ou des
Brésiliens face aux Portuguais. Alors que tous ces peuples obtenaient
leur indépendance, nos ancêtres ont eux aussi parlé
d'indépendance.
En 1831, par exemple, Etienne Parent, journaliste et porte-parole des
modérés du Québec, écrit "II n'y aura de paix ni
d'affection tant que la métropole n'imitera pas le bon père de
famille qui diminue son autorité à mesure que son enfant avance
en âge. Nous sommes maintenant assez avancés en civilisation pour
conduire nos affaires seuls. Point de milieu écrivait Parent
si nous ne gouvernons pas, nous serons gouvernés".
Conquis par les armes, en 1760 il faut quand même se le
rappeler mis en minorité en 1840, en minorité
démographique vers 1845, nos ancêtres se voient proposer la
provincialisation en 1867. Echaudés par tant de luttes et de
difficultés, ils se méfient de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique. On ne les consulte pas, on le leur impose.
Pourtant, l'autonomie provinciale qui découle de la
Confédération de 1867 permet d'encadrer tant bien que mal une
survivance peut-être médiocre, sûrement difficile, mais
indestructible.
Annexés, provincialisés, les Québécois ont
su retirer le maximum de leur situation. Aujourd'hui, pour aller plus loin, il
leur faut plus de pouvoirs, plus de moyens. Les Québécois savent
reconnaître, cependant, que l'histoire a créé des liens
majeurs entre le Canada et le Québec. Ils ne proposent pas la
séparation, mais l'association. Ils veulent devenir des associés
et prendre la responsabilité de développer les ressources de leur
territoire, le Québec.
Un nouveau Canada est possible. Une communauté économique
canadienne est possible.
Nous ne demandons pas au reste du Canada de nous retourner plus d'argent
que nous ne lui en donnons. Nous ne sommes pas des quêteux. Nous sommes
capables de prendre en charge le développement de notre territoire.
Qu'on nous permette de récupérer le pouvoir de faire nos lois,
d'administrer nos impôts et nous deviendrons un partenaire vraiment
intéressant pour le Canada.
La liberté ça se prend et l'égalité
ça se mérite. Ne les attendons pas comme un cadeau. Il faudra
négocier les termes de l'association, et pour pouvoir négocier
correctement, il faudra un oui massif, ici, au Québec. Dans le cas
contraire, j'entends déjà l'immense éclat de rire
interminable qui secouerait le reste du Canada. Sachons nous serrer les coudes
et proposer une nouvelle alliance. Nous ne serons pas le premier peuple en
terre d'Amérique à lever la tête, à redresser
l'échine, à se prendre en main; nous serons, de tous ceux qui ont
survécu à l'époque coloniale et aux diverses
conquêtes, le dernier. Oui, le dernier peuple d'Amérique à
devenir maître de son destin.
J'aurais aimé, M. le Président, prendre le temps de faire
un parallèle entre l'indépendance du Canada à laquelle les
Canadiens français ont été étroitement
associés et cette démarche de souveraineté-association que
nous proposons. Que l'on me permette de citer seulement un texte de la
conférence impériale de 1926 alors que les Canadiens de
l'époque, depuis John Macdonald jusqu'à Mackenzie King, avaient
refusé la formule de fédération impériale. En 1926,
le rapport de la conférence impériale dit ceci: "Les Dominions
"les anciennes colonies de Londres" sont, au sein de l'empire britannique, des
collectivités autonomes, de statut égal. Elles ne sont d'aucune
manière subordonnées les unes aux autres, mais elles sont unies
par une allégeance commune à la même couronne et
associées librement comme membres du Commonwealth des nations
britanniques". Ce qui fut bon pour le Canada par rapport à l'Angleterre
ne pourrait-il pas l'être également pour le Québec par
rapport au Canada? Les Canadiens anglais ont opté à
l'époque pour la formule du Commonwealth, forme d'association comparable
à celle que nous proposons. Bien plus, longtemps le Canada et
l'Angleterre ont partagé le même drapeau, le même hymne
national, la même monnaie, oui la même monnaie pendant longtemps,
la même citoyenneté, le même passeport. Ce qui a
été possible entre le Canada et l'Angleterre ne le serait pas
entre le Québec et le Canada? Pourquoi, messieurs?
Le Président: M. le ministre, je m'excuse de vous
interrompre, mais je vais demander à ceux qui vous interrompent de
cesser de le faire, s'il vous plaît. M. le ministre, vous pouvez
continuer.
M. Vaugeois: Une association libre, M. le Président, une
association libre du type Commonwealth, plutôt qu'une formule
fédérale refusée depuis John Macdonald jusqu'à
Mackenzie King, aurait été bonne pour le Canada et ne le serait
pas
pour le Québec? Pourquoi? A peu près tout le monde
maintenant souhaite modifier cette constitution, cette vieille loi britannique.
Pourquoi ne pas le faire dans le respect mutuel et sur une base de partenaires,
d'associés?
Un ancien député de Trois-Rivières que je
n'ai pas besoin de nommer disait, en 1946: Oui, je suis prêt
à tendre la main à Ottawa, mais pas comme un inférieur
à un supérieur, pas comme un serviteur à son maître,
mais d'égaux à égaux..." Nous voulons être
respectés du reste du Canada. Nous ne demandons pas de faveurs, nous ne
demandons pas de cadeaux. Nous voulons tout simplement, après tant
d'autres, la maîtrise de notre devenir.
Un Québec séparé, replié sur soi,
isolé, personne n'en veut. Nul n'a jamais voulu de la
souveraineté pour être seul, mais pour choisir ses partenaires,
négocier ses traités, ses accords et, dans notre cas, pour
négocier l'association avec le reste du Canada. (21 h 10)
L'histoire nous enseigne, il faut avoir l'humilité de
l'écouter parfois. Il y eut la Louisiane, il y eut le Manitoba. A cet
égard, voici un bref passage d'un très beau texte de
l'écrivain Jacques God-bout: "On dit que le royaume des Celtes
s'étendait aussi loin que portait le regard du roi et que, quand
celui-ci fermait les yeux, le royaume disparaissait. Le royaume
québécois s'étend à portée de voix, et si le
peuple se tait, le royaume disparaîtra. Cela s'est vu déjà,
plus loin, au Manitoba, dans les plaines de l'Ouest, où les enfants des
Canadiens français n'entendent plus aujourd'hui la langue de leurs
parents".
Les uns nous disent: Cela irait plus mal si on s'occupait de nos
affaires. Non seulement je crois assez dans les Québécois pour
dire que cela irait mieux, mais cela irait mieux aussi pour le Canada. Et,
comme peuple, nous aurons enfin des chances de devenir un peu plus adultes ou,
comme l'écrivait M. Lévesque, en 1968: "Nous aurons enfin
l'occasion, et l'obligation, de déployer, au maximum, nos
énergies et nos talents pour résoudre, sans excuse et sans
échappatoire, toutes les questions qui nous concernent.
La vraie question est finalement de savoir si, comme
Québécois, nous sommes prêts à nous faire
confiance.
Le Président: M. le député d'Iberville, vous
avez maintenant la parole.
M. Jacques Beauséjour
M. Beauséjour: M. le Président, est-il besoin de
rappeler à cette Assemblée que la question
référendaire proposée par le gouvernement au peuple du
Québec va enfin lui permettre de se prononcer démocratiquement
sur son avenir et ce, pour la première fois de son histoire.
Si nous jetons un coup d'oeil sur le vécu de la nation
québécoise, nous remarquons que la constitution signée en
1867 nous fut imposée sans consultation de la population, que ce soit
par un référendum ou une élection. Déjà, en
octobre 1866, sir John Macdonald écrivait au premier ministre du
Nouveau-Brunswick du temps, M. Tilley et je cite, écoutez bien
cela "II nous semble important que le projet de loi Macdonald
voulait ici parler du projet constitutionnel de 1867 ne soit
rédigé sous sa forme définitive qu'immédiatement
avant la convocation du Parlement. La mesure doit être adoptée
d'un seul coup et sans éveiller aucun écho dans les provinces
britanniques tant qu'elle ne sera pas adoptée. Une fois la loi
adoptée, sans possibilité de recours, la population apprendra
vite à l'accepter." Franchement, M. le Président, c'était
un drôle de style de démocratie.
Aujourd'hui, un gouvernement nous soumet une démarche et nous
offre la possibilité de nous prononcer sur notre avenir. C'est le
gouvernement du Québec actuel. J'aimerais souligner que la prochaine
décennie comportera de nombreux défis à relever. Pourquoi
alors ne pas souhaiter que le Québec ait à sa disposition tous
les instruments de réussite possible? Nous n'avons vraiment plus les
moyens de continuer à gaspiller le temps et l'argent occasionnés
par le chevauchement de deux paliers de gouvernement. Les tenants du non en
cette Chambre savent-ils que, selon une étude publiée en 1978 par
l'Ecole nationale d'administration publique, 72% des programmes gouvernementaux
se dédoublent? Savent-ils, les opposants, que nous devons payer pour
deux ministères des Finances, deux ministères du Revenu, deux
ministères de l'Agriculture, deux ministères du Travail, deux
ministères de la Santé, deux ministères de l'Immigration,
deux ministères de l'Industrie et du Commerce, deux ministères
des Communications? Une telle duplication de services me laisse croire que
c'est actuellement qu'on vit dans un système séparatiste.
Comme si ce n'était pas assez de vivre dans un système
séparatiste, cetains veulent diviser notre peuple en l'invitant à
dire non à une question d'unité nationale des
Québécois. On ne peut vraiment plus tolérer
l'incohérence d'un système fédéral, lequel oblige
trop souvent le gouvernement du Québec à contrebalancer les
gaffes du régime central. Non seulement les Québécois
doivent payer pour les gaffes, mais ils doivent aussi payer pour les
réparer.
M. le Président, chez nous, on appelle cela du gaspillage. Y
aurait-il une seule personne en cette Chambre assez aveugle pour
prétendre que ce régime à deux têtes a
favorisé le développement économique du Québec? Les
miettes reçues du régime fédéral, nous les avons
payées deux fois plutôt qu'une et la réalité de tous
les jours nous le prouve trop souvent.
Regardons, par exemple, ce qui se passe en agriculture. Pourquoi, en
1976, les politiques agricoles fédérales ont-elles réduit
les revenus de 70 000 agriculteurs et producteurs laitiers du Québec?
Serait-ce, M. le Président, que, dans le système actuel, il faut
pénaliser les agriculteurs québécois pour accorder plus de
poids aux producteurs de l'Ouest? Pourquoi le fédéral subven-
tionne-t-il moins la recherche en agriculture au Québec? En 1978,
le budget accordé dans l'Ouest pour la recherche agricole était
de $42 millions; en Ontario, $42 millions, mais, au Québec, il
n'était que de $21 millions. Excusez-moi, M. le Président, mais
$21 millions, pour Ottawa, c'est trop donner au Québec. Il faut y
ajouter aussi la recherche dans les Maritimes.
Serait-ce que le système actuel considère l'agriculture au
Québec comme un simple passe-temps? Pourquoi le fédéral
a-t-il fait de l'agriculture de l'Ouest, son grenier; de l'agriculture de
l'Ontario, son jardin, et de celle du Québec, le marché public
où l'on vient de l'extérieur pour écouler les surplus
agricoles? Serait-ce que, dans le système actuel, les agriculteurs
québécois doivent servir de bouche-trous? M. le Président,
les agriculteurs québécois méritent mieux que cela.
De tels exemples expliquent pourquoi tous les premiers ministres du
Québec ont constamment réclamé d'Ottawa plus de pouvoirs.
Bien des fois, ils ont même dû se battre pour préserver nos
droits acquis. Combien de conférences
fédérales-provinciales ont tourné en queue de poisson
depuis la Confédération! Combien nos premiers ministres ont
usé leurs énergies à la recherche d'un maximum
d'autonomie, à la recherche d'un statut d'égalité des deux
peuples!
Pour corriger cette situation, le gouvernement actuel précise,
dans la question que nous avons devant nous, ce que doit contenir une
égalité des deux peuples. A chacun ses lois, à chacun ses
impôts! A cette égalité fondamentale s'adjoint une
association économique ayant comme base la même monnaie. Un oui
à la question signifie un mandat accordé au gouvernement du
Québec pour aller négocier l'entente proposée.
Après l'obtention de ce mandat, aucun changement de statut politique
résultant de ces négociations ne sera effectué sans que la
population québécoise ait eu l'occasion de l'approuver par voie
de référendum. A la suite de telles garanties
d'honnêteté et de franchise, quel individu pourrait être
assez malhonnête pour prétendre que le gouvernement aurait de
sombres desseins?
Mme la Présidente, le chef du clan du non a parlé en cette
Chambre de principe d'égalité des peuples. Il a dit ceci: "Le
principe de l'égalité des peuples, une question sur laquelle on
pourrait m'inviter à me prononcer, je n'ai pas d'objection, je
répondrais oui à cela tout de suite." Mais avez-vous
remarqué que ni lui ni ses collègues n'ont osé dire
comment ils entendaient obtenir cette égalité?
L'égalité des peuples serait-elle une formule creuse pour les
tenants du non? Faut-il se surprendre, Mme la Présidente, que nos amis
d'en face ne demeurent qu'au niveau du principe sans jamais l'expliquer? Pour
ma part, je ne le crois pas. Il n'y a rien de surprenant dans leur attitude
puisque les vrais chefs du non ne sont pas ici.
Les vrais chefs du non, ce sont plutôt les différentes
compagnies qui engraissent Pro-Canada. Par exemple, que penser, Mme la
Présidente, de la compagnie Sun Life, bien connue, on le sait, pour
prendre les intérêts des Québécois elle l'a
manifesté, il y a environ un an que l'on retrouve parmi les
généreux donateurs de Pro-Canada, $50 000, afin que les
Québécois et les Québécoises disent non au mandat
pour le Québec de négocier une nouvelle entente fondée sur
l'égalité des deux peuples? Que penser, Mme la Présidente,
des compagnies comme Canadian Pacific, Molson, Imperial Oil, Aluminum Company
of Canada, Bell Canada et sa filiale, Northern Telecom, qui ont
contribué pour un montant de $75 000 chacune dans les goussets de
Pro-Canada? D'ailleurs, vous avez probablement remarqué, comme moi, Mme
la Présidente, qu'avec les comptes de Bell, récemment, on
reçoit une petite feuille nous indiquant qu'elle a l'intention
d'augmenter ses tarifs. Probablement qu'elle a trouvé un trou dans son
budget. (21 h 20)
Voulez-vous d'autres noms de fournisseurs de Pro-Canada? Mme la
Présidente, j'en ai toute une liste, $75 000, $50 000, $30 000, $20 000.
La majorité de ces montants proviennent de la haute finance. Que ces
compagnies étrangères viennent faire des affaires au
Québec, il n'y a personne qui va s'y opposer, mais, comme le dirait
Félix Leclerc, qu'elles viennent mettre leurs gros doigts dans nos
papiers de famille, les Québécois et les
Québécoises ne pourront pas l'accepter.
Mme la Présidente, j'ai l'impression que le vrai slogan des
tenants du non devrait être plutôt "mon non, c'est la haute
finance". Quel intérêt, quels intérêts
défendent ces entreprises, ceux des Québécois ou leurs
intérêts personnels? De qui se moque-t-on, Mme la
Présidente? Les Québécois et les Québécoises
méritent mieux que ça. De tous les horizons politiques, de toutes
les origines ethniques, les Québécois et les
Québécoises se regroupent pour le oui.
Je voudrais signaler que le chef du Parti
créditiste-démocrate laisse ses militants libres de leur choix,
de dire oui ou non. Je voudrais aussi donner un extrait de ce qu'affirmait le
chef de l'Union Nationale et député de Gaspé, à
l'émission Présent du 5 mars.
Une Voix: Le chef intérimaire.
M. Beauséjour: "Nous ne ferons pas de chasse aux
sorcières, nous avons fait l'unanimité à
l'intérieur du caucus pour nous ranger dans le comité du non".
Ecoutez ça, maintenant. "Maintenant, nous n'imposerons à aucun de
nos membres, en province ou n'importe où, l'excommunication, parce qu'un
de nos membres décide de dire oui au référendum". Je peux
vous garantir que, dans mon comté et c'est probablement la
même chose dans tout le reste du Québec les membres de ces
deux partis ont très bien compris.
Pour ma part, Mme la Présidente, je voterai oui au libellé
de la question contenue dans la motion du gouvernement, puisque le projet
proposé aux Québécois et aux Québécoises
répond au désir d'égalité des peuples. Le projet de
maintenir avec le reste du Canada une association économique correspond
au principe de l'interdé-
pendance des Etats modernes, tout en assurant le respect mutuel de
chacun des partenaires. Il s'agit d'une question honnête et claire que
les Québécois et les Québécoises attendaient depuis
déjà trop longtemps. Dire oui, c'est s'unir comme peuple, dire
oui, c'est se tenir debout. Mme la Présidente, le Québec
mérite un oui.
La Vice-Présidente: M. le député de
Sherbrooke.
M. Gérard Gosselin
M. Gosselin: Mme la Présidente, c'est en tant que simple
député, ce soir, davantage que comme député
ministériel, que je veux m'exprimer sur la question
référendaire, au nom d'une tradition de militantisme qui remonte
déjà à une dizaine d'années, à la
défense et à la promotion des citoyens à faible
revenu.
Mme la Présidente, il y a un million de Québécois
au Québec, un million de citoyens dont on ne parle pas souvent et qui se
situent sous le seuil de la pauvreté. Dans mon comté de
Sherbrooke Sherbrooke est une ville comme les autres, il y a à
peu près la même proportion de gens à faible revenu que
partout ailleurs il y a environ 12 000 personnes qui sont au niveau du
seuil de la pauvreté. Les derniers relevés du chômage,
selon Statistique Canada, qui, pour l'ensemble du Québec, indiquaient un
taux de chômage de 9,8%, montrent pour la région de l'Estrie, pour
Sherbrooke un taux de 10,9%, ce qui représente de 6000 à 7000
chômeurs dans la seule ville de Sherbrooke.
Mme la Présidente, à l'occasion de ce débat sur la
question référendaire, à l'occasion de l'intention que le
gouvernement du Québec exprime de récupérer tous ses
pouvoirs d'Ottawa, de faire des lois et d'administrer ses impôts, la
question que je pose, c'est: Dans le régime actuel, est-ce que nous
sommes responsables, est-ce que nous sommes efficaces, est-ce que nous sommes
cohérents, est-ce que nous exerçons bien notre
responsabilité politique face au chômage et face à la
pauvreté? Ma réponse est non. Ma réponse, c'est que le
système actuel, les dédoublements, les rapiècements, les
raboutements de politiques entre deux paliers de gouvernement concurrents
constituent un scandale permanent et un préjudice constant pour les
citoyens à faible revenu, particulièrement, qui ont à en
souffrir davantage et qui sont particulièrement démunis dans ce
système.
Mardi dernier, le 11 mars, j'entendais le député
d'Outremont dire placidement qu'il était bon que l'assistance sociale
soit actuellement divisée entre les deux paliers de gouvernement. Je
vous jure que je reçois à toutes les semaines des chômeurs,
des gens qui se démènent avec les divers régimes
d'assistance sociale entre les deux paliers de gouvernement. Et à
quelqu'un, à un jeune qui se cherche un emploi, comme j'en ai vu
plusieurs depuis huit mois, un an, je fais la ritournelle habituelle demandant
au jeune: Est-ce que tu es allé au centre de main-d'oeuvre du Canada? Il
me dit oui, on va toujours au centre de main-d'oeuvre du Canada. Est-ce que tu
es allé au centre de main-d'oeuvre du Québec? Il me dit oui parce
que, dorénavant, tout le monde va aussi au centre de main-d'oeuvre du
Québec. Soit dit en passant, les centres de main-d'oeuvre du
Québec font autant de placements que les centres de main-d'oeuvre du
Canada. Mais, peu importe, le jeune en question est toujours en chômage.
Les gens qui se cherchent de l'emploi sont un exemple. L'éparpillement
des politiques entre les deux paliers de gouvernement, au niveau de la
formation professionnelle, au niveau de l'assurance-chômage, de
l'assistance sociale, au niveau des politiques de placement, les deux
structures concurrentielles qui sont là, la conséquence en est
que le citoyen qui est sur le terrain et qui essaie de se trouver un emploi
vit, subit cette situation. On a chacun nos excuses. On dit: Que veux-tu, ce
n'est pas nous qui avons les leviers économiques; ce n'est pas nous qui
avons en main les politiques de main-d'oeuvre. On a les excuses.
Je voudrais prendre un exemple concret des conséquences pour les
citoyens à faible revenu du régime d'éparpillement des
politiques comme actuellement. Je voudrais prendre l'exemple d'un père
de famille marié ayant deux enfants à sa charge dont
l'épouse ne travaille pas et qui travaille actuellement au salaire
minimum sur le marché privé. Ce père de famille, comme
cela arrive malheureusement trop souvent, se retrouve en chômage au
milieu de l'année parce que son entreprise a fermé ou parce qu'il
est arrivé une difficulté. Au salaire minimum, il gagne à
peu près $540 par mois. Si ce n'était du supplément au
revenu de travail que le gouvernement québécois a
implanté, il aurait à peu près des montants
équivalents à l'aide sociale. (21 h 30)
Or, ce père de famille tombe en chômage. Qu'est-ce qui se
produit? D'une part, il lui faut ses papiers de cessation d'emploi. Il va
à l'assurance-chômage, il a un délai d'attente de deux
semaines. Il se retrouve sans revenu pendant deux semaines et il a une famille
à faire vivre. D'accord? Il a déjà des dettes. Il a les
hypothèques à payer de sa maison, le financement de son
automobile et l'épicerie hebdomadaire qui doit entrer. Il n'a pas de
revenu. L'assurance-chômage lui prescrit un délai d'attente.
Qu'est-ce qu'il fait? Il va à l'aide sociale. Il fait un autre bureau.
Il va au gouvernement provincial. Il demande une avance sur son chèque
d'assurance-chômage. On lui avance l'argent à condition qu'il le
rembourse au moment où ses chèques d'assurance-chômage vont
entrer. Un mois plus tard parce que cela prend souvent un mois
ses premiers chèques d'assurance-chômage entrent. Comme il s'est
endetté entretemps, comme il a dépensé, évidemment,
tout l'argent de l'aide sociale qui lui avait été versé en
avance, le père de famille en question se retrouve en dette par rapport
à l'aide sociale. Il va se retrouver en dette s'il est dans une
situation prolongée de chômage pendant le restant de
l'année, pendant plusieurs mois, parce qu'il n'a
pas d'argent neuf qui entre, qui lui permette de rembourser cette
dette.
Bénéficiaire de l'assurance-chômage, ce père
de famille aurait $360 par mois. Bénéficiaire de l'assistance
sociale, $549 par mois. Comme l'assurance-chômage ne lui donne pas ce
qu'il faut pour subvenir aux besoins de sa famille, il doit retourner à
l'aide sociale pour bénéficier d'un supplément de revenu
garanti, un montant de $189 par mois qui va lui être versé par
Québec en supplément des $360 par mois qu'il reçoit
déjà de l'assurance-chômage. Deux paliers de gouvernement,
des démarches infinies entre les deux administrations, en plus de subir
le chômage, en plus de se promener entre les deux centres de
main-d'oeuvre et se faire dire par son député
fédéral et par son député provincial : On ne peut
rien faire pour toi. C'est l'humiliation des hommes. C'est l'oppression des
hommes. C'est l'irresponsabilité d'un système qui nous fournit
des excuses, à nous comme au gouvernement central de dire: Ce n'est pas
nous qui sommes responsables, c'est l'autre.
Quand je fais un plaidoyer, voyez-vous, pour dire qu'il est important
qu'on récupère au Québec notre pouvoir d'administration
sur les impôts et sur nos lois, c'est un plaidoyer qui se veut pour
l'exercice d'une responsabilité politique pleine et entière.
Il appartient à l'Etat, il appartient au gouvernement d'assurer
le bien commun, d'assurer une plus équitable distribution des richesses
entre les citoyens. Pour ce faire, il faut avoir une volonté politique
unifiée. Il faut avoir des institutions cohérentes qui nous
permettent de le faire sereinement, d'une manière
déterminée et d'en être pleinement responsable. C'est ce
que le gouvernement du Québec réclame. C'est ce qu'il a toujours
réclamé au chapitre de la sécurité sociale. Nos
amis libéraux j'en suis sincèrement désolé
retraitent cette fois, par le livre beige, devant cette revendication
québécoise traditionnelle, à savoir que Québec
devrait avoir la pleine maîtrise de la sécurité sociale. Je
conviens qu'ils peuvent continuer d'être fédéralistes, mais
démissionner devant une revendication qui a été maintenue
par tous les gouvernements québécois jusqu'à
présent au nom de la dignité et d'un exercice complet de la
responsabilité qu'on sent devoir exercer au nom des citoyens du
Québec, nous, du gouvernement du Québec, trouvons que c'est faire
preuve d'irresponsabilité politique.
Voyez-vous, quant au système actuel, dans le fond on parle
beaucoup de péréquation et de comptes économiques
on dit: Si jamais le Québec devenait souverain et associé, il se
priverait de montants énormes des paiements de transfert qui sont faits
entre les deux paliers de gouvernement. J'ai évalué cela
sommairement; 5000 chômeurs à Sherbrooke, combien cela
coûte-t-il? Combien coûte un chômeur pendant un an? On
faisait le calcul dernièrement et on disait: Un chômeur, l'Etat ou
les deux gouvernements lui versent sûrement la valeur de $100 par
semaine. C'est au moins $100 par semaine que coûte un chômeur en
coûts directs. Cela veut dire $300 millions qui entrent à
Sherbrooke. Le gros de cette somme vient de l'assurance-chômage, mais les
Québécois paient de l'assurance-chômage aussi, c'est
à même nos impôts que cela se paie.
Il y a aussi d'autres coûts beaucoup plus considérables: la
détérioration du tissu humain par des situations de chômage
prolongé, des situations chroniques qui font que dans une ville comme
Sherbrooke il y a, en permanence, de 5000 à 6000 personnes en
chômage; c'est un scandale permanent. Il va falloir, un jour, avoir des
responsabilités politiques claires et les assumer parce que,
actuellement, notre système, à tous égards, est
irresponsable et encourage justement la détérioration des
énergies vives de la nation qui se retrouve ainsi prise dans un
système à tout prix incohérent et qui entretient la
pauvreté.
J'écrivais, en 1977: La démonstration des "in-congruences"
entre les régimes d'assurance-chômage, de salaire minimum, d'aide
sociale, l'illustration des situations difficiles imposées par
l'occupation provisoire dans l'emploi et l'insuffisance des divers
régimes pour combler les manques à gagner dans les
périodes de chômage, tout cela constitue un plaidoyer vigoureux
pour la mise en oeuvre d'un véritable régime de plein emploi et
de sécurité du revenu, revenu minimum garanti.
La mise en oeuvre des politiques de plein emploi doit accompagner les
politiques de revenu minimum garanti, sans quoi on contribuerait à
perpétuer une situation qui finit par être scandaleuse.
Je voterai oui à la question référendaire parce que
ce que le Québec revendique maintenant, ce n'est pas un caprice de
l'histoire, c'est la revendication légitime d'exercer une
responsabilité politique pleine et entière pour l'ensemble des
citoyens du Québec. Je voterai oui au mandat de négocier la
récupération totale de nos impôts et de notre pouvoir de
faire des lois parce que je crois en une société plus juste, je
crois que nous avons à y travailler, je crois que c'est notre
responsabilité première, je crois que c'est un chapitre de
développement qu'il nous faut résolument engager. Je voterai oui
au nom de toute la détermination que je veux mettre à
réaliser au Québec une société plus juste et
pleinement responsable.
La Vice-Présidente: M. le député de
Berthier. M. Jean-Guy Mercier
M. Mercier: Mme la Présidente, pour plusieurs
Québécois, ce débat est une autre étape dans une
lutte difficile à laquelle beaucoup de dévouement a
été consenti et nous avons conscience que ce n'est pas la
dernière étape d'une longue démarche. Je dis cela sans
lassitude car toutes les années pendant lesquelles l'essentiel de nos
préoccupations de militants a été de susciter patiemment
notre éveil national, c'est à nous-mêmes, individuellement,
en tout premier lieu, que cet effort a été
bénéfique sur le plan humain et à nous tous,
Québécois, qui avons acquis le respect qui est dû à
ceux qui luttent pour la défense de leurs droits.
Dans un monde occidental un peu blasé à relever des
défis technologiques, le projet national qui prend forme malgré
les obstacles représente pour notre peuple l'occasion de vivre des
moments de solidarité dont tous les peuples qui ont pris en main leur
destin se souviennent avec nostalgie. C'est aussi l'occasion, à travers
notre fierté retrouvée, d'attaquer avec le maximum de chances de
succès possible les problèmes modernes de l'énergie, de
l'harmonie entre l'homme et la nature, de l'éducation des besoins qui
seule permettra de sortir du cercle infernal de l'inflation et de la
récession. C'est à partir de ces ressources humaines que l'homme
pourra résoudre les contradictions des sociétés
industrielles. (21 h 40)
Notre lutte, Mme la Présidente, est une lutte éminemment
moderne. A travers cette lutte pour la reconnaissance de nos droits les plus
légitimes, j'aurai appris à connaître et à aimer mes
compatriotes. Vous savez, Mme la Présidente, et cela, je pense que
l'action politique nous le démontre, si cette société
devait payer le prix de tous les gestes bénévoles faits pour que
la vie en société soit agréable, les budgets des
gouvernements seraient bien insuffisants. Nous particulièrement, au
Québec, nous avons vécu ces situations. Tout le système
scolaire, les institutions de santé, nos hôpitaux, les centres
d'hébergement pour personnes âgées ont au départ
été mis en bonne partie sur pied à coup de
bénévolat et de dévouement. Nous avons accompli tout cela,
et si nous pouvions retrouver ce même dynamisme, les autres défis
qui s'offrent à notre peuple seraient bien faciles à
surmonter.
Pour que nous soyons aujourd'hui le peuple que nous sommes, il a fallu
beaucoup de rêves et d'espoirs, de travail et de ténacité.
Si, aujourd'hui, la réussite d'une carrière et la
fidélité à nos valeurs et à nos traditions ne sont
plus incompatibles, c'est déjà que le nationalisme
québécois est devenu un élément dynamique de notre
société. Il y a une génération, Mme la
Présidente, ce n'était pas si simple. J'aurai vécu un
épisode de l'histoire du Québec pendant lequel il était
possible d'affirmer notre identité sans s'attirer les foudres de nos
concitoyens anglophones. C'est tout à notre honneur et aussi à
celui des conquérants qui progressivement sont devenus nos voisins.
Notre lutte n'est quand même pas sans contraintes, mais celles-ci
sont beaucoup plus à l'intérieur de notre volonté que sous
la forme d'une pression physique, sociale ou économique.
La question qui est devant nous et qui, essentiellement, réclame
un mandat pour le gouvernement du Québec de négocier une nouvelle
entente d'égal à égal avec la nation anglophone va dans le
sens de la continuité historique du Québec. Dire non à
cela, ce serait nous renier; cela ne se fait pas. L'attitude du Canada anglais
a beaucoup évolué à notre égard depuis vingt ans,
mais nous avons aussi, au cours des années, fait notre large part au nom
de la coexistence pacifique des deux peuples. Malgré tout, nous avons
eu, plus souvent qu'à notre tour, à subir une forme
d'hostilité. Moi, j'ai vécu cette hostilité en 1963, pour
la première fois, dans l'Aviation royale du Canada où
j'étais perpétuellement en contradiction entre mon désir
de rester fidèle aux aspirations du peuple québécois et
cette espèce de raison d'Etat à laquelle il me fallait
participer. J'ai pris conscience rapidement que ce problème ne pouvait
être éliminé que par notre volonté collective. J'ai
pris conscience que nous pouvions, en tant que peuple, résoudre des
injustices qui nous étaient faites quotidiennement en tant qu'individus.
Ce fut le début de mon engagement politique.
Les nationalistes du Québec ont permis à de nombreux
francophones bilingues d'obtenir des postes qui nous étaient, depuis
toujours, refusés. Le pouvoir anglo-saxon voulait par cela, sans doute,
nous amadouer. Qu'importe, nous avons occupé ces postes et
consolidé nos positions. Loin de nous rassasier, ces victoires nous ont
donné le goût d'obtenir davantage. La liberté, quand un
peuple goûte à cela, il ne veut plus s'en passer et en
réclame davantage.
Mais toutes ces victoires sont encore bien fragiles car, si le mouvement
allant vers notre affirmation nationale devait être freiné, nous
perdrions bien vite le respect acquis de haute lutte, pendant des
générations. Car, dans l'ensemble canadien, nous ne sommes
toujours, et de plus en plus, qu'une minorité. Si nous laissions le
gouvernement fédéral accentuer sans contrainte la centralisation
des pouvoirs politiques et économiques, comme le propose de fait le
livre beige, entre autres, le gouvernement du Québec ne serait
bientôt plus qu'un gouvernement provincial comme tous les autres, alors
que, de tout temps, tous les gouvernements du Québec ont tenté
d'en faire le gouvernement par excellence, le premier gouvernement des
Québécois.
La question proposée à cette Assemblée nationale et
sur laquelle nous aurons bientôt à voter s'inscrit bien dans cette
trame historique. En somme, une proposition qui est celle du gouvernement
contenue dans le livre blanc, et une autre proposition servant de base au non
qui est celle de l'Opposition officielle. Je tiens pour acquis que le livre
blanc a déjà été lu par des milliers de
Québécois. Je me permets cette publicité du livre beige,
je l'ai lu personnellement avec beaucoup d'attention; je pense que tous ceux
qui s'intéressent à la question politique
québécoise découvriront bientôt que cette
proposition serait très rapidement la sépulture de toutes nos
aspirations nationales depuis des générations.
Depuis cette publication du livre beige de l'Opposition, nous savons
mieux quelle est la pseudo-solution de rechange de l'Opposition pour faire face
au mandat de négocier une nouvelle entente qui est proposée par
le gouvernement par le livre blanc.
Je vais donner deux exemples au hasard, extraits du livre beige, qui
illustrent bien le niveau de servilité qu'a atteint l'Opposition
officielle. Un premier exemple dans le domaine de l'agriculture, et un
deuxième dans le domaine du partage des responsabilités
économiques. Dans le domai-
ne de l'agriculture, à la page 104 du livre beige, au paragraphe
3 de la recommandation 22, il est dit et je cite: "Le gouvernement
fédéral aura compétence sur les aspects interprovinciaux
et internationaux du commerce agricole, la classification, l'inspection et le
contrôle épidémiologique des produits agricoles et du
bétail qui sortent du marché local.
En principe, Mme la Présidente, cela veut dire que le
gouvernement fédéral pourra continuer, si cette solution devait
être appliquée, à accepter le dumping de poulets
américains, pourra continuer à subventionner le dumping de la
patate du Nouveau-Brunswick, pourra continuer à couper les quotas des
producteurs de lait québécois et affecter une foule d'autres
secteurs de l'activité économique sur lesquels nous avons fait un
effort sans précédent, de façon à hausser le niveau
de la production québécoise et de la rendre le plus rentable
possible. Bref, tous les problèmes qu'on vit dans le domaine de
l'agriculture depuis des années restent entiers.
Dans le domaine du partage des responsabilités
économiques, on lit, à la page 111 du livre beige, à
l'article 2, et je cite: "La constitution imposera au gouvernement central
l'obligation de réduire les inégalités économiques
entre les régions et de favoriser l'équilibre dans le
développement des différentes parties du pays, entendre le
Canada." Ceux qui, comme on en voit des exemples dans mon comté, ont
vécu les chinoiseries des zones spéciales et des zones
désignées et non désignées doivent savoir que le
livre beige ne règle rien en laissant au gouvernement
fédéral, si cette solution devait être acceptée, et
à ses organismes le pouvoir de faire de la discrimination entre les
régions du Québec. (21 h 50)
Et puisqu'un exemple vaut mille mots, je me permets de lire une lettre
qui a été envoyée au ministre des Terres et Forêts
et dont j'ai obtenu copie. Elle provient d'un industriel de mon comté.
Elle nous a été envoyée le 16 octobre 1979 et je lis:
"Dû à un concours de circonstances incontrôlables dont nous
faisons mention plus bas, il appert que la construction de notre future scierie
à Saint-Côme ne pourra être terminée avant la fin de
1980. En effet, le MEER au fédéral nous affirme que la ville de
Saint-Côme n'est pas située dans une zone désignée
par leur ministère et qu'en conséquence, nous ne sommes pas
éligibles à une subvention ou à un octroi de 25% du
coût total de notre investissement. Comme ce dernier se chiffre à
$1 million, il va sans dire qu'une somme de $250 000 à titre d'aide
gratuite serait bénéfique pour la rentabilité de notre
usine. En conséquence, nous sommes coincés entre deux
réalités. "D'une part, nous sommes heureux depuis dix ans
à Saint-Corne et nous envisageons de bâtir une scierie à
cet endroit, nous conformant ainsi aux exigences du ministère des Terres
et Forêts. D'autre part, le fédéral, lui, nous
suggère de nous établir vers Saint-Michel " qui a
déjà, soit dit en passant, la plus grosse scierie du
comté, le plus gros "moulin" à scie du comté
"c'est-à-dire à sept milles et plus au nord de Saint-Zénon
afin de remplir les critères d'éligibilité. Puisqu'on
parle de $250 000 sur un projet de $1 million, il s'agit de quelque chose
d'important. Enfin, nous croyons qu'avec la permission de votre
ministère, nous pourrions attendre à la fin de
l'été 1980 pour débuter les travaux et ainsi courir la
chance que le zonage du MEER soit changé d'ici là et que
Saint-Côme y soit inclus, car c'est en juin 1980 que sera
révisé le zonage. Qu'il suffise de souligner, en guise de
conclusion, que quiconque coule des fondations ou achète des
pièces de machinerie avant d'avoir eu au préalable le "OK" du
MEER quant à l'approbation d'une subvention se retrouve alors
déclassé et inéligible à l'obtention d'un tel
octroi." C'est signé Jean-Pierre Lussier de Simon Lussier
Ltée.
Bref, ces chinoiseries, Mme la Présidente, qui donnent lieu
à un sabotage de la concurrence entre diverses régions, à
même les taxes perçues auprès des citoyens, je pense que
c'est une façon pour le gouvernement fédéral de nuire au
développement régional.
A l'intérieur du cadre étroit de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, loi du Parlement britannique, qui est
l'essentiel du débat qu'on a depuis des générations, qui
nous sert de constitution, à l'article 92, qui définit les
pouvoirs des provinces, les gouvernements du Québec ont de tout temps
tenté de donner le maximum de portée à tous ces pouvoirs.
De son côté, Ottawa, à partir de l'article 91 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique et des pouvoirs unilatéraux du
gouvernement fédéral, soit le pouvoir de légiférer
pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, le pouvoir d'urgence, le pouvoir
déclaratoire, le pouvoir de réserve et de désaveu, le
pouvoir résiduaire et surtout le pouvoir de dépenser, Ottawa,
dis-je, a tenté de tout temps de minimiser les pouvoirs du Québec
et de reconstituer un Etat unitaire, avec la complicité de la Cour
suprême qui, comme le disait si bien feu Maurice Duplessis, penche
toujours du même bord.
Dans sa rédaction même, la constitution contenait des
contradictions qui nous ont causé tous les problèmes que nous
vivons depuis des générations, depuis au moins 113 ans, nous, en
tant que gouvernement du Québec, mais aussi le gouvernement
fédéral.
Il y a des constances historiques qui finissent par avoir une
signification et nous avons abouti à cette absurdité que deux
gouvernements, prétendant tous deux représenter la volonté
des citoyens, avec des taxes issues des mêmes citoyens et des pouvoirs
politiques issus de la même constitution, poursuivent des politiques qui
sont essentiellement contradictoires, l'un, le gouvernement
fédéral, de plus en plus fort et voulant centraliser, l'autre,
toujours sur la défensive, le gouvernement du Québec, voulant
décentraliser. On sait que c'est la première constatation
d'un homme politique c'est très lourd, l'appareil gouvernemental;
deux machines gouvernementales tirant en sens opposé trop souvent, c'est
épouvantable.
Cette constance historique des relations
fédérales-provinciales, a usé plus d'un gouvernement du
Québec; il faut avoir beaucoup de prétention
pour croire qu'à partir d'un mandat de statu quo que constitue un
non au référendum, ce conflit historique entre le gouvernement
fédéral et le gouvernement du Québec va se transformer en
négociations empreintes de calme et de sérénité.
Les conférences fédérales-provinciales nous ont appris
que, peu importe la vigueur des chefs que le Québec envoyait à
Ottawa pour discuter des changements, les résultats étaient
plutôt minces. Je crois que c'est parce que jamais aucun gouvernement du
Québec n'a obtenu le mandat que nous demandons à la population du
Québec.
Si, comme je le disais plus tôt, notre affirmation collective dans
le domaine de la langue et de la culture nous a permis d'obtenir le respect de
nos droits individuels, de la même façon notre affirmation
collective autour d'une question politique amènera les changements
correspondant aux aspirations du peuple du Québec. Si nous devions, au
contraire, comme peuple, choisir la voie tortueuse du livre beige, nous
constaterions bientôt qu'il s'agit beaucoup plus d'un mandat de vendre le
Québec à la pièce pour satisfaire les gourmandises
centralisatrices fédérales qu'un mandat pour défendre les
intérêts traditionnels du Québec.
Tous les gouvernements du Québec qui ont négocié
debout se sont attiré les foudres d'Ottawa. Ce qui était vrai
pour le statut des francophones des années soixante est encore vrai pour
la reconnaissance du statut de leur gouvernement en 1980. Faut-il donc
comprendre que les partisans du non veulent négocier à genoux ou,
pire, à plat ventre? Quant à nous, parce que nous savons que la
négociation sera difficile et longue, il nous apparaît important
dès le départ d'avoir l'appui le plus unanime possible du peuple
québécois sur cette question précise. Cela nous
apparaît être la meilleure façon de sortir de l'impasse
constitutionnelle, une négociation debout avec un peuple uni pour
appuyer son gouvernement parce que les neuf autres provinces anglophones et le
gouvernement fédéral, eux, seront unis comme toujours quand c'est
sérieux. Merci, M. le Président.
Le Président: S'il n'y a plus d'intervenant, est-ce que
cela signifie qu'on passe au vote, M. le leader parlementaire du
gouvernement?
M. Vaillancourt (Orford): Je demande l'ajournement.
Le Président: M. le député d'Orford demande
l'ajournement. Est-ce que cette motion sera adoptée?
Des Voix: Adopté.
Le Président: Vous proposez l'ajournement des travaux?
Des Voix: Adopté.
Le Président: Adopté.
L'Assemblée ajourne ses travaux à demain 10 heures.
Fin de la séance à 21 h 58