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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le jeudi 5 juin 1980 - Vol. 21 N° 108

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! Moment de recueillement. Veuillez vous asseoir.

Affaires courantes. Déclarations ministérielles. Dépôt de documents. M. le premier ministre.

DÉPÔT DE DOCUMENTS

Rapport de la commission d'enquête Malouf sur le coût des Jeux olympiques

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, j'ai l'honneur de déposer en deux copies, le rapport de la commission d'enquête Malouf sur le coût de la XXIe Olympiade en complément d'un travail amorcé en 1977.

Le Président: Rapport déposé. M. le premier ministre.

Lettres télex de MM. Trudeau et Peckford et réponses du premier ministre

M. Lévesque (Taillon): En deux copies toujours, en deux exemplaires, je voudrais déposer la lettre télex par laquelle le premier ministre fédéral, M. Trudeau, m'invitait à la réunion qui aura lieu le 9 juin prochain et la réponse que je lui ai envoyée, de même que le télex de M. Peckford, premier ministre de Terre-Neuve, invitant les premiers ministres qui pourraient se rendre à une réunion le soir du 8 juin, c'est-à-dire la veille, à Ottawa, et la réponse que je lui ai fait parvenir.

Le Président: Merci. Document déposé. M. le ministre des Finances.

Mandats spéciaux

M. Parizeau: En vertu de l'article 42 de la Loi de l'administration financière, je dépose l'état des dépenses encourues sur les mandats spéciaux.

Le Président: Merci. Document déposé. M. le ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières.

Rapport annuel de la Régie de l'assurance automobile

M. Joron: J'ai le plaisir de déposer le rapport d'activités de la Régie de l'assurance automobile du Québec pour l'année 1979-1980.

Le Président: Rapport déposé, merci.

Dépôt de rapports de commissions élues. Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi privés.

Présentation de projets de loi au nom du gouvernement.

Présentation de projets de loi au nom des députés.

Questions orales des députés. M. le député de Saint-Laurent.

QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS

Mandat de perquisition non exécuté

M. Forget: Ma question s'adresse au ministre de la Justice. Dans le contexte des événements dont il a été question hier, c'est-à-dire l'arrestation de trois personnes suivie de leur remise en liberté, il y a eu aussi des perquisitions. Il semble que quinze mandats de perquisition aient été émis sous l'autorité du juge en chef Yves Mayrand et que quatorze de ces mandats de perquisition aient été exécutés par la police mais qu'un quinzième, dans la région de Québec, ne l'ait pas été.

Relativement à ce quinzième, des allégations qui sont désormais publiques font état qu'il visait le domicile d'un membre du cabinet d'un des collègues du ministre de la Justice. J'aimerais que le ministre de la Justice nous explique et justifie cette providentielle coïncidence qui fait que, sur quinze mandats de perquisition émis, par hasard, le seul qui n'ait pas été exécuté était celui qui visait une personne très près du gouvernement.

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: M. le Président, tel que je l'ai dit hier, l'enquête relative aux dommages causés à certains panneaux-réclame a été menée et continue d'être menée conjointement par la GRC, le service de police de la CUM et la Sûreté du Québec. Dans le cadre de cette enquête, comme l'a mentionné le député de Saint-Laurent, un certain nombre de perquisitions ont été effectuées; les policiers se sont notamment intéressés à un certain individu et ont envisagé une perquisition à l'adresse qu'il donnait.

Cependant, les policiers se sont aperçu que cette adresse était celle d'une autre personne, à laquelle se réfère probablement le député de Saint-Laurent, et non la résidence de l'individu auquel les policiers s'intéressaient. C'est à ce moment-là qu'ils ont décidé tout simplement de ne pas procéder à une perquisition. Je pense que c'est plein de bon sens que de ne pas faire de perquisition au mauvais endroit, surtout que, selon les policiers et selon l'enquête qui a été menée, la personne dont l'adresse était indiquée n'était, en aucune façon, soupçonnée par les corps policiers. (10 h 20)

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, je regrette de constater que le ministre se livre à son jeu habituel du chat et de la souris.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent, votre question, s'il vous plaît.

M. Forget: Nous parlons bien — et je reviens à la charge avec ma question, M. le Président — de M. Claude Plante, chef de cabinet du ministre Joron, qui a hébergé, de façon plus qu'occasionnelle, semble-t-il, une des trois personnes arrêtées

en relation avec les bombes sur les panneaux-réclame, un M. Ramsay. Si mon information est exacte.

Le ministre dit qu'il s'agit d'une erreur quant aux faits. J'aimerais qu'il nous confirme que selon lui, le juge Mayrand s'est trompé en émettant ce mandat de perquisition relativement au domicile de M. Plante, domicile qu'avait partagé au moins occasionnellement M. Ramsey qui était directement visé par les enquêtes et les investigations de la police relativement à ces bombes.

M. Bédard: M. le Président...

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard:... au niveau de cette enquête, tout s'est fait strictement au niveau policier et à partir d'un mandat de perquisition qu'avaient les policiers, qu'ils avaient obtenu du juge Mayrand. Je l'ai dit tout à l'heure, au cours de leur enquête, ils se sont aperçu que la personne qu'ils visaient n'était pas M. Plante en aucune façon, et c'est selon les policiers. Je peux donner cette information au député de Saint-Laurent qui, je l'espère, va arrêter ses insinuations par rapport à des personnes et même je dirais ses accusations par rapport à une personne précise, M. Plante, entre autres, parce que, selon les policiers, M. Plante n'a jamais été soupçonné en relation avec cette affaire et ce n'est pas à lui que la police s'intéressait, ce qui a amené de la part des policiers — et c'est tout à fait normal — la décision de ne pas procéder à une perquisition par rapport à un individu qui n'est pas M. Plante, mais qui avait donné l'adresse de M. Plante ou qui avait pu demeurer là un certain temps, je ne le sais pas.

M. Forget: M. le Président...

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: ... le ministre de la Justice ne reconnaît-il pas qu'il y a une différence essentielle entre un mandat d'arrestation et un mandat de perquisition? Il s'agissait d'aller voir sur des lieux qui ont été habités pendant au moins un certain temps par un des suspects pour voir s'il n'y avait pas là des preuves incriminantes relativement à cette personne. L'argument que le ministre de la Justice nous sert est absolument à côté de la réalité. Il ne s'agissait pas d'arrêter M. Plante. Il s'agissait de visiter son domicile qui a été aussi, au moins temporairement ou occasionnellement, le domicile de l'un des suspects. Il était tout à fait normal d'exécuter ce mandat de perquisition et, dans les cas où il ne se serait pas agi d'un membre d'un cabinet de ministre, la police aurait exécuté le mandat de perquisition et le ministre de la Justice le sait très bien.

Le Président: M. le ministre... M. Bédard: M. le Président...

Le Président: ... de la Justice.

M. Bédard:... comme d'habitude, le député de Saint-Laurent profère non seulement des accusations, des insinuations, mais il tire des conclusions qu'il n'a pas à tirer lui-même puisque c'est aux policiers qui sont chargés d'une enquête de décider s'ils doivent ou non travailler dans le sens d'un mandat de perquisition. On n'en est quand même pas... Le député de Saint-Laurent nous donne simplement une image de ce que pourrait être la justice administrée par l'autre côté de cette Chambre qui ne tient...

Des Voix: Ah!

Une Voix: La Gestapo!

M. Bédard: ... compte en aucune façon du respect des droits et libertés individuels, du respect du domicile des citoyens. A partir du moment où les policiers se rendent compte qu'ils ne doivent pas faire une perquisition à un endroit précis parce que la personne qui habite à cet endroit n'est en aucune façon soupçonnée, ce qui est le cas de M. Plante, ils ont le droit de prendre, à ce moment-là, les décisions qui s'imposent dans le plus pur respect des droits et libertés individuels. On n'en est quand même pas pour revenir — je m'interroge si ce ne serait pas le cas s'il fallait que le député de Saint-Laurent soit de ce côté-ci de la Chambre — avec l'exécution de mandats de perquisition et d'arrestations comme cela s'est fait en octobre 1970, sans aucune preuve, avec des gens qui ont été arrêtés, qui ont été gardés dans des prisons et contre lesquels on n'a porté absolument aucune accusation. Une justice comme celle-là, vous pouvez être sûrs d'une chose: c'est qu'elle n'existera pas ou elle n'existera plus tant que nous serons de ce côté-ci de la Chambre.

Des Voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Le ministre de la Justice ne con-viendra-t-il pas...

Une Voix: Mesures de guerre.

M. Forget: ... que les mandats de perquisition n'ont pas été émis, dans ce cas-là, en vertu d'une loi spéciale quelconque, mais par un juge et le juge en chef de la Cour des sessions de la paix, et qu'un juge n'émet pas de mandat de perquisition sans être convaincu qu'il y a des raisons suffisantes pour le faire?

M. Bédard: II y a des exemples autant comme autant et vous devriez peut-être essayer de retourner dans le passé. Je pourrais vous donner plusieurs exemples de mandats de perquisition qui sont demandés par des policiers, à un juge en l'occurrence, et qui ne sont pas exécutés à la suite d'une analyse qui est faite par les policiers sur l'opportunité ou non d'exécuter ce mandat.

Une Voix: ...

M. Bédard: Oui, l'opportunité... D'abord, ce travail est fait au niveau policier sans qu'aucune intervention de l'extérieur n'ait lieu. Ce sont eux qui ont pris leurs décisions. Ayant à l'esprit le respect des droits et libertés individuels, le respect du domicile des citoyens, à partir du moment où des policiers se rendent compte que la personne qu'ils soupçonnent n'est plus reliée à l'endroit où ils devaient faire une perquisition, je pense que le minimum de respect du droit du domicile des citoyens, c'est de prendre la décision que les policiers ont prise.

Ce qui est intéressant et ce qui est important — c'est ça, je pense, l'élément important en dehors des insinuations faites par le député de Saint-Laurent— c'est l'accusation ou l'insinuation qu'il semble laisser planer selon laquelle un chef de cabinet serait impliqué. Or, ce n'est pas le cas. Au contraire, selon les policiers, et non pas selon le ministre de la Justice, je peux vous le dire, à partir des informations obtenues par les officiers du ministère de la Justice, M. Plante n'a jamais été soupçonné en rapport avec cette affaire. Ce n'est pas à lui que la police s'intéressait et il est tout à fait normal qu'on ait décidé de prendre la décision de respecter le domicile de la personne en question.

Si le député de Saint-Laurent veut faire des accusations précises à l'endroit de M. Plante... Il se permet de lancer de mots et des noms à tort et à travers, avec les dangers pour la réputation... Hier, le député de Saint-Laurent me demandait de donner des noms de personnes soupçonnées ou de personnes qui ont pu être interrogées à l'occasion de cette enquête. M. le Président, s'il fallait qu'un ministre de la Justice commence à porter à la connaissance de la Chambre et des citoyens tous les noms des personnes qui ont pu être soupçonnées par la police à l'intérieur d'une enquête, ce ne serait plus vivable. On risquerait de briser des réputations, on risquerait de jeter des soupçons qui sont inacceptables sur des personnes, tel que le fait le député de Saint-Laurent.

J'invite le député de Saint-Laurent, s'il est sérieux, à répéter son accusation à l'extérieur de la Chambre concernant M. Plante, avec le tort qu'il lui fait présentement; au moins il donnera à M. Plante, qui est un citoyen comme les autres, le droit de le poursuivre en diffamation.

Des Voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

Des Voix: Cela vous fait mal.

Une Voix: Des diffamations!

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Question de privilège, très brièvement, M. le Président, sur deux points. Le ministre de la Justice — j'allais dire dans son plaidoyer — dans sa réponse, a dit que j'avais accusé, a impliqué que j'avais accusé M. Plante de quoi que ce soit. Je ne l'ai pas accusé de quoi que ce soit; il n'a donc pas à le défendre. Premier point. (10 h 30)

Deuxième point, je n'ai pas de leçon à recevoir du ministre de la Justice ou d'aucun membre de ce gouvernement, quant à l'utilisation des privilèges parlementaires. Le ministre des Richesses naturelles a montré comment il comprenait l'utilisation des privilèges et de l'immunité parlementaire et il n'a pas de leçon à donner à personne. Il devrait plutôt en faire à son collègue.

Le Président: M. le député de Maisonneuve.

M. Lalande: M. le Président, en question additionnelle au ministre. Peut-être pourra-t-il répondre par la suite, au sujet du mandat de perquisition auquel le ministre se réfère, à la suite d'une enquête policière. On sait qu'un mandat de perquisition se fait toujours à la suite d'une enquête policière que l'on présente devant un juge des sessions de la paix ou devant un juge de paix. Or, à la suite de cette enquête qui a été faite par les policiers, on a demandé au juge d'émettre un mandat de perquisition. Comment se fait-il que ces mêmes policiers ou d'autres policiers, suite à l'enquête qui a été faite par les policiers, aient décidé de ne pas exécuter un mandat qu'eux-mêmes avaient demandé et après enquête? Eux, ont fait une enquête. Ils demandent au juge d'émettre un mandat. Le juge l'émet et ces mêmes policiers, pour des motifs que le ministre ne nous explique pas, ne vont pas utiliser ce mandat. Il faudrait qu'il nous explique pourquoi les policiers ont changé d'idée en cours de route, après que le juge eût sanctionné ce mandat de perquisition.

Une Voix: "Bédardgate"

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: On essaie de faire un plat avec rien. Peut-être qu'on essaie de faire oublier certaines conclusions du rapport Malouf, concernant l'approvisionnement de la caisse du Parti libéral. Mais, j'ai donné la réponse à mon collègue d'en face tout à l'heure. Il aurait dû écouter la réponse que j'ai donnée. C'est tout simplement que les policiers se sont rendu compte que l'adresse qui était donnée par la personne qui était soupçonnée n'était plus l'adresse qui était indiquée sur le mandat de perquisition. Je pense que, c'est très clair et très normal que les policiers n'aient pas voulu exécuter un mandat de perquisition.

Vous, qui défendez les droits et les libertés individuels, vous le prétendez. Il est tout à fait normal que les policiers, probablement à partir de cette analyse, aient décidé de ne pas exécuter à ce moment un mandat de perquisition chez une personne qui n'était soupçonnée absolument de rien, par rapport à cette affaire. Je crois qu'ils ont pris une décision normale.

Pour ce qui est du député de Saint-Laurent, je serais porté à dire qu'il est peut-être possible que

le détective du Parti libéral, le député de Saint-Laurent, fin limier et avec l'astuce et la finesse qu'on lui connaît, ait découvert des faits qui ont échappé aux policiers et qui seraient susceptibles d'accélérer l'administration de la justice. Je pense qu'il connaît son devoir. Si c'est le cas, je l'invite à dire aux policiers, sans aucune hésitation, les éléments de preuve qu'il peut avoir de plus, de manière que ceux-ci inscrivent cela dans l'enquête. Ils peuvent même rencontrer le député de Saint-Laurent et, leur enquête étant terminée, ils feront ce qu'ils font dans n'importe quelle autre situation ou enquête de même nature. S'il y a des preuves, des accusations seront portées.

M. Forget: M. le Président, question de privilège.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Le ministre de la Justice implique que je connais des événements que je dissimulerais volontairement à l'administration de la justice...

M. Bédard: Question de privilège, M. le Président.

M. Forget: C'est une suggestion indigne.

M. Levesque (Bonaventure): C'est une question de privilège, M. le Président.

M. Forget: Je n'ai pas interrompu le ministre. C'est une suggestion indigne.

J'ai demandé au ministre de nous expliquer un hasard providentiel qu'il n'a pas réussi à nous expliquer malgré ses longs développements. Un mandat de perquisition n'est pas dirigé contre une personne, mais contre un lieu où on soupçonne que se trouvent des preuves incriminantes. Rien, dans tout ce que le ministre a dit, ne nous porte à croire que la police ou le juge se sont trompés en émettant le mandat de perquisition vis-à-vis de ce lieu, indépendamment de la culpabilité ou de la non-culpabilité de M. Plante. Il y a là un lieu où pouvaient se trouver des preuves incriminantes. C'est désormais considéré comme un asile, parce qu'il s'agit d'un chef de cabinet.

M. Bédard: M. le Président...

Le Président: M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Si on commençait à parler des asiles et en revenant au passé, on aurait pas mal de choses à se dire. Mais, encore là, le député de Saint-Laurent porte encore des accusations, fait des interprétations qui sont tout à fait inacceptables dans le sens d'une bonne administration de la justice. Ce n'est pas le ministère de la Justice, les officiers du ministère de la Justice qui ont eu des décisions à prendre là-dedans, ce sont les policiers.

Oui mais moi je vous dis que tout ce travail s'est fait au niveau policier. Et, au contraire, si vous voulez insinuer quoi que ce soit, levez-vous et vous savez ce que vous avez à faire. Je suis capable de répondre à n'importe quel temps à toutes vos interrogations. N'importe quel temps.

Des Voix: Levez-vous.

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bédard: M. le Président.

Le Président: M. le ministre de la Justice, brièvement s'il vous plaît!

M. Bédard: Je termine simplement en disant ce que le député de Saint-Laurent prétend que nous n'avons pas expliqué la décision prise, non pas par le ministère de la Justice mais par les policiers, de ne pas faire une telle perquisition, parce que l'individu qui y habite n'était soupçonné en aucune façon, dans le cas de M. Plante. Je pense que cette décision a été évaluée par les policiers chargés de l'enquête. Si on parle vraiment du respect du domicile des citoyens, je crois que, si tels sont les faits, les policiers ont pris une très bonne décision.

Le Président: M. le député de Portneuf.

Conflit à l'Office de la construction

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je n'ai pas de question pour le ministre de la Justice, je vais lui donner le temps de se refroidir un peu. J'aurais peut-être pu lui en poser, mais je vais m'adresser au ministre du Travail ce matin.

Il y a un conflit qui sévit présentement à l'Office de la construction du Québec entre l'OCQ et l'Union internationale des employés professionnels et de bureau alors que plus de 600 employés sont en grève dans le moment, ce qui cause évidemment des problèmes dans tout le secteur de la construction, ce qui entraîne qu'il n'y a aucun contrôle de la sécurité dans le moment sur les chantiers de construction du Québec et ceux de la Baie James. Vous n'êtes pas sans savoir l'importance des contrôles de la sécurité sur les chantiers de construction. Les régimes d'avantages sociaux pour les employés de la construction ne sont pas en application dans le moment, soit pour un employé qui demande une indemnité, une prestation d'assurance ou autres, ou les payes de vacances qui s'en viennent, etc.

J'aimerais demander au ministre du Travail qu'il fasse le point sur le conflit dans le moment. J'aimerais qu'il le fasse non pas comme ministre responsable de l'OCQ, mais véritablement comme ministre du Travail parce qu'il y a peut-être un danger de conflit d'intérêts chez le ministre entre ces deux chapeaux. J'aurai, à la lumière des informations qui nous seront données par le ministre du Travail, une question additionnelle pour le ministre des Finances.

Le Président: Merci.

M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: II y a, en effet, une grève des employés de l'Office de la construction du Québec membres de l'Union des employés de commerce. Il y a, au cours de cette grève, des perturbations normales des services qu'on connaît, de sécurité, de placement, d'avantages sociaux et d'application du décret. Cependant, en matière d'inspection, s'il est exact qu'il n'y a pas d'inspection proprement dite qui est effectuée par les salariés qui sont en grève, entre autres dans le cas des grues à tour, les inspections continuent d'être faites comme elles le sont en général dans les circonstances par les services d'inspection du ministère du Travail. Il ne s'agit pas d'un remplacement; il s'agit bel et bien de ce qui se fait de façon générale, le ministère continue de s'en occuper.

D'autre part, le ministère a avisé les employeurs de porter une attention particulière à la question de la sécurité, compte tenu de l'absence d'inspection. Quant au placement, les cadres, comme c'est prévu dans la loi, continuent d'assumer ces fonctions pour que cela prive le moins possible les travailleurs du droit qu'ils ont d'obtenir un service. Il en est de même pour les avantages sociaux où l'assureur continue de donner ses services. Quant au décret, la vérification des livres ne se fait pas actuellement et une demande a été faite aux employeurs de continuer à transmettre les rapports mensuels comme ils le font habituellement.

Il s'agit d'un dossier où, effectivement, il y a conciliation. Il y a, je dois le dire, essentiellement un objet en litige. C'est une réouverture sur les salaires, ce n'est pas l'ensemble de la convention qui est en cause. Dans cette réouverture sur les salaires, les demandes syndicales et les offres patronales donnent lieu à un fossé qui est difficile à franchir. C'est ce qui se passe comme dans toute négociation. Le temps, la conciliation, les efforts des deux parties devraient, j'espère, nous amener à un règlement.

Le Président: M. le député de Portneuf. (10 h 40)

M. Pagé: M. le Président, une question au ministre des Finances. Effectivement, la convention collective prévoit, à l'article 25.01 une réouverture de la convention pour la troisième année. Ce qui est offert par l'Office de la construction du Québec, c'est 7% dans l'échelle et 2% forfaitaire — selon les informations que j'ai — et ce qui est demandé par les travailleurs de l'OCQ, c'est-à-dire les 4% de forfaitaire qu'ils ont perdus en janvier et 8,5% d'augmentation, soit 12,5% d'augmentation.

J'aimerais demander au ministre des Finances s'il accepte qu'en vertu de la situation qui prévaut actuellement, le travailleur qui, au 1er janvier 1978, recevait $386 par semaine et qui, au 1er janvier 1979, recevait $392 par semaine, ce même travailleur, au 1er janvier 1980, reçoive $377 par semaine, soit une perte nette, une diminution de son revenu pour la même semaine de travail.

On sait d'ailleurs, M. le Président — le ministre des Finances pourra le confirmer — que, normalement, dans un secteur comme celui-là, pour qu'une personne puisse être inspecteur à l'OCQ, il lui faut cinq ans d'expérience dans le secteur de la construction, d'où un salaire comparable avec celui du secteur de la construction.

J'aimerais, ce matin, que le ministre nous dise ce qu'il entend faire à cet égard. On dit que c'est bloqué au Conseil du trésor. Est-ce que le gouvernement entend modifier les positions de l'OCQ, déjà énoncées par l'OCQ dans le moment, et ce, dans quel délai? Cela est important et a beaucoup de répercussions.

Le Président: M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: II s'agit effectivement, comme le disait mon collègue du Travail et comme vient de le souligner le député de Portneuf, d'un conflit qui porte essentiellement sur une question salariale. Je pense qu'il est normal — ce n'est pas la seule table où cela se produit — une fois que les grandes phases de négociation sont terminées, quant aux salaires pour la majeure partie du secteur public, que quelques-uns des groupes qu'il reste à régler cherchent ou bien à faire des pointes, ou bien à obtenir un peu plus que les autres, en se disant: Maintenant, cela n'a pas de conséquence sur le reste, c'est déjà signé ailleurs.

Il est évident que le gouvernement, de son côté, doit faire attention de ne pas donner aux derniers qui passent, aux derniers qui négocient, une situation, des niveaux ou des rythmes de progression qui sont tout à fait incompatibles avec ce qu'il a signé ailleurs. L'origine du débat est là.

Nous avons déjà commencé à regarder... il y a cependant, et là je le reconnais, un certain nombre d'anomalies dans certaines offres qui avaient d'abord été présentées. Un processus de correction a été amorcé; la conciliation, je pense, devrait nous permettre d'en arriver à quelque chose. Je ne peux pas dire ici que le Conseil du trésor est, selon l'expression classique, dans le béton à cet égard. Nous avons montré, depuis quelque temps, que nous étions prêts à faire un petit bout de chemin. Maintenant, il est évident que, comme d'habitude dans une négociation comme celle-là, il faut que les deux parties fassent un certain bout de chemin. Je pense que c'est à cela que la conciliation doit servir. Je peux difficilement aller plus loin que cela, à moins vraiment qu'on se mette à négocier à l'Assemblée, M. le Président.

Le Président: M. le député de Bellechasse. Le placement étudiant

M. Goulet: M. le Président, ma question s'adresse au ministre du Travail. J'ai été saisi d'un problème concernant le placement étudiant qui touche un nombre important d'étudiants qui avaient fondé un espoir sur un emploi d'été. Ce problème touche aussi un nombre assez important d'employeurs qui voulaient répondre positivement à l'invitation du gouvernement, soit d'embaucher des étudiants au cours de la période estivale.

Il semblerait, d'après les informations reçues, alors qu'on est au tout début de la période des vacances et, dans certains cas, pour différents

étudiants, elle n'est pas encore commencée, qu'une directive aurait été donnée au placement étudiant de ne plus accepter de demandes venant d'employeurs éventuels.

Si tel est le cas, le ministre ne trouve-t-il pas aberrant le fait que les employeurs, au moment où ceux-ci sont prêts à participer en ce début d'été, s'entendent dire qu'on ne peut rien faire pour le moment. Le ministre peut-il faire le point à ce jour sur ce dossier?

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, à moins que je ne prenne avis de la question pour donner une réponse précise au tout début de la semaine prochaine, je pourrais simplement dire qu'au niveau des principes, le service de placement étudiant, comme on le sait, reçoit près de 100 000 inscriptions d'étudiants qui désirent travailler. Nous espérons permettre le placement d'une dizaine de milliers d'étudiants, ce qui serait déjà considérable par rapport aux années précédentes.

Effectivement, il y a eu au cours de la semaine dernière un ralentissement dans le traitement des données à cause des insuffisances budgétaires étant donné — disons-le carrément — le succès du programme. Les prévisions budgétaires nous amenaient à constater en l'espace de quelques jours que nous allions défoncer, à toutes fins utiles, nos budgets. C'est pourquoi une demande a été faite auprès du Conseil du trésor pour tenter de régulariser cette situation et faire en sorte qu'on puisse compléter nos postes budgétaires qui étaient déjà alloués et parvenir à rouvrir, dans la mesure du possible, certains de ces dossiers pour qu'au moins on puisse placer le nombre d'étudiants que nous avions envisagé.

M. Goulet: Question supplémentaire.

Le Président: M. le député de Bellechasse.

M. Goulet: Le ministre a parlé d'une directive. Il a parlé également de ralentissement. Ne devrait-on pas plutôt dire que, dans cette directive, on parlait d'arrêt? C'est la première partie de ma question supplémentaire. Le ministre ne croit-il pas que cette situation découle directement d'une mauvaise prévision budgétaire? Le ministre est-il conscient que plusieurs étudiants souffrent actuellement et souffriront éventuellement de cette situation et que plusieurs employeurs auront également perdu un temps considérable parce qu'ils ont voulu répondre positivement à l'invitation du gouvernement? Je prends comme exemple un employeur très important dans ma circonscription électorale qui place une commande de 25 étudiants parce qu'on a fait énormément de publicité là-dessus. Il a dit: Cette année, j'embauche 25 étudiants et on lui donne le droit d'en embaucher trois. Le ministre ne trouve-t-il pas cette situation aberrante? Lorsqu'il dit, M. le Président, qu'il a demandé un budget supplémentaire, pourrait-on savoir du ministre des Finances si nous aurons ce budget supplémentaire et quand nous l'aurons, parce que la période des vacances, nous y sommes actuellement, nous sommes même au début. Il ne faudrait pas attendre au mois de septembre pour nous fournir un rapport là-dessus.

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, avant de céder la parole à mon collègue des Finances qui fournira un élément de réponse, je voudrais simplement dire que, dans le cas de cet employeur dont nous parle le député de Bellechasse, il faudrait peut-être obtenir les données précises. Peut-être que les 25 n'étaient pas admissibles au programme. Il y a quand même des règles. Il ne s'agit pas simplement de dire: On va embaucher un étudiant. Il y a un minimum de règles et si le député de Bellechasse veut me faire parvenir l'ensemble du dossier, on verra à ce qu'il soit traité adéquatement.

Le Président: M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Oui, M. le Président, j'aimerais intervenir quelques instants sur cette question puisque le député de Bellechasse avait une question accessoire pour moi.

Je voudrais simplement dire ceci quant à l'administration de ce programme. Depuis quelques années, on constate que beaucoup d'employeurs annoncent au printemps qu'ils sont disposés à recevoir un assez grand nombre d'étudiants et quand l'été commence, ils annulent. Le résultat, c'est que depuis quelques années, on a des montants de crédits périmés considérables dans ce programme. On essaie d'établir un budget qui corresponde à la performance réelle en se donnant évidemment une marge de manoeuvre pour les annulations et je dois dire que les marges d'annulation, depuis quelques années, étaient considérables. Il semble que, cette année — on dit "il semble" — effectivement, il y a davantage d'employeurs qui soient disposés de façon ferme à embaucher des étudiants. Nous en sommes tous très contents. Cela a l'air que pour une fois, cette année, davantage d'employeurs sont sérieusement intéressés à en embaucher. C'est dans ce sens que, il y a dix jours, le Conseil du trésor a ajouté un budget additionnel dans ce programme. Je pense que, normalement, cette année, les employeurs qui veulent effectivement recruter des étudiants pourront le faire. Evidemment, je ne peux pas ajouter autre chose, M. le Président, que de dire que je suis très content que, cette année, les employeurs aient l'air d'être plus fermes dans leurs convictions ou dans leurs intentions que c'était le cas dans les dernières années.

M. Goulet: M. le Président...

Le Président: M. le député de Bellechasse.

M. Goulet: ... je voudrais faire préciser. Le ministre des Finances a-t-il bien dit qu'il y avait un budget supplémentaire depuis dix jours ou s'il y en aura un dans dix jours?

M. Parizeau: M. le Président, j'ai dit qu'il y a dix jours, le Conseil du trésor — et ce n'était pas mardi dernier, c'était le mardi d'avant — a donc... C'était bien cela, n'est-ce pas?

Une Voix: ...

M. Parizeau: Oui, c'est cela. Cela fait dix jours exactement. Le Conseil du trésor a ajouté $2 000 000 dans le programme.

M. Goulet: M. le Président, comment cela se fait-il...

Le Président : Une dernière question, M. le député de Bellechasse.

M. Goulet: Certainement. Comment peut-on expliquer que le ministre du Travail vienne nous dire qu'il demanderait un budget supplémentaire si cela fait dix jours que le Conseil du trésor s'est prononcé là-dessus? Deuxièmement, le ministre peut-il, cette semaine ou au début de la semaine prochaine — on ne veut pas être trop exigeant — déposer des chiffres nous démontrant clairement le nombre d'employeurs qui ont formulé des demandes et le nombre d'étudiants qui, au moment où nous parlons, n'ont pas été embauchés malgré les demandes des employeurs? (10 h 50)

En terminant, M. le Président, est-ce que la vraie cause ne serait pas plutôt que le budget de publicité de ce programme a été trop important ou aussi important que le budget prévu pour l'application du programme lui-même?

Le Président: M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: M. le Président, effectivement, la demande de crédits, non pas de crédits supplémentaires puisque nous sommes en train d'adopter ces crédits à l'Assemblée nationale, mais la demande de transfert de certains fonds et l'autorisation du trésor pour faire les transferts d'un poste à un autre a été effectuée il y a dix jours. Cependant, avant que cela ne se traduise dans le champ, dans un centre de main-d'oeuvre, dans une université ou dans un CEGEP, c'est le délai normal qu'il y a dans l'administration publique entre le moment où c'est décidé ici, à Québec, et le moment où un étudiant dans le comté de Bellechasse parle à un adjoint à la polyvalente qui s'occupe du placement étudiant et qui peut lui donner une réponse. Il ne faut quand même pas s'attendre que cela sorte du trésor ici et que le lendemain matin on obtienne sa réponse dans Bellechasse.

Deuxièmement, quant à la publicité, je pense que le ministre des Finances a clairement expliqué que le processus dans les années précédentes faisait qu'effectivement, beaucoup d'employeurs se désistaient. Moins d'employeurs semblent vouloir se désister. Ils semblent plus fermes dans leur intention d'embaucher des étudiants. Dans ces circonstances, le Conseil du trésor a accepté de faire en sorte que, contrairement aux années précédentes où il y avait beaucoup de crédits périmés, on ne coupe pas $1 000 000 ou $1 500 000 puisqu'on s'attendait qu'il y ait une péremption de crédits à ce niveau-là.

En d'autres termes, il n'y a pas d'argent nouveau. Il y a simplement une autorisation que les sommes antérieures soient effectivement dépensées et, s'il faut en mettre d'autres à la marge, il y en aura d'autres. Tant mieux s'il y a des emplois créés. En d'autres termes, c'est le succès du programme.

Quant à l'argent qui a été dépensé pour la publicité de ce programme, je dirai simplement au député de Bellechasse que cela a été efficace pour les étudiants et pour les employeurs et qu'il y en a eu beaucoup moins que ses petits amis en ont dépensé à même les fonds publics d'Ottawa pour des raisons politiques.

Le Président: M. le député de Maisonneuve.

M. Goulet: Question de privilège, pour rétablir certains faits. Le ministre dit que la directive n'est pas rendue dans le comté de Bellechasse, je le comprends. Mais, ce matin, à 9 h 50, elle n'était pas rendue à son ministère. J'ai parlé à des officiers assez haut placés de son ministère et également à la direction du Placement étudiant: cette directive n'était pas encore rendue là. Elle est loin d'être rendue dans le comté de Bellechasse, elle n'est même pas rendue à votre ministère.

Le Président: M. le député de Maisonneuve.

M. Lalande: M. le Président, ma question s'adresse au ministre des Transports, peut-être est-il aux alentours? A défaut du ministre des Transports...

Une Voix: II est à Montréal.

M. Lalande: Le premier ministre n'est pas là non plus.

Une Voix: Au leader.

Enquête sur l'industrie du taxi à Montréal

M. Lalande: Au leader parlementaire. M. le Président, le 9 avril dernier, en réponse à une de mes questions concernant la crise dans le monde du taxi à Montréal, ici devant cette Chambre et le lendemain en commission parlementaire, le ministre des Transports affirmait avec beaucoup d'emphase et beaucoup de conviction que, contrairement à mes prétentions, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes dans l'industrie du taxi à Montréal. Or, le 9 mai dernier, ce même

ministre des Transports demandait à la Commission des transports du Québec de faire enquête dans l'industrie du taxi à Montréal, notamment de réviser l'accréditation de la Ligue nouvelle de taxi du secteur A-11.

Ma question a deux volets. Premièrement, qu'est-ce qui a amené le ministre des Transports et le Conseil des ministres, j'imagine, à se contredire à ce point qu'à l'intérieur d'un délai d'un mois il en vienne non seulement à s'ouvrir les yeux sur les problèmes du taxi à Montréal, mais aille jusqu'à ordonner une enquête? C'est le premier volet de ma question. Deuxièmement, le ministre pourrait-il nous dire quel genre d'enquête fait la Commission des transports du Québec? Combien y a-t-il d'enquêteurs et qui sont-ils? Quel est le mandat des enquêteurs? Quand la commission doit-elle faire rapport devant le ministère des Transports ou devant le Conseil des ministres? Est-ce que la commission, au moment où on se parle, en même temps qu'elle a été saisie de cette demande de faire enquête a eu tous les documents requis pour pouvoir véritablement ouvrir une enquête?

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, je prends avis de la question et mon collègue des Transports répondra demain au député de Maisonneuve.

Le Président: M. le député de Rouyn-Noranda.

Tragédie à la mine Belmoral

M. Samson: M. le Président, je voudrais adresser ma question à l'honorable ministre de l'Energie et des Ressources; ça concerne la tragédie de la mine Belmoral de Val-d'Or qui dure depuis une quinzaine de jours maintenant.

Je suis persuadé que le ministre se tient au courant de la situation régulièrement; pourrait-il nous dire, ce matin, où en est la situation à la mine Belmoral, où en sont les opérations de sauvetage, qu'est-ce que cela a donné et quels sont les espoirs qui demeurent pour ces huit mineurs qui sont ensevelis sous terre?

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: M. le Président, je pense que les travaux sont peut-être un peu à l'état stationnaire, dans la mesure où on a abandonné effectivement l'espoir de découvrir deux mineurs qui travaillaient dans une chambre d'exploitation.

Au contraire, il existait de bons espoirs pour cinq autres mineurs qui, eux, fonçaient un puits d'aération et qui avaient pu être protégés lors de la montée des flots dans la mine.

Malheureusement, après cette longue période où ils doivent supporter des conditions de température très basse, d'une part, également de très fortes pressions et, possiblement, éventuellement, même manquer d'oxygène, il est extrêmement difficile de savoir s'il sera possible de les atteindre.

Soulignons qu'une des difficultés que rencontrent actuellement les secouristes, c'est que la mine s'est littéralement remplie de boue et, comme on est maintenant rendu au niveau de 350 pieds, il faut continuellement pomper cette boue; au fur et à mesure que l'on pompe, de la nouvelle boue accumulée dans les galeries latérales continue à descendre, ce qui fait que l'opération est très lente et très difficile.

Soulignons également qu'il s'agit de pomper en surface une boue très visqueuse, très lourde et que les pompes existant commercialement ne sont pas adéquates pour faire ce genre de travail, ce qui veut dire qu'elles "brûlent" continuellement, il faut continuellement les remplacer; c'est donc un travail très lent, malheureusement.

Le Président: M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, quel sens doit-on donner aux nouvelles parues dans les journaux de ce matin? D'une pari, un journal rapporte que trois des huit mineurs disparus ont été officiellement déclarés morts hier, par la Sûreté du Québec et, d'autre part, on dit que les secouristes acheminaient des aliments liquides par un conduit de deux pouces et que cette activité a été abandonnée sans explication. L'article continue en disant que le Dr Gérald Lapointe, responsable de l'aspect médical de l'opération, serait absent de la ville la semaine prochaine.

Cela nous amène-t-il à la conclusion qu'on a perdu tout espoir ou est-ce qu'il y a des coïncidences que le ministre peut nous expliquer?

Puisque je ne voudrais pas faire une autre question supplémentaire, je voudrais également demander au ministre, dans un deuxième volet de cette question supplémentaire, si cette situation qui s'est produite à la mine Belmoral permettra d'envisager, à la suite des études faites, à la suite des enquêtes faites par le ministère, de nouvelles façon de procéder, dans l'avenir, soit dans l'octroi des permis, soit dans les méthodes d'inspection ou autres, pour tenter d'éviter que cela se reproduise jamais.

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: Concernant l'article auquel fait référence le député de Rouyn-Noranda, je n'ai malheureusement pas les données techniques me permettant de répondre à sa question, mais je vais certainement les obtenir au cours de la journée.

Concernant les mesures à prendre pour éliminer de tels accidents, d'une part, il y a enquête du ministère de la Justice et du ministère de l'Energie et des Ressources, une enquête préliminaire pour tenter de comprendre ce qui s'est passé dans la mine et, ayant identifié les causes, de voir dans quelle mesure ces causes étaient prévisibles. Je ne peux donc pas présumer du résultat de l'enquête.

D'autre part, advenant évidemment le décès d'une personne dans la mine, il y aura enquête publique du coroner et, à ce moment, il y aura une occasion de faire la lumière sur toutes les procédures en cours à la mine et toutes les procédures d'inspection qui pourraient éventuellement être reliées à l'accident qui s'est produit. (11 heures)

Cependant, je dois dire qu'un élément qui m'apparaît déficient, c'est la connaissance que nous avons de la mécanique des roches, qui nous permettrait de prédire ce genre d'accident. Il n'y a malheureusement que très peu d'experts, tant au Québec qu'au Canada, dans ce domaine de la mécanique des roches. On y va beaucoup plus suivant les règles de l'art que suivant les véritables connaissances scientifiques d'une façon générale et, par conséquent, nos procédures d'inspection pourraient avoir à être revues, de manière à peut-être incorporer les connaissances les plus récentes dans ce domaine. Je ne vous cache pas que nous étions à travailler à un projet de règlement pour les exploitations sous les lacs, justement considérant les dangers plus grands de telles exploitations minières, considérant qu'il y aurait peut-être lieu d'instaurer une réglementation beaucoup plus sévère pour l'exploitation minière. Mais je pense qu'il faut reconnaître qu'il y a une faiblesse dans notre procédure, qui est beaucoup plus liée à notre manque de connaissances qu'à une mauvaise volonté.

Le Président: M. le député d'Abitibi-Est.

M. Bordeleau: M. le Président, une question additionnelle toujours concernant cette tragédie de Belmoral et concernant l'enquête dont le ministre vient de parler. Je sais qu'il y a une enquête en cours conjointement par le ministère de la Justice et par le ministère de l'Energie et des Ressources. Mais il y a quand même des gens dans mon comté qui se posent un certain nombre de questions, à savoir si cette enquête va vraiment faire la lumière sur tous les aspects de la tragédie. Est-ce que le ministre, après l'enquête déjà en cours, si cette enquête n'était pas suffisante pour vraiment clarifier la situation, peut s'engager ici, en Chambre, à procéder à une enquête plus complète, soit à une enquête publique, pour que vraiment tous les points de cette tragédie soient clarifiés et que la situation soit claire pour tout le monde pour que des accidents comme ça ne se reproduisent plus?

Le Président: M. le ministre de l'Energie et des Ressources.

M. Bérubé: Je ne voudrais pas interférer avec le mandat du ministre de la Justice pour autant que l'enquête du coroner est concernée et, aussi, je pense que ce n'est pas à moi de prendre position immédiatement. Toutefois, je pense qu'une chose qui est absolument évidente, c'est qu'il va falloir que nous connaissions les causes de cet accident, de manière que nous puissions voir dans quelle mesure il pouvait être prévisible.

Cependant, je dois dire qu'il n'est probablement pas possible d'éviter tout accident en exploitation minière. Alors, l'objectif sera de rendre les accidents les plus impossible possible. Mais, évidemment, étant donné le peu de connaissances que nous avons dans ce domaine de la mécanique des roches, ça m'apparaît extrêmement difficile d'anticiper toutes les conditions naturelles qui pourraient exister dans une mine. Mais une chose est certaine, c'est qu'il y a des conditions déjà que l'on peut observer dans le cas d'exploitations sous l'eau ou dans des conditions semblables à celles qui prévalaient à la mine, qui peuvent être modifiées de manière à rendre les mines plus sécuritaires et c'est de ce côté, en tout cas, qu'on peut commencer à faire porter notre attention.

Le Président: Merci. Fin de la période des questions.

M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Est-ce que j'en suis aux avis à la Chambre, M. le Président?

Le Président: Aux avis à la Chambre.

M. Charron: Oui, il n'y a pas de motions non annoncées, ce matin, M. le Président?

Le Président: II n'y a pas de motions non annoncées et pas d'enregistrement des noms sur les votes en suspens.

M. Levesque (Bonaventure): Un instant, M. le Président.

Le Président: M. le leader de l'Opposition officielle, sur une motion non annoncée.

Motions non annoncées Modification au feuilleton

M. Levesque (Bonaventure): J'aurais une légère motion à faire, avec le consentement de la Chambre. Je voudrais suggérer une correction au feuilleton de ce jour. A la page 3, je voudrais que le nom de M. Raynauld soit changé. Je suggère que ce soit le mien, simplement pour la forme, qui y soit substitué. J'ai dit que c'était pour la forme! Je suggérerais également de rayer les dix derniers mots de la motion puisque ça devient désuet, tout le monde sachant maintenant le résultat du référendum du 20 mai 1980. Je pense bien que je n'ai pas à insister sur ce voeu, à moins qu'on ne veuille en faire un débat et, à ce moment, évidemment, on aurait facilement le consentement de l'Opposition officielle.

M. Charron: Rayer les dix derniers mots de la motion dont vous venez de vous faire le parrain.

M. Levesque (Bonaventure): Le parrain.

M. Charron: Oui. C'est un amendement en bonne et due forme, si je comprends bien. Il

devrait être fait dans le cadre du débat. Vous pouvez proposer cet amendement.

M. Levesque (Bonaventure): Si on veut le conserver, on peut le conserver également. C'est simplement une suggestion.

M. Charron: C'est mieux.

Le Président: En ce qui concerne le changement de parrain, est-ce que la motion sera adoptée?

M. Charron: Adopté.

Le Président: Adopté. Enregistrement des noms sur les votes en suspens.

Les avis à la Chambre, maintenant.

Avis à la Chambre

M. Charron: M. le Président, je voudrais indiquer tout de suite à l'Assemblée que lorsqu'elle s'ajournera à 18 heures demain soir, vendredi, ou aux alentours de 18 heures, lorsque son travail de demain sera accompli, elle s'ajournera jusqu'à mardi 15 heures.

Il y aura toutefois réunion de trois commissions parlementaires lundi. Je les nomme tout de suite pour que certains députés sachent qu'ils ne bénéficieront pas d'une journée dans leur comté, comme d'autres. C'est coutume et normal dans cette période de fin de session. Il y aura donc, lundi, réunion de la commission des finances — j'en donne avis tout de suite, M. le Président — au salon rouge, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 24 heures; pas de matinée lundi. Cela commencera à 15 heures lundi après-midi. A 81-A, ce sera la commission des affaires sociales pour l'étude de ses crédits, et à 91-A, la commission des affaires culturelles pour l'étude de ses crédits, aux mêmes heures que celle des finances, évidemment.

Mardi matin, je puis annoncer tout de suite que, de 10 heures à 13 heures, deux de ces commissions, et peut-être qu'une troisième s'y greffera, mais pour le moment, je confirme que la commission des finances poursuivra l'étude de ses crédits, en matinée de mardi, et celle des affaires sociales également. Probablement que les affaires culturelles seront terminées lundi soir, m'a-t-on fait savoir, M. le Président.

Au cas où ce ne serait pas terminé lundi soir, cette commission sera invitée à continuer mardi matin. Ce qui fait que lorsque la Chambre se retrouvera ici à 15 heures, mardi après-midi, pour la période de questions, les crédits de ces trois ministères devraient normalement être terminés, sauf les affaires sociales. Nous pourrons procéder au début d'autres crédits. J'en donne tout de suite l'avis.

M. Levesque (Bonaventure): Est-ce qu'on pourrait répéter, parce qu'il y a eu un peu d'hésitation.

M. Charron: Lundi, trois commissions à compter de 15 heures: au salon rouge, les finances, à 81-A, les affaires sociales, et à 91-A, les affaires culturelles. Ces trois commissions continueront mardi matin de 10 heures à 13 heures si elles n'ont pas terminé leur travail à 24 heures lundi soir. Quant à la Chambre, elle se retrouve à 15 heures mardi après-midi pour la période de questions.

Je donne avis que ce soir, de 20 heures à 24 heures, il y aura trois commissions aussi qui procéderont à l'étude des crédits. Ce sera la fin de l'étude des crédits de l'éducation. La commission des engagements financiers, si elle n'a pas terminé son travail d'aujourd'hui, continuerait de 20 heures à 24 heures son travail entamé. A 81-A, se réunira la commission du revenu. Elle a un double mandat, cette fois, de faire l'étude des crédits du ministère et l'étude article par article des quatre projets de loi qui lui ont été déférés, si c'était possible. Mais je suis ouvert...

M. Levesque (Bonaventure): Si on me permet, je pense que le leader parlementaire du gouvernement nous avait informés hier, à la suite évidemment de conversations que nous avons eues ensemble, que ce ne serait qu'au début de la semaine prochaine que commencerait l'étude article par article des projets de loi au nom du ministre du Revenu. Cela se comprend parce qu'il y a eu des changements de dernière heure que je n'ai pas à évoquer. Je pense que ce serait apprécié si on pouvait s'en tenir à ce qui avait été annoncé.

Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: Après brève consultation avec le ministre du Revenu, disons que nous nous contenterons d'appeler la réunion de la commission du revenu, ce soir, pour les crédits, et nous ferons l'étude article par article des projets de loi à une autre séance au cours de la semaine prochaine.

Aujourd'hui, la Chambre s'occupera, jusqu'à l'expiration, aux 4 h 42 qu'il reste au discours du budget, avec la nuance suivante, c'est que le chef de l'Opposition pourra, s'il le souhaite, comme nous en avons convenu avant-hier, je crois, utiliser l'heure qui lui est prévue aux règlements en deux moments différents au cours de la journée, puisqu'il doit utiliser ce matin — et il nous a indiqué lui-même qu'il voulait utiliser cette période ce matin — pour un sujet propre qui a été évoqué il y a deux jours. C'est le seul travail qui devrait occuper l'Assemblée, la fin du discours du budget aujourd'hui. (11 h 10)

Je fais motion, M. le Président, pour que, pendant que l'Assemblée s'adonnera à ce travail, se réunissent tout de suite et jusqu'à 13 heures, au salon rouge, la commission des corporations professionnelles afin de faire l'étude de ses crédits et, à 91-A, la commission des engagements financiers; de 15 heures à 18 heures, au salon rouge, la commission de l'éducation pour continuer l'étude des crédits et, à 91-A, la commission des engagements financiers.

Le Président: Est-ce que cette motion sera adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Adopté.

Le Président: Adopté. M. le leader.

M. Charron: Dernier avis, M. le Président. Je souhaiterais — j'ai déjà consulté mes collègues — que vous présidiez vous-même, M. le Président, tout à l'heure lorsque les trois premiers opinants à la reprise du débat sur le discours du budget se seront exprimés, une rencontre des leaders parlementaires afin que nous regardions ensemble l'allure de cette fin de session.

Le Président: Cela signifie avant 13 heures, M. le leader parlementaire du gouvernement?

M. Charron: Je crois que les trois premiers opinants, M. le Président, seront les chefs des trois formations politiques qui sont ici officiellement connues et en conséquence, après l'expression d'opinion des trois chefs, les leaders pourront se rencontrer.

Le Président: Très bien, je donne l'avis en conséquence.

M. le chef de l'Union Nationale, vous avez bien entendu?

M. Le Moignan: Très bien.

Le Président: M. le député de Rouyn-Noranda, vous vouliez intevenir?

M. Samson: Oui, M. le Président. Je ne sais pas si je dois le faire en vertu de l'article 34 car l'article 34 s'adresse au leader parlementaire. C'est à vous, M. le Président, que je voudrais m'adresser pour une directive. Mardi, alors que malheureusement je n'ai pu être présent à cette séance, un débat d'urgence vous a été demandé par le chef de l'Opposition officielle, à savoir la position que le gouvernement québécois entend adopter à la conférence constitutionnelle du 9 juin prochain. Vous avez décidé, M. le Président, à la suite des déclarations du leader du gouvernement à l'effet qu'il appellerait le débat sur le discours du budget aujourd'hui, que cet autre moyen s'insère dans un délai raisonnable pour discuter de ce sujet et vous avez, en conséquence, déclaré la motion non recevable.

Je regarde l'article 78 du règlement et il est dit à 78.2: "La motion ne doit être accompagnée que de brèves explications et, sans qu'il y ait de discussion, le président décide si elle est recevable en tenant compte de son objet, des responsabilités administratives du gouvernement, de l'urgence d'en discuter et de la possibilité qu'elle puisse être discutée à l'Assemblée dans un délai raisonnable par d'autres moyens".

Voilà, M. le Président, ma question. L'autre moyen que vous avez reconnu comme étant vala- ble et satisfaisant au délai raisonnable se trouve à être le discours du budget; or, quand on parle d'une motion d'urgence en vertu de l'article 78, cela devient un débat restreint qui, normalement, permet à la présidence d'allouer une enveloppe de minutes à chacun des partis ainsi qu'aux députés indépendants. Si on utilise la période du discours du budget qui, évidemment, j'en conviens, permet aux opinants de parler de n'importe quoi, donc de pouvoir parler de ce sujet, ça atteint l'objectif dans une proportion, mais il y a l'autre proportion à laquelle je veux me rattacher. C'est que, étant le seul représentant de mon parti en cette Chambre et ayant déjà pris tout le temps qui m'était alloué sur le discours du budget je me trouve lésé un peu; ce matin, sur le discours du budget, les arrangements permettent au chef de l'Opposition officielle d'y revenir à deux fois parce qu'on va discuter en même temps de cette question de la position du gouvernement à la conférence constitutionnelle du 9 juin prochain. Mais je représente un parti qui n'aura pas l'occasion, dans les circonstances actuelles, de faire connaître son point de vue sur cette question. Sur cette question-là, je pense qu'il est normal que notre point de vue soit connu et il est normal qu'il soit connu aussi avant le 9 juin prochain. Ma demande est la suivante, et je termine là-dessus, M. le Président. Je ne sais pas quel moyen vous pouvez suggérer à cette Chambre pour qu'il me soit permis, soit par dérogation ou par consentement unanime, d'avoir quelques minutes à ma disposition pour faire connaître notre point de vue sur cette question.

Le Président: Je pense, M. le député de Rouyn-Noranda, que vous aviez la réponse dans la dernière partie, à la toute dernière fin de votre intervention. Au lieu de rechercher une directive de la présidence, vous auriez intérêt, il me semble — c'est ce que je vous suggère — à rechercher un consentement unanime. Vous auriez plus de chance.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, quant à nous, nous n'avons aucune objection à consentir à une période, évidemment, qui reste à déterminer pour permettre au député de Rouyn-Noranda, le chef du Parti des démocrates créditis-tes, de pouvoir faire part de l'opinion de son parti.

Le Président: M. le leader parlementaire de l'Union Nationale.

M. Brochu: M. le Président, en ce qui nous concerne, également, nous n'avons pas d'objection, étant donné qu'on est dans une procédure...

Le Président: Alors, l'Union Nationale consent aussi.

M. le leader parlementaire du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, comme le débat est forcément très limité, vu le temps qu'il reste, nous n'aurions pas d'objection à ce que le député ait cinq minutes pour s'exprimer.

Le Président: Cinq minutes? Cela va.

M. Samson: M. le Président, je voudrais remercier mes collègues qui me permettent de parler, même si ce n'est que cinq minutes; nous sauvons un principe qui me semble être très important pour les parlementaires.

Reprise du débat sur le discours sur le budget et les quatre motions de censure

Le Président: J'appelle maintenant la reprise du débat sur la motion de M. le ministre des Finances, proposant que l'Assemblée approuve la politique budgétaire du gouvernement, et sur les motions de censure qui ont été soumises.

Je crois qu'au moment de l'ajournement de ce débat la parole appartenait à M. le député de Beauce-Sud.

Je vous cède la parole, M. le député de Beauce-Sud.

M. Mathieu: Merci, M. le Président. Vous comprendrez qu'afin de me conformer à l'entente intervenue il y a deux jours en Chambre, j'accorde priorité de mon droit de parole au chef de l'Opposition officielle, quitte à revenir plus tard dans le débat.

Le Président: Juste un moment. Je tiens pour acquis qu'il y a consentement unanime pour céder ce droit de parole... En l'occurrence, oui, M. le député de Laval, et je ne veux pas créer une nouvelle jurisprudence; c'est pourquoi j'insiste pour dire que c'est sur la base du consentement unanime que cette Chambre a donné que, M. le chef de l'Opposition officielle, je vous cède la parole.

Débat sur l'attitude que le gouvernement

entend adopter à la rencontre des premiers ministres sur la constitution

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, je remercie tout d'abord le député de Beauce-Sud de l'amabilité avec laquelle il a consenti à me laisser parler à ce moment-ci. Je remercie également le leader du gouvernement de sa collaboration dans la formulation des aménagements qui nous ont permis d'avoir ce débat cette semaine. Je pense que nous sommes tous d'accord sur l'opportunité du débat; je vous remercie également de l'esprit de compréhension dans lequel vous avez accueilli ma motion l'autre jour.

Le but de ce débat que nous voulons faire aujourd'hui est à la fois très clair et très simple. Il s'agit, pour les députés et pour leurs concitoyens, d'obtenir de la part du gouvernement des précisions sur la ligne de conduite qu'entend suivre le chef du gouvernement du Québec dans les pourparlers qui commenceront lundi prochain, à Ottawa, en vue de préparer des changements constitutionnels désirés par la grande majorité de la population du Québec.

On pourrait épiloguer longtemps sur la signification du référendum qui a eu lieu le 20 mai dernier. Mais il me semble que l'on peut honnêtement résumer de la manière suivante les grandes lignes qui se dégagent du verdict porté par nos concitoyens. D'abord, le peuple a dit non au mandat de négocier la souveraineté-association que sollicitait le gouvernement; à plus forte raison, par voie d'implication, il a aussi dit non à la formule constitutionnelle de la souveraineté-association que le gouvernement voulait aller négocier avec le reste du pays.

Le premier ministre l'a d'ailleurs reconnu lui-même quand il a dit, la semaine dernière, en conférence de presse, que les citoyens avaient en fait voté comme s'il s'était déjà agi du deuxième référendum annoncé dans l'interminable question dont nous nous souvenons tous.

Ensuite, le peuple, en disant non à la question gouvernementale, a opté pour la direction générale, la direction fondamentale que lui proposaient les tenants du non. En d'autres termes, il a indiqué sa volonté de voir le Québec continuer à s'épanouir et à progresser dans le cadre du fédéralisme canadien. (11 h 20)

En troisième lieu, le peuple québécois, en disant non à la souveraineté-association, a du même coup dit oui, non seulement au fédéralisme canadien, mais aussi à la volonté de changements exprimée à maintes reprises par les tenants du non pendant la campagne référendaire.

Et enfin, en quatrième lieu, on doit conclure que le peuple a exprimé sa volonté ferme de voir les hommes politiques et les gouvernants se mettre à l'oeuvre sans délai et avec loyauté afin de préparer les changements nécessaires dans le maintien des principes fondamentaux du fédéralisme canadien. C'est dans ce contexte précis que se situent les questions que nous voulons aujourd'hui poser au gouvernement avec une célérité qui comporte sans doute certains risques — dont je parlerai plus tard dans mon exposé — mais qui est en soi irréprochable au niveau des principes.

Le gouvernement fédéral s'est empressé, dès le lendemain du référendum, de mettre en branle le processus qui doit préparer les changements souhaités par la population. C'est à l'invitation du premier ministre fédéral que doit avoir lieu lundi prochain, dans la capitale du pays, la conférence des chefs de gouvernements à laquelle le premier ministre du Québec a été invité et doit se rendre. Il nous importe au plus haut point de savoir quelle ligne de conduite le chef du gouvernement québécois entend suivre à cette occasion, ainsi que dans les étapes qui suivront les rencontres introductoires d'Ottawa. L'Assemblée nationale ajournera ses travaux le ou vers le 20 juin prochain. Comme le premier ministre a laissé ouverte hier, en réponse à des questions que je lui adressais, la possibilité d'élections générales dès cet automne, il se peut très bien que le débat d'aujourd'hui soit la seule occasion qui nous ait été donnée dans cette Chambre de débattre des implications du référendum et de l'opération de la réforme constitutionnelle qui doit découler du

référendum. Aussi attachons-nous de ce côté-ci de la Chambre la plus grande importance, non seulement au débat lui-même, mais surtout aux réponses que le chef du gouvernement et ses collègues voudront bien apporter aux nombreuses questions que nous allons leur poser aujourd'hui.

Au lendemain du référendum, on a surtout parlé, du côté du gouvernement, de tactique. On a dit chez certains: La balle est dans le camp du gouvernement fédéral. Nous allons attendre les propositions qui viendront de ce côté-là. Nous parlerons en temps et lieu. D'autres ont dit: II y a eu un référendum. C'est fini. Il n'y a rien de changé. Nous retournons au point où nous étions avant le référendum. Tout continue comme avant.

Je pense que c'est plus compliqué et plus exigeant que cela. S'il ne s'était agi que de cela, c'est évident que nous n'avions pas besoin de référendum. Je pense à la signification profonde du référendum. Il y avait un certain accord entre les deux côtés de la Chambre là-dessus. Je me souviens que vers la fin du débat, le ministre de la Justice avait fait un discours dans lequel il disait que ce que le gouvernement voulait proposer au peuple, c'était le choix d'une direction. Le premier ministre a repris ces propos à maintes reprises. Je les ai repris à mon compte, moi-même, le même jour où le ministre de la Justice avait fait son discours. Il s'agissait de choisir entre deux directions qui étaient évidemment opposées, contraires l'une à l'autre, puisqu'on tenait un référendum là-dessus. Ce n'était pas seulement une question de plus ou de moins, une question de degrés. C'était un choix entre deux orientations fondamentalement différentes quant à l'avenir qu'il incombe d'imprimer à notre statut politique en tant que Québécois.

Comme l'une des deux directions a été choisie de préférence à l'autre, c'était inévitable. C'était le but de l'exercice. Je ne pense pas qu'on puisse dire: Chacun retourne à ses oignons comme si de rien n'était. Il faut qu'on se demande sincèrement, loyalement, quelle sorte de regard nous devons maintenant porter sur ce pays et sur son avenir. Je pense que la signification profonde du référendum est la suivante: Le résultat nous invite du côté du gouvernement comme du côté des partis d'Opposition à jeter un regard renouvelé sur ce pays et sur son avenir.

Dans cette perspective, Mme la Présidente, je voudrais poser au gouvernement une série de questions auxquelles nous serions très intéressés à obtenir des réponses à compter d'aujourd'hui. Je pense que le gouvernement sera incapable de fournir des réponses à toutes ces questions, mais je vais les poser quand même, avec le plus de clarté et de simplicité possible, et j'espère que les réponses viendront en cours de route.

Les questions se groupent autour de trois titres principaux. Premièrement-, quelle sorte de pays voulons-nous? Deuxièmement, quelle sorte de régime fédéral voulons-nous pour ce pays? Troisièmement, quelle sorte de statut et de rôle voulons-nous pour le Québec à l'intérieur de ce pays et de ce régime fédéral de l'avenir?

Le premier titre, c'est: Quelle sorte de pays voulons-nous? Ce pays, le Canada, n'est pas parfait. Il a comporté historiquement de nombreuses faiblesses, de multiples carences, même des injustices déplorables que nous avons signalées abondamment à l'occasion du débat référendaire. Nos amis d'en face l'avaient fait de manière un peu précipitée en mars. Ils avaient oublié que la campagne durerait jusqu'à la fin de mai. Nous les avons rejoints avec notre pas de tortue en cours de route, mais avec des réponses auxquelles nous n'avons pas eu de contre-réponses la plupart du temps.

De toute manière, nous convenons tous — l'esprit est plus à la cordialité maintenant qu'à une espèce de farouche opposition; nous voulons tous servir notre peuple dans un esprit de fraternité le plus grand possible — qu'il y a eu des erreurs, mais elles ont été portées à l'attention du peuple. Le gouvernement aurait peut-être eu plus de résultats s'il avait sorti toutes les preuves qu'il a gardées cachées dans les tiroirs du ministre des Affaires intergouvernementales; c'est sa responsabilité. De toute manière, le peuple s'est prononcé et il a dit: Nous voulons continuer à vivre dans ce pays-là qui s'appelle le Canada, sous un régime fédéral.

La question se pose pour nous: Quelle sorte de pays voulons-nous construire pour l'avenir? Voulons-nous que le Canada soit un pays fort, un pays uni ou si nous voulons que le Canada ne soit qu'une caricature de pays? Voulons-nous que ce pays ait des structures politiques solides et démocratiques ou si nous continuerons dé rêver de vagues et flottantes structures confédérales où l'autorité commune serait une autorité nominale et fragile? Est-ce que nous voulons, en matière de droits, que tout ce qui touche les libertés fondamentales, les grandes libertés linguistiques, soit abandonné à la seule compétence des Législatures tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial ou si nous voulons que ce pays soit assis à l'avenir sur la pierre d'assise de la liberté fondamentale qui sera reconnue à tous les citoyens, dans toutes les parties du territoire, sur toutes les latitudes, quelle que soit leur langue, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur couleur politique ou quel que soit leur statut social?

En matière économique, est-ce que nous voulons une union économique véritable et efficace, une union économique où existe vraiment la liberté de circulation des personnes, des capitaux, des services, de la technologie, de la main-d'oeuvre, ou si nous préférons un simulacre de marché commun où les obstacles, les barrières et les difficultés artificielles seront plus importants, finalement, que l'essence même de l'union économique qu'on est censé désirer?

Par rapport à l'étranger, voulons-nous un pays qui soit capable de faire front commun en présentant une politique étrangère commune, une politique de défense commune, ou si nous voulons encore nous perdre dans les méandres, les chicanes de tapis rouge qui ont occupé tellement de nos énergies au cours des dernières années?

Est-ce que nous sommes capables de concevoir un pays qui aurait une politique étrangère commune, à l'intérieur de laquelle les Etats constituants pourraient également avoir tout le rayonnement, tous les contacts compatibles avec leur propre responsabilité constitutionnelle?

En matière de chances économiques et sociales, quelle sorte d'égalité voulons-nous pour l'avenir? Voulons-nous un régime d'égalité où chaque citoyen se voit offrir des garanties minimales de qualité en matière de services publics, d'accès à des services de santé, à des services d'hospitalisation, à des services d'éducation et d'enseignement gratuits et universels? Quelle sera la meilleure façon de réaliser cet objectif dans le Canada de demain? Voulons-nous un pays ouvert à l'immigration ou un pays fermé où les entrées et les sorties seront soumises au contrôle rigide de bureaucrates à l'esprit étroit devant appliquer des réglementations pointilleuses et jalouses?

Quelle sorte de constitution voulons-nous pour ce pays? Comment entrevoyons-nous, par exemple, l'avenir des immenses territoires du Nord, des richesses inouïes qu'ils renferment et qui, actuellement, n'ont fait l'objet d'aucune attribution à quelque province que ce soit, demeurant la propriété et la compétence de l'Etat fédéral jusqu'à ce que, dans l'avenir, il en soit décidé autrement? (11 h 30)

Ce sont quelques questions qui se posent, Mme la Présidente, au sujet du type de pays que nous voulons et tant que nous n'aurons pas de réponse à ces questions, des chicanes byzantines sur les communications, sur la question de savoir si tel paragraphe va être préféré à tel autre, si on va faire une querelle de théologie ou de droit à propos de tel mot plutôt que de tel autre seront des mesures dilatoires qui nous éloigneront du fond du problème.

Deuxièmement, quel sorte de régime fédéral voulons-nous pour l'avenir? Ce n'est pas tout de dire que nous voulons un pays fort, un pays prospère, un pays libre, ça, nous le savons tous très bien, mais quelle sorte de régime fédéral voulons-nous pour l'avenir? La critique de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été faite à maintes reprises depuis une vingtaine d'années. Il n'est pas nécessaire de reprendre les critiques souvent très pertinentes qui ont été faites au sujet de ce document parce que la nécessité d'apporter à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique des changements substantiels est de plus en plus reconnue à travers le pays et, de ce côté, je serais prêt à dire comme beaucoup d'autres que les événements que nous avons vécus depuis quelques années auront apporté leur part de progrès dans l'acceptation de cette évidence, mais, si nous nous entendons tous sur la nécessité d'apporter des changements à la constitution actuelle, nous sommes loin de nous entendre sur la nature des changements qu'il importe d'effectuer. Je voudrais à ce sujet poser quelques questions au gouvernement.

D'abord, est-ce que le gouvernement est prêt à accepter que l'on cherchera une réforme constitutionnelle dans le plein respect des principes fondamentaux du fédéralisme? Est-ce que le gouvernement actuel est prêt à accepter que l'un des éléments essentiels du régime fédéral de demain, comme celui d'aujourd'hui... je n'ai jamais entendu de proposition qui m'ait incliné à penser autrement. J'ai entendu souvent des sarcasmes, souvent des insinuations de toutes sortes de l'autre côté de la Chambre, mais je n'ai jamais entendu un argument rationnel m'invitant à penser autrement. Est-ce qu'on est prêt à accepter un Parlement commun où la représentation des citoyens sera assurée sur une base démocratique, sur le principe fondamental de l'égalité des personnes? Je serais intéressé à avoir des réponses à cette question. Accepterons-nous que ce Parlement commun doive être considéré comme notre Parlement au moins autant que celui de tous les autres Canadiens et non, comme on a cherché à l'insinuer trop souvent de l'autre côté de la Chambre, comme un Parlement étranger?

Si on n'a pas cette disposition foncière, Mme la Présidente, il sera très difficile d'entreprendre l'oeuvre de réformes, parce que ça demande quand même certaines dispositions intérieures. Sans quoi on fait de la réthorique, on fait du légalisme, on fait de la procédurite, on n'avance à rien.

Est-ce que nous acceptons que, subordonné à ce pouvoir central, à ce Parlement commun, il doive y avoir un pouvoir central habilité constitutionnellement à agir au nom de l'ensemble des citoyens, de l'intérêt général en vertu d'un mandat qu'il tiendrait du peuple souverain et non pas simplement d'une vague et capricieuse délégation de pouvoirs, comme celle qui était impliquée dans la formule de la souveraineté-association? Quelles attributions législatives, fiscales et autres sommes-nous prêts à conférer à ce pouvoir central pour qu'il ait une signification véritable? Quelles attributions devront en retour être réservées aux provinces?

Le Sénat actuel, la deuxième Chambre, sous sa forme présente, est-elle acceptable? Comment entendons-nous modifier la deuxième Chambre fédérale dans l'avenir? Comment assurer dans les institutions fédérales la juste représentation et la juste participation des citoyens des deux langues, des deux cultures ainsi que des diverses régions et provinces qui forment le Canada? Comment voulons-nous que soit aménagée dans le régime fédéral de demain l'organisation du pouvoir judiciaire et la protection de l'ordre public? Comment voulons-nous que soit assurée, dans les textes et dans les faits, la juste séparation et la juste autonomie de chacun des trois pouvoirs indispensables au fonctionnement équilibré de notre régime de gouvernement?

Si nous acceptons un Parlement fédéral, sommes-nous prêts à reconnaître explicitement qu'il devra avoir le pouvoir de faire des lois devant s'appliquer au Québec et de percevoir des impôts

au Québec, légitimement, sans qu'on passe son temps à prétendre que ces impôts sont perçus par un gouvernement étranger?

Dans ce Canada et ce régime fédéral de demain, quel genre de statut, quel rôle devons-nous envisager pour le Québec? Le premier ministre nous a dit que, dans la mise au point de la position québécoise, il entend s'inspirer du principe de l'égalité des deux peuples. Il est facile de dire qu'on veut l'égalité de deux peuples, mais quelle sorte d'égalité veut-on, en pratique? Nous sommes tous pour l'égalité, je l'ai affirmé souvent dans cette Chambre; rien n'est plus facile que de dire qu'on veut l'égalité. C'est la formule passepartout par excellence de tous les démagogues. Mais quelle forme concrète d'égalité voulons-nous? Certaines formes purement arithmétiques d'égalité, devant s'appliquer, par exemple, au seul plan des collectivités, seraient synonymes, en pratique, d'inégalité pour les citoyens individuels de ce pays, de séparatisme politique, ou encore de paralysie du système fédéral.

La vraie question qui se pose alors est la suivante: Quelle forme d'égalité faut-il envisager pour que celle-ci soit compatible avec les principes de fond du fédéralisme? Le premier ministre a toujours parlé, ainsi que son parti, d'égalité des deux collectivités, il n'est jamais allé plus loin. Nous préférons parler, de ce côté-ci de la Chambre, d'égalité à plusieurs paliers différents, sans négliger la dimension collective de l'égalité. Il y a beaucoup d'autres formes d'égalité sur lesquelles il faudrait que nous acceptions de nous pencher ensemble, si nous voulons que le Québec ait une position raisonnable et défendable dans les pourparlers constitutionnels de l'avenir.

En matière de droits fondamentaux et de droits linguistiques, par exemple, quelle sera la ligne de conduite du Québec par rapport au reste du Canada? Est-ce que le gouvernement acceptera d'engager le Québec dans la voie de la reconnaissance constitutionnelle de certains droits fondamentaux? S'il refuse de le faire, comme nous avons certaines raisons de le soupçonner, quelles raisons valables aurons-nous de prétendre agir autrement? Jusqu'où le Québec est-il prêt à aller dans la reconnaissance constitutionnelle des droits minoritaires en matière linguistique et culturelle?

Deuxièmement, de quels pouvoirs le Québec a-t-il rigoureusement besoin pour assurer son épanouissement légitime et plénier, tout en faisant partie, à titre de membre à part entière, de la fédération canadienne? Il est facile de dire que l'on ira à Ottawa défendre tout l'acquis et qu'on cherchera à étendre l'autonomie du Québec, si possible. C'est une position bien familière, qui était déjà très connue dans les années 1950 et jusqu'à 1960, avec l'avènement de la révolution tranquille. On commence à voir les problèmes dans une perspective plus large et plus complète; jusqu'où le Québec est-il prêt à aller dans ce domaine? Je pense que c'est une des premières questions qui se posera. Je souhaite vivement, M. le Président, que nous ayons l'occasion de tenir à ce sujet un débat fon- damental dans cette Chambre. Je pense que c'est peut-être la grande option que nous serons appelés à prendre. Nous, nous sommes prêts à engager le débat sur cette question à peu près n'importe quand, parce que nous l'avons longuement examinée depuis deux ans et nous avons des positions que vous connaissez là-dessus.

Troisièmement, quels pouvoirs le Québec se-ra-t-il disposé à reconnaître à l'Etat fédéral pour que celui-ci ait un sens et un contenu véritable? Si nous ne voulons pas que cet Etat fédéral ait des pouvoirs réels, comment concilier cette position avec l'option qui vient d'être faite par le peuple du Québec, à l'occasion du référendum? Comment devrons-nous concevoir la présence des Québécois et du Québec dans les structures fédérales de demain, la présence des Québécois et du Québec dans le Parlement fédéral, dans la deuxième Chambre réformée dont il est question, dans la Cour suprême, dans les organismes fédéraux de réglementation, dans la fonction publique fédérale, dans les institutions et sociétés de la couronne fédérale? Nous voulons tous que le Québec ait sa juste représentation, sa juste présence, sa juste influence dans ces organismes. Il faudra que le gouvernement soit prêt à dire s'il entend conserver la responsabilité de cette opération, sous quelle forme notre présence peut être assurée, justement, sans détruire le principe d'égalité universel qui doit s'appliquer aussi à l'échelle de l'ensemble du pays, que nous avons affirmé explicitement dans la position constitutionnelle de mon parti et qu'on a tourné en dérision, à maintes reprises, de l'autre côté, mais que nous réaffirmons, avec une solide tranquillité, parce que nous savons que c'est un principe de bon sens et de justice élémentaire. (11 h 40)

Nous voulons tous que le Québec jouisse du maximum de liberté possible dans le domaine de la politique culturelle, par exemple. Mais est-ce qu'on peut honnêtement soutenir, dans la perspective d'une philosophie fédérale, que l'Etat fédéral ne devra exercer aucune forme de rôle ou de présence en matière culturelle? Peut-on soutenir cela sérieusement, indépendamment de toute démagogie partisane? Si oui, cela veut dire, par exemple, qu'il faudrait conclure demain matin qu'il n'y aura plus de place pour des organismes fédéraux comme la Bibliothèque nationale. Je ne vois pas en quoi on aiderait la culture en décidant arbitrairement à Québec qu'on devrait mettre la hache dans un organisme comme la Bibliothèque nationale à Ottawa, qui est la plus belle bibliothèque du pays à bien des égards, pour dire que, dorénavant, il y aura seulement des bibliothèques provinciales ou nationales si on veut employer la terminologie québécoise. Je ne vois pas du tout en quoi cela nuit à la culture de quelque manière que ce soit. Cela peut être une occasion d'épanouissement pour nous, comme pour les Canadiens de toutes les autres parties du pays. Cela voudrait dire aussi qu'une société comme Radio-Canada, on devrait mettre la hache dans son statut fédéral et décider qu'à l'avenir ce sera simplement une

succursale de Radio-Québec ou la nouvelle maison mère de Radio-Québec. C'est complètement farfelu. Il suffit d'y penser deux moments pour se rendre compte que, si on accepte l'option fédérale, il faudra accepter honnêtement... On n'a pas eu le temps de faire ce débat, mais on va le faire au cours des mois à venir, cela va être très intéressant. Vous le direz franchement que vous voulez mettre la hache dans Radio-Canada pour que le public le sache. On va voir où cela nous conduit. En tout cas, on attendra vos propositions là-dessus, messieurs.

Des Voix: Cela vous fait mal, hein! Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ryan: Comment assurer que la primauté du Québec puisse exister en matière culturelle sans castrer complètement le gouvernement fédéral de tout rôle, de toute forme d'expression en matière culturelle? Un gouvernement fédéral qui serait castré de toute possibilité d'expression culturelle ne serait plus un gouvernement fédéral, autant le dire franchement et nous attendons la contrepartie de l'autre côté. Nous considérons qu'en matière de radiodiffusion, en particulier, la preuve a été faite qu'on peut très bien avoir une grande institution fédérale de radiotélévision, sans pour cela que la culture française soit maltraitée — au contraire, elle a été très bien traitée par Radio-Canada — et sans que les prérogatives légitimes du gouvernement québécois soient vraiment aliénées.

En matière de ressources naturelles, nous sommes tous d'accord pour affirmer le droit de propriété, la responsabilité prépondérante et inaliénable des provinces en matière de ressources naturelles. On a dit bien des choses du livre beige du Parti libéral, mais on n'a jamais cité ce passage où l'on dit qu'une nouvelle constitution devrait énoncer plus clairement le rôle exclusif des provinces dans la réglementation de l'exploration, l'exploitation, la conservation et la gestion des ressources naturelles situées sur leur territoire. Parce que nous affirmons ce droit de propriété inaliénable des provinces, sommes-nous prêts à soutenir que l'Etat fédéral ne devrait jamais, en aucune circonstance et pour aucune raison, avoir aucun rôle dans tout le vaste champ des richesses naturelles? Si oui, sommes-nous prêts à dire que tout ce qui s'est fait depuis 1974, sous l'autorité du gouvernement fédéral, en matière de programmes de soutien du prix pétrolier, n'aurait pas dû être fait et que le Québec se serait porté mieux s'il avait dû assumer seul la charge additionnelle de quelque $8 000 000 000 qui découlait des augmentations de prix survenues depuis 1974? Qu'arriverait-il, à part cela, avec une proposition aussi absolue, de toutes les richesses naturelles qui sont situées dans les territoires du Grand-Nord canadien? Nous demandons au gouvernement de nous soumettre des réponses précises à ces questions raisonnables et légitimes que se posent *ous ceux qui ont fait un examen loyal des perspectives de changements constitutionnels de l'avenir.

Sommes-nous prêts à soutenir sérieusement que l'Etat fédéral ne devrait avoir aucun rôle, en aucune circonstance, pour aucune considération, dans le vaste domaine des politiques de redistribution de la richesse et de soutien du revenu? Dès que vous affirmez cette proposition, cela veut dire que vous êtes prêts à soutenir qu'il ne devrait avoir aucun rôle en matière de fiscalité, parce que de plus en plus la redistribution du revenu, le soutien du revenu s'effectue autant par des politiques fiscales que par des programmes de versement d'allocations monétaires ou financières à des individus. Ce sont des responsabilités que vous devrez assumer.

Nous avons hâte de recevoir les réponses à ces questions sur la base toujours des principes fédéraux qui sont maintenant l'expression de la volonté nettement majoritaire de la population québécoise en matière de grandes politiques industrielles. Il est facile de dire que parce qu'on conçoit un rôle nécessaire pour l'Etat fédéral, on veut tout abandonner au pouvoir central, au gouvernement étranger. On l'a entendu tellement souvent depuis quelques semaines. Vous savez bien que ce n'est pas cela.

Quand il est question, par exemple, de l'avenir de l'industrie aéronautique, c'est évident que les décisions, dans un domaine comme celui-là, ne peuvent pas être abandonnées exclusivement au gouvernement des dix provinces; c'est évident que les grands contrats qui seront donnés par les autorités canadiennes ou obtenus de l'étranger font partie, dans plus de la moitié des cas, de programmes de défense internationale, continentale ou intercontinentale, souvent. Il faut, par conséquent, des échanges de toutes sortes, des négociations qui portent sur une grande quantité d'objets. Il est absolument indispensable que le gouvernement fédéral ait un rôle là-dedans; autant le dire franchement. On inscrira toutes les limites qu'on voudra, mais j'ai hâte de connaître les positions de nos amis sur des questions comme celle-là. Qu'on fasse face de front aux vraies questions qui se posent au lieu de continuellement chercher à les éluder. Ce sont des questions vitales pour le Québec et pour l'ensemble du Canada. Elles exigent que chaque partenaire y apporte, au cours des conversations, des réponses loyales et honnêtes.

Il est impensable que le Québec, partenaire majeur à la table des négociations, attende passivement que des réponses soient proposées uniquement par le gouvernement fédéral et feigne de laisser croire aux citoyens du Québec que le fardeau de la recherche de solutions incomberait exclusivement au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral doit parler au nom de tout le pays, à partir de préoccupations qui doivent être celles de l'ensemble des citoyens du pays au niveau de responsabilités constitutionnelles qui est le sien, mais c'est au Québec et à son gouvernement, et non pas à Ottawa, qu'il incombe de proposer des réponses proprement québécoi-

ses, partant d'une perspective québécoise, mais empreintes de générosité suffisante pour pouvoir embrasser le bien général du pays. Je n'ai jamais entendu parler que dans une entreprise commune il appartenait seulement à celui qui a la responsabilité de certaines fonctions communes de s'intéresser à l'ensemble. C'est la responsabilité de tous les partenaires, de toute évidence, suivant le sens commun le plus élémentaire. Voilà quelques questions qui se posent au niveau de la substance, au niveau du contenu de la réforme constitutionnelle. J'aurais pu en formuler un grand nombre d'autres, mais je pense avoir indiqué assez clairement le cadre large dans lequel nous attendrons que le gouvernement précise sa politique au cours des jours, des semaines et des mois à venir.

Des questions tout aussi importantes. Je pense que le ministre des Affaires intergouvernementales qui est ici me comprendra, particulièrement à ce niveau parce qu'il a été mêlé à ces choses depuis de nombreuses années. Nous avons eu l'occasion, au temps où nos rapports étaient meilleurs, d'en parler souvent ensemble, mais je voudrais lui poser un certain nombre de questions ainsi qu'au chef du gouvernement de qui, évidemment, nous aimerions obtenir des réponses.

Premièrement, tout le monde est en faveur du changement, mais quel rythme faut-il envisager? Quel échéancier raisonnable faut-il proposer pour que l'entreprise de révision constitutionnelle puisse s'accomplir dans les conditions les plus propices à des résultats sérieux et durables? Le gouvernement fédéral accrédite présentement l'impression qu'il pourrait s'accomplir des progrès décisifs en dedans de quelques mois à peine. Un peu comme le gouvernement du Québec, il trouve souvent dans la presse des échotiers complaisants qui rapportent ses volontés comme si elles étaient des choses pratiquement acquises. Je tiens à dire que le processus sera plus long, plus compliqué, plus laborieux que ne veulent le laisser entrevoir ceux qui se gargarisent de changements au niveau du vocabulaire, actuellement.

Québec pense-t-il honnêtement qu'il soit possible de marcher avec précipitation dans ce domaine? Quelle opinion le gouvernement entend-il formuler lors de la réunion de lundi à ce sujet? Je tiens à prévenir le gouvernement fédéral des dangers de la précipitation et des risques qu'on ferait courir à l'entreprise si on faisait naître dans l'esprit des citoyens des attentes démesurées par rapport aux possibilités réelles dont nous devons tenir compte étant donné la situation actuelle. J'ai toujours soutenu que la révision constitutionnelle sera une entreprise qui demandera un certain temps. On peut prédire, sans avoir aucun mérite particulier, sans avoir aucun don de prophétie particulier, que si on voulait procéder avec précipitation, ce serait faire le jeu des éléments qui, du côté du gouvernement, espèrent cyniquement que tout changement sera rapidement établi comme étant absolument impossible; et j'en donnerai des preuves tantôt. (11 h 50)

Alors, l'heure est à la recherche, non pas du changement pour le changement, mais de la direction dans laquelle le changement doit être recherché et trouvé. Autant il faut être sérieux et appliqué dans cette recherche, autant il faut éviter la précipitation.

Deuxièmement, on a souvent critiqué, dans le passé, la nature même du forum emprunté pour les conférences fédérales-provinciales sur la constitution. A ces conférences, le gouvernement fédéral joue traditionnellement à la fois le rôle d'interlocuteur ayant des intérêts et des convictions propres à défendre, et le rôle de meneur de jeu qui préside simultanément à l'application des règles et au fonctionnement général de l'opération. Est-ce bien là le forum idéal pour l'entreprise très importante à laquelle les différents gouvernements et les citoyens de ce pays seront conviés? Ne pourrait-on pas envisager un forum plus neutre, un forum plus rigoureusement marqué du signe de l'égalité, un forum où le gouvernement fédéral serait sans doute un interlocuteur de choix, un interlocuteur très important, mais où les règles du jeu seraient appliquées sous la direction d'un ou de plusieurs arbitres impartiaux qui pourraient être soit de grandes personnalités canadiennes, soit même un tandem comprenant, par exemple, une grande personnalité francophone, une grande personnalité anglophone, acceptables à la fois aux provinces, au gouvernement fédéral et aux principaux partis intéressés dans cette entreprise?

Ce sont des questions que je pose au gouvernement. J'aimerais savoir comment le gouvernement entrevoit ces questions. Nous voulons des réponses; je pense que nous posons nos questions en toute bonne foi.

Troisièmement, on prête à Ottawa l'intention de proposer de nouveau, comme le faisait le bill C-60, que l'on cherche d'abord un accord sur des sujets comme les droits fondamentaux, les droits linguistiques, la formule d'amendement, le rapatriement. On ajoute du même souffle que ce n'est que plus tard, dans cette perspective, que devraient être abordées les questions difficiles reliées au partage des pouvoirs ainsi qu'à la composition et à la structure de certaines institutions fédérales comme le Sénat et la Cour suprême. Québec est-il prêt à souscrire à une telle approche? Cela veut-il dire que Québec s'oppose à toute forme de recherche de consensus sur des questions comme celles-là? Sinon, qu'est-ce que Québec entend proposer au stade actuel?

Traditionnellement, les gouvernements québécois ont proposé une approche plus globale devant embrasser l'ensemble des sujets et surtout les plus importants, comme le partage des pouvoirs. Québec maintient-il aujourd'hui cette attitude? Si oui, le gouvernement est-il conscient que cette prise de position comporte une responsabilité corrolaire, c'est-à-dire celle de mettre sur la table, en temps utile, un projet complet et global aussi? On ne peut pas exiger une réforme globale sans accepter en même temps soi-même, à titre

de partenaire majeur de l'entreprise, la responsabilité de déposer sur la table un projet global.

Quatrièmement, en ce qui touche les sujets devant être abordés à l'occasion des pourparlers constitutionnels, la conférence des premiers ministres des provinces, à ses réunions de 1976 à Toronto et Edmonton, et de 1980 à Régina, avait établi une liste substantielle de sujets sur lesquels, au dire de ses porte-parole autorisés, il paraissait s'être réalisé un large consensus entre les provinces, y compris le Québec, représenté à ces deux réunions par le premier ministre actuel du Québec et son ministre des Affaires intergouvernementales.

Cette liste de sujets sur lesquels un accord avait été réalisé, au dire de MM. Lougheed et Blakeney, qui présidaient ces deux années-là la conférence, comportait notamment la participation accrue des provinces dans le domaine de l'immigration, la confirmation des droits linguistiques suivant la formule de Victoria ou quelque chose s'en rapprochant, le renforcement des pouvoirs fiscaux et législatifs des provinces en matière de ressources naturelles, la limitation du pouvoir déclaratoire d'Ottawa lequel, suivant le voeu émis à ces réunions devrait être subordonné, à l'avenir, au consentement préalable de la ou des provinces visées: l'abolition des pouvoirs fédéraux de réserve et de désaveu, le droit de regard des provinces sur la mise en oeuvre des traités internationaux devant porter sur des matières de compétence provinciale, une compétence mieux définie des provinces en matière de pêcheries, etc., etc.

Le gouvernement est-il prêt à déposer tous les documents relatifs aux travaux qui se sont accomplis au cours des innombrables réunions de comités et de commissions qui ont eu lieu entre 1977 et la fin de 1978? Est-il prêt à déposer tous les textes qui auraient été soumis à ces innombrables réunions par les représentants québécois, afin que l'on puisse comparer la qualité de l'apport du Québec à la qualité de l'apport qui est venu des autres provinces pendant ces travaux? Le gouvernement accepterait-il que ces sujets soient abordés à l'occasion des réunions constitutionnelles des mois à venir? Dans quel ordre, suivant quelles priorités voudrait-il que ces sujets soient abordés? Y a-t-il d'autres sujets que le Québec voudra inscrire à l'ordre du jour? Dans quel ordre et suivant quelles priorités?

Cinquième point, la publicité. Le premier ministre a soutenu récemment que toutes les négociations, toutes les réunions reliées aux pourparlers contitutionnels devraient être publiques, se dérouler au vu et au su de la population. Si le premier ministre voulait dire par là que la population québécoise devra être mieux informée de la marche des travaux qu'elle ne l'a été entre 1976 et 1980, je lui dirais volontiers que je suis d'accord sans restriction. Je me réjouirais d'apprendre que le gouvernement québécois entend être plus ouvert et moins cachotier dans les mois à venir qu'il ne l'a été à propos des travaux de 1977 et de 1978, auxquels j'ai fait allusion et au sujet desquels il m'a fallu aller à d'autres sources, dans d'autres provinces, pour savoir ce qui s'était vraiment passé, étant donné la disette totale de renseignements qu'on nous fournissait dans cette Chambre.

Le premier ministre sait très bien — parce qu'il est un homme réaliste — qu'il est impossible que toutes les négociations se fassent sous les projecteurs de la télévision et devant les caméras des journaux, car, alors, les réunions dégénèrent immanquablement en spectacle et en occasion de démagogie. On l'a essayé dans le domaine des relations de travail. Tout le monde le sait ici. Quand on veut prétendre que tout se fera dans des négociations publiques, on implique, consciemment ou non, qu'il y aura des réunions de caucus tout de suite après ou tout de suite avant pour préparer le scénario sur la place publique. Qu'on nous dise donc franchement qu'on prend l'engagement d'informer loyalement les citoyens à chaque étape du processus et qu'on reconnaisse en même temps, sans essayer de gagner des points dans des sondages... Vous savez ce que cela donne, gagner des points dans des sondages. Ce sont des pertes de temps. Qu'on prenne l'engagement, loyalement, d'informer les citoyens. Qu'on prenne l'engagement aussi d'aller à des réunions privées, mais de ne pas s'attacher les mains dans des réunions privées sans avoir consulté ceux qui doivent être consultés au Québec. A ce moment-là, il n'y a pas de danger. On peut aller à des réunions privées tant qu'on veut. Pour ma part, je continuerai de rencontrer qui je veux dans ce pays sans jamais demander la bénédiction du parti qui est au pouvoir, sans m'occuper du tout de toutes les insinuations sottes et stupides qu'on a pu entendre tellement souvent au cours des derniers mois.

Sixième point. On pose les questions parce qu'elles n'ont pas été posées par le gouvernement. Le gouvernement nous a prévenus souvent pendant la campagne référendaire que la question constitutionnelle était trop vitale pour être abandonnée aux seuls calculs électoraux des partis politiques. Il n'a cessé de répéter qu'il fallait en ces matières s'élever au-dessus de l'intérêt partisan et penser à la solidarité qui doit nous unir tous dans le service de notre peuple. Fort bien! mais quelle démarche précise le gouvernement est-il prêt à envisager et à mettre en oeuvre pour que sa contribution aux pourparlers constitutionnels ait un caractère aussi largement et authentiquement consensuel que possible? Est-il disposé, par exemple, à laisser de côté les épithètes de "vendu", de "traître", de "faiblard", de "colonisé ", de "déréglé psycho-affectif", de "second Lord Durham", et j'en passe, que se sont vu appliquer au cours des dernières années, spécialement au cours des derniers mois, ceux qui avaient le malheur de défendre dans cette Chambre des convictions qui étaient partagées par au moins 60% de leurs concitoyens. (12 heures)

Le chef du gouvernement nous a dit, hier, qu'il n'a pas le temps, cette fois-ci, de consulter les chefs des autres partis. Le premier ministre fédéral l'a trouvé le temps. Il les a reçus même, séparément. Mais le chef du gouvernement du

Québec est trop occupé peut-être à scruter le rapport Malouf; c'est son droit, mais cela fait une semaine qu'il l'a pour le lire. Il n'a pas le temps de nous rencontrer. Est-il prêt à nous donner l'assurance que telle ne sera pas sa ligne de conduite à l'avenir? Est-il prêt à rechercher loyalement, dans le dialogue et la conversation, un consensus sur le fond du problème et non pas seulement des accords circonstanciels, qui viseraient uniquement à servir ses propres fins, et auxquels, je le préviens maintenant, nous ne nous prêterions point?

Septièmement, nous apprenions, en lisant les journaux, ce matin — j'avais écrit ces notes hier, mais des journaux de ce matin sont venus confirmer mes intuitions...

M. Levesque (Bonaventure): ... va rapatrier la constitution.

M. Ryan: J'en viens justement à ce point-là. Nous apprenions, ce matin, en lisant les journaux, que le gouvernement fédéral aurait l'intention de procéder éventuellement, et ceci dans les délais plus brefs que prolongés, par voie de référendum national auprès de la population de tout le pays dans l'hypothèse où les pourparlers entre les provinces et le gouvernement central aboutiraient à un échec. On prête au gouvernement fédéral l'intention de procéder notamment à un référendum national sur les grands sujets auxquels j'ai fait allusion tantôt, en particulier le rapatriement de la constitution, la formule d'amendement, les droits fondamentaux et peut-être aussi les droits linguistiques. L'actuel gouvernement du Québec a-t-il envisagé cette éventualité? Est-ce qu'il envisage de dire non à toute forme de référendum pancanadien et pour quelle raison? Pour quelle raison? Je vais vous le dire. J'ai des positions claires sur tous ces sujets. Je les ai énoncées à maintes reprises. Pour quelles raisons l'Assemblée nationale aurait-elle le droit d'adopter une loi décrétant la tenue d'un référendum au Québec dans les matières de sa compétence, tandis que le Parlement fédéral se verrait interdire, en principe, le droit de tenir un référendum pancanadien sur des questions de sa compétence? La question à trancher évidemment, c'est: Quelles sont les questions qui relèvent de la...

M. Paquette: M. le Président, est-ce que le chef de l'Opposition me permettrait une question là-dessus?

M. Levesque (Bonaventure): Non.

Une Voix: Assoyez-vous donc!

M. Levesque (Bonaventure): Assis.

Des Voix: Assis.

Une Voix: Assoyez-vous donc!

Une Voix: II l'a demandé poliment.

Une Voix: Répondez donc. M. Lavoie: M. le ministre.

M. Ryan: Je pose des questions au gouvernement aujourd'hui. C'est l'objet de tout l'exercice que nous faisons ensemble. Nous voulons avoir des précisions. C'est vous qui êtes au gouvernement et non pas nous. Nous avons bien d'autres tribunes où nous donnons nos opinions sur ces sujets-là régulièrement. Quand le gouvernement, en matière de fédéralisme, aura des opinions aussi définies que celles que nous n'avons pas eu peur de mettre sur la table, en public, il pourra prétendre nous faire des leçons et nous poser des questions.

Pour ma part, je rappelle seulement au gouvernement fédéral que l'initiative d'un référendum national et unilatéral sur des questions qui relèvent de la compétence conjointe des deux ordres de gouvernement serait une initiative dangereuse. Je le préviens très sérieusement contre les dangers d'une telle initiative. Si jamais on veut concevoir ce projet de manière plus précise, nous pourrons en discuter à ce moment-là. Mais dès aujourd'hui, je rappelle ce que j'ai dit à plusieurs reprises. Dès le moment où, étant journaliste, je commentais le premier projet de loi sur le référendum fédéral qui avait été déposé à la Chambre des communes, j'avais trouvé que dans ce projet, quand on me parlait de questions constitutionnelles — on embrassait les questions qui, par définition, impliquent les deux ordres de gouvernement — j'ai toujours soutenu que lorsque les deux ordres de gouvernement sont impliqués, la courtoisie fédérale, la philosophie fédérale implique que l'on doive respecter les responsabilités de chacun et ne pas procéder unilatéralement. C'est pour cela même...

Une Voix: ...

M. Ryan: Pardon! Je continue. J'ai encore d'autres développements à faire. L'attitude nécessaire. Nous avons décrit, dans un chapitre important de notre propre document constitutionnel, l'esprit dans lequel devrait être entreprise l'oeuvre délicate entre toutes de la réforme du fédéralisme canadien. On a tenté, à l'époque, à l'aide de citations tronquées, de tourner ces pages en dérision; mais qu'on les relise attentivement, sans préjugé, avec le respect qu'elles méritent et on verra qu'elles sont beaucoup plus judicieuses, beaucoup plus constructives, beaucoup plus honnêtes qu'on n'a voulu l'admettre et beaucoup plus exigeantes aussi pour les uns et les autres, non seulement pour nous, mais pour les autres partenaires également. Mais avant d'en venir là, ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, je voudrais signaler certaines attitudes qui me paraissent dangereusement contraires à l'esprit nécessaire au succès de la réforme.

Je veux prévenir d'abord le gouvernement contre l'attitude cynique qui consisterait à se dire: Allons-y, ils veulent nous entraîner dans ce guê-

pier, allons-y avec l'arrière-pensée de faire la preuve, le plus tôt possible, que l'entreprise ne peut pas marcher. Il est de notoriété publique que le Parti québécois, le gouvernement actuel et ses principaux porte-parole n'accordent aucune espèce de confiance et de foi à l'oeuvre de la réforme du fédéralisme canadien. Je cite seulement un passage du programme officiel du Parti québécois — c'est bon que le public sache d'où nous partons dans cette affaire — édition 1980, page 6: Le fédéralisme renouvelé est impossible, car il implique un transfert important des pouvoirs d'Ottawa au profit de notre gouvernement à Québec. Il revient à enlever aux Canadiens des autres provinces une partie de leur gouvernement national pour donner un gouvernement national incomplet aux Québécois. C'est à la fois trop pour le Canada anglais et trop peu pour le Québec. Autrement dit, aucun régime de type fédéral ne peut satisfaire à la fois les aspirations des deux peuples.

Si c'est l'esprit dans lequel on entreprend la réforme, on trouvait un texte de même venue dans le livre blanc qui a été publié le 1er novembre dernier. De toutes ces constatations, inutile de vous dire que les constatations étaient empreintes de préjugés, de sectarisme, c'était un procès unilatéral qu'on avait fait de l'expérience fédérale canadienne. Une conclusion bien simple se dégage et là, je laisse parler les auteurs: "S'ils voulaient à la fois préserver le régime actuel et renouveler le fédéralisme, les Québécois devraient accepter d'abandonner au gouvernement central, où ils seraient toujours et de plus en plus minoritaires, un nombre imposant d'attributions et de centres de décision que, jusqu'ici, le Québec a toujours réclamés. Ils devraient, par conséquent, accepter de remettre la direction de leurs affaires parfois les plus vitales à un gouvernement sur lequel ils ne pourraient jamais exercer qu'une influence indirecte ou éphémère. Pour en finir avec cet impossible fédéralisme renouvelé, etc.."

La perle de tout ceci, je la trouve dans une lettre datée du 28 mai 1980 qu'un membre du gouvernement actuel, qui signe d'ailleurs de son titre de député de Lafontaine et de ministre de l'Environnement, adresse aux militants de son comté qui ont participé à la campagne du oui. Il dit ceci: "Nous sommes à 9% d'une majorité absolue. Combien, à l'intérieur des 59% de non votaient oui à un Québec d'abord et pour une dernière chance au fédéralisme renouvelé de M. Trudeau? Ces non mous peuvent rapidement se transformer en un oui massif au Québec, dès que la preuve nous sera donnée d'une impossibilité d'égalité des deux peuples dans le contenu que devra nous présenter M. Trudeau."

Si c'est l'esprit dans lequel on aborde tout ça, M. le Président, autant dételer tout de suite. Je ne prétends pas que telle soit l'attitude du chef du gouvernement, ni même de la majorité de ses collègues; j'ai cité un exemple déplorable de mauvais esprit constitutionnel, mais je laisse au chef du gouvernement le soin de préciser l'esprit de son gouvernement. Je lui signale seulement qu'il est présentement dans une situation objec- tivement et fondamentalement contradictoire entre les orientations de son parti et de son gouvernement jusqu'à maintenant et l'orientation qui a été retenue par la population du Québec. Il existe une contradiction foncière, non pas seulement une différence de degrés, mais une différence de nature. Il faudra résoudre cette contradiction.

Il y a deux manières de lever l'équivoque — c'est une équivoque objective, indépendamment des questions de personnes qui n'ont rien à voir là-dedans — que le parti qui est au pouvoir modifie son programme en accord avec le verdict du 20 mai, qu'il affirme son acceptation de l'entreprise de renouvellement du fédéralisme canadien, sa confiance dans cette entreprise et sa volonté loyale de la mener à de justes et satisfaisants résultats. L'autre possibilité, c'est que le gouvernement en appelle au peuple dans des délais raisonnables afin que le peuple puisse choisir librement le parti qu'il jugera le plus apte à assurer la réalisation de ses volontés. (12 h 10)

Deuxième attitude non moins acceptable, c'est l'attitude attentiste qu'on nous a présentée et qui est la dernière version de l'étapisme, qui consiste à dire: Nous n'avons rien à dire pour l'instant. Attendons ce qui va venir d'Ottawa. La balle est dans ce camp, ne nous fatiguons pas. Cette attitude trahit une très mauvaise interprétation de l'opération référendaire elle-même. On est rendu qu'on veut nous faire croire que c'est une opération qui aurait eu pour objet de créer des obligations d'abord à Ottawa. Il me semblait que c'était une opération québécoise, le référendum, et que les premières obligations qui en découlaient s'adressaient au gouvernement du Québec et aux partis qui oeuvrent au Québec...

Mauvaise interprétation de la position historique du Québec. Nous avons toujours été, depuis le temps que je suis ces questions, un leader dans la famille des gouvernements canadiens. Quand le Québec n'exerce pas son rôle de leadership en matière constitutionnelle, les choses progressent très rarement et beaucoup moins substantiellement. Je pense que ça trahit aussi une mauvaise interprétation des engagements pris par le premier ministre du Canada. J'étais là quand le premier ministre du Canada a fait ses déclarations et j'ai pris soin, avant de parler ce matin, de lire ce qu'il a dit en Chambre. A entendre parler le chef du gouvernement, le ministre, qui est son voisin de droite, le leader du gouvernement à la Chambre et quelques autres porte-parole du gouvernement, on a l'impression que tout le fardeau reposerait désormais sur les épaules du chef du gouvernement fédéral. Ce n'est pas ce qu'il a dit.

A la Chambre, le 21 mai, le lendemain du référendum, M. Trudeau a parlé. Voici ce qu'il a dit réellement. "De notre côté, nous nous engageons à faire des changements, mais nous ne posons d'autres préalables aux changements que les deux que j'ai énoncés à Québec dès janvier 1977, c'est-à-dire, d'abord, que le Canada continue d'être une véritable fédération et, deuxièmement, qu'une charte des droits et libertés fondamentales soit

insérée dans la nouvelle constitution et que cette charte s'étende à l'aspect collectif de ces droits, comme la langue."

J'avais dit alors et je le répète aujourd'hui: Pour nous, tout le reste est négociable. C'est le véritable engagement qui a été pris par le premier ministre du Canada. Il ne s'est pas engagé, comme un maître d'école ou un maître du jeu unilatéral, à déposer sur la table un programme complet et absolu. Il a pris l'engagement d'être un catalyseur qui va favoriser l'entreprise de changements, laquelle doit être assumée par tous les gouvernements, tous les hommes, toutes les femmes politiques du Canada. Devant des propos comme ceux-là, on n'a pas le droit de dire: Les propositions doivent venir, nous, nous allons attendre. Nous avons autant l'obligation que le gouvernement fédéral de faire des propositions et de déposer sur la table des projets concrets de changement et d'amélioration.

Je voudrais, troisièmement, mettre le gouvernement en garde contre l'attitude qui consiste à dire: Pas de problèmes. Nous nous bornerons à défendre les positions traditionnelles du Québec tant que nous serons là, et ça va faire l'affaire. Dans la mesure où cette attitude définirait un souci légitime de continuité, j'y souscrirais sans réserve, M. le Président, et je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre d'avocat plus persistant et plus intransigeant que moi en matière de continuité historique véritable. Pas une continuité tronquée, une continuité historique véritable. Et pas seulement dans le domaine constitutionnel. Dans tous les autres domaines, je me suis toujours opposé aux changements procédant d'une mentalité jacobine. Je l'ai dit souvent dans cette Chambre. Mais dans la mesure où cette attitude trahit une mentalité de gardiens du temple et de gardiens des tables de la loi qui vont veiller sur les virgules, sur les accents et sur le choix des termes au lieu de s'intéresser au fond des choses, je ne peux pas y souscrire.

Que faut-il entendre par positions traditionnelles du Québec? C'est bien beau de s'abriter derrière ce parapluie facile, mais qu'est-ce qu'il faut entendre par positions traditionnelles? C'est un premier domaine où il y aura beaucoup de travail à faire et je ne pense pas qu'un gouvernement ait le droit de se parer de cette épithète s'il n'a pas au moins l'assentiment des autres témoins, des autres acteurs qui ont contribué à créer cette tradition.

Deuxièmement, pourquoi faudrait-il, à l'occasion d'une révision globale de la constitution, que l'on s'en tienne rigidement, étroitement, jalousement et mesquinement à la lettre des positions qui ont pu être défendues dans le passé? Il peut très bien arriver que des positions défendues dans le passé soient maintenant dépassées. Les problèmes évoluent, les situations changent, la perception que nous en avons évolue également. On ne peut pas se river... Parce que quelqu'un a soutenu une chose il y a 20 ans, cela ne veut pas dire que c'est la manière dont on doive défendre un point de vue aujourd'hui. Il faut être plus intelligent que ça. Il faut avoir plus de largeur de vue que ça.

Les positions traditionnelles du Québec n'ont toujours abordé qu'une partie du dossier, très rarement la totalité. On l'a fait une fois quand un comité de fonctionnaires avait déposé un projet de réforme, en 1967. Le projet était très complexe, mais le chef du gouvernement du temps lui-même l'a approuvé, sans jamais émettre d'opinion complète à ce sujet.

D'ailleurs, dans le projet qui a été soumis, il y avait un grand nombre de questions qui étaient laissées sans réponse. On disait: Sur cette question, nous ne sommes pas en mesure de formuler une opinion actuellement. De toute manière, à part ces cas, dans l'ensemble, les positions traditionnelles du Québec n'ont pas embrassé la totalité du dossier.

Ce serait trop facile de s'ériger en gardien du temple, en gardien des tables de la loi, nous demandons plus que cela de notre gouvernement. C'est pourquoi nous n'accepterons pas de nous soumettre passivement à l'argumentation suivant laquelle, une fois qu'on défend la position traditionnelle suivant sa propre définition, on a réglé le problème et on évolue en terrain certain. Ce que nous sommes en droit d'exiger du gouvernement du Québec, c'est d'abord l'abandon explicite et honnête de la situation objectivement équivoque et ambiguë dans laquelle il se trouve placé par suite de la contradiction fondamentale entre l'orientation retenue par le peuple du Québec, à l'occasion du référendum, et l'orientation qui est celle du Parti québécois, du gouvernement actuel, et celle qu'il a voulu nous imposer avec les subterfuges que l'on connaît.

Deuxièmement, ce que nous attendons du gouvernement, c'est un engagement sincère à promouvoir la réforme du fédéralisme canadien dans la défense ferme des intérêts et des aspirations du Québec, mais aussi dans le respect des principes fondamentaux du fédéralisme et de la volonté des citoyens du Québec pour que nous continuions à faire partie d'un pays qui s'appelle le Canada. C'est aussi un engagement clair et net à participer activement, de manière positive, constructive et créatrice, à la recherche des solutions susceptibles de rendre le système fédéral canadien plus juste, plus démocratique, plus dynamique, plus acceptable au Québec et aux citoyens de toutes les autres parties du pays, plus producteur de bien-être, de liberté, de prospérité, de solidarité, de paix, de présence efficace sur le plan international et toutes les autres valeurs que l'on attache à un pays qui a de la substance et qui occupe une place respectée dans le monde.

Ce que nous attendons également du Québec et de son gouvernement, c'est un programme clair et complet dans la voie indiquée par le verdict qu'ont rendu, le 20 mai dernier, les citoyens du Québec, pas seulement des réponses passives et négatives à d'autres; nous attendons un programme clair et complet.

Le gouvernement est-il prêt à répondre à ces exigences? Est-il prêt à contracter solennellement devant cette Chambre les engagements qui découlent de ces exigences? Est-il prêt, à la lumière du verdict du 20 mai, à engager le Québec, aussi

longtemps qu'il sera au pouvoir, dans la voie qu'ont choisie les citoyens, et sinon, est-il prêt à tirer les conséquences logiques, la seule conclusion qu'il puisse tirer de son attitude? Je n'ai même pas besoin de la mentionner, tout le monde l'a devinée. Merci.

Le Président: M. le chef de l'Union Nationale, vous avez maintenant la parole.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: M. le Président, je crois que ce débat d'urgence nous arrive à un moment opportun. Il est important, avant que débute une nouvelle ronde de négociations, que tous les partis politiques représentés en cette Chambre fassent connaître avec clarté et aussi avec franchise leur conception du rôle que le gouvernement du Québec se doit de jouer, à la suite des résultats du référendum.

A la suite de ce résultat, il se dégage certaines constatations qui jettent un éclairage nouveau sur l'enjeu des pourparlers constitutionnels qui vont s'amorcer. Une majorité claire des citoyens rejettent la négociation de la souveraineté-association et optent résolument pour le maintien d'un cadre fédéral pour le Québec et le Canada.

Le gouvernement fédéral ainsi que tous les gouvernements provinciaux s'engagent à entamer la discussion sur le renouvellement du fédéralisme canadien, et cela, dans les plus brefs délais. (12 h 20)

On sait très bien que la convocation du 9 juin, qui nous est faite par le gouvernement du Canada, fait suite à une promesse du premier ministre Trudeau de s'engager le plus vite possible. On peut, comme on l'a noté, craindre une certaine précipitation lorsqu'on sait que la politique des gouvernements fédéraux dans le passé a toujours été le festina lente — hâtez-vous lentement — mais, pour une fois, nous réalisons que le gouvernement fédéral, dans son grand désir de hâter une nouvelle constitution, déjà, dès le lendemain du référendum, faisait appel aux premiers ministres de toutes les provinces.

Nous savons, par ailleurs, que le gouvernement du Parti québécois accepte le verdict populaire et se dit disposé à négocier de bonne foi, comme un bon gouvernement, le renouvellement du fédéralisme canadien. Pour ce faire, il accepte de mettre en veilleuse, pour employer l'expression du premier ministre, son option de souveraineté-association. Nous savons que les Québécois ont indiqué, de façon majoritaire et aussi de façon démocratique, à leur gouvernement l'orientation constitutionnelle qu'ils désirent et qu'ils demandent à ce gouvernement de négocier pour eux. Etant donné que la majorité du peuple québécois s'est prononcée, nous savons que nous sommes dans une situation peut-être inusitée dans notre histoire nationale: un parti souverainiste qui se voit obligé, sous peine d'être désavoué par une majorité de citoyens, de travailler à la défense du fédéralisme!

Mais, au-delà peut-être du caractère cocasse de cette situation, je crois qu'il y a un projet de fond très sérieux qui concerne tous les membres de cette Chambre et qui fait appel aussi à la crédibilité et à la confiance. Le gouvernement n'est pas sans savoir qu'il marche à l'heure actuelle sur une corde raide et que chaque geste, chaque parole officielle est analysée forcément non seulement par les analystes politiques, mais aussi par la population. Je crois que le désir exprimé que les négociations fédérales-provinciales soient connues, soient faites au su et au vu de tout le public, va peut-être dissiper une certaine confusion et va permettre non seulement aux experts, non seulement aux juristes de se prononcer sur les questions, mais va permettre au peuple en général, qui est moins renseigné, de pouvoir apprécier aussi l'oeuvre que nos hommes politiques auront à effectuer dans les circonstances.

Je pense qu'il est possible d'affirmer qu'à ce stade-ci, le gouvernement bénéficie, à la suite d'un engagement récent, de ce qu'il est convenu d'appeler la chance au coureur, du moins jusqu'à nouvel ordre. Mais cette confiance est extrêmement fragile dans les circonstances et elle ne tient qu'à un fil qui risque de s'amincir rapidement si les attitudes gouvernementales ne correspondent pas aux engagements contractés. Le soir du 20 mai, devant ses militants au Centre Paul-Sauvé, le premier ministre du Québec disait ce qui suit: "Avec ce résultat, la balle est renvoyée dans le camp du fédéral. Le peuple québécois vient nettement de lui donner une autre chance et il appartiendra aux fédéralistes, et d'abord à M. Trudeau, de mettre un contenu dans toutes ces promesses". On a parlé d'une autre dernière chance.

Evidemment, le gouvernement du Québec ne sera pas le seul à participer aux négociations. Pour une première fois peut-être, on peut noter une très grande ouverture de la part des autres provinces et, en même temps, on voit le premier ministre du Canada nous manifester de façon aussi empressée et sans équivoque son désir de procéder à une révision en profondeur de la constitution.

Evidemment, les prochains jours, le 9 juin en particulier, et les autres réunions qui suivront nous prouveront le sérieux de la détermination du premier ministre du Canada.

Mais, depuis le 20 mai, le premier ministre nous a répété, à plusieurs reprises, alors que nous lui demandions de préciser le sens et la portée de son engagement de travailler de bonne foi pour renouveler le fédéralisme canadien, que la balle est maintenant dans le camp du fédéral et qu'il faut attendre que le fédéral mette du contenu dans ses promesses avant de passer à l'attaque.

Mais, le 20 mai, le premier ministre disait: Il appartiendra au fédéralisme, et d'abord à M. Trudeau, de mettre un contenu dans toutes ses promesses. Il est exact que M. Trudeau a une responsabilité tout à fait particulière et M. Trudeau s'est engagé à remplir ses responsabilités dans les plus brefs délais. Il ne faudrait pas, tout de même, que le Québec, après l'engagement du premier

ministre du Canada, considère qu'il n'a pas de proposition à amener sur la table, et cela dans quelques jours.

M. le Président, je pense qu'il faut se rendre à l'évidence. On ne peut pas se dire fédéraliste un jour et, le lendemain, agir comme si on ne l'était plus. En prenant l'engagement de travailler de bonne foi pour le renouvellement du fédéralisme canadien, conformément au voeu exprimé par 60% de la population du Québec, le gouvernement a accepté de faire partie intégrante du camp fédéral. En disant oui au voeu exprimé démocratiquement par une majorité des Québécois, le gouvernement du Québec disait oui au fédéralisme lui-même. Il doit maintenant agir en conséquence.

Dans un article publié dans la Presse pendant la campagne référendaire, j'ai tenu certains propos, demandant non seulement au gouvernement du Québec mais surtout au gouvernement fédéral de passer aux actes. Si cela est vrai pour le gouvernement fédéral, c'est également vrai aussi pour tous les gouvernements provinciaux, y compris le gouvernement du Québec. On sait que, depuis douze ans, le gouvernement fédéral a toujours agi avec beaucoup de prudence, à tel point que la réforme constitutionnelle n'a pas tellement avancé. Mais, pour une fois que tout le monde semble d'accord, que ce soit du côté fédéral ou du côté de toutes les provinces, le moment est venu au Québec aussi de faire entendre la voix des Québécois.

Quand le premier ministre nous dit qu'il va négocier de bonne foi, évidemment, c'est une question de crédibilité, c'est une question de confiance, et ce que le peuple du Québec attend, c'est de voir son gouvernement passer à des gestes concrets et cela, le plus vite possible.

Mais, pour nous, ce n'est pas après le 9 juin. Nous voulons que le gouvernement passe à l'attaque dès aujourd'hui. C'est peut-être le but de la convocation, le but de cette motion d'urgence. Que le gouvernement du Québec nous donne sa véritable conception qu'il se fait, lui, en ce moment, du fédéralisme canadien, puisqu'il s'est engagé, d'ici aux prochaines élections, à travailler dans ce sens, à respecter le mandat, le désir des Québécois, et essayer d'aller défendre là-bas les revendications traditionnelles des gouvernements antérieurs, et cela depuis plus de 40 ans.

Maintenant, nous, de l'Union Nationale, savons très bien que quand nous parlons de respect constitutionnel, ce qui a caractérisé les premiers ministres dans le passé, et surtout Daniel Johnson, ce fut une attitude de fermeté, un dynamisme qui tirait sa force d'une vision typiquement québécoise, une vision d'un véritable fédéralisme canadien où les mots décentralisation et autonomie figuraient au premier plan.

Quand le gouvernement actuel a pris l'engagement de travailler de bonne foi au renouvellement du fédéralisme canadien, j'ai tenu pour acquis qu'il adopterait, dès le départ, une attitude tout aussi ferme et aussi dynamique que commande, par ailleurs, tout acte de foi sérieux en faveur de la promotion de l'autonomie provinciale. Les négociations, les documents, ce que les gouvernements antérieurs ont proposé et tout ce qui est demeuré sans réponse, il semble peut-être, pour la première fois, dans notre période moderne, qu'il y a une possibilité de s'entendre à condition qu'il y ait un minimum, ou peut-être un maximum, de bonne volonté de la part de tous ceux qui auront à se rencontrer, surtout le 9 juin, en préparation de conférences fédérales-provinciales plus élaborées qui devraient avoir lieu au cours des mois à venir. (12 h 30)

Nous ne concevons pas, nous nous expliquons mal l'attitude du gouvernement du Québec qui semble un peu passif en ce moment, le gouvernement qui ne révèle pas, qui ne nous dit pas avec clarté quelle est la conception qu'il se fait en ce moment du fédéralisme canadien. Je ne voudrais pas que notre gouvernement actuel nous laisse l'impression qu'il attend un déblocage de la part d'Ottawa. Il faudra que le gouvernement du Québec, toujours fidèle à une longue tradition, se fasse le leader dans le domaine de nos revendications. Si les autres premiers ministres, du moins pour un certain nombre, ont accepté de se rencontrer la veille du 9 juin, je crois qu'à ce moment-là il y aura certains consensus, un certain front commun à établir sur certaines revendications que le Québec épouse — j'en suis sûr — avec l'ensemble des autres provinces. Il est clair dans notre idée que nos revendications, celles que le Québec va défendre... Le Québec constitue une province qui n'est pas comme les autres, le Québec est constitué en majorité de francophones, le Québec est un groupe, une nation tout à fait à part dans toute l'Amérique du Nord. Ces revendications que le Québec se doit de déposer lors des futures réunions, je crois que le gouvernement du Québec a intérêt, a avantage d'en saisir les autres premiers ministres, qui ne vibrent peut-être pas à tous nos sentiments, qui ne sont pas des francophones comme nous, pour leur faire comprendre quelles sont les aspirations véritables du peuple québécois. Si le gouvernement du Québec réussit dans un premier temps, à saisir les premiers ministres de l'importance de nos revendications, qui ne sont pas exclusivement d'ordre économique, mais quelque chose qui touche l'âme, qui touche la culture, qui touche la vie d'un peuple, notre gouvernement va apporter des propositions, quelque chose de très positif et je pense que c'est la seule façon d'agir dans les circonstances.

On ne doit pas laisser au gouvernement fédéral toutes les initiatives au cours des prochains jours. M. le Président, cette attitude un peu attentiste du gouvernement... En somme, j'ai posé des questions hier et avant-hier au premier ministre. Le premier ministre ne veut pas dévoiler son jeu. Il a certainement des raisons stratégiques pour le faire. Je voyais une caricature ce matin dans le Soleil où le premier ministre demandait au premier ministre du Canada de déposer son jeu. Je sais que, de part et d'autre, il y a une certaine méfiance; mais je pense qu'une fois que cette

méfiance aura disparu, une fois qu'on pourra sentir ce que peut-être on n'a pas senti depuis de nombreuses années, une très grande flexibilité de la part du gouvernement du Canada, quel que soit le premier ministre qui est là-bas en place, le jour où le gouvernement du Canada va comprendre que la décentralisation, c'est un fait qui s'impose, le jour où on va revenir à l'esprit de 1867 — c'est un autre problème également — et ensuite tenant compte de nombreuses réunions, de nombreuses modifications qui ont été faites, le jour où le gouvernement du Québec va réussir à convaincre ses homologues des autres provinces et le gouvernement du Canada, à ce moment-là, le Québec sera capable d'arriver là-bas en position de force.

M. le Président, je voudrais poser certaines questions au premier ministre face aux futures négociations. Premièrement, j'aimerais savoir si le Québec favorise une révision globale du fédéralisme canadien qui aboutirait éventuellement à l'acceptation d'une nouvelle constitution canadienne, ou est-ce que le premier ministre du Québec préfère une révision à la pièce de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique? Fait-on table rase, comme le disait le premier ministre Trudeau en janvier 1977, oui ou non? L'Union nationale a toujours préconisé une révision globale de la constitution canadienne et c'est dans cet esprit que le gouvernement du Québec n'a pas le droit de se contenter de simples rapiéçages, de discussions à la pièce, mais plutôt de s'engager dans une véritable révision de la constitution en profondeur.

Deuxièmement, est-ce que le Québec favorise toujours qu'on aborde, dans un premier temps, d'une façon concrète et réaliste, le noeud du problème constitutionnel canadien, à savoir un nouveau partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement avant d'entamer la discussion sur d'autres points? Je crois que cette question est très importante.

On l'a vu dans le Soleil ce matin: "Trudeau expose son plan. D'abord rapatrier la constitution". On peut peut-être lire certaines lignes qui dégagent un certain esprit. On dit: "Trudeau raisonne que la coupure définitive du lien ombilical qui retient depuis 1867 le Parlement canadien sous la dépendance du Parlement de la Grande-Bretagne, en matières constitutionnelles, peut le plus facilement faire l'objet d'un consensus national. Une fois ce grand coup donné, les gouvernements pourraient vraiment entreprendre la rédaction d'une nouvelle constitution. " On ajoute ceci, dans l'article du Soleil d'aujourd'hui: "Quant au gouvernement du Québec, Trudeau a dit qu'il s'opposerait sans doute au rapatriement en toute priorité de la constitution, mais il a exprimé l'opinion que la population opterait plutôt pour le bris immédiat du lien constitutionnel avec Londres."

Quand on parle du rapatriement de la constitution, l'Union Nationale déjà, dans un document publié il y a deux ans, disait ceci: "Toute tentative de rapatriement de Londres de la constitution canadienne actuelle nous apparaît prématurée, voire même inutile aux fins de la conduction d'une nouvelle constitution canadienne. Il sera, de toute façon, tellement plus facile de rapatrier la constitution une foi qu'elle aura été refaite." Evidemment, tout le monde s'entend sur le principe du rapatriement de la constitution. Marcel Pepin, dans le Soleil du 28 mai, ajoute des lignes qui sont très importantes à retenir, en parlant du rapatriement. Il nous dit: "Une première démarche pourrait amorcer ce déblocage que tout le monde réclame: rapatrier la constitution. L'effet psychologique d'un tel geste provoquerait dans la population un sentiment de confiance qui pourrait obliger les élus à pousser plus loin leurs efforts. Il suffirait que le Québec consente à rapatrier immédiatement le document britannique, à la condition qu'il soit clairement entendu que la constitution demeurerait inchangée, tant qu'une entente ne serait pas intervenue sur une formule d'amendement. Entre-temps, tout changement devra exiger l'accord unanime des Législatures."

Je crois que ces choses-là sont très importantes, parce que si on veut discuter, en profondeur, de toutes ces choses-là, il faut s'entendre d'abord sur le partage de pouvoirs, sur le partage des ressources fiscales et, ensuite, on pourra entrer dans tous les nombreux détails qui composent la constitution canadienne.

Maintenant, j'aurais une troisième question également: Quel est le forum de discussions que privilégie le Québec à l'heure actuelle? Une série de conférences fédérales-provinciales des premiers ministres ou encore une série de conférences entre les ministres des Affaires gouvernementales. Il serait important de le savoir car les réponses à ces questions préliminaires auront des conséquences directes sur le dénouement des négociations à venir.

Une autre question: Le Québec aura-t-il des propositions concrètes à faire sur chacun de ces points ou se contentera-t-il uniquement de prendre acte des propositions du gouvernement fédéral pour réagir par la suite? J'aimerais que le premier ministre nous donne le point de vue de son gouvernement avant de se rendre à Ottawa, lundi prochain.

L'Union Nationale, M. le Président, croit que si le gouvernement accepte de jouer le jeu de gouvernement provincial négociant une nouvelle constitution canadienne avec ses partenaires, il doit le faire honnêtement avec la plus grande rigueur intellectuelle possible sans aucune parti-sanerie, et qu'il ne peut se défiler de cette responsabilité en prétendant que la balle est dans le camp du fédéral. (12 h 40)

Si notre gouvernement est sérieux et s'il entend jouer son rôle de seul gouvernement provincial représentant une majorité francophone au Canada, il doit, dans l'intérêt des Québécois, et ceci indépendamment de la tenue et des résultats du référendum, accepter la suggestion que nous lui avons faite; rechercher et obtenir, sur le plus grand nombre de points possible, un consensus de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale. Il ne faudrait pas que le débat

d'aujourd'hui soit le seul qui se tienne sur cette importante question.

Nous avons demandé un dialogue en commission parlementaire, pour qu'on puisse arriver à un consensus de tous les partis représentés en cette Chambre, un consensus sur une véritable position constitutionnelle québécoise. Premièrement, sur la négociation elle-même et, deuxièmement, sur le fond de la question.

Pour ce faire, il faut absolument le dépôt en cette Chambre d'un énoncé de principe sur la conception que se fait le gouvernement du fédéralisme canadien. Sans cet énoncé, une commission parlementaire ne donnera rien et pourra même, avec le temps, s'avérer tout à fait inutile.

M. le Président, voilà quelques-unes des brèves recommandations que je voulais faire ce matin, à l'appui de la motion du chef de l'Opposition officielle. Si nous avons cette commission parlementaire que nous avons demandée, à ce moment je crois que ce sera beaucoup plus facile d'entrer dans les détails du partage du pouvoir, du partage des ressources fiscales; en somme, d'analyser en profondeur les compétences des deux ordres de gouvernement et surtout les exigences particulières que le gouvernement du Québec entend défendre et aussi la victoire qu'il anticipe dans cette ronde de négociations. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: M. le député de Rouyn-Noranda, conformément à l'entente intervenue.

M. Camil Samson

M. Samson: M. le Président, conformément à l'entente, j'ai cinq minutes; évidemment, en cinq minutes, je ne peux pas développer une thèse tellement longue, mais je voudrais quand même manifester à cette Assemblée mon inquiétude vis-à-vis du sujet sur lequel nous discutons aujourd'hui.

Dans quelques jours, le premier ministre du Québec se rendra à Ottawa pour discuter de questions constitutionnelles. Je pense qu'il est important qu'on se rappelle que, le 20 mai dernier, à l'occasion du référendum, la population du Québec a, majoritairement et très majoritairement, à raison de 60%, rejeté la seule option constitutionnelle avancée par le gouvernement du Parti québécois jusqu'ici.

Or, depuis ce temps-là, à la suite de cette défaite, le gouvernement a laissé savoir qu'il serait maintenant disposé à négocier un fédéralisme renouvelé et à le faire de bonne foi.

M. le Président, je pense qu'il est important de lire entre les lignes. Comment peut-on croire que le gouvernement actuel peut aller négocier un fédéralisme renouvelé, une constitution nouvelle, de bonne foi, alors que c'est contraire à l'option qui est la sienne et qui est à la base même de l'existence de ce parti?

Les déclarations ultérieures qui ont été faites par le premier ministre que les négociations devraient se faire publiquement et que c'était là un préalable sont déjà un signe d'un manque de bonne foi. Car, M. le Président, je ne peux croire qu'il y ait possibilité de négocier une constitution nouvelle devant les caméras de télévision. D'ailleurs, le gouvernement actuel est le premier à avoir donné l'exemple que de la négociation ne peut pas se faire devant les caméras de télévision. Il y a eu des négociations entre le gouvernement et les syndicats de fonctionnaires, par exemple. Ils n'ont pas fait ça devant les caméras de télévision. Si on leur avait demandé ça, ils nous auraient dit que des négociations, ça ne se fait pas comme ça.

Ce qui se fait devant les caméras de télévision, c'est le résultat des négociations, c'est le rapport des négociations, mais non pas tout le tralala des négociations. Donc, il y a là un manque de bonne foi évident.

Le premier ministre a également dit que la balle est maintenant dans le camp du fédéral. Je regrette, mais je ne partage pas ce point de vue. M. Trudeau a clairement dit, avant le 20 mai, qu'il était disposé à revoir la constitution canadienne, mais qu'il posait deux préalables, soit celui de conserver une fédération canadienne et celui de voir enchâssée, dans la nouvelle constitution, une charte des droits et des libertés. Or, il y a là deux conditions qui ont été posées très clairement et auxquelles l'actuel gouvernement n'acceptera pas de se soumettre. Non seulement il n'acceptera pas, mais, hier encore, le premier ministre disait, en réponse à une question du chef de l'Union Nationale, et c'est rapporté dans le journal de ce matin: "Le premier ministre René Lévesque a soutenu à nouveau hier que l'option souverainiste de son gouvernement demeure la meilleure garantie qu'il n'abdiquera pas devant le gouvernement fédéral dans les discussions constitutionnelles". Or, il a encore dans la tête son option souverainiste et le gouvernement a encore dans la tête son option souverainiste, alors que la population vient de lui dire: Non, on n'en veut pas; on ne veut pas de cette option.

M. le Président, je pense que quand la population se manifeste à 60%, comme elle l'a fait, c'est carrément un vote de non-confiance, non seulement à l'option du gouvernement, mais un vote de non-confiance au gouvernement, qui a une existence seulement à cause de cette option. C'est seulement cette option souverainiste qui a fait mettre au monde ce parti et qui a emmené ce gouvernement. Il n'y a pas d'autre chose que ça. Or, la balle n'est pas dans le camp fédéral, mais bien dans le camp du Parti québécois qui se doit maintenant, non pas de zigouiller, comme il l'a fait pendant les années passées, mais de faire des propositions concrètes et que ces propositions soient claires et précises. Mais, encore une fois, je mets en doute la bonne foi du gouvernement, parce que ce gouvernement voudrait que ça se fasse vite.

Quand je vois un gouvernement qui veut qu'on puisse amender à sa satisfaction à lui la constitution canadienne d'une façon rapide et que ce même gouvernement a pris trois ans et demi pour composer une question à poser à la popu-

lation à l'occasion d'un référendum... Il voudrait que tout le monde fasse les choses vite et cela lui a pris trois ans et demi à faire son lit comme on dit en bon français. Moi je ne peux pas croire qu'un gouvernement comme celui-là va négocier de bonne foi.

En conséquence, je dis que la population a donné un vote de non-confiance à ce gouvernement et que le gouvernement actuel n'a même pas le mandat de négocier la souveraineté-association. Il n'a pas non plus le mandat de négocier un fédéralisme renouvelé. Pour ce faire, il doit aller devant la population en élection générale et, s'il demande un mandat, à ce moment, il l'aura. Aujourd'hui, il ne l'a pas. Personne au Québec n'a le mandat de négocier un fédéralisme renouvelé.

Je termine. Je sais que cinq minutes, ce n'est pas long, mais je termine en demandant au gouvernement d'avoir le courage d'aller en élections générales et de demander à la population, suivant l'option qu'il voudra bien proposer, un mandat. A ce moment, on verra le résultat. Je suis convaincu qu'il n'aura pas le mandat de la population pour aller négocier le fédéralisme renouvelé, parce que ce serait contraire à l'option fondamentale du Parti québécois et personne ne voudrait les croire.

Le Vice-Président: M. le leader du gouvernement.

M. Charron: Au nom du premier ministre, je demande la suspension du débat jusqu'à 15 heures.

Le Vice-Président: Vous demandez l'ajournement du débat?

M. Charron: La suspension du débat jusqu'à 15 heures.

Le Vice-Président: Est-ce que cette motion sera adoptée?

Des Voix: Adopté.

Le Vice-Président: II y a consentement unanime pour que les travaux de la Chambre soient suspendus avant 13 heures.

Les travaux de l'Assemblée sont suspendus jusqu'à 15 heures cet après-midi.

Suspension de la séance à 12 h 51

Reprise de la séance à 15 h 10

Le Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. le premier ministre, vous avez la parole.

M. René Lévesque

M. Lévesque (Taillon): J'ai écouté très attentivement ce matin le chef de l'Opposition et je dois dire que cette écoute attentive m'a laissé un peu beaucoup sidéré. On l'avait déjà été — un bon nombre d'entre nous, en tout cas, et pas seulement dans cette Chambre — au moment de la parution de son livre beige qui constitue désormais, depuis un certain congrès, le programme officiel de son parti. Je dois dire que j'ai été sidéré encore davantage en écoutant la litanie des questions que nous a débitée le chef de l'Opposition et peut-être plus encore en croyant percevoir l'attitude que ça pouvait refléter dans l'ensemble.

Dès le départ, M. le chef de l'Opposition prétendait situer toute cette salade de questions sous trois têtes de chapitre, trois thèmes principaux et je les énumère dans l'ordre où il les a énoncés, parce que l'ordre qu'un homme donne aux sujets qui le préoccupent est souvent révélateur des priorités qui forment ses soucis fondamentaux. L'ordre dans lequel ces thèmes ont été évoqués par le chef de l'Opposition est le suivant: Quelle sorte de pays voulons-nous? Quelle sorte de régime fédéral voulons-nous? Troisièmement, quelle sorte de rôle voudrions-nous pour le Québec dans ce régime? Donc, le Québec arrivait en troisième lieu. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une pure coïncidence, je crois qu'il s'agit plutôt du reflet d'une attitude et d'une mentalité.

Là-dessus, je dois dire au chef de l'Opposition, in absentia, que, sauf exceptions ça et là...

M. Lavoie: Où étiez-vous ce matin, vous?

M. Lévesque (Taillon): Je n'en fais pas un blâme, j'espère que, comme moi, il écoute ou, en tout cas, qu'on lui rapportera cela. Là-dessus, je dois dire tout simplement — je le répète — au chef de l'Opposition que, sauf exceptions ça et là, inévitablement, parce qu'il y a eu tellement de sujets d'évoqués dans sa litanie, je ne répondrai pas à toutes ses questions, ce serait impossible, ce serait prématuré et je crois aussi que ce serait foncièrement futile parce que ce qui ressortait de tout cela, c'était, entre autres choses, une sorte de schéma terriblement abstrait, une sorte de construction de pays en vase clos, sans beaucoup de rapport avec une réalité qui est toujours nécessairement mouvante, sans beaucoup de rapport avec l'interrelation terriblement complexe d'une foule de facteurs ou de sujets qu'il faut toujours évoquer, ni beaucoup de rapport avec l'inévitable pression des événements qui pèsera toujours sur l'évolution de toutes les sociétés, y compris de la nôtre.

Je remarquerai simplement, pour en terminer avec les impressions générales, que ce qui s'est dégagé aussi, quant à moi, de l'intervention du

chef de l'Opposition, dans l'ensemble, c'est que c'était une sorte de panégyrique parfaitement inconditionnel du fédéralisme en soi, du fédéralisme comme meilleure forme de gouvernement en soi. Autrement dit, un absolu hors duquel il n'y aurait pas de salut possible.

Bref, j'ai eu l'impression que ce à quoi visait l'exercice auquel s'est livré le chef de l'Opposition et qui correspondait bien, sauf erreur, à l'ordre dans lequel il avait présenté ses têtes de chapitre, c'était non pas simplement une attitude de bonne foi face au renouveau éventuel du régime fédéral, mais plutôt un acte de foi total, sans retour possible, envers un régime auquel, au besoin, on devrait même sacrifier des intérêts collectifs du Québec pour continuer d'y appartenir.

Quant à moi, M. le Président, ma tête de chapitre unique sera d'abord et avant tout celle des besoins et des aspirations essentiels du Québec et, là-dessus, d'aller voir avec les autres, comme le résultat du référendum l'exige à nouveau, comment et jusqu'à quel point ces besoins et ces aspirations peuvent trouver satisfaction dans la perspective qui s'est ouverte après le 20 mai. Car une des choses qui découlent du référendum et sur laquelle, je crois bien, tous seront d'accord, y compris nos amis d'en face, une chose qui fait partie de ce fameux sens du référendum sur lequel on glose beaucoup ces temps-ci, cette chose qui me semble évidemment découler du référendum, c'est que la perspective soi-disant nouvelle — ce qui reste à voir — dans laquelle nous entrons, c'est le Québec fondamentalement et peut-être jusqu'à un certain point le Québec seul qui en a été le déclencheur.

Cette ronde qui est censée s'ouvrir, cette ronde de nouvelles négociations est venue à cause du référendum québécois. C'était implicite déjà dans les propos qu'on rapporte de M. Trudeau, par exemple, quand il dit qu'il ne faut pas perdre le momentum — je cite le terme que j'ai vu — c'est-à-dire cette impression de mouvement, cette impression de possibilités de changement qui s'est dégagée du climat préréférendaire et de la campagne référendaire elle-même. Chose certaine, c'est que c'est le référendum, en tout cas, qui a permis d'établir officiellement — et Dieu sait avec quelle solennité dans certains cas — que le statu quo ne peut plus durer. Il est censé avoir changé des attitudes d'esprit, au moins apparemment. C'étaient même certains des propos que sont venus nous tenir, les uns après les autres, certains de mes collègues, les premiers ministres des autres provinces. Reste à voir à quel point, concrètement, ces changements d'attitude d'esprit se matérialiseront quand viendra le moment des pourparlers.

C'est censé être vrai aussi fondamentalement pour M. Trudeau lui-même. Je répète ici ce texte, mot à mot, de l'engagement qu'il prenait en s'adressant solennellement, comme il le disait, à tous les Canadiens des autres provinces au moment où, comme on l'a dit couramment, il mettait se tête sur le billot dans un des discours probablement les plus déterminants de la campagne référendaire. "Ici, disait M. Trudeau, je m'adresse solennellement à tous les Canadiens des autres provinces. Nous mettons notre tête en jeu, nous, députés québécois, parce que nous disons aux Québécois de voter non et nous vous disons à vous, des autres provinces, que nous n'accepterons pas ensuite que ce non soit interprété par vous comme une indication que tout va bien et que tout peut rester comme c'était auparavant. Nous voulons du changement. Nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du changement." Fin de la citation.

Donc, une volonté de changement solennellement affirmée et avec, en gage, des sièges qu'on met en jeu et également une volonté de changement qui correspond à un contexte de sursis, non pas un acte de foi éternel, perpétuel et inconditionnel en un régime, mais en un sursis qui lui est accordé. Cela encore, cela est très nettement le ton que prétend, en tout cas, maintenir le premier ministre fédéral et qui se reflète dans l'invitation même dont j'ai déposé copie en Chambre, qu'il me faisait parvenir à propos de cette fameuse réunion du 9 juin, c'est-à-dire de lundi prochain. Le premier paragraphe est clair là-dessus: "Lors du référendum du 20 mai — écrit M. Trudeau — les Québécois ont choisi majoritairement la voie de la fidélité au Canada. Ils ont rejeté la souveraineté-association aussi bien que le statu quo. Et selon vos propres termes — ajoute-t-il, en me répondant — ils ont décidé de donner une autre dernière chance — un sursis, autrement dit — au renouveau dans le cadre de la fédération canadienne". Alors, une autre dernière chance et dont le Québec a été le déclencheur après tant d'années de cercles vicieux. (15 h 20)

Je crois qu'on pourrait s'entendre sur ceci, on devrait pouvoir s'entendre sur ceci: C'est qu'à partir de là il devrait être indiscutable que ce sont les besoins et les aspirations essentiels — il s'agit de s'entendre là-dessus — du Québec, qui, dans l'ensemble, sont bien connus, qui doivent être au coeur des discussions si elles doivent mener quelque part. Ce n'est jamais aussi simple ni aussi clair que cela, cela on le sait. Il suffit d'avoir le moindrement d'expérience dans les relations fédérales-provinciales pour le savoir amplement, justement parce que ce n'est jamais si simple ni si clair que cela, qu'il y a également le provincialisme, c'est-à-dire dix gouvernements plus un gouvernement qui les coiffe dans un régime fédéral, qu'il y a également le régionalisme dont on a développé la dimension depuis un certain nombre d'années, et qu'à travers tout cela, presque infailliblement, jusqu'à présent, le Québec et ses intérêts fondamentaux et ses besoins essentiels comme patrie d'un peuple ont toujours fini par être marginalisés et fini par être en danger d'être noyés. L'histoire, par exemple, de cette illusion toujours renouvelée pendant tant d'années des fronts communs interprovinciaux qui durent le temps même pas de ce que durent les roses et qui, en fin de compte, finissent toujours par se disloquer sous la pression et parfois les chantages bien conditionnés du gouvernement central. A travers tout cela, il va fal-

loir, quant à nous, en un mot, qu'une question fondamentale se pose, celle qui doit se poser pour le Québec dans ses négociations: Est-ce qu'il est possible de renouveler le fédéralisme canadien de telle façon qu'à l'intérieur de ce système le Québec puisse exercer tous les pouvoirs et avoir tous les leviers qui lui sont nécessaires pour remplir son rôle fondamental de foyer et de patrie d'une des deux nations constituantes qui forment le Canada.

Quant à nous, avec tout le respect que nous devons à tant d'autres priorités qui vont évidemment se développer et se définir de nouveau pendant les négociations, de l'Atlantique au Pacifique, quant à nous, c'est là-dessus et là-dessus essentiellement que les négociations réussiront ou qu'elles achopperont. Tant qu'on n'aura pas répondu de façon adéquate et concrète à cette question — qui est d'ailleurs déjà posée depuis les années lointaines du premier rapport incisif sur la crise canadienne, qui était celui de Laurendau et de Dunton — il n'y aura pas de solution à la crise canadienne.

Donc, il ne peut pas, en conscience, être question, pour un gouvernement du Québec, d'arriver à quelque pourparler que ce soit dans une attitude de fédéraliste inconditionnel et à perpétuité, car au succès de cette autre dernière chance, pour reprendre les termes qu'a lui-même également adoptés M. Trudeau, il y a cette condition fondamentale, à laquelle condition, bien sûr, se greffent des sujets bien précis et très concrets sur lesquels je reviendrai quelques instants avant de terminer.

Mais d'abord, si on me le permet, en quelques instants aussi, je voudrais essayer de régler, quant à nous en tout cas, cette histoire de l'acte de foi inconditionnel qu'on voudrait exiger d'un gouvernement du Québec allant à de nouvelles négociations après les échecs successifs des 20, 30 ou 40 années déjà passées. Ce qu'il faut dire, il me semble, si on veut sortir de l'abstraction et des principes soi disant "inamovibles", dans un monde qui, lui, est très mouvant, c'est qu'aussi bien l'évolution du Canada que révolution de tout le monde démocratique nous démontre une chose, soit qu'un régime politique ce n'est jamais un absolu, ça ne peut pas être un absolu. Ni le fédéralisme, ni la souveraineté, ni la souveraineté avec l'association, ni quelque autre formule d'institution politique n'est, en soi, un absolu, cela demeure, au niveau des moyens, évidemment à un plan extrêmement élevé, qui implique l'ensemble d'une société, cela demeure quand même de l'ordre des moyens. Il y a une fin à ces moyens-là, forcément, comme dans toutes les affaires humaines. Quelle est la fin à laquelle on doit tendre? Il me semble qu'on peut s'entendre sur ceci: c'est que la fin, c'est nécessairement la liberté, le mieux-être et l'épanouissement de l'homme, de la femme, des individus et que, l'une des conditions essentielles pour réaliser cette fin, c'est le mieux-être également et le développement le plus complet et le plus harmonieux possible de la société et, le cas échéant, de la nation à laquelle ces individus appartiennent.

M. le Président, vous savez, il y a des esprits désincarnés, ou alors il y a des gens qui ont troqué cette appartenance naturelle contre une autre, et c'est leur droit. Seulement, il ne faut pas refuser de le voir. Il y a de ces gens qui sont un peu désincarnés, ou qui ont troqué leur appartenance contre une autre, qui peuvent refuser de voir ce lien, pour ainsi dire, organique qui existe entre ces deux plans: le plan individuel et le plan collectif. Pour ignorer ce lien dans notre cas à nous spécifiquement les Québécois, il faut, par exemple, ignorer du même coup tout ce qu'ont représenté les petits pains, assez maigres, d'une très longue survivance, tout ce qu'a pu représenter la succession de générations d'absences forcées de la vie économique, sauf au niveau qui n'était pas caricatural, même quand j'étais petit gars, du porteur d'eau et du scieur de bois. Il faut aussi ignorer la multitude de nos carrières potentielles, mais qui sont demeurées potentielles, tronquées ou inexistantes, et la réalité de nos revenus toujours inférieurs à ceux des castes dominantes.

Bref, il faut ignorer que les droits et les chances des personnes, des individus, partout dans le monde — c'est vrai chez nous comme ailleurs — seront toujours d'autant plus forts que sera forte également la société à laquelle ils appartiennent, que ces droits et ces chances seront toujours d'autant mieux respectés que sera également respectée la société à laquelle ils appartiennent, que ces droits et ces chances seront d'autant plus féconds et susceptibles de donner des résultats que la société — surtout quand il s'agit d'une société nationale — à laquelle ils appartiennent aura également les mêmes occasions de se développer.

Vous savez, il y a un certain prélat polonais — les Polonais évidemment ont une longue expérience, beaucoup plus tragique que la nôtre, de ce que cela peut signifier dans l'histoire — qui joue un certain rôle, actuellement, et un rôle qui, normalement, le place au-dessus de la mêlée et qui rappelait ces jours derniers ceci, textuellement: "Qu'il existe une souveraineté fondamentale de la société qui se manifeste dans la culture de la nation." La culture, cela ne vit pas en vase clos et ce n'est pas à mettre sur des tablettes comme dans un musée, il faut que cela ait des infrastructures, des leviers et des moyens suffisants pour se développer, pour s'épanouir.

Donc, la fin, au-delà des moyens, que nous devons poursuivre c'est ce qu'on peut tout simplement appeler, si on veut, le bonheur maximal dans toutes ses dimensions, le bonheur maximal des personnes et l'un des ingrédients des plus essentiels pour y arriver, c'est la chance maximale de plénitude de leur communauté nationale.

Quant à nous, il nous a semblé depuis longtemps — les années qui se sont succédé, à notre avis en tout cas, n'ont fait que confirmer cette idée — que la perspective de la souveraineté nationale, assortie d'une offre d'association avec ceux qui nous entourent, est et demeure de loin la meilleure sinon la seule chance pour arriver à cette fin, Cela non plus n'est pas un absolu mais, dans un monde de moyens pour arriver à la fin, il nous semble que cela demeure le meilleur des

moyens. C'est celui qui assure cette égalité fondamentale — je ne chinoiserai pas sur l'application de l'égalité — mais l'égalité fondamentale qu'évoquaient déjà, encore une fois, des gens aussi lucides que Laurendeau et Dunton. (15 h 30)

De toute façon, il s'agit là d'une option dont personne sérieusement peut nier ni la légitimité, ni non plus la faisabilité démocratique. Seulement, la population a majoritairement décidé, jusqu'à nouvel ordre en tout cas, de ne pas l'accepter lors du référendum. Le gouvernement a donc le devoir, dans ses relations avec Ottawa et avec les autres provinces, de chercher à nouveau la possibilité de réaliser ses aspirations et ses objectifs fondamentaux dans la voie d'un régime fédéral éventuellement renouvelé, un régime qui, lui non plus, n'est pas absolu. Est-ce qu'on peut s'en servir comme d'un moyen pour y arriver? Chose certaine, c'est que cela implique du changement et pas du changement cosmétique, cela implique du changement qui soit vraiment et extrêmement profond et radical.

S'il y a un commun dénominateur dans les résultats du 20 mai, il me semble que c'est justement la volonté de changement là-dessus; c'est peut-être un point sur lequel, si j'ai bien compris une partie de son intervention, je m'accorderais avec le chef de l'Opposition, même si on ne s'entend pas nécessairement sur le reste. Justement, il y a une volonté de changement, mais il faut qu'il aille loin, ce changement. Les 40% et plus de oui au référendum, parmi lesquels à peu près un Québécois francophone sur deux endossait — je pense n'avoir pas besoin de faire un dessin — le changement complet du régime... A la suite des sollicitations et des engagements des porte-parole du non, et particulièrement de M. Trudeau lui-même, il faut bien croire qu'une très grande partie aussi de ceux qui ont voté dans ce sens-là, dans le sens du non, l'ont également fait avec une nette volonté de changement, mais à l'intérieur du régime.

Je le répète, il semble bien que les Québécois, d'un côté comme de l'autre, peu importe que cela réalise leurs aspirations ou pas, aient au moins donné pas plus — pas moins, mais pas plus — qu'une autre dernière chance au régime fédéral. Là-dessus, il nous faut comme gouvernement, honnêtement et en toute bonne foi, aller voir avec les autres si le fédéralisme peut enfin, ce qu'il n'a jamais fait, on l'admettra, dans le contexte canadien, permettre à des peuples différents de trouver et de vivre pour eux-mêmes et pour leurs citoyens cette égalité des chances et des droits sans laquelle rien ne sera réglé. Notre participation ne peut donc être que conditionnelle, sans quoi elle trahirait tout simplement, quant à nous, la cause du peuple québécois. Il faut bien dire que cette coexistence permettant une égalité de développement, une égalité des chances — et, éventuellement, c'est ça, la fin — une égalité de réalisation de leurs espoirs et de leurs aspirations pour les individus qui forment les deux sociétés, cette coexistence de deux peuples dont l'axe principal est deux nations, deux réalités nationales, ce n'est pas seulement au Canada que ça n'a guère réussi. Le fédéralisme, jusqu'à présent dans le monde, c'est un succès de "melting pot"; quand ce n'est pas un succès de "melting pot", en règle générale, ce n'est pas un succès, c'est un déséquilibre permanent et c'est une forme de régime dans lequel il y en a toujours un ou d'autres qui sont plus égaux que les autres. C'est ce que nous avons vécu. Par conséquent, il faut bien que ce soit avec un certain scepticisme, il faudrait être irresponsable pour prétendre avoir la foi du charbonnier, et un scepticisme qui nous paraît très sain, qu'on va s'engager avec les autres dans ces négociations.

Je me vois obligé d'ajouter ceci: Je crois qu'une telle attitude est une meilleure garantie de protection et de promotion des intérêts fondamentaux du Québec que certaines abdications, parfois par anticipation, de trop de fédéralistes inconditionnels pour qui on dirait que le régime est une fin en soi, une fin pour laquelle, au besoin, on doit sacrifier nos intérêts primordiaux; encore une fois, un truc hors duquel il n'y a pas de salut. Cela nous semble profondément malsain. Il y a une sorte de totalitarisme de l'attitude là-dedans. On dirait qu'un simple réflexe conditioné, une sorte de pétition de principe tient lieu de pensée et de réflexion.

Je crois que l'expérience nous a prouvé et nous prouve encore que ce genre d'attitude peut mener à beaucoup de compromissions. Il y a des compromissions qui peuvent être extraordinairement sérieuses; cela donne déjà, d'ailleurs, souvent de curieux résultats. Il y a, par exemple, ce livre beige sur lequel on aura l'occasion de revenir. C'est maintenant le programme officiel de nos amis d'en face, avec lequel ils s'en iront éventuellement à des rencontres électorales, mais déjà, pour l'instant, il y a des choses extraordinaires là-dedans, dans le sens d'une sorte de dégradation inconsciente, parce que, justement, on est trop inconditionnel, de ce que représente la réalité nationale du Québec.

On nous dit, par exemple, dans cet "incondi-tionnalisme" curieux, que le fédéralisme est le meilleur des régimes. Pourquoi? Parce que c'est celui qui permettrait au Québec de s'occuper ou, enfin, de pouvoir vivre la culture de la liberté. C'est quand même quelque chose, cela, la culture de la liberté. Autrement dit, le fédéralisme, de toute façon, est meilleur pour la culture de la liberté, ce qui n'est pas nécessairement prouvé par l'expérience. Je référerais nos amis d'en face aux héritiers de Lord Durham et à quelques autres à travers le Canada pour se rendre compte que cela n'a pas toujours été vrai. Donc, il n'y a pas, en soi, de garanties, ni encore davantage — pour employer le terme présomptueux du livre beige — de culture de la liberté qui soient accrochées à un régime en soi.

Mais quant, par-dessus le marché, on vient dire cela au Québec et à la société québécoise, par une sorte d'allusion — un peu sournoise, on l'admettra — on profère une calomnie à l'égard

d'une société qui, sur ce point, n'a sûrement pas de leçon à recevoir des autres ou, en tout cas, des autres parties du Canada jusqu'à nouvel ordre. Cela mène à des choses comme cela.

Cela mène à des choses qui sont encore plus graves et qui peuvent laisser des doutes sur certaines attitudes. Je ne croyais pas que c'était possible; j'avais entendu, par exemple, comme tout le monde, le premier ministre fédéral, parlant de l'éventuelle possibilité d'une association, nous dire publiquement qu'il trouvait qu'on pouvait établir un parallèle entre cette idée québécoise de l'association avec le reste du Canada et ce que serait, par exemple, un désir d'association de deux dictatures des Antilles, Haïti et Cuba. Ensuite, cela s'est perdu dans la brume de la campagne référendaire. Mais ce genre d'attitude vient de loin.

Je retrouve, en 1977 — et j'ai été obligé de le relire pour y croire, parce que cela n'a pas fait beaucoup de bruit à l'époque — simplement une indication cursive, comme cela, passagère, de ce que peut être une attitude. C'était dans le Vancouver Province, à la suite d'une réunion où il y avait eu un dîner avec deux douzaines d'éminents convives, autour et alentour des préoccupations qu'on pourrait appeler fédérales-provinciales ou constitutionnelles, et où l'invité d'honneur était le premier ministre fédéral actuel et de l'époque. Je cite simplement ceci, ce n'est presque pas croyable, mais c'est cela: "In closing, Trudeau expressed confidence that Canada would learn to deal with its French population with the same success that the United States had learn to deal with its black citizens." Je vais traduire: En terminant ses propos — d'après-dîner, semble-t-il — M. Trudeau s'est dit confiant que le Canada apprendrait éventuellement à traiter avec ses citoyens francophones avec le même succès que les Etats-Unis avaient fini par apprendre dans le traitement de leurs concitoyens noirs. Cela rappelle le titre de certains ouvrages qui ont fait leur tour de presse et leur tour de librairie il y a déjà pas mal d'années; je ne croyais pas que cela pouvait revenir dans des années soixante-dix avancées.

Dans un contexte comme celui-là, qui est quand même fondamental parce qu'il s'agit vraiment des attitudes mentales et des racines ou des manques de racines éventuelles des intercolu-teurs, j'aime bien qu'on parle beaucoup de crédibilité. Tout ce que je viens d'évoquer et tout le reste qu'on pourrait ajouter me dit que, sur ce plan, celui de la crédibilité, en ce qui concerne en tout cas les intérêts du Québec, ses intérêts fondamentaux, leur défense et leur promotion, je dirais que cet ensemble qui s'est dégagé depuis un certain temps, chez nos amis d'en face comme chez leurs amis d'à côté, de l'autre bord de l'Outaouais, leur donne un genre de crédibilité, en ce qui concerne, encore une fois, les intérêts du Québec, qui pourrait ressembler dangereusement à la crédibilité d'un syndicat de boutique qui couche d'avance avec le patron et ce n'est pas particulièrement rassurant pour ceux qu'on prétend défendre.

Le chef de l'Opposition a dit que notre crédi- bilité dans le contexte était plus ou moins entachée, en particulier, je pense, pour une raison qui serait la contradiction, qui est la contradiction fondamentale, objective, entre notre option politique comme parti et les résultats du référendum et ce qu'ils nous dictent comme gouvernement. (15 h 40)

Bien sûr, il y a une contradiction, mais, si nous nous sommes engagés démocratiquement à remettre ce programme en veilleuse au niveau du gouvernement et à aller chercher, aussi positivement et aussi honnêtement qu'il est possible, l'éventuelle solution à l'intérieur du régime, la chercher avec les autres, je dis simplement et très solennellement dans cette Chambre que, si nous nous y sommes engagés, nous le ferons.

Il me semble que le passé, parfois, est garant de l'avenir et notre passé à ce point de vue est peut-être un peu plus rassurant que d'autres que je pourrais mentionner. Sur ce plan comme sur celui d'autres engagements qu'on avait pris devant nos concitoyens, je ne crois pas que jamais, depuis bientôt quatre ans, le gouvernement que nous constituons ait trompé les concitoyens québécois qui nous avaient fait confiance. Je puis assurer cette Chambre et ceux qui peut-être dans le public nous entendent que nous n'avons pas l'intention de les tromper cette fois-ci, non plus. Eventuellement, de toute façon — et là, je rejoins le chef de l'Opposition — et comme électeurs cette fois, nos concitoyens exerceront leur jugement là-dessus et ils diront par leur vote si les intérêts du Québec sont en meilleure main avec des gens comme nous ou bien avec des gens qui se proposent en partant comme des fédéralistes inconditionnels, peu importe qu'il s'agisse d'un sursis, des fédéralistes à perpétuité avec tous les risques que cela comporte et, par-dessus le marché, des gens qui ont déjà, peut-être en attendant la suite, de très lourdes dettes à acquitter à l'égard de la machine fédérale et de M. Trudeau lui-même.

Des Voix: Oui, oui.

M. Lévesque (Taillon): Sur ce, M. le Président, dans le temps qu'il me reste, je voudrais, sans prétendre aller dans tout le détail — cela viendra plus tard, forcément — revenir quand même un peu sur ces besoins et ces demandes du Québec à l'intérieur du fédéralisme, dont j'ai déjà dit — et je pense que le chef de l'Opposition l'a répété un peu ce matin — que l'ensemble en était déjà bien connu parce que tous les gouvernements antérieurs du Québec — depuis M. Godbout, en tout cas — ont eu l'occasion de les faire valoir, ces besoins, ces demandes et ces revendications traditionnelles, comme on disait. Ils l'ont fait et, pour l'essentiel, ils l'ont fait sans le moindre succès. Par respect de la vérité, je dois quand même souligner aussi que, depuis douze ans, sous M. Trudeau, le même gouvernement qu'aujourd'hui, depuis en fait ce qu'on a appelé le "Canada for tomorrow", c'est-à-dire au moment du centenaire et des années qui ont suivi, 1967, 1968 et, ensuite, jusqu'à Victoria en 1971 et tout le

long des rondes, comme on dit, de négociation diverses qui se sont ensuivies pendant les années soixante-dix, y compris les nôtres qu'on a accompagnées laborieusement et aussi activement que le dictait le sujet jusqu'en 1978 et jusqu'à l'échec à peu près total de cette liste qu'on appelait en anglais la "short list", c'est-à-dire la quinzaine de sujets que M. Trudeau lui-même avait mis sur la table, je dois donc au respect de la vérité de souligner que, depuis douze ans, cela a été un fiasco dans un contexte d'un besoin ou d'un esprit de centralisation toujours plus poussé.

Il nous est facile — et en cours de route, bien sûr, on le fera — de reprendre ces demandes en nous appuyant sur nos prédécesseurs, mais aussi de les remettre à jour et de les compléter au besoin, ce qu'on s'est efforcé de faire selon la conjoncture depuis trois ou quatre ans. On peut, bien sûr, ajouter aussi, le cas échéant, d'autres points que peuvent, que doivent nous dicter révolution des choses et révolution du régime et de nos sociétés elles-mêmes. Je peux me permettre de dire que, bien avant le chef de l'Opposition, on avait découvert que s'appuyer seulement sur des formules traditionnelles de demandes traditionnelles, cela ne peut pas suffire pour assurer la fameuse continuité historique et qu'on ne peut pas se contenter — je cite le chef de l'Opposition — "d'être étroitement, jalousement, mesquinement les gardiens du temple et des tables de la loi."

Seulement, là encore, entre les lignes, il y a quelque chose que j'aimerais élucider, mais je ne pose pas la question au chef de l'Opposition. Il trouvera le moyen d'y répondre autrement, je suppose. Mais il y a quelque chose là. Il ne faudrait pas que cette accumulation d'adverbes terriblement péjoratifs: "étroitement", "jalousement", "mesquinement", ait si peu que ce soit l'intention de camoufler ou de déguiser un recul ou une démission sur des choses importantes, parce que cela sert souvent la fausse générosité qu'on peut vouloir pratiquer aux dépens des siens et au profit des autres. Je reviendrai là-dessus, de toute façon.

Cela dit, nous croyons, nous aussi, que l'évolution fait que la continuité, c'est par en avant, et que cela doit refléter l'évolution des choses. Ce qui n'empêche pas que certaines choses fondamentales, la continuité ne peut pas du tout les faire balayer comme cela en dessous du tapis comme si cela n'existait plus. Par exemple, les demandes ou les revendications du Québec ont porté beaucoup, pendant un bon nombre d'années et avec une insistance constante, sur les domaines culturel et social. Par exemple, dans le domaine des droits linguistiques, il s'agira de voir, encore une fois, comment on les évoquera au moment de la reprise des négociations, parce que cela a toujours été un des éléments clés. Mais quant à nous, ces droits linguistiques, c'est la clé même de notre identité collective; donc, c'est au coeur des préoccupations qu'on doit avoir.

Tout près et, en fait, aussi central, se trouve toute la question de l'exclusivité de la juridiction et des pouvoirs du Québec en matière d'éduca- tion. On sait à quel point c'est loin d'être complet, c'est loin d'être parfait et à quel point cela peut coûter cher en résultats humains, et je ne parle pas seulement de résultats financiers. En particulier, on n'a qu'à regarder ce qui se passe et qui n'est pas encore démêlé, loin de là, dans ce fouillis invraisemblable où se trouve l'éducation des adultes, en particulier entre deux niveaux de gouvernement.

Pas loin derrière — je dirais pas loin derrière dramatiquement — se trouve l'ensemble du domaine des communications, c'est-à-dire la radio, la télévision, la câblodistribution et bientôt la télévision à péage. Tout cela a un impact quotidien. Et ce n'est pas seulement MacLuhan qui l'a dit, c'est également, dans la campagne référendaire, l'orgie de publicité fédérale audio-visuelle qui nous en a donné une preuve non seulement immorale, mais extrêmement éloquente aussi. Autrement dit, cela pèse lourd sur tout l'ensemble de l'identité et de son évolution d'une société.

Le chef de l'Opposition a essayé d'englober cela assez rapidement ce matin sous la forme de chicanes byzantines, en ce qui concerne les communications. Je rappellerai au chef de l'Opposition un argument d'autorité, qui vaut ce qu'il vaut, mais quand même l'occasion était solennelle, et c'est un point marquant de l'histoire des dernières années, d'un Canadien, extraordinairement connu à l'échelle du monde, qui est devenu un citoyen du monde et qui est aujourd'hui un Américain, mais qui est originaire du sud de l'Ontario, qui est un ancien élève du Collège agricole de Guelph, et qui s'appelle Galbraith, le fameux économiste, ex-ambassadeur américain et une espèce de maître à penser international. Galbraith, à qui on avait rappelé, en 1967, au moment d'un certain centenaire, ses origines ontariennes et anglo-canadiennes, avait consenti à faire un article pour répondre à la question suivante qui, je crois, rejoint assez bien notre actualité. La question était celle-ci: Le Canada célèbre un premier centenaire de son régime fédéral; quelle serait, selon vous, M. Galbraith, la condition essentielle pour qu'il puisse arriver à un deuxième à peu près encore existant?

Galbraith — j'ai eu l'occasion de lui en parler après, au moment où on se trouvait ensemble à Terre-Neuve à je ne sais pas quelle occasion — m'a avoué gentiment qu'il avait complètement oublié cette dimension-là. Il a répondu comme un Anglo-Canadien en disant: Ce qui est essentiel — il parlait uniquement dans le contexte anglo-canadien — c'est que CBC, c'est que toute une série de choses qui existent au point de vue des communications, vous pouvez continuer peut-être jusqu'à un certain point — Dieu sait que c'est déjà avancé — à vous satelliser au point de vue économique, à vous laisser littéralement manger votre économie par n'importe quelle intervention extérieure et, essentiellement, devenir dépendant de tout le monde. Cela peut être dangereux, mais ce n'est pas cela qui est le plus fondamental. Vous vivrez un autre siècle avec une identité à peu près reconnaissable si vous maintenez un régime ou un

système de communications dont vous gardez les leviers en main et que vous tenez bien solides. Et qu'on vienne nous dire après cela — je crois que là-dessus il avait raison, sauf qu'il oubliait qu'il y avait deux dimensions de ce genre au Canada — que ce sont des chicanes byzantines quand on se préoccupe de juridiction et de compétence en matière de communications dans un siècle comme le nôtre, cela me dépasse un peu, je dois l'avouer humblement au chef de l'Opposition.

Donc, il y avait cet ensemble — je n'irai pas plus dans le détail — qui correspond à des clés dans le domaine culturel et qui se retrouvait, d'une façon ou de l'autre, lorsqu'on a appelé les demandes, les revendications établies, insistantes et Dieu sait combien de fois répétées du Québec depuis des années. (15 h 50)

Dans le domaine social, c'est l'ensemble de la politique sociale — on a seulement à se rappeler Victoria et son échec — qui a fait l'objet, en gros, globalement, des revendications, parce que la politique sociale, pour autant qu'elle mérite ce nom, c'est toujours collé, dans n'importe quelle société civilisée, au tissu même le plus intime de la société, c'est collé à ses structures de populations et c'est collé à sa façon de définir et d'établir ses priorités. Actuellement on vit, depuis des années — et c'est répété sans arrêt, mais c'est répété sans résultat — dans un fouillis qui est absolument inextricable, où l'inefficacité finit par déboucher sur l'injustice trop souvent; c'est vrai dans le domaine des pensions pour le troisième âge, comme c'est vrai pour les familles dans le domaine des allocations qui se superposent et c'est vrai spécifiquement, par exemple, dans le domaine du droit de la famille où, tout en ayant des accords de principe, en 1978, on n'est pas plus avancé en 1980 et c'est vrai aussi dans le domaine — si on ne fait pas attention — de l'immigration. J'ai trouvé curieux que, ce matin, le chef de l'Opposition nous parle de l'immigration. Un domaine dont on s'est aperçu qu'il est devenu crucial pour l'identité même du Québec, au point de vue collectif, dès les années 1966-1967, quand se sont heurtés en conjugaison, c'est-à-dire se sont conjugés, mais en se heurtant forcément, en perspective, deux facteurs qui étaient, d'une part, la dénatalité galopante qui nous avait gagnés et, d'autre part, l'immigration qu'on ne contrôlait absolument pas, ou à peu près pas. C'est d'ailleurs à partir de là que s'est créé, d'abord, comme une coquille, un symbole, un ministère de l'Immigration pour le Québec.

Alors, moi, j'ai trouvé curieux que, parlant d'immigration ce matin, si brièvement que ce soit, le chef de l'Opposition dise qu'il faudrait tout de même être sûr que le Québec, quel qu'il soit dans l'avenir, serait ouvert à l'immigration sans contrôle bureaucratique rigide. Là, encore, je ne peux pas m'empêcher de voir une espèce d'allusion par anticipation à ce que le Québec pourrait faire de "méchant", de "pas correct", s'il fallait que ce soit lui qui soit, plus qu'il ne l'est en ce moment, en dépit des accords toujours fragiles qu'on a pu avoir avec le fédéral, plus détenteur du contrôle des politiques d'immigration. Il faut toujours comparer et je regarde, par exemple, comment ont été défendus les Haïtiens, que certains contrôles rigides et bureaucratiques, mais pas au niveau québécois, risquaient d'exporter, comme ça, manu militari, sans autre forme de procès. Il me semble — et, là, je parle de l'actualité récente, quand même — que c'est le gouvernement du Québec qui s'est porté à leur secours, le plus éloquemment qu'il le pouvait, en dépit de son manque de pouvoirs. Tout récemment — mais ça dure tragiquement, à travers le monde, depuis quelques années — s'il y a quelqu'un qui a pris l'avant-garde, s'il y a une société, parmi les deux au Canada, qui a pris l'avant-garde, en ce qui concerne le traitement des réfugiés, d'une attitude accueillante et justement non pas rigidement bureaucratique, il me semble que c'est le Québec, que ce soit dans le cas des Cambodgiens ou que ce soit dans le cas d'autres réfugiés à travers le monde qui peuvent s'intégrer dans de nouvelles patries. Il me semble que, là-dessus encore, s'il y a des dangers de contrôles rigides et bureaucratiques dans la mentalité de quelque niveau de gouvernement, reflétant quelque société que ce soit des deux qui constituent le Canada, ce n'est pas précisément à Québec qu'on voit ça.

Mais, partant de ces allusions qui, à mon humble avis, sont profondément et indirectement injustes, est-ce que le chef de l'Opposition voudrait dire qu'on doit quitter tout souci d'équilibre démographique et culturel? Que le Québec doit être la seule société nationale dans le monde — ou à peu près — qui n'aurait pas ce souci constant de maintenir convenablement l'équilibre démographique et culturel dans lequel elle doit baigner pour continuer et pour avoir une chance de s'épanouir? En tout cas, c'est une question!

Maintenant, à tout cela s'ajoutent des choses — là, je rejoins le souci d'évolution du chef de l'Opposition — que nous dictent les événements qui s'accumulent et qui, forcément, ont leur action, ont leur effet sur les situations respectives de nos sociétés, ici comme ailleurs. Par exemple, derrière les préoccupations de culture fondamentales, d'identité fondamentales, d'évolution sociale fondamentales aussi, d'un peuple, derrière tout ça ou, en tout cas, si vous voulez, au-dessous de tout ça, pour que ça signifie quelque chose d'autre que des pièces de musée, il faut qu'il y ait des infrastructures économiques, des infrastructures économiques solides dans lesquelles le peuple concerné doit détenir suffisamment de leviers de décision pour avoir l'impression que ça travaille pour lui convenablement. C'est ce que nous faisons, d'ailleurs. Cette insertion de plus en plus insistante de la préoccupation économique, de la préoccupation de responsabilité économique et non pas de quémandage international qui tenait lieu de politique pendant tant d'années au Québec dans le genre: Venez donc, parachutez-vous chez nous pour faire le développement à notre place. Que les autres viennent compléter notre développement quand ils nous respectent, il n'y a personne qui peut avoir d'objection à ça. Mais l'insis-

tance primordiale qu'on doit mettre, c'est de donner à notre société la capacité de se les faire, ses infrastructures, de se donner ses leviers de décision et de faire son développement au maximum, comme toute société qui se respecte.

Depuis 1976, que ce soient les budgets du gouvernement qui reflètent ce souci année après année, que ce soient des programmes et politiques, comme, par exemple, celle du développement un peu plus québécois de l'amiante, que nos amis d'en face ont si bien combattue avec toutes sortes d'arguments où il n'y avait plus d'avenir pour l'amiante, ou alors où le prix qu'on offrait était tellement injuste pour cette pauvre General Dynamics, etc.. Autrement dit, simplement reprendre en partie le contrôle, avec les possibilités de recherche et de développement d'emplois, d'une ressource fondamentale du Québec, c'était quelque chose d'impensable. Toujours cette incapacité fondamentale qu'on essaie de nous rentrer dans l'esprit, alors que la réalité a démenti ça depuis si longtemps.

La même chose dans le domaine du zonage agricole qui est une des seules garanties d'avenir respectable, en même temps que d'avenir fructueux pour n'importe quelle société dans le monde d'aujourd'hui. Finalement, je prendrais le cas de OSE, l'Opération de solidarité économique — on a peut-être été naïf; chacun a ses scrupules — où, justement, à cause du respect qu'on devait à l'égalité des chances, si ça avait pu être respecté par d'autres, nous, on a candidement diminué, par rapport à l'an dernier, la publicité qu'on faisait sur l'Opération de solidarité économique du gouvernement québécois, ce qui est un scrupule démocratique que d'autres n'ont pas, disons, également manifesté.

Mais tout ça, cette insistance sur l'économie qu'on a mise depuis trois ou quatre ans sur une économie intégrée à sa société, ça a quand même permis cet extraordinaire épanouissement de la performance économique du Québec pendant les deux années complètes qu'ont été 1978 et 1979 où ça a précédé, je pense, à tout point de vue comparatif, la performance d'ensemble du Canada et celle même de l'Ontario, à côté de nous. Mais il est évident que ça n'a pas suffi et que ça ne suffit pas encore, loin de là, à corriger l'inégalité flagrante au point de vue économique dont le régime nous a affligés, une inégalité qui se reflète dans un taux de chômage qu'on a beau essayer de réduire mais qui demeure toujours têtu et au-dessus des moyennes qui seraient acceptables; l'autre aspect, l'autre côté de la médaille, c'est que ça n'a pas corrigé non plus tous les efforts qu'on a pu faire avec les moyens du bord d'une province, la difficulté constante de maintenir un rythme suffisant de développement et de création d'emplois. On reste toujours plus ou moins devant cette espèce de frontière qui n'est tout de même pas dans le testament d'Adam et Eve et qui dit que le développement, systématiquement, est orienté à l'ouest de l'Outaouais la plupart du temps et que, systématiquement, le sous-développement relatif et évidemment le championnat de l'assurance- chômage, etc., sont orientés du côté de l'est de l'Outaouais.

Sur ce plan — pas besoin de revenir dans le détail — il nous semble évident, ça fait partie des corrections qu'il va falloir exiger, que les politiques et les programmes fédéraux ont négligé le développement du Québec. Je veux bien qu'on maintienne, comme le demandait ce matin, avec une grande candeur, vigoureuse, d'ailleurs, le chef de l'Opposition, qu'on maintienne — c'était, d'ailleurs, dans nos perspectives, de toute façon — une union économique, véritable et efficace avec le reste du Canada. Le seul adjectif qui manquait dans le vocabulaire du chef de l'Opposition à ce point de vue, lui qui ne manque pourtant pas d'adjectifs ni d'adverbes, en général, c'était non seulement une association économique véritable et efficace, mais équitable aussi. Celle-là, on ne l'a pas eue encore. Or, il s'ajoute à ça, en ce moment, que la conjoncture économique — c'est une conjoncture qui va tellement loin que ça peut toucher des fondements — que nous traversons est dramatiquement inquiétante, justement, au niveau fédéral avec tout ce que ça peut impliquer, et pour les autres niveaux de gouvernement, et pour les consommateurs et citoyens qui sont affectés. Que ce soit la fiscalité, les prix pétroliers, le fouillis invraisemblable dans lequel on patauge en ce moment, il y a quelque chose qui est plus inquiétant que jamais auparavant de mémoire d'homme contemporain, on a une situation catastrophique d'un Etat fédéral dont nous payons tous le prix. Si ce n'était pas un Etat, il serait en faillite depuis quelques années.

Maintenant, le ministre des Finances, je crois, pourra évoquer, de façon très factuelle avec les comparaisons qui s'imposent, cette situation dans sa réplique où, je suppose, on reviendra un peu aux questions budgétaires et à la situation financière et économique, parce que c'est un peu quand même un thème qui s'impose, à un moment donné, dans un débat sur le discours du budget.

Mais je me contenterai de dire ceci. L'expérience qu'on vit et qu'on a vécue depuis quelques années rejoint directement tout ce contexte de négociations de tel genre de régime fédéral, de telles possibilités de développement à l'intérieur de cela pour le Québec. Une chose est certaine, c'est que ce sont les provinces, et cela est prouvé dans je ne sais pas combien de secteurs, qui sont non seulement le gouvernement le plus proche des citoyens, non seulement le gouvernement la plupart du temps qui connaît le mieux les besoins et les solutions dans le domaine économique en particulier, dans le domaine du développement, mais cela implique que ces gouvernements aient également les ressources et les leviers nécessaires pour exercer cette compétence qui est là, de façon de plus en plus évidente partout. Cela touche directement un des points qu'a évoqués ce matin le chef de l'Opposition, c'est-à-dire le contrôle des richesses naturelles. C'est une question fondamentale en effet dans toute négociation de révision d'un régime, pour en arriver à quelque chose de plus acceptable.

Je dois dire très simplement, au nom du gouvernement, que quel que soit le climat des négociations, nous verrons à ce que notre droit de propriété et les pouvoirs qui en découlent, en ce qui concerne les richesses naturelles et tout particulièrement l'électricité — ne camouflons pas la réalité — qui pourrait susciter pas mal d'appétit à l'extérieur, que ces pouvoirs et ce droit de propriété seront non seulement protégés, mais également confirmés et au-delà de tout doute possible.

Je pourrais entrer dans le détail un peu de ce qu'a dit, ce qu'a évoqué ce matin le chef de l'Opposition qui, évidemment, nous parlait de générosité, de partage et tout ce qu'on voudra. Je lui rappellerai tout simplement que jusqu'ici, à travers les fouillis successifs dans lesquels se sont déroulées les négociations en ce qui concerne les prix pétroliers avec l'Alberta, ce qui s'est fait jusqu'à présent, cela s'est fait laborieusement, mais à partir d'ententes, et non pas à partir de changements unilatéraux et qu'à part cela, en ce moment, s'il y a justement cette espèce d'affrontement qui s'est développé, c'est que justement il n'y a pas d'entente et qu'on est littéralement devant, si on veut, ce qu'on appelle en anglais un peu la pression irrésistible et l'objet inamovible, et que lui-même, dans son livre beige, le chef de l'Opposition — je ne sais pas s'il a oublié cela — parlait évidemment de situation d'urgence — il s'agit de définir ce que c'est, l'urgence — dans le domaine des richesses naturelles, mais de situation d'urgence, et non pas de situation d'enfant gâté, de situation d'urgence véritable et aussi de l'approbation éventuelle de cette fabrication qu'il avait intitulée le conseil fédéral, sauf erreur. Or, comme il n'existe pas, il faudrait peut-être trouver un substitut dans la période assez dramatique que nous traversons.

Mais je répète ce que je disais sur l'essentiel, c'est que le droit de propriété, la juridiction et tous les pouvoirs qui en découlent, cela appartient aux provinces, et qu'en ce qui concerne le Québec, et en particulier le réservoir électrique du Québec, il n'est pas question de commencer à barguigner là-dessus.

Maintenant, dans le domaine économique, il y a toutes sortes de choses que je pourrais ajouter, mais je vais me contenter d'une avant de terminer. C'est que dans le domaine international où la présence du Québec s'affirme de plus en plus, péniblement Dieu sait à l'occasion, depuis une quinzaine d'années, depuis 16 ans à peu près, au début des années soixante, cela va plus loin — je m'excuse que le chef de l'Opposition ait cédé à cette facilité — que des chicanes de drapeau et de chicanes de tapis. Cela va jusqu'à la nécessité de plus en plus évidente, dans une économie qui devient de plus en plus dynamique et productive, d'une meilleure marge de manoeuvre et de meilleurs moyens aussi, en ce qui concerne l'exportation de nos produits, la pénétration des marchés, c'est-à-dire une connaissance internationale concrète, en ce qui concerne nos échanges et en ce qui concerne aussi les autres relations normales sur tous les plans où existent, soit la juridiction ou des affinités culturelles du Québec avec d'autres peuples ou d'autres sociétés. Cela va plus loin que des chicanes de drapeau et de tapis.

Par exemple, tout récemment, on a été obligé d'étaler dans les journaux le fait que d'une façon subreptice, mais qui a paru tellement vite, c'était cousu de fil blanc, on s'est arrangé pour que le président du Mexique, M. Portillo, passe directement d'Ottawa à Toronto sans faire halte au Québec, son agenda — qui avait été préparé par qui? — ne le lui permettant pas. Et cela au moment même où le Québec, à part le fédéral, est le seul endroit — et on sait que la question pétrolière et le Mexique, ça ne fait pas deux depuis quelques années, ça ne fait qu'un, ça va ensemble — sauf erreur, au Canada où il y a, depuis un bon nombre d'années, avec l'expérience requise, une institution publique dans le domaine pétrolier qui s'appelle SOQUIP et en plein au moment où on s'apprête à ouvrir — et sauf erreur, il n'y en a pas d'autre — au Mexique, pour des raisons qui sont culturelles, économiques, qui sont historiques jusqu'à un certain point, une délégation qui serait la première dans les pays latins de l'Amérique du Nord, la deuxième dans toute l'Amérique latine, sur les deux continents, une délégation générale du Québec.

J'ai trouvé cela curieux comme façon de procéder et on n'en a pas fait une chicane de drapeau ou de tapis, mais cela montre quand même une certaine mentalité par rapport à ce que pourrait être la présence normale du Québec avec ses interlocuteurs normaux ailleurs dans le monde.

Tout cela, en résumé, donne ceci: si on veut regarder l'ensemble des moyens de développement, il nous semble que nos taxes et nos ressources comme Québécois doivent servir d'abord équitablement à notre propre développement et pas au développement des autres. Encore une fois, dans l'ensemble, c'est vrai pour les autres provinces, pour la plupart en tout cas. Ce n'est pas vrai nécessairement pour l'Ile-du-Prince-Edouard ou d'autres qui doivent se considérer comme des mineures perpétuelles, jusqu'à un certain point, dans le régime actuel, mais certainement pour la plupart des provinces et singulièrement pour le Québec, c'est vrai qu'il lui faut ses leviers, ses ressources, ses instruments de développement.

Le chef de l'Opposition évoquait le consensus de Régina il y a deux ou trois ans; ce consensus de Régina rejoignait l'ensemble des provinces, y compris le Québec, comme une espèce de minimum sur lequel on s'entendait; il restera à voir si on s'entend toujours. Je dois ajouter à ce consensus général des provinces, au niveau du provincialisme, je dois ajouter ceci: Ce qui est vrai pour les autres est encore infiniment plus vrai et plus impératif pour nous, du Québec, à cause de ce caractère de foyer national, de patrie d'un peuple qui n'a pas d'autre patrie et qui n'en trouvera pas d'autre ailleurs dans le monde, à cause de cela et par-dessus le marché à cause du fait que ce peuple a atteint sa maturité autant que n'importe quel autre et qu'il a par conséquent un besoin

urgent d'horizon, de carrière, de développement pour des ressources humaines qui sont également compétentes avec celles d'ailleurs, c'est plus particulièrement vital pour le Québec. C'est cela, dans ce domaine comme dans les autres, la dimension particulière du Québec. Tout cela et tout le reste prendront éventuellement la forme active et ce ton d'affirmation concrète dont parlait le chef de l'Opposition; seulement, je ne voudrais pas qu'il anticipe. C'est ce que doit éventuellement prendre comme ton, et peut-être très bientôt, le gouvernement du Québec dans ces négociations qui s'amorcent, mais il faut tout de même revenir, pour l'instant, à cette situation de départ où nous nous trouvons.

Nous nous trouvons dans une situation de départ qui a été essentiellement balisée, mais comme un chèque en blanc, par les promesses solennelles d'un premier ministre fédéral, des promesses qui ont pesé très lourd, d'une façon probablement déterminante dans la campagne référendaire. C'est seulement à partir de lundi prochain, le 9 juin, au chalet du lac Harrington, qu'on verra ce qui peut commencer à venir sur la table, si on a quelque chose à écrire en noir sur blanc sur ce chèque en blanc que M. Trudeau a obtenu. S'il fallait qu'Ottawa se contente de reprendre avec ou sans emballage nouveau le même contenu qu'au cours des douze dernières années, je crois qu'avec raison les Québécois auraient l'impression d'avoir été bernés et trompés.

Le chef de l'Opposition rappelait... Le premier ministre fédéral avait d'abord réduit, à la Chambre des communes, à deux préalables ses exigences fondamentales: que le Canada demeure une fédération, avec une dernière chance, le sursis que les électeurs lui ont accordé, et il y a la Charte des droits incluant, éventuellement, au-delà des droits fondamentaux des personnes, peut-être des droits linguistiques dans le secteur collectif, mais cela reste à voir. (16 h 10)

C'est curieux comme se sont ajoutées d'autres choses depuis, en quelques jours, pendant seulement quelques jours, des définitions d'attitudes additionnelles, les unes sectorielles, les autres globales. C'est venu du premier ministre fédéral lui-même; c'est venu aussi de certains ministres fédéraux. Et, soit dit en passant, ce n'étaient pas des attitudes nécessairement rassurantes, par exemple, sur les loteries. Dieu sait que ce ne sont pas les colonnes du temple, mais, quand même, il y avait un accord qui avait été conclu entre les gouvernements. Ce serait remis en question. Sur les droits miniers sous-marins, sur la recherche avec le ministre fédéral responsable et — je les passe sous silence pour l'instant, ce serait trop long de les élaborer — les propos du ministre Johnston.

Mais au-delà des deux préalables d'abord établis à la Chambre des communes, on dirait qu'il y a d'autres préalables qui s'ajoutent et cela donne l'impression qu'il commence à y avoir pas mal de choses qui ne seraient plus négociables. Puis, aujourd'hui même, certaines émanations — ce sont encore des bruits de couloir pour l'instant — du caucus ministériel à Ottawa se sont ajoutées à tout cela. Je n'ai pas besoin de dire qu'aux deux préalables, plus aux possibles préalables qui circulent actuellement, il s'en ajoute tout le temps; ce serait, semble-t-il — mais, enfin, cela reste à voir — le rapatriement et, au besoin, le rapatriement unilatéral de la constitution, conformément à un certain vote presque accidentel qui avait été pris unanimement à la Chambre des communes il y a quelques semaines.

Cela serait — et c'est un curieux choix de mots, je lis cela dans la dépêche qui nous rapporte ces rumeurs ce matin — la première manoeuvre dans la stratégie adoptée par le gouvernement fédéral. Cela donne déjà... En tout cas, j'espère que cela n'indique pas, dès l'abord, qu'il s'agirait non seulement — manoeuvre, stratégie — dans cette grande occasion historique, de faire plier les provinces, à commencer par le Québec, mais littéralement de les asservir comme jamais auparavant. Tout cela, en essayant d'aller le plus vite possible avec — pour reprendre l'expression que M. Trudeau a employée — l'effet du momentum. Ecoutez, ce serait tout un nouveau préalable; ce serait de mettre au début du processus ce que tout le monde a toujours considéré — sauf erreur, y compris nos amis d'en face — comme le point d'arrivée d'un processus de renouvellement.

Le Président: M. le premier ministre, je m'excuse, mais on me fait remarquer que votre temps est écoulé.

M. Lévesque (Taillon): Est-ce que la Chambre consentirait — je pose la question — à deux minutes de plus, à peu près? Je n'empiéterai pas davantage, parce que je pense que ce que j'ajouterais serait inutile, sauf peut-être ceci.

A travers toutes ces émanations de caucus et ces rumeurs de ces derniers jours, je crois que se trouve confirmée, en tout cas, la justesse non pas d'une attitude attentiste permanente, mais, au moins, qu'il faut attendre jusqu'au 9 juin pour voir quels vont être exactement, au-delà de ces rumeurs et de certaines attitudes, l'esprit et l'approche de nos interlocuteurs fédéraux. Une chose certaine, en quelques jours seulement, il y a eu déjà assez de bruit et de confusion pour confirmer, à tout le moins — je termine là-dessus — la nécessité de l'attitude fondamentale que nous avons évoquée et que nous allons essayer de maintenir, à savoir que tout ce qui va effectivement se dérouler se déroule, autant qu'il est humainement possible, au vu et au su des citoyens québécois, que, le long du chemin, par tous les moyens légitimes — je n'ai pas la naïveté, pas plus que nos amis d'en face, d'imaginer que tout va pouvoir être devant les caméras constamment ou devant les media d'information, on le sait — le gouvernement du Québec, en tout cas, pour sa part, tâchera de tenir les citoyens bien au courant de ce qui se passe, de façon que, quels que soient les résultats, ils ne puissent pas se faire passer éventuellement le sapin — ce serait un énorme

sapin, encore une fois — d'un régime politique qui pourrait les desservir et sur lequel ils n'auraient pas eu l'occasion éclairée de se prononcer démocratiquement.

Le Président: M. le député de Saint-Laurent, vous avez la parole.

M. Claude Forget

M. Forget: M. le Président, si j'avais à résumer en un mot l'impression qui se dégage pour moi des paroles du premier ministre, ce n'est pas le mot colère que j'utiliserais parce que nous ne sommes pas, dans les semaines que nous traversons dans ce genre d'esprit; c'est plutôt quelque chose qui ressemblerait davantage à de la pitié. Nous avons devant nous le chef d'un gouvernement qui, manifestement, n'a pas encore mesuré le sens de ce qui est arrivé à lui-même, à son parti et à son gouvernement, il y a moins de trois semaines; un premier ministre qui, aujourd'hui, nous a donné le spectacle d'un chef de parti qui continue, en dépit du résultat du référendum, sa campagne référendaire, avec les mêmes attitudes, le même langage, le même comportement qu'il nous promet pour bientôt qui a été le sien depuis des années et particulièrement depuis quelques semaines au moment où il s'agissait encore de déterminer qui gagnerait du oui ou du non.

Oh, bien sûr, Mme. la Présidente, nous nous y attendions et nous ne cherchions pas querelle à ceux qui, le soir même de la défaite ou dans les jours qui ont suivi, trouvaient des moyens de ressusciter ou de tenir en vie chez eux l'espoir d'un lendemain meilleur. Une défaite de cette envergure, particulièrement, doit donner l'occasion à ceux qui ont perdu de s'encourager les uns les autres et c'est tout à fait normal de se flatter de la possibilité que, dans une démocratie, effectivement, l'espoir n'est jamais perdu de façon définitive. Dans les jours qui ont suivi, nous avons assisté avec un certain amusement à des interprétations plus farfelues les unes que les autres du résultat référendaire où on s'accrochait aux moindres bribes pour transformer une défaite en une apparence de victoire, selon le procédé qui est connu par le Parti québécois qui, pendant des années, s'est flatté de chacun de ses échecs en prétendant qu'il s'agissait, pourtant, de succès éclatants.

Une fois que ce traumatisme, que ce choc initial a été surmonté, même si nous pouvons admettre qu'en démocratie ceux qui ont perdu ont droit à l'espoir, le chef actuel du gouvernement devrait également admettre que ceux qui ont gagné le référendum ont droit, eux, au respect de la position qui a été victorieuse. Au lieu de cela, on maintient un langage préréférendaire, on s'exprime avec scepticisme sur les possibilités de renouveler le fédéralisme, on joue à un jeu de qui perd gagne en nous disant maintenant que, si le non a gagné, ce n'est pas du tout pour le fédéralisme qui devient ravalé au rang d'un moyen; que tout ce qui compte, c'est la volonté de changement tel que l'interprétera le gouvernement. Ceci revient donc à dire que, de toute façon, si le oui avait gagné, c'était le changement interprété par le Parti québécois et que, maintenant que le non a gagné, c'est encore l'esprit de changement et la volonté de changement interprétée par les mêmes individus.

Mme la Présidente, le premier ministre ne semble pas se rendre compte — et c'est en cela qu'il nous fait pitié — qu'il se place lui-même et son gouvernement dans une situation de conflit d'intérêts qui est évidente pour tout le monde. Si jamais il réussissait dans ses efforts de renouveler le fédéralisme, il ferait en même temps la démonstration qu'il a eu tort de créer le Parti québécois et c'est pour cette raison que personne ne peut croire qu'il va sincèrement essayer de renouveler le fédéralisme. D'ailleurs, il nous annonce d'avance qu'il le fait avec scepticisme, qu'il le fait avec l'esprit de ne rien céder sur rien, comme si une négociation de bonne foi pouvait s'entreprendre avec cet esprit. (16 h 20)

Mme la Présidente, il est clair qu'on veut nous engager dans une stratégie de duplicité. On ne se rend pas compte, de l'autre côté, qu'on est dans un conflit d'intérêts qui met en jeu l'existence même du Parti québécois et on demande à la population, qui a voté majoritairement contre l'option que ce parti représente, d'accorder sa confiance, de faire le crédit de la bonne foi à un gouvernement qui parle de toutes sortes de façons contradictoires, tantôt, au début du discours du premier ministre, de l'impossibilité de changer de fédéralisme et, à la fin de son discours, de la tentative de le faire de façon honnête de manière à mériter la confiance de ses compatriotes. Les deux ne peuvent pas être vrais en même temps, Mme la Présidente, et le premier ministre ne s'en rend pas compte. C'est pour cela que j'ai dit tout à l'heure que ce gouvernement à la dérive, ce gouvernement qui a subi une défaite dont il ne revient pas, mérite la pitié beaucoup plus que la colère ou quelque autre sentiment que ce soit.

Une Voix: Bravo!

M. Forget: Mme la Présidente, ce n'est pas gratuit, ces accusations. Il est évident que le gouvernement du Québec, dans ses négociations, aura les moyens de saboter la négociation. Il en a déjà donné l'avant-goût parce que le premier ministre lui-même nous l'a révélé aujourd'hui. Le chef de l'Opposition, dans ses remarques de ce matin, a fait allusion au procédé même que l'on entend suivre, à l'insistance pour que tout se déroule au grand jour et fasse l'objet d'un spectacle continuel, d'un procès continuel, en quelque sorte, du fédéralisme dont on vient d'assister au premier acte.

Mais ce n'est pas seulement comme cela que le gouvernement pourra prendre le moyen de saboter les négociations constitutionnelles. Il est clair que si le gouvernement du Québec, comme il semble en être décidé, pour l'instant du moins, se

borne aux propositions qui seront faites par le gouvernement fédéral dans la mesure où ces propositions se limitent aux certains éléments mentionnés par le premier ministre fédéral lui-même, et même si ces propositions en soi étaient acceptables, cela débouchera sur un résultat qui, lui, globalement, ne peut pas être acceptable ni accepté par le Québec. En limitant la discussion aux propositions fédérales, en s'abstenant de préciser ses intentions dès maintenant sur les aspects les plus importants de la réforme constitutionnelle, en jouant le jeu de l'attentisme, le gouvernement nous permet d'annoncer d'avance qu'il a l'intention, dans quelques semaines ou dans quelques mois, de nous dire: Le menu est insuffisant, le tableau est incomplet et parce que le tableau est incomplet, la réforme est inacceptable. Mais c'est lui-même qui l'aura voulu et il prépare déjà les arguments qu'il nous servira dans quelques mois.

L'attitude qu'il veut adopter de critiquer sans suggérer de solutions de rechange a été abondamment démontrée par le premier ministre. Le chef de l'Opposition a présenté, ce matin, sous une forme interrogative, un exposé des problèmes qui doivent être résolus par quelque gouvernement que ce soit avant de s'engager dans un processus comme celui-là. Nous n'avons obtenu que des bribes d'indication. Aucune promesse formelle de formuler, dans un délai raisonnable, un programme d'ensemble qui pourrait être déposé sur cette table de négociations. Nous n'avons même pas obtenu, à moins que nous soyons tous sourds, de réponse à la question de savoir si les deux préalables qui ont été posés par le premier ministre fédéral à la négociation rencontrent ou non l'acceptation du gouvernement du Québec. Or, parmi ces deux préalables, il y a l'acceptation de principe que l'on doit travailler à l'intérieur d'un régime fédéral. C'est cela qui a fait l'objet d'une approbation, à 60% contre 40%, de la population il y a seulement deux semaines. C'est donc non seulement une demande qui correspond aux priorités de l'Etat fédéral, du gouvernement fédéral, mais une demande qui découle de la situation politique interne du Québec à la suite du référendum. C'est là une obligation à laquelle le gouvernement ne peut pas se dérober. Ce n'est pas suffisant de nous dire, comme le premier ministre vient de le faire, que les régimes politiques ne sont pas un absolu, que tout ce qui est un absolu, c'est le bonheur, la prospérité et la liberté des individus et des sociétés. Ce n'est pas là-dessus qu'a porté le référendum. Le référendum a porté sur le choix d'une formule politique. Le choix a été fait. Le gouvernement doit désormais nous donner la preuve qu'il entend le respecter et non pas le contester.

Un dernier point, Mme la Présidente, cette prétendue force de négociations dont se targue le premier ministre. Il nous dit: Fiez-vous à nous; nous avons au moins cette résolution, cette détermination inébranlable de défendre les intérêts du Québec; nous représentons, en quelque sorte, son dernier recours, sa dernière chance. Cet argument nous permet de mesurer encore une fois que le

Parti québécois et son chef n'ont pas encore pris la mesure de la profondeur de leur défaite. Leur poudre est mouillée. Cette menace ultime qu'ils brandissaient dans les négociations constitutionnelles d'aller jusqu'à la sécession a été démentie, elle a été démentie par la population; cette menace ne tient plus, ils ne peuvent plus la faire. Ils ne peuvent plus brandir ce spectre de la sécession, de la souveraineté-association ou de l'indépendance, le peuple du Québec vient de dire non. Et ce n'est pas un non qui constitue un sursis pour le régime fédéral, contrairement à l'interprétation frauduleuse que le premier ministre essaie d'insérer dans les discussions; il s'agit là d'une fraude. La question référendaire, messieurs d'en face, vous vous en souvenez très bien, ne constituait pas un choix entre, d'une part, la souveraineté-association et, d'autre part, le fédéralisme en attendant mieux; elle demandait une réponse par un oui ou par un non à votre option, qui a été rejetée. Vous ne pouvez plus la brandir comme une menace; vous aviez un fusil à un coup, vous avez tiré, vous avez manqué la cible, vous n'avez plus rien dans le baril.

Mme la Présidente, sur tous les plans, ce gouvernement est absolument à la dérive; il est à la dérive sur sa propre interprétation du scrutin référendaire, il est à la dérive sur les réponses à fournir aux questions pertinentes qui ont été posées par le chef de l'Opposition officielle et il est à la dérive également sur sa stratégie. Il essaiera, d'ici la fin de l'été, de s'improviser des recettes pour priver la population des fruits de la victoire référendaire qu'elle a acquis le 20 mai 1980. On essaiera, encore une fois, par de subtiles stratégies, de faire le tour de la volonté populaire majoritaire, et c'est à cela, Mme la Présidente, qu'il faut dire non de façon absolument déterminée. Il faudra renouveler, semble-t-il, le non qui a été dit le 20 mai et, cette fois-ci, non pas à l'option fondamentale de ce parti, mais non à cette façon de nier, dans les faits, par son discours, par son comportement, par ses attitudes, un résultat qu'il avait pourtant promis de respecter et que tout indique qu'il ne voudra pas respecter.

Mme la Présidente, je suis sidéré — pour employer ce mot soigneusement choisi par le premier ministre — devant une attitude si peu respectueuse du processus démocratique mis en branle par ce gouvernement lui-même, par ce premier ministre lui-même. Il y a là un message que la population lui a servi et qu'il ne veut pas écouter. Il nous annonce d'avance qu'il lui sera infidèle.

Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit, tout le monde qui écoutera ce débat ou qui en entendra parler sera en mesure de tirer ses propres conclusions. Les conclusions que nous en tirons, Mme la Présidente, c'est, bien sûr, que ce gouvernement n'a plus rien à faire au pouvoir. Mais, s'il veut s'y accrocher, quant à moi, je ne lui ferai pas querelle, parce qu'il est évident que, par des discours comme ceux qu'il a tenus aujourd'hui et par les comportements qu'il nous annonce, chaque jour qu'il demeure au pouvoir,

avec de telles attitudes, il fait insulte à nos concitoyens et il creuse lui-même sa propre tombe. Merci.

La Vice-Présidente: M. le député de Vanier. M. Jean-François Bertrand

M. Bertrand: Mme la Présidente, tout le monde cherche à donner ses interprétations du résultat du référendum. Je pense que le premier ministre du Québec, au nom du gouvernement, au nom du Parti québécois, au nom des parlementaires ministériels à l'Assemblée nationale, a bien exprimé la façon dont il nous fallait voir les résultats, le sens et la portée du référendum du 20 mai dernier. (16 h 30)

II est évident que nous ne l'avons pas gagné! Mais il est aussi très clair, Mme la Présidente, que nous n'avons pas tout perdu avec ce référendum. Plutôt que d'essayer de chercher, comme le fait le chef de l'Opposition libérale, à mettre, après le 20 mai, les Québécois les uns contre les autres et de tenter de maintenir une politique d'affrontement entre ceux qui ont dit non et ceux qui ont dit oui, il m'apparaîtrait nettement plus souhaitable, au nom justement de cette solidarité des Québécois dont il parlait ce matin, mais qu'il oublie vite quand il aborde son discours pour l'avenir, de voir quels sont les points de convergence sur lesquels nous pouvons nous rassembler maintenant, quels sont ces points qui peuvent toujours, malgré tout, faire l'unanimité, à partir de ce que nous avons vécu au cours des dernières années, pour alimenter les négociations qui vont être entreprises bientôt, soit à partir du 9 juin prochain.

Or, Mme la Présidente, s'il y a une chose sur laquelle les gens de l'Opposition voudraient nous ramener, c'est qu'il n'y aurait que 60% de la population du Québec qui auraient pris une décision à l'occasion de ce référendum. Ce que le chef de l'Opposition nous dit, c'est que ces 1 500 000 Québécois et Québécoises qui ont dit oui à la négociation de la souveraineté-association, ces Québécois et ces Québécoises n'existent plus depuis le 20 mai dernier. C'est qu'il y aurait 40% de notre population québécoise qui seraient effacés de la carte du Québec, qui n'auraient plus le droit de parole, le droit de penser, d'agir, de revendiquer, au nom des droits et des intérêts du Québec, et qu'il nous faudrait, nous, comme gouvernement, parce que nous avons perdu ce référendum, dire à ces 40%, à ces 1 500 000 Québécois et Québécoises: Vous n'avez plus voix au chapitre. Vous n'existez plus. Vous n'êtes plus des Québécois et des Québécoises et cette foi que vous aviez dans le Québec, cette conviction que vous aviez que la souveraineté-association était ce modèle politique qui pouvait nous permettre d'atteindre à l'égalité des peuples, à compter d'aujourd'hui, vous n'avez plus le droit d'y croire, vous n'avez plus le droit de vous battre en fonction de cet objectif et vous n'avez plus le droit de participer au débat démocratique qui maintenant va se faire dans le cadre des négociations fédérales-provinciales.

Or, s'il est un message que nous, nous retenons de ce référendum, c'est que, bien sûr, il y a 60% des Québécois et des Québécoises qui ont dit non à la souveraineté-association. Mais il y a aussi 40% d'hommes et de femmes, légitimement, démocratiquement et avec conviction, qui ont dit leur foi dans le Québec, dans un Québec maître de son destin, capable de s'épanouir, capable d'assurer son avenir en contrôlant lui-même ses leviers politiques et ses leviers économiques. Ce n'est pas l'intention de ce gouvernement d'oublier la voix de ces 40% de Québécois et de Québécoises. Dans l'esprit qui va présider aux négociations que nous allons maintenant tenir avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, nous n'allons pas oublier, Mme la Présidente, ces 1 500 000 Québécois et Québécoises. Nous avons, bien sûr, démocratiquement accepté qu'à compter de maintenant, s'il doit y avoir négociation, ce sera à l'intérieur d'un régime politique auquel, semble-t-il, 60% des Québécois et des Québécoises ont dit oui.

Mais il y a quand même des points de convergence et des points de rassemblement entre ces 60% de Québécoises et de Québécois qui ont dit non et ces 40% de Québécoises et de Québécois qui ont dit oui. Je crois que le rôle du gouvernement, c'est de tenter, au cours des prochains jours, des prochaines semaines et des prochains mois, de voir comment on peut concilier, à l'intérieur du régime politique actuel, les aspirations qui ont été exprimées par 1 500 000 Québécois et ces autres aspirations qui ont été exprimées par 60% de notre population. Quant à moi, je crois retrouver au moins, Mme la Présidente, deux points de convergence, deux points de rassemblement, deux points d'union entre ces Québécois et ces Québécoises qui ont dit oui et qui ont dit non.

Le premier point, c'est celui de la volonté de changement. S'il est un point sur lequel, semble-t-il, à partir des discours tenus à la fois par les tenants du non et ceux du oui, il semble bien y avoir accord, c'est que nous voulons changer le cadre constitutionnel canadien. Nous voulons changer le mode de coexistence entre nos deux peuples. Nous voulons modifier les relations qui ont prévalu au cours des dernières années, pour faire en sorte que dans l'avenir nous puissions modeler un régime politique qui soit mieux ajusté à l'évolution de nos sociétés, qui corresponde davantage aux besoins et aux aspirations des Québécois.

Là-dessus, Mme la Présidente, il ne semble y avoir aucun doute: nous voulons le changement. Deuxièmement, et c'est là un point sur lequel il nous faudrait, au cours des prochains jours, dégager une forme de consensus, dégager une forme d'unité d'actions, une cohésion au niveau de la pensée et des principes, et c'est sur la volonté d'égalité entre les deux peuples du Canada. Parce que s'il est un élément qui est ressorti du débat référendaire, c'est que nous pourrions, si nous le

voulions, au-delà des lignes partisanes, parce qu'encore une fois cette solidarité des Québécois doit pouvoir présider à l'esprit des négociations, en tout cas en ce qui concerne le rôle du gouvernement du Québec, il faudrait justement retrouver ce point sur lequel nous avons fait l'union au moment du débat référendaire, et c'est celui de l'égalité des peuples.

Je voudrais là-dessus vous citer certains extraits du discours du chef de l'Opposition officielle, chef ou non, et aussi de son partenaire de l'Union Nationale qui, dans le cadre du débat référendaire, nous ont dit leur volonté de parvenir à l'égalité des peuples. Parce que sur le principe, sur l'objectif, sur la finalité de la réforme constitutionnelle, nous semblons être d'accord. Nous semblons reconnaître le principe de deux nations, de l'existence de deux peuples, de deux sociétés différentes, distinctes et capables d'harmoniser leurs rapports. Là-dessus, nous avons eu des mots éloquents au cours du débat référendaire. Je voudrais citer des passages du chef de l'Opposition et du chef de l'Union Nationale qui nous permettent de nous rejoindre au moment d'aborder les négociations avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

Le chef de l'Opposition disait, le 4 mars 1980, dans son intervention au moment du débat référendaire: D'abord, le principe de l'égalité des peuples, une question sur laquelle on pourrait m'inviter à me prononcer, je n'ai pas d'objection, je répondrais oui à cela tout de suite, oui et cela fait longtemps à part de cela que je pratique cela. Je ne connais pas d'autres pratiques dans mon comportement. Un fédéraliste pourrait être tenté, et même il n'aurait aucune difficulté de répondre oui au principe de l'égalité des deux peuples qui ont fondé ce pays et qui lui ont donné sa personnalité propre. Il est donc maintenant évident, pour peu qu'il soit cohérent avec lui-même, que le chef de l'Opposition a dit, durant le débat référendaire, oui au principe de l'égalité des peuples, non pas oui au principe de l'égalité des individus, ce avec quoi nous sommes tous d'accord, mais en plus de l'égalité des individus à laquelle nous voulons atteindre, oui au principe de l'égalité des peuples, oui au principe de l'égalité des collectivités nationales, celles du Canada anglais et du Canada français.

Donc, je crois que le chef de l'Opposition devrait accepter de s'unir au gouvernement, au moins sur la base de ce principe fondamental qui est celui d'une lutte constitutionnelle abordée à partir du principe de l'égalité des peuples.

Le chef de l'Union Nationale aussi a tenu des propos dans le même sens. Il disait: Nous demeurons convaincus que la souveraineté-association n'est pas la seule voie qui s'offre aux Québécois, pour vivre d'égal à égal avec nos compatriotes canadiens. Il parlait plus loin de ce combat de l'égalité qu'avait mené Daniel Johnson. Il disait: Ce combat visait à renouveler en profondeur notre système fédéral de manière qu'il reconnaisse spécifiquement l'égalité de nos deux peuples fondateurs. Il ajoutait: En toute responsabilité, nous croyons qu'avant de sonner le glas du fédéralisme, comme le fait si cavalièrement le Parti québécois, il faut livrer ce combat de l'égalité, non pour vivre à l'extérieur, mais bien pour rester à l'intérieur du Canada. 60% des Québécois semblent avoir dit, le 20 mai dernier, qu'ils voulaient demeurer à l'intérieur du Canada, travailler à l'amélioration d'un régime politique connu sous le nom de fédéralisme canadien.

Mais aucun des deux partis de l'Opposition, par la voix de leur chef, ne s'est opposé au principe de l'égalité des peuples. C'est sur la base de ce principe de l'égalité des peuples qu'il faut maintenant savoir s'unir pour aborder la négociation au moins en faisant le consensus sur la base d'un principe vital pour l'avenir de la collectivité québécoise. (16 h 40)

A partir de ce moment, il nous faut aller mener de bonne foi, avec bonne volonté, cette négociation, à l'intérieur du cadre constitutionnel actuel, mais au moins en s'entendant, premièrement, sur notre volonté de changement et, deuxièmement sur notre volonté d'arriver à l'égalité des deux peuples à l'intérieur du fédéralisme canadien. A ce moment-là, le chef de l'Opposition s'offusque que le premier ministre du Canada précipite la négociation, soit pressé de convier ses partenaires provinciaux à la table des négociations. Oh! Que le chef de l'Opposition voudrait donc qu'on aille immédiatement en élections générales pour qu'il puisse tenter de faire le procès du gouvernement en disant: Ce gouvernement n'est pas crédible, il ne peut pas négocier, il est souverainiste, il ne peut pas, de bonne foi, aller négocier à l'intérieur du cadre fédéral.

Justement, ce qui les choque, c'est de voir que notre gouvernement, qui accepte démocratiquement le verdict de la population, va maintenant aller négocier à l'intérieur du système fédéral sur la base du principe de l'égalité des peuples, la volonté de changement que non seulement 40% des Québécois ont exprimée, mais aussi une bonne partie de ceux qui ont décidé de dire non à la souveraineté-association. Dans ce contexte-là, combien les Québécois, justement, peuvent avoir de sagesse en reconnaissant comme légitime le droit du gouvernement du Québec d'aller négocier à l'intérieur de ce système politique, alors qu'ils savent fort bien que si ce n'était pas le premier ministre actuel du Québec qui avait à le faire, ce serait peut-être le chef de l'Opposition qui se présenterait comme négociateur en disant à peu près ceci: Nous sommes déjà prêts, comme gouvernement du Québec, à vous accorder à vous, du gouvernement fédéral, ce que vous n'avez même pas demandé alors que nous n'exigerons même pas ce que vous avez refusé de nous donner depuis 10, 20, 30 ou 40 ans.

Quel négociateur que celui qui est déjà prêt à remettre au gouvernement fédéral ce que le gouvernement fédéral n'a pas demandé et à ne pas exiger du gouvernement fédéral ce que les gouvernements du Québec successivement, depuis des dizaines d'années, ont réclamé à travers les

demandes traditionnelles exprimées par les premiers ministres! Quel négociateur que celui qui, au départ, comme un véritable syndicat de boutique, laisse au patron le soin de prendre les décisions majeures pour l'avenir de la collectivité québécoise alors qu'il est à ce point indispensable que notre interlocuteur sache très bien qu'ici, au Québec, nous avons un porte-parole qui, s'appuyant au départ sur des positions spécifiquement québécoises, inconditionnellement québécoises, va aller chercher le maximum à partir des demandes traditionnelles du Québec en essayant d'y ajouter tout ce que l'évolution du Québec demande d'ajouter pour que nous puissions trouver une façon claire, nette, crédible, dynamique, positive pour l'avenir d'assurer la survie et le développement de notre collectivité.

Cela, c'est choquant pour une Opposition qui voudrait tellement s'en aller immédiatement vers les élections et empêcher le gouvernement du Québec de mener à bien cette négociation. Ceux qui, en ce moment, risquent justement de mettre du sable dans l'engrenage de la négociation, ce sont ceux qui en face de nous refusent de reconnaître au gouvernement élu démocratiquement par la population le soin de prendre ses responsabilités conformément à la décision prise par le peuple du Québec le 20 mai dernier et d'aller négocier, bien sûr, à l'intérieur du système actuel, mais surtout en adoptant au départ une perspective québécoise, en adoptant au départ une attitude de défenseur des droits et des intérêts du Québec et non pas en laissant au départ au gouvernement fédéral le soin de prendre toutes les initiatives et le soin de garder le contrôle sur l'essentiel des droits et des intérêts que notre gouvernement veut revendiquer pour nous, les Québécois.

Dans ce contexte, laissez-moi vous dire ma surprise de voir que, par exemple, sur le sujet fondamental des droits linguistiques, alors que le premier ministre du Canada pose deux conditions pour la négociation. D'abord, il y a le maintien du fédéralisme, en faisant du fédéralisme, bien sûr, une religion, inconditionnellement, mais nous devons accepter, à cause du débat référendaire, la décision du peuple québécois. C'est dans le cadre du fédéralisme que nous négocierons. La deuxième condition est celle de l'incorporation des droits linguistiques à l'intérieur d'une charte qui serait le fruit de toute cette discussion constitutionnelle.

Or, sur cela, je demande à la députée de Prévost qui va se lever tout à l'heure de nous répondre. Comment peut-elle, elle qui siège aujourd'hui comme députée du comté de Prévost et qui, à l'intérieur de la commission Pepin-Robarts, dans un mandat qui lui avait été confié par le gouvernement fédéral, dans un travail qu'elle effectuait comme fédéraliste, au moment où elle se promenait à l'échelle canadienne et qu'elle pouvait apprécier les problèmes de cette coexistence Québec-Canada, de cette coexistence des deux nations, comment pouvait-elle, elle, la députée de Prévost, être la signataire du rapport Pepin-Robarts, entre autres, de cette fameuse page 56, et, aujourd'hui, se sentir à l'aise et proclamer tout haut qu'elle accepterait que ce soit le gouvernement fédéral qui puisse, à l'intérieur d'une charte des droits, incorporer la protection des droits linguistiques pour l'ensemble des Canadiens et des Québécois?

Comment peut-elle, elle, proclamer que la réalité canadienne, c'est celle de deux nations qui vivent à égalité, "from coast to coast", alors qu'elle sait très bien que justement ce qui a guidé la commission Pepin-Robarts, c'est l'analyse du vrai Canada, d'un pays où coexistent deux nations, dont l'une vit à 90% dans une seule province et l'autre est répartie dans neuf autres provinces canadiennes?

Comment peut-elle être cohérente avec elle-même et accepter aujourd'hui de défendre un parti politique et une philosophie politique qui est en complète contradiction avec les écrits de la commission Pepin-Robarts? Elle écrivait, avec bien d'autres: "II existe, à notre avis, deux façons d'assurer la protection des droits linguistiques des minorités. La première serait d'étendre la portée de l'article 133 à quelques-unes ou à toutes les provinces, la seconde serait d'écarter les garanties constitutionnelles et d'inviter les provinces à assurer, par législation, la protection de leur minorité. Après mûre réflexion, nous en sommes venus à la conclusion que cette deuxième façon de procéder s'avérera la plus sage à long terme et la plus susceptible de réussir."

Il faudra qu'elle nous réponde, peut-être pas aujourd'hui, dans les jours qui viendront, quand nous aborderons la discussion, dans le cadre des négociations, il faudra qu'elle réponde à des questions comme celles-là. Le chef de l'Opposition aussi devra répondre, parce qu'il ne l'a pas fait ce matin, à la question du rapatriement de la constitution canadienne. Accepte-t-il, lui, oui ou non — mon collègue, le député de Rosemont, y reviendra tout à l'heure — que ce soit là le premier pas nous engageant dans la réforme de la constitution, alors que dans son livre beige il en fait le dernier point de la réforme constitutionnelle?

Mme la Présidente, dans un tel contexte, quand on voit la façon piégée qu'adopte le Parti libéral pour aborder la réforme constitutionnelle, parce que ce qui l'intéresse ce n'est pas d'abord et avant tout le règlement du dossier constitutionnel, c'est la prise du pouvoir... On le sent, c'est dans son visage, écrit en toutes lettres: Nous voulons le pouvoir. Et parce qu'il veut ce pouvoir, il est prêt à laisser tomber les objectifs, les droits, les intérêts du Québec, il n'est pas prêt à se prononcer sur des objectifs comme ceux que nous lui proposons. Qu'il nous dise donc si oui ou non il est prêt à appuyer le gouvernement du Québec sur la base du principe de l'égalité des peuples, si oui ou non il est prêt à indiquer que le changement constitutionnel que nous voulons doit toujours respecter ce principe d'égalité. Nous aimerions bien le savoir de la bouche du chef de l'Opposition et de la bouche du chef de l'Union Nationale.

S'il y a des points de convergence — et Dieu sait qu'il y en avait — il y a quand même des points sur lesquels nous pouvons nous rassembler

et nous réunir pour peu que nous voulions continuer de maintenir le débat au niveau des préoccupations strictement partisanes et tenter de faire en sorte que cette solidarité des Québécois qui a échappé au moment du référendum puisse maintenant se recréer autour d'objectifs sur lesquels, tôt ou tard, en commission parlementaire, nous pourrons dégager un certain consensus, un certain nombre d'accords.

Mme la Présidente, j'espère que les prochains jours permettront au chef de l'Opposition, au chef de l'Union Nationale, au premier ministre du Québec et à tous les parlementaires de l'Assemblée nationale de voir comment, ensemble, en Québécois, et non pas en libéraux, en péquistes ou en unionistes, ils peuvent s'asseoir et voir comment ils peuvent aborder positivement la réforme constitutionnelle.

La Vice-Présidente: Avant de vous donner la parole, Mme la députée de Prévost, je tiens à vous informer que nous devons, dans le délai qui est alloué à cette Assemblée pour débattre le discours du budget, réserver une heure de réplique au ministre des Finances. Vous devrez donc terminer votre intervention à 17 h 15. (16 h 50)

M. Chevrette: Mme la Présidente, nous avons fait une entente, si vous me le permettez, Mme la députée de Prévost, avec le leader de l'Opposition. Il est entendu que Mme la députée de Prévost peut parler, également que le député de Rosemont peut parler, le député de Beauce-Sud et, enfin, la réplique de M. le ministre des Finances. Puisqu'il y a eu une entente, il faut qu'il y ait consentement.

La Vice-Présidente: C'est bien, M. le whip. Je veux bien. Sans perdre plus de temps, Mme la députée, je vous donne la parole.

Mme Solange Chaput-Rolland

Mme Chaput-Rolland: Merci, Mme la Présidente. Il me semble que je n'ai pas de réponse à donner au député de Vanier. La population, elle, s'en est chargée.

La question que je me pose depuis quelques semaines que je suis dans cette Chambre, Mme la Présidente, c'est à savoir si, vraiment, il règne ici un certain respect des autres et le climat devient si étouffant, quand on croit que ce côté-là de la Chambre se donne toutes les qualités et il semble nous rester à nous quelques bribes d'humain.

Eh bien, je vais quand même poser les questions pour lesquelles je me lève aujourd'hui et je me permettrai de demander si nous sommes vraiment dignes, dans cette Chambre, du peuple québécois que nous représentons et si nous sommes vraiment conscients des événements déchirants que nous venons de vivre démocratiquement, malgré quelques accidents de parcours qui sont inévitables dans un climat de grande tension individuelle, mais qui au moins mériteraient que nous situions nos divergences et nos convergences à une hauteur de pensée que la plupart de ceux de nous qui ont participé au débat référendaire ont découvert dans la conscience de leurs compatriotes.

Telles sont les questions que je me pose le coeur battant, oui, depuis que je suis revenue dans notre maison politique si profondément divisée que nous n'osons même pas nous réjouir d'avoir ouvertement conservé le bien canadien, sans pour autant avoir dilapidé une parcelle du bien québécois. Au nationalisme québécois indispensable à notre survivance s'est collé un patriotisme canadien dont j'avais, comme beaucoup d'autres dans cette Chambre, sous-estimé le poids, la force et la profondeur, et je n'invente pas ce patriotisme pour susciter les sarcasmes de mes amis d'en face, mais parce que je l'ai reçu comme un cadeau de mes compatriotes canadiens et québécois et que j'entends le conserver comme tel.

Le référendum a favorisé un coeur-à-coeur avec la population du Québec qui a transformé certains de nous, et je ne crains pas du tout d'avouer que je ne suis plus tout à fait le même député de Prévost, élu pour prendre part à cette lutte référendaire entre les tenants du oui ou du non, sans pour autant détester ou rire de celui ou de celle qui ne partageait pas cette haute idée du Canada qui a finalement triomphé des vues pessimistes de ceux qui ne croyaient plus dans l'héritage et dans la continuité historique. J'ai été marquée au fer rouge ou bleu par la foi de nos compatriotes, d'abord en leur identité québécoise, Mme la Présidente, ensuite en leur fierté de Québécois et ensuite en leur qualité de Canadiens capables de se colletailler avec leurs voisins sur tout l'ensemble du continent.

J'emprunterai ici une pensée au premier ministre du Québec qui, peut-être, me la pardonnera, pour dire sans triomphalisme, mais tout simplement qu'à mon tour, je n'ai jamais été aussi fière d'être une Québécoise, une Canadienne, une femme et un député libéral, mais je ne crois pas plus aujourd'hui qu'hier que ces allégeances qui me collent à l'âme infirment celles de mes amis d'en face. Cependant, Mme la Présidente, j'essaie de concevoir les sarcasmes et les injures qui fuseraient vers ce député que je suis si, aujourd'hui, je me levais à la suite de la victoire des membres du clan de la souverainté-association pour la rendre à mon compte afin de conserver un pouvoir que je sentirais me glisser entre les doigts. Comment oserais-je faire semblant de servir par des actes et des mots une thèse que, durant plus de 35 heures, j'aurais, avec mes collègues, déchirée et mise en pièces parce que mes compatriotes ici dans cette Chambre se sont entendu dire qu'ils étaient dégradés par cette thèse. Jamais, de mémoire de pays, aura-t-on vu un gouvernement faire une volte-face aussi rapide, aussi instantanée et aussi amère que le café instantané de notre imbuvable gastronomie politique.

Mme la Présidente, je reconnais au gouvernement, et je le respecte, l'obligation morale de servir la cause du fédéralisme, mais je me demande comment, surtout après ce que j'ai entendu cet après-midi, il pourra le faire sans rougir de son

étonnante pantalonnade constitutionnelle. Durant 35 heures, nous nous sommes entendu traiter de mauvais Québécois, alors que nos amis d'en face astiquaient leurs auréoles de haute et pure vertu politique, nous abandonnant, avec un peu de mépris, quelques minces qualités d'être tarés à cause de nos croyances en la possibilité de transformer un régime politique qui n'a pas toujours bien servi le Québec — le chef de l'Opposition l'a reconnu ce matin — pour qu'il serve un peu mieux nos intérêts collectifs et nationaux. Je ne mets pas en doute l'intégrité de ceux qui iront à Ottawa défendre une révision dans laquelle, cependant, j'ai beaucoup de difficulté à croire qu'eux croient. Mais je me demande comment, Mme la Présidente, ils pourront vivre avec eux-mêmes dans un climat aussi contradictoire et aussi paradoxal compte tenu de ce qui fut dit dans cette Chambre contre Ottawa, contre le fédéralisme, contre le partage des pouvoirs et des compétences et contre la duplication des services.

Mme la Présidente, la thèse du non a été choisie, non imposée, par 60% de notre population. Cette population, dont ce côté-ci de la Chambre a entendu la voix, n'a pas décidé que les thèses dites traditionnelles du Québec seraient désormais confiées à ceux qui voulaient et qui veulent encore, de toute évidence, les mettre au rancart au profit d'une nouvelle entente qui reposerait alors sur un traité entre deux Etats souverains. A 60%, cette population nous a dit clairement, sans équivoque et librement — c'est cela peut-être la culture de la liberté dont parlait le chef de l'Opposition officielle, cette liberté dont le Canada se porte garant — qu'elle aimait son vieux pays d'alentour malgré ses difficultés et qu'elle se sentait encore confortable dans sa robe ou son manteau canadien. A mon avis, elle verrait fort mal que le gouvernement, qui représentera ses intérêts, dans lesquels il ne peut décemment croire sans renier son essence souverainiste, s'emploie à l'aide d'une nouvelle version étapiste à durcir des positions dites traditionnelles aux fins de démontrer la mauvaise volonté du fédéral et des provinces anglaises vis-à-vis de nous. On ne peut pas jouer indéfiniment avec les sentiments, les passions et les émotions des citoyens pour les convaincre soit de maintenir au pouvoir un gouvernement qui semble avoir perdu sa crédibilité au point de vue de sa philosophie souverainiste fondamentale, soit d'en élire un autre qui ne repenserait pas des positions qui ne sont plus traditionnelles, mais nettement dépassées pour éviter de proposer du neuf, du contemporain et du plus conforme à nos mentalités de l'après-référendum.

Il existe d'autres façons d'être des Québécois en demeurant Canadiens, mais je doute fort que l'actuel gouvernement, après ce que je viens d'entendre, cherche vraiment à les trouver dans une optique fédérale. Voilà pourquoi, Mme la Présidente, je suis stupéfaite d'avoir entendu le premier ministre nous dire que la souveraineté-association, pour lui, n'était pas un absolu. Je voudrais lui dire franchement, doucement, mais avec tout ce que j'ai, que, pour moi, un Québec canadien, cela demeure un absolu. Comme des centaines de milliers d'autres Canadiens et d'autres citoyens du Québec, j'ai voté en faveur de ce pays. Ai-je maintenant le droit d'en confier la garde à des gens qui ne croient guère en lui, pour qui le fédéralisme renouvelé est un cul-de-sac, disait récemment le ministre des Affaires intergouvernementales? Mme la Présidente, la question est trop grave pour que moi, je tente d'y répondre. Je vous remercie. (17 heures)

La Vice-Présidente: M. le député de Rosemont.

M. Gilbert Paquette

M. Paquette: Mme la Présidente, je vais reprendre là où Mme la députée de Prévost a terminé. J'ai retenu une phrase du discours du chef de l'Opposition. A un moment donné, le chef de l'Opposition s'est demandé quelle forme d'égalité entre les deux nations était compatible avec le régime fédéral. Voilà ce qu'on dit quand on affirme que, en face, on fait passer un système politique avant les intérêts du Québec. Nous pensons que l'égalité des peuples, que les aspirations fondamentales du peuple québécois passent avant tout régime politique, quel qu'il soit.

Les régimes politiques qui ont été soumis à la population, le 20 mai, la souveraineté-association et le fédéralisme, ne sont la propriété d'aucun parti politique. Le fédéralisme n'est pas la propriété du Parti libéral, la souveraineté-association n'est pas la propriété du Parti québécois. Ce sont des options qui sont la propriété de tous les Québécois et, le soir du 20 mai, la population du Québec a décidé, pour quelque temps encore, de mettre ses énergies encore dans la direction du fédéralisme. Elle a mis la souveraineté-association en banque. Cette optique que nous avons construite, de toutes nos forces, depuis 12 ans, et en laquelle nous croyons toujours comme solution d'avenir pour le Québec, elle est en banque, elle est disponible, elle est à la portée des Québécois, quand ils le voudront bien.

Ce gouvernement, Mme la Présidente, a résolu d'adopter une démarche scrupuleusement démocratique et je le comparerais, dans la situation actuelle, à un conducteur qui doit aller là où son patron — le peuple québécois — lui dit d'aller. Bien sûr, nous pensons que la voie dans laquelle nous nous engageons n'est pas la solution qui va permettre au peuple québécois d'atteindre tous les objectifs, toutes les aspirations qui sont les siennes. Mais nous sommes prêts à cheminer, de bonne foi, dans cette direction, jusqu'à ce que le "patron" nous dise que nous devons prendre une autre direction. Nous sommes prêts à prendre le risque que le fédéralisme puisse être renouvelé et que les Québécois s'en satisfassent. Nous n'affirmons pas que nous en serons satisfaits, nous affirmons simplement que nous allons aller dans cette voie qu'a choisie la population, le 20 mai.

Cependant, Mme la Présidente, j'ai trouvé que le député de Saint-Laurent faisait preuve de

beaucoup d'arrogance; une arrogance qui contrastait curieusement avec les sentiments et le climat qu'on sentait le 20 mai, à l'auditorium de Verdun, où se réunissait le camp du non et le lendemain, également, quand on parlait avec des gens qui avaient voté non la veille. La majorité des gens qui ont voté non le 20 mai n'étaient pas du tout arrogants comme le député de Saint-Laurent; ils étaient contents que l'option de la souveraineté-association se soit exprimée, contents qu'elle soit encore à la disponibilité des Québécois et également désireux de donner une dernière chance au fédéralisme, mais pas nécessairement en changeant le conducteur du véhicule. Le député de Saint-Laurent s'imagine que le 20 mai a été un appui au livre beige et au parti qui l'incarne; il m'apparaît évident que ce n'est pas le cas, Mme la Présidente.

Je ne pense pas que les gens du Parti libéral du Québec aient à se glorifier de la victoire du 20 mai, surtout pas de la façon dont elle a été acquise. Quand on regarde les sommes qui ont été dépensées du côté du non, au-delà du triple de ce que nous avons pu dépenser respectant scrupuleusement la loi référendaire; quand on regarde le sauvetage qui a dû venir d'Ottawa; quand on regarde également l'indifférence presque totale qui a accueilli les propositions constitutionnelles, on ne viendra pas faire croire aux Québécois que, le 20 mai, les Québécois ont choisi une espèce de démission collective qui est contenue dans le livre beige du Parti libéral et qu'ils pensent que le Parti libéral et son chef sont ceux qui peuvent défendre les intérêts du Québec, même dans le cadre du régime actuel.

Mme la Présidente, il y a un événement assez significatif qui s'est produit ce matin. On voit poindre à l'horizon une certaine condition qui s'ajoute aux conditions préliminaires du premier ministre canadien et qui prend une forme par trop familière, qui était contenue dans le document de 1968 du Parti libéral du Canada, qui a mené à l'échec de Victoria, qui était contenue dans le document "Le temps d'agir", qui est cette condition préalable de rapatriement de la constitution.

Mme la Présidente, si on voulait vraiment réformer la constitution de façon à donner au peuple québécois et aux autres régions du pays un régime politique adapté à leurs besoins, on se mettrait au travail sur ce nouveau régime. Si on veut faire une nouvelle constitution, à quoi sert de rapatrier l'ancienne? Tous les gouvernements du Québec — ce n'est pas une particularité de notre gouvernement — ont toujours dit: II faut d'abord s'entendre sur le partage des pouvoirs; le rapatriement est une question secondaire. Le premier ministre Trudeau nous dit, encore une fois: Cela doit commencer par le rapatriement de la constitution, et, si on n'arrive pas à s'entendre, on fera un référendum canadien là-dessus. Un petit peu plus loin, M. Trudeau affirme que dans le document connu sous le nom de livre beige — l'un des documents, bien sûr, dans le paysage — le Parti libéral du Québec préconise que le rapatriement de la constitution soit, à toutes fins utiles, la toute dernière manoeuvre des gouvernements dans le processus de renouveau. Comme nous, comme tous les partis au Québec, comme tous les gouvernements qui nous ont précédé, le Parti libéral du Québec dit: Le rapatriement doit se faire à la fin du processus.

M. Trudeau ajoute: "Toutefois, si l'opposition de M. Ryan posait un problème, il n'était pas insoluble, car il serait peut-être possible de "convaincre M. Ryan" de l'opportunité de la stratégie fédérale." Cette stratégie fédérale va amener très tôt le chef de l'Opposition et le Parti libéral du Québec à se demander s'ils vont défendre les intérêts du Québec ou s'ils vont sacrifier à la stratégie fédérale pour arriver au pouvoir. Quel est leur but? Vont-ils commencer dès maintenant à faire des compromis même sur leurs propositions qui sont déjà des compromis? Vont-ils accepter un référendum canadien sur une question comme celle-là, alors que le Québec verrait son droit à l'autodétermination complètement nié? Sur ce point comme sur d'autres, le référendum du 20 mai n'est pas un appui au Parti libéral du Québec et à ses thèses. Ce n'est pas un appui au chef du Parti libéral. C'est un dernier effort que le peuple du Québec demande à son gouvernement de faire pour donner au Québec, dans le cadre fédéral, les pouvoirs dont il a besoin. (17 h 10)

Ce que le premier ministre a fait, tout à l'heure, ce n'est pas un procès du fédéralisme, c'est un projet de pouvoir minimal dont le peuple québécois a besoin pour continuer à progresser. C'est dans cet esprit, sans renier aucunement notre option fondamentale, mais dans la perspective d'un début d'un accroissement d'autonomie du Québec, que nous nous sentons tout à fait à l'aise pour participer à cette dernière tentative de renouvellement du fédéralisme canadien. Je vous remercie.

Le Vice-Président: M. le député de Beauce-Sud.

M. Hermann Mathieu

M. Mathieu: Merci, M. le Président. Je reprends simplement le fil de mon discours interrompu le 10 avril dernier. Je veux faire seulement un commentaire sur le référendum tenu le 20 mai dernier. Le premier ministre nous dit qu'il va mettre en veilleuse la souveraineté-association. Les Québécois ne lui ont pas commandé de la mettre en veilleuse, mais bien de la mettre au rancart, la souveraineté-association.

Je reprends mon discours. Je parlais d'emplois, du ministère du Travail. Je suis content de voir le ministre en face de moi pour prendre acte de ce que je vais lui dire. Je réclame du ministre du Travail, pour mes concitoyens et pour ceux du Québec, l'abandon de son règlement odieux de placement dans l'industrie de la construction. Qu'il arrête le régime de torture et de persécution érigé par ses tontons, par ses petits caporaux de l'OCQ. Je réclame l'abandon des poursuites con-

tre d'honnêtes citoyens qui sont traduits en justice comme de vulgaires criminels. Quel crime ont-ils commis? Ils ont travaillé pour subvenir aux besoins des leurs. Le droit au travail... Je ferai remarquer à ceux qui glossent dans l'Opposition que si vous n'avez pas ces problèmes dans vos comtés, moi je les connais.

Le droit au travail est un droit naturel, fondamental, inaliénable, inaltérable. Le travail est un instrument de dignité et d'indépendance de l'homme. Tout homme possède le droit de choisir son métier et de vivre de son travail. Sinon, l'on crée une société d'esclaves.

Je voudrais également dire un mot sur une question brûlante d'actualité, la question de l'avortement. Nous savons tous qu'avorter c'est tuer. S'il est un droit fondamental, c'est bien le droit à la vie. Les articles 345 et 608 du Code civil protègent les biens de l'enfant conçu et non encore né. Le gouvernement méprise la vie de cet enfant conçu, mais non encore né. Comme preuve je prends le programme officiel du Parti québécois — ce n'est pas moi qui ai inventé ce document — à la page 31 où on dit, entre autres: II faut "assurer que la femme puisse obtenir de son médecin un avortement dont les frais soient couverts par l'assu-rance-maladie et l'assurance-hospitalisation, voir à la création de services médicaux adéquats assurés dans chacune des régions administratives du Québec par des cliniques et/ou hôpitaux pour les cas d'avortement de moins de douze semaines, par les hôpitaux pour les cas d'avortement de douze semaines ou plus, et mettre sur pied des cliniques de planification familiale intégrées qui offrent tous les services énumérés précédemment. '

M. le Président, je trouve que ceci est une atteinte au principe fondamental et sacré du respect de la vie. Ceci doit être dénoncé avec beaucoup de vigueur.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Charbonneau: Question de privilège, M. le Président.

Le Vice-Président: A l'ordre!

M. Mathieu: Je ne veux pas faire manger le temps qu'il me reste.

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! Je vais en tenir compte, M. le député de Beauce-Sud.

M. le député de Verchères sur une question de privilège.

M. Charbonneau: M. le Président, je me demande si, en fait, c'est une question de privilège ou une question de règlement. Mais je voudrais savoir de votre part comment on peut rectifier des faits qui viennent d'être allégués dans cette Chambre et qui sont manifestement erronés. Je peux vous le prouver, M. le Président, j'ai le programme du Parti québécois, le même. Ce serait peut-être important de préciser que dans ce programme-ci quand on parle d'avortement, on parle d'avortements thérapeutiques.

M. Mathieu: Question de règlement...

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! ... A l'ordre, s'il vous plaît!...

Effectivement, je pense que c'est une demande de directive que vous m'adressiez, M. le député de Verchères. Une question de règlement s'applique lorsqu'un député pense qu'un autre de ses collègues induit, volontairement ou non, la Chambre en erreur. La présidence n'a pas à juger si c'est le cas ou non.

M. le député de Beauce-Sud.

M. Mathieu: Question de directive, M. le Président. Est-ce que ceci gruge mon temps?

Le Vice-Président: Non.

M. Mathieu: Bon, merci, M. le Président. Pour ne pas que le député m'accuse de l'avoir tronqué, ce document, ce n'est pas moi qui l'ai écrit, ce n'est pas un texte tronqué que j'ai cité. A la page 31. De toute façon, j'ai complété ce point. Je veux également faire quelques brefs commentaires. Ce n'est pas à la gloire du gouvernement ni à la gloire du Parti québécois.

Une Voix: Menteur!

M. Mathieu: C'est une honte!

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Mathieu: C'est une honte!

Le Vice-Président: A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Mathieu: Je ferai également un bref commentaire sur la nouvelle Loi sur la protection du consommateur qui est entrée en vigueur le 30 avril dernier, seulement pour vous rappeler que j'ai reçu par la suite de nombreuses revendications que je trouve fort judicieuses de la part de la Fédération des garagistes de la province de Québec qui réclame une modification pour qu'on puisse renoncer aux garanties qui sont imposées par cette loi. Dans le moment présent, le consommateur n'a pas la faculté de renoncer à ses garanties. Le but de la loi ne sera pas atteint étant donné que de par l'évaluation qui est imposée et les garanties qui sont imposées, auxquelles garanties le consommateur ne peut renoncer, cela aura comme conséquence d'augmenter de 15% à 20% le coût des réparations des automobiles. J'ai déjà, en commission parlementaire, fait certaines recommandations, mais je veux que celle-ci soit consignée aux Débats de l'Assemblée nationale.

Mon temps étant terminé, je conclus, M. le Président, pour me conformer à une entente déjà intervenue. Nous faisons face à une ingérence

indue du gouvernement dans la vie privée des citoyens, c'est la mentalité et la marque de commerce du gouvernement. C'est une mise en tutelle des citoyens, c'est l'érosion des droits individuels au profit des droits collectifs. Je réclame que le gouvernement modifie sa philosophie et laisse évoluer librement les citoyens du Québec selon leur génie propre et leurs aspirations. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: M. le ministre des Finances.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, je comprends qu'en vertu d'une entente intervenue entre les partis dans cette Chambre, je peux prendre l'heure au complet qui m'était dévolue par le règlement. Je commencerai par revenir à des questions qui, sans doute, sont terre à terre mais qui sont néanmoins importantes. Elles concernent le budget lui-même et la politique financière du gouvernement. Par la suite, je voudrais poursuivre un peu dans la lancée de ce débat, si je peux m'exprimer ainsi, post-référendaire auquel nous avons assisté aujourd'hui.

La politique financière suivie par le gouvernement est telle qu'elle est exprimée dans le discours du budget et basée finalement sur un certain nombre de principes assez simples et assez clairs. Le premier de ces principes est que les Québécois sont et restent finalement trop taxés. Lorsque nous avons pris le pouvoir, en novembre 1976, le citoyen québécois était de loin le citoyen le plus taxé de toutes les provinces canadiennes. (17 h 20)

Bien sûr, pour des raisons d'équilibre financier, de remise en ordre des finances, il a fallu attendre un peu plus d'un an avant de commencer à réduire assez systématiquement ce fardeau fiscal. Nous l'avons fait à partir de plusieurs voies, de plusieurs instruments. D'abord, nous avons introduit, avec un certain retard à cause de la fameuse querelle de la taxe de vente avec Ottawa, une forme d'indexation des exemptions personnelles dans le cas de l'impôt sur le revenu, ce qui n'avait jamais été fait avant.

D'autre part, si nous avons accentué la progressivité de l'impôt sur le revenu au Québec, nous avons, dans le dernier budget, coupé tous les taux d'impôt de 3%, comme étant une première mesure dans la voie de la réduction des échelles. L'indexation des exemptions personnelles de l'impôt sur le revenu s'est manifestée d'abord il y a un an par l'annonce d'une augmentation des exemptions personnelles de 12,5% et nous avons annoncé encore 7,5% dans le dernier budget.

D'autre part, nous avons commencé — on le sait — à réduire le fardeau de la taxe de vente. C'est au moins aussi important comme geste que ce que nous faisons dans le domaine de l'impôt sur le revenu parce que, finalement, beaucoup de biens de première nécessité étaient encore taxés au Québec, et taxés lourdement. On sait que les chaussures sont maintenant, jusqu'à $100, exemptées de la taxe de vente au Québec, que les vêtements le sont; au dernier discours du budget, nous avons enlevé la taxe de vente sur les meubles et nous l'avons enlevée sur les derniers types de textile sur lesquels cette taxe existait encore.

D'autre part, nous avons cherché à trouver des mesures de réduction fiscale qui incitent les Québécois à investir dans les entreprises qui opèrent au Québec. Je pense qu'il est maintenant clairement établi que le programme d'épargne-actions est un succès considérable et qu'il se vend, à l'heure actuelle, à peu près tous les mois au Québec, autant de nouvelles actions d'entreprises qu'il s'en vendait avant au cours d'une année entière.

Puis, nous avons procédé à une profonde réforme de la fiscalité scolaire et municipale. L'impôt normalisé scolaire est supprimé, on le sait. D'autre part, les municipalités, en récupérant cet impôt scolaire normalisé, sont maintenant infiniment mieux en mesure d'être responsables devant leurs contribuables des gestes qu'elles posent. Il doit être clairement établi, maintenant que cette réforme fiscale municipale a trouvé, dans le dernier budget, ses compléments finaux, que les conseils municipaux au Québec sont maintenant largement et essentiellement responsables des gestes qu'ils posent. De cette façon, on en a terminé avec ce système mixte où, finalement, de municipalité à gouvernement, et de gouvernement à municipalité, on pouvait s'accuser de tous les péchés d'Israël.

Nous avons établi, au niveau de la fiscalité locale, un régime de responsabilité qui devrait, pour l'avenir, augurer de bien meilleurs contrôles de dépenses que ce que nous avons connu jusqu'à maintenant, justement parce que les élus municipaux seront responsables comme jamais des gestes qu'ils posent.

Tout cela a voulu dire des réductions d'impôt assez substantielles. J'aimerais, ici, en donner quelques exemples. Je pourrais en trouver beaucoup, mais prenons-en simplement quelques-uns. Le travailleur qui gagne l'équivalent du salaire industriel moyen au Québec, en trois ans, aura vu son impôt sur le revenu payable au Québec tomber de 9,4% de son revenu à 8,6%. On me dira: Ce n'est pas considérable. Bien sûr, mais par rapport à toutes les années antérieures, cela montait toujours. Là, enfin, nous avons réussi à faire en sorte que ce travailleur qui gagne le salaire industriel moyen au Québec voie l'impôt payable au Québec réduire, tomber en pourcentage de son revenu.

Deuxième exemple, si nous n'avions rien changé aux impôts au Québec, chaque contribuable paierait cette année, au Trésor québécois, à peu près $2900 d'impôt. En raison des réformes qui ont été apportées, il va en payer $2600. On dira: Ce n'est pas considérable, mais c'est la première fois depuis bien des années que cela se fait.

On a fait allusion, dans le débat sur le discours sur le budget, à la façon dont le gouvernement avait — comment dire? — négligé un peu la situation de la femme mariée qui ne travaille pas à l'extérieur de son foyer. Il faudrait souligner, M. le Président, que l'exemption personnelle, dont évidemment le mari profite, puisque c'est lui qui paie les impôts, pour la femme mariée qui ne travaille pas à l'extérieur de son foyer est passée en trois ans de $1900 à $3270, c'est-à-dire qu'elle a été accrue de 72%. Encore une fois, on me dira: Cela pourrait être plus rapide, mais c'est quand même la première fois que cela se fait depuis des années.

Tout cela pour dire qu'en somme le dernier discours sur le budget et la politique financière du gouvernement s'inscrivent dans une philosophie de réduction graduelle des taxes et des impôts. Nous avons fait un bon bout de chemin. Je ne disconviens pas qu'il y a un bon bout de chemin à faire encore. Je pense que le gouvernement, en tout cas, a montré depuis trois ans la persistance à la fois de ses objectifs et de ses moyens.

D'autre part, et deuxième principe fondamental de la gestion financière du gouvernement, nous avons tenté de réduire l'expansion des dépenses du gouvernement du Québec. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous nous trouvions devant un gouvernement qui avait développé des habitudes de dépenses tout à fait remarquables. Je vous signale, par exemple, qu'au cours de l'année 1974-1975 le gouvernement précédent avait accru ses dépenses en une seule année de presque 26%. L'année suivante, de 22%, et quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons, par des moyens de contrôle à la dernière minute, dans les quelques mois qui nous restaient, par des moyens de contrôle extrêmement sévères, cherché à freiner l'expansion des dépenses, mais même là on n'a pu faire mieux qu'une expansion des dépenses de 16%. C'était un rythme d'expansion des dépenses littéralement irresponsable, et nous avons essayé, difficilement souvent, de réduire ce rythme d'expansion des dépenses et de le rendre, au fond, un peu plus aligné sur l'augmentation de la valeur de la production pour faire en sorte que le gouvernement dans l'économie ne se développe pas plus vite que l'économie elle-même. Et cela a donné les résultats suivants: Si on tient compte — et j'enlève ici l'impact des sommes que nous avons comptabilisées dans les régimes de retraite parce qu'il ne s'agit évidemment pas de dépenses en biens, en salaires ou en services, c'est au fond une sorte de provision comptable que l'on fait pour le déficit actuariel gigantesque des fonds de pension gouvernementaux que l'ancien gouvernement nous avait légué — si on enlève cette comptabilisation des fonds de retraite, quelle a été l'expansion des dépenses du gouvernement du Québec depuis que nous sommes là? En 1977-1978, première année où le nouveau gouvernement contrôle complètement son budget, les dépenses augmentent de 12,4%, l'année suivante, de 10,8%, l'année suivante, de 9,4%, et cette année, en 1980-1981, alors que l'économie nord-américaine ne va pas très bien et qu'il y a un certain nombre de corrections importantes à faire dans le budget des commissions scolaires, cela augmente, c'est à 13,7%, ce qui reste néanmoins très inférieur à tous les pourcentages d'augmentation qu'on avait connus sous l'ancien gouvernement.

Bien sûr, il y a dans cette augmentation des dépenses pour 1980-1981, qui est de 13,7% — je le disais tout à l'heure — deux éléments tout à fait différents. D'une part, je pense qu'il était logique et normal que le gouvernement du Québec ouvre davantage le robinet quand l'économie nord-américaine commence à glisser. C'est une position responsable d'un gouvernement qui se veut responsable à l'égard du fonctionnement de l'économie, mais, d'autre part, s'est produit ce problème financier assez sérieux dans le champ des commissions scolaires et dans les coûts de l'enseignement primaire et secondaire. (17 h 30)

Je voudrais dire ici quelques mots à ce sujet parce qu'on est revenu assez fréquemment sur cette question à la fois à l'Assemblée nationale et dans le public.

J'aimerais souligner que, contrairement à ce que l'ancien gouvernement nous avait fait quand il avait encouru exactement le même genre de déficit, tout ce qui s'est dit en cette Chambre et tout ce qui s'est dit en public à cet égard a été fourni par le gouvernement, qu'on ne peut pas dire ici que des gens ont appris par des fuites qu'il y avait des choses pas correctes qui se produisaient, que le gouvernement a exposé clairement toute la situation. Il a indiqué que c'est la deuxième fois qu'une chose comme celle-là se produisait et il a annoncé en même temps tous les correctifs qu'il envisageait de prendre, de façon que plus jamais une telle situation ne puisse se produire.

J'aimerais souligner cela, parce que, dans certains milieux ou chez certains de nos amis d'en face, cette question a pris, à un moment donné, une allure de scandale. Il n'y a pas de scandale. Il y a effectivement un manque de contrôle qui a fait un dommage considérable aux finances publiques avant que nous soyons là, qui a fait un dommage considérable aux finances publiques alors que nous sommes là. Nous l'avons décrit pour la première fois publiquement, dans tous ses détails, et nous avons annoncé toutes les mesures de corrections qui étaient nécessaires. Dans ce sens-là, il me reste à déplorer que cela se soit produit, mais il me reste à souligner aussi que je pense que le gouvernement a eu la franchise élémentaire, dès qu'il a constaté cette situation, premièrement, de la décrire et, deuxièmement, de la corriger.

La troisième question que je voudrais aborder, en termes un peu généraux, a trait à la situation des emprunts. Là encore, on a entendu dire: Le déficit du gouvernement, cette année, sera considérable; c'est un déficit qui est trop élevé. Regardons cela d'un peu plus près. Il y a deux façons d'examiner les déficits ou les emprunts des gouvernements. On peut regarder le gouvernement tout seul, j'allais dire tout nu, ou bien on peut

regarder les emprunts de tout le secteur public qui relève de ce gouvernement à un titre ou à un autre. Bien sûr, un gouvernement peut, en un certain sens, jouer avec ses comptes d'emprunts. Il peut faire emprunter pour lui-même. Par exemple, quand on crée la RIO et qu'on fait emprunter la RIO, cela n'apparaît pas dans les emprunts du gouvernement, mais c'est garanti par le gouvernement et c'est, en fait, un emprunt du gouvernement, sauf que cela s'appelle RIO.

A l'égard d'une municipalité, on peut faire emprunter la municipalité pour tout le montant des travaux, ou bien on peut payer une subvention du gouvernement à la municipalité qui, elle, emprunte moins alors que le gouvernement emprunte plus, ou on peut faire le contraire. Il y a là des jeux de vases communicants que tout le monde, un peu familier avec les finances publiques, connaît fort bien. Dans ces conditions, il est important de voir justement comment nous avons réussi, je pense, à épurer la situation financière de tout le secteur public au Québec, non seulement le gouvernement, mais les autorités locales, les municipalités, les commissions scolaires, les agences du gouvernement. Ces emprunts du secteur public québécois, cela représente... Comment cela a-t-il évolué depuis quelques années?

Si j'établis la proportion de tous les emprunts du secteur public québécois par rapport au produit intérieur brut, à la production nationale du Québec, on arrive à quel résultat? En 1975, ces emprunts-là représentent 8,5%, presque 9% de la production nationale; en 1976, 12%; en 1977, 7,8%; — ce sont des années à nous, M. le Président — en 1978, 7,5%; en 1979, 6,9%. On nous avait laissé une situation où le secteur public québécois par rapport à la production nationale du temps avait atteint un sommet presque deux fois plus élevé que ce que nous avons connu en 1979, et on vient nous dire, M. le Président, qu'on n'a pas épuré les finances! Allons donc! En fait, le présent gouvernement aura réussi enfin à corriger petit à petit, par une persistance de plusieurs années, l'extraordinaire feu d'artifice qu'on nous avait légué.

On nous dit, bien sûr: Cette année, les emprunts vont être plus élevés que l'an dernier. C'est vrai. Remarquez qu'ils resteront beaucoup moins élevés, les besoins financiers nets en pourcentage de nos revenus que ce que nous avons connu à l'occasion de la dernière année qu'on nous avait léguée. Mais, encore une fois, c'est quand l'économie ne va pas très bien en Amérique du Nord que les gouvernements ont la responsabilité d'ouvrir le robinet un peu, dans la mesure, bien sûr, de leurs moyens.

Est-ce qu'on pense que nous aurons des difficultés, alors que nous sommes justement en mesure d'ouvrir un peu le robinet, à financer ce niveau d'emprunts cette année? Pas le moins du monde! Et j'en veux ici comme preuve toutes ces déclarations que nous avons vues après le discours du budget, venant de toutes espèces de maisons financières qui nous connaissent bien. Je pense à Wood Gundy et à Lévesque Beaubien, à la

Banque Nationale, aux analystes de chez Green-shields disant: Mais le gouvernement du Québec n'aura aucune espèce de problème à financer le déficit cette année. J'en donne comme exemple simplement la déclaration de M. Michael Scott, par exemple, de Wood Gundy, disant simplement ceci: "Le ministre Parizeau a fait ce qu'il avait à faire, commente Michael Scott; c'est un budget que j'approuve." Autre réaction d'un autre analyste financier: "C'est un budget expansionniste, il en fallait un." Autre réaction de la Banque Nationale: "Ce budget a le mérite de se justifier tant au plan des objectifs politiques du gouvernement que sur le plan économique; il est contracyclique. M. Parizeau fait d'une pierre deux coups." Apparemment, il n'y aura pas de problèmes pour financer ce déficit. Ce qu'on reconnaît, en somme, dans les milieux financiers, c'est qu'au moment où le gouvernement devait être expansionniste, il l'a été.

J'en conclus donc, M. le Président, qu'à travers les aléas de contrôles financiers qui ne sont pas toujours faciles, à travers les pressions d'une société qui, inévitablement, en demande toujours davantage; en dépit des appétits des salariés de l'Etat qui, à certains égards, sont justifiés, quand le taux de l'inflation est assez fort; en dépit des discussions que nous avons avec le gouvernement fédéral qui a toujours tendance à pelleter sa neige dans notre cour et à nous envoyer les dépenses qu'il n'est plus capable d'assumer; en dépit de tout cela, nous aurons réussi jusqu'à maintenant à poursuivre un certain nombre d'objectifs fondamentaux, c'est-à-dire à réduire le fardeau fiscal du Québécois et, d'autre part, à assainir les finances publiques.

Voilà à peu près ce que je voulais dire de ce discours du budget et de cette orientation financière du gouvernement. Il était évident, inévitable aussi que ce travail que nous cherchons à faire sur le plan des finances publiques prépare l'échéance politique que nous connaissons bien et qui était ce choix que nous avions à faire à l'occasion du référendum. Le public a tranché. On me demandera si mes convictions ont changé. Je dirai: Non, mes convictions n'ont pas changé. Je reste toujours persuadé que la souveraineté du Québec est le moyen le meilleur d'assurer la prospérité du Québec, son épanouissement, est toujours le meilleur moyen de faire en sorte que les Québécois trouvent la voie de l'avenir qui se révélerait la plus profondément satisfaisante. Mais le public, la population du Québec en a décidé autrement. Dans ces conditions, avec toutes les convictions que je garde, profondément convaincu encore, comme indépendantiste, de l'option qui me paraît toujours la plus souhaitable, je dois faire ce que j'ai fait à plusieurs occasions dans ma vie, ce que nous avons tous à faire — parce que, la vie, c'est comme ça — c'est-à-dire me dire: Alors, il faut suivre manifestement la décision démocratique de la population. (17 h 40)

J'ai appris, dans le parti politique auquel je suis fier d'appartenir à être bon soldat et j'apprends, dans la société à laquelle j'appartiens et à

laquelle je suis fier d'appartenir, à être bon soldat. Ceci veut dire, donc, qu'on se recycle dans le fédéralisme. A cet égard, ayant quelques années de discussions de cet ordre derrière moi, il y a donc un certain nombre de choses qui me paraissent évidentes au moment où s'amorcent les négociations. J'aimerais en faire état, parce qu'à un moment donné, les discussions constitutionnelles, M. le Président, ça entre dans le concret et il faut apprendre à être concret. Et si tant est que les modestes contributions comme fédéraliste autrefois, que j'ai pu faire à cette machine, puissent servir maintenant, eh bien, qu'elles servent.

Le système constitutionnel dans lequel nous vivons a ceci de particulier qu'il peut fort bien prêter à illusion sur les véritables enjeux. Je pense que c'est inévitable et c'est vrai dans la plupart des pays. La constitution, c'est une chose, le fonctionnement au jour le jour, c'en est une toute autre. Cela fait très longtemps que nous discutons de réformes constitutionnelles au Canada. Il y a un certain nombre de zones, il y a un certain nombre de champs où, au fond, tout le monde s'entend sur la nécessité d'améliorer le système. Par exemple, depuis une bonne vingtaine d'années, on discute d'une opération qui consisterait à clarifier ce qu'on appelle les zones grises.

Quand la constitution de 1867 a été écrite, il n'y avait pas d'avions ou de câblodiffusion et il y avait toute une série de choses qui n'existaient pas. D'autre part, un certain nombre de situations économiques ou financières ne se présentaient pas du tout de la même façon qu'à notre époque. Donc, le résultat, c'est que des malheureux juges doivent se gratter l'occiput pour interpréter un texte de 1867 dans la réalité d'aujourd'hui. Ce n'est pas toujours facile. Je reconnais que c'est une opération qui, à certains moments, peut devenir extraordinairement pénible, simplement sur le plan de l'interprétation des mots et des situations. Le nettoyage des zones grises, la clarification des zones grises, ça fait à peu près 20 ans qu'on s'entend sur la nécessité de faire ça. Je ne dis pas que ça a fait beaucoup de progrès. Enfin, tout le monde s'entend, au moins, sur la nécessité du principe.

Deuxièmement, on semble s'entendre sur l'utilité de limiter certains pouvoirs fédéraux et, au fond, trois pouvoirs fédéraux qui sont constamment discutés: le droit de désaveu, le pouvoir déclaratoire et le droit de dépenser. Les deux premiers sont un peu en train de tomber en quenouilles. C'est une des raisons pour lesquelles on n'a pas trop d'objections à limiter ça. A toutes fins pratiques, ce n'est pas utilisé tous les jours. D'autre part, ce ne sont pas des pouvoirs qui sont à ce point excitants que les gens se battent dans les autobus. Le pouvoir de dépenser, lui, est plus sérieux. Il est, jusqu'à un certain point, un des centres importants du débat.

La troisième zone où on s'entend sur un certain nombre de choses, un peu partout au Canada, c'est sur la restructuration des institutions. Là, encore, ce n'est pas toujours majeur, ce qui est proposé comme restructuration. Il y a, par exem- ple, la restructuration de la Cour suprême. Ce débat-là doit exister depuis que la Cour suprême a été créée. D'autre part, la réorganisation du Sénat, sous une forme ou sous une autre, il va falloir y passer. Cela n'a pas de sens d'entretenir une institution aussi honorable que celle-là et, tous les ans, d'avoir des hommes politiques qui disent: II faudrait changer ça; ça ne marche pas bien. Le Sénat est l'organisme le plus critiqué et le plus inoffensif de notre vie politique. Mais il faudrait quand même en faire quelque chose; au moins, je l'admets. Mais, là encore, M. le Président, sur des choses comme ça, on ne se battra pas dans les autobus. Le quatrième domaine où on s'entend qu'il faut faire un certain nombre de transformations, c'est dans l'administration d'un certain nombre de programmes; là on entre davantage dans la viande. Il y a des programmes où chaque gouvernement peut fort bien ne pas avoir exactement les mêmes priorités, les mêmes orientations. Je pense, en particulier, aux programmes sociaux. On n'a pas tous la même vue du programme de revenu minimum garanti. Le problème consiste à savoir qui définit le programme et qui envoie les chèques. Le problème de savoir qui envoie les chèques est distinct de savoir qui définit le programme. Qui définit le programme, c'est une politique sociale; qui envoie les chèques, c'est une façon de se rappeler au bon souvenir de l'électeur. Donc, ce n'est pas tout à fait la même question. Mais, enfin, c'est relié, je l'admets.

Il est évident, par exemple, que les pensions de vieillesse dont tout le monde s'imagine que cela existe de toute éternité entre les mains du gouvernement fédéral n'ont été concédées comme pouvoir constitutionnel au gouvernement fédéral que depuis 1951. C'est très récent. Avant, c'était de la compétence des provinces.

Imaginons simplement ce qui se serait passé si, en 1951, cet amendement n'avait pas été adopté, si c'étaient les provinces qui distribuaient les chèques de pension de vieillesse. Vous rendez-vous compte à quel point une possibilité de chantage serait disparue? Remarquez que c'est peut-être la meilleure façon de faire disparaître le chantage que de transférer les pensions de vieillesse au Québec. Il faudrait en parler, n'est-ce pas?

Ceci étant dit, une fois qu'on a défini un certain nombre de zones comme celles-là, il faut quand même se rendre compte que la constitution ne s'adresse pas nécessairement à la totalité des problèmes de rapports entre les gouvernements. En fait, les rapports entre les gouvernements sont déterminés par bien d'autres choses, et, en particulier, la façon dont l'argent est contrôlé, partagé et distribué. Je voudrais simplement vous faire noter qu'à cet égard une constitution n'a habituellement à peu près rien à dire dans ce domaine, si on se fie à un certain nombre d'exemples historiques. Je ne veux pas dire qu'elles ne devraient avoir rien à dire, mais enfin, historiquement elles n'ont eu à peu près rien à dire.

Prenons, par exemple, le cas de la constitution américaine. On pourrait imaginer un instant

que c'est une constitution très décentralisée; en fait, c'est une des constitutions fédérales les plus centralisées qui existent. Pourquoi? Parce que le gouvernement fédéral s'est toujours entendu pour ne pas payer, ne pas faire de transferts inconditionnels aux Etats. Il ne donne pas d'argent aux Etats en disant: Dépensez cela comme vous voudrez. Il dit: Vous êtes un Etat pauvre, le Mississippi, pour tel programme de routes, si vous acceptez mon tracé des routes, mes critères de routes, je vous paierai 70% et vous, Etat de New York, vous êtes un Etat riche, je vous en paierai 30%. Il n'y a pas de péréquation aux Etats-Unis, cela n'existe pas. Il n'y a pas de transferts inconditionnels. Il n'y a pas d'argent donné par le fédéral aux Etats. Donc, apparemment, la constitution américaine est tout aussi décentralisée que la nôtre; en pratique, c'est un centralisme absolument terrifiant.

Il y a quelque chose d'un peu amusant qui s'est passé pendant la campagne référendaire où on disait, je ne sais plus quel premier ministre d'une province de l'Ouest: Mais si le Québec quittait le Canada, est-ce que vous, vous entreriez aux Etats-Unis? Il dit: Malheureux, jamais! Avec un contrôle comme celui de Washington, je préfère Ottawa. Evidemment.

Fondamentalement, il s'agit de savoir comment le gouvernement central peut orienter les décisions des Etats ou des provinces par la façon dont l'argent circule. Nous avons connu au Canada une situation, dans les années cinquante, où le gouvernement fédéral avait organisé toute une série de programmes à frais partagés où il disait aux provinces: Si vous voulez suivre l'orientation que je veux donner aux priorités nationales, je mettrai $1 pour chaque $1 que vous mettez. Si vous refusez mes priorités à moi, gouvernement fédéral, je ne paie pas un cent. On a eu une collection, une avalanche de programmes conjoints de cet ordre. On a assisté, à un moment donné, à une situation où certaines provinces des Maritimes sont passées proche d'un Etat où leur perception d'impôt aurait servi presque exclusivement à établir la contrepartie des programmes fédéraux. Elles n'auraient eu à peu près plus d'argent à dépenser, sauf pour leur Assemblée nationale et leur café du Parlement. La totalité de leur perception d'impôt aurait servi essentiellement à des contreparties de 50-50 des programmes fédéraux. Dans ce sens-là, le Canada a passé dans les années cinquante, à une situation très proche de celle qu'on connaît aux Etats-Unis.

Là, le gouvernement fédéral a décidé de changer d'attitude; il s'est engagé, largement à cause des pressions du Québec, des gouvernements successifs au Québec, dans une voie où ii distribuait de l'argent aux provinces sans conditions, et de plus en plus d'argent sans conditions: Faites-en ce que vous voudrez! Seulement, après s'être engagé longuement dans cette voie, il s'est rendu compte que les provinces commençaient à avoir des contacts très étroits avec les électeurs. L'idée de l'unité nationale du Canada est apparue dans le genre de: II faudrait quand même qu'on ait, nous aussi, beaucoup de chèques à distribuer chez les particuliers. Donc, le gouvernement fédéral s'est engagé dans une phase où il se rappelait au bon souvenir des électeurs en faisant des distributions directes aux particuliers. La dernière que nous avons vue était les $85 de M. Chrétien, il n'y a pas si longtemps. (17 h 50)

D'autre part, on a aussi connu une phase, au gouvernement fédéral, où on voulait réduire les impôts, et on les a réduits. Là, on s'est rendu compte que les provinces commençaient à s'engager dans des tas de nouveaux programmes où le gouvernement fédéral risquait d'être absent, en particulier dans le domaine industriel, dans le domaine du développement régional. Le gouvernement fédéral s'est mis à ajouter des programmes par-dessus ceux des provinces ou à côté de ceux des provinces. C'est ainsi qu'on est arrivé à une collection de chevauchements absolument remarquable. Je n'ai pas besoin de refaire ici le procès des chevauchements ou des doubles emplois, il a été fait suffisamment souvent.

Le résultat de cette politique est que le gouvernement fédéral s'est mis à développer des déficits de plus en plus considérables. Voulant atteindre tous les objectifs à la fois, voulant doubler ce que faisaient les provinces, voulant chevaucher toutes leurs initiatives et décidant, en plus de cela, en 1974, de ne pas augmenter le prix du pétrole canadien au même niveau que le niveau international, le gouvernement fédéral s'est finalement trouvé dans une situation de déficit effroyable, de déficit qui n'existe nulle part chez les provinces canadiennes. Comprenons-nous bien! Quand j'entendais un représentant de l'Union Nationale dans cette Chambre, à l'occasion du débat sur le discours sur le budget, dire "le déficit est considérable au Québec, heureusement qu'on a un gouvernement supérieur", mais enfin, il n'a pas regardé les chiffres, le malheureux!

La situation du gouvernement fédéral, sur le plan financier, est catastrophique. On ne peut pas en dire autant des provinces canadiennes. Les autres provinces canadiennes, dans l'ensemble, sont très bien gérées. Le Canada, parce que c'est ce qu'on appelle les "junior gouvernements", est géré de façon honnête et correcte; le fédéral s'est placé dans une situation financière absolument désespérée. Cela ne s'est pas trop vu au cours des moments récents parce qu'il fallait quand même que les non puissent gagner le référendum. Il y a des gestes qui n'ont pas été posés et qui auraient dû être posés pour corriger une situation et qui ne l'ont pas été parce que le référendum s'en venait au Québec. Mais là, la période référendaire est terminée; il faut regarder la situation telle qu'elle est. Un peu comme dans ce conte pour enfants, il faut se placer devant le roi et dire: Le roi est nu, parce qu'il est nu, le roi canadien. Il s'est dévêtu de toutes les protections qu'il pouvait avoir sur le plan financier. Le strip-tease auquel il a procédé depuis un certain nombre d'années sur le plan financier le laisse — si vous me passez l'expression — à poil.

Alors là, II est forcé de poser un certain nombre de gestes; il faut qu'il pense à se rhabiller, parce que, financièrement, l'hiver s'en vient. C'est urgent et cela ne peut pas se faire de 25 façons différentes. D'autant plus que, dans l'intervalle, et c'est peut-être un des aspects les plus sérieux de la situation, ce gouvernement qui entrait dans des déficits considérables a laissé une province partir avec la caisse. L'Alberta, à l'occasion de la situation pétrolière qui est apparue, est dans une situation financière absolument étonnante. Je m'excuse de parler de l'Alberta dans cette Chambre mais, encore une fois, M. le Président, comme je me recycle dans le fédéralisme, je suis obligé de parler du système fédéral. Il y a donc des considérations que je n'évoquais jamais mais, j'espère que nos amis d'en face ne m'en tiendront pas rigueur. Donc, je vais parler un peu de l'Alberta.

L'Alberta est partie littéralement avec la caisse. Le surplus budgétaire de l'Alberta, à la fin de cette année, sera presque deux fois supérieur à la totalité de tous les déficits provinciaux, de Terre-Neuve jusqu'au Manitoba. L'Alberta, à la fin de cette année, pourra supprimer tous les impôts et taxes sur ses particuliers et cela réduirait son surplus budgétaire d'à peu près un tiers. C'est-à-dire que nous nous trouvons placés devant un gouvernement fédéral qui n'a plus de moyens, qui n'est plus capable d'assurer ses responsabilités de redistribution, qui n'est plus capable d'assurer ses responsabilités de réduire les écarts économiques régionaux et devant une province qui, au contraire, commence à acquérir les moyens de jouer un rôle national, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. Et advenant qu'on laisse monter le prix du pétrole de plusieurs dollars, que fera-t-on en période de récession? Le gouvernement national dira: II nous faudrait des programmes de main-d'oeuvre "coast to coast", d'un océan à l'autre. L'Alberta, vous ne pourriez pas les financer parce que c'est là qu'est l'argent. Il faudrait un programme de travaux publics en période de récession à travers le Canada. Le gouvernement fédéral téléphonera à Edmonton en disant: Auriez-vous l'obligeance de me financer mes bureaux de poste à Terre-Neuve? Sur le plan financier, encore une fois, le Canada est dans une situation qui est critique.

Comment peut-on rebalancer cela? Vous comprendrez, M. le Président, que même si je veux donner toute une série de réponses à nos amis d'en face, ce n'est quand même pas aujourd'hui qu'on va refaire la politique fiscale du gouvernement fédéral, d'autant plus que si j'essayais de faire cela, ils pourraient me demander de quoi je me mêle. Mais il n'en reste pas moins que les gestes qui vont être posés vont être payés par quelqu'un.

Lorsque le gouvernement fédéral fait flotter l'hypothèse d'abolir l'indexation de l'impôt, sait-on ce que cela veut dire? Cela se prend au Québec, cet argent. C'est le contribuable québécois qui va payer cela. Cela va coûter pour la première année, aux contribuables québécois, $300 000 000 et au gouvernement du Québec, cela va lui coûter $125 000 000 et après, cela monte. C'est dans l'ascenseur. Se rend-on compte que $1 d'augmentation sur le baril de pétrole de 35 gallons — ce n'est pas grand-chose, $1, surtout à notre époque — cela déplace à travers le Canada $750 000 000 par dollar d'augmentation du baril.

Chez qui cela se prend-il? Cela se prend chez celui qui va faire faire le plein d'essence ou bien qui remplit son réservoir d'huile à chauffage. Seulement, à partir de là, l'argent se promène et où va-t-il? Il revient au gouvernement du Québec? Oui, un peu, à cause de la disposition qu'on a prise dans le dernier budget de transformer notre taxe sur l'essence en cents en pourcentage. On va en tirer un peu, pas grand-chose. L'essentiel de l'argent va aller à Ottawa ou en Alberta ou aux compagnies ou les trois, mais n'importe quelle combinaison des trois. C'est nous qui allons payer. C'est le fédéral qui va recevoir, l'Alberta et une dizaine de compagnies.

Vous comprendrez dans ces conditions, M. le Président, que cela nous intéresse, vitalement, comme gouvernement, si nous nous en allons négocier à Ottawa. C'est au moins aussi important que le droit de désaveu. C'est presque aussi important que la réforme du Sénat parce que cela représente, en fait, la possibilité de réduire le niveau de vie des Québécois dans des proportions très considérables. Pensez au niveau international pour le pétrole. A l'heure actuelle, dans certaines conditions, et rapidement, cela va avoir une influence indiscutable, comme nos amis d'en face l'ont répété pendant toute la campagne référendaire.

M. le Président, j'aimerais que nous ayons de l'Opposition officielle un certain nombre de ses idées quant à la façon de traiter ces problèmes centraux au fonctionnement de la fédération canadienne. Le chef de l'Opposition ne va pas beaucoup plus loin que de dire qu'il faut avoir l'esprit ouvert, être impartial et objectif. Je veux bien, mais cela ne me donne pas grand-chose quant à savoir s'il est pour ou contre le retrait de l'indexation des impôts. Est-il pour ou contre? Il nous dit que nous ne sommes pas capables de négocier ces choses-là. Au moins, on les voit; lui n'a pas l'air de les voir.

Qu'est-ce que le chef de l'Opposition pense du prix international pour le pétrole? Est-il pour ou est-il contre? J'aimerais savoir cela.

Une Voix: On ne le sait pas.

M. Parizeau: Le livre beige est d'une discrétion sur les mouvements d'argent entre les gouvernements, d'une discrétion exemplaire. Il y a à peu près pas moyen de savoir ce que les auteurs pensent de ce "petit" phénomène de la circulation de milliards de dollars qui partent de la poche d'un certain nombre de contribuables et qui circulent ensuite entre les gouvernements. Il est à peu près muet sur cette question. (18 heures)

En fait, le chef de l'Opposition a eu des propositions précises sur un seul sujet. Il a suggéré qu'il

y ait une agence fédérale-provinciale de perception des impôts. C'est la seule chose claire que j'ai eue de lui depuis longtemps sur l'ensemble de ces questions. Une agence fédérale-provinciale de perception des impôts qui mettrait le gouvernement du Québec littéralement à la merci d'un organisme où il serait minoritaire pour la perception de ses fonds. Compte tenu du fait qu'il entre un montant de $300 000 000 par semaine au gouvernement du Québec, je tremble un peu à l'idée de mettre des sommes pareilles entre les mains d'une agence où nous serions minoritaires. C'est la seule suggestion précise que nous ayons eue du chef de l'Opposition sur l'ensemble de ces questions fiscales. Et il vient dire qu'on ne peut pas négocier dans le meilleur intérêt des Québécois? Allons donc! On a déjà une longue avance sur lui. Un long temps dans l'Opposition lui fera du bien pour qu'il apprenne ces choses-là. C'est important, cela s'apprend.

En fait, à l'égard de chacun des champs dont je viens de parler, nous pouvons avoir des réponses assez claires. Est-ce que nous sommes d'accord avec un objectif de clarification, dont je parlais tout à l'heure, de cette vieille constitution? Oui, on ne peut pas être en désaccord avec ça. C'est un objectif intelligent. On ne peut tout de même pas s'opposer à ce que, dorénavant, les cours de justice puissent prendre des décisions plus faciles parce que la constitution sera plus claire! Là-dessus, c'est une question d'homme de bonne compagnie et de bon sens que de dire: Bien oui, pourquoi pas?

Est-ce qu'on est d'accord pour limiter les pouvoirs fédéraux? Bien oui, bien sûr, surtout ceux qui tombent en quenouille. Sur le droit de dépenser du gouvernement fédéral, il y a plusieurs provinces qui se sont toujours opposées à ce droit très vaste de dépenser du gouvernement fédéral dans tous les domaines. On va se battre comme des tigres dans ce domaine. Maintenant, on ira jusqu'où on peut, n'est-ce pas? Quand le tigre rencontre la panthère, c'est toujours difficile de savoir où va se situer exactement la frontière après.

Mais il est évident que le fédéral va en vouloir le plus possible, les provinces le moins possible et il va falloir trouver une sorte d'arrangement. Encore une fois, c'est une question qui se discute depuis 20 ans. Il n'y a rien de particulièrement nouveau.

Est-ce qu'on sera d'accord avec la restructuration des institutions? Moi, je ne sais pas; pourquoi pas? Cela vaut la peine de regarder. Je n'ai pas de position très précise sur le nombre de juges qu'il doit y avoir à la Cour suprême ou est-ce qu'un Franco-Ontarien doit y siéger? On verra. Encore une fois, ce sont des choses, n'est-ce pas... On ne peut pas dire qu'on refusera d'examiner ces choses. Aucun homme de bon sens ne refuserait ça.

L'administration des programmes, oui. Je pense que l'idée que j'ai exprimée un peu plus tôt devant cette Assemblée sur l'administration des programmes, il y a peut-être un certain nombre de choses auxquelles nous tiendrons. Je crois que ce serait une oeuvre pie, que ce serait une oeuvre responsable de faire en sorte que, dorénavant, le gouvernement de Québec distribuant tous les chèques de pension de vieillesse, on ne puisse plus faire chanter un vieillard dans notre société.

Et ça rejoindrait d'ailleurs des prises de position de nos amis d'en face, de l'un ou l'autre des deux partis, qui ont toujours demandé le rapatriement de la sécurité sociale. C'est ça que ces messieurs demandaient, n'est-ce pas? Ce serait épatant. Pensez que, premièrement, on pourrait faire l'unanimité dans cette Chambre et, deuxièmement, on ne pourrait plus faire chanter les vieillards. C'est merveilleux.

Seulement, il reste qu'il y a bien d'autres choses que nous voulons à l'occasion de ces discussions. D'abord, on veut comprendre où le gouvernement fédéral s'en va sur le plan de l'argent. Parce que ça, nous avons quand même la responsabilité de défendre nos contribuables et nos consommateurs. Il faut savoir quels sont les plans du fédéral. Il faut qu'il explique clairement où il s'en va et, maintenant qu'il n'a plus cette échéance référendaire, il n'a pas raison de continuer de taponner. Ce gouvernement n'a pas de budget depuis deux ans. Il est presque temps qu'il se décide.

Il faut qu'il nous dise ce qu'il a l'intention de faire avec le prix du pétrole. Qu'on ne vienne pas nous dire qu'il faudrait qu'on s'approche de lui avec des propositions au lac Harrington, le 9. Qu'est-ce que vous voulez, quand même, j'imagine qu'après les années qu'il a passées à discuter de cela le gouvernement fédéral doit avoir quelques idées sur le prix du pétrole. Enfin, je l'espère.

Mais, d'autre part, nous, on peut difficilement admettre que toutes ces questions d'argent se discutent bilatéralement, c'est-à-dire que le fédéral discute le pétrole avec l'Alberta et la Saskatchewan, le gaz naturel avec les provinces séparément, l'électricité avec d'autres, les changements d'impôts avec personne. Ce qui est important, c'est que tout ce qui touche à ces mouvements d'argent qui sont essentiels au fonctionnement d'un régime politique soit mis sur la table avec le reste, assez rapidement, pour savoir où tous ensemble — puisque, dit-on, nous devons maintenant vivre tous ensemble — nous allons.

Evidemment, il n'est pas du tout certain, M. le Président, que cet exercice intéressant, je n'en disconviens pas, qui me rappelle mes anciennes amours, je n'en disconviens pas non plus, puisse tourner en quenouille assez rapidement, puisse s'arrêter assez rapidement. Et ce serait dans le cas qui, effectivement, semble être soulevé depuis hier, mais dont nous avons déjà eu des échos à la Chambre des communes pendant, justement, la période référendaire à l'occasion d'un vote qui s'y est tenu.

C'est cette histoire du rapatriement de la constitution. Le rapatriement unilatéral de la constitution par le gouvernement fédéral a des conséquences majeures. Il faut bien comprendre ce que cela veut dire. Le rapatriement unilatéral de la

constitution par le gouvernement fédéral veut dire que cette loi anglaise à l'heure actuelle, bien des gens seraient fiers de la voir devenir une loi canadienne, sauf que cela serait une loi fédérale et que, dans ces conditions, si le gouvernement fédéral voulait, théoriquement, dire: L'éducation, ce n'est plus de compétence provinciale, c'est dorénavant une compétence fédérale, bien, il faut dire: Oui, monsieur. C'est cela que ça veut dire, le rapatriement unilatéral de la constitution. Cela devient une loi fédérale où le fédéral fait ce qu'il veut dans un Parlement où nous sommes minoritaires.

On nous dira: Le premier ministre du Canada, il ne nous fera jamais le coup. Je comprends. Enfin, je ne sais pas, moi. Il ne faut pas lire à travers les esprits. Mais je peux rappeler ce que disait le général de Gaulle: "L'avenir dure longtemps".

Et le rapatriement unilatéral de la constitution, évidemment, peut arrêter des tas d'exercices, en ce sens que là, au fond, il n'y aurait plus de discussions sur un nouveau cadre constitutionnel; il y aurait des consultations de provinces. Mais des consultations de provinces, on sait bien que cela ne va jamais très loin et que la consultation pour le gouvernement fédérai depuis des années, cela consiste à organiser une espèce de club social, qui a très souvent l'air d'un club social de vieux garçons, d'ailleurs, où on prend l'opinion de chacun et après cela, on va faire ce qu'on veut.

Alors, ou bien, effectivement, cet exercice constitutionnel peut se poursuivre ou bien il peut s'arrêter, dépendant de la décision que le gouvernement fédéral prendra quant au rapatriement de la constitution, quant à la façon dont cela va être fait et surtout quant à la façon de savoir si cela sera fait unitaléralement ou pas.

Voilà, M. le Président, ce que je voulais dire, à la fois sur la politique financière du gouvernement jusqu'à maintenant, sur la politique financière du gouvernement à partir de maintenant. Jusqu'ici, nous étions très pris par nos propres problèmes. Préparant l'avenir que nous entrevoyions à ce moment-là, on avait tendance à mettre l'accent bien davantage sur les questions financières au Québec et nos rapports exclusivement avec Ottawa. Il n'y a pas de doute que, maintenant, nous allons avoir à discuter non pas seulement des problèmes financiers du Québec et de ceux d'Ottawa, mais de ceux de l'ensemble des provinces. Nous chercherons à le faire, M. le Président, en ayant à l'esprit, fondamentalement, la protection mais la protection rigoureuse à la fois du consommateur québécois et du contribuable québécois.

Merci, M. le Président!

Le Président: Je crois qu'il y a eu entente pour que le vote sur le budget et les motions de censure n'aient lieu que demain. Est-ce que c'est d'accord?

Une Voix: D'accord.

Le Président: Alors, dans ces conditions, puisqu'il est passé dix-huit heures, l'Assemblée va ajourner ses travaux à demain, dix heures.

Fin de la séance à 18 h 10

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