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(Dix heures seize minutes)
Le Président: À l'ordre, mesdames et messieurs!
Un moment de recueillement.
Veuillez vous asseoir.
M. le leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, conformément à
la motion adoptée hier soir, je propose que nous étudiions
maintenant ce qui apparaît à l'article 1) du feuilleton.
Motion affirmant l'opposition de
l'Assemblée
à la démarche unilatérale du
gouvernement
fédéral en vue de faire modifier
la
Constitution canadienne
Le Président: C'est la motion suivante:
"L'Assemblée nationale du Québec s'oppose formellement à
la démarche entreprise par le gouvernement fédéral, de
façon unilatérale et malgré l'opposition de la
majorité des provinces, en vue de faire modifier la constitution du
Canada par le Parlement britannique au lieu d'en poursuivre ici le
renouvellement par voie de négociations. Puisque cette constitution
définit, depuis 1867, les droits du Québec en tant qu'Etat membre
fondateur de la fédération canadienne, l'Assemblée
nationale demande aux membres du Parlement du Canada et du Parlement du
Royaume-Uni de ne pas donner suite à cette démarche
unilatérale qui est contraire à la nature même du
système fédéral et à la règle bien
établie du nécessaire consentement des provinces."
M. Levesque (Bonaventure): Un instant, si on me le permet, M. le
Président. Je ne sais pas si on ne pourrait pas songer à
suspendre quelques minutes. On a dit, hier, que c'était une question
très importante et très urgente et je vois qu'il n'y a que trois
ministres en Chambre et qu'il y a très peu de députés. Je
me demande si le discours supposément urgent et important, du premier
ministre ne devrait pas être entendu au moins par le cabinet.
Des voix: Oui. Je comprends. Le Président: M. le
leader.
M. Charron: M. le Président, l'information que j'ai, c'est
que mes collègues sont en route vers la Chambre.
Des voix: Ah!
M. Charron: Je veux bien accepter une proposition de suspension
de quelques minutes.
Une voix: Faut-il qu'ils passent par Ottawa?
Le Président: Alors, de consentement unanime,
l'Assemblée est suspendue pour quelques minutes.
(suspension de la séance à 10 h 19)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît.
Veuillez vous asseoir.
M. le premier ministre du Québec.
M. René Lévesque
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, c'est, je
crois que nous en sommes tous conscients, une rare occasion de
dépassement qui se présente pour l'Assemblée nationale. Je
vais tâcher de mon mieux d'en être digne en étant aussi
bref, aussi concis que possible et en tâchant de ne pas gâter
l'occasion en essayant de porter des coups qui seraient inutiles et qui
seraient sûrement antiproductifs dans les circonstances. Par exemple, il
y a beaucoup de choses que je pourrais reprendre dans le discours qu'a
prononcé hier le chef de l'Opposition, en particulier sur cette heure
tout entière qu'il a consacrée au sujet constitutionnel. II n'a
pas trouvé le moyen, à ce moment-là, je suis sûr
qu'il le trouvera cette semaine, de conclure d'une façon vraiment claire
et précise, ni d'évoquer non plus les espoirs que les tenants du
non avaient tous tâché à l'envie de susciter pendant la
campagne référendaire. C'était même plus que cela en
fait; on faisait miroiter, et avec bonne foi, j'en suis sûr, pour la
plupart de ceux qui sont ici dans cette Chambre, des garanties solennelles de
renouveau, d'un renouveau du régime qui serait favorable aux aspirations
bien connues et si longtemps nourries du peuple québécois. Ce
renouveau était censé découler de ce non dont on disait
qu'il était québécois. (10 h 30)
Je dois dire que sur ces deux plans, l'intervention, hier, du
député de Gaspé, quant à elle, aura
été aussi claire que concise et, en quelques minutes seulement,
elle a débouché sur la conclusion qui lui semblait en tout cas
s'imposer.
Cependant, même si le chef de l'Opposition nous a bien dit qu'il
se refuserait à toute croisade - je crois que c'est l'expression qu'il a
employée - je veux croire qu'il est aussi conscient, qu'il demeure aussi
conscient que nous tous de la gravité de l'heure et de l'urgence
véritable qu'elle nous impose dans l'intérêt du
Québec et dans l'intérêt de son avenir. Je crois,
d'ailleurs, qu'en cours de route, hier, le chef de l'Opposition - sauf erreur,
en tout cas - a laissé entendre que tel était le cas pour lui
aussi.
Quoi qu'il en soit, à cause justement de la gravité
exceptionnelle de la situation, je vais me refuser le douteux plaisir de
décortiquer les discours qui ont été prononcés
hier; on aura tout le temps qu'il faut pour en discuter et, quant à
nous, pour y apporter des précisions ou des corrections qui nous
paraîtraient indiquées.
Ce qui se passe aujourd'hui et dans les jours qui viennent, autant que
possible, du moins je pense que nous l'espérons tous, dans un climat
d'harmonie et de sérénité, c'est qu'il est pressant que
l'Assemblée nationale se prononce au plus tôt, à cause de
l'échéancier extrêmement serré,
l'échéancier proprement affolant qu'on a fixé à
Ottawa. Il faut qu'on se prononce sur ce coup de
force, cet assaut fédéral dont l'Assemblée
nationale elle-même, je pense qu'on l'a tous noté, est l'une des
cibles, puisqu'on prétend, entre autres choses, réduire
unilatéralement, en fait faire réduire à l'étranger
des pouvoirs non seulement essentiels, mais souverains qui appartiennent aux
parlementaires québécois et, en dernière analyse, qui
appartiennent à ceux qui les élisent depuis 113 ans. Il y a
ça et il y a bien autre chose aussi, dans ce coup de force et, je le
répète, il nous semble vital, si c'est humainement possible -
quant à moi, je ne vois aucune raison valable pour que ce ne soit pas
possible - que l'Assemblée nationale soit unanime à s'y
opposer.
D'abord, rapidement, il faut redire les faits et redire aussi pourquoi
ce geste unilatéral d'Ottawa ne doit pas passer ou, en tout cas, qu'on
doit tout faire, si on se respecte comme Québécois, ce qui est
humainement possible pour l'empêcher de passer.
Le premier ministre fédéral et ses porte-parole essaient
souvent de faire croire que l'enjeu de toute cette manoeuvre, c'est simplement
le rapatriement. Quand ils disent ça, ils ne disent pas la
vérité, nous le savons tous. Le véritable enjeu qu'on
essaie de camoufler, tant bien que mal, c'est le suivant: c'est de faire
approuver par un Parlement étranger, sans l'accord explicite des
citoyens, contre la volonté de la plupart des gouvernements des
provinces et avec des conséquences qui seraient particulièrement
graves pour le Québec, des changements fondamentaux à la
constitution existante.
À entendre les auteurs de cette manoeuvre, cette intervention de
Londres serait quelque chose comme une pure formalité. On voudrait en
quelque sorte nous faire croire qu'il y a eu un pacte secret entre M. Trudeau
et Mme Thatcher. On voudrait aussi du même coup nous faire croire que
rien, pas même un avis contraire des tribunaux éventuellement, pas
même l'opposition de la majorité des provinces, pas même une
résistance de plus en plus claire qui s'organise au Québec en
particulier, on voudrait nous faire croire que rien de tout cela, ni quoi que
ce soit d'autre, pourrait être susceptible d'arrêter ce train
d'enfer qu'on a lancé sur les rails a Ottawa. Cela va même
jusqu'au point où, aussitôt qu'un Britannique, qu'il soit
journaliste, qu'il soit lord ou qu'il soit député, aussitôt
que quelqu'un là-bas ose évoquer le malaise qui règne
déjà à Londres -je pense que tout le monde a des chances
de le savoir - aussitôt, cette personne se fait rembarrer à partir
d'Ottawa, il y a un ténor fédéral qui s'empresse alors de
réaffirmer que les Anglais n'ont qu'à voter, même s'ils
votent sans trop savoir ce qu'ils font.
Il arrive même, dans cette opération, que les mots changent
de sens. On a employé récemment, à l'adresse des
Britanniques, le mot "ingérence". Or, l'ingérence, si j'ai bien
compris, cela consisterait pour les Britanniques non pas à
décider des choses qui ne les concernent pas, mais cela consisterait
plutôt à refuser de s'en mêler. Toute cette manoeuvre a
quelque chose, à mon humble avis, de profondément humiliant, en
démocratie surtout, sans compter toutes les autres manoeuvres qui ont
précédé dont certaines avaient été tenues
cachées, mais elles ont fini par être connues publiquement. Je
dois, et à regret, répéter ce que j'ai déjà
dit: Quand quelqu'un défend une bonne cause, une juste cause, il me
semble qu'il n'agit pas comme cela.
Or, justement, la cause n'est pas bonne. Plus ce projet
fédéral subit, comme cela se produit de plus en plus depuis
quelques semaines, parce que c'est long à décortiquer, ce jargon
juridique et législatif dans lequel on a enveloppé le projet
fédéral, mais plus ce projet subit l'examen attentif des esprits
éveillés et politisés, partout au Canada, plus il
apparaît dangereux et lourd de conséquences.
Premièrement, il y a le point de départ -c'est le vice le
plus évident - c'est-à-dire le caractère unilatéral
de la démarche. Cela établit clairement la volonté
farouche d'Ottawa ou, en tout cas, d'un homme et de son entourage de
gérer le pays d'une façon de plus en plus centralisée,
c'est-à-dire exactement le contraire de ce à quoi on était
en droit de s'attendre depuis longtemps; En fait, de gérer le pays dans
un esprit qui est foncièrement unitaire. Chaque fois qu'ils ont
été consultés là-dessus, de quelque façon,
l'ensemble des Canadiens et l'ensemble, très particulièrement,
des Québécois se sont toujours refusés à une telle
perspective. Il ne faut quand même pas oublier que le Québec
n'était pas obligé, en 1867, d'entrer dans le régime qui
était proposé, qui était discuté à
l'époque. S'il a accepté, c'est particulièrement
après son insistance à lui, au Québec, et après
avoir obtenu des garanties de ce côté-là qu'il y aurait un
régime à deux niveaux avec chacun sa zone de souveraineté,
et que ce qu'on a appelé traditionnellement l'autonomie du Québec
sur des sujets fondamentaux qui lui paraissaient d'une importance vitale serait
respectée.
Nos ancêtres n'étaient pas obligés. Il ne faut pas
oublier que deux des provinces, ou, enfin, des colonies, à
l'époque, qui étaient consultées ont refusé
d'entrer dans le régime, comme c'était leur droit. Cela a
été le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, qui a
changé d'idée peu de temps après, quelques années,
mais, enfin, qui, au début, a refusé, comme c'était son
droit. Cela a été le cas de Terre-Neuve aussi, qui avait
été approchée et a continué de refuser pendant un
siècle à peu près, c'est-à-dire jusqu'au milieu
très exactement du siècle présent.
Si les garanties qui étaient exigées par le Québec
n'avaient pas été accordées, il est sûr que les
représentants de notre peuple, il y a 113 ans, n'auraient jamais
accepté de participer à ce nouveau régime. Ce
qu'évoque, comme perspective, le projet fédéral
d'aujourd'hui, si cela avait été ça qui était sur
la table à l'époque, cela aurait été refusé.
On n'aurait pas été partie prenante. Cela, je pense que tout le
monde le sait. (10 h 40)
Ce n'est pas plus acceptable aujourd'hui que cela l'était
autrefois. Au contraire, si on tient compte de l'évolution du
Québec, de ce développement continu qu'a connu la
société québécoise en particulier depuis une
génération, il est évident que la perspective
qu'évoque le coup de force qu'essaie de perpétrer à
l'étranger le gouvernement fédéral actuel a quelque chose
non seulement d'inacceptable, mais qui est contre nature. Cela, c'est le
premier vice - c'est fondamental - et tout ce qu'il implique de la
démarche fédérale.
Deuxièmement, il y a une formule d'amendement qu'on
prétend, là encore, faire décréter à
Londres. C'est terriblement technique, les questions de formules
d'amendement. Cela fait des années que cela traîne dans le
paysage. Si on entre dans la plomberie de tout ce que cela peut signifier, on
n'en sortira pas. Seulement, il y a une chose qui est quand même assez
frappante. Vu que c'est technique et que c'est complexe, il aurait
été particulièrement important que les auteurs de ce
projet, qui sont à Ottawa, se donnent la peine de l'expliquer
convenablement aux citoyens. Là aussi, cela implique beaucoup de choses
pour l'avenir.
On ne l'a pas fait. On s'est refusé, systématiquement,
à le faire. Et ici encore, derrière l'inévitable
camouflage technique que cela comporte, ce qu'on remarque, au fond, ce sont ces
mêmes visées centralisatrices et ce même esprit d'unitarisme
déguisé, avec, pardessus le marché, deux poids et deux
mesures. C'est au point, cette formule d'amendement, où Ottawa pourrait,
à peu près à sa guise, passer par-dessus la tête des
gouvernements provinciaux, y compris celui du Québec, pour aller
chercher, selon ses seules formulations, toutes les modifications qu'il
pourrait désirer.
Troisièmement, en même temps, on demande au Parlement
anglais d'effectuer des modifications majeures à l'ensemble du contrat
de 1867 sur lesquelles, là encore, il n'y a eu aucun consensus.
À partir de ce projet, par exemple, l'Angleterre déciderai
que le Québec, la seule entité majoritairement francophone en
Amérique du Nord, n'aurait plus juridiction exclusive sur son
éducation, sur son système d'enseignement. C'est-à-dire
qu'on briserait, d'un geste, les termes peut-être les plus essentiels, ou
parmi les plus essentiels, de l'entente qui a présidé, il y a 113
ans, à la naissance du régime actuel.
Est-ce qu'on peut admettre, en 1980, qu'en régime
démocratique, en Amérique du Nord, un chef de gouvernement fasse
faire une chose aussi importante par un pays étranger situé
là-bas, de l'autre côté de l'Atlantique? Je sais qu'on
n'est pas nécessairement d'accord. Je sais qu'on n'est pas d'accord - le
chef de l'Opposition l'a répété hier - sur la question en
soi de ce fameux enchâssement, comme on dit, d'une charte des droits dans
la constitution.
On aura l'occasion de revenir sur les raisons pour lesquelles on n'est
pas d'accord, on n'a pas la même perception des choses, de ce
côté-là. Seulement, dans les circonstances - et je voudrais
le dire très simplement - il ne s'agit pas, d'abord et avant tout, de
défendre une législation linguistique en particulier, quand on
parle des droits en matière linguistique, tels qu'ils sont
affectés ou qu'ils seraient affectés par le projet
fédéral. Qu'on soit pour ou qu'on soit contre la loi 101 actuelle
ou les autres lois qui l'ont précédée et, en quelque
sorte, l'ont annoncée aussi, en grande partie, c'est relativement
secondaire, dans les circonstances. Ce qu'il faut se demander, me semble-t-il,
en tout cas, c'est dans quelle mesure on peut admettre que les problèmes
linguistiques dont la complexité découle de la situation
particulière du Québec sur ce continent, dans quelle mesure ces
questions peuvent être débattues ailleurs qu'ici. Dans le cadre
d'un débat démocratique et au vu et au su des citoyens
concernés ici, au Québec, est-ce qu'on peut être d'accord
pour qu'Ottawa demande à Londres de nous priver de ce droit fondamental
et garanti depuis 113 ans?
Par ailleurs, un examen attentif de ce texte fédéral
révèle que ce projet de charte, que ses auteurs essaient
constamment de faire paraître tout à fait inoffensif, porte
atteinte également à des compétences déjà
fort restreintes du Québec, par exemple, en matière
d'administration de la justice. Des experts qualifiés qui ont
fouillé à travers le jargon du texte nous disent, par exemple,
que très rapidement ça pourrait mener à rendre
inopérante une loi que le gouvernement qui nous a
précédés avait passée, qui, je crois, a
été une loi de justice pour des milliers de
Québécois qui ne sont pas riches, qui ont besoin de faire appel
aux tribunaux et qui ne peuvent pas assumer, surtout quand il s'agit de petites
sommes relativement mineures, mais importantes pour eux, tous les frais
réguliers de la justice. C'est la Loi des petites créances.
Je vois un des députés d'en face qui dit, semble-t-il, que
ce n'est pas le cas. Je lui dirai que toutes, en grande partie en tout cas, les
implications de ce projet fédéral nous plongent dans
l'incertitude. Il faudrait être très Jos connaissant pour
s'imaginer qu'il n'y a pas toutes ces possibilités extrêmement
précises dans ce projet fédéral. Cela pourrait, c'est
très évident, porter atteinte à la charte actuelle des
droits de la personne au Québec, qui est pourtant reconnue comme la plus
avancée au Canada. Cela pourrait aussi porter atteinte aux pouvoirs
québécois sur la propriété et les droits civils et
cela, c'est évident.
Cela rend inopérantes, je pense, dès le départ, si
cela passe, des dispositions importantes de la Loi sur l'acquisition des terres
agricoles. Cela pourrait toucher également les règlements de
placement dans la construction; cela ne pourrait pas, cela toucherait,
très évidemment. On sait que ces règlements de placement -
qui sont venus laborieusement et qui ont les défauts, en partie, en tout
cas, qu'évoquait hier le chef de l'Opposition - dans leur application
actuelle, ont quand même permis de sortir laborieusement de la jungle
dans laquelle l'ensemble du secteur de la construction s'était
enfoncé. Ce n'est pas pour rien qu'il y a eu la commission Cliche et
que, tant bien que mal, on a réussi à essayer de rétablir
non seulement de l'ordre, mais une chance de fonctionner convenablement pour
les vrais travailleurs de la construction. Cela ne veut pas dire que ça
n'a pas besoin d'être ajusté, corrigé en cours de route,
mais une chose est certaine, c'est que cet encadrement essentiel pourrait
être littéralement expédié par la fenêtre par
suite du projet fédéral, de même que la
réglementation qu'on a dû établir ici, à cause du
caractère particulier du Québec, en ce qui concerne les
activités professionnelles.
Autrement dit, beaucoup plus que certains ne l'imaginent, il y a du pain
et du beurre qui peuvent être menacés pour beaucoup de
Québécois dans l'avenir si ce projet était adopté
tel quel.
J'ajoute enfin que la façon dont on a inscrit le principe de la
péréquation, dont on l'a aussi défini dans ce projet
fédéral, pourrait - c'est l'exemple le plus simple - donner le
droit constitutionnel au fédéral de répéter
à volonté le coup qu'il nous a fait au moment du conflit sur la
taxe de vente, et ça, c'est quelque chose!
Bref, est-ce qu'on peut accepter sans dire un mot que toutes ces
décisions se prennent en
notre absence et en Angleterre, par-dessus le marché? Il me
semble qu'on peut tous être d'accord pour dire que ce serait
insensé d'accepter une chose pareille. L'offensive à laquelle on
assiste a des grosses chances de ne pas être la dernière, surtout
si elle passait. On sait que dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres,
l'appétit peut venir en mangeant. (10 h 50)
Hier, le chef de l'Opposition évoquait ce qu'on peut appeler le
programme fédéral en matière d'énergie, qui, en
fait, constituait le seul élément essentiel de ce qu'on a
appelé le budget fédéral il y a quelque temps. Je l'avais
évoqué très rapidement dans le discours inaugural. On peut
avoir chacun son jugement là-dessus. Le chef de l'Opposition y voit du
leadership. À l'occasion, il est vrai que, dans ce domaine-là ou
dans d'autres domaines, quand des urgences semblent se présenter, il
faut un certain leadership, c'est vrai. D'autre part, ce leadership constitue
également - je répète un titre qui, je crois,
résumait toute l'affaire - un geste par lequel on fait main basse sur le
contrôle de la ressource clé d'une des provinces du Canada. C'est
loin, évidemment, ça ne nous affecte pas directement, il s'agit
de l'Alberta. Seulement, il avait déjà été possible
de considérer - et ça ne fait pas un an -la possibilité
■ d'accords entre le fédéral et la province principalement
productrice dans ce domaine. Cela a été envoyé par-dessus
bord dans le projet, c'est-à-dire le programme énergétique
d'Ottawa, il y a quelques jours, et, finalement, là encore, on
découvre cette volonté non seulement centralisatrice, mais
foncièrement unitaire qui est extrêmement dangereuse pour
l'équilibre de tout le régime.
On nous annonce pour bientôt - ça reste à voir - une
possible intervention majeure dans tout le domaine des affaires sociales. Quand
je regarde l'ampleur, qui va se maintenir, du déficit
fédéral dont l'équivalent aux Etats-Unis serait de l'ordre
d'environ $140,000,000,000 au lieu des $60,000,000,000 qui font
déjà terriblement discuter les Américains, je me dis que
les mêmes méthodes pourront servir encore et que peut-être
on reparlera avant longtemps, si on ne fait pas attention, d'une taxe sur
l'exportation de notre électricité, ce qui, à toutes fins
utiles, siphonnerait des ressources absolument essentielles au
Québec.
Si le gouvernement fédéral ne consent donc pas à
revenir sur ses positions, à se remettre à table de bonne foi
avec les provinces, et à reprendre des négociations qui ont
été sciemment bloquées par le premier ministre
fédéral lui-même, d'une façon qui avait
été planifiée à l'avance, il faut absolument qu'on
résiste et il faut qu'on résiste victorieusement parce que jamais
un gouvernement québécois, jamais un parti politique
québécois n'a pu accepter dans le passé de voir ainsi
écorcher nos droits et, parmi ces droits, certains des plus
fondamentaux.
Ce n'est pas la première fois qu'au Québec on est
appelé à se mobiliser quelque peu pour arrêter une
offensive centralisatrice d'Ottawa. Pour chaque grande bataille que le
gouvernement québécois a livrée, quel que fût le
parti au pouvoir, l'appui de la population ne lui a pas fait défaut, pas
plus que celui de l'ensemble des groupes et des corps représentatifs ni,
sauf erreur, celui des partis reconnus ici à l'Assemblée
nationale.
Dans les circonstances, il me semble qu'il est évident qu'il faut
non seulement nous tenir là-dessus et parler d'une seule voix si on veut
préserver nos chances sur l'avenir - ce que la motion que je vais
présenter dans quelques instants devrait nous permettre - mais, sinon
partir en croisade, du moins être d'accord pour que l'ensemble de nos
concitoyens soient touchés sur ce point d'une façon qui
s'élève au-dessus des partis.
Le chef intérimaire de l'Union Nationale a dit hier que sa
formation appuierait la motion. Le Parti libéral et le chef de
l'Opposition en particulier, me semble-t-il - en tout cas, j'espère ne
pas me tromper - devraient pouvoir en faire autant. Sinon, je dois dire qu'il
n'y aurait plus grand-chose à comprendre dans les attitudes de ceux qui
nous font face. J'espère qu'on ne sera pas obligé de se poser de
telles questions et, même, j'ai confiance qu'on ne sera pas obligé
de se poser de telles questions car, depuis longtemps et jusqu'à tout
récemment, les attitudes et les propos du chef de l'Opposition, du chef
du Parti libéral et de certains de ses collègues ont
été à ce sujet d'une clarté et d'une vigueur
passablement remarquables. On ne retrouvait peut-être pas
complètement tout cela hier dans le discours que le député
d'Argenteuil a prononcé, mais j'ose espérer qu'aujourd'hui ou
demain - peu importe le moment de sa prochaine intervention - on retrouvera
cette même clarté et cette même vigueur. J'ai dit qu'elle
était là depuis longtemps et jusqu'à tout
récemment. Je n'en donnerai que trois brefs exemples parce que je ne
suis quand même pas pour faire au chef de l'Opposition l'injure de
laisser entendre qu'il a pu oublier, mais je crois qu'il est important que nos
concitoyens aient l'occasion de se faire rappeler ses positions.
Je commence par tout récemment. Tout récemment,
c'était à Acton Vale au cours de la campagne d'élections
partielles. Il y a à peine quelques jours, cela a fait des manchettes,
et des manchettes justifiées, et je cite ce qui a paru au texte,
semble-t-il, dans plusieurs comptes rendus: "Moi - déclarait M. Ryan -
j'imagine que les parlementaires londoniens, quand ils seront saisis du projet
fédéral, s'il se rend jusque-là, vont être
énormément surpris. Ils vont se demander en quoi cela les
regarde, ça, une charte des droits pour le Canada, une charte des droits
linguistiques pour les citoyens du Canada. S'ils ont le moindrement de bon
sens, ils vont se dire: Cela ne nous regarde pas. Il faut retourner cet
emballage-là au Canada. C'est là que ça doit être
réglé."
Voilà d'ailleurs assez précisément ce que nous
avons tâché et j'espère, tous ensemble, ce que nous
tâcherons de dire par la motion que je présenterai officiellement
dans quelques instants. Tout récemment aussi, mais il y a un peu plus
longtemps - pas beaucoup, c'était à la fin de
l'été, il y a quelques mois à peine, mais c'était
juste avant la semaine fatidique du 8 au 12 septembre qui, publiquement a
conduit à l'échec que nous savons. À ce moment-là,
au mois d'août, le chef de l'Opposition faisait publiquement le rappel
d'une importante position de son parti adoptée en congrès, sauf
erreur, et il donnait de cette position une explication détaillée
et particulièrement précise et qui rejoint, je crois,
parfaitement ce que nous discutons.
À son congrès plénier de mars 1980, disait le chef
de l'Opposition, un congrès consacré à la réforme
constitutionnelle, le Parti libéral du Québec adoptait la
résolution suivante au sujet du rapatriement de la Constitution
canadienne: "La constitution sera rapatriée au moment et suivant les
modalités arrêtées avec l'accord des gouvernements
concernés." M. Ryan ajoutait ceci, ce qui était important parce
que la résolution est très lapidaire: "II m'a été
donné, au cours des mois qui ont suivi le congrès, de
préciser l'essence de cette résolution et de fournir quelques
éléments additionnels touchant la ligne de conduite du Parti
libéral. Voici comment cette ligne de conduite peut se résumer.
Premièrement, le rapatriement de la constitution doit faire suite
à une décision commune des gouvernements concernés; il ne
doit pas être fait sous l'autorité d'un seul ordre de
gouvernement. Deuxièmement, le rapatriement de la constitution ne doit
pas nécessairement intervenir à la fin de tout le processus de
révision. À s'en tenir rigidement à des exigences trop
strictes à cet égard, on risquerait de geler indéfiniment
tout le processus." On s'est dit d'accord là-dessus d'ailleurs, au
moment des commissions parlementaires en particulier. Le chef de l'Opposition
ajoutait: "Mais en contrepartie, il faut souligner que toute décision
relative au rapatriement ne devrait intervenir qu'à un moment et suivant
des modalités acceptées par les gouvernements concernés et
un facteur clef dans la décision que devront prendre les gouvernements
sera le progrès véritable des négociations sur les
questions de fond, en particulier celles qui touchent les grandes institutions
du système fédéral et le partage des pouvoirs
législatifs. Troisièmement, il serait irréaliste de
vouloir rapatrier la constitution à moins que l'on ne s'entende au
préalable sur une formule d'amendement devant présider aux
modifications futures du document constitutionnel. Pas de rapatriement sans une
formule d'amendement approuvée par tous les gouvernements
concernés." Ensuite, le député d'Argenteuil expliquait une
formule, celle, je crois, que préconise son parti, mais ce n'est pas
l'essentiel de la question qui nous occupe. Ce sont les trois paragraphes que
je viens de citer et je pense que c'était très clair. (11
heures)
Finalement, ce que souligne l'actuel chef de l'Opposition depuis
longtemps, comme je l'ai dit tout à l'heure, et même au point
où il ne s'est jamais, sauf erreur, démenti
là-dessus...J'en trouve peut-être l'exemple le plus
éloquent aussi loin qu'en 1971. C'était un moment
stratégique au point de vue de ce même sujet constitutionnel, il
s'agissait de la conférence de Victoria. Le chef de l'Opposition a
évoqué d'ailleurs, hier, une partie des événements
qui s'étaient déroulés, mais très rapidement;
à ce moment-là, il était directeur du Devoir et il
était éditorialiste. Un jour de 1971, en plein coeur des
événements qui se déroulaient à l'époque, il
résumait d'abord, dans l'article que j'ai ici, globalement la situation
et, en particulier, assez exactement comme nous avons eu à le faire
récemment, il évoquait les deux approches contradictoires en
matière constitutionnelle et qui s'affrontaient à ce
moment-là. La révision, écrivait M. Ryan, se poursuit
depuis 1968 sur deux longueurs d'onde différentes. Conscient de ses
problèmes et de ses aspirations propres, le Québec ne cesse
d'insister sur le partage des compétences. Soucieux de renforcer la
fédération actuelle, Ottawa, appuyé par l'opinion
anglo-canadienne, à l'époque - en grande partie, en tout cas -
s'obstine à centrer d'abord le débat sur les droits politiques et
linguistiques des citoyens individuels et sur les mécanismes requis pour
assurer la marche du système.
Comme il faut, la plupart du temps, parler le même langage tout en
mettant souvent dans les mots des contenus différents, il y a des
risques que l'une des deux problématiques soit dominée ou
noyée par l'autre. Jamais ce risque n'a paru plus imminent et plus grave
qu'à la veille de la conférence de Victoria. En fait, je dois
dire - et on sera probablement d'accord pour dire - que jamais ce risque n'a
paru plus grave ni plus imminent - bien plus encore qu'à Victoria -qu'en
ce moment de 1980. Face à ce genre de danger, ce texte de 1971 se
terminait à peu près par la phrase suivante, qui est
peut-être plus pertinente en ce moment que tout le reste: "S'il est un
domaine où la décision politique doit reposer sur un consensus
débordant largement les frontières partisanes, c'est bien celui
de la constitution".
Voilà pourquoi, je n'irai pas plus loin. Il m'est impossible de
croire que nous ne pourrons pas trouver le moyen d'être unanimes dans
cette Chambre. Nous, en tout cas, de ce côté-ci, si on y parvient,
nous éviterons - et ça c'est un engagement qui vaut pour
jusqu'à quelque échéance que ce soit - d'en tirer quelque
avantage partisan que ce soit, dans le même esprit que cette phrase que
je viens de citer et qui remonte à il y a neuf ans. Nous tâcherons
simplement de faire entendre - et cela, par exemple, on va tâcher de le
faire - cette unanimité partout où elle peut avoir un impact et
de lui donner justement le maximum d'impact qu'elle peut obtenir parce qu'une
telle unanimité je vais le dire au futur plutôt qu'au conditionnel
- aura - je me refuse à dire aurait -une telle unanimité aura un
impact qui sera très grand. C'est tellement rare l'unanimité
parlementaire en démocratie que, par définition, cela prend un
sens particulièrement fort et particulièrement solennel. Je crois
que c'est de ça que le Québec a besoin en ce moment. Très
sincèrement, je crois aussi que l'ensemble de nos concitoyens, soit
explicitement, soit au fond d'eux-mêmes, et ils le sentent de plus en
plus, s'attendent à quelque chose comme cela de notre part.
Ici, au Québec, cette unanimité aiderait tout le monde
à y voir plus clair, à distinguer une bonne fois l'importance des
enjeux. À Ottawa, je l'ai dit l'autre jour, je suis sûr, en
particulier chez les élus québécois, que ça
pourrait aider puissamment à faire réfléchir avant qu'il
ne soit trop tard. Il y a un malaise de ce côté-là, je
pense qu'il est apparent de plus en plus ces derniers temps. L'unanimité
de l'Assemblée nationale pourrait là aussi avoir un effet
très bénéfique. Enfin, je suis convaincu que cette
unanimité provenant du Parlement du peuple majoritairement francophone,
qui a été l'une des deux collectivités fondatrices du
régime, un régime qu'une de ses lois a ensuite établi
officiellement, dans les circonstances, je suis sûr que cette
unanimité ne serait pas ignorée non
plus, c'est le moins qu'on puisse dire, du côté du
Parlement britannique.
C'est donc avec confiance, une confiance que je crois justifiée,
que je vais proposer cette motion que nous avons faite aussi sobre et aussi
concise que possible, aussi indiscutable que nous avons pu l'imaginer. Comme je
l'ai dit, on l'a faite sans détour et on n'a pas essayé de
finasser. On l'a fait connaître à nos interlocuteurs des autres
partis avant qu'elle ne soit déposée publiquement; on avait
même offert à l'Opposition officielle de contribuer, si elle le
voulait, à la rédaction du texte. Je comprends qu'on nous en ait
laissé la responsabilité, mais enfin, c'est pour dire à
quel point, sur ce sujet, on voulait, autant que possible, rejoindre tout le
monde, dans l'intérêt du Québec et non pas dans
l'intérêt d'un parti en particulier.
Telle qu'elle est, nous croyons que cette résolution, cette
motion, si on préfère, pourrait et devrait être
approuvée par tout le monde. Nous savons que l'Opposition officielle a
songé et peut-être songe encore à proposer un ou des
amendements. Je refuse de croire qu'on tâcherait ainsi de la rendre
inacceptable ou de la dénaturer, si peu que ce soit, parce que le sujet,
me semble-t-il, est trop important et trop vital pour qu'on s'essaie à
des jeux comme ça. S'il s'agit d'amendements qui complètent ou
qui nous permettent peut-être, de façon acceptable pour tout le
monde, de nous mettre d'accord, Dieu sait qu'on ne s'y opposera pas. Il s'agit
de voir, s'il y a un amendement, de quel genre, de quel type d'amendement il
peut s'agir.
Donc, je le répète, en terminant, c'est avec confiance que
j'ai l'honneur, mais surtout le devoir de proposer à la Chambre cette
motion que le président nous a lue a l'ouverture de la séance et
que je répète: "L'Assemblée Nationale du Québec
s'oppose formellement à la démarche entreprise par le
gouvernement fédéral, de façon unilatérale et
malgré l'opposition de la majorité des provinces, en vue de faire
modifier la constitution du Canada par le Parlement britannique au lieu d'en
poursuivre ici le renouvellement par voie de négociations. "Puisque
cette constitution définit, depuis 1867, les droits du Québec en
tant qu'État membre fondateur de la fédération canadienne,
l'Assemblée nationale demande aux membres du Parlement du Canada et du
Parlement du Royaume-Uni de ne pas donner suite à cette démarche
unilatérale qui est contraire à la nature même du
système fédéral et à la règle bien
établie du nécessaire consentement des provinces."
Merci, M. le Président.
Le Président: Le chef de l'Opposition. M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, j'ai écouté avec
intérêt l'intervention que vient de faire le chef du gouvernement.
Je constate avec plaisir que l'intervention s'est faite à un niveau qui
ne s'arrêtait pas aux querelles de personnes et qu'elle n'a pas
dégénéré dans le genre de logomachie verbale
à laquelle les comptes rendus que nous donnent les journaux des discours
du premier ministre sur d'autres terrains ou à d'autres tribunes nous
ont malheureusement trop habitués. Je vais essayer de m'en tenir, moi
aussi, à une considération la plus impartiale possible du sujet
qui nous est proposé pour discussion ce matin. Je vais le faire avec les
caractéristiques que j'essaie de maintenir dans mes interventions en
cette Chambre, c'est-à-dire un esprit d'impartialité,
d'indépendance, de saine liberté et, surtout, de service de
l'intérêt supérieur de nos concitoyens du Québec et
de l'ensemble du Canada. (11 h 10)
Je voudrais diviser mon intervention en trois parties distinctes: tout
d'abord, le projet fédéral, ce qu'il comporte et ce que nous en
pensons de ce côté-ci de la Chambre; deuxièmement, la
motion gouvernementale et, troisièmement, certains
éléments d'ouverture pour ce qui concerne le travail des semaines
et des mois à venir. Nous franchissons une étape aujourd'hui; je
pense que nous devons regarder plus loin que cette étape-là; il
faut voir un peu dans quel esprit nous essaierons d'évoluer au cours des
mois à venir. Alors j'aurai quelques réflexions à
soumettre à cette Chambre sur ce troisième aspect aussi.
Le projet dévoilé par le gouvernement
fédéral, au début du mois d'octobre, comporte
essentiellement un certain nombre d'éléments qui sont maintenant
devenus familiers aux parlementaires de cette Chambre, mais qui ne sont pas
encore compris facilement par une grande partie de nos concitoyens qui n'ont
pas la chance de travailler ces questions à longueur de journée.
Je vais essayer de les résumer brièvement en essayant
d'être le plus fidèle possible au contenu de ce document qui
s'intitule "Projet de résolution concernant la constitution du Canada"
qui est présentement à l'étude à la Chambre des
communes et au Sénat.
Le projet se présente sous la forme d'une motion ou d'une
résolution que le Parlement canadien enverrait au Parlement de Londres.
Dans cette résolution, on annexe toute une série de propositions
qui viseraient à introduire des changements fondamentaux. Entre autres,
en vertu de ce document, la constitution du Canada serait ramenée de
Londres au Canada. On instituerait une procédure d'amendement provisoire
qui durerait une couple d'années. Au terme de cette période, on
instituerait une procédure d'amendement permanente, soit par
consentement de tous les gouvernements concernés, soit par le recours
à une consultation populaire.
Le projet fédéral comprend également
l'incorporation dans la constitution d'une charte des droits fondamentaux,
comportant des dispositions assez nombreuses et importantes pour ce qui touche
les droits linguistiques. Enfin, on veut garantir le principe de la
péréquation et de la mise en commun de la richesse pour la lutte
contre les inégalités régionales.
Il y a, comme je l'ai souligné hier, un certain nombre d'aspects
du projet fédéral qui suscitent de ce côté-ci de la
Chambre une sympathie profonde. D'abord, quand le gouvernement
fédéral veut ramener au Canada tout le processus constitutionnel,
quand il veut nous libérer de ces recours à la protection
tutélaire de la Grande-Bretagne, je pense qu'on le comprend et, nous
autres, nous n'avons aucune espèce de réserve quant à cet
objectif qui aurait dû être réalisé depuis
longtemps.
Deuxièmement, le projet fédéral traduit une
impatience devant les lenteurs et les échecs accumulés
depuis au-delà d'un demi-siècle en ces matières. On peut
n'être pas d'accord quant à la conclusion que le gouvernement
fédéral tire de l'expérience du dernier
demi-siècle, mais je crois que, si on veut être le moindrement
raisonnable, on doit comprendre l'impatience que traduit cette conclusion
à laquelle en est arrivé le gouvernement
fédéral.
Troisièmement, le gouvernement fédéral recherche
une méthode d'amendement constitutionnel plus souple que la règle
non écrite de l'unanimité qui existe actuellement. Je ne pense
pas que personne mette en doute la nécessité d'en arriver
à une méthode d'amendement constitutionnel plus souple au Canada
et seuls ceux qui ne voudraient pas que ce pays marche prétendraient
s'arcbouter dans une défense aveugle et étroite du système
qui existe actuellement.
Quatrièmement, le gouvernement fédéral veut
enchâsser dans la constitution les droits fondamentaux des citoyens et,
en particulier, certains droits linguistiques. Encore ici, la position de fond
de mon parti est plutôt favorable à cette approche. Nous l'avons
dit; je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit hier. Je pense que c'est
très clairement compris à la fois du gouvernement et de la grande
majorité de nos concitoyens.
Enfin, le gouvernement fédéral nous dit: Devant une
impasse invincible, devant une impasse dans laquelle les gouvernements seraient
enlisés d'une manière absolument insurmontable, il faut bien
restaurer, quelque part dans le processus constitutionnel canadien, le principe
de la souveraineté du peuple. Il envisage, dans une situation invincible
comme celle-là, le principe du recours au peuple pour trancher le
litige. J'ai bien du mal à comprendre ceux qui s'opposent à ce
principe fondamental. Il me semble que c'est le fondement sur lequel repose
toute la démocratie. Je pense que c'est important que nous comprenions
qu'il n'y a pas que des aspects négatifs dans la position de l'autre.
Mon expérience dans le journalisme, à laquelle faisait allusion
le premier ministre tantôt, m'a appris, pendant de longues années,
à toujours regarder le côté positif, ensuite, le
côté négatif. Je tirais toujours une conclusion franche. Le
premier ministre m'a cité correctement ce matin. Je n'ai aucun reproche
à lui adresser au sujet des citations qu'il a faites de mes
interventions passées. Je le remercie d'avoir signalé qu'elles
ont toujours été dans la même ligne, au niveau des
principes.
M. Levesque (Bonaventure): Très bien!
M. Ryan: II y a certes, dans le projet fédéral, des
aspects insatisfaisants qu'il y aurait lieu de discuter longuement si nous
étions en situation normale. En matière de droits linguistiques,
par exemple, les solutions que présente le projet fédéral
ne sont pas acceptables, dans leur forme actuelle, à mon parti. Mais ce
sont des choses qui pourraient, par la négociation ordinaire ou par des
interventions spéciales, être probablement corrigées ou
redressées. Mais il ne s'agit pas que de cela et je ne veux pas retenir
le temps de la Chambre sur tous ces aspects secondaires ou contingents qui
mériteraient une longue discussion si ce n'était des objections
plus fondamentales que l'on doit retenir à ce stade-ci du débat
et qui sont la raison d'être de la motion qui est devant la Chambre
actuellement et sur laquelle nous sommes invités à nous
prononcer.
Dans le projet fédéral, il y a malheureusement,
par-delà les aspects contingents, mais discutables, des aspects qui sont
proprement inacceptables, des aspects qui touchent à la substance
même du régime fédéral canadien et les rapports qui
se sont noués entre les deux ordres de pouvoir, qui sont une des
caractéristiques essentielles de l'équilibre politique
très difficile qu'on a cherché à réaliser en
1867.
Il faut certes se garder, M. le Président, des affirmations trop
dogmatiques en ces choses. Très souvent, on recourra à des
interventions qui invoquent des principes sacrés de la doctrine
fédéraliste, par exemple. Il n'existe pas une telle chose que de
la doctrine fédéraliste à l'état pur. Le principe
fédéral s'est incarné dans divers pays suivant des
formules variées. Nous avons notre formule, à nous, qui comporte
un certain nombre de principes, lesquels rejoignent les principes qu'on a
appliqués, souvent de manière différente, dans d'autres
pays. Quoi qu'il en soit; nous avons au Canada un régime précis,
nous avons une tradition très forte qui remonte maintenant à 113
ans. Je pense que, devant le projet fédéral, on doit, en toute
conscience, surtout comme Québécois, formuler des objections
fondamentales qui s'inscrivent dans la ligne d'une longue tradition politique
québécoise.
En ce qui me touche, je voudrais énoncer brièvement les
objections fondamentales que je nourris à l'endroit du projet
fédéral. Premièrement, le projet fédéral
rompt avec une longue tradition de recherche et de cheminement bilatéral
en ce qui touche le rapatriement et la modification de la Constitution
canadienne.
Je rappellerai brièvement, parce que je veux que cet
élément fasse partie du dossier de la discussion autour de cette
motion, les quatre principes qui ont régi jusqu'à maintenant les
interventions des pouvoirs politiques en matière d'amendements
constitutionnels et que la Cour suprême a pris à son compte dans
l'opinion célèbre qu'elle émettait, en 1978, au sujet d'un
projet fédéral comportant la réforme du Sénat
canadien. (11 h 20)
Premier principe, une loi du Royaume-Uni affectant la Constitution
canadienne, ne doit être promulguée que sur la demande officielle
du Canada.
Deuxième principe, le Parlement du Canada doit autoriser toute
demande faite au Parlement britannique de modifier l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique.
Troisième principe, le Parlement britannique ne peut
procéder à une modification de la constitution du Canada à
la seule demande d'une province canadienne.
Et, quatrième principe, qui nous intéresse plus
immédiatement, en l'occurrence, le Parlement du Canada ne procède
pas à une modification de la constitution intéressant directement
les rapports fédératifs sans avoir au préalable
consulté les provinces et obtenu leur assentiment.
Je voudrais citer de nouveau le livre blanc fédéral de
1965 que j'évoquais hier et compléter la citation que je faisais
hier à cet égard. "Dans cet ensemble de règles, dans ces
quatre règles qui ont guidé le comportement des gouvernements
depuis au moins deux générations au Canada, il faut voir la
preuve du fait fondamental de l'histoire constitutionnelle canadienne. Aucune
modification de la constitution ne peut déposséder des provinces
de leurs pouvoirs législatifs sans qu'elles n'y consentent. La loi est
muette à ce sujet. Mais les réalités de la vie nationale
ont imposé la règle de l'unanimité et l'expérience,
depuis la Confédération, l'a érigée en une
règle qu'un gouvernement ou un Parlement ne saurait
méconnaître qu'à ses risques et périls. Cette
expérience s'est reflétée dans la formule
élaborée en 1960-1961 et maintenant proposée."
C'était en 1964-1965. "Néanmoins - et ceci est très
intéressant -on pourra soutenir qu'il serait souhaitable, en
théorie, d'avoir recours à une règle plus souple que celle
de l'unanimité pour la modification des dispositions fondamentales. "Il
faut bien se rendre à l'évidence, cependant, qu'une constitution
ne fonctionne pas dans le domaine de la théorie. Elle est la loi
fondamentale qui régit le peuple, les institutions et les gouvernements,
et la protection que la présente formule accorde aux dispositions
fondamentales est la seule base sur laquelle un accord général a
pu être réalisé au cours de négociations qui se sont
échelonnées sur une période de 30 ans." Evidemment,
l'auteur faisait allusion à la formule Fulton-Favreau du temps et non
pas à la formule présentement à l'étude au
Parlement fédéral.
Et je termine la citation, parce que cela complète très
bien ce qui a été dit antérieurement. "Quels que soient
les mérites théoriques d'autres formules possibles, et quelles
que soient les lacunes théoriques de la règle de
l'unanimité qui s'appliquent aux dispositions fondamentales, des
délibérations prolongées ont démontré
qu'aucune autre solution n'est susceptible d'être acceptable à
tous les gouvernements intéressés."
Première raison, par conséquent, de s'opposer au projet
mis de l'avant par le gouvernement fédéral depuis le début
du mois d'octobre, ce projet rompt avec une longue tradition de cheminement
bilatéral en ce qui touche l'amendement de la constitution.
Deuxième motif d'objection, le projet fédéral
propose des éléments qui modifient substantiellement
l'équilibre des rapports fédératifs et ces modifications
s'appliqueraient même pendant la période intérimaire de
deux ans devant intervenir avant l'instauration d'une formule permanente de
modification constitutionnelle. Le projet introduit une charte des droits. Il
enchâsse des droits linguistiques assez nombreux et assez fondamentaux.
Il propose d'enchâsser également le principe de
l'égalité des chances entre les provinces et les régions,
suivant des modalités que l'on pourrait discuter très
longuement.
Enfin, il prévoit, à l'article 42, qui est
éminemment contestable, la possibilité permanente de recours
à l'institution référendaire, par le gouvernement
fédéral, dans le cas d'impasse constitutionnelle avec les
provinces . Ceci voudrait dire qu'une épée de Damoclès
référendaire - nous en avons eu une pendant trois ans et demie au
Québec, là, ce serait en permanence - serait suspendue sur la
tête des provinces et des citoyens et on aurait toujours la
possibilité qu'un référendum, conçu possiblement
pour servir les intérêts politiques du parti qui serait au pouvoir
à ce moment-là au niveau fédéral, viendrait
intervenir pour jeter de la confusion dans le déroulement normal du
processus politique.
Il me semble évident, Mme la Présidente, que ces
modifications que je viens d'évoquer affectent substantiellement
l'équilibre des rapports fédératifs au Canada. Ne
discutons pas du bien-fondé d'une charte des droits linguistiques, mais
convenons que, si le projet fédéral était adopté
dans sa forme actuelle, il rendrait la Législature du Québec
inapte à agir dans certains domaines qui auraient été
réservés à la Constitution par ce projet.
On peut dire, en vertu d'une logique très simple, que le
Québec, pour ne parler que de cette province-ci qui nous
intéresse davantage, se verrait ainsi dépouillé d'un droit
d'intervenir dans certaines matières qui lui a été reconnu
de façon incontestée jusqu'à maintenant et qu'il a,
d'ailleurs, exercé concrètement, suivant les formes qui pouvaient
être discutables, comme le disait le premier ministre tantôt, et en
vertu d'un pouvoir souverain que lui avait conféré la
constitution de 1867. Alors, on propose d'introduire ces changements à
l'initiative exclusive et unilatérale du Parlement
fédéral. Je pense que nous ne pouvons pas accepter une
manière de procéder comme celle-là.
Troisièmement, nous avons toujours soutenu, nous de l'Opposition
- nous l'avons fait de manière encore plus explicite au cours de la
période qui a marqué la préparation de notre livre beige,
document qui me paraît fort incompris, autant du côté de ce
gouvernement-ci que de l'autre - à maintes reprises que l'une des
raisons de notre attachement au fédéralisme canadien, c'est notre
conviction que le Québec, à l'intérieur du
fédéralisme canadien, est et doit être traité comme
un partenaire majeur et non pas comme un partenaire mineur. Ceci doit avoir des
répercussions pratiques. Ce principe entraîne notamment
l'obligation de reconnaître que le Québec doit être capable
de diriger ses affaires dans les domaines de sa compétence. Il exige
aussi que l'aval ou le consentement du Québec soit requis et
donné avant que l'on procède à de grandes décisions
communes susceptibles de modifier l'entente sur laquelle est fondé tout
le régime constitutionnel sous lequel nous vivons.
Certains citoyens m'ont dit au cours de mes visites électorales,
ces dernier temps: Mais, M. Ryan, est-ce que vous ne trouvez pas que le
Québec est représenté à Ottawa par des
députés élus au suffrage populaire également et qui
s'acquittent de leurs responsabilités nationales actuellement? Je
comprends très bien l'interrogation de ces citoyens qui se disent: Bien,
voici, il s'agit d'aller à Londres. On n'est pas pour y aller 25
à Londres; ça doit incomber à quelqu'un en particulier.
Suivant la sagesse commune et populaire, il est normal qu'il incombe au
gouvernement fédéral de faire une telle démarche. C'est,
d'ailleurs, une des quatre règles
constitutionnelles que j'ai évoquées tantôt.
Mais quand j'explique à ces citoyens que les
députés qui siègent à Ottawa, pour lesquels j'ai
tout le respect qu'il faut, sont responsables des affaires qui ont
été conférées à la responsabilité du
Parlement fédéral par la constitution, tout autant que les
députés élus à l'Assemblée nationale sont
responsables de manière souveraine des affaires qui ont
été confiées aux provinces par la constitution, quand
j'ajoute qu'une question comme celle que nous discutons aujourd'hui est de
celles qui intéressent en commun les deux ordres de gouvernement, ils se
rendent compte que la question n'est pas tout à fait aussi simple qu'on
pouvait le penser au départ. Moi, je reviens à cette affirmation
fondamentale qui est un élément essentiel de la position de mon
parti. Même si nous sommes représentés à Ottawa par
des citoyens que nous respectons, par des concitoyens qui ont autant le droit
d'émettre librement des opinions politiques et d'agir dans leur domaine
de compétence que nous pouvons l'avoir dans notre domaine de
compétence, je pense que, dans une matière aussi essentielle que
la constitution, le Québec ne peut pas être
représenté uniquement et exclusivement par des
députés élus à Ottawa. La vraie
représentation du Québec doit comporter cette dimension, mais
aussi l'Assemblée nationale du Québec et le gouvernement du
Québec. C'est ça qui fait le Canada. C'est l'harmonisation des
deux ordres de responsabilité. Et si jamais on voulait abolir cette
dimension dualiste de notre régime politique, je pense qu'il y aurait eu
un malentendu très profond quelque part. Moi-même, j'aurais
l'impression d'avoir été la victime d'une grave méprise
dont je me redresserais très rapidement, Mme la Présidente. (11 h
30)
Quatrième source de difficultés et d'objections. Le
Parlement fédéral est invité par le gouvernement
fédéral à entériner une démarche qui
consisterait à recourir à un Parlement étranger, celui du
Royaume-Uni, afin d'effectuer des modifications importantes - nous l'avons
établi tantôt - à la constitution du Canada. Il y a la
logique, d'abord, que j'évoquais à Acton Vale, l'autre jour; je
suis très heureux qu'on ait rappelé cette déclaration que
je faisais l'autre jour. Il me semble que nos collègues du Parlement
britannique, avec le moindrement de logique, devraient se rendre compte
très rapidement qu'il s'agit de choses qui ne les regardent pas.
S'il s'agit uniquement, pour la Grande-Bretagne, de se délester
de ce fardeau tutélaire qui lui a été imposé par
notre impuissance à nous entendre au Canada pendant des
générations, elle est libre de le faire en tout temps; il s'agit
pour elle d'adopter une loi très brève disant qu'elle ne veut
plus rien avoir à faire dans les affaires canadiennes et qu'elle nous
transfère tout le paquet de ce côté-ci de l'Atlantique.
Personne ne blâmera le Parlement britannique de faire une chose comme
celle-là.
Si les parlementaires britanniques allaient s'aviser d'adopter une
charte des droits pour les Canadiens, je pense qu'ils commettraient un acte
d'illogisme hautement ridicule. Vous savez comme moi que la Grande-Bretagne n'a
même pas de charte des droits, elle n'en a jamais voulu. Il y a des
ministres du cabinet de Mme Thatcher qui ont déjà soutenu
à plusieurs reprises qu'ils voudraient que la Grande-Bretagne ait une
charte des droits parce qu'ils se rendent compte que, même avec cette
tradition très solide de droit pragmatique que possède la
Grande-Bretagne, les citoyens n'ont plus, avec la monstrueuse croissance qu'a
connue l'appareil gouvernemental, les protections fondamentales auxquelles on
pensait qu'ils avaient droit et accès. Je mentionne Lord Hailsham, que
connaît sûrement le vice-premier ministre, qui a été
président de la Chambre autrefois, qui avait écrit un article
célèbre il y a à peine quatre ou cinq ans dans lequel il
disait qu'on était rendu à un stade, en Angleterre, où il
faut absolument envisager l'adoption d'une charte fondamentale des droits. Il
est très discret sur ce sujet depuis qu'il fait partie du cabinet de Mme
Thatcher. C'est une autre question, c'est son problème.
Il y a une chose qu'on doit également rappeler: Quand la
Grande-Bretagne a décidé d'adhérer au marché commun
européen, il a fallu qu'elle donne son adhésion à la
déclaration de droit qui est un élément constitutif de
l'ensemble politique européen. Il s'ensuivit un long débat au
Parlement britannique. Savez-vous ce qu'ils ont décidé, Mme la
Présidente? Ils ont décidé d'adhérer pour une
période limitée de trois ans. C'est le genre d'adhésion
qu'on entrevoit parfois de l'autre côté de la Chambre. Ils avaient
tellement peur des droits fondamentaux garantis par les documents
européens qu'ils ont dit: On va essayer cela pour trois ans.
Là, ils sont pris avec un problème: Le renouvellement
devient échu, je pense, au mois de juillet. Ce sera très
intéressant de voir l'attitude qu'ils prendront. Je crois qu'ils en ont
assez de ce problème-là, ils ne devraient pas mettre le nez dans
le problème posé au Canada. Je pense que c'est clair pour tout le
monde. J'ose souhaiter que le problème ne se rende jamais jusqu'à
Londres. Je pense qu'il y a encore de grandes possibilités de
régler la question au Canada. Si jamais cela devait se rendre jusque
là-bas, je renouvelle l'objection fondamentale que j'ai formulée
à maintes reprises et que j'ai répétée ce matin
devant cette Chambre.
Finalement, dernière source d'objection. Je pense que le projet
du gouvernement fédéral nous conduit par voie d'implications. Il
n'est pas du tout question ici d'imputation de motifs, mais je me souviens,
quand j'étais journaliste, que les meilleurs articles que je pense avoir
écrits, c'étaient ceux où je n'avais aucune information
interne.
Une voix: Un peu de modestie!
M. Ryan: Non, non, il arrive qu'on en fasse quelques bons quand
on en a écrit 4000. Ce n'est pas donné à tout le monde
d'en écrire 4000. Les articles qui m'attiraient le plus de
réactions favorables, pour m'exprimer d'une façon plus
précise et plus acceptable pour nos amis d'en face, c'étaient
ceux que j'écrivais sans avoir aucune information interne sur ce qui se
passait à l'intérieur du gouvernement ou dans les partis et les
intrigues de corridors. J'étais complètement ignorant de cela et
je me disais: je vais essayer de ne pas être au courant, je vais essayer
de réagir avec ma logique et examiner les positions de chaque partenaire
dans leurs implications objectives. C'est ce que je fais dans ce cas-ci et
je pense que si nous acceptions le cheminement proposé par le
gouvernement fédéral, nous pourrions être conduits par
étapes à des changements très profonds dans la nature
même du régime fédéral qui nous gouverne. Le
régime fédéral a été fondé
jusqu'à maintenant sur le principe de l'égalité des deux
ordres de gouvernement chacun à son niveau. Il n'était pas
question qu'un ordre de gouvernement soit subordonné à l'autre ou
qu'un ordre de gouvernement jouisse d'une prépondérance sur
l'autre, sauf évidemment dans les matières qui relèvent de
la compétence de chacun.
Avec la méthode qu'introduit le projet fédéral, on
affirme la prépondérance du gouvernement fédéral
sur les provinces. C'est un nouveau principe politique qui, à mon point
de vue, ouvre une page entièrement nouvelle dans l'histoire du droit
constitutionnel et de l'évolution politique du Canada et nous ne croyons
pas que ce soit la bonne voie dans laquelle il convient d'engager le Canada
à l'heure actuelle.
Nous soutenons que la constitution est la propriété et la
responsabilité communes des deux ordres de gouvernement. Si l'on veut
instituer des changements majeurs devant affecter la constitution, ces
changements doivent être faits moyennant l'accord des deux ordres de
gouvernement. Aucun des deux ne peut s'arroger le privilège ou le droit
d'agir seul dans ces questions qui sont de nature à modifier les
rapports fédératifs.
En conséquence de tout ceci et en conformité avec la
position définie dans le document constitutionnel du Parti
libéral du Québec et dans de nombreuses interventions qu'il m'a
été donné de faire sur ces questions au cours des
dernières semaines, j'affirme, Mme la Présidente, que dans le
projet fédéral sous sa forme actuelle, il y a plusieurs aspects
qui sont inacceptables à la lumière des intérêts
bien compris, non seulement du Québec, mais de l'ensemble de la
fédération canadienne.
Maintenant j'en arrive à la motion qui nous est
présentée par le gouvernement et dont nous allons discuter avec
beaucoup d'intérêt. Ce n'est pas la première fois que dans
cette Chambre les députés sont invités à se
prononcer sur une motion un peu spéciale traitant des questions
constitutionnelles. À au moins une quinzaine de reprises, depuis 20 ans,
il est arrivé que l'Assemblée nationale soit appelée
à se prononcer sur des motions qui mettaient en cause des projets du
gouvernement fédéral ou des décisions
arrêtées par le pouvoir central. Il y a cependant une
différence que je tiens à signaler dans ce cas-ci. Dans le
passé, lorsque des motions de cette nature furent
présentées, un certain nombre furent adoptées à
l'unanimité. Je pense qu'il y en a eu peut-être dix ou douze qui
furent adoptées à l'unanimité. Je rappellerai tantôt
à nos vis-à-vis qu'il leur est arrivé de s'abstenir sur
des motions qui mettaient en jeu des questions fondamentales parce qu'ils
n'aimaient pas la présentation. On donnera des précisions
là-dessus en temps utile. Ce que je veux rappeler, c'est que le contexte
d'aujourd'hui est très différent de celui qui existait auparavant
parce que, jusqu'alors, il existait dans cette Chambre un consensus profond et
solide en ce qui touche l'adhésion du Québec au régime
fédéral canadien et ce qu'on voulait défendre, en
s'opposant à tel ou tel démarche, décision ou projet du
gouvernement fédéral, c'était l'essence même d'un
régime auquel tout le monde croyait et adhérait.
Là, nous sommes dans une situation différente parce que,
comme je l'ai signalé hier, le gouvernement est dans une situation de
contradiction invincible à mon point de vue, tant que nous n'aurons pas
eu la lubrification que peut seul procurer un affrontement électoral
à la grandeur de tout le Québec.
Nonobstant ce facteur, nous sommes disposés à voter en
faveur de la motion parce que, comme je l'ai dit tantôt, nous pensons que
sous plusieurs aspects, la démarche du gouvernement
fédéral qui est présentement à l'étude est
incorrecte et inacceptable. On nous dira qu'elle n'est pas encore
acceptée par le Parlement fédéral, c'est vrai. C'est
peut-être justement pourquoi il incombe que ces choses soient dites avant
qu'un tort irréparable n'ait été fait. De ce
côté-là pas de problème. (11 h 40)
II est cependant très important de situer cette motion dans le
contexte politique et social vrai et précis où elle intervient.
Je n'ai pas l'intention de m'étendre longtemps là-dessus parce
que j'en ai parlé abondamment hier. Nous sommes d'abord dans un contexte
postréférendaire faisant suite à un
événement historique à l'occasion duquel le peuple
québécois n'a pas simplement dit oui ou non, mais a fait le choix
d'une direction quant à son avenir. Je me souviens que moi-même,
j'ai été à l'origine de toute la thématique de la
campagne référendaire du non. L'image que j'avais
empruntée et qui a servi de base à toute notre campagne
était l'image des deux voies qui se distancient de plus en plus l'une de
l'autre à mesure que l'on avance. Nous partions du même point.
L'Assemblée nationale et l'option de la souveraineté-association
s'en allaient de cette façon; l'option du fédéralisme
canadien de l'autre. J'avais dit: C'est pour cette raison que nous avons un
référendum, parce qu'il y a deux voies qui vont s'éloigner
de plus en plus l'une de l'autre à mesure que nous avancerons. Il me
semble que c'est très important que nous indiquions clairement que c'est
à l'intérieur de la voie qui a été choisie par le
peuple souverain à l'occasion du référendum que s'inscrit
la motion sur laquelle le gouvernement nous invite à nous prononcer
maintenant.
Deuxièmement, nous sommes dans un contexte électoral et
aussi préélectoral; électoral en ce sens que quatre
élections complémentaires auront lieu lundi prochain. Je pense
que le chef du gouvernement conviendra avec moi que ce n'est pas la question
dont les électeurs de ces comtés nous parlent le plus quand nous
allons les visiter. Ils aiment nous parler de beaucoup d'autres sujets.
Celui-ci n'est pas le plus fréquemment soulevé par nos
concitoyens. Je me suis même fait dire à plusieurs reprises: Vous
devriez nous parler beaucoup moins de ces choses. Notez que ce n'est pas moi
qui en parle; ce sont d'autres qui en parlent. Je suis obligé de
réagir. De mon propre instinct, j'en parlerais assez peu souvent
malgré toutes les légendes qui peuvent exister à ce
sujet.
Mais revenons à notre sujet. Nous sommes dans un contexte
électoral, dans un contexte qui va déboucher sur une
élection générale à plus ou moins brève
échéance. Il faut éviter la confusion.
II faut éviter la confusion dans les esprits. La nature
même de notre régime repose sur une relation d'adversaires entre
le gouvernement et l'Opposition. C'est pour cette raison que nous sommes
situés des deux côtés opposés de la Chambre et
qu'entre nous il y a toute une batterie de fonctionnaires qui nous
empêchent de nous prendre aux cheveux. Vous avez le règlement
quand il le faut pour nous rappeler à l'ordre et une présidence
que nous respectons beaucoup également. Nos gens ont été
habitués à ce système. Nos concitoyens - je pense que nous
devons les comprendre - ont été habitués à ce
système. Ils ne comprendraient pas que l'Opposition donne l'impression
de s'allier avec le gouvernement sur une chose où, comme je le rappelais
hier, les esprits sont peut-être beaucoup plus partagés qu'on ne
le pense dès qu'ils sont saisis de toutes les implications d'un sujet.
Par conséquent, nous devons faire montre de réalisme en cette
matière et éviter de semer la confusion dans un domaine où
il en existe déjà beaucoup.
J'ai noté aussi en travaillant au ras du sol une grande
méfiance chez plusieurs de nos concitoyens à l'endroit d'une
certaine propension à la manipulation qui s'est trop souvent
manifestée du côté du gouvernement. On redoute
énormément les tactiques, les calculs stratégiques, les
sondages et autres formes de manipulation, hélas! trop familiers de
votre côté de la Chambre.
Une voix: C'est cela!
M. Ryan: Enfin, je pense qu'il nous incombe, comme parlementaires
chargés d'éclairer nos concitoyens sur ces questions,
d'éviter de semer délibérément la confusion dans
leurs esprits. Je pense que, finalement, celui qui a une approche simple
à ces problèmes a raison sur nous tous qui sommes des
grammairiens et des théologiens de la constitution. Celui qui voit les
choses d'une manière simple est celui qui a raison, et quand vous parlez
à l'homme de la rue, il vous ramène ces choses à des
dimensions beaucoup plus claires, beaucoup plus nettes que celles que nous
pouvons mettre au point ou chercher à définir ici. Nous ne devons
pas verser dans des méthodes ou des modes d'intervention qui
accroîtraient la confusion au lieu d'établir clairement les
positions de chacun. Aussi, insisterons-nous pour que la motion gouvernementale
soit amendée d'une manière raisonnable et d'une manière
qui respecte la réalité des faits politiques d'aujourd'hui et des
derniers mois.
En conséquence, je déposerai tantôt, à la fin
de cette intervention, un projet d'amendement qui comportera notamment les
éléments suivants. D'abord, une évocation du choix
référendaire. Au référendum, comme je le disais
hier, les citoyens ont rejeté l'option de la
souveraineté-association et exprimé du même coup, de
manière implicite, leur attachement au fédéralisme
canadien. Il faut que ceci soit clairement inscrit dans la motion.
Deuxièmement, si nous prétendons réformer le
système fédéral canadien, il faut au moins que nous
croyons aux avantages politiques, sociaux, culturels et économiques
qu'il procure aux citoyens de ce pays. Si nous procédons à la
réforme du système du bout des lèvres, comme des gens qui
ont reçu l'obligation de s'acquitter d'un pensum et qui ne croient pas
en ce qu'ils font, nous ne sommes pas sincères et nous ne faisons pas
avancer la cause du fédéralisme, même en nous donnant
l'impression de le défendre.
Troisièmement, il faut affirmer la nécessité de
changement dans le régime constitutionnel actuel. On nous a dit que cela
avait été un des thèmes mis de l'avant par les
protagonistes du non pendant la campagne référendaire; c'est
vrai. Moi-même, j'ai personnellement soutenu qu'il fallait des
changements à notre système fédéral canadien bien
avant d'entrer dans la politique. L'une des raisons pour lesquelles on m'a
invité à entrer dans la politique active, c'était
justement l'argument qu'on a fait valoir auprès de moi que je pourrais
contribuer à faciliter l'instauration de changements raisonnables et
acceptables.
Quatrièmement, il faut que ces changements soient
recherchés en conformité avec les principes de base de notre
fédéralisme canadien. J'ai remarqué la tactique du
gouvernement; elle est bien facile à comprendre. J'ai bien
observé le comportement du gouvernement à la commission
parlementaire en août dernier; c'était très
intéressant à suivre. Cela consiste à aller aussi loin
qu'on peut sans compromettre l'objectif de la souveraineté-association
en gardant toujours la porte ouverte pour celui-là. Jamais - je l'ai dit
d'ailleurs à propos du message inaugural du premier ministre l'autre
jour - on n'a cet engagement cordial, cet engagement de fond à l'endroit
des valeurs qui doivent sous-tendre l'option fédérale et le
régime fédéral. Je vous dis que tant qu'on recherchera la
modification de ce régime du bout des lèvres, sans que le coeur
et la conviction y soient, nous aboutirons à des résultats
stériles.
Cinquièmement, cette recherche de changement en conformité
avec les principes du fédéralisme canadien postule qu'aucun
changement ne doit être institué sans le consentement
conjugué du Parlement fédéral et des Législatures
des provinces.
Le sixième élément qui était
déjà dans la motion, mais que nous formulons d'une manière
un petit peu différente pour le rendre plus distinct et plus vigoureux,
c'est le principe de la non-ingérence dans les affaires du Canada que
nous rappelons bien cordialement à nos amis du Parlement britannique,
dans l'hypothèse où ils seraient éventuellement saisis du
projet fédéral.
Voilà les points qui résument la position de mon parti sur
la motion du gouvernement. Nous sommes disposés à voter pour
cette motion à condition que l'on accepte des modifications qui la
rendront vraisemblable et vraiment fidèle au contexte politique
précis d'aujourd'hui, tel que créé...
Maintenant, il me reste un certain temps, Mme la Présidente. Je
pense que l'étape d'aujourd'hui est une étape entre plusieurs.
J'ai exprimé, à maintes reprises, ma conviction que le projet
fédéral ne se rendrait pas à terme dans sa forme actuelle
et je garde cette conviction. Je suis un perpétuel optimiste en ces
matières. J'appuie ma conviction sur un fait qui est quand même
clair. Le premier ministre du Canada n'est pas un homme qui change facilement
d'opinion, mais il lui arrive de changer de position pratique, comme à
tout le monde. Au cours des douze dernières années, je pense
qu'il n'a jamais imposé unilatéralement aucun changement
constitutionnel.
Si je me trompe, on me corrigera tout à l'heure; cela me fera
bien plaisir de l'entendre. Il est arrivé souvent avec des propositions
qui étaient éminemment discutables, mais je ne me souviens pas
qu'il les ait incorporées d'autorité ou de force dans la
constitution du pays. Je garde la conviction qu'avant que tout ce processus ne
soit terminé... Et rendons hommage, au passage, à cette
liberté que nous avons au Canada, avant d'être pris avec des
décisions irrémédiables, d'exprimer nos opinions, de faire
valoir des objections et de lutter pour obtenir des changements. (11 h 50)
Par-delà le moment d'aujourd'hui - où j'espère que
nous pourrons nous entendre, pourvu que le gouvernement manifeste de la bonne
volonté, du réalisme et, je dirais, un peu d'humilité,
comme on nous a souvent conseillé d'en manifester - je crois qu'il faut
regarder plus loin et qu'il faut se demander ce qu'il va arriver de notre
régime fédéral canadien. Or, j'affirme dans cette
perspective, Mme la Présidente, qu'il faut sortir de l'impasse où
nous sommes plongés depuis plus d'un demi-siècle et j'affirme
également que nous ne sortirons pas de l'impasse si chacun des
partenaires maintient exactement et littéralement les mêmes
attitudes rigides qu'il a défendues dans le passé et qui nous ont
conduits à l'impasse où nous sommes tous plongés. Il
faudra absolument que nous cherchions à sortir honorablement de
l'impasse actuelle, c'est-à-dire dans un esprit de recherche de
compromis qui n'a rien de commun avec l'appel à la guerre ou à la
croisade. Quand j'ai parlé, hier, de ma méfiance instinctive
à l'endroit des appels à la croisade, je voulais dire que la
vraie manière fédérale de rechercher une solution à
ce problème, c'est une tout autre manière sur laquelle je vais
m'étendre un petit peu tantôt.
Il faut, pour que nous sortions honorablement de l'impasse, que les
parties bougent. Quand un conflit de travail est parvenu à un stade de
gel d'où aucune des parties ne semble capable de sortir, que de fois
j'ai entendu l'ancien ministre du Travail nous dire en cette Chambre: II faut
que ça bouge d'un côté ou de l'autre. Il faut que les
parties bougent; autrement, le gouvernement sera peut-être obligé
d'intervenir. On a entendu cela combien de fois. Alors, il me semble que, dans
la situation où nous sommes, il ne serait pas mauvais de nous rappeler
qu'il faut que les parties bougent quelque peu si nous voulons sortir d'une
impasse qui risque de nous paralyser tous pour encore des
générations à venir.
Alors, que pourrions-nous envisager dans cette perspective, autant du
côté de Québec que du côté du gouvernement
fédéral? Je voudrais proposer ici des éléments de
réflexion. Ce ne sont pas des conclusions nettement
arrêtées; je réfléchis tout haut comme un homme de
bonne volonté. Tout le monde doit reconnaître au moins son
impuissance devant la situation actuelle et essayer de mettre de l'avant
certaines réflexions qui pourraient être de nature à
rapprocher les principaux acteurs. Du côté de Québec, je
dis d'abord - et là-dessus il n'y a aucun débat entre nous -
qu'il faut soumettre à l'épreuve des tribunaux les aspects
douteux ou contestables du projet fédéral. Je pense qu'il y a
accord entre tous les partis sur cette démarche. Le premier ministre
aura sans doute l'occasion de nous informer sur les progrès du travail
qui s'accomplit en ce sens au cours des prochains jours, mais je pense que
là-dessus il n'y a pas de problème et je réitère
aujourd'hui que nous tenons à ce qu'une clarification judiciaire
intervienne au sujet des aspects litigieux du projet fédéral.
Il y a des citoyens qui m'ont demandé, Mme la Présidente:
Comment pouvez-vous traîner le premier ministre du Canada devant les
tribunaux, procédure humiliante et honteuse au possible? Il n'est pas
question de traîner le premier ministre du Canada personnellement devant
les tribunaux. Au contraire, nous reconnaissons qu'il joue son rôle avec
beaucoup de dignité; c'est un problème qui dépasse de
beaucoup la personne du premier ministre du Canada et du premier ministre du
Québec. C'est un problème de définition de
compétences entre deux ordres de gouvernement, qui sont également
dynamiques chacun de leur côté. Nous avons au Canada un
mécanisme qui nous permet de trancher des problèmes qui peuvent
surgir dans ce domaine, c'est le mécanisme du recours à
l'arbitrage des tribunaux. Je pense que c'est très important que cette
démarche soit poursuivie.
Deuxièmement, je pense qu'il faut être prêt à
reconsidérer la stratégie conditionnelle qui nous a guidés
jusqu'à maintenant en matière de rapatriement et d'amendement. Le
premier ministre a cité tantôt des extraits de déclarations
que j'ai moi-même faites dans un passé plus ou moins
récent. J'ai adhéré moi-même à cette approche
qui consistait à dire: Pas de rapatriement avant que tout le paquet soit
bien nettoyé ou bien ficelé au Canada et on verra ensuite. Je
pense que nous comprenons tous très bien cette position, je pense que
nous l'avons à peu près tous défendue à un moment
ou l'autre. Il n'est pas question de condamner ceux qui l'ont défendue
dans le passé, même ceux qui peuvent la défendre
aujourd'hui.
Je pense que, dans son contenu objectif, elle équivaut à
nous appuyer sur la protection tutélaire de la Grande-Bretagne pour
régler nos problèmes. Je ne pense pas que ce soit une position
qui, en bonne logique, soit défendable beaucoup plus longtemps. Il
faudra que nous acceptions que le Canada, de pays de 3,000,000 d'habitants
qu'il était en 1867, est devenu un pays de 25,000,000 d'habitants, avec
des institutions politiques, universitaires, journalistiques, syndicales,
économiques, financières, etc., qui lui donnent tout
l'équipement dont il a besoin pour régler ses problèmes
ici.
Il n'est pas nécessaire, de manière aussi
arithmétique qu'il pouvait sembler autrefois, que nous maintenions cette
politique d'une manière figée. Elle équivaut à un
veto opposé à toute évolution au Canada même, en ce
qui touche cette question.
Aussi, dès le mois d'août dernier, à la commission
parlementaire sur l'avenir de la constitution, qui a siégé les 14
et 15 août, j'avais fait valoir qu'il fallait mettre un peu
d'élasticité, un peu de souplesse dans cette position et j'avais
constaté avec plaisir que le ministre des Affaires intergouvernementales
était prêt à faire un pas dans le même sens; il avait
même laissé entrevoir, à un moment donné, la
possibilité, je crois que ça vaut la peine de le citer au texte,
parce que c'est peut-être une des choses les plus
importantes qu'il a dites cette fois-là, il n'a pas parlé
beaucoup entre parenthèses, c'était très sybillin: "Sur
l'idée du rapatriement même, il n'y a pas vraiment eu de
discussion. Cela faisait partie, en quelque sorte, d'une sorte d'idée
reçue, le rapatriement en soi était considéré par
à peu près tout le monde et cela peut causer un problème,
compte tenu de ce que vous avez dit ce matin, M. le chef de l'Opposition, le
chef de l'Union Nationale et nous-même. Pour beaucoup de provinces, pour
les autres provinces et pour le gouvernement fédéral, le
rapatriement, cela semble être en soi une priorité. Il y a en a
plusieurs, je dirais la majorité, qui disent: On peut faire le
rapatriement, mais à condition qu'il y ait une formule d'amendement.
Mais j'irais même jusqu'à dire - c'est le ministre des Affaires
intergouvernementales qui parle, le 14 août dernier - que s'il n'y avait
pas de formule d'amendement, ce serait peut-être possible qu'on en arrive
à l'idée où il y aurait un rapatriement de la vieille
constitution, point, sans formule d'amendement. Mais ce n'est pas résolu
au moment où je vous parle."
Alors, il y avait une certaine ouverture dans ces propos, je ne sais pas
si elle s'est refermée depuis ce temps, mais j'espère qu'elle est
encore là. Je crois qu'il faut aller plus loin dans l'exploration de
cette voie et je vous dirai que, personnellement, sans que la question ait
encore été abordée par mon parti et que notre position
fondamentale ait été le moindrement altérée
là-dessus, je serais prêt à examiner les voies
suivantes:
D'abord, disons un rapatriement accompagné de l'amendement
à la règle de l'unanimité pour une période
limitée. Au bout d'une période limitée, qui pourrait
être de deux ou trois ans, en cas de désaccord invincible, sur une
formule d'amendement, recours au peuple, moyennant des modalités qui
devraient cependant être agréées du fédéral
et des provinces pour le choix entre deux formules d'amendement qui pourraient
être mises de l'avant par le Parlement fédéral, disons, et
les provinces. Mais ce sur quoi j'insiste, c'est que tout au cours de
l'opération, il faut maintenir le principe du cheminement
bilatéral, il faut être prêt à ajouter à notre
perception des choses des éléments nouveaux qui n'avaient pas
été entrevus aussi clairement par le passé. Je pense que
cet élément d'autorité souveraine du peuple, en fin de
compte n'est pas un élément négligeable. Nous autres, nous
avons dans notre programme une disposition voulant que, quand nous nous serons
entendus sur toute une nouvelle constitution, nous la soumettions au peuple
pour ratification. Ce serait un exercice symbolique très
intéressant, mais qui n'aurait pas un grand contenu politique. Mais
mettre le peuple dans le coup et lui dire: II y a deux formules qui
s'affrontent, pourvu que les deux soient agréées comme
élément à soumettre au peuple, à ce
moment-là, ce serait très intéressant. Là, je
préconiserais un bilatéralisme dont, malheureusement, nous
n'avons pas eu l'exemple de la part du gouvernement quand il s'est agi de la
question référendaire. Nous vous l'avions dit à l'occasion
du référendum. C'était tellement important que nous
voulions le bilatéralisme. Ici, là, je veux qu'il soit maintenu
et, à aucun endroit dans les remarques que je fais, nous n'abandonnons
ce principe fondamental.
Du côté d'Ottawa, je formulerais les voeux suivants, dans
un esprit canadien et dans un souci de collaboration positive: D'abord, je
crois que le gouvernement fédéral devrait revenir explicitement
à la règle classique du bilatéralisme en matière de
réforme constitutionnelle. On ne demande pas un acte de pénitence
public à qui que ce soit - il y a bien des manières de faire ces
choses - mais je crois qu'il est hautement désirable que le gouvernement
fédéral revienne à cette règle, parce que si on n'y
revient pas, je pense que toute l'atmosphère va s'en trouver
empoisonnée et ce sera très difficile de poursuivre le travail de
réforme dans l'esprit de confiance réciproque sans lequel il ne
peut pas vraiment progresser.
Deuxièmement, je crois que le gouvernement fédéral
devrait limiter la portée de son projet d'une manière qui
pourrait ressembler à ceci: Par exemple - ceci est sujet à
accords avec les provinces qui demanderaient qu'il y ait évidemment de
nouvelles rencontres - le rapatriement plus l'amendement suivant la
règle de l'unanimité jusqu'à ce que, d'ici deux ou trois
ans, en l'absence d'un accord sur une formule permanente d'amendement, on
envisage un recours au peuple. Je vous le dis, c'est une chose que nous aurions
intérêt à regarder en toute impartialité.
Troisièmement, il faudrait absolument que le gouvernement
fédéral abandonne le principe de ce référendum plus
ou moins permanent qui est inscrit dans l'article 42 de son projet. Je pense
que cela n'est pas acceptable, non seulement aux yeux du Québec, mais
aux yeux d'un grand nombre de partenaires de la fédération.
Quatrièmement, je pense que le gouvernement fédéral
aurait profit à ouvrir une dernière ronde de négociations
avec les provinces sur la question des droits fondamentaux et des droits
linguistiques.
En cas de désaccord avec celles-ci, je crois qu'il devrait se
borner, s'il tient absolument à adopter une charte des droits, à
proposer une charte des droits dont l'effet et l'application seraient
limités jusqu'à nouvel ordre au Parlement et aux institutions
fédérales.
Finalement, en tout état de cause, le gouvernement
fédéral devrait être prêt à s'engager à
ne rien faire de définitif avant que les tribunaux canadiens ne se
soient prononcés, ce qui veut dire qu'il devrait, en bonne sagesse,
surseoir à toute démarche à Londres avant que les
tribunaux canadiens ne se soient prononcés sur ce qu'il restera en
dernière analyse et au stade de l'approbation parlementaire du projet
présentement à l'étude à Ottawa.
Il n'est pas question que le Parlement fédéral interrompe
son travail pour le moment; le ministre de la Justice fédéral a
dit souvent que, s'il fallait interrompre le processus parlementaire chaque
fois que quelqu'un soulève une difficulté constitutionnelle, les
Parlements deviendraient incapables de fonctionner. Je pense qu'il
émettait une évidence. Mais là où ce ne serait plus
une évidence, c'est si, après avoir adopté son projet, le
Parlement fédéral, le gouvernement fédéral
décidait de procéder tout de suite auprès du Parlement
britannique. Il me semble qu'à ce stade-là il faudrait qu'il y
ait une vérification auprès des tribunaux, avant qu'on ne fasse
des choses irrémédiables au plan international.
En conclusion, Mme la Présidente, il faut aborder ce
problème avec un esprit vraiment fédéral. L'esprit
vraiment fédéral est un esprit imprégné de respect
pour la position et la personne de l'autre. C'est un esprit
imprégné de respect pour les données objectives, les
problèmes très difficiles auxquels on est parfois appelé
à faire face dans le domaine constitutionnel. C'est un esprit qui
recherche honnêtement un consensus dans des questions difficiles autour
desquelles les principes ne sont pas toujours faciles à définir,
mais autour desquelles certains principes aussi peuvent être maintenus
à tout prix. C'est un esprit imprégné d'une saine
humilité devant sa propre position. C'est un esprit qui refuse toute
précipitation mettant bien au-delà des résultats
immédiats que l'on pourrait espérer obtenir
l'intérêt supérieur de la société que l'on
entend servir. C'est un esprit qui n'a rien de commun encore une fois avec
l'esprit de guerre, avec l'esprit de croisade, avec l'esprit de
dénonciation, avec les luttes personnelles entre chefs politiques. Les
pays et les peuples sont infiniment plus grands que les hommes et les partis
qui prétendent les diriger. C'est à la lumière de cet
esprit que nous devrions chercher à nous entendre.
Motion d'amendement
Dans cet esprit, je voudrai, Mme la Présidente, en conclusion,
proposer l'amendement suivant à la motion qui nous est
présentée par le gouvernement.
Je propose que la motion principale soit amendée,
premièrement, en retranchant du premier alinéa les mots "au lieu
d'en poursuivre ici le renouvellement par voie de négociation". Vous
comprendrez tout de suite que c'est un problème de concordance. Ce
principe revient ailleurs dans l'amendement que nous proposons. Il n'est pas
question, évidemment, de l'abandonner.
Deuxièmement, en insérant, entre le premier et le
deuxième alinéa, l'alinéa suivant: "Fidèle à
la volonté de la majorité des citoyens du Québec qui a
exprimé son attachement au fédéralisme canadien en
rejetant l'option de la souveraineté-association lors du
référendum du 20 mai 1980 et consciente des avantages du
fédéralisme canadien et de la nécessité de
l'adapter aux réalités d'aujourd'hui, l'Assemblée
nationale affirme que le renouvellement de la Constitution canadienne doit
être réalisé au Canada en conformité avec les
principes du fédéralisme et, en conséquence, par la voie
de négociation entre les deux ordres de gouvernement et avec le
consentement conjugué du Parlement fédéral et des
Législatures des provinces."
Troisièmement, en retranchant du deuxième alinéa
les mots "et du Parlement du Royaume-Uni", et en ajoutant, après le mot
"fédéral", à la dixième ligne du deuxième
alinéa, le mot "canadien".
Quatrièmement, en ajoutant à la fin l'alinéa
suivant: "L'Assemblée nationale met le Parlement britannique en garde
contre toute intervention dans les affaires canadiennes par l'adoption de
quelque modification à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
qui n'aurait pas l'appui des provinces du Canada".
Ainsi amendée, Mme la Présidente - je terminerai par ceci
- la motion se lirait comme suit: "L'Assemblée nationale du
Québec s'oppose formellement à la démarche entreprise par
le gouvernement fédéral, de façon unilatérale, et
malgré l'opposition de la majorité des provinces, en vue de faire
modifier la constitution du Canada par le Parlement britannique. "Fidèle
à la volonté de la majorité des citoyens du Québec,
qui a exprimé son attachement au fédéralisme canadien en
rejetant l'option de la souveraineté-association lors du
référendum du 20 mai 1980 et consciente des avantages du
fédéralisme canadien et de la nécessité de
l'adapter aux réalités d'aujourd'hui, l'Assemblée
nationale affirme que le renouvellement de la Constitution canadienne doit
être réalisé au Canada en conformité avec les
principes du fédéralisme et, en conséquence, par la voie
de négociation entre les deux ordres de gouvernement et avec le
consentement conjugué du Parlement fédéral et des
Législatures des provinces. "Puisque cette constitution définit
depuis 1867 les droits du Québec en tant qu'Etat membre fondateur de la
fédération canadienne, l'Assemblée nationale demande aux
membres du Parlement du Canada de ne pas donner suite à cette
démarche unilatérale qui est contraire à la nature
même du système fédéral canadien et a la
règle bien établie du nécessaire consentement des
provinces. "L'Assemblée nationale met le Parlement britannique en garde
contre toute intervention dans les affaires canadiennes par l'adoption de
quelque modification à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
qui n'aurait pas l'appui des provinces du Canada."
Voilà ce que nous sommes prêts à adopter.
Deuxième mise en garde.
Voilà ce que nous sommes prêts à adopter, Mme la
Présidente, sur le fond. Nous avons fait notre devoir
intégralement. Je demande au gouvernement de faire le sien sur la partie
qui avait été omise de sa motion.
Une voix: Bien!
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle,
dès que j'aurai reçu la copie de cet amendement, j'aimerais
pouvoir le regarder de près pour pouvoir statuer sur sa
recevabilité quant à la motion principale. Alors, ou bien nous
suspendons ou bien nous...
M. le leader de l'Union Nationale. (12 h 10)
M. Fontaine: Conformément à une espèce de
tradition qui s'est établie depuis quelque temps en cette Chambre,
j'aimerais demander le consentement du leader du Parti libéral et
également le consentement du gouvernement à l'effet que le chef
de l'Union Nationale puisse immédiatement prononcer son allocution pour
ensuite revenir sur la motion d'amendement, sur sa recevabilité et sur
sa discussion.
La Vice-Présidente: M. le leader de l'Opposition
officielle.
M. Levesque (Bonaventure): Mme la Présidente, vous
connaissez toute l'estime que j'ai personnellement pour le chef de l'Union
Nationale, d'autant plus que c'est un Gaspésien.
Mais, Mme la Présidente, vous comprendrez
- et j'en ai déjà fait part au leader parlementaire du
gouvernement - que nous n'avons pas l'intention, au cours de ce débat,
de laisser se multiplier les motions d'amendement sans que nous ne disposions
de chacune, une à la fois.
C'est pour cela, Mme la Présidente, que nous devons insister pour
que nous puissions d'abord connaître votre réaction quant à
la recevabilité de la motion. Ensuite, nous allons insister pour que
cette motion soit débattue avant que nous procédions à
toute autre affaire.
Cependant, s'il était un peu plus tôt dans l'avant-midi, si
j'avais eu l'engagement du chef intérimaire de l'Union Nationale
à l'effet qu'il n'avait pas de motion d'amendement à
présenter, à ce moment-là, nous aurions pu nous
entendre.
Cependant, j'apprends que nous allons ajourner dans vingt minutes.
Enfin, on a communiqué cette information au whip de notre parti, parce
qu'il s'agit d'un mercredi. À ce moment-là, si on doit mettre de
côté cette entente et qu'on doive passer de 12 h 30 à 13
heures, je pense qu'il serait important d'avoir immédiatement votre
décision, même si nous devions suspendre quelques instants. Je
pense bien qu'à sa face même, cette motion d'amendement est tout
à fait recevable, et je pense que le gouvernement n'a aucun
intérêt à commencer un débat de procédurite.
S'il le fait, ce sera à ses risques et périls.
La Vice-Présidente: M. le leader de l'Union Nationale. M. le
leader du gouvernement, je vous donne la parole immédiatement.
M. Charron: Cet immense piège que vient d'ouvrir le leader
de l'Opposition, je pense qu'on peut le refermer tout de suite. Je veux dire
d'abord que je n'ai pas du tout l'intention de contester la
recevabilité. À mes yeux, elle m'apparaît parfaitement
recevable, donc, enlevez toutes les monstruosités que vous
appréhendiez.
D'autre part, je crois que s'il est un moment où la tradition
d'entendre les trois chefs un à la suite de l'autre devait être
respectée, c'est bien sur une motion qui vise à s'adresser
à des assemblées à l'extérieur de la nôtre.
En conséquence, je crois que, même si nous devions franchir le
traditionnel arrêt à 12 h 30, nous devrions profiter de la
largesse de notre règlement qui nous permet d'aller jusqu'à 13
heures et ainsi entendre le chef de l'Union Nationale sur la motion
principale.
D'autre part, Mme la Présidente, je suis parfaitement d'accord
avec ce que dit le leader de l'Opposition sur le fait qu'une fois cette
intervention faite, le prochain intervenant qui sera du côté
gouvernemental devra faire porter ses propos sur la motion d'amendement - et
ce, jusqu'à ce que nous en ayons disposé - que vient de
déposer le chef de l'Opposition officielle. De même, tout projet
de sous-amendement qui viendra par la suite aura priorité sur le projet
d'amendement du chef de l'Opposition.
La Vice-Présidente: M. le leader de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Mme la Présidente, dans un
grand esprit de collaboration, je pourrais faire cette suggestion: c'est que
nous puissions entendre le chef intérimaire de l'Union
Nationale, mais à deux conditions et on comprendra pourquoi.
Si nous avons l'assurance que le leader de l'Union Nationale n'a pas
d'amendement - il faudra s'entendre là-dessus parce que, autrement, cela
devient inintelligible, cette histoire premièrement, est-ce que le
leader peut m'assurer de cela?
La Vice-Présidente: M. le leader de l'Union Nationale.
M. Fontaine: Je peux vous assurer, Mme la Présidente, que
le chef de l'Union Nationale, dans son discours, ne proposera pas d'amendement,
mais il n'est pas impossible qu'un autre député puisse en faire
un par la suite.
M. Levesque (Bonaventure): Dans les circonstances, Mme la
Présidente, je prends note que cette première condition est
remplie. Il y en a une qui vous touche particulièrement, madame, c'est
que nous aimerions avoir votre décision avant la suspension des
travaux.
La Vice-Présidente: D'accord. Vous conviendrez avec moi
que cet amendement est particulièrement long et que je me dois et dois
à cette Assemblée de l'étudier de près, quant
à sa recevabilité, évidemment. Personne ne contestera ce
fait. Je prends note également qu'il s'agit maintenant d'un consentement
unanime à ce que M. le chef de l'Union Nationale puisse intervenir et je
m'engage à rendre ma décision quant à la
recevabilité avant la suspension des travaux ou l'ajournement du
débat.
M. le chef de l'Union Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: Mme la Présidente, au cours de mes
remarques en cette Chambre, hier, en réponse au message inaugural, j'ai
indiqué bien clairement que les députés de l'Union
Nationale voteraient en faveur de la motion présentée par le
premier ministre, en somme, une motion qui demande aux membres de cette
Assemblée nationale essentiellement de faire deux choses.
Premièrement, faire connaître notre opposition à la
démarche unilatérale de rapatriement de la constitution du Canada
telle que proposée par le gouvernement fédéral qui fait
modifier la constitution du Canada par le Parlement britannique malgré
l'opposition d'une majorité de provinces dont le Québec.
Deuxièmement, en tant que membre d'une Assemblée
législative, souveraine dans ses sphères de juridiction, de
solliciter l'appui des parlementaires canadiens et britanniques, afin que
ceux-ci ne donnent pas suite à cette démarche unilatérale.
Nous croyons fermement, nous l'avons dit sans équivoque, dès le 2
octobre dernier, que les Québécois et les
Québécoises doivent s'opposer avec force et vigueur à
cette démarche unilatérale du gouvernement libéral
à Ottawa. L'articulation, l'organisation de cette opposition nous
paraît d'une telle importance à l'heure actuelle qu'elle justifie,
en soi, le report d'élections générales à plus tard
et la convocation d'urgence des membres de cette auguste Assemblée.
Je veux profiter du débat sur cette motion de protestation pour
expliquer clairement et
calmement les raisons qui sous-tendent notre prise de position.
Aujourd'hui, je m'adresse de manière spéciale à ceux et
à celles qui se disent fatigués, écoeurés de ce
débat interminable entre Ottawa et Québec, entre le
fédéral et les provinces; à ceux et à celles que le
temps a rendus à ce point indifférents qu'ils ne se posent
même plus de questions. Que le plus fort l'emporte, en autant qu'on n'en
entende plus parler! Si vous faites partie de ce groupe de citoyens, je vous
invite à m'écouter attentivement. J'ai confiance que mes propos
sauront vous inciter à la réflexion. Je vise, en somme, à
vous faire prendre conscience de l'enjeu véritable des propositions
fédérales, de leurs conséquences sur les relations
fédérales-provinciales et sur l'avenir du
fédéralisme canadien en particulier.
Plus que toute autre province canadienne, à notre avis, c'est le
Québec qui risque le plus dans toute cette affaire, advenant le cas
où le gouvernement fédéral gagne son point, car la
conception du fédéralisme sur laquelle est fondée la
démarche unilatérale du gouvernement d'Ottawa va carrément
à l'encontre de la conception défendue jusqu'à ce jour par
tous les gouvernements québécois, indépendamment du parti
au pouvoir. (12 h 20)
Très brièvement, on peut dire que le projet de
résolution poursuit quatre objectifs. Le premier objectif est de
rapatrier unilatéralement l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, c'est-à-dire cette loi britannique qui nous sert de
constitution depuis 1867. En pratique, cela signifie le transfert légal
du Royaume-Uni au Canada de tout pouvoir sur la constitution en confirmant
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique comme loi canadienne. Ce
transfert se fait en réalité par le biais d'une adresse commune
du Sénat et de la Chambre des communes, demandant au Parlement
britannique d'adopter une loi intitulée Loi sur le Canada. L'Acte de
l'Amérique du Nord britannique change de nom pour devenir: Lois
constitutionnelles de 1867 à 1975. Il s'agit d'un rapatriement
unilatéral parce que le gouvernement fédéral agit seul,
sans le concours ni le consentement des gouvernements provinciaux, tout au
moins d'une majorité d'entre eux.
Le deuxième objectif comprend l'inclusion d'une formule
d'amendement devant permettre la modification de la constitution du Canada. Le
projet de résolution prévoit une période transitoire de
deux ans, après le rapatriement, pendant laquelle s'applique la
règle de l'unanimité qui prévaut à l'heure
actuelle. Au cours de cette période, au moins deux conférences
constitutionnelles sont prévues pour que le gouvernement
fédéral et les gouvernements provinciaux s'entendent sur une
formule d'amendement. S'il y a entente sur une formule au cours de cette
période transitoire, celle-ci entre en vigueur immédiatement.
S'il n'y a pas entente, à ce moment, deux scénarios sont donc
possibles.
Dans le premier, si, au cours de la période transitoire de deux
ans, huit provinces ou plus, représentant 80% de toute la population,
conviennent d'une formule d'amendement, celle-ci, ainsi qu'une formule
semblable à celle de Victoria en 1971, ou une autre formule que le
gouvernement fédéral se laisse le loisir de définir
à ce moment-là, seront soumises au peuple par
référendum.
Dans le second cas, si les provinces ne présentent pas de formule
de rechange, c'est une formule semblable à celle de Victoria qui entrera
automatiquement en vigueur après la période transitoire de deux
ans. Enfin, le projet de résolution prévoit également la
possibilité de modifier la constitution à la suite d'un
référendum national tenu à la seule initiative du
gouvernement fédéral et dont les règles sont fixées
par une loi du Parlement canadien.
Maintenant, regardons le troisième objectif qui consiste en
l'adoption sous forme de loi constitutionnelle par le Parlement britannique,
immédiatement et malgré l'opposition farouche d'une très
grande majorité de gouvernements provinciaux, d'une charte canadienne
des droits et libertés qui réglemente notamment la liberté
de circulation des personnes et la langue d'enseignement en matière
d'éducation.
Il y a aussi un quatrième objectif qui est l'inclusion
immédiatement dans la constitution du principe de la
péréquation, c'est-à-dire la redistribution aux provinces
les moins riches d'une partie de la richesse du pays en vue de combattre les
inégalités régionales.
Maintenant, regardons le rapatriement comme une forme de subterfuge.
Parmi les quatre objectifs mentionnés, c'est sûrement le premier,
celui du rapatriement, qui a le plus retenu l'attention de la population et
pour cause. Le premier ministre du Canada a ouvert le bal lui-même,
dès le 2 octobre, en faisant une équation très nette et
très claire entre le rapatriement et l'indépendance du Canada et
le rapatriement et la fin de la paralysie constitutionnelle qui dure depuis 53
ans. Ces deux équations ont été si habilement
véhiculées par les ténors libéraux d'Ottawa que
l'opinion populaire n'a retenu essentiellement du projet de résolution
que ces deux caractéristiques pour oublier tout le reste.
Et je retiens comme exemple ces quelques extraits tirés du
discours prononcé par le premier ministre Trudeau, le 2 octobre dernier,
à la télévision de Radio-Canada:" Comme tant de nos
prédécesseurs, nous, les onze premiers ministres, avons donc
été incapables de nous entendre. Mais les citoyens du Canada
doivent-ils renoncer à tout jamais, pour autant, à confirmer leur
indépendance et à garantir leurs libertés? "De toute
évidence, l'indépendance du pays, le droit incontestable des
Canadiens à se gouverner eux-mêmes, devrait échapper aux
querelles entre les gouvernements. L'indépendance est un bien qui
appartient à tous les Canadiens. II est donc clair que les Canadiens
doivent trouver un moyen de se sortir de 53 ans de paralysie constitutionnelle.
Ce moyen existe. C'est un moyen légal, mais qui exige la manifestation
d'une volonté collective. Grâce à la seule institution
où ils sont tous représentés, le Parlement du Canada, les
Canadiens peuvent briser l'impasse où se trouvent leurs onze premiers
ministres."
M. le Président, il y a lieu d'analyser plus en profondeur ces
rapprochements stratégiques. Est-il exact d'affirmer que le rapatriement
constitue l'affirmation définitive de notre indépendance
nationale, que c'est la rupture du dernier lien colonial nous retenant à
la Grande-Bretagne, comme se plaisent à le répéter
plusieurs députés libéraux fédéraux à
travers le Québec? La réponse est très clairement non. Il
y
a là, de la part du gouvernement fédéral, beaucoup
d'exagération et du pathos qui frise le mélodrame.
Depuis le Statut de Westminster en 1931, le Canada est reconnu au niveau
international comme un État souverain et aucun pays n'a jamais mis en
doute notre indépendance nationale. Il faut se rappeler que c'est
à la demande expresse du gouvernement canadien, et en particulier des
provinces canadiennes, que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a
été exclu des dispositions du Statut de Westminster.
Il faut également préciser que, depuis 1931, jamais le
Parlement britannique n'a porté atteinte à l'indépendance
du Canada en modifiant à sa guise l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique. Lorsqu'il a été appelé à le faire, ce
fut toujours sur recommandation expresse du gouvernement fédéral
seul, lorsqu'il s'agissait de modifier des matières de juridiction
exclusivement fédérale, et du gouvernement fédéral
et des provinces réunies, lorsqu'il s'agissait de modifications touchant
la répartition des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement ou des
matières de juridiction exclusivement provinciale. J'aurai, d'ailleurs,
l'occasion de revenir sur ce point un peu plus loin.
Laisser entendre que le geste du rapatriement nous rendra plus
indépendants que nous le sommes déjà à la face du
monde, c'est nettement ridicule, c'est une affirmation qui s'attache beaucoup
plus à la forme qu'au fond de la question. C'est un peu comme si on
disait que l'existence du pouvoir de désaveu d'une loi provinciale par
le gouvernement fédéral, tel que prévu actuellement dans
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, rendait les Parlements
provinciaux moins souverains dans leurs sphères de juridiction. Tout le
monde, y compris le gouvernement fédéral, en rirait tellement
c'est exagérer la théorie par rapport à la
réalité. (12 h 30)
De plus, prétendre que le rapatriement constitue la rupture du
dernier lien colonial, c'est non seulement afficher un esprit de colonialisme,
mais c'est également passer sous silence le maintien de ce lien colonial
par excellence que constitue la présence de la reine du Royaume-Uni
comme chef d'Etat du Canada. Il y a une incohérence dans l'argumentation
fédérale qui sent la stratégie et l'opportunisme.
Ayons le courage de placer les choses dans leur juste perspective! Le
lien entre le rapatriement de la constitution et l'indépendance
nationale est exagéré de manière démesurée
par Ottawa pour créer cette image convaincante dans l'imagination
populaire qu'en acquiesçant au projet de résolution
fédérale, on pose, par le fait même, un geste d'affirmation
collective qui nous rendra plus indépendants au niveau international.
Tout cela, M. le Président, c'est de la foutaise et, en ce moment, comme
dirait notre poète de l'Assemblée nationale, j'ai mal à
mon pays.
Il convient maintenant d'examiner de plus près l'équation
voulant que le rapatriement soit le seul moyen de sortir de 53 ans de paralysie
constitutionnelle.
D'abord, est-il exact de dire que nous avons vécu 53 ans de
paralysie constitutionnelle? Si c'est vrai, c'est donc dire qu'il ne s'est rien
fait depuis un demi-siècle? J'admets que c'est impressionnant et que
ça constitue un argument facile pour justifier l'utilisation de toutes
sortes de solutions, radicales ou non, pour autant que celles-ci sont
perçues par l'opinion publique comme mettant fin à l'impasse.
Le sénateur Arthur Tremblay, un Québécois qui jouit
d'une très grande renommée en matière constitutionnelle,
dans son exposé au Sénat le 31 octobre dernier, a abordé
cette question avec beaucoup de franchise. Je pense qu'il vaut la peine de
citer quelques extraits de son discours: "On nous présente cette
période d'un demi-siècle comme une sorte d'espace vide de
solutions, où l'on ne trouverait que des échecs, où il ne
se serait rien passé en matière de rapatriement et de
modifications à la constitution. Qu'en est-il en fait?
Je pense qu'il ne faut pas sous-estimer, on ne saurait trop souligner la
pertinence, l'importance de l'interprétation que nous a donnée le
sénateur Flynn à la modification de la constitution qui est
intervenue en 1949. Cette modification signifiait, en effet, que depuis 1949 la
constitution a été rapatriée et qu'elle peut être
amendée au Canada dans toutes les matières qui n'affectent pas
les compétences exclusives des provinces.
Ce que je veux mettre en relief en ce moment, - c'est toujours le
sénateur Tremblay qui parle - c'est que la protection des
compétences, droits et privilèges des provinces constituait une
partie essentielle du rapatriement partiel de la constitution effectué
en 1949 et que cette protection représentait la seule justification pour
que ce rapatriement se fasse, à l'époque, de façon
unilatérale, sans l'accord préalable des provinces, ce qui a
été le cas, et c'est ce que nous affirme un témoin
privilégié des événements de 1949."
Et le sénateur Tremblay continue: "II n'y a donc pas de doute
là-dessus. Si le premier ministre Saint-Laurent et le Parlement canadien
se sont crus justifiés de procéder unilatéralement en
1949, c'est essentiellement parce que le rapatriement réalisé
à l'époque n'affectait la constitution du Canada que dans les
matières exclusivement fédérales et que, pour plus
d'assurance, l'on a inscrit explicitement la protection des compétences
droits et privilèges des provinces dans l'amendement
réalisé. "Mais il s'est passé autre chose en
matière de constitution. Il y a eu des amendements. Je pense qu'il y en
a eu, depuis 1949, une quinzaine à peu près, mais ce que je veux
souligner, c'est qu'il s'est fait des amendements qui affectaient le partage
des pouvoirs: en 1940, l'amendement relatif à l'assurance-chômage;
en 1951, l'amendement relatif aux pensions de vieillesse; et, en 1964,
l'amendement qui ajoutait aux pensions de vieillesse ce que l'on appelle les
prestations additionnelles, etc." Le sénateur Tremblay conclut; non, je
regrette, il ne conclut pas tout de suite. "Il s'est produit des changements
qui changeaient la répartition des compétences et attribuaient au
fédéral l'assurance-chômage et ceux que j'ai
évoqués. Il s'est produit cet autre type de changement, et
lorsqu'il s'agissait de changements qui modifiaient la compétence des
provinces, ce fut toujours avec leur accord préalable. "En somme, le
demi-siècle qui va de 1927 à nos jours n'est pas un immense
espace vide en
matière de rapatriement de la constitution, ni en matière
d'amendement à nos lois constitutionnelles impliquant les
compétences provinciales, un espace vide de substance et de contenu
où l'on ne trouverait qu'une longue série d'échecs, une
succession continue d'impasses. "Au surplus, il faut le souligner, aucun des
amendements de substance qui ont été apportés à la
constitution, sauf celui de 1949 parce qu'il n'affectait pas les
compétences des provinces, n'a agrandi le champ des compétences
provinciales. Au contraire, c'est toujours dans le sens d'un agrandissement du
champ des compétences fédérales que de tels changements
ont été apportés."
Ici, c'est la vraie conclusion: "Dans ce contexte, comment peut-on
parler honnêtement d'une impasse d'un demi-siècle et surtout d'une
impasse qui serait le fait d'un blocage systématique des provinces?"
M. Le Président, encore une fois, il est important dans ce genre
de débat que nous soyons clairs. Il faut éviter de confondre les
dossiers. Le conflit majeur depuis 53 ans porte essentiellement non sur le fait
de rapatrier la constitution, mais, bien sûr, sur le moment et sur la
manière de le faire. Toutefois, comme l'a démontré avec
éloquence le sénateur Tremblay, malgré ce conflit, il a
été possible de modifier l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, à plusieurs reprises, au cours de cette période, par
voie de négociations entre gouvernements autonomes.
Il est donc faux de prétendre que nous avons souffert de
paralysie constitutionnelle depuis un demi-siècle et que la seule
manière de modifier la constitution, c'est de procéder au
rapatriement et ce, de manière unilatérale par dessus le
marché.
Il me paraît évident que l'argument facile de la paralysie
constitutionnelle sert, d'abord et avant tout, à justifier dans
l'opinion publique l'usage de la force par le Parlement du Canada à ce
moment-ci de manière à convaincre la population qu'il faut en
finir avec cette première grande étape de la réforme
constitutionnelle, comme le disait le ministre de la Justice lui-même, M.
Jean Chrétien, le 6 octobre dernier, à la Chambre des
communes.
Si le rapatriement ne nous rend pas plus indépendants en
réalité que nous le sommes déjà, à quoi
sert-il donc? Autant le faux argument de paralysie constitutionnelle depuis 53
ans sert à justifier le recours à une action unilatérale
de la part d'Ottawa, autant la question du rapatriement sert de subterfuge au
gouvernement libéral fédéral pour faire modifier
immédiatement la Constitution canadienne non par le Parlement canadien,
mais bien par le Parlement britannique de manière à placer les
provinces devant un fait accompli sur au moins deux points fondamentaux
où il n'y a pas d'accord entre les deux ordres de gouvernement
présentement. Il s'agit de la formule d'amendement et aussi de la charte
des droits et libertés. (12 h 40)
Vous admettrez avec moi que, comme coup de force, c'est fort. J'ai dit
précédemment, M. le Président, qu'en matière de
rapatriement, ce n'est pas sur le fait de canadianiser l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique que porte le conflit majeur depuis 53
ans. Tout le monde veut une constitution canadienne qui pourrait être
modifiée ici même au Canada; là où on ne s'entend
pas, c'est sur le moment, sur la formule d'amendement qui doit
nécessairement accompagner le rapatriement et sur la manière de
procéder à cette canadianisation.
Le moment choisi pour procéder au rapatriement ainsi que la
formule d'amendement son deux sujets importants et, pour une province comme le
Québec, foyer principal de l'une des deux nations fondatrices de ce
pays, j'ose même dire que ces deux sujets sont capitaux pour nous.
L'Union Nationale a toujours considéré que le repatriement et le
choix d'une formule d'amendement qui doit nécessairement l'accompagner
devaient se faire à la fin d'une période de révision
constitutionnelle, non au début comme veut nous l'imposer
présentement le gouvernement fédéral.
La raison en est bien simple et elle est liée à notre
conception de la révision constitutionnelle. Pour que celle-ci soit
valable, pour qu'elle aille véritablement au fond des choses, comme
l'ont souhaité, d'ailleurs, la commission Laurendeau-Dunton ainsi que la
commission Pepin-Robarts, nous croyons qu'elle doit être abordée
globalement. En effet, notre philosophie constitutionnelle est fondée
sur la reconnaissance explicite que le Canada est formé de deux nations:
l'une de langue anglaise et l'autre de langue française, celle-ci ayant
son premier foyer et son centre de gravité au Québec, bien
qu'elle s'étende sur l'ensemble du territoire canadien.
Le Québec, foyer principal de l'une des deux nations fondatrices
du pays, constitue la seule province à majorité de langue
française au Canada et ce caractère distinctif lui confère
des responsabilités particulières. Il va de soi que la
répartition des pouvoirs que nous souhaitons établir entre les
deux ordres de gouvernement ainsi que nos propositions sur la composition et
les attributions des institutions fédérales tels que, à
titre d'exemple, la cour Suprême et le Sénat tirent leur raison
d'être de ces grands principes directeurs. L'un existe par rapport
à l'autre; il y a une unité d'ensemble.
L'Union Nationale est convaincue, et c'est ainsi qu'elle a agi, tant au
pouvoir que dans l'Opposition, que la seule manière efficace et
réaliste de faire accepter par nos partenaires canadiens ces principes
de base qui font aujourd'hui l'unanimité de tous les partis politiques
au Québec, comme l'a illustré la commission parlementaire du mois
d'août dernier, c'est d'aborder la question de front, en
présentant un projet global de révision constitutionnelle. C'est
pourquoi nous avons toujours évité la négociation par
pièces détachées, comme le souhaitait le gouvernement
fédéral depuis l'échec de la conférence de
Victoria. Procéder à la pièce, c'est s'exposer aux dangers
réels que la nouvelle Constitution canadienne n'ait pas cette
unité d'ensemble que nous souhaitons tous. Procéder à la
pièce, c'est faire le jeu des gouvernements, tant fédéral
que provinciaux, qui demeurent rébarbatifs à la reconnaissance du
caractères distinctif du Québec et des conséquences de
cette reconnaissance sur la répartition des pouvoirs et le
façonnement de nos institutions fédérales. Or, si ces
dangers existent déjà, à l'heure actuelle, sans
rapatriement unilatéral, sans formule d'amendement, sachez qu'ils
deviendront en quelque sorte institutionnalisés par suite de
l'adoption par Westminster, du projet de résolution du
gouvernement libéral fédéral.
Il ne sera plus possible de revenir en arrière. Nous serons
condamnés à la négociation pièce par pièce
et nous ne pourrons plus compter sur la sauvegarde de la règle de
l'unanimité qui nous a souvent protégés dans le
passé et qui prévaut encore, pour le moment, relativement
à toute modification dans la répartition des pouvoirs entre les
deux ordres de gouvernement.
Le ministre de la Justice du Canada a été très
clair dans son allocution du 6 octobre dernier: "Lorsque nous aurons
réussi à rapatrier notre constitution avec une formule
d'amendement, nous aurons à notre disposition un mécanisme qui
permettra d'effectuer des changements constitutionnels au fur et à
mesure qu'ils seront nécessaires." Quel est donc ce mécanisme?
C'est la formule d'amendement, bien sûr. Une formule "made in Canada" qui
nous est imposée, à toutes fins pratiques. Certes, dans sa forme
actuelle, elle accorde au Québec un droit de veto, puisqu'elle exige
l'assentiment de toute province ayant ou ayant eu une population au moins
égale à 25% de la population du Canada.
Puisque le gouvernement du Québec exerce son droit de veto, n'y
a-t-il pas là une garantie suffisante pour protéger nos droits?
La réponse a peu d'importance, car, advenant un veto du Québec,
le gouvernement fédéral se réserve le droit de
décréter un référendum pour trancher la question.
Le gouvernement fédéral agit alors sur sa seule initiative et
selon des règles que le Parlement canadien aura fixées seul dans
une loi statutaire.
Le référendum, comme mécanisme d'amendement
constitutionnel, à l'article 42 de la résolution
fédérale, constitue sûrement la disposition la plus
dangereuse pour l'évolution du fédéralisme canadien, tel
que nous le concevons, car elle ouvre la porte toute grande à la
centralisation des pouvoirs entre les mains d'Ottawa.
Comme l'a si bien dit le sénateur Tremblay, le mois dernier, au
Sénat canadien, "cette formule institue sur une base permanente l'action
unilatérale du Parlement par-dessus la tête des
Législatures provinciales". Et le sénateur ajoutait: "II s'agit
bien d'une théorie générale du fédéralisme
canadien, puisque l'emploi du "deadlock breaking mechanism" - c'est ainsi qu'il
l'a baptisé - ne se limitera pas à l'opération du
rapatriement, mais qu'il fera partie intégrante de la Constitution
canadienne à titre permanent pour l'avenir. Et, sur cette formule de
l'amendement de l'article 42, les provinces ne sont pas invitées
à donner un avis quelconque ou à proposer une alternative."
Non seulement le gouvernement fédéral à Ottawa
agit-il unilatéralement en choisissant seul le moment du rapatriement et
en imposant à tous une formule d'amendement qu'il favorise, mais aussi
pousse-t-il l'arrogance au point de se donner à son usage exclusif un
mécanisme permanent d'action unilatérale.
Cette manière de procéder, qu'il s'agisse du rapatriement
proprement dit ou de la formule d'amendement, est inacceptable et contraire aux
règles du jeu qui ont été suivies depuis 1867 par tous les
gouvernements fédéraux et provinciaux. C'est la première
fois, à mon avis, qu'un ordre de gouvernement s'arroge à lui seul
la propriété de la constitution. C'est nier et bafouer à
sa face même le principe fondamental de l'égalité juridique
de deux ordres de gouvernement, principe auquel souscrivent tous les partis
politiques en cette Chambre. (12 h 50)
Le gouvernement d'Ottawa nous propose une nouvelle théorie du
fédéralisme et il cherche à nous l'imposer par la force,
puisqu'une majorité des provinces n'en veut pas. C'est l'un des
coprésidents de la commission Pepin-Robarts sur l'unité
canadienne, M. Jean-Luc Pepin, maintenant ministre des Transports dans le
gouvernement Trudeau à Ottawa, qui, après avoir
évoqué une première école de pensée
fondée sur le principe d'égalité juridique de deux ordres
de gouvernement, a le mieux décrit cette nouvelle théorie du
fédéralisme qui se dégage des propositions
fédérales: "Cette deuxième école, celle du
fédéralisme de séniorité juridique - c'est comme
cela que je l'appelle - proclame, à cause de ses responsabilités
plus larges et plus ultimes, plus définitives, que le gouvernement
central a des obligations envers l'ensemble du pays auquel lui seul peut faire
face dans l'intérêt de la collectivité globale, surtout
dans le cas de conflit d'apparence insoluble comme celui que nous connaissons
présentement en matière constitutionnelle." M. Pepin concluait
ses propos en disant: "Quoi qu'il en soit, pour ma part, je refuse de
m'encarcaner dans l'une ou l'autre de ces deux écoles, bien que,
psychologiquement je préfère la première."
Mme la Présidente, il faut croire que la psychologie n'a pas
l'attrait de la politique, puisque M. Pepin a jugé bon, malgré
cette dernière affirmation, de se rallier à la majorité
ministérielle. Toutefois, cette défection ne doit pas nous faire
oublier la recommandation suivante du rapport Pepin-Robarts: "Nous
considérons que les gouvernements provinciaux sont de stature et de
maturité égales à celles du gouvernement central, et nous
recommandons, sans aucune hésitation, qu'une nouvelle constitution
reconnaisse leur égalité de statut." C'est donc la commission
Pepin-Robarts qui a prononcé ces belles paroles.
L'Union Nationale partage entièrement cette recommandation de la
commission Pepin-Robarts. C'est d'ailleurs sur ce principe fondamental que nous
nous appuyons pour affirmer qu'une nouvelle Constitution canadienne doit
reconnaître l'autonomie de chaque ordre de gouvernement dans les
sphères de compétence qui lui sont attribuées par la
constitution.
En résumé, les conséquences du rapatriement
unilatéral que nous propose le gouvernement d'Ottawa sur
l'évolution des relations fédérales-provinciales me
semblent très claires. En acceptant la résolution
fédérale, nous acceptons par le fait même de subordonner
les gouvernements provinciaux à la volonté du gouvernement
fédéral, qui devient, sur une base permanente, un gouvernement de
séniorité juridique.
Il n'est plus question de reconnaître l'égalité de
statut constitutionnel des deux ordres de gouvernement. Le
fédéralisme canadien se trouve alors vicié dans ses
fondements mêmes. La voie est toute grande ouverte pour le début
d'une ère de centralisation des pouvoirs entre les mains du gouvernement
fédéral et ce sur une base permanente, grâce à un
mécanisme d'amen-
dements constitutionnels qu'il est le seul à contrôler et
dont il fixe les règles du fonctionnement.
L'Union Nationale ne peut accepter qu'une telle démarche soit
entreprise sans le consentement exprès du gouvernement
québécois. À mon avis, aucun gouvernement
québécois, nonobstant le parti au pouvoir, ne peut accepter cette
démarche unilatérale pour les raisons que j'ai citées
précédemment.
Nous devons nous y opposer avec force et aussi avec la plus grande
vigueur possible. Le caractère unilatéral du rapatriement de la
constitution n'est pas le seul point de la démarche
fédérale qui suscite la critique et la réprobation
générale. Il faut constamment avoir à l'esprit que toute
cette question de rapatriement n'est que subterfuge, en réalité,
pour masquer une opération beaucoup plus odieuse qui vise à faire
faire par un Parlement étranger ce que nous n'osons même pas faire
ici nous-mêmes, tellement l'opposition des provinces y est forte. Comme
exemple de lâcheté, j'ai rarement vu pire.
Est-ce juste, est-ce équitable, dans le système
fédéral, qu'un ordre de gouvernement, en l'occurrence le
gouvernement fédéral, sous le couvert du rapatriement qu'il fait
adopter par un Parlement étranger, sans le consentement du Québec
et, disons-le, également d'une majorité de provinces, impose
immédiatement un changement constitutionnel majeur, à savoir
l'adoption d'une charte des droits et libertés de la personne, alors
que, pour tout changement ultérieur au rapatriement, il fait subir aux
provinces la règle de l'unanimité pour les deux prochaines
années et, par la suite, une formule d'amendement qui permette, en
pratique, au gouvernement fédéral, de passer par-dessus la
tête des gouvernements provinciaux chaque fois que cela lui plaira?
Poser la question c'est y répondre. C'est carrément
injuste et arbitraire. Au sujet de cette charte des droits et des
libertés, nous croyons que la précipitation du gouvernement
libéral, à Ottawa, est prématurée.
Lorsque le premier ministre Trudeau nous crie, en détresse, que
c'est notre dernière chance, il y a là une grave
exagération. C'est sûrement la dernière chance de M.
Trudeau de réaliser ce rêve qui lui est si cher, puisqu'il exerce
présentement son dernier mandat comme premier ministre. Toutefois, comme
l'histoire du Canada ne s'arrêtera pas au lendemain du départ du
premier ministre, nous sommes convaincus qu'il sera possible de revenir sur
cette question à un autre moment donné.
De façon générale, la position traditionnelle de
l'Union Nationale sur cette question a été de considérer
comme prioritaire, d'abord, la conclusion d'une entente entre les deux ordres
de gouvernement sur le partage des pouvoirs avant d'aborder l'insertion dans la
constitution d'une charte des droits. Nous croyons également, comme l'a
déjà mentionné le premier ministre Daniel Johnson en 1968,
qu'il y a un lien direct entre l'inclusion d'une charte dans la constitution et
la réforme de la Cour suprême. En effet, dans un contexte
fédératif, il est essentiel que l'autorité chargée
de faire respecter une charte des droits soit clairement
précisée. Dans la proposition qui nous est soumise aujourd'hui,
cette mission est dévolue aux tribunaux et particulièrement
à la Cour suprême du Canada.
Or, sur ce point, nous croyons qu'il est toujours pertinent de
répéter l'avertissement qu'avait lancé Daniel Johnson en
1968: "Dans un pays unitaire dont la société est homogène,
il est possible de concevoir les déclarations de droits comme
résumant la philosophie morale acceptée par toute la population
et d'en faire découler tous les droits des citoyens. Ceci a alors pour
résultat de consacrer dans la constitution une tendance à
l'homogénéité des conceptions ethniques dont l'application
relève des tribunaux. (13 heures) "Nous estimons qu'en régime
fédéral, et principalement dans le cas du Canada, ce serait
commettre une erreur politique grave que de procéder de cette
façon. Les traditions de droits civils du Québec et la
manière dont les droits fondamentaux y sont reconnus et
protégés diffèrent, en effet, considérablement de
la manière de procéder des tribunaux de Common Law. Si donc, on
envisage une déclaration des droits à ce point fondamentale que
le plus haut tribunal constitutionnel canadien doive expliciter ces droits,
nous sommes forcés de demander que l'on examine au préalable
l'établissement d'un tribunal constitutionnel."
Mme la Présidente, en plus de ces réticences de fond qui
sont suffisantes, à notre avis, pour demander au gouvernement
fédéral de retirer cette charte de son projet de
résolution, il y a une objection de forme à toute cette
démarche qui nous paraît fondamentale: Appartient-il à un
Parlement étranger d'adopter une charte canadienne des droits et
libertés? Si le gouvernement libéral, à Ottawa, est si
convaincu de son appui populaire sur cette question, pourquoi alors
cherche-t-il à l'imposer par la force immédiatement? Pourquoi
refuse-t-il de la soumettre au jeu de la négociation et, advenant
toujours une impasse, de la soumettre au peuple sous forme de
référendum, conformément à son projet de
résolution?
Nous avons là un exemple frappant de deux poids, deux mesures.
Les changements souhaités par les provinces, et particulièrement
par le Québec, devront subir la règle de l'unanimité pour
les prochaines deux années. Par la suite, elles seront soumises à
une formule d'amendement prévue dans le projet de résolution
fédéral. Le gouvernement fédéral, lui, n'a pas
à subir la règle de l'unanimité sur la question de la
charte des droits et libertés à laquelle il tient mordicus. C'est
immédiatement qu'il l'impose aux provinces en passant sournoisement
l'affaire sous le couvert du rapatriement.
Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur l'inclusion des
droits linguistiques dans la charte des droits et libertés. Après
mûre réflexion, nous sommes venus à la conclusion que
l'attitude adoptée par le rapport Pepin-Robarts sur cette question nous
paraissait la plus juste et la plus conforme à la réalité
canadienne. Essentiellement, cette position se résume à inviter
les provinces à assurer, par législation, la protection de leurs
minorités en tenant compte de leur situation respective. La commission a
écarté le recours aux garanties constitutionnelles et a
préféré faire appel à l'intelligence et au sens de
l'équité de la population.
Nous sommes convaincus que cette solution s'avérera
sûrement la plus réaliste à long terme et la plus
susceptible d'éviter des affrontements
inutiles et stériles. J'en profite donc pour inviter tous les
Québécois et toutes les Québécoises qui nous
écoutent peut-être en ce moment à souscrire à la
motion qui nous est soumise aujourd'hui. J'espère que les motifs de
notre opposition à nous, de l'Union Nationale, ont permis à
certains d'entre vous de mieux comprendre la nature du problème, et
surtout l'enjeu de toute cette affaire sur une évolution
équilibrée du fédéralisme canadien au cours des
prochaines années.
Les modifications proposées par le gouvernement d'Ottawa sont de
nature fondamentale. Elles auront un effet permanent. Il serait dangereux que
nous nous laissions berner plus longtemps par l'euphorie initiale du
rapatriement de la Constitution canadienne.
J'ai déjà dit, lors de ma réponse au message
inaugural, que, puisqu'il y avait accord sur le fond de tous les partis
politiques représentés en cette Chambre, seuls des motifs
partisans pouvaient empêcher la création d'un front commun qui
nous permettrait de dire que c'est à l'unanimité que
l'Assemblée nationale s'est prononcée en faveur de cette
motion.
En tant que parlementaires, si nous voulons que cette motion ait
vraiment toute la force qu'elle mérite, tant au niveau du Parlement
canadien que du Parlement britannique, il faut absolument faire un effort pour
que notre adresse, ici à Québec, soit au moins unanime. Si nous
réussissons à franchir les murs de la partisanerie
traditionnelle, il sera alors plus facile non seulement de convaincre nos
concitoyens de l'urgence de la situation mais aussi de susciter une opposition
vraiment panquébécoise qui prendra forcément une allure
irréversible.
J'ai déjà suggéré, lors de ma rencontre avec
le premier ministre en compagnie du leader parlementaire de l'Union Nationale,
qu'à la suite de l'adoption de cette motion par l'Assemblée
nationale nous mettions sur pied un genre de comité ad hoc de
parlementaires québécois qui pourraient parcourir le
Québec en vue d'expliquer aux citoyens les raisons de notre opposition
à la démarche unilatérale du gouvernement
fédéral. Ce serait une manière concrète de donner
suite à ce voeu de l'Assemblée nationale, tel que le permet
l'article 141 de notre règlement relativement à la
création de commissions spéciales.
En terminant, Mme la Présidente, je voudrais revenir sur cette
idée que j'exprimais tout à l'heure, que, nous de l'Union
Nationale, nous ne pouvons accepter qu'une telle démarche de la part du
gouvernement d'Ottawa soit entreprise sans le consentement exprès du
gouvernement québécois. À mon avis, aucun gouvernement
québécois, nonobstant le parti au pouvoir, ne peut accepter cette
démarche unilatérale pour toutes les raisons que j'ai
données et c'est la raison aussi pour laquelle nous nous opposons
vivement et que nous allons appuyer en même temps la motion du premier
ministre.
Décision de la vice-présidente
sur la motion d'amendement
du chef de l'Opposition
La Vice-Présidente: Grâce à la collaboration
de l'Assemblée, la présidence avait obtenu deux consentements
unanimes: le premier pour que le leader de l'Union Nationale puisse s'exprimer
sur la motion principale et le second quant à per- mettre à la
présidence de rendre sa décision à propos de la
recevabilité de la motion de M. le chef de l'Opposition officielle.
J'ai étudié attentivement cette motion d'amendement de M.
le chef de l'Opposition officielle. Je l'ai étudiée quant au fond
et quant à la forme. L'article 70 de notre règlement dit qu'un
amendement doit se rapporter directement au sujet de la motion proposée
- ce qui est le cas -et ne peut avoir que les objets suivants: retrancher,
ajouter des mots ou les remplacer par d'autres - ce qui est aussi le cas - il
est irrecevable si son effet est d'écarter la motion principale sur
laquelle il a été proposé et il en est de même d'un
sous-amendement par rapport à un amendement. Donc, la motion de M. le
chef de l'Opposition officielle est recevable.
Nous prendrons maintenant les interventions sur la motion d'amendement
en vertu de l'article 94.-2 de notre règlement quant au droit de
parole.
Sur ce, cette Assemblée suspend...
M. Charron: Mme la Présidente...
La Vice-Présidente: M. le leader du gouvernement.
Ajournement du débat
M. Charron: ...avant de suspendre, puis-je proposer, au nom de
mon collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales,
l'ajournement du débat?
La Vice-Présidente: Alors, cette...
Une voix: La suspension.
La Vice-Présidente: L'ajournement du débat?
M. Charron: L'ajournement du débat et la suspension de la
Chambre jusqu'à 15 heures. Ne me trompez donc pas!
La Vice-Présidente: Oui. La motion d'ajournement du
débat est-elle adoptée?
Une voix: Adopté.
La Vice-Présidente: Adopté?
M. Charron: Adopté.
La Vice-Présidente: Adopté. Suspension des travaux
jusqu'à 15 heures.
Reprise de la séance à 15 h 16
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Affaires courantes. Déclarations ministérielles.
Dépôt de documents.
Résolution de régie interne
J'aimerais, conformément aux dispositions de l'article 83 de la
Loi sur la Législature, déposer la résolution de
régie interne no 635-80 adoptée lors de la réunion de la
Commission de régie interne du 12 août 1980.
Avis de la Commission de la fonction publique au
Conseil du trésor
J'aimerais également, conformément aux dispositions de
l'article 30 de la Loi sur la fonction publique, déposer les avis de la
Commission de la fonction publique au Conseil du trésor concernant une
série de règlements qui, si vous me dispensez de la lecture,
seront énumérés dans le procès-verbal.
Documents déposés.
M. le ministre de l'Energie et des Ressources.
Rapport annuel du ministre de l'Energie et des
Ressources
M. Bérubé: M. le Président, il me fait
plaisir de déposer au moins trois documents: d'abord, le rapport annuel
du ministère de l'Energie et des Ressources.
Décret relatif à une somme additionnelle
de capital-actions de la SNA
En deuxième lieu, à l'intention de l'Assemblée
nationale, un décret gouvernemental concernant l'approbation du
gouvernement relativement au paiement, par le ministre des Finances, d'une
somme additionnelle de capital-actions de la Société nationale de
l'amiante et un autre concernant également un paiement, par le ministre
des Finances, pour des actions de la Société nationale de
l'amiante, l'un du 25 juin et l'autre du 29 octobre 1980.
Le Président: Rapport déposé.
Dépôt de rapports de commissions élues.
Dépôt de rapports du greffier en loi sur les projets de loi
privés.
Dépôt de projets de loi au nom du gouvernement.
Présentation de projets de loi au nom des
députés.
Questions orales des députés.
QUESTIONS ORALES DES DÉPUTÉS
M. Lalonde: M. le Président.
Le Président: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
Le mandat du Vérificateur général
et le Conseil du trésor
M. Lalonde: Le rapport du Vérificateur
général portant la date du 10 octobre 1980 confirme le fouillis
administratif du ministère de l'Education. En effet, on trouve, dans le
gouffre de $500,000,000 relativement au financement de l'enseignement primaire
et secondaire, le mythe du bon gouvernement ainsi qu'un ancien ministre de
l'Education. Mais il reste un grand nombre de questions que l'enquête du
Vérificateur général laisse sans réponse. Ainsi,
à deux reprises, dans son rapport, aux pages 3 et 6, le
Vérificateur général signale que son mandat ne lui
permettait pas d'enquêter sur le processus de l'établissement des
crédits budgétaires du ministère de l'Education. On sait
que le Conseil du trésor est au coeur même de ce processus. Alors,
je voudrais poser la question suivante au ministre des Finances et
président du Conseil du trésor: Pourquoi ce dernier, qui a
lui-même déclenché l'enquête, s'est-il arrangé
pour que l'enquête s'arrête juste à la porte de son jardin
et n'aille pas plus loin?
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: Pour une raison assez simple, M. le
Président, c'est que, quand on demande une enquête, c'est
habituellement au sujet de choses qu'on ne connaît pas. Or,
effectivement, on se posait un certain nombre de questions, par exemple, quant
à la qualification et au nombre des enseignants, au nombre des
élèves. Ce n'est pas au Conseil du trésor qu'on trouve des
choses comme celles-là, c'est soit dans les commissions scolaires, soit
au ministère de l'Education.
En somme, on a fait une enquête, non pas sur le connu, mais sur
l'inconnu.
M. Lalonde: Alors, M. le Président, ma question
additionnelle. Si le ministre faisait enquête sur ce qu'il ne connaissait
pas, est-ce qu'il veut indiquer de cette façon qu'il connaissait, au
Conseil du trésor, l'existence de ce fouillis administratif et, s'il le
connaissait, pourquoi n'en a-t-il pas avisé, la Chambre, lors de
l'étude des crédits, et n'a-t-il pas pris les dispositions
nécessaires? C'était ma première question additionnelle.
(15 h 20)
Deuxièmement, M. le Président, le ministre des Finances a
un patron qui s'appelle la Loi sur l'administration financière et, dans
cette loi, on crée la fonction de contrôleur des finances. On
crée aussi, naturellement, la fonction de Vérificateur
général, mais je voudrais en rester simplement au
Contrôleur des finances. Le contrôleur a des pouvoirs qui sont
décrits aux articles 13 et 14 de la loi et ailleurs, un peu plus loin.
Comment se fait-il que le contrôleur des finances, qui est un
fonctionnaire du ministre des Finances et qui a accès à tous les
dossiers de tous les ministères, ne s'est pas rendu compte du trou qui
se creusait pendant trois ans sous les pieds du ministre de l'Education et s'il
y a négligence de la part d'un fonctionnaire du ministre des Finances,
comment allons-nous savoir si on ne fait pas enquête dans son jardin?
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président, je suis un peu
étonné que le député de Marguerite-Bourgeoys vienne
me demander, à moi, pourquoi je n'ai pas mis la Chambre au courant. En
fait, la Chambre a été mise au courant dans le discours sur le
budget, par moi, alors que personne n'avait soulevé cette question
où que ce soit et les données dont discute le
député de Marguerite-Bourgeoys découlent toutes, encore
aujourd'hui, de ce que j'avais dit dans le discours du budget. Et les
modifications qui ont été apportées au contrôle
financier des commissions scolaires découlent toutes, en date
d'aujourd'hui encore, toutes du discours sur le budget.
En somme, je n'ai pas attendu soit qu'un député de
l'opposition, soit que des journalistes, soit que des commissaires
d'école, soit que la Fédération des commissions scolaires
m'alertent
là-dessus, c'est moi qui ai alerté tout le monde. Qu'on ne
vienne pas me dire: Comment se fait-il que le ministre des Finances n'ait pas
saisi la Chambre? Je ne pouvais pas le faire, M. le Président, d'une
façon plus solennelle que par les paragraphes que j'ai écrits
moi-même de ma main dans le discours sur le budget.
M. Goulet: Question de privilège, M. le
Président.
Le Président: M. le député de Bellechasse,
sur une question de privilège.
M. Goulet: Pour la deuxième fois, j'aimerais, M. le
Président, soulever cette question de privilège à la suite
des propos que vient de tenir le ministre des Finances, la même question
de privilège qu'au mois de juin. Le député de Bellechasse,
celui qui vous parle, un mois avant le discours sur le budget, avait
formulé une question, ici à l'Assemblée nationale,
sur...
Le Président: Je m'excuse. S'il vous plaît!
J'aimerais que vous m'expliquiez en quoi vos privilèges de membre de
cette Assemblée ont été brimés.
Une voix: ... induit la Chambre en erreur.
M. Goulet: M. le Président, le ministre a peut-être
sans le vouloir induit la Chambre en erreur. Il a dit à trois ou quatre
reprises: Aucun parlementaire, aucun député de l'Opposition
n'avait soulevé cette question en Chambre. Et il a dit: C'est
moi-même qui l'ai écrit dans le discours sur le budget. C'est
faux, M. le Président, le député de Bellechasse s'est
levé, dès le début du mois de mars, un mois avant le
discours sur le budget, pour formuler une question sur ce sujet
précis.
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président, je ne nie pas le fait que le
député de Bellechasse ait pu soulever une question à ce
sujet. Ce que je dis simplement, c'est que la totalité des
données dont cette Chambre est saisie à l'égard du
financement des commissions scolaires, des budgets du ministère de
l'Education et de ce qu'il est convenu d'appeler le trou de $500,000,000 a
été fournie par moi.
Maintenant, revenons justement à cette question des appellations
contrôlées. Le trou de $500,000,000 dont parle le
député de Marguerite-Bourgeoys, je vous rappelle, M. le
Président, que ce n'est pas de l'argent soit lancé par les
fenêtres, soit égaré sous les fauteuils; ce sont des postes
d'enseignants de trop. Ces gens-là sont au travail. Alors, on peut fort
bien, comment dire, sur le plan de l'image, parce que cela amuse, parler d'une
sorte de trou où se seraient engouffrés des dollars qu'on ne
pourrait pas retracer. Je rappelle simplement que ces montants sont dans la
base de fonctionnement des commissions scolaires aujourd'hui. C'est donc du
personnel administratif ou des enseignants qui sont en poste.
Troisièmement, la question du contrôleur des finances. Il
est exact que, dans la formulation du travail du contrôleur des finances,
lorsqu'il s'agit de transferts du gouvernement vers un réseau, le
rôle traditionnel du contrôleur des finances consiste à
constater s'il y a des crédits pour faire ces transferts. Si,
effectivement, il y a des crédits pour faire ces transferts, le
contrôleur des finances les autorise.
Il est clair, je pense, compte tenu de ce qui s'est passé depuis
quelque temps - on le voit justement dans cette discussion que nous avons
à l'égard des commissions scolaires - qu'il faut redéfinir
le rôle du contrôleur des finances non pas tellement dans la loi,
mais, comment dire? dans les pratiques administratives courantes, de
façon à ce que le contrôleur des finances puisse aller plus
loin qu'un simple constat que des crédits existent pour émettre
des chèques. Là, il y a, comment dire? une sorte de partage des
fonctions entre le Conseil du trésor, qui procède à un
certain nombre d'analyses, et le contrôleur des finances qui, je pense,
aussi, doit aller un peu plus loin dans l'examen de l'émission des
chèques, de façon que ces deux organismes soient
coordonnés. Les instructions que j'ai données en ce sens, je
pense, devraient permettre d'établir une coordination bien meilleure que
celle qu'on a connue dans le passé entre, d'une part, les analyses du
Conseil du trésor et, d'autre part, la vérification des comptes
au niveau du contrôleur des finances.
M. Lalonde: M. le Président, le ministre nous dit qu'il a
informé la Chambre le 25 mars 1980. Ma question, c'est: Pourquoi ne
l'a-t-il pas fait auparavant s'il connaissait l'existence de cette situation?
S'il ne la connaissait pas, comment se fait-il qu'il ne la connaissait pas au
Conseil du trésor? Je lui rappellerai que, dans la Loi de
l'administration financière, à l'article 23, on donne au Conseil
du trésor le devoir de préparer les prévisions
budgétaires et on dit ceci: "À ces fins, il - le Conseil du
trésor - analyse les implications financières des plans et
programmes des ministères ( y compris le ministère de
l'Éducation, en l'occurrence) et organismes du gouvernement, et
recueille auprès d'eux les données requises pour la
préparation de ces prévisions."
De toute évidence, les données que vous avez recueillies
étaient fausses, puisque, quatre ans après être rendus au
pouvoir, ou trois ans et demi, vous devez passer aux aveux et reconnaître
qu'il y a $500,000,000 - je n'ai pas dit, de volés, de fraudés -
de disparus, enfin, dont vous ne connaissiez pas l'existence, qui ont
été dépensés en trop.
Alors, si le Conseil du trésor a été impuissant
à se rendre compte de cette situation au ministère de
l'Éducation - ça peut exister aussi dans d'autres
ministères; j'espère que non -comment le ministre peut-il refuser
qu'une enquête ait lieu dans son ministère?
Et, en dernière additionnelle, je vais l'ajouter à
celle-ci, est-ce que le ministre, comme premier pas à cette
enquête, serait prêt à suggérer au leader, ou au chef
du gouvernement de convoquer la commission parlementaire des comptes publics,
qui existe encore dans nos traditions et qu'elle soit présidée,
comme cela se fait ailleurs, par un député de l'Opposition?
Le Président: M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président, le député de
Marguerite-Bourgeoys, là, va beaucoup trop loin. Il me demande comment
il se fait que je n'en ai parlé que dans le discours du budget. C'est
pour une raison très simple. Comme j'ai déjà eu l'occasion
de le dire en cette Chambre, au moment de la vérification
définitive des comptes des commissions scolaires de 1976-1977, c'est
là vraiment que nous avons eu la confirmation qu'il y avait quelque
chose qui n'allait pas sur le plan de l'évaluation des budgets des
commissions scolaires.
Or, ce n'est qu'en novembre qu'on a vu apparaître cette question
et cela n'est qu'à partir du début janvier que l'ensemble des
instructions nécessaires pour corriger la situation, en donnant aux
commissions scolaires une enveloppe fermée, un budget fermé, a
été servi, ce qui fait que, dorénavant, elles ne pourront
plus dépenser des sommes dans l'espoir qu'un ajustement, un an plus
tard, deux ans plus tard ou trois ans plus tard, viendra les compenser.
Nous avons donc travaillé, en janvier et février, sur ce
nouveau cadre, et après avoir préparé ce nouveau cadre,
l'avoir mis au point , je l'ai, en mars, annoncé dans le discours sur le
budget. Je pense que, dans ce domaine, j'ai agi, avec toute la
célérité nécessaire. (15 h 30)
D'autre part, on me dit: Mais pourquoi ne pas réunir la
commission des comptes publics, faire une enquête? Je vais vous dire
ceci, M. le Président. Le premier trou, à peu près du
même montant - puisqu'on veut parler de trou - qui est apparu, est apparu
sous mon prédécesseur. Il est presque du même montant.
Quand nous avons, à la fin de 1976 et en 1977, eu une idée
à peu près définitive, exactement du même
phénomène qui s'était produit sous le
précédent gouvernement, cela donnait $485,000,000 pour les
mêmes causes, et de la même façon.
M. Lalonde: Vous avez laissé faire cela pendant trois
ans?
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! M.
le ministre des Finances.
M. Parizeau: Merci, M. le Président. On savait donc qu'il
y avait dans cette machine une possibilité d'accumulation
d'arrérages dans les banques. Oui, parce que c'est comme ça que
ça se produit, M. le Président. C'est effectivement la seule
façon de financer des excédents par rapport aux budgets qui sont
donnés aux institutions des réseaux, ce sont des emprunts
bancaires. Nous avons pensé, par un suivi au Conseil du trésor,
par une analyse beaucoup plus précise, qu'on pouvait empêcher le
même phénomène de se reproduire; en dépit de cela,
il s'est reproduit. Donc, on a décidé, pour la première
fois, d'établir des budgets fermés pour les commissions scolaires
si bien que ce type de phénomènes ne pourra plus se reproduire
une troisième fois.
On me dira: Oui, cela s'est fait une première fois, cela s'est
fait une deuxième fois. Ce qui a été mis en place nous
permet maintenant d'être certain qu'il n'y a pas moyen que cela se
reproduise une troisième fois. Dans ce sens...
Une voix: II est quasiment temps!
M. Parizeau: J'entends dire: II est quasiment temps! Oui, sauf
que je préfère que ce soit nous qui ayons fermé cette
porte plutôt que de traîner, comme cela s'est fait dans le
passé, des arrérages en banque que tôt ou tard il fallait
toujours payer.
Je vous signalerai, à cet égard, que ce n'est pas le seul
réseau où des problèmes de ce genre sont apparus.
M. Lalonde: Non, c'est pire!
M. Parizeau: Par exemple, nous avons hérité...
J'entends le député de Marguerite-Bourgeoys dire: C'est pire.
Oui, c'est pire, mais pourquoi? Dans le cadre des hôpitaux, lorsque nous
sommes arrivés au pouvoir, il commençait aussi à
s'accumuler des déficits bancaires tout à fait inattendus compte
tenu des directives budgétaires qui étaient données. C'est
le gouvernement actuel qui a établi des plans de redressement
budgétaire pour les hôpitaux de façon à faire en
sorte qu'enfin les hôpitaux entrent dans leur budget.
Des voix: Ah! Ah!
M. Parizeau: Je ne m'imagine pas un instant que quand on essaie
de remettre de l'ordre dans les finances publiques cela puisse se faire du jour
au lendemain, mais ce gouvernement, que nous représentons, peut au moins
rapporter progrès pour la première fois dans un certain nombre de
dossiers majeurs où l'argent, manifestement jusqu'à maintenant,
n'était pas correctement contrôlé.
Des voix: Bravo!
M. Forget: Question de privilège, M. le
Président.
Le Président: Question principale, M. le
député de Beauce-Sud.
M. Forget: Question de privilège, M. le
Président.
M. Bérubé: On a fait le ménage quand vous
êtes partis.
Le Président: M. le député de Saint-Laurent,
sur une question... À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Bérubé: On a fait le ménage.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Garon: Les fonctionnaires n'étaient même pas
capables d'envoyer les chèques.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Sur
une question de privilège, très brièvement, M. le
député de Saint-Laurent, pour permettre à votre
confrère de Beauce-Sud de poser sa question principale.
M. Forget: Oui, M. le Président. Le ministre des Finances,
semblant pris au dépourvu quant à ce qui est du déficit
dans le budget du ministère
de l'Éducation, a cru bon de s'en remettre au gouvernement
précédent - après quatre ans et demi de gouvernement,
c'est assez paradoxal -pour prétendre que les problèmes qui ont
été expérimentés dans le domaine de
l'éducation se retrouvent...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Je
voudrais tout simplement rappeler aux membres de cette Assemblée que,
s'il fallait qu'à chaque fois que quelqu'un n'est pas d'accord avec les
paroles prononcées par un autre député, ce soit une
question de privilège, nous aurions régulièrement des
questions de privilège. Or, je prétends que ce n'est pas
là l'esprit et la lettre de notre règlement et, dans ce
sens-là, ce n'est pas une question de privilège, et je reconnais
le député de Beauce-Sud.
Les producteurs de porc ont-ils demandé une
aide financière?
M. Mathieu: M. le Président, ma question s'adresse
à l'honorable ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation. Je salue sa présence en Chambre aujourd'hui. On
s'ennuyait, on ne l'a pas vu de la semaine. J'espère qu'il se penchait
sur le sort des producteurs de porc qui sont maintenant en détresse.
Pour étayer ma question, je dois faire lecture d'une motion que
j'avais inscrite au feuilleton en date du 13 mars 1980 et qui se lit comme suit
- elle est assez courte - "Que cette Assemblée demande au ministre de
l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation de mettre sur pied,
dans les meilleurs délais, un programme de compensation
financière afin de venir en aide aux producteurs de porc dont la
situation, pour la plupart, est devenue intenable, suite à une baisse
dramatique du prix du porc sur le prix du marché." Je crois que ce qui
était valable en mars est encore valable aujourd'hui.
Nous savons tous que le gouvernement du Québec, par son
ministère de l'Agriculture, veut développer une politique
d'autosuffisance, ce qui, en soi, est une chose louable. Nous savons tous
qu'à cette fin, on a relâché grandement l'ouverture du
crédit agricole afin de permettre à des agriculteurs d'emprunter
jusqu'à au-delà de $300,000 pour établir une porcherie. On
sait que, lorsqu'un agriculteur accepte ce crédit... j'ai besoin, avant
de poser la question...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Mathieu: ... de l'étayer légèrement,
comme c'est la coutume. On sait que, lorsque le cultivateur voit que le
gouvernement est prêt à lui prêter un montant aussi
considérable, le producteur se fie aux études faites par le
gouvernement et il se dit: Puisque le gouvernement est prêt à me
prêter un montant aussi considérable, c'est sûr que c'est un
bon placement que je fais là. Or, on sait la chute dramatique du prix du
porc le printemps dernier, chute qui accule de nombreux producteurs à la
faillite. Face à cela...
Des voix: Une question!
M. Mathieu: ...la question que je veux poser au ministre de
l'Agriculture est la suivante, et j'espère que je vais avoir une
réponse très courte, aussi.
Des voix: Ah, ah!
M. Mathieu: Devant la détresse des producteurs qui se
sentent abandonnés, le ministre a-t-il reçu des producteurs de
porc, après le programme spécial soi-disant d'aide qu'il a mis
sur pied, une demande d'aide financière? C'est ma question
précise.
Le Président: M. le ministre de l'Agriculture.
M. Garon: M. le Président, je dois dire, quant aux mesures
d'aide, que nous voulions établir un plan conjoint, mais le principal
adversaire du plan conjoint dans le porc était l'avocat Pierre Paradis,
candidat libéral dans Brome-Missisquoi.
Des voix: Oh!
Une voix: Très bien! Vas-y, Jean!
M. Garon: Je constate que, d'un côté du fleuve,
l'avocat Paradis parle contre les plans conjoint et que, de l'autre
côté, le député de Maskinongé parle pour, ce
qui prouve que le Parti libéral n'a pas de politique agricole.
Des voix: Ah!
M. Garon: Je dirai également au député de
Beauce-Sud qu'il devrait se renseigner parce que le crédit agricole ne
prête pas plus de $250,000 à un prêteur individuel. Alors,
$300,000, ce n'est pas vrai! Je suis content de constater que lui, parce qu'il
vient de la campagne, il croit à l'autosuffisance, mais son chef n'y
croit pas, et il l'a dit hier. Je n'ai pas jugé opportun de quitter des
rencontres que j'avais hier avec des agriculteurs pour entendre le
député d'Argenteuil. J'aurai l'occasion de répondre la
semaine prochaine à ce qu'il a mentionné dans son discours.
Aujourd'hui, je lui dirai ceci. Le député de Beauce-Sud
devrait savoir que le prix du porc a commencé à baisser à
l'automne 1979, qu'il était à son plus bas au printemps 1980,
mais qu'il s'est rétabli depuis le mois d'août 1980. Actuellement,
le prix du porc est rétabli. Evidemment, les gens ne font pas autant
d'argent à ce prix-là qu'ils en faisaient quand les
moulées étaient meilleur marché, mais vous savez que la
responsabilité, la raison pour laquelle le prix des moulées est
aussi élevé, c'est que le gouvernement fédéral l'a
changé le 1er août.
Des voix: Ah!
M. Garon: Le député d'Argenteuil peut
peut-être se moquer, mais il pourrait demander aux coopératives et
aux syndicats agricoles pourquoi le prix des moulées est cher, eux qui
ont fait une délégation avec toutes les instances agricoles du
Québec à Ottawa pour demander d'abolir le règlement qui a
été adopté le 1er août 1979, ce qui prouve, encore
une fois, son ignorance. (15 h 40)
Des voix: Bravo!
M. Garon: Quant au programme de stabilisation, il y a, M. le
Président, un programme de stabilisation qui a été
établi par le gouvernement en 1978, mais encore une fois, sous les
instances du candidat libéral, l'avocat Paradis, dans le comté de
Brome-Missisquoi, plusieurs personnes ne se sont pas assurées pensant
que le prix du porc ne baisserait plus jamais.
Une voix: C'est vrai.
M. Garon: Cette année, pour aider les producteurs, au lieu
du renouvellement d'assurance qui aurait dû être fait le 1er
septembre 1980, nous avons avancé la date au 1er juillet et, au lieu de
700 assurés, cette année, il y a 1,700 assurés dans le
domaine de la production du porcelet parce qu'ils ont compris que celui qui
s'était opposé à la loi no 116 n'était pas plus
véridique quand il parlait du domaine de la production du porc.
Je veux dire aussi, M. le Président, qu'actuellement nous
travaillons pour établir, éventuellement...
Des voix: Biron, Biron.
M. Garon: Et les calculs...
Des voix: Biron, qu'est-ce qu'il en pense?
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Des voix: Oh!
M. Garon: L'avocat Paradis va faire le même job au Parti
libéral qu'il a fait à l'Union Nationale.
Des voix: Bravo!
M. Garon: Je vais vous dire une chose. Actuellement, nous
travaillons pour établir un nouveau régime pour les producteurs
de porc de finition, le porc d'engraissement, non pas parce que cela a
été aussi dramatique que le député l'a dit, parce
qu'on sait que dans la production du petit porc, le porcelet, il s'agit d'une
production où 85% des producteurs sont indépendants et 15% sont
intégrés. De sorte qu'il y avait plus de risques et c'est pour
cela que nous avons assuré cette production en premier. Dans le domaine
de la production du porc de finition, c'est le contraire: 85% des producteurs
sont intégrés, de sorte que les pertes ont été
assumées en grande partie par des multinationales.
Des voix: Bravo!
Le Président: M. le député de
Beauce-Sud.
M. Mathieu: M. le Président, c'est bien évident
que...
Des voix: Encore.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Mathieu: ...nous avons eu droit à un spectacle sur le
dos des producteurs de porc.
Des voix: Ah!
M. Mathieu: M. le Président, j'avais posé au
ministre une question précise. Est-ce qu'il a reçu une demande
d'aide de la part des éleveurs de porc et des producteurs de porc? C'est
ma question.
Le Président: M. le ministre de l'Agriculture.
M. Garon: M. le Président, j'ai établi,
évidemment, que dans le domaine du porc il y a un plan: par exemple,
l'assurance-stabilisation dans le domaine de la production des porcelets.
Des voix: Une réponse.
M. Garon: Je vous réponds.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Une voix: Cela fait quinze minutes que tu parles, le gros.
Le Président: À l'ordre! Je remarque que les
réponses du ministre sont aussi longues que les préambules du
député de Beauce-Sud. Très brièvement, M. le
ministre.
M. Garon: Brièvement, voici. Dans le secteur du porcelet,
M. le Président, c'est une production assurée et comme dans toute
production assurée, il est rare que l'assureur paie aux personnes qui ne
sont pas assurées en déduisant la prime du paiement. C'est ce
qu'on m'avait demandé et c'est évident. Alors que pour un
régime d'assurance, un gouvernement ne peut pas payer ceux qui n'ont pas
voulu s'assurer, qui ont choisi de ne pas s'assurer. Dans le domaine de la
production du porcelet, actuellement, il y a une assurance et c'était le
secteur qui était le plus important à toucher. C'était
l'assurance et les gens se sont assurés depuis le 1er juillet, comme ils
m'avaient demandé d'avancer l'assurance.
Deuxièmement, dans le domaine du porc de finition, j'ai dit que
c'était une production intégrée. La Régie des
marchés agricoles vient de recommander actuellement un vote sur un plan
conjoint... laissez-moi finir, je réponds à la question. Je parle
de politique agricole, je ne parle pas de cataplasmes sur des jambes de
bois.
La Régie des marchés agricoles vient de rendre une
décision où il y a un plan conjoint dans le domaine du porc qui
va aller au vote. En même temps, je peux vous dire que j'ai l'intention
de recommander au gouvernement d'établir un régime
d'assurance-stabilisation. À ce moment-là, dans le domaine du
porc, il pourra y avoir un plan conjoint et un plan de stabilisation pour ceux
qui veulent devenir des producteurs indépendants et alors, les
problèmes des producteurs indépendants seront
réglés. J'ai hâte de voir, pour la question du plan
conjoint dans le porc, quelle sera la position des députés du
Parti libéral.
Le Président: Très brièvement, pour
permettre une question à l'Union Nationale.
M. Mathieu: Très brièvement, une courte question
additionnelle, M. le Président. Est-ce que j'interprète bien le
ministre en disant qu'il
reconnaît qu'il n'y a pas de problèmes dans le domaine du
porc?
Le Président: Très brièvement, M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Garon: M. le Président, il y a eu... Des voix:
II ne comprend rien.
M. Garon: ...deux mesures qui ont été
établies: un régime d'assurance-stabilisation pour les
éleveurs de porcelets et, ensuite aussi - je ne l'ai pas
mentionné parce que je pensais que tout le monde le savait dans cette
Chambre - un crédit spécial pour ceux qui en avaient besoin. Il y
en a eu moins de 1000 qui s'en sont prévalus sur environ 8000
producteurs. Je comprends que le Parti libéral préférerait
qu'il y ait une crise à ce moment-ci, mais la crise est
traversée. Actuellement, on s'en va vers deux, trois ou quatre
prochaines années, en fonction des cycles habituels dans le porc,
où les prix payés vont être plus élevés que
les coûts de production.
Le Président: M. le député de
Nicolet-Yamaska.
L'avenir de la CECO
M. Fontaine: M. le Président, ma question s'adresse au
ministre de la Justice. En 1972, le gouvernement libéral d'alors avait
instauré une commission d'enquête, qui s'appelle la CECO, qui
était issue de la Commission de police du Québec grâce
à cette commission d'enquête, des centaines d'accusations ont
été portées devant les tribunaux, des dizaines de
condamnations également ont eu lieu. On sait que cette commission
d'enquête doit terminer son mandat le 30 novembre prochain. Or, en date
du 14 décembre 1979, le député libéral de
Saint-Laurent, M. Forget, demandait au ministre de la Justice le
démantèlement de cette commission d'enquête. Est-ce que le
ministre de la Justice a l'intention de donner suite à cette demande du
député?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Bédard: M. le Président, comme le
député de Nicolet-Yamaska le sait, depuis 1976, la CECO a
continué son travail et sa lutte contre le crime organisé.
À la différence de ce qui existait auparavant, la CECO, depuis
que nous sommes là, poursuit son travail à partir de dossiers
spécifiques. À l'heure actuelle, comme vous le savez, elle faite
une enquête sur un dossier spécifique et le mandat se terminera
vers le 30 décembre. Je suis déjà informé que le
coordonnateur de ces dossiers au niveau de la Commission de police, le juge Guy
Tremblay, a demandé à me rencontrer au cours de la
présente semaine aux fins de m'informer d'autres dossiers qui pourraient
éventuellement faire l'objet d'enquêtes plus spéciales de
la part de la CECO.
Le Président: M. le député de
Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: M. le Président, le ministre ne répond
pas exactement à ma question. Ce que je veux savoir et, je pense, ce que
la population du Québec attend de lui, c'est qu'il nous dira si, oui ou
non, la CECO va continuer à exister sous la forme qu'on connaît
actuellement. Plusieurs articles de journaux, dernièrement, nous ont
indiqué que c'en était fini de la CECO. Je voudrais que le
ministre nous dise si, oui ou non, elle va continuer.
Deuxièmement, concernant un dossier spécifique, on sait
qu'il y avait eu un dossier qu'on appelait le dossier VIC, "Very Important
Criminals" qui devait être poursuivi ici à Québec et le
président, le juge Marier, a dit à la presse qu'il avait
l'intention de ne pas poursuivre ce dossier, pour cause de manque de preuves,
selon lui, et qu'il avait remis le dossier au ministre de la Justice pour que
le ministre lui dise de quelle façon il devait agir face à ce
dossier.
M. le Président, quand on s'aperçoit qu'il s'agit de
personnes importantes dans le domaine du crime, il semblerait qu'on abandonne
les poursuites facilement, alors que, par exemple, quand il s'agit de
poursuivre des assistés sociaux, le gouvernement est plus habile
à le faire et plus agile également. Qu'est-ce que le ministre de
la Justice a l'intention de faire avec ce dossier-là?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Bédard: M. le Président, je ne pensais pas que
le député de Nicolet-Yamaska, même s'il s'occupe des
partielles, était prêt à y aller avec autant de
démagogie, parce qu'il sait très bien qu'à l'heure
actuelle, concernant l'enquête qui se poursuit à Québec sur
le dossier spécifique auquel il se réfère, il appartient
aux commissaires de la Commission d'enquête sur le crime organisé
de décider s'il doit y avoir huis clos ou encore s'il doit y avoir
enquête publique. Les commissaires, pour des raisons que le juge a
expliquées, ont préféré, ont cru qu'il était
important, en fonction de la protection de certaines réputations, tenant
compte de certains éléments de preuves qui n'étaient
peut-être pas suffisants, de ne pas faire d'audiences publiques. C'est sa
décision et ce n'est pas la décision du ministre de la Justice.
Tout ce que je peux vous dire, c'est, concernant cette décision de ne
pas faire d'enquête publique, que nous pourrons peut-être porter un
jugement de valeur, lorsque le rapport d'enquête nous sera remis d'ici le
30 novembre. C'est à ce moment-là que nous pourrons, je crois,
évaluer - d'ailleurs, ce rapport-là sera rendu public -
jusqu'à quel point les commissaires, les membres de la commission
d'enquête étaient en droit de prendre la décision qu'ils
ont prise, à savoir celle de ne pas tenir d'audiences publiques.
Concernant la première partie de la question du
député de Nicolet-Yamaska, oui, la CECO va continuer son travail
sur la base actuelle qui existe, à savoir à partir de dossiers
spécifiques qui lui sont confiés pour enquête, parce que,
de ce côté-ci de la Chambre, nous croyons que la CECO peut
être un instrument important pour lutter contre le crime organisé,
mais elle doit cependant fonctionner à partir de dossiers
spécifiques où la preuve est très claire que
l'enquête policière normale ne peut donner des résultats.
C'est mon point de référence. Avant de confier un dossier pour
enquête spéciale, un moyen exceptionnel à la CECO, j'exige
qu'on me fasse la preuve que l'enquête normale policière
risque de ne donner aucun résultat, aucun développement.
C'est seulement à ce moment-là que je permets qu'on utilise ce
moyen exceptionnel que constitue la Commission d'enquête sur le crime
organisé.
Le Président: M. le député de
Saint-Laurent.
L'aide au Moyen-Orient et l'OLP
M. Forget: Ma question s'adresse au ministre des Affaires
intergouvernementales. Il y a un certain nombre de semaines, un porte-parole de
l'Organisation de libération de la Palestine a indiqué - ceci a
d'ailleurs été confirmé par des fonctionnaires ou un
fonctionnaire du gouvernement du Québec - le gouvernement du
Québec accordait, était sur le point d'accorder ou avait
accordé une aide de caractère humanitaire directement à
l'OLP et destinée, bien sûr, aux Palestiniens du Moyen-Orient.
Est-ce que le ministre serait disposé à confirmer qu'il
s'agit bien là d'une orientation du gouvernement? Est-ce qu'il ne serait
pas plus normal, dans les circonstances, ou, plutôt, est-ce qu'il est
normal, dans les circonstances, que le gouvernement du Québec, par une
aide officielle à cet organisme, donne une reconnaissance de fait
à l'OLP, qui se livre encore aujourd'hui à des activités
terroristes?
Le Président: M. le ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, j'avais
eu l'occasion, lorsque j'ai vu cette nouvelle - je pense que c'était
dans la Gazette -de rétablir les faits. Peut-être que le
député de Saint-Laurent n'a pas vu cet article qui
répondait à la nouvelle dont il parle.
Il n'y a eu aucune espèce de reconnaissance officielle de quoi
que ce soit. Il n'y a eu aucune rencontre de qui que ce soit de mon
ministère avec des représentants de l'OLP. Il s'agit d'une
demande de la Croix-Rouge locale, qui s'appelle le Croissant-Rouge, qui nous
est venue au gouvernement du Québec par l'entremise du ministère
des Affaires sociales. Je pense que le mieux, c'est de laisser à mon
collègue des Affaires sociales le soin de répondre à cette
question, dont nous nous sommes, à l'époque, entretenus.
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: M. le Président, effectivement, comme mon
collègue vient de le dire, nous avons reçu de la Croix-Rouge en
question, qui s'appelle Croissant-Rouge, une demande pour fourniture, à
la fois d'équipement médical et chirurgical et, à la fois,
de médicaments.
Nous recevons de telles demandes régulièrement. Nous en
recevons d'Afrique, d'Asie, des Antilles et, parfois, même d'Europe. Nous
avons demandé à un certain nombre d'hôpitaux, s'ils avaient
des surplus d'équipements non utilisés en entreposage, de nous le
faire savoir. La demande en question en est toujours à ce
stade-là. C'est une demande qui date de quelques mois. Si nous pouvons,
avec la collaboration de certains hôpitaux qui ont des équipements
qui ne sont plus utilisables et qui ne sont plus utilisés, à ce
moment-là, nous pourrons transmettre à la Croix-Rouge, qui
s'appelle Croissant-Rouge, sur une base humanitaire, cet
équipement, comme nous le faisons à d'autres pays.
Une voix: Très bien!.
M. Lessard: Cela s'adresse aux individus, ça...
Le Président: M. le député de
Saint-Laurent.
M. Forget: Question supplémentaire, M. le
Président. Les équipements en question seront confiés
à un organisme. On nous parle du Croissant-Rouge, mais le ministre des
Affaires sociales pourrait peut-être nous donner plus de
précisions. Le Croissant-Rouge en question, qui existe dans les pays
islamiques et qui est analogue à la Croix-Rouge, fonctionnera, dans ce
cas-là, sous le contrôle d'autorités politiques ou d'une
autorité de fait.
Est-ce que le ministre des Affaires sociales peut nous assurer que les
autorités civiles sous la juridiction desquelles le Croissant-Rouge
distribuera ce matériel médical ne sont pas effectivement l'OLP
et que, en passant par ce canal-là, le gouvernement du Québec
adopte une politique, relativement à l'OLP, différente de la
politique suivie par le gouvernement canadien?
Le Président: M. le ministre.
M. Lazure: M. le Président, encore une fois, il ne s'agit
pas d'aider sur une base humanitaire des organismes ou des pouvoirs politiques.
Il s'agit d'aider des individus en détresse, où qu'ils habitent,
ces individus. Quand nous donnons à un autre pays, qu'il s'agisse de la
Thaïlande ou du Cambodge, des secours semblables, nous n'endossons pas
nécessairement la couleur politique des gens qui dirigent les pays en
question. Et puisqu'on parle de pays extérieurs, il me fait plaisir, M.
le Président, de demander à mon collègue de l'Immigration
d'ajouter quelques remarques qui pourraient être pertinentes à la
question.
M. Godin: M. le Président, effectivement, le
ministère de l'Immigration est saisi d'une demande en vertu du fonds
d'aide aux réfugiés. Et je ne crois pas que quiconque dans cette
Chambre voudrait que le soulagement de la misère humaine connaisse des
frontières, quelles qu'elles soient, ni politiques, ni juridiques ou
autres.
Par conséquent, nous étudions avec attention cette
demande, comme les autres, et nous aviserons dans quelque semaines de la
décision à prendre. Merci beaucoup.
M. Forget: Question supplémentaire, M. le
Président.
Le Président: M. le député de Saint-Laurent,
dernière question supplémentaire.
M. Forget: En dépit du fait que les ministres du
gouvernement se lancent la balle l'un à l'autre, j'aimerais à
nouveau demander au ministre des Affaires intergouvernementales, dans le souci
de donner une aide de caractère
humanitaire avec laquelle, bien sûr, quant à son intention,
tout le monde ici pourrait être d'accord, s'il n'est pas lui-même
d'accord qu'il a le choix des moyens et qu'il pourrait utiliser des
organisations internationales, comme la Croix-Rouge internationale,
plutôt que de choisir de passer par des instruments
déterminés. Et je remarque que le ministre des Affaires sociales
n'a pas du tout nié le fait que ces approvisionnements médicaux
seront acheminés par l'OLP, par un organisme sous le contrôle de
l'OLP, sur un territoire sous le contrôle de l'OLP. Il y a là des
États que le Canada reconnaît actuellement et l'OLP n'a pas encore
ce statut. Et le ministre n'a donné aucune assurance à cette
Chambre que la politique étrangère - puisqu'il faut bien parler
de cela - suivie par le gouvernement du Québec est compatible avec la
politique étrangère canadienne dans cette partie du monde.
Le Président: M. le ministre.
M. Lazure: M. le Président, à sa façon
habituelle, le député de Saint-Laurent, non seulement impute des
intentions, mais essaie de faire dire des choses à celui qui vous parle,
choses que je n'ai pas dites. Je n'ai même pas prononcé le mot
"OLP". Je n'ai pas confirmé que nous allions donner quoi que ce soit
à l'OLP, puisque nous n'avons pas reçu de demande de l'OLP, M. le
Président. Nous avons reçu une demande du Croissant-Rouge, qui
est un organisme bona fide reconnu par la Croix-Rouge de Genève. Et je
pourrai ces jours-ci apporter au député de Saint-Laurent une
coupure de journal où le directeur général de la
Croix-Rouge du Canada, dont le siège social est à Toronto, a dit
il y a quelque temps, lorsque cette nouvelle a fait les manchettes: Oui,
effectivement, le Croissant-Rouge est un organisme reconnu par Genève,
par la Croix-Rouge.
Il nous paraît, M. le Président, que le
député de Saint-Laurent est parti en chasse aux sorcières,
mais qu'il ne fera pas beaucoup de millage sur celle-là.
M. Blank: Question additionnelle. Le ministre des Affaires
sociales a parlé...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! II
reste deux minutes. J'avais promis une question principale, sans additionnelle,
au chef de l'Union Nationale. Je vous reconnaîtrai demain, M. le
député de Saint-Louis.
M. le chef de l'Union Nationale.
M. Blank:...
M. Le Moignan: Je vous remercie, M. le Président.
Le Président: Sans additionnelle, s'il vous plaît!
(16 heures)
Québec a-t-il demandé d'être
entendu à Londres?
M. Le Moignan: Sans additionnelle. Je veux poser ma question au
ministre des Affaires intergouvernementales. Tout le monde sait qu'aujourd'hui,
le comité des affaires étrangères du Parlement de Londres
se réunit à huis clos, je crois, pour décider des
règles qu'il suivra dans l'étude de la demande gouvernement
fédéral concernant le rapatriement de la constitution. Il est
fortement question aussi que plusieurs provinces demandent le droit de se faire
entendre devant cette commission britannique. Je voudrais savoir du ministre si
le Québec a fait une telle demande; dans l'affirmative, est-ce que le
Québec entend agir seul ou conjointement avec d'autres provinces pour
faire connaître le point de vue de cette Assemblée, tel qu'il a
été énoncé ce matin par les chefs des
différentes formations politiques?
Le Président: En deux minutes, M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui. Nous sommes au courant,
depuis la semaine dernière, que ce comité a été
formé au Parlement britannique et il nous a semblé très
important pour nous de suivre de près ses activités, de
connaître son ordre du jour et de connaître surtout son mode de
fonctionnement. Nous avons demandé à notre
délégation générale du Québec à
Londres de prendre contact avec ce comité et de nous fournir les
renseignements qui nous seraient nécessaires. Nous avons eu, chaque
jour, des messages dont deux viennent de m'arriver ici. Je peux répondre
à la question du chef de l'Union Nationale pour le moment comme
ceci.
Nous avons dit à notre délégué
général de faire savoir au comité que le Québec
serait intéressé à faire une présentation orale ou
écrite, ou les deux, auprès de ce comité au moment
où cela conviendra; cela peut venir à la fin de ce mois-ci ou au
début du mois de décembre. Nous avons aussi su que d'autres
provinces seraient intéressées à faire la même
chose, dont deux que je ne peux pas nommer et une que je peux nommer parce que
je viens à l'instant de voir, dans les nouvelles qui vont paraître
demain, qu'il semblerait que la Saskatchewan soit intéressée
elle-même, peut-être, à faire la même démarche
que nous. Nous essayons d'être avec d'autres provinces, mais il est
sûr que si nous avons une occasion de défendre les droits et les
intérêts du Québec, même si c'est humiliant pour nous
d'être obligés, à cause de la démarche
fédérale, de le faire dans un pays étranger, nous le
ferons parce que c'est ce que les circonstances exigent de nous.
Le Président: J'ai été informé que
les ministres de l'Environnement et des Affaires sociales étaient
disposés à donner un complément de réponse à
une question posée hier par le député de Mont-Royal.
M. le ministre de l'Environnement.
Problèmes de génie sanitaire
dans les villages cris
de la baie James
M. Léger: Tel que promis, je voudrais ajouter à la
réponse que j'ai donnée hier pour clarifier la situation.
D'abord, dans les affirmations du député de Mont-Royal, il y a
deux affirmations de bonne foi, mais qui sont fausses et que je veux
rétablir.
Je dois dire, au départ, que quand il y a eu
des problèmes de santé dans le Grand- Nord en août
1980, mon ministère a décidé d'aller enquêter sur
place, même si nous n'avions pas juridiction, considérant qu'on ne
pouvait pas rester indifférent devant le problème. Cette visite
des inspecteurs de mon ministère nous a valu un rapport qu'on appelle le
rapport Gariépy. Le député de Mont-Royal a semblé,
hier, mêler le rapport Jolicoeur et le rapport Gariépy, puisque le
texte ou le paragraphe qu'il a lu à la page 2 qui, selon lui,
était disparue du rapport, c'est justement la page 2 du rapport
Gariépy. Je tiens à affirmer qu'il est faux que la page 2
n'était pas là puisque le rapport a été remis au
Conseil des Cris, page 2 incluse; donc, les Cris étaient au courant du
total, de l'ensemble du rapport Gariépy.
Deuxièmement, cette enquête a été faite
conjointement avec le ministère des Affaires sociales, et mon
collègue pourra ajouter là-dessus un peu plus tard. Le rapport de
mon ministère démontrait la nécessité d'installer
un réseau d'aqueduc et d'égouts dans ce territoire, mais -encore
là, une deuxième fausseté mise de l'avant hier - c'est la
responsabilité du gouvernement fédéral de s'en occuper
puisque les territoires cris sont sous juridiction fédérale et ne
deviendront de juridiction provinciale, c'est-à-dire que le transfert du
fédéral au provincial ne se fera que le 31 mars 1981. Quant
à la juridiction sur le territoire des Inuits, c'est seulement hier, le
11 novembre 1980, que la juridiction était transférée au
gouvernement du Québec.
En ce qui concerne les territoires cris, même là,
même si c'est transféré au gouvernement du Québec,
la responsabilité des infrastructures relève du gouvernement
fédéral, mais je peux assurer le député que le
fédéral vient de prendre - cela a pris un bout de temps - des
mesures pour remplir ses responsabilités concernant la
nécessité d'installer un réseau d'aqueduc et
d'égouts pour la qualité hygiénique de la région.
Des appels d'offres ont été lancés dernièrement.
Les réseaux seront construits au printemps par la Société
de logement des Cris, conformément à l'entente
Cris-fédéral. J'espère que cela répond à sa
question.
Dans les deux cas, il est faux qu'il manquait la page 2 et il est faux
de dire que c'était de la responsabilité du Québec.
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales,
très brièvement.
M. Lazure: Très brièvement, M. le Président,
étant donné que le député de Mont-Royal,
probablement de bonne foi, avec un petit peu de confusion dans les dossiers
puisqu'il y a eu un certain nombre de rapports au cours de l'été,
avait laissé entendre aussi et me mettait en cause, mettait mon
ministère en cause, dans l'épisode de la soi-disant page
déchirée, je veux affirmer de mon siège qu'il n'y a jamais
eu de page déchirée dans le rapport que nous avons envoyé
le 27 août à M. Andrew Moore, président du Conseil
régional des services de santé et services sociaux chez les Cris.
Non seulement il n'y a pas eu de page déchirée, mais le rapport a
été rendu public le même jour et je le dépose dans
cette Chambre pour la bonne connaissance du député de
Mont-Royal.
Le Président: Je permets une question additionnelle au
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais soulever une
question de privilège.
Le Président: Question de privilège.
M. Ciaccia: Question de privilège et je voudrais
rétablir les faits. C'est une tactique bien connue que pour
éviter la réponse sur le fond d'une question, on attaque la
crédibilité ou le genre de question ou les déclarations
qui ont été faites par un député de ce
côté-ci de la Chambre. Mais les principes qui sont
impliqués ici et les gens qui sont impliqués, cela est trop
important pour que je laisse passer les affirmations qui viennent d'être
faites par les deux ministres.
Premièrement, hier - et heureusement j'ai les documents devant
moi - à la page r/40 des galées, dans la question que j'ai
posée au ministre des Affaires sociales, je me suis
référé au rapport des médecins et au rapport du
ministère de l'Environnement sur la situation d'épidémie
dans ces communautés.
J'ai devant moi le rapport que le ministre de l'Environnement appelle le
rapport Gariépy. Je ne me suis pas trompé entre le rapport
Jolicoeur et le rapport Gariépy. Le rapport Jolicoeur a
été remis au Conseil des ministres au mois de janvier 1979. C'est
vous qui ne connaissez pas vos dossiers. Le rapport Jolicoeur a
recommandé un déboursé de $11,000,000 pour remplir les
obligations du gouvernement dans l'entente de la Baie James et ce rapport a
été remis au premier ministre. Rien n'est survenu suite à
ce rapport. Il y a eu un déclenchement - je rétablis les faits,
M. le Président, c'est très important - d'épidémie
pendant les mois d'été 1980. Vous avez envoyé des
enquêteurs. Le rapport Gariépy a été un des
résultats, avec le rapport médical auquel le ministre des
Affaires sociales s'est référé.
J'ai le rapport Gariépy qui a été envoyé aux
Cris, je suis prêt à le déposer; la page 2 est manquante.
Si vous y consentez, je suis prêt à déposer ce rapport qui
a été reçu par les Cris sans la page 2. Je suis prêt
à déposer la page 2 du rapport qui a été
reçue par les Cris durant la semaine du 28 octobre, page 2 qui faisait
partie du rapport Gariépy et qui faisait référence
à une situation d'épidémie à Fort Rupert. Ils ont
appris ça seulement le 28 octobre.
Finalement - ici j'en fais une autre question de privilège - le
ministre des Affaires sociales a répondu hier...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Ciaccia: M. le Président, c'est important. Quand j'ai
demandé au ministre des Affaires sociales pourquoi il avait...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Très brièvement.
M. Ciaccia: Très brièvement. Quand j'ai
demandé au ministre des Affaires sociales pourquoi il avait
camouflé les faits, pourquoi il n'avait pas admis qu'il y avait une
épidémie, il m'a répondu - je lis sa réponse
à la page r/40 des galées:" Je
vais citer des extraits du rapport qui démontrent clairement que
des professionnels qui ont fait enquête avaient des opinions
partagées."
J'ai le rapport médical que le ministre vient de déposer
en Chambre ici. Ce rapport médical se réfère à
l'épidémie et je vais citer le rapport."À ce stade de
l'épidémie, il nous est impossible de préciser un possible
agent causal infectieux unique de cette épidémie." Dans une autre
page de ce rapport, il est dit: "II est de plus difficile de prédire
l'évolution ultérieure de cette épidémie." En
conclusion, M. le Président, ce rapport a été signé
unanimement par les quatre médecins qui l'ont rédigé. Ce
n'était pas partagé.
Le Président: En 30 secondes...
M. Ciaccia: En conclusion, M. le Président...
M. Charron: Question de règlement.
Le Président: M. le leader, sur une question de
règlement. (16 h 10)
M. Charron: Je soulève une question de règlement.
Le député, de la façon dont il est parti, abuse du droit
qu'il a d'une question additionnelle. Je voudrais lui indiquer qu'il a
parfaitement le droit - et notre règlement l'établit clairement
-de susciter une question avec débat lors de la toute prochaine
séance, c'est-à-dire demain, et de l'inscrire.
Une voix: Si vous pensez que...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît! S'il vous plaît!
Une voix: Question avec débat.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît, en
vous rappelant que je ne mets peut-être pas en pratique la directive que
j'ai émise tout à l'heure dans ce cas-ci. Trente secondes, M, le
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: M. le Président, j'ai été
attaqué par deux ministres. Alors, je crois que j'avais le droit de
formuler ma question de privilège. En concluant, je répète
que le ministre a camouflé les faits et, en plus, a induit cette Chambre
en erreur. Merci, M. le Président.
M. Lazure: M. le Président, question de
privilège...
Le Président: M. le ministre des Affaires sociales.
M. Lazure: ...rapidement. Le député de Mont-Royal
récidive. Je n'ai pas camouflé les faits. Dans le rapport
médical que je viens de présenter...
Des voix: Non, non, ce n'est pas...
M. Lazure: Un instant! ...signé par quatre
médecins, trois de Montréal et un de Québec, j'ai dit hier
qu'il y avait des opinions divergentes et je le soutiens encore. Si le
député de Mont-Royal veut faire un débat là-dessus,
je le renverrai, par exemple, à la page 3: "Le peu d'informations
recueillies ne nous permet pas de déclarer avec certitude s'il y a eu ou
non une épidémie de diarrhée à Némiscau en
1980."
Il y a eu divergence, M. le Président, et j'aimerais qu'on s'en
tienne à cela, mais, de là à prétendre que j'ai
camouflé la vérité, c'est être...
Mme Lavoie-Roux: Dans quel rapport? À quel endroit?
M. Lazure: ...pour le moins malhonnête. C'est à la
page 3.
M. Ciaccia: Question de privilège, M. le
Président!
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous
plaît! Une dernière intervention.
M. Ciaccia: Je me suis fait accuser d'être
malhonnête, M. le Président. Je crois que je peux répondre
à cette fausse accusation. Le ministre des Affaires sociales a
cité un des deux rapports. L'accusation n'était pas qu'il y avait
une épidémie à Némiscau. L'accusation était
qu'il y avait épidémie à Fort-Rupert...
Mme Lavoie-Roux: Ah!
M. Ciaccia: ...et, sur ce rapport, c'est unanime, il y a
épidémie à Fort-Rupert. J'ai le rapport ici. Je suis
prêt, M. le Président, à le déposer. C'est unanime
de la part des quatre médecins.
M. Léger: M. le Président...
Le Président: M. le ministre de l'Environnement, sur une
question de privilège.
M. Ciaccia: II passe d'un rapport à l'autre!
M. Léger: Le député de Mont-Royal n'a jamais
parlé hier du rapport Gariépy. Jamais il n'a parlé du
rapport Gariépy et c'est dans le rapport Gariépy que vous
soulevez la question de la page 2, premièrement. Deuxièmement, le
rapport Gariépy a été remis le 2 septembre. Je viens de
communiquer avec M. Gariépy lui-même, qui est directeur
régional à Radisson, qui m'affirme que le rapport a
été donné au complet aux Cris. Troisièmement, le
rapport Jolicoeur, lui, ne précise pas du tout qui doit payer les
$11,000,000 puisqu'on est encore en juridiction fédérale.
Des voix: Ah! Allo!
Le Président: À l'ordre!
M. Ciaccia: M. le Président, question de privilège!
Question de privilège!
Le Président: Nous avions terminé la période
des questions. Nous venons de commencer la période des
privilèges.
M. Ciaccia: Très brièvement, M. le
Président. Il continue de...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît! J'aimerais vous rappeler la directive
que j'ai émise tout à l'heure en disant que, lorsque deux
députés ne sont pas tout à fait d'accord sur
l'interprétation d'un texte, il ne s'agit pas et il ne s'est jamais agi
dans mon esprit, même avant aujourd'hui, d'une question de
privilège et je me rends compte que j'ai désobéi
complètement à la directive que j'ai émise tout à
l'heure. En conséquence, c'est la fin de la période des
questions.
M. le député de Maisonneuve.
M. Lalande: En vertu de l'article 34, M. le
Président...
Le Président: Oui.
M. Lalande: Hier...
Des voix: Motions non annoncées.
La Vice-Présidente: Motions non annoncées.
Une voix: Pas de motion.
La Vice-Présidente: Non, pas de motion.
Enregistrement des noms sur les votes en suspens.
Avis à la Chambre.
M. Charron: II n'y en a pas.
La Vice-Présidente: M. le député de
Maisonneuve.
M. Lalande: Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: Une question en vertu de l'article 34,
sans doute.
Recours à l'article 34
M. Lalande: En vertu de l'article 34, oui, Mme la
Présidente. Hier, en réponse à une de mes questions
concernant les problèmes dans le monde du taxi à Montréal,
le ministre des Transports nous a dit qu'à la suite des lettres de
menace de mort que certains dirigeants de l'industrie du taxi avaient
reçues, le ministre de la Justice allait nous répondre
concernant, j'imagine, une enquête probable qui devrait être tenue
bientôt à ce sujet. Vu que le ministre de la Justice était
ici, il y a quelques minutes, je demanderais au ministre s'il a
été saisi de cette affaire et si, effectivement, il va tenir une
enquête sur cette question.
La Vice-Présidente: M. le député, vous
auriez pu profiter de la période des questions. Je vous demanderais de
le faire à la prochaine occasion, s'il vous plaît!
M. Forget: Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: M. le député de
Saint-Laurent.
M. Forget: J'aurais une question, Mme la Présidente, qui
s'adresse directement à la présidence et c'est une demande de
directive.
Nous avons pris connaissance, il y a quelque temps, que le
prédécesseur du président actuel avait utilisé les
locaux de l'Assemblée nationale pour une réunion à
caractère partisan de l'exécutif de son association de
comté. Nous avons effectué des recherches depuis qui indiquent
que l'utilisation de certaines salles de l'Assemblée nationale a
été faite de façon qui apparaît, au moins à
première vue, comme irrégulière puisqu'elle n'impliquait
pas des parlementaires eux-mêmes pour lesquels, nous semble-t-il, les
locaux de l'Assemblée nationale devraient être
réservés. Il y a eu plusieurs groupes privés qui se sont
servis en particulier de la salle de conférence de presse qui est
attenante aux locaux de l'Assemblée nationale.
La demande de directive que j'adresse à la présidence est
la suivante. Maintenant que nous sommes sous un nouveau mandat ou une nouvelle
présidence, est-ce que cela ne serait pas le moment approprié
pour que des règles soient adoptées relativement à ceux
qui devraient avoir l'usage exclusif des locaux de l'Assemblée
nationale, qui pourraient comprendre, bien sûr, la possibilité que
lorsque, par exemple, des travaux de commissions parlementaires permettent la
présentation de mémoires par certains groupes, d'un commun accord
des parties représentées à la commission parlementaire,
l'on puisse autoriser ces groupes à utiliser, par exemple, la salle de
conférence de presse pour des exposés au public.
À tout événement, ce n'est là qu'une
suggestion, Mme la Présidente, mais la directive que je demande à
la présidence, c'est de préciser les droits d'utilisation et les
procédures d'utilisation des locaux de l'Assemblée nationale de
manière à éviter en particulier les
événements récents qui ont été
soulignés dans la presse, à savoir qu'une réunion d'une
association de comté péquiste se serait déroulée
dans les locaux de l'Assemblée nationale, ce qui nous apparaît
comme une utilisation inappropriée.
La Vice-Présidente: Je prends bonne note de votre demande
de directive. Je vais d'abord vous parler au conditionnel, bien sûr, et
je vais vérifier ce qui pourrait s'être passé. Je pense
aussi que vous pourriez peut-être poser la question au moment d'une
période des questions. Je vais m'occuper de voir à ce que nous
puissions rendre une directive dans un cas comme celui-là. D'accord.
M. le leader...
M. Lalonde: En vertu de l'article 34.
La Vice-Présidente: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Mme la Présidente, j'aimerais demander au
leader si c'est son intention de convoquer la commission parlementaire des
comptes publics pour entendre le Vérificateur général sur
son rapport relativement au trou de $500,000,000.
La Vice-Présidente: M. le leader du gouvernement.
M. Charron: Non, Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: M. le leader du
gouvernement, affaires du jour.
M. Charron: Comme la motion adoptée hier nous invite
à le faire, j'appelle l'article 1 du feuilleton, s'il vous
plaît!
Reprise du débat sur la motion du premier
ministre
La Vice-Présidente: II s'agit de la reprise du
débat sur la motion d'amendement de M. le chef de l'Opposition
officielle, amendement à la motion principale de M. le premier ministre.
Je vous lis donc la motion principale et, ensuite, la motion d'amendement. (16
h 20)
La motion de M. le premier ministre se lit comme suit:
"L'Assemblée nationale du Québec s'oppose formellement à
la démarche entreprise par le gouvernement fédéral, de
façon unilatérale et malgré l'opposition de la
majorité des provinces, en vue de faire modifier la constitution du
Canada par le Parlement britannique au lieu d'en poursuivre ici le
renouvellement par voie de négociations. "Puisque cette constitution
définit depuis 1867 les droits du Québec en tant qu'Etat membre
fondateur de la fédération canadienne, l'Assemblée
nationale demande aux membres du Parlement du Canada et du Parlement du
Royaume-Uni de ne pas donner suite à cette démarche
unilatérale qui est contraire à la nature même du
système fédéral et à la règle bien
établie du nécessaire consentement des provinces."
La motion d'amendement sur laquelle nous prendrons les interventions est
celle-ci et le parrain de cette motion est M. le chef de l'Opposition
officielle: "Que la motion principale soit amendée: "1 En retranchant du
premier alinéa les mots "au lieu d'en poursuivre ici le renouvellement
par voie de négociations"; "2 En insérant, entre le premier et le
deuxième alinéa, l'alinéa suivant: "Fidèle à
la volonté de la majorité des citoyens du Québec qui a
exprimé son attachement au fédéralisme canadien en
rejetant l'option de la souveraineté-association lors du
référendum du 20 mai 1980, et consciente de l'adapter aux
réalités d'aujourd'hui, l'Assemblée nationale affirme que
le renouvellement de la Constitution canadienne doit être
réalisé au Canada en conformité avec les principes du
fédéralisme et en conséquence par la voie de
négociations entre les deux ordres de gouvernement et avec le
consentement conjugué du gouvernement fédéral et des
Législatures des provinces; 3 En retranchant du deuxième
alinéa les mots "et du Parlement du Royaume-Uni" et en ajoutant
après le mot "fédéral", à la dixième ligne,
le mot "canadien"; 4° En ajoutant à la fin l'alinéa suivant:
"L'Assemblée nationale met le Parlement britannique en garde contre
toute intervention dans les affaires canadiennes par l'adoption de quelque
modification à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui
n'aurait pas l'appui des provinces du Canada".
Sur la motion d'amendement de M. le chef de l'Opposition officielle, M.
le ministre des Affaires intergouvernementales.
Motion d'amendement du
chef de l'Opposition M. Claude Morin
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, comme
le premier ministre a eu l'occasion de le rappeler ce matin lors de son
intervention devant cette Chambre et comme plusieurs observateurs l'ont
noté, nous avons pris beaucoup de soin à la rédaction de
la motion proposée par le gouvernement pour demander à
l'Assemblée nationale du Québec de s'opposer formellement au coup
de force constitutionnel d'Ottawa.
Au cours de notre rédaction, nous avons voulu comme gouvernement
respecter trois exigences que nous estimions majeures. D'abord, nous avons
voulu que notre option soit la plus brève possible sans, cependant,
l'empêcher de contenir l'essentiel d'une position que nous
espérions et espérons encore commune à tous les partis
représentés à l'Assemblée nationale. Il nous
paraissait, et nous paraît encore aujourd'hui, capital, face à
l'intérêt le plus fondamental du Québec lui-même, que
nous exprimions ici, au-delà de nos allégeances politiques
partisanes, notre conviction unanime que la démarche
fédérale actuelle est inacceptable.
Déjà, tous les partis, au cours des dernières
semaines, ont fait connaître leur réaction devant cette
démarche. C'est à partir de ces réactions, qui,
d'ailleurs, se recoupent, que nous avons construit la résolution
proposée ce matin par le premier ministre. À cette exigence de
concision en même temps que d'exactitude, nous avons tenu à en
greffer une deuxième. Nous avons, en effet, évité d'entrer
dans quelque analyse ou commentaire que ce soit de l'un ou de l'autre des
aspects particuliers de la résolution présentée par le
premier ministre du Canada au Parlement fédéral. C'est pourquoi
notre motion ne dit rien, par exemple, concernant les effets de la
résolution fédérale sur telle ou telle loi
québécoise. Bien sûr, nous pouvons et nous allons parler de
ces effets, vous comme nous d'ailleurs, à l'intérieur de nos
discours ici ou devant d'autres auditoires. C'est normal, mais, dans notre
motion, nous avons tenu à mettre l'accent sur ce qui nous unit
malgré nos allégeances politiques divergentes plutôt que
sur ce qui peut nous diviser justement à cause de ces
allégeances. Il nous a semblé que les Québécois et
les Québécoises, eux aussi divisés, comme c'est normal en
démocratie, avaient besoin, face aux problèmes qui nous
préoccupent tous, de se retrouver ensemble à travers nous, hommes
et femmes politiques siégeant dans cette Assemblée.
Comme troisième exigence, nous avons systématiquement mis
de côté tout ce qui pouvait avoir l'air, comme on dit chez nous,
de tirer la couverte de notre côté. Cela nous semblait peu
opportun dans les graves circonstances présentes. 5i on tient vraiment
à tirer la couverte de quelque côté que ce soit, les
politiciens ont bien d'autres occasions de le faire que de profiter d'une
motion plutôt solennelle comme celle que nous avons à
étudier ces jours-ci. C'est pourquoi notre résolution ne fait,
par exemple, aucune allusion au comportement tout à fait loyal
adopté par la délégation québécoise aux
diverses conférences constitutionnelles cet été,
comportement remarqué par toutes les autres délégations, y
compris celle d'Ottawa.
Nous ne parlons pas non plus de l'attitude fédérale
pendant ces mêmes conférences, attitude qui a choqué non
seulement le Québec, mais également la plupart des autres
provinces et qui -tout le monde le sait maintenant - est, pour une très
large part, responsable de l'échec du dernier exercice constitutionnel.
Autrement dit, nous n'avons pas voulu interpréter les
événements des derniers mois dans un sens ou dans l'autre, nous
nous en sommes tenus strictement à des faits concrets et connus et que
n'importe qui est en mesure de vérifier.
Voilà donc, Mme la Présidente, dans quel esprit nous avons
conçu la résolution qui est maintenant devant nous et sur
laquelle nous aurons a nous prononcer. Nous avons aussi toujours dit que cette
motion, comme n'importe quelle autre, pouvait subir des amendements. Nous nous
attendions d'ailleurs qu'il y en ait et nous étions, au départ,
réceptifs, pourvu, bien sûr, que les amendements éventuels
ne s'éloignent pas sensiblement des exigences raisonnables qui ont
présidé à la rédaction de la motion et dont je
viens de parler.
On comprendra dès lors que nous attendions avec beaucoup
d'intérêt et aussi d'espoir les amendements que les partis
d'opposition pourraient juger utiles d'apporter à notre motion.
Intérêt d'abord, parce que les circonstances demandent, ne
serait-ce que pendant quelques jours, une coopération active entre nous,
je dirais même une concertation, devant le coup de force
fédéral.
À ce propos, comme le rappelait ce matin le premier ministre,
nous étions tout disposés, avant même que ne débute
la présente session, à ce que les partis travaillent avec nous le
libellé de cette motion. Comme c'est leur droit le plus strict, les
partis d'opposition ont préféré nous laisser la
responsabilité entière de la première rédaction de
notre texte, ce que nous avons fait et qui a résulté dans le
projet qui nous est maintenant connu depuis tôt la semaine
dernière.
Nous attendions aussi ces amendements avec espoir, espoir que rien ne
viendrait distraire notre assemblée de la tâche immédiate
qui s'impose à elle en l'entraînant dans des discussions
nées d'amendements qui auraient changé le sens et la
portée d'une motion que nous avons voulu la plus acceptable pour tous.
Nous avons donc pris connaissance, il y a à peine 4 heures ou 5 heures
maintenant, de l'amendement soumis par le Parti libéral. Je dois tout de
suite dire, Mme la Présidente, au nom du gouvernement, que nous sommes
passablement d'accord avec cet amendement, parce qu'il comporte plusieurs
éléments positifs, par conséquent des additions
intéressantes, que je tiens à souligner.
On rappelle d'abord l'événement important que fut le
référendum de mai dernier. Nous pensons en effet qu'il y a lieu
de retenir cette addition avec certaines réserves que je
soulèverai tout à l'heure, parce que c'est à la suite de
la participation du premier ministre du Canada à la campagne
référendaire qu'il s'est ensuite cru autorisé à
procéder d'une façon que de plus en plus de gens
réprouvent. On mentionne aussi, dans l'amendement libéral, la
nécessité, d'adapter le régime politique actuel du Canada
aux réalités d'aujourd'hui. Cela aussi nous convient
aisément car c'est effectivement la tâche à laquelle le
gouvernement et moi personnellement, en compagnie de mes collègues des
Affaires parlementaires et de la Justice, nous nous sommes loyalement
consacrés pendant la ronde sans précédent de discussions
de l'été dernier.
Nous l'avons fait en respectant le résultat du
référendum, mais en tenant aussi compte du fait indéniable
que le résultat référendaire ne signifiait absolument en
rien, pour nous en tout cas, que les Québécois et les
Québécoises avaient accepté de se dissoudre comme
société distincte, comme peuple et qu'ils n'avaient pas, par
conséquent, renoncé à leurs ambitions et a leurs
aspirations. (16 h 30)
Les amendements proposés par le Parti libéral
précisent aussi la nature de notre attitude par rapport à
l'intervention du Parlement britannique dans les affaires canadiennes. Nous
sommes bien d'accord avec cette modification à laquelle nous
n'ajouterons qu'un petit élément qui a tout de même son
importance. C'est donc dire que nous acceptons d'emblée la
première, la troisième et la quatrième partie de
l'amendement global proposé par le Parti libéral. Cependant, tel
que présentement rédigé, le deuxième paragraphe de
cet amendement pose une difficulté qui n'est toutefois pas insurmontable
pour peu que nous fassions, de part et d'autre, preuve de bonne volonté.
En tout cas, il nous paraît contrevenir à une des exigences que
nous nous étions fixées, quant à nous, en ce sens qu'il
introduit, peut-être involontairement, un élément
d'interprétation sur lequel les avis peuvent largement diverger. On
donne, en effet, au référendum du 20 mai une
interprétation unique et exclusive. On sait pourtant que les
interprétations des résultats référendaires sont
nombreuses. Par exemple, il y a un instant, j'ai moi-même dit en
substance que, pour nous, les résultats du référendum ne
signifiaient pas que le Québec avait abdiqué devant la
volonté fédérale. Je suis sûr que le Parti
libéral du Québec partage aussi ce point de vue. Pourtant, nous
n'avons pas voulu introduire une telle interprétation dans le
libellé de notre motion.
Tout le monde sait par ailleurs que le premier ministre du Canada
interprète le référendum à sa façon. Le chef
de l'Opposition s'est lui-même dit en désaccord avec la
façon dont M. Trudeau comprend les choses et, ironiquement, si nous
sommes ici aujourd'hui et si tous les chefs de parti représentés
ici ont dénoncé la façon fédérale d'agir en
matière constitutionnelle, c'est justement parce qu'il existe, de la
part d'Ottawa, une interprétation du référendum qu'eux ne
partagent pas.
Je pourrais aussi invoquer, M. le Président, la
compréhension qu'en a le Parti conservateur fédéral qui
n'est pas celle, on le sait, des néodémocrates, etc. Pensons, par
exemple, à toutes les autres provinces. L'Ontario n'a pas compris le
référendum comme le Nouveau-Brunswick l'a vu de son
côté; même chose pour l'Alberta par rapport, par exemple,
à la Nouvelle-Écosse ou à Terre-Neuve. Je pourrais
continuer longtemps dans cette veine, me servant de mes multiples conversations
de l'été avec mes collègues d'autres provinces.
Il faut aussi compter qu'au moment du référendum des
engagements ont été pris envers le Québec en cas d'une
réponse négative. Le malheur est que ces engagements ont
été
imprécis. L'expérience ultérieure a montré,
au vu et au su de tout le monde, que non seulement l'interprétation des
résultats référendaires diffère d'une Parlement
à l'autre, selon les intérêts politiques du moment, mais
que ces engagements formels n'avaient pas pour tous la même
signification. Il y a plus. L'amendement parle d'attachement - je souligne le
mot "attachement" - au fédéralisme canadien. Cette expression
elle-même est ambiguë, puisque, par exemple, le premier ministre du
Canada se dit pourtant attaché au fédéralisme, alors qu'il
est précisément en train de poser des gestes qui en contredisent
l'esprit, ce à quoi réfère justement et même
très justement le troisième paragraphe de la motion, telle
qu'amendée par le Parti libéral.
L'amendement dit en outre que cet attachement s'est manifesté par
un rejet "de l'option de la souveraineté-association". C'est là
certainement le cas pour plusieurs citoyens, mais il en existe bien d'autres
qui ont voté non, moins pour rejeter la souveraineté-association
que parce qu'on leur avait dit qu'un non signifierait un oui à un
changement en profondeur, conformément aux aspirations courantes des
Québécois et des Québécoises.
Une voix: Ecoutez donc!.... Vous n'avez pas été
capable d'avoir de garanties...
M. Morin (Louis-Hébert): Je vais répéter, M.
le Président. Il en existe bien d'autres qui ont voté non moins
pour rejeter la souveraineté-association que parce qu'on leur avait dit
qu'un non signifierait un oui à un changement en profondeur,
conformément aux aspirations courantes des Québécois et
des Québécoises.
Je serais curieux de savoir combien de personnes, incidemment, ont cru,
à l'époque, que le changement en question se traduirait, en fait,
comme c'est devenu le cas, par un geste unilatéral axé sur le
rapatriement, sur une formule d'amendement imposée et sur l'insertion
forcée d'une charte des droits dont la rédaction, c'est le moins
qu'on puisse dire, laisse à désirer. Autrement dit, c'est
là où je veux en venir, il est plutôt présomptueux
de présumer que le référendum n'a été au
fond qu'un rejet d'une option politique donnée et que d'autres
considérations ne sont pas intervenues. Dire cela, c'est oublier le
contexte référendaire lui-même et simplifier à
l'excès un tel moment de notre vie politique.
L'amendement parle enfin des avantages - je souligne le mot "avantages"
- du fédéralisme. Là encore, l'interprétation peut
varier. Pour certains, le fédéralisme est avantageux parce qu'il
permet la centralisation des pouvoirs significatifs gouvernementaux à
Ottawa. Sans crainte de me tromper, je crois que le premier ministre du Canada
partage, en bonne partie, cette opinion. D'autres voient plutôt dans le
fédéralisme la possibilité pour les provinces d'y
conserver et d'y accroître leur autonomie. On peut également citer
des avantages que d'aucuns, selon un point de vue légitime,
considéreraient plutôt comme des inconvénients, qu'il
s'agisse du plan personnel ou du plan collectif, soit au point de vue
économique, social ou culturel. En somme, ce que je veux dire, c'est que
pas plus le fédéralisme que tout autre régime politique ne
comporte d'absolu en ce qui a trait aux avantages ou aux désavantages,
d'ailleurs.
Pour toutes ces raisons, nous croyons que le mieux, dans la motion en
cause, est de s'en tenir exclusivement aux faits, sans tenter de vouloir trop
les interpréter. C'est ce que nous avions fait, d'ailleurs, dans notre
proposition.
Ici, je voudrais citer, puisque j'arrive à ma conclusion, un
passage de ce que le chef intérimaire de l'Union Nationale disait tout
à l'heure, avant la reprise de nos débats, dans son discours.
"J'ai déjà dit, lors de ma réponse au message inaugural -
c'est le chef intérimaire de l'Union Nationale qui parle - que,
puisqu'il y avait accord, sur le fond, de tous les partis politiques
représentés en cette Chambre, seuls des motifs partisans
pourraient empêcher la création d'un front commun qui nous
permettrait de dire que c'est à l'unanimité que
l'Assemblée nationale s'est prononcée en faveur de cette
motion."
Je continue. "En tant que parlementaires -toujours en citant le chef
intérimaire de l'Union Nationale - si nous voulons que cette motion ait
vraiment toute la force qu'elle mérite, tant au niveau du Parlement
canadien que du Parlement britannique, il faut absolument faire un effort pour
que notre adresse ici, au Québec, soit unanime. Si nous
réussissons à franchir les murs de la partisanerie
traditionnelle, il sera alors plus facile de convaincre nos concitoyens non
seulement de l'urgence de la situation, mais aussi de susciter une opposition
vraiment panquébécoise qui prendra forcément une allure
irréversible."
Pour toutes ces raisons, comme je le disais tantôt, nous croyons
que le mieux, dans la motion en cause, est de s'en tenir exclusivement aux
faits, sans tenter de vouloir trop les interpréter.
Dans un esprit constructif et en vue de concilier les contributions de
tout le monde, nous croyons devoir apporter, dans le deuxième paragraphe
de leur amendement - et en vue de le rendre moins lourd, d'ailleurs - un
sous-amendement qui respecte l'esprit de l'amendement proposé et qui
n'en change pas la portée, tout en évitant d'y insérer un
élément subjectif et susceptible de conduire à des
interprétations engendrant elles-mêmes des discussions,
peut-être stimulantes, mais dont nous n'avons pas besoin maintenant, vu
le but immédiat qu'il ne faut jamais perdre de vue de la motion soumise
à l'approbation de cette Chambre.
Motion de sous-amendement
En conséquence, M. le Président, et au nom du gouvernement
nous sommes heureux d'accepter l'amendement libéral à notre
motion, en y greffant le sous-amendement suivant. Je vais lire le
sous-amendement et je lirai ensuite la motion globalement, telle
qu'amendée et sous-amendée. "Que la motion d'amendement du chef
de l'Opposition soit amendée, premièrement, en remplaçant,
au paragraphe 2, les mots "Fidèle à" par les mots "Respectueuse
de", ainsi que les mots: "exprimé son attachement au
fédéralisme canadien en rejetant l'option de la
souveraineté-association lors du référendum du 20 mai
1980, et consciente des avantages du fédéralisme canadien et" par
les mots: "voté, lors du référendum du 20 mai 1980, pour
le maintien du fédéralisme canadien, et consciente". Cela, c'est
le premier
changement.
Le deuxième, "en ajoutant, à la fin du paragraphe 4,
après le mot "Canada", les mots "et, en particulier, du
Québec".
Maintenant, je vais lire la motion principale, à la suite de
l'amendement et du sous-amendement, qui se lirait comme suit, de façon
que tout le monde puisse en saisir l'ensemble. "L'Assemblée nationale du
Québec s'oppose formellement à la démarche entreprise par
le gouvernement fédéral de façon unilatérale et
malgré l'opposition de la majorité des provinces, en vue de faire
modifier la constitution du Canada par le Parlement britannique. "Respectueuse
de la volonté de la majorité des citoyens du Québec qui a
voté, lors du référendum du 20 mai 1980, pour le maintien
du fédéralisme canadien, et consciente de la
nécessité de l'adapter aux réalités d'aujourd'hui,
l'Assemblée nationale affirme que le renouvellement de la Constitution
canadienne doit être réalisé au Canada en conformité
avec les principes du fédéralisme et en conséquence par la
voie de négociations entre les deux ordres de gouvernement et avec le
consentement conjugué du Parlement fédéral et des
Législatures des provinces. "Puisque cette constitution définit,
depuis 1867, les droits du Québec en tant qu'État membre
fondateur de la fédération canadienne, l'Assemblée
nationale demande aux membres du Parlement du Canada de ne pas donner suite
à cette démarche unilatérale qui est contraire à la
nature même du système fédéral canadien et à
la règle bien établie du nécessaire consentement des
provinces. "L'Assemblée nationale met le Parlement britannique en garde
contre toute intervention dans les affaires canadiennes par l'adoption de
quelque modification à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
qui n'aurait pas l'appui des provinces du Canada et, en particulier, du
Québec."
Mme la Présidente, voilà les modifications que je voulais
apporter au nom du gouvernement à l'amendement du chef du Parti
libéral, lui-même se référant à la motion
soumise ce matin par le premier ministre. Merci. (16 h 40)
Le Vice-Président: Un instant, M. le leader de
l'Opposition. D'abord, je voudrais rendre recevable cette motion de
sous-amendement. Je remercie le ministre de m'avoir fait parvenir le texte pour
m'y référer et voir s'il pouvait être conforme à
l'article 70 de nos règlements.
Après en avoir fait la vérification, je déclare
recevable, quant à la forme et au fond, le sous-amendement qui nous est
présenté. La discussion doit donc porter maintenant sur le
sous-amendement.
M. Tremblay: Question de règlement.
M. Goulet: Avant de commencer la discussion...
M. Tremblay: Question de règlement, M. le
Président.
M. Levesque (Bonaventure): Un instant! Y aurait-il lieu de
demander quelques minutes de suspension? On vient d'indiquer même que
plusieurs députés n'ont pas reçu de copie de cet
amendement qui vient d'être déposé, bien que quelques-uns
d'entre nous en avaient peut-être déjà une copie. Je pense
qu'il serait bon que nous puissions suspendre pour prendre connaissance
ensemble de cette motion de sous-amendement.
Le Vice-Président: Un instant. M. le député
de Gouin.
M. Tremblay: Question de règlement. Je voudrais bien
m'assurer que, si ce sous-amendement est débattable, nous ne pourrons
discuter que de ce sous-amendement avant de revenir à l'amendement
principal et avant de proposer d'autres amendements.
Le Vice-Président: C'est ce qui est prévu par nos
règlements. M. le leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, je suis parfaitement
d'accord. J'avais offert, d'ailleurs, à l'heure du lunch, au leader de
l'Opposition, qu'au moment de la présentation du sous-amendement nous
puissions suspendre pour permettre aux différentes formations politiques
d'en prendre connaissance. Je ne sais pas de combien de temps voudrait disposer
le leader de l'Opposition, peut-être peut-il me le demander au nom de son
groupe?
M. Levesque (Bonaventure): 17 h 30?
M. Charron: 17 h 30. Cela nous donne une demi-heure, à
toutes fins pratiques, pour connaître votre réaction.
M. Levesque (Bonaventure): Pour avoir la réponse, enfin,
la réaction.
M. Charron: Bien, M. le Président. Je propose que nous
suspendions nos travaux jusqu'à 1.7 h 30.
Le Vice-Président: Suspension des travaux jusqu'à
17 h 30.
Suspension de la séance à 16 h 43
Reprise de la séance à 17 h 33
La Vice-Présidente: À l'ordre, s'il vous
plaît!
Veuillez vous asseoir.
Il s'agit de la reprise du débat sur le sous-amendement de M. le
ministre des Affaires intergouvernementales.
M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Claude Ryan
M. Ryan: J'ai écouté avec intérêt et
respect le ministre des Affaires intergouvernementales présenter le
projet de sous-amendement du gouvernement à l'amendement que nous avions
présenté plus tôt aujourd'hui et je voudrais le commenter
brièvement, à la lumière des éléments que
nous avons fait valoir au cours du débat
jusqu'à maintenant.
Pour bien comprendre la portée de ce sous-amendement, qui est
proposé à l'amendement de l'Opposition officielle, je pense qu'il
convient de rappeler brièvement les éléments constitutifs
de l'amendement que nous avons déposé ce matin. Ainsi que je l'ai
dit ce matin, nous visions deux buts majeurs en proposant cet amendement
à la motion gouvernementale. D'abord, nous tenions à situer le
vote qui sera pris au cours des prochains jours dans le contexte politique et
social précis où s'inscrit cette décision qui ne surgit
pas comme une sorte de résolution émanant d'un atelier qui
évoluerait dans l'abstrait quelque part sur la planète Mars, mais
qui vient s'inscrire dans un contexte précis au Québec et au
Canada en novembre 1980.
Deuxièmement, nous tenons absolument à éviter tout
danger de confusion qui pourrait surgir dans les esprits quant aux intentions
des principaux acteurs qui sont à l'oeuvre dans cette Chambre dans une
matière où les divergences sont très marquées entre
divers groupes de la société et où rien ne servirait de
chercher à les enterrer sous des fleurs ou des ententes d'occasion.
Pour bien servir ces deux objectifs, j'avais proposé ce matin un
amendement comportant six éléments majeurs. D'abord, nous tenons
à ce que la motion contienne une évocation claire, nette et
franche de l'événement référendaire du 20 mai. Cet
événement référendaire - j'en parlerai tantôt
en traitant du sous-amendement de manière plus précise -
contenait, à notre point de vue, deux éléments essentiels.
Ainsi que le disait notre amendement, nous considérons que la population
au référendum a exprimé son attachement au
fédéralisme canadien en rejetant l'option de la
souveraineté-association mise de l'avant par le gouvernement. J'en
reparlerai tantôt.
Deuxièmement, nous tenions à ce que cette
Assemblée, en souscrivant au projet de réforme de la Constitution
canadienne, indique par une formule minimale un minimum de foi et de confiance
envers l'entreprise et qu'elle ne se comporte pas comme une institution qui
aborderait une oeuvre aussi fondamentale et majeure dans un esprit de
neutralité ou de non-engagement qui serait le plus sûr gage de
l'échec de la démarche au bout de la ligne.
Troisièmement, nous avons parlé de la
nécessité de changement dans l'ordre constitutionnel
canadien.
Quatrièmement, nous avons dit que ces changements devront se
faire en conformité avec les principes du fédéralisme.
Cinquièmement, que les changements devront se faire moyennant le
consentement conjugué du Parlement fédéral et des
Législatures des provinces. Finalement, nous avons tenu à
réaffirmer le principe de la non-ingérence d'un État
étranger, en l'occurrence la Grande-Bretagne et son Parlement, dans les
affaires canadiennes.
Maintenant, le sous-amendement qu'on nous a proposé
répond-il à ces exigences qui étaient contenues dans notre
amendement? À certains points de vue, oui. Je pense que, sur la
nécessité de changement, par exemple, dans l'ordre
constitutionnel canadien, il n'y a rien de modifié dans ce que nous
avons proposé. Je pense que le texte demeure ce qu'il était et,
par conséquent, il n'y a pas de matière à litige sur ce
point particulier.
En ce qui concerne la philosophie dont doivent s'inspirer les
changements, c'est-à-dire une philosophie qui soit en conformité
avec les principes du fédéralisme, je constate que, dans le
sous-amendement déposé par le ministre - j'allais l'appeler le
sous-ministre - des Affaires intergouvernementales, on a maintenu ce qui
était proposé dans l'amendement, et, par conséquent, il
n'y a pas de dispute là-dessus.
Au sujet de la nécessité d'un consentement conjugué
du pouvoir fédéral et des provinces pour l'instauration de tout
changement important et substantiel, je pense que les termes ont
été maintenus également, les termes que nous avions
inscrits dans l'amendement sont maintenus par les auteurs du sous-amendement.
Il n'y a pas de problème de ce côté-là. La mise en
garde au Parlement britannique est maintenue dans les termes que nous avions
formulés, c'est autant de pris.
Des problèmes surgissent, si je comprends bien, au sujet des
premier et deuxième éléments. Le premier
élément c'est l'évocation du choix
référendaire. Le gouvernement, par la voix de son ministre des
Affaires intergouvernementales, nous propose un amendement qui comporterait les
changements suivants par rapport à notre propre amendement: D'abord, au
début, on remplace les mots "fidèle à la volonté de
la majorité des citoyens, etc." par "respectueuse de". Vous me direz que
c'est une pure question de sémantique, Mme la Présidente; j'ai de
la peine à le croire. La fidélité est une vertu
active...
Des voix: Ah, ah!
M. Ryan: ...tandis que le respect est souvent une vertu passive.
Je vous donnerai un exemple emprunté au domaine de l'administration
publique. Quand on engage un professeur aujourd'hui dans les écoles
confessionnelles du Québec, on exige de lui, en vertu d'un
règlement du Comité catholique - et, si je me trompe, le whip du
gouvernement, qui a été dans l'enseignement longtemps, pourra me
corriger - qu'il soit respectueux des valeurs que véhicule le
système catholique d'enseignement. Il peut très bien arriver
qu'il ne croie à cela en aucune manière et qu'il soit respectueux
passivement, qu'il s'engage à ne point porter offense aux convictions
des enfants et de leurs parents. C'est évident que sa contribution au
développement moral et spirituel des enfants suivant les convictions de
leurs parents sera extrêmement réduite. C'est une sorte de
compromis qu'on a trouvé parce qu'il faut bien qu'on travaille tous
ensemble, et je ne veux pas engager un débat sur cette question, mais
cette sorte de respect que l'on est en droit d'exiger d'une personne qui veut
faire carrière dans l'enseignement, étant donné certaines
contraintes institutionnelles caractéristiques de notre milieu, ce n'est
pas la vertu que l'on aime exiger de ceux qui prétendent exercer un
leadership en matière politique.
Ce que le gouvernement revendique, c'est le leadership de la
participation du Québec à la réforme du
fédéralisme canadien. Cela prend beaucoup plus qu'une simple
attitude de respect passif, incolore et neutre. Cela prend une attitude
d'adhésion que le mot "fidèle", que nous avions choisi d'autant
plus délibérément qu'une première
version de notre amendement employait le mot "respectueuse"...
Des voix: Ah, ah!
M. Ryan: Apprenant chaque jour à vous connaître
davantage, messieurs du gouvernement, nous nous sommes rendu compte que cela
ferait très bien votre jeu et nous avons décidé de
renforcer l'expression par l'usage du mot "fidèle".
Un de mes collègues a fait des recherches rapides tout à
l'heure. II m'a fait constater que le ministre des Affaires
intergouvernementales, malgré les soupçons injustifiés que
l'on nourrit à son endroit dans certains cercles du Parti
québécois, est très fidèle à l'orthodoxie
partisane du groupe qui forme le gouvernement actuellement. En effet, dans la
résolution du conseil national du Parti québécois dont je
parlais hier et qui fut adoptée en juin dernier, il était dit en
toutes lettres ceci: "Le conseil exécutif national, tout en
réaffirmant son respect envers le verdict populaire du 20 mai dernier et
face, etc."
Des voix: Ah!
M. Ryan: Je pense que, sur ce point-ci, on nous demande
d'accepter un recul qui peut être compatible avec l'orthodoxie
péquiste, mais qui est incompatible avec la signification que l'on doit
honnêtement tirer du verdict du 20 mai. Quand on ne veut pas
exécuter activement et fidèlement la volonté
exprimée par le peuple - et j'ai indiqué très clairement
hier ce qu'on devait faire - on doit avoir le sens de la dignité voulue
pour se désister et retourner devant le peuple afin d'au moins
solliciter un nouveau mandat. Sur ce point-ci, le sous-amendement...
Deuxièmement, l'évocation de l'événement
référendaire est singulièrement raccourcie par le
sous-amendement que le gouvernement nous a soumis tantôt. Nous autres,
nous avions dit, dans notre amendement "fidèle à la
volonté de la majorité des citoyens du Québec qui a
exprimé son attachement au fédéralisme canadien en
rejetant l'option de la souveraineté-association lors du
référendum du 20 mai 1980", et l'on change cette formulation par
la suivante: "respectueuse de la volonté de la majorité des
citoyens du Québec qui a voté lors du référendum du
20 mai, pour le maintien du fédéralisme canadien". Je pense que
l'on tronque la vérité historique. J'ai entendu le ministre des
Affaires intergouvernementales, avec toute la subtilité dont il est
capable et qui, heureusement, trompe de moins en moins de citoyens,
interpréter le verdict du référendum comme ne voulant
pratiquement plus rien dire, comme signifiant, finalement, que bien des gens
auraient voté non tout en étant peut-être favorables
à la souveraineté-association, tout comme on pourrait dire de
l'autre côté que bien des gens ont peut-être voté oui
tout en étant favorables au fédéralisme. Mais vous savez
comme moi, Mme la Présidente, qu'avec ces exercices de casuistique, on
arrive à n'importe quoi et on n'arrive à rien. Une
expérience pas encore très longue en politique m'a
enseigné que devant un résultat électoral ou
référendaire, il faut avoir l'honnêteté et la
loyauté d'accepter les résultats pour ce qu'ils signifient de
manière obvie, "at their face value", comme on dit en anglais, les
accepter pour ce qu'ils sont vraiment.
Si, moi, j'ai perdu, je peux bien me faire 56 raisonnements. Au bout de
la ligne, je dois accepter que j'ai perdu.
Donc, pour montrer comment on déforme après coups, je vais
vous donner seulement une petite citation qui est assez intéressante en
l'occurrence. Le 25 mars dernier, en cette Chambre, vous saviez combien nous
avions eu de difficulté à dégager la signification claire
de la question qui était présentée par le gouvernement.
À force de talonner le premier ministre, j'avais fini par obtenir de lui
l'aveu suivant. Je voulais savoir ce que signifierait un oui au
référendum. Je lui avais demandé si, finalement, un oui au
référendum serait aussi un oui à l'option fondamentale du
gouvernement ou si ce serait seulement un oui à un mandat de
négocier une chose que le peuple n'aurait même pas
été appelé à approuver. Le premier ministre,
après s'être fait tordre les méninges pendant plusieurs
jours, a fini par laisser tomber les aveux suivants, qui avaient beaucoup
frappé les gens à l'époque.
Finalement, cette réponse-ci À M. Gérard-D.
Levesque. Vous vous souvenez que nous nous complétons très bien
tous les deux. Lorsqu'à un moment donné un supplément
d'information est nécessaire, mon voisin de Bonaventure est toujours
prêt à me seconder très efficacement; cette fois-là,
c'est exactement ce qui est arrivé. Je m'étais essayé
moi-même à plusieurs reprises et, à la fin, M.
Gérard-D. Levesque, le député de Bonaventure, s'est
levé et il a demandé ceci: "M. le premier ministre pourrait-il
dire à cette Chambre simplement, dans une réponse aussi
brève qu'il peut le faire, si une réponse affirmative au
référendum voudrait dire, dans l'esprit du premier ministre, que
cette réponse est une réponse oui à la souveraineté
politique du Québec?" Et le premier ministre de répondre: "C'est
une réponse oui qu'il faut négocier dans la réalité
l'orientation qui mènerait à la souveraineté et à
l'interdépendance que signifie l'association." Le premier ministre avait
été franc; cela lui a pris un petit peu de temps. Finalement, il
avait laissé tomber cet aveu qu'un oui au référendum
serait, comme je l'ai signalé hier, interprété par le
gouvernement comme un oui à la souveraineté-association. Qu'on
vienne nous dire maintenant qu'un non au référendum
n'était pas un non à la souveraineté-association,
franchement, je ne comprends plus rien. Il y a un vieux principe que je
voudrais rappeler au ministre des Affaires intergouvernementales parce que la
pratique de la diplomatie incline à l'oublier; c'est le vieux principe
de contradiction que nous apprenions quand nous étions aux études
et dont j'espère que le ministre de l'Agriculture se souvient lui aussi,
principe de contradiction en vertu duquel on ne peut pas être pour et
contre une chose en même temps et sous le même rapport.
Pour cette question-ci, il est évident qu'il y avait deux
éléments dans le verdict référendaire. Le premier,
l'élément obvie qui saute aux yeux, qui était voulu par le
gouvernement lui-même, c'est le rejet de la
souveraineté-association. Il faut que ce soit clair. Le deuxième,
c'est qu'en rejetant la souveraineté-association, et Dieu sait que nous
l'avons constaté par notre travail sur le terrain pendant la campagne
référendaire, la majorité de nos concitoyens exprimaient
leur attachement au fédéralisme canadien. Nous avons
tenu à joindre ces deux éléments dans notre
formulation, justement parce que nous voulons éviter la confusion que
cherche à engendrer le gouvernement en laissant croire à ses
troupes qu'il peut donner l'impression de poursuivre le renouvellement du
fédéralisme, tout en se gardant des avenues ouvertes pour
continuer à rechercher la souveraineté-association, comme lui
enjoignent de le faire les documents officiels les plus récents du Parti
québécois.
Sur ce point, Mme la Présidente, il est très difficile
pour nous d'accepter le genre de compromis, ou plus exactement
impossible...
Une voix: Impossible, c'est clair! (17 h 50)
M. Ryan: ...pour nous d'accepter le genre de dilution que nous
propose le gouvernement. On a assez joué depuis quatre ans avec les
faits historiques, avec la vérité des faits, nous ne jouerons pas
avec l'histoire dans ce débat-ci. Cette partie de notre histoire est
trop récente et les documents à l'appui de notre
interprétation sont trop abondants pour que le gouvernement ait la
moindre chance cette fois-ci de chercher à la déformer.
Deuxième point. Nous demandions... Qu'est-ce que j'ai entendu?
Est-ce que j'ai entendu "vendu"? C'est bon que vous vous révéliez
sous votre vrai jour, M. le ministre de l'Agriculture. C'est bon que les gens
que vous essayez de tromper dans les comtés qui sont en lice
actuellement se rendent compte du genre de vocabulaire que vous employez dans
cette Chambre. Très bien. Je pensais qu'on était sorti de cette
époque-là. Je m'aperçois qu'elle revient. Je
m'aperçois qu'on s'est caché, qu'on a réussi à se
donner une patte de velours pendant quelque temps sous prétexte de
rechercher une unanimité factice, mais opportuniste, et que le vieux
fond, que nous avions tellement déploré pendant le débat
sur la question référendaire, est toujours là. Ce vieux
fond d'intolérance nous le rejetons, le récusons et le
réprouvons vigoureusement et profondément.
Vous dites également, messieurs du gouvernement, dans
l'interprétation que vous faites du référendum - ceci est
extrait du document officiel adopté par votre conseil national
élargi au mois d'octobre - Le résultat du
référendum a fourni à 40% de la population l'occasion
d'appuyer le gouvernement dans le sens du statut politique que propose le Parti
québécois. Comment pouvez-vous dire que les 60% qui ont
répondu non n'ont pas désapprouvé le projet de
souveraineté-association du Parti québécois?
Dans le même alinéa que vous cherchez à modifier
subrepticement, nous vous demandions de reconnaître que
l'Assemblée nationale est consciente des avantages du
fédéralisme canadien. Nous savons bien qu'il y a des
inconvénients dans le fédéralisme canadien, que ce n'est
pas un régime parfait. Nous l'avons dit à maintes reprises, nous
traçons un bilan à un moment donné de l'histoire, nous
disons que l'actif comporte telle somme, le passif comporte telle somme. Vous
autres, vous aviez conclu que le passif était plus abondant que l'actif.
Nous avions conclu que l'actif était plus abondant que le passif et les
électeurs du Québec, à 60%, ont approuvé
l'interprétation du bilan que leur proposaient les partisans du lien
fédéral. Nous vous demandons de le reconnaître dans la
résolution, d'être conscients des avantages; ça ne vous lie
pas à dire qu'il n'y a que des avantages dans le
fédéralisme canadien, ça ne vous oblige pas à
adhérer activement et aveuglément à tous les
éléments de philosophie qui inspirent le
fédéralisme canadien. On vous dit de dire que vous êtes
conscients des avantages, pas seulement économiques. Je ne pense pas
d'abord à ceux-là quand je parle de ceux-ci, je parle surtout des
avantages politiques, surtout des avantages sur le plan des grandes
libertés fondamentales, la mise en commun d'une partie plus ou moins
grande de la richesse commune qui est permise et facilitée par notre
régime politique.
On vous demande de le reconnaître. Le mot avantage n'est
peut-être pas l'expression définitive, ce n'est peut-être
pas le nec plus ultra de la précision politique en ce domaine,
peut-être y a-t-il autre chose à chercher. Je n'ai pas
d'objection, je n'ai jamais dit ce mot-ci, c'est celui-là ou aucun
autre. Quand on veut supprimer d'un trait de plume cet acte d'adhésion
au verdict qui a été porté le 20 mai dernier par la
population, là, je ne peux pas me laisser embarquer parce que je pense
que je trahis un des éléments essentiels et je condamne le
Québec à se présenter à la table de
négociations, les mains ligotées derrière le dos, les
mains ligotées par un acte d'indifférence, sinon
d'hostilité envers ce qui est le fondement même de toute la
démarche que l'on est en train d'accomplir.
I wish to say in English, Madam Chairman, that we cannot accept the
sub-amendment presented by the Minister for Intergovernmental Affairs for
obvious reasons. We had insisted in our amendment that there be a clear
reminder in the motion which will be adopted by this House of the referendum of
last May 20th and of the precise significance of the verdict rendered by the
voters of Québec on that occasion. We insisted that this part of the
motion should evoke, as clearly and explicitly and concisely as possible, both
the rejection of sovereignty-association as propounded by the government at the
time and the implicit expression of the attachment of our people for the
federal system of government which we have in Canada. But the government, with
their sub-amendment, is trying to dilute the meaning of that verdict rendered
by the people and we cannot subscribe to this exercise in dilution which is
being offered to us in exchange for the clear statement that we have propounded
in our amendment.
In addition, we insisted that if the government want to continue to
bargain on behalf of Québec towards the renewal of our federal system,
they should at least be forthright enough to recognize, in spite of their
profond convictions, that there are some true advantages in the federal system
of government that we have. We had proposed something to that effect, we do not
insist unilaterally upon the word "advantages" or the word "benefits" or any
other word which you may have in mind. You may propose something better and we
will consider it in a spirit of open-mindedness, but when you propose that we
should dilute entirely this part of our amendment, we cannot subscribe to such
an exercise because it is an exercise in futility and frustration...
Mme la Présidente, je reviens au fond de la
question. Comme je l'ai dit tantôt, sur tous les autres points, je
pense que nous pouvons nous entendre. Ce que je voudrais dire au gouvernement,
c'est ceci: Je comprends très bien le gouvernement, à ce stade
encore relativement peu avancé du débat, d'avoir cherché
à gagner des points. Je pense que nous cherchons à le faire de
notre côté également et cela fait partie d'une discussion
raisonnable dans un Parlement dont le génie repose sur des relations du
type adversaires. J'indique clairement au gouvernement la ligne de
démarcation qui est la nôtre dans cette discussion. Nous avons
préparé très sérieusement l'intervention que j'ai
faite ce matin; nous l'avons préparée dans un esprit constructif,
mais vrai. Je demande au gouvernement de reconsidérer les propositions
qu'il a faites ce matin, de se demander, a la lumière de ce que j'ai
essayé de dire, si des rapprochements sont possibles de la part du
gouvernement. S'il arrive à des conclusions qui puissent se rapprocher
de ces exigences essentielles, fondamentales et minimales que nous avons
définies avec le maximum d'honnêteté, peut-être la
discussion pourra-t-elle s'acheminer vers un résultat constructif, celui
voulu par le gouvernement, celui voulu aussi par les Québécois,
qui souhaitent sincèrement qu'il ne soit pas donné suite au
projet du gouvernement fédéral sous la forme que nous lui
connaissons actuellement.
Le débat en est encore à un stade relativement peu
avancé, mais j'insiste de nouveau. La fidélité active au
verdict rendu par le peuple du Québec doit être maintenue dans
l'amendement que nous avons proposé, sinon, nous ne pourrons pas
l'accepter.
Deuxièmement, l'évocation de la double dimension de
l'événement référendaire doit être
conservée également, parce qu'autrement, on risque de verser
encore une fois dans la déformation et la distorsion historiques qui ont
été si souvent caractéristiques de l'approche de nos amis
du gouvernement.
Troisièmement, il faut une évocation positive des
avantages du fédéralisme canadien, sans quoi cet amendement que
nous avons proposé perd une grande partie de son sens, et les deux
objectifs que nous poursuivons, c'est-à-dire situer clairement la motion
dans son contexte historique et politique précis et,
deuxièmement, éviter d'engendrer de la confusion dans l'esprit de
nos concitoyens, ne pourront pas se réaliser de manière
satisfaisante, et l'unanimité que nous aurions atteinte sans avoir
respecté ces exigences serait une unanimité factice,
génératrice de tensions plus grandes, d'incompréhension
dans beaucoup de secteurs de la société, là où nous
cherchons l'unité, la collaboration et la concertation, en vue d'un
résultat positif.
La Vice-Présidente: M. le député de
Bellechasse.
M. Goulet: Mme la Présidente, je demande l'ajournement du
débat.
La Vice-Présidente: Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté.
La Vice-Présidente: Adopté. M. le leader
parlementaire adjoint du gouvernement.
M. Bertrand: Mme la Présidente, je propose la suspension
des débats jusqu'à demain, 14 heures.
La Vice-Présidente: L'ajournement, sans doute?
M. Bertrand: L'ajournement pour demain, 14 heures.
La Vice-Présidente: Motion d'ajournement des travaux de
l'Assemblée.
Une voix: Demain à...?
La Vice-Présidente: 14 heures. Adopté. Cette
Assemblée ajourne ses travaux à demain, 14 heures.
Fin de la séance à 18 heures