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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mercredi 9 mai 1984 - Vol. 27 N° 90

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures deux minutes)

Le Président: À l'ordre! Nous allons nous recueillir quelques instants. Veuillez prendre vos places.

La journée tragique du 8 mai 1984

Le Président

Le mardi 8 mai 1984 constitue désormais une des plus sombres journées de l'histoire du parlementarisme au Québec. Tandis que tous et chacun s'affairaient à leurs tâches quotidiennes et qu'une commission parlementaire s'apprêtait à se réunir ici même pour exercer une fonction qui fait intimement partie de notre système démocratique, un individu armé a fait irruption dans l'Hôtel du Parlement et, tirant à la mitraillette, s'est rendu en cette salle de l'Assemblée nationale poursuivant son plan diabolique.

En trois minutes approximativement, ce qui avait été jusque-là une journée comme les autres est devenu un cauchemar. Deux employés de l'Assemblée nationale: un messager, M. Camille Lepage et un page, M. Georges Boyer, y laissèrent leur vie. Un employé du Directeur général des élections, M. Roger Lefrançois, qui se trouvait sur le parquet de l'Assemblée nationale du fait que la commission des institutions allait étudier les crédits budgétaires de l'organisme, a également péri dans la fusillade.

Ces trois personnes avaient toutes quelque chose en commun: elles occupaient des fonctions relativement anonymes dont elles s'acquittaient avec conscience et dévouement. Sans elles et sans les personnes qui occupent au sein de l'appareil de l'État des fonctions analogues, ni le Parlement ni le gouvernement ne pourraient fonctionner. Le destin a voulu qu'elles se trouvent là au moment où un acte insensé, avant-hier encore inimaginable, fut commis.

Le deuil de leur famille est aussi le nôtre et celui de tous celles et ceux qui croient profondément à la supériorité d'une société ouverte et libre comme celle-ci l'est et doit le demeurer. C'est pourquoi, depuis ce matin et jusqu'après les funérailles, le drapeau du Québec flotte à mi-mât sur l'Hôtel du Parlement, marquant ainsi à la fois notre tristesse, mais aussi toute notre horreur face à l'attentat dont elles ont été les victimes innocentes. La grande famille que nous constituons tous adresse ses sympathies aux familles immédiates de MM. Boyer, Lefrançois et Lepage.

D'autres personnes ont été blessées au cours de ces minutes folles. Heureusement, leur état ne semble plus inspirer de crainte. Nous prions tous pour qu'elles guérissent complètement et rapidement.

Dans une situation affolante comme celle que nous avons connue hier, plusieurs personnes, par de simples gestes, ont fait preuve d'un courage exemplaire. Mais le sergent d'armes de l'Assemblée nationale, M. René Jalbert, a fait preuve d'un courage exceptionnel allant bien au-delà des exigences du devoir.

Grâce à lui, à sa présence d'esprit et à son calme, l'individu qui avait fait irruption dans l'Hôtel du Parlement et à la salle de l'Assemblée nationale a finalement pu être maîtrisé. Il convient donc de lui rendre un hommage tout particulier et de lui dire la fierté que nous éprouvons de le compter parmi nous.

Enfin, ayant eu à les voir travailler de près, je veux signaler la contribution exceptionnelle de la Sûreté du Québec, de la police de la ville de Québec et des gardiens-constables de l'Assemblée nationale qui, avec le sergent d'armes, ont mené à terme l'opération policière.

On me permettra, en terminant, de remercier toutes les personnes et tous les groupes qui, dans un geste spontané de solidarité démocratique, ont adressé à l'Assemblée, par mon entremise, et aux familles des disparus des messages de sympathie. Dans de telles circonstances, encore sous le choc des événements, il est bon de sentir que des personnes se préoccupent suffisamment de nos libertés et du sort des victimes pour poser un tel geste.

M. le premier ministre.

M. René Lévesque

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, cette journée d'hier, qui était tragique jusqu'à l'inconcevable et qu'ont eu à subir tout particulièrement ceux et celles qui étaient présents dans cet Hôtel du Parlement, se solde par un très lourd bilan que nous ne connaissons que trop hélas! Étant assuré de m'exprimer en notre nom à tous, à mon tour, et en m'exprimant également à titre personnel, je tiens tout d'abord à réitérer, moi aussi, nos plus sincères condoléances aux familles, aux amis et aux collègues de MM. Camille Lepage, Georges Boyer et Roger Lefrançois qui sont les victimes innocentes de cette violence inouïe et insensée. Je veux aussi assurer tous les blessés, dont certains sont encore

dans un état sérieux à l'hôpital, de tous nos voeux pour un prompt et complet rétablissement. Ces hommes et ces femmes, dont certains travaillaient ici à l'Assemblée nationale depuis longtemps, nous avions appris à les connaître pour les avoir côtoyés régulièrement. Ils nous aidaient à faire notre travail de député. Ils étaient du nombre de celles et de ceux qui, quotidiennement, concourent au bon fonctionnement de l'institution centrale de notre régime démocratique. Il n'y a personne dans ce Parlement ni au gouvernement, bien sûr, qui ne se sente pas concerné par ce qui leur est arrivé et solidaire aussi de la tristesse ou encore de l'inquiétude qui affligent leurs proches.

Parmi ces gens du Parlement, au nombre des acteurs involontaires de ce drame, comme vous venez de l'évoquer -mais je crois qu'on peut le répéter; ce sera répété longtemps, d'ailleurs - il y a eu notre sergent d'armes, M. Jalbert, qui est avec nous depuis une dizaine d'années maintenant. On lui connaissait déjà bien des qualités d'efficacité, de tact, de courtoisie, d'humour aussi, à l'occasion, mais hier, il nous a révélé des qualités proprement héroïques. Le mot a été employé, il n'est pas trop fort, et tout le monde est unanime à le reconnaître. Par sa présence d'esprit, son sang-froid absolument extraordinaire, son sens du devoir et des responsabilités et un souci qui va au-delà de l'accomplissement normal de la tâche de la protection d'autrui, il a fait dévier le cours de cet événement. Il a sans doute évité que cela ne tourne encore davantage au tragique. L'Assemblée nationale est unanime - on l'a vu, il y a quelques instants - pour saluer le courage exemplaire de M. Jalbert et le remercier au nom de tous de ce qu'il a fait pour les siens. Je suis sûr aussi que c'est unanimement que nous trouverons bientôt une façon plus marquante et plus durable de concrétiser nos sentiments à son endroit.

Je souligne à mon tour, comme vous l'avez fait, M. le Président, que parmi ceux qui méritent aussi notre reconnaissance pour leur bravoure et leur efficacité, il faut souligner le travail remarquable accompli par les agents réguliers et aussi par la brigade tactique de la Sûreté du Québec de même que par les policiers de la ville. On doit reconnaître également que compte tenu des circonstances, les gardiens-constables de l'Assemblée ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour remplir leur devoir, et on sait à quel point cela a dû être difficile et éprouvant.

En conclusion, très brièvement, je voudrais vous faire part, dans un contexte qui, pour une fois, se prête plus à un peu de réflexion qu'à un débat, de certaines interrogations qu'il est impossible de taire en ce moment. Il y a quelques jours, une couple de semaines, nous étions quelques-uns à être bloqués dans la circulation à Londres, pendant une heure et demie, deux heures, au moment de l'affaire libyenne dont tout le monde a entendu parler. Deux jours après, toujours à Londres, à l'aéroport cette fois, une bombe faisait à son tour des victimes. On se disait qu'on avait de la chance de ne pas vivre aussi dangereusement que cela au Québec. Seulement, on avait ajouté, entre nous: Touchons du bois!

Nous savons qu'aucune société, nulle part dans le monde, n'est plus complètement à l'abri. Il faut se demander si hélas! ni la première ni la seule, notre société québécoise, entre autres choses, n'aurait pas inconsciemment développé, à un degré qui commence à faire peur parfois, une valorisation évidemment très ambiguë, fondamentalement honteuse mais non moins réelle de la violence comme mode de règlement des conflits, même comme mode d'expression parfois.

On en avait, hélas! - il y a une forme de contagion là-dedans - un autre exemple ici même dans la ville de Québec ce matin, pour ceux qui ont appris les détails de ce qui s'est passé à la fin de la nuit. Parallèlement, est-ce qu'on n'a pas tendance aussi chez nous - c'est vrai ailleurs - à entretenir ou, en tout cas, à laisser entretenir un mépris de plus en plus marqué pour nos institutions et pour ceux et celles qui sont appelés à les animer? Évidemment, les hommes et les femmes politiques ne sont pas exempts de défauts ni soustraits à la critique. Cela, nous le savons. Bien au contraire, je suis sûr que nous sommes les premiers conscients de cela. Mais cette double tendance que j'évoque et qui est très réelle, qui conduit d'une part à valoriser la violence, même inconsciemment, et à dévaluer le débat et tout le processus politique, est-ce que cela ne fait pas courir un danger très grave à nos institutions -potentiellement, en tout cas - un danger dont les tragiques événements d'hier ne seraient qu'un triste épisode?

Ce qui m'amène forcément un seul instant à la question qui revient toujours de façon obsédante, chaque fois que l'institution parlementaire se voit perturbée par des actes violents, soit la question de la sécurité. Il est évident - vous l'avez dit vous-même hier, M. le Président - que dans aucun Parlement démocratique, de ceux que l'on connaisse en tout cas, on n'a trouvé jusqu'à présent la recette qui soit vraiment à toute épreuve si un Parlement doit en même temps demeurer démocratique. Mais une chose certaine, même si la vie des parlementaires et des gens de leur entourage a strictement le même prix inestimable que celle de tous les autres citoyens, le Parlement, lui, qui est le symbole même de la démocratie, doit pouvoir compter sur assez de protection pour qu'il puisse remplir son rôle avec le

maximum possible de sérénité. Évidemment, c'est un équilibre qui n'est jamais facile à trouver. En fait, cela nous rappelle tout simplement notre devoir fondamental de construire une société de plus en plus - et de plus en plus sûrement - fondée sur le respect des autres et sur la non-violence. Je dis bien "constuire" parce que cela a déjà été dit et cela reste toujours vrai.

La vraie démocratie n'est jamais une chose acquise, elle doit être méritée, d'une certaine façon regagnée et consolidée tous les jours; elle doit être respectée aussi. Espérons, en tout cas, que la journée d'hier nous aura rendus plus conscients de l'inutilité, de l'absurdité et de l'inhumanité de la violence comme moyen d'expression dans une société civilisée.

Le Président: M. le chef de l'Opposition.

M. Gérard D. Levesque

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, l'Assemblée nationale du Québec vient de vivre des heures extrêmement tragiques et difficiles. Les événements survenus hier, le mardi 8 mai 1984, seront sans doute gravés dans notre mémoire fort longtemps, sinon pour toujours.

En ce lendemain, marqué par la tristesse et la consternation, nous devons d'abord penser aux pertes de vies humaines qui ont résulté de cet horrible drame. Trois personnes ont trouvé une mort violente ici même, à l'intérieur de notre Parlement, dans l'exercice de leurs fonctions. Trois personnes, qui étaient venues, comme à l'accoutumée, assister les parlementaires dans leur travail sont tombées, victimes innocentes d'une fusillade aussi absurde qu'insensée. Ce sont: MM. Georges Boyer, du service des pages de l'Assemblée nationale, Camille Lepage, un des messagers de l'édifice parlementaire principal et Roger Lefrançois, un employé du Directeur général des élections.

Au nom de mes collègues de l'Opposition, au nom du chef de notre parti, M. Robert Bourassa, et en mon nom personnel également, je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances aux trois familles qui ont été cruellement éprouvées par la perte d'un être cher lors de ces événements.

Nous savons tous, hélas, que treize autres personnes ont été blessées, dont certaines grièvement. Nous leur offrons bien sincèrement toute notre estime en même temps que nous formulons à leur endroit le souhait d'un rétablissement prompt et complet.

Il convient, dans les circonstances, de signaler, comme on l'a fait il y a quelques instants, M. le Président, le courage, le sang-froid et le sens du devoir dont a fait preuve le sergent d'armes de l'Assemblée na- tionale, M. René Jalbert. Sans son intervention tout à fait remarquable, il y a lieu de croire que le bilan d'hier aurait encore été plus lourd.

Je veux m'associer au premier ministre et à vous, M. le Président, pour remercier tous ceux et celles qui ont apporté leur contribution dans ces heures tragiques: les corps policiers, les gardiens, les ambulanciers et tous les autres.

M. le Président, qu'on le veuille ou non, cela soulève la question de la sécurité à l'Assemblée nationale pour les députés et pour le personnel. C'est une question fort préoccupante que nous ne pouvons résoudre aujourd'hui, en cette journée de deuil, mais qu'il faudra bien aborder aussitôt que possible. Nous aurons, pour notre part, comme notre devoir nous l'impose, à revenir, au cours des prochains jours, au problème de la sécurité à l'Assemblée nationale.

J'aimerais, en terminant, inviter les membres du personnel de l'Assemblée à continuer courageusement leur travail et je réitère, au nom de ma formation politique et, j'en suis sûr, au nom de tous, nos plus sincères et plus vives condoléances à tous ceux et celles qui ont été éprouvés dans cette terrible tragédie.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

Ajournement en signe de deuil

M. Bédard: M. le Président, étant donné les événements tragiques qui se sont déroulés ici à l'Assemblée nationale hier, en signe de deuil et par respect pour les victimes de ce drame, je propose l'ajournement des travaux de l'Assemblée nationale au mardi 15 mai, à 14 heures.

Le Président: Est-ce que cette motion est adoptée?

Une voix: Adopté.

Le Président: L'Assemblée nationale ajourne donc ses travaux au mardi 15 mai, à 14 heures.

(Fin de la séance à 15 h 20)

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