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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le jeudi 20 mars 1986 - Vol. 29 N° 10

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quatorze heures quatre minutes)

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Un moment de recueillement, s'il vous plaît! Veuillez prendre vos sièges.

Aux affaires courantes, déclarations ministérielles. Il n'y a aucune déclaration ministérielle. Présentation de projets de loi. M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Aucune, M. le Président.

Le Président: II n'y a aucune présentation de projets de loi. Dépôt de documents. M. le ministre du Revenu et leader du gouvernement.

M. Gratton: Je m'excuse, M. le Président, mais est-ce qu'on pourrait, avec le consentement des membres de l'Assemblée, revenir à la présentation de projets de loi?

Le Président: Cela va. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix: Oui.

Le Président: Nous revenons donc immédiatement aux affaires courantes, présentation de projets de loi. Je vous écoute, M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: M. le Président, je vous prierais d'appeler l'article c.

Projet de loi 230

Le Président: À l'article c, il s'agit du projet de loi privé 230. J'aimerais vous faire immédiatement lecture du rapport du directeur de la législation. "Au président de l'Assemblée nationale, "J'ai examiné le projet de loi 230, intitulé Loi modifiant la Loi constituant en corporation la compagnie de chemin de fer Roberval-Saguenay, et j'ai constaté que l'avis a été fait et publié conformément aux règles de fonctionnement des projets de loi d'intérêt privé. "Ce projet peut être présenté pour adoption pendant la présente session. "Le directeur de la législation, "Rémi Geoffrion."

J'aimerais, s'il vous plaît, déposer ce rapport du directeur de la législation.

L'Assemblée accepte-t-elle de se saisir du projet de loi 230? Il s'agit d'un projet de loi présenté par le député de Dubuc, intitulé Loi modifiant la Loi constituant en corporation la compagnie de chemin de fer

Roberval-Saguenay.

Des voix: Adopté.

Le Président: Adopté.

M. Gratton: M. le Président, je fais...

Le Président: Oui, M. le leader du gouvernement.

Renvoi à la commission de

l'agriculture, des pêcheries

et de l'alimentation

M. Gratton: Je fais motion pour que le projet de loi 230 soit déféré à la commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation et pour que le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation en soit membre.

Le Président: Est-ce que cette motion est adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Président: Adopté. Le projet de loi y est déféré. Article b?

M. Gratton: Article d, M. le Président.

Projet de loi 216

Le Président: À l'article d, il s'agit du projet de loi 216. J'aimerais vous faire également lecture immédiatement du rapport du directeur de la législation. "Au président de l'Assemblée nationale, "J'ai examiné le projet de loi 216 intitulé Loi concernant la municipalité régionale de comté de La Rivière-du-Nord. "J'ai constaté que l'avis a été fait et publié conformément aux règles de fonctionnement des projets de loi d'intérêt privé. "Ce projet peut être présenté pour adoption pendant la présente session."

Signé M. Rémi Geoffrion, directeur de la législation.

Je voudrais déposer ce rapport immédiatement. L'Assemblée accepte-t-elle de se saisir du projet de loi portant le numéro 216 présenté par le député de Rousseau?

Une voix: Adopté. Le Président: Adopté.

Renvoi à la commission

de l'aménagement et des

équipements

M. Gratton: M. le Président, je voudrais faire motion pour que le projet de loi 216 soit déféré à la commission de l'aménagement et des équipements et que le ministre des Affaires municipales en soit membre.

Le Président: Y a-t-il consentement? Une voix: Adopté.

Le Président: Adopté. La loi est déférée.

Dépôt de documents. M. le Solliciteur général.

Rapport annuel de la Régie des permis d'alcool

M. Latulippe: Je voudrais déposer le rapport annuel de la Régie des permis d'alcool du Québec en vertu de l'article 21 de la Loi sur les permis d'alcool.

Le Président: Document déposé. M. le leader du gouvernement.

Rapport annuel du ministère du Revenu

M. Gratton: Oui, M. le Président. J'ai l'honneur de déposer le rapport annuel du ministère du Revenu pour l'année 1984-1985.

Le Président: Rapport déposé.

Rapport annuel du ministère de

l'Habitation et de la Protection

du consommateur

M. Gratton: M. le Président, je voudrais également, au nom du ministre responsable de l'Habitation, du ministre responsable de la Protection du consommateur et du ministre responsable de la Commission du bâtiment, déposer le rapport annuel du ministère de l'Habitation et de la Protection du consommateur pour l'année 1984-1985.

Le Président: Rapport déposé. Y a-t-il d'autres dépôts de documents? Dépôt de rapports de commissions. Dépôt de pétitions, M. le député de Vanier.

Demande de mener à terme la

reconstitution des débats

parlementaires

M. Lemieux: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer l'extrait d'une pétition adressée à l'Assemblée par 1190 pétitionnaires, anciens parlementaires de tous groupes politiques, historiens, journalistes, professeurs, gens d'affaires, enseignants et enseignantes et étudiants invoquant les faits suivants: "Depuis 1973, l'Assemblée nationale a entrepris de reconstituer les débats parlementaires du Québec pour la période de 1867 à 1963, année de la création du Journal des débats. Ce travail, confié à une équipe d'historiens, est aujourd'hui complété jusqu'à l'année 1925. Il s'appuie en grande partie sur les chroniques parlementaires quotidiennement publiées par les journalistes de la Tribune de la presse de l'époque. "Cette oeuvre constitue une contribution inestimable à notre patrimoine politique. Elle représente une source essentielle pour l'histoire, une référence importante pour la jurisprudence parlementaire et la connaissance de nos institutions politiques. "L'Assemblée nationale a décidé d'abandonner la poursuite de ce projet et d'affecter à d'autres tâches le personnel responsable de cette reconstitution. "Nous estimons que ce travail, qui a toujours été accompli avec un exceptionnel souci d'excellence, doit être mené à terme. L'Assemblée nationale doit être consciente que, par cette patiente reconstruction de son passé, elle projette vers l'avenir la force de ses origines et qu'elle offre ainsi aux Québécois et aux Québécoises de toute souche une oeuvre qui est le reflet de leur propre histoire. "Et concluant à ce que le projet de reconstitution des débats parlementaires antérieurs à 1963 soit mené à terme."

Le Président: Pétition déposée.

Intervention sur un fait personnel

Affirmations inexactes attribuées au premier ministre

Aux interventions portant sur une violation de droit ou de privilège ou sur un fait personnel, j'avise immédiatement cette Assemblée que dans les délais requis, j'ai reçu avis concernant une intervention sur un fait personnel, et je vais vous en faire lecture immédiatement. "M. le Président, conformément à l'article 71 de nos règles de procédure, je désire vous informer que j'ai l'intention de soulever une question de fait personnel à la période prévue à cette fin aux affaires courantes du 20 mars 1986. "Le premier ministre, en réponse à une question que je lui posais hier, a affirmé que j'étais mal informé et que le gouvernement avait annoncé, quelques heures avant la période de questions, la nomination de M. Jean-Louis Roux comme membre du comité consultatif sur la libéralisation des échanges

et les négociations de relations commerciales et multilatérales. "Comme vous le constaterez, à la lecture des documents que vous trouverez en annexe, ces affirmations sont inexactes, et je désire les rectifier. "Je vous prie d'agréer, M. le Président, l'expression de mes sentiments distingués. J'ai signé, M. le député de Saint-Jacques."

Avant d'accorder la parole à M. le député de Saint-Jacques, j'aimerais simplement vous rappeler - simplement à titre de rappel - le deuxième paragraphe de l'article 71 qui se lit comme suit: "Ses explications doivent être brèves et formulées de façon à ne susciter aucun débat." Je vous entends, M. le député de Saint-Jacques.

M. André Boulerice

M. Boulerice: M. le Président, la question que je posais au premier ministre était posée, selon la trancription de nos débats, à 15 h 20. La réponse qu'il donnait était qu'il avait annoncé il y a quelques heures la nomination de M. Jean-Louis Roux, dont je me réjouis d'ailleurs, sauf que l'annonce officielle a été faite par Telbec à 15 h 48 et 54 secondes, ce qui est très loin des nombreuses heures auparavant. Si je suis mal informé, je n'ai qu'à le blâmer de l'être.

M. Bourassa: II semble que j'ai précisé... Le Président: Je m'excuse, s'il vous plaît! M. le premier ministre, est-ce que vous intervenez sur une question de privilège?

M. Bourassa: C'est une question de règlement pour rétablir les faits. Simplement pour dire que j'ai bien spécifié...

M. Chevrette: Alors, sur la question de règlement, M. le Président.

M. Bourassa: D'accord, je retire ma question de règlement.

M. Chevrette: Si vous aviez voulu vous excuser, on vous l'aurait permis!

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Période de questions orales. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Est-ce que le ministre des affaires canadiennes sera présent?

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Le ministre des affaires canadiennes est présentement à Ottawa avec le ministre de la Justice à une conférence fédérale-provinciale sur les autochtones. Il se peut qu'il revienne à temps pour la fin de la période de questions, mais je ne peux en donner l'assurance au député.

Le Président: M. le député de Lac-Saint-Jean, une question principale.

QUESTIONS ET RÉPONSES ORALES

L'adhésion du Québec à la charte canadienne des droits

M. Brassard: Ma question s'adressera donc au premier ministre, étant donné que le ministre des affaires canadiennes est à la recherche, sans doute, d'un nouveau conseiller. C'est sur ce sujet-là que porte ma question.

Récemment, le professeur Léon Dion, conseiller principal du gouvernement en matière constitutionnelle, annonçait qu'il démissionnait de son poste parce qu'il était en profond désaccord avec la décision de l'actuel gouvernement d'adhérer à la charte canadienne. Pour lui - je fais référence au Devoir du 17 mars - ce geste constitue "une adhésion, une obéissance du Québec à la charte canadienne. Selon M. Dion, cette décision constitue une erreur stratégique et une improvisation sur le plan des négociations que le Québec veut entreprendre; elle dénote également des imprudences juridiques et une philosophie politique avec lesquelles il est en profond désaccord. Il craint qu'elle n'affaiblisse la position du gouvernement."

C'est aussi, d'ailleurs, l'avis du professeur Brun qui, dans le Soleil, déclarait: "Aucun gouvernement n'a le droit de faire ça sans qu'on lui ait donné le mandat clair par un référendum ou par une élection référendaire." D'autre part, le lendemain même, le 18 mars, le ministre des affaires canadiennes affirmait, à propos de ce départ: "Nous nous quittons, c'est un grand mot. Nous continuons à avoir des relations extrêmement suivies, même si nous pouvons avoir des discussions sur des points qui, finalement, sont bien minimes, vous savez." Ma question au premier ministre: Le premier ministre, surtout après que d'éminents constitutionnalistes et des commentateurs spécialistes de la question aient reconnu la gravité du geste posé par le gouvernement, est-il disposé à reconnaître que M. Dion avait raison en parlant d'erreur stratégique, d'improvisation et d'imprudence et qu'il ne s'agit pas là, comme le disait le ministre des affaires canadiennes, de points minimes?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Je remercie le député de sa question. Cela me permettra de dire quelques mots sur ce sujet, puisque,

malheureusement, je devrai quitter pour Montréal après la période de questions. Je ne pourrai donc pas participer à la motion de censure du chef de l'Opposition. Je suis quand même obligé de reprendre certains propos que j'avais tenus en réponse aux questions du chef de l'Opposition. II n'y avait rien de nouveau dans l'attitude du gouvernement libéral. Nous avons toujours plaidé et mentionné que si nous reprenions le pouvoir, nous allions accepter la charte canadienne. L'ancien chef de l'Opposition pourra, dans son discours à l'occasion de la motion, se référer à des déclarations très nettes là-dessus.

Je ne vois pas pourquoi, chaque fois qu'on applique le programme du Parti libéral, on devrait organiser un spectacle son et lumière. Donc, cela ne s'est pas fait en catimini. Cela s'est fait à la suite des déclarations formelles de notre programme que nous avons concrétisées à la première occasion. Je répète au député et au chef de l'Opposition que ce n'est pas notre politique de marchander des droits fondamentaux des Québécois dans une négociation constitutionnelle dans laquelle nous sommes confiants de pouvoir protéger les droits du Québec, conformément au programme de notre parti. Le député invoque des arguments d'autorité. Je pourrais aussi invoquer des arguments de la plupart des éditorialistes des grands quotidiens du Québec vis-à-vis de la justesse de notre position d'accepter la charte canadienne. D'ailleurs, on pourrait citer d'autres cas. Je prenais connaissance de la situation - d'ailleurs, je l'ai déjà mentionné au chef de l'Opposition - au mois de juin dernier, sur la convention européenne des droits de l'homme alors que des pays souverains acceptent de s'astreindre à limiter, si on peut dire, leur souveraineté pour respecter des droits fondamentaux. Il n'y a aucune espèce de contradiction, je le répète, entre défendre les droits du Québec moyennant certaines conditions...

M. Johnson (Anjou): Quelles conditions?

M. Bourassa: Je devrai répéter encore une fois au chef de l'Opposition, étant donné que de nouveau sa mémoire lui fait défaut, les conditions bien connues, bien énumérées dans notre programme, notamment, le fait que dans le préambule de la constitution on reconnaisse le Québec comme une société distincte, des modifications au pouvoir de dépenser, un droit de veto, un droit de veto dans le domaine de l'immigration, la participation du Québec dans la nomination des juges de la Cour suprême, des choses que nous avions obtenues, dans plusieurs cas, en 1971. (14 h 20)

À ce moment-là, vous vous souviendrez qu'il y avait un consensus au Québec qui a fait que le gouvernement du temps avait refusé la charte de Victoria.

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président: M. le leader de l'Opposition.

M. Chevrette: ...je m'excuse, je sais que nous sommes beaucoup plus tolérants ordinairement envers le chef du gouvernement, mais rendu à quatre minutes pour une réponse qui demande trente secondes, je trouve cela exagéré.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Quand la question a pris près de trois minutes, je pense que quatre minutes pour y répondre, ce n'est pas tellement.

Le Président: M. le premier ministre, en conclusion.

M. Bourassa: D'accord, M. le Président. J'ai dit tantôt au chef de l'Opposition que comme je ne pouvais pas participer au débat, je me permettrais peut-être de prendre quelques secondes de plus. Nous demandons des choses qui ont été refusées par le Québec en 1971. Évidemment, plusieurs disent aujourd'hui, à la suite de l'échec constitutionnel du gouvernement qui nous a précédé, qu'il aurait été préférable d'accepter. C'est toujours plus facile de le dire quinze ans après.

Ce que je veux dire au député et au chef de l'Opposition, c'est que nous sommes confiants, convaincus, déterminés à défendre les intérêts du Québec en appliquant le programme du Parti libéral. Quant aux arguments d'autorité, je crois qu'on peut en citer autant sinon plus du côté de la thèse du gouvernement que du côté de la thèse de l'Opposition.

Le Président: M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Question additionnelle au premier ministre, tout en comprenant que les obligations du premier ministre le retiendront à l'extérieur de la Chambre cet après-midi. Je comprends qu'il n'a peut-être pas voulu résumer là toute son argumentation. Est-ce que le premier ministre ne reconnaît pas, dans les circonstances, à moins qu'il nous assure qu'il a obtenu des garanties du gouvernement fédéral, qu'il a lâché le gros morceau avant même d'obtenir ces garanties? Quelles sont les garanties qu'il a obtenues de son collègue, le premier ministre du Canada, à l'égard de la revendication du droit de veto

en matière d'immigration, à l'égard du "spending power" et des autres éléments de ce qu'il prétend être dans le mandat qu'il a reçu de la population, alors qu'il a noyé ce mandat dans une orgie de promesses et n'a pas souvent cité son programme?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Je pourrais retourner la question au chef de l'Opposition et lui demander quelles garanties son gouvernement a eues le 16 avril 1981 quand il a abandonné le droit de veto?

Une voix: Oui.

M. Bourassa: Ce n'était pas dans votre programme électoral de l'élection de 1981 d'abandonner le droit de veto dans la formule de Victoria alors que, pour nous, c'était clairement exprimé, d'une façon répétée, durant des années et des années. Il n'y avait pas de surprise pour ceux qui ont suivi l'actualité politique, à mon sens, de voir que le Parti libéral appliquait sur une question aussi fondamentale pour lui que le respect des libertés individuelles... C'est simple, c'est clair, ce n'est pas nouveau, nous ne voulons pas marchander les droits fondamentaux des Québécois dans une négociation constitutionnelle.

M. Levesque: C'est cela!

M. Bourassa: La liberté de presse, la liberté de parole, ce sont des droits fondamentaux pour le Québec, pour les Québécois et pour l'ensemble des citoyens. Je citais tantôt précisément ce que d'autres pays ont accepté, soit des limites à leur souveraineté - des pays souverains, avec une expérience séculaire - pour respecter des droits fondamentaux. Et, nous, nous irions à contre-courant.

Ce que je veux dire au chef de l'Opposition, c'est que notre politique a toujours été claire, qu'on n'avait pas à demander de permission à qui que ce soit. Cela ne faisait pas partie de la négociation parce que c'est fondamental à la liberté de nos concitoyens.

Une voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Lac-Saint-Jean, en additionnelle?

M. Brassard: Une question au ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes qui est arrivé. Je ne sais pas s'il a trouvé son conseiller. Est-ce que le ministre, après avoir confirmé que la décision avait été prise le 5 mars 1986, peut nous expliquer que, même avant cette décision, le ministre du Revenu, le leader du club des neuf...

Une voix: Oui.

M. Brassard: Vous savez, les neuf députés qui, le 2 octobre 1981 se sont rebellés contre le chef d'alors, le député d'Argenteuil, en...

Des voix: Question.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Lac-Saint-Jean.

Une voix: J'étais en train de définir ce qu'est le club des neuf.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

Le Président: M. le député de Lac-Saint-Jean, vous êtes en additionnelle; c'est sans préambule. Si vous voulez poser votre question immédiatement.

Une voix: Je pensais que vous parliez du club Canadien.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Brassard: En tout cas, le député d'Argenteuil se souvient très bien du club des neuf.

Des voix: Question.

M. Brassard: Est-ce que le ministre peut nous expliquer qu'avant même...

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Brassard: ...cette décision prise, nous a-t-il dit, le 5 mars, le ministre du Revenu ait retiré la clause "nonobstant" du projet de loi 2 lors de l'étude en commission parlementaire, le 26 février 1986? Est-ce que le ministre du Revenu a agi de sa propre initiative ou si la décision était prise avant de soumettre le dossier au Conseil des ministres ou si le Conseil des ministres a pris cette décision pour couvrir une autre improvisation du ministre du Revenu?

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: M. le Président, on parle d'improvisation. En campagne électorale, on a fait campagne sur ce point. On l'a dit partout, à tous les Québécois. On a dit que les Québécois étaient moins bien protégés que les autres Canadiens. Vous, M. le chef de l'Opposition, vous ne l'avez pas entendu et on comprend pourquoi.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

M. Rémillard: Lorsque le Parti libéral formait l'Opposition...

Des voix: Ah! Ah! Ah!

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre a la parole.

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président: Sur une question de règlement, M. le leader de l'Opposition?

M. Chevrette: ...je me demande si le premier ministre et le leader vont revenir écouter ces savantes explications.

Le Président: II ne s'agit pas d'une question de règlement.

M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, vous avez la parole. Je demanderais à tous et chacun des membres de cette Assemblée de respecter le droit de parole de chacun. Je pense que, jusqu'à présent, cela...

Une voix: Les dates? La question porte sur les dates.

Le Président: Vous avez la parole, M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, lorsque le Parti libéral était dans l'Opposition, il s'est opposé chaque fois que cette clause a été utilisée dans un projet de loi. Il s'est opposé vigoureusement. Il l'a fait savoir chaque fois que vous avez accepté comme gouvernement de mettre une clause "nonobstant" dans un projet de loi, ce que vous avez fait systématiquement et sans décision du Conseil des ministres, parce qu'il n'y avait pas de décision du Conseil des ministres de ce gouvernement d'alors pour utiliser systématiquement cette clause "nonobstant", pour, justement, priver les Québécois de leurs droits fondamentaux. Voilà ce que vous faites.

Des voix: Bravo!

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Rémillard: Au lendemain de votre défaite à Ottawa...

Une voix: Les dates?

M. Rémillard: ...comme symbole de votre défaite, vous l'avez utilisée systématiquement dans tous les projets de loi. Quel mandat aviez-vous, M. le chef de l'Opposition? Quel mandat aviez-vous pour l'utiliser systématiquement dans chaque projet de loi? Vous venez nous dire qu'on a agi en improvisant. Nous avons agi en continuation avec nos principes. Dans l'Opposition on s'est toujours opposé à cette clause "nonobstant" et maintenant, au pouvoir, dès...

M. Chevrette: Question de règlement.

Le Président: Question de règlement, s'il vous plaît! Sur une question de règlement, M. le leader de l'Opposition.

M. Chevrette: L'article 79 dit que la réponse doit être brève et se rapporter à la question. La question c'était: Est-il vrai que le 5 mars vous avez pris une décision au Conseil des ministres et que le ministre du Revenu avait pris une décision le 26 février, donc, quelques jours avant? C'était ça la question. Je veux bien que le ministre des Relations internationales se regarde dans une glace et s'écoute parler. Ce n'est pas cela la question.

Le Président: M. le ministre. À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! En conclusion, s'il vous plaît, M. le ministre. (14 h 30)

M. Rémillard: En conclusion. Tout simplement, c'est que le 5 mars, le Conseil des ministres, le gouvernement du Québec a pris la décision de ne plus utiliser cette clause "nonobstant" et dès le premier projet de loi que nous avons eu à présenter ici dans cette Chambre, nous avons refusé d'utiliser cette clause "nonobstant" parce que nous refusons d'utiliser les Québécois en otages dans les négociations constitutionnelles, comme vous l'avez fait. Voilà la réponse.

Le Président: M. le député de Verchères, question principale ou question additionnelle?

M. Charbonneau: Question principale.

Le Président: Question principale, M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Nous avons voté rapidement cette semaine le projet de loi 27 pour faire en sorte...

Le Président: Un instant. Je m'excuse. À l'ordre, s'il vous plaît! Écoutez, le député de Verchères a la parole actuellement. J'aimerais bien que tous et chacun respectent le droit de parole du député de Verchères. Je m'adresse aux deux côtés de la Chambre. M. le député de Verchères.

L'indexation de l'aide sociale

M. Charbonneau: Cette semaine, on a

voté rapidement le projet de loi 27 pour accorder les crédits nécessaires au programme d'aide sociale. À ce moment-là, à l'occasion d'une brève séance de deuxième lecture, j'avais demandé au ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu si le gouvernement avait décidé d'indexer l'aide sociale et si les fonds additionnels qui étaient votés à ce moment prévoyaient, entre autres, l'indexation de l'aide sociale pour le 1er avril? Comme le ministre m'a répondu que le gouvernement n'avait pas décidé et que d'autre part nous, nous avons donné notre accord pour voter rapidement ce projet de loi parce qu'il fallait que les chèques aillent à l'impression rapidement pour qu'ils puissent être prêts pour le 1er avril, est-ce qu'on doit conclure que le gouvernement a décidé de ne pas accorder l'indexation de l'aide sociale?

Je pose ma question au premier ministre. Le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu est absent. Il m'a d'ailleurs informé qu'il ne pouvait pas être ici cet après-midi.

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: II n'y a pas de modification sur le principe de l'indexation. Pas du tout. Je veux dire qu'il peut y avoir dans le calendrier des changements et je pourrai vérifier avec le ministre responsable. Mais il n'y a pas du tout, de la part du gouvernement, le moindre changement sur le principe de l'indexation.

Le Président: M. le député de Verchères, question additionnelle.

M. Charbonneau: Est-ce que le premier ministre nous dit que l'indexation trimestrielle qui avait été mise en place par le précédent gouvernement et qui est une mesure qui existe, presque un droit acquis qui existe depuis de nombreuses années pour les gens qui sont bénéficiaires de l'aide sociale, l'indexation trimestrielle, donc, qui doit arriver dans une semaine et demie ou à peu près, le 1er avril, va être accordée et est-ce que sur les chèques qui sont à l'impression actuellement on prévoit l'indexation de l'aide sociale?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Quitte à vérifier avec le ministre, je peux dire qu'il peut y avoir des changements dans les modalités. Le ministre des Finances me disait qu'avant 1982, il n'y avait pas d'indexation trimestrielle, c'est-à-dire quand le taux d'inflation était de 7 % à 8 %. Actuellement le taux d'inflation est d'environ 3 % à 4 % et il est stable depuis trois ans. Il peut y avoir eu des changements qui n'ont pas d'implication concrète, mais je répète au député que le principe de l'indexation qui est un principe tout à fait équitable - je suis d'accord avec lui - est maintenu.

Le Président: M. le député de Verchères, en additionnelle.

M. Charbonneau: Le premier ministre nous dit-il aujourd'hui que l'indexation pleine et entière qui existe depuis très longtemps, qui est accordée d'une façon trimestrielle aux bénéficiaires de l'aide sociale, que le 1er avril prochain les assistés sociaux du Québec vont recevoir dans leur chèque l'indexation prévue et pleine indexation?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Les modalités, on pourra en reparler à un autre moment. Ce que je dis au député, c'est que le pouvoir d'achat des assistés sociaux sera maintenu. Je pense que c'est ça qui est fondamental. M. le Président, je veux rappeler au député -quitte à vérifier parce que je n'étais pas prévenu de la question - que de 1977 à 1982, alors que les taux d'inflation étaient supérieurs à ceux que nous avons aujourd'hui - en 1981, je crois que le taux d'inflation était de 10 %; en 1980, si ma mémoire est bonne, il était de 7,8 % alors que les taux d'inflation étaient supérieurs à ceux que nous avons aujourd'hui - il n'y avait pas d'indexation trimestrielle. Cela a été établi finalement par le gouvernement qui nous a précédé devant la persistance de taux d'inflation élevés. On constate depuis trois ans que ces taux d'inflation sont stables, cela varie entre 3 % et 4 %, donc, que le pouvoir d'achat des assistés sociaux n'est pas compromis ou affecté comme il pouvait être affecté en 1982 avec un taux d'inflation de 10 % à 12 %.

Je réponds au député, quitte à vérifier les modalités quant aux dates, qu'il n'est pas question de toucher au pouvoir d'achat des assistés sociaux par l'indexation.

Le Président: M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, en additionnelle. Est-ce que le premier ministre pourrait simplement nous dire si le Conseil des ministres a adopté le décret trimestriel d'indexation?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: M. le Président, le Conseil des ministres a adopté un décret hier sur l'aide sociale. Je vais vérifier la date en question.

Le Président: Mme la députée de

Johnson.

Les directions régionales de Radio-Québec

Mme Juneau: Merci, M. le Président. Dernièrement, nous apprenions que le président du Conseil du trésor aurait avisé le président-directeur général de Radio-Québec, M. Jacques Girard, que le budget de fonctionnement de Radio-Québec serait coupé de 6 000 000 $ à 8 000 000 $, soit 10 % de son budget. Ma question comporte deux volets et s'adresse au ministre des Communications.

M. le ministre, est-il exact que le P.-D.G., M. Girard, aurait fait savoir au ministre que la façon la plus plausible pour Radio-Québec de satisfaire aux exigences était de sabrer de façon draconnienne dans les budgets de fonctionnement des directions régionales de Radio-Québec, pour ne pas dire de les faire disparaître complètement. Si cela est vrai, M. le ministre, est-ce que vous êtes d'accord pour dire que cette orientation est complètement contraire au contenu de la loi de Radio-Québec et va à l'encontre de l'évolution historique de Radio-Québec depuis sa fondation?

Le Président: M. le ministre des Communications.

M. French: M. le Président, le gouvernement était aux prises avec des problèmes budgétaires sérieux, ce qui a amené toute une série d'hypothèses et de rumeurs qui ont couru un peu partout dans l'appareil public. Avant d'avoir saisi l'ensemble des parlementaires la semaine prochaine de nos projets dans le domaine des crédits budgétaires, nous ne pouvons pas discuter des cas particuliers. Je regrette beaucoup de l'insécurité qui pourrait régner dans certaines parties de la fonction publique et dans des organismes autonomes à cause de cela. Néanmoins, je suis convaincu que la députée de Johnson comprendra avec moi que je ne peux pas discuter à la pièce des projets budgétaires du gouvernement.

Le Président: Mme la députée de Johnson, en additionnelle.

Mme Juneau: Si j'ai bien compris le conseil d'administration avait été prévenu de ces coupures, M. le ministre? Est-ce que vous pouvez prendre, devant cette Chambre, l'engagement ferme que les directions régionales qui, selon l'aveu même de Radio-Québec, constituent une présence importante dans chacune de nos régions et auprès des divers groupes régionaux, soit les universités, les réseaux scolaires, les groupes socioculturels, et j'en passe... On ne compte pas non plus les emplois perdus. Est-ce que vous êtes d'accord pour qu'elles continuent d'offrir ce soutien important dans nos milieux régionaux?

Le Président: M. le ministre des Communications.

M. French: M. le Président, c'est la même réponse. On ne peut pas faire le débat pièce par pièce, il faut faire le débat en entier.

Le Président: Mme la députée de Johnson, en additionnelle.

M. Chevrette: M. le Président, je voudrais demander au ministre...

Le Président: Est-ce que vous intervenez sur une question de règlement M. le leader?

M. Chevrette: Additionnelle, cela va aller plus vite qu'une question de règlement.

Le Président: Non.

M. Chevrette: Le ministre est-il au courant oui ou non que Radio-Québec a été avisée par courrier de prévoir une coupure ou une ponction de 8 000 000 $ dans son budget?

Le Président: M. ministre des Communications.

M. French: M. le Président, je ne suis pas au courant que Radio-Québec ait été informée par courrier des décisions budgétaires du gouvernement.

Le Président: M. le leader de l'Opposition.

M. Chevrette: M. le Président, je voudrais adresser une question complémentaire à au ministre responsable du Conseil du trésor. Est-ce que les directives du Conseil du trésor ont été acheminées à Radio-Québec en fonction de voir à présenter un plan de compressions de l'ordre de 8 000 000 $?

Le Président: M. le président du Conseil du trésor.

M. Gobeil: M. le Président, à mon connaissance, aucune directive n'a été acheminée au conseil d'administration de Radio-Québec par le secrétariat ou le Conseil du trésor concernant la question soulevée.

Le Président: M. le leader de l'Opposition.

M. Chevrette: M. le Président, je ne

voudrais pas...

Le Président: En additionnelle.

M. Chevrette: Oui, M. le Président, en additionnelle. Est-ce que le Conseil du trésor ou le gouvernement... Je vais poser la question comme cela. Je vais poser ma question au ministre des Communications. N'avez-vous pas en main un document qui vous demande expressément comme première hypothèse, pour couper 8 000 000 $, de faire disparaître les postes régionaux? Oui ou non, avez-vous en main un document? (14 h 40)

Le Président: M. le ministre des Communications.

M. French: M. le Président, j'ai en main un document qui m'informe des projets de contraintes budgétaires qui touchent mon ministère et les autres organismes autonomes pour lesquels je suis responsable. Un de ces trois organismes autonomes est Radio-Québec. Radio-Québec est appelée à faire sa part dans le fardeau total des coupures budgétaires qui vont être appliquées à la fonction publique, à la suite de nos engagements électoraux et à la suite de la découverte d'un déficit surprise.

M. Chevrette: Une dernière additionnelle.

Le Président: M. le leader de l'Opposition, une dernière additionnelle.

M. Chevrette: Je voudrais demander au ministre des Communications ou au président du Conseil du trésor ou à celui qui pourra me répondre, par qui, par quel ministre cette demande de ponction à Radio-Québec a été faite. Par le ministre des Communications ou par le président du Conseil du trésor?

Le Président: M. le ministre des Communications.

M. French: La responsabilité des décisions...

Le Président: M. le premier ministre.

Des voix: Oh!

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bourassa: Je réponds à la question du leader de l'Opposition. Il demande par qui la demande a été faite. Par le gouvernement et je suis le chef du gouvernement. Comme on le signalait tantôt, on a été pris avec un déficit surprise de 1 500 000 000 $ - donc, le gouvernement est obligé de faire un effort considérable - ce déficit surprise que le chef de l'Opposition connaissait, mais qu'il n'a pas voulu annoncer à la population, parce que, si vous aviez annoncé ce déficit, il n'y aurait personne en face de nous, M. le Président.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! En additionnelle, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): En additionnelle au premier ministre, M. le Président. Est-ce que le premier ministre nous prépare un "sons et lumières" pour les crédits budgétaires?

Le Président: M. le premier ministre. En principale?

M. Jolivet: Oui.

Le Président: En principale, M. le député de Laviolette.

M. Garon: C'est pour cela que le monde dit 99 boules et 23 lumières!

M. Jolivet: M. le Président...

Le Président: M. le député de Laviolette, en principale.

La grève du transport scolaire dans Terrebonne

M. Jolivet: M. le Président, ma question s'adresse au ministre de l'Éducation. Dans les comtés de Groulx, de Mille-Îles et surtout dans le comté de Terrebonne, sévit toujours une grève du transport scolaire depuis près de cinq mois maintenant. Une question a été posée la semaine dernière aussi bien au ministre du Travail qu'au ministre de l'Éducation. Ils indiquaient qu'ils n'interviendraient - et les documents de l'Assemblée nationale le prouvent - que si l'année scolaire des élèves était compromise.

Les parents des 9000 étudiants sont, au moment où on se parle, exaspérés et à bout de patience, surtout à la suite du télégramme que le ministre a certainement reçu et que le premier ministre a reçu de la part de la commission scolaire des Manoirs qui dit: "Renforcés, M. le ministre de l'Éducation, par votre invitation à se mobiliser, des groupes de parents ont entrepris des moyens d'action: absence massive des élèves, piquetage, hier, 4000 élèves et plus et, aujourd'hui, le mouvement se continue. Compte tenu de votre invitation, dit toujours le télégramme au ministre de l'Éducation, à la mobilisation, elle s'est concrétisée. Nous ne sommes plus en mesure, comme commission scolaire, de maintenir le contrôle général de la situation."

Dans ces circonstances, étant donné que l'année scolaire de certains élèves peut être compromise, est-ce que le ministre de l'Éducation a l'intention de faire ce qu'il disait en réponse à la question la semaine

dernière, c'est-à-dire les représentations qui s'imposent auprès du gouvernement? J'aimerais savoir quelles sont les actions précises que le ministre de l'Éducation a l'intention de prendre dans les heures qui viennent.

Le Président: M. le ministre de l'Éducation.

M. Ryan: M. le Président, je remercie le député de Laviolette d'avoir posé cette question. Je pense que la question porte sur un conflit très aigu qui nous préoccupe tous. Depuis hier, un changement important est survenu dans la situation. Jusqu'à hier, la situation au point de vue scolaire était relativement sous contrôle, ainsi que je l'ai exposé à maintes reprises dans cette Chambre.

Mais, d'un autre côté, les parents se voient imposer des sacrifices énormes pour aller reconduire leurs enfants à l'école par toutes sortes de moyens et chez eux l'impatience a monté jour après jour au point qu'elle s'est manifestée depuis deux jours sous les formes que nous connaissons et qui entraînent un mouvement d'absence beaucoup plus considérable dans les écoles relevant des deux commissions scolaire affectées.

J'ai parlé au président de la commission scolaire des Manoirs juste avant la période des questions cet après-midi. Je n'avais pas reçu son télégramme; il me l'a lu. Je lui ai dit que je le prenais en très sérieuse considération. En fin de semaine, j'irai vérifier moi-même sur les lieux la nature véritable de la situation qui a surgi pour m'assurer que c'est vraiment un mouvement de fond. Si c'est la situation à laquelle nous sommes confrontés, il est évident que, dès le début de la semaine, je devrai soumettre au gouvernement un rapport dans lequel je ferai des recommandations appropriées. Mais une dernière vérification s'impose. C'est aujourd'hui jeudi et je crois que nous pourrons déterminer au cours de la fin de semaine des mesures à recommander au gouvernement dès le début de la semaine prochaine, parce que la situation commence à être hors de contrôle et il va falloir s'en occuper directement.

M. Blais: Question supplémentaire, M. le Président.

Le Président: Est-ce que c'est une question additionnelle, M. le député de Terrebonne?

M. Blais: S'il vous plaît, M. le Président.

Le Président: Je vous reconnais, M. le député de Terrebonne.

M. Blais: M. le ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science, il y a une quinzaine de jours, nous avons rencontré les parents ensemble. À votre demande, les parents se sont rassemblés pour vous prouver... Est-ce que vous croyez que votre visite d'il y a quinze jours - points d'exclamation et d'interrogation - où vous avez demandé aux parents de se rassembler pour vous prouver qu'il y avait vraiment un problème... Depuis deux jours, plus de 6500 élèves se sont abstenus d'aller à l'école; ne croyez-vous pas qu'il est immédiatement nécessaire de prendre aujourd'hui des décisions pour que les parents et les élèves retrouvent leur droit à la scolarité?

Le Président: M. le ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science.

M. Ryan: II me fait toujours plaisir de discuter avec le député de Terrebonne sur cette question à laquelle il porte un intérêt, ce dont j'ai manifesté mon appréciation en cette Chambre.

Je réponds non à sa question aujourd'hui. Je dois vérifier pourquoi ce mouvement s'est produit et sous quelle forme il s'est produit exactement. Est-ce qu'il est vraiment l'expression d'une réaction spontanée? Il va falloir qu'on vérifie exactement ce qui est arrivé et c'est sur la base de ces faits que j'espère avoir l'occasion de vérifier, avec vous d'ailleurs et avec les autres députés concernés. J'arriverai à des conclusions que je transmettrai au gouvernement dès que l'enquête aura été complétée.

Le Président: M. le député de Terrebonne, sur une question additionnelle.

M. Blais: Est-ce que le ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science ne trouve pas suffisantes les pressions que les parents font depuis plus de cinq mois? Est-ce qu'il attend des signes plus tangibles? Est-ce que vous voulez que les syndicats, qui font une grève normale, brûlent les autobus ou que les parents boycottent complètement les écoles et en fassent le saccage pour prendre enfin une décision?

Le Président: M. le ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science.

M. Ryan: J'ai toujours insisté auprès des parents pour qu'ils emploient des moyens légaux et démocratiques pour faire valoir leurs réactions. Si on devait utiliser des moyens violents et illégaux, le genre de réaction que nous devrions avoir ne serait pas le même.

Le Président: M. le whip du gouvernement, sur une question principale.

La protection des sols agricoles et des rives

M. Vallières: M. le Président, ma question s'adresse au ministre de l'Environnement. Le journal Le Devoir publie dans son édition d'aujourd'hui que "le ministre de l'Environnement, afin de combler le retard du Québec en matière de pollution agricole, préconise l'adoption d'une loi qui protégerait à la fois les sols agricoles et les rives". Est-ce que le ministre pourrait nous indiquer, compte tenu du manque de nuances, du manque de clarté à ce chapitre dans l'article, quelle est sa position exacte sur la pollution agricole? Étant donné que le ministre parle d'une réorientation du programme d'assainissement des eaux, comment entend-il agir à l'endroit des producteurs agricoles qui sont concernés par ce dossier?

Le Président: M. le ministre de l'Environnement.

M. Lincoln: M. le Président, je devrais expliquer que la position traditionnelle de notre parti, qui a été expliquée sur la loi 6 l'année dernière, en cette Chambre, consiste en la protection des rives et du littoral dans tout le Québec. On va essayer de travailler le plus durement possible pour arriver à une conclusion et présenter un projet de règlement-cadre ou de loi-cadre en ce sens.

Mais, entre-temps, je dois expliquer que mon collègue de l'Agriculture m'a fait valoir, depuis déjà plusieurs semaines, que les producteurs agricoles étaient très inquiets au sujet d'inspections parfois trop agressives de la part du ministère de l'Environnement et aussi par rapport aux mesures parfois inefficaces qui leur sont imposées, comme des fosses en béton, etc.

Nous avons conclu deux choses. Il y a un groupe de travail qui va être affecté à l'assainissement des eaux, dont le vice-président de l'UPA va être un membre à part entière. Nous espérons ainsi revoir en profondeur toute la question de la pollution agricole. Aussi, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation et celui de l'Environnement, pour ce qui est des fonctionnaires comme pour ce qui est du Conseil des ministres, vont se rencontrer de façon continue d'ici là pour essayer de trouver une solution mutuellement acceptable à un problème qui, nous en convenons, est très ennuyeux parfois et très important pour les producteurs agricoles. (14 h 50)

Le Président: M. le député de Shefford, question principale.

La construction de logements sociaux

M. Paré: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au ministre des Affaires municipales et responsable de l'Habitation. Depuis quelques jours, les manifestations se multiplient dans tout le Québec pour appuyer la démarche de la coalition pour le logement social qui s'oppose au projet de l'actuel gouvernement libéral de freiner le développement des logements sociaux. Le 5 mars dernier, le ministre rencontrait la coalition et lui confiait qu'il envisageait pour 1986 la construction de 2300 logements HLM. Or, le 14 mars dernier, le ministre recevait une directive du Conseil du trésor à l'effet de geler tous les projets de construction et d'immobilisations de logements sociaux de 1986 à 1989. Quelles sont aujourd'hui les intentions réelles du ministre dans ce dossier important pour la qualité de vie des gens à faible revenu?

Le Président: M. le ministre des Affaires municipales et responsable de l'Habitation.

M. Bourbeau: M. le Président, je remercie le député de me donner l'occasion de dégonfler un bobard qui court depuis quelques jours au sujet des présumées intentions du gouvernement de réduire le volume des habitations HLM au cours de l'année prochaine. Je peux dire au député que le décret du Conseil du trésor fait référence à des initiatives nouvelles. Le programme de HLM est un programme qui est en cours depuis plusieurs années. Il y a actuellement au Québec environ 48 000 unités qui ont été construites depuis le début du programme au début des années soixante-dix et notre intention pour l'année prochaine, comme je l'ai d'ailleurs indiqué aux gens qui sont venus me visiter à mon bureau et que j'ai rencontrés il y a une dizaine de jours, est de maintenir l'an prochain exactement le même niveau de construction de HLM que celui de l'année dernière.

Le Président: Question additionnelle, M. le député de Shefford.

M. Paré: Donc, si j'ai bien compris, M. le ministre, on peut s'attendre à la construction des 2300 HLM déjà annoncées. J'ai une autre question additionnelle, M. le Président si vous permettez, toujours au ministre des Affaires municipales et responsable de l'Habitation. Le développement en matière d'habitation ne sera-t-il pas compromis pour l'année 1986-1987, puisque les recommandations du conseil sur l'habitation - selon l'annonce qui a été faite hier - qui est encore une fois formé de non-élus, ne seront connues qu'en juin alors que les crédits vont être déposés le 25 mars

prochain. Ne compromet-on pas tout le développement dans l'habitation pour l'année 1986-1987?

Le Président: M. le ministre des Affaires municipales et responsable de l'Habitation.

M. Bourbeau: Je ne crois pas, M. le Président, le comité conseil sur l'habitation va se pencher sur l'ensemble de la documentation qui existe présentement à la suite du dépôt du livre vert et des consultations qui ont suivi. Son mandat est de faire l'analyse de cette documentation et des consultations qui ont suivi et de conseiller le ministre sur les orientations à suivre au cours des prochaines années ainsi que de tenter de dégager un plan d'action pour les deux ou trois prochaines années. En ce qui concerne l'année qui vient, forcément, la programmation est enclenchée et l'action du comité vraisemblablement ne pourra pas se faire sentir ou les recommandations qu'il fera et la décision que prendra le Conseil des ministres ne pourra pas s'appliquer avant l'an prochain.

Le Président: M. le député de Shefford, question additionnelle.

M. Paré: Merci, M. le Président. Une dernière question sur la formation du conseil sur l'habitation. Croyez-vous que les groupes de consommateurs et d'utilisateurs de logements sociaux sont suffisamment représentés ou, tout comme avec les députés ministériels, les "back-benchers", sont-ils oubliés?

Le Président: M. le ministre des Affaires municipales et responsable de l'Habitation.

M. Bourbeau: La réponse est oui, M. le Président. Je crois que les groupes sociaux sont très bien représentés. Il y a parmi les membres du conseil consultatif un individu qui fait partie du groupe Champlain, qui est l'OSBL le plus représentatif au Québec - il a d'ailleurs été primé lors du Salon national de l'habitation. Il y a également un représentant du monde coopératif, il y a également un représentant qui vient du milieu des sociétés municipales. Il y a également un représentant du ministère des Affaires sociales. Je pense effectivement que l'ensemble de ceux qui s'intéressent à la construction sociale est très bien représenté. Merci.

M. Gauthier: Question principale, M. le Président.

Le Président: M. le député de Roberval, question principale.

Des démarches sont-elles faites pour acquérir la raffinerie Gulf

M. Gauthier: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au ministre de l'Énergie et des Ressources. La semaine dernière le ministre nous annonçait l'acquisition, par le gouvernement, de la section pétrochimique de production de phénol du complexe Gulf pour la somme de 1 $. Également, on sait que Lavalin et SNC ont des propositions d'achat pour tout le complexe en entier qui permettraient de préserver les 450 emplois au total. Il y a aussi, dans le décor, le rapport O'Farrell qui dit que le manque de concurrence va faire en sorte que les Québécois ne profiteront peut-être probablement pas suffisamment des baisses du prix de l'essence auxquelles ils pourraient avoir droit.

Dans ce contexte, M. le Président, ma question au ministre est la suivante. Est-ce que le ministre peut nous indiquer s'il a fait des démarches pour acquérir tout le complexe ou s'il fait actuellement des démarches dans ce sens? Si c'était le cas, est-ce qu'il a un échéancier précis qu'il s'est fixé pour aboutir à un résultat positif?

Le Président: M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: M. le Président, en ce qui concerne les usines de pétrochimie, nous avons presque conclu une entente avec une société et nous serons en mesure, au début de la semaine, d'annoncer la réouverture de cette usine.

En ce qui concerne la raffinerie elle-même, j'ai tenté d'obtenir des contrats de raffinage pour essayer d'intéresser des acheteurs éventuels. Malheureusement, je n'ai, à ce moment-ci, aucun acheteur qui est intéressé à acheter la raffinerie et à la rouvrir.

Cependant, vous savez les démarches que nous avons faites auprès d'Ultramar, les pressions que nous avions faites auprès du gouvernement fédéral pour un moratoire sur la décision. Au moment où nous nous parlons, la raffinerie ne sera pas rouverte, on n'a pas d'annonce et on n'a pas les gens intéressés pour le moment. Nous ne perdons pas espoir.

Quant à la sous-capacité, nous avons conclu une entente avec Ultramar, et celle-ci s'est engagée à augmenter la capacité de raffinage à sa raffinerie de Saint-Romuald. Cela ne répond pas totalement à la sous-capacité au Québec, mais au moins c'est quelque chose d'additionnel qui va aider à la capacité totale du raffinage au Québec.

Le Président: M. le député de Roberval, une dernière additionnelle.

M. Gauthier: D'accord, M. le Président.

Est-ce que le ministre pourrait faire la lumière sur les offres qui sont faites par SNC et Lavalin et qui, semble-t-il, permettraient de sauver beaucoup plus que 100 emplois? Le ministre nous dit qu'il n'y aucune entreprise intéressée à exploiter la raffinerie de quelque façon. J'aimerai qu'il situe dans ce contexte les offres de SNC et de Lavalin.

Le Président: M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: M. le Président, je remercie le député de sa question. Il y a une entente qui sera prise pour la réouverture de l'usine de phénol. Cela va représenter 100 emplois. Nous sommes en discussion pour négocier l'acquisition de l'usine de Cumène qui se trouve de l'autre côté de la rue Sherbrooke et qui est maintenant liée à l'équipement de la raffinerie et de l'usine de phénol.

Je ne peux pas, à ce moment-ci, dévoiler toutes les ententes et les négociations que nous avons conclues jusqu'à présent. Je peux assurer le député que, premièrement, lundi, nous serons en mesure de dévoiler les détails d'une partie des usines pétrochimiques. Je peux assurer le député et cette Chambre que, aussitôt que nous aurons d'autres informations et que nous aurons conclu d'autres ententes sur les autres usines pétrochimiques, il me fera grand plaisir d'en informer l'Assemblée nationale et la population. Merci. (15 heures)

Le Président: Fin de la période de questions.

Nous continuons maintenant les affaires courantes. Je crois que tous et chacun d'entre vous se rappellent que nous avons reporté deux votes hier. J'aimerais vous faire mention et lecture immédiatement des deux votes qui ont été reportés.

Nous allons maintenant mettre aux voix... M. le whip du gouvernement et M. le whip de l'Opposition, est-ce que vous êtes prêts à procéder immédiatement aux deux votes? M. le whip du gouvernement? À l'ordre, s'il vous plattl Cela va? Nous allons attendre quelques minutes avant de procéder au vote.

On est prêt? M. le whip de l'Opposition?

Mise aux voix de l'amendement à la motion de censure de

l'Opposition au sujet

de la situation dans les salles

d'urgence des hôpitaux

Nous allons maintenant mettre aux voix la motion du député de Gouin de même que l'amendement du député de Laurier à cette motion. La motion de fond du député de Gouin se lit comme suit: "Que l'Assemblée nationale exige du gouvernement libéral qu'il mette fin au climat d'attente et d'insécurité suscité par le Parti libéral face au dossier des salles d'urgence."

L'amendement du député de Laurier se lit comme suit: "Que la motion soit amendée, premièrement, en retranchant dans la première ligne, les mots "l'Assemblée nationale exige du"; dans la deuxième ligne, les mots "libéral qu'il"; dans les troisième et quatrième lignes, les mots "et d'insécurité suscité par le Parti libéral".

Dans un deuxième temps, l'amendement veut ajouter à la deuxième ligne, avant le mot "gouvernement", le mot "le" et après le mot "fin", les mots "dans les meilleurs délais". Enfin, toujours en amendement, ajouter à la deuxième ligne, avant le mot "gouvernement", le mot "le" et après le mot "fin", les mots "dans les meilleurs délais". De sorte que si cet amendement était adopté, la motion principale se lirait comme suit: "Que le gouvernement mette fin dans les meilleurs délais au climat d'attente dans le dossier des salles d'urgence."

C'est donc d'abord sur l'amendement que nous allons procéder. Que les députés qui sont pour l'amendement veuillent bien se lever.

Le Secrétaire adjoint: MM. Bourassa (Saint-Laurent), Gratton (Gatineau), Saintonge (Laprairie), Pagé (Portneuf), Levesque (Bonaventure), M. Ryan (Argenteuil), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), MM. Bourbeau (Laporte), Latulippe (Chambly), Côté (Rivière-du-Loup), Mmes Gagnon-Tremblay (Saint-François), Ro-bic (Bourassa), MM. Rémillard (Jean-Talon), Savoie (Abitibi-Est), Vallerand (Crémazie), Lincoln (Nelligan), French (Westmount), Côté (Charlesbourg), Ciaccia (Mont-Royal), Johnson (Vaudreuil-Soulanges), Vallières (Richmond), Fortier (Outremont), Rocheleau (Hull), Gobeil (Verdun), Mme Bégin (Bellechasse), MM. Cu-sano (Viau), Vaillancourt (Orford), Dauphin (Marquette), Mme Dougherty (Jacques-Cartier), MM. Lefebvre (Frontenac), Sirros (Laurier), Doyon (Louis-Hébert), Middlemiss (Pon-tiac), Cannon (La Peltrie), Chagnon (Saint-Louis), Lemire (Saint-Maurice), Paradis (Matapédia), Mme Pelchat (Vachon), MM. Rivard (Rosemont), Polak (Sainte-Anne), Audet (Beauce-Nord), Baril (Rouyn-Noranda-Témis-camingue), Bélanger (Laval-des-Rapides), Bélisle (Mille-Îles), Mme Hovington (Matane), M. Séguin (Montmorency), Mmes Trépanier (Dorion), Bélanger (Mégantic-Compton), MM. Fortin (Marguerite-Bourgeoys), Parent (Sauvé), Trudel (Bourget), Mme Bleau (Groulx), MM. Bradet (Charlevoix), Brouillette (Champlain), Camden (Lotbinière), Mme Cardinal (Châteauguay), MM. Després (Limoilou), Forget (Prévost), Gardner (Arthabaska), Gauvin

(Montmagny-L'Islet), Gobé (Lafontaine), Laporte (Sainte-Marie), Dubois (Huntingdon), Bissonnet (Jeanne-Mance), Hains (Saint-Henri), Houde (Berthier), Mme Legault (Deux-Montagnes), MM. Leclerc (Taschereau), Hétu (Labelle), Joly (Fabre), Khelfa (Richelieu), Lemieux (Vanier), Marcil (Beauharnois), Messier (Saint-Hyacinthe), Poulin (Chauveau), Richard (Nicolet), Tremblay (Rimouski), Tremblay (Iberville), Thérien (Rousseau), Théorêt (Vimont), Saint-Roch (Drummond).

Le Président: Que ceux et celles qui sont contre cet amendement veuillent bien se lever.

Le Secrétaire adjoint: MM. Johnson (Anjou), Chevrette (Joliette), Jolivet (Laviolette), Garon (Lévis), Rochefort (Gouin), Charbonneau (Verchères), Mme Juneau (Johnson), MM. Gendron (Abitibi-Ouest), Brassard (Lac-Saint-Jean), Filion (Taillon), Gauthier (Roberval), Godin (Mercier), Mme Vermette (Marie-Victorin), MM. Paré (Shefford), Claveau (Ungava), Blais (Terrebonne), Dufour (Jonquière), Parent (Bertrand), Mme Harel (Maisonneuve), M. Desbiens (Dubuc).

Le Président: Y en a-t-il qui s'abstiennent?

Le Secrétaire: Pour: 81

Contre: 20

Abstentions: 0

Le Président: La motion est adoptée.

Mise aux voix de la motion amendée

Nous allons maintenant mettre aux voix la motion telle qu'amendée.

Que ceux et celles qui sont en faveur de la motion telle qu'amendée veuillent bien se lever.

Une voix: Vote unanime, s'il y a consentement.

Le Président: II y a consentement. La motion est-elle adoptée? La motion est adoptée.

Une voix: Le vote est considéré comme enregistré?

Le Président: Oui. Motions sans préavis. M. le premier ministre.

Félicitations à M. Jacques

Chirac, nouveau premier

ministre de France

M. Robert Bourassa M. Bourassa: Avec votre permission et la permission de la Chambre, M. le Président, je voudrais faire une motion pour féliciter M. Jacques Chirac pour son retour comme premier ministre de France, retour qu'on vient d'annoncer il y a quelques heures. Avec votre permission et en vous remerciant de votre consentement, la motion sans préavis se lirait comme suit: "Que l'Assemblée nationale offre ses félicitations à M. Jacques Chirac à la suite de sa nomination comme premier ministre de France."

J'ai bien connu M. Chirac puisqu'il a été premier ministre jusqu'à la fin de l'été 1976. Non seulement c'est un ami personnel, mais c'est un ami très fidèle du Québec. M. Chirac et moi-même avions signé des accords, en 1974, qui avaient permis le développement et le renforcement des relations franco-québécoises.

On doit constater que ces relations du Québec avec notre mère patrie se situent au-delà de toute partisanerie d'un côté comme de l'autre de l'océan. Que ce soit au Québec ou en France, avec les différents gouvernements, depuis le début de la révolution tranquille ces relations se situent dans l'ordre naturel des choses. Elles sont importantes parce qu'elles permettent au Québec d'avoir un allié très précieux et très important, notamment lorsqu'il s'agit pour lui de jouer un rôle sur le plan international.

On peut certainement signaler l'appui déterminant que la France nous a accordé pour jouer un rôle et pour participer au dernier sommet francophone, de même que l'appui qu'elle nous a apporté pour que le prochain sommet francophone ait lieu à Québec, probablement l'automne prochain.

Donc, je suis très heureux et je suis confiant dans ce retour de M. Chirac à la direction de la France, comme premier ministre évidemment. J'espère bien que nous pourrons en cette Chambre unanimement le saluer et le féliciter très chaleureusement.

Le Président: M. le chef de l'Opposition. (15 h 10)

M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Anjou): M. le Président, c'est évidemment avec grand plaisir que j'appuie la motion déposée par le chef du gouvernement. D'une part parce que, comme il vient de le rappeler, les relations entre la France et le Québec sont d'une importance telle qu'elles vont bien au-delà des lignes de parti, en tout cas en ce qui concerne le Québec. Je dirais que nous pouvons être confiants que cela s'applique aussi en France au-delà des lignes de parti.

En confiant à M. Chirac la responsabilité de former le gouvernement, ce qui, je crois, a été fait cet après-midi avec

la nomination d'un certain nombre de personnes dont, nous le savons, quelques amis du Québec, le président de la République française a évidemment pris acte des résultats des dernières législatives en France.

On sait que M. Chirac a déjà été premier ministre, comme l'a rappelé le premier ministre, de 1974 à 1976, qu'il est également député de la Corrèze, dans le centre de la France, et qu'il a participé à de nombreux échanges avec le Québec alors qu'il était premier ministre mais aussi comme maire de Paris, alors qu'il est venu nous visiter à quelques reprises.

Nous savons aussi que dans cette majorité française il y a de nombreux amis du Québec qui ont été élus. Je pense notamment à Alain Peyrefitte qui, pendant près de 25 ans, aura contribué au renforcement constant des relations entre le Québec et la France.

Le défi qui guette M. Chirac est considérable. On peut se demander si la cohabitation entre un président de la République socialiste et un premier ministre du groupe de la droite durera jusqu'aux élections présidentielles de 1988. On peut se demander si la majorité fragile de la droite en France qui, on le sait, est formée essentiellement de deux grands blocs, le bloc présidé par M. Chirac du RPR et le bloc de l'UDR, pourra tenir sans avoir recours à l'aide de l'extrême droite pour gouverner. On peut se demander aussi si le gouvernement pourra gouverner par la procédure législative habituelle ou si, au contraire, ce gouvernement devra avoir recours à la procédure des ordonnances et des décrets pour gouverner et appliquer ses politiques.

On sait que le nouveau premier ministre français arrive aussi dans un contexte de crise en France quand on pense, notamment, à la question des otages au Moyen-Orient, et nous souhaitons évidemment qu'il puisse faire face avec grand succès, pour le peuple français, à cette crise ainsi qu'à l'autre qui s'est déclenchée ce matin, on le sait, avec une explosion qui a fait des morts et des blessés sur les Champs-Elysées.

Je voudrais profiter de l'occasion - le premier ministre me le permettra sûrement -pour également remercier personnellement le premier ministre, Laurent Fabius, qui vient de remettre sa démission, pour l'intérêt qu'il a porté dans le dossier de la coopération franco-québécoise. La formation dont il a dirigé le gouvernement, le Parti socialiste, n'a pas connu la déroute électorale qu'on avait anticipée et, avec 215 élus, la gauche française non communiste demeure une force politique réelle en France.

Enfin, je voudrais souhaiter que l'action conjointe de ce président socialiste et de ce premier ministre des groupes de droite bénéficie non seulement aux Français, à la paix du monde, au progrès de l'Europe, mais évidemment aux relations franco-québécoises. Merci, M. le Président.

Le Président: M. le premier ministre. M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Juste un mot, M. le Président, pour remercier le chef de l'Opposition pour son appui à la présentation de cette motion et, en même temps, le remercier, puisque je n'avais pas eu l'occasion de le faire, pour l'appui sans réserve qu'il m'avait accordé à l'occasion de ma participation au sommet francophone.

Je voudrais également appuyer, mais d'une façon plus précise, comme il l'a fait -je l'ai mentionné de façon générale, mais je crois qu'il y a lieu également de le mentionner d'une façon plus précise - le rôle qui a été joué par les différents premiers ministres depuis le début de la révolution tranquille. J'ai eu l'occasion, à Paris, de remettre le mérite québécois, l'Ordre du Québec, à plusieurs anciens premiers ministres, M. Barre, M. Mauroy et, évidemment, M. Fabius.

Le gouvernement sera de centre droit, si je peux rectifier bien amicalement le chef de l'Opposition. C'est un gouvernement de centre droit et non pas de la droite. Ce gouvernement de centre droit, sûrement, avec l'expérience qu'il a eue dans les relations avec le Québec, peut nous permettre d'envisager l'avenir avec confiance.

Le Président: Est-ce que cette motion est adoptée?

Une voix: Vote enregistré.

Une voix: Adopté.

Le Président: Vote enregistré?

Une voix: Vote enregistré, oui.

Le Président: Qu'on veuille bien appeler les députés, s'il vous plaît! À l'ordre s'il vous plaît! Que chacun regagne son siège s'il vous plaît! Je vais vous faire lecture immédiatement de la motion présentée par M. le premier ministre. "Que l'Assemblée nationale offre ses félicitations à M. Jacques Chirac à la suite de sa nomination comme premier ministre de la France." Je vais mettre aux voix immédiatement ladite motion. Que ceux et celles qui sont en faveur veuillent bien se lever. (15 h 20)

Le Secrétaire adjoint: MM. Bourassa (Saint-Laurent), Gratton (Gatineau), Saintonge (Laprairie), Pagé (Portneuf), Levesque (Bonaventure), M. Ryan (Argenteuil), Mme Lavoie-

Roux (L'Acadie), MM. Bourbeau (Laporte), Latulippe (Chambly), Côté (Rivière-du-Loup), Mmes Gagnon-Tremblay (Saint-François), Robic (Bourassa), MM. Rémillard (Jean-Talon), Savoie (Abitibi-Est), Vallerand (Crémazie), Lincoln (Nelligan), French (Westmount), Côté (Charlesbourg), Ciaccia (Mont-Royal), Johnson (Vaudreuil-Soulanges), Vallières (Richmond), Fortier (Outremont), Rocheleau (Hull), Gobeil (Verdun), Mme Bégin (Bellechasse), MM. Cusano (Viau), Vaillancourt (Orford), Dauphin (Marquette), Mme Dougherty (Jacques-Cartier), MM. Lefebvre (Frontenac), Sirros (Laurier), Doyon (Louis-Hébert), Middlemiss (Pontiac), Cannon (La Peltrie), Lemire (Saint-Maurice), Paradis (Matapédia), Mme Pelchat (Vachon), MM. Rivard (Rosemont), Polak (Sainte-Anne), Audet (Beauce-Nord), Baril (Rouyn-Noranda-Témiscamingue), Bélanger

(Laval-des-Rapides), Bélisle (Mille-Îles), Mme Hovington (Matane), M. Séguin (Montmorency), Mmes Trépanier (Dorion), Bélanger (Mégantic-Compton), MM. Fortin (Marguerite-Bourgeoys), Parent (Sauvé), Trudel (Bourget), Mme Bleau (Groulx), MM. Bradet (Charlevoix), Brouillette (Champlain), Camden (Lotbinière), Mme Cardinal (Châteauguay), MM. Després (Limoilou), Forget (Prévost), Gardner (Arthabaska), Gauvin (Montmagny-L'Islet), Gobé (Lafontaine), Laporte (Sainte-Marie), Dubois (Huntingdon), Bissonnet (Jeanne-Mance), Hains (Saint-Henri), Houde (Berthier), Mme Legault (Deux-Montagnes), MM. Leclerc (Taschereau), Hétu (Labelle), Joly (Fabre), Khelfa (Richelieu), Lemieux (Vanier), Marcil (Beauharnois), Messier (Saint-Hyacinthe), Poulin (Chauveau), Richard (Nicolet), Tremblay (Rimouski), Tremblay (Iberville), Thérien (Rousseau), Théorêt (Vimont), Saint-Roch (Drummond).

MM. Johnson (Anjou), Chevrette (Joliette), Jolivet (Laviolette), Garon (Lévis), Ro-chefort (Gouin), Charbonneau (Verchères), Mme Juneau (Johnson), MM. Gendron (Abitibi-Ouest), Brassard (Lac-Saint-Jean), Filion (Taillon), Gauthier (Roberval), Mme Vermette (Marie-Victorin), MM. Paré (Shefford), Blais (Terrebonne), Dufour (Jonquière), Parent (Bertrand), Mme Harel (Maisonneuve), M. Desbiens (Dubuc).

Le Président: Que ceux et celles qui sont contre ladite motion veuillent bien se lever.

Le Secrétaire: Pour: 98

Contre: 0

Abstentions: 0

Le Président: La motion est adoptée. Est-ce qu'il y a d'autres motions sans préavis?

Avis touchant les travaux des commissions. M. le leader du gouvernement. À l'ordre s'il vous plaît!

Avis touchant les travaux des commissions

M. Gratton: M. le Président, je donne avis que la commission du budget et de l'administration siégera le mercredi 26 mars à compter 10 heures à la salle Louis-Joseph-Papineau pour procéder à l'étude des projets de loi privés 231, Loi modifiant la Loi concernant les maîtres entrepreneurs en réfrigération du Québec, et 239, Loi concernant le Conseil de planning social de Pontiac Inc.

Le Président: Renseignements sur les travaux de l'Assemblée. M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: M. le Président, compte tenu des déplacements, je ne suis pas sûr d'avoir compris. Est-ce que vous avez bien dit: La commission du budget et de l'administration?

M. Gratton: C'est exact.

M. Gendron: J'aimerais que le leader m'indique...

Le Président: M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: ...pourquoi ces projets de loi sont déférés à la commission du budget et de l'adminstration.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: On m'a dit que c'est le ministre des Finances qui doit être présent.

M. Gendron: Pour piloter ces projets de loi?

M. Gratton: Oui.

M. Gendron: D'accord. Si c'est...

M. Gratton: C'est l'indication qu'on m'a donnée; je peux vérifier, mais il me semble que c'est le ministre des Finances et que c'est bien la commission du budget et de l'administration.

Le Président: M. le député d'Abitibi-Ouest, est-ce que ça répond à votre question? M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: Je vous avoue que si j'en avais été informé, j'aurais pu regarder de quoi il s'agit pour ces deux projets de loi. On m'a dit que c'est le ministre des Finances qui pilotait ces projets de loi. Je comprends que la commission des finances relève du budget et de l'administration, mais

lorsque le leader du gouvernement a annoncé les deux projets de loi, j'ai compris qu'il s'agissait de deux projets de loi concernant les corporations. Je ne suis pas capable de faire le lien.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: M. le Président, il s'agit, dans un premier cas, de la Loi concernant les maîtres entrepreneurs en réfrigération du Québec et, dans un deuxième cas, du Conseil de planning social de Pontiac. Je vais vérifier et je vais fournir les informations.

Le Président: M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: M. le Président, je veux simplement vous indiquer que j'aimerais effectivement que la vérification soit faite. Il y a également une autre raison que j'aimerais discuter avec mes collègues avant de donner notre consentement pour être capables de siéger à cette commission.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: On m'informe à l'instant même que ces deux organismes relèvent de l'Inspecteur général des institutions financières. C'est ce qui fait que le ministre responsable est le ministre des Finances, et qu'il s'agit de la commission du budget et de l'administration.

Le Président: Renseignements sur les travaux de l'Assemblée. Affaires du jour.

Motion proposant que l'Assemblée

blâme le gouvernement d'avoir

accepté la Charte canadienne des

droite et libertés

Aux affaires prioritaires, j'aimerais vous faire lecture de la motion du chef de l'Opposition: "Que l'Assemblée nationale blâme sévèrement le gouvernement libéral d'avoir agi de façon prématurée, imprudente et improvisée en reconnaissant une partie substantielle de la Loi constitutionnelle de 1982, à savoir la Charte canadienne des droits et libertés, sans avoir publiquement débattu des conséquences majeures d'un tel geste à l'égard des droits du Québec et sans même en avoir saisi l'Assemblée nationale."

M. le chef de l'Opposition.

M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Anjou): M. le Président, le leader pourrait-il m'indiquer si je dois attendre le ministre des Relations internationales et délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes? J'avais cru comprendre qu'il serait avec nous.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: M. le Président, le ministre est dans une salle attenante, il sera ici dans quelques minutes.

Le Président: M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, cette motion de censure, comme elle le dit clairement, vise à blâmer sévèrement le gouvernement actuel d'avoir agi d'une façon à la fois prématurée, imprudente et improvisée en reconnaissant une partie substantielle de la Loi constitutionnelle de 1982, à savoir la Charte canadienne des droits et libertés, sans avoir publiquement débattu les conséquences majeures d'un tel geste et, à l'égard des droits du Québec, sans même avoir saisi l'Assemblée nationale de cette question.

Le gouvernement a posé - particulièrement le nouveau ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes - un geste malhabile, par en arrière, en catimini, en laissant très largement l'impulsivité du ministre du Revenu décider des droits du Québec, montrant ainsi sa faiblesse ou son indifférence à l'égard d'un contenu et d'un enjeu fondamental pour le Québec.

Évidemment, ce ne sont pas des kilowatts. Ce ne sont pas des mégawatts. Ce n'est pas un extrait de "L'énergie du Nord". Ce n'est pas non plus quantifié par le taux d'inflation. Mais cela demeure, M. le Président, fondamental, puisque cela fait partie de la permanence des choses dans notre société. De la même façon, ce geste malhabile démontre une mollesse d'attitude de la part de ce gouvernement qui porte à conséquence pour l'avenir du Québec. Cette imprudence de début de mandat du nouveau ministre, qui commence ainsi une carrière d'une façon quelque peu étonnante, affaiblira le Québec dont les intérêts sont mal défendus dans cette précipitation irréfléchie.

Car, contrairement à ce que certains peuvent prétendre, l'affaire du "nonobstant" n'est pas qu'une simple question de vertu ou de querelle de vertu. Deux chartes valent mieux qu'une ou, encore, il ne doit pas y avoir deux catégories de Canadiens. On ne doit pas troquer les droits et libertés dans le dossier constitutionnel. Phrases dramatiques, M. le Président! (15 h 30)

Mais il reste quand même que cette question du "nonobstant" touche ce qui est au coeur même de la reconnaissance de

l'existence ou non d'un peuple québécois ou d'une société distincte du Québec, pour reprendre les vocables du Parti libéral.

Car, en effet, cette décision irréfléchie, improvisée et gravement imprudente du gouvernement libéral va modifier considérablement ce qu'on pourrait appeler l'ère de' liberté de la collectivité québécoise, du peuple québécois ou de la société distincte du Québec en matière de droits de la personne, sans compter que ce geste constitue une erreur stratégique indéniable sur le plan des négociations constitutionnelles avec le reste du Canada.

Car, en effet, M. le Président, jusqu'à maintenant, c'est au peuple québécois, par l'entremise de son système démocratique, soit le Parlement de Québec, ici, où ce ne sont pas des choses insignifiantes qui doivent se décider mais des choses signifiantes à la fois à l'égard des droits et libertés, comme pour l'avenir du Québec, c'est dans cette institution démocratique qu'est l'Assemblée nationale que, jusqu'à maintenant, il appartenait de définir le contenu, la mise en oeuvre des droits et libertés des citoyens de cette collectivité québécoise.

Dorénavant, ce que certains ont convenu d'appeler la "capitulation Rémillard" fera en sorte qu'il appartiendra au Canada et sur le territoire du Québec à sept premiers ministres du Canada, sans même le consentement du Québec, de définir et de donner un contenu aux droits et libertés. Il appartiendra à neuf juges de la Cour suprême, dont trois viennent du Québec mais qui n'ont pas en tant que tel de statut, qui ne siègent pas dans une chambre particulière quand il s'agit du droit québécois, il appartiendra, dis-je, dorénavant, à ces neuf juges de la Cour suprême d'être les derniers interprètes du sens et du contenu des droits et libertés sur le territoire du Québec, parce que le territoire du Québec fait partie du Canada.

Qui pourrait prétendre, dans un tel contexte, que continuerait d'exister et de se développer un peuple québécois ou une société distincte, à partir du moment où elle abandonne, à toutes fins utiles, son droit et sa capacité de définir ici, d'aménager les uns par rapport aux autres les droits et libertés? C'est concret, non seulement à l'égard du pouvoir des institutions démocratiques et de nos institutions parlementaires, mais également à l'égard des droits des citoyens.

Je n'en donnerai qu'un exemple. Il est évident que nous sommes en faveur de la liberté d'expression. Il est évident que nous sommes en faveur de la liberté au sujet des pratiques religieuses, que nous sommes en faveur de la liberté d'assemblée mais je sais, moi, que la liberté d'expression au Québec s'analyse aussi avec le droit à la réputation dans notre Charte des droits et libertés. Quel est l'aménagement du rapport à faire entre ces deux droits que la collectivité, ici dans ce Parlement, non pas les jugements de "common law", des tribunaux et des citoyens qui, dans l'indépendance judiciaire, n'ont à répondre à personne des valeurs qu'ils vont établir dans la définition des droits... Est-ce qu'il ne faut pas reconnaître que cet abandon de la définition même du contenu de ces droits qui, dans une charte, ne sont que théoriques, puisque ce sont des mots, est-ce qu'il ne faut pas en conclure que nous abandonnons ainsi ce qu'est l'essence même de former une collectivité distincte? C'est, malheureusement, la conclusion à laquelle nous force d'arriver le gouvernement, par ce geste prématuré.

Est-ce que ce serait, M. le Président, parce que le Québec est en retard en matière de droits et libertés? Serions-nous faibles ou honteux en cette matière, comme société? Non. Rien ne permet de le soutenir, bien au contraire. Prenons d'abord la question des droits démocratiques, le droit de vote, la nécessité de tenir des élections à périodes déterminées. Ces droits existent dans l'une des plus vieilles - est-il besoin de le rappeler? - démocraties parlementaires en Occident, c'est-à-dire ce Parlement dans lequel nous siégeons.

Par ailleurs, le Québec, dans le projet d'accord constitutionnel de 1985, avait reconnu qu'il adhérait à ces principes reconnus au Canada que sont ce qu'on appelle les droits démocratiques, acceptant ainsi d'être lié aux articles de la charte canadienne qui y pourvoyaient.

Mais les droits démocratiques aussi au Québec, c'est plus que cela, c'est la Loi sur le financement des partis politiques, la Loi sur la consultation populaire, la démocratie municipale, un ensemble de mesures que cette Assemblée a adoptées depuis cinq, dix, quinze, vingt ans et qui, à bien des égards, font l'envie des autres coins du Canada.

Parlons un peu des libertés individuelles et des droits individuels. Aurions-nous raison d'être honteux ou de nous sentir faibles en cette matière? Je sais que toute une génération, qui écrivait dans les années cinquante contre l'émergence des forces nationalistes du Québec, s'est servie de cet argument qu'heureusement que nous avions la Cour suprême pour défendre les droits et libertés. Cette génération a pris le pouvoir un jour à Ottawa et nous a rentré dans la gorge le "Canada Bill" en 1982, on le sait.

L'adhésion philosophique de ces hommes et de ces femmes était que nous étions incapables, ici, de décider de questions de droits et libertés. C'est ce qu'on appelle la mentalité de colonisé. Je crois que ces gens ont fait leur temps. Je suis convaincu que le ministre n'appartient pas à cette génération et à cette école de pensée, mais néanmoins il adopte, dans les faits, l'attitude de ceux et celles qui croyaient que ce peuple était incapable de disposer de questions

fondamentales en matière de droits et de libertés.

Le Québec s'est, depuis, donné un appareillage en matière de droits et libertés qui est remarquable. Notre charte des droits et libertés couvre d'une façon large, explicite, les droits de la personne. Cette charte fait d'ailleurs l'envie - il faut le dire - de la plupart des provinces canadiennes, pour ne pas dire de gens d'ailleurs aussi. Et pourquoi? Parce que cela correspond à un large consensus de l'ensemble québécois quant aux valeurs profondes que nous partageons, une sorte de tolérance active et évolutive qui caractérise notre société à cet égard et qui n'a pas à se faire imposer un cadre comme si elle était incapable d'y voir.

Serait-ce que notre charte est inopérante, M. le Président? Non, elle n'est pas inopérante, bien au contraire. D'abord, on nous plaidera la dérogation à la charte des droits et libertés. Faut-il souligner dès maintenant, clairement, que le Parlement fédéral et le Parlement de toute province au Canada a la capacité de déroger aux articles 2 et 7 à 15 du "Canada Bill", que le Parlement de Québec l'a à l'égard de sa propre charte des droits et libertés, et qu'en ce sens, nous ne constituons pas une exception, et que le recours à cette dérogation peut se faire habituellement dans deux contextes: ou bien dans un contexte où on tranche dans les valeurs et où l'on croit que l'interprétation d'un droit dans son application ralentit la capacité de l'État de faire une réforme... Exemple, la Loi des petites créances. On permet aux citoyens d'aller devant la Cour des petites créances pour obtenir rapidement des règlements en matière de justice, mais cela contrevient au principe qu'on a droit à son avocat. Est-ce qu'il faut dire pour autant que de contrevenir à ce principe qu'on a droit à son avocat, pour créer la Cour des petites créances, c'est être abusif? Non, c'est un choix du Parlement, un choix de société, un choix qui a fait consensus. (15 h 40)

L'autre dimension dans laquelle apparaît la dérogation à notre charte, c'est le contexte de la crise politique ou sociale et où on suspend temporairement, pour les fins d'application d'une loi, certains des droits et libertés qui peuvent s'y retrouver. Je le sais, M. le Président, il y a une sanction à cette dérogation, nous l'avons vu, quant à nous, le 2 décembre. La loi 111 dérogeait à la présomption d'innocence dans les procédures intentées à l'égard des employés du secteur public et parapublic qui ne respectaient pas la loi 111. Je crois que démocratiquement ils nous l'ont fort bien expliqué le 2 décembre dernier: de dire qu'une dérogation politique n'a pas de sanction, c'est se tromper. C'est la sanction la plus grave, la plus importante qu'on puisse avoir dans un système démocratique. C'est le gouvernement qui doit répondre de ses actes.

Pour la mise en oeuvre, serait-elle inopérante la Charte des droits et libertés du Québec? Non, bien au contraire. Alors que la charte canadienne, à toutes fins utiles, pour donner lieu à l'exercice de certains droits et libertés fondamentaux présuppose le long cheminement judiciaire, celle du Québec ouvre, par la Commission des droits de la personne, une façon relativement expéditive d'obtenir satisfaction à l'égard des droits et libertés.

Pourquoi cette attitude du gouvernement? J'ai recherché et j'ai recensé, M. le Président, un certain nombre de textes de l'actuel ministre pour voir la réponse à ce pourquoi. Entre autres, j'ai retrouvé celui-ci: article du Devoir du 12 juin 1985. M. Gil Rémillard écrit: "La charte des droits aurait pu être incluse dans une constitution du Québec la mettant à l'abri d'interventions à tout bout de champ." Le ministre sait que je suis d'accord avec cette approche, d'autant plus que j'ai eu l'occasion de le consulter au moment où j'étais affairé à préparer le projet d'accord constitutionnel du gouvernement en 1984. Il sait que je crois et que nous croyons de ce côté-ci - j'ai eu l'occasion de le répéter récemment - qu'il faudrait trouver dans le cadre d'une constitution interne du Québec le moyen d'encadrer, de stabiliser et de baliser les moyens démocratiques de modifier, d'amender la Charte des droits et libertés ou même d'y déroger.

Le ministre croyait que cela était important au moment où il écrivait cela. Il n'a certes pas pris le temps depuis sa nomination de considérer cette avenue sérieusement avant de reconnaître l'application intégrale de la charte canadienne. Il serait intéressant d'entendre le ministre à ce sujet d'ailleurs. Quelle suite veut-il donner à ses propos qu'il tenait à l'époque, sans nous servir l'argument démagogique de: vous auriez donc dû? Sauf que dans son sons et lumières - pour reprendre les mots de son chef - peut-être nous servira-t-il la même ritournelle: Mais il a maintenant des outils de décision en main. Pourquoi n'a-t-il pas repris cette alternative que lui-même proposait avant carrément de capituler en matière de droits et libertés? Ne voit-il pas que ce sont là les intérêts vitaux du Québec qui sont en cause?

Le ministre disait également, le 27 mars 1982, toujours dans un article du Devoir - le ministre publiait souvent dans le Devoir: "Dans la perspective du fédéralisme canadien, l'enchâssement des droits fondamentaux fait problème puisqu'il met en cause le régionalisme et le dualisme. De plus, le fait d'enchâsser les droits fondamentaux limite la souveraineté des Parlements et donne aux tribunaux un

pouvoir considérable d'interprétation non seulement juridique, mais aussi politique." M. Gil Rémillard, 27 mars 1982. Il continue en disant: "Les règles d'interprétation qui vont se dégager de l'application de la charte ne manqueront pas d'influencer l'ensemble de l'interprétation du droit canadien tant au niveau fédéral que provincial." C'était la conclusion d'une conférence que M. Rémillard donnait à Strasbourg, le 6 juillet 1984.

N'est-ce pas dire que par le geste qu'a posé le gouvernement, confirmé par ce ministre, l'Assemblée nationale se voit amputée d'une partie substantielle de ses pouvoirs, notamment celui de faire et d'avoir le choix du dernier mot en matière de droits et libertés, et tout cela au profit de quoi? Au profit d'un système judiciaire pancanadien extrêmement centralisé où nous n'avons rien à voir avec la nomination des juges et où, tantôt, la jurisprudence de Saskatchewan, d'Alberta ou de Colombie britannique influencera profondément le droit québécois.

D'autant plus que le ministre lui-même reconnaissait, il y a quelques jours, que la charte canadienne comporte une grande ambiguïté puisque la Cour suprême n'a toujours pas tranché si elle s'applique aux relations entre individus. Dans ses cours à la formation permanente du Barreau, le cours numéro 83, aux pages 8 et 9, d'ailleurs, il soutenait la thèse stipulant que la charte canadienne devait s'appliquer dans les rapports de droit privé. Ce qui veut dire quoi en pratique? Ce qui veut dire qu'au Québec, depuis 1774, l'Acte de Québec, après la conquête, on a vécu pendant un certain nombre d'années sous l'empire de la "common law". Les habitants, les colons et ceux qui restaient après que les élites soient retournées en France ont décidé d'arbitrer leurs problèmes de droit entre eux sans avoir recours aux tribunaux britanniques. Murray dut le constater et il accorda le maintien de la coutume de Paris sur notre territoire à compter de 1774, ce qui s'est traduit par quoi, en 1985? C'est le Code civil, lui-même reconnu dans la constitution de 1867.

Or, si la Charte canadienne des droits et libertés devait s'appliquer aux rapports de droit privé, cela veut dire que notre droit civil sera non seulement profondément affecté par le "common law", mais à toutes fins utiles, les grandes règles de droit en matière de droit civil seront dorénavant dictées par le "common law". Voire même, si on regarde l'arrêt Hunter de la Cour suprême, par la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, c'est faire bon marché dans une conférence de presse un peu rapide, un mercredi après-midi, du droit civil et de son évolution sur notre territoire. Et c'est présenter une très grande vulnérabilité du Québec à l'égard de l'évolution de son droit essentiel à la capacité pour le Québec, comme minorité de 2 % de ce continent, de maintenir sa spécificité.

La spécificité du Québec ne vient pas que de la langue que nous parlons comme majorité, elle vient aussi de nos institutions. Parmi ces institutions, il y a une pierre angulaire qui s'appelle le Parlement, et une seconde qui s'appelle le Code civil. La décision annoncée par le ministre met les deux en cause, et on vient nous parler de société distincte au nom d'une certaine vision internationaliste. (15 h 50)

J'ai peut-être trouvé le fondement de l'attitude du ministre dans un autre écrit. Le Devoir, 12 juin 1985 - toujours le Devoir -"Je - c'est M. Rémillard qui parle - signale que 22 pays européens indépendants et souverains ont accepté de donner prépondérance à la Charte des droits -évoquant ici la Convention sur les droits de l'homme en Europe. Le Québec ne pourrait-il pas faire de même dans l'ensemble fédéral canadien?"

Je présume que c'est là son argument. Ce ne sont sûrement pas les autres. On a démontré très clairement que cela ne pouvait pas être cela. C'est sans doute son argument matraque. Mais regardons un peu comment ce ministre voudrait nous convaincre que le processus judiciaire pancanadien, en définitive, est celui qui doit dominer dans l'interprétation des droits fondamentaux sur notre territoire plutôt que l'Assemblée nationale du Québec.

L'expérience européenne, c'est vrai, est concluante, mais il ne faudrait pas l'importer d'une façon inconditionnelle. D'abord, il s'agit de droit international. Le droit international ne prétend pas supplanter ou remplacer le droit interne des États. Or, dans le cas de la charte canadienne, la reconnaissance des clauses 2 et 7 à 15 est, à toutes fins utiles, un abandon de notre juridiction en droit interne, sans compter la dimension à l'égard du droit civil, si la Cour suprême devait décider que cela s'applique en matière de droit privé.

Deuxièmement, les États participant à la convention européenne ont adhéré volontairement à cette déclaration commune. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cela n'a pas été le cas du Québec en 1982.

Troisièmement, les pays qui participent à la convention européenne sont dans un état de fait fort différent de celui du Québec. Je vois mal la France être assimilée par l'Allemagne, l'Italie être assimilée par la Hollande. Nous, par ailleurs, nous formons 2 % de ce continent et nous sommes dans une position, notamment à l'égard des droits et libertés, de plus grande fragilité que les autres, puisque notre droit est différent de celui du reste du continent et qu'il fait partie de notre personnalité collective.

C'est sans doute pour cela que les

professeurs Brun et Tremblay écrivaient récemment que, lorsqu'elles se penchent sur les limites apportées aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, la cour et la commission européennes tiennent compte largement de l'histoire et de la culture du pays en cause. Non seulement ces pays y ont-ils adhéré volontairement, non seulement peuvent-ils continuer d'avoir totale liberté dans leur droit interne, mais également la cour, puisqu'il s'agit d'États souverains - ce qui n'est pas le cas du Québec - tient compte de l'interprétation circonstanciée et locale des droits et libertés.

Or, nous n'avons aucune garantie à cet égard dans le geste irréfléchi et dangereux posé par le gouvernement, sans compter que dans le cas de la cour européenne les pays ont une préemption sur la nomination des juges, sur l'étendue de leur juridiction, sur le rôle des États participants. Encore faudrait-il peut-être que le ministre pousse un peu plus loin sa réflexion, s'il peut se trouver quelques conseillers.

Une voix: M. Dion était libre.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, ce n'est pas un détail, ce qui s'est passé l'autre jour. Ce n'est pas non plus une affaire pour quelques initiés. Sur le fond comme sur la forme, ce gouvernement manipule les intérêts du Québec d'une façon un peu désinvolte, légère et dangereuse pour notre avenir. L'improvisation, le caractère prématuré de la décision, l'imprudence, le côté irréfléchi, sans débat, sans consultation, sans que l'Assemblée n'en soit saisie, tout cela est grave, parce qu'on touche à des choses fondamentales à l'égard des intérêts du Québec mais aussi des intérêts de chacun des citoyens. Je donnerai un exemple concret, encore une fois, de ce que signifie une Assemblée qui décide, en matière de droits et de libertés, plutôt que les tribunaux ou plutôt qu'un amendement dans 17 ans, fait par sept premiers ministres sauf celui du Québec, a la constitution canadienne.

Au Québec, dans notre Charte des droits et libertés, on prévoit et on prévoyait l'interdiction de la discrimination sur la base des sexes. Un tribunal, un jour, a décidé que le fait d'être enceinte, que la grossesse n'était pas considérée comme un attribut du caractère sexuel de la discrimination. Cela veut dire quoi, en pratique? Cela veut dire qu'un jour, une femme se présente chez un employeur, dit qu'elle aimerait être employée et l'employeur lui répond: Madame, avez-vous l'intention d'avoir un enfant? Elle répond: Oui. Il lui dit: Madame, je ne vous embauche pas.

Cette citoyenne se présente devant la commission et par la suite devant les tribunaux où on lui dit: Le fait qu'il n'y ait pas de discrimination sexuelle et que ce soit interdit dans la Charte des droits et libertés du Québec n'implique pas que cet employeur avait tort en matière de grossesse. Interprétation restrictive du tribunal quant à un droit et une liberté.

Qu'est-ce que nous avons fait? Nous avons modifié la Charte des droits et libertés du Parlement de Québec et nous avons prévu que dorénavant la grossesse est un facteur contre lequel on ne peut pas discriminer dans l'emploi. C'est cela, le processus des droits et libertés dans une société démocratique. Ce n'est pas simplement de dire le mot "liberté", c'est la vivre à travers les institutions démocratiques. Cette flexibilité, cette souplesse, cette capacité de modifier des droits et libertés en pleine évolution dans notre société, et dans une évolution progressiste qui fait l'envie de la plupart des autres endroits sur ce continent, c'est le pouvoir de l'Assemblée nationale.

Qu'il faille resserrer les conditions pour amender la Charte des droits et libertés, possiblement; la constitution interne le permettrait. On pourrait, par exemple, le prévoir dans la constitution écrite interne du Québec qui, elle-même, devrait être approuvée par référendum, donc bien au-delà du Parlement, par le peuple. Cela serait mieux que simplement sept premiers ministres dans une chambre d'hôtel. On pourrait prévoir que la Charte des droits et libertés du Québec ne peut être amendée que si le Parlement vote aux deux tiers deux fois sur une période de douze mois ou on pourrait prévoir carrément que ces droits et libertés sont contenus dans la constitution interne du Québec et ne peuvent être modifiés que par un changement de la constitution, donc, par référendum. Non pas par sept premiers ministres dans une chambre d'hôtel à Saskatoon, mais ici, chez nous, à partir de nos institutions démocratiques et de la volonté du peuple québécois qui forme cette société distincte dont on nous parle.

Or, cette chose fondamentale à laquelle a touché le gouvernement, presque distraitement, et je dirais presque subrepticement ou machiavéliquement, par le ministre du Revenu en commission parlementaire, c'est à la suite du sablage de champagne de 1982. Tout cela, en plus, a des conséquences sur le plan des relations entre le gouvernement canadien, le gouvernement québécois et l'ensemble du Canada, des provinces canadiennes dans le dossier constitutionnel qui n'est même pas amorcé. Quelle garantie a obtenue le premier ministre du Québec ou son ministre chargé du dossier constitutionnel quant au rôle du Québec dans la nomination des juges de la Cour suprême? Quelle garantie a-t-il obtenue quant à la reconnaissance du caractère distinct du Québec et quel en est le libellé? Quelles en

sont les conséquences sur l'évolution du droit, du droit des personnes comme du droit collectif? (16 heures)

Quelle garantie a obtenue le gouvernement avant de prendre une telle décision d'abdiquer les pouvoirs de l'Assemblée nationale en ces matières? Que le "Canada Bill" serait modifié de façon acceptable pour le gouvernement et pour l'Assemblée nationale. Et pourtant, on a manipulé sans grande attention un élément sans lequel nous resterons et nous demeurerons toujours fragiles sur ce continent, c'est-à-dire la capacité des institutions démocratiques de définir le droit dans cette société. Ce n'est pas fait que pour les avocats, c'est fait pour tout le monde, pour tous les citoyens.

Ah! on plaidera la sécurité juridique de la charte canadienne. Quelle sécurité? La sécurité qu'un Parlement ne peut pas y déroger? Voyons donc! Tous les Parlements canadiens peuvent y déroger. La sécurité qu'elle ne peut pas être modifiée parce qu'elle est constitutionnelle facilement? C'est vrai et, je vous en passe un papier, elle ne sera pas modifiée avant 20 ans quand on regarde ce que cela a pris de temps pour la faire évoluer.

On voudrait nous soumettre pendant cinq ans, dix ans à des décisions de "common law" et on pourrait arriver à la conclusion qu'il faut modifier au Québec l'application ou l'aménagement de deux droits ou de deux libertés fondamentales et qu'il faudrait attendre que cela tente à sept premiers ministres du reste du Canada. On n'aurait aucun pouvoir d'initiatives là-dessus et, en plus de cela, ils pourraient décider de la modifier sans notre consentement. M. le Président, ce geste, de toute évidence de mollesse dans l'attitude, de faiblesse dans le contenu, impardonnable est un geste qui met en péril les intérêts du Québec.

Le gouvernement libéral n'a pas le droit de traiter des intérêts du Québec à la pièce, sans vue d'ensemble, en prenant en catimini des décisions qui sont cruciales pour l'avenir collectif. Nos gouvernants ont à susciter ce type de débats plutôt qu'à les éviter. Ils ont à cerner les véritables enjeux plutôt qu'à trouver des formules lapidaires pour banaliser des questions aussi fondamentales.

Ah! on nous dira que c'était dans le programme du Parti libéral, comme l'a dit le premier ministre tout à l'heure, mais, M. le Président, le programme du Parti libéral, personne ne l'a vu pendant la campagne. C'était la valse des milliards, l'orgie des promesses. Je suis convaincu qu'avoir présenté cette dimension du programme libéral de façon spécifique et claire à nos concitoyens comme étant un enjeu important, car Dieu sait que c'est un enjeu important pour le Québec, les libéraux auraient dû changer d'attitude s'ils avaient voulu être élus.

Par-delà des intérêts partisans, l'Opposition assumera son rôle dans ce dossier, notamment en exigeant que l'Assemblée en soit saisie car ce n'est pas vrai qu'on va laisser le Parti libéral et ce gouvernement, parce qu'il a une majorité, parce qu'il invoque un programme qu'il a à peine cité pendant son élection, traiter de questions aussi fondamentales sans revenir devant le Parlement. C'est leur devoir de le faire. Le gouvernement précédent qui, Dieu sait, avait subi les foudres et les affres de ce que signifiait le résultat référendaire de 1980, a déposé devant cette Assemblée un projet d'accord constitutionnel aux yeux de tous. Clair, pas à la pièce, avec une vue d'ensemble. Qu'on ne nous renvoie pas à une ligne ouverte de M. Bourassa ou à un extrait de programme d'il y a trois ans ou au livre beige de l'ancien chef du Parti libéral. Qu'on nous produise un document et qu'on le dépose devant l'Assemblée nationale.

Le Parti libéral affirme rechercher la reconnaissance du Québec comme société distincte. Cette reconnaissance par le Canada anglais, pour ne pas être un voeu pieux, doit se traduire, notamment, par la reconnaissance de la primauté des institutions démocratiques du Québec en matière de droits et libertés. Affirmer qu'il revient à nos institutions démocratiques de faire des choix de valeurs que représentent des textes aussi fondamentaux qu'une constitution interne pour le Québec ou une charte des droits et libertés, c'est se porter à la défense de notre système de droit, se porter à la défense de la légitimité de nos institutions parlementaires, car, mesdames et messieurs, vous n'êtes pas ici pour disposer seulement de questions de plomberie. Nous sommes ici pour disposer de valeurs en société et rien de plus clair à l'égard des valeurs qu'une Charte des droits et libertés.

C'est aussi se porter à la défense de l'affirmation de notre spécificité collective, mais surtout, pour nous, c'est d'être animés de la profonde conviction que le peuple du Québec valorise les droits et libertés car, oui, il y a des Canadiens différents, il y a les Québécois, M. le Président.

Des voix: Adopté.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Oui, M. le Président. Le ministre arrive à l'instant même.

Une voix: II est allé se cacher.

Le Président: M. le ministre des Relations internationales et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes,

vous avez la parole.

M. Gil Rémillard

M. Rémillard: M. le Président, nous faisons face cet après-midi à une motion de blâme. L'Opposition blâme le gouvernement d'avoir pris la décision de ne plus utiliser dans ses projets de loi, systématiquement, comme eux le faisaient lorsqu'ils étaient au pouvoir, cette clause "nonobstant", cette possibilité de légiférer à l'encontre de la charte canadienne, qui existe dans la charte canadienne et qu'ils ont utilisée systématiquement dans leurs projets de loi.

On nous blâme donc pour une décision qui a été confirmée formellement par le Conseil des ministres le 5 mars 1986 et qui se lit comme suit: "De ne pas inclure systématiquement dans les lois québécoises une clause les soustrayant de l'application de certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés, étant entendu que le gouvernement du Québec pourra se prévaloir de cette prérogative chaque fois que le dictera l'intérêt du Québec."

C'est pour avoir pris cette décision que, cet après-midi, nous devons débattre une motion de blâme que l'Opposition présente contre le gouvernement.

Il n'est pas toujours facile pour l'ensemble de la population, vous le savez, M. le Président, de comprendre les réels enjeux de cette discussion que nous avons sur un point bien technique, la clause "nonobstant". Qu'est-ce que la clause "nonobstant"? Il faudrait donc faire tout d'abord, si vous me le permettez, un petit historique pour vraiment comprendre ce qu'est cette clause "nonobstant", ce qu'elle signifie, pour ensuite en voir les réelles conséquences et les conséquences de cette décision que nous avons prise formellement au Conseil des ministres le 5 mars dernier, cette décision que nous avons prise, devrais-je dire, dès le premier projet de loi que nous avons présenté comme gouvernement. Nous avons décidé sans aucune hésitation, bien sûr, de ne plus utiliser systématiquement cette clause "nonobstant". (16 h 10)

Pourquoi cette clause dans la charte canadienne? Que vient faire cette charte? Que vient faire cette clause à l'intérieur de cette charte canadienne qui est nôtre depuis le 17 avril 1982, depuis le rapatriement de la constitution? Il faut se rappeler qu'une charte est un élément qui est essentiel au respect de la démocratie d'un État, d'un gouvernement, d'un pays qui se veut vraiment démocrate. Pourquoi? Eh bien, parce que lorsque des hommes, des femmes décident de vivre ensemble parce qu'ils ont des intérêts en commun, parce qu'ils savent qu'ils peuvent partager un bien commun ensemble et décident de former ce qu'on appelle une société, de former un État, de former un gouvernement, ils acceptent, par le fait même, de se départir de leur pleine souveraineté, de leur pleine liberté. Ils ne vivent plus isolément. Ils vivent en société. Ils partagent avec les autres membres de la société des façons d'être, des façons de vivre.

En contrepartie de cet abandon qu'ils doivent faire de leur liberté absolue, ils reçoivent la possibilité de bénéficier des services de la société. C'est ça le fondement de notre vie en société. On accepte de se départir de notre pleine liberté pour, en contrepartie, recevoir les bienfaits d'une société. On forme un gouvernement et on dit à ce gouvernement: Vous allez agir pour que nous puissions former cette société à laquelle nous tendons, cette société, dans notre cas, démocratique, libre, capable d'atteindre les buts communs qu'on s'est fixés.

Mais, nous savons tous qu'il y a des possibilités pour tout organisme, pour toute personne qui exerce un pouvoir d'abuser de ce pouvoir. C'est une vérité que tous les philosophes de tous les siècles, de toutes les périodes, nous ont enseignée: Une personne, un organisme qui a un pouvoir est porté naturellement à vouloir l'augmenter, voire même éventuellement à en abuser de ce pouvoir. C'est dans ce contexte qu'on doit situer une charte des droits et libertés. Ce que font ces gens qui veulent vivre ensemble, ils forment un gouvernement, mais ils disent à ce gouvernement: II y a des droits, il y a des libertés que nous considérons comme essentielles parce qu'elles découlent de notre essence même d'êtres humains, parce qu'elles découlent, fondamentalement, de la façon dont nous voulons vivre en société; et ces droits, ces libertés vous n'aurez pas le droit d'y toucher, ils seront intouchables.

Ce sont nos droits fondamentaux et on inclura, pour être plus certain que le gouvernement respectera cette limite à la possibilité de légiférer, ces droits, ces libertés dans la constitution. Car une constitution, ce n'est pas simplement la structure juridique du pouvoir. Une constitution, c'est un contrat social. C'est le contrat que nous passons ensemble parce que nous voulons vivre ensemble. C'est dans ce contrat social qu'on inclura ces droits, ces libertés que nous voulons intouchables de la part de l'action du gouvernement. C'est donc une pièce maîtresse. C'est donc le fondement de toute démocratie.

C'est ce qui garantit la vie en démocratie. C'est certain que lorsqu'on parle d'une charte des droits et libertés, on parle de limites à la possibilité de légiférer. C'est évident. Cela découle de l'essence même de ce qu'est une charte. Une charte existe pour empêcher les gouvernements d'agir dans certains domaines que les citoyens se

réservent exclusivement. Le droit à la vie. Y a-t-il un droit plus important que le droit à la vie? Le droit à la sécurité de la personne? La liberté de pensée? La liberté de religion? Le droit d'avoir un procès juste et équitable? Le droit d'être entendu d'une façon pleine et entière avant d'être condamné?

Ce sont ces genres de droits qu'on inclut dans une charte des droits et libertés. Mais, évidemment, lorsque l'on vit en société, il y a l'intérêt individuel et aussi il y a ce qu'on appelle l'intérêt de la collectivité. Il se peut que, dans certaines circonstances, il y ait possibilité de conflit entre l'intérêt de la collectivité et l'intérêt individuel. C'est un conflit immanquable.

Dès qu'on accepte le fait qu'il y a une charte, on accepte ce principe qu'il se peut qu'il y ait un conflit à un certain moment donné entre les droits collectifs et les droits individuels. Qui tranchera dans ce conflit? Il y a deux possibilités. Ou bien ce sont les juges, ceux qui normalement tranchent les conflits quand ils arrivent avec les citoyens. Ce sont les juges qui détermineront si c'est l'intérêt collectif qui doit primer l'intérêt individuel ou si c'est le droit individuel qui doit primer l'intérêt collectif, dans certains cas.

Ce n'est pas parce qu'on est dans une situation de guerre qu'on a le droit de torturer les gens. C'est bien évident. Il y a des droits qui sont inaliénables. Il y a des droits qui appartiennent à l'essence même de l'être humain et, peu importent les circonstances, un gouvernement ne peut pas toucher à ces droits aliénables. C'est donc, dans un premier temps, aux tribunaux qu'on s'adressera pour leur demander de trancher ce conflit entre les droits individuels et les droits collectifs.

On connaît leur impartialité. On connaît aussi leur expertise dans ces genres de conflits pour les amener à situer dans son réel contexte social, politique et économique le conflit qui met en cause les droits de la collectivité et les droits individuels. C'est eux qui auront à trancher.

Ou bien l'autre possibilité, c'est de donner au pouvoir politique lui-même la possibilité de trancher ce dilemme des droits collectifs et des droits individuels.

On dit: S'il y a des circonstances, s'il y a des situations où il y a conflit entre les droits individuels et les droits collectifs, ce sera le politique, le gouvernement, le Parlement qui décidera dans ce conflit. C'est une situation qui peut être dangereuse, parce que le Parlement, le gouvernement, se retrouve un peu dans une situation où il est juge et partie. C'est lui qui légifère, sa loi amène un conflit qui implique les droits collectifs et les droits individuels et c'est lui en plus qui décide si c'est la collectivité et les droits collectifs qui doivent l'emporter sur les droits individuels.

C'est donc une situation difficile. C'est pourquoi, dans toutes les chartes au monde, il existe ces genres de possibilité de clauses qui permettent aux gouvernements, aux Parlements, de légiférer pour restreindre, non pas annuler - la distinction est importante; la Cour suprême canadienne a fait cette distinction - un droit. Il ne s'agit pas d'annuler un droit, il ne s'agit pas d'enfreindre un droit, mais il s'agit de le restreindre, parce que les circonstances font que l'intérêt de la collectivité doit primer. (16 h 20)

C'est dans ce contexte qu'on doit situer la clause "nonobsant", dans un contexte où l'intérêt de la collectivité est en cause et doit primer l'intérêt des individus, pas des droits inaliénables, comme le droit à la vie, mais des droits qui peuvent, dans certains cas, sous certains aspects, pour certaines fins, être restreints pour un certain temps, dans des cas limités. C'est ce qu'on appelle des clauses "nonobstant". Ce n'est pas sorcier, c'est comme cela qu'on les appelle ces clauses "nonobstant". Des clauses qui permettent au gouvernement de restreindre les droits individuels parce qu'il y a une situation qui implique l'intérêt de la collectivité qui est en cause. C'est comme cela qu'on s'est retrouvé dans la charte canadienne avec cette clause qu'on appelle la clause "nonobstant". La clause qui permet au gouvernement des provinces et au gouvernement fédéral de légiférer en restreignant les droits fondamentaux qui sont inscrits aux articles 2 et 7 à 15.

Mme la Présidente, j'insiste sur ce point, la clause "nonobstant" ne s'applique pas à l'ensemble de la charte, mais la clause "nonobstant" s'applique aux articles 2 et 7 à 15. C'est un point particulièrement important. L'article 2, ce sont les libertés fondamentales: la liberté de penser, la liberté de croyance, d'opinion, la liberté de réunion pacifique, la liberté d'association. Les articles 7 à 15, c'est le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité de sa personne, le droit à un procès juste et équitable. Voilà les droits qu'on retrouve aux articles 2 et 1 à 15 et qui, par la clause "nonobstant", peuvent être restreints pour permettre à un intérêt de la collectivité de venir s'imposer dans certaines circonstances pour une période de temps déterminée parce que la collectivité l'exige.

Donc, M. le Président, je voudrais quand même bien préciser que cette clause "nonobstant" ne s'applique qu'aux articles 2 et 7 à 15, que les droits linguistiques ne sont absolument pas en cause, que la liberté de circulation de l'article 6 n'est non plus en cause. Ces droits, les droits linguistiques, la liberté de circulation, que le gouvernement péquiste contestait lorsqu'il était au pouvoir, ce n'est pas en utilisant la clause

"nonobstant" qu'il a pu quand même les mettre de côté parce que la clause "nonobstant" ne s'applique pas. La clause "nonobstant" fait en sorte qu'on empêche des droits aussi fondamentaux que le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne, le droit à un procès juste et équitable, le droit à la liberté de penser, de religion.

Mme la Présidente, ce sont ces droits qu'on met de côté par la clause "nonobstant" et ce sont ces droits que le gouvernement péquiste a mis de côté systématiquement en utilisant la clause "nonobstant". Je dois dire aussi qu'une telle clause "nonobstant" existe dans la charte québécoise de la même façon. Dans la charte québécoise il y a une telle clause "nonobstant" comme il y a aussi une clause - et la même chose dans la charte canadienne - qui permet au juge d'apprécier les droits collectifs et les droits individuels et de rendre jugement à savoir si les uns doivent primer les autres. Dans les deux chartes, la charte canadienne et la charte québécoise, on retrouve ces clauses "nonobstant", ces clauses de limitation qui appartiennent au pouvoir judiciaire. Elles sont là pour permettre aux organismes compétents de prendre des décisions dans le meilleur intérêt de la collectivité.

Pour comprendre la réelle signification de notre débat, Mme la Présidente, il faut se référer à un principe vraiment fondamental. Un principe qui n'est contesté par aucun auteur, aucun spécialiste. La Charte des droits et libertés canadienne a une force que la charte québécoise ne peut avoir. Tous les auteurs s'entendent sur ce point. La Cour suprême canadienne l'a confirmé dans plusieurs décisions. C'est un point qui est intouchable. Pourquoi? Parce que la charte canadienne fait partie de la constitution canadienne, ce qui signifie, premièrement, que pour la modifier, il faut utiliser la formule d'amendement qui est incluse dans la constitution elle-même.

Tout à l'heure, le chef de l'Opposition nous disait: Eh oui, elle est bien plus forte parce qu'elle est dans la constitution et, pour la modifier, il faut utiliser la formule d'amendement. C'est terrible, on va être pris avec des décisions qu'on ne pourra plus changer! Mais ce n'est pas terrible, c'est ça qu'on veut. On veut des droits et libertés qui sont inscrits dans la constitution et qui ne peuvent pas être modifiés, être changés au gré d'un pouvoir. C'est pour ça qu'on veut qu'une charte soit dans une constitution, c'est parce qu'on veut justement que ces droits et libertés soient respectés. Ce ne sera pas facile de changer un droit et une liberté inscrits dans la constitution canadienne. Ce ne sera pas facile. Il faut sept provinces totalisant 50 % de la population des provinces. Il faut l'accord du Parlement canadien. Ce ne sera pas facile.

C'est ce qui fait la force de ces droits et ces libertés. Ce droit à la vie, ce droit à la sécurité de la personne que nous avons, ce droit de liberté de pensée, de liberté de religion, nous ne voulons pas qu'ils soient touchés, demain, par un gouvernement qui, tout à coup, déciderait que ces droits et libertés n'ont plus leur raison d'être. C'est pour ça qu'on veut qu'une charte soit incluse dans une constitution et c'est pour ça que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne n'a pas la même force que la charte canadienne, parce qu'elle est une simple loi et qu'il est un principe de notre droit à savoir qu'une loi est toujours amendable par une autre loi. Toutes les lois qu'adopte cette Assemblée peuvent être modifiées par cette Assemblée.

La Charte des droits et libertés de la personne est une loi du Québec, une des lois importantes que nous avons, une loi dont nous pouvons être fiers, mais ce n'est qu'une loi, une loi qui peut être amendée par une autre loi. C'est ce qui fait qu'elle offre moins de garanties que la charte canadienne qui, elle, est dans la constitution canadienne. Bien sûr, M. le chef de l'Opposition l'a mentionné tout à l'heure, on peut penser en termes d'une constitution québécoise. Ce n'est pas la trouvaille du siècle, une constitution du Québec. Cela fait vingt ans, au moins, qu'on parle d'une constitution du Québec. Il y a une quarantaine d'États américains qui ont leur propre constitution.

Ce serait quoi, une constitution du Québec? Ce serait une codification, un contrat social que les Québécois peuvent se donner. Ils peuvent le faire à l'intérieur de la Fédération canadienne, ça ne pose pas de problème, mais même cette constitution demeurerait une loi de cette Assemblée, qu'elle soit approuvée par un référendum populaire ou non. Et la charte qu'on pourrait y inclure pourrait, bien sûr, contenir des restrictions à savoir qu'elle ne pourrait pas être amendée à cause de telle circonstance ou avec une majorité qualifiée. On pourrait tout inclure cela, mais le fond du problème demeurerait parce qu'une constitution du Québec, pour autant que le Québec est une province canadienne, ne pourrait être autre chose qu'une codification, qu'un contrat social que les Québécois voudraient se donner, mais qui n'aurait pas de valeur constitutionnelle au même sens que la constitution canadienne qui, elle, est la seule constitution qui peut être souveraine. S'il y a un spécialiste en droit qui peut me dire le contraire, qu'il vienne me le dire, on va en discuter. (16 h 30)

Donc, il serait intéressant, j'en conviens, d'inclure, éventuellement, une charte québécoise des droits et libertés de la personne dans une constitution du Québec. Une constitution du Québec, ce n'est pas la trouvaille du siècle. Cela fait nombre

d'années qu'on en parle. On peut se donner une constitution comme État fédéré. Cela ne pose pas de difficulté. Mais, lorsqu'on va à Ottawa négocier précisément notre champ de juridiction, qu'on va chercher de nouveaux pouvoirs, est-ce que c'est le temps de commencer à parler d'une constitution du Québec, alors qu'on ne sait même pas exactement quel sera notre champ de juridiction? Cela pourrait venir éventuellement. Mais, même si on incluait une charte des droits et libertés dans la constitution du Québec, elle ne pourrait pas avoir la même force que la charte canadienne. Cela, c'est clair.

Une deuxième conséquence indiquant que la charte canadienne donne plus de garanties, a plus de force que la charte du Québec, c'est ce que nous appelons en droit les règles d'interprétation. Je connais assez les qualités juridiques du chef de l'Opposition pour savoir qu'il sait très bien ce que je veux dire. C'est un point qui est fondamental et qu'il a pu vérifier lorsqu'il était ministre de la Justice. Les tribunaux n'interprètent pas la Charte canadienne des droits et libertés de la même façon que la Charte des droits et libertés du Québec. Pourquoi? Parce que, là encore, on revient à cette distinction: la Charte des droits et libertés du Québec est une loi. Donc, les tribunaux, pour l'interpréter, doivent prendre des règles d'interprétation législative. Qu'est-ce que c'est que ces règles d'interprétation législative? C'est facile à comprendre. Dans notre droit, cela signifie que le juge doit scruter la loi et y chercher l'intention du législateur. C'est cela, notre règle d'interprétation. Lorsqu'on se présente devant le juge, qu'on a un conflit avec notre voisin au sujet de l'interprétation d'une loi, le juge va essayer de trancher. Le premier moyen juridique qu'il a pour trouver la solution sera d'examiner le texte de la loi et de dire ce que le législateur a voulu dire, ce qu'il a voulu signifier. C'est cela, l'interprétation législative. C'est complètement différent lorsqu'on parle de l'interprétation constitutionnelle. Lorsqu'il s'agit d'interpréter une disposition constitutionnelle comme la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux se réfèrent à des règles que nous appelons d'interprétation large et généreuse, pour favoriser les droits des individus. La règle de base pour interpréter la Charte des droits et libertés de la constitution - et la Cour suprême l'a confirmé dans les quelque douze ou quinze décisions qu'elle a rendues à ce jour sur la Charte des droits et libertés; elle l'a confirmé dans à peu près chacune de ces décisions - c'est que la cour doit donner une interprétation large et généreuse en fonction des droits et des libertés des individus. Ce qui donne le résultat que le professeur Brun, éminent constitutionnaliste de l'Université Laval, un ancien collègue pour lequel j'ai énormément de respect, mentionnait justement dans le journal Le Soleil de la semaine dernière que, maintenant que nous n'utilisons plus la clause "nonobstant", on pourrait faire appel à la Charte canadienne des droits et libertés pour faire déclarer inconstitutionnelle la loi ou la disposition administrative qui fait que les jeunes assistés sociaux de moins de 30 ans et ceux de plus de 30 ans n'ont pas le même montant d'argent. Ah! Tiens, la trouvaille! Dans un premier temps, on dit: La charte québécoise couvre tout, pas de problème. Pourquoi a-t-on besoin de la charte canadienne? Et tout à coup, on dit: Ah! Magnifique! Maintenant que ce gouvernement n'utilise plus systématiquement la clause "nonobstant", on pourra contester cette situation et voir à l'application d'un principe d'égalité. C'est une possibilité.

Mais ce sur quoi je veux insister, c'est de voir, en pratique, les conséquences du fait de ne plus utiliser systématiquement la clause "nonobstant". Pour les clauses qui regardent l'égalité, par exemple, l'égalité des femmes dans cette société, nous, du gouvernement libéral, avons pris l'engagement ferme de donner aux femmes les mêmes droits que les hommes dans cette société. Il n'y a pas meilleure garantie, une garantie quasi absolue de ce droit des femmes, des Québécoises à l'égalité dans cette société, que cette garantie que nous retrouvons à l'article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés et qui a été incluse à la demande expresse des femmes pour garantir leurs droits et leurs libertés, pour garantir leur droit à l'égalité dans notre société. Il n'y a pas de meilleure garantie dans aucune loi provinciale. Il y a des programmes d'égalité dans la Charte des droits et libertés du Québec, mais ils ne peuvent offrir la même garantie que cette clause que nous retrouvons dans la constitution canadienne.

Bien sûr, tout cela signifie que les juges ont à interpréter notre société; oui, c'est vrai, ils ont à le faire avec la charte québécoise comme avec la charte canadienne. Le chef de l'Opposition a dit: Ce sont les règles du "common law" qui viendront s'appliquer au Québec; on prendra des principes de jurisprudence établis pour le reste du Canada pour les établir ici, au Québec. Le chef de l'Opposition a été ministre de la Justice. S'il n'a pas eu le temps de pratiquer comme avocat, comme ancien ministre de la Justice, je crois qu'il peut réaliser, que ce soit sous la charte québécoise ou sous la charte canadienne, que le processus judiciaire est le même. La charte québécoise offre une possibilité, bien sûr, d'aller à la commission, mais si vous voulez faire valoir un droit, s'il y a un droit que vous considérez avoir s'il y a un droit qui est enfreint par une disposition

législative que vous voulez contester devant les tribunaux, vous allez devant un tribunal. Que ce soit un droit que vous trouvez dans la charte québécoise ou dans la charte canadienne, vous devez procéder de la même façon; il n'y a pas deux systèmes judiciaires, il n'y a qu'un système judiciaire au Canada. Vous allez vous adresser à un juge de première instance, à la Cour supérieure, ensuite, vous pourrez aller à la Cour d'appel et ensuite, sur permission, vous pourrez aller à la Cour suprême du Canada.

Mais qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que, que ce soit sous la charte québécoise ou que ce soit sous la charte canadienne, c'est la Cour suprême, en dernier lieu, qui a le mot de la fin. Y a-t-il quelque chose d'odieux dans cela? Absolument pas. Bien sûr, nous n'avons pas tous les moyens que nous réclamons. D'ailleurs, c'est une demande constitutionnelle que nous allons faire formellement très prochainement, Nous n'avons pas les moyens, comme province, de dire le mot que nous devrions avoi- à dire sur la nomination des juges de la Cour suprême, mais cela vaut autant pour la charte du Québec que pour la charte canadienne. Il n'y a pas un processus judiciaire spécial en instance d'appel pour la charte québécoise, c'est la même chose. C'est la Cour suprême qui établit le droit. Est-ce que la Cour suprême établira ce droit sans prendre en considération les spécificités locales, la façon de vivre locale, selon les régions, selon les provinces canadiennes? (16 h 40)

Mme la Présidente, c'est évident qu'il y a différentes façons de voir les choses dans ce pays, dans le Canada. Prenons un exemple très simple: les films. Il y a des films qui sont censurés dans une province canadienne, en Ontario, par exemple, et qu'on peut voir ici, dans nos cégeps, au Québec. L'exemple que tout le monde connaît, c'est le film sur la pornographie réalisé par l'ONF, qui a été censuré en Ontario et qu'on montre ici dans nos cégeps. On n'est pas plus mauvais ou meilleurs que les autres mais, pour nous, cela ne cause pas de difficultés. Dans d'autres circonstances, cela pourrait être l'inverse. C'était le cas du film "The Last Tango in Paris" qu'on pouvait voir d'une façon très libre ici, au Québec, alors qu'il était censuré au Nouveau-Brunswick. Dans l'affaire McNeil, justement, la Cour suprême a dit: Pour rendre une décision comme celle-là, il faut laisser la possibilité d'apprécier les valeurs locales.

De toute façon, faisons l'exercice d'une requête d'une instance judiciaire en fonction d'un droit qu'on veut faire respecter pour voir à quel résultat on en arrivera. Vous avez un exemple particulièrement intéressant ces jours-ci sur ce plan-là: l'affichage bilingue, dans les deux langues, concernant l'application de la loi 101. Voilà un droit, qu'on se réclame de la charte québécoise ou de la charte canadienne, mais voilà un droit qui a été tout d'abord interprété par deux juges de la Cour supérieure qui en sont d'ailleurs arrivés à deux décisions contradictoires. Deux juges de la Cour supérieure se prononcent sur ce cas-là. Ensuite, on va en appel, où la cause est actuellement discutée, où cinq juges de la Cour d'appel se prononceront sur ce cas. Et si on décidait de vouloir aller à la Cour suprême et si celle-ci accordait la permission de plaider la cause devant elle, il y aurait neuf juges, puisque la Cour suprême est composée de neuf juges, dont trois sont des juges québécois. Faites le décompte comme moi, Mme la Présidente. Cela veut dire que dix juges de formation civiliste, pour reprendre l'expression du chef de l'Opposition, dix juges du Québec comparativement à sept juges de "common law" se seront prononcés sur cette cause-là.

Lorsque la Cour suprême entend une cause, elle se réfère au dossier, à la preuve qui a déjà été faite en première instance. Les tribunaux de première instance jugent justement en fonction de ce contexte social, politique, culturel qui est propre aux provinces. Comment peut-on venir dire que la Cour suprême interprétera, en devenant le grand interprète de la société, sans tenir compte de la spécificité des provinces canadiennes, à l'encontre de toute la jurisprudence que nous avons jusqu'à présent sur cette Charte canadienne des droits et libertés que nous avons?

Mme la Présidente, c'est certain, là encore, que lorsqu'on accepte une charte, lorsqu'on accepte de mettre dans une charte les droits et libertés, on accepte de limiter la capacité législative, la possibilité pour les Parlements de faire des lois. Mais c'est fait pour cela une charte, pour limiter la possibilité des Parlements de faire des lois. C'est pour cela qu'on fait des chartes, pour se protéger contre des abus possibles du pouvoir, pour se protéger contre des lois qui pourraient aller à l'encontre de certains droits qu'on considère comme essentiels à notre dignité humaine, à notre façon d'être dans une société.

C'est bien certain qu'une charte des droits et libertés restreint les possibilités de législation, mais pour nous, du gouvernement, c'est le but que nous recherchons parce que nous voulons que les citoyens qui vivent en société au Québec aient un maximum de protection pour leurs droits fondamentaux. Le fait qu'on limite la capacité de législation ne fait que renforcer ces droits et ces libertés que chacun et chacune d'entre nous avons. Pour nous, Mme la Présidente, l'homme, la femme, ne sont pas au service de l'institution, de l'État, mais c'est l'État, c'est l'institution qui est au service du citoyen. Pour nous, la souveraineté, ceux qui

sont souverains, c'est le peuple. Ce sont les Québécois et les Québécoises qui sont souverains. Ce sont eux qui nous délèguent des mandats de venir ici à l'Assemblée, de faire des lois et de faire des règlements pour les gouverner, mais avec cette restriction, dans une charte des droits, de limiter nos possibilités d'agir parce que certains droits et certaines libertés sont intouchables, et c'est ce que nous respectons.

Bien sûr, il y aura des possibilités de restriction législative, mais c'est dans la mesure où nous acceptons qu'une charte existe qu'il doit y avoir restriction législative, et cette restriction législative existe autant avec la charte québécoise qu'avec la charte canadienne. La différence, c'est que la charte canadienne a une meilleure garantie que la charte québécoise. Mais qu'on ne vienne pas nous dire que, parce qu'on a une charte canadienne, on limite la capacité de législation de l'autorité législative du Québec, qu'on met en cause la spécificité québécoise, qu'on met en cause l'identité du peuple québécois.

Mme la Présidente, en parlant de reconnaissance de la spécificité du peuple québécois, en parlant de l'identité que nous avons, nous, comme Québécois et Québécoises, je me permets de rappeler que nous allons vivre, dans les prochains jours, un anniversaire. Nous allons vivre un anniversaire qui fait date dans l'histoire politique du Québec, un anniversaire triste, Mme la Présidente, très triste. Ce gouvernement qui refuse la Charte canadienne des droits et libertés au nom de la spécificité des Québécois, au nom du peuple québécois, eh bien, c'est ce gouvernement, le 16 avril 1981, qui a signé un document que jamais un gouvernement québécois n'aurait pu voter, un document que l'histoire va juger sévèrement - jamais il n'y a eu de tel précédent dans notre histoire politique - un document qui fait du Québec une province comme les autres. Ce sont ces gens qui viennent nous dire: Non, on ne veut pas de la protection de la constitution canadienne pour les droits et libertés des Québécois et des Québécoises parce que nous, nous voulons la spécificité du Québec. Nous voulons l'identité du peuple québécois. (16 h 50)

Nous, nous la voulons cette spécificité. Nous la voulons cette reconnaissance du peuple québécois. Nous allons la demander et nous allons l'exiger du gouvernement fédéral, des autres provinces. Nous allons la faire inscrire dans le préambule de la constitution canadienne. Nous n'allons pas la sacrifier comme ils l'ont fait, trois jours après avoir reçu un deuxième mandat du peuple québécois, signer un document que jamais, dans toute l'histoire du Québec, un gouvernement aurait pu penser signer, faire du Québec une province comme les autres. Ce sont ces gens qui veulent nous donner des leçons, maintenant, de respect de la spécificité du peuple québécois.

Nous sommes des Québécois, nous. Nous sommes des Québécois fiers de l'être. Nous sommes profondément, du fond de notre âme, des Québécois heureux de notre spécificité, heureux de notre identité. Nous promettons devant cette Chambre, nous repromettons de ne jamais sacrifier les droits historiques du Québec pour des négociations constitutionnelles qu'on voudrait faire, ce qu'a fait le Parti québécois lorsqu'il formait le gouvernement de cette province. Jamais nous n'accepterons de prendre en otage les Québécois, les Québécoises pour des négociations constitutionnelles avec le gouvernement fédéral. Jamais! On vient, dans cette motion de blâme, nous dire que c'est une démarche, une décision politique de ne plus utiliser cette clause "nonobstant" qui est improvisée, qui met en cause le succès de nos relations de discussions avec le gouvernement fédéral et les autres provinces pour rendre acceptable cette Loi constitutionnelle de 1982 que nous n'acceptons pas, qu'aucun gouvernement québécois ne pourra accepter dans sa formule actuelle.

J'arrive, il y a à peine quelques heures, d'une conférence fédérale-provinciale sur les autochtones à Ottawa. Nous avons accepté de participer à cette conférence, étant donné notre attachement aux droits fondamentaux, étant donné l'importance que nous accordons au respect des droits ancestraux des autochtones du Québec. J'ai bien mentionné, au nom du gouvernement québécois, que notre participation se faisait strictement en fonction de ces objectifs de reconnaître des droits qui doivent appartenir au peuple autochtone, que cela ne signifiait en rien notre acceptation de la Loi constitutionnelle de 1982. Au contraire, j'ai rappelé que cette constitution de 1982 était inacceptable pour nous. Nous allons négocier de bonne foi avec le gouvernement fédéral, avec les autres provinces parce que nous devons avoir aussi l'assentiment des autres provinces pour la changer et la rendre acceptable pour tous les Québécois et pour toutes les Québécoises.

En quoi avoir accepté d'inclure une clause "nonobstant" et priver les Québécois et les Québécoises de leurs droits fondamentaux pendant cinq ans, en quoi cela a-t-il pu donner une meilleure approche dans les négociations constitutionnelles? Comment expliquer une telle situation? Ce qui est important dans notre contexte à nous, ce qui nous apparaît comme essentiel à nous du gouvernement du Québec, c'est que nous puissions faire reconnaître ces droits du Québec à être reconnu comme une société distincte, à ce que nous puissions avoir la possibilité de participer à la nomination des juges de la Cour suprême, à ce que nous

puissions avoir cette compétence en matière d'immigration, à ce que nous puissions avoir ces droits dont nous avons besoin pour nous exprimer comme société distincte pour faire en sorte que nous puissions prendre notre place dans la fédération canadienne.

L'argumentation du chef de l'Opposition, qu'est-ce qu'elle signifie? Elle signifie qu'on revient à ce nationalisme xénophobe replié sur lui-même des années cinquante, des années de la noirceur. Souvenons-nous de l'affaire Roncarelli, ce monsieur dans les années cinquante, restaurateur à Montréal, témoin de Jéhovah, dont le premier ministre du Québec d'alors, M. Duplessis, avait enlevé le permis de boisson, qui a contesté jusqu'en Cour suprême cette situation discriminatoire qu'on lui causait et qui a eu gain de cause.

Pendant toute cette période des années cinquante, c'est de fait la Cour suprême - je voudrais bien que quelqu'un puisse le nier -canadienne qui est venue garantir des droits et des libertés pour tous les Québécois et toutes les Québécoises, les droits à la liberté de pensée, les droits à la liberté d'association, les droits à liberté de religion. On ne veut plus revenir à ces années de noirceur. Il a fallu le gouvernement libéral de la révolution tranquille des années soixante pour voir enfin une époque nouvelle, pour voir enfin une société démocratique, pouvoir s'affirmer.

Notre nationalisme à nous, Mme la Présidente, c'est un nationalisme en fonction de nos racines comme francophones. Nous sommes fiers d'être des Québécois. Nous allons exprimer notre nationalisme, notre façon d'être, notre spécificité, par notre compétence, par notre excellence. C'est cela que nous voulons donner à nos jeunes, non pas une situation qui fait d'eux, finalement, des Québécois restreints à considérer l'État comme la seule chose qui pourrait les protéger. Non, des gens fiers d'être des Canadiens et d'être Québécois et fiers d'exprimer partout au monde leur excellence, leur compétence dans leur domaine.

Mme la Présidente, on nous dit que nous avons agi d'une façon improvisée. Pendant tout le temps où le Parti libéral faisait l'opposition, était de l'Opposition de cette Chambre, toutes les fois qu'on a inclus, que le gouvernement péquiste a inclus dans les lois du Québec cette clause "nonobstant", le Parti libéral, l'Opposition libérale, s'y est opposée vigoureusement.

En campagne électorale, j'ai fait personnellement campagne sur ce point partout au Québec. Le premier ministre du Québec a fait campagne partout au Québec sur ce point aussi. Nous avons dit aux Québécois, aux Québécoises: Vous êtes moins bien protégés que les autres Canadiens quant à leurs droits fondamentaux. Il est temps que cela change. Quand nous serons au pouvoir, cela va changer. C'est ce qui s'est passé dès que nous sommes arrivés au pouvoir, dès notre premier projet de loi.

Cette clause "nonobstant" est disparue. C'est ce que nous avons fait. Et tout à coup, les gens de l'Opposition en font un plat: Vous avez sacrifié la spécificité du Québec. Vous allez faire en sorte que la Cour suprême vienne nous interpréter notre droit en fonction des principes de "common law".

Mme la Présidente, il n'y a aucun de ces arguments qui se tienne, ni en droit, ni certainement pas en tactique politique. Ce ne sont certainement pas les amis d'en face qui vont venir nous donner des leçons de tactique politique pour aller négocier avec le gouvernement fédéral et les autres provinces. Certainement pas! Nous aurons besoin de leurs conseils. 3e sais que le chef de l'Opposition peut nous donner de judicieux conseils en vertu de ses qualités de juriste. J'ai eu l'occasion de discuter, à plusieurs reprises, avec lui bien amicalement. Cela a toujours été pour moi un plaisir, parce que je sais que nous pourrons avoir dans cette Chambre de bons débats ou qu'à l'extérieur de cette Chambre, nous pourrons discuter ensemble pour essayer de trouver les meilleures formules, bien sûr, pour faire en sorte que les Québécois et les Québécoises aient les meilleures garanties, que cette entente constitutionnelle que nous allons négocier soit la meilleure possible. Je compte sur la collaboration du chef de l'Opposition et tous ses collègues, mais, dans ce dossier, il n'y a aucun argument qui, juridiquement, se vérifie. (17 heures)

Mme la Présidente, quant à l'argument politique, notre décision de ne plus utiliser la clause "nonobstant" ne préjudicie absolument rien aux négociations constitutionnelles que nous aurons avec le gouvernement fédéral et les autres provinces. Ce sont deux choses complètement différentes. On nous dit: Vous n'aviez pas le mandat de ne plus utiliser cette clause "nonobstant". Tout d'abord, je dis au chef de l'Opposition: Aviez-vous le mandat de l'utiliser systématiquement, cette clause "nonobstant", dans tous les projets de loi? Aviez-vous le mandat de priver les Québécois et les Québécoises de leurs droits fondamentaux? Aviez-vous une décision du Conseil des ministres en ce sens?

Mme la Présidente, en terminant, je voudrais assurer cette Chambre, assurer tous les Québécois, toutes les Québécoises que jamais nous ne renoncerons à faire reconnaître dans la constitution canadienne les droits et libertés qui leur reviennent comme citoyens québécois, comme citoyens canadiens, jamais. Jamais nous n'accepterons d'utiliser les citoyens québécois comme des otages de négociations constitutionnelles que nous pourrons avoir à Ottawa et dans les

autres provinces.

Je peux m'engager, au nom de ce gouvernement, à ce que les négociations constitutionnelles que nous allons avoir dans les jours prochains, dans les semaines prochaines, soient faites de bonne foi pour reconnaître les droits fondamentaux des Québécois, des Québécoises et pour reconnaîre la spécificité du Québec et le droit que nous avons à la place qui nous revient dans cette fédération, la Fédération canadienne. Mais nous ne le ferons jamais sur le dos des Québécois et des Québécoises. Nous le ferons de bonne foi, en respectant leurs droits fondamentaux et en faisant en sorte que nous puissions signer dans la dignité, dans l'honneur, cette constitution de 1982 et ses droits, ses pouvoirs que nous aurons pour faire en sorte que le Québec puisse exprimer dans sa plénitude sa spécificité. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, M. le ministre des Relations internationales et délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. M. le député de Saint-Jacques.

M. André Boulerice

M. Boulerice: Mme la Présidente, je pense qu'il faut que les Québécois le sachent, c'est de l'improvisation constitutionnelle. Cela se dit, cela se parle et cela s'écrit déjà. Quand le plus grand quotidien français d'Amérique titre en page éditoriale "De l'improvisation constitutionnelle", c'est qu'il y a passablement de Québécois et de Québécoises au Québec qui partagent cette opinion.

Mme la Présidente, sur un sujet d'une telle importance pour le Québec, ce qui est le plus scandaleux, c'est l'absence de débat et l'absence de consultation. Son caractère improvisé ressort dans le fait même que l'annonce a été faite par une entrevue journalistique. Un peu plus et on assistait au jeu des cassettes qu'on a si bien connu entre 1970 et 1976. Je pense que c'est présumer de l'intelligence des Québécois de pouvoir faire un débat et de juger les opinions qui peuvent s'exprimer.

C'est doublement improvisé, Mme la Présidente. On retire le "nonobstant" le 26 février et, comme le rappelait mon collègue de Lac-Saint-Jean ce matin, l'annonce officielle du Conseil des ministres date du 5 mars, huit jours plus tard. Le ministre capitulard n'a pas répondu à la question qu'on lui a posée: Est-ce qu'on a voulu couvrir par sanction officielle un ministre imprudent qui met en péril les droits du Québec ou était-ce encore, ce qu'on présume de nouveau puisqu'on a assisté à la session du mois de décembre, de l'improvisation?

C'est prématuré et ça met en péril les droits du Québec. Même le ministre a longuement péroré là-dessus avec une vision très théorique, style salle d'école. C'est prématuré parce que les négociations constitutionnelles ne sont pas amorcées et qu'on ne connaît pas les éléments importants de cette négociation qui sont, premièrement, le rôle du Québec dans la nomination des juges. C'est beau, son modèle théorique, mais on ne connaît pas le rôle du Québec dans la nomination des juges, notamment ceux de la Cour suprême. On ne connaît pas l'acceptation ou le refus par le Canada anglais de l'inclusion dans la constitution du caractère distinct du Québec et surtout de son libellé exprès. On ne connaît pas encore, ce qui rend cela doublement imprudent et improvisé, les conditions qui pourraient rendre acceptables le "Canada Bill" pour le Québec. Même le ministre capitulard l'admettait.

M. le Président, nous, on connaît les conditions qui rendraient acceptable le "Canada Bill" pour le Québec. Mais pour ce qui est du gouvernement libéral, c'est flou. Il y a d'abord le discours du premier ministre, puis, tantôt, il y a le programme du Parti libéral. Ce beau programme du Parti libéral a été tellement noyé dans les promesses qu'on ne sait pas ce qui est crédible en matière constitutionnelle. C'est improvisé. Il n'y a pas de débat et on ne voulait pas de débat; surtout, il n'y a pas de garantie pour le Québec. Si le gouvernement du Parti libéral n'était pas si pressé de jouer au bulldozer législatif! Pendant toute la campagne électorale, il y a eu des engagements, et là on retarde les projets de loi sur les engagements électoraux, mais sur ce point, contrairement à ce qu'affirme le ministre des Relations internationales, on a peu discuté pendant la campagne électorale, mais il y a urgence et on se sent pressé d'agir.

Si, au lieu de jouer au bulldozer, le gouvernement et le ministre se mettaient à réfléchir, ils trouveraient d'autres solutions. Des solutions, on est prêt à en proposer. Sur l'élaboration d'une constitution du Québec, dans une édition du Devoir, M. le député de Jean-Talon était d'accord. Donc, l'élaboration d'une constitution du Québec, avec l'intégration de notre charte à l'intérieur.

Deuxième suggestion, des mesures de resserrement pour rendre plus formel tout amendement possible à notre charte. Par exemple, notre charte, incluse dans notre constitution, ne pourrait être modifiée qu'à la condition que les deux tiers des membres de l'Assemblée nationale se prononcent dans deux prises en considération du gouvernement en douze mois. L'envie de trafiquer la charte devient très difficile, voire quasi impossible. Pour rendre une sécurité juridique "sécurité" est un terme familier au gouvernement libéral - à notre propre législation, nous n'avons qu'à codifier

certains droits et libertés. Cela permettrait justement au gouvernement d'apporter un menu législatif plus consistant que celui qu'il nous apporte depuis les journées où on siège dans ce Parlement.

Cela aurait pu être un mandat d'initiative possible pour la commission des institutions, mais quand on regarde les lois du ministère du Revenu, les décisions du "nonobstant", j'ai l'impression que le Parlement, l'Assemblée nationale, la démocratie, les débats, c'est gênant pour le gouvernement libéral. Le gouvernement libéral a préféré jouer dans la noirceur du "bunker" probablement, dans l'improvisation et surtout dans le risqué de sa décision. Et lui qui parle de sécurité, sécurité culturelle! (17 h 10)

Dans mon premier discours, je vous disais que je m'inquiétais de ce gouvernement en matière culturelle. Je m'inquiète de ce gouvernement en matière constitutionnelle. Le seul mot qu'on a à la bouche, c'est "Ottawa". On attend la politique sucrière d'Ottawa, on attend d'aller à la conférence à Ottawa. C'est seulement Ottawa qui compte. La démocratie, cela peut se vivre au Québec. La visibilité, cela peut se faire au Québec. Le débat public peut se faire au Québec. La franchise peut s'exprimer et s'exercer au Québec. Je sais qu'il y a d'autres intervenants qui veulent parler de ce dossier. Quant à la loi du "nonobstant", compte tenu de ce que j'ai vécu de 1970 à 1976 en observant le gouvernement actuel qui était là, je suggérerais un libellé qui lui convient très bien. Appelons donc la loi du "nonobstant" la loi des mesures de naguère. Cela correspond bien au gouvernement libéral. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Saint-Jacques. M. le ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Merci, Mme la Présidente. En ma qualité de membre du gouvernement, j'ai participé à la décision qui a été prise concernant ce qu'il est convenu d'appeler la clause "nonobstant". Je n'ai aucunement à rougir de cette décision. Je l'assume pleinement. Je suis même fier d'y avoir été associé car c'est une décison qui permettra à nos concitoyens du Québec de disposer d'une protection beaucoup plus forte dans la libre jouissance de leurs droits fondamentaux.

En vertu de l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, le Parlement d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que ladite loi aura effet indépendamment des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. L'ancien gouvernement avait, on s'en souvient, décidé de se prévaloir systématiquement, à temps et à contretemps, qu'il eût de bonnes raisons de le faire ou qu'il n'en eût point, de cette clause dérogatoire. Le nouveau gouvernement du Québec a plutôt décidé de ne recourir à cette clause d'exception que lorsque l'intérêt du Québec le rendra nécessaire. Entre ces deux attitudes, il y a une profonde différence de philosophie politique. Permettez que je vous explique en quoi consiste cette différence, à mon humble point de vue.

Tout d'abord, je voudrais dissiper une équivoque qu'entretient systématiquement l'Opposition. Devant la décision qu'a prise le gouvernement, les porte-parole de l'Opposition se sont déclarés surpris, voire scandalisés. Cette réaction scandalisée n'est, hélas, à mes yeux que mascarade malhabile. Si l'Opposition veut en effet se souvenir de ce qui s'est dit dans cette Chambre au cours des dernières années, elle se rappellera très bien que, dès les débats qui précédaient l'adoption de la loi 62, au printemps de 1982, le Parti libéral du Québec, par ses représentants en cette Chambre, tint à se dissocier formellement de l'attitude de bouderie systématique que cherchait à propager le gouvernement de l'époque autour de la Charte canadienne des droits et libertés. Non seulement avons-nous alors exprimé fermement notre opposition à la ligne de conduite que préconisait le Parti québécois mais, chaque fois que l'ancien gouvernement a voulu insérer sans raison la clause "nonobstant" dans ses projets de loi, nous avons clairement affirmé que nous étions opposés à cette manière d'agir. Loin de trahir nos idéaux et les intérêts du peuple québécois, nous sommes donc logiques avec nous-mêmes et fidèles à notre propre tradition en refusant de nous laisser encarcaner dans la ligne étroite, mesquine et réductrice que voudrait nous voir perpétuer l'Opposition. Je rappelle d'autant plus volontiers ces antécédents pourtant bien connus que, chaque fois que nous nous sommes opposés dans cette Chambre et en commission parlementaire - combien de fois avons-nous dû le faire - à l'emploi de la clause "nonobstant", nous l'avons fait en nous appuyant sur des arguments raisonnables, solides, honnêtes auxquels les porte-parole du Parti québécois n'ont jamais été capables d'apporter des réponses satisfaisantes. La seule réponse dont on puisse se souvenir au bout de la ligne, c'est qu'on nous disait: Vos juges de la Cour suprême, ce sont des juges à majorité anglophone, nous n'avons pas confiance. C'est évident que, quand on raisonne comme cela, il n'y a plus rien à faire.

Nous étions opposés, Mme la Présidente, et nous le sommes toujours, a la manière unilatérale et inacceptable pour le Québec dont a été adoptée par le Parlement

fédéral et les autres provinces la Loi constitutionnelle de 1982. Nous étions également opposés à la manière inqualifiable dont le gouvernement du Parti québécois a abandonné nos droits les plus sacrés en apposant furtivement sa signature le 16 avril 1981 sur une formule d'amendement qui ne disait pas un seul mot, ni de la dualité linguistique et culturelle du Canada, ni du caractère propre du Québec, et qui fut d'ailleurs signée par le chef d'un gouvernement péquiste sans que l'Assemblée nationale ait été consultée, ni même informée, de ce à quoi il nous engageait. René Lévesque était son nom. Et vous faisiez partie du gouvernement qui a consenti cette manoeuvre, M. l'ancien ministre de l'Agriculture.

Nous oeuvrerons de toutes nos forces à réparer l'affront historique qui a été fait au Québec en 1982, en tentant de négocier une nouvelle entente constitutionnelle à la lumière des conditions précises que nous avons clairement définies dans notre programme politique et qui incluent, notamment, une révision de la formule d'amendement constitutionnel, dont vous êtes en très grande partie les parents illégitimes, une participation du Québec à la nomination des juges de la Cour suprême, une meilleure définition du pouvoir fédéral de dépenser, la reconnaissance des droits du Québec en matière d'immigration et de culture.

Mais, en attendant l'aboutissement de ces négociations à venir, nous devons faire dès maintenant des choix concrets qui soient les plus avantageux possible pour la population du Québec. Déjà, plusieurs parties de la Loi constitutionnelle de 1982, notamment, les dispositions relatives aux droits linguistiques, ont bel et bien force de loi au Québec, à l'heure actuelle, ainsi qu'en ont décidé les tribunaux. Il en va de même des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 relative à la formule d'amendement, relative aux peuples autochtones, à la péréquation et aux inégalités régionales ainsi qu'à la tenue obligatoire de conférences constitutionnelles périodiques. On peut mettre en doute la légitimité politique de ces dispositions, mais sur leur validité constitutionnelle, il n'existe par contre guère de doute dans les milieux informés.

La Loi constitutionnelle de 1982 est donc en vigueur au Québec, que nous aimions cela ou non. Loin d'être étrangère à ce fait, la faiblesse de l'ancien gouvernement en a été, au contraire, largement responsable. Si nous voulons redresser la situation et modifier la Loi constitutionnelle de 1982, c'est sur le plan politique que nous devrons agir. Le problème que nous devons trancher, en relation avec la motion soumise par l'Opposition, se ramène à ceci. Vu que nous pouvons, par l'article 33 de la charte canadienne, soustraire nos lois québécoises à l'application de cette charte, y a-t-il lieu pour l'Assemblée nationale de le faire d'une manière systématique et continue? Et quelles peuvent être les conséquences de nos décisions? Voilà les vraies questions que nous devons nous poser.

Ces questions doivent être abordées sous deux aspects, soit sous l'angle des droits de la personne et, ensuite, sous l'angle des droits de l'Assemblée nationale et du peuple québécois. Sous chacun de ces deux aspects, la réponse qu'offre le gouvernement est, à mon sens, nettement supérieure à celle que propose l'Opposition. Sous l'angle des droits individuels des citoyens, on peut toujours dire qu'en gros - et le ministre des Affaires intergouvernementales en a fait la démonstration tantôt - la Charte québécoise des droits de la personne offre les mêmes droits que la charte canadienne et qu'il n'y aurait pas de mal, en conséquence, à décider que les articles 2 à 15 de la charte canadienne ne s'appliqueront pas aux lois adoptées par l'Assemblée nationale à compter de maintenant. (17 h 20)

Le raisonnement est celui-ci: Si les deux chartes disent la même chose, appliquons la charte québécoise et ne nous occupons point de l'autre. C'est la position de nos amis du Parti québécois. Or, raisonner ainsi, c'est faire abstraction de plusieurs avantages indéniables qui découlent, pour les citoyens du Québec, de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette charte offre en effet à nos citoyens une protection plus solide et plus efficace que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et voici, rapidement, pourquoi.

D'abord, la charte canadienne est une charte constitutionnelle et non pas une simple charte législative. La charte québécoise, si excellente soit-elle dans son contenu objectif, est une charte législative. C'est une loi de l'Assemblée nationale susceptible d'être modifiée n'importe quand, au gré d'une simple majorité de députés. Nous autres, les anciens dans cette Chambre, nous avons le souvenir d'une certaine loi 111 qui fut adoptée par la majorité péquiste à l'époque et qui rayait d'un trait de plume des droits fondamentaux d'association, de libre négociation, de réunion des citoyens de cette province pour des raisons que nous avons toujours mises en doute. C'est un exemple de choses qui peuvent arriver. On l'a fait dans ce cas-là. Nous autres, de ce côté-ci, nous pourrions être tentés de le faire également devant une situation qui ne ferait pas notre affaire, mais sous l'empire de la charte canadienne des droits, nous ne pourrions pas faire de choses comme celle-là, parce que c'est beaucoup plus astreignant pour celui qui doit faire des lois et pour celui qui doit les appliquer. C'est la première différence qui doit être soulignée

et rappelée à temps et à contre-temps.

La deuxième différence, c'est la protection du pouvoir judiciaire que vient nous offrir la charte canadienne des droits. La charte canadienne des droits a enlevé des droits à l'Assemblée nationale. Il y a bien des choses qu'on pouvait faire avant l'avènement de la charte canadienne des droits que nous ne pouvons pas faire avec autant de liberté maintenant. C'est vrai, mais si on me dit que j'ai une charte canadienne qui restreint la liberté du législateur québécois de faire des folies avec la liberté d'association, avec la liberté de presse, avec la liberté de religion, je pense que c'est une restriction salutaire pour le bien général. Peut-être pas pour mon orgueil de législateur ou de ministre. Peut-être que j'aimerais mieux avoir plus de pouvoirs dans les mains, mais la sagesse collective a décidé que mieux valait restreindre mes pouvoirs et j'accepte cette restriction parce que je soutiens, Mme la Présidente, que gouverner c'est agir dans la retenue, agir dans la contrainte également qui nous est imposée par la primauté des droits des citoyens sur les prérogatives des gouvernants.

J'ajoute enfin, en toute justice, que la charte canadienne, dans son contenu - vous ne parlez jamais du contenu de la charte canadienne de l'autre côté, cela vous gêne -est une charte judicieuse, éclairée, équilibrée, dont tous les experts considèrent à juste titre qu'elle est l'un des meilleurs documents du genre au monde. Loin d'en être gênés, nous avons toutes les raisons d'en être fiers comme citoyens du Québec et comme citoyens du Canada. C'est un document civilisé qui est à l'honneur de ce pays. Il tombe sous le sens que les citoyens du Québec seront mieux protégés en matière de droits fondamentaux si l'Assemblée nationale n'applique pas systématiquement la clause dérogatoire que si elle l'applique à toutes les sauces, à tous les vents, sans aucune considération des objets visés ou de la nature des lois concernées.

J'ajoute une parenthèse. Vous savez très bien qu'un jugement a été rendu par les tribunaux qui vous dit qu'on n'a pas le droit de l'appliquer inconsidérément, comme vous l'avez fait. On est obligé d'aller jusqu'en Cour suprême à cause de vous autres pour ce genre de comportement que vous avez eu. Je doute que la position que vous avez défendue puisse résister. Elle ne résiste pas à l'examen du sens commun et je doute qu'elle puisse résister à celui des plus hauts tribunaux du pays. C'est parce que nous voulons que les droits fondamentaux garantis aux citoyens du Québec soient aussi forts, aussi solidement protégés au Québec que partout ailleurs, au Canada, que nous refusons de nous laisser emprisonner dans le carcan législatif inventé par le gouvernement précédent.

Le reproche voulant que nous soyons complices, en agissant comme nous le faisons, d'une quelconque diminution des droits et privilèges de l'Assemblée nationale ne résiste pas davantage à l'examen. Le droit de dérogation dont nous discutons est inscrit dans l'article 33 de la charte canadienne des droits. Que nous l'utilisions ou non, il est là pour y rester jusqu'à nouvel ordre. Il a exactement la même signification essentielle, que nous l'utilisions ou non en chaque circonstance. Je peux avoir le droit de punir mon enfant; je ne suis pas obligé de l'exercer, et le moins souvent je l'exercerai, le plus intelligent je serai. Cela n'enlève rien à mon droit fondamental, mais c'est le genre de droit précisément dont on fait montre de sagesse en l'utilisant le moins possible.

Je pense que cela s'applique très bien à cette situation que nous discutons. Que nous utilisions ce droit de dérogation deux fois, cinq fois, dix fois, cinquante fois, le droit de dérogation ne sera ni plus étendu ni plus restreint. Il demeure le même en ce qui touche les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Celle-ci - je le dis avec toute la clarté dont je suis capable - agit, Mme la Présidente, de manière tout aussi libre et souveraine quand elle décide de ne point recourir au droit de dérogation, par souci de respect envers les droits du citoyen du Québec, que quand elle décide de se servir systématiquement de son droit de dérogation pour assouvir l'instinct de bouderie d'un gouvernement qui s'est révélé piètre négociateur quand c'était le temps de se tenir debout.

Ces choses étant nettement établies, il nous reste à identifier la nature profonde de notre désaccord. Elle est facile à établir. Du côté du gouvernement, nous n'avons jamais cessé, depuis la publication du livre beige du Parti libéral du Québec, d'adhérer à l'objectif d'une charte canadienne des droits. Nous avions mûrement réfléchi à l'époque. Nous avions discuté soigneusement le pour et le contre. Je me souviens des réunions très longues de la commission constitutionnelle du parti où, en compagnie de juristes et de spécialistes éminents, nous avons pesé le pour et le contre de toutes ces choses. Au bout de l'examen, il y avait des arguments favorables et il y avait des arguments défavorables. Nous avons fait le choix en faveur d'une Charte canadienne des droits et libertés et, depuis ce temps, nous avons maintenu la même attitude, même à travers la période difficile qu'a été pour nous la période 1981-1982, parce que, par-delà les gouvernements, fort heureusement passagers, qui se sont succédé à l'époque à Québec et à Ottawa, nous croyions et nous croyons toujours à la valeur du projet politique canadien.

Nous croyons que la société politique canadienne nous offre un projet noble, généreux, digne d'être poursuivi par les

citoyens du Québec et des autres provinces. Parce que nous croyons aussi qu'il est souhaitable d'enrichir nos institutions d'origine britannique en y ajoutant avec prudence des apports empruntés à la grande tradition américaine d'affirmation des libertés fondamentales des citoyens, nous sommes convaincu qu'il est bon, hautement souhaitable, d'asseoir notre projet de société canadienne sur le fondement le plus élevé, le plus universel et le plus solide qui soit, c'est-à-dire sur la garantie constitutionnelle des droits des citoyens. Et cela nous paraît si important que seules des raisons sérieuses, qui ne sauraient raisonnablement exister à propos de chaque projet de loi, pourraient nous justifier de diminuer les droits garantis aux citoyens du Québec par la constitution du pays lorsque nous présentons un projet de loi en cette Assemblée nationale.

Du côté du Parti québécois - je le dis avec toute la sympathie dont je suis capable pour le chef de l'Opposition qui aura des choix difficiles à faire au cours des prochains mois - on n'a jamais accepté et on n'accepte pas encore aujourd'hui, du moins à ma connaissance, le projet canadien. On a toujours cherché en conséquence à éviter de faire face au projet d'une charte canadienne des droits. Le Parti québécois sait très bien - je pense que le chef de l'Opposition me le confirmera - qu'en longue période, des droits fondamentaux partagés et vécus ensemble, sur un pied d'égalité, par tous les citoyens de ce pays peuvent devenir pour le pays canadien un ciment unificateur très puissant. Comme ce parti ne veut pas du projet canadien, il cherche très logiquement à éluder les questions difficiles que soulève pour lui l'idée d'une charte canadienne des droits. À défaut d'arguments positifs, il ne recule pas devant les épouvantails. Il succombe trop souvent à la tentation qui l'incite à exploiter des frayeurs fort compréhensibles qui sont toujours présentes au coeur de notre conscience collective. (17 h 30)

Nous avons tenté à d'innombrables reprises en cette Chambre, en particulier en commission parlementaire, quand on nous en a donné l'occasion, d'obtenir de l'ancien gouvernement qu'il énonce des positions nettes et claires à ce sujet. Nos tentatives se sont toujours heurtées à un mur de silence et d'ambiguïté. Le Parti québécois sera toujours incapable, tant qu'il n'aura pas clarifié, une fois pour toutes, son option constitutionnelle, de considérer avec objectivité et générosité l'idée pourtant fort simple d'une Charte canadienne des droits.

Voilà l'essentiel de ce qui nous divise. D'un côté, l'on refuse l'idée même du Canada et on rejette en conséquence le projet d'une Charte canadienne des droits et libertés qui en est l'une des expressions les plus éloquentes. De l'autre côté, on accepte le défi canadien et l'on accepte aussi l'idée d'une Charte canadienne des droits comme le prolongement logique et souhaitable de l'idée même qu'on se fait du Canada. J'aimerais mieux que nous soyons tous unis autour d'une vision identique de notre avenir. Mais à défaut de cette unité qui s'avère hors d'atteinte à court terme, je préfère sans hésitation les divergences viriles, mais franches comme celles qui nous opposent dans ce débat aux fausses unanimités que l'ancien gouvernement a trop souvent cherché à nous imposer.

Notre choix est franc et net. Nous entendons faire en sorte que les droits garantis à tous les citoyens de notre pays par la Charte canadienne des droits et libertés soient accessibles dès maintenant dans une mesure égale à tous les citoyens et à toutes les citoyennes du Québec. Nous nous résignerons au besoin à restreindre ces libertés dans les cas où cela sera dicté par l'intérêt supérieur du Québec, mais en dehors de ces situations que nous souhaitons exceptionnelles et rares, nous voulons que les Québécois et les Québécoises soient dès maintenant en matière de droits fondamentaux des citoyens de première classe dans leur pays, le pays canadien.

La Vice-Présidente: Merci, M. le ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur et de la Science. M. le député de Taillon.

M. Claude Filion

M. Filion: Merci. J'écoute attentivement depuis tantôt les interventions gouvernementales. On nous dit essentiellement: On est mieux protégé quand on est protégé par les autres. Règle générale, comme nous formons un peuple de 6 000 000 sur un territoire comptant 250 000 000 de population, le reste étant, on le sait, de souche anglaise, je dis qu'il est toujours préférable, règle générale, de chercher à se protéger soi-même. Dans ce cas-ci, si au moins le gouvernement libéral avait l'excuse de dire: Écoutez, leur charte est meilleure que la nôtre. Ce n'est même pas le cas. La charte québécoise représente une protection de base fantastique pour les Québécoises et les Québécois. De plus, à la grande différence, c'est que nous contrôlons nous-mêmes cette charte alors qu'autrement, la charte canadienne, évidemment, n'est pas contrôlée entièrement par notre peuple. C'est cela la différence. Le peuple québécois veut se protéger lui-même et de la meilleure façon possible.

Déjà il n'est pas facile pour la population en général de saisir nos débats sur les deux chartes ou sur les enjeux de l'abandon de la clause dérogatoire. Le gouvernement libéral vient nous compliquer

la tâche en procédant en plus de cela en cachette, dans la noirceur. La reconnaissance de la charte canadienne et son application systématique au Québec se font dans un contexte nébuleux, en catimini et les conséquences pourtant singulièrement graves pour les Québécois et les Québécoises, on les escamote. Le chef de l'Opposition et mon collègue, le député de Saint-Jacques, ont déjà évoqué sur le plan politique les conséquences du geste imprudent posé par le gouvernement. Je voudrais maintenant m'attarder à certaines des conséquences sur le plan juridique.

D'abord, en ce qui concerne notre Code civil, j'ai eu l'occasion d'interroger, dès la première période de questions, à la reprise de la session, le ministre de la Justice en ce qui concerne la menace qui plane sur notre droit civil.

Notre droit civil, sans être étudiant en droit ni avocat, on le sait, c'est la base de notre droit que nous avons hérité du code Napoléon. Et nous avons construit, au fil des années, depuis 200 ans, une jurisprudence, une façon de traiter ce droit qui nous appartient en propre.

Or, le ministre de la Justice, Mme la Présidente, m'a répondu en évoquant ou en invoquant la séparation des pouvoirs. Ce n'est pas de cela qu'il est question ici. C'est carrément de vouloir éviter le problème posé par plusieurs des intervenants. Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes reconnaît lui-même que la charte canadienne comporte une grande ambiguïté, puisque la Cour suprême n'a toujours pas tranché si elle s'applique aux relations privées, aux relations entre individus.

L'on doit s'interroger sérieusement à ce sujet. En toute logique, peut-on penser qu'un tribunal refusera de tenir compte de la liberté de presse, l'article 2 de la charte, dans une poursuite en diffamation contre un journal. S'il ne le fait pas, alors, il faut conclure que la charte canadienne n'est pas cette panacée que nous présente les libéraux et, ainsi, elle n'a pas tous les mérites qu'on cherche à lui reconnaître. Ou bien, le tribunal se servira effectivement de cet article de la charte pour disposer du litige. Dans cette deuxième hypothèse, cela revient à admettre que nos articles du Code civil seront interprétés conformément à la charte canadienne, elle-même interprétée par l'ensemble des tribunaux canadiens à grande majorité - on le sait - anglo-canadienne inspirée par le "common law". Il est intéressant de noter à ce sujet que la Cour d'appel de l'Ontario rend, à elle seule, plus du tiers des décisions que rendent, sur la charte canadienne, les treize cours d'appel canadiens.

Donc, notre droit civil intimement lié à notre identité, a notre culture, serait progressivement imprégné de la jurisprudence dominante du "common law" et intégré à celle-ci, quant aux principes de droits fondamentaux.

Je voudrais, Mme la Présidente, à ce stade, citer un passage du supplément du droit constitutionnel des professeurs Henri Brun et Guy Tremblay à ce sujet, car il faut bien se l'avouer - tout le monde le dit au gouvernement - qu'ils ont agi de façon imprudente et qu'ils doivent maintenant reculer. Tous les constitutionalistes sont d'accord, sauf, évidemment, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes.

Lorsque ce consensus se crée dans une société, il serait prudent d'écouter, d'analyser, de refaire ses devoirs et - comme c'est le cas maintenant - de reculer dignement. Si on veut signer dignement quoi que ce soit, il faut que chacune des démarches menant à la conclusion d'un accord soit faite dans la dignité.

Les professeurs Brun et Tremblay s'expriment comme suit à la page 74: "Or, c'est au stade de l'interprétation et de l'application concrète que les droits fondamentaux jouent un rôle, non à celui de leur formulation abstraite..." En deux mots, les textes dans une charte, c'est une chose. Mais c'en est une autre que leur interprétation qui, souvent, est beaucoup plus importante que le texte lui-même. "...La compréhension appliquée des droits d'une charte canadienne résulte forcément de l'interprétation uniformisée des tribunaux fédéraux et de ceux des douze provinces et territoires. La collectivité dominante dans ce contexte ne peut que dominer davantage et l'acculturation en découlant a pour objet des valeurs de base d'une collectivité." (17 h 40)

Un peu plus loin: "II nous semble que la question se résume à celle de savoir si une minorité fragile qui a encore le choix de certaines de ces valeurs peut se permettre d'abandonner ce choix aux mains de la majorité qui la domine. La charte canadienne est un instrument qui échappe entièrement au Québec, tant en ce qui régit son application qu'en ce qui régit son évolution par addition ou soustraction." Ce n'est pas moi qui parle, Mme la Présidente, ce sont les professeurs Henri Brun et Guy Tremblay.

Face à cet état de choses, quel empressement justifiait de s'exposer maintenant à une telle menace? A-t-on pris le temps de bien mesurer les lourdes conséquences de la prise de position de l'actuel gouvernement? Car, Mme la Présidente, on le dit souvent: Gouverner, c'est prévoir. Dans ce cas-ci, le fait que l'on puisse faire chapeauter notre droit civil par la charte canadienne est un risque. Il faut le prévoir et c'est le rôle du gouvernement de prévoir ce qui peut arriver. Or, dans ce cas-

ci, la réponse est évidente: le gouvernement n'a rien prévu, il a agi de la façon qu'on connaît maintenant très bien, en amendant un projet de loi en cachette, ou presgue, et en adoptant une position ministérielle par la suite. Improvisation, Mme la Présidente!

Autre point juridique que je voudrais soulever. Quand les intérêts collectifs du Québec seront en cause, le gouvernement dit - maintenant qu'on le sait, au début du mois de mars - qu'il acceptera de se prévaloir de la clause de dérogation. Pourtant, lors de l'annonce de cette décision, M. le ministre disait aux journalistes que la clause "nonobstant" ne serait utilisée que lorsque l'ordre public ou la sécurité des personnes serait menacé.

Comment s'y retrouver? Quel sera le critère, le véritable critère qui guidera le gouvernement dans l'utilisation ou non de la clause dérogatoire? Il semble bien que ce soit l'arbitraire. On décidera encore en catimini, en sous-groupe, peut-être par un nouveau comité de sages, bénévoles, non élus s'il y a matière à intégrer la clause "nonobstant". Ces matières, Mme la Présidente, doivent se décider en Chambre par les élus du peuple.

Qui plus est, pour y arriver, il faudra procéder à une évaluation de chacune des lois. Laquelle mérite une clause "nonobstant", laquelle n'en mérite pas? Il y aura donc deux types de législation qui émaneront de ce Parlement: les lois importantes, vitales pour le Québec et les autres. C'est en fonction de cette évaluation arbitraire qu'on décidera de l'application de la clause dérogatoire. Beau principe, Mme la Présidente, que celui ainsi défendu par les supposés grands défenseurs des droits de la personnel

Le résultat final de cette opération sera un fouillis juridique où certaines lois seront soumises à la charte canadienne et d'autres pas. On peut même imaginer qu'à l'intérieur d'une même loi certains articles toucheront des intérêts collectifs et d'autres pas. Ainsi, la clause "nonobstant" pourrait s'appliquer seulement à certains articles d'une loi. Bref, un cafouillage juridique en perspective, à moins que l'objectif inavoué du gouvernement soit de ne pas appliquer systématiquement la clause "nonobstant", c'est-à-dire de reconnaître inconditionnellement la charte canadienne.

Cette décision de reconnaître la charte canadienne survient simultanément à la présence du Procureur général, ministre de la Justice, qui n'est malheureusement pas ici pour écouter nos débats, qui plaide devant la Cour suprême la constitutionnalité de la loi 62.

La Vice-Présidente: M. le ministre.

M. Rémillard: On vient d'accuser le ministre de la Justice de ne pas être présent alors qu'il est retenu à une conférence fédérale-provinciale pour, justement, défendre les droits des autochtones à Ottawa.

M. Johnson (Anjou): Mme la Présidente, simplement pour qu'il n'y ait pas de précédent en cette matière, le député devrait savoir, aurait dû savoir ou saura probablement à l'avenir que quand il voudra faire de telles rectifications, il attendra à la fin de l'exposé de celui qui parle.

M. Garon: En vertu de notre règlement.

La Vice-Présidente: Oui...

M. Gratton: II me semble que la solution la plus facile serait, pour le député de Taillon, de ne pas faire d'affirmation contraire à sa connaissance des faits.

La Vice-Présidente: M. le député de Taillon.

M. Filion: Alors donc, Mme la Présidente, d'une part le Procureur général plaide devant la Cour suprême la constitutionnalité de la loi 62, dont l'effet est d'inclure la clause "nonobstant" dans toutes nos lois québécoises. Comment le ministre de la Justice et Procureur général peut-il être partie prenante d'une décision du Conseil des ministres et plaider à l'opposé devant la Cour suprême? Le ministre de la Justice et Procureur général, encore une fois, à une période de questions la semaine dernière, à une de mes questions, a refusé par surcroît d'informer cette Chambre des arguments qu'il entend soulever devant le tribunal. Il invoquait erronément la théorie de la séparation des pouvoirs alors que la question ne concernait d'aucune façon l'empiétement du législatif sur l'exécutif ou de l'exécutif sur le judiciaire. Nous ne lui avons jamais demandé son opinion sur le litige ni comment la cour devrait trancher le débat. Nous lui avions simplement demandé de nous informer des arguments qu'il entendait soumettre au tribunal.

Le refus de répondre du ministre de la Justice et Procureur général s'explique bien davantage par la position incohérente dans laquelle le gouvernement s'est lui-même placé en voulant jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Le gouvernement doit maintenant avoir le courage de ses idées et admettre qu'il faut reculer quelque part. Nous lui suggérons de remettre en question la décision improvisée de son gouvernement, à savoir de reconnaître la charte canadienne. C'est la voie qui s'impose pour la sauvergarde des intérêts du Québec. Sinon, après nous avoir affaiblis collectivement, le Procureur général ira ridiculiser le Québec en Cour suprême en plaidant le contraire d'une décision du Conseil des ministres du gouvernement auquel

il appartient.

Mme la Présidente, en conclusion, comment s'étonner dans ce contexte que la décision du gouvernement ait été qualifiée par tout le monde d'erreur stratégique, d'improvisation et d'imprudence? Tout le monde le dit. Les professeurs, les spécialistes, les éditorialistes, même le conseiller principal - c'est une première - du ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes y voit une démarche menaçante pour les intérêts du Québec au point qu'il remet sa démission. Unique dans nos annales, uniquel

Le professeur Brun, pour sa part, considère qu'il s'agit - et je le cite - "d'une décision énorme et historique au point où, dit-il, aucun gouvernement n'a le droit de faire cela sans qu'on lui en ait donné le mandat clair par un référendum ou par une élection référendaire." Le chef de l'Opposition soulignait dans son intervention cette appréciation du professeur Brun. Les libéraux peuvent bien - je termine - a posteriori, tenter de banaliser le débat et chercher à le rendre tellement ésotérique en espérant que plus personne ne s'y retrouve mais, de ce côté-ci de la Chambre, nous ne passerons pas sous silence cette aliénation de nos pouvoirs chèrement acquis au profit de la majorité anglaise du Canada.

Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes peut faire les professions de foi qu'il veut, embrasser les drapeaux qu'il veut, mais il n'a pas le droit de jouer la protection de l'avenir des Québécoises et des Québécois. Il n'a pas le droit d'affaiblir le Québec de façon insouciante en remplaçant les droits historiques du Québec par des dogmes improvisés, fussent-ils libéraux. Il n'est pas trop tard pour le gouvernement et pour le ministre pour réviser leur position et refaire leurs devoirs mal bâclés. (17 h 50)

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Taillon. M. le député de Laurier.

M. Christos Sirros

M. Sirros: Merci, Mme la Présidente. J'écoute attentivement depuis le début de ce débat les paroles et les arguments de l'autre côté, parce que, sincèrement, j'essaie de comprendre. Je suis convaincu que la plupart des citoyens qui nous écoutent essaient de comprendre aussi. Le député disait tout à l'heure que quelqu'un nous accusait de ce côté-ci de vouloir être ésotériques dans nos arguments. Pourtant, en écoutant et en résumant très brièvement les arguments qui nous ont été présentés, les seuls arguments ésotériques se trouvent de l'autre côté. Il est très intéressant de voir que, de l'autre côté, le député qui m'a précédé il y a à peine quelques minutes, s'acharne à défendre des choses que la population, à mon avis, trouve très ésotériques. Il est intéressant de voir que, de l'autre côté, on s'acharne à défendre beaucoup plus l'importance d'un système judiciaire, d'un Code civil en opposition avec l'importance des droits fondamentaux des individus. Il est très intéressant de noter que, de l'autre côté, on nous présente les possibilités d'un cafouillage juridique - je pense que ce sont les mots qui ont été utilisés - parce qu'on soustrait l'utilisation systématique de la clause "nonobstant" dans les lois adoptées par l'Assemblée nationale du Québec. Pour ceux qui ne sont pas "ferrés" en la matière - je ne suis ni avocat, ni juriste, ni expert constitutionnel - cela vaut la peine...

Une voix: Cela paraît!

M. Sirros: J'espère que cela paraît parce que les citoyens ordinaires, les gens ordinaires ne sont pas des experts constitutionnels et cela les intéresse de savoir de quoi on parle. On parle des droits fondamentaux de ces individus qu'on appelle les citoyens d'un pays, les résidants, les citoyens d'une province. On parle de l'application d'un instrument de protection des droits fondamentaux de ces individus. J'étais ici, en cette Chambre, quand le gouvernement précédent avait décidé, d'une façon intempestive, je dirais... Parce que, effectivement, c'étaient eux qui avaient terriblement affaibli la position du Québec dans la Fédération canadienne, le 16 avril 1981, en signant dans la nuit un document, comme le disait très bien le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, qu'aucun gouvernement libéral n'aurait jamais accepté de signer.

À la suite de cela, une réaction intempestive les a conduits à adopter une approche qui faisait en sorte que systématiquement, sans prendre la peine d'évaluer si, oui ou non, on devrait soustraire, à cause d'une condition particulière, une loi adoptée par l'Assemblée nationale à la Charte canadienne des droits et libertés, c'était de façon systématique, c'était simplement pour démontrer ou pour exprimer leur frustration face à ce qu'ils avaient fait le 16 avril 1981. Mais ce n'est pas une façon responsable d'agir, si on veut gouverner une société.

Je me réfère au ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes qui expliquait d'une façon très claire et très succincte ce qu'est effectivement une charte et quelle est la différence entre la charte canadienne et la charte québécoise. De l'autre côté, on semble vouloir jouer au sourd. On ne veut pas accepter qu'il y ait une primauté entre ces deux chartes et que c'est celle de la charte canadienne parce qu'elle est enchâssée dans la constitution,

parce qu'elle n'est pas simplement une loi que nous, les législateurs, pouvons modifier à notre gré. Il y a quelque chose de plus fondamental quand un texte est inscrit ou enchâssé dans la constitution d'un pays, plus que si c'est quelque chose adopté, que ce soit par les deux tiers de cette Assemblée ou la majorité simple.

Il n'en demeure pas moins que c'est une loi de l'Assemblée nationale, d'un Parlement, et non pas un instrument enchâssé dans une constitution. C'est cela, la véritable différence entre les deux partis qui sont ici représentés en cette Chambre. Il est rare que les choses qui nous opposent dans les débats s'opposent si carrément comme ces articles-ci. Nous avons souvent des différences de vues; souvent, nous avons des façons différentes de voir les choses, mais ce sujet que nous débattons aujourd'hui est véritablement un des sujets qui distinguent le Parti libéral du Québec du Parti québécois.

Nous, de ce côté-ci, ce qui guide notre action politique, c'est effectivement une philosophie qui se base sur la liberté individuelle et la protection de ces libertés. Dans ce sens-là, la décision du gouvernement libéral de ne plus utiliser de façon systématique la clause "nonobstant" n'est ni improvisée ni une nouvelle affaire parce que, dès le départ, dès le moment où cela a été utilisé comme instrument pour exprimer sa frustration - celle du Parti québécois - nous nous sommes levés en cette Chambre et nous avons dit exactement les mêmes choses. Nous avons dit que c'était inacceptable. Nous avons dit qu'il n'était pas possible qu'un gouvernement agisse d'une façon aussi irrespectueuse des droits et des libertés fondamentales des individus et des citoyens.

Et, pourtant, ils l'ont fait. À ce moment-là, nous avions dit qu'à la première occasion cette chose-là changerait. Je me rappelle très bien qu'à chaque occasion où on devait étudier un projet de loi article par article en commission parlementaire, chaque fois qu'on arrivait à l'article de la clause "nonobstant", c'était adopté sur division. Ce n'était jamais quelque chose qu'on avait accepté. Qu'on ne vienne pas nous dire aujourd'hui que c'est improvisé, qu'on a pensé, tout à coup, à faire quelque chose, qu'on n'a pas pensé effectivement aux conséquences. Les conséquences, c'est que les citoyens du Québec seront beaucoup plus protégés qu'ils ne l'étaient auparavant. C'est la véritable conséquence.

Qu'il découle de cela que l'Assemblée nationale soit restreinte dans son droit de légiférer, j'en conviens, mais où est le drame? Au fond, les gens qui nous écoutent se posent la question à savoir de quoi on s'excite, de l'autre côté. On nous parle du Code civil qui sera peut-être remis en question, des conséquences sur le pouvoir de légiférer de l'Assemblée nationale. Un fait demeure: en ayant la protection de la charte - je vous lirai tout à l'heure, pour qu'on se rafraîchisse tous la mémoire, les points que touche la clause "nonobstant" - les citoyens seront protégés de toute possibilité d'abus de pouvoir par tout Parlement, que ce soit le Parlement de Québec ou le Parlement d'Ottawa, beaucoup plus qu'ils ne l'étaient auparavant.

Laissez-moi simplement vous référer aux articles qui sont touchés par la clause "nonobstant" et aux lois qu'on y soustrayait. On soustrayait à l'application de ces articles les lois qu'on adoptait ici. Les articles 2 et 7 à 15 pour lesquels s'appliquait la clause "nonobstant" se réfèrent à la liberté de conscience et de religion, à la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de presse et des autres moyens de communication, à la liberté de réunion pacifique - on se rappellera la loi 111 - à la liberté d'association, à la protection du droit à la vie et à la liberté, à la sécurité de la personne, à la protection contre les fouilles, les perquisitions et saisies abusives - je me demande si quelques-uns n'auraient pas aimé avoir l'application de la charte il y a des années - les droits fondamentaux en cas d'arrestation et de détention. Le député de Mercier n'est pas ici?

La Vice-Présidente: Je m'excuse, M. le député de Laurier. Je constate qu'il est 18 heures. Est-ce qu'il y a consentement pour qu'on poursuive?

M. Sirros: Je serai bref. Deux minutes.

M. Gendron: Mme la Présidente, cela dépend de la longueur de l'intervention.

La Vice-Présidente: II lui reste au maximum douze minutes.

M. Sirros: Plus que deux minutes.

Une voix: Mais cela ne coûte pas de l'argent?

M. Gendron: Ce n'est pas cela que je veux savoir. Je veux savoir si le député de Laurier va conclure dans une minute ou deux.

Une voix: Deux minutes.

M. Gendron: Deux minutes. Consentement.

La Vice-Présidente: II y a consentement. M. le député de Laurier.

M. Sirros: J'allais terminer, Mme la Présidente, en disant qu'effectivement les droits auxquels je faisais référence, c'est là

l'épouvantail de faire appliquer ces droits fondamentaux à toutes les lois qu'on adopte ici. Si jamais il advient que nous ayons une décision à prendre quant à l'application de la clause "nonobstant" - parce que ce qu'on fait, ce n'est pas renoncer à l'utilisation de la clause "nonobstant", mais c'est renoncer à son application systématique, aveugle, ce que faisait le gouvernement précédent - on le fera de façon claire, limpide, en venant dire ici que cette loi sera soumise à la clause "nonobstant". Cela prend beaucoup plus de courage pour faire cela que de l'appliquer aveuglément, comme vous l'avez fait. Merci beaucoup, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Laurier.

Les travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 1)

(Reprise à 20 h 2)

Le Vice-Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Prenez vos places. Nous reprenons le débat sur la motion de censure présentée par le chef de l'Opposition. La parole - un instant - est à M. le whip de l'Opposition. M. le whip de l'Opposition, vous avez la parole.

M. Jacques Brassard

M. Brassard: M. le Président, vous savez qu'un député est littéralement submergé de documents, de rapports, de mémoires, de journaux, de revues et qu'on ne peut pas tout garder. Il faut être très sélectif dans la documentation qu'on reçoit. On conserve ce qui nous paraît toujours l'essentiel. De l'année 1981, j'ai très facilement retrouvé un document que j'avais conservé, donc, que j'ai considéré comme essentiel. C'est un mémoire soumis au Sénat, à la Chambre des communes, au comité mixte spécial sur la constitution du Canada, sur le projet de résolution concernant la constitution du Canada, présenté par Gil Rémillard, avocat, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval, en janvier 1981. Je l'ai relu, d'ailleurs, et j'ai compris pourquoi je l'ai conservé. C'est un document bien écrit, clair, articulé, fortement documenté, étoffé, pourrait-on dire, solide aussi sur le plan juridique. Bref, l'oeuvre d'un grand constitutionnaliste, d'un juriste éminent, d'un grand professeur de droit.

On y retrouve des éléments extrêmement intéressants, des conclusions remarquables. Je vous en livre quelques-unes. Entre autres, il y est dit et démontré que tout projet de modification relatif aux élé- ments fédératifs essentiels doit et devrait avoir reçu l'assentiment de toutes les provinces. Excellente conclusion. Il va même plus loin. L'éminent professeur affirme que le projet de résolution - c'était un projet à ce moment là - concernant la constitution du Canada est illégal parce que contraire à la théorie du pacte. Le professeur Rémillard était un adepte de la théorie du pacte. Également illégal parce que contraire à la convention constitutionnelle de l'unanimité pour toucher le partage des pouvoirs.

Troisièmement, il affirme que le projet lui apparaît, quant à lui, illégitime. Quatrièmement, si l'on veut modifier une constitution fédérative qui est un contrat entre États, et les États et le peuple doivent y participer. C'est à la page 41 du document.

On retrouve tout cela aussi remarquez bien, M. le Président - dans la véritable somme sur le fédéralisme canadien écrit par le même auteur. Juste à titre d'exemple, je vous en donne un paragraphe c'est une véritable bible. Il y a deux tomes comme cela.

Une voix: Qui l'a écrit?

M. Brassard: M. Rémillard, évidemment, l'actuel ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes. Je vous lis un petit paragraphe relativement à ce qui s'est passé lors de la fameuse "nuit des longs couteaux", le 5 novembre 1981. "René Lévesque, écrit-il, n'a d'autre choix que de dénoncer cet accord négocié sans lui et qui implique des éléments qu'il ne peut selon lui accepter, et qui, de fait, n'auraient été acceptables par aucun gouvernement québécois quelles qu'aient pu être ses options politiques". C'est à la page 161 du tome 2.

Admirable, n'est-ce pas, M. le Président? Voilà que cet éminent constitutionnaliste devient député et ministre. Connaissant sa pensée, connaissant ses opinions, ses convictions, on pouvait être raisonnablement rassuré. D'autant plus qu'il avait déclaré au moment où il annonçait sa candidature: Je vais en politique. J'entre en politique tout comme on entre en religion, n'est-ce pas? J'entre en politique... pour appliquer les principes auxquels j'adhère, auxquels je crois.

Il faut le dire, c'était rassurant. Au moins, il y avait là un gardien vigilant de nos droits et de nos institutions démocratiques dans ce cabinet. Il faut dire qu'il y avait aussi, dans ce même gouvernement, le député d'Argenteuil. Lui aussi, je pense qu'on peut le considérer comme étant un défenseur de nos droits et de nos institutions, parce qu'on se souviendra que le 2 octobre 1981, le député d'Argenteuil, alors chef du Parti libéral, avait voté, malgré la

rébellion des neuf dont je parlerai tout à l'heure, une motion qui s'opposait à tout geste qui pourrait porter atteinte aux droits de cette Assemblée nationale et affecter ses pouvoirs.

Le député d'Argenteuil, chef du Parti libéral à l'époque, avait voté avec une majorité de ses députés pour cette motion. Malheureusement, M. le Président, on ne pouvait pas prévoir que le grand professeur, le grand juriste commencerait sa carrière politique en jetant par-dessus bord les beaux, les nobles et solides principes qu'on retrouve exposés si brillamment, si savamment et avec tant de conviction dans son oeuvre. C'est un peu triste à voir, un juriste d'une telle réputation qui amorce sa vie politique, sa carrière politique en reniant purement et simplement ses convictions. J'avoue que ce n'est pas un très beau spectacle. En tout cas, ce n'est pas un spectacle sons et lumières, comme celui dont parlait le chef du Parti libéral cet avant-midi.

Lui, ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, qui affirmait qu'aucun gouvernement du Québec, peu importe l'allégeance de celui-ci, ne devrait accepter le fruit du coup de force de Trudeau, il en accepte aujourd'hui le plus gros morceau, de ce coup de force. C'est Henri Brun, également un constitutionnaliste réputé, qui déclarait que la charte canadienne, c'est le plus gros morceau de l'Acte constitutionnel de 1982. Donc, c'est l'essentiel du coup de force de Trudeau et il en accepte le plus gros morceau, soit la charte des droits, sans même qu'on le lui demande, sans même que le gouvernement fédéral le lui demande, sans négociation, sans la moindre garantie. Il en accepte l'essentiel sans la moindre discussion préalable avec Ottawa, avec le gouvernement fédéral.

Comment réagit Ottawa face à une telle attitude? En disant essentiellement, en quelque sorte: C'est une preuve de bonne volonté; à vous de faire un autre pas, un autre geste. Vous avez fait preuve de bonne volonté, allez-y, c'est bien, bravo, continuez dans le même sens. Cela a été la réaction des porte-parole du gouvernement fédéral. Quand on pense que les responsables de ce qu'on pourrait appeler cette mauvaise posture du Québec dans laquelle le Québec se retrouve sont ceux-là mêmes qui nous accusaient, il n'y a pas longtemps, d'affaiblir le Québec, de placer le Québec dans une position de faiblesse. (20 h 10)

Lui - je parle toujours du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes - qui déclarait que non seulement les États - je l'ai cité tantôt - mais le peuple devait participer à la modification de la constitution, il fait adhérer le Québec à l'essentiel de l'Acte constitutionnel de 1982 en cachette, en secret, en catimini, par décret, adopté dans le "bunker", sans débat, sans déclaration à l'Assemblée nationale, sans appui de l'Assemblée nationale.

Lui qui évoque même le recours au peuple par la voie référendaire ne juge même pas utile d'obtenir l'accord des représentants légitimement élus de ce peuple à l'Assemblée nationale. Si c'est cela, la nouvelle conception de la démocratie du nouveau ministre, c'est inquiétant et c'est dangereux. Pour un juriste de cette taille, de cette dimension, qui s'est fait reconnaître comme un défenseur de la démocratie et du parlementarisme, c'est, ma foi, mal commencer sa carrière de ministre que de la commencer par un geste de mépris à l'égard du Parlement, un geste de mépris à l'égard de l'institution démocratique par excellence au Québec, l'Assemblée nationale.

Le ministre nous indiquait que la décision a été prise le 5 mars. Or - c'était, d'ailleurs l'objet de l'une de mes questions à la période de questions d'aujourd'hui - le 26 février, en commission parlementaire, le ministre du Revenu, leader du gouvernement, retirait la clause "nonobstant" du projet de loi 2 qui était à l'étude. C'était assez étonnant, surprenant. Est-ce à dire que le ministre du Revenu a agi de sa propre initiative? C'est la question que je posais. Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes n'a-t-il pas, en quelque sorte, été mis devant le fait accompli, que le gouvernement a dû cautionner par la suite? Est-ce cela qui s'est produit? On aimerait le savoir, évidemment. On peut le penser, en tout cas, surtout quand on connaît le député de Gatineau, ministre du Revenu, leader du gouvernement, leader également - je le disais au début - du club des neuf.

Une voix: L'homme fort du régime.

M. Brassard: Rappelons les faits, je pense qu'il faut le faire. Le 2 octobre 1981, une motion était débattue en cette Chambre, motion qui s'opposait à la réduction des droits et des pouvoirs de cette Assemblée par le gouvernement fédéral. Lorsque cette motion a été mise aux voix, neuf des députés du Parti libéral se sont carrément mutinés, rebellés contre leur chef de l'époque, le député d'Argenteuil, et ils ont voté contre cette motion.

Une voix: J'ai mon voyage!

M. Brassard: Ils ont voté contre cette motion. Il y en a plusieurs. Il faudrait peut-être les citer, ces neuf-là.

M. Rochefort: Oui, qui cela? Vas-y donc! Qu'est-ce qu'ils font, maintenant?

M. Brassard: MM. O'Gallagher, Ciaccia, Caron, Lincoln, Gratton, Maciocia, Cusano,

French et Mme Dougherty. Ils étaient neuf. Je vous signale qu'il y en a actuellement quatre qui siègent au Conseil des ministres: le député de Nelligan, ministre de l'Environnement, le député de Mont-Royal, ministre de l'Énergie et des Ressources, le député de Gatineau, ministre du Revenu, le député de Westmount, ministre des Communications. Il y a quatre députés, quatre mutins de 1981 qui siègent au Conseil des ministres.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Brassard: Quatre rebelles. C'est bien connu que le leader du club des neuf, le leader du clan, était le député de Gatineau; tout le monde se le rappelle. Il a d'ailleurs, lui, participé avec plaisir - il l'a indiqué au journal Le Droit - aux cérémonies du rapatriement de la constitution lorsque Sa Majesté est venue signer le papier.

Des voix: Bravo!

M. Brassard: II y assistait avec plaisir. Il y avait 22 députés libéraux qui ont participé à ces célébrations.

Une voix: Cela a coûté 7 000 000 $.

M. Brassard: C'est étonnant, c'est même un peu surprenant que l'on applaudisse cela.

Une voix: Ils n'ont pas tous applaudi.

M. Brassard: Ils n'ont pas tous applaudi? Tant mieux. C'était donc le député de Gatineau qui était le leader de ce clan des neuf. Il était - il l'a indiqué puisqu'il a applaudi au coup de force - d'accord avec le coup de force constitutionnel de Trudeau. Il était pleinement d'accord. C'est cet homme qui a pris la décision - lui qui a applaudi, qui a appuyé, qui a soutenu le coup de force, qui a participé aux célébrations aux côtés de Sa Majesté - c'est probablement cet homme, le vrai conseiller du gouvernement en matière constitutionnelle.

Une voix: C'est vrai, c'est cela, voilà!

M. Brassard: C'est probablement lui. Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes n'a plus besoin de chercher, il l'a sous la main, son conseiller, le vrai conseiller du gouvernement. C'est lui qui a fixé en quelque sorte les orientations constitutionnelles du gouvernement.

On fait des gorges chaudes actuellement, on rigole, on semble se moquer d'un éminent juriste, Léon Dion, de réputation, un politicologue connu, respecté. Je ne trouve pas cela très digne de cette Assemblée.

Une voix: Ce sont des "politicailleux".

M. Brassard: Et au ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, il ne restait, au fond, M. le Président, qu'à cautionner le fait accompli, qu'à suivre l'orientation définie par le leader du clan des neuf. C'est ce qu'il a fait, il a suivi, et il a accepté. Il s'est mis à la remorque du leader du club des neuf, reniant ainsi un engagement récent qu'il avait pris en cette Chambre, au mois de décembre dernier, à la suite d'une question posée par le chef de l'Opposition où il disait: "Pour le respect de cette démocratie parlementaire, nous aurons l'occasion d'en discuter et de vous informer pleinement sur la façon dont nous allons procéder pour négocier ce dossier historique." Une décision prise dans le secret du "bunker" et annoncée à la sauvette, avec une certaine gêne, il faut le dire aussi. Est-ce que c'est cela qu'il appelle le respect de la démocratie parlementaire?

Il a l'air d'approuver, d'appuyer. Bon! Alors, drôle de conception du respect de la démocratie parlementaire. C'est un peu inquiétant, M. le Président. N'eût été la motion de blâme du chef de l'Opposition, on n'en aurait pas discuté et on n'aurait pas débattu de cette question à l'Assemblée nationale.

C'est inquiétant, M. le Président, et il va falloir être vigilant. Je dirais que ce gouvernement devrait être mis sous surveillance-Une voix: En garderie.

M. Brassard: ...car il est dominé par les inconditionnels du fédéralisme qui sont prêts à adhérer sans la moindre modification, sans changement - ils l'ont démontré dans le passé - à l'Acte constitutionnel de 1982. Ce sont ces gens-là qui dominent ce gouvernement. J'avertis le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, au cas où il ne s'en serait pas aperçu, où il ne l'aurait pas remarqué. Vous l'avez remarqué?

Une voix: ...

M. Brassard: J'espère que vous allez réagir vigoureusement.

En conclusion, je dirais qu'à entendre les discours des libéraux, en particulier celui du ministre de même que celui du député d'Argenteuil, ministre de l'Éducation, on en arriverait à la conclusion suivante. En tout cas, un habitant de Sirius tomberait parmi nous tout d'un coup et, s'il entendait les discours prononcés par les libéraux, il en arriverait sans doute à la conclusion suivante. C'est qu'avant 1982, avant la Charte canadienne des droits, nous étions, nous, pauvres Québécois, démunis, dépourvus

de droits, sans droits. Nous étions sans protection. Nous étions à la merci de l'arbitraire et de l'oppression. Nous étions dans une véritable société barbare. Il y avait là un vide juridique terrible. Nous étions sans protection et sans droits. Après 1982, cela a été l'illumination en quelque sorte grâce au gouvernement fédéral, grâce aux fédéraux et à leur charte, nous voilà enfin citoyens québécois jouissant de véritables droits. Nous voilà enfin protégés, grâce à la magnanimité des fédéraux, à leur grandeur d'âme, à leur bonté d'âme. C'est un peu simpliste. (20 h 20)

Les droits fondamentaux dont on parle aujourd'hui sont reconnus pleinement dans la société québécoise depuis longtemps. Nous disposons, je pense qu'il faut le dire, d'une des meilleures chartes des droits et libertés de la personne. Une des plus complètes. Une des plus exemplaires. J'entendais le député d'Argenteuil énumérer les qualités de la charte canadienne, il aurait pu énumérer les qualités de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, également. Il n'y a pas de vide juridique. Il n'y a pas de vaccuum. Ce n'est pas l'abîme infernal de l'arbitraire si on se soustrait à la charte canadienne. Donc, il n'y avait rien d'urgent, il n'y avait rien de pressant, surtout pas avant les négociations constitutionnelles. Ce n'était pas le moment de faire des concessions majeures sur ce plan et de se placer ainsi dans une position de faiblesse. Ce n'était pas le moment de tout lâcher. Surtout à cette période-ci avant des négociations. Il faudrait - je sais que c'est un souhait qui ne se réalisera sans doute pas - que le gouvernement reconnaisse qu'il a commis une grave erreur de stratégie, une erreur de stratégie d'une gravité considérable et d'une ampleur dangereuse et qu'il revienne si c'est possible. On le lui demande qu'il revienne sur cette décision qu'on a qualifiée quant à nous, à juste titre de prématurée, d'improvisée et d'imprudente.

Le Vice-Président: La parole revient au député de Bourget.

M. Claude Trudel

M. Trudel: Le débat qui s'est engagé sur la motion de censure du chef de l'Opposition est d'une importance majeure. Il est important par le sujet même qu'il permet de discuter. Il est important aussi dans la mesure où il donnera une fois de plus aux deux groupes parlementaires en présence dans cette Assemblée l'occasion de réitérer leurs positions traditionnelles dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles sont fort éloignées l'une de l'autre, pour ne pas dire irréconciliables. Ce débat a démontré jusqu'à maintenant, une fois de plus, si cela était nécessaire, que nous n'avons pas de leçon à recevoir de personne quand il en va de la protection des droits fondamentaux de nos concitoyens.

Est-il nécessaire de rappeler que notre non de 1980 était Québécois à 100 %? Que nos positions constitutionnelles de 1981 et celle toute récente de 1985 étaient, elles aussi, québécoises pure laine? Je le répète, quand il s'agit de défendre ce qu'il y a de plus précieux, c'est-à-dire les libertés fondamentales de nos concitoyennes quand il s'agit d'assurer la protection et l'épanouissement du peuple québécois, le gouvernement libéral du Québec n'a de leçon à recevoir de personne et surtout pas de ceux qui, de 1976 à .1985, n'avaient qu'un but: diviser les citoyens et les citoyennes du Québec entre bons et mauvais Québécois, entre patriotes et traîtres, entre loyaux et vendus.

Je n'invente rien, M. le Président, et vous le savez. Les termes que je viens d'employer ont fait partie du langage politique quasi quotidien de l'ancien gouvernement pendant neuf longues années. Pour reprendre les mots de l'actuel ministre de l'Éducation, alors qu'il était chef de l'Opposition: "Le Parti libéral du Québec a toujours été, est et demeurera fermement attaché à la défense et à la promotion des intérêts légitimes du Québec dans tous les domaines reliés à la constitution, à la vie économique et sociale, à l'éducation, à l'action politique au sens le plus élevé du terme. "Nous sommes au service du Québec et du peuple québécois. Notre premier souci est le service de la communauté québécoise, la défense des intérêts du Québec et la promotion du peuple québécois. Mais nous sommes aussi un parti résolument et franchement canadien. Nous croyons au Canada et à notre système fédéral de gouvernement. Nous sommes convaincus que le Québec peut le mieux s'épanouir en étant un membre à part entière de l'ensemble fédéral canadien". Fin de la citation.

Nous ne tenions pas un autre langage et nous écrivions dans notre programme politique "Maîtriser l'avenir", adopté l'an dernier, qu'il est grand temps que le Québec reprenne ses destinées en main et qu'il redevienne, dans la fédération canadienne, ce partenaire indispensable sur lequel on peut et doit compter en toute circonstance.

M. le Président, les Québécoises et les Québécois peuvent avoir confiance dans leur gouvernement quand il en va de la protection et de la défense de leurs droits fondamentaux. Nous pensons que ces droits sont tellement importants qu'il faut leur accorder la protection la plus élevée et la plus efficace qui soit, c'est-à-dire une protection constitutionnelle.

Or, l'utilisation systématique de la clause "nonobstant" par nos prédécesseurs avait précisément pour but de soustraire les

Québécoises et les Québécois à cette protection. Notre livre beige de 1980, notre programme constitutionnel de la même année, nos engagements électoraux de 1981 en cette matière nous ont permis de réitérer à l'envi cet objectif de manière très claire, très nette et très ferme.

Toute réforme constitutionnelle, disions-nous, devra assurer la primauté juridique des droits et libertés fondamentaux de la personne dans le système politique canadien, convaincus que nous étions que l'inclusion de certains droits fondamentaux dans une charte constitutionnelle assurerait de manière certaine et définitive la primauté de ces droits contre les volontés changeantes du Parlement fédéral et des Législatures provinciales.

Ces droits fondamentaux sont, vous le savez, M. le Président, essentiels à la dignité humaine et au processus démocratique. Tout État démocratique a l'obligation, à tout le moins morale, de respecter les droits individuels tout en aidant à l'accomplissement des droits collectifs. Le fait qu'une personne consente à vivre en société n'implique aucunement, bien au contraire, qu'elle doive abandonner certains droits et certaines libertés qui lui sont propres. C'est précisément sur le caractère inaltérable de ces droits et libertés, de ces droits qu'on reconnaît comme fondamentaux que les Parlements occidentaux ont statué et qu'ils l'ont mis sous forme légale depuis quelques décennies. Le Canada et le Québec n'ont pas échappé à ce mouvement, quoique leur façon de réaliser cet objectif fondamental et nécessaire ait pris des voies quelque peu différentes.

M. le Président, j'ai laissé à des collègues beaucoup plus qualifiés que moi sur le sujet le soin de vous faire part des subtilités légales qui caractérisent les deux chartes dont les Québécoises et les Québécois bénéficient. Je soulignerai cependant, à ce moment-ci, le caractère constitutionnel de l'une, la charte canadienne, et le caractère législatif de l'autre, la charte québécoise.

En effet, étant donné que la charte canadienne est enchâssée dans la constitution, elle acquiert de ce fait un caractère supralégislatif. Elle se situe, pour ainsi dire, au-dessus des gouvernements et des Parlements. Elle ne peut donc être modifiée, amendée ou abrogée que suivant la procédure prévue dans la constitution. Cette procédure spécifie que toute modification au texte de la constitution et, de ce fait, au texte de la charte canadienne nécessite l'accord de sept provinces comptant au moins 50 % de la population du Canada.

La Charte québécoise des droits et libertés, quant à elle, n'est qu'une simple loi de l'Assemblée. Non seulement peut-elle être amendée, mais elle peut être complètement abrogée par une simple loi de l'Assemblée nationale votée par la majorité. C'est donc dire que cette charte peut être écartée ou complètement abrogée, suivant la volonté du gouvernement. (20 h 30)

Des droits fondamentaux enchâssés dans une constitution sont nettement mieux protégés que ceux qui dépendent d'une loi semblable, sur le plan légal, à toutes les autres. Le titre d'une loi, la pompe que l'on met à la présenter, à l'expliquer et à la faire adopter ne changent en rien son caractère fondamental. Il s'agit et il s'agira toujours d'une loi que l'Assemblée nationale souveraine pourra amender en tout temps et, grâce à la majorité dont dispose le gouvernement, à sa guise. Faut-il rappeler les jours honteux et sombres de la loi 111, alors que des milliers de Québécoises et de Québécois se faisaient enlever des droits fondamentaux, des droits sacrés dans le cadre d'une loi de retour au travail par l'application de la clause "nonobstant"?

En ce qui a trait à l'interprétation, je soulignerai l'interprétation large de l'une, la québécoise, et l'interprétation stricte de l'autre, la canadienne. Cette question, vous en conviendrez, ne manque pas d'intérêt, puisque c'est de l'interprétation qu'en font les tribunaux que découle la force ou la faiblesse des droits fondamentaux qui sont reconnus.

Les chartes canadienne et québécoise s'interprètent sur des bases très différentes. En effet, dans le cas de la charte québécoise, les tribunaux se référeront à l'intention exprimée par le législateur québécois au moment où la loi, c'est-à-dire la charte québécoise, a été votée pour préciser la portée et le contenu des droits et libertés qui y sont mentionnés. Dans le cas de la charte canadienne, les tribunaux ne peuvent s'en reporter à une interprétation aussi stricte des droits et libertés reconnus dans ce document constitutionnel. Cette caractéristique fait en sorte que les droits et libertés qui y sont mentionnés évoluent, évidemment, avec la société.

Les deux chartes qui protègent les Québécoises et les Québécois sont différentes dans leur essence même. Ainsi que le rappelait l'actuel ministre de la Justice, le député de D'Arcy McGee, lors du débat sur le projet de loi 62, et je cite: "La charte fédérale est essentiellement une charte qui protège les libertés fondamentales. La charte québécoise, par contre, est une loi contre la discrimination. Les deux sont valables, les deux sont nécessaires, mais les deux ont des fonctions différentes." Le débat quant à savoir laquelle des chartes canadienne ou québécoise est meilleure que l'autre est un faux débat. Comme l'écrivait Jean-Louis Roy dans un article du 26 juin 1985 publié dans le journal Le Devoir: "La bataille des chartes

est une guerre absurde." Aussi, n'ai-je pas l'intention de la reprendre aujourd'hui, me contentant tout simplement de souligner que nos concitoyens et concitoyennes du Québec ont la chance de jouer sur les deux tableaux, puisqu'ils peuvent compter sur la protection de deux chartes plutôt qu'une, du moins depuis que notre gouvernement a décidé de ne plus recourir de façon systématique à la clause "nonobstant".

En effet, de quoi s'agit-il? La clause "nonobstant" est ce qu'on appelle une clause dérogatoire qui permet tant au Parlement fédéral qu'aux Législatures provinciales de déroger à la Charte canadienne des droits et libertés, donc de réduire les avantages et les protections contenus dans cette charte. C'est précisément parce qu'elle est dérogatoire en permettant aux gouvernements de se soustraire à l'application de certains articles que cette clause leur impose implicitement le devoir d'y recourir avec la plus grande parcimonie. Qu'a fait le gouvernement du Parti québécois? Loin de recourir le moins possible à la clause "nonobstant", il y a recouru de façon systématique au seul motif d'établir le symbole de son attitude de rejet de la charte canadienne, à la suite de son lamentable échec aux pourparlers constitutionnels de 1981, alors qu'il aliénait en toute connaissance de cause et de façon permanente le droit séculaire de veto que la tradition reconnaissait au Québec. Le recours systématique à la clause "nonobstant" a eu pour effet de soustraire toutes les lois québécoises de l'application de la charte canadienne, privant ainsi les Québécoises et les Québécois de la protection que leur accordait cette charte.

Je juge, comme bien d'autres, d'ailleurs, tout à fait inacceptable qu'un gouvernement qui se prétend haut et fort et, souvent, à cor et à cri, le défenseur des libertés fondamentales, nie aux détenteurs de ces libertés la possibilité de bénéficier de la protection qui leur est conférée dans la charte canadienne, sous prétexte d'un désaccord avec les autorités fédérales quant au contenu de la loi constitutionnelle. Je n'accepte pas non plus qu'un gouvernement utilise les Québécoises et les Québécois comme éléments de négociation avec le gouvernement fédéral ou celui des autres provinces, comme l'a fait le gouvernement qui nous a précédés. Les droits fondamentaux reconnus par la charte canadienne passent avant toute autre forme de droit. Il est inacceptable que ces droits deviennent l'enjeu de querelles entre les gouvernements. La protection des droits et libertés transcende les stratégies, et un État démocratique ne peut en aucune façon se justifier de les utiliser comme pouvoir de négociation.

Ainsi que le rappelait récemment le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, l'actuel gouvernement n'a pas pour politique d'établir sa stratégie de négociation constitutionnelle sur le dos des Québécoises et des Québécois. Notre gouvernement a donc décidé de ne plus recourir de façon systématique à la clause "nonobstant". Désormais, ce qui était la règle deviendra l'exception, assurant ainsi aux citoyennes et aux citoyens québécois le même degré de protection, quant à leurs droits fondamentaux, que celui qui est accordé aux autres Canadiens.

Le recours systématique à la clause dérogatoire était, pour l'ancien gouvernement, un symbole, un autre symbole parmi tant d'autres. Nous, de l'actuel gouvernement, faisons du retrait de cette clause un principe, celui de l'égalité de tous les Canadiens, y compris, bien sûr, toutes les Québécoises et les Québécois, par rapport aux lois du Parlement.

En reconnaissant la Charte canadienne des droits et libertés, le gouvernement a pour seul motif de ne pas distinguer deux catégories de Canadiens tout en assurant que les droits fondamentaux des Québécois seront aussi bien protégés que ceux des autres Canadiens. Cette position, je le rappelle, est en tout point conforme à celle que tenait le Parti libéral alors qu'il formait l'Opposition en cette Chambre et qu'il s'engageait à garantir une meilleure protection des droits fondamentaux aux Québécois en leur donnant accès à deux chartes, l'une canadienne, l'autre québécoise, qui représentent deux sources possibles de droits qui ont le mérite de se compléter.

Cette position est également entièrement conforme aux propositions constitutionnelles que notre parti tenait au cours de la dernière campagne électorale, notamment en ce qui a trait au droit de veto, au pouvoir de dépenser, à la nomination des juges à la Cour supérieure, aux politiques en matière d'immigration et de communications et à notre demande fondamentale que le Québec soit reconnu comme société distincte dans le préambule de la constitution.

Bref, l'acceptation de la charte fédérale ne modifie en rien les demandes du Parti libéral en matière constitutionnelle. Vouloir lier l'abandon du recours systématique à la clause "nonobstant" à la négociation constitutionnelle, c'est agiter des épouvantails à corneilles. Or, pour répéter l'heureuse expression du rédacteur en chef de la Presse, M. Michel Roy, "les oiseaux du Québec n'ont pas peur des épouvantails en forme de nonobstant".

En abrogeant le recours systématique à la clause "nonobstant", le gouvernement du Québec ne fait que remplir un engagement qui date d'aussi loin que les discussions qui ont entouré l'adoption de la loi 62. À ce sujet, et en guise de conclusion, je rappelle les paroles de l'ancien chef de notre

formation, l'actuel ministre de l'Éducation, qui disait au cours du débat et je cite: "Lorsqu'un gouvernement libéral sera au pouvoir, ce sera l'une des premières lois qu'il se fera un devoir de modifier pour qu'enfin les Québécois puissent participer de plain-pied à la protection plénière, à la protection fondamentale, à la protection stable et solide que leur garantit la Charte canadienne des droits et des libertés."

Encore une fois, le gouvernement, que 56 % des Québécoises et des Québécois se sont donné le 2 décembre dernier, peut dire, je pense, avec fierté: Engagement tenu, mission accomplie.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président: M. le député de Lévis, vous avez la parole. (20 h 40)

M. Jean Garon

M. Garon: Nous venons d'entendre le député de Bourget expliquer que si on a deux sources de droit, on est plus chanceux. Cela me fait un peu penser à un enfant qui vient d'avoir un oeuf à deux jaunes et qui est content. Depuis quand le fait d'avoir deux sources de droit, cela donne-t-il plus de droits? Plus on va avoir de sources de droit mêlées, plus on va avoir un fouillis, plus ce sera le capharnaüm, plus on va être heureux. Voyons donc! Ce n'est pas cela le droit. J'imagine que le député de Bourget n'est pas dans le domaine du droit, mais il n'y a pas d'avantage à avoir un droit mêlé. Peut-être que dans l'élevage des animaux, avoir des hybrides, cela peut donner plus de force, mais dans le domaine du droit, cela mène au fouillis.

J'ai assisté à ce débat depuis le début de l'après-midi et je suis estomaqué d'entendre tout ce que j'ai entendu. J'ai entendu le député de Jean-Talon dire: Pour vivre en société, il faut abandonner un peu de sa souveraineté. Il a dit: C'est cela vivre en société. Depuis quand vivre en société, cela veut-il dire, pour les Québécois, qu'il faut donner nos pouvoirs aux autres en disant: Bon, prenez nos pouvoirs; administrez-nous à notre place. Depuis quand? J'ai entendu le député de Jean-Talon dire: Celui qui a un pouvoir est porté à en abuser. Donc, donnons nos pouvoirs; on n'en abusera pas. J'ai l'impression de vivre dans un monde, d'après le débat d'aujourd'hui, inquiétant. Celui qui a un pouvoir est porté à en abuser. 11 a dit une chose: Une constitution, c'est un contrat social. C'est vrai qu'une constitution, c'est un contrat social, mais où est le contrat social à l'heure actuelle?

Une voix: II n'y en a pas.

M. Garon: Justement, il n'y a pas de contrat social. Il n'y a pas eu de contrat social. Il y a eu neuf groupes, neuf provinces qui, avec le gouvernement fédéral, ont fait un contrat. Nous autres, est-ce qu'il faudrait courir en arrière pour quêter une participation? Il n'y a pas eu de contrat social. Pourquoi donner des pouvoirs à ceux qui n'ont pas voulu de nous dans le contrat social, qui n'ont pas voulu satisfaire nos demandes? Je ne comprends pas ce genre de raisonnement. Je suis porté à croire, comme le député de Lac-Saint-Jean, que l'homme fort du régime, c'est le député de Gatineau qui a même réussi à "bulldozer" le député d'Argenteuil. Il l'a mis dans sa petite poche. J'entendais le député d'Argenteuil, cet après-midi, lui aussi faire des constatations incohérentes en... J'ai envie de lui faire cadeau d'un livre d'Albert Memmi, "Le portrait d'un colonisé". Il verra à quel point le député d'Argenteuil lui-même, qui laissait entendre qu'on serait mieux administrés par les autres que par nous-mêmes... Donnons nos droits aux autres, ils vont les administrer, on va être prémunis contre nous-mêmes. C'est un peu cela.

Le député de Laurier a dit encore pire que cela. Il a dit, d'une façon incroyable: La charte va nous protéger, les citoyens, contre notre Parlement. Cela va nous protéger contre notre Parlement. Le député de Laurier a dit cela cet après-midi.

Une voix: C'est fort!

M. Garon: Écoutez! Dans quel monde vivons-nous?

Une voix: II devrait démissionner.

M. Garon: Ce n'est pas un gouvernement. Un gouvernement est là pour protéger. Je ne suis pas surpris de voir que, depuis à peine trois mois, nous sommes constamment obligés de protéger les droits du Parlement. On dirait qu'il n'y a pas de Parlement. Le Parlement est considéré comme une menace par les gens du gouvernement. J'ai l'impression de vivre un rêve incroyable. La seule chose que je constate, c'est une certaine filiation entre Adélard Godbout et...

Une voix: Le député de Jean-Talon.

M. Garon: ...le député de Jean-Talon. J'ai l'impression de retrouver le fils d'Adélard Godbout en cette Chambre.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Garon: Adélard Godbout avait vendu nos droits, nos pouvoirs de taxation. Il avait donné nos pouvoirs de taxation et le Québec a été mal pris depuis 1944 parce qu'il a été obligé de constamment lutter pour regagner

ses pouvoirs de taxation. Aujourd'hui, qu'est-ce que vient faire le député de Jean-Talon?

Une voix: II donne nos droits.

M. Garon: II vient de donner nos droits fondamentaux, de les donner aux autres en disant: On ne veut pas abuser de nos droits, de nos pouvoirs. Faites cela à notre place. On vit en société, donc on a peur de vous déranger; on va vous donner nos droits; occupez-vous-en. Pendant des années, nos ancêtres se sont battus essentiellement ici pour une façon de vivre, pour une culture, pour un peuple. Essentiellement, est-ce qu'il y a un peuple au Québec ou s'il n'y a pas de peuple au Québec? C'est la question fondamentale. S'il y a un peuple, il y a une façon de vivre, il y a une culture. Que révèlent les droits fondamentaux? Les droits fondamentaux, c'est la façon de vivre d'un peuple. C'est aussi simple que cela. C'est la manière de vivre d'un peuple en société avec des règles, des contraintes, des libertés exprimées différemment. On ne me fera pas croire qu'on a besoin d'interprétation sur les causes de la liberté d'expression des doukhobors en Alberta pour comprendre notre droit. Cela n'enrichira pas notre droit. Qu'est-ce que cela va nous donner? Il y a des façons différentes de comprendre ces choses. Il y a des comportements différents.

Pourquoi aurait-on besoin, pour vivre dans notre société, de l'interprétation des comportements d'ailleurs selon des traditions, des coutumes différentes? Je me rappelle -le député d'Argenteuil se le rappellera sans doute s'il lit le Devoir d'il y a 30 ou 40 ans - lorsque la Société centrale d'hypothèques et de logement a été créée. À ce moment, elle faisait faire ses plans d'architectes par les ingénieurs de Toronto. Résultat: il ne se vendait quasiment pas de maisons, il ne se faisait quasiment pas de prêts au Québec avec la Société centrale d'hypothèques et de logement. Pourquoi? Parce que les plans des gens de Toronto comprenaient d'immenses salons et des petites cuisines alors qu'au Québec les gens vivaient dans de grandes cuisines et de petits salons. Essentiellement, les gens ne voulaient pas avoir de maisons avec des petites cuisines et des grands salons parce que cela n'était pas leur manière de vivre. La Société centrale d'hypothèques et de logement prêtait dix fois plus en Ontario qu'au Québec parce que les plans leur convenaient. Les plans convenaient à leur façon de vivre.

Aujourd'hui, si on se promène dans les maisons du Québec, on voit que les gens vivent d'une façon qui est particulière, qui est différente. Quand on va en Grèce, on voit que les gens vivent d'une façon particulière. Essentiellement, le droit c'est quoi? C'est le reflet des valeurs fondamentales, des valeurs auxquelles on croit. Vouloir faire interpréter nos coutumes, notre culture et notre identité par les gens d'ailleurs, ce n'est pas normal. C'est une forme de colonialisme incroyable pour un peuple de 6 500 000, organisé sur le plan technique comme il l'est, que de retourner sur le plan des institutions au colonialisme du XIXe siècle.

C'est cela qu'a proposé le député de Jean-Talon sous la férule du député de Gatineau et, aujourd'hui, c'est ça que nous avons. Avait-on besoin de faire interpréter notre droit par les tribunaux de "common law", par les tribunaux de l'île-du-Prince-Édouard ou de la Saskatchewan? Avait-on besoin de ça? Il me semble que poser la question, c'est y répondre. Ce n'était pas nécessaire. Il n'y a aucune utilité à cela. On a beau chasser les sorcières en disant: Oui, mais Roncarelli, Duplessis. Hein? On pourrait dire aussi Morin versus Ryan. Cela aussi serait de la jurisprudence. Pourtant les gens sont allés devant les tribunaux, ils n'avaient pas ces chartes et le droit s'est exercé. Avant même ces grandes chartes, le droit s'est exercé parce que la façon de vivre, l'état du droit ne permettait pas cette discrimination.

Aujourd'hui, notre droit reflète nos valeurs communes et démocratiques telles que voulues comme valeurs de notre culture. Il ne faut pas se faire de grands schémas, au fond, le droit c'est essentiellement la façon de vivre. Avant que ce soit écrit, c'étaient des coutumes. Cela n'a pas toujours été écrit. Cela a été des coutumes. Nos ancêtres, en 1774, les premiers droits qu'ils ont voulus, ce sont leurs droits civils pour pouvoir faire leurs contrats entre voisins, pour pouvoir réglementer leur vie à leur façon, selon leurs traditions. Vous savez qu'une grande partie de ces gens ne savait ni lire ni écrire, mais ils connaissaient leurs traditions, leurs coutumes et la façon de faire. Ils voulaient vivre selon leur façon de faire.

Pourquoi aujourd'hui vouloir changer tout cela? Des mesures de guerre, ce n'est pas notre société qui a apporté cela ici. C'est venu de l'autre côté de la rivière. Aujourd'hui, on dirait qu'on serait mieux protégé par les gens de l'autre cflté de la rivière. Je n'ai pas le sentiment que les Québécois ont beaucoup de leçons de démocratie, de tolérance à apprendre. Nous ne sommes pas dans la Grèce des colonels. Nous ne sommes pas dans les Philippines de Marcos. Nous ne sommes pas dans la Grèce des Duvalier non plus ici. Dans le Haïti de Duvalier.

Des voix: ...

M. Garon: Oui, dans un certain sens. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu'ici c'est une façon de vivre. Il n'y a pas

beaucoup d'endroits dans le monde où il y a une tradition de tolérance, d'absence de discrimination comme il y en a une ici. Il n'y en a pas beaucoup dans le monde. On nous fera croire après cela, dans un esprit de colonialisme, qu'on a besoin de se faire indiquer la voie de la liberté, la voie des droits fondamentaux, par ailleurs. Pourquoi? Nous sommes essentiellement un peuple, et ces règles sont fondamentales. L'application de la charte canadienne viendra d'une interprétation largement dominée par la culture anglo-saxone. Je n'ai rien contre la culture anglo-saxone, sauf que ce n'est pas celle de notre monde, de notre société, qui a évolué différemment. Dans certains cas, cela se ressemble beaucoup, mais dans d'autres cas, c'est différent. (20 h 50)

Pourquoi vouloir faire interpréter notre jurisprudence? Parce que c'est cela, au fond. La charte - quand le député de Jean-Talon parle de la charte - la charte, il n'y pas de problème. Il n'y a pas de problème dans des chartes. Le problème, c'est de soumettre l'administration du droit à des tribunaux qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont pas dirigés par notre système de droit et qui vont être influencés largement par un système de droit qui n'est pas le nôtre.

On sait qu'il n'y a pas seulement le droit écrit. Dans le droit, il faut qu'on se réfère souvent d'une façon presque automatique, innée. Les juges ne peuvent pas se dissocier de leur société normalement. Il y a une grande partie en arrière du droit, il s'agit de coutumes ou de façons de faire.

On sait, souvent naturellement, que telle chose dans notre société n'est pas tolérable, alors qu'ailleurs, ce l'est. Dans notre société, certaines choses sont largement tolérables, facilement tolérables, alors qu'ailleurs, cela ne l'est pas, parce qu'on est plus ou moins puritain, parce qu'on a plus ou moins telle ou telle façon de penser dans notre société.

Pourquoi le Québec aurait-il besoin d'une charte canadienne alors qu'il a une charte québécoise qui le protégeait et qui le protège largement? Pourquoi soumettre l'ensemble à l'ensemble des tribunaux canadiens qui interprétera chacun des droits fondamentaux de la charte canadienne et qui influencera tout notre système de droit?

La jurisprudence ainsi établie sera largement influencée par le "common law". Les règles fondamentales de droit seront interprétées de la même façon en Ontario, en Saskatchewan et au Québec. Pourtant entre le Saskatchewan, l'Ontario et le Québec, il y a beaucoup de choses qui sont différentes dans la culture et la conception des choses.

Quand M. Ryan nous dit qu'on est mieux protégés par les autres que par nous-mêmes, qu'on sera mieux protégés par les tribunaux anglais ou canadiens-anglais, moi, je vous dis qu'il y a quelque chose de dénaturé dans tout cela. Nous sommes une minorité dans l'ensemble canadien, et il n'y a rien de mal à être une minorité. Mais être une minorité, par exemple, cela oblige à des combats plus grands, à une façon de faire différente.

Si le peuple québécois n'avait pas été si combatif au cours des années, tout le peuple québécois, c'est le peuple québécois avec les influences qu'il a eues, mais avec sa façon de vivre qui est différente... Nous sommes une collectivité différente également en Amérique du Nord. Je ne peux pas comprendre le député de Jean-Talon et le député d'Argenteuil quand ils nous disent que nous allons être mieux protégés par les autres; je ne peux pas comprendre ce raisonnement.

Je ne peux pas comprendre comment on peut penser que l'interprétation de notre droit avec l'influence d'une charte canadienne interprétée par les tribunaux anglo-saxons, de formation de "common law", va mieux faire notre affaire que si nous avons notre propre charte.

La charte canadienne fait passer de l'Assemblée nationale vers un pouvoir judiciaire anglo-saxon et très centralisé la capacité de décider en dernier ressort de la définition des droits et des libertés, et sans que le Québec n'ait eu un mot à dire. Il y a un peuple ici? Il y a le peuple québécois, un peuple distinct dont le droit est le gardien des valeurs. Si on n'avait pas une culture et des valeurs qui nous sont propres, notre peuple n'aurait pas besoin d'exister. Notre peuple s'affaiblirait immédiatement et j'imagine que, si le peuple savait demain matin que cela pourrait être le cas, on serait surpris du choix qu'il ferait. On serait surpris, parce que je pense qu'immédiatement, une grande partie de notre peuple demanderait de devenir nord-américain. Pourquoi se tracasser au sujet du libre-échange? En tant qu'une autre province américaine, on nous ferait participer au libre-échange d'une claque et d'un coup sec, sans même une discussion, sans même une négociation.

C'est ce qui fait que le peuple québécois, au fond, tient à ses institutions parce qu'il a conscience d'être différent, d'être un ensemble humain différent qui s'est forgé au cours des années graduellement, non pas par un trait de plume qui s'est fait la nuit ou en fin d'après-midi, sans même un fonctionnaire pour l'annoncer dans un communiqué. Le peuple s'est forgé graduellement par des apports humains de toutes sortes qui ont fait, avec ses traditions, avec l'évolution, un ensemble humain particulier. C'est cet ensemble humain que le peuple québécois veut protéger.

Les libéraux n'ont pas eu de mandat au

cours de cette élection pour faire cela. Ils n'en ont parlé d'aucune façon et jamais ils n'ont dit, après toutes les luttes qui ont été faites par nos ancêtres pour obtenir, en 1774, ces droits civils qui ont été protégés au cours des années, que d'un trait de plume notre droit civil serait trahi de cette façon. C'est une véritable trahison par rapport à notre façon de faire, par rapport à notre droit civil. Nous ne pouvons pas le permettre. C'est pourquoi cette motion de blâme est si importante. Les libéraux en sont tellement conscients qu'ils ont dit que la charte était la loi la plus importante. Il n'y a même pas eu un communiqué de presse, il n'y a même pas eu une déclaration ministérielle, il n'y a rien eu. Cela a été traité comme une maladie honteuse, comme si le gouvernement avait honte.

La plus grande charte, la loi suprême qui va protéger nos libertés fondamentales, on l'a traitée comme quelqu'un qui vient de découvrir qu'il a une malade honteuse. Voilà qu'on va nous faire croire qu'ils ont ressenti que nos meilleurs droits reposeraient sur notre système de valeurs. C'est un peu anormal, il n'y a personne qui va nous faire croire cela.

J'écoutais le député d'Argenteuil qui nous disait qu'il fallait être franc. Imaginez-vous! Un gouvernement va prendre une telle décision sans rien... On l'a appris parce que Léon Dion a dû se sentir gêné et il a dû penser, comme je connais le professeur Dion: Mon silence me rendra complice de cette décision honteuse. C'est pourquoi c'est lui qui a annoncé indirectement, par sa démission, la décision du gouvernement. Il n'a pas voulu être complice par son silence de cette décision, et il a démissionné. Ce n'est pas n'importe qui, Léon Dion. Pour annoncer l'arrivée de Léon Dion comme conseiller, il y a eu un communiqué de presse, il y a eu une conférence de presse. Lorsqu'il a quitté, parce qu'il avait quitté depuis plusieurs jours, il n'y a rien eu, aucun communiqué, aucune déclaration et une charte aurait été adoptée sans une seule déclaration du gouvernement du Parti libéral.

Les gens vont venir nous dire, ces jeunes députés qui sont là, qui arrivaient, tout feu tout flamme, pleins d'idéal, ils vont participer à cette trahison sans dire un mot, d'une façon incroyable. Pensez-yî Sur la charte des droits qui va diriger notre société fondamentalement, au point de vue des grandes libertés et de l'interprétation du droit, il n'y a même pas eu un communiqué, il n'y a même pas eu une décision publique. C'est simplement parce que le principal conseiller du gouvernement n'a pas voulu se faire solidaire et complice de cette décision et qu'il a démissionné que nous l'avons appris et que les journaux l'ont appris.

M. le Président, quand on travaille dans une équipe, il faut que chacun joue son rôle.

Ce n'est pas comme au Parti libéral, où le député de Gatineau sort...

Le Vice-Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Garon: Il ne faudrait pas que vous preniez les désirs du ministre de la Justice pour des réalités. Vous avez remarqué que ça l'a tellement fatigué qu'il n'est pas venu de la journée. Peut-être que sa conscience lui parle un peu aussi; il n'aime pas beaucoup ce genre de décision que le gouvernement prend. La seule chose que je vous dis aujourd'hui, c'est que vous venez d'asséner un clou sur un tombeau dont on va parler longtemps. Aujourd'hui, la motion de blâme qui a été présentée par le chef de l'Opposition est le départ d'une bataille qui va durer jusqu'à ce que cette chose soit résorbée, soit changée, parce que le peuple québécois n'acceptera pas que tous les droits pour lesquels il a combattu pendant 200 ou 225 ans soient brimés d'une seule claque par la signature d'un jeune député qui, de façon intempestive, a voulu prendre une telle décision, décision, comme l'a dit le professeur Dion, incroyablement maladroite. (21 heures)

Le Vice-Président: Je cède la parole à Mme la députée de Vachon.

Mme Christiane Pelchat

Mme Pelchat: M. le Président, la motion qui nous concerne, aujourd'hui, touche la décision de notre gouvernement de ne plus recourir systématiquement à la clause dérogatoire prévue à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés.

En effet, le gouvernement décidait, le 5 mars dernier, de ne plus inclure systématiquement dans les lois québécoises une clause les soustrayant aux dispositions de certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés. Il y est précisé, il est entendu que le gouvernement pourra se prévaloir de cette prérogative chaque fois que le lui dictera l'intérêt collectif.

Il me paraît tout à fait normal et évident pour un gouvernement libéral d'adopter une telle position de principe. Le gouvernement l'a fait parce que l'utilisation de la clause "nonobstant" de la charte dans toutes nos lois enlève la protection des droits et des libertés fondamentales telles que la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté de croyance. En plus, elle enlève toutes les garanties juridiques, elle annule toute protection contre la discrimination et enlève la reconnaissance de l'égalité de tous face à la loi.

Depuis 1982, les citoyens et citoyennes du Québec étaient sous-protégés dans leurs droits et libertés, sous-protégés comparativement à la population du reste du Canada.

Nous étions moins bien protégés au Québec qu'en Ontario. C'est cela que signifie l'utilisation systématique de ladite clause.

Le gouvernement a éliminé, par sa prise de position, cette situation injuste et l'Opposition crie au scandale. Mais tel qu'annoncé par le Parti libéral, la position du gouvernement est le premier pas pour redonner au Québec un rôle positif dans les relations intergouvernementales. Je vois mal pourquoi l'Opposition manifeste, aujourd'hui, autant de surprise devant une position que le Parti libéral a toujours soutenue et que l'on applique aujourd'hui. Pour notre gouvernement, le recours systématique à cette clause n'est plus nécessaire. La décision du gouvernement précise bien que l'on pourra se prévaloir de cette prérogative lorsque les intérêts du Québec le dicteront.

Un exemple qui illustre bien la privation des droits résultant de l'insertion de la clause dérogatoire dans nos lois est sans doute la discrimination que le Parti québécois a maintenue pendant ces dernières années face aux jeunes bénéficiaires de l'aide sociale. Comme on le sait, les bénéficiaires de l'aide sociale âgés de moins de 30 ans sont victimes de discrimination à cause de leur âge. L'utilisation de la clause "nonobstant" a pour effet de soutraire l'application de cette loi à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui veut que tous aient droit à la même protection et aux mêmes bénéfices de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment de discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Cette situation a pour effet de déposséder les jeunes bénéficiaires d'une possibilité de recours que leur reconnaît l'article 24 de la charte canadienne.

Le chef de l'Opposition nous dira sûrement que ce droit est aussi inscrit dans la charte québécoise. Cependant, je lui rappellerai que la charte québécoise comporte également une clause de dérogation que le gouvernement du Parti québécois a utilisée plus de 18 fois, spécialement dans le cas de la loi 111 où des droits fondamentaux ont été écartés du revers de la main. L'utilisation systématique de cette clause a eu pour effet de légitimer la discrimination face aux jeunes en matière de prestations d'assistance sociale.

La position du gouvernement libéral de ne plus disposer de la clause "nonobstant" à toutes les sauces est, selon moi, un premier pas vers le rétablissement de l'égalité juridique de tous les citoyens, jeunes ou vieux, face au statut qu'on leur donne dans la loi. Non seulement le geste du gouvernement va-t-il dans le même sens que nos engagements électoraux en matière constitutionnelle, mais le geste va aussi dans la même veine que nos engagements face à l'élimination de la discrimination sur le critère d'âge en matière d'aide sociale.

J'ajouterai que notre position est tout à fait légitime et éclairée puisque les Québécois pourront maintenant profiter d'une plus grande protection de leurs droits et libertés. De plus, il faut absolument préciser qu'il ne s'agit aucunement, comme le prétend l'Opposition, de l'abandon de la clause "nonobstant", mais plutôt de l'abandon de l'attitude négative du gouvernement péquiste d'y recourir systématiquement. La polémique entourant ce débat illustre très bien, encore une fois, la différence fondamentale entre le Parti libéral, qui en est un fédéraliste, et le Parti québécois, parti indépendantiste. Mais au grand désarroi du Parti québécois, le 2 décembre, la population a choisi de façon très claire de rester membre de la fédération canadienne et de profiter de tous ses avantages. Merci.

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président: Mme la députée de Maisonneuve, vous avez la parole.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Merci, M. le Président. On a dit, au cours du débat, cet après-midi, que ce n'était pas nécessaire d'être avocat pour participer au débat sur cette motion. Mais quand on est avocat, juriste et, en plus, ancien professeur de droit constitutionnel, comme le ministre des Relations internationales, alors là, je pense qu'on n'a pas le droit de laisser planer n'importe quoi, surtout dans le domaine des droits. Que l'on décide d'opter, comme l'a fait le Parti libéral, pour la primauté de la Charte canadienne des droits, qui a été imposée au Québec sans son consentement, qu'on décide d'opter pour la primauté de cette charte, c'est là un choix politique contesté, contestable, mais légitime. Mais que l'on utilise une argumentation juridique, comme l'a fait le ministre cet après-midi, pour confondre dans cette Chambre les Québécoises et les Québécois qui nous écoutent, à savoir que sur le fond des droits eux-mêmes les Québécoises et les Québécois avaient été privés, étaient moins bien protégés, étaient pris en otage, ajoute-t-il, par l'utilisation de la clause dérogatoire, alors là, cette attitude dépasse ce qu'il est permis de faire en politique, même dans cette Chambre.

Les ministériels d'en face ont parlé comme si les dispositions fondamentales des articles 2 et 7 à 15, retranchés par l'utilisation de la clause dérogatoire, ne trouvaient plus application, ne trouvaient pas autrement application dans les dispositions équivalentes de la charte québécoise toujours

en vigueur. Quiconque, de bonne foi et de bon sens, écoutait les débats cet après-midi pouvait se poser la question: Mais de quels droits fondamentaux au juste aurais-je été privé qu'il était urgent pour le nouveau gouvernement de rétablir? Aucun, faut-il répondre.

De quels droits fondamentaux les Québécois ont-ils été privés? Il n'y a jamais eu ni vide juridique ni vacuum puisque les dispositions fondamentales de la charte québécoise s'appliquaient. Si certains imaginent que sur le plan des droits eux-mêmes, nous étions perdants avec la charte québécoise, qu'ils se détrompent. Je leur rappellerai ce qu'en disait l'actuel ministre de la Justice lorsqu'il était dans l'Opposition. "Notre charte, disait-il, est la plus progressiste, la législation la plus progressive." Il ajoutait même: "Nous pouvons et devons être fiers de nos accomplissements dans le domaine de la protection des droits et libertés de la personne."

Je voudrais me référer à un récent cahier de formation du Barreau du Québec qui portait justement sur l'interaction des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. On peut lire, à la page 184 de ce cahier de formation des avocats du Québec, ceci: "La Charte des droits et libertés de la personne offre-t-elle la même protection que la charte constitutionnelle?" On répond: "Sur le fond des droits eux-mêmes, la réponse paraît être affirmative. J'ajouterais même, dit l'auteur, que certains droits prévus dans la charte québécoise ne se retrouvent pas dans la charte canadienne". Et il cite le droit au respect de la vie privée, article 5, à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, article 6, au secret professionnel, article 9, à l'avocat, article 34. (21 h 10)

On pourrait ajouter - ce n'est pas exhaustif - que l'on retrouve également dans la charte québécoise l'interdiction de la discrimination à l'égard d'une femme enceinte ou qui a l'intention de le devenir, ce qu'on ne retrouve pas dans la charte constitutionnelle; la reconnaissance de l'égalité entre les femmes et les hommes; et plus encore que dans la charte canadienne, la reconnaissance du droit à un salaire égal pour un travail équivalent; l'interdiction de la discrimination fondée sur les convictions politiques, sur la condition sociale, sur l'orientation sexuelle.

Alors, si ce n'est pas sur le plan des droits eux-mêmes, demandent les Québécois qui ne sont pas avocats, mais qui suivent ce débat ce soir, si ce n'est pas sur le plan des droits, quelle était donc l'urgence et quels sont donc les avantages de recourir à la charte canadienne? Certainement pas à cause des recours puisque la charte constitutionnelle oblige à un recours devant les tribunaux contrairement à la charte québécoise qui permet un recours à la Commission des droits de la personne; pas plus à cause des limites qui peuvent être apportées aux droits eux-mêmes contenus dans chacune des chartes. Il faut rappeler que chaque charte comprend une clause dérogatoire. Sur les clauses limitatives elles-mêmes, je me réfère toujours à ce cahier de formation du Barreau dans lequel on pouvait lire: "D'une part, l'article 1 de la charte constitutionnelle vise tous les droits alors que l'article 9.1 de la charte québécoise ne vise que les droits fondamentaux. En conséquence, y lit-on, la protection de la charte québécoise paraît plus complète en ce sens que moins nombreux sont les droits dont la restriction pourra se justifier par une dérogation générale."

Finalement, nous en arrivons à la vraie différence au coeur du débat. La charte québécoise n'a pas de statut constitutionnel au sens fort. Elle peut être modifiée comme une loi ordinaire. Tandis que la procédure de modification de la charte constitutionnelle canadienne est ainsi faite qu'il est impossible pour le Québec d'obtenir quelque changement majeur sans l'accord des deux Chambres du Parlement fédéral et des Législatures d'au moins les deux tiers des provinces anglaises, six provinces sur neuf. A contrario, il faut voir là qu'il est évident que le Québec pourrait aussi se faire imposer un changement majeur contre sa volonté, comme le "Canada Bill" lui-même, mais cette fois, en toute quiétude de conformité à la procédure de modification.

Il en va des chartes de ce que les sociétés en font. Il n'y a aucune raison de s'enorgueillir, de céder aux tribunaux le soin d'arbitrer l'évolution d'une société. Il n'y a aucune raison de se réjouir de ce qu'une charte des droits ne puisse pratiquement pas être modifiée.

S'il y a une leçon à tirer, c'est bien celle de la longue campagne inachevée des femmes américaines pour obtenir le "Equal Rights Amendment" présenté pour la première fois au Congrès américain en 1923, il y a 63 ans. Cet amendement n'est toujours pas en vigueur. L'histoire nous rappelle que, adopté par le Congrès en mars 1972, il a été soumis à la ratification des États en 1972, alors qu'il faut que 38 États ratifient l'amendement pour qu'il soit adopté. En 1977, 35 États le ratifient, mais 3 États ne le font pas; en 1983, 35 encore le ratifient, 4 votent contre. En 1985, l'amendement n'est toujours pas adopté. Après 63 années, l'amendement n'est toujours pas en vigueur.

M. le Président, quand on parle de charte de droits et libertés, comme l'a si bien dit le député de Lévis, on parle essentiellement de valeurs, de questions fondamentales à arbitrer, comme c'est inévitable dans une société en mutation. Le

ministre des Relations internationales nous a dit, cet après-midi, que les Québécois et les Québécoises pouvaient compter sur lui et sur son gouvernement pour négocier et faire reconnaître le caractère distinct de la société dans le préambule de la constitution. Je sais que, pour lui, cette garantie juridique - il l'écrivait lui-même dans ce cahier de formation du Barreau - était indispensable. Compte tenu que la première condition de spécificité d'une société, la première condition de son identité, c'est certainement d'être responsable dans la plus large mesure possible de ses propres valeurs fondamentales, y compris les droits de la collectivité et les libertés de chacun, pourquoi ne pas, M. le ministre des Relations internationales, faire reconnaître la primauté de la charte québécoise dans le préambule de la constitution? Pourquoi justement? Est-ce que ça ne serait pas plus efficace que de réclamer la nomination de juges québécois pour interpréter une charte canadienne? Merci.

La Vice-Présidente: Merci, Mme la députée de Maisonneuve. M. le député de Mille-Îles.

M. Jean-Pierre Bélisle

M. Bélisle: Je m'associe immédiatement aux commentaires de mes collègues de la majorité ministérielle relativement à leur distinction quant à la Charte canadienne des droits et libertés comparativement à la charte québécoise des droits et également quant aux autres distinctions faites relativement à la Loi constitutionnelle de 1982.

Ce qui m'amène à parler, ce soir, bien entendu, c'est l'énoncé par décret, en date du 5 mars 1986, par le gouvernement du Parti libéral du Québec d'une intention qui est la suivante: De ne pas inclure systématiquement dans les lois québécoises -ce que faisait le gouvernement du Parti québécois - une clause les soustrayant aux dispositions de certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés, étant entendu que le gouvernement pourra se prévaloir de cette prérogative chaque fois que le lui dictera l'intérêt collectif.

Dans les courtes minutes qu'il me reste, je pense que la question fondamentale qu'il faut se poser est: Pourquoi l'ancien gouvernement du Parti québécois a-t-il utilisé systématiquement cette clause? Moi, je vois trois motifs. Le premier motif, c'est avant tout pour corriger la bévue constitutionnelle de 1981, la perte du droit de veto par le gouvernement qui n'a pas su et n'a pas voulu négocier avec les autres provinces canadiennes et le gouvernement fédéral. Quand on nous parle de la nuit des longs couteaux, le 5 novembre 1981, il y a d'autres versions que la version des gens de l'Opposition, qui étaient au pouvoir à cette époque. Je fais référence à un article publié dans la Gazette de Montréal, le 10 novembre 1984, à la page J-l, où d'autres participants tels que M. Roy Romanow, qui était le Procureur général du gouvernement de la Saskatchewan et qui a écrit un volume en compagnie de deux autres fonctionnaires, MM. John Whyte et Howard Leeson du gouvernement de la Saskatchewan, qui ont affirmé dans leur volume la position suivante: "Quebec had planned well for a constitutional war, but not at all for a constitutional peace". À un autre endroit: "Quebec's sole objective at this stage of the negotiations was to wreck Ottawa's plan for patriation".

Bien entendu, il faudrait peut-être retourner à d'autres éminents constitu-tionnalistes qui, par le passé, ont fait démarrer au Québec ce qu'on connaît maintenant comme des causes un peu extraordinaires dans le domaine du droit constitutionnel. Je fais référence à M. Stephen A. Scott qui était associé, à l'époque, à la cause de Roncarelli. M. Scott, dans un article publié en 1982, dans un texte intitulé "The New Constitution and the Charter of Rights", on disait ceci à la page 309: "My depression as details of the accord came through the wire services flowed in part from the realization that the characteristic response of the Parti québécois Government would be to frustrate the entire scheme and to enact "override" clauses in all legislation as a matter of course, partly on principle, partly to numb the public to the use of the power and to call no special attention to any particular legislation in which it was employed". (21 h 20)

Monsieur, Scott fait référence, à la page suivante, à la page 310, à la loi qui a suivi immédiatement la loi 62. La loi qui suivait immédiatement la 62, Mme la Présidente, c'était la Loi concernant la Raffinerie de sucre du Québec, une loi dont on a beaucoup parlé ces derniers temps en Chambre et ce célèbre auteur en droit constitutionnel nous dit: "In a political sense, this is not a bona fide exercise of the power confered by Section 33. But I cannot see how "judicious" use of that power, if such a thing has any meaning, can be imposed judicially and made a matter of legal obligation". Ce que disait le professeur Scott était tout simple. C'est que c'était impensable que dans la loi qui suivait immédiatement la loi 62 on applique systématiquement le blocage constitutionnel à une loi qui touchait à la création d'une raffinerie de sucre.

Je vais traiter, Mme la Présidente, également, de deux auteurs, Henri Brun et Guy Tremblay, qui ont souligné une autre raison pour laquelle le Parti québécois a agi

ainsi. Je cite du Droit constitutionnel, supplément, 1er juin 1985, les professeurs Henri Brun et Guy Tremblay aux pages 67 et 68: "Une constitutionnalisation relative qui, dans les domaines de compétence québécoise, laisse le dernier mot à la Législature québécoise répond à nos yeux de façon équilibrée aux droits individuels des personnes et aux besoins collectifs d'une communauté fragile, ce qui ne veut pas dire que le mécanisme de la clause de dérogation expresse soit la seule façon d'atteindre cet objectif.

Troisième motif pour lequel le Parti québécois a utilisé cette clause de dérogation expresse dans toutes les lois, à compter de 1982 et même rétroactivement jusqu'à 1975, c'est la notion de la fragilité de la société québécoise. Dans la conception péquiste, la nation québécoise, les gens qui demeurent au Québec, ce sont des gens fragiles; ils ont besoin de protection additionnelle. Nous avons besoin d'un repli sur nous. Nous avons, par conséquent, une peur d'autrui, une peur de l'étranger et l'étranger, bien entendu, c'est le reste du Canada.

Les trois objections que le chef de l'Opposition a soulignées dans l'article de la Presse du 18 mars 1986, Mme la Présidente, je vais les traiter à tour de rôle. Je pense qu'elles ne soutiennent pas une analyse minutieuse.

Premier point. Le chef de l'Opposition s'exprime: "La charte canadienne est incomplète et l'utilisation systématique de la clause dérogatoire permettait, en attendant tous les jugements des tribunaux, une certaine compatibilité des lois du Québec".

L'affirmation est fausse et erronée, première des choses. La Charte canadienne des droits et libertés comporte plusieurs droits et libertés civils non inclus dans ceux du Québec: mobilité, circulation, et il y en a beaucoup d'autres également.

Deuxième point. La charte canadienne se conforme en tout point au modèle que tous les peuples occidentaux ont élaboré depuis des décennies. Nous pouvons retourner à la Magna Carta en 1215. Je pourrais, Mme la Présidente, vous faire une citation élogieuse de tous les États américains qui, à tour de rôle, à partir de 1606 avec la Virgine, la Nouvelle-Angleterre en 1620, le Massachussetts en 1629, le Maryland en 1632, le Connecticut en 1662, le Rhode Island en 1632, jusqu'à la Déclaration d'indépendance et également la charte constitutionnelle, ont l'inclusion et l'enchâssement dans leur constitution d'une Charte des droits et libertés de la personne.

Également, on nous dit qu'il est inutile d'attendre les décisions des tribunaux pour voir s'il y a incompatibilité parce que la thèse du Parti québécois, c'est que les tribunaux ne devraient pas être supérieurs à l'Assemblée nationale. Pourquoi nous sortir cet argument? Il ne tient pas. On nous dit: On va attendre les décisions des tribunaux. Mais la position de l'Opposition, c'est justement de dire: Non, nous voulons garder notre souveraineté à l'Assemblée nationale. L'argument ne tient pas, à sa face même.

Il y a également une erreur sur la notion d'incompatibilité. Alors que la théorie du Parti québécois est de rejeter la primauté des tribunaux, je voudrais citer un article de la Presse du samedi 5 mars 1983, où on parlait des fameuses poursuites de la loi 111. Je cite Louis Falardeau: "II faut aussi dire que cet article 28 n'est pas illégal, puisque les chartes canadienne et québécoise, par leurs articles 33 et 52, permettent expressément pareille dérogation. Mais il est certain qu'elle devrait être exceptionnelle, si on ne veut pas que nos chartes perdent leur caractère fondamental et deviennent des lois comme les autres." Il semble que le Parti québécois n'ait pas compris.

Ceci étant dit, et pour couper directement dans la discussion, j'aimerais conclure en disant que contrairement à ce que les gens de l'Opposition essaient de nous faire croire et surtout à ce que les gens de la presse essaient de nous faire dire... Je cite le Devoir du 18 mars 1986, à la page 8: "Le nouveau gouvernement, de façon unilatérale et subreptice, sans en informer l'Assemblée nationale, jette un important atout sur la table sans garantie préalable et sans condition."

Je dis deux choses en conclusion. Premièrement, les droits et libertés fondamentaux des Québécois ne sont pas des atouts, parce qu'on ne joue pas aux cartes avec ces droits et libertés. Par voie de conséquence, il est évident que pour nous du Parti libéral du Québec, comme l'a si bien dit dans des articles de journaux très récents le chef de l'Opposition qui voulait que son parti laisse tomber son petit côté soviétique, nous voulons, de façon très résolue, que ce petit côté soviétique soit éliminé et qu'un individu ait des droits supérieurs aux droits de l'Assemblée nationale par voie et en considérant la justice naturelle, les droits, les libertés fondamentales.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Mille-Îles. M. le leader du gouvernement.

M. Michel Gratton

M. Gratton: Mme la Présidente, encore aujourd'hui, avec cette motion de blâme, le Parti québécois est fidèle à lui-même. Écran de fumée derrière lequel le Parti québécois voudrait cacher le manque de cohérence dans son option constitutionnelle. On voit, d'une part, le député de Lévis ressortir le discours indépendantiste, pour ensuite entendre le chef de l'Opposition nous parler de l'ouverture de son parti face à la fédération

canadienne.

M. le Président, la seule raison qui motive le Parti québécois à présenter cette motion de blâme, c'est qu'il voudrait faire croire aux Québécois que ce qu'il a fait à compter du 16 avril 1981 était la chose à faire. Ils nous accusent d'avoir improvisé, d'avoir commis une erreur stratégique. Là-dessus, ils sont connaissants, les gens du Parti québécois, parce qu'une erreur stratégique, ils en ont commis tout une, le 16 avril 1981, quand, trois jours après l'élection générale, ils sont allés signer un document avec sept autres provinces canadiennes dans lequel ils reconnaissaient implicitement que le Québec était une province comme les autres, que la spécificité du Québec n'existait plus. (21 h 30)

C'est cela que ces messieurs d'en face ont signé le 16 avril. Ont-ils présenté la chose devant l'Assemblée nationale comme ils nous reprochent de ne pas avoir fait? Mais non. Ont-ils consulté quiconque? Absolument pas! Le résultat concret de cela, cela n'a pas été simplement d'affaiblir la position stratégique du Québec. Cela a été effectivement de faire perdre le pouvoir de veto du Québec, pouvoir de veto qu'on n'a jamais eu, me lance-t-on de l'autre côté, mais qu'on a exercé par exemple. Le chef actuel du gouvernement l'a exercé à Victoria en 1971. On l'a exercé, ce pouvoir qu'on n'a jamais eu et que vous n'avez pas perdu, messieurs du Parti québécois.

C'est à la suite de cet impair, cette erreur historique du Parti québécois qu'on a commencé, après l'entente constitutionnelle... M. le Président, il ne faudrait surtout pas que le député de Lévis s'étouffe. ls ont voulu essayer de cacher à la population cette erreur historique en faisant quoi? En adoptant une politique de bouderie. On a fait du boudin. Dans toutes les lois que l'Assemblée nationale du Québec a adoptées, systématiquement, sans aucune espèce de raison, sans aucune justification, on retrouvait constamment cette clause "nonobstant" simplement pour essayer de faire croire à la population qu'on s'était fait avoir. Effectivement, le gouvernement du Québec, le gouvernement péquiste s'est fait avoir à l'automne 1981 à Ottawa. Il s'est fait avoir parce qu'il dormait de la même façon qu'il dormait en décembre dernier. Quand le député de Lévis prétend que, pour la première fois, le nouveau gouvernement libéral a exercé cette décision de ne plus inclure la clause "nonobstant", c'est au mois de février... Où étiez-vous donc en décembre dernier? On a adopté huit projets de loi ici, entre le 15 et le 19 décembre. En quatre jours, huit projets de loi. Il n'y en avait pas un seul qui contenait cette clause. Est-ce que les députés du Parti québécois n'ont pas lu les projets de loi?

Une voix: Voyons!

M. Gratton: La raison pour laquelle on a dû retirer par un amendement cette clause "nonobstant" dans le projet de loi 2, c'est que celui-ci avait été préparé par l'ancien gouvernement - un projet de loi péquiste -et qu'on a dû le corriger, comme on doit corriger combien d'autres choses que nous ont laissées les gens du Parti québécois. Huit lois en décembre, personne ne s'en était aperçu. Cela a pris un journaliste de la Presse canadienne pour réveiller l'Opposition, pour l'amener enfin à faire son travail.

Une voix: Exactement.

M. Gratton: Aujourd'hui, avec la motion d'amendement, on tente de reprendre un peu le terrain perdu.

Une voix: Camouflage.

M. Gratton: C'était strictement une politique de bouderie. On boudait, histoire de faire croire aux Québécois qu'on avait un gouvernement, comme le dit le chef de l'Opposition, qui défendait les droits du Québec.

Une voix: C'est Garon.

M. Gratton: Évidemment, au diable les droits des Québécois! Ce n'est pas important. Que les Québécois soient les seuls Canadiens à ne pas jouir des mêmes droits, cela, c'est moins important, à condition que les droits du Québec... Vous savez, vous vous rappelez la campagne électorale. On a toujours les yeux fermés quand on parle du Québec. Ce ne sont pas les discours ronflants qui nous parlent du peuple québécois qui comptent, c'est bien plus des gestes concrets qui visent à protéger les citoyens québécois. C'est ce geste qu'a posé le gouvernement non pas le 5 mars en adoptant un décret, parce que cela faisait déjà longtemps que la décision était prise. Elle avait été inscrite dans les projets de loi en décembre dernier. Huit projets de loi. Elle avait été traduite par une motion d'amendement du projet de loi 2 pour enlever la clause "nonobstant" du projet de loi dont nous avions hérité du Parti québécois. C'est seulement après que ces messieurs de l'Opposition aient feint l'indignation que l'on a cru devoir l'officialiser. Cela nous semblait aller de soi.

De 1982 à 1985, à chaque fois que nous avions à étudier des projets de loi en commission parlementaire, il n'y a pas une seule occasion où on n'a pas fait état de notre opposition à l'adoption de la clause "nonobstant". Dans chacun des cas, nous l'avons fait. Le député de D'Arcy McGee, maintenant ministre de la Justice, a prononcé des discours à répétition, a écrit

des articles que je pourrais vous citer pour démontrer que les libéraux n'étaient pas d'accord avec l'emploi systématique de la clause "nonobstant".

Et tout à coup, on se surprend, de l'autre côté, qu'on soit constant dans notre façon de faire. Je comprends que cela surprenne les péquistes, eux qui ont l'habitude de tenir un discours avant les élections et un autre après les élections. Mais, pour nous, ce n'est pas comme cela que cela fonctionne.

En terminant, je dirai que je trouve bien drôle quand on parle de ma personne comme étant le leader du groupe des neuf.

Des voix: Oui.

M. Gratton: Je vous dirai, mes chers amis, membres de l'Assemblée nationale, et Mme la Présidente, que s'il y a un geste que je n'ai jamais regretté, c'est celui que j'ai posé le 2 octobre 1981, alors que j'ai expliqué ce geste en disant que, sur le fond, j'étais tout à fait d'accord avec la motion, et que, si elle avait été présentée par quelque autre parti que le Parti québécois, j'aurais voté pour la motion, mais que je me refusais à faire confiance à des gens qui ne le méritaient pas.

Nous étions neuf à l'époque à voter dans ce sens, et on a vu l'utilisation partisane et malhonnête qu'a fait l'ancien gouvernement de cette motion dans des annonces publiées dans les journaux où on parlait de la motion Ryan-Lévesque. Je n'ai jamais regretté ce geste et je le dis en toute candeur. Je n'ai pas besoin de faire des virages à 180 degrés pour convaincre les gens de mes convictions. Elles ont toujours été les mêmes.

Je vous dis ce soir que si l'Opposition est sérieuse, si l'Opposition veut surtout que la population la prenne au sérieux, de grâce, commencez donc par nettoyer les contradictions qui règnent dans votre parti, commencez donc par nous dire là où vous vous logez sur la question constitutionnelle. Dites-nous clairement où vous vous logez, et, ensuite, on pourra peut-être vous prendre au sérieux. En attendant, Mme la Présidente, on fera en sorte que cette motion de blâme subisse le sort qu'elle mérite, c'est-à-dire qu'on n'en parle plus, mardi.

Des voix: Bravo! Bravo!

La Vice-Présidente: Merci, M. le leader du gouvernement.

M. Johnson (Anjou): Mme la Présidente, mon droit de réplique.

La Vice-Présidente: Si vous me le permettez, j'aimerais obtenir le consentement de la Chambre. On m'a informé qu'il y avait eu entente entre les leaders et j'aimerais que l'Assemblée ratifie ce consentement pour que les débats se poursuivent au-delà de 21 h 45 afin de continuer jusqu'à 22 heures. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix: Oui, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition, votre réplique.

M. Pierre Marc Johnson (réplique)

M. Johnson (Anjou): Merci, Mme la Présidente. Évidemment, Mme la Présidente, vous comprendrez que je ne peux pas ne pas réagir à la crise que vient de nous faire le leader et "boss" en matière constitutionnelle de ce gouvernement, le député de Gatineau. Il vient, à lui seul, de nous livrer un chapitre entier d'Albert Memmi.

Je relèverai un certain nombre de choses. Les huit lois qui ont été présentées avant Noël étaient huit amendements à des lois existantes comportant le "nonobstant". Si le leader comprenait cela, il ne dirait pas n'importe quoi. À l'exception d'une, une loi des crédits pour laquelle jamais nous n'avions utilisé le "nonobstant" auparavant. Bravo! Bien faits vos devoirs! Si c'est comme cela que vous allez gérer les intérêts du Québec, ce sera édifiant.

Deuxièmement, le leader ne nous dit pas qu'en commission parlementaire, sur la loi 2, il a déposé tous ses amendements en liasse, mais pas celui sur le "nonobstant" qui est arrivé à la dernière minute, probablement sans que le nouveau député de Jean-Talon ne le sache. Le député de Jean-Talon a été pris, comme l'a si bien exposé mon collègue le whip, au Conseil des ministres pour voir un Conseil des ministres ratifier un geste impulsif, préjugé et découlant d'une vision incantatoire de la politique...

Des voix: Oh!

M. Johnson (Anjou): J'y reviendrai, M. le Président, parce que ce ne sont pas des arguments juridiques que l'on nous a servis. On nous a servi de l'incantation politique pendant ce débat, pas des arguments juridiques. Je crois que la députée de Maisonneuve l'a fort bien démontré à l'égard, notamment, du député de Jean-Talon. (21 h 40)

On nous dit et on nous a affirmé des hérésies ici. Je pense en particulier à Mme la députée de Vachon qui a dit: Les Québécois étaient sous-protégés. Mais où a-t-elle pris cela, pour l'amour du ciel? D'abord, elle oublie une chose assez fondamentale. C'est que notre histoire, notre passé, nos traditions, notre culture, l'attachement du peuple québécois aux droits et libertés, cela a précédé la charte canadienne de 1982, et

que la liberté existait dans cette société avant qu'on la codifie, quelque part dans un hôtel de l'autre côté de la rivière. Avant qu'on en fasse la formulation abstraite, les droits fondamentaux existaient. Ils ne sont pas de génération spontanée. Cette façon démagogique de décrire et de donner à la charte canadienne des vertus qu'elle n'a pas, comme si nous étions un peuple incapable de définir sa liberté, c'est un comportement qui travestit le sens du geste politique que vient de poser ce gouvernement.

Deuxièmement, on nous parle de sécurité. Sécurité à l'égard, de quoi, des clauses dérogatoires? On nous a servi à satiété et a ad nauseam la loi 111; on le sait. Elle nous a été servie brutalement le 2 décembre, je l'ai dit. Mais il reste que charte canadienne ou pas charte canadienne -le ministre de l'Éducation l'a dit; au moins il a eu l'honnêteté intellectuelle de le dire dans son discours - une loi comme la loi 111, comportant une dérogation, par exemple, à la présomption d'innocence, pourrait fort bien être adoptée par le Parti libéral, avec ou sans charte canadienne. Et c'est leurrer les citoyens que de leur laisser entendre que, par leur geste, il n'est plus possible de suspendre les droits fondamentaux et les libertés fondamentales. Pour les amendements, c'est pour cela que serait plus "sécure" la charte canadienne, parce qu'on ne peut pas l'amender? Car c'est ce dont il s'agit. Là aussi, la démonstration est faite que pour modifier les droits fondamentaux -et on a toujours modifié à la hausse les droits fondamentaux au Québec, il faut se mettre cela dans la tête aussi - on n'a jamais reculé depuis 25 ans. Au contraire, chaque année, dans nos lois, on a augmenté l'aire des droits et libertés dans cette société.

Les amendements deviennent impossibles pour nous. On n'en a plus l'initiative et on pourrait même, dans le reste du Canada, décider d'amender la charte canadienne qui s'appliquera dorénavant par volonté politique sur notre territoire sans même qu'on ait participé à cela. On appelle cela de la sécurité juridique. J'appelle cela de la stagnation et de l'impuissance.

On nous dit: Ce qui rend aussi "sécures" les droits dans le geste du gouvernement, c'est que la charte canadienne est constitutionnelle et que si nous avions une constitution interne du Québec, cela resterait une simple loi. Là, je regrette d'être en désaccord, car la déformation juridique du ministre apparaît. Quel est le fondement du droit constitutionnel canadien? C'est d'abord, historiquement, une loi du Parlement anglais, puis le rapatriement de 1982. Comment? Par neuf premiers ministres de provinces, un premier ministre fédéral, une participation accessoire et secondaire des Législatures des provinces et l'absence du

Québec.

Que serait une constitution interne du Québec? Elle trouverait sa légitimité dans le peuple québécois. Pas dans une chambre d'hôtel de l'autre bord de la rivière. C'est ça que le ministre ne comprend pas, quand il dit qu'une constitution interne du Québec ne serait qu'une simple loi. Non, elle ne serait pas une simple loi si c'est le peuple québécois qui l'approuve. Vous ne pourriez pas la modifier sans retourner devant le peuple. Je préfère 6 500 000 Québécois à neuf premiers ministres des autres provinces.

Dans ce discours incantatoire où on citait Roncarelli C. Duplessis, j'avais l'impression d'être en train de lire Cité libre en 1957, en écoutant le député de Jean-Talon où s'est formée cette vision misérabiliste de la capacité du peuple québécois pour s'occuper de droits et libertés, et qu'il a épousée ici en citant la cause Roncarelli C. Duplessis, comme j'entends notre collègue de Mille-Îles qui cite Roy Romanow, le tireur en chef de couteaux au moment de la nuit des longs couteaux à Ottawa... Très édifiant.

Il y a aussi un choix. Vous dites: II y a un choix à l'égard fondamentalement de votre adhésion ou non au projet canadien. Le ministre de l'Éducation en a parlé ainsi que le leader du gouvernement. Il faudrait donc conclure que l'actuel gouvernement a embauché un conseiller politique senior en matière constitutionnelle qui, parce qu'il n'accepte pas l'application de la charte canadienne, ferait donc partie de ceux qui rejettent le Canada. Ce n'est pourtant pas en ces termes qu'on a annoncé la nomination de M. Dion. On nous a dit tout au long de ces exposés pour justifier ce geste précipité... Le ministre et d'autres ont invoqué la démarche constitutionnelle du Parti libéral composée de plusieurs documents, un livre beige, des documents remontant à 1970, sûrement des transcriptions de lignes ouvertes auxquelles aurait participé un certain nombre de députés, un toast ou deux à Ottawa du député de Gatineau au mois d'avril 1982, évidemment, le programme du Parti libéral dont personne n'a entendu parler en-dessous de l'avalanche et l'orgie complètement indécente des promesses du Parti libéral lors de l'élection.

En nous citant chaque fois les projets constitutionnels du Parti libéral qui ne sont pas codifiés, que je sache, qui ne sont pas venus devant cette Assemblée, qui n'ont pas fait l'objet d'une décision ou d'un mémoire au Conseil des ministres, chaque fois on nous a fait quoi comme démonstration? On nous a fait la démonstration que, effectivement, on ne peut dissocier ce geste du gouvernement du dossier constitutionnel dans son ensemble. C'est précisément ce que cette motion vise à démontrer. Quand le ministre, député de

Jean-Talon, nous dit: Oui, et nous demandons d'être présents dans la nomination des juges de la Cour suprême. Quand le premier ministre nous dit: Nous demanderons un droit de veto sur l'immigration. L'a-t-il ce droit de veto? L'a-t-il ce droit de nomination des juges? Ils ne l'ont pas. Mais ils nous démontrent une chose. Ils ont procédé dans ce dossier à la pièce. ls ont touché quelque chose de fondamental quant aux droits du Québec, quant à la capacité du Québec de se développer au niveau constitutionnel et ils ont agi avec imprudence, un peu comme si on passait de l'université au Conseil exécutif comme un apprenti sorcier. Ce n'est pas comme cela qu'on doit traiter des droits du Québec.

On a aussi travesti le sens de l'utilisation de la clause "nonobstant". On a même d'ailleurs cité, dans le cas du député de Mille-Îles, en travestissant, le professeur Henri Brun. L'utilisation de la clause "nonobstant" est une façon de restreindre ponctuellement l'application de la charte canadienne. La clause "nonobstant" n'est pas une panacée. C'est pourquoi la solution la plus globale à cet égard doit être envisagée. C'est celle de la primauté reconnue à notre charte, dans notre système de droit, pour ce peuple, sur son territoire.

En somme, Mme la Présidente, je crois que nous aurons pu faire, lors de cette motion de blâme, la démonstration de ce qu'elle contient, que ce gouvernement, oui, a agi de façon prématurée. Deuxièmement, ce gouvernement a agi de façon imprudente avec nos droits collectifs. Troisièmement, ce gouvernement agit en brouillon, de façon improvisée et, pire, il le fait en cachette, comme il l'a fait à l'égard de la hausse des impôts, comme il l'a fait à l'égard de l'affichage français à Montréal, comme il l'a fait à l'égard de la rémunération dans les secteurs public et parapublic.

Tout se fait par la porte d'en arrière et en catimini. Nous ne laisserons pas faire le Parti libéral, surtout pas dans ces matières qui touchent la permanence des choses de ce peuple. Car vous avez parlé, certains d'entre vous, du peuple québécois. Ce peuple pour être respecté, cela implique qu'on respecte au minimum celles et ceux qui ont été élus par lui le 2 décembre. Cela présuppose que, quand il y a des enjeux collectifs fondamentaux, on vienne devant cette Assemblée, qu'on sorte du "bunker". On ne laissera pas le Parti libéral toucher à ces questions vitales pour notre avenir dans le secret des comités secrets et des bénévoles secrets.

C'est pour cela, Mme la Présidente, que nous croyons que cette motion, que la majorité rejettera les yeux fermés, restera bien fondée.

La Vice-Présidente: Merci, M. le chef de l'Opposition. Là, on serait à la mise aux voix de la motion.

Une voix: Vote enregistré.

M. Gratton: Mme la Présidente, pourrai-je suggérer et vous demander de reporter le vote à mardi, à la fin de la période des affaires courantes?

La Vice-Présidente: Vote reporté à mardi à la période des affaires courantes.

M. Gratton: Et cela étant, Mme la Présidente, puis-je vous suggérer d'ajourner les travaux de l'Assemblée jusqu'à mardi 14 heures?

La Vice-Présidente: Y a-t-il consentement pour l'ajournement des travaux?

M. Gendron: Adopté.

La Vice-Présidente: Travaux ajournés à mardi 14 heures.

(Fin de la séance à 21 h 53)

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