(Quatorze heures huit minutes)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Je comprends que ça fait un certain temps que nous ne nous sommes pas retrouvés ici...
Alors, mesdames, messieurs, nous allons d'abord nous recueillir quelques instants.
Je vous remercie. Si vous voulez vous asseoir.
Compte tenu de la circonstance exceptionnelle que constitue le décès de notre ex-collègue, l'ex-premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa, l'Assemblée nationale du Québec suspend pour aujourd'hui ses règles de procédure habituelles afin de prendre en considération une motion spéciale présentée conjointement par M. le premier ministre et M. le chef de l'opposition officielle.
Motion proposant que l'Assemblée rende hommage à M. Robert Bourassa et que les principaux aménagements reliés à la centrale LG 2 portent son nom
Permettez-moi, avant de céder la parole aux deux présentateurs, d'abord de lire le texte de cette motion:
«Que l'Assemblée nationale rende hommage à M. Robert Bourassa, premier ministre du Québec de 1970 à 1976 et de 1985 à 1994, pour sa contribution exceptionnelle au développement du Québec moderne et qu'afin d'honorer sa mémoire elle recommande que les principaux aménagements reliés à la centrale LG 2 portent désormais les noms de centrale Robert-Bourassa, de barrage Robert-Bourassa et de réservoir Robert-Bourassa.»
(14 h 10)
Je vais maintenant céder la parole à M. le premier ministre.
M. Lucien Bouchard
M. Bouchard: M. le Président, à titre de chef du gouvernement et de président du Parti québécois, je tiens aujourd'hui à profiter de la première séance de l'Assemblée nationale depuis le décès de l'ancien premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa, pour lui rendre hommage.
Brillant étudiant en droit, en fiscalité et en économie, Robert Bourassa ne résista pas longtemps à l'appel de la politique, et la politique ne lui résista pas longtemps non plus. Élu député à l'Assemblée nationale pour la première fois en 1966, il ne mit que quatre ans à gravir les échelons du pouvoir pour devenir, à 36 ans seulement, le plus jeune premier ministre de l'histoire du Québec. Il occupera le siège du chef du gouvernement pendant près de 15 ans.
Au cours des derniers jours, beaucoup de Québécoises et de Québécois ont rappelé le rôle charnière qu'a joué M. Bourassa dans le développement hydroélectrique du Nord du Québec. C'est par son impulsion que le Québec s'est engagé sur cette voie à une époque où les choix énergétiques étaient loin d'être évidents. D'ailleurs, la motion que vient de lire la présidence de l'Assemblée au nom de tous les parlementaires recommande d'immortaliser l'apport de Robert Bourassa au développement de la Baie James.
L'intérêt de M. Bourassa pour la politique énergétique québécoise tenait de son obsession pour l'économie et le développement économique du Québec. Il dévorait journaux et revues économiques. Pour lui, la lecture de la prestigieuse revue britannique The Economist était un véritable délice. L'ancien premier ministre du Québec suivait d'ailleurs avec une assiduité peu commune les tendances des principaux indicateurs économiques du Québec, du Canada et d'autres pays occidentaux.
Même lorsque M. Bourassa ne détenait plus le portefeuille des Finances, son influence sur la gestion des finances publiques et la préparation du budget était omniprésente. L'aisance qu'il affichait en cette Chambre lorsqu'il défendait les politiques économiques de ses gouvernements traduisait sa grande implication en cette matière. Qui ne se souvient pas du sourire en coin qu'il pouvait afficher lorsqu'il esquivait une question embarrassante en invoquant une bonne nouvelle économique?
Son intérêt marqué pour la chose économique n'a pas empêché que les débats les plus vifs auxquels M. Bourassa ait participé dans cette enceinte se soient trouvés d'une autre nature. Qu'on pense aux crises linguistiques auxquelles il a été confronté, aux passes d'armes constitutionnelles et aux autres événements qui auront marqué l'histoire du Québec, telles les crises d'Octobre et d'Oka.
De sa carrière, cette Assemblée retiendra particulièrement les débats sur l'avenir politique du Québec, où M. Bourassa savait démontrer une grande habileté. Il savait lire dans l'inconscient des Québécois. Il maniait les concepts comme peu de politiciens savent le faire. Robert Bourassa fut notamment le défenseur de la souveraineté culturelle, du fédéralisme rentable et de la société distincte, formules qu'il n'a pas inventées, mais qu'il a mises de l'avant. Rappelons-nous d'autres formules, telles la substance de Meech ou la question de Bruxelles, formules dont, seul, il avait le secret.
Nous nous souvenons tous de Robert Bourassa comme d'un debater aguerri qui aimait participer à la période de questions et discuter de grands enjeux pour le Québec. Il était, il faut en convenir, un parlementaire hors pair qui maîtrisait l'art de répondre aux questions de l'opposition et quelquefois de ne pas y répondre.
Cela dit, Robert Bourassa aura toujours préconisé un régime fédéral moins rigide et plus souple à l'égard des aspirations légitimes du Québec. Il aura toujours cherché à y tailler une meilleure place pour le Québec. Et plusieurs de ses discours et prises de position ont contribué à forger le corpus des revendications historiques du Québec. Malgré nos divergences d'opinions, il faut reconnaître la constance des efforts qu'il a déployés dans la défense de sa conception des intérêts supérieurs du Québec, selon l'expression qu'il a lui-même consacrée.
M. Bourassa détestait les affrontements. Il recherchait d'une manière assidue les compromis, et plusieurs, notamment de ce côté-ci de la Chambre, auraient souhaité qu'il pondère sa modération. Mais il disait viser le plus grand consensus possible. Et souvent il répétait que c'est uni que le Québec est le plus fort. Sur ce dernier point, personne n'osera le contredire.
Les murs de l'Assemblée nationale résonneront encore longtemps des paroles de Robert Bourassa dans les heures qui suivirent l'échec de Meech, le 22 juin 1990. Je soupçonne que cet homme calme et infiniment patient a vibré d'émotion lorsqu'il a déclaré de ce siège, et je cite: «Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement.» Ce jour-là, pour l'une des rares fois de son histoire, le Québec a parlé d'une seule voix: celle de Robert Bourassa.
Il est trop tôt pour juger de ce que l'histoire retiendra des gouvernements de M. Bourassa. Toutefois, l'adoption de la Loi sur la protection du consommateur, celle de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et la mise en place du régime d'aide juridique sont au nombre de ses plus grandes réalisations sur le plan social. Au chapitre de la culture, on pense à l'adoption de la première loi consacrant le statut officiel du français au Québec, de même qu'à la loi sur le statut de l'artiste. Avec ses 18 ans de service à l'Assemblée nationale, son retour en politique après sept ans d'absence, ses 15 ans où il gouverna le Québec comme premier ministre, nul doute que Robert Bourassa fut un marathonien de la politique. Nous le saluons tous aujourd'hui, de même que nous reconnaissons sa grande ténacité.
Robert Bourassa a su également montrer beaucoup de courage, particulièrement au cours de la crise d'Oka de l'été 1990, alors que, frappé d'une cruelle maladie, il retardait le début de ses traitements médicaux pour rester en poste et assumer ses responsabilités de chef de gouvernement.
Mais, au-delà de ses qualités exceptionnelles d'homme politique, Robert Bourassa était d'abord et avant tout un homme affable et chaleureux dans ses rapports personnels. En fait, un véritable gentleman.
Je ne suis pas de ceux qui l'ont le mieux connu. Longtemps, je n'ai perçu de lui que l'image publique, cette image qui masque trop souvent la vérité de la personne. J'ai cependant quelques souvenirs plus personnels. Je n'en évoquerai qu'un seul, celui de ma première rencontre avec lui. Au lendemain du saccage de la Baie James, il avait accepté que je sois nommé procureur de la commission Cliche chargée de l'enquête publique que l'on sait. Il avait, ce faisant, passé outre à mes allégeances souverainistes et péquistes. On se rappellera par surcroît avec quelle vigueur les commissaires et procureurs ont mené l'enquête, n'épargnant ni le gouvernement, ni M. Bourassa, ni ses ministres, dans leur investigation et leur rapport. Comme procureur en chef, je ne fus pas le moins ardent à l'ouvrage.
Or, le soir du dépôt du rapport de la commission, en mai 1975, il vint dîner au Château Frontenac avec les commissaires et les procureurs. Je m'attendais de sa part à une attitude pour le moins glaciale. C'est alors que je lui fus présenté par feu Robert Cliche de même que par Brian Mulroney et Guy Chevrette. Je dois avouer que je fus estomaqué et touché par sa gentillesse et sa magnanimité, son humour. C'est ainsi qu'il était.
Même si on lui connaissait beaucoup d'adversaires politiques, son amabilité et sa tolérance faisaient en sorte qu'il n'avait pas d'ennemis. Les témoignages qui ont été portés à sa mémoire ces derniers jours en disent long sur l'influence qu'a exercée cet homme et la pérennité des liens qui l'unissent aux Québécoises et aux Québécois.
Comment ne pas évoquer aujourd'hui celle qui l'a accompagné tout au long de son parcours? Mme Andrée Bourassa a su en toutes circonstances manifester les plus grandes qualités de dignité et de discrétion. Elle acceptera pour une fois qu'on dise d'elle publiquement ce que tout le monde pense: c'est une grande dame.
Nous avons tous souhaité qu'après avoir consacré l'essentiel de sa vie à la politique M. Bourassa puisse jouir d'une retraite bien méritée auprès de sa famille, notamment auprès de ses petits-enfants qu'il chérissait tant. Le destin en a décidé autrement. Mais, au moment où la mort l'enlevait à l'affection de ses proches, elle le rendait à l'affection des Québécois, enfin libres d'apprécier, au-delà des différends politiques, l'homme de courage, de simplicité et de fidélité au Québec qu'a été Robert Bourassa.
(14 h 20)
Chers collègues, nous saluons aujourd'hui l'un de ceux qui auront le plus marqué l'histoire moderne de notre Assemblée. Au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, je tiens donc à rendre hommage à M. Robert Bourassa et à le remercier de tout ce qu'il a fait pour le Québec, en présentant nos plus vives condoléances à Mme Bourassa, à sa fille Michelle, son fils François, ses petits-fils Mathieu et Simon, à tous leurs proches et à tous les membres de la grande famille libérale.
Le Président: Merci, M. le premier ministre. Je cède maintenant la parole à M. le chef de l'opposition officielle.
M. Daniel Johnson
M. Johnson: Merci, M. le Président. Robert Bourassa, mon professeur, mon chef et premier ministre, mon partisan et mon supporter, c'est à lui que nous rendons hommage aujourd'hui, et c'est rendre hommage à un homme qui a marqué 25 ans de vie politique au Québec, qui a contribué à façonner le Québec d'aujourd'hui et qui a su préparer notre avenir.
Robert Bourassa était d'abord un homme de vision. Ce qui inspirait son action, c'était ce souci constant d'assurer la place du Québec en Amérique et dans le monde, et le choix canadien permettait pour lui, de façon pratique, d'atteindre cet objectif, alors que, pour lui, le Québec demeurait pour toujours libre et capable d'assumer son destin. Il avait donné une expression concrète à cette vision: le développement économique du Québec. Pour lui plus que pour tout autre avant lui, les défis de notre société pouvaient être relevés à la condition préalable d'assurer notre force.
Pour Robert Bourassa, tout tenait, en toutes circonstances, à notre capacité de développer nos ressources et nos talents. Il a poussé plus loin que ses prédécesseurs la fierté que nous éprouvons toujours à pouvoir exploiter à notre avantage les richesses de la nature en veillant ça a été sa contribution à ce que nous sentions aussi que nous étions capables d'en harnacher les forces.
Homme de vision aussi par sa connaissance et sa compréhension des projets que la technologie nous permet de réaliser. Le Québec moderne, pour lui, pouvait non seulement transformer la nature en énergie, mais l'énergie elle-même pouvait devenir le levier qui facilitait les projets concrets fondés sur nos talents et notre génie. Il est donc éminemment opportun que son nom soit désormais associé au plus grand projet contemporain du développement de nos ressources. En effet, au-delà de la valeur économique qui découle d'une telle entreprise, elle symbolise notre fierté d'avoir su nous inscrire si majestueusement sur la carte économique du monde moderne.
Mais Robert Bourassa a su lui-même harnacher notre capacité à nous ouvrir sur le monde. On connaît la profondeur de ses connaissances et de ses interventions sur le grand mouvement de rapprochement qui se dessine non seulement en Europe depuis plus d'un quart de siècle, mais partout dans le monde. Les vieilles barrières, partout, tombent plus vite que celles qui parfois s'érigent encore de façon sporadique et trop souvent tragique. Mais, pour Robert Bourassa, le Québec se devait de pratiquer l'ouverture dans ce nouveau monde, et sa plus grande réalisation à cette enseigne aura très certainement été l'appui solide et articulé qu'il aura donné aux initiatives de créer et d'étendre un marché de libre-échange commercial avec nos voisins du Sud. Pour lui, le Québec moderne pouvait non seulement développer ses propres richesses de façon illimitée, mais pouvait aussi affronter sans aucune crainte la concurrence des marchés extérieurs. Le Québec moderne, pour lui, était un Québec ouvert.
For Robert Bourassa, Québec was an open society, and he would always strive to bring together Quebeckers from all regions, all origins and all languages. To him, great decisions had to be made with the widest support, cutting across all lines that could otherwise divide us. He was mindful that our future can be brighter economically and socially if we stay and work together.
Mais ces réalisations et interventions à caractère économique n'étaient pas des fins en elles-mêmes. Pour Robert Bourassa, elles étaient des outils qui visaient à assurer le développement social et culturel du Québec. Pour lui, l'État devait rencontrer les objectifs de justice sociale qui étaient au coeur de son engagement politique. Il était préoccupé à temps plein par le sort des jeunes et des familles, par le soutien aux démunis, par le concours qu'on doit apporter aux plus faibles de notre société. Et là aussi le Québec moderne, pour Robert Bourassa, était capable de compassion. Ceux d'entre nous qui l'ont vu agir et réagir de près savent la priorité qu'il a toujours accordée à protéger la mission sociale de l'État.
Un Québec moderne, pour Robert Bourassa, se devait également d'assurer le meilleur tremplin pour ses jeunes. Il voyait que le resserrement du marché de l'emploi et l'ouverture des frontières constituaient des défis pour les générations montantes et il manifestait une attention toute particulière à leur donner les outils dont ils avaient besoin pour les relever. Dans la formation politique à laquelle il s'est joint et qu'il a dirigée si longtemps, il laisse le souvenir d'un chef attentif aux militants et aux instances du parti, qui lui doit la mise sur pied d'une Commission-Jeunesse autonome dont la place reflète bien la préoccupation qu'il avait à l'endroit de ceux qui seront appelés un jour à contribuer à leur tour au développement du Québec.
Si nous l'avons tous connu dans les grands moments de la vie publique du Québec depuis un quart de siècle, certains ont pu apprécier dans le quotidien de leur travail avec lui la traduction concrète de sa sensibilité et de son attention pour tous les Québécois et les Québécoises. Je me fais aujourd'hui le porte-parole de ces hommes et de ces femmes qui nous le disent spontanément, combien sa chaleur les a touchés, comme on a pu le voir lors de nombreux témoignages depuis une dizaine de jours.
Pour Renée Arsenault, qui assure avec ses collègues la réception téléphonique au cabinet du chef du gouvernement depuis tant d'années, Robert Bourassa est celui qui venait la saluer à son poste de travail, en ce 24 juin où, en devoir, elle ne pouvait se joindre aux invités du premier ministre à l'occasion de notre fête nationale.
Pour Gaétan Veilleux, son garde du corps depuis 11 ans, Robert Bourassa est celui qui offrait de partager son repas avec lui, à bord d'un avion du Service aérien où un passager de dernière minute créait une pénurie de repas à bord.
Pour Lorraine Falardeau, Robert Bourassa est celui qui venait lui-même lui apporter son repas, au milieu d'une longue et interminable soirée de travail au «bunker», et qui lui versait même quelques gouttes du vin qu'il lui apportait.
Pour Roland Lebel, documentaliste et recherchiste au cabinet du chef parlementaire de notre formation politique depuis les années soixante, Robert Bourassa est celui qui l'a appelé tout récemment, il y a quelques semaines, sous le prétexte transparent de lui demander un renseignement pour, en fait, le remercier de son travail à ses côtés pendant tant d'années.
Robert Bourassa s'est consacré corps et âme au développement du Québec moderne, au point d'y sacrifier, comme on l'a appris, une grande partie de sa vie personnelle et de sa santé. Le Québec lui en est redevable, et il s'inscrira pour toujours dans notre mémoire.
À Mme Bourassa, je dis que, si nous avons bien connu son mari depuis 25 ans, nous avons appris à la connaître, elle, depuis quelques jours, et nous la remercions, comme nous remercions la mémoire de son mari disparu.
Le Président: Merci, M. le chef de l'opposition officielle. Je cède maintenant la parole au député de Rivière-du-Loup.
M. Mario Dumont
M. Dumont: Merci, M. le Président. Il y a environ 30 ans, Robert Bourassa faisait son entrée pour la première fois à l'Assemblée nationale. On ne le savait peut-être pas à cette époque, mais ce jeune député allait faire sa marque et se distinguerait avant tout par son dévouement total aux causes qu'il croyait importantes. En effet, qu'on soit d'accord ou non avec l'une ou l'autre des positions qu'il a prises au fil des ans, on doit tous reconnaître qu'il passera à l'histoire comme un homme qui avait avant tout à coeur les intérêts du Québec.
Je n'étais pas né lors de son entrée à l'Assemblée nationale et j'étais bien jeune lors de ses deux premiers mandats en tant que premier ministre, mais, comme l'ensemble des gens de ma génération, je suis à même de constater l'ampleur de certaines des réalisations économiques et sociales des gouvernements qu'il a dirigés. Ce furent de grandes réalisations, à l'époque. D'ailleurs, la plupart d'entre elles nous affectent toujours et sont au coeur de ce qu'est le Québec d'aujourd'hui.
Il y eut d'abord le développement de l'énergie hydroélectrique. Si René Lévesque est connu comme le père d'Hydro-Québec, c'est Robert Bourassa qui incarnera la concrétisation du développement hydroélectrique au Québec avec le complexe de la Baie James. En effet, c'est avec ce projet que la société d'État et le Québec tout entier ont acquis une expertise et une connaissance technologique qui en font maintenant un des leaders mondiaux dans ce domaine. M. Bourassa n'est plus parmi nous, mais l'on continue et continuera encore longtemps à actionner les turbines des grands barrages de la Baie James, le prolongement de son rêve, et nous continuerons à en tirer les bénéfices. Voilà pourquoi il est heureux de nommer aujourd'hui LG 2 en son honneur par cette motion.
On a moins parlé de certaines autres réalisations des gouvernements qu'il a dirigés, mais certaines d'entre elles continuent d'être au coeur de notre quotidien. On n'a qu'à penser à l'assurance-maladie et à l'aide juridique pour s'apercevoir que plusieurs de ses réalisations sont venues compléter certaines des réformes initiées par le gouvernement de Jean Lesage dans ce qu'on a appelé la Révolution tranquille.
Il ne faut pas oublier non plus le rôle qu'a joué Robert Bourassa dans le débat sur le libre-échange CanadaÉtats-Unis, à la fin des années quatre-vingt. Féru des questions économiques, convaincu que le Québec bénéficierait de la mondialisation des marchés et conscient des grands courants internationaux, il a probablement été l'un de ceux qui ont le plus contribué à susciter l'appui nécessaire des Québécois à ce projet dont nous voyons maintenant les retombées. L'ensemble de l'héritage économique qu'il nous laisse bénéficiera encore, je n'en ai aucun doute, à plusieurs générations de Québécois et de Québécoises.
(14 h 30)
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce que je retiens le plus de Robert Bourassa au plan personnel, c'est sa facilité, dans l'exercice du pouvoir, à demeurer tout près des gens quels que soient leur origine ou le milieu duquel ils proviennent. De même, l'ayant côtoyé pendant mes premières années en politique au Parti libéral, je garderai toujours le souvenir d'un homme qui a toujours su garder sa bonne humeur, son sens de l'humour, que ce soit dans l'accord ou le désaccord. Dans toutes les circonstances, M. Bourassa savait demeurer respectueux de ses interlocuteurs, alliés comme adversaires.
Quelles que soient nos convictions politiques, nous devons tous un immense respect à Robert Bourassa, qui, en tant qu'homme, a sacrifié plusieurs années de sa vie afin de se consacrer d'abord et avant tout au Québec. En cela, nous aurons toujours une dette envers lui comme envers chaque autre individu qui a choisi de se consacrer au service de ses concitoyens. À travers les diverses crises qui ont ponctué ses quatre mandats à titre de premier ministre, il a toujours tenu à demeurer en poste, sacrifiant parfois sa vie privée, sa vie familiale ou même sa santé. Pour cela aussi, nous devons être reconnaissants.
Je tiens en même temps à adresser quelques mots à la famille de M. Bourassa, qui, sans l'avoir choisi, a, elle aussi, dû faire plusieurs sacrifices. À elle aussi le Québec doit dire merci, car, alors que le premier ministre était en poste, c'était un père ou un mari qui était absent.
C'est donc avec beaucoup de respect que je joins aujourd'hui ma voix à celle du premier ministre et du chef de l'opposition, respect pour un parlementaire que je n'ai pu personnellement côtoyer ici, à l'Assemblée nationale, mais dont je sais qu'il a toujours su et tenu à maintenir le débat à un niveau digne de cette institution, mais respect surtout pour l'individu qui a consacré près de la moitié de sa vie à servir ses concitoyens avec humilité, dévouement et générosité. C'est donc dans cet esprit de respect et de reconnaissance que j'appuie cette motion qui permettra de donner le nom de Robert Bourassa à l'un des symboles qui incarnent le mieux ses ambitions et ses réalisations. Merci.
Le Président: Je reconnais maintenant le député d'Abitibi-Ouest.
M. François Gendron
M. Gendron: M. le Président, à titre de président du caucus du gouvernement, j'ai l'honneur et le plaisir de m'associer, et, bien sûr, tous mes collègues ministériels également, à la motion conjointe du premier ministre du Québec, du chef de l'opposition officielle ainsi que de M. Dumont afin d'honorer à juste titre la récente mémoire de l'un des membres parmi les plus influents de la classe politique québécoise, M. Robert Bourassa.
Avec ses 30 ans de vie politique plus qu'active, totalement dédiée, marquée de toutes sortes de tribulations, dont une quinzaine d'années passées directement à la barre de l'État québécois comme premier ministre du Québec, après les nombreux témoignages entendus de toutes parts et venant de tous et toutes, pour lesquels les équivalents sont peu nombreux, la motion d'aujourd'hui est de mise, opportune et indique clairement que nous, les Québécois et les Québécoises, savons reconnaître et témoigner notre estime à celles et ceux qui se dépassent, à celles et ceux qui transcendent, par leur action énergique, le fameux quotidien, le cours de la vie, quoi.
Désigner les grands ouvrages de la centrale, des barrages et du réservoir de LG 2 du nom de M. Robert Bourassa n'est qu'une légitime consécration de l'oeuvre majeure du vrai père de la Baie James, car une bonne partie de sa vie et de ses rêves car tous se rappellent sans doute son livre, «L'énergie du Nord, la force du Québec» ont été marqués au sceau de la Baie James. Tous ont louangé les valeurs humaines de l'homme, et ses collaborateurs immédiats nous ont rappelé avec raison que souvent l'image privée ne correspondait pas au personnage publique. Empathique, d'une générosité personnelle exceptionnelle, bien attentionné, se préoccupant du bien-être de ses interlocuteurs, ignorant la rancune, il n'avait pas d'ennemis, il n'avait que des adversaires, disait-on.
Aujourd'hui, cette motion vient rappeler que sa véritable passion a été la politique, qui l'habitait presque totalement et pleinement, et, bien sûr, cette motion vient souligner sa contribution remarquable au développement économique du Québec moderne. Légitimement, l'ex-premier ministre, M. Robert Bourassa, occupera une importante place dans l'histoire politique du Canada et du Québec. À sa façon, avec son style, sa personnalité propre, il a marqué le Québec. Et l'appui unanime des parlementaires aujourd'hui à cette motion permettra d'inscrire d'une façon inoubliable, d'une façon ineffaçable son oeuvre dans la mémoire collective du Québec.
Je suis certain également que d'autres aussi, historiens, parlementaires, biographes, sauront ajouter, avec raison, à cette motion d'aujourd'hui. Je souhaiterais cependant, et ça, c'est un peu plus personnel, qu'on laisse le temps, comme sans doute M. Bourassa le souhaiterait lui-même, connaissant son tempérament... Car il avait fait d'un adage populaire sa devise: Le temps arrange bien des choses, se plaisait-il souvent à répéter.
Bien sûr, dans un court hommage comme celui d'aujourd'hui, il importe de saluer le support, les sacrifices et l'accompagnement constant que Mme Bourassa, ses enfants, ses proches, ses amis lui ont donnés tout au cours de sa fructueuse carrière politique. Le Québec tout entier vous dit merci.
Le Président: J'invite maintenant le doyen de notre Assemblée, M. le député de Mont-Royal.
M. John Ciaccia
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Robert Bourassa était l'homme d'une grande passion: le Québec. Le meilleur outil qu'il a trouvé pour servir, pour être utile au Québec fut la politique.
Mon premier souvenir de M. Bourassa remonte à 1973. J'étais alors sous-ministre adjoint aux Affaires indiennes, à Ottawa, lorsque je reçus un appel de Robert Bourassa me demandant de me joindre à son équipe pour les prochaines élections. J'ignorais alors, en acceptant, que cet homme allait profondément transformer ma vie. Tous ceux qui l'ont connu, qui ont eu la chance de travailler avec lui ces 25 dernières années savent bien que, plus qu'un collègue, ils ont perdu un véritable ami en la personne de Robert Bourassa.
D'une vive intelligence, empreint d'une grande sagesse et désirant plus que tout au monde une paix sociale durable au Québec, il a été amené à gérer des crises majeures qui ont profondément marqué le visage du Québec, mais il l'a fait avec tout le courage et la détermination qu'on lui connaissait.
(14 h 40)
Il a su conclure l'entente de la Baie James, qui a reconnu des principes et des conditions envers les autochtones qu'aucun autre gouvernement, soit fédéral ou provincial, n'avait osé reconnaître. C'était un précédent mondial.
M. Bourassa était un homme de vision et un grand rassembleur. Il avait à coeur de concilier les différences. C'était le premier ministre de tous les Québécois, francophones, anglophones et allophones confondus en une seule et même grande famille. Il a toujours essayé de réunir les gens ensemble, quelles que soient leurs croyances politiques ou leurs allégeances, et, même si elles différaient radicalement de la sienne, il s'est toujours fait un point d'honneur de répondre aux besoins spécifiques de chacun dans l'intérêt de toute la population québécoise.
Le souci constant qu'il a démontré tout au long de sa carrière pour les minorités et leurs droits devrait lui être reconnu comme l'une de ses plus belles qualités. Il a toujours veillé par ailleurs à ce que des représentants de minorités occupent des postes clés au sein de son gouvernement et il leur a donné toute la confiance nécessaire pour qu'ils exercent leurs nombreuses responsabilités. Il était comme ça, M. Bourassa. Lorsqu'il vous donnait sa confiance, elle ne se négociait plus. Il savait pouvoir compter sur vous et que vous donneriez le meilleur de vous-même. Il se donnait entièrement lui-même et n'en attendait pas moins de vous. Il est vrai que, sur quelques dossiers, nous avons connu certains désaccords au fil des ans, mais, malgré cela, il ne serait jamais venu à l'idée de M. Bourassa de m'en tenir rigueur parce que je ne pensais pas comme lui ou de m'écarter de son entourage pour les mêmes raisons.
C'était un homme d'un grand respect, pour qui la dignité n'avait ni couleur de peau, ni différence linguistique, ni valeur monétaire. Il était un représentant fidèle des Québécois, accueillant, généreux et compréhensif des autres et de leurs différences, et, dans un domaine controversé depuis longtemps au Québec, M. Bourassa a réussi à établir la paix linguistique entre toutes les communautés. Il était le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, et la population pouvait se reconnaître en lui. Il avait un grand rêve: il voulait que le Québec, seul îlot francophone de ce continent, trouve sa place réelle au Canada et en Amérique du Nord et que lui soit reconnue sa véritable distinction. Bien que confronté à de pénibles revers, il n'a jamais abandonné, et c'est tout en son honneur. D'autres, maintenant, prendront la relève pour le réaliser.
M. Bourassa a fait énormément pour assurer une présence du Québec à l'international. Il comprenait avec beaucoup d'acuité l'importance de l'économie. Il fallait l'entendre disserter avec banquiers, gens d'affaires, investisseurs étrangers et experts de Londres, de Francfort et de Washington. Tous avaient une grande confiance en lui et en son jugement. Il parlait leur langage et il prêchait l'importance de la stabilité politique.
Il est tout à fait juste aujourd'hui d'affirmer que, sans son soutien indéfectible au libre-échange, ni l'entente de commerce entre le Canada et les États-Unis, conclue en 1988, ni l'ALENA, conclu en 1993, n'auraient pu voir le jour. Son héritage économique pour le Québec est éloquent et ne peut que faire l'objet d'unanimité en ce qui le concerne.
Par ailleurs, c'est durant l'été de 1990, pendant la crise d'Oka, que j'ai le mieux appris à connaître cet homme. Malgré toutes les pressions provenant de toutes parts qui ont été exercées sur lui, jamais il n'a consenti à recourir à la violence pour régler ce conflit. Il a toujours prêté une oreille attentive aux arguments de paix et il en a tenu compte.
Et je désire faire un aparté ici pour démontrer le don de soi total dont il a fait preuve durant cette crise. Se sachant atteint d'une grave maladie et ayant besoin d'un traitement le plus rapidement possible, il a jugé bon de rester au Québec et de tenter de régler ce conflit au prix de sa propre santé. Nous ne savions pas, nous, ses collègues, le coût réel de la crise d'Oka, jusqu'à ce que nous apprenions la nature de son mal. Devant une telle abnégation de soi, on ne peut que s'incliner avec respect.
Il me faut également souligner toute la sympathie et l'admiration que m'ont inspirées Mme Andrée Bourassa, ses enfants et ses petits-enfants au moment des cérémonies entourant les funérailles officielles de l'époux, du père et du grand-papa. C'est toute la population du Québec qui a été touchée au coeur par votre courage, votre dignité dans la peine et votre grande force morale. Merci d'avoir été là et de nous avoir permis de dire au revoir à un homme que nous aimions aussi et qui a dirigé notre destinée pendant de si nombreuses années.
Et, pour conclure, s'il est possible que, là où vous êtes, vous puissiez m'entendre, tout ce que j'aurais à vous dire se résume ainsi: Merci, M. le premier ministre.
Le Président: Merci, M. le député de Mont-Royal et doyen de notre Assemblée. Permettez-moi, comme président et comme premier porte-parole de notre Assemblée, de m'associer et d'associer tous mes collègues qui n'ont pas pris la parole cet après-midi aux propos qui viennent d'être tenus. Depuis son décès, beaucoup de gens ont témoigné de sa grande valeur d'être humain au-delà de l'image du personnage public. J'ai personnellement eu le privilège de connaître un peu cet homme aimable, affable et sans rancune. Je me souviendrai particulièrement toujours de la façon spontanée et très amicale avec laquelle il avait accepté de seconder mes efforts pour sauver et relancer l'oeuvre d'OXFAM-Québec.
(14 h 50)
Robert Bourassa laisse un héritage politique significatif et aujourd'hui il nous laisse une autre occasion exceptionnelle de nous sentir tous et toutes appartenir à la même collectivité, au même peuple. En sa mémoire, je vous invite, mesdames et messieurs, à vous lever et à observer une minute de silence.
Alors, si vous voulez vous rasseoir.
Mise aux voix
La motion présentée conjointement par M. le premier ministre et M. le chef de l'opposition officielle est-elle adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Président: Adopté. Dans les circonstances, les travaux de l'Assemblée nationale sont ajournés à demain, le mercredi 16 octobre, à 10 heures.
(Fin de la séance à 14 h 51)