(Quatorze heures quatorze minutes)
Le
Président : Mmes, MM.
les députés, chers collègues et
anciens collègues — quelques-uns
parmi nous, dont l'ancien vice-premier ministre avec nous — il
est de ces événements qui marquent une nation, et nous en vivons un aujourd'hui. Le décès de M. Jacques Parizeau
attriste non seulement la classe politique, mais le Québec tout entier. Je
tiens à offrir mes meilleures... mes
sincères condoléances et celles de tous les parlementaires à son épouse, Mme
Lisette Lapointe, ainsi qu'aux
enfants et à tous les proches de M. Parizeau. C'est une tristesse et un
vide que tous les Québécois ressentent, peu importe leur appartenance politique. Nous allons nous recueillir
quelques instants en ayant à l'esprit sa famille, ses amis, ses
collègues parlementaires.
Merci. Veuillez vous asseoir.
Je cède la
parole maintenant à M. le chef de l'opposition officielle pour la présentation
d'une motion en hommage à M. Jacques Parizeau. M. le chef de
l'opposition officielle.
Motion
proposant que l'Assemblée rende hommage
à M. Jacques Parizeau et que l'édifice principal
de la Caisse de dépôt et placement
du Québec porte son nom
M. Péladeau : Merci, M. le
Président. Donc, la motion se lit comme suit :
«Que
l'Assemblée nationale rende hommage à M. Jacques Parizeau, premier
ministre du Québec de 1994 à 1996, ministre
des Finances de 1976 à 1984, député de
L'Assomption de 1976 à 1984, puis de 1989 à 1996, et conseiller
économique et financier du gouvernement du Québec, pour
sa contribution exceptionnelle au développement du Québec moderne;
«Afin
d'honorer sa mémoire, qu'elle recommande que l'édifice abritant le bureau
principal de la Caisse de dépôt et
placement du Québec à Montréal porte désormais le nom d'édifice
Jacques-Parizeau.»
Le
Président : Merci, M. le chef de l'opposition officielle. Je
comprends que les chefs de chacune
des formations politiques prendront la parole à tour de rôle sur cette
motion, suivis par M. le député de Rosemont, Mme la
députée de Vachon, M. le
député de Bourget, M. le vice-président de l'Assemblée nationale et député
d'Abitibi-Ouest, et enfin M. le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation et député de Brome-Missisquoi.
Je cède donc la parole immédiatement à M. le
premier ministre.
M.
Philippe Couillard
M.
Couillard : Merci, M. le
Président. Chers collègues, Québécois et Québécoises qui nous écoutez, c'est
avec une profonde tristesse que nous
avons appris tôt ce matin le décès d'un homme d'exception, le premier ministre
Jacques Parizeau. Je souhaite
aujourd'hui joindre ma voix à cette motion et partager quelques réflexions à la
suite du décès de ce grand Québécois.
Cette journée du 2 juin 2015, elle reste déjà
gravée dans nos mémoires comme une journée, bien sûr, chargée d'émotion, qui nous appelle à la fois au deuil et
au devoir de mémoire. On sait que, dans la vie, les deux sont presque toujours
inséparables. C'est bien sûr un premier
ministre du Québec qui s'éteint aujourd'hui, mais c'est aussi un mari et un
père qui laisse dans le deuil son épouse, Mme Lisette Lapointe, et ses
enfants, Bernard et Isabelle.
Nous ne partagions pas toujours les mêmes idées
sur le plan politique, mais je me souviendrai toujours de Jacques Parizeau comme d'un homme de conviction,
d'une grande sincérité, respectueux, un orateur plein d'esprit et d'élégance.
Peut-être cette élégance lui est venue de sa famille, bien sûr de son
éducation, peut-être également de son séjour en Angleterre. On me disait ce matin qu'il fut le premier Québécois à être
diplômé du London School of Economics. On a reconnu par la suite chez lui, et par les élégants complets qu'il
portait, par certaines postures, par ces expressions qu'il avait, un peu
de cette influence, certainement, qu'il aimait, je crois, montrer, qu'il
prenait plaisir à montrer.
Nous perdons
aujourd'hui un homme d'une droiture remarquable, toujours prêt à défendre ses
idéaux et toujours à travailler dans
l'intérêt supérieur de la nation du Québec. Porté par son amour du Québec, il a
été un ardent défenseur du fait
français et de notre spécificité sur le plan culturel. D'ailleurs, cette
passion s'est transposée dans toutes les actions qu'il a menées au cours
de sa longue et passionnante carrière.
D'abord
collaborateur privilégié de la Révolution tranquille aux côtés de Jean Lesage
et d'un groupe de collaborateurs très
actifs, on le sait, à cette époque, auxquels nous devons beaucoup de ce que
nous avons aujourd'hui, il s'est consacré, avec tout le talent, le dévouement et l'énergie qu'on lui connaît, à la
cause qui lui tenait à coeur entre toutes et dont il aura été un
infatigable défenseur jusqu'à la toute fin.
Bien sûr, encore une
fois, sur le plan du destin politique du Québec, il n'y avait pas d'unanimité,
il n'y en a toujours pas dans cette Chambre
ou dans la population du Québec, mais, sur un élément, je crois, nous sommes
unanimes et très fortement
majoritaires dans la population du Québec, c'est l'affirmation du fait que
c'est avant tout par l'émancipation économique,
l'assainissement des finances publiques que le Québec obtient et maintient la
pleine liberté de ses choix, une conviction,
d'ailleurs, qu'il partageait, je crois, avec Robert Bourassa. Pour cet
engagement et cette détermination à faire du Québec une nation prospère et fière, il mérite toute notre admiration
et notre respect. Moi, je garderai en souvenir l'image d'un homme fort, un homme d'une intelligence remarquable, un
homme d'État qui a consacré sa vie au Québec et au service public.
• (14 h 20) •
Au-delà de ses talents d'orateur, c'était un
redoutable débatteur et un collègue respecté par tous ceux et celles qui
l'ont côtoyé. Peu de politiciens, à travers
notre histoire, peuvent se targuer d'avoir eu une influence aussi déterminante
sur les grandes questions économiques, et
Jacques Parizeau était de ceux-là. Il s'est d'ailleurs exprimé sur ces
questions jusqu'à la toute fin de sa vie, même au cours des
dernières semaines, sans jamais abandonner ses idées, ses idéaux, ceux-là
mêmes qui l'ont guidé toute sa vie.
Parmi
les grandes réussites qu'on lui attribue, on note sa contribution
exceptionnelle au grand projet de nationalisation
de l'électricité au Québec, avec également le groupe qui l'entourait dans le gouvernement de Jean Lesage à l'époque. En
politique, on ne fait rien seul, on fait les choses avec et
dans une équipe. On lui doit également l'instauration du Régime des rentes du Québec et la création de la Caisse de dépôt et placement, pour ne nommer que
quelques-unes des réalisations dont
il fut l'un des principaux instigateurs. Une chose également qui m'a marqué à
l'époque où j'étais dans le
gouvernement pour la première fois, c'est lorsqu'on allait dans les conférences
fédérales-provinciales : les collègues des autres provinces et territoires disaient spontanément à quel point
Jacques Parizeau était probablement le plus grand expert du Canada sur la compréhension fine des
mécanismes de la péréquation canadienne. Dieu sait qu'il s'agit de formules
presque alchimiques qu'il est difficile de comprendre dans leur détail, et M.
Parizeau en avait une compréhension très fine, et les autres provinces et territoires ne se gênaient
pas d'ailleurs pour lui demander son aide et ses opinions sur cette question,
comme ils continuent de le faire d'ailleurs avec la fonction publique du ministère
des Finances du Québec.
Il
est clair que l'État québécois de 2015 — aujourd'hui — qui
lui doit tant, doit proposer une façon durable de prolonger sa mémoire. C'est pourquoi
j'ai annoncé plus tôt aujourd'hui l'intention du gouvernement de faire en sorte
que l'édifice principal des bureaux de la Caisse de dépôt et placement
du Québec porte dans l'avenir le nom d'édifice Jacques-Parizeau. Et je suis heureux qu'aujourd'hui l'Assemblée nationale se prononce, je crois, à l'unanimité pour soutenir cette décision qui, je crois, va dans le sens de
l'intérêt commun.
M.
Parizeau laisse derrière lui, après des années de travail acharné, un Québec
fort, fier de ses origines, qui est entré
dans la modernité sans aucun complexe. Les
Québécoises et les Québécois ont été
marqués profondément par ses actions
et ses combats, dont le dernier a pris fin malheureusement hier, mais également
a mis fin, a mis un terme à des souffrances pénibles à supporter pour lui-même
et pour ses proches. Une période de deuil débute, le premier ministre Jacques Parizeau n'est plus, mais sa mémoire vit et vivra parmi nous.
Cette belle maison du Québec que nous habitons ensemble, que nous devons tous contribuer à bâtir, elle porte plusieurs
briques avec chacune une signature. Il
y a beaucoup de signatures de Jacques
Parizeau et de ses collègues de l'époque sur ces briques, et certains d'entre
eux, de ses collègues, et lui-même ont même, je dirais, laissé des
poutres telles que celles qu'on voit dans nos belles maisons ancestrales au plafond de la salle commune. Il faut le remercier,
lui et ses collègues, et lui particulièrement aujourd'hui, d'avoir aidé à construire le Québec d'aujourd'hui.
C'est
tout le Québec, M. le
Président, qui pleure la perte de ce
visionnaire. Que le souvenir de ce grand homme demeure en nos mémoires à jamais et qu'il nous soit permis aujourd'hui de lui adresser nos hommages et notre reconnaissance. Merci, M.
le Président.
Le Président :
Merci, M. le premier ministre. J'inviterais maintenant M. le chef de
l'opposition officielle.
M. Pierre Karl Péladeau
M. Péladeau :
Merci, M. le Président. M. le premier ministre, M. le chef de la deuxième opposition,
Mme la députée de Gouin, chers collègues, chers compatriotes. Vous avez
raison, M. le premier ministre, de dire que M. le premier ministre Jacques Parizeau était un homme d'exception. Il a
été un grand serviteur de l'État, dévoué au service public. Il a
consacré sa vie à ses concitoyens et ses compatriotes. Il leur a offert un des
plus beaux legs : la modernité.
Jacques
Parizeau, c'est l'homme de la modernité du Québec. Il disait, en 1970, et
je le cite : «Il faut la prendre
en reprenant en main les instruments
centraux de notre économie. On doit cesser d'attendre que, chaque fois qu'il
s'agisse de questions
économiques ou financières, toutes
les décisions importantes viennent de l'extérieur. Ces décisions, nous
devons les prendre. Nous devons nous donner cette économie saine sans laquelle
il n'y a pas de société saine.»
Comme
artisan de la Révolution tranquille, il participa à la création du ministère de
l'Éducation, le socle sur lequel le
développement économique et social s'est appuyé. Ensuite, il initia ou
participa à la création des plus importants leviers économiques de notre
nation : la Régie des rentes, la Caisse de dépôt et placement du Québec
ainsi que la Société générale de
financement. Nous saluons et appuyons la décision du premier ministre de
rebaptiser en son honneur l'immeuble abritant la Caisse de dépôt et
placement du Québec.
Comme
ministre des Finances du premier ministre René Lévesque, il institua le Régime
d'épargne-actions, qui a permis,
d'une part, de mieux capitaliser des entreprises qui sont devenues des géantes
du Québec inc. d'aujourd'hui et, d'autre
part, d'initier un très grand nombre de Québécois et de Québécoises au marché
financier, au soutien de nos entreprises et à contribuer à notre fierté
nationale.
Son
apport est aussi considérable pour la création du Fonds de solidarité de la
FTQ. Grâce au Régime d'épargne-actions,
des entrepreneurs d'ici ont pu propulser leurs entreprises, que l'on pense à
CGI, Cascades, Alimentation Couche-Tard, Metro, Saputo, SNC-Lavalin, Jean Coutu, Québecor, Canam Manac, Transat,
Lassonde. Toute sa vie, il aura souhaité faire des Québécois des propriétaires
et nous procurer les moyens pour y accéder.
Jacques Parizeau était un précurseur et un
visionnaire. Grâce à lui, les entreprises ont grandi et ont prospéré. Tout au
long de sa vie, liée entièrement au développement du Québec moderne,
M. Parizeau a profondément cru à la capacité des
Québécois et des Québécoises à devenir réellement maîtres de leur destinée et
de leur avenir. Grâce à sa détermination, il
offrit au Québec l'émancipation financière, l'assurance que nous étions
capables d'y arriver et le courage de faire nos propres choix.
Permettez, M.
le premier ministre, de vous corriger poliment puisqu'il a été effectivement le
premier Québécois à obtenir un
doctorat du London School of Economics. Il est resté le professeur des HEC.
Jacques Parizeau a contribué à
l'émergence d'une nouvelle génération de financiers et d'économistes québécois
francophones. Il est pour moi comme tant
d'autres une grande source d'inspiration à l'égard de l'action politique qu'il
a entreprise, mais aussi et surtout pour l'audace et l'ambition qu'il a toujours eues pour le Québec. Grand
intellectuel et économiste réputé, Jacques Parizeau a mené sa vie
publique avec droiture, intégrité et courage.
Grâce à lui
et à de très rares autres, la nation québécoise a franchi les portes de la
modernité jusqu'aux abords du pays du
Québec. Il a été la bougie d'allumage pour les Québécois et les Québécoises
pour nous faire comprendre que tout
était possible pour nos ambitions, ici comme ailleurs, sur toutes les tribunes.
Chaque Québécoise et Québécois porte, en
quelque sorte, une partie de l'héritage de Jacques Parizeau. Le meilleur
hommage que nous puissions lui rendre, c'est de continuer; c'est, comme il nous l'a dit : Quand nous échouons de
si peu, on se crache dans les mains puis on recommence. Son oeuvre est
inachevée, mais le chemin est tout tracé. Nous suivrons ses pas.
M. Jacques Parizeau a dit : «La Révolution
tranquille a été l'oeuvre de quatre ministres, d'une vingtaine de
fonctionnaires et d'une vingtaine de chansonniers [et] de poètes.» Merci, M.
Parizeau, d'avoir été l'un de ces grands fonctionnaires, l'un de ces poètes et
l'un de ces grands citoyens. Vous êtes pour toujours un géant du Québec.
En terminant,
permettez-moi de m'adresser à Mme Lisette Lapointe, à la famille et aux proches
de M. le premier ministre Jacques Parizeau. Je vous offre, au nom de
l'équipe du Parti québécois ainsi que de l'ensemble de l'aile parlementaire,
nos plus sincères condoléances. Merci.
• (14 h 30) •
Le Président : Je vous remercie,
M. le chef de l'opposition officielle. J'inviterais maintenant M. le chef du deuxième
groupe d'opposition.
M. François Legault
M. Legault :
Merci. M. le Président, le peuple québécois est en deuil. Cette nuit, on a
perdu un de nos grands bâtisseurs. Un
grand homme d'État qu'on a perdu avec M. Parizeau, un homme qui est hors du
commun, qui laisse un héritage hors
du commun. On a beau s'y attendre, hein, on passe tous par là, mais on n'est
jamais prêts pour la mort de nos
grands personnages. Ils finissent par se confondre à notre histoire, puis on en
vient à penser qu'ils sont immortels. On les tient un peu pour acquis,
puis, quand ils s'en vont, bien, oui, on a beaucoup de perte puis de peine, et
je pense qu'actuellement c'est ça que ressentent à peu près tous les Québécois.
Et c'est le
propre de la nature des gens qui ont la stature de Jacques Parizeau de ne pas
être admirés seulement par leur
propre camp, son héritage transcende tous les clivages partisans. Jacques
Parizeau, c'était l'homme des grands projets,
un homme qui rêvait grand pour le Québec, qui voulait l'amener vers le haut. Il
n'a pas réussi son rêve ultime, mais il a réussi à bâtir un Québec
moderne, ouvert en jouant un rôle clé dans la Révolution tranquille. Et il a
réussi probablement ce qu'il y a de plus important : nous redonner la
fierté, le goût de l'avenir.
Et M.
Parizeau, pourtant, a vécu une époque, entre autres les années 60, où le Québec
était sous-scolarisé, où les francophones n'avaient pas accès aux postes
de pouvoir et de décision dans les grandes entreprises, où les Québécois n'étaient pas maîtres chez eux. Il ne faut pas
oublier qu'on vient de loin, on partait de loin, au Québec. Il y avait beaucoup
de pauvreté, de fierté blessée dans notre
histoire et il y avait beaucoup de gens dans le monde qui ne donnaient pas cher
de notre peau, nous, les Québécois.
Mais Jacques Parizeau a été un de ceux qui a permis à ce que les Québécois
relèvent la tête en se disant : Ça ne se passera pas comme ça, ça
va se passer autrement.
Et, on le sait,
M. Parizeau, bon, vient d'un milieu qui était aisé, hein? C'est d'ailleurs pour
ça qu'on l'appelait tous
affectueusement monsieur. Je ne connais pas personne qui le tutoyait. C'était
un homme qui imposait par sa culture, par sa prestance, qui avait étudié, effectivement, à Londres, à Paris, qui
aurait pu avoir des très bons emplois à peu près n'importe où dans le
monde, mais il avait décidé de travailler pour les siens ici.
On a nommé
beaucoup de ses réalisations, puis je suis très content de la décision de
nommer l'édifice principal de la
Caisse de dépôt en son nom parce que, pour moi, c'est un des outils économiques
les plus importants. J'ai eu la chance d'en
discuter souvent avec lui, puis on se rejoignait au moins sur ce point-là. Ça a
été un ministre des Finances exceptionnel. Il faudrait inventer un nouveau REA, être capable de penser à des façons
pour notre économie. Ça a été, je dirais,
avec René Lévesque puis Jean Lesage,
un des grands bâtisseurs du Québec moderne. C'est un géant, oui, et, sans lui, le Québec ne
serait pas le même aujourd'hui.
Comme tout le monde, j'ai mes souvenirs, hein?
Je me rappelle encore, première année aux HEC, dans les amphithéâtres, Jacques Parizeau était un des trois profs d'économie, mais,
malheureusement pour les deux autres, tout le
monde voulait aller dans sa classe.
Il n'y avait même pas de place dans l'amphithéâtre, et puis là on écoutait
Jacques Parizeau, qui était
passionnant. Le seul problème, c'est qu'on était tellement passionnés qu'on ne
prenait pas de notes. Quand on
arrivait à l'examen, c'était un petit
peu difficile parce qu'on n'avait pas de notes des cours qu'on avait eus
avec M. Parizeau.
Et, pour moi,
ça a été un modèle, une idole, puis je me suis considéré très privilégié par la
suite d'avoir souvent l'occasion
d'avoir des longs lunchs avec lui, hein? Quand mon adjointe voyait que j'allais
luncher avec M. Parizeau, elle ne
mettait rien l'après-midi. On allait — il y en a beaucoup... les anciens vont s'en
souvenir — Chez Pierre,
Restaurant Chez Pierre, dans un petit
salon, et, écoutez, c'était comme la mémoire vivante du Québec. On lui parlait
de n'importe quel sujet — le
premier ministre parlait tantôt de la péréquation — régimes de retraite, Caisse de dépôt, les
crédits, tel crédit d'impôt, il les connaissait dans le fin, fin détail.
C'était
quelqu'un de travaillant, ce n'était pas... tout le contraire d'être
superficiel. Il connaissait chacun des dossiers. Je me souviens d'avoir préparé, d'ailleurs, un dossier sur les finances
d'un Québec souverain, 100 pages,
puis il m'était revenu avec des commentaires puis des suggestions dans
chacune des 100 pages. Donc, je n'avais pas besoin de me demander s'il
avait lu le document.
Donc,
c'est un jour de grande tristesse, mais la mort de Jacques Parizeau, ça nous
conduit à distinguer l'essentiel du
superflu, à prendre de la hauteur par
rapport aux petites choses
quotidiennes qui nous arrivent. Et je crois qu'autour de cette grande figure qui vient de nous quitter
le Québec doit se rassembler, doit se souvenir. Oui, il y a
de la tristesse, mais il y a
aussi de la lumière, de l'espérance. C'est un moment qui est triste, mais c'est
un moment qui doit être précieux, qui est riche d'enseignements. La mort
de monsieur nous force à mesurer tout le chemin qui a été parcouru. D'abord, parcouru par lui, mais parcouru aussi par les
Québécois, par la société québécoise. Sa mort le replace dans sa grandeur
propre et nous replace aussi, par la même
occasion, dans notre rôle qui est un rôle d'héritiers. Nous sommes tous, d'une
manière ou d'une autre, des héritiers de Jacques Parizeau. Bien sûr, on ne
partage pas tous les mêmes idées, la même logique, mais on se reconnaît tous
dans le Québec moderne qu'il a contribué à bâtir, dans un Québec ambitieux,
fier. Et, ce Québec-là, il n'y a pas
personne qui peut nous l'enlever. Il nous a été légué comme un héritage, et
c'est comme héritiers qu'il nous faut aujourd'hui prendre le relais puis
inventer à notre façon le Québec de l'avenir.
M.
Parizeau a toujours gardé foi en les Québécois, il n'a jamais perdu confiance.
Et, jusque dans ses dernières années,
il insistait pour rencontrer beaucoup de jeunes pour leur parler, et j'aimerais
qu'on se rappelle de M. Parizeau de
cette façon-là. Donc, oui, d'un côté, un homme de caractère, de conviction qui
regardait devant lui, qui ne baissait jamais les bras, mais aussi un homme généreux, visionnaire qui, toute sa vie, a
gardé l'avenir ouvert, qui n'hésitait pas à tendre la main aux jeunes
générations, à ceux qui s'en viennent.
Donc,
aujourd'hui, c'est notre tour de lui tendre la main, lui dire merci pour tout
ce qu'il a fait pour le Québec. Merci,
M. Parizeau, d'avoir si bien servi le Québec. Vous survivrez parmi nous
comme une source d'inspiration unique, irremplaçable.
Et je termine en
joignant, moi aussi, ma voix à mes collègues de la CAQ pour offrir toutes mes
sympathies à Lisette Lapointe, à ses
enfants. À tous ses proches, nous offrons nos plus sincères condoléances.
Merci, M. le Président.
• (14 h 40) •
Le
Président : Merci, M. le chef du deuxième groupe d'opposition.
J'inviterais maintenant Mme la députée de Gouin.
Mme
Françoise David
Mme
David (Gouin) : Merci, M. le Président. Bien, d'abord, à l'instar de
l'ensemble de mes collègues, bien sûr, je
veux exprimer tous mes regrets, mes condoléances à Mme Lapointe, que nous
aimons beaucoup, à sa famille et à ses proches.
Bien
sûr, aujourd'hui, on a parlé... depuis ce matin, on parle beaucoup de
M. Parizeau, on parle de l'homme d'État, on parle, bien sûr, du souverainiste convaincu, on rappelle sa grande
intelligence, sa rigueur, sa passion, on rappelle de lui à quel point il était un économiste brillant
dont les idées sont encore pertinentes aujourd'hui. On devrait se rappeler
celui qui, au nom de ses convictions les
plus profondes, a accepté, au cours de la campagne référendaire de 1995, de
s'effacer partiellement devant un autre qu'il estimait plus en mesure de
gagner cette bataille référendaire.
Évidemment,
on sait que M. Parizeau, monsieur, tolérait mal les compromis, et surtout
en matière de souveraineté. Ça ne
pouvait pas faire plaisir à tout le monde, mais, au fond, comment ne pas, à
tout prendre, préférer les hommes et les femmes de principe, qualités et défauts compris, qui osent dire
complètement ce qu'ils pensent? Et ça, c'était vraiment
M. Parizeau.
1995
restera toujours pour moi une année extrêmement importante. Au terme de la
campagne référendaire, un certain
soir de défaite, il y a eu des mots qui ont été prononcés, des mots difficiles
à prendre pour la femme que j'étais, pour
la présidente de la Fédération des femmes que j'étais. Mais cette même femme,
cette même présidente s'est rappelée aussi
que, quelques mois auparavant, lors de la marche Du pain et des roses,
cette marche si rassembleuse et si transpartisane,
le premier ministre du Québec Jacques Parizeau avait souscrit aux
revendications des femmes et, entre autres,
à celle qui demandait la rétroactivité du temps de parrainage pour les femmes
immigrantes. Alors, je remercie encore pour cela le premier ministre
Jacques Parizeau.
Le
temps a passé, M. Parizeau est demeuré un penseur et un acteur important
de la société québécoise. Combien de
fois est-il intervenu publiquement pour défendre le modèle social et économique
québécois où l'État joue un rôle de catalyseur et de redistributeur de
la richesse?
J'ai
rencontré M. Parizeau pour la dernière fois en octobre 2011, lors du
lancement de mon livre De colère et d'espoir. J'avais invité Lisette Lapointe, elle m'a
fait la surprise d'arriver avec son mari, Jacques Parizeau. J'avoue
humblement que j'ai été saisie. On
s'est embrassés — c'est
presque la dernière fois que je l'ai vu — on a fait la paix. C'était un moment
absolument magique, et je remercie encore Mme Lapointe d'avoir amené avec
elle son mari.
Merci,
Jacques Parizeau. Vous étiez l'un des personnages, des derniers
personnages importants de la Révolution tranquille. Vous étiez un vrai, un fidèle, un amoureux du pays du
Québec. Nous vous avons parfois contesté, mais nous vous avons aimé et
admiré.
En terminant, j'aurai toujours en mémoire ce
jour de juin 1991 où M. Parizeau a traversé cette Chambre pour aller serrer la main de Robert Bourassa, qui
venait de déclarer ceci : «...le Québec est, aujourd'hui et pour toujours,
une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son
développement.» Merci, M. Parizeau.
Le Président :
Merci, Mme la députée de Gouin. J'inviterais maintenant M. le député de
Rosemont.
M. Jean-François Lisée
M. Lisée :
De René Lévesque, Camille Laurin écrivait ceci : «[Il] me paraît
comprendre et ressentir dans [ses chairs] ces contradictions de l'homme québécois qui tout à la fois lui imposent de
se libérer et l'empêchent d'y parvenir. C'est pourquoi [Lévesque]
oscille lui-même entre la nuit et la lumière...» Il est pour chacun un signe de
contradiction.
Le bon Dr Laurin aurait dû tirer un diagnostic
complètement opposé de l'autre incarnation du mouvement indépendantiste. Jacques Parizeau ne reflétait pas, comme Lévesque, les
Québécois tels qu'ils étaient. Il les représentait tel qu'il voulait
qu'ils deviennent, désinhibés, décomplexés, déjà indépendants dans leur tête et
dans le monde.
C'est parce
qu'il était né dans l'argent que Jacques Parizeau n'était pas intimidé par les
forces de l'argent. C'est parce qu'il
avait obtenu — premier
Canadien français, disait-on alors — un doctorat de la London School qu'il ne
s'en faisait pas imposer par les financiers
anglo-montréalais de la colonie, de l'empire, finalement. Ceux-là
entendaient-ils bloquer depuis ce qu'on appelait à l'époque la rue Saint-James
le financement de la nationalisation de l'hydroélectricité, l'économiste Parizeau allait forcer le blocus
en parlant directement aux vrais argentiers à Wall Street.
Jacques
Parizeau avait l'assurance qu'il fallait, l'audace qu'il fallait pour faire
lever de terre les grands instruments de développement économique de la
Révolution tranquille. Il avait la confiance qu'il fallait envers les siens
pour les initier à l'aube des années 80 aux
actions en bourse grâce au Régime d'épargne-actions, qui allait transformer les
actions des moyennes entreprises
québécoises en géants mondiaux. C'était pour lui une grande fierté, 10 ans
plus tard, de constater qu'on
désignait spontanément le lieu où se brassent les affaires à Montréal la rue
Saint-Jacques plutôt que la Saint-James. C'était beaucoup plus qu'un
symbole, c'était le marqueur d'une transformation dont il avait été
l'accoucheur.
Mais ses
empreintes digitales sont aussi visibles partout ailleurs sur le territoire. Le
projet de loi sur l'équité salariale, c'est
lui; la perception automatique des pensions alimentaires, c'est lui; la
reconnaissance des groupes communautaires, la création des carrefours jeunesse-emploi, c'est lui; la réintroduction
des cours de métier dans les écoles secondaires, la formation professionnelle en entreprise, c'est
lui; l'embellissement spectaculaire du pourtour de l'Assemblée nationale,
c'est lui, le grand amant de la ville de
Québec. La plus grande coalition politique de notre histoire, en 1995, c'est
aussi Jacques Parizeau. Porter une
nation à quelques millimètres de la souveraineté, ce ne pouvait être que
Jacques Parizeau.
J'emprunte à
Guy Breton, le recteur de l'Université de Montréal, les mots qu'il a employés
en novembre dernier, lors du dernier
hommage public rendu à M. Parizeau de son vivant, lors de la remise d'un
doctorat honoris causa : «Par votre engagement universitaire, politique,
patriotique, vous avez été, Jacques Parizeau, dans le poste de pilotage du
Québec pendant plus de 60 ans. Vous
avez été de ceux qui ont guidé le Québec depuis la "grande
noirceur" jusqu'à la mondialisation. Le Québec n'est pas encore le pays dont vous rêvez,
mais, beaucoup grâce à vous, les Québécois savent qu'ils peuvent le faire, ce pays. Une chose est
sûre, M. Parizeau, très cher M. Parizeau, vous avez amené les Québécois
à l'indépendance d'esprit.» Merci.
• (14 h 50) •
>353 Le Président : Merci,
M. le député de Rosemont. J'inviterais maintenant Mme la députée de Vachon.
Mme Martine Ouellet
Mme
Ouellet : Merci, M. le Président. Je veux féliciter mon collègue
de Rosemont pour son éloge vraiment touchant.
Vous me
permettrez, en débutant, d'offrir mes sympathies à Lisette, l'épouse de M.
Parizeau, mais également une
ancienne collègue ici, à l'Assemblée nationale, avec qui j'ai travaillé des
dossiers sur les aînés. Mes sympathies à l'ensemble de la famille, des proches, à l'ensemble
de ses anciens collègues. Et permettez-moi de saluer à ce moment-ci M. Jacques-Yvan Morin, ancien ministre dans la première équipe de M. René Lévesque avec M. Parizeau, et son épouse ici présents.
Vous savez, moi, j'ai commencé la politique,
j'avais 16, 17 ans, et c'était à l'arrivée de M. Parizeau. J'ai eu deux mentors en politique : Mme Gro
Harlem Bruntland, qui est l'ancienne première
ministre de Norvège, mais également la
mère du développement durable, et M. Jacques Parizeau, M. Jacques Parizeau qui
a toujours été de son temps, toujours été à l'avant-garde.
Ce n'est pas pour rien que, lorsqu'il faisait des conférences dans les cégeps et les
universités, les salles étaient toujours pleines. Pas juste pour ses
cours, mais aussi comme politicien.
Encore dernièrement,
dans le dernier reportage qu'il a fait, encore des exemples où il se tenait à
la fine pointe de l'actualité. Un homme qui a toujours été ouvert aux
nouvelles idées, avec beaucoup de rigueur aussi, une qualité que, je crois,
sur laquelle on devrait donner plus d'importance en politique, la rigueur.
À l'époque,
je travaillais beaucoup les dossiers d'environnement — il faut se remettre à l'époque, il n'y avait
pas de recyclage, il n'y avait pas de
récupération — et
j'avais convaincu M. Parizeau de l'importance du développement durable, un mot qui avait toute sa signification avant
d'être trop galvaudé, et il a été un des premiers, sinon le premier économiste
du Québec à affirmer publiquement que le
développement économique et l'environnement devaient travailler ensemble
pour l'avenir du Québec. C'était très novateur et très d'avant-garde à cette
époque-là.
M. Parizeau,
et mon collègue l'a dit... Vous savez, j'ai fait ma carrière chez Hydro-Québec,
et, si la nationalisation de
l'électricité a été possible, c'est grâce à deux hommes : René Lévesque,
comme ministre des Ressources naturelles à l'époque, mais aussi à Jacques
Parizeau parce qu'effectivement les
gens de la finance de Montréal et de Toronto fermaient le robinet du financement, de l'argent pour
bloquer l'émancipation du peuple québécois. Mais M. Parizeau ne s'est pas
arrêté là, il est allé chercher l'argent
directement à New York. Et, si la nationalisation de l'électricité a été
possible, c'est grâce au travail
concerté de ces deux hommes qui nous laissent des institutions comme
Hydro-Québec, comme la Caisse de dépôt et placement, comme la Société générale de financement.
Il a mis en place les régimes d'épargne-actions. Il nous laisse des outils économiques impressionnants, parmi les plus grands
dans le monde. Hydro-Québec est reconnue partout sur la planète. La même chose pour la Caisse de dépôt et
placement, un des plus grands investisseurs du... Ce n'est pas rien.
M.
Parizeau, par sa famille, une famille qui était dans le domaine des affaires,
connaissait bien le pouvoir de l'argent et a travaillé à mettre le
pouvoir de l'argent au service du peuple. Un grand démocrate, un grand
social-démocrate. Et d'ailleurs il le
disait, une de ses plus grandes fiertés, c'est d'avoir participé avec l'équipe
des 20 à la mise sur pied de tout le système d'éducation au Québec.
M.
Parizeau, un grand homme d'État, tant comme grand mandarin de l'État que comme
homme politique, ministre des
Finances, premier ministre, travaillait au bien commun, nous a amenés en
1995 — et, M.
le Président, j'y ai cru pendant une
demi-heure — à
l'indépendance du Québec... quasi-victoire. Et, pour moi, le plus bel hommage
qu'on pourrait lui faire, à lui et à tout le Québec, c'est de terminer
le pays qu'il a commencé. Merci.
Le Président :
Merci, Mme la députée de Vachon. J'inviterais maintenant M. le député de
Bourget.
M.
Maka Kotto
M. Kotto :
Merci, M. le Président. Je me souviens, je me souviens de l'honneur que M.
Parizeau nous fit en acceptant de venir à
Longueuil à l'invitation de Caroline St-Hilaire, alors députée de Longueuil—Pierre-Boucher, et de moi-même, alors député de Saint-Lambert, pour
rappeler les 25 ans du premier référendum, tenu le 20 mai 1980. Je me souviens de plus de 300 personnes, sympathisants
et amis, qui avaient alors réservé, à l'école Gérard-Filion, un accueil
chaleureux, voire triomphal au premier ministre Jacques Parizeau.
Mais
cette fête était surtout pour rendre hommage à cet homme pour sa contribution à
l'avancement du peuple québécois. Pour
honorer l'homme de grande culture, de grande humilité et de sensibilité,
Caroline et moi lui avions rendu un hommage particulier sous le couvert
d'un genre littéraire qu'il appréciait, la poésie. En voici quelques
extraits :
«Il se réveilla un
matin soudain avec cette force qu'il ne soupçonnait pas
Il est sorti de son
nid
Il cherchait à
assouvir sa faim de liberté
Parce que sous
tutelle
il était meurtri
Parce qu'il avait été
trahi.
«Il sait qu'il faut
faire son destin
et le suivre
pour sa liberté...
«Un homme au-dessus
de tout prix
Un homme qui ne
souffre d'aucun équivalent
Un homme qui n'est
pas une valeur relative
mais une valeur
absolue
pour nous
pour un Québec sans
exception.»
Il en avait été très
ému, M. le Président, ainsi que celles et ceux qui étaient présentes et
présents. Je pense à Mme la première
ministre Pauline Marois, et à notre ancienne collègue Cécile Vermette, et tous
ces militantes et militants qui l'ont écouté ce bel après-midi.
Il
avait également, très humblement et très sincèrement, apprécié — ce que je n'oublierai jamais — de lui avoir dédié ma toute première victoire électorale le 28 juin 2004, alors que
j'étais élu député du peuple québécois de Saint-Lambert. Je voulais alors dénoncer une injustice qui lui avait
été faite. M. Parizeau, ai-je dit alors, avait été victime d'un procès d'intention bien orchestré. On avait détourné une
phrase pour le fustiger. Si celles et ceux qui ont poussé les hauts cris
à la suite de cette phrase du 30 octobre
1995 avaient poussé la recherche du sens, on n'aurait pas traité M. Parizeau de
cette façon. Nous nous souviendrons
du grand bâtisseur, humble et géant à la fois. Nous nous souviendrons de la
puissance de son intellect et de son
élégance également. Nous honorerons le legs de ce grand homme d'État. Merci, M.
le Président.
• (15 heures) •
Le
Président : Merci, M. le député de Bourget. J'inviterais
maintenant M. le député d'Abitibi-Ouest et vice-président de l'Assemblée
nationale.
M.
François Gendron
M.
Gendron : Alors, merci énormément, M. le Président. Merci,
chers collègues, de me permettre — parce que c'est un immense privilège que vous m'accordez — de rendre hommage à ce très grand artisan du
Québec moderne, dont la grande partie de sa vie a été donnée à ce Québec
qu'il voulait améliorer et qu'il voulait sortir de sa dépendance chronique, en
particulier sur le plan économique.
Mes premiers
mots, ça va être d'abord pour offrir mes plus sincères condoléances à
Mme Lisette Lapointe, que j'ai connue comme collègue, avec qui j'ai
travaillé ici, à l'Assemblée nationale; aux enfants que j'ai eu la chance de rencontrer à quelques reprises, Bernard
et Isabelle; la famille immédiate de M. Parizeau, ses amis et le très, très
grand nombre de Québécois
et de Québécoises qui constatent aujourd'hui l'immense valeur
de ce géant québécois. Je salue très rapidement aussi un
ex-collègue avec qui j'ai beaucoup aimé travailler, M. Morin, et sa conjointe.
Je me rappelle de cette équipe extraordinaire, 1976‑1985, avec qui j'ai eu la chance de
travailler au Conseil des ministres, avec la permission que M. Lévesque m'a faite d'entrer au cabinet, en 1979, avec cette extraordinaire équipe que je me rappellerai toute ma vie.
Rendre hommage à
M. Parizeau, il y a plusieurs facettes qu'on pourrait développer, mais je
voudrais assez rapidement me restreindre.
Moi, je n'ai pas de cabinet, je n'ai pas la fonction pour être bien entouré et
faire des recherches. Ce n'est pas
une excuse, je suis très heureux de ce que je vais dire, mais la contribution
de M. Parizeau, elle est exemplaire, magistrale, longue et
imposante.
Il
a modernisé le Québec de la Révolution tranquille par l'arrivée de la Régie des
rentes, la Société générale de financement,
la Caisse de dépôt et de placement, la nationalisation de l'électricité, mais
tout ce qui s'appelle des outils économiques
pour permettre au Québec d'être mieux accompagné. Un État ne fait pas le
développement économique, mais un
État moderne doit accompagner de son meilleur de lui-même, dans ses politiques,
dans ses orientations, le développement
du Québec au complet, et ça inclut
ses régions, en leur donnant des outils qui leur permettent de croître et de se
développer.
Jean-François,
avec raison, avec raison, a ajouté à cette liste d'un legs absolument
extraordinaire d'un homme d'envergure,
un homme d'État en ajoutant, puis là je ne veux pas le reprendre, mais la
perception automatique des pensions alimentaires — je ne le reprendrai pas tout — le projet de loi sur l'équité salariale,
ainsi de suite. C'est la dimension moderne de sept, huit nouveaux éléments qui s'ajoutent à cette longue liste des
éléments historiques, des grands instruments de développement économique
que le Québec s'est donnés pour sortir de la dépendance.
Mais
moi, je suis obligé d'ajouter, parce que j'ai aimé travailler avec
M. Parizeau, j'ai aimé M. Parizeau, et il y a plusieurs facettes que je pourrais développer,
mais je veux juste ajouter à la liste... Pour rester dans le legs
extraordinaire qu'il laisse au
Québec, entre autres à une région minière comme l'Abitibi-Témiscamingue, il a
donné ce qu'on appelle les actions
accréditives dans le secteur des mines. Les actions accréditives dans le
secteur des mines, quand il y a des affaissements comme c'est le cas, qu'on vit actuellement pour
l'exploration minière, c'est important d'avoir cette contribution plus large
de citoyens du Québec qui veulent participer
au développement économique de la région. Et, par cet outil, il a donné une
poussée de croissance extraordinaire à
l'Abitibi-Témiscamingue. Vous en parlerez au maire de la ville de Québec, qui
a profité effectivement de cette poussée de croissance extraordinaire — tant
mieux pour lui, mais tout le Québec en a profité,
tout le Québec en a profité. Et, si je veux illustrer ça, ça démontre comment
M. Parizeau avait de la vision, comment M. Parizeau avait cette conscience sociale qui l'amenait à offrir
des outils de développement à l'ensemble du Québec.
J'ajouterais
le Régime d'épargne-actions, qui a permis aux grandes entreprises du Québec de
se déployer, de se développer et de
passer à une étape de la modernité. Le Fonds de solidarité des travailleurs de
la FTQ, le Fonds de solidarité des
travailleurs de la FTQ, c'était moderne de penser à ça, de dire : On va
mettre les travailleurs dans le coup parce que ces gens-là aussi veulent poser leur pierre, ces gens-là aussi veulent
contribuer, et on va leur donner un outil qui va permettre de participer
à l'économie québécoise.
Je
pourrais poursuivre, il a un legs extraordinaire. Et j'espère que... pas nos
livres d'histoire, parce que malheureusement je trouve qu'ils sont
incomplets, mais l'histoire tout court du Québec sera mieux enseignée pour permettre à ces jeunes, parce qu'on a des beaux
jeunes, de la belle jeunesse au Québec, de s'informer davantage de tous ces hommes et ces femmes qui ont contribué au
développement économique du Québec et que, malheureusement, on ne
connaît pas leur immense contribution.
Rapidement, homme
d'État, on ne le répétera jamais assez... J'en ai vu quelques-uns, des premiers
ministres, dans ma carrière, et j'ai
rarement vu quelqu'un avoir autant le sens de l'État que M. Parizeau.
Être membre d'un conseil des ministres, participer à des comités ministériels, pousser des réflexions qui engagent tout le Québec
pour leur mieux-être, c'est une responsabilité importante. Et, parce que
c'est une responsabilité importante, il faut la faire avec énormément de
principes, de rigueur, de constance et de préparation. M. Parizeau n'était pas
de l'école que toutes les opinions se valent
puis l'opinion de M. Untel vaut l'opinion de l'autre. Oui, à condition qu'elles
soient documentées. Les opinions gratuites, ça ne passait pas la rampe
avec M. Parizeau. Et tant mieux, ça nous permet d'avoir des nouveaux standards
plus élevés, ça permet d'avoir une discipline plus importante.
Je
ferais des heures et des heures. Comme homme d'État, il m'a impressionné parce qu'il avait le sens de l'État. C'est
clair qu'il avait une méchante expertise,
mais, avant de faire de la politique avec nous, il avait oeuvré au fédéral,
il avait oeuvré avec M. Lesage, M. Johnson,
donc il avait tout un bagage, là, quand, au-delà de 50 ans de ta vie, tu le
passes à faire des dossiers, à
conseiller intelligemment, et surtout que, dans tes tripes, tu es
social-démocrate — parce
que M. Parizeau était
social-démocrate. M. Lévesque avait dit, une fois, de lui : C'est un
gauchiste mais qui sait compter. Ah bon! Alors, c'est bien important
d'avoir des gauchistes qui savent compter, et M. Parizeau savait compter.
Sur
le plan des finances publiques, c'était un géant des finances publiques,
c'était un géant des questions financières, il se l'est fait dire à travers le Canada, il se l'est fait dire au
Québec. Et, chaque fois qu'il avait l'occasion de prononcer un discours du budget... je ne vous demande pas
d'être d'accord en totalité ou en partie, ce n'est pas important, mais, dans
tous ses discours du budget, il y avait
quelques finesses qui permettaient au Québec de s'en sortir mieux, et c'était
important.
C'était
un géant aussi de la pédagogie. Martine, avec raison, tantôt, elle l'a
mentionné : D'avoir un orateur qui était un des plus sollicités
dans les universités puis dans les cégeps... comme par hasard, c'était souvent
M. Parizeau. Pourquoi que c'était M.
Parizeau? Parce qu'il traitait adéquatement les sujets qu'il possédait, ses
sujets étaient réfléchis, documentés,
et M. Parizeau a été de tout temps un excellent pédagogue. Et je voudrais juste
donner comme exemple : lorsqu'on
a eu cette extraordinaire chance, au Québec, de soumettre, dans une
consultation référendaire, un sujet aussi important que l'avenir d'un Québec complet, d'un Québec normal, qui
posséderait tous ses outils, M. Parizeau avait eu l'intelligence de la
préparer, cette immense consultation. On avait fait le tour du Québec, il y
avait une commission parlementaire sans
partisanerie qui a préparé le terrain, et ça devait intéresser les Québécois
puisque je n'ai jamais vu un taux de participation aussi élevé de toute
ma carrière : 95 % des gens ont participé à cette extraordinaire
consultation.
Mais,
pour faire le tour du Québec, il faut avoir des choses à dire, il faut avoir
des arguments, et M. Parizeau en avait par rapport à ce qu'il a toujours
porté fièrement, un Québec normal, un Québec complet, un Québec adulte, un Québec mature, et ça, ça
s'appelle une pleine et entière capacité de s'autosuffire, de se gérer
nous-mêmes. Quand on est une nation
normale, ça serait normal d'avoir notre système politique. M. Parizeau l'a
porté contre vents et marées, ça lui a valu pas mal de difficultés dans
sa propre famille. Je m'en rappelle très bien, il y avait des situations que je
pourrais raconter, mais, quand tu as des principes puis des convictions, tu les
gardes.
Je voudrais
saluer — je le
dis comme je le pense, c'est ce que je fais habituellement toujours — la noble et digne intention du premier ministre que la Caisse de
dépôt immortalise son nom à tout jamais parce qu'il a tellement donné.
Et je terminerais
en disant que la contribution au Québec du premier ministre M. Parizeau est
inestimable. Il a permis à des
Québécois de croire en eux, et, lorsqu'on donne cette chance, comme pédagogue,
de donner la conviction à tout être
humain qui a la capacité de poser sa pierre pour un Québec meilleur, c'est un
plus, autant pour son économie que
son indépendance. Par ses actions, il fut l'un des Québécois les plus marquants
de sa génération. Merci, M. Parizeau...
• (15 h 10) •
Le Président : Merci, M. le
député d'Abitibi-Ouest et vice-président de l'Assemblée nationale. J'inviterais
maintenant M. le député de Brome-Missisquoi, ministre de l'Agriculture et des
Pêcheries.
M. Pierre Paradis
M. Paradis
(Brome-Missisquoi) : M. le
Président, monsieur n'est plus. Il nous a quittés hier et laisse dans le
deuil un Québec auquel il a consacré toute
sa vie active. Ses nombreuses réalisations lui survivent, mais, au-delà de son
legs généreux envers le Québec, c'est de
l'homme plus grand que nature dont l'Assemblée nationale du Québec conservera
un souvenir impérissable.
M. le
Président, son respect pour l'institution que vous présidez ne s'est jamais
démenti. Son respect pour ses adversaires politiques n'avait d'égal que
celui que lui vouait le regretté premier ministre Robert Bourassa. Son sens de
l'honneur, de l'État et des responsabilités ministérielles l'ont
conduit à répéter à ses collaborateurs et dans l'enceinte de l'Assemblée
nationale ce qui suit : «Un
ministre est responsable de ce qu'il sait et de ce qu'il ne sait pas dans son
ministère.» Fin de la citation.
Reconnu comme
un gentilhomme, monsieur était, dans sa vie privée, un gentleman-farmer. Il
profitait de ses très rares temps
libres pour s'adonner à l'aménagement de sa ferme, située à Knowlton, comté de
Brome-Missisquoi. C'était, comme il l'a déjà confié, son petit coin de
paradis.
Monsieur fut
un adversaire politique des plus coriaces. Homme intègre issu d'une famille du
milieu des affaires, il s'est
consacré corps et âme à la souveraineté du Québec. Il était séparatiste avant
les élections, séparatiste pendant les élections,
séparatiste après les élections. Comme toute personne politique, il a connu
tour à tour victoires et défaites. Il n'a jamais abandonné. Il est intervenu dans le débat public pour faire
avancer sa cause jusqu'à la limite de ses forces. La veille des conseils nationaux du Parti québécois ne sera
plus jamais aussi colorée, mais il n'est pas exclu qu'il intervienne de
nouveau à sa manière.
Nous offrons
nos plus sincères sympathies à notre ex-collègue Lisette Lapointe, sa
conjointe, de même qu'à sa famille, à ses collaborateurs et à ses amis.
Souvenons-nous de monsieur, qui nous a quittés pour un pays éternel.
Le Président : Merci, M. le
député de Brome-Missisquoi et ministre de l'Agriculture et des Pêcheries.
Le Président
Le Québec a
perdu l'un de ses grands hommes d'État. Jacques Parizeau a marqué la vie
politique québécoise des 60 dernières
années. Il a engagé toute sa vie et sa carrière pour faire du Québec, qu'il
aimait profondément, un État moderne et prospère.
Je vais vous citer les propos prononcés par
Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, au moment d'une motion similaire il y a presque 25 ans, le
12 décembre 1985, lors du décès de Jean Lesage. C'est M. Parizeau qui
parle, là, parle de Jean
Lesage : «Il nous a aussi appris, M. le Président, ce qu'on appelle le
sens de l'État, le respect de l'État, qu'on n'a peut-être pas toujours eu
suffisamment dans notre histoire. Mais il symbolisait, à lui-même et à lui tout
seul à certains moments, l'espèce de respect
collectif que l'on commençait à avoir pour de nouvelles institutions
modernes...» Force est de constater que ses propos, aujourd'hui, lui
conviennent très bien.
Au lendemain
de la disparition de cet homme d'exception et au-delà des questions
d'appartenance politique, je veux
rendre hommage à la mémoire et à l'immense contribution de Jacques Parizeau à
l'avancement du Québec. Son oeuvre
colossale a marqué notre destin collectif de
façon durable, et son héritage va continuer de façonner pendant longtemps le Québec de demain. Toutes mes
condoléances à son épouse et à sa famille. Au revoir et merci,
M. Parizeau.
Mise aux voix
Est-ce que cette motion est adoptée?
Des voix : Adopté.
Le Président : Adopté. Alors,
Mmes, MM. les députés, je vous invite maintenant à vous lever afin que nous
observions une minute de silence à la mémoire de M. Jacques Parizeau.
• (15 h 16
—
15 h 17) •
Le
Président : Merci. Veuillez vous asseoir. M. le leader du
gouvernement.
Ajournement
M. Fournier : Dans
les circonstances, M. le Président, je fais motion pour que nous puissions
ajourner nos travaux à demain, mercredi le 3 juin,
9 h 45.
Le Président :
Est-ce que cette motion est adoptée?
Des voix :
Adopté.
Le Président :
Adopté. Alors, j'ajourne nos travaux à mercredi le 3 juin,
9 h 45.
(Fin de la séance à
15 h 18)