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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le mardi 28 août 1979 - Vol. 21 N° 164

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Auditions concernant le projet de loi no 51 - Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre


Journal des débats

 

Projet de loi no 51 Présentation de mémoires

(Quatorze heures quatorze minutes)

Le Président (M. Blank): A l'ordre, mesdames et messieurs!

M. Rivest: M. le Président, à la suite de ce qui s'est produit ce matin, alors que la commission devait, comme on le sait, commencer à siéger à 10 heures, je voudrais simplement vous demander quelle a été la nature des discussions qui ont eu lieu, soit avec le président de l'Assemblée nationale ou avec vos collègues, pour autoriser cet après-midi la reprise des travaux de cette commission. Comme vous le savez, des employés de l'Assemblée nationale exercent, à ce qu'on nous dit, un droit de débrayage, peu importe la légalité ou l'illégalité, mais je pense que c'est une grève légale.

M. Guay: C'est un cas...

M. Rivest: Oui, mais pour nous, nous n'avons pas à décider de cela ici.

M. le Président, je me demande dans quelle situation et quels ont été les éléments de base de cette décision qui a été prise, j'imagine, par la présidence de l'Assemblée nationale ou par des personnes en autorité.

Le Président (M. Blank): Le président de l'Assemblée nationale a convoqué une réunion des présidents, des hauts fonctionnaires de l'Assemblée nationale, pour trouver un moyen d'enregistrer les débats. Quand je suis parti de l'assemblée, ce matin, il avait été décidé que nous aurions des petites machines opérées par la commission elle-même, pour enregistrer sur des bobines. En arrivant cet après-midi, j'ai vu que le système original, le système normal, allait fonctionner, mais qu'il serait dirigé par des gens qui sont des employés de l'Assemblée nationale. Je vois M. Pouliot ici, à la console. C'est lui qui va diriger le travail ici, dans cette salle. Je ne sais pas quelles sont les autres personnes dans les autres bureaux, si ce sont des personnes cadres, je ne le sais pas moi-même. Personne ne m'a informé, je sais seulement que cela peut fonctionner maintenant, et je suis prêt à procéder.

M. Guay: M. le Président, si...

M. Rivest: Seulement pour compléter, si vous permettez: j'imagine que pour la présidence, il y a un principe fondamental qui est celui du fonctionnement de l'Assemblée nationale. Evidemment, il n'y a peut-être pas des urgences absolument déterminantes pour les fins de notre commission aujourd'hui de fonctionner. Néanmoins, il y a des gens ici qui, à cause de l'imbroglio de ce matin, ont perdu leur matinée, comme nous-mêmes.

A tous égards, je pense que l'Assemblée nationale doit pouvoir fonctionner pour faire face à ses responsabilités. Je pense que c'est un principe très important, dont il faut tenir compte, dans la situation actuelle. Néanmoins, on nous a dit qu'il y avait eu une entente au niveau des services essentiels avec le syndicat et l'autorité de l'Assemblée nationale. Il semblait y avoir un certain malentendu au sujet de la rédaction, je ne sais trop. De toute façon, peu importe. Actuellement, est-ce qu'on fonctionne en vertu du protocole d'entente au titre des services essentiels ou si on y déroge, en ce moment?

La deuxième question qui me paraît la plus importante, eu égard à la législation dans le domaine du travail, qui a été votée au cours des dernières années est celle-ci: Les gens qui, actuellement, font fonctionner le service électronique de transmission du journal des Débats, est-ce que ce sont des employés cadres de l'unité de négociation qui exercent un droit de grève aujourd'hui, ou si ce sont des gens d'autres services? C'est extrêmement important, dans la mesure où ces gens pourraient contrevenir à certaines dispositions législatives impératives qui ont été votées par l'Assemblée nationale au titre du respect du droit de grève.

Le Président (M. Blank): Sur le premier...

M. Guay: Sur une question de règlement, si vous le permettez, je comprends l'intérêt que porte le député de Jean-Talon à la question. C'est une question qui intéresse tous les membres de cette assemblée tout naturellement. Je me demande tout simplement si c'est le bon endroit et le bon moment pour poser ce genre de question. Je me permets de vous souligner, et c'est le sens de ma question de règlement, que nous sommes ici pour entendre un groupe de personnes ou des organismes qui ont des mémoires à nous présenter au sujet d'un projet de loi sur le livre présenté par le ministre des Affaires culturelles, et que c'est le mandat de la commission.

Je comprends le souci, encore une fois, du député de Jean-Talon, mais je me demande, et je vous pose la question: Est-ce bien le moment, est-ce bien l'endroit, compte tenu du mandat de la commission, de poser ce genre de question? S'il veut aller aux renseignements, il a le moyen d'y aller en se présentant en personne au bureau du président de l'Assemblée nationale qui pourra sans doute le recevoir et lui donner les renseignements pertinents.

M. Rivest: M. le Président, sur la question de règlement soulevée par le député, je pense que ma directive, justement, concerne le règlement de l'Assemblée nationale, qu'il y a retranscription du journal des Débats et que c'est impératif dans le règlement, en vertu des articles 144 et 53. Je me demande si, effectivement, on va pouvoir satisfaire à ces articles. Je pense que c'est le minimum.

C'est le sens de mon intervention. C'est le minimum d'exiger que l'Assemblée nationale ou le gouvernement, peu importe, s'assure, étant donné la situation que l'on connaît, que la commission parlementaire, par des mesures administratives qui ont été prises par les autorités de l'Assemblée nationale, ne procède pas dans l'illégalité. C'est pour cela que j'insiste pour savoir si, effectivement, compte tenu que les employés normaux qui s'occupent de ces choses ne sont pas ici, l'on s'assure, en recourant ou en ne recourant pas — c'est la question que j'ai posée — à des cadres de l'unité de négociation qui exerce son droit ce matin ou cet après-midi, si on n'a pas pris des employés d'autres services, parce que, à ce moment, on se trouve à s'exposer — je ne veux pas donner d'opinion juridique devant la commission — mais on se trouve à entrer directement en conflit avec l'une des dispositions que l'Assemblée nationale a votée au titre de la loi 45 sur les briseurs de grève.

Simplement, pour la commission, sur le plan de la légalité, et, deuxièmement, pour les employés qui, actuellement, exercent ces fonctions, je pense que c'est bien légitime qu'on puisse obtenir, de la part du président de l'Assemblée nationale, des précisions, de façon qu'il y ait une autorité quelque part qui prenne la responsabilité de la situation dans laquelle on vit.

M. Guay: M. le Président, c'était sur une question de règlement.

M. Rivest: Je veux simplement dire que je pense que c'est une question sérieuse au départ.

Mme Lavoie-Roux: Avant de...

Le Président (M. Blank): Une minute, est-ce la même question de règlement?

M. Le Moignan: Non, M. le Président...

Le Président (M. Blank): Mais laissez-moi trancher la question de règlement. Sur une question de règlement, je pense que le débat est pertinent, à ce moment, parce qu'il est question de savoir si nous siégeons légalement ou illégalement et c'est peut-être parce qu'il y a des députés ici présents qui seraient d'avis de siéger ou de ne pas siéger — selon la question, on peut employer les mots: grèves illégales, légales, "scabs" —pour toutes sortes de raisons, qu'un député voulait ou ne voulait pas siéger ici et c'est une question de quorum après cela. C'est très pertinent de vider cette affaire avant qu'on commence.

M. Guay: Puis-je vous demander une directive, M. le Président?

Le Président (M. Blank): Sûrement.

M. Guay: Si je ne m'abuse, d'après la Loi de la Législature, on a déjà vécu le cas, à un moment donné, où des professionnels du gouvernement avaient cherché à empêcher la Législature de siéger — rien ne doit empêcher la Législature, et, par le fait même, ses commissions parlementaires, de siéger. Quand vous parlez de siéger légalement ou illégalement, est-ce que le seul critère finalement de séance d'une commission ce n'est pas l'ordre qui lui est donné par la Chambre de siéger en vertu des règlements?

Le Président (M. Blank): Non, ce n'est pas cela. Excusez-moi. J'ai fait une remarque, mais je pense que c'est "légalement ou illégalement", dans l'esprit du député qui siège ici. Peut-être y a-t-il des députés qui ne veulent pas siéger ici voyant les circonstances. Je ne sais pas. Durant l'heure du lunch, j'ai jasé avec plusieurs députés et il y en a qui ont des réticences. C'est leur conscience. C'est pour cela, je pense, qu'on donne les faits et c'est au député de décider ce qu'il veut faire.

M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Sur une question de directive, je ne veux pas toucher l'aspect légal ou illégal, mais d'après l'article 144 qu'on vient d'invoquer, est-ce que, comme président, vous nous donnez l'assurance que les débats qui seront enregistrés cet après-midi seront vraiment consignés, tel que prévu, au journal des Débats? Je crois que c'est important, si on veut fonctionner. Si nous n'avons pas l'assurance que ce sera consigné au journal des Débats, à ce moment, il se pose un doute, un point sérieux.

Le Président (M. Blank): C'est une deuxième question. La question de savoir si on peut siéger avec ou sans le journal des Débats, c'est débat-table aussi parce qu'il y a un avis légal disant qu'on peut siéger même sans que ce soit consigné au journal des Débats. Mais, à ce moment, cette question ne se soulève pas, parce qu'il y a des techniciens ici, et il est apparent que ce sera consigné au journal des Débats. Je ne peux pas vous donner la garantie. Je ne suis pas un ingénieur, je ne suis pas un expert dans l'électronique, mais comme on dit dans le langage: "Everything is going".

M. Le Moignan: M. le Président, est-ce que ceux qui ont organisé le système peuvent nous répondre que ce sera consigné, oui ou non?

Le Président (M. Blank): D'après l'information reçue, la réponse est oui.

Pour répondre au député de Jean-Talon, il y a un protocole d'entente qui a été signé par les fonctionnaires pour que onze employés soient assignés aux services essentiels et que le journal des Débats soit considéré comme un service essentiel. Quant à savoir si les gens en place sont des cadres de l'unité de négociation qui ont le droit de travailler, sur cela, je ne vous donnerai pas d'avis légal parce que je n'ai pas étudié toute la question.

Deuxièmement, je n'ai pas le schéma de l'Assemblée nationale devant moi pour savoir qui est en charge de qui.

Le président m'informe que, à son avis, ces cadres sont ceux de l'Assemblée nationale et qu'ils ont le droit de travailler. Deuxièmement, voilà que les fonctionnaires n'ont pas rempli les obligations pour lesquelles ils avaient signé. Qu'allons-nous faire? Allons-nous annuler la séance de la Chambre parce que ces gens n'ont pas respecté leur contrat, leur protocole? Pour toutes ces raisons, il est décidé que nous procéderions avec les cadres.

Comme je vous le dis, sur une question strictement légale, je ne vous donne aucune opinion, ce n'est pas mon devoir de le faire.

M. Rivest: Seulement une question additionnelle, si vous le permettez. Les gens qui remplissent les fonctions à la place des employés réguliers du journal des Débats, j'imagine qu'ils agissent suivant des directives précises qui ont été données par leur supérieur immédiat?

Le Président (M. Blank): A mon avis, oui.

M. Rivest: Et c'est bien clair pour eux. La raison pour laquelle je dis cela est très simple. Je le dis devant cette commission. Il y a des employés, des gens du syndicat, des travailleurs qui, actuellement, ont une prétention contraire à ce titre. Evidemment, la commission ne peut pas en décider, sauf que mon seul souci, par ces remarques préliminaires, est de bien m'assurer que les personnes à qui on a demandé de travailler aujourd'hui à la place des employés réguliers... ils sont placées dans une situation qui risque d'être... Ce n'est certainement pas une situation très normale, dans la mesure où ces personnes peuvent être l'objet de contestation ou se trouver au coeur d'une polémique, parce que le conflit dans le domaine du syndicat des fonctionnaires n'est pas réglé. Je ne sais pas où en sont exactement les négociations. Nous vivons une situation, M. le Président, et je tiens à le dire simplement, quitte à céder la parole à d'autres de mes collègues, qui n'est certainement pas agréable, et je pense que ce n'est pas un terme très fort. Nous sommes fortement déçus, d'autant plus que c'est la deuxième fois, probablement en moins d'un an, que l'Assemblée nationale est placée devant cette situation. Mais, encore une fois, dans la mesure où l'Assemblée nationale — et on l'a dit avec insistance, à la première occasion où ce problème s'est posé, je crois, le printemps dernier... Je pense que c'est un principe très fort qu'on doit défendre, et je comprends que c'est là le sens de votre décision, M. le Président, à savoir que l'Assemblée nationale doit pouvoir fonctionner, parce que c'est quand même capital.

Encore une fois, je sais bien qu'aujourd'hui il n'y a pas de drame particulier au niveau de l'urgence de la législation, mais si on créait un précédent qui empêche l'Assemblée nationale de siéger, alors qu'il y a une situation d'urgence, pour des raisons de conflit de travail, je pense que notre responsabilité, comme parlementaires, est de nous assurer que les travaux puissent s'effectuer, sous réserve très nette de savoir exactement ce qui arrivera aux personnes de la partie syndicale autant qu'à celles qui prennent leur place. C'est pour cela que je me suis bien assuré qu'il y avait eu des directives données par les personnes en autorité de l'Assemblée nationale et qu'elles ont assumé leurs responsabilités en demandant aux employés de l'Assemblée nationale, qu'on dit cadres, d'exercer les fonctions régulières des employés du journal des Débats.

Le Président (M. Blank): Mme le député de L'Acadie.

Une Voix: ... c'est enregistré.

Mme Lavoie-Roux: J'ajouterai très peu de choses, parce que, en fait, dans la dernière partie de son intervention le député de Jean-Talon, je pense, a exprimé le sentiment que j'éprouve à ce moment-ci d'assister, une seconde fois, à des difficultés qui empêchent l'Assemblée nationale de poursuivre ses travaux d'une façon normale. Je pense que toutes les conditions requises maintenant semblent être remplies, qu'on a apporté les correctifs nécessaires; alors il n'est pas question pour nous de ne pas collaborer. Je voudrais quand même exprimer au moins le souhait que l'Assemblée ou ceux qui sont responsables des travaux de l'Assemblée nationale prennent les mesures pour que ceci ne se répète pas. Il y a d'abord le public qui a été ce matin touché par ce débrayage inattendu. Il y a également les parlementaires qui viennent ici en pleine période d'été pour poursuivre les travaux. On peut se demander, je pense, avec justesse, ce qui se produit dans toute cette question de négociation avec la Fonction publique, puisqu'on se retrouve, encore une fois, dans des circonstances qui sont moins dramatiques, parce que, de l'extérieur, il ne s'agit que de trois commissions parlementaires, mais qui, au niveau des principes, touchent quand même à la souveraineté et au pouvoir de l'Assemblée nationale de siéger d'une façon normale et sans difficulté. Merci, M. le Président. (14 h 30)

Le Président (M. Blank): Merci. Pour répéter ce que j'ai dit ce matin, les membres de cette commission sont M. Alfred (Papineau), M. Brassard (Lac-Saint-Jean) remplacé par M. Ouellette (Beauce-Nord), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes) remplacé par M. Fallu (Terrebonne), M. Godin (Mercier), M. Goldbloom (D'Arcy McGee) remplacé par M. Rivest (Jean-Talon), M. Guay (Taschereau), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Les intervenants sont: M. Beauséjour (Iberville), M. Bertrand (Vanier), M. Brochu (Richmond), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), M. Morin (Sauvé), M. Samson (Rouyn-Noranda) et M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) est remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy McGee).

Le rapporteur qui a été nommé ce matin est M. Jean Alfred, le député de Papineau.

M. Rivest: M. le Président, est-ce préférable que le rapporteur soit ici?

Le Président (M. Blank): C'est enregistré. Il est déjà nommé et c'est la même séance.

M. Rivest: Doit-il rapporter toutes les difficultés que nous avons à cause de l'incapacité du gouvernement de résoudre le problème?

Le Président (M. Blank): A l'ordre! M. le ministre des Affaires culturelles.

Remarques préliminaires M. Denis Vaugeois

M. Vaugeois: Merci, M. le Président. Dans les circonstances, je vais réduire à l'essentiel un mot d'introduction dont l'objet sera tout simplement de situer le projet de loi.

L'intention que nous poursuivons avec ce projet de loi est, bien sûr, de rendre le livre le plus accessible possible. Pour ce faire, nous avons identifié deux partenaires principaux, deux alliés principaux sur le terrain, les bibliothécaires et les libraires, et pour que le livre se rende chez ces alliés, principalement chez le libraire, bien sûr, nous avons besoin de distributeurs. Pour que le produit existe, nous avons besoin d'éditeurs et d'auteurs. L'ensemble de notre projet de loi, c'est de reconnaître la nécessité de chacune de ces fonctions et notre conviction est de chercher pour assurer l'accessibilité du livre, d'assurer à chacun de ces agents la place qui lui revient.

Le projet de loi retient finalement le consensus que nous avons cru percevoir tout au long des consultations auxquelles nous avons procédé ces derniers mois. Je pense que c'est un projet de loi qui a subi un cheminement long et lent. Il a commencé bien longtemps avant l'arrivée au pouvoir du présent gouvernement, bien avant que moi-même je sois aux Affaires culturelles. Nous avons tenu compte d'un grand nombre de mémoires, d'un grand nombre de consultations, mais, bien sûr, principalement de celles auxquelles nous avons pu nous livrer nous-mêmes ces tout derniers mois. Ce consensus que nous avons cru percevoir nous a servi à placer un certain nombre de balises dont le rôle est d'amener chacun des intervenants mentionnés tout à l'heure à jouer son rôle. Nous pensons que chacun est un maillon essentiel et nous invitons chacun d'ailleurs à reconnaître le rôle de ses partenaires.

Nous sommes en face d'un certain nombre de professionnels du livre qui viennent d'un peu partout. Notre intention est de respecter chacun de ces intervenants, encore que nous croyons légitime de réserver aux professionnels qui sont d'ici l'aide de l'Etat, ou les subsides de l'Etat, mais le tout dans le respect le plus total de la liberté d'action de tous ceux qui veulent venir exercer la profession du livre au Québec, d'autant plus que ces gens d'un peu partout nous aident à réaliser notre objectif qui est de rendre le livre, et tous les livres possibles, accessibles à l'ensemble du territoire.

Bien sûr que ceux qui interviennent dans le domaine du livre peuvent le faire avec des préoccupations commerciales, des préoccupations d'affaires. Certains le font avec des préoccupations culturelles et d'autres avec des préoccupations à la fois d'affaires et culturelles. Nous reconnaissons le mérite des unes et des autres, encore que notre préoccupation principale soit de valoriser la dimension culturelle de l'ensemble du processus. Ce n'est pas le mandat du ministère d'avoir des préoccupations d'abord économiques, mais nous ne cachons pas que, dans l'ensemble de notre projet de loi, nous avons voulu rendre possible l'action des agents pour qu'ils puissent jouer leur rôle culturel. Dans certains cas, il faut donc leur donner les moyens de se développer. Notre conviction profonde est donc que chacun a un rôle important à jouer, et nous avons voulu que chacun soit amené à le reconnaître par les balises qui se dégagent du projet de loi.

En pratique, nous savons, tout le monde le sait, qu'un auteur peut s'éditer lui-même, qu'un éditeur peut vendre au détail, qu'un distributeur peut également vendre au détail, qu'un libraire peut chercher à traiter directement avec un auteur ou un éditeur, qu'un bibliothécaire peut acheter directement d'un auteur, voire d'un éditeur ou d'un distributeur, mais ce que nous proposons, c'est que chacun reconnaisse la complémentarité des fonctions de chacun des agents. Notre préoccupation est également de rendre le livre accessible partout et aux meilleures conditions possible, donc aux meilleurs prix possible. Nous pensons que si chacun fait normalement son travail, nous devons pouvoir y réaliser des économies appréciables. Nous avons cherché, par des balises, à forcer la compétition et la concurrence, non pas d'abord sur les prix, mais beaucoup plus sur les services et la qualité professionnelle qui est offerte.

J'ai eu l'occasion de lire et de relire les mémoires qui ont été présentés et, à l'avance, je veux remercier ceux qui ont pris le temps de rédiger ces mémoires et ceux qui ont pris le temps de venir nous les présenter. Je tiens à dire à chacun, et c'est vrai pour chacun des membres de cette commission, que nous sommes conscients que notre projet de loi est perfectible et que nous abordons ces travaux avec l'intention de profiter de chacune des suggestions qui seront faites pour chercher à l'améliorer ici et là.

Nous sommes conscients également que d'autres solutions auraient pu être avancées, des solutions radicalement différentes. Plusieurs choses ont été suggérées par le passé et le précédent gouvernement en a étudié certaines longuement. Pour notre part, nous avons préféré nous inscrire dans le prolongement de la réglementation qui existe déjà et d'essayer de l'améliorer à partir d'un consensus qui repose sur un équilibre reconnais-

sant le travail de chacun des agents. Nous allons donc faire notre profit des mémoires, de la période d'échanges qui suivra, des remarques des différents collègues qui sont autour de cette table. Nous sommes convaincus que, de cette façon, nous pourrons en arriver à une loi qui facilitera la diffusion et l'accessibilité du livre au Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Jean-Claude Rivest

M. Rivest: M. le Président, très brièvement, avant de permettre à nos invités de comparaître pour présenter leur mémoire, je voudrais simplement prendre acte des intentions du ministre et reconnaître la valeur des intentions, à tout le moins, du gouvernement qui veut essayer, comme le ministre l'a dit, de doter le Québec d'une politique du livre.

Je dirai simplement, au départ, puisque cela fait tellement longtemps qu'on parle de cette politique du livre, et le ministre a évoqué le fait que les gouvernements antérieurs avaient toujours étudié cette question... C'est un domaine extrêmement complexe, étant donné la multiplicité des intervenants; il y a les intérêts commerciaux aussi. Il faut composer avec les intérêts des individus qui sont dans le domaine et ceux de la collectivité.

Le ministre a indiqué que ce projet de loi s'inscrivait dans la foulée des dispositions réglementaires existantes. Une seule chose que vous me permettrez de vous dire, M. le ministre: Comme bien d'autres, nous doutons, pour l'instant, que cela puisse constituer une politique sérieuse, qui serait complète et qui répondrait aux besoins. On a également parlé souvent de la politique de la lecture. Le ministre ne l'a pas présentée comme ça dans ses remarques d'introduction, en tout cas c'est certainement une étape que je n'hésiterais pas à qualifier de significative.

Sur le plan de l'accessibilité, — pour parler plus de cet aspect — encore là on a plusieurs doutes, parce qu'on ne croit pas à ce projet de loi, sans qu'il soit accompagné, surtout au niveau des bibliothèques publiques et du domaine de l'éducation, de toute cette formation qui constituerait l'ensemble de la politique du livre et qui favoriserait réellement l'accessibilité, que cette mesure à elle seule puisse répondre à ça.

Sur le plan pratique, nous allons nous attacher à écouter les gens qui vont venir devant la commission en insistant sur deux aspects. Je sais que la plupart des mémoires y réfèrent; il y a la question de propriété des entreprises; dans quelles mesures les exigences posées, autant dans le projet de loi que dans le gouvernement, sont absolument essentielles pour atteindre les objectifs visés par le ministre et qui sont sans doute fort louables sur ce plan, soit, ici, au niveau de la commission parlementaire ou dans les étapes subséquentes du projet de loi, nous allons nous attacher à tenter d'obtenir du ministre une dé- monstration de cause à effet, si vous me permettez, à l'effet que 100% de propriété, de direction est un critère absolument nécessaire, je pense que c'est un point fondamental. Plusieurs intervenants — je le sais pour avoir lu les mémoires qui ont été soumis — vont soulever cette question; nous aurons sans doute, au cours des travaux, une discussion qui, nous l'espérons sera la plus productive possible sur ce plan. Je sais que le ministre est prêt à une certaine ouverture, en tout cas, on verra au cours des débats qui vont suivre sur cet aspect; ce sera probablement un des aspects principaux.

L'autre aspect, que je voudrais signaler dès le départ, c'est ce que j'appellerais la balance de ce projet de loi. Il y a des objectifs clairement établis, des critères, enfin des règles et des normes. Par ailleurs, on constate — c'est probablement dû à la nature du milieu — que, à ma connaissance, c'est probablement l'un des projets de loi où l'exercice du pouvoir réglementaire du ministre est le plus grand. Je m'interroge sérieusement, parce que le ministre — sur le plan des pouvoirs réglementaires qu'il se donne, dans ce projet de loi, peut, à toutes fins utiles, que ce soit pour un libraire, un éditeur, un distributeur, peu importe — peut exclure une personne de l'application générale de la loi. Le pouvoir réglementaire, on le regardera; j'ai vu les projets de règlements du ministre, on voit dans quel sens il se dirige, mais il y a deux ou trois dispositions qui m'apparaissent très inquiétantes. Je sais que l'intention du ministre et du gouvernement est de se donner le maximum de souplesse dans l'application de sa loi, compte tenu du milieu particulier qui fait l'objet de la présente loi, mais tout de même il y a un caractère assez débridé, si le ministre me permet l'expression, à la façon dont le projet de loi accorde au ministre des pouvoirs réglementaires, des pouvoirs de délégation aussi. Qui va, finalement, administrer ce projet de loi, en termes pratiques, et qui va exclure, à l'occasion, certains individus ou certaines personnes physiques ou morales de l'application de la loi. Là-dessus, ce n'est pas une question absolue, mais nous allons essayer de travailler dans le sens d'établir un équilibre entre les objectifs du projet de loi et l'exercice le plus raisonnable possible du pouvoir réglementaire.

Je sais que, compte tenu du milieu, le ministre n'a probablement pas le choix de procéder autrement que de la façon dont le projet de loi est conçu, maison pense qu'il y a — ultérieurement on aura certainement l'occasion d'en discuter avec le ministre — une façon de nous assurer que l'exercice de son pouvoir réglementaire essaierait d'éviter au maximum les dangers d'arbitraire que comporte toujours ce pouvoir réglementaire, d'autant plus que cela s'inscrit...

Une Voix: ...

M. Rivest: Justement, c'est que le gouvernement peut changer, c'est vrai, mais je sais que les gens du monde du livre ont beaucoup de sympathie pour les bonnes intentions de l'actuel minis-

tre; je pourrais lui nommer cinq, six ou sept autres de ses collègues du Conseil des ministres qui pourraient soulever de sérieuses interrogations ou de sérieuses réserves de la part des gens du milieu. Compte tenu de ça, indépendamment des personnalités, je pense que notre préoccupation, de ce côté-ci, à tout le moins — je sais que ce sera probablement la préoccupation des autres collègues de cette commission aussi — sera d'essayer de voir ce problème.

Troisièmement, des situations particulières aussi qui sont traitées dans les différents mémoires et qui, en regard même... Bien sûr, ce sont des intérêts souvent particuliers et il faut en tenir compte, mais ils sont légitimes. Ils sont exprimés clairement et publiquement... Mais nous allons nous intéresser pour savoir quel sera l'impact d'un règlement d'une situation individuelle d'une maison d'édition ou d'un libraire en particulier, des contraintes qui sont imposées, quel va être l'impact direct au niveau des consommateurs ou, enfin, du public en général, autant au niveau provincial qu'au niveau régional, de la disparition ou de la transformation d'une entreprise dans le domaine du livre à la suite de l'adoption des dispositions du projet de loi, si le projet de loi reste dans sa forme actuelle. (14 h 45)

C'est le type de préoccupations sur... continuer de demander au ministre, je pense, avec tous les gens du milieu, une politique du livre et de la lecture qui soit générale. D'ailleurs, je sais que le ministre en est conscient et je sais que le ministre réalise que son projet de loi ne vide pas le dossier, loin de là.

Deuxièmement, la question de la propriété, ça nous intéresse drôlement de voir si la solution proposée par le projet de loi est la bonne, si elle ne crée pas des injustices qui risquent de se répercuter au niveau de la qualité des services au public.

Troisièmement, trouver une façon d'améliorer l'exercice du pouvoir réglementaire, parce que c'est toute la signification elle-même de la loi, étant donné l'importance du pouvoir réglementaire, qui peut, à toutes fins utiles, dans certains cas, être vidée.

C'est le type d'approche que nous allons avoir tout au long des travaux de... enfin, la première phase, à tout le moins, des travaux de cette commission et, ensuite, nous aurons, avec le ministre et le gouvernement, les discussions au niveau parlementaire lors de la deuxième lecture et de l'étude article par article.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: Je ne voudrais pas faire languir les gens qui ont hâte de se faire entendre dans cette salle. Je voudrais simplement faire quelques brèves remarques à la suite des paroles du ministre. Il avoue qu'après lecture des mémoires, son projet de loi est perfectible. On le sait très bien quand on voit les remarques très positives, d'ailleurs, que nous allons rencontrer dans tous ces mémoires et, quand on sait que si on veut développer l'industrie du livre au Québec, c'est tellement important, que si on veut intéresser vraiment le lecteur, c'est un des buts aussi de la loi de favoriser une diffusion beaucoup plus grande du livre québécois. On a dit souvent que les gens ne lisent pas assez, mais je pense que si la loi s'applique avec certaines modifications, si le livre québécois atteint une distribution beaucoup plus large, beaucoup plus grande, ce projet de loi... On en parle déjà depuis de nombreuses années, un projet de loi sur le livre, et on réalise que la situation n'a guère évolué. Il y a beaucoup de problèmes qui seront évoqués au cours de ces assises dans les prochaines heures pour les maisons d'édition québécoises ou étrangères et c'est tout le problème, en somme, qui se déroule à partir de l'auteur d'un volume jusqu'au lecteur, en passant par les bibliothécaires, éditeurs, libraires, etc.

Je ne sais pas si ceux qui ont préparé des mémoires ont pris connaissance de la réglementation. De toute façon, il y a des choses qui sont un petit peu inquiétantes dans le projet de loi, quand on regarde l'article 37, qui parle de réglementation. On ne définit pas du tout ce qu'on entend par "livre", "édition", "éditeur", "distribution". C'est vrai qu'on les retrouve dans les règlements que le ministre nous a fournis. Je ne sais pas s'il les a fournis à tous les intéressés, mais, à ce moment-là, ce qui semble un petit peu inquiétant, c'est qu'une réglementation peut être changée à n'importe quel moment par le ministre. Tandis que le projet de loi, s'il définissait très bien ce qu'on entend par "livre", "éditeur", "auteur", "distributeur", "libraire", etc., à ce moment-là, c'est l'Assemblée nationale qui a les pouvoirs de modifier un projet de loi.

Je pense que nous aurons l'occasion, d'ailleurs, en écoutant les mémoires, de demander, à ceux qui ont travaillé ces dernières semaines pour nous livrer le fruit de leur cogitation, de nous donner des précisions et, en même temps aussi, peut-être de répondre à certaines de nos questions, de nos inquiétudes, quand on regarde un projet de loi qui, dans l'ensemble, devrait viser la grande protection de tous ceux qui sont intéressés et qui oeuvrent dans ce domaine.

M. le Président, je ne veux pas prolonger. Je pense que l'idée du gouvernement devrait être de rendre justice à tout le monde. Si le ministre entend bien certaines revendications, cela apportera peut-être certains amendements à certains articles. Cela donnera aussi une plus grande clarté non seulement à l'ensemble du projet de loi comme tel, mais aussi de la réglementation que le ministre peut changer à son gré à n'importe quel moment. C'est cela. Je pense qu'il peut laisser certaines inquiétudes. D'ailleurs, il y a certains articles du projet de loi que nous mentionnerons en temps et lieu en cours de route. M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Blank): Maintenant, on va commencer l'audition des mémoires. Vous connaissez la procédure: un porte-parole de l'organisme présente le mémoire et, après, les membres de cette commission posent des questions

Mémoires Conseil supérieur du livre

J'appelle M. Thomas Déri, du Conseil supérieur du livre. M. Déri, aux fins du journal des Débats, voulez-vous identifier vos collègues?

M. Déri (Thomas): A ma droite, M. Yves Dubé, président de l'Association des éditeurs canadiens et vice-président du Conseil supérieur du livre, et, à ma droite plus proche, M. André Préfontaine, président de la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec et vice-président également du Conseil supérieur du livre.

Le Président (M. Blank): Merci.

M. Déri: M. le Président, mesdames et messieurs les membres de la commission parlementaire, je vais essayer de faire un résumé le plus succinct possible du mémoire que nous vous présentons, car je ne pense pas qu'il faille, étant donné le retard qu'on a déjà pris, le lire au complet. Donc, je vais prendre le mémoire et je vais sauter les passages qui ne sont pas très importants ou les situations que tout le monde connaît.

Chacun des membres actifs du Conseil supérieur du livre présentant son point de vue dans un mémoire séparé, le Conseil supérieur du livre ne fait des remarques et des suggestions que sur les parties du projet de loi qui ne concernent pas spécifiquement les éditeurs, les libraires ou les distributeurs. C'est pourquoi le Conseil supérieur du livre a surtout fait des commentaires sur les notes explicatives, les dispositions générales et le Conseil consultatif de la lecture et du livre. Je passe les innovations qui sont introduites par le projet de loi no 51, car je crois que chacune des associations y reviendra en détail.

Le Conseil supérieur du livre qui, depuis sa fondation en 1961, regroupe maintenant une association de libraires, c'est-à-dire l'Association des libraires du Québec, trois associations d'éditeurs, c'est-à-dire l'Association des éditeurs canadiens, l'Association québécoise des presses universitaires et la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec, a réclamé auprès des pouvoirs publics des mesures visant à protéger et aider les artisans du livre québécois et à favoriser la diffusion du livre de langue française au Québec. Je passe également les différentes étapes importantes qui se sont déroulées dans le secteur du livre au Québec depuis 1960, mais je tiens à rappeler qu'au cours de ces années le Conseil supérieur du livre, par ses représentations auprès des pouvoirs publics, par ses mémoires en réponse aux différents livres blancs ou verts, n'a jamais cessé de réclamer des mesures visant à protéger et aider les artisans du livre québécois et a poursuivi avec acharnement sa campagne en faveur de la propriété québécoise des entreprises d'édition et de librairie et contre l'invasion étrangère du secteur du livre au Québec. Notons à ce sujet qu'on pourrait d'ailleurs reprendre point par point le mémoire sur la protection de la librairie et de l'édition québécoise présenté au ministère des Affaires culturelles il y a bientôt près de dix ans et constater que la plupart des problèmes se posent encore de nos jours avec la même acuité.

Le Conseil supérieur du livre tient donc à déplorer, une fois de plus, le fait que le gouvernement du Québec ne soit pas intervenu au moment opportun pour empêcher que des maisons d'édition et des librairies québécoises n'aient à faire appel à des intérêts étrangers ni que les principaux réseaux de distribution ne deviennent des filiales de maisons étrangères.

En faisant preuve de laxisme, les gouvernements successifs ont permis aux maisons américaines et françaises de s'implanter et de s'approprier une part importante de l'édition de la librairie et de la distribution au Québec. Et d'ailleurs, malheureusement, le projet de loi no 51 n'apporte aucun correctif à cette situation. Il part simplement d'une situation de fait.

Ceci dit, il est évident que le Conseil supérieur du livre ne peut qu'accueillir favorablement l'idée d'une loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre dans la mesure où cette loi entérinera certaines idées émises par le Conseil supérieur du livre et où elle aura pour effet d'aider et de soutenir les artisans du livre québécois et de mettre le livre québécois et le livre en langue française à la portée de tous les Québécois tout en développant l'industrie du livre québécois. Le Conseil supérieur du livre tient donc à reconnaître le bien-fondé du premier article qui spécifie que le gouvernement n'apportera son aide qu'à des entreprises qui sont entièrement québécoises alors qu'auparavant, il suffisait qu'une maison soit majoritairement québécoise pour pouvoir bénéficier d'une telle aide. Le Conseil supérieur du livre est également heureux de constater que le gouvernement prend enfin les dispositions nécessaires pour s'obliger à respecter lui-même les mesures qu'il impose aux organismes publics.

Troisièmement, le Conseil supérieur du livre est également favorable à l'idée de cette loi parce qu'il s'agit de la première tentative visant à couvrir les trois types de commerce dans le domaine du livre, alors qu'auparavant, les libraires étaient pratiquement les seuls à devoir se conformer à une réglementation d'après les arrêtés en conseil. Cependant, le Conseil supérieur du livre se pose de nombreuses questions et en particulier sur l'article 4 qui serait mis en vigueur à un moment où les habitudes de facturation changent en France et il se demande surtout s'il n'est pas totalement utopique d'essayer de trouver dans la pratique un système de tabelles suffisamment souple et ayant les effets voulus. De plus, le

Conseil supérieur du livre demande au gouvernement de clarifier l'article 4 dans la mesure où il sera adopté afin de préciser qu'il ne s'applique pas aux livres publiés au Québec et concerne uniquement les livres importés.

Enfin, — et je crois que c'est un point également très important — le Conseil supérieur du livre tient à faire remarquer que le gouvernement ne possédant pas de données précises et à jour sur l'industrie et le commerce du livre ni sur les habitudes culturelles des Québécois, habitudes de lecture en particulier, il sera pratiquement et malheureusement impossible de déterminer les retombées de cette loi au cours des années à venir. Il est donc extrêmement urgent que les organismes concernés se dotent des outils statistiques appropriés et fassent les études nécessaires pour être en mesure d'évaluer les effets de cette loi au moins tous les deux ans.

J'en viens maintenant au point principal sur lequel porte le mémoire du Conseil supérieur du livre et qui concerne le Conseil consultatif de la lecture et du livre. Dans une étude récente commandée par le Conseil supérieur du livre, on préconisait une plus grande autonomie des associations professionnelles de libraires et d'éditeurs et la mise sur pied d'une société de défense et de développement du livre et du périodique québécois qui assureraient les relations interprofessionnelles et étudieraient et défendraient les intérêts généraux des artisans du livre et du périodique québécois en langue française et aussi la création d'un conseil supérieur du livre et de la lecture qui serait à l'image du Conseil supérieur de l'éducation. En effet, si l'on examine le mandat, la composition, la structure, les moyens et les réalisations du Comité consultatif du livre, on découvre facilement qu'il y a plusieurs vices de forme dont certains sont encore amplifiés dans le futur conseil consultatif de la lecture et du livre. Le Comité consultatif du livre est formé de membres qui n'étaient pas les porte-parole officiels des associations ou des secteurs qu'ils représentaient et doivent se limiter à donner leur avis sur les questions que le ministre veut bien leur soumettre et sur l'agrément des librairies. Il ne dispose pas d'un secrétariat permanent ni d'aucun soutien matériel pour faire des études et des recherches et, lorsque le ministre ne lui demande rien, son rôle est purement d'ordre administratif, puisqu'il se limite à donner son avis sur l'agrément des libraires.

Si on applique maintenant à la lettre le mandat du nouveau Conseil consultatif du livre et de la lecture défini à l'article 7, le conseil peut donner son avis et faire des suggestions de sa propre initiative, mais cette fois-ci, son champ d'étude est limité aux seules questions relatives à l'application des lois et des règlements et ne recouvre plus, comme auparavant, tout problème relatif à la diffusion du livre dans la province.

De plus, comme auparavant, le ministre doit, avant de décider d'une demande d'agrément, prendre l'avis du conseil. Remarquons également que le nombre de membres passe de douze à quinze et que les quatre observateurs qui exis- taient sont maintenant réduits à trois, d'après l'article 5. Ils deviennent également, il nous semble, des membres de plein droit alors qu'auparavant ils étaient des observateurs. (15 heures)

On demande donc à 12 personnes, qui sont en général choisies parmi les membres les plus actifs de leur profession, d'accomplir une tâche qui est normalement dévolue à des fonctionnaires. Cette façon de procéder nous semble inadmissible, d'autant plus que ces personnes, pour pouvoir valablement remplir leur rôle, auront accès à des renseignements confidentiels provenant parfois de leur concurrents immédiats, ce qui entraîne des conflits d'intérêt.

Notons aussi que l'agrément s'étendant cette fois-ci aux éditeurs et aux distributeurs, en plus des libraires, la tâche sera encore plus fastidieuse. Le Conseil supérieur du livre rejette donc le mandat énoncé pour le comité consultatif de la lecture et du livre et propose que l'application de la loi et des règlements soit régie par les fonctionnaires du ministère des Affaires culturelles.

On propose ensuite une formule de remplacement sur laquelle je vais passer. Je reprendrai simplement quelques autres remarques qui touchent d'autres aspects du projet de loi. Le projet de loi, il nous semble également, repose sur plusieurs postulats dont la validité ne pourra peut-être jamais être vérifiée. Faisons donc, avant de conclure sur le projet de loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, quelques remarques supplémentaires et soulignons quelques paradoxes.

L'aide gouvernementale sera réservée aux entreprises entièrement québécoises, mais on ne sait pas exactement de quelle aide il s'agit. Obligation est faite au gouvernement et aux organismes publics de s'approvisionner chez les libraires agréés, mais cette obligation ne s'applique plus aux institutions universitaires, comme auparavant. Le marché du manuel scolaire est libéré en tenant pour acquis que les librairies agréées n'en souffriront pas. En rendant libre le marché du manuel scolaire, on espère, il nous semble, faire faire des économies aux commissions scolaires. En imposant des tabelles à ne pas dépasser, on espère également stabiliser le prix du livre importé. Par le biais de l'agrément, on devrait, avec tous les renseignements qui sont demandés, obtenir plus de données sur le marché du livre au Québec. On espère, encore une fois, c'est un espoir qu'on avait déjà dans les règlements précédents, que le nombre de libraires augmentera, surtout dans les régions éloignées de Montréal.

On espère également que la vente du livre québécois au détail augmentera. On espère qu'en rendant le livre plus accessible et moins cher, on encouragera la lecture. On fait remarquer que le libraire qui vend uniquement au détail au public n'a pas besoin d'être agréé. On fait remarquer que tous les distributeurs, agréés ou pas, devront se conformer aux directives, d'après l'article 4.

Nous voyons donc que l'agrément est facultatif et volontaire, mais que certaines dispositions

de la loi rejoignent tous les Intéressés, qu'ils le veuillent ou pas.

De plus, si les règlements sont trop stricts et sévères, beaucoup de libraires, d'éditeurs ou de distributeurs ne verront pas la nécessité d'être agréés si les inconvénients dépassent, à leurs yeux, les avantages qu'ils peuvent en retirer.

Enfin, quelques remarques sur l'administration et la réglementation de la loi. L'administration et la réglementation de la loi, prévues aux sections VI et VII du projet de loi, permettent au ministre et au gouvernement, si ces articles sont appliqués à la lettre, de faire pratiquement ce qu'ils veulent. Je crois que cette intervention va dans le même sens que celle qui a été faite tout à l'heure où, ne connaissant pas la teneur exacte des règlements, il nous semble que certains règlements peuvent même parfois dépasser ce qui est permis par la loi et, ne connaissant pas le contenu exact et définitif des règlements, je crois qu'il va être assez difficile à tout le monde de se prononcer sur la valeur exacte de la loi.

L'article 31, en particulier — je passe là-dessus... L'article 37 est encore plus inquiétant à nos yeux, car il semble constituer un chèque en blanc. Le gouvernement et le ministre s'autorisent à édicter tous les règlements voulus, à déterminer les exceptions et même à changer les sens habituellement donné et reconnu des mots utilisés dans les différentes professions. Cette attitude nous paraît donc très aléatoire, car porter un jugement de valeur sur le projet de loi en question sans connaître la totalité des règlements qui l'accompagneront est pratiquement impossible, car ce sont eux, en définitive, qui permettront de juger de la valeur de la loi.

C'est pourquoi, en conclusion, le Conseil supérieur du livre demande instamment que les règlements qui accompagnent la loi ne soient pas trop tatillons et n'outrepassent pas la loi. Il serait déplorable que le temps passé par les différentes personnes concernées, agréées ou pas, à remplir des formulaires et à répondre à des enquêteurs leur coûte plus cher que l'aide qu'ils peuvent recevoir. Ce serait sûrement fausser l'esprit de la loi.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Déri.

Seulement pour les fins du journal des Débats, je pense que, vu qu'on a fait un résumé de votre mémoire, avec le consentement de la commission, on pourrait faire imprimer votre mémoire au complet dans le journal des Débats. C'est agréé? (Voir annexe).

M. le ministre.

M. Vaugeois: Merci, M. le Président. Je vous remercie également, M. Déri. Je pense que nous sommes en présence, avec ce premier mémoire, d'un des mémoires les plus importants. Je ne crois pas choquer, qui que ce soit de la profession reconnaît certainement que le Conseil supérieur du livre est un organisme particulièrement représentatif et il est intéressant du fait justement, qu'il a essayé, comme nous avons été obligés de le faire, d'aller chercher les intérêts, que je qualifierais de supérieurs, du domaine du livre, sans pouvoir ou sans devoir s'arrêter aux intérêts de chacun des intervenants. C'est effectivement le genre de défi qui se posait à nous. C'est le genre de défi qui se posait au Conseil supérieur du livre. Il ne sera pas étonnant, donc, que, sur l'essentiel de ce mémoire, nous soyons d'accord, puisque nous avons procédé à peu près de la même façon avec les mêmes préoccupations.

On me permettra peut-être de revenir rapidement sur une dizaine des points avancés par le mémoire. D'abord, je note et je fais remarquer que, de façon très claire, le mémoire nous dit que: "le projet de loi no 51 n'apporte aucun correctif à cette situation". La situation dont il est fait mention, c'est: "le laxisme des gouvernements successifs qui ont permis aux maisons américaines et françaises de s'implanter et de s'approprier une part importante de l'édition, de la librairie et de la distribution au Québec".

Le mémoire rappelle, à ce moment, que: "le Conseil supérieur du livre n'a jamais cessé de réclamer des mesures visant à protéger et à aider les artisans du livre québécois et a poursuivi avec acharnement sa campagne en faveur de la propriété québécoise contre l'invasion étrangère dans le secteur du livre au Québec". Alors, je tiens à noter cette remarque du mémoire, parce que, à certains moments, on pourrait, par d'autres mémoires ou d'autres remarques qui ont été formulées, laisser croire que nous allons trop loin. Je souligne, avec insistance, que le reproche qu'on nous fait ici, c'est de ne pas régler vraiment ce problème de la propriété; donc, de ne pas aller, si je comprends bien, encore assez loin.

Par ailleurs, le mémoire laisse entendre, par d'autres passages, qu'il y a quand même, enfin, une attention apportée à ce problème, et je crois comprendre que l'esprit général du mémoire, c'est de souscrire au moins à ce début de préoccupation que nous manifestons face à la question de la propriété.

Un deuxième point, le CSL, justement sur cette question, à la page 5 de son mémoire, tient à reconnaître le bien-fondé du premier article qui spécifie que le gouvernement n'apportera son aide qu'à des entreprises entièrement québécoises alors qu'auparavant, il suffisait qu'une maison soit à majorité québécoise pour bénéficier d'une telle aide. Il me fait plaisir de souligner ce passage du mémoire.

Un peu plus loin, le mémoire s'inquiète des effets que pourront avoir les nouvelles pratiques, en France, quant au prix net. On se demande si, avec cette nouvelle situation, nous pourrons réaliser certains de nos objectifs ou les moyens que nous préconisons. Là, nous sommes à l'article 4. Je vais commencer par le plus facile. On nous demande si l'article 4 vise le livre québécois, la réponse, c'est non. S'il n'est pas assez clair, nous verrons, à sa rédaction, s'il y a lieu de l'améliorer parce que ce que nous visons, c'est, bien sûr, le livre qui fait l'objet de l'application d'une tabelle pour établir son prix de vente. Il y a peut-être lieu

de réviser le texte de l'article 4 pour le rendre clair, mais je réponds déjà à une des questions du mémoire.

Quant à l'application des mesures auxquelles nous songeons, ces mesures nous y songeons en liaison avec l'Association des distributeurs qui sont particulièrement concernés; c'est avec eux que nous allons chercher les solutions. Nous croyons que la nouvelle pratique française du prix net cause plus de problèmes en France qu'ici, et nous attendons qu'on y voit plus clair du côté français. Ils ont un certain nombre de problèmes à régler, quant à la publicité, en particulier. C'est assez embêtant, actuellement, on annonce des livres sans pouvoir indiquer un prix parce que si on indiquait un prix, on tomberait dans la faiblesse qu'on a voulu corriger, donc on n'annonce pas de prix. On semble momentanément ne pas avoir de prix de référence pour utiliser nos fameuses tabelles et dégager un prix québécois.

Dès qu'on y verra plus clair du côté français, dès qu'il y aura des choses qui seront mises en place, je pense que nous pourrons assez aisément trouver les moyens d'intervention. Nous aurons, à partir du prix net, à avoir des tabelles qui en tiendront compte, qui tiendront compte qu'elles s'appliquent dorénavant à un prix net sur lequel il faut ajouter un certain nombre d'éléments importants. Je pense bien que la tabelle pourra s'ajuster en regard de cette nouvelle pratique française. Vis-à-vis des livres d'autres provenances, nous pourrons procéder autrement. A notre avis, pour l'instant, le problème n'est pas encore chez nous. Nous avons besoin de savoir comment, du côté français, on va finalement procéder pour la facturation et ainsi de suite. On nous raconte d'ailleurs des choses assez amusantes quant aux problèmes que cela peut soulever outre-Atlantique.

Le mémoire nous demande et nous invite, conjointement avec d'autres ministères, à nous doter enfin d'outils statistiques appropriés. Nous souscrivons à cette demande et déjà je peux vous dire que plusieurs dispositions ont été prises pour essayer, le plus rapidement possible, de pallier cette déficience.

On réfère ensuite à une espèce d'analyse du mandat du Comité consultatif du livre tel qu'il existe actuellement. Ensuite, on fait allusion au mandat que lui donnerait le nouveau projet de loi, c'est-à-dire le projet de loi actuel. Je dois dire que dans le mémoire du CSL, c'est peut-être le passage qui m'a le plus intéressé. L'approche prise par le mémoire me plaît beaucoup. Déjà, d'ailleurs, j'ai demandé à nos conseillers juridiques d'évaluer la possibilité, concrètement, de réviser certaines parties du projet de loi pour aller dans le sens de ce qui est préconisé dans le mémoire. La vérité est que le mémoire exprime nos intentions. Peut-être que notre façon de rédiger le projet de loi n'allait pas suffisamment dans le sens de nos intentions et tenait trop compte de la situation présente. Je tiens à insister sur ce fait: les préoccupations mentionnées dans le mémoire rejoignent tout à fait nos préoccupations et je trouve extrêmement intéressant, d'ailleurs, que le CSL ait formulé ce genre de proposition.

Effectivement, il est possible que nos services puissent régler un certain nombre de problèmes administratifs en regard de l'application de la loi, et nous pouvons peut-être demander à un comité ou à un conseil supérieur du livre et de la lecture de se livrer à d'autres exercices plus généraux et plus fondamentaux. Je conviens que notre retard quant au développement des bibliothèques et de tout ce secteur du livre serait peut-être moins grand si nous avions eu plus tôt ce genre de conseils et cet organisme susceptibles d'aider le ministre dans son action et de soutenir le travail des services du ministère.

A la page 11, le mémoire nous rappelle un certain nombre d'objectifs qui avaient été formulés par un de mes prédécesseurs sous le précédent gouvernement. Je ne veux pas provoquer de débat avec mes collègues de l'Opposition, mais je dois dire que ce ne sont pas tout à fait nos objectifs ou, tout au moins, nous ne pouvons les formuler comme ils étaient formulés en 1974. (15 h 15)

Je les rappelle, je pense que ce n'est pas inutile: "Développer la librairie locale et promouvoir la vente du livre québécois par sa présence obligatoire dans nos librairies". Nous voulons bien favoriser la présence du livre québécois dans nos librairies, mais nous cherchons, par ce projet de loi et par les règlements, à être le moins directif possible. Chaque fois que nous pouvons faire jouer à chacun son rôle et éviter de faire intervenir l'Etat de mille et une façons, c'est notre objectif et notre préoccupation. "Mettre un frein à l'intrusion des étrangers dans la vente du livre au Québec", c'était formulé comme cela en 1974. Nous convions tout le monde à rendre le livre de toute provenance le plus accessible possible au Québec, sauf que nos premiers alliés et ceux que nous croyons nécessaire d'aider pour toutes sortes de raisons, ce sont des entreprises à propriété québécoise. Pour autant, nous ne souhaitons pas ériger de barrière pour empêcher, tel qu'on le formulait à l'époque, l'intrusion des étrangers dans la vente du livre au Québec. Cela ne veut pas dire que les préoccupations ne demeurent pas en référence à cet objectif, mais nous ne formulons plus les choses de cette façon, et pourtant cela nous amène à poser un geste que le précédent gouvernement, malgré des énoncés aussi clairs que celui-là, n'a jamais osé poser.

A la page 12, le mémoire résume d'une façon intéressante un certain nombre de préoccupations que nous avons. A juste titre, on nous fait remarquer, au premier point, que nous ne précisons pas de quelle aide il s'agit. C'est vrai et ce sont nos programmes réguliers, il s'agit ici d'une loi-cadre, une loi-cadre n'a pas à donner les différents programmes qui ont cours et qui auront cours. Donc, la remarque est juste, et il faut voir, dans les programmes du ministère, de quelle aide il peut s'agir. Je reconnais, soit dit en passant, que dans certains cas il n'y a pas d'aide vraiment importante d'identifiée, ce sera surtout vrai du côté des distributeurs, encore que nous avons un certain

nombre de préoccupations qui visent à réduire la distance ou à abolir la distance, à faire en sorte que les conditions de travail d'un libraire éloigné soient aussi comparables que possible à celles d'un libraire plus près des centres de distribution. Il reste que dans tous les cas, il n'y a pas de programme d'aide très important.

Il y aurait des choses à dire sur le fait que les institutions universitaires ont un traitement de faveur, mais d'autres mémoires me donneront l'occasion d'y revenir et d'expliquer pourquoi nous avons pris cette position, pour l'instant. On souligne le fait que des libraires agréés, dans notre esprit, pourraient ne pas souffrir de la perte du marché du manuel scolaire. Je pense qu'il faut nuancer cela. Nous sommes conscients que pour certains libraires le marché du manuel scolaire pourrait être très important. Nous n'avons pas dit que ce n'était pas un marché important, nous avons plutôt cherché à proposer aux libraires un marché que nous considérons plus important, plus intéressant, et surtout plus près de son travail professionnel. Nous pensons que le libraire se réalise davantage dans ce marché que nous lui réservons que dans le marché du manuel scolaire, encore que, dans notre esprit, le marché du manuel scolaire ne devrait pas être perdu pour les libraires. Nous avons dit dans notre présentation d'introduction, tout à l'heure, qu'à notre avis, pour améliorer la situation du livre au Québec, il fallait que chaque intervenant respecte son voisin et reconnaisse le rôle que joue son voisin. Je n'en démords pas, c'est notre conviction profonde. Si les libraires ne sont pas convaincus du rôle du distributeur, si les distributeurs ne sont pas convaincus du rôle de l'éditeur, si l'auteur n'est pas convaincu du rôle que joue son éditeur... et les gens de la profession, ici, ont tous présent à l'esprit des exemples récents d'auteurs qui ont renvoyé du revers de la main leur éditeur en ne reconnaissant pas les services rendus par l'éditeur.

Nous pouvons donner des exemples que nous vivons quotidiennement, au Québec, de gens qui, dans cette profession, ne reconnaissent pas la fonction du voisin. Notre proposition, c'est d'amener chacun à reconnaître la fonction du voisin et d'amener chacun à remplir son travail le mieux possible. A cet égard, nous n'avons jamais voulu proposer que le manuel scolaire soit acheté directement chez l'éditeur ou directement chez l'auteur ou directement chez le distributeur. Nous continuons de croire que le libraire joue un rôle important dans le manuel scolaire. Ce n'est pas par le fait que nous le libéralisons, selon une expression qui est utilisée actuellement, que nous ne croyons pas utile pour l'acheteur de manuel scolaire de traiter avec le professionnel de la vente au détail.

J'insiste là-dessus parce que, je l'ai dit aux professionnels lors des consultations et je le reprends aujourd'hui, il me semble que tout le monde va se jouer un tour si le fait que cela devienne libre amène les différents partenaires à sauter des étapes. Je prévois des difficultés dans les commissions scolaires, qui ont bien du mal à évaluer le nombre d'étudiants pour chaque discipline et chaque niveau d'un mois de septembre à l'autre. C'est difficile de placer des commandes très justes longtemps à l'avance. Je pense que le libraire joue un rôle d'intermédiaire fort utile.

Egalement, je pense que les distributeurs pourraient s'illusionner s'ils pensaient réaliser de meilleurs profits en ignorant les libraires dans la distribution et la vente du manuel scolaire. Je ne fais pas ici un plaidoyer pour ce secteur en particulier, mais je veux surtout qu'on ne comprenne pas que, parce que nous n'obligeons pas à cet égard, nous croyons préférable qu'on oublie le libraire dans le processus de vente de manuel scolaire. Par ailleurs, je pense que, pour plusieurs petits libraires, l'intervention dans le manuel scolaire était difficilement professionnelle étant donné son caractère particulier; de la même façon nous croyons que certains libraires spécialisés dans le manuel scolaire — et nous en connaissons au Québec d'excellents dans ce domaine — ont joué traditionnellement — et devraient continuer à le jouer — un rôle important et fort utile. Il y a des économies importantes à réaliser pour les commissions scolaires à continuer à traiter avec ces libraires, encore que, à notre avis, ce n'est pas le genre de secteur où tous les libraires peuvent exceller et où tous les libraires peuvent trouver un profit.

Effectivement, je pense que la profession était unanime, je l'ai toujours trouvé dans les mémoires qui m'ont été soumis, à regretter la mince marge qui était dégagée pour le manuel scolaire. Cette marge peut représenter une valeur autre si la quantité s'y trouve. Autrement, pour un petit libraire, c'est certain que c'est une opération qui n'est pas très intéressante financièrement.

On nous fait remarquer que le libraire qui ne vend qu'au détail n'a pas besoin d'être agréé, et on ajoutera d'ailleurs un peu plus loin que l'agrément est facultatif et volontaire. C'est vrai, c'est important de le noter, je suis content que le mémoire le note, l'agrément est facultatif et volontaire, mais je pense que, même pour le libraire qui voudrait ne faire que de la vente au détail, l'agrément peut être intéressant parce qu'il peut décider que le marché qu'on réserve au libraire agréé ne l'intéresse pas, mais, pour autant, je pense que plusieurs de nos programmes pourraient l'intéresser. Déjà, actuellement, nous avons des programmes qui sont à l'essai et qui sont intéressants pour tous les libraires, qu'ils vendent aux institutions ou pas. Je pense à tous ces programmes qui visent à réduire la distance, selon notre expression.

On nous met en garde contre certains articles des sections VI et VII. Nous sommes d'accord avec les mises en garde ou avec ce qui soutient les mises en garde. Nous avons cherché, nous-mêmes, dans la rédaction des avant-projets de règlement, à être très attentif à ce genre d'excès et nous sommes parfaitement en accord. Le fait que pour deux articles en particulier le mémoire attire notre attention sur des points particuliers va nous amener à les revoir pour nous assurer que, les intentions étant les mêmes, les préoccupations étant les mêmes, le texte dont nous hériterons ne nous

fasse pas dire des choses que nous n'avons pas voulu dire.

On conclut que rien dans le projet de loi ne prouve à l'évidence que les mesures envisagées vont faire ceci et cela. C'est vrai, encore que je pense que l'expérience de chacun peut permettre d'entrevoir un certain nombre d'effets, mais, dans ce domaine, nous ne pouvons prévoir l'avenir. On reconnaîtra que notre préoccupation, actuellement, c'est d'amener chacun à jouer son rôle. Nous pensons qu'en amenant chacun à jouer son rôle et en posant les balises du rôle de chacun, en invitant chacun à reconnaître le rôle du voisin, l'ensemble du commerce du livre ne pourrait que mieux se porter.

Comme notre préoccupation est que ce projet de loi soit vu dans une préoccupation plus globale de politique de la lecture où nous ferons intervenir les bibliothèques, tant scolaires que publiques — c'est à une autre occasion que je pourrai dévoiler nos projets à cet égard — je pense que nous allons progresser.

Je voudrais relire la conclusion de ce mémoire, parce que nous la faisons nôtre: "Le CSL, pour conclure, demande instamment que les règlements qui accompagnent la loi ne soient pas trop tatillons et n'outrepassent pas la loi. Il serait déplorable que le temps passé par le libraire, l'éditeur ou le distributeur, agréés ou pas, à remplir des formulaires et à répondre à des enquêteurs lui coûte plus cher que l'aide qu'il peut recevoir." Nous sommes parfaitement d'accord avec cette conclusion et notre travail, jusqu'à maintenant et dans les semaines à venir, va se faire avec ce genre de préoccupation.

M. le Président, je remercie les responsables de ce mémoire, je remercie le Conseil supérieur du livre, qui ont pris le temps, dans des délais assez courts, de rédiger ce mémoire. Je tiens à leur dire que les quelques remarques que je viens de formuler ne couvrent pas toutes les remarques qui nous sont venues à l'esprit. Nous tiendrons compte d'un certain nombre d'autres éléments dans le travail de révision que nous allons faire.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon, avez-vous des remarques, des questions?

M. Rivest: Oui, M. le Président, bien sûr j'endosse les remarques, l'appréciation du ministre sur le sérieux du mémoire du Conseil supérieur du livre. Le ministre a évoqué plusieurs dispositions particulières du mémoire, soulignant, à l'occasion, des amendements ou des correctifs qu'il entendait apporter au projet de loi, de façon à répondre aux propositions ou à chercher, à tout le moins, à répondre aux propositions du Conseil supérieur du livre. Il est bien sûr que les gens du conseil peuvent compter sur nous pour le rappeler au ministre à l'occasion des débats ultérieurs du projet de loi, dans la mesure où nous pourrons les relire à l'intérieur du journal des Débats, chose qui reste, à ce qu'on me dit, assez problématique pour l'instant, mais on verra sûrement; je pense qu'on en a pris note, parce que le ministre a commenté, de façon détaillée, sérieuse, le mémoire du Conseil supérieur du livre.

Je voudrais simplement poser quelques questions de précision; entre autres, lorsque vous parlez du laxisme des gouvernements successifs concernant les maisons américaines et étrangères. Vous affirmez — je sais que d'autres viendront probablement me dire le contraire — que ce projet de loi n'apporte aucun correctif à cette situation. Très brièvement, à titre d'énumération — probablement que la réponse à ma question se trouve contenue au mémoire que vous avez déjà préparé sur la protection de la librairie et de l'édition québécoise — pouvez-vous me donner deux ou trois mesures ou correctifs que vous verriez absolument nécessaires pour corriger la situation que vous décrivez?

M. Déri: Je vais laisser M. Dubé répondre à ma place. Non?

Je pense que la question est, de nos jours, pratiquement inutile, parce que, comme je l'ai dit, le projet de loi part d'une situation de fait. Des maisons d'édition qui appartiennent en partie ou en totalité à des intérêts étrangers, il y en a; des librairies qui appartiennent en partie ou en totalité à des intérêts étrangers, il y en a et des réseaux de distribution qui appartiennent en partie ou en totalité à des intérêts étrangers, il y en a aussi.

Comme on n'a rien fait pour empêcher cet état de fait, ce n'est pas la loi actuelle qui va y changer quelque chose. On tient pour acquis que ces personnes, ces maisons sont là et qu'on va travailler avec elles, puisqu'elles sont établies et qu'elles ont droit de travailler, au même titre que les autres.

Quelles sont les mesures qu'on aurait pu prendre à l'époque? Je pense que c'est un débat qu'il n'y a pas lieu de faire ici. Je pense en particulier au programme FIRA, du gouvernement fédéral; c'est peut-être quelque chose qu'on aurait pu considérer il y a 15 ou 20 ans. Cela aurait peut-être, je ne dis pas empêché, mais permis parfois à des maisons québécoises de racheter des intérêts québécois et de ne pas les céder à des intérêts étrangers. (15 h 30)

M. Rivest: Le sens de ma question, M. Déri, est-ce que vous regrettez qu'il y ait des maisons américaines ou françaises, est-ce que, compte tenu des conditions de milieu, vous croyez qu'actuellement, le gouvernement ou les gouvernements devraient prendre des mesures concrètes pour réduire ou éliminer cet état de fait que vous décrivez? C'est le sens de ma question. Est-ce que c'est la position du Conseil supérieur du livre et si oui, dans quelle voie pratique, vous avez mentionné FIRA — j'en vois une — le gouvernement devrait-il s'orienter? C'est dans ce sens que je vous pose la question.

M. Dubé (Yves): Un domaine possible qui dépasse la loi 51, c'est le domaine de l'éducation où depuis trois ans, on voit disparaître de plus en

plus la possibilité d'occuper le champ du manuel scolaire au profit de maisons étrangères. Sur le plan de la littérature générale, la pauvreté des moyens dont nous disposons — cela fera l'effet d'un mémoire plus tard — ne nous permettent pas de concurrencer les moyens que peuvent avoir les concurrents étrangers.

M. Vaugeois: Si on me permet, M. le Président, un des moyens que nous avons, c'est l'esprit général, c'est de chercher à éviter d'interdire, d'empêcher... mais par ailleurs, chaque fois que c'était possible, nous avons cherché à donner des moyens à des entreprises d'ici de se développer. Le seul moyen, jusqu'à maintenant, sur lequel nous misons beaucoup, c'est évidemment la Société de développement des industries culturelles qui, normalement, devrait donner des moyens financiers à nos entreprises, relever un certain nombre de défis.

Je pense que tout le monde reconnaîtra que les avantages des entreprises d'ici ne sont pas semblables à ceux d'entreprises qui naissent ailleurs, à partir d'autres marchés et qui arrivent sur le marché québécois avec un actif, des inventaires et souvent, la vente ici, c'est la queue d'édition qui nous arrive, ou encore, ils ont des ressources financières considérables étant donné la maison mère. Nos entreprises naissant à partir de ce petit marché qui est le nôtre, sont désavantagées. Une des mesures que nous avons voulu mettre à leur disposition, qui n'est pas dirigée contre les autres, mais qui est dans le sens de favoriser nos entreprises pour leur permettre éventuellement d'être mieux préparées, mieux outillées, c'est ce financement par la Société de développement des industries culturelles qui reprend une ancienne loi, la Loi du prêt garanti, en allant plus loin.

En passant, dans notre proposition, la propriété québécoise est évidemment requise pour l'aide des différents programmes, comme pour l'accessibilité à cette forme de financement.

Le Président (M. Blank): Je pense que M. Préfontaine veut dire quelque chose.

M. Préfontaine (André): En tant que président de l'Association des éditeurs de manuels scolaires, pour répondre à la question de monsieur, il existe, dans d'autres provinces du Canada, des mesures qui, sans être restrictives, encouragent l'édition canadienne du pays et, particulièrement en Ontario, la liste des manuels agréés qu'on appelle la circulaire 14 ne sera pas inscrite à la liste des manuels agréés, des livres qui ne sont pas écrits par des auteurs canadiens, édités au Canada, à moins, c'est le seul cas, qu'il n'y ait aucun livre disponible au pays. Pour ça, on va admettre des étrangers. Mais ça existe au pays dans le moment.

Le Président (M. Blank): M. Dubé?

M. Dubé: Evidemment, c'est le futur qui est l'avenir, on est bien content, on verra ce que ça donnera, mais le présent, c'est une espèce de cloisonnement plus ou moins étanche entre les différents ministères, un cloisonnement qui fait, que par moment, on se demande si on se bat entre le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Education, et finalement, on a à souffrir de situations de faits, c'est-à-dire que dans le fond, ça devrait être une relation à trois, entre les professionnels du livre, le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Education.

La plupart des maisons d'édition au Québec n'ont pas les moyens d'avoir le lobbying de certaines maisons étrangères auprès du ministère de l'Education. Moralité: beaucoup de grands projets, qui répondent à des programmes qu'on connaît après les étrangers plutôt qu'avant, vont à ces maisons étrangères.

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce qu'on me permettrait de citer un auteur français, édité en France et lu au Québec par moi, récemment? François Giroux, dans "La comédie du pouvoir", dit quelque part que "impossible" en français, c'est assez rare, sauf quand il s'agit de faire collaborer ensemble des ministères; là, ça lui a paru presque impossible.

Cela a effectivement été vrai au Québec pendant longtemps. Je ne ferai pas un plaidoyer, mais la structure actuelle des ministères d'Etat a permis au moins ceci, c'est d'amener des ministres sectoriels, mais de secteurs voisins, à s'asseoir autour d'une même table et à travailler ensemble. Je tiens à souligner que si nous avons pu, cette fois-ci, progresser de façon notable avec notre projet de loi, c'est justement grâce à cette table de travail autour de laquelle se trouvait, entre autres, le ministre de l'Education. Quand plusieurs dispositions de la loi font référence aux bibliothèques scolaires, nous avons non seulement l'assurance du ministre de l'Education, qui souscrit à cette proposition, mais nous avons déjà l'assurance que les budgets d'acquisition, que les budgets de bibliothèques scolaires, budgets qui étaient demeurés stagnants ces dernières années, qui n'avaient vraiment pas bougé, que ces budgets vont maintenant prendre une expansion, non seulement normale, mais qui va aller absolument au delà des espoirs des gens concernés.

Ce plan de développement des bibliothèques municipales et scolaires, nous entendons le rendre public cet automne. C'est un exemple où je tiens à souligner la collaboration reçue du ministre de l'Education et je reconnais, avec M. Dubé, qu'un des grands défis qui se pose dans un domaine comme le livre, c'est d'avoir la collaboration de plusieurs autres ministères. C'est également vrai du ministère de l'Industrie et du Commerce et de quelques autres, mais dans le cas du ministère de l'Education — c'est vrai des autres aussi — la collaboration reçue a été particulièrement remarquable. Nous fondons beaucoup d'espoirs sur ce que prépare le ministre de l'Education pour soutenir la politique du livre et de la lecture.

Le Président (M. Blank): M. Dubé.

M. Dubé: Je suis heureux d'entendre le ministre des Affaires culturelles parler de budget d'acquisition dans les bibliothèques, quand on sait que, depuis trop d'années, il y a des enveloppes uniques qui ne laissent parfois rien au budget d'acquisition des bibliothèques scolaires; ce qui fait que, en définitive, pendant des années on n'a parlé de rien du tout, on mélangeait les livres avec l'habillement sportif ou autre dans une même enveloppe, ce qu'on appelle l'enveloppe unique au ministère de l'éducation. Si on nous assure d'un budget d'acquisition certain au niveau des bibliothèques, c'est déjà quelque chose, mais ce n'est pas encore en manuels scolaires.

L'acquisition des bibliothèques scolaires, c'est une bien petite partie d'un budget, par rapport à l'acquisition des manuels scolaires. Le fait que les libraires se soient plaints, dans le passé, de la minceur des profits possibles dans le traitement de manuels scolaires, à leur endroit on ne crée pas une solution, on crée un nouveau problème, on aurait dû augmenter le pourcentage possible de profit, plutôt que de dire: Vu que c'est trop mince, on laisse tomber.

M. Vaugeois: M. le Président, une petite précision, j'ai mentionné la collaboration reçue du ministre de l'Education; étant donné le problème soulevé par M. Dubé, je crois opportun d'ajouter que non seulement les budgets d'acquisition des bibliothèques scolaires vont augmenter de façon très importante, mais le ministre des Finances est d'accord pour que, dans la façon d'organiser les budgets des commissions scolaires, on puisse distinguer les budgets des bibliothèques, pour un certain temps. C'est un point qui doit être abordé avec les commissions scolaires, parce que nous ne voulons pas injecter de l'argent dans ce secteur, pour qu'il soit détourné; nous avons également des assurances à cet égard.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Cela m'amuse toujours un peu — je pense que les gens du milieu du livre le savent — les ministres parlent volontiers de budgets, mais ils sont rarement chiffrés. Néanmoins, prenons acte des bonnes intentions de ce ministre; quand il a parlé du ministre des Finances, qui est arrivé dans le décor, il a pris la peine de dire que même lui était sensible à ça.

Une Voix: II le pousse dans le dos!

M. Rivest: Oh, oui, d'après moi! On va donc prendre acte de ça, c'est un premier point.

Le deuxième point, vous avez parlé — une affaire qui m'intrigue dans l'ensemble de votre mémoire — de certaines dispositions, entre autres, — toujours au sujet de votre première remarque — au niveau de ce qu'on doit faire pour essayer d'aider les librairies, les éditeurs et les distributeurs québécois au maximum; je pense que, là-dessus, tout le monde est bien d'accord.

On a parlé de la société et le ministre a parlé de budget. Vous dites — le ministre l'a d'ailleurs reconnu dans ses remarques, que dans ce domaine tous les outils statistiques appropriés pour savoir exactement quelle est la situation font défaut. Si on arrive avec un projet de loi qui bouleverse d'une façon trop considérable l'ensemble des intervenants dans le domaine, en regard du critère de la propriété québécoise ou non québécoise, a-t-on en ce moment peut-être au ministère — il me semble qu'on ne les a pas — les instruments statistiques pour savoir qu'un geste qu'on poserait dans un sens ou dans l'autre pourrait avoir telle répercussion, non pas tellement au niveau des entreprises qui seraient concernées — laissons cela de côté pour le moment — mais au niveau du service qui serait donné au public? A ce compte-là, avez-vous... Ou est-ce que ce sont des faits, des états de situation, comme on l'a signalé tantôt que, effectivement, il y a plusieurs entreprises québécoises qui disparaissent compte tenu des moyens dont disposent les entreprises étrangères?

M. Déri: Pour répondre à votre question, ce qui nous inquiète, c'est justement — et je crois que c'est dit très nettement quelque part à l'intérieur de notre mémoire — c'est qu'on ne connaît pas justement — ni les organismes professionnels ni le ministère ne les connaissent — les habitudes de lecture des Québécois. Je veux dire que socialement, on ne sait pas qui lit, on ne sait pas qui ne lit pas et on ne sait pas qui lit quoi quand les gens lisent. L'un des buts évidents du projet de loi est justement de mettre le livre québécois à la portée de tous les Québécois pour les inciter à la lecture. Or, le Conseil supérieur du livre prétend que si on ne sait pas d'où on part, dans deux ans, on ne sera pas plus avancé parce qu'on ne saura pas si le projet de loi en question et les règlements qui vont l'appliquer auront eu les effets voulus d'inciter plus de gens à la lecture. Cela se complique évidemment du fait que l'incitation à la lecture n'est pas uniquement un problème qui relève du ministère des Affaires culturelles, mais qui relève aussi de l'éducation, et c'est exactement ce que l'on dit. Il faudrait au moins commencer par une étude sur les habitudes culturelles des Québécois et en particulier sur les habitudes de lecture pour savoir d'où on part et pour pouvoir tous les deux ans vérifier si, effectivement, il y a amélioration ou détérioration dans ce domaine.

M. Rivest: Compte tenu de votre réponse, vous n'iriez pas jusqu'à dire que le projet de loi qu'on étudie présentement est inutile ou enfin, est prématuré parce que je pense qu'il y a quand même des mesures là-dedans — vous l'avez souligné dans votre mémoire — qui sont nécessaires ou qui s'imposent.

M. Déri: Non, nous n'avons jamais dit qu'il était inutile. Nous pensons que c'est probablement un début de solution, mais nous disons et nous mettons en garde parce que dans deux ans,

personne ne pourra vérifier si cet élément de solution est valable ou n'est pas valable. Nous reconnaissons évidemment que, depuis 17 ans, le Conseil supérieur du livre au ministère des Affaires culturelles a eu neuf interlocuteurs différents, une moyenne d'un ministre à tous les deux ans et nous reconnaissons, bien sûr, que le ministre actuel qui est en fonction depuis 18 mois...

M. Rivest: Vous annoncez le départ du ministre, vous!

M. Déri: Non, aujourd'hui, c'est un jour anniversaire. Il est en fonction depuis 18 mois. Nous reconnaissons qu'en 18 mois il a essayé de couvrir par son projet de loi tous les aspects possibles du domaine du livre. Ce n'est évidemment pas faisable du premier coup. On pense que ce sont des éléments de solution, mais nous demandons qu'en même temps on mette en place les outils pour pouvoir vérifier qu'effectivement on va dans le bon sens.

M. Rivest: C'est cela. D'accord. Ces outils, on en a parlé tantôt au niveau des budgets — je pense que le ministre en a pris note — au niveau de l'aide également qui sera fournie à ceux qui seront agréés. On comprend que ce sont des programmes réguliers du ministère des Affaires culturelles, mais d'autres programmes aussi, l'intervention du ministre de l'Education... Pour ne pas allonger — si vous me permettez de conclure — j'ai pris note, bien sûr, comme le ministre et les autres membres de la commission de vos propositions au niveau du conseil consultatif. J'ai noté avec intérêt la remarque du ministre, à savoir qu'au fond ce que voulait dire le projet de loi, c'est non pas ce qu'on y lisait, mais ce que vous étiez pour dire sur le projet de loi en question. Cela revenait un peu à cela.

M. Déri: Je serais heureux de le lire aussi. (15 h 45)

M. Rivest: Oui, oui. C'est cela. Mais disons que, là-dessus, on a l'engagement du ministre. Il y a un seul commentaire qui m'ait un peu étonné; quand vous parlez des fonctionnaires, etc, pour remplacer les gens quelle est la raison première? Vous trouvez que c'est plus normal que ce soit les fonctionnaires qui soient les douze personnes?

M. Déri: Je crois qu'il ne faut pas confondre deux choses. On trouve normal que ce soit des fonctionnaires qui veillent à l'application des règlements, une fois qu'ils sont clairs et qu'ils sont établis. Les douze personnes en question pourraient, bien sûr, donner leur avis sur l'application des règlements, quand il y a un cas litigieux, mais nous pensons que ce ne sont pas des représentants du milieu du livre qui doivent vérifier que les dossiers sont conformes et que les gens respectent la loi; cela place ces personnes en conflit d'intérêts; ils ont accès à des renseignements auxquels ils n'ont pas droit. Ce n'est pas le rôle de ces personnes de remplacer les fonctionnaires qui doivent effectuer ce travail.

M. Rivest: Oui, je comprends ça, sous réserve de ce que vous avez dit — ça ne relève pas du conseil — de l'intervention et de l'application de la loi, des pouvoirs, par exemple, de l'article 31 ; je ne sais pas comment le ministre va faire pour corriger cet élément, qui, à première vue, paraît excessif, au niveau des pouvoirs d'enquête, de s'immiscer à l'intérieur des entreprises.

J'ai aussi, pour ma part — je termine là-dessus — noté avec beaucoup d'intérêt le souci d'essayer de restreindre la portée de l'ensemble des pouvoirs réglementaires et d'obtenir, de la part du ministre, au moins des explications pour savoir exactement comment lui entend utiliser ces pouvoirs réglementaires, de façon à ne pas vider l'ensemble de la loi de son contenu, sur la simple base de la discrétion ministérielle. Je pense que le ministre a déjà indiqué son intention de travailler dans ce sens. Je vous remercie.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: M. le Président, je voudrais, à mon tour, renchérir sur les propos des intervenants précédents, concernant l'aspect très positif et très sérieux du mémoire que vous avez présenté. Il y a d'autres organismes qui vont vous succéder et qui aborderont également des aspects très intéressants. Je constate que vous avez cerné des problèmes majeurs, des choses sur lesquelles votre expérience vous permet de faire des suggestions très positives au gouvernement. Avec vous, je me réjouis de cette contribution que vous nous apportez.

J'aurais simplement quelques brèves questions. A la page 4, quand vous mentionnez le rôle des gouvernements antérieurs, qui ne sont pas intervenus assez rapidement pour freiner un peu les maisons françaises ou américaines, je me demande si l'industrie québécoise du livre était à point, puisque les maisons françaises sont entrées; nous ne pouvions peut-être pas répondre à la clientèle.

Mais je voudrais que vous répondiez à une question: Est-ce que, sur le marché étranger, en France par exemple, nos maisons d'édition québécoises jouent un certain rôle, est-ce que leur diffusion ou les lecteurs qu'elles atteignent sont dignes de mention?

M. Dubé: La comparaison se fait mal; a priori, on pourrait dire que c'est un échange d'un cheval contre un lapin, parce qu'ils ont tellement plus à nous offrir que nous n'avons à leur offrir. Certains autres mémoires, je le sais, parlent du non-empêchement des pays étrangers à notre pénétration; c'est vrai, mais, par contre, c'est une pénétration tellement restreinte par rapport à ce que nous subissons ici que je ne vois pas la possibilité d'établir une comparaison qui soit valable.

M. Le Moignan: Justement, vous avez vu les autres mémoires, comme nous; les gens vont différer d'opinion. Je respecte la liberté de tous là-dedans.

On sait qu'aujourd'hui, au Québec comme ailleurs, le prix du livre est excessif. Avec tous les intermédiaires, soit l'éditeur, le distributeur, le libraire, et le reste, pensez-vous que la nouvelle loi peut favoriser une plus grande diffusion de la lecture et que, parce que le livre sera plus facile d'accès, ça coûtera moins cher? Est-ce qu'il y a des possibilités d'en arriver là?

M. Déri: Je serais très embarrassé de répondre à cette question, car il y a de nombreuses études qui prétendent que, quand les gens veulent lire, ils iront acheter un livre, quel que soit son prix. C'est pourquoi on s'interroge sur les effets de la loi, à savoir est-ce qu'effectivement la loi et les règlements en question rendront le livre moins cher, car il y a des contraintes auxquelles on ne peut pas échapper. Je pense, en particulier, au taux de change pour les livres importés. Donc, nous ne sommes pas sûrs que le livre sera moins cher, parce que le prix du livre a augmenté dans tous les pays depuis quelques années. Nous ne sommes pas sûrs, non plus, que, si le livre était moins cher, il s'en vendrait plus et, donc, qu'il s'en lirait plus. Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question.

Le Président (M. Blank): M. Préfontaine.

M. Préfontaine (André): Depuis un certain temps, tout le monde nous dit que le livre est cher, qu'il est trop cher, etc. J'aimerais renvoyer la balle un peu, renverser le courant, parce que ce n'est pas si vrai que ça que le livre est cher. Si on parle du livre de loisir, vous pouvez souvent payer un roman, un récit, un bon livre, une quinzaine de dollars et même $16, $17 ou $18, ça se voit.

Mme Lavoie-Roux: Cela commence à être cher.

M. Préfontaine: Je m'explique. Je vous dis que ce n'est pas cher pour cette raison: la personne achète le livre à $15, $16 et $17 et passe combien d'heures de loisir sur ce livre? Quatre heures, cinq heures, six heures. "Les oiseaux se cachent pour mourir", un des plus grands best-sellers du temps, se vendait, au départ, $20. Mais c'est un livre qu'il faut plusieurs heures pour lire. Nommez-moi les autres loisirs que vous pouvez pratiquer pour si peu d'argent. Nommez-les-moi. Je m'excuse, mais le livre n'est pas cher.

Le Président (M. Blank): M. Dubé.

M. Dubé: Si vous voulez, le problème de la cherté des livres, ça devient un mythe au Québec. On en parle continuellement et peut-être très souvent à tort. Il y a des choses qu'on peut dire, c'est que les livres produits au Québec coûtent moins cher sur le marché québécois. C'est vrai pour tout le monde, c'est presque une lapalissade, mais dans une certaine mesure c'est peut-être bon que les membres de cette commission sachent que s'ils continuent de trouver le livre cher, ce n'est pas lié à une idée de profit exagéré de la part de qui que ce soit; c'est tout simplement en considération bien prosaïque du prix du papier, du prix du travail humain, des augmentations syndicales obtenues dans les imprimeries, etc. Dans le fond, nous sommes aussi victimes que le public du prix des livres.

M. Le Moignan: Une petite remarque; on remarque souvent, dans le livre québécois, qu'on peut payer un livre de 150 pages $10 ou $12, d'une certaine qualité, et qu'on peut en payer un autre de 300 ou 400 pages $4 ou $5. Vous avez parlé du coût du papier. On achète des livres qu'on paie beaucoup moins cher et ils sont très intéressants; il y en a d'autres qui semblent avoir une bonne diffusion, un très bon tirage et qu'on paie très cher.

M. Dubé: II y a des éditeurs qui sont là pour rester et qui connaissent le taux de conversion qu'ils doivent employer pour pouvoir subsister et il y en a d'autres qui le connaissent moins.

M. Le Moignan: J'aurais une question importante. Vous avez mentionné l'article 37. Vous n'avez pas lu les règlements qui accompagnaient le projet de loi? Vous les aviez lus? Très bien. Parce qu'ici, dans le projet de loi, c'est très vague. D'habitude, dans tous les projets de loi, on détermine ce qu'on entend au départ par livre, édition, éditeur, distribution et ici on l'ajoute dans la réglementation. Je comprends qu'un projet de loi, pour être modifié, doit revenir à l'Assemblée nationale, tandis qu'une réglementation — c'est bien indiqué ici — c'est le ministre, le gouvernement qui peut déterminer, modifier, changer ces règlements. Est-ce que cette façon de procéder ne vous inquiète pas?

M. Déri: Ce que l'on dit dans le mémoire, c'est que cette façon de procéder nous inquiète effectivement parce que, pour pouvoir préciser certains règlements, on est amené à apporter certaines confusions. J'en prends simplement deux qui reviendront probablement comme exemples dans d'autres mémoires. Comme on parle de la distribution du livre et qu'on veut exclure le manuel scolaire de cette catégorie, à un moment donné, un manuel scolaire n'est plus un livre. A un autre moment, on parle des librairies agréées et des librairies non agréées. Les librairies non agréées deviennent des points de vente, alors qu'on sait — c'est un fait reconnu — qu'un point de vente est autre chose qu'une librairie en principe. Cela nous inquiète parce que, pour pouvoir se mettre dans ce que je peux appeler le carcan des règlements, on est amené à faire une certaine gymnastique qui change un peu le sens reconnu des mots qu'on utilise.

Le Président (M. Blank): M. le député de Bourassa.

M. Vaugeois: M. le Président... Le Président (M. Blank): Oui.

M. Vaugeois: ... une petite précision sur ce qu'on vient de débattre. Je ne voudrais pas prolonger le débat, mais nous avons des informations un peu contradictoires sur la question du prix du livre. Statistique Canada a révélé récemment que l'augmentation du prix du livre l'année dernière avait été de 4% et que c'était inférieur à l'augmentation constatée dans tous les autres secteurs de loisirs, que c'était le secteur où le produit avait subi la moins grosse augmentation. Nous avons également — et je pourrais donner beaucoup de précisions là-dessus — des comparaisons entre le coût du livre par rapport au coût des autres loisirs sportifs ou culturels, y compris le temps de télévision, parce qu'on oublie parfois que l'heure de télévision, on la paie tous sans nécessairement la regarder. Il y a beaucoup de loisirs comme cela que nous payons sans en profiter. Dans le cas du livre en général, on paie pour les livres qu'on achète.

Le Président (M. Blank): Mme le député de L'Acadie sur le même sujet.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, sur le même sujet, quand Statistique Canada produit ces chiffres, fait-il une différence entre le livre français et le livre anglais?

M. Vaugeois: Non. C'est justement...

Mme Lavoie-Roux: Cela fait peut-être baisser la moyenne un peu.

M. Vaugeois: C'est une moyenne générale. Actuellement, le plus gros facteur d'augmentation du prix du livre anglais ou français, c'est le taux de change.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.

Le Président (M. Blank): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Tout à l'heure, M. Dubé avait l'air très renseigné sur les budgets des commissions scolaires. Vous avez l'air d'un spécialiste là-dedans pour avancer à un moment donné...

Le Président (M. Blank): Voulez-vous approcher votre micro, s'il vous plaît?

M. Laplante:... que les commissions scolaires se servaient, en somme, d'une partie de leur budget attribué à l'achat de livres pour faire d'autre chose. J'aimerais que vous puissiez nous en dire un peu plus là-dessus parce que les commissions scolaires ne sont pas ici pour se défendre, en somme. C'est l'autre monsieur. C'est vous qui aviez abordé tout à l'heure ce sujet assez délicat, je crois, pour les commissions scolaires.

M. Dubé: Non. J'ai simplement dit que nous étions heureux de savoir qu'il y avait des budgets précis pour l'acquisition de livres de bibliothèque parce que, depuis plusieurs années, le CSL et toutes les associations affiliées demandaient qu'on revienne à des budgets précis parce qu'on avait affaire à des enveloppes uniques pour certains domaines dans les écoles et dans les commissions scolaires. On en a fait la demande à plusieurs ministres de l'Education et des Affaires culturelles et on nous répondait que c'était la nouvelle politique du ministère de l'Education de laisser s'autogérer les écoles en leur donnant une enveloppe unique pour un certain nombre de responsabilités comme l'achat de livres, l'achat de matériel sportif, etc. Ce que j'ai voulu laisser entendre, c'est que très souvent il ne restait pas grand-chose pour l'achat de livres.

Le Président (M. Blank): Est-ce que vous avez fini?

M. Laplante: Non. C'est parce qu'il y a une petite ambiguïté dans ce que vous dites là. Quand les commissions scolaires préparent le budget pour le faire accepter par le ministère, d'accord, il donne l'enveloppe unique. Après, les surplus qu'il peut y avoir au bout de tout cela, il y a une certaine disposition disant qu'ils peuvent en faire ce qu'ils veulent, mais lorsque les commissions scolaires font leur budget et disent qu'il y a tant de milliers de dollars qui s'en vont aux livres, c'est sujet à acceptation, ce budget-là. Il n'est pas fait au détriment d'autre chose. Et je voudrais que Mme le député de L'Acadie qui a une grande expérience là-dedans, elle aussi... (16 heures)

M. Dubé: On nous a expliqué, M. le député...

Le Président (M. Blank): M. Dubé.

M. Dubé: On nous a expliqué qu'il y avait tant d'argent par élève, si vous voulez, pour différentes activités, que le tout était mis dans une enveloppe et que les directions d'école s'en servaient finalement comme elles voulaient.

M. Laplante: D'accord. Si je reviens à la politique du livre, au coût du livre, il arrive actuellement que si on va dans la classe moyenne de la société, on a de la difficulté à acheter des livres de $12 et de $15. Il y a beaucoup de difficulté là-dessus. Je me demande si on ne fait pas avec le coût du livre québécois la même erreur qu'on a faite avec la coupe du monde en fin de semaine, en imposant $20. Les athlètes réellement intéressés à aller voir ces jeux n'ont pu y aller faute d'argent parce que c'était durant trois jours. Le livre québécois, c'est annuel. Il y a toujours des nouveaux livres qui sortent. Si on veut éduquer le jeune à lire, actuellement, il n'y a pas beaucoup de possibilité — s'il travaille dans les épiceries en fin de semaine ou fait un autre travail pour essayer de gagner ses études — qu'il achète un livre. Je ne sais pas par quel moyen on pourrait, à un moment donné...

M. Dubé: On a dit qu'on manquait de statistiques dans ce domaine, mais on sait, d'une façon

sûre et générale, qu'actuellement, au Québec, le livre le moins cher est le livre québécois. Contrairement à l'exemple que vous donnez, on peut peut-être statuer d'une façon arbitraire sur le prix d'entrée dans un stade olympique, mais on ne peut pas statuer d'une façon arbitraire sur le prix d'un livre, parce qu'il y a des coûts fixes contre lesquels on ne peut rien. Il faut quand même pouvoir les couvrir. Il faut quand même pouvoir payer les auteurs, ne serait-ce que pour faire plaisir au ministre des Affaires culturelles qui y tient beaucoup, et couvrir aussi un certain nombre de frais généraux.

Le Président (M. Blank): Merci. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: J'aimerais demander aux représentants du Conseil supérieur du livre s'ils ont certaines indications — je sais que vous n'avez peut-être pas de statistiques précises avec vous — sur le type de livre québécois qui est lu, parce que vous insistez beaucoup, surtout à la fin, sur le fait que cela pourrait favoriser l'édition du livre québécois et la lecture du livre québécois. Quel est le type de livre québécois qui est surtout lu, et dans quel sens verriez-vous un développement favorable au plan culturel?

M. Dubé: Cela dépend des secteurs de population. Cela dépend, évidemment, comme tout commerce, de l'offre et de la demande. Cela dépend, évidemment, des lecteurs. Si on veut essayer de généraliser, on pourrait vous dire que les oeuvres de création littéraire, en particulier, les romans d'auteurs connus ou reconnus assez bien par un secteur assez large de la population, peuvent connaître une certaine popularité. Deuxièmement, au Québec, actuellement, il y a aussi une vogue pour les ouvrages traitant du patrimoine québécois sous différents aspects, en particulier, reliés à certaines sciences humaines.

Je me borne à la production québécoise quand je vous réponds comme cela, parce que si vous me demandiez ce que lisent les Québécois, je vous répondrais que, comme tout le monde, ils lisent Astérix.

Mme Lavoie-Roux: Non. Je parlais de la production québécoise, parce que je me suis laissé dire que c'était surtout du côté de la cuisine, du jardinage ou du bricolage qu'était le grand tirage pour la lecture du livre québécois. Est-ce exact?

M. Dubé: II y a toujours eu une vogue. Il y a certaines maisons d'édition qui existent grâce à cela pour le livre pratique, c'est évident.

Mme Lavoie-Roux: II y a une question qui me préoccupe. D'une part...

M. Dubé: Ce n'est pas le livre pour lequel on s'inquiète le plus actuellement.

Mme Lavoie-Roux: Non. Mais si on veut encourager la production du livre québécois, il faut quand même savoir quelles mesures on veut prendre exactement, parce qu'on peut bien encourager la production du livre québécois, mais, si au bout de la ligne, se lit, ou se lit en grande majorité, c'est celui que je viens de vous signaler, il y a peut-être aussi d'autres correctifs qu'uniquement des mesures d'agrément de librairies qui pourraient permettre, au plan littéraire ou au plan culturel, un plus grand développement ou un meilleur développement du livre québécois. Ce n'est pas que j'en aie contre la cuisine, le bricolage et le jardinage, mais je pense qu'il ne s'agit pas là vraiment d'oeuvres littéraires. Quand on parle de développement culturel québécois au plan de l'édition et de la production, je pense que c'est surtout de ce secteur qu'on doit s'inquiéter.

M. Dubé: Oui, je suis de votre avis. Le député de Gaspé s'inquiétait tout à l'heure du prix des livres. Il existe des secteurs de lecteurs qu'on ne peut à peu près pas rejoindre, même si ce sont des lecteurs certains, comme, par exemple, les gens du troisième âge pour qui, avec le budget que vous leur connaissez, c'est véritablement un produit de luxe qui dépasse leurs moyens. Alors, les aider à obtenir le livre, ce serait en même temps aider la production québécoise. C'est un exemple; il y en a certainement d'autres auxquels je ne pense pas actuellement.

Mme Lavoie-Roux: II y a une question plus fondamentale. Tout le monde ici, dans la salle et autour de cette table, s'inquiète de l'accessibilité à la lecture, peut-être d'un manque de désir de lecture chez l'ensemble de la population, etc., mais surtout de l'accessibilité au plus grand nombre possible de livres pour la population. Ne croyez-vous pas que ce qui s'est produit pour le manuel scolaire, quand les commissions scolaires ont dû recourir à des libraires agréés, ne se produira pas également dans le cas du livre non scolaire pour les bibliothèques? Je m'explique. Dans le cadre du recours aux libraires agréés pour le manuel scolaire, on a assisté à un manque complet de concurrence, en ce sens que tout le monde vendait son manuel scolaire au même prix, si bien qu'alors que l'achat en grande quantité de manuels scolaires dans le passé pouvait permettre certaines économies, et un plus grand pouvoir d'achat, ceci est disparu avec l'agrément des librairies pour le manuel scolaire. Maintenant, on l'enlève dans le cas du manuel scolaire. Je pense que c'est peut-être bon, parce que, dans le fond, c'est vraiment un service à l'éducation. On pourra peut-être mettre davantage de ressources sur les livres de bibliothèque au lieu de payer une hausse du coût des manuels scolaires. Il y avait eu une évaluation de faite, à savoir qu'on encourait une dépense de 25% de plus pour le manuel scolaire. C'est une évaluation qui avait été faite de façon sérieuse. J'en avais d'ailleurs dit un mot au ministre des Affaires culturelles — au moment de l'étude des crédits — et au ministère de l'Education. Est-ce qu'on ne s'expose pas, de la même façon, vis-à-vis du livre littéraire, à une augmentation des coûts qui, finalement, va se répercuter

sur les bibliothèques, et également, sur l'accessibilité générale de la population à un livre qui soit d'un coût le plus abordable possible, parce qu'au fin fond, je pense qu'à la dernière limite, ce que tout le monde veut, c'est qu'on encourage la population à lire, qu'on lui rende la lecture accessible et qu'on lui donne le plus grand éventail possible d'oeuvres. Ne croyez-vous pas qu'on va se retrouver, par cette mesure d'agrément des libraires pour le livre littéraire ou culturel, dans la même situation qu'on s'est trouvé pendant X années — situation qui devrait disparaître avec la présente loi — dans le cas du manuel scolaire?

M. Dubé: Je n'ai pas la compétence pour vous dire si cela coûterait tellement moins cher aux commissions scolaires d'acheter directement leurs livres des éditeurs que de les acheter des librairies agréées. Si vous visitez une librairie agréée organisée, que vous voyez le personnel qu'il faut pour remplir les commandes de la commission scolaire et que vous transposez cela en personnel dans les commissions scolaires pour faire leurs propres achats, on saura dans deux ou trois ans à qui cela coûte le plus cher finalement. Il n'est pas prouvé, quoi qu'on en pense dans certains ministères, que ça coûtera moins cher aux commissions scolaires; il est même possible et probable que ça leur coûte plus cher. Donc, cette prémisse est déjà très discutable.

A savoir ce qui arrivera pour les bibliothèques et pour les bibliothécaires, je crois qu'ils auront le choix d'acheter les livres qu'ils voudront et, finalement, il n'y a rien qui les oblige à acheter les livres les plus chers qu'ils trouveront sur le marché. Il y a aussi une certaine demande de leurs lecteurs de se procurer certains livres, après ça, il y a quand même actuellement au Québec, au nombre des centaines de livres qui se publient chaque année, un éventail assez vaste pour permettre un approvisionnement assez considérable, si vraiment on leur donne des budgets convenables.

Mme Lavoie-Roux: Sur la question des livres scolaires, je pourrais vous référer à certaines études que les commissions scolaires ont faites et qui prouvaient, hors de tout doute, de leur côté, qu'il y avait eu une augmentation du coût des livres. Vous ne croyez pas que, du côté des bibliothèques, on ait à subir les mêmes répercussions. Même si, au point de départ, on s'entend tous pour favoriser l'édition du Québec, les libraires du Québec, il demeure que la vie des librairies au Québec est extrêmement importante au point de vue culturel. Là-dessus, je pense qu'on ne se chicane pas. Il reste que pour tous l'objectif c'est vraiment de rendre le plus facilement possible l'accessibilité à la lecture à un plus grand éventail de lecteurs.

Vous ne pouvez pas non plus m'affirmer, dans l'autre sens, qu'il n'y aura pas, pour les bibliothèques, une hausse du coût des livres?

M. Dubé: Je ne peux pas l'affirmer, comme vous le dites, mais je crois que ça ne leur coûtera pas plus cher de passer par les libraires agréés que d'acheter directement. Là-dessus, je pense que M. Déri va ajouter quelque chose.

M. Déri: Ce que j'ajouterai simplement, c'est que le prix des livres a augmenté, mais ce qu'on ne peut pas quantifier, c'est que le changement de circuit ou de commercialisation du livre est un facteur déterminant de l'augmentation du prix d'acquisition par les bibliothèques ou les commissions scolaires.

Quand on dit, par exemple — je mets un chiffre théorique — 10% de plus aux commissions scolaires, pour l'achat de manuels scolaires, est-ce que c'est parce que le livre a augmenté de 10% ou si c'est parce qu'on a exigé le circuit d'acquisition du livre en question? Cela n'a pas été prouvé que passer par le libraire ou passer directement de l'éditeur aux commissions scolaires va changer le prix d'achat des livres. C'est, je crois, le malentendu qui existe. C'est ce qu'on ne saura pas non plus dans deux ans, si on ne sait pas ce que ça coûte actuellement.

Mme Lavoie-Roux: Une dernière question, parce que le temps passe. Evidemment, dans cette politique, comme d'ailleurs dans le cas de la politique des manuels scolaires, de l'agrément des librairies pour l'acquisition des manuels scolaires, on a voulu, d'une façon indirecte, subventionner les libraires, pour leur permettre de s'étendre — c'était au moins l'esprit — dans l'ensemble de la province d'une façon plus importante et également pour leur permettre de mieux vivre.

Est-ce que, selon votre expérience, il y aurait d'autres moyens de subventionner les libraires que par le truchement d'une politique telle que celle qui est mise de l'avant dans la loi 51? Vous avez dû réfléchir à ce problème depuis fort longtemps, j'imagine.

M. Déri: M. le Président, ce n'et pas parce que je ne voudrais pas répondre ou que je n'ai pas la réponse, mais je préférerais laisser aux libraires le soin de répondre. Je crois que c'est contenu dans leur mémoire et je crois que ce n'est pas au Conseil supérieur du livre de se prononcer sur cette question.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Déri, pour la présentation de votre mémoire; merci, M. Dubé et M. Préfontaine.

Nous passerons maintenant à la Société des éditeurs des manuels scolaires du Québec représentée par le président, M. André Préfontaine. (16 h 15)

M. Préfontaine, voulez-vous nous présenter vos collègues?

Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec

M. Préfontaine: Je vous présente immédiatement, à ma droite, M. Pierre Tisseyre, vice-président de la Société des éditeurs de manuels sco-

laires et M. Hervé Foulon qui est trésorier de la Société des éditeurs de manuels scolaires.

Je vais passer directement au mémoire. Vous avez sûrement remarqué, parce que vous l'avez entre les mains, qu'il est très court. Etant donné que dans le projet de loi qui existe, il n'y a pas beaucoup de références aux manuels scolaires, nous nous sommes limités à quelques points dont la définition du manuel scolaire qui, pour nous, est primordiale et si cette définition reste là, cela va nous causer des problèmes.

Je vais passer le mémoire rapidement avec vous, parce qu'il est très court. Comme on le dit au premier paragraphe, le 9 août dernier, les membres de la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec se sont réunis en assemblée générale spéciale qu'on a convoquée afin d'étudier le projet de loi. Nous avons été, naturellement, obligés de faire cela assez rapidement et nous avons aussi eu un peu de difficulté à rejoindre certains de nos membres à cause de la période des vacances, mais nous avons quand même réuni la très grande majorité de nos membres pour discuter du projet de loi.

En ce qui regarde le projet de loi lui-même, les points qu'on soulève sont vraiment soulevés à cause de certaines inquiétudes dans la loi. Par exemple, je prends le premier point qu'on a cité à la section VI, à l'article 32, on dit qu'on voudrait remplacer, de quelque façon que ce soit, par "sans raison légitime". L'idée derrière cela — je pense que c'est cela qui est important — c'est que ce n'est pas particulièrement apprécié — remarquez que je parle au nom de la Société des éditeurs de manuels scolaires, mais mes collègues de l'industrie l'ont relevé eux aussi — lorsqu'il y a des gens qui viennent fouiller dans les livres des maisons, si vous voulez, comme il y en a qui ont déjà dit: On a suffisamment de la justice, on n'a pas besoin des affaires culturelles. En fait, on connaît les raisons, on connaît les buts du ministre et on est d'accord avec ces buts; c'est sur la façon dont on va s'y prendre qu'on dit: Voici, on n'est pas particulièrement d'accord avec cela, on voudrait qu'il y ait vraiment des raisons valables pour que les gens puissent se présenter à nos bureaux et scruter nos livres. L'objectif est d'éviter un éventuel harcèlement de la part d'un fonctionnaire qui aurait eu des différends avec un éditeur, parce que cela s'est vu. Je ne l'ai pas vécu moi-même, mais cela s'est vu dans le cas des librairies agréées où il y a eu, à certains moments, appelons cela du harcèlement — c'est un grand mot, mais avec un "h" minuscule, si vous voulez.

M. Rivest: J'ai l'impression que c'est un article usuel et que ce n'est pas propre au projet de loi no 51. J'ai l'impression qu'on retrouve cette forme dans d'autres lois; si bien que je comprends votre préoccupation, et je pense que le ministre y est sensible aussi, mais il n'y a pas d'intention particulière en mettant "de quelque façon que ce soit" au monde de l'édition ou au monde du livre.

M. Préfontaine: Ce n'est pas qu'on croit qu'il y ait des intentions particulières, c'est que même si cela se fait ailleurs, on dit qu'il n'est pas obligatoire que cela se fasse chez nous. C'est notre position.

Sur la section VIII, à l'article 41, ajouter le mot "volontaire" à la suite du mot "infraction", ceci afin d'éviter des erreurs incontrôlables étant donné la définition d'un manuel scolaire donnée à lavant-projet de règlement no 3, à l'endroit où on définit le manuel scolaire. Je vais vous dire pourquoi. On a étudié la définition du manuel scolaire et notre interprétation nous dit que cela va devenir quasi impossible de vraiment respecter la loi telle qu'elle se présente pour les maisons d'édition de manuels scolaires. Notre personnel au niveau des départements, des bureaux qui reçoit les commandes, — que la commande vienne d'une librairie agréée, il n'y a pas de problème, mais si cela vient des écoles ou des commissions scolaires — ne pourra pas vraiment discerner ce qu'est un manuel scolaire, étant donné la définition qui existe.

M. Rivest: Je ne veux pas vous contredire ou vous embarrasser, je comprends, encore une fois, votre intention, mais en droit statutaire, si vous mettez "volontaire", vous introduisez ce qu'on appelle en droit criminel la mens rea, c'est-à-dire l'intention de commettre un acte criminel ou une infraction criminelle. En droit statutaire, la mens rea n'existe pas, je pense.

M. Préfontaine: A ce moment-là, il faut changer soit les règlements ou la définition du manuel scolaire. En fait, c'est ce qu'on voulait faire ressortir. Remarquez bien qu'il y a des gens qui...

M. Rivest: Faites confiance au ministre, c'est un bon garçon.

M. Préfontaine: Oui, mais, comme on le dit, on a eu tellement de ministres; tout à coup on ne pourrait pas faire confiance au prochain ministre.

M. Rivest: Le prochain va être de notre côté, et cela va être encore meilleur.

M. Préfontaine: Nous voulons tout simplement faire remarquer à la commission qu'il y a un problème qui existe là et que, malheureusement, on ne veut pas être placé dans une situation où on va violer la loi. Si cela reste tel quel, on est sûr d'une chose, on va violer la loi, volontairement ou pas. Aussi bien le dire aujourd'hui que d'attendre qu'elle soit votée et dire... Donc, on voulait le faire.

M. Rivest: C'est la même chose que de passer sur un feu rouge; il ne faut pas avoir l'intention pour encourir l'infraction. C'est exactement la même chose. Que vous ayez l'intention ou pas, vous êtes coupable.

M. Préfontaine: On est coupable. Oui, mais cela va loin, il y a des amendes là-dedans. C'est une loi avec des dents, aussi.

La définition d'un manuel scolaire présentée ici place les éditeurs de manuels scolaires dans une situation qui causera obligatoirement des violations; c'est ce qu'on a dit. On dit qu'un manuel scolaire doit être approuvé pour être considéré comme tel. Un manuel doit être nécessaire à chaque élève pour, encore une fois, être considéré comme tel. Il y a souvent des manuels scolaires qui ne sont pas utilisés par tous les élèves; on va n'en garder que quelques copies dans la classe, par exemple, et on va considérer cela comme un livre de référence, même si, dans le fond, c'est un manuel scolaire. Tel que c'est spécifié dans la définition du manuel scolaire, ce n'est vraiment pas clair, et c'est à ce niveau qu'on dit qu'on va avoir des problèmes pour répondre aux commandes.

Qu'arrive-t-il dans le cas des dictionnaires pédagogiques? On a exclu les dictionnaires de cela, mais il existe des dictionnaires qui sont spécialement préparés pour les écoles, qui ne sont à peu près pas vendus dans le grand public; c'est vraiment les écoles qui font les acquisitions de ces dictionnaires. C'est exclu, ce n'est pas considéré comme un manuel scolaire. Les ouvrages d'accompagnement, les cahiers d'exercice ne sont pas considérés comme des manuels scolaires dans l'avant-projet no 3. Qui décidera de tout cela, qui sera en mesure de faire la différence? Ce n'est pas clair et c'est compliqué pour nous. On a tenté de démontrer cela avec ces exemples.

Il faudra, comme le désire le ministre de l'Education, que les écoles puissent réellement s'approvisionner directement chez l'éditeur. Je crois que c'est le voeu du ministre de l'Education. Remarquez bien que je parle uniquement en termes d'éditeur de manuels scolaires, il y a peut-être d'autres secteurs de notre industrie qui ne sont pas d'accord avec cela, mais, en termes d'éditeur de manuels scolaires, l'approvisionnement directement chez l'éditeur par la commission scolaire ou l'école est souhaité. C'est ce qui se passe dans toutes les provinces du Canada, c'est ce qui se passe aux Etats-Unis; il y a uniquement au Québec où c'est différent. Les gens qui nous prédisent toutes sortes de malheurs si on arrivait à cela, on a beaucoup de difficultés, en termes d'éditeurs de manuels scolaires, à les croire pour la simple raison qu'on le fait dans les autres provinces et ailleurs, et on n'a pas ces difficultés contre lesquelles on nous met en garde.

Nous avons tenté — et on n'avait pas beaucoup de temps — de proposer une définition du manuel scolaire à la place de celle qui est là, et il y a toutes sortes de suggestions qui peuvent tenir. Etant donné qu'on était limité dans le temps, on a dit: II en existe une et c'est la seule qui existe, je dis bien officiellement, dans le moment, au Québec, c'est celle qu'on retrouve dans la liste des manuels agréés du ministère de l'Education, la dernière liste qui a été publiée en janvier 1977. On attend toujours la nouvelle qui nous est annoncée depuis très longtemps et qui n'arrive pas. Il y a une définition là, on parle du manuel scolaire et des livres qui sont utilisés dans les écoles. Pour l'instant, étant donné qu'on n'a pas d'autres suggestions — malgré qu'il y en a plusieurs qui pourraient être faites — on dit: Référons-nous à un document du ministère de l'Education qui existe, il y en a une définition du manuel scolaire, on accepterait celle-là, qui ne nous placerait pas dans une situation qu'on n'aime pas.

Il y a d'autres façons. C'est quoi, un manuel scolaire? Cela peut être beaucoup de choses. C'est très difficile à définir.

La SEMSQ considère donc la présente définition comme inacceptable et demande à être consultée afin d'en établir une nouvelle. Si cette définition n'est pas remaniée, les éditeurs de manuels seront souvent en violation non volontaire de la loi.

Pour ce qui est des règlements relatifs à la distribution et à l'acquisition, la SEMSQ préfère laisser les personnes directement concernées présenter leurs commentaires sur les avant-projets. D'autres points nécessiteront possiblement des modifications au niveau des règlements; ceci pourra se faire une fois que la mise en application de la loi nous aura démontré les difficultés de parcours non décelées au moment de la rédaction du projet de loi. Evidemment, les règlements, cela peut se changer si on s'aperçoit que certains règlements ne fonctionnent pas bien.

Au niveau des manuels scolaires, je résume rapidement, il s'agit de redéfinir correctement un manuel scolaire et qu'on se mette d'accord sur la définition d'un manuel scolaire.

Le Président (M. Blank): M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, il faudra prendre bonne note de ces commentaires. Le travail de définition du manuel scolaire se fait actuellement avec le ministère de l'Education. On part, grosso modo, de la première définition qui est suggérée, celle qui dit qu'il s'agit du manuel proprement dit, c'est-à-dire celui qui est mis entre les mains des élèves à longueur d'année. On travaille à partir de cette définition. Cela va donner une liste finalement. La liste dira ce qui est manuel scolaire ou ce qui n'est pas manuel scolaire.

J'attache beaucoup d'importance à ce qui vient d'être dit, mais cela me préoccupe un petit peu. Implicitement vous êtes en train de nous dire, sans nous le dire, que vous entendez fournir vos manuels scolaires directement aux institutions parce que vous considérez que cela sera votre problème. Normalement, je le dis franchement comme je le pense, j'aurais souhaité, je continue de souhaiter — je pense que vous y reviendrez d'ailleurs — que ce problème devrait se poser pour les acheteurs de commissions scolaires et les libraires agréés ou pas. C'est à leur niveau que le problème devrait se poser. Il pourrait arriver, effectivement qu'un acheteur de commissions scolaires se dise: Est-ce que ce livre, j'ai le droit de l'acheter chez un libraire non agréé, parce qu'il y aurait un problème de définition? Le problème

de définition, vous le posez à votre niveau. Donc, vous êtes en train de nous dire que vous entendez vous-mêmes avoir le problème, c'est-à-dire le vendeur au détail de vos manuels scolaires. Je continue de penser qu'il serait souhaitable que le libraire garde sa fonction. Je ne dis pas tous les libraires. Je pense que les libraires qui peuvent se spécialiser dans le manuel scolaire vont vous faire faire des économies et vont en faire faire aux commissions scolaires. Je suis profondément convaincu de cela, donc je le répète encore une fois. La loi ne vous obligera pas à procéder ainsi. Nous allons vous donner comme outil de référence mieux qu'une définition qui laissera toujours place à une interprétation. Nous allons travailler avec le ministère de l'Education pour dégager une liste de manuels scolaires.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon a quelque chose à dire.

M. Rivest: Oui. Sur la définition, évidemment, il y a chaque définition... La question ne s'adresserait peut-être pas à vous. Au fond, je pense que la question que pose votre mémoire, c'est pourquoi, au niveau du ministère des Affaires culturelles, on s'est écarté de la définition de janvier 1977? Est-ce que cette définition annonce à l'avance la nouvelle définition que le ministère de l'Education est censé rendre publique, d'après ce que le ministre vient de nous dire?

M. Vaugeois: Je pense bien que tout le monde est assez conscient que cela peut nous mener très loin, ce débat. Je vois M. Tisseyre, qui est à la droite de M. Préfontaine. M. Tisseyre a dans son catalogue d'éditeur un nombre considérable d'ouvrages qui sont utilisés quotidiennement par plusieurs étudiants en même temps et qui pourtant sont les oeuvres de Hubert Aquin ou de quelques-uns de ces auteurs littéraires. Pour le libraire qui est déjà inquiet d'assister à la libéralisation du manuel scolaire, si le manuel scolaire devient à peu près tout ce qui est utilisé, on vient d'ouvrir une porte qu'on ne voulait pas ouvrir. Encore une fois, j'invite tout le monde à être extrêmement prudent dans la façon de s'engager dans cette avenue. Je sais que les éditeurs de manuels scolaires se disent: Dorénavant, nous n'aurons pas besoin de distributeurs, nous n'aurons pas besoin de libraires. Ils pourront l'essayer. Je sais que les acheteurs de commissions scolaires réaliseraient un vieux rêve, c'est-à-dire de ne plus avoir à faire avec le libraire, de leur donner leur 15%.

Je prétends que chacun dans sa profession joue un rôle utile. Comme il est spécialisé dans son rôle, quand il le joue, il coûte moins cher à l'ensemble du processus que celui qui s'improvise dans le rôle de l'autre. Je pense que celui qui s'improvise dans le rôle de l'autre coûte plus cher. Quand je commence à peinturer dans ma maison, je coûte encore plus cher de l'heure que le peintre qui est dans ma maison. Le même raisonnement vaut dans le domaine du livre. Il y a des illusions là-dessus. L'auteur qui s'ima- gine sauver les frais d'éditeurs en éditant lui-même se crée toutes sortes de problèmes. Il me semble que vous êtes des professionnels et que vous êtes capables d'apprécier cela. Momentanément, nous sommes conscients que nous ouvrons une porte et qu'elle comporte des tentations. Mais comme M. Déri nous y invitait tout à l'heure, donnez-vous des outils d'évaluation le plus tôt possible pour qu'on ne vive pas sur des illusions et qu'on ne se retrouve pas, parce qu'on a sauté des étapes, avec des ouvrages qui coûtent plus cher finalement.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé. (16 h 30)

M. Le Moignan: Je n'ai rien de spécial à ajouter parce que cela tournait autour de la même question. Je pense que c'est assez clarifié.

Le Président (M. Blank): Je vais remercier ce groupe. Il y a une réponse? On va arrêter pour quinze minutes.

M. Préfontaine: Oui, une courte réponse. Tel que l'a mentionné M. le ministre, nous sommes des professionnels du livre. En ce qui regarde les éditeurs de manuels scolaires, ne nous le cachons pas, c'est une industrie comme une autre industrie. Nous sommes placés dans une situation depuis la loi qui n'est pas nouvelle maintenant, de 1972, où les commissions scolaires ont commencé à s'approvisionner par le biais des librairies agréées. Nous sommes dans une situation où nous ne connaissons pas nos clients. C'est un grave problème pour nous. C'est sûr qu'avec les achats par les écoles et les commissions scolaires, les paiements peuvent être longs, mais cela ne sera pas plus long qu'avec les libraires, excepté qu'ils sont garantis. Les maisons de manuels scolaires ont été obligées de se doter depuis 1972 d'un département de crédit quand même assez onéreux. Quand je traite directement avec les commissions scolaires ou les écoles, je sais que cela peut être long, mais je sais quand même qu'un jour je vais être payé.

M. Vaugeois: S'ils ne vous retournent pas vos livres plutôt que le paiement.

M. Préfontaine: Les libraires nous les retournent aussi, je m'excuse.

Le Président (M. Blank): Merci. M. Tisseyre.

M. Tisseyre (Pierre): M. le Président, je voudrais apporter une petite précision. Je suis dans les associations professionnelles depuis beaucoup plus longtemps que mon collègue parce que, malheureusement, j'ai pas mal plus d'années que lui, mais jamais au Québec la vente du manuel scolaire ne s'est faite directement par les éditeurs. Cela a toujours été une tentation pour les éditeurs de manuels scolaires pour les raisons que M. Préfontaine vient de donner, c'est-à-dire que, si on

vend directement, on connaît ses clients. C'est une tentation nord-américaine. Cela existe aux Etats-Unis, cela existe au Canada anglais. Cela n'existe pas dans beaucoup d'autres pays du monde. Par conséquent, nous pourrions normalement continuer à vendre en passant par les libraires. Le problème de la loi avec la définition qui existe, c'est que nous allons avoir besoin de deux systèmes de distribution si nous décidons de vendre directement certains manuels. Nos employés qui reçoivent les commandes vont recevoir, par exemple, une liste de quinze livres sur lesquels il va y en avoir dix qu'on peut vendre directement et cinq qui devraient être vendus par les libraires. A moins que nous ayons derrière la jeune employée qui prend les commandes quelqu'un qui connaît à fond la situation, à moins que nous ayons cela, nous ferons des erreurs, c'est évident.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Préfontaine. Je remercie le groupe. Maintenant, on va suspendre pour quinze minutes, parce que le ruban, c'est seulement pour deux heures et demie et on ne veut pas que les...

M. Rivest: Est-ce qu'il y a une grève, M. le Président?

Le Président (M. Blank): Oui, il y a une petite grève.

M. Rivest: Le gouvernement n'a pas réglé cela.

Le Président (M. Blank): Cela prend quinze minutes pour changer le ruban.

M. Rivest: Qu'est-ce que le gouvernement attend pour régler les grèves?

Le Président (M. Blank): On va suspendre la séance jusqu'à 16 h 55. Le prochain groupe, c'est l'Association québécoise des presses universitaires.

Suspension de la séance à 16 h 33

Reprise de la séance à 17 heures

Le Président (M. Blank): A l'ordre, s'il vous plaît!

On recommence la séance de la commission des Affaires culturelles. Le mémoire qui sera présenté, maintenant, est celui de l'Association québécoise des presses universitaires, dont le président est M. Claude Frémont.

Association québécoise des presses universitaires

M. Frémont (Claude): M. le Président, madame, MM. de la commission, d'abord je voudrais vous prier d'excuser mes deux collègues qui ont été ici une bonne partie de la journée, mais qui, pour des questions très urgentes, ont dû s'absenter. Je serai donc seul pour présenter notre mémoire.

L'Association québécoise des presses universitaires, qui regroupe les presses universitaires du Québec, soit les presses de l'Université Laval, les presses de l'Université de Montréal, les presses de l'Université du Québec et les presses McGill-Queen's, tout comme, sans doute, la plupart de ceux qui s'intéressent à la question du livre et plus particulièrement du livre québécois, se réjouit de ce que le gouvernement du Québec se propose de faire adopter une loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre.

Le projet de loi du ministre des Affaires culturelles nous semble présenter un certain nombre d'éléments très positifs, notamment en ce qui concerne les mesures visant à encourager et à aider les entreprises québécoises dans le domaine du livre, à encourager d'autres entreprises à devenir québécoises, à prévenir les abus dans les prix de certains distributeurs exclusifs, etc.

Nous nous réjouissons aussi du projet de créer un comité consultatif de la lecture et du livre qui pourra, sans doute, avoir une influence considérable et susciter de nombreuses initiatives pouvant contribuer au développement de la culture, de l'éducation et de la science, grâce à la promotion de la lecture et du livre.

Nous sommes particulièrement heureux que cette loi soit la manifestation d'une prise de conscience de la part du gouvernement à l'égard de cette question du livre, qui a non seulement une grande importance du point de vue économique, triais une beaucoup plus grande importance encore du point de vue culturel.

Toutefois, certains éléments de ce projet de loi semblent présenter quelques problèmes ou même quelques dangers pour un développement harmonieux de l'industrie du livre et de certains secteurs en particulier. Nous désirons donc attirer l'attention de cette commission parlementaire qui a précisément pour mission l'étude et, si possible, l'amélioration du projet de loi.

Tout d'abord, nous désirons souligner quelques omissions très importantes. Le projet de loi tel que rédigé ne donne aucune définition de ce qu'on entend par "livres" et par suite, semble indirectement considérer les livres comme de simples objets matériels. D'ailleurs, les définitions apportées dans les avant-projets de règlements ne tiennent compte que du nombre de pages dans leur définition du livre.

Un tel projet de loi relevant du ministère des Affaires culturelles devrait, nous semble-t-il, présenter le livre comme un élément essentiel de transmission d'information, de culture et de science. Par suite, les mesures visées par la loi, autant sous l'aspect des exigences imposées que de l'aide apportée par l'Etat, devraient être fonction de cette contribution à la culture. Il faudrait que la loi, et non les règlements, définisse ce qu'est le livre et établisse les distinctions entre diverses catégo-

ries d'ouvrages. Ainsi, les livres n'auraient pas tous la même importance, comme il en est, d'ailleurs, dans la réalité. Un livre sur l'astrologie, une oeuvre littéraire, un manuel sur les soins infirmiers ou un ouvrage savant sur l'archéologie ne sont pas des objets comparables et ne devraient pas être considérés de façon identique par la loi.

Un autre point très important, au moins dans l'énoncé, si ce n'est pas dans l'esprit de la loi, est l'oubli total du lecteur et de la lecture. On peut élaborer tous les moyens possibles pour aider et encourager la production et la diffusion des livres. Cela ne contribuera en rien à la culture, à la science, à l'éducation ou même simplement au divertissement et à la détente s'il n'y a pas aussi des efforts très importants en vue d'encourager à lire, de développer le goût et de créer l'habitude de la lecture.

Sans penser que toute la population puisse se mettre à lire avec intérêt, il serait cependant possible que le nombre de lecteurs double et même triple sans que le pourcentage, malheureusement beaucoup trop bas, de lecteurs n'atteigne une valeur irréaliste.

Si le marché du livre pouvait simplement doubler, ce serait un succès non seulement pour les auteurs, les éditeurs, les distributeurs, les libraires, mais aussi et de façon non moins importante du point de vue éducatif et culturel.

S'il devenait possible de doubler les tirages et les ventes, la plupart des problèmes auxquels ont à faire face nos professionnels du livre se dissiperaient rapidement. Pour arriver à cette fin, il faudrait que la loi prévoie des mesures précises et concrètes pour favoriser "l'apprentissage de la lecture "qui, comme le dit Robert Escarpit, grand sociologue de la lecture, "se fait dès la maternelle. La partie est jouée pour l'enfant selon la qualité de son environnement culturel. Les jeunes ouvriers ne lisent pas, uniquement parce qu'on ne leur a jamais appris à lire".

Il nous paraît de plus important que l'Etat ait comme priorité le développement du goût de la lecture, principalement au niveau des écoles, mais aussi auprès du grand public, entre autres, par exemple, par la radio et la télévision pour faire comprendre l'importance et l'intérêt véritable que comporte la lecture.

La Documentation française, organisme officiel de l'Etat français, "regrette qu'en vérité, personne n'ait jamais incité les Français à lire, et les pouvoirs publics moins que quiconque." Le même reproche est malheureusement trop vrai chez nous.

Nous aimerions maintenant faire un certain nombre de remarques sur quelques articles du projet de loi. A l'article 1, il est mentionné que l'aide que peut accorder le gouvernement ne peut être accordée qu'à des personnes titulaires d'un agrément. Or, sauf dans le cas des libraires agréés, chez qui devraient être effectués les achats de livres faits par un certain nombre d'organismes publics, on ne voit aucun engagement pour l'Etat d'aider les entreprises québécoises dans le domaine du livre, ni comment il se propose de le faire.

Il est incontestable que pour un grand nombre d'éditeurs dont les éditeurs universitaires, qui, soit dit en passant, ne reçoivent pratiquement pas d'aide de la part du ministère des Affaires culturelles, il serait peu encourageant de demander l'agrément, l'agrégation, étant donné toutes les exigences, les obligations et les dépenses directes et indirectes imposées, sans savoir au moins quels pourraient en être les avantages.

D'ailleurs, l'exclusivité d'une aide accordée à des personnes titulaires d'un agrément, bien qu'excellente, en principe, peut créer des situations où un ministère, d'accord avec la profession, pourrait souhaiter accorder une aide et que la loi le lui interdise.

Ainsi, par exemple, il pourrait se produire que l'industrie du livre et le ministère des Affaires culturelles ou le ministère de l'Industrie et du commerce désire subventionner une maison aux Etats-Unis ou en France pour entreprendre une diffusion efficace du livre québécois et il ne serait pas possible de le faire. Il ne serait pas possible non plus de subventionner certaines éditions, peut-être très valables, mais publiées par des groupes ne pouvant être agréés comme le Comité des fêtes de Saint-Jean-Chrysostome ou la Société d'histoire de Missisquoi qui ont reçu l'an dernier des subventions du ministère des Affaires culturelles à titre d'aide à la publication.

L'article 4 du projet de loi concerne la distribution de livres au Québec. Il nous paraît indispensable de bien spécifier que cet article ne s'applique qu'aux distributeurs de livres étrangers, importés au Québec par des distributeurs exclusifs ou non. L'avant-projet de règlement no 2 est fort inquiétant à ce sujet, puisqu'il y était mention de "toute personne, y compris un éditeur qui fait la distribution de livres au Québec."

Il est vrai que dans l'avant-projet de règlement, on semble vouloir ne pas considérer un éditeur faisant la distribution de son fonds comme un distributeur, mais ceci ne serait qu'un règlement pouvant facilement être modifié.

Tel que rédigé, cela voudrait dire que l'Etat pourrait contrôler arbitrairement le prix que pourrait charger un éditeur québécois pour la vente de ses propres ouvrages. Or, l'expérience montre que les circonstances, les coûts et les risques sont très différents d'un livre à l'autre et qu'il n'est pas possible d'imaginer un contrôle sur le prix de vente à moins que l'on souhaite la disparition de l'édition privée pour en faire un monopole d'Etat. Cet article nous paraît donc d'autant plus dangereux qu'il s'appliquerait non seulement aux distributeurs agréés, mais à tout distributeur, donc aussi, même à ceux qui ne pourraient pas bénéficier d'une aide de l'Etat.

Nous souhaitons donc et jugeons comme essentiel que ce droit de réglementation le soit sur les livres importés seulement. Le début de cet article pourrait se lire: "Toute personne qui fait, au Québec, la distribution de livres importés doit, etc."

L'article 5 traite de la création d'un conseil consultatif de la lecture et du livre. Nous avons déjà souligné combien cette initiative nous paraît

louable. Cependant, étant donné que le projet de loi ne fait à peu près que permettre au gouvernement d'établir des règlements concernant les éditeurs, distributeurs et libraires, il faut absolument que le Conseil de la lecture et du livre soit un organisme indépendant de l'Etat, formé de représentants choisis par les diverses associations professionnelles directement concernées par le livre: auteurs, bibliothécaires, éditeurs, distributeurs, libraires, etc.

Pour que ce conseil soit vraiment utile, il est essentiel qu'il soit formé de personnes connaissant à fond la question très complexe du livre et que les membres puissent s'exprimer en toute liberté au nom de ceux qui seront directement concernés par les règlements émis.

Etant donné que le conseil ne sera que consultatif, le ministre responsable de l'application de la loi pourra toujours faire approuver les règlements qu'il jugera à propos, mais alors, il pourra le faire en connaissance de cause et avec l'assentiment du milieu, lorsque le conseil aura été d'accord.

Cette question de la création d'un conseil fort, indépendant et représentatif du milieu nous paraît être un des points les plus importants de ce projet de loi, puisque ce sont les règlements, facilement modifiables au gré du ministre responsable, qui fe-font que la loi sera un succès ou un échec pour le développement de la lecture et les entreprises québécoises dans le domaine du livre.

Les seules autres remarques à ce sujet sont que le président devrait être choisi par les membres eux-mêmes du futur conseil, qu'il s'agisse d'une élection pour un terme ou d'un remplacement en cas d'absence ou d'invalidité, et que les premiers membres devraient être nommés pour une période d'un, deux ou trois ans, afin que le renouvellement des membres soit d'un tiers chaque année.

L'article 14 du projet de loi confie d'abord au gouvernement le soin de déterminer les normes et les conditions auxquelles devront se conformer les personnes désirant être agréées. Il nous semble, au contraire, que la loi devrait dire clairement quelles sont les exigences pour être agréé, puisque c'est un élément fondamental de la loi sans lequel aucune aide de l'Etat n'est possible.

On sait fort bien que les règlements peuvent être facilement modifiés au point qu'il soit possible, au moins théoriquement, de faire des règlements allant contre le texte et l'esprit même de la loi.

Nous sommes loin d'être contre l'article 7 de l'avant-projet de règlement no 1, mais donnons-le à titre d'exemple d'un cas où les règlements ont préséance sur la loi. Il est écrit que "Malgré l'article 15 de la loi, une association professionnelle reconnue qui fait de l'édition au Québec peut être agréée si au moins 80% de ses membres sont des personnes admissibles à l'agrément, etc.." Voilà donc un cas où les règlements ont priorité sur la loi. D'ailleurs, l'article 14 de cette même loi dit bien, en effet, que pour être agréé, il faut satisfaire non pas à la loi, mais aux règlements. (17 h 15)

Quant à l'article 15 du projet de loi, nous sommes tout à fait d'accord avec le principe que toute aide de l'Etat québécois devrait favoriser les éditeurs, distributeurs et libraires québécois. Cependant, nous nous demandons pourquoi il est nécessaire que la propriété soit à 100% québécoise. Cela va-t-il améliorer la qualité des services offerts dans le domaine du livre? Cela va-t-il encourager la lecture ou le développement de la culture? Si cette exigence est pour que les Québécois contrôlent mieux cette entreprise culturelle qu'est le livre, il nous semble que la propriété à 100% soit une condition exagérée puisque à notre connaissance de telles exigences ne sont imposées à aucun autre secteur industriel.

D'ailleurs, comme dans tous les cas extrêmes, cela peut présenter des difficultés. Ainsi, on pourrait imaginer qu'un professeur étranger, grand expert dans le domaine de l'édition savante, soit invité à faire un stage dans une de nos universités. Il serait alors impossible pour des presses universitaires d'inviter cet expert à faire partie de son bureau de direction sans perdre son agrégation.

Par ailleurs, il nous semble aussi tout à fait inadmissible et inconcevable que les presses d'une des universités du Québec ne puissent être agréées en raison d'une collaboration avec une autre université canadienne.

D'ailleurs, pour la même raison, si l'article 15 de la loi était adopté tel que rédigé, nous serions dans cette situation incroyable que l'Association québécoise des presses universitaires ne pourrait pas être agréée et, par la suite, ne pourrait pas recevoir, sous quelque forme que ce soit, une aide de l'Etat. Cette situation se produirait malgré une propriété et un contrôle québécois absolus.

Nous ne parlerons pas ici des avants-projets de règlement puisque cette commission étudie le projet de loi lui-même, mais nous sommes fort inquiets de la liberté totale laissée à la réglementation qui semble déjà avoir un grand nombre d'exigences qui n'ont rien à voir avec le livre, élément de culture, d'information, d'éducation et de science. On peut déjà entrevoir le jour où pour bénéficier de l'aide de l'Etat, il soit nécessaire de fournir non seulement des états financiers, mais même des états financiers consolidés. Ces états financiers consolidés pourraient ne rien avoir de commun avec l'édition, la distribution ou la vente de livres, et pourtant on semble vouloir les exiger. Enfin, mentionnons qu'à la limite, les membres de nos bureaux de direction et les vice-recteurs responsables auraient, toujours d'après les avant-projets de règlement, à déclarer: "la nature et la valeur de leurs biens ou titre de créance".

Il nous semble que la loi, qui cède au ministre la responsabilité de faire des règlements, devrait être beaucoup plus spécifique quant à la nature et aux limites imposées à ces règlements.

C'est à l'article 37 du projet de loi que l'on retrouve cet abandon presque total des responsabilités du législateur en faveur du pouvoir exécutif.

Ainsi, par règlement, il deviendrait possible "de déterminer ce qui doit être déterminé par règlement...".

Une Voix: ...

M. Fremont: C'est la citation exacte. C'est un extrait.

Sans vouloir mettre en doute la bonne foi du ministre qui présente ce projet de loi, nous croyons qu'il y a ici une très importante question de principe puisque alors, ce ne serait plus la loi qui déterminerait ce sur quoi doivent porter les règlements et leurs limites, mais, au contraire, les règlements qui détermineraient ce que doit contenir la loi.

Il ne s'agit pas ici d'une erreur d'interprétation puisque au paragraphe 5 du même article il est spécifiquement dit qu'il serait possible, par règlement, et je cite: "de dispenser, en totalité ou en partie, une catégorie de personnes, une entreprise, une activité ou un service de l'application de la présente loi et des règlements". C'est donc dire que la loi elle-même énoncerait que tous les citoyens et les personnes morales ne sont pas égaux devant cette loi, le gouvernement pouvant dispenser qui il désire de son application.

Pour toutes ces raisons, nous croyons qu'il est essentiel d'apporter à ce projet de loi, un certain nombre de changements, relativement peu nombreux, mais tout à fait fondamentaux. Il faudrait que la loi tienne compte de la nature du livre en tant qu'élément de science et de culture, tienne compte aussi du lecteur puisque, en définitive, c'est lui qu'il faut atteindre. Il faudrait aussi qu'elle crée un Conseil de la lecture qui soit indépendant et représentatif de tous les secteurs concernés par le livre; il faudrait aussi réduire certaines exigences poussées à l'extrême concernant l'agrégation; enfin, il faudrait définir les possibilités d'aide de la part de l'Etat et aussi délimiter les pouvoirs régis par réglementation.

Merci.

Le Président (M. Blank): M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, je pense que le présent mémoire a davantage inquiété un de mes conseillers juridiques, parce que plusieurs de vos remarques le torturaient. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on lui a fait faire une commission.

Si vous me permettez, je vais me servir d'un exemple dans votre mémoire pour illustrer un peu ce que j'ai à l'esprit. A la page 6, on lit: "Tel que rédigé, cela voudrait dire que l'Etat pourrait contrôler arbitrairement le prix que pourrait charger un éditeur québécois pour la vente de ses propres ouvrages. L'expérience montre que les circonstances, les coûts et les risques sont très différents d'un livre à l'autre et qu'il n'est pas possible d'imaginer un contrôle sur les prix de vente, à moins que l'on ne souhaite la disparition de l'édition privée pour en faire un monopole d'Etat. Cet article nous paraît d'autant plus dangereux qu'il s'appliquerait non seulement aux distributeurs agréés, mais à tous les distributeurs, donc aussi même à ceux qui ne pourraient pas bénéficier d'une aide de l'Etat." Là, vous en venez au problème qui vous préoccupe: "Nous souhaitons donc et jugeons comme essentiel que ce droit de réglementation le soit sur les livres importés seulement", ce avec quoi nous sommes d'accord, nous l'avons dit précédemment aujourd'hui. Evidemment, votre mémoire était rédigé et partait d'une ambiguïté, je crois, de la rédaction de l'article 4.

J'aime que le cas soit demeuré parce qu'il illustre, à mon avis, ce que je qualifierais d'une méfiance assez surprenante. Je ne résiste pas à la relecture. Le fait que nous voulions éventuellement empêcher un éditeur de tenir compte des circonstances, des coûts et des risques, des difficultés d'un ouvrage, donc, l'obligation dans laquelle se trouve l'éditeur d'appliquer un multiple différent que pour un livre de grande vente, le fait qu'on puisse éventuellement songer seulement à l'empêcher d'avoir un multiple raisonnable pourrait faire que cet éditeur se trouverait empêché de fonctionner, donc nous le ferions mourir et nous établirions ainsi un monopole d'Etat.

Pour moi, cela répond à peu près à tout. Au fond, il s'agit de savoir si on fait un projet de loi pour faire disparaître les éditeurs privés, les distributeurs privés, les librairies privées. Si notre intention finale n'est pas d'établir, d'installer l'Editeur officiel du Québec dans ses fonctions d'éditeur, de distributeur et de libraire, puisque l'Editeur officiel du Québec se mêle même d'avoir des librairies... Je peux vous dire que là n'est pas notre intention, au contraire. Toute notre approche converge vers un objectif: étant donné la nature du produit, nous croyons qu'il n'appartient pas à l'Etat de l'assurer.

Voilà pourquoi nous légiférons, pour permettre à l'entreprise, éditeurs, distributeurs, libraires, de trouver des conditions favorables à une activité saine et normale, pour lui permettre tantôt d'éditer des livres de cuisine, tantôt des livres littéraires, tantôt des livres de grande vente, tantôt des livres de vente restreinte. Nous avons d'ailleurs un programme d'aide aux éditeurs que nous modifions actuellement, qui va tendre vers une espèce d'appréciation universelle non subjective de la part de nos services des manuscrits qui sont édités. A la limite, nous ne voulons plus savoir ce qu'édite l'éditeur, nous allons essayer de développer nos programmes sur l'activité générale de l'éditeur, lui laissant le soin d'éditer ce qu'il entend éditer.

Evidemment, avec une telle méfiance que vous exprimez ici d'une façon absolument nette, je comprends qu'à chaque fois que la loi-cadre ne précise pas dans le détail ce qui, d'après la loi, doit être précisé dans les règlements, vous vous en inquiétez. Si vous prêtez aux législateurs, au départ, de telles intentions, cette loi est extrêmement troublante, mais, si vous reconnaissez avec moi les intentions du projet de loi, je pense que vous devrez reconnaître également que nous sommes en face d'une loi-cadre, d'une loi-cadre qui ne cherche pas à être en même temps un traité dans lequel se trouvait expliqué ce qu'est un livre, etc., et c'est le choix que nous faisons. Nous choisissons une loi qui donne des balises, des paramètres et il y a beaucoup de choses qui sont définies

au niveau même de l'activité de l'éditeur, du distributeur ou du libraire. Ces choses sont assez communément entendues dans la profession.

Je vais me servir de la dernière page où vous avez eu la bonne idée de résumer vos principales recommandations. Avec le point 1, vous souhaiteriez qu'on définisse davantage le livre. Il y a des éléments qui sont dans la loi, d'autres qui viennent dans le projet de règlement pour les raisons que je viens de donner.

La loi devrait prévoir des mesures en vue d'encourager et de développer des habitudes de lecture? Ce n'est pas dans la loi ou avec la loi que nous pouvons faire ce travail. La loi ne règle pas toute la question. La loi doit se comprendre dans un ensemble de mesures auxquelles nous travaillons. Certaines ont été rendues publiques, d'autres le seront prochainement. Je compte en particulier rendre public en septembre, un plan de développement des bibliothèques publiques et mon collègue de l'éducation a un projet semblable pour les bibliothèques en milieu scolaire. C'est à ce niveau, avec les actions menées à ce niveau, que nous pensons pouvoir vraiment soutenir le développement de la lecture et j'aime dire, entre parenthèses, que nous avons, au cours des dernières années, réalisé, au Québec, comme ailleurs dans le monde, de grands progrès. Je pense qu'ici au Québec, où nous avons des statistiques sur la fréquentation des bibliothèques publiques, le taux de fréquentation est à la hausse et au-delà de tout ce qu'on peut espérer au départ. Je ne veux pas m'étendre là-dessus, mais je peux vous dire, en tout cas, qu'actuellement, c'est notre préoccupation majeure. Ici, nous sommes en face d'un instrument, un instrument qui ne peut pas développer l'ensemble de la politique, mais qui cherche à se préciser comme moyen.

Au point 3: "définir la responsabilité générale de l'Etat vis-à-vis de l'encouragement à apporter." Voilà une chose qui, d'après notre façon de rédiger la loi, se trouve dans les règlements. On s'est entendu sur l'article 4, nous partageons la même inquiétude. Nous sommes d'accord. Sur le point 5 également... encore que j'aime mieux la façon dont le Conseil supérieur du livre nous l'a présenté au début de l'après-midi. C'est plus près de notre façon de voir les choses, mais sur l'essentiel, nous nous rejoignons sur le rôle que vous voulez faire jouer au conseil consultatif, ce que le Conseil supérieur du livre nous a dit, ce que nous avons à l'esprit. C'est peut-être là, au fond, le chien de garde dont vous rêvez, ce conseil indépendant, fort, composé de gens qui font autorité et qui pourraient surveiller un gouvernement qui se mêlerait d'avoir des règlements qui iraient à rencontre de la loi, parce que la loi, quand même, est très explicite. Il y a des choses que les règlements ne peuvent pas faire et d'autres qui sont possibles. C'est dit dans la loi. Vous avez, vous-même, utilisé le 37.5 qui permet, justement de préciser, avec l'article 7 et l'article 15, ce que nous voulons faire.

A l'article 37, cinquièmement, on parle d'une dispense possible. Cette dispense vient avec le premier projet de règlement que nous avons. D'ail- leurs, je peux le dire publiquement, c'est une rédaction que nous avons reprise à votre suggestion, à l'occasion des consultations.

Au point six, à l'article 14, vous dites: "définir les principes sur lesquels sont basées des exigences de l'agrégation." Alors, cela se trouve dans les règlements. A l'article 15, c'est ce que je viens de dire concernant l'article 37, et il ne faut pas manquer de porter attention à l'article 37.5.

Mais ceci étant dit, vous vous faites le porte-parole d'un groupe d'éditeurs fort important. Vous avez étudié la loi sous un angle passablement juridique. Je pense que cette façon d'apprécier la loi est opportune, malgré ce que j'ai dit au début, compte tenu du fait que nous légiférons pour — nous l'espérons — des années à venir et que nous devons prendre un certain nombre de précautions pour qu'au niveau des règlements, on n'aille pas à rencontre des intentions d'une loi. Nous tiendrons tout à fait compte des remarques que vous avez faites pour qu'il n'y ait pas de possibilité, par le biais des règlements, d'aller à l'encontre de l'esprit des intentions du projet de loi. Mais il y a une décision, au départ, qui a été prise, c'est que la loi est davantage une loi-cadre et un certain nombre de choses se trouvent précisées dans les règlements. (17 h 30)

Pour revenir au cas particulier que vous aviez à l'esprit, une maison d'édition universitaire qui se trouve à être associée avec une maison universitaire qui est en dehors du Québec, je pense que, justement, l'article 37.5 nous permet éventuellement de régulariser cette situation. Nous avions à l'esprit — nous pouvons le dire — davantage le cas de l'ASTED, mais cela peut tout aussi bien s'appliquer au cas des presses de l'Université McGill avec Queen's, par exemple. Ou, encore, au cas des Presses de l'Université Laval qui aurait dans son conseil d'administration quelqu'un de l'extérieur.

C'est évident que nous ne voulons pas empêcher ce genre de situation. Vous vous êtes inquiétés à savoir si je ne sais plus quel article ferait obligation aux membres d'un conseil d'administration qui seraient des professeurs d'université d'avoir à déclarer tous leurs avoirs. Notre intention n'est pas de connaître la valeur des chalets des professeurs d'université qui siègent à des conseils d'administration. On fera attention pour ne pas pousser l'indiscrétion jusque-là.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Une remarque préliminaire sur les accords avec les universités canadiennes...

Une Voix: C'est une association.

M. Rivest: Oui, mais j'espère qu'il ne se trouvera pas un ministre pour penser qu'on pourrait peut-être négocier des accords de réciprocité dans ce domaine-là également...

Une Voix: ... dans notre programme...

M. Rivest: ... pour tout compliquer et ne rien régler, comme vous l'avez fait.

M. Guay: ... M. le Président, personne ne proposait qu'on cède le contrôle des universités au gouvernement fédéral.

M. Rivest: Pardon? Est-ce qu'il a le droit de parole, M. le Président?

Le Président (M. Blank): Ah oui. Ce n'est pas lui qui est président, c'est moi.

M. Rivest: Alors, monsieur... Une Voix: Richesses naturelles. Une Voix: ... culturelles.

M. Rivest: Je veux vous remercier de votre mémoire qui donne un certain rythme. Le ministre dit assez souvent que c'est une loi-cadre et qu'elle doit durer longtemps. Effectivement, telle que rédigée, elle risque de durer fort longtemps, parce qu'on arrive très difficilement à percevoir dans la rédaction du projet de loi... D'abord, une chose que vous avez soulignée dans votre mémoire et qui est tout à fait première, on s'intéresse à la politique du livre ou, enfin, au livre mais on ne détermine pas dans la loi ce qu'est un livre. C'est quand même une définition première, et vous l'avez souligné. Je comprends les difficultés de rédaction d'une telle loi, dans la mesure où — on a vu cela avec les manuels scolaires tantôt — on pourrait retenir un certain nombre de définitions de base; certainement, l'élément du livre devrait être là.

On parle des exigences qui seront définies par règlement. Ce n'est pas nécessaire, et je pense que c'est le sens de votre mémoire, que les exigences soient définies par règlement. Il y a des exigences premières qui pourraient de façon très pratique et très normale être inscrites dans la loi. A ce moment, je pense que le milieu pourrait, de façon beaucoup plus informée, comprendre la nature exacte des objectifs que poursuit le gouvernement.

Deuxièmement — on a fait la remarque au début, il y a d'autres mémoires, également, qui le soulignent — le projet de loi 51 peut être un élément d'une politique de la lecture ou du livre, enfin, dans une certaine mesure. A cela, le ministre vous a dit qu'il était bien conscient que cette loi ne pouvait pas constituer à elle seule, une politique de lecture. Il nous parle d'un ensemble de mesures à venir. Nous ne mettrons pas en doute les bonnes intentions du ministre. Il reste qu'il est extrêmement important — je pense que votre mémoire le souligne — de parler du contenu, pas simplement matériel, du livre, etc., des répercussions au niveau du consommateur. Il faudrait, pour apprécier la loi, pour porter un jugement à son mérite, qu'on puisse situer cette mesure législative particulière dans l'ensemble d'une politique. Je n'en fais pas un reproche direct au ministre; finalement, cela ne s'est jamais fait. Il pourrait facilement retourner cela, mais, au moins, on devrait viser tous les autres éléments — pour une fois qu'on a une mesure qui, sans doute, a de bonnes intentions — pour apprécier l'ensemble. C'est un peu le malaise. Chacun qui défile essaie de voir, parce que cette mesure ne répond aux besoins spécifiques des différents intervenants. Chacun sait qu'il y a d'autres éléments où ils vont pouvoir se raccrocher.

Si vous permettez une première question, lorsque vous évoquez l'article 1, je ne suis pas sûr que vous ayiez complètement raison que l'aide ne peut être accordée qu'à des personnes titulaires d'un agrément délivré, mais cela dépend de ce qu'on entend par aide, ici, parce qu'il n'est pas nécessairement vrai que d'autres mesures d'assistance, par le biais du ministère des Affaires culturelles, ne pourraient pas être accordées à des gens qui ne sont pas agréés.

Ici, dans la loi, le ministre pourrait peut-être préciser cela, je trouve inconcevable — vous avez probablement raison, si on lit le texte de l'article 2 — que le ministère des Affaires culturelles se désintéresse complètement d'une entreprise qui ne serait pas agréée. Est-ce que c'est le sens, au fond, de vos remarques sur l'article 1?

M. Frémont: "L'aide que peut accorder, suivant la loi, le gouvernement, un de ses ministères, organismes ou mandataires, à une personne faisant commerce dans le domaine de l'édition, de la distribution ou de la librairie ne peut être accordée qu'à des personnes titulaires d'un agrément délivré en vertu de la présente loi ou qui y sont admissibles."

M. Rivest: C'est cela. C'est ce qui a été votre préoccupation. D'ailleurs, vous la développez en donnant quelques exemples précis. Est-ce que cela voudrait dire, vous faites bien de le souligner, que le ministère des Affaires culturelles, comme tel — parce que le mot "aide" n'est défini nulle part, on ne semble pas savoir de quoi il s'agit au juste — se désintéresserait au niveau de ses programmes d'une entreprise qui ne serait pas agréée? Est-ce que c'est le sens que poursuit le ministre? Je ne sais pas. Je pose la question au ministre. Il devrait nous répondre.

M. Vaugeois: C'est effectivement une bonne question, comme on dit. Je vais encore m'en sortir, en fait, en ayant recours à l'article 37,5; parce que ce que nous essayons de faire avec la loi, c'est de parler de livres. Quand nous parlons de livres ou d'éditeurs, notre préoccupation est de développer des professionnels de l'édition, de soutenir des professionnels de l'édition. Nous ne sommes pas vraiment favorables — c'est mon opinion — à ce que des associations s'improvisent éditeurs. Chaque fois que nous avons ce genre de

demandes au ministère, nous faisons tout notre possible pour diriger ces gens vers des éditeurs.

Il se publie au Québec un nombre assez considérable de livres à différents niveaux. Ce sont des initiatives heureuses, qui sont libres. Mais à partir du moment où on s'adresse à nous, nous pensons qu'elles ont beaucoup à tirer de l'intervention d'un professionnel. D'abord, elles seront généralement mieux éditées. Si vous êtes éditeur, M. Frémont vous conviendrez qu'un éditeur apporte à la préparation d'un livre une compétence qu'un bon auteur ou une bonne association ne peut apporter en étant à sa première expérience.

Deuxièmement, un éditeur place le livre dans un catalogue et le met en distribution et en diffusion. Quant à l'édition québécoise, un des grands drames pour sa diffusion, c'est que nous n'avons pas d'outils pour trouver tous les ouvrages publiés au Québec. Nous n'avons pas le catalogue complet.

Au moins, quand on peut aller chercher tous les catalogues de tous les éditeurs, c'est un moindre mal, mais quand on est en face d'une édition assez importante qui n'est pas le fait d'éditeurs, c'est une édition, à mon avis, qui comporte des lacunes et qui devient introuvable. Il y a des associations au Québec qui ont édité des livres intéressants et c'est un casse-tête pour tout le monde, que de les trouver tant pour la bibliothèque qui veut les acheter, que pour le libraire qui veut les commander.

Alors, nous n'encourageons pas ce genre d'activités et nous faisons tout notre possible pour amener ces gens à se tourner vers un éditeur professionnel. Ceci étant dit, nous ne voulons pas nous interdire de soutenir une association d'histoire qui veut publier une monographie et qui veut la publier pour ses membres, etc. A ce moment, ces gens relèvent d'un autre programme que celui de l'aide à l'édition. Il va de soi que nos règlements devront prévoir ces cas d'exception où ce ne seront pas les programmes d'aide à l'édition qui vont jouer, mais un programme, par exemple, d'animation à la Direction générale du patrimoine ou un programme du ministère des Affaires intergouvernementales pour aider une entreprise à l'extérieur du Québec qui, à un moment donné, a une opération qui nous intéresse et qui, indirectement, est du domaine du livre.

Mais ce sont des cas d'exception. Nous sommes d'accord avec vous. Nous ne voulons pas nous interdire de les soutenir, mais nous ne faisons pas une politique pour ces gens.

M. Rivest: Si vous me permettez, M. le Président, sur le plan du Conseil consultatif de la lecture et du livre, on a eu tantôt l'échange entre le Conseil supérieur du livre et le ministre. Par ailleurs, il y a une réflexion qui me vient à la lecture de votre mémoire. Remarquez que c'est tout un problème pour le gouvernement — je sais que vous en êtes bien conscient — que les conseils consultatifs. Il y en a de multiples. Enfin, pourquoi y en aurait-il pas pour le livre? Il pourrait certainement y en avoir.

Tantôt, par ailleurs, on disait: Oui, ce pourrait être des fonctionnaires, etc. Ce sont eux qui sont chargés de l'application de la loi. C'est assez inutile — je m'excuse auprès des membres de la Fonction publique du ministère des Affaires culturelles — c'est inutile de créer un conseil composé de fonctionnaires pour appliquer la loi, parce que, par définition, dans la loi du ministère des Affaires culturelles, les fonctionnaires sont là pour appliquer la loi.

Donc, il faudrait peut-être — c'est pour cela que je prends votre idée, quitte à ce qu'on l'élargisse à la lecture de façon un peu plus large — faire en sorte que ce soient des gens du milieu, un peu à la lumière du conseil. Votre idée d'indépendance de cet organisme, d'indépendance vis-à-vis du ministère des Affaires culturelles, à tout le moins, je pense que c'est un aspect qui serait beaucoup plus intéressant à explorer et sur la base de la structure que vous avez suggérée dans votre mémoire.

On peut certainement travailler avec les exigences dans la loi, même à la lumière du projet de règlement, en regardant le projet de règlement du ministre. Je pense qu'on pourrait convenir, lors du débat à l'Assemblée nationale, que certaines exigences, pour obtenir l'agrégation, pourraient être incluses dans la loi — on pourra regarder — et d'autres, par règlement. Il y aura moyen, sans doute, de répondre en partie, ou enfin, de tenter de répondre en partie à votre affaire et finalement...

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce que vous me permettriez une petite réflexion là-dessus? Je pense que c'est un choix que nous avons à faire ensemble. Il y a des points que nous discutons aujourd'hui. A partir du moment où ils sont dans la loi — disons qu'on convient de les mettre dans la loi — et où on n'est pas tout à fait certain de leur caractère permanent, de leur caractère souhaitable à long terme, en les mettant dans la loi, ensemble, on se paralyse un peu. Il est beaucoup plus difficile de revenir sur quelque chose qui se trouve dans la loi que sur quelque chose qui se trouve dans un règlement.

Il s'agit de savoir si on veut avoir des outils qu'on pourra faire évoluer ou des outils avec lesquels on va être un peu paralysé. Il ne faut pas se raconter d'histoires. On ne peut pas revenir à chaque session avec un même projet de loi. C'est cela la contrainte. On est dans un ensemble parlementaire qui fait qu'on n'est pas les seuls inscrits dans le processus législatif et on ne peut pas espérer revenir devant l'Assemblée nationale avec un petit projet de loi qu'on essaie d'améliorer à chaque année. Tandis que les règlements peuvent évoluer à partir d'un certain nombre de garanties que nous devons nous donner, mais qui sont beaucoup plus souples dans leur application.

Alors, on a à choisir, au fond, entre une loi-cadre ou une loi carcan.

M. Rivest: J'aurais une question pour terminer, juste mes réactions là-dessus... je ne veux pas

engager le débat de deuxième lecture. Quand on parle d'exigences et de précisions dans la loi, ce ne sont pas des questions de détail et le ministre peut très bien, dans le secret du Conseil des ministres, modifier cela. Mais l'avantage de l'Assemblée nationale — je pense qu'on est là pour cela, si on a un rôle à jouer — c'est de placer ces questions sur la place publique. Cela m'apparaît drôlement important qu'on ne mette pas de côté — ce n'était peut-être pas l'intention du ministre qu'on reconnaît comme étant un très grand parlementaire — aussi allègrement l'Assemblée nationale, parce que je trouve qu'il y a des choses importantes et j'ai compris que c'était le sens de votre mémoire.

Sur le dernier aspect, avant de vous poser une question, je veux, bien sûr, endosser vos remarques. En fait, cela découle des dernières phrases entendues à la commission au sujet du pouvoir réglementaire. Il y a vraiment des choses tout à fait surprenantes. J'en signale une simplement au ministre. On dit: "Le ministre peut refuser — l'article 18 — de délivrer un agrément à une personne admissible qui c), de l'avis du ministre, exerce ses activités sous le contrôle effectif...". De l'avis du ministre. Après cela, de l'avis du ministre, il peut, en vertu de 22, annuler ou suspendre. Mais là, il ne peut pas faire cela discrétionnairement. Il peut décider de refuser de délivrer le permis, mais une fois qu'une personne l'a, il n'y a plus de discrétion autant à l'article 22. Vous avez échappé cela, M. le ministre. Par contre, à l'article 15, quand on déclare admissible une personne, il y a l'avis du ministre.

Je signale simplement — je pense que c'est la préoccupation de beaucoup de gens qui sont ici — que les ministres peuvent être bien gentils et travailler le mieux possible. Il reste que, surtout, le ministre peut déléguer à un fonctionnaire, quelque part dans la loi, l'ensemble de ses pouvoirs. (17 h 45)

Quand on lit "le ministre", c'est la Fonction publique et quand même, ce sont des entreprises qui ne fonctionnent pas au jour le jour, et qui, constamment, avec un tel projet de loi, qu'il soit éditeur, etc., n'importe quoi, sont, avec le projet de loi, tel qu'il est rédigé, au sujet de l'agrément, à la merci constante du ministre, du ministère ou de quelqu'un au ministère qui aurait la responsabilité de l'application de la loi. Je pense que c'est une donnée de base de ce projet de loi et j'ai l'impression que les remarques qu'on nous transmet cet après-midi évoquent cette possibilité. Constamment, sur la base de la discrétion du ministre, les entreprises qui fonctionnent, qui ont des intérêts financiers, qui investissent, qui prévoient le développement de leurs entreprises — comme c'est normal — sont placées par la loi sous l'épée de Damoclès du ministre ou de l'un de ses fonctionnaires.

L'autre point sur lequel je veux revenir, parce que c'est une question de fond, est que vous avez évoqué la question de la propriété. On a eu d'autres remarques à ce sujet depuis le départ. Je sais que dans d'autres mémoires, il en est question. J'aimerais que vous donniez des détails sur ce que vous dites. Je pense que c'est à la page 8, dans le bas. "Nous disons en outre pourquoi il est nécessaire que la propriété soit à 100%".

Compte tenu de votre expérience, est-ce qu'il vous paraît nécessaire de hausser le pourcentage de propriété, qui était à 50%, à 100%? Je crois comprendre que non. Et est-ce que vous verriez des inconvénients pratiques, compte tenu de votre expérience, si on devait accepter cela tel quel, se rendre jusqu'à 100% de propriété québécoise?

M. Frémont: M. le Président, j'ai certainement une opinion et je pense que mes collègues des autres presses universitaires en ont. En tant que presses universitaires, le cas de la propriété à 100% ou à 50% ne nous préoccupe pas tel quel, puisque effectivement, les universités du Québec sont québécoises. Je pense qu'il n'y a pas de problème sur cela.

A titre personnel, ayant une certaine expérience dans l'édition, je pense qu'il y a une très grosse différence entre la propriété à 50% et la propriété à 100%, ou même la propriété à 80%.

A 50%, des groupes, soit locaux, soit étrangers, peuvent facilement contrôler des entreprises. A 80% ou dans les alentours de 75%, 80% ou 85%, là il peut y avoir une collaboration et je crois que c'est très difficile d'avoir un contrôle réel.

Par contre, si on va à 100%, il n'y a pas plus de contrôle, semble-t-il, mais on s'expose à avoir des ennuis, à ne pas pouvoir, dans certains cas, je vous donnerai quelques exemples... M. le ministre signale qu'il y a une échappatoire dans la loi qui permet aux ministres de les dispenser. D'accord, mais cela devient des cas d'exception plutôt que d'être le cas normal.

M. Rivest: Pour enchaîner avec ce que vous dites, souvent, comme on nous l'a signalé et qu'on va probablement nous le dire, quand il s'agit de participation étrangère, ce sont des entreprises qui ont des moyens considérables. N'avez-vous pas l'impression que le ministre qui se servirait des exceptions pour autoriser une firme en particulier, serait drôlement placé dans le milieu, étant donné que les entreprises québécoises à 100% sont très — probablement avec raison ; je ne veux pas leur donner tort ici — sensibles à cette présence des capitaux étrangers? Le ministre qui peut prétendre utiliser ces pouvoirs discrétionnaires dans la loi va être drôlement embêté pour intervenir dans un cas, parce qu'il va créer des réactions très fortes dans le milieu, n'est-ce pas?

M. Frémont: II est exposé à certains...

M. Rivest: Egalement, comme question en complément... ce sont probablement les grévistes qui se rappellent à notre souvenir... d'après votre expérience, est-ce que — je ne veux pas vous embarrasser; enfin, vous répondrez si vous voulez — vous croyez que pour protéger les entreprises québécoises on doive aller jusqu'à 100%, dans la mesure où c'est nécessaire de les protéger, etc.?

M. Frémont: J'ai eu l'impression que si ce n'est pas 100% — évidemment à la condition que ce soit une proportion élevée, cependant; je veux être bien clair — ou disons 95%, à toutes fins utiles, cela ne fait pas de différence du point de vue de la protection. Mais du point de vue de l'exclusion ou d'être obligé de trouver un détour pour permettre d'avoir une aide ou des choses comme cela, là les choses se compliquent.

M. Rivest: Au fond, vous semblez m'indiquer que ce serait préférable qu'il y ait une marge parce que ces gens-là, au niveau du simple lecteur, leur présence au Québec n'est pas que négative. On souligne les inconvénients que cela crée aux entreprises québécoises, mais le lecteur peut bénéficier de la présence de ces entreprises. Tout est une question de degré.

M. Frémont: Le lecteur et les entreprises elles-mêmes, jusqu'à un certain point. La condition c'est qu'en définitive — nous sommes à peu près tous d'accord sur cette question — l'aide aille aux entreprises contrôlées par le Québec. C'est normal.

M. Rivest: Québécoises.

M. Frémont: C'est dans le moyen. Est-ce que pour que ce soit contrôlé par les Québécois il faut nécessairement que ce soit à 100% ou est-ce que 90% ou 80% ne peuvent pas être aussi contrôlés et apporter un apport d'autres sources, soit financières? Cela ne peut quand même pas être très important, mais l'apport intellectuel, l'apport d'expériences pourraient être avantageux à toutes les étapes, pour les maisons d'édition, de distribution, etc., et pour le lecteur.

M. Rivest: Très bien, merci.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: M. le Président, je voudrais aborder quelques points. Je sais très bien que le but du projet de loi n'est pas d'encourager la lecture, mais par ricochet, peut-être que le projet de loi pourra certainement aider dans la mesure où il sera bien appliqué, dans la mesure où les éditeurs, libraires, auteurs, tous les ouvriers, tous ceux qui sont concernés là-dedans auront leur mot à dire. Le ministre a mentionné face à vos remarques, à votre mémoire — que j'ai bien aimé, en passant — cette méfiance. La méfiance, dans votre cas, et en ce qui concerne d'autres groupes, cela devient une vertu à ce moment-ci, placés face au gouvernement et aux balises du ministre, parce que le ministre insiste beaucoup sur ses balises. Il y a plusieurs mémoires qui le mentionnent et je l'ai d'ailleurs mentionné dans une première intervention cet après-midi, la différence entre la loi et les règlements. Dans le passé, on reprochait au ministre de présenter un projet de loi sans règlements. Cette fois-ci, il y a la loi, il y a les règlements, mais l'importance accordée aux règlements dépasse, dans bien des cas, l'importance accordée au projet de loi lui-même. Le ministre nous dit qu'il ne veut pas revenir tous les ans avec son projet de loi. Mais il aura à revenir parce que de toute façon un projet de loi n'est pas éternel. Et modifier ou ajouter un ou deux articles, ce n'est pas cela qui occupe tout le temps de la session.

Je crois que tous les groupes ont intérêt à ce que le ministre précise dans sa loi et non pas exclusivement dans ses règlements... On a mentionné entre autres la définition du livre. Plusieurs mémoires le mentionnent, je crois que c'est très important parce que c'est facile de changer des règlements. Même si le ministre se rabat souvent sur l'article 37.5 et en fait un argument très fort, il ne doit pas oublier aussi que le gouvernement peut, par règlement, sur la recommandation du ministre, déterminer ce qui doit être déterminé par règlement.

Une Voix: Voilà.

M. Le Moignan: Oui, mais le ministre peut changer, d'autres ministres peuvent changer; alors, on peut changer très souvent. On peut même annuler dans certains cas la valeur de certains articles de loi. C'est là le danger.

M. Vaugeois: Je vous remercie de le signaler, parce que 37.1 est aussi important que 37.5.

M. Le Moignan: Mais vous n'en parlez pas beaucoup.

M. Vaugeois: On ne peut pas faire des règlements sur n'importe quoi.

M. Rivest: Ce n'est pas vous qui allez décider.

M. Le Moignan: Vous n'en parlez pas beaucoup de 37.1 non plus.

M. Vaugeois: J'ai demandé à cet égard si on ne pouvait pas remplacer les mots "le ministre" par "le chef de l'Opposition". Remarquez que je trouve que ce serait une bonne sécurité.

M. Le Moignan: Le ministre peut jouer, il a de grands pouvoirs. Je sais que le ministre actuel ne le fera pas. Personne ne va songer-Une Voix: Cela viendra. Le chef de l'Opposition...

Une Voix: Les ministres, les gouvernements, cela change, je suis d'accord avec vous.

M. Le Moignan: Je pense que c'est bon, M. le ministre. Vous avez parlé de l'article 4 qui n'est pas tout à fait exact. Il peut y avoir d'autres articles en cours de route qu'il faudrait modifier, enlever certains points des règlements et les introduire dans le projet de loi tels quels. Je pense que cela va éviter beaucoup de confusion. Le ministre a

mentionné certaines choses, je comprends, des monographies ou des sociétés d'histoire. Je suis d'accord sur vos remarques mais, étant donné les questions posées par le député de Jean-Talon, je n'ai pas de question particulière. Je veux vous remercier de cet intérêt que vous manifestez dans le domaine surtout des presses universitaires.

Le Président (M. Blank): Merci, M. le député de Jean-Talon. Merci, M. Frémont.

Est-ce que l'éditeur Pierre Tisseyre est ici?

Editions Pierre Tisseyre

M. Tisseyre (Pierre): M. le Président, si je me permets de me présenter aujourd'hui devant votre commission, c'est parce qu'au cours de ces 30 dernières années j'ai publié près de 400 romans, nouvelles, essais littéraires et pièces de théâtre d'auteurs québécois dont une trentaine d'ouvrages que l'on pourrait dire classiques, puisqu'ils figurent aux programmes de nos étudiants, au niveau secondaire et au CEGEP.

J'ai ainsi l'honneur d'être l'éditeur de plusieurs de nos meilleurs écrivains dont je ne citerai que trois pour ne pas risquer d'en oublier dans une énumération plus complète: Hubert Aquin, André Langevin et Claire Martin.

M. le Président, la grande oubliée du projet de loi que nous étudions aujourd'hui, c'est l'édition littéraire, car il n'est fait nulle part la distinction qui me paraît pourtant indispensable de faire entre l'édition littéraire ou culturelle et les autres formes d'édition que, pour simplifier, on pourrait appeler utilitaires.

L'édition culturelle peut, je crois, très bien le définir, en précisant tout d'abord en quoi elle diffère des autres formes d'édition. Elle ne s'adresse pas au grand public. Elle n'a aucune utilité pratique. Elle n'obéit pas aux impératifs industriels auxquels sont soumises les autres sortes d'éditions, telles que études de marchés et fabrication du produit à un prix donné, en fonction de la concurrence.

Un éditeur d'ouvrages littéraires ne décide pas de les publier parce qu'il croit qu'ils se vendront bien. Il l'espère, évidemment. Mais même cette espérance ne peut pas, ne doit pas être le facteur qui détermine sa décision. Le seul critère à considérer, c'est la qualité de l'oeuvre elle-même ou de l'auteur qu'il peut être nécessaire d'encourager en publiant son manuscrit, même s'il a de graves défauts.

La fonction unique de l'édition culturelle est d'enrichir le patrimoine littéraire ou scientifique du pays et c'est à ce titre qu'elle doit être aidée au Québec, puisque l'exiguïté de notre marché lui interdit d'être rentable commercialement.

Il suffirait d'apporter une petite modification aux textes qui sont devant vous pour saisir l'occasion véritablement unique qui s'offre aujourd'hui au gouvernement de régler l'un des problèmes essentiels de l'édition littéraire québécoise. Je veux parler de sa distribution en librairie.

Vous pourriez interroger tous nos auteurs d'ouvrages littéraires. Tous, sans exception, vous diront que leurs ouvrages sont mal distribués, car on ne les trouve que dans quelques librairies, même s'ils ont été publiés tout récemment. Cet état de choses, non seulement prive les auteurs de la possibilité de toucher leur public, mais il crée, entre libraires, éditeurs et auteurs, un malaise dont les conséquences sont graves.

Lorsqu'un auteur ou l'ami d'un auteur réclame à un libraire québécois un titre récemment paru qu'il ne trouve pas dans son magasin, le libraire ne dit jamais la vérité. C'est-à-dire: L'éditeur nous l'a envoyé mais, comme je ne croyais pas qu'il se vendrait, je l'ai rapidement retourné. Ou bien il dit, au contraire: Je l'avais encore hier; je l'ai vendu, ce qui donne l'impression, hélas fausse, à l'auteur que son livre se vend bien, ce qui le fera douter de la véracité du rapport des droits d'auteur que son éditeur lui fera. Ou bien: Je l'ai commandé plusieurs fois, mais l'éditeur ne me l'envoie pas, ce qui donne à l'auteur le sentiment que son éditeur ne fait pas son travail.

M. le Président, je voudrais ici, pour éviter tout malentendu, déclarer clairement que je ne blâme pas les libraires, qui, nous le savons tous, ont beaucoup de mal à vivre et qui ne font même pas 10% de leur chiffre d'affaires avec des ouvrages littéraires québécois. Comment pouvait-on espérer qu'ils consacrent à des ouvrages dont la vente ne peut les faire vivre le même effort de présentation ou de promotion que celui qu'ils font en faveur des livres québécois utilitaires ou des livres étrangers, dont la vente représente 90% de leur chiffre d'affaires?

Le patriotisme ou l'idéalisme auxquels il leur faudrait faire appel ont le grand tort de ne pas être consommables. Autrement dit, ce n'est pas avec cela qu'ils se nourriront, s'habilleront ou se logeront. L'inertie ou l'indifférence de presque tous nos libraires vis-à-vis des ouvrages culturels québécois sont donc compréhensibles.

Or, je le répète, le gouvernement a aujourd'hui le moyen, avec la loi 51 et les règlements qui vont l'accompagner, de régler ce problème fondamental sans que les libraires puissent se sentir indûment contraints, puisqu'au fond de leur coeur ils souhaitent tous pouvoir rendre aux ouvrages littéraires québécois les services dont ils ont besoin. (18 heures)

Ce moyen consiste à introduire dans les normes d'agrément des librairies, l'obligation de rendre aux ouvrages littéraires québécois des services essentiels. Tout ce qu'on trouve en faveur de l'édition québécoise en général dans les projets de règlements des librairies agréées, c'est l'obligation d'avoir un certain nombre de titres, 1000 ou 600, d'auteurs québécois, suivant l'importance des villes où ces librairies sont situées.

Je vous surprendrai peut-être en vous disant que cette obligation peut être remplie uniquement avec des ouvrages utilitaires qui se vendent plus facilement et plus rapidement que les ouvrages littéraires. Ce sera donc une grande tentation pour les libraires agréés d'avoir en magasin beaucoup de titres utilitaires et peu de titres littéraires.

C'est pourquoi je demande à votre commission de bien vouloir recommander que les normes d'agrément prévoient au moins 250 titres d'ouvrages littéraires, c'est-à-dire de romans, nouvelles, poèmes, pièces de théâtre et essais, afin que chaque Québécois entrant dans une librairie a-gréée puisse y trouver les ouvrages importants de nos meilleurs auteurs, ouvrages dont la qualité est telle, d'ailleurs, qu'un Québécois peut ressentir un sentiment de fierté légitime lorsqu'il les trouve sur les rayons d'une librairie.

Rien que cela aurait un effet notable sur la présence des ouvrages littéraires québécois en librairie. Mais il faut aller plus loin. Il faut dire aux libraires, avec l'agrément, nous vous donnons aujourd'hui le moyen de vivre, puisque nous vous réservons la clientèle des institutions.

En échange, nous vous demandons d'accorder à la littérature québécoise, aux ouvrages culturels québécois une place dans votre librairie, qui, nous le savons, est disproportionnée avec le chiffre d'affaires que vous pouvez en espérer, mais qui est indispensable à l'épanouissement de cette littérature, à l'harmonie des relations entre écrivains, éditeurs et libraires et à la défense d'un idéal que, comme nous, vous souhaitez servir.

C'est pourquoi vous allez trouver dans les conditions d'agrément des obligations spécifiques. Quelles seraient, M. le Président, ces obligations spécifiques? Premièrement, que les libraires agréés consacrent une partie de leurs vitrines aux nouveautés littéraires québécoises. Deuxièmement, que les libraires agréés ne retournent pas, avant au moins trois mois, les envois d'office qui leur sont faits. Troisièmement, que les libraires agréés, s'ils vendent cet office, veillent au réassortiment du livre concerné pour qu'il ne disparaisse pas moins de trois mois après sa publication.

Ce ne sont pas là des demandes déraisonnables, d'autant plus que les libraires eux-mêmes sont souvent les premiers à regretter de ne pas rendre aux ouvrages littéraires québécois les services qui leur sont pourtant indispensables.

Enfin, M. le Président, je voudrais souligner que si la loi 51 ne prend pas ce minimum de mesures en faveur de l'édition littéraire, cette carence sera évidemment interprétée comme un manque d'intérêt du gouvernement envers l'édition culturelle québécoise. Elle aura donc un effet négatif grave, car elle pourrait donner bonne conscience à ceux qui se sentent aujourd'hui un peu coupables de ne pas faire plus pour nos écrivains et nos éditeurs, serviteurs dévoués et mal payés de la littérature québécoise.

Le Président (M. Blank): Merci.

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce que nous prenons maintenant le temps de commenter ce mémoire?

Le Président (M. Blank): D'accord, avec le consentement de dépasser l'heure, six heures.

M. Vaugeois: M. le Président, je pense que je n'étonnerai personne en disant toute l'impression extrêmement favorable que crée chez moi ce mémoire, mémoire que je qualifierais de très noble, d'extrêmement sympatique dans le ton, dans l'approche et dans le problème posé.

Je me permettrais un petit commentaire et je le ferai suivre d'une proposition. On constate souvent que le libraire retourne assez rapidement des nouveautés et on le regrette parfois. J'ai envie de souligner que plusieurs sont un peu responsables de la vie d'un livre. L'auteur a son rôle à jouer, en soutenant son oeuvre. L'éditeur a évidemment un rôle à jouer et ce qui arrive chez nous, c'est que l'éditeur a généralement peu de moyens et la publicité qu'il peut faire est assez limitée et assez restreinte.

Nous avons des programmes actuellement qui essaient de soutenir cet effort de publicité que nous croyons important de la part des éditeurs.

Mais il existe aussi cette publicité gratuite que les media peuvent nous donner par l'attention qu'ils portent à notre littérature. Puisque vous avez abordé cette question, je ne veux pas laisser passer cette occasion pour dire que c'est une responsabilité qui est celle, bien sûr, du libraire — mais il devrait la partager avec le bibliothécaire qui peut être un agent extrêmement important dans la connaissance de la littérature québécoise — et qui est aussi celle de nos media qui peuvent consacrer de plus en plus de place à la production de nos auteurs.

Je sais que des études se font actuellement dans certains media, surtout la presse écrite, qui les amènent à constater que les pages littéraires et artistiques, qu'on croyait réservées à une petite clientèle, ont une audience beaucoup plus grande qu'ils ne le croyaient. Je profite de cette occasion pour dire qu'au ministère on complète actuellement une étude, une enquête sur les habitudes culturelles des Québécois. Un de nos objectifs c'est de démontrer à ces responsables, dans les différents media, que la production culturelle intéresse beaucoup plus de gens qu'on ne le croit. On a des statistiques qui nous étonnent nous-mêmes actuellement, qui sortent de ces enquêtes. Il y a un quotidien qui vient d'en terminer une qui a constaté, à son grand étonnement, que ses pages littéraires et artistiques intéressaient plus de gens que ses pages sportives. On vient d'avoir une enquête à Québec, ici, faite auprès d'un échantillonnage de 1208 personnes, qui a amené les répondants à dire que 48% d'entre eux avaient, au cours de l'année, assisté à au moins une manifestation sportive. Le même nombre, 48%, disaient avoir été au moins une fois dans l'année au musée. Je pense que c'est 38% qui disaient être allés au moins une fois à une pièce de théâtre, et ainsi de suite.

On constate actuellement que ce qui était connu aux Etats-Unis depuis fort longtemps se produit également chez nous, mais on est resté un peu à l'écart de ce mouvement-là. Je crois donc que plusieurs agents peuvent soutenir la production québécoise. Mais vous en dégagez un dans votre mémoire qui est à la portée de la loi que

nous proposons et des règlements qui l'accompagneront. Je pense que tout le monde se doute bien que ce serait également notre intention d'aller dans le sens que vous proposez. A certains moments, nous avons laissé entendre que nous aimerions agir de la sorte et le recommander, mais c'est le genre de propositions qui ont également inquiété certains milieux qui nous ont indiqué qu'avec de telles exigences, de telles propositions, nous devenions tatillons, nous devenions dirigistes, etc. C'est une proposition que j'ai presque envie de formuler. Si, au cours de ces séances de travail, il se dégageait un consensus, je ne dis pas pour que la loi devienne tatillonne et dirigiste, mais pour un cas comme celui-là, si les gens de l'Opposition nous disaient que c'est le genre d'intervention qu'ils souhaitent, si les différentes personnes qui vont se succéder ici nous disaient que ce genre d'intervention de notre part c'est ce qu'elles souhaitent, ce serait également notre désir le plus grand d'avoir des mesures susceptibles de soutenir l'édition québécoise, l'édition littéraire québécoise. Notre démarche générale, avec notre projet de loi et ses règlements, c'est de faire confiance aux agents, mais s'il faut les aider, à un moment donné, dans ce cas-là, nous sommes tout à fait disposés à le faire, mais nous ne voulons pas le faire de notre propre initiative, parce que ce n'est pas le sens général de notre démarche. Notre démarche repose sur l'autonomie et le sens des responsabilités des agents qui sont concernés par le commerce du livre au Québec.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. le ministre, qui est très prudent, maintenant, fait porter sur le dos de l'Opposition le pointillisme des lois. Le ministre devient habile. Il est temps qu'il change, 18 mois c'est trop, quelqu'un avait bien raison tantôt. Alors, je voudrais simplement dire, quant à moi, que je trouve extrêmement valable la proposition qui nous est faite, non pas celle du ministre, mais celle que M. Tisseyre vient de présenter devant la commission. Sans doute il s'agit là probablement d'une des premières façons, étant donné qu'il y a tellement de préoccupations de divers ordres pour essayer d'appuyer de toutes nos forces l'expression de la culture québécoise et qu'en partant, justement, de la création littéraire, qui exprime peut-être davantage que des manuels utilitaires, qui exprime certainement au niveau le plus élevé les valeurs culturelles québécoises, il faut certainement se préoccuper de ce problème et du caractère sobre et précis du mémoire qui nous est présenté par M. Tisseyre. Il m'incite, en tout cas, à appuyer certainement l'accueil que le ministre lui a accordé.

Quant à l'aspect technique de l'inclusion des modalités, je pense que pour l'instant, disons qu'il faudrait peut-être voir le point de vue des libraires, voir si vraiment cela leur causerait des embarras. Vous allez jusque dans les vitrines. C'est peut-être un peu loin au niveau de la réglementation, mais tout de même, je pense qu'effectivement, ce n'est pas tellement une question de détail. Je pense que le ministre l'a présenté comme cela. Votre plaidoyer est beaucoup plus dans le sens de nuancer un peu l'approche qu'on a, face aux livres, et de ne pas considérer tous les livres sur le même pied.

Sur cet aspect, je pense que c'est très intéressant et sans doute — je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres catégories de livres qui sont également d'intérêt — la production littéraire, au sens où vous l'avez définie, doit retenir, en tout cas de façon certainement prioritaire, notre attention.

Alors, je puis vous dire, quant à moi, et je pense bien que mes collègues vont être d'accord, que toute proposition d'ordre législatif ou autre ou réglementaire que le ministre nous proposera sera jugée à son mérite.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: M. le Président, même si mon intervention n'est pas tellement longue, j'éprouve beaucoup de plaisir à la faire après la lecture du mémoire que M. Tisseyre vient de nous donner. Evidemment, autour de cette table — il le constate lui-même — il récolte beaucoup d'appuis, beaucoup de sympathie, et ce domaine de la culture ne peut laisser indifférent aucun des membres de cette commission. Comme le député de Jean-Talon vient de le mentionner, il y a peut-être certaines nuances à apporter à votre mémoire.

D'ailleurs, nous aurons l'occasion aussi d'écouter les autres intervenants, mais je pense que ce que vous nous avez soumis a un but très noble, très louable, pour employer les mêmes termes. Je suis bien content et je vous félicite de votre excellent travail.

Le Président (M. Blank): Le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je veux d'abord féliciter M. Tisseyre d'avoir sensibilisé la commission aux problèmes de la publicité ou l'encouragement qu'il faut donner aux oeuvres littéraires et culturelles québécoises. C'était un peu le sens de ma question à un groupe, antérieurement, alors que je leur demandais quelle était la proportion des livres que vous appelez utilitaires versus les livres littéraires.

Evidemment, ce que vous suggérez, ce sont des moyens peut-être de renverser un peu la vapeur, pas que je sois contre la cuisine, le jardinage et le bricolage, mais je pense que c'est là un mode d'expression. Il y en a peut-être d'autres qui, au plan culturel, sont au moins aussi importants.

J'aurais trois questions courtes à vous poser. La première est: Est-ce que vous pourriez me dire quelle est la part que les marchés étrangers font aux oeuvres littéraires québécoises, selon l'expérience que vous avez?

M. Tisseyre: Elle est extrêmement faible. Nous avons essayé, depuis une trentaine d'années, d'arriver sur le marché français. Il y a eu

plusieurs tentatives. La dernière a été une opération qui s'est appelée Livres du Canada et qui a coûté fort cher au gouvernement fédéral, sans succès.

Nous avons essayé également de faire des coéditions avec des éditeurs français. Alors, de ce côté-là, il y a un progrès. J'ai vendu des droits — puisque cela s'appelle vendre des droits — français à des éditeurs de France sur une douzaine de mes ouvrages et je n'ai pas eu la chance qu'un seul soit un succès en France. J'ai même racheté les oeuvres rendues chez l'éditeur français.

Mais récemment, Yves Dubé, qui était là tout à l'heure, a fait des accords avec Grasset pour les livres d'Antonine Maillet et je pense que cela a été un grand succès en France, puisque l'année dernière, elle a falli gagner le prix Goncourt. Il y a un progrès sous la forme de coéditions et de cessions de droits. Mais sous la forme d'exportations, nous sommes encore à l'enfance.

Mme Lavoie-Roux: Oui, c'est peut-être intéressant quand on considère toute l'autre partie de la loi, la question de propriété, de voir quelle espèce de collaboration véritable on peut établir avec d'autres marchés de langue française.

M. Tisseyre: Mais je ne dirais pas que c'est un manque de collaboration. Vous savez, les Belges nous ont dit qu'ils avaient mis 50 ans — et ils sont pourtant beaucoup plus près de la France — à réussir à vendre leurs livres en France comme ouvrages belges. Ils étaient, au début, aussi obligés de passer, de faire des cessions aux éditeurs français. Ils ont eu l'intelligence d'occuper des créneaux, comme on appelle cela, c'est-à-dire d'éditer des livres qui n'intéressaient pas les Français à l'époque. Ce sont eux qui ont commencé, par exemple, avec les bandes dessinées, avec Tintin, qui est Belge. Après cela, les Français sont venus.

Alors, si les Belges ont mis 50 ans, peut-être que cela nous prendra du temps à nous aussi.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous avez plus de chances avec le marché belge?

M. Tisseyre: Oui, c'est plus facile d'entrer en Belgique. Cela ne fait pas de sommes importantes, mais c'est plus facile.

Mme Lavoie-Roux: Ma deuxième question: Quelle est votre expérience avec les bibliothèques publiques? (18 h 15)

M. Tisseyre: Je pense que les bibliothécaires font ce qu'ils peuvent avec les moyens dont ils disposent, si vous voulez. Dans un pays comme le Danemark, quand un éditeur publie un roman, il suffit qu'il le vende aux bibliothèques publiques pour que son tirage soit assuré. Nous, nous en avons combien? 90, 92 au Québec. Le jour où nous en aurons 500 ou 600, cela jouera un rôle important dans l'édition littéraire. Mais pour le moment, c'est négligeable, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux.

Mme Lavoie-Roux: Ma dernière question: Quand vous parlez d'une possibilité de 250 titres des libraires — une suggestion que vous faites de 250 titres, c'est une question d'ordre pratique — quand on examine les librairies à l'extérieur des grands centres, est-ce que ceci est un nombre considérable pour certaines librairies qui sont plus petites, enfin, compte tenu du pourcentage ou du nombre de livres ou de titres qu'ils tiennent en librairie. Est-ce que c'est un chiffre raisonnable?

M. Tisseyre: Mon chiffre de 250 est proportionnel aux 600 et 1000 qui sont prévus dans les règlements. Mais en réalité, 250 titres, c'est le fond, ce sont les ouvrages qui, aujourd'hui, sont étudiés dans les CEGEP et au secondaire et ce sont les nouveautés. Je vous dresse une liste en 20 minutes de 250 titres d'ouvrages de qualité, d'ouvrages culturels qui devraient être dans toutes les librairies.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, M. Tisseyre.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Tisseyre. On va suspendre jusqu'à 20 heures.

Suspension de la séance à 18 h 18

Reprise de la séance à 20 h 20

Le Président (M. Blank): Reprise de la séance de la commission des affaires culturelles. Maintenant, c'est l'Association des distributeurs exclusifs de livres de langue française. M. Ralph Rhyman.

Association des distributeurs exclusifs de livres de langue française

M. Rhyman (Ralph): Je fais de l'effet. M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les parlementaires, puis-je vous présenter à mon extrême droite, M. Rolland Rochette, et plus près de moi, M. Raymond Carignan? Nous avons été mandatés par l'ADELF pour vous présenter ce mémoire.

Déclaration de principe. Dans la chaîne qui relie l'éditeur au lecteur québécois, le distributeur du Québec constitue un maillon indispensable. En effet, le distributeur tient en inventaire et à la disposition immédiate des libraires les stocks requis et fait l'entreposage et la gestion des stocks, la comptabilité et l'organisation du transport, etc. Il informe les libraires sur les titres distribués, le prix, la disponibilité, les raisons de non-fourniture. Il fait la promotion des livres distribués auprès des libraires par l'entremise de représentants, de circulaires, d'annonces dans les journaux professionnels auprès des bibliothécaires, des professeurs et du grand public; "mailing" et publicité. Dans le cas d'importations de livres européens, le distributeur s'occupe de l'organisation du transport international, aérien ou maritime, du dédoua-

nement des stocks et du cataloguage, de l'établissement d'un circuit d'information continu avec l'éditeur par téléphone, télex ou rencontres, et c'est lui qui négocie les conditions d'achat et de transport et prend en charge les engagements financiers et les risques du change.

C'est donc grâce au distributeur dans le cas du livre importé que le libraire du Québec peut avoir à portée de la main la majorité des fonds d'édition européens qui constituent la partie la plus importante de son chiffre d'affaires. Le distributeur du Québec rapproche le principal gagne-pain du libraire du Québec d'une distance de 5000 kilomètres et permet au lecteur québécois de lire les dernières parutions avec seulement trois semaines de retard sur les lecteurs parisiens, bruxellois ou genevois. Le distributeur joue ainsi un double rôle: Aux yeux du libraire, il remplace l'éditeur, et aux yeux de l'éditeur, il remplace le libraire. Acceptant cette dualité, le distributeur, lorsqu'il fait fonction d'éditeur, doit tenir un inventaire suffisant pour répondre à la demande, assurer la promotion et la publicité auprès des libraires et du public en général, fournir un service d'office des nouveautés et exécuter les commandes rapidement. Lorsqu'il fait fonction de libraire, il doit montrer à l'éditeur par ses ventes un intérêt soutenu pour les livres que celui-ci publie. Cette ambivalence comporte évidemment des contraintes et des servitudes. Pour l'information au libraire, la promotion et la publicité, le distributeur est entièrement à la merci de l'éditeur qu'il représente et il doit traduire l'information qu'il reçoit pour l'adapter à sa clientèle. Pour son inventaire, le distributeur est tributaire de la rapidité d'exécution des commandes par l'éditeur et il doit respecter les termes du contrat qui le lie à son fournisseur et en particulier le délai de paiement convenu. De l'autre côté, il doit parfois accepter les retours et il est tributaire du délai de paiement du libraire.

D'une façon générale, l'implantation des distributeurs au Québec depuis une dizaine d'années a entraîné des avantages pour le public et pour le libraire. Pour le public, il a amené un choix de livres plus étendu et une baisse du prix de vente au détail en dollars canadiens du livre importé. Pour les libraires, il a amené la simplification et l'accélération des approvisionnements et il a diminué les risques d'achat, possibilités de retour, aucun risque de change.

La fonction occupée par le distributeur au Québec est donc essentielle puisque dans tous les pays où les libraires commandent directement à l'étranger, les prix de ces livres sont en général plus élevés. En effet, s'il n'y avait pas de distributeur, tous les libraires du Québec et certains organismes seraient obligés de commander leurs livres directement. Cette façon de procéder coûterait plus cher en temps et en argent aux libraires et aux organismes concernés. Pour preuve, il suffit de voir les difficultés rencontrées pour se procurer les livres des fonds d'édition étrangers qui ne sont pas représentés au Québec. Conscients de leur responsabilité et de la place qu'ils occupent, les distributeurs se sont groupés récemment en asso- ciation et ont fondé l'Association des distributeurs exclusifs des livres en langue française, l'ADELF Tout distributeur, pour être reconnu comme tel par l'association, doit être responsable de l'animation de la vente, de la politique commerciale et des outils de distribution d'un ou plusieurs fonds qui lui sont confiés en vertu d'accords exclusifs par un ou plusieurs éditeurs. En outre, l'ADELF sera la première association professionnelle dans le domaine du livre au Québec à se doter d'un code d'éthique.

Mandat de l'ADELF. Devant la gravité des mesures proposées par le projet de loi no 51, l'ADELF a reçu de ses membres le mandat de présenter un mémoire à la commission parlementaire chargée d'étudier la loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, et le présent mémoire a été accepté à l'unanimité au cours de l'assemblée générale tenue le 14 août 1979.

Les innovations introduites par le projet de loi no 51. Enumérons les principales innovations introduites par ce projet de loi dans le domaine de la distribution: création d'une catégorie d'entreprises de distribution agréées; obligation faite à tous les distributeurs de livres au Québec de se conformer au mode de calcul du prix de vente réglementaire; droit de visite et accès aux registres et pièces comptables de tous les distributeurs de livres au Québec.

Le distributeur agréé. La première innovation est la création d'une catégorie d'entreprises de distribution agréées. Le moins que l'on puisse dire pour commencer, c'est que l'ADELF n'en voit pas l'utilité et que le projet de loi est très confus à ce sujet. La nécessité invoquée pour ce faire, c'est que seules ces entreprises pourront bénéficier de l'aide que le gouvernement est autorisé à accorder — article 1. Il n'est pas indiqué évidemment de quelle forme d'aide il s'agit et nul ne sait quelle importance elle peut avoir. Mais plus grave encore, on ne comprend pas de qui il s'agit. En effet, il existe autant de formes de distribution que d'entreprises de distribution. Les distributeurs se distinguent par leur activité principale: distribution, édition ou librairie, l'origine des livres qu'ils distribuent: Québec, France, Belgique, Suisse, ou la nature de ces mêmes livres: littérature générale, livres d'enfant, manuels scolaires. Il existe comme on le voit un très grand nombre de combinaisons possibles.

Pour simplifier, prenons d'abord deux entreprises de distribution québécoises qui font seulement de la distribution et qui répondent à toutes les conditions d'agrément. La première distribue uniquement du livre québécois, la seconde, uniquement du livre d'importation. Les deux seront également agréées, mais le gouvernement aidera-t-il de la même façon le distributeur de livres québécois et le distributeur de livres étrangers, et le distributeur québécois qui distribue à la fois du livre québécois et du livre étranger? Nous avons seulement examiné le cas le plus simple de deux entreprises qui font uniquement de la distribution. Mais il y a aussi tous les autres cas qui chacun

d'entre eux amènent une foule de questions dont on ne trouve pas la réponse dans le projet de loi. L'éditeur québécois qui se distribue lui-même de-vra-t-il être agréé séparément comme éditeur et comme distributeur? L'éditeur agréé peut-il confier sa distribution à un distributeur non agréé? L'éditeur non agréé peut-il confier sa distribution à un distributeur agréé et être ainsi aidé indirectement? Une entreprise comme l'ACDL continue-ra-t-elle à être aidée pour faire de la distribution et concurrencer les distributeurs établis? Les éditeurs et les libraires qui font de la distribution comme activité d'appoint seront-ils considérés au même titre que les entreprises dont c'est la seule activité? Le projet de loi ne répond à aucune de ces questions et il y en a une kyrielle d'autres que l'on peut poser et qui resteraient sans réponse. (20 h 30)

L'ADELF ne comprenant ni la nécessité, ni l'utilité de créer une catégorie d'entreprises de distribution agréées s'oppose à cette mesure qu'elle juge inutile et discriminatoire.

L'article 4. La seconde innovation introduite par le projet de loi, c'est l'article 4 qui déclare catégoriquement que toute personne qui fait de la distribution de livres au Québec doit se conformer aux normes et barèmes déterminés par règlement du gouvernement relativement au mode de calcul du prix de vente. Cet article est tellement brutal que la première question que se pose l'ADELF est la suivante: Cet article n'est-il pas ultra vires du pouvoir législatif de la province? On sait que la réglementation d'un commerce à l'intérieur de la province relève de la compétence législative de la province en vertu de l'article 92 de la constitution. Mais dans le cas qui nous occupe, il s'agit d'un problème plus complexe puisque l'acte qui est posé et qu'on veut réglementer fait partie d'une série de transactions qui ont en partie pour objet le commerce international. Il semble donc que la Législature provinciale peut fixer le prix de vente de livres vendus dans la province lorsque la vente est faite entre des personnes qui sont dans la province, mais peut-elle le faire dans une transaction où l'une des parties est à l'étranger? Les avocats devront certainement se pencher sur cette question car elle est primordiale.

La deuxième réflexion, une fois de plus, c'est que l'article 4 porte à la confusion la plus totale. Il est limpide que toutes les personnes, qui font de la distribution agréée ou non, sont touchées, mais quel règlement aussi clair soit-il pourra s'appliquer aux commissionnaires en chambre qui font la distribution postale et qui court-circuitent les circuits d'exclusivité. Encore une fois, de quels livres s'agit-il? Des livres publiés au Québec, des livres représentés par les distributeurs au Québec, ou des livres qui échappent à des contrats de distribution exclusive, ou de tous les livres sans exception qui sont vendus au Québec. Il est difficile de se prononcer quand on ne connaît même pas de façon précise l'objet de la loi. L'ADELF suppose donc qu'il s'agit au moins des livres importés et soumis à un contrat de distribution exclusive.

Dans ce cas, nous sommes ramenés au problème précédent sur la constitutionnalité d'une loi provinciale régissant des transactions commerciales internationales. Même si cela était faisable, il s'agirait d'une ingérence de l'Etat dans le secteur privé et d'une entrave à la liberté de commerce. On veut imposer des tabelles à ne pas dépasser et les appliquer à tout le monde en prenant pour acquis que cette mesure provoquera une réaction de cause à effet, baisse du prix de livre importé, donc, achat plus nombreux par les consommateurs, synonyme, au ministère des Affaires culturelles, de lecteurs plus nombreux au Québec. Ce qui reste à prouver.

L'ADELF s'oppose résolument à cette mesure et conteste la validité du raisonnement en question. Disons immédiatement que le gouvernement n'aurait pu choisir plus mauvais moment pour essayer d'imposer cette mesure. En effet, depuis le mois de juillet, le système de facturation des livres a changé en France où l'on semble s'orienter vers une facturation à partir du prix net sans que tous les éditeurs soient partisans de cette mesure. Il est probable que la confusion entre l'ancien système et le nouveau va se perpétuer pendant quelque temps et les distributeurs du Québec ne peuvent rajuster leur système de détermination du prix de vente instantanément. De plus, nous mettons qui que ce soit au défi de trouver un système applicable à tous en essayant de normaliser à la fois la remise de base qui ne dépend pas du distributeur, mais qui est négociée ou imposée par l'éditeur, la remise accordée par le distributeur et sa marge. Nous avons vu que la taille des entreprises de distribution varie de l'une à l'autre. Les frais généraux ne sont donc pas comparables. Chaque distributeur peut avoir une marge bénéficiaire différente des autres selon son entente avec son fournisseur et les services qu'il rend.

Il y a un problème sur lequel le pouvoir public devrait se pencher s'il veut véritablement aider les distributeurs car il compromet leur existence. C'est le problème de la monnaie. Depuis deux ans, le dollar canadien a perdu 25% de sa valeur par rapport au ftanc français, 32% par rapport au franc belge et 58% par rapport au franc suisse. Les distributeurs achètent donc de leurs fournisseurs à un prix d'achat en francs qui n'est plus le même en équivalent canadien qu'au moment du règlement de la facture. Cette tendance, loin de diminuer, va en s'accentuant causant des pertes importantes et irréparables aux distributeurs.

C'est dans ce phénomène et dans le fait que le prix des livres a normalement augmenté depuis quelques années en Europe, comme au Québec, qu'il faut voir les principales raisons de l'augmentation du prix de vente au détail des livres importés et non pas dans les prétendues marges excessives des distributeurs. Les prix des livres ont augmenté et on ne peut imposer au seul distributeur de réduire sa marge, une réduction de cette marge conduisant à une diminution des services qu'il rend ou à sa disparition pure et simple.

L'article 31. L'ADELF s'inquiète de la teneur de cet article et s'interroge sur le pouvoir inquisiteur que s'arroge le ministère des Affaires culturelles dans un domaine où il semble empiéter sur

la juridiction du ministère du Revenu. De plus, l'ADELF n'admet pas le principe des visites à l'improviste et elle s'oppose au droit de regard que le ministère des Affaires culturelles veut se donner dans ce domaine. Dans le même ordre d'idée, l'ADELF s'oppose aux mécanismes proposés pour obtenir l'agrément et qui permet à des individus siégeant au Conseil de la lecture et du livre d'avoir accès à des renseignements de nature confidentielle sur leurs concurrents, comme les états financiers, par exemple.

Parmi les autres remarques, le principe de la distribution exclusive repose sur le respect par tous les intéressés des accords passés entre l'éditeur et son distributeur. Or, un certain nombre de libraires s'approvisionnent parfois directement auprès des commissionnaires ou en Europe, court-circuitant les distributeurs attitrés. Remarquons aussi qu'un organisme comme l'ACDL fait officiellement de la distribution tout en étant subventionné par le gouvernement alors que, par son système de dépannage, il contrevient aux ententes de distribution exclusive dont le respect est pourtant la condition sine qua non d'un réseau de distribution viable et efficace au Québec. Relevons un autre facteur qui ne facilite pas la situation des distributeurs, c'est le fait que le délai des paiements des libraires dépasse généralement le délai convenu alors que le loyer de l'argent augmente lui aussi. Notons enfin que, dans le projet de loi, les institutions universitaires ne sont plus tenues de s'approvisionner chez les libraires agréés. Dans le cas de livres étrangers de fonds d'éditions distribués au Québec, les institutions universitaires en question devraient au moins être tenues d'acheter leurs livres au Québec selon le principe de l'achat sur place.

Comme dernière remarque, reprenons à notre compte un passage du mémoire sur une politique du livre et de la lecture au Québec du CCL qui indiquait que les fonds européens qui n'ont été confiés à aucun distributeur exclusif représentent désormais une faible partie des importations en termes de chiffres d'affaires. Mais cette importation est étalée sur un très grand nombre d'éditeurs de taille généralement petite quant à l'étendue de leurs fonds ou quant à l'intensité de leurs ventes. La distance qui sépare l'éditeur du libraire gêne évidemment la présence sur les rayons de ces derniers d'un large éventail de nouveautés et de titres du fond en rendant ardu et onéreux pour les deux parties le jeu d'une faculté de retour. Le libraire dont la trésorerie est incapable de supporter un approvisionnement à long terme doit multiplier les commandes outre-Atlantique. On ne saurait donc mieux présenter les avantages d'avoir un distributeur sur place.

En guise de conclusion, nous avons vu les services rendus par le distributeur. Ajoutons que par ses représentants, ses catalogues, la publicité et la promotion qu'il fait, il contribue lui aussi à l'incitation à la lecture, facilite la tenue des salons du livre, et répétons que, dans les pays où il n'y a pas de distributeurs, le prix du livre importé est en général plus élevé. Nous sommes obligés de dire que l'ADELF est profondément déçue par le contenu et les intentions du projet de loi. Les distributeurs du Québec traversent une période très difficile en raison des nombreuses contraintes nouvelles qui se présentent à eux. Le problème le plus grave, nous l'avons vu, qui se pose depuis quelques années et dont l'importance n'est pas près de diminuer est la fluctuation des taux de change des monnaies, phénomène pour lequel il faudra trouver un mécanisme de compensation à long terme. Le second problème plus récent est le passage du prix suggéré à la liberté totale du prix de vente par le libraire en France. Ce phénomène, lui, empêche la mise en place de nouveaux systèmes de détermination du prix de vente au Québec avant que la situation ne soit stabilisée et que tous les intéressés puissent en mesurer les conséquences.

Or, le projet de loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, au lieu d'apporter des éléments de solutions à ces problèmes, présente des mesures inutiles, contraignantes ou d'application impossible et qui ne reposent pas sur des données concrètes. Tout en rejetant les postulats contenus dans ce projet de loi, l'ADELF offre donc sa collaboration pour trouver des éléments de solution aux problèmes nombreux et complexes qui se posent aux distributeurs exclusifs de livres en langue française du Québec.

Le Président (M. Blank): Merci. M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, avant de faire quelques commentaires, j'aimerais poser quelques questions immédiatement à M. Rhyman. Tous les membres qui sont mentionnés à la page 11 ont lu ce mémoire et l'ont approuvé dans les termes que vous venez de présenter ce soir?

M. Rhyman: Oui, précisément.

M. Vaugeois: Pouvez-vous me dire ce qui s'est passé depuis le mois de février, depuis la dernière rencontre que nous avons eue ensemble?

M. Rhyman: La rencontre du 20 février 1979? M. Vaugeois: Oui, à Montréal.

M. Rhyman: Nous avons écrit une lettre au ministère demandant de nous préciser ce que nous devions faire à partir de là. C'est-à-dire que nous avions eu des discussions sur un certain nombre de sujets, un certain nombre de points, et nous avons mis en marche certaines choses, notamment la formation d'un comité sur le code d'éthique, et aussi nous avions parlé de trouver des mécanismes. Effectivement, je me souviens parfaitement de la conversation que nous avions eue à ce moment-là, mais nous voulions avoir un mandat précis du ministère des Affaires culturelles et c'est pour cela que nous avions écrit à un moment pour demander qu'on nous réponde sur ce sujet. Nous n'avons pas eu de réponse sauf un téléphone. Or,

les membres de l'association voulaient absolument avoir quelque chose de précis du ministère des Affaires culturelles afin d'aller plus avant dans le projet. A partir du moment où nous avons eu ce téléphone, nous avons donc formé un comité pour travailler sur des mécanismes d'implantation au niveau, non pas de la fixation des prix, mais pour trouver des mécanismes au niveau des prix. Ce comité s'est réuni et c'est à la suite de cette réunion qu'on a décidé de s'opposer à l'article 4 de ce projet de loi.

M. Vaugeois: J'aurais envie de vous citer votre propre mémoire à la page 9, au bas de la page, où vous dites: "Profondément déçus..." par le contenu des intentions du projet de loi...

M. Rhyman: Est-ce que je réponds à cela?

M. Vaugeois: C'est mon commentaire. Je l'applique à votre mémoire en ce qui me concerne: "Profondément déçu..." Comme je me méfie toujours des réactionstrop rapides, je veux bien prendre encore un peu de temps avant de réagir vraiment à votre mémoire. Je peux vous dire qu'à ce moment-ci, pour la première fois, on vient de me convaincre de prendre très au sérieux une proposition qui traîne depuis au moins dix ans, celle d'une centrale du livre. Je n'ai pas terminé.

M. Rhyman: M. le ministre...

M. Vaugeois: Je n'ai pas terminé. J'ai toujours, pour des raisons que j'ai souvent expliquées, que j'ai réexpliquées en vous rencontrant, défendu le rôle des distributeurs. Les lois existantes au Québec ont donné aux distributeurs des avantages qui, je crois, sont uniques au monde. Je ne connais pas sur cette planète de circonstances qui permettent à des éditeurs à partir d'un contrat d'exclusivité d'avoir les privilèges et les avantages que vous avez au Québec, privilèges et avantages qui vous ont permis, en très peu de temps, de vous constituer des entreprises solides qui donnent effectivement des services qui, dans certains cas, sont appréciables et appréciés, mais ce sont des privilèges exceptionnels qui vous donnent un pouvoir absolument illimité. (20 h 45)

A partir du moment où vous êtes distributeurs soi-disant exclusifs, vous fixez le prix de vente du livre au Québec en appliquant un taux de change sur lequel on ne vous questionne pas, alors que le franc peut se négocier à $0.23, certains d'entre vous ont appliqué des tabelles de $0.40, de $0.45 de $0.50 et davantage. Vous le savez.

Devant l'imminence possible d'une législation dans le domaine, je sais que la plupart d'entre vous avez pris l'habitude de pratiquer des tabelles plus près d'une certaine réalité. Il n'en reste pas moins que la situation actuelle vous permet de fixer une tabelle qui vous dégage des sommes vous permettant de rencontrer vos frais, un programme de publicité qu'aucun éditeur québécois ne peut s'offrir et une marge de profits que vous établissez en toute quiétude. Aucun professionnel du livre ici au Québec ne peut s'établir une marge de profits en toute quiétude. L'éditeur peut toujours se calculer 10%, mais il n'est jamais certain de vendre ses livres. Le libraire peut toujours espérer un pourcentage qui généralement varie entre 33% et 40%, mais il n'est jamais certain non plus de vendre ses livres au prix de détail. La plupart d'entre vous fonctionnez sur des bases de consignation et vous payez vos livres à l'éditeur quand vous les avez vous-mêmes vendus. Je conviens que les conditions peuvent varier d'un éditeur et d'un distributeur à l'autre, encore que dans vos négociations avec les éditeurs européens nous n'avons toujours connu que le prix net alors que la plupart d'entre vous étiez dans la possibilité de négocier et j'espère que vous l'avez utilisée. Etant donné l'importance des affaires que vous faisiez ici, vous étiez à même de négocier des "surremises". On fait le 13-12 en Europe, j'imagine que vous aviez au moins le 13-12 ici. Malgré toutes ces circonstances j'ai été un des grands défenseurs du système de distribution que vous représentez pour les avantages que vous énumérez au début, encore que votre mémoire me fait un aveu qui me déroute assez, parce que vous me dites vous-mêmes que les distributions exclusives que vous avez entre les mains actuellement couvrent la majeure partie du marché du livre qui nous intéresse, mais pas la totalité, et que vous laissez de côté, après des années, une multitude de petits éditeurs dont les livres nous intéressent et qui sont difficiles à obtenir au Québec. Si je comprends bien, eux ont été oubliés parce que moins intéressants et moins rentables.

Devant une telle situation — et je répète ce que j'ai dit au début: je réserve, si vous voulez, une réaction plus définitive — mais si effectivement c'est votre façon de voir les choses, je me pose la même question que celle que vient de me poser le député de L'Acadie: Ailleurs au Canada, est-ce qu'il y a des distributeurs du même genre? Et pour Mme le député de L'Acadie, il semblait que nous étions ici dans une situation unique.

La plupart des distributeurs sont nés à partir de maisons d'édition françaises, la plupart ont d'ailleurs envoyé ici au Québec leurs agents, dans quelques cas des Québécois ont servi d'agent, dans quelques cas ces institutions ont bien voulu tendre la main à des éditeurs québécois et les aider à être davantage présents sur l'ensemble du territoire québécois. Vous nous avez offert vos infrastructures, vos camions, vos services en général. Vous avez utilisé vos budgets de publicité pour annoncer les livres de vos fonds européens, je ne me souviens pas d'avoir vu des distributeurs faire la publicité de nos livres québécois dans nos propres journaux. Vous aviez la marge qui vous convenait puisque la tabelle vous permettait de vous couvrir à l'infini.

J'ai l'air de charger un peu, certainement que dans les propos que je tiens il y a un certain nombre de nuances qui ne sont pas faites, mais étant donné le ton et la façon dont vous traitez

vous-mêmes la question avec votre mémoire, je pense que je n'ai pas à me retenir davantage et à vous dire à peu près comment je vois les choses.

Quand je fais allusion à une centrale du livre, ce n'est pas du chantage. C'est une proposition extrêmement sérieuse, extrêmement valable qui a le désavantage, à mon avis, de faire intervenir une structure gouvernementale ou paragouvernemen-tale. Je suis de ceux qui croient que chaque fois que c'est possible, l'entreprise privée peut offrir à meilleurs coûts de bons services, mais ce n'est pas toujours le cas. Un gouvernement peut avoir des responsabilités et, dans certains cas, étant donné la nature du service, des responsabilités qui l'amènent à intervenir et à offrir lui-même les services.

Les livres qui nous viennent d'Europe sont très importants pour nous. Jusqu'à maintenant, vous nous les avez offerts de façon convenable. Pour ma part, je croyais et je pense que je crois toujours que ces services peuvent correspondre à nos besoins, mais si vous voulez nous les offrir sans qu'il y ait aucune contrainte, aucune règle, aucune norme, aucune préoccupation gouvernementale, si vous voulez que les libraires n'aient aucun mot à dire devant votre façon de calculer le prix québécois, si vous voulez que les bibliothécaires, à qui nous demandons ici de payer le prix de détail régulier au même titre que n'importe quel citoyen... Si vous nous demandez tout cela, en l'absence de toute norme, de toute balise, je pense que je fuirais mes responsabilités en disant: Pour les éditeurs, il y a un certain nombre de normes. Pour les libraires, il y a un certain nombre de normes. Pour les bibliothécaires, il y a un certain nombre de normes. Mais les distributeurs, c'est tellement extraordinaire le service qu'ils nous rendent que c'est "free for all".

Parmi tous ceux qui touchent aux livres, vous êtes les seuls, encore une fois, à pouvoir vraiment jouer avec le maximum de sécurité et la façon, d'ailleurs, dont vous vous êtes développés au Québec depuis cinq ans montre bien que vous avez des moyens qu'aucun éditeur n'a et qu'aucun libraire n'a. C'est ainsi, et dans cette structure du livre, vous êtes des intermédiaires que j'ai toujours jugés utiles, mais si les conditions que vous nous posez sont celles de votre mémoire, je m'interroge très sérieusement sur l'opportunité de maintenir cette structure. Ce n'est pas moi qui ai proposé d'avoir des distributeurs agréés. Ce sont les distributeurs qui m'ont dit: Nous voulons être traités comme tous les autres. Si vous prévoyez l'agrément pour les libraires, si vous prévoyez l'agrément pour des éditeurs, nous voulons en être. Nous voulons qu'il y ait des normes d'agrément pour les distributeurs. J'ai répliqué: Nous n'avons rien à vous offrir comme aide à court terme si ce n'est peut-être du financement de la SODIC. Vos porte-parole de l'époque m'ont dit que, malgré tout, on souhaitait un agrément qui reste volontaire. Les contraintes auxquelles vous faites allusion dans votre mémoire sont bien factices puisque vous allez à l'agrément si vous le voulez bien. On ne vous y oblige pas. Pour opérer chez nous, une fois que vous êtes rendus chez nous, on vous demande de respecter un certain nombre de normes et nous n'intervenons pas en matière internationale. Notre gouvernement est compétent pour intervenir dans le commerce intérieur qui se produit et qui se pratique à l'intérieur du Québec. C'est le genre de compétence que nous avons. Je conviens avec vous que nous en avons fort peu. Je conviens avec vous que nous en souhaitons davantage, mais celle-là, nous l'avons et nous entendons l'assumer.

M. Rhyman: M. le ministre, avec tout le respect que je dois à cette honorable assemblée, je voudrais apporter certaines précisions à quelques-uns des points. Je pense qu'il y a quelque part où nous ne nous sommes pas compris. C'est certain. L'article qui nous a touché le plus, l'article 4, n'est pas suffisamment explicite et on a compris, nous, d'une certaine manière, que c'était vraiment une ingérence dans le domaine privé. Or, il n'est pas du tout...

M. Vaugeois: En diriez-vous autant de la pratique actuelle qui fait qu'un distributeur exclusif applique grâce à nos règlements et nos lois une tablette à sa discrétion, laquelle...

M. Rhyman: Je vais en venir...

M. Vaugeois: ... fixe le prix de façon définitive? Et vous savez...

M. Rhyman: M. le ministre...

M. Vaugeois:... fixe le prix de façon définitive. Vous savez, vous me permettrez d'ajouter ceci pour l'article 4: Je vous l'ai dit moi-même, je l'ai répété à vos collègues que nous entendions — je pense que maintenant il faut que je parle à l'imparfait — établir ces normes et barèmes à partir de vos recommandations. C'est ce que je vous ai dit, c'est ce que mes fonctionnaires vous ont dit.

Ce qui s'est produit en Europe ces derniers temps, quant au prix net, nous convenons que cela crée une conjoncture spéciale. Nous sommes assez réalistes pour être prêts à nous ajuster à cette conjoncture nouvelle, mais ce n'est pas nous qui sommes à l'origine du prix net et, lorsque nous avons commencé ces travaux et lorsque nous avons eu une rencontre avec vous, il n'en était pas question.

M. Rhyman: Est-ce que je peux...

Le Président (M. Blank): M. le ministre, j'espère qu'on va laisser M. Rhyman répondre à vos remarques et par la suite donner un droit de réplique.

M. Rhyman: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blank): On ne veut pas avoir un débat contradictoire cet après-midi. On n'est pas allé à la messe encore.

M. Rhyman: Tout d'abord, il y a une chose qu'il faut quand même éclaircir. Il y a plusieurs types de distributeurs. Or, quand on parle des distributeurs qui se sont monté des organisations collossales en l'espace de cinq ans, d'abord, il ne s'agit pas de cinq ans. Pour plus de précision les distributeurs sont venus sur le marché à partir de 1968. Je dois dire que depuis cette époque, il y a eu beaucoup plus de librairies, il y a eu un éventail beaucoup plus considérable d'ouvrages qui ont été mis à la disposition des Québécois, qu'au niveau de la culture on a senti vraiment qu'il y avait du côté des distributeurs, non pas une action uniquement commerciale qui se faisait, mais aussi un besoin de faire ressortir la culture. Quand je dis qu'il y a plusieurs types de distributeurs, il y en a au moins trois; un qui est le petit distributeur qui n'a même pas de représentant, qui a à peine un petit "stockage", un petit inventaire. Il y a le distributeur moyen qui, lui, n'a souvent qu'un dépôt ou qu'un magasin et qui n'a pas de service de promotion, de publicité, de représentation. Il y a l'autre distributeur qui, lui, a tous les services.

Or, on ne pourrait pas demander à l'un et à l'autre d'avoir les mêmes marges bénéficiaires. Ce n'est pas possible. En plus, quand on parle des marges excessives, on parlait tout à l'heure de 23, la tabelle. Nous savons tous qu'actuellement, le 23 cela remonte déjà au moins trois ans parce qu'actuellement nous sommes beaucoup plus près de 28 que de 23 et qu'il y a un facteur primordial entre les distributeurs et parce que, même si nous faisons partie de la même association, il y a le problème de la concurrence qui joue. Nous ne pouvons pas vendre des livres plus chers que normalement ils devraient se vendre. Un livre quand même a un prix et au tout début, quand les distributeurs sont arrivés, la majoration sur le prix d'origine était de l'ordre de 70% à 75% sur le prix d'origine. Or, actuellement, nous pouvons certifier qu'elle est aux environs de 35% à 40% sur le prix d'origine. Il y a eu une pression qui a été faite, des pressions qui ont été faites par les distributeurs pour que les prix soient ramenés en fin de compte, et c'est pour cela que l'on vous dit qu'actuellement, pour se procurer les ouvrages qui ne sont pas distribués exclusivement, cela coûte plus cher. Quand M. le ministre nous dit: Pourquoi est-ce que les petits éditeurs ne sont pas distribués? Parce qu'ils sont moins intéressants? Non. Il faut se dire aussi que les distributeurs sont là depuis seulement dix à douze ans et qu'il y a un certain nombre de distributeurs, et si nous voulons continuer à donner des services adéquats, on ne peut pas non plus se surcharger.

Il est évident que s'il y a d'autres distributeurs ou s'il y a des possibilités d'ajouter certains petits distributeurs pour donner encore un meilleur service, on le fera. Je pense qu'actuellement environ 25 membres ont accepté ce mémoire et il y en a plusieurs autres qui actuellement sont prêts à se joindre à nous. En fin de compte, ce que je veux faire ressortir, c'est que notre association est jeune et il est clair qu'on veut arriver à policer notre domaine. On veut réellement le faire et sincèrement.

(21 heures)

Dans ce domaine, quand M. le ministre dit que la majorité des stocks est en consignation, je regrette. C'est peut-être vrai pour un certain type de distributeurs, parce que je suis conscient qu'il y a des distributeurs qui ont des consignations, donc qui n'ont pas à payer leurs stocks tant qu'ils n'ont pas fait les ventes. Mais dans le cas qui occupe beaucoup de distributeurs québécois, ce n'est pas le cas. Ils sont obligés de financer eux-mêmes leurs stocks. On sait quel est le prix du financement actuellement. Il est de l'ordre de 13 1/2% à 14%.

Je vais passer une partie des éléments à M. Carignan.

Le Président (M. Blank): M. Carignan.

M. Carignan (Raymond): M. le ministre, si vous me le permettez. Vous avez l'air d'un homme déçu du mémoire des distributeurs et je dois vous dire que je suis déçu de votre attitude ce soir.

D'abord, il est absolument faux de dire que le franc, on le paie $0.23, Le franc français est à $0.2770. Avant de dire ce soir que les distributeurs — dans le passé, il y a eu des abus — abusent de la marge qu'ils pratiquent, j'aimerais avoir des chiffres établis avec des noms. Je ne crois pas qu'à l'heure actuelle au Québec ce soit le cas. Je me rappelle qu'en 1967 j'étais propriétaire d'une librairie. Alors que le franc valait $0.16, nous vendions le livre français à $0.32 et les distributeurs aujourd'hui, alors que le franc est à $0.28 près, vendent les livres entre $0.34 et $0.36. M. le ministre a l'air de nous accuser d'être une organisation de commerçants rentable. Est-ce un défaut au Québec d'avoir une organisation rentable? Il est vrai que nous faisons une marge de profits beaucoup plus intéressante que les éditeurs, mais c'est parce que nous avons un débit beaucoup plus important que les éditeurs. Nous avons toujours reconnu qu'il fallait que les éditeurs québécois soient aidés. Nous, les distributeurs, n'avons jamais demandé d'aide. Nous avons l'impression que le gouvernement veut en donner beaucoup plus que le client en demande. Pour le moment, c'est tout ce que j'ai à dire.

M. Rhyman: Je voudrais quand même signaler qu'à New York le prix des livres français est de 20% plus élevé qu'à Montréal, les livres français vendus à l'extérieur de la France, et qu'à San Francisco, le prix est de 30% supérieur à celui de Montréal, enfin, du Québec. Ceci n'exclut absolument pas — je pense qu'il est important que je le précise malgré tout ce que le ministre peut en penser — ce désir vraiment sincère de la part de l'ADELF de s'asseoir et de trouver des mécanismes pour arriver à déterminer quelque chose qui soit valable et qui soit raisonnable. Nous sommes absolument conscients des problèmes qui se posent actuellement non seulement au niveau de

la distribution, mais à tous les niveaux. Il ne faudrait pas faire porter la charge uniquement sur les distributeurs parce que le distributeur, à l'heure actuelle, dépend lui aussi de l'éditeur. Actuellement, dans le pays d'origine qui est la France, la Belgique ou la Suisse, les livres deviennent de plus en plus chers. Nous savons que, depuis 1974, donc en l'espace de cinq ans, le coût d'un ouvrage a doublé. Or, il ne peut se faire autrement que le prix des ouvrages augmente, mais ce n'est pas dans le seul distributeur que réside le mal. N'oublions pas qu'il y a l'éditeur qui fixe un prix de départ. Il y a la dévaluation du dollar et les fluctuations des monnaies actuellement. Je sais pertinemment que, du côté de certains distributeurs québécois, il y en a un qui a perdu $125 000 l'année dernière; il y en a un autre qui a perdu $185 000. Alors, si c'est là un commerce qui est vraiment si rutilant que cela...

Le Président (M. Blank): Est-ce que vous avez d'autres commentaires? M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, vos représentants posent dans leur mémoire un certain nombre de questions auxquelles j'aimerais répondre, de toute façon. Je peux au moins leur dire quelles étaient nos intentions. En page 4, on nous demande: Le gouvernement aidera-t-il de la même façon le distributeur de livres québécois et le distributeur de livres étrangers, le distributeur québécois qui distribue à la fois du livre québécois et du livre étranger? Notre réponse c'était oui aux deux questions. L'éditeur québécois qui se distribue lui-même devra-t-il être agréé séparément comme éditeur et comme distributeur? Cela dépend; si l'éditeur ne distribue que son propre fonds, une seule procédure est requise et vous trouvez cela au règlement no 2, à l'article 3; par ailleurs, s'il distribue quelqu'un d'autre, alors il a une double casquette, il est à la fois éditeur et distributeur. L'éditeur agréé peut-il confier sa distribution à un distributeur non agréé? Pourquoi pas! L'éditeur non agréé peut-il confier sa distribution à un distributeur agréé et être ainsi aidé indirectement? Absolument parce que notre objectif est la distribution, la diffusion, l'accessibilité du livre et non pas des entraves à la diffusion et à l'accessibilité du livre.

Voilà pourquoi je me suis toujours fait le défenseur du groupe professionnel que vous défendez. Soit dit en passant, je suis porté à vous croire parce que c'est le point de vue que j'ai défendu. Mais si vos pratiques, avec les années, se sont assainies au point d'avoir atteint un niveau normal, ce que je suis prêt à reconnaître, je ne vois pas ce qui vous inquiète dans notre proposition de réglementer à partir de vos positions, de votre expérience et de vos propositions. Une entreprise comme l'ACDL continuera-t-elle à être aidée pour faire de la distribution et concurrencer les distributeurs établis? Je conviens avec vous que le rôle de l'ACDL a été ambigu mais vous conviendrez avec moi que plusieurs d'entre vous ont utilisé les services de l'ACDL et les utilisent encore. Il y a un genre de service que l'ACDL rend et rend à tout le monde; mais, à certains moments, l'ACDL s'est fait — je crois — un peu un intermédiaire, genre commissionnaire, et ses membres étant pour la plupart des libraires ont eu l'idée toute naturelle d'acheter en firme, une certaine quantité de livres en Europe pour profiter de conditions spéciales. Mais moi je crois, comme vous sans doute, que dans la mesure où vos tabelles sont raisonnables, il n'y a aucun avantage pour un libraire de vous passer par-dessus la tête et aucune possibilité concrète pour l'ACDL de vous court-circuiter.

Les éditeurs et les libraires qui font de la distribution comme activité d'appoint seront-ils considérés au même titre que les entreprises dont c'est la seule activité? Bien sûr parce qu'au fond quelqu'un peut avoir investi, parmi vous, dans l'activité de distribution mais peut être en même temps un magnat du pétrole, on ne lui demande pas ce qu'il fait par ailleurs ou s'il a une fortune personnelle, ce qui nous intéresse, c'est son activité de distributeur.

Il y a un passage à la page 9 que je veux relever parce que je trouve cela tellement suave. "Notons enfin que dans le projet de loi les institutions universitaires ne sont plus tenues de s'approvisionner chez les libraires agréés." Donc, je vous vois prendre la défense des libraires agréés puisque ce sont eux, finalement, qui sont vos principaux alliés. Une fois que vous avez convenu de conditions avec les éditeurs, vous travaillez avec les libraires et la santé des libraires vous importe un peu. Sans libraires, vous ne faites pas de très bonnes affaires. A partir du moment où vous me dites: "Notons enfin que dans le projet de loi les institutions universitaires ne sont plus tenues de s'approvisionner chez les libraires agréés," je m'attends à ce que vous défendiez les libraires. Vous poursuivez: "Dans le cas de livres étrangers de fonds d'édition distribués au Québec, les institutions universitaires en question devraient au moins être tenues d'acheter leurs livres au Québec selon le principe de l'achat sur place." Je vous laisse, M. Rhyman, M. Carignan, apprécier vous-mêmes ce genre de recommandation. Est-ce que je dois la relire?

M. Rochette (Rolland): M. le ministre, à part du mémoire que vous avez là, vous avez des déclarations faites par les distributeurs, lors de notre rencontre.

M. Vaugeois: Oui, monsieur.

M. Rochette: Que vous a-t-on dit? Laissez le manuel scolaire aux libraires. Nous avons appuyé les libraires dans toutes leurs demandes. Le mémoire vient ajouter des choses à ce qu'on a déjà dit. On ne pensait pas que ce qu'on avait dit au mois de février était complètement oublié.

Le Président (M. Blank): Nous allons donner une chance au député de Jean-Talon de se faire entendre.

M. Rhyman: Nous pouvons aussi ajouter une toute petite chose, c'est qu'au niveau du manuel scolaire nous avons toujours défendu le libraire et nous continuerons à le faire, mais il y a une chose aussi qui nous avait été promise, enfin, dont nous avions discuté avec M. le ministre, c'était que le maillon de la chaîne, que la boucle soit bouclée, c'est-à-dire que les distributeurs exclusifs, eux aussi, soient protégés d'une certaine façon, ce qui n'est absolument pas évident dans l'article de la loi.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. le Président, j'ai de la matière, mais un des aspects qui me frappent au tout départ, c'est qu'il y a eu une consultation qui semble effectivement ne pas avoir eu lieu, au moins sur le plan de ses suites, dans la mesure où monsieur a parlé d'une lettre qu'il avait envoyée au ministère des Affaires culturelles et qu'il n'avait pas reçu de réponse. Le ministre, de son côté, a semblé, dans son intervention, être surpris de la teneur du mémoire. Enfin, de la façon dont on interprète, il semble bien que les informations que le ministre avait sur la position de votre groupe ne lui paraissaient pas correspondre à la teneur du mémoire que vous présentez aujourd'hui. Le ministre a semblé surpris et même choqué. Sur cet aspect, M. le ministre, je pense qu'il y a quand même un point, vous avez fait grand état, au début de votre intervention, pour prendre votre lancée du ton du mémoire. Je pense qu'on ne peut pas reprocher, lorsqu'on fait une consultation véritable, que des gens viennent devant une commission parlementaire et qu'ils osent s'objecter ou exprimer leur point de vue sur les politiques gouvernementales là-dessus. Je pense que le ministre devrait plutôt regarder au mérite les mémoires, tels qu'ils sont présentés, au lieu de s'offusquer un peu. Il avait un petit air de prima donna que je ne connaissais pas au ministre... Enfin, je le dis sans malice pour le ministre, mais tout de même, étant donné la nature de la discussion, il a semblé choqué. Enfin, M. le ministre, on fait de la consultation ou on n'en fait pas.

Néanmoins — dans la mesure où ça peut détendre l'atmosphère... vous voyez l'Opposition, ce n'est pas complètement inutile, contrairement à ce que pense... Au moins ça — il y a une question. Evidemment, on est un peu embarassé, en termes de chiffres, il y a eu des échanges, de part et d'autre, on a convenu de certains chiffres qui ont été fournis par nos invités et le ministre a convenu que peut-être ils avaient raison. Là-dessus, étant donné que le mémoire exprime des généralités et qu'il y aurait peut-être avantage, pour nous — en tout cas j'en fais la demande en ce qui nous concerne — qu'on ait davantage de témoignages chiffrés sur l'effet réel, dans le milieu, de la présence des distributeurs. Quant à moi, je suis bien prêt à prendre, et sans doute au niveau du ministère des Affaires culturelles aussi, on pourra convenir d'un chiffre, sauf que là, ça s'est haussé.

La seule question que je voudrais poser... Je m'attacherai surtout... Remarquez qu'il y a des choses qu'on retrouve dans d'autres mémoires, au titre de l'article 31, c'est d'accord, je pense qu'on en a parlé suffisamment cet après-midi, chose qui semble assez nette de votre côté. (21 h 15)

Au sujet de l'article 4, votre objection est assez globale. Par contre, votre argumentation suppose, lorsque vous analysez les différentes possibilités, que des membres ou enfin des distributeurs seront agréés, c'est-à-dire vont chercher à être agréés. Ma question serait de vous demander sans doute, puisque vous dites: S'il y en a qui ne sont pas agréés, d'autres... surtout au paragraphe: "Les distributeurs se distinguent par la nature de leur activité principale..." il y a donc des membres dans votre association qui vont trouver intérêt à se prévaloir des dispositions de l'article 4, n'est-ce pas, dans la mesure où vous supposez, dès le départ, qu'il va y avoir différentes catégories de distributeurs? Sur cette base-là, quel intérêt précis, compte tenu de l'échange que vous avez eu avec le ministre, certains de vos membres pourraient trouver à se prévaloir de l'article 4, bien sûr sous réserve? Je comprends votre inquiétude de fond, c'est que les normes et les barèmes sont déterminés par le gouvernement et il peut exister une certaine incertitude de ce côté-là, mais, d'après vous, certains de vos membres, qu'est-ce qui les pousserait à se prévaloir de l'article 4?

M. Rhyman: D'une part, quand vous parlez des normes et barèmes qui seront établis par le gouvernement, j'ose espérer qu'effectivement, selon toutes les discussions que nous avions eues précédemment, on les fera ensemble, qu'on arrivera à trouver des mécanismes, que nous proposerons des mécanismes et que nous aurons un échange. Nous l'avons toujours voulu et nous le voulons toujours cela. Ce n'est pas une raison, parce que nous disons certaines choses et qu'on n'est pas d'accord avec certains points, que, forcément, on n'est pas d'accord avec tout l'ensemble.

Il y a des intérêts. Il y a certaines personnes ou certains distributeurs qui risquent de trouver évidemment un certain intérêt à être agréés. Il est clair que ce seront des distributeurs à 100% québécois, mais, actuellement, il n'y a absolument rien qui incite un distributeur quel qu'il soit à demander son agrément. On ne sait absolument pas ce qui peut être offert en échange et ce qu'il peut y avoir. Est-ce que c'est un programme d'incitation à la lecture? Est-ce que c'est quelque chose sur les transports ou une réduction des coûts de transport? Enfin, on ne sait absolument rien de cela. Dans cette ignorance, on préfère, pour le moment, dire qu'on ne veut pas d'agrément. C'est globalement, tous les distributeurs sont tombés d'accord là-dessus.

M. Rivest: Tous les distributeurs sont tombés d'accord là-dessus?

M. Rhyman: Exactement, à l'exception de ceux qui n'y ont pas droit.

M. Vaugeois: Puis-je profiter de ce silence pour vous demander une petite précision? Un de mes fonctionnaires ici me dit qu'à la suite de la conversation téléphonique que vous avez indiquée vous-même, une lettre de sa part a suivi et qu'à l'occasion de cette conversation téléphonique, vous aviez fait référence à une réunion que vous deviez tenir le 4 juillet à la suite de laquelle réunion vous deviez nous adresser des recommandations ou des propositions?

M. Rhyman: C'est-à-dire que... Je dois répondre?

M. Vaugeois: Oui.

M. Rhyman: C'est-à-dire que la réunion du 4 juillet était une réunion mensuelle qui était prévue et dans laquelle nous avions décidé de parler de la constitution d'un comité pour trouver des mécanismes. Ceci ayant été accepté, il a fallu par la suite recruter les gens qui allaient faire partie de ce comité. On est tombé en pleine saison de vacances, c'est-à-dire le mois de juillet et le mois d'août. Ce sont les vacances et tout le monde fiche le camp. Il était donc extrêmement difficile de faire une réunion. Finalement, on a fait la réunion vers le 12 de... au retour des vacances. Il y en avait même trois qui était absents de ce comité. On a dû les remplacer. Le moment était vraiment assez mal choisi. Nous avons eu une réponse. Je ne veux pas dire par là... Il n'y a pas eu de suite, si vous voulez, à la réunion du 20 février, il n'y a vraiment pas eu de suite, un genre de bris complet. Nous nous attendions au moins à une lettre reprenant les conversations et nous disant: Voilà ce que nous attendons de vous. Nous en avons discuté au téléphone, mais qu'est-ce que vous voulez? Il y a quand même un consensus qui s'est fait et on voulait absolument avoir un papier en provenance du ministère des Affaires culturelles.

M. Carignan: II y a quand même une chose, M. le ministre, qu'il faut ajouter. Vous êtes certainement au courant que, bien avant la formation de l'ADELF... et les gens de votre ministère, M. Boivin, et M. Trudel qui était sous-ministre dans le temps, se rappellent fort bien que les distributeurs, dont je faisais partie, et trois ou quatre autres, à Québec, on s'est opposé à cette fixation de prix. Je sais que vous avez dans vos dossiers, ceux de votre prédécesseur du moins, le fait que je me suis personnellement opposé aux recommandations du livre de L'Allier, qui étaient fortes. Parce que, pour moi, la liberté de commerce, c'est comme la liberté d'expression.

M. Vaugeois: M. le Président, je suis d'accord avec ce que vient de dire M. Carignan, pour moi aussi c'est synonyme.

Si je comprends bien, finalement, après avoir écrit tout ça, vous concluez dans un paragraphe sur lequel j'aurais dû surtout m'arrêter, celui où, malgré tout, vous maintenez une offre de collaboration. Vous nous dites à la fin: "Tout en rejetant les postulats contenus dans ce projet de loi, l'ADELF offre sa collaboration pour trouver des éléments de solution ".

Supposons que les pratiques qui ont maintenant cours dans votre profession soient des pratiques raisonnables. J'ai dit tout à l'heure, et je le répète, que je suis, pour ma part, porté à le croire. A partir du moment où nous ne voulons pas imposer de tabelles, mais que nous vous demandons-Vous dites vous-mêmes que vous allez être la première association professionnelle à avoir un code d'éthique. J'imagine que le code d'éthique va dire quelque chose qui ressemble à...

M. Rhyman: Dans le domaine du livre.

M. Vaugeois: Oui. Le code d'éthique va dire quelque chose comme: éviter les pratiques abusives à un niveau ou à un autre, et va faire mentir pour l'avenir ce que le rapport Paquin nous disait pour le passé. Je tiens ça pour acquis.

Donc, à partir du moment où nous n'entendons pas imposer de tabelles, mais que nous entendons officialiser celles que vous nous proposerez, à partir de votre connaissance de votre métier, à partir de votre code d'éthique, je vous pose cette première question: Peut-on, à partir de maintenant, s'asseoir et y travailler? Puisque je suis assez conscient de ce qui peut se passer dans les prochains jours, parce que tout le monde n'est pas ici ce soir, mais tout ce que nous disons est public et je ne suis pas le seul, dans ce gouvernement, à travailler à ce projet de loi... j'ai parmi ceux qui y travaillent avec moi des gens qui sont d'ardents partisans d'une formule longtemps préconisée et jamais abandonnée et qui est présente dans le livre blanc sur le développement culturel, celle d'une centrale du livre. Donc, première question: Peut-on retenir votre dernier paragraphe et est-ce qu'on peut convenir qu'à partir du moment où nous travaillons ensemble à fixer ces tabelles, étant donné qu'il n'y a pas d'abus, nous devrions pouvoir nous entendre à la satisfaction générale? C'est ma première question. Ma deuxième question est: Pourriez-vous m'aider ce soir et me rappeler un certain nombre d'objections que nous pouvons avoir contre une centrale du livre au Québec?

M. Rhyman: Vous rappeler un certain nombre d'objections? Voulez-vous reformuler la question, s'il vous plaît?

M. Vaugeois: La première question est: Votre offre de collaboration tient-elle toujours suivant les paramètres qui se dégagent de notre échange?

M. Rhyman: A cette question, oui. Il est clair que nous allons nous-mêmes, à l'intérieur de l'association... Il ne faut pas oublier, M. le ministre, vous le savez autant que nous, qu'avant le rapport Paquin il n'existait pas d'association de distributeurs. Nous nous sommes donné un association et

il semblerait — puisque vous employez le conditionnel à plusieurs reprises — qu'il se dégage chez nous une solidarité, malgré des intérêts contraires à certains moments. Nous avons choisi d'oeuvrer de cette manière et je crois que, avec le code d'éthique, nous arriverons sûrement à déterminer un certain nombre de choses auxquelles on tra-vallera ensemble et on collaborera. Nous sommes, je crois, prêts à cela.

M. Carignan: Si vous me permettez une question au ministre, on dit bien qu'on va travailler avec vous, M. le ministre, pour des tabelles suggérées.

M. Vaugeois: Oui, et avec l'agrément facultatif. Je peux même vous faire une petite confidence.

Il m'est arrivé sur mon bureau ces jours derniers une proposition concrète de soutien aux libraires par le biais d'une intervention sur les tarifs postaux, les livraisons de paquets et sur les lignes téléphoniques, les lignes "outwats". J'ai moi-même demandé à mes fonctionnaires d'offrir ce service aux distributeurs quels qu'ils soient, parce que j'ai dit: Ce que nous voulons, ce sont leur livres. Si les distributeurs peuvent avoir une aide financière pour communiquer et permettre aux libraires dans les régions éloignées de communiquer avec eux sans frais, c'est ce que nous souhaitons. Ils ont deux ans pour se conformer à un certain nombre d'exigences. Si après ces deux ans —c'est le moratoire proposé — ils ne rencontrent pas nos exigences, nous continuerons d'aider les libraires agrées, nous les aiderons à avoir des moyens de communications pour s'adresser à n'importe quel distributeur agréé ou pas. Nos objectifs ne sont pas de régimenter et d'empêcher, c'est tout au contraire d'aider la profession.

Vous me permettrez d'ajouter ceci: C'est que, ce soir, nous discutons le commerce du livre. A cet égard, ceux qui vont vous suivre auront bien raison de dire dans leur mémoire que par ce projet de loi nous abordons surtout la question du commerce du livre, mais pour vous comme pour moi —je pense que je peux dire pour vous comme pour moi — au-delà de cette dimension d'affaires qui est légitime, où le profit est légitime, où le rendement est légitime, j'en conviens, il y a une préoccupation, en tout cas en ce qui nous concerne, une préoccupation culturelle qui domine. Pour moi, ce qui est important dans tout cela, c'est la politique de la lecture, c'est la politique d'accessibilité du livre par le développement des bibliothèques publiques. J'ai d'ailleurs voulu faire, du développement des bibliothèques publiques, un lien, un moyen additionnel pour aider à la santé du commerce du livre parce que je sais une chose, c'est que si ces gens qui sont engagés dans l'activité d'édition, de distribution et de librairie ne sont pas en bonne santé financière ou dans un minimum de santé financière, ils ne pourront produire les livres de nos auteurs, ils ne pourront distribuer et vendre les livres de nos auteurs. Je veux bien qu'on ait accès à la production étrangère autant que possible, mais je veux aussi que nos auteurs puissent être édités et qu'on puisse les trouver en librairie.

J'ai essayé de rattacher les deux. Ce soir, je conviens avec les bibliothécaires qui vont vous suivre qu'on parlera surtout de commerce, mais pour moi, c'est la dimension secondaire, c'est l'autre qui domine, encore que l'autre ne peut se développer que si nos entrepreneurs dans le domaine du livre ont un minimum pour fonctionner. Pour avoir un minimum, il faut que chacun fasse son métier.

Ma deuxième question — je suis sérieux quand je la pose — c'est: Quels sont les objections qu'on peut maintenir...

M. Rhyman: Avant de passer à cette question, M. le ministre, permettez-moi... Vous faites allusion à l'accessibilité au livre, à la disponibilité. Est-ce que, dans vos programmes, vous prévoyez un programme vraiment d'incitation à la lecture par les media tels que Radio-Québec, Radio-Canada où il n'existe actuellement pratiquement rien qui se fait à ce niveau? Aussi au niveau des distributeurs, quand vous parlez des livres québécois, il faut quand même ne jamais oublier que, parmi les distributeurs, il y a une majorité de distributeurs québécois dans l'Association des distributeurs. Il ne faut pas oublier que beaucoup de ces distributeurs distribuent des livres québécois et s'efforcent de distribuer du livre québécois.

M. Vaugeois: Vous avez posé une question auparavant. La réponse, c'est: Oui, oui, oui, vous n'avez pas idée à quel point.

M. Rivest: Quand est-ce qu'on va l'avoir l'idée?

M. Vaugeois: II y a des étapes et cela en est une.

M. Rivest: C'est cela.

Mme Lavoie-Roux: C'est une bien petite étape.

M. Vaugeois: C'est une bien petite étape, mais pour les gens qui sont là et qui y gagnent leur vie, les moyens de développer le livre au Québec, je pense que c'est une étape importante.

M. Rhyman: Au niveau de leur centrale, vous voulez une réponse?

M. Vaugeois: Je veux des arguments.

M. Rhyman: Des arguments! Je ne sais pas trop quoi vous dire. La seule chose que je pourrais vous dire, c'est que nous restons persuadés qu'une centrale d'achats contribuerait largement à la hausse du prix du livre et à une accessibilité beaucoup moins grande que celle qui préside actuellement, qui existe actuellement.

A l'heure actuelle, savez-vous que nous mettons 1000 nouveaux titres d'ouvrages sur le marché mensuellement, 12 000 nouveaux titres an-

nuellement? Une centrale, personnellement je crois que si c'était une si bonne idée que cela, j'ai l'impression qu'il y a longtemps qu'elle aurait été acceptée, qu'il y a longtemps que quelqu'un l'aurait implantée. Il faut croire qu'elle ne doit pas être si bonne, parce que quelque chose qui traîne, cela finit par pourrir et cela finit par sentir. (21 h 30)

M. Carignan: Si vous me le permettez, M. le ministre. Cela fait longtemps que j'entends parler de ce mythe-là, de cette idée, de cette illusion de la centrale. Il y a même des gens du ministère des Affaires culturelles qui sont allés en Hollande et en Suède et qui disent qu'il faut que cela soit fait sur place. Chez nous, j'ai un mémoire qui est signé par M. Lamonde qui était au ministère des Affaires culturelles dans le temps. Il existe deux sortes de centrales. Je ne sais pas dans lequel des deux pays... Il y a la centrale gouvernementale qui, elle, ne peut définitivement pas distribuer du livre autre que du livre — c'est ce que je pense et ce n'est pas possible qu'on subventionne le livre étranger... Il y a les centrales dites privées qui appartiennent à l'entreprise privée et qui fournissent tous les livres. Croyez-moi, il est évident, comme entreprises privées, qu'elles vivent avec les mêmes marges bénéficiaires que n'importe quelle autre entreprise privée qui vit à l'heure actuelle. Je pense que si le gouvernement du Québec — comme c'était le cas déjà — voulait faire une centrale du livre, il ne peut pas le faire avec autre chose que des livres québécois. Est-ce que vous avez envie de défrayer des millions de dollars pour aider davantage les Français à venir encore diffuser davantage leurs livres ici? Je ne pense pas.

M. Vaugeois: Moi, cela ne me gêne pas. Si vous me posez la question, cela ne me gêne pas.

M. Carignan: Mais je ne pense pas que vous allez faire plaisir aux bibliothécaires si vous leur apprenez demain que vous créez une centrale du livre uniquement pour le livre québécois.

M. Vaugeois: II n'est pas question de cela. La centrale du livre, ce n'est pas pour le livre québécois, c'est pour le livre importé.

M. Carignan: Vous venez de donner la réponse.

M. Vaugeois: Oui.

M. Rhyman: Dans les chiffres que nous vous apporterons un peu plus tard, nous vous ferons sûrement part de la quantité d'emplois que la distribution génère.

M. Vaugeois: Là-dessus, voulez-vous...

M. Rhyman: Non, nous vous amènerons tous les chiffres. Cela fait partie des chiffres.

M. Vaugeois: Je vais vous donner mon sentiment personnel. C'est que la centrale du livre pourrait battre tous les records en termes d'emplois. Si vous me le permettez...

M. Rhyman: J'espère que cela n'est pas porté aux livres.

M. Vaugeois: Laissez-moi au moins cet argument.

M. Rhyman: D'accord.

M. Vaugeois: Le deuxième argument étant qu'à partir du moment où je peux dire — parce qu'il y a encore des gens qui défendent ce projet et il n'est pas relégué aux oubliettes, il est encore en bonne santé — laissez-moi la possibilité de leur dire qu'à partir du moment où, avec la profession, nous réglementons tabelle et remise, cette solution vaut mieux qu'un organisme énorme qui, comme vous — je crois — nous coûterait beaucoup plus cher que la pratique actuelle. C'est ma conviction.

M. Rhyman: Mais il y a un petit point. Vous avez dit tabelle et remise?

M. Vaugeois: Oui.

M. Rhyman: C'est assez délicat. Je ne voudrais quand même pas reprendre un débat. La question des taux de conversion ou la question de mécanismes, je suis absolument d'accord là-dessus. Nous sommes absolument d'accord là-dessus. Mais la question des remises est extrêmement délicate.

M. Vaugeois: Bien sûr.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon, encore des questions.

M. Rivest: Non, sauf que je ne sais pas si on arrivera... Je pense que vous devez certainement vous rencontrer. La seule chose, c'est que dans la mesure du possible, si vous pouviez nous faire parvenir les documents ou les chiffres de façon qu'on puisse peut-être se faire une idée précise de la discussion ou enfin des éléments d'information, de discussion ou d'échange que vous avez eus avec le ministre pour autant, évidemment — je comprends que vous devez faire affaires avec le ministère, mais dans la mesure — que ces documents ou ces informations sont publiques, je vous avoue que de notre côté on est très intéressés à connaître un peu plus en détail et d'une façon plus précise ce que votre mémoire, au fond, exprime parce que vos préoccupations, on les sent très bien dans votre mémoire, indépendamment du ton ou de ce que cela a donné. On voit un peu, au fond, que c'est un peu l'insécurité dans laquelle vous vous trouvez face à un manque de précision et surtout d'une volonté de vous assurer que les normes et les barèmes dont on parle pourront être..., enfin, que vous vous serez entendus au niveau du ministère des Affaires culturelles. Le ministre, pen-

dant un certain temps, a parlé à l'imparfait, mais il est revenu à l'indicatif et même au futur. Je pense que les contacts pourront être mieux qu'ils semblaient devoir l'être il y a dix ou quinze minutes.

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce qu'on peut suggérer que l'échange de documents qui pourrait intervenir autant dans nos tractations ou nos discussions avec eux — ce que vous venez de souhaiter — que ces documents puissent être déposés au fur et à mesure aux membres de cette commission? Je pense que chacun des membres de cette commission devrait pouvoir suivre l'évolution de cette affaire.

M. Rivest: D'accord.

M. Rhyman: Remarquez qu'en dernier lieu — je ne sais pas si c'est le mot de la fin — malgré le ton employé par M. le ministre, je n'ai jamais douté de ses bonnes intentions.

M. Rivest: Un instant! Moi, j'avoue que j'ai douté.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Rivest: Je diffère d'opinion avec vous, moi j'ai douté.

Mme Lavoie-Roux: II ne manque que le calumet de paix.

M. Le Moignan: Je suis content de réaliser, comme tout le monde, que le ministre est revenu à son sourire, M. Rhyman également, et que les portes ne sont pas fermées entre le ministre et l'Association des distributeurs exclusifs. Je pense que le dialogue qui est déjà entamé depuis l'hiver dernier va continuer. Même si le ministre a réagi un peu vigoureusement à vos propos, vous défendez une cause qui vous semble juste.

J'aurais une question à vous poser. Vous êtes une association de distributeurs exclusifs qui regroupe actuellement 25 maisons. Il en reste à peu près combien au Québec qui ne sont pas membres?

M. Rhyman: II n'en reste pas beaucoup. M. Le Moignan: A peu près? M. Rhyman: Sept ou huit.

M. Le Moignan: Est-ce qu'il y a des maisons importantes là-dedans, des maisons plus connues de par leurs chiffres d'affaires?

M. Rhyman: Non, disons que le groupe qui est représenté ici représente, je dirais, de 90% à 95% du chiffre d'affaires total.

M. Le Moignan: Ce que vous avez ici. M. Rhyman: Oui.

M. Carignan: Est-ce qu'on peut ajouter, pour l'information du député, que dans les sept ou huit qui manquent, il y en a qui ne peuvent pas être membres parce qu'on a des règlements qui disent, par exemple, que si la maison Hachette, qui a des intérêts dans plusieurs maisons, est représentée et qu'il y a une autre maison où Hachette a des intérêts, cette maison ne peut pas être membre. Elle ne peut avoir plus d'un droit de vote.

M. Rhyman: Elle n'a pas le droit d'être membre.

M. Carignan: II y a de ces maisons qui ne peuvent pas être membres à cause de cela.

M. Le Moignan: Je vois que les maisons Dussault et Garneau sont déjà incluses dans d'autres...

M. Rhyman: C'est-à-dire qu'elles sont déjà représentées par un membre qui, actuellement, représente, si vous voulez, l'ensemble...

M. Carignan: Si une maison a des intérêts dans plusieurs maisons de distribution, les autres maisons ne peuvent pas être membres. Un des partenaires est membre, les autres ne peuvent pas l'être.

M. Rhyman: Ce serait ou Dussault, ou CEC, ou Garneau, mais pas toutes en même temps.

M. Le Moignan: Je n'ai pas d'autres questions à poser.

Le Président (M. Blank): Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: II y a juste un point sur lequel je voudrais revenir, ce sont les réticences que vous exprimez au sujet de l'article 31. En fait, la question que je voudrais poser, c'est peut-être davantage au ministre qu'à l'organisme qui est devant nous, parce que c'est une inquiétude qui a été exprimée par d'autres et qu'on retrouve dans d'autres mémoires que nous devons entendre. J'aimerais demander au ministre s'il a l'intention, au moins — M. le ministre... peut-être qu'il écoute des deux oreilles...

M. Rivest: Mme le député a employé un ton qui devrait vous plaire, alors vous devriez l'écouter.

M. Le Moignan: II était absent.

Mme Lavoie-Roux: Ce que je disais, M. le Président, c'est que les remarques faites par l'organisme qui est devant nous au sujet de l'article 31 l'ont été par d'autres et sont également contenues dans d'autres mémoires que nous allons entendre ce soir ou demain. Je comprends l'inquiétude des organismes, compte tenu du fait qu'en plus de tous les détails qui sont contenus à l'article 31 pourront s'ajouter d'autres éléments

qui viendront dans la réglementation, ce qui veut dire qu'à ce moment-là le ministère se donne des pouvoirs de surveillance — même si je n'aime pas utiliser le mot inquisition, je vais le mettre entre guillemets — qui pourrait même aller jusqu'à une certaine forme d'inquisition ou de censure.

Est-ce l'intention du ministre de réviser au moins cet article et de lui apporter certaines modifications compte tenu, comme je le disais tout à l'heure, d'implications qu'on ne connaît même pas et qui seront contenues dans la réglementation? Je pense que cela inquiète beaucoup de personnes et je peux dire que cela inquiète l'Opposition officielle.

M. Vaugeois: M. le Président, au sujet de ce fameux article 31, disons que ma première réaction est assez proche de celle de certains mémoires. Je me suis étonné de la teneur d'un tel article. Je n'ai pas l'expérience du député de Jean-Talon, par exemple...

M. Rivest: Pourquoi?

M. Vaugeois:... qui, tout à l'heure, nous a expliqué que le caractère usuel d'un tel article, que certaines lois...

M. Rivest: Non. M. le Président.

Mme Lavoie-Roux: Ne me dites pas qu'il y a dissidence dans la...

M. Rivest: Ce n'est pas cela.

M. Vaugeois: On ira voir le texte du journal des Débats pour apprécier ce que vous avez dit.

M. Rivest: Ce n'est pas de l'article 31 que je m'étais inquiété. C'est de l'article 32, M. le ministre.

M. Vaugeois: Ah!

M. Rivest: C'est drôlement différent. L'article 31 parle de vos pouvoirs d'enquête.

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Vaugeois: D'accord. C'était l'article 32. De toute façon, je m'en suis inquiété et on m'a fait valoir le caractère usuel d'une telle disposition pour ce genre de loi. J'ai quand même demandé qu'on le révise le plus possible. Je ne me souviens plus dans quel mémoire on nous indique qu'un tel recours ne devrait prévaloir qu'une fois, pour démontrer un peu la mauvaise foi de celui qui devrait nous fournir l'information. C'est certain que c'est le cas ultime, si vous voulez. C'est quand l'information ne semble pas avoir été fournie correctement. Mais de toute façon, sur cet article-là, ma proposition serait la suivante: je pourrais adresser à ceux qui ont présenté des mémoires et qui ont attiré notre attention sur l'article 31 des références à d'autres lois où un article semblable existe; ils constateraient d'ailleurs que notre rédaction est beaucoup plus douce que celle qu'on trouve habituellement. Si, de toute façon, ces explications ne sont pas convaincantes, je suis tout à fait disposé à engager une discussion sur cet article parce que je suis également très sensible à ce genre de représentation. Je ne suis pas un homme de loi et ce genre de rédaction me surprend aussi. Mais je me fie, en ces matières, aux experts qui m'entourent et je conviens ce soir d'expliquer l'origine d'une telle rédaction, le pourquoi et les comparaisons qu'on peut trouver dans d'autres lois.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je suis heureuse de l'ouverture d'esprit du ministre et j'imagine qu'au moment de l'étude du projet de loi article par article, on pourra apporter des amendements ou peut-être que le ministre aura déjà des amendements à faire.

M. Rivest: Voulez-vous poser une question sur les distributeurs?

Mme Lavoie-Roux: J'y reviens. Dans un cas, il peut s'agir de maisons de commerce privées et jusqu'où peut-on aller comme ingérence là-dedans. Même dans le cas des institutions publiques, si on se réfère à d'autres institutions publiques, ce n'est qu'après qu'il y a eu évidence de négligence ou de mauvaise utilisation de fonds qui leur sont accordés, qu'une enquête se produit. Il pourrait arriver qu'on aille et qu'on fasse enquête à presque n'importe quel moment. Il y a certainement des dispositions qui pourraient être un peu plus précises.

Il y a une petite question que je voudrais poser. Vous avez dit tout à l'heure que c'est seulement depuis 1968 — enfin, c'est ce que j'ai cru comprendre — qu'il existe des distributeurs. Je vois quelqu'un qui hoche la tête d'une façon négative; je me trompe probablement. Si vous vouliez m'éclairer là-dessus.

M. Carignan: Voici ce que j'ai dit. J'ai parlé de 1968 et je parlais de ma propre librairie. A ce moment-là, les distributeurs étaient très minimes.

Mme Lavoie-Roux: Non, mais on a parlé de cinq ans et de dix ans, depuis que les distributeurs...

M. Rhyman: Je m'excuse. Je pensais que vous étiez encore avec M. le ministre.

Mme Lavoie-Roux: Non.

M. Rhyman: Je n'ai pas compris le sens de la question.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que le système de distributeurs...

M. Rhyman: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Depuis combien de temps existe-t-il?

M. Rhyman: Depuis douze ans environ. Mme Lavoie-Roux: Comment procédait-on... M. Rhyman: Dix à douze ans.

Mme Lavoie-Roux: C'est ce que j'avais cru comprendre. Comment procédait-on auparavant...

M. Rhyman: Auparavant.

Mme Lavoie-Roux: ... pour l'importation des livres?

M. Rhyman: Les libraires commandaient leurs livres directement avec tous les délais que cela peut comporter et, évidemment, avec tous les problèmes que cela pouvait comporter à ce moment-là. Ils commandaient chez chaque éditeur les ouvrages dont ils avaient besoin. Cela avait créé — si je peux m'étendre un petit peu sur le sujet — un climat parce que durant ces années, il y a dix ans, il y avait un problème considérable au niveau des règlements. C'est-à-dire que les éditeurs, à un moment donné, ne voulaient plus servir un certain nombre de libraires qui ne payaient pas, qui avaient des difficultés à régler leurs comptes. Il y a eu un climat de méfiance qui en est ressorti jusqu'à l'arrivée des distributeurs et, même au début de la distribution il y avait encore ce climat de méfiance vis-à-vis des distributeurs. (21 h 45)

Par la suite, cela s'est estompé, parce que les distributeurs ont mené cette affaire de distribution comme une affaire en prenant lés risques et en prenant les avantages aussi, peut-être, dans certains cas.

M. Carignan: Mais il faut quand même dire, M. le Président, que les distributeurs existent depuis plus longtemps que cela, parce que moi je suis distributeur depuis quinze ans et j'étais autrefois à l'emploi et j'avais comme employé M. Vaugeois dans une autre maison de distribution qui s'appelle Les Editions françaises.

Mme Lavoie-Roux: II s'est vengé ce soir.

M. Vaugeois: Au contraire, avec lui j'ai appris à faire des affaires.

M. Carignan: Ce qu'on peut dire, madame, c'est que si les distributeurs sont venus beaucoup plus ici au Québec, directement ou par l'entremise de Québécois, c'est qu'à ce moment, on se plaignait beaucoup au Québec d'avoir les best-sellers français deux à trois mois après Paris. Avec l'arrivée sur place des distributeurs, tels qu'on les voit, on a les best-sellers après deux ou trois semaines.

Mme Lavoie-Roux: Maintenant, pouvez-vous me dire — j'avais posé la question au ministre — si ce système de distribution existe ailleurs au Canada?

M. Rhyman: Oui, c'est justement ce à quoi je voulais répondre et je voulais vous dire que j'avais oublié de vous répondre à cette question. C'est que, effectivement, ils existent dans tout le Canada et aux Etats-Unis.

M. Carignan: Et en Europe.

M. Rhyman: On n'est pas les seuls, contrairement à ce qu'on peut penser, à détenir un droit. Il y a, au Canada et de l'autre côté de la barrière, quand même passablement de... Entendons-nous, je veux dire du côté des Etats-Unis...

Mme Lavoie-Roux: J'allais vous demander de quelle barrière vous parliez.

M. Vaugeois: Ne vous trompez pas d'interlocuteur, les barrières c'est avec nous.

M. Rhyman: Non, je parle des Etats-Unis aussi bien que du côté du reste du Canada, il y a des distributeurs exclusifs.

Mme Lavoie-Roux: Maintenant, entre le Canada et l'Angleterre, est-ce qu'il y a également des distributeurs exclusifs?

M. Rhyman: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Egalement.

M. Rhyman: II y a des distributeurs qui représentent les intérêts d'éditeurs anglais, britanniques...

Mme Lavoie-Roux: Et exclusifs.

M. Rhyman: ... dont les maisons, telles que Longman's pour ne pas citer de noms, General Publishing; enfin, il y en a plusieurs autres.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce qu'elles sont dans votre association?

M. Rhyman: Ah non! Mme Lavoie-Roux: Non.

M. Rhyman: Nous sommes une association de langue française.

Mme Lavoie-Roux: De langue française, excusez-moi. Je vous remercie.

Le Président (M. Blank): Je vous remercie M. Rhyman. C'est un échange très "vif".

M. Rhyman: Un échange pour le moins vivant.

Le Président (M. Blank): Oui, vivant.

Je vous remercie beaucoup. Madame Colette Rivet qui représente trois associations: l'Association des bibliothécaires du Québec, l'Association

pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation et la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec.

Association des bibliothécaires du Québec, etc.

Mme Rivet (Colette): Bonsoir, M. le Président, mesdames, messieurs, permettez-moi de vous présenter à ma droie, Mme Carmen Cateliier-Desmarais qui est bibliothécaire en chef de la bibliothèque centrale de la ville de Montréal; à sa droite, Mlle Claire Côté qui est directrice de la bibliothèque publique de la ville de Pointe-Claire; à ma gauche, M. Arthur Boudrias, directeur général de l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation; immédatement à sa gauche, Mme Monique Lavoie qui est directrice des services de la bibliothèque du Collège Dawson et Mme Marie-Louise Simon-Reiher qui est vice-présidente de l'Association des bibliothécaires du Québec.

L'Association des bibliothécaires du Québec, l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation et la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec, organismes représentant les milieux bibliothéco-nomiques québécois pourraient aisément rappeler les interventions qu'elles ont faites auprès du gouvernement du Québec sous forme de lettres ou de mémoires touchant ce qu'il est convenu d'appeler la "politique du livre".

Ce rappel nous obligerait toutefois à remonter assez loin dans le temps. Nous ne jugeons pas opportun de résumer près de dix ans d'histoire puisque nous avons, en décembre 1978, à l'occasion de la Conférence socio-économique sur les industries culturelles, présenté un mémoire qui véhicule de façon détaillée notre ligne de pensée sur la question.

Pour le bénéfice de cette commission, nous avons joint à ce présent mémoire en annexe le mémoire déjà présenté à la conférence socio-économique. Nous nous permettons cependant de citer quel-ques paragraphes de ce mémoire.

L'actuelle politique n'a pas réussi à atteindre ses objectifs, mais au contraire a restreint l'accessibilité et la consommation du livre pour toute la population québécoise. En faisant supporter par les bibliothèques la subvention des librairies, la politique du livre non seulement n'a pas résolu les problèmes de la librairie au Québec, mais de plus a pénalisé le lecteur québécois en diminuant le pouvoir d'achat des bibliothèques. En effet, une portion de l'augmentation exorbitante du coût du livre, la distribution et l'inflation étant aussi responsable de cette augmentation, est imputable à la politique du livre. D'autre part, les bibliothèques n'ont pas reçu les augmentations budgétaires qu'on leur avait promises par les années passées pour compenser cette augmentation exorbitante, ce qui a produit — et je cite l'étude Drouin-Paquin — chez les libraires un fléchissement du volume d'affaires relativement au chiffre d'affaires qui, lui, a augmenté.

En février 1979, au moment où se préparait un avant-projet de loi sur la politique du livre, le ministre des Affaires culturelles convoquait une rencontre avec des représentants de nos trois organismes dans les cadres d'une série de consultations. Au cours de cette rencontre, nous avons fait part de nos réticences au ministre devant une loi sur le commerce du livre. Nous avons accepté, vu qu'il fallait en arriver à un modus vivendi, de collaborer à la rédaction d'un projet de règlement. D'autre part, M. Vaugeois s'était engagé, au cours de cette même rencontre, à tenir compte de nos recommandations, puisque les bibliothécaires figurent parmi les principaux intéressés dans le dossier, à prendre les mesures nécessaires afin que les bibliothèques ne souffrent pas financièrement d'une loi sur le commerce du livre et enfin à ne pas procéder au dépôt d'une loi sans tenir compte de l'approbation des autres ministères concernés, plus particulièrement le ministère de l'Education et le ministère des Affaires sociales.

Il est bon de souligner que les opinions exprimées au cours de cette rencontre représentaient le point de vue des bibliothécaires quant à une politique du livre et que ces opinions n'étaient nullement orientées contre d'autres groupes de personnes également touchées par une telle politique.

C'est dans cet esprit que nous soumettons à la commission parlementaire nos réactions à la lecture de ce projet de loi et de ses avant-projets de règlements."

Commentaires généraux. Avant d'analyser le texte même du projet de loi, nous présentons des commentaires généraux sur l'ensemble des documents.

La création d'un réseau de librairies. Ce projet de loi devait s'inscrire dans une optique de création et de développement d'un réseau de librairies québécoises capables de servir adéquatement et le public, et les bibliothèques dont les besoins spécifiques exigent des normes précises quant aux services, délais et coûts et ce, dans le cadre d'une politique de développement culturel sous-tendue par une politique de la lecture.

Or, tel qu'il appert dans les notes explicatives en introduction à ce projet de loi, cet objectif a été dilué et ce projet de loi apparaît n'avoir pour but en définitive que de régir le commerce du livre sans resituer la problématique dans un contexte de développement culturel.

Il n'est pas de la vocation de toutes librairies québécoises, comme d'ailleurs l'a déjà souligné le rapport Drouin-Paquin, ni d'ailleurs dans leurs possibilités d'agir comme fournisseurs de clients aux exigences nombreuses et complexes que sont les bibliothèques. En diminuant les exigences de qualité d'agrément des librairies, que ce soit au niveau des services ou de l'équipement bibliographique, ce projet de loi rejoint la majorité des librairies québécoises, mais ne permettra pas aux bibliothèques de s'appuyer sur un réseau valable de librairies pour remplir pleinement leur rôle. Dans cette perspective, le maintien de la régionalisation risque d'être inopérant.

D'autre part, ce projet de loi peut mettre en péril l'existence de certaines librairies spécialisées

qui répondent à des besoins précis mais pour lesquelles il serait difficile de se conformer aux normes; l'édiction des normes concernant ces librairies devra se concrétiser dans les plus brefs délais et tenir compte des difficultés d'approvisionnement de certaines catégories d'ouvrages.

Nous aurions de beaucoup préféré un projet de loi se rapprochant davantage des recommandations de l'étude Drouin-Paquin, à savoir, et je cite, "accorder aux librairies qui ont démontré leur capacité à fournir de façon professionnelle le public consommateur le privilège d'approvisionner en livres les institutions subventionnées et ce, en tenant compte d'une réorientation du secteur de la librairie telle que définie dans cette étude: un réseau commercial axé vers la rentabilité maximale par la vente du livre de grande diffusion à écoulement rapide, un réseau professionnel représenté par les librairies agréées et axées vers un niveau de service élevé aux acheteurs individuels et aux institutions subventionnées.

Une politique de la lecture: Une politique du commerce du livre doit être soutenue par une politique de la lecture. Nous nous attendions à ce que le ministre élabore une politique de la lecture avant de légiférer sur le commerce du livre. En effet, une politique de la lecture exposerait la volonté du gouvernement de mettre de l'avant les programmes et les moyens qu'il entend préconiser pour développer le goût des Québécois à la lecture. Une telle politique permettrait d'élaborer tout un ensemble de structures favorisant l'accessibilité du public aux livres, de la création à la diffusion. Les bibliothèques sont un outil privilégié pour alimenter la vie culturelle des citoyens et assurent un support premier à toute action pédagogique et scientifique. En entravant le pouvoir d'acquisition de documents des bibliothèques, ses possibilités d'action et de diffusion sont d'autant diminuées.

Ce projet de loi ne concerne qu'un volet de cette politique de la lecture, soit le commerce du livre. C'est pourquoi nous nous étonnons de l'appellation donnée à un conseil consultatif de la lecture et du livre dont le mandat, tel qu'il apparaît à l'article 7, ne vise en fait que les questions relatives à l'application de la loi 51 et des règlements s'y rapportant. Or, cette loi ne porte que sur des aspects commerciaux du marché du livre et aucunement sur une politique de la lecture.

La distribution. Le livre a droit à un statut privilégié qui tienne compte, à la fois, de son aspect commercial et de son impact culturel. Commercialement fragile, il est cependant un puissant agent culturel. Cette situation amène une action gouvernementale. Dans ses grandes lignes, une politique de commerce du livre devrait assurer à tous les Québécois un accès à la documentation à un prix honnête, tout en mettant un frein à toute exploitation abusive. Ce contrôle des prix devrait s'exercer au moment de l'entrée sur le territoire québécois de la documentation. Le projet de loi no 51 tel que présenté et l'avant-projet des règlements ne permettent pas un contrôle adéquat de la distribution, quant à la disponibilité des stocks, tel que nous l'avions demandé. A notre avis, cette loi ne contrôle pas adéquatement la distribution et légifère au niveau des librairies soumises à un réseau de distribution qui, lui, échappe à cette loi.

Compensation à la perte du pouvoir d'achat. Lors de la rencontre de février avec M. le ministre, certaines exigences minimales lui avaient été présentées, exigences dont le ministre s'était engagé à tenir compte: la distribution et la compensation de la perte de 15% de remise accordée aux bibliothèques.

Les garanties de compensation de la perte du pouvoir d'achat entraînée par la supression de la remise de 15%, n'apparaissent nulle part dans ce projet de loi, ni dans ses règlements et c'est pourtant là un point fondamental sur lequel le ministre s'était engagé envers notre profession. La présentation en Chambre de ce projet de loi était conditionnelle à des ententes à intervenir avec les ministères concernés; à ce jour, aucune entente de garantie de compensation n'a été portée à notre connaissance.

Nous avons déjà démontré la perte de pouvoir d'achat occasionné par une politique du livre; le projet de loi actuel n'améliorera en rien cette situation. N'insistons pas sur le rapport direct pouvoir d'achat et accessibilité à la lecture.

Les tabelles. Enfin, toute la question du coût du livre repose sur des tabelles qui ne nous sont pas présentées et qui devront tenir compte des répercussions imprévisibles de la libéralisation du coût du livre en France. Il est fortement aléatoire d'établir un système de facturation à partir d'éléments inconnus.

Tels sont les points fondamentaux que nous nous attendons voir améliorer dans ce projet de loi.

Le projet de loi no 51 comme tel. Enfin, l'étude du projet de loi et de ses règlements, article par article, nous amène à formuler les remarques particulières suivantes:

Article 5: Comme nous le soulignions dans la première partie de notre mémoire, nous nous opposons à l'appellation "Conseil consultatif de la lecture et du livre"; il convient, dans la philosophie de cette loi, d'enlever le mot "lecture" pour garder "conseil consultatif du livre" ou, ce qui réfléterait mieux la réalité, "conseil consultatif du commerce du livre".

Les bibliothèques, comme clients captifs, devraient d'office être représentées à ce conseil pour faire entendre le point de vue des bibliothèques. Cette représentation devrait être proportionnelle à la clientèle qu'elles représentent et les représentants devraient être nommés par les associations professionnelles.

Article 12: Le rapport annuel du conseil devra être rendu public et le gouvernement devra s'engager à le diffuser à tous les organismes soumis à la loi.

Avant-projet de règlements. Règlement no 2: Ce règlement ne résout pas le projet de la distribution au Québec. Aucune norme n'est fournie quant au nombre de titres, d'éditions récentes que les distributeurs doivent maintenir en disponibilité pour répondre rapidement aux commandes. (22 heures)

D'autre part, ce règlement ne s'applique qu'au mode de calcul des prix et ne contrôle en rien la distribution elle-même et un distributeur non agréé, sauf pour le calcul des prix, n'est soumis à aucune norme.

Règlement no 3. La définition du livre devrait être celle acceptée par l'UNESCO. Il existe effectivement une définition du livre reconnue de façon internationale, et nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement en créerait une nouvelle.

Les méthodes instrumentales et les partitions musicales devraient être exclues de cette loi: il s'agit là d'une catégorie de documents difficiles à fournir et qui ne sont guère rentables pour les librairies.

Nous nous étonnons de l'exclusion du manuel scolaire de la loi, puisque la loi de 1971 avait d'abord été édictée pour assurer la vente du manuel scolaire par les librairies.

Le gouvernement statue sur la propriété québécoise, mais rien ne garantit le renforcement des normes d'agrément: les librairies agréées devraient offrir un service aux bibliothèques distinct et structuré de façon adéquate quant à la facturation, les renseignements, la recherche bibliographique. L'existence d'un tel service aux bibliothèques est plus importante que les normes relatives au volume de vente faite au public, au nombre de titres en étalage qui n'apportent rien aux bibliothèques. Ainsi, l'article 3 tout entier ne garantit pas une amélioration des services aux bibliothèques.

L'article 11 risque d'être préjudiciable aux bibliothèques. En effet, les bibliothèques ne règlent pas directement les factures, mais passent par les services comptables de leurs établissements.

Nous insistons pour que les librairies qui fournissent des ouvrages français possèdent l'équipement bibliographique français; celles qui fournissent des ouvrages anglais, l'équipement bibliographique anglais, et que les librairies qui désirent offrir les services de livres français et anglais possèdent des collections et françaises et anglaises.

L'équipement bibliographique prévu en annexe du règlement est élémentaire et recoupe la documentation qui existe déjà dans les services d'acquisition de la plupart des bibliothèques. Les librairies devraient aussi posséder l'équipement bibliographique composé de catalogues commerciaux récents et organisés de façon accessible qui pourraient davantage répondre aux besoins des bibliothèques. Puisque le gouvernement légifère sur le commerce du livre, qu'il assure de la publication annuelle d'un cataloque annuel de livres disponibles au Québec.

Règlement no 4. Lorsque les bibliothèques s'approvisionneront à l'extérieur de leur région, dans les cas prévus par les règlements, qui devra assurer les frais de transport? Si c'était la librairie, quelles sont les garanties d'obtenir une suite aux commandes, vu les frais accrus?

Dans le cas d'une centrale d'acquisition qui dessert plusieurs bibliothèques, particulièrement les BCP, situées dans plusieurs régions adminis- tratives, l'obligation d'acheter dans chacune des régions desservies va à rencontre des principes d'économie de temps, d'énergie et d'argent qui sont à la base de la création de ce genre de réseau.

La question de l'acquisition des livres anglais devrait être réexaminée en tenant compte de la conjoncture particulière du marché du livre nord-américain qui n'est pas soumis à un réseau de distribution comme l'est le livre français. La politique du livre telle que conçue ici favorise nettement les librairies qui fourniront des ouvrages anglais. Nous nous opposons fermement à l'article 11 du règlement qui veut que chaque année, les bibliothèques fassent un rapport sur leur budget d'acquisition et sur la répartition de ces budgets entre les divers fournisseurs. Cette exigence est lourde et onéreuse et elle exige un personnel accru. En plus, les librairies font déjà un rapport en ce sens (règlement no 3, section 4, article 16h).

Dans la section sur les conditions, normes et barèmes relatifs au prix d'acquisition, on se réfère à des tabelles, mais elles sont promises pour l'avenir. Il est difficile de discuter de cette question sans les tabelles. Il est cependant certain que le pouvoir d'achat des bibliothèques sera encore réduit. De quelle façon les bibliothèques seront-elles compensées pour cette perte de leur pouvoir d'achat? De l'augmentation moins rapide des collections qui en résultera, à très court terme, les bibliothèques pourront encore moins répondre aux besoins de leurs clientèles.

Nous ne comprenons pas pourquoi une vente doit être d'au moins 50% avant que les bibliothèques puissent en bénéficier. Qui va se charger de vérifier la véracité de l'escompte de 50%? Le gouvernement?

L'article 20 stipule que la bibliothèque peut exiger que la librairie mentionne dans sa facturation certains éléments, tels le prix net, la tabelle utilisée, etc. Comme nous le demandions, quand il fut question des normes d'agrément des librairies, ceci devrait faire partie de ces normes d'agrément sans que les bibliothèques aient l'odieux de l'exiger.

Nous requérons que le ministère distribue à tous les organismes soumis à la politique du livre, et ce, gratuitement, tous les documents relatifs à cette loi et à ces règlements, entre autres, la liste des librairies agréées, les tabelles, la loi et les règlements.

Enfin, nous insistons pour que les catégories d'ouvrages suivants soient ajoutés aux exemptions: tout ouvrage n'apparaissant pas dans les répertoires courants; les rapports de recherche et les livres publiés par des organismes privés ou des sociétés savantes et dont l'acquisition doit se faire directement auprès de l'éditeur, par exemple, les ouvrages de Ford, de National Technical Information Service, de CADRE, du Barreau du Québec, etc., et tout ouvrage publié en continuité, par exemple, le Dictionnaire biographique canadien.

Considérant nos attentes vis-à-vis d'une politique gouvernementale de la lecture, considérant que le commerce du livre n'est qu'un élément

d'une politique de la lecture, considérant que la conjoncture actuelle eu égard à la libéralisation du prix du livre en France aura des effets imprévisibles, considérant les lacunes et omissions de ce projet de loi, considérant l'intérêt que porte le ministère des Affaires culturelles à nos recommandations, nous recommandons au gouvernement de reconsidérer ce projet de loi et ses règlements à la lumière de nos remarques et de l'inscrire dans une perspective globale, celle d'une politique de la lecture.

Le Président (M. Blank): Merci, madame. M. le ministre.

M. Vaugeois: Merci, M. le Président. Effectivement, il y a beaucoup de matière dans votre mémoire qui prend peu de pages; en effet, vous avez fait la démonstration de l'esprit d'économie qui vous caractérise.

Mme Rivet: Nos associations ne sont pas très riches, vous savez.

M. Vaugeois: Je pense bien que vous ne vous attendez pas qu'on discute dans le détail tous les points que vous avancez. Je vais essayer de retenir les plus importants. Si j'en oublie d'importants sur lesquels vous voudriez qu'on échange ce soir, vous m'y inviterez. D'abord, la dernière fois qu'on s'est rencontré, effectivement, j'ai pris avec vous un certain nombre d'engagements. Vous me les rappelez ce soir fort à propos. Je ne retraite pas. Au contraire, je vous réitère ce soir mon désir, ma volonté d'y donner suite et d'aller au-delà. Ma volonté n'est pas de répondre à ce que je vous ai annoncé, mais d'aller beaucoup plus loin, sauf que...

Mme Rivet: Très concrètement?

M. Vaugeois: Oui. Sauf que les procédures que nous avons à suivre font que, par exemple, ce soir nous avons une réunion de cette commission parlementaire pour recevoir des mémoires. Il n'y a pas de telles procédures pour rendre publiques les intentions budgétaires d'un gouvernement. En termes de calendrier, je peux vous dire que, lorsque ce projet de loi sera rendu devant la Chambre pour la deuxième lecture et l'étape de la troisième lecture, tout aura été fait et tout sera en place pour pouvoir rendre publique notre politique de la lecture, et surtout notre plan de développement des bibliothèques publiques.

Concrètement, j'ai été invité par l'Union des municipalités, qui a son congrès à la fin de septembre, et j'entends, à cette occasion, rendre public le plan de développement des bibliothèques publiques et en discuter avec les municipalités. Vous n'ignorez pas qu'à partir du 1er janvier 1980, si la réforme de la fiscalité municipale est mise en place comme prévu, les municipalités vont avoir une marge budgétaire nouvelle et, théoriquement, il y aura transfert de $250 millions vers les municipalités. Nous avons déjà obtenu de la part du ministre des Affaires municipales et du ministre des Finances que quelques programmes incitatifs demeurent et, parmi ceux-là, il y a le programme de soutien au fonctionnement des bibliothèques publiques. C'est déjà acquis. C'est dans les prochaines semaines que va être débattu le projet de loi pour la réforme de la fiscalité municipale. C'est à l'intérieur de ce débat qu'on va retrouver ces dispositions, et ainsi de suite. Avec le ministre de l'Education, nous avons déjà déposé auprès du ministre des Finances un plan d'accroissement des budgets des bibliothèques en milieu scolaire. Les remarques que vous me faites, soit dit en passant, sur l'article 11 du projet de règlement no 4, ont été demandées par le ministre de l'Education.

Ce serait peut-être intéressant qu'on ait un échange là-dessus ce soir, parce que vous me faites valoir vos préoccupations eu égard à l'article 11, mais, d'un autre côté, cela m'apparaissait être une garantie que les budgets affectés aux acquisitions des bibliothèques servent effectivement aux acquisitions des bibliothèques. On a dit toutes sortes de choses à cet égard. Le ministre de l'Education avait obtenu du ministre des Finances qu'on ait des mécanismes spéciaux pour s'assurer que l'argent versé aux commissions scolaires pour les acquisitions de livres serve effectivement aux acquisitions de livres. Voilà pourquoi on demandait des rapports spécifiques à cet effet.

Je ne dis pas que tout a été dit sur cette question. Il s'agit de trouver les modalités les plus souples, les moins tatillonnes possibles pour s'assurer que ces montants vont effectivement servir à l'acquisition de livres et ne serviront pas à régler un problème plus urgent à court terme de je ne sais pas quoi, d'autant plus — vous devez le savoir — qu'avec la réforme de la fiscalité municipale, la source de financement principale des commissions scolaires, qui était l'impôt foncier, va en totalité aux municipalités. Il ne restera à la commission scolaire que la possibilité d'aller chercher des inadmissibles au niveau de cette taxe foncière. Elle va être, à ce moment, publique. Les commissaires auront à l'expliquer. Cela veut donc dire que leur marge, pour utiliser les inadmissibles au niveau de la taxe foncière, va être réduite au minimum. Leur tentation peut-être pourrait être d'aller chercher de l'argent dans les sommes globales versées par le ministère de l'Education, mais pour des fins qui ne leur paraissent pas prioritaires. C'est dans ce contexte qu'il faut situer, si vous voulez, ce genre de préoccupation, parce que notre proposition actuellement — je n'ai aucune raison de croire que nous ne réussirons pas — c'est un accroissement que je qualifie de spectaculaire, l'accroissement des budgets des bibliothèques.

Mme Rivet: L'accroissement est un minimum vital actuellement. On ne parle pas d'accroissement, on parle de compenser la perte de 15% qui est très réelle.

M. Vaugeois: Oui, absolument, mais je vous dis que c'est plus que cela que nous projetons, parce que pour nous, cette compensation n'amé-

More rien. Nous voulons améliorer la situation des bibliothèques. Si nous ne faisons que compenser de 15%, bien sûr que je pourrais vous dire: J'ai rempli mon engagement. Je ne serais absolument pas satisfait de cela, parce que depuis des années, en milieu scolaire, les budgets d'acquisition des bibliothèques n'ont pas vraiment augmenté. Nous voulons les augmenter.

Dans le milieu municipal, pour les bibliothèques municipales et les BCP, nous les avons augmentés depuis trois ans. Les budgets des bibliothèques ont à peu près triplé depuis trois ans, mais pour nous, ce n'est pas encore satisfaisant, parce qu'il se trouve encore au Québec 52 municipalités de plus de 5000 habitants qui n'ont pas de bibliothèques publique. Parmi celles qui en ont, plusieurs ne sont pas au niveau minimal qui nous paraîtrait raisonnable. Ce n'est pas à vous, bibliothécaires, que je dois donner les écarts qui nous distinguent de l'Ontario. Si on compare l'Ontario et le Québec, en corrigeant les écarts de population, ils ont sept millions de pieds carrés de bibliothèques publiques, alors que nous n'en n'avons que deux millions sept cent mille. Je pourrais donner comme cela le nombre de livres par tête d'habitant qu'ils ont, etc., le nombre de bibliothécaires qu'ils ont par tête d'habitant. On a une différence de 600 bibliothécaires professionnels à combler pour atteindre le niveau de l'Ontario. Nous avons cela comme point de comparaison, comme point de référence.

Nous entendons accélérer, si vous voulez, nos interventions en ce domaine. Cela ne vous dispense pas, bien sûr, d'exiger de nous qu'on rencontre le minimum de nos engagements, mais ce que je vous dis ce soir, c'est que ce que nous préparons va bien au-delà de ce minimum que vous exigez, avec lequel je suis d'accord, mais en vous disant que ce à quoi nous vous convions, pour parler de la politique du livre et de la lecture, et non pas commerce du livre, c'est de nous soutenir dans ce travail, parce que vous êtes les organismes les plus puissants qu'il se trouve dans le milieu pour travailler au niveau des instances locales qui vont devenir des interlocuteurs beaucoup plus importants.

De notre côté, nous resterons présents. Nous entendons augmenter notre participation aux frais de fonctionnement. Nous entendons proposer aux municipalités une participation et un soutien aux frais de fonctionnement. A titre d'exemples, nous proposerons probablement aux municipalités qui ont déjà des bibliothèques ou qui pourraient songer à s'en donner une, une espèce de document de base sur ce qu'est une bibliothèque, à quoi cela sert, quels sont les avantages, quels sont les résultats obtenus ailleurs, quelle est la réponse de la population ailleurs. On a des statistiques très révélatrices à cet égard. En même temps, on peut leur dire: Si vous aviez envie éventuellement d'agrandir votre bibliothèque, nous pourrions vous payer les services du professionnel. Si vous vouliez avoir en banque des plans de bibliothèques, nous pouvons vous payer les services des professionnels requis. Nous envisageons toute une série de mesures de cette nature.

Mme Rivet: Au niveau des bibliothèques publiques?

M. Vaugeois: Oui.

Mme Rivet: Alors que notre situation est désastreuse au niveau des bibliothèques scolaires.

M. Vaugeois: Oui, mais là-dessus, je vous ai dit qu'au niveau des bibliothèques scolaires, le ministre de l'Education a déjà déposé un plan d'accroissement des budgets d'acquisition. L'article 11 qui est prévu au règlement no 4 a été demandé par lui et par le comité ministériel au développement culturel pour qu'on s'assure que les montants qui pourraient être versés aux commissions scolaires servent effectivement à l'acquisition de livres, étant donné — j'insiste là-dessus — la tentation dans laquelle pourraient se trouver les commissions scolaires, étant donné la réforme de la fiscalité, d'utiliser ces montants pour d'autres fins, parce qu'il y aura un contexte nouveau de créé et personne ne sera familier avec ce contexte. (22 h 15)

Je le répète: les inadmissibles devront être expliqués à la population et feront l'objet d'une taxe spéciale dont les élus locaux se rendront responsables devant la population. Cela veut donc dire qu'on va créer une pression très forte sur ces administrateurs locaux et régionaux pour, éventuellement, faire des transferts auxquels ils sont normalement autorisés, mais que nous ne permettrons pas, si nous réussissons à augmenter les budgets d'acquisition des bibliothèques.

Maintenant, vous insistez beaucoup sur la politique de la lecture.

Une Voix: Nous permettez-vous de... M. Vaugeois: Oui.

M. Boudrias (Arthur): ... répondre à cet article 11, M. le ministre. Si les bibliothèques scolaires doivent remettre au ministère de l'Education des statistiques précises sur l'utilisation des fonds, je pense que le service des bibliothèques scolaires au ministère de l'Education pourrait fournir de tels renseignements au ministre de l'Education sans qu'il y ait un règlement obligeant toutes les catégories de bibliothèques à fournir de telles statistiques qui deviennent onéreuses. Vous connaissez et vous avez vous-même mentionné la pénurie de bibliothécaires dans les bibliothèques. Je pense qu'il ne s'agit pas de surcharger les tâches pour remettre des statistiques qui ne sont pas significatives au niveau des bibliothèques elles-mêmes.

M. Vaugeois: D'accord. Je pense qu'il faut se comprendre là-dessus. Je ne veux pas relire l'article 11, mais l'intention de l'article 11 n'est pas de demander aux bibliothécaires de faire des rapports de plus. D'ailleurs, vous dites, vous autres mêmes, dans votre mémoire, que ce sont les services comptables qui acquittent vos factu-

res et c'est cela d'ailleurs qui vous fait craindre... L'article 11 risque d'être préjudiciable. En effet, les bibliothèques ne règlent pas directement les factures, mais passent par les services comptables de leur établissement. Or, c'est justement l'argument qu'on m'a fait valoir. On m'a dit, au Conseil du trésor, au ministère des Finances et chez les experts du ministère de l'Education que cela est facile, que ce n'est pas compliqué, que c'est administratif, que c'est mécanisé et que c'est leur problème, m'ont-ils dit. Ils m'ont dit: Ce n'est pas un problème des affaires culturelles, ce n'est pas le problème des bibliothécaires; c'est le problème des services administratifs des commissions scolaires, quand elles font leurs états financiers, de dégager le sujet "acquisition de livres" pour qu'on puisse comparer ce qui a servi aux acquisitions de livres en regard des budgets d'acquisition qui auront été octroyés. Je suis d'accord avec vous pour qu'on regarde cela plus attentivement. Je vous donne les explications qu'on m'a données. C'est pour s'assurer— cela rejoint vos préoccupations — que les sommes affectées au développement des bibliothèques en milieu scolaire serviront effectivement à ces fins-là.

Si vous me le permettez, vous insistez, à juste titre, sur l'importance qu'il y a de situer ce projet de loi dans une politique plus globale. Je crois que nous serions d'accord pour que... Vous faites une suggestion dans le cas du comité consultatif du livre et, malicieusement, vous proposez qu'il devienne le comité consultatif du commerce du livre.

Mme Rivet: Appelons les choses par leur nom.

M. Vaugeois: Je pense que vous pourriez avoir raison, mais si on se référait à certaines allusions faites dans les mémoires antérieurs et, particulièrement, à la recommandation du Conseil supérieur du livre, vous serez sans doute d'accord pour qu'un conseil supérieur qui serait composé différemment avec un mandat plus large que celui que nous avions prévu — c'est-à-dire non seulement l'application de la loi qui est une loi qui porte davantage sur le commerce — qui porterait sur la lecture et le livre, où vous seriez correctement représentés, pourrait également répondre au genre de préoccupations que sont les vôtres.

Mme Rivet: Ce n'est pas nous qui serions correctement représentés. C'est la population qu'on représente.

M. Vaugeois: Bien sûr. Je retiens un autre point: celui de la politique de la lecture. Bien sûr, au cours des derniers mois, nous avons fait un certain travail à cet égard. Nous n'avons pas attendu que la loi soit déposée, etc. Nous avons mis au point avec les éditeurs — nous en reparlerons demain — des programmes de soutien à la promotion et à la publicité. Nous avons multiplié, dans la mesure de nos budgets de cette année, des initiatives surtout à l'occasion de l'année de l'Enfant, un certain nombre d'expériences que nous avons essayé de favoriser en termes d'animation et de promotion de la lecture. Nous avons essayé d'exploiter au maximum la formule des salons du livre. Nous avons actuellement des actions qui sont menées auprès des grands média, en particulier avec l'Union des écrivains. C'est difficile, je ne le cache pas. C'est difficile de convaincre les grands media d'information d'attacher plus d'importance aux livres, mais nous sommes convaincus que lorsque les media, particulièrement la télévision, s'intéressent à la lecture et aux livres, on fait rapidement des pas de géant. L'Union des écrivains a accepté de relever ce défi avec nous. Nous espérons arriver à des résultats appréciables.

Nous avons actuellement une grande enquête qui est en cours — j'y ai fait allusion tout à l'heure — qui devrait nous mener à connaître mieux les habitudes culturelles des Québécois et, en particulier, leurs habitudes de lecture. Nous sommes convaincus que nous trouverons là des arguments pour amener les media à faire une plus grande place à la lecture. Je pense qu'on sous-évalue l'importance de la lecture chez les Québécois. On répète très souvent que les gens ne lisent pas, qu'ils lisent peu, qu'ils ne lisent pas assez, etc. Or, là où il y a des bibliothèques — vous pouvez en témoigner — et des bibliothèques raisonnablement organisées, le succès est très grand, la fréquentation est très grande. Nous avons besoin davantage de données à cet égard pour convaincre les media concernés de faire une plus large place à ce qui intéresse les gens.

Mme Rivet: Le développement du goût des Québécois à la lecture ne tient pas juste... Effectivement, c'est quelque chose de très important. Je pense que les bibliothèques publiques, entre autres, ont particulièrement un rôle privilégié à jouer dans la diffusion du goût à la lecture; elles ont un rôle d'animation. Ce sont toujours ces questions qui nous sont présentées comme des projets futurs. Cela fait longtemps qu'on vous parle d'une politique de la lecture. Cela fait bien longtemps. Il me semble que le fait de donner des budgets d'acquisition ne suffit pas. Encore faut-il donner les structures, le personnel qualifié pour être capable de mettre sur pied ces programmes d'animation. Il faut qu'ils soient structurés et qu'il y ait un plan pour qu'on sache où on s'en va. On a une politique qui est très morcelée actuellement, qui ne touche qu'un aspect vraiment très minime de tout un ensemble bien plus important.

M. Vaugeois: Ecoutez! J'aurais aimé — de mémoire, je n'ose pas m'avancer — vous dire qu'on est allé au-delà des discours depuis trois ans. Au cours des trois dernières années, ou à peu près, les budgets des bibliothèques publiques au Québec ont crû plus que jamais auparavant. La plus grosse augmentation de budget au ministère des Affaires culturelles a été portée vers le développement des bibliothèques publiques. Ces gestes ont été concrets. Il s'est ouvert plus de BCP depuis trois ans qu'il ne s'en était ouvert de 1962 à

1976. Je suis de ceux qui croient que cette formule des BCP n'est pas parfaite. Elle peut être améliorée et c'est certain qu'on peut consolider le réseau des BCP. Mais c'est une façon de rendre le livre présent dans les milieux municipaux de moins de 5000 habitants, et nous avons fait porter nos efforts de ce côté. Nous avons ouvert, en trois ans, plus de BCP qu'il ne s'en était ouvert de 1963 à 1976. Je pourrais énumérer comme cela, mais je ne veux pas avoir l'air — si vous voulez — de faire... Ce que nous avons fait, ce n'est rien à côté de ce que nous voulons faire. Un gouvernement agit, quel qu'il soit — un gouvernement municipal ou un gouvernement provincial comme le nôtre — un gouvernement agit en harmonie avec les attentes d'une population. Il faut, en même temps, convaincre les gens que c'est bon pour eux. Les élus municipaux, à partir du moment où ils sont convaincus que leurs électeurs s'intéressent aux livres et à la bibliothèque, sont d'accord pour créer des bibliothèques. Mais il faut faire tout ce travail d'animation. Je l'ai souvent dit, et je ne fais aucun reproche à vos organismes, une de mes plus grandes déceptions depuis un an et demi que je suis au ministère des Affaires culturelles, c'est d'avoir eu fort peu de pression pour agir dans le domaine des bibliothèques. Il existe un peu partout au Québec des organismes que nous soutenons pour qu'ils nous donnent des plans de développement culturel pour leur région, etc. Je n'ai jamais reçu une demande, une note, un télégramme, une lettre... Je n'ai jamais eu, à l'occasion d'une rencontre, une seule allusion à la pauvreté des équipements de nos bibliothèques. Jamais de la part de ces organismes-là, seulement de la part des gens qui sont dans le commerce du livre ou des gens qui exercent une profession comme la vôtre, à l'occasion, ai-je eu un certain nombre de remarques. Pourtant, ceux qui sont dans le commerce du livre — M. Tisseyre l'a exprimé tout à l'heure — savent fort bien que, si nous pouvions développer nos bibliothèques à un niveau normal, comparable à celui de nos voisins, nous aurions déjà réglé indirectement une bonne partie de leurs problèmes. Je me dis, au fond, que je pourrais tourner tous mes efforts vers le développement des bibliothèques publiques et indirectement j'aurais des chances d'avoir réglé un petit peu d'autres problèmes. L'essentiel de mes efforts porte effectivement sur le développement des bibliothèques scolaires et publiques.

Il arrive que les procédures qui sont les nôtres m'obligent à investir également du temps dans la rédaction d'un projet de loi qui cherche à mettre des balises, rien de plus. Je n'ai aucune prétention avec ce projet de loi. Il s'agit tout simplement d'amener les différents agents à se respecter et à travailler ensemble.

Si vous me permettez un commentaire, je crois beaucoup à votre profession et je n'ai jamais perdu une occasion publique de lui rendre hommage parce que pour moi, elle a apporté beaucoup. Je pense que dans la dynamique des agents que nous avons entendus aujourd'hui et que nous entendrons demain, vous avez un rôle spécial à jouer. Effectivement, vous pourriez jouer à part des autres parce que votre point de référence est un peu différent. Vous n'êtes pas vraiment concernés par le commerce du livre. Votre défi est ailleurs. Je pense que justement parce que vous n'êtes pas directement concernés par ce commerce — encore qu'il vous alimente en livres — et que votre gagne-pain ne dépend pas de la santé de ce commerce. Vous dépendez des taxes et des contribuables. Vous avez également une compétence, une connaissance particulière et je pense, un rôle à jouer dans cette dynamique d'ensemble. Dans votre mémoire, vous faites allusion aux déficiences de certains libraires. Vous avez tout à fait raison à cet égard. Nous pourrions donc dire: Qui s'arrange les libraires? Qui s'arrange les autres? On va choisir chacun notre interlocuteur et on va régler notre problème. Je préfère maintenir la dynamique d'ensemble. Chacun de ces interlocuteurs dans le domaine du livre a quelque chose à dire au voisin.

J'aurais d'ailleurs une espèce de souhait à formuler à mon bout de la lorgnette. Il y a un Conseil supérieur du livre qui réunit tant bien que mal — vous me permettrez cette allusion, M. le Président — des éditeurs et des libraires, peut-être des distributeurs. Je ne sais trop. A certains moments, on a tendu la main aux auteurs. Je souhaiterais que, de temps en temps, le Conseil supérieur du livre devienne le lieu de rencontre de tous ceux qui sont concernés par le livre tant dans sa dimension commerciale que dans sa dimension culturelle. Pourquoi, de temps en temps, tous les professionnels du livre — qu'ils en vivent par la vente ou qu'ils en vivent par un salaire payé par un organisme public — pourquoi ces gens-là, de temps en temps, ne feraient-ils pas le point? Tout ce qu'on essaie de mettre ensemble ce soir avec notre projet de loi vient finalement de vous. A mon avis, moins le gouvernement intervient en cette matière, mieux c'est.

Mme Rivet: ... il va sans dire que pour servir les clients que nous sommes, il faut disposer d'une qualité de services, d'un équipement bibliographique coûteux, d'un personnel qui, actuellement, demande des salaires fort élevés. Il faut disposer aussi d'une marge de crédit assez importante. Nous craignons — et nous vous l'avons déjà souligné, qu'actuellement, en dehors des réseaux que nous utilisons et que nous ne pourrons pas utiliser qu'il n'y ait pas de librairies capables de rencontrer nos besoins. Nous aimerions à ce sujet savoir si le moratoire s'applique autant aux institutions subventionnées qu'aux librairies à être agréées.

M. Rivest: Madame, avez-vous terminé avec le ministre?

Mme Rivet: Oui. Pour le moment.

M. Rivest: Le ministre a regretté — chose qui m'a quelque peu frappé — qu'il n'y ait peut-être pas eu suffisamment de pressions ou de deman-

des qui lui étaient venues pour appuyer le développement des bibliothèques publiques ou des bibliothèques scolaires. Je dois vous dire en l'excusant ce soir — il me l'a demandé — qu'à plusieurs reprises, à tout le moins, si le ministre n'a pas reçu de lettre, je l'inviterais très modestement à relire les suppliques du député de L'Acadie, lors de l'étude des crédits du ministère de l'Education et même du ministère des Affaires culturelles depuis trois ans. Notre collègue, le député de L'Acadie s'est faite, je pense, au niveau de l'Assemblée nationale sans doute celle qui a eu le plus à coeur — en tout cas certainement — les problèmes et la nécessité de soutenir les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires. Notre collègue de L'Acadie a au moins l'avantage de pouvoir prendre ses distances face à un certain passé parce qu'au fond — il ne faut quand même pas en faire un reproche particulier au ministre — c'est un problème qui dure depuis fort longtemps. Dans ce sens, notre collègue de L'Acadie qui n'était pas, je pense, à l'Assemblée nationale a pu s'intéresser à ce problème et je pense qu'elle l'a fait.

M. Laplante:... lorsque le CECM a battu votre ancien gouvernement pour conserver une bibliothèque... Est-ce que vous voulez renouveler?

M. Rivest: Entre autres, je pense que le député de L'Acadie...

M. Laplante: Votre ancien gouvernement l'a laissé enfermer dans des boîtes pour les boules à mites.

M. Rivest: Oui, oui. C'est une obsession chez le député de Bourassa, l'ancien gouvernement. Cessez donc de l'imiter! (22 h 30)

C'est la conclusion à laquelle j'arrive. Vous êtes bien engagé. Tout en me permettant, je pense, auprès de nos invités, d'excuser le député de L'Acadie qui a dû partir parce qu'elle a un rendez-vous à Montréal, je tenais quand même à rétablir ce fait parce que je pense que c'est venu et pas simplement pour l'actuel ministre des Affaires culturelles, mais aussi au niveau du ministre de l'Education et même, je pense, qu'elle a poussé auprès du ministre des Finances à une ou deux occasions de façon à apporter parce qu'il semble bien que... Evidemment, le ministre a évoqué d'autres promesses qui semblent sérieuses. Je ne mets pas en doute sa bonne volonté, sauf qu'on arrive devant un projet où on a les gens des bibliothèques. Il faut bien admettre — et je pense que le ministre en convient — que c'est un peu vague, finalement, les intentions... Oui?

M. Boudrias: A vos commentaires, j'ajouterai peut-être que les bibliothèques ont quand même déposé un bon nombre de mémoires sur la politique du livre depuis dix ans, le mémoire du CSL, le mémoire du ministre L'Allier à l'époque, Drouin et Paquin, celui du ministre Laurin, celui des conférences socio-économiques sur les industries culturelles et, toujours, on a insisté, je pense, sur le développement des bibliothèques publiques. Je suis d'accord maintenant. Je pense que c'est devenu une priorité du gouvernement. On l'apprécie.

A la conférence socio-économique de décembre, il y a quand même un point important, je pense, qui a été soulevé du moins sur lequel on s'inquiétait: c'était l'élimination des bibliothèques scolaires. De plus en plus, des bibliothécaires sont renvoyés carrément des bibliothèques scolaires pour être remplacés, soit par des techniciens, soit par des professeurs parce que maintenant, on n'a plus d'enfants. C'est un problème très sérieux. Je pense que c'est dans la ligne quand même de ce mémoire. Il ne faudrait quand même pas négliger la compétence du bibliothécaire qui a été formé pour répondre à un certain nombre de normes. Pour son renvoi, on dit que le service de bibliothèques va bien. Comme cela va bien, on va s'arranger pour que cela aille mal en le renvoyant. Je pense qu'avec le ministère de l'Education, le ministre des Affaires culturelles doit être très attentif sur ce point. Dans les négociations qui s'en viennent, il faudrait en tenir compte.

M. Vaugeois: Mais tout cela nous amène encore indirectement à l'article 11. On ne prendra jamais trop de précautions. Je ne le regrette pas comme vous, mais autant que vous; je trouve extrêmement pénible que, finalement, quand on fait une rationalisation des effectifs et qu'il y a une diminution d'étudiants et qu'on déplace un certain nombre de personnes, ceux qui écopent principalement à ce moment-ci, ce sont les bibliothécaires. Cela ne me rassure pas du tout et pas plus que vous. Voilà pourquoi le ministre de l'Education, avec les gens du Conseil du trésor et les gens du ministère des Finances, dit: Donnons-nous des moyens particuliers de contrôler les sommes que nous nous apprêtons à verser. Vous vous rendez compte? Si les gens ne sont même pas capables de sauver leur job, quelle assurance me donnent-ils qu'ils vont sauver leur budget?

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Sur le plan de la réforme de la fiscalité municipale, je pense que ce que le ministre a dit est exact. Par contre, on pourrait — ce n'est pas le moment ici d'en débattre — mais la marge financière qui sera additionnelle, qui sera disponible aux municipalités est loin d'être aussi considérable que semblaient l'impliquer les propos du ministre. Il nous a promis cela comme étant une terre promise, mais il faudra y voir. Néanmoins, je conviens avec le ministre pour qu'il n'intervienne pas une nouvelle fois dans mes remarques, qu'effectivement il peut y avoir certainement des possibilités de ce côté-là pour les bibliothèques. Evidemment, on est d'accord avec... On l'a regretté déjà depuis le début de la journée. Finalement, le projet de loi s'intéresse

beaucoup plus à cette dimension commerciale dans un sens absolument pas péjoratif et la difficulté de l'apprécier, surtout en regard des problèmes des bibliothèques publiques et des bibliothèques scolaires qui, comme l'a signalé le ministre, apportent peut-être finalement davantage le point de vue du public, on ne peut la situer dans l'ensemble du contexte d'une politique de développement culturel, avec comme élément, une politique de lecture à laquelle vous vous êtes référés. C'est très difficile d'apprécier la valeur objective des dispositions qui nous sont présentées à l'intérieur du projet de loi. On est toujours un peu face aux promesses.

Le ministre a indiqué tantôt qu'il fallait que les gouvernements municipaux ou provinciaux, évidemment, suivent un peu l'état de l'opinion et que la demande du public sur le plan de la croissance des services au niveau des bibliothèques publiques et scolaires, même, ne lui paraissait pas très forte, et qu'évidemment les gouvernements retardent à agir. Mais c'est un peu un cercle vicieux, finalement, qui est un peu l'histoire des bibliothèques publiques au Québec.

M. Boudrias: Mais il ne faudrait pas s'enfarger là-dedans. Il n'y a pas de demandes des conseils de comté; je pense, pour la création de bibliothèques publiques. Je pense que c'est tout à fait différent que dire qu'au Québec il n'y a pas de demande de création de bibliothèques publiques. On est d'accord?

M. Rivest: Oui.

M. Vaugeois: Pas beaucoup!

M. Rivest: Ce que je veux dire, c'est que finalement, c'est un cercle vicieux, parce que même si le ministre avait raison, en disant que cette demande n'est pas très forte, je pense que les moyens financiers que les bibliothèques veulent avoir, c'est précisément pour faire de l'animation dans le milieu, de façon à développer cette demande. Ils peuvent faire un travail considérable et le fait que les gouvernements sont un peu réticents, ne sont pas sensibilisés ou ne l'ont pas été dans le passé, vient sans doute de l'explication qu'a fournie le ministre.

Mais si on donne plus de moyens aux bibliothèques publiques, entre autres, elles pourront, à ce titre-là, sur le plan de l'animation, dans le milieu, créer cette demande et essayer de montrer aux gens comment cela peut être intéressant, un peu comme le ministre l'a signalé.

On pourrait parler longuement sur l'aspect de la politique, mais ici on est un peu à court, dans la mesure où on est face à des attentes ou à des promesses qui doivent venir, d'après ce que le ministre nous a indiqué.

En ce qui concerne la distribution, j'aurais une question à poser, parce que votre mémoire situait... Je ne sais pas si c'est un plan machiavélique du ministre de vous faire suivre nos amis, les distributeurs!

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon, je pense que madame veut ajouter quelque chose sur le dernier sujet.

Mme Côté (Claire): Le fait qu'il n'y ait pas de demandes au niveau des conseils régionaux de la culture, ce n'est pas une indication qu'il n'y a pas une demande de bibliothèques publiques, parce qu'elles sont une responsabilité municipale. Donc, la demande vient de là et non des conseils régionaux qui n'ont peut-être pas grand-chose à voir avec ce développement.

J'aimerais ajouter dans le même ordre d'idées que les bibliothèques municipales, quand le ministre parle d'augmentation des subventions, c'est très beau et c'est vrai ce qu'il dit. Mais il ne faut pas oublier que le financement des bibliothèques publiques est à peu près, je pense, 75% à 80% fait au niveau municipal.

Or, quand on parle d'augmentation de subventions ou de compensations, on parle d'augmentation de 20% d'un budget, on parle de compensation sur 20% d'un budget. La politique du livre fait qu'on engage, on doit respecter pour tout le budget des acquisitions, on doit appliquer la politique du livre sur ces budgets en entier, quand la part qui vient du ministère est peut-être de 20%, si on l'applique à tout le budget.

M. Laplante: Vous parlez beaucoup de programmes et de moyens de lecture. Vous avez parlé de la responsabilité des municipalités pour les bibliothèques. Mais j'aimerais avoir, par exemple, votre idée, ce que vous pensez du dédoublement de l'argent actuellement. Si on prend une école polyvalente qui est déjà pourvue d'une belle bibliothèque et, qu'avec l'aide de la municipalité il est ajouté peut-être 15 000, 20 000 ou 25 000 livres dans cette bibliothèque pour en faire une bibliothèque publique, quelle serait votre position à ce moment?

Mme Côté: J'aime beaucoup votre question. Cela me fait plaisir d'y répondre. Il arrive que, quand on parle de bibliothèques publiques et de bibliothèques scolaires, on a deux bibliothèques, on a deux publics différents et on a des collections différentes. On a des services qui sont différents. On a des locaux qui doivent être différents parce qu'ils servent à différentes fins.

Autrement dit, au niveau scolaire, vous avez des classes qui sont là continuellement sur place qui visitent en groupe et qui occupent énormément de place, tandis que le public, lorsque c'est échelonné le long d'une journée, ils viennent comme cela, individuellement. Ils n'ont pas les mêmes exigences que le milieu scolaire.

Ce qui arrive dans ce cas, c'est que pour desservir adéquatement les deux publics qui sont représentés, il faudrait faire la même chose que si on avait deux bibliothèques séparées. Il faut multiplier les locaux et les collections, parce qu'ils ne sont pas les mêmes. Il faut multiplier le personnel avec des spécialisations, parce que quand on fait l'animation de la lecture au niveau

scolaire et de l'animation au niveau des bibliothèques publiques, ce n'est pas la même chose, je regrette, parce qu'au niveau scolaire c'est axé sur un programme, tandis qu'au niveau des bibliothèques publiques c'est axé sur les besoins généraux du public et non sur un programme défini très clairement. Pourrais-je continuer sur cela?

Il y a eu des essais qui ont été faits partout. Les plus récents ont été faits en Hollande, je pense. Il y en a eu, récemment à Terre-Neuve et en Colombie-Britannique et ce sont des échecs pour les raisons que je vous dis. Je peux vous dire quelque chose de vécu chez nous, il y a une école secondaire à côté de chez nous avec 2000 étudiants. Or, les étudiants ont des périodes libres où ils veulent des visites de classe et tout. Ils envahissent la bibliothèque. Les adultes, par contre, veulent entrer dans une bibliothèque, dans un milieu tranquille où il y a un personnel qu'ils peuvent consulter et où les locaux sont à leur goût et non pas être envahis par des enfants, le bruit et toutes exigences concentrées que représente une classe de CEGEP, de secondaire ou de primaire.

M. Laplante: Je ne sais pas à quelle école vous faites allusion. Je ne sais pas si vous demeurez dans le même quartier? Vous demeurez à Montréal?

Mme Côté: Pointe-Claire.

M. Laplante: II y en a une à Montréal-Nord, si je comprends bien. Il y a l'école Henri-Bourassa qui fonctionne très bien. Il y a des heures pour les adultes et leurs heures ne correspondent pas avec les heures des étudiants.

C'est pour cela que je vous disais tout à l'heure que ce serait une belle discussion, s'il n'était pas 22 h 40. Je vois passer le temps, on pourra la reprendre demain matin.

J'ai plutôt l'impression, quant à la solution, qu'il y a un manque de dialogue qui se fait entre deux paliers qui couvrent également dans la loi, une municipalité.

Mme Côté: Je pense qu'où je rejoins votre pensée, c'est qu'il y aurait peut-être lieu d'avoir encore plus de collaboration qu'il y en a présentement. Mais je ne pense pas qu'il s'agit d'intégrer les deux et de mettre les deux ensemble.

Pour ce qui est de Montréal-Nord, c'est tout à fait récent. Je pense que cela fait un mois ou deux que c'est en marche, cette chose-là.

M. Vaugeois: Quatre ou cinq mois, au moins.

Mme Côté: Alors, je n'ai pas de données pour savoir le résultat de cela. Ce que je sais, c'est que où cela a été essayé, normalement, le commentaire général, c'est que le grand public ne s'y rend pas, parce que cela ne rencontre pas leurs besoins.

M. Vaugeois: Si vous êtes ici demain, on dînera ensemble.

M. Rivest: Une question précise que j'ai annoncée, parlez-moi un peu de nos amis, les distributeurs, en vous référant spécifiquement à ce que vous semblez suggérer, que le projet de loi ne les réglemente pas assez ou ne les normalise pas assez. Faites attention, ils sont juste derrière vous.

Mme Côté: Oui, je le sais. La déception qu'on a, face aux recommandations du projet de loi concernant la distribution du livre, c'est qu'on avait parlé, lors de rencontres en février, d'établir des normes au niveau de la représentation des stocks que les distributeurs devraient, à notre avis, avoir en disponibilité dans leurs étalages et si un distributeur est censé représenter un éditeur, selon nous, il devrait avoir le catalogue de cet éditeur à peu près à 80%. Toutefois, le projet de loi ne répond pas à ces normes.

On n'a pas satisfait, non plus, les attentes qu'on avait, face à l'information et à la qualité de l'information que devrait fournir le distributeur. Par la voie de ce projet de loi, on commande nos livres chez les libraires agréés. Ces libraires agréés font affaires avec les distributeurs et la réponse que nous avons, c'est celle que le distributeur est censé avoir donnée au libraire et la qualité de l'information, souvent, n'est pas très adéquate. A ce niveau, on n'a pas eu les réponses qu'on attendait non plus.

Au niveau des éditions, il semble que lorsqu'on commande dans les bibliothèques du livre scientifique, on s'attend certainement à recevoir l'édition la plus récente et ce qu'on nous sert souvent, ce sont les éditions antérieures qui datent parfois de deux ou trois ans. (22 h 45)

A ce niveau, il n'y a pas eu de norme non plus. Il nous a semblé qu'au niveau des prix, le problème se situait d'abord au niveau de la distribution. On n'a pas trouvé dans le projet de loi un élément qui réglait, selon nous, cet aspect du commerce du livre. C'est dans ce sens qu'on était...

M. Rivest: Simplement une question. Au fond, ce que vous demandez, c'est que vous cherchez à dire aux distributeurs, ou enfin, aux gens qui s'intéressent au domaine, de voir à ce que les distributeurs améliorent la nature des services qu'ils fournissent. Maintenant, est-ce que vous croyez nécessairement, compte tenu... J'imagine que vous avez déjà formulé ces demandes auprès des distributeurs. Est-ce qu'il vous paraît souhaitable, compte tenu de votre connaissance, des relations que vous avez eues avec les distributeurs, est-ce qu'il vous semble nécessaire et essentiel que cette amélioration soit imposée par le biais de normes qui viennent à l'intérieur d'une réglementation gouvernementale?

Mme Rivet: Quand on en a discuté au niveau des rencontres de février, c'était pour nous un point essentiel, c'était une de nos demandes fondamentales parce que la qualité du service des bibliothèques dépend de la qualité de l'approvisionnement qu'on a. Cette qualité d'approvision-

nement est fonction beaucoup de la qualité du réseau de distribution. A notre avis, tant qu'on ne statue pas sur la qualité de ce réseau, le reste, finalement... D'après nous, c'est un élément essentiel.

M. Rivest: Vous voulez ajouter? Madame, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Rivet: Non, j'aimerais conseiller. M. Rivest: Ah bon! Allez-y!

Mme Rivet: II y a certaines questions que nous avons posées au ministre et pour lesquelles nous n'avons pas eu de réponse.

Le Président (M. Blank): Un instant, s'il vous plaît, madame, avant d'aborder de nouveaux sujets... Est-ce que le député de Gaspé a des questions?

Mme Rivet: A la page 5 de notre mémoire, en ce qui concerne le règlement no 4, nous posons une question précise en ce qui concerne les frais de transport. Le règlement no 4 prévoit que si une bibliothèque ne peut s'approvisionner à cause du permis et de la qualité de service du libraire de sa région, elle pourra s'adresser à une librairie dans une autre région, ce qui entraînera nécessairement des frais de transport. Qui compensera les frais de transport?

M. Vaugeois: On me dit que c'est le libraire.

Mme Rivet: Pourquoi le libraire serait-il intéressé à payer des frais de transport?

M. Vaugeois: Cela fait partie de son métier, il en paie toujours. Cela ne coûte pas plus cher d'envoyer un paquet à Montréal ou à Chicoutimi, quand on envoie cela par la poste, en tout cas.

Le Président (M. Blank): Est-ce qu'il y a autre chose?

Mme Rivet: J'aurais une dernière remarque à faire.

Le Président (M. Blank): M. Rivest?

M. Rivest: J'aurais simplement une question, vous l'avez référée... C'est en haut de la page 5. Le gouvernement statue sur la propriété québécoise, mais rien ne garantit le renforcement des normes d'agrément. Quelle est votre perspective des propositions gouvernementales au sujet de la propriété à 100%, en ce qui concerne vos activités propres?

Mme Rivet: Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir un service de librairie de qualité qui réponde à nos besoins. Il nous faut donc des libraires qui soient compétents, avec les répertoires bibliographiques nécessaires, une organisation structurée, un personnel adéquat.

M. Rivest: Vous craignez que...

Mme Rivet: Actuellement, il y a des réseaux de librairies qui nous fournissent le service, qui ont un service distinct pour les institutions et pour la clientèle ordinaire. Effectivement, ces réseaux actuellement ne remplissent pas les normes de propriété québécoise à 100%. J'ai expliqué tout à l'heure quelles étaient nos craintes à ce sujet.

M. Rivest: Très concrètement, si je comprends le sens de votre réponse, c'est que sur le terrain, le fait que ce règlement n'existe pas, enfin il existe à 50%, aux Etats-Unis ou même dans les pays français, en particulier, cela améliore...

Actuellement, vous considérez que, s'il disparaissait, le milieu comme tel n'est pas en mesure de servir, même s'il le voulait, même si, peut-être éventuellement, il réussissait à le faire, on le verra, mais que vous perdriez quelque chose en termes de bibliothèques publiques si vraiment le règlement était adopté, en ce moment, avec 100% à propriété québécoise.

Mme Catellier-Desmarais (Carmen): II y a une chose que je voudrais ajouter là-dessus. Nous, ce que nous demandons, dans notre mémoire, au niveau de l'organisation d'un service de bibliothèque à l'intérieur des librairies, c'est une demande qui est aussi prioritaire, c'est que ça devrait faire partie, à notre avis, des normes d'agrément des libraires et que l'on vérifie la qualité des services qu'on offre aux bibliothèques avant d'agréer les libraires, et non pas de se fonder simplement sur l'étalage, les stocks et...

M. Rivest: Ou sur un critère mathématique de propriété.

Mme Catellier-Desmarais: Oui.

Le Président (M. Blank): Avez-vous d'autres commentaires, Madame?

Mme Rivet: Oui. Le dernier commentaire que j'avais à faire concernait les exemptions que j'aimerais voir ajoutées, parce qu'il est un genre de documentation que se procurent les bibliothèques gouvernementales, les bibliothèques des milieux des affaires sociales et de santé et des bibliothèques de collèges qu'il est à peu près impossible de trouver par le biais de la librairie courante. C'est pourquoi j'insiste beaucoup pour que les trois exemptions ajoutées soient rajoutées aux exemptions déjà présentées dans les avant-projets de règlements.

M. Vaugeois: M. le Président, j'avais déjà posé la question aux gens de mes services qui m'ont assuré que les discussions ont été fructueuses, je pense, depuis le début, parce que vous aviez une longue liste et je pense que le travail a été bon. Et il va se continuer, pour que tous ces points soient réglés à la satisfaction de tout le monde.

J'attire votre attention, à la suite d'une question antérieure, sur l'article 17 du règlement no 4...

M. Rivest: Mais, excusez-moi, M. le ministre, réglés comment?

M. Vaugeois: C'est-à-dire qu'en général, nous sommes...

M. Rivest: La longue liste... Quand ils auront abandonné leur liste, non?

M. Vaugeois: Non, Nous nous sommes rendus à la plupart de leurs exigences...

M. Rivest: Ah bon!

M. Vaugeois:... et quand ça n'a pas été le cas, on s'est parlé, on s'est expliqué et, par exemple, pour les institutions universitaires, elles ont été soustraites, les CEGEP peuvent commander là où ils le veulent. Mais l'article 17 du règlement no 4 dit bien: aucun frais de livraison, de transport ou de manutention ne peut être facturé à l'institution qui est située dans la même région que la librairie agréée où est effectuée l'acquisition de livres, ni à l'institution qui est contrainte d'effectuer ses acquisitions de livres hors de la région où elle est située, parce qu'il s'avère, après vérification, qu'un service de qualité adéquat n'est pas offert aux institutions de ces régions.

Je partage vos préoccupations. Elles témoignent de vos préoccupations professionnelles. Je me doute bien que, demain, nous entendrons les libraires et qu'ils chercheront à vous rassurer sur les services qu'ils peuvent vous rendre, mais je conviens que la situation actuelle a peut-être fait que certains libraires ne pouvaient relever le défi des exigences que vous posez, étant donné la concurrence à laquelle ils doivent faire face. Ils auront à s'ajuster pour répondre à vos exigences et la pire menace qui pèse sur eux, c'est qu'ils seront en concurrence, dans leur région, et, à la limite, en dehors de leur région, parce que le projet de loi fait une ouverture là-dessus en disant: Vous pouvez commander vos livres chez le libraire qui vous donne le meilleur service et s'il ne s'en trouvait pas dans votre région, vous pouvez sortir de votre région.

Nous laisserons parler les libraires demain. Ils nous diront comment ils voient ça. Mais, d'un autre côté, il faut bien comprendre qu'une entreprise ne peut pas s'équiper de services quand son chiffre d'affaires ne lui permet pas de s'équiper de services. C'est un peu la problématique de tout le projet de loi. C'est une gageure que nous prenons ensemble et, là-dessus, comme bibliothécaires professionnels, vous avez très certainement, vis-à-vis des libraires, un rôle à jouer et réciproquement. J'ai déjà vu, d'ailleurs, la façon dont les uns et les autres traitent ensemble. Je pense qu'ils ont à s'apprendre des choses et à s'aider mutuellement. C'est une profession où différents intervenants ont à travailler ensemble. Là, on touche un élément de plus. Notre proposition, c'est de l'essayer.

M. Boudrias: J'aurais un dernier commentaire. Vous soulignez, M. le ministre, que les bibliothèques universitaires avaient finalement été exclues de la loi.

Je voudrais faire prendre conscience de la similitude de la documentation qui existe dans certaines bibliothèques gouvernementales très spécialisées — qu'on pense au ministère des Richesses naturelles ou à d'autres — et qui, au niveau de choix, est à peu près le même que celui d'un deuxième ou d'un troisième cycle universitaire. Je sais que vous voulez inclure là-dedans toutes les bibliothèques gouvernementales maintenant. Toutefois, il faudrait peut-être agir avec prudence.

M. Vaugeois: Je pense qu'on pourra prendre tout à l'heure un café ou un cognac ensemble et je vous dirai pourquoi j'ai "retraité" en ce qui concerne les bibliothèques universitaires. Ce n'est pas tout à fait pour le genre de problème que vous posez. Mais, de toute façon...

M. Rivest: Est-ce que vous m'invitez?

M. Vaugeois:... vous pouvez venir, M. Rivest... je vais perdre ce que je voulais dire — je dois rencontrer les bibliothécaires du gouvernement et traiter de cette question avec eux, on verra.

Sans tout vous dire, le fond de ma pensée, c'est que nous ne rendons service à personne quand c'est trop compliqué. Le bibliothécaire attend son livre et le libraire dépense beaucoup plus en énergie que le profit qu'il peut en tirer. D'un autre côté, le libraire cherche à donner un bon service et il est tout à fait conscient qu'à chaque fois qu'il fait une opération, il ne fait pas nécessairement des profits, mais il a, je pense, le sentiment d'avoir un défi à relever et il est conscient que ce n'est pas payant à tout coup.

Dans le cas du livre très spécialisé, le problème est à la fois pour le libraire et le bibliothécaire et il n'est dans l'intérêt ni de l'un, ni de l'autre, de forcer un rapport qui est trop compliqué.

Le Président (M. Blank): Madame...

Mme Côté: J'aurais une dernière question à poser à M. le ministre, s'il vous plaît. Au niveau du livre anglais — on en parle dans notre mémoire — évidemment, je suis dans un milieu qui est assez anglais, on peut imaginer pourquoi je m'intéresse à la question, mais il faut aussi penser que les bibliothèques de CEGEP, les bibliothèques universitaires — mais là, les bibliothèques universitaires sont exclues — qui s'approvisionnent grandement en livres anglais, parce que quand on parle de techniques, évidemment, le livre français n'est pas toujours ajusté à notre technologie nord-américaine et peut-être, parfois, le livre anglais est plus pertinent à nos besoins. Or, les universités et les collèges utilisent beaucoup le livre anglais. Je

pense qu'à un moment donné il a été question de 60% des acquisitions des CEGEP et des universités, mais je m'en remets aux représentatifs de cette question.

J'aimerais savoir pourquoi, vu que le marché nord-américain n'est pas vraiment organisé du tout de la même façon, on continue à s'entêter de traiter le livre anglais de la même façon que le livre français. Ce qui arrive, finalement, c'est qu'on favorise les distributeurs de livres anglais et qu'on leur donne, d'après les tabelles qu'on applique, vraiment beaucoup plus qu'ils obtiennent partout ailleurs au Canada, en Amérique du Nord. Je ne vois pas pourquoi je mets de l'argent dans la poche de ces gens tout simplement parce que leur marché est organisé différemment. J'aimerais avoir des commentaires à ce sujet.

M. Vaugeois: Je ne vous donnerai pas de réponse satisfaisante ce soir, parce que vous posez le problème sous un angle bien précis qui a son importance, mais vous comprendrez facilement que, pour nous, il prend une autre dimension. Nos préoccupations vont au-delà de ce que vous venez d'identifier comme problème. Vous me permettrez, ce soir, de vous dire que je ne suis pas en mesure d'aller plus loin. J'ai énoncé pas mal de choses sur lesquelles nous travaillons, et la préoccupation que vous venez d'avancer déborde largement ce que nous faisons à court terme. Cela nous préoccupe beaucoup, dans l'ensemble.

Soit dit en passant, la semaine prochaine nous serons à Toronto, avec cette commission parlementaire, et nous aurons des échanges également à ce niveau. Les pratiques commerciales que nous sommes en train d'essayer d'améliorer ici intéressent les Ontariens, de la même façon que leur développement de bibliothèques nous intéresse.

Je n'ai pas de réponse à cela. Il y a une situation qui est délicate et, soit dit en passant, je vais répéter ce que je dis souvent, et je vais vous le dire à vous, au Québec, nos meilleures bibliothèques sont en milieux anglophones.

Le Président (M. Blank): Merci, mesdames et messieurs. Maintenant, est-ce que c'est le désir de la commission de passer au dernier mémoire, la maison Flammarion? M. Sivry.

Editions Flammarion Ltée

M. Sivry (Jean-Michel): Oui. M. le Président, mesdames et messieurs membres de la commission, je vous remercie de prendre encore le temps de m'écouter. J'essaierai d'être aussi bref que possible et d'abréger vos souffrances, encore que je pense que je représente un peu une entreprise qui a l'air de monter à l'échafaud. En effet, je crois que c'est, devant cette commission, une des rares entreprises qui aura l'occasion d'exprimer les vues des intérêts étrangers qui oeuvrent actuellement dans le livre québécois. (23 heures)

La forme de cette intervention sera aussi personnelle et j'espère que l'intérêt particulier que je développe pourra être pris en considération, encore que je comprends les remarques de M. le ministre il y a un instant, que l'étendue de la loi est plus importante que cela.

Je veux donc simplement amener un témoignage de ce qu'en tant qu'investisseur français, la librairie Flammarion a pu faire ici dans le domaine de la culture. Constituée en corporation en vertu de la loi québécoise depuis 1950, Flammarion oeuvre depuis trente ans au Québec et pendant cette période, elle a toujours bénéficié de l'apport financier et technique du groupe familial français du même nom qui a plus de cent ans d'expérience dans le secteur de l'édition et de la librairie.

Au cours de ces années, Flammarion n'a cessé d'investir argent et efforts afin de favoriser le développement du livre au Québec. L'exposé qui suit nous permettra de souligner ce qu'il y a dans la ligne de conduite de Flammarion en tant qu'investisseur privé, pour tenter d'établir que cette attitude a été favorable au développement culturel et au développement de la francophonie. Nous indiquerons aussi les conséquences prévisibles de l'adoption du projet de loi no 51 sur notre entreprise et nous soulignerons certaines difficultés en allant peut-être assez rapidement, puisque ces questions ont déjà été soulevées au cours de la journée.

Les immobilisations de Flammarion ont décuplé entre 1973 et 1979, passant de $70 000 à $870 000 et pendant cette période, le nombre d'emplois créés a été de 55, alors que les effectifs se chiffraient à près de 4 millions en 1979, comparativement à 330 000 six ans plus tôt. Pendant cette période, aucun dividende n'a été distribué aux actionnaires. Lors de sa création, cette entreprise était propriété française, mais les Français étant conscients de la nécessité de faire participer des Québécois à l'industrie du livre, ont sollicité et favorisé la participation administrative et financière de Québécois. Ils ont même cherché à remettre à des Québécois le contrôle de Flammarion en offrant de leur vendre, à des conditions avantageuses, la majorité de son capital.

Les bénéfices ont été faibles dans notre entreprise au cours des trente dernières années et nous avons souvent eu des pertes réalisées pendant cette période; les investisseurs québécois se sont donc montrés peu intéressés à y investir des fonds. Toutefois, après plusieurs années et quelques transactions infructueuses, nous avons réussi à obtenir la participation québécoise recherchée, ce qui fait qu'actuellement, cette participation est de 51% du capital social, tandis que la direction de Flammarion est entièrement assurée par les Québécois. Comme les informations financières que nous avons citées plus haut l'indiquent, Flammarion a investi des sommes d'argent très importantes au Québec afin d'y accroître ses inventaires et ses actifs, mais ses fonds ont également permis d'améliorer la présentation et la diffusion des livres et de développer le secteur de l'édition, du moins nous le pensons.

Dans le domaine des ventes aux institutions subventionnées, qui est le domaine principal que nous souhaitons toucher ici, Flammarion n'a pas craint d'investir en personnel, en recherche et en équipement pour atteindre un seuil de service acceptable. Les intervenants qui m'ont précédé ont pu insister — sans citer de nom, je ne sais pas s'ils nous visaient, — sur la nécessité technique de s'équiper pour servir ces collectivités.

L'innovation et l'expérience que nous avons développées sont des atouts précieux dans un domaine très difficile à exploiter. Les libraires qui se sont intéressés à ce secteur sont unanimes, les livres sont fréquemment commandés à l'unité et souvent très difficiles à trouver; les bibliothèques sont pressées, cela paraît légitime; les enseignants du niveau élémentaire exigent de voir et d'analyser les livres qu'ils font commander, il faut donc les tenir à leur disposition; les marges bénéficiaires sont faibles, cela a été relevé par tout le monde et les barèmes de prix trop rigides, surtout quand le dollar fluctue comme il l'a fait l'année dernière.

Enfin, les institutions sont lentes à régler leurs comptes. Là aussi, je pense que c'est l'unanimité des libraires. Confrontées à ces difficultés, de nombreuses librairies régionales qui auraient dû être favorisées par la première loi de l'agrément n'ont pu faire face aux obligations de service et ont été contraintes d'abandonner ce secteur. Parallèlement, les collectivités qui voulurent respecter la réglementation se tournèrent vers les grandes librairies, les seules bien équipées en personnel qualifié et en financement pouvant répondre à leurs demandes.

En regard de cette situation et pour répondre à Ces impératifs, Flammarion a décidé d'ouvrir à Paris un bureau de correspondance pour faciliter la liaison avec certains éditeurs éloignés, puis nous nous sommes équipés d'un télex pour rejoindre rapidement les marchés extérieurs et nous avons acquis un ordinateur et fait développer une programmation spécifique qui intègre les procédures définies par la loi, notamment les règlements assez compliqués auxquels nous devons nous soumettre.

Après avoir également mis sur pied un système de livraison privé, Flammarion a ouvert il y a un an, la première librairie québécoise spécialisée dans le livre pour la jeunesse. Cette librairie propose aux éducateurs un outil de référence unique, pensons-nous, puisque chacun des 20 000 ouvrages est présenté avec l'appréciation correspondante de la Centrale des bibliothèques du Québec, quand celle-ci est disponible, ainsi qu'avec les codes et fiches de classement nécessaires au cataloguage.

Il a été remarqué par de nombreux professionnels des bibliothèques que cette initiative remarquable permet d'avoir accès à l'ensemble du fond québécois pour la jeunesse disponible sur le marché.

Dans le domaine de la vente au détail, Flammarion s'est acquis, au fil des années, une réputation de librairie de fond, c'est-à-dire qu'elle a toujours offert un grand choix de livres en sélec- tionnant des oeuvres importantes, sans hésiter à maintenir un inventaire de livres difficiles à trouver, souvent à faible rotation, et qui alourdit donc le risque financier de l'entreprise.

Ce choix d'une politique commerciale audacieuse a permis de mettre à la disposition de la population québécoise un nombre sans cesse croissant d'ouvrages littéraires de grande qualité.

En 1977, Flammarion s'est portée acquéreur des librairies du Scorpion, celles-ci connaissaient alors de sérieuses difficultés financières ayant pour effet de les mener à la faillite. A un moment où, ni le gouvernement du Québec, approché par l'ancien propriétaire, qui avait à sa disposition une loi qui lui permettait d'intervenir, celle des prêts garantis, ni les actionnaires, ni les créanciers principaux de ces librairies étaient prêts à investir les fonds nécessaires à la remise sur pied de l'entreprise. Flammarion a proposé de l'acquérir à un prix satisfaisant pour les créanciers. Elle a évité ainsi la faillite d'une entreprise québécoise importante et les conséquences que celle-ci aurait entraîné sur le personnel, les créanciers et, d'une manière générale, sur la diffusion des livres au Québec. Seule cette intervention a permis d'assurer la survie de ces librairies.

Je passe assez rapidement sur le domaine de l'édition, où nous sommes intervenus également, mais où l'intervention a été faite par la maison d'édition et non pas par la librairie.

Depuis près de dix ans, Flammarion, tout en consolidant son propre nom, a participé au développement de la lecture en général, en consacrant des sommes importantes à des campagnes publicitaires qui ont permis au grand public de se familiariser avec le livre et d'accéder plus facilement aux librairies. Ainsi, pour la première fois, un éditeur francophone faisait réaliser des films publicitaires pour la télévision. De telles campagnes étaient encouragées, l'an passé et encore il y a quelques instants à cette table, par le ministre des Affaires culturelles, qui souhaitait que chaque éditeur ou libraire du Québec participe ainsi à l'effort collectif de développement de la lecture.

Ces quelques exemples de la participation d'étrangers à la promotion et au développement du livre écrit en français et à la création littéraire au Québec devraient vous inciter à ne pas mettre une nouvelle fois en question leur participation aux bénéfices. L'absence d'une telle participation diminuerait de manière importante les ressources financières appliquées au développement du livre, ceci ayant pour conséquence une diminution de l'offre et la nécessité, pour l'Etat québécois, d'assister monétairement les éditeurs et les distributeurs.

Je veux insister rapidement aussi, outre le développement du livre proprement dit, sur quelques actions de type culturel que nous avons eu à coeur d'entreprendre. Pour faciliter cette intégration culturelle, Flammarion a depuis quatre ans pris l'initiative d'organiser, conjointement avec la Place des Arts de Montréal, et de financer entièrement une suite annuelle d'expositions d'oeuvres québécoises ouvertes au grand public. La somme

de $80 000 a déjà été versée au titre de cette commandite.

Tout en favorisant la promotion de ces oeuvres et de leurs auteurs, ce projet a permis à notre entreprise de rencontrer les artistes québécois et de discuter avec eux la possibilité de mettre de l'avant des projets communs. Cette année, la Place des Arts nous a demandé une nouvelle fois notre participation et nous y avons souscrit.

Enfin, c'est dans la poursuite de ce désir d'intégration que Flammarion a installé récemment ses bureaux dans un immeuble classé monument historique. Ainsi, notre entreprise répond donc encore aux préoccupations exprimées par le ministre des Affaires culturelles et participe directement à la protection et à la conservation du patrimoine culturel québécois dans un arrondissement historique que les autorités tentent de réanimer.

Cette description de l'évolution et de l'attitude adoptée par Flammarion n'a pas pour objet la promotion de cette entreprise. Nous visons plutôt à démontrer que certains investisseurs étrangers dans le domaine du livre ont contribué à l'évolution qui est constatée dans ce secteur d'activités.

L'image habituellement propagée par la presse et par certains professionnels du livre n'a jamais rendu justice à cette attitude loyale dont nous ne craignons pas de nous prévaloir aujourd'hui. Nous pensons aussi que ces investisseurs ont le désir de faire participer la population québécoise au développement et à la progression de cette industrie.

Considérant cet état de fait, il est étonnant que le législateur exprime l'intention de restreindre une partie importante du marché à des libraires qui sont exclusivement québécois. Faut-il en déduire que celui-ci considère que cette coopération avec des professionnels du livre ou des financiers étrangers et l'effort d'intégration dont ils ont fait preuve sont préjudiciables à l'industrie du livre au Québec? Est-il possible de relever les signes d'une quelconque exploitation étrangère dans ces activités commerciales et culturelles?

Le projet de loi 51 crée un système d'agrément. En vertu de l'article 15 de ce projet, une personne morale est admissible à l'agrément si toutes les actions de son capital sont la propriété de citoyens canadiens, domiciliés au Québec, et si tous ses administrateurs et dirigeants sont citoyens canadiens, domiciliés au Québec. En outre, le ministre doit être d'avis que cette corporation n'est pas l'objet d'un contrôle direct ou indirect de la part de personnes non admissibles à l'agrément.

En ce qui concerne notre entreprise, cette disposition législative équivaut à une expropriation et lui cause des dommages considérables. En effet, à moins que la société française qui détient présentement une partie importante du capital-actions de Flammarion ne réussisse à aliéner les actions et ce, en faveur de citoyens canadiens résidant au Québec, il sera impossible de qualifier l'une ou l'autre de nos librairies comme librairie agréée.

D'une part, étant donné le faible taux de rentabilité de notre entreprise depuis sa création, et en particulier au cours des dernières années, il nous paraît impossible que des actions détenues par une société française puissent être vendues à un prix raisonnable. Dans ce cas, une vente forcée, dans ces conditions, entraînerait une perte importante pour les investisseurs français, mais aussi une dépréciation substantielle de la valeur des actions qui sont détenues par des Québécois.

D'autre part, notre entreprise a, comme nous l'avons indiqué précédemment, engagé d'importantes dépenses pour tenter de rentabiliser la vente de livres aux collectivités, dont, entre autres, l'achat d'un équipement informatique. Priver nos librairies de la possibilité de vendre aux institutions subventionnées nous causerait par conséquent un tort financier majeur et injustifié, mais doit aussi être perçu comme une incitation aux libraires du Québec à ne pas tenter d'améliorer leur gestion. En effet, tout effort d'amélioration paraît voué à l'échec puisque les règles économiques qui nous régissent sont sans cesse modifiées.

Que l'on considère qu'une participation québécoise est essentielle au sain développement de l'industrie du livre au Québec, Flammarion en est consciente et elle l'a démontré à plusieurs reprises. En revanche, que l'on exige que cette participation soit de 100%, cela nous paraît exagéré et inexplicable. Nous ne croyons pas qu'il puisse y avoir un rapport direct entre l'éviction des investisseurs étrangers du marché du livre et la protection de la culture québécoise.

Si l'objet de cette loi vise la protection du livre québécois, nous estimons que les moyens proposés pour atteindre cette fin sont inadéquats et injustifiés. Il semblerait plus efficace d'imposer seulement aux librairies d'offrir au public un minimum de livres québécois ou de subventionner davantage le livre québécois pour en faire diminuer le prix. Si, au contraire, l'objet de cette loi est d'exproprier arbitrairement une entreprise qui a tant contribué au développement de la lecture au Québec, nous pensons que le gouvernement devrait prévoir des compensations, comme il est normal de le faire face à une expropriation.

Je voudrais très rapidement pour conclure parler du moratoire. Le ministère des Affaires culturelles rassurait les investisseurs étrangers dans un communiqué de presse en précisant qu'un moratoire de deux ans serait décrété quant à l'application des dispositions législatives. Toutefois, ce moratoire n'existe plus dans le projet de loi lui-même et nous avons constaté aussi qu'un avant-projet de règlement, le numéro 3, je crois, concernant les librairies, reprenait cette intention, mais c'est un avant-projet. Nous considérons que, dans le cas d'une entreprise importante, un délai de deux ans n'est pas suffisant pour modifier à la fois la structure de capital et l'administration de l'entreprise. (23 h 15)

Dans ces circonstances, pour éviter une injustice grave, il faudrait permettre à Flammarion

d'amortir le coût des équipements et des investissements que nous venons de faire, de manière à en récupérer au moins une partie. En conséquence, à défaut de retirer ces dispositions complètement du projet de loi no 51, nous suggérons que la durée du moratoire soit portée de deux ans à cinq ans en ce qui concerne les dispositions qui exigent le retrait complet des investisseurs étrangers.

Je vous remercie de votre attention, et j'espère que ces quelques commentaires pourront être pris en considération.

Le Président (M. Blank): M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, je pense que personne ne sera étonné si je souligne la qualité de ce mémoire, le caractère pondéré avec lequel on pose des problèmes très concrets pour une entreprise. Je pense que fort habilement et fort justement, les auteurs de ce mémoire rappellent le cheminement de Flammarion au Québec. Comme ministre des Affaires culturelles, je ne veux pas passer sous silence la contribution de Flammarion à des expositions d'oeuvres québécoises à la Place des Arts, à cet effort d'animation auquel ils se sont inscrits, également vous le soulignez fort à propos — je n'avais pas eu le temps de lire votre mémoire qui nous est arrivé cet après-midi — et au moment où vous parliez de vos expositions à la Place des Arts, je commentais le cas de la Minerve à mes collaborateurs. Donc, c'est un geste qui ne m'avait absolument pas échappé. Je sais l'excellent travail de libraire que vous faites. Je suis tout à fait à l'aise pour le dire publiquement ce soir et le souligner.

Vous avez compris qu'il peut arriver que parfois, les enfants du voisin se comportent mieux que nos propres enfants, sauf qu'on a une responsabilité vis-à-vis de nos propres enfants. C'est celle-là que nous espérons pouvoir assumer, nous espérons pouvoir favoriser le développement d'entreprises d'ici, mais sans causer de préjudice autant que possible à celles qui depuis des années, comme la vôtre, ont rendu un rôle extrêmement important au Québec, et qui peuvent continuer à jouer un rôle majeur au Québec.

Nous avons d'ailleurs à l'esprit un certain nombre de projets pour lesquels vous pourriez être nos alliés. Contrairement à une impression qui s'est répandue à certains moments, les mesures que nous proposons ne visent pas à éloigner les entreprises étrangères et surtout pas les entreprises françaises et les investisseurs français. Nous pensons qu'il y a des marchés qui nous ont échappé — le "nous" est collectif pour des francophones — et que nous devons reconquérir ensemble. Il y a une dame tout à l'heure qui soulignait l'importance du livre anglais au Québec et dans nos institutions d'enseignement. C'est un problème pour nous. C'est un problème que nous pensons devoir relever avec des partenaires de même culture, de même langue. Nous avons à faire face, à cet égard, à des problèmes qui sont communs. Il ne s'agit pas non plus d'exclure le livre de langue anglaise ou de langue étrangère, mais nous devons nous assurer que nos jeunes peuvent étudier d'abord dans leur langue. Ce sont des considérations qui ont été souvent répétées, et je n'insiste pas. Il y a donc des offensives à mener ensemble, il y a des programmes gouvernementaux qui devraient éventuellement — il y aura des exceptions à cet égard — faire d'une maison comme la vôtre un partenaire pour certaines opérations. Par exemple, la loi ne touche pas aux manuels scolaires. Quand nous avons exclu le manuel scolaire de nos propositions, c'est en pensant à des maisons comme la vôtre et en pensant, entre autres, à des maisons comme Gallimard et particulièrement Hachette, que nous avons jugé qu'un compromis était nécessaire. C'est de façon très délibérée, très calculée que nous avons détaché le manuel scolaire. C'est pour que nos partenaires français puissent continuer à pouvoir faire des affaires importantes, utiles et profitables aux Québécois. Il s'agissait donc d'essayer d'équilibrer les choses parce qu'il reste qu'à long terme, notre responsabilité est de développer des entreprises à partir de nos investisseurs, à partir de nos cadres, à partir de notre personnel, et en complémentarité avec les autres. Nous avons donc réfléchi sur un certain nombre de mesures, outre le moratoire, qui devraient permettre des ajustements.

Si vous me permettez, M. Sivry, je vous inviterais ce soir à nous rencontrer pour évaluer ces ajustements. Plusieurs s'offrent à nous. Je peux ce soir vour assurer que le ton de votre mémoire appelle chez nous beaucoup de respect. Le travail que vous avez fait au Québec et que vous devez continuer à faire au Québec nous suggère d'étudier avec vous un certain nombre de modalités.

Je vous dirai quand même qu'à certains moments, votre mémoire, à mon avis, exagère peut-être un petit peu. Je prendrai comme exemple la page 11 où vous dites: "Priver nos librairies de la possibilité de vendre aux institutions subventionnées nous causerait, par conséquent, un tort financier majeur et injustifié, mais doit aussi être perçu comme une incitation aux libraires du Québec à ne pas tenter d'améliorer leur gestion".

J'espère que vous ne croyez pas que c'est, si vous voulez, ce genre d'exemples que nous voulons donner, bien au contraire. En effet, tout effort d'amélioration paraît voué à l'échec puisque les règles économiques qui nous régissent sont sans cesse modifiées.

Je ne pense pas qu'on puisse dire que nous avons abusé en ces matières. On faisait allusion tout à l'heure aux mémoires qui sont venus dans ce ministère, des mémoires à n'en plus finir et, les uns après les autres, les gens qui sont passés à ce ministère ont appelé de nouveaux mémoires. Je ne sais pas, d'ailleurs, combien de pièces ça peut prendre, mais je sais qu'il n'y a pas eu beaucoup de sujets, au Québec, qui ont provoqué autant de mémoires, autant d'études, et. finalement, c'est une façon de fuir le problème. En arrivant dans ce ministère, on commandait une étude, on appelait

de nouveaux mémoires pour s'assurer de faire le tour... Je me souviens d'un sous-ministre qui avait même inscrit... Il avait pris du papier d'imprimerie sur un immense rouleau et il ajoutait les recommandations les unes après les autres. Il n'avait pas encore fini de remplir son rouleau qu'il n'était plus sous-ministre aux Affaires culturelles.

Ecoutez, à ce moment-ci, on est allé chercher ce qui nous paraissait être un consensus. On a décidé de s'orienter vers l'action. On a essayé de le faire en tenant compte de la réalité. Des choses ont pu nous échapper. Des solutions restent à trouver dans des cas concrets comme celui que vous nous proposez. Je vous invite à rencontrer nos fonctionnaires. Je vous le dis, à titre d'indication, parce que le problème se pose pour un autre réseau de librairies et nous sommes également très attentifs aux problèmes que ça pose, nous cherchons à évaluer l'impact de ce marché institutionnel, parce qu'il faut faire attention. On est quand même un peu au courant. Il ne suffit pas de nous identifier un marché institutionnel pour qu'on pense que c'est tout le marché qu'on vous enlève, parce que, pour certaines librairies qui sont concernées, le marché institutionnel, c'est d'abord le manuel scolaire. Dans d'autres cas, ce sera d'abord le livre de bibliothèque.

Il y a aussi le fait que des gens, qui étaient déjà là, ont accaparé ce marché et, finalement, ont empêché les entreprises québécoises d'y avoir accès et ont monopolisé le marché institutionnel. Ce sont toutes des choses dont on veut faire l'ajustement.

Parmi les mesures qui sont possibles à nos yeux, il y a une espèce de division qui pourrait être faite à l'intérieur de certains réseaux à propriété mixte. Je ne pense pas que l'existence de tout un réseau devrait être mise en question, parce qu'il y a des économies d'échelle à réaliser et on souhaiterait bien que ces réseaux, comme le vôtre, puissent continuer d'être extrêmement présents et agressifs dans la vente au détail, à Montréal en particulier. Vous êtes nos alliés pour contenir une certaine offensive qui est de bonne guerre jusqu'à un certain point, mais il ne faut quand même pas que ça nous déborde et faire en sorte que, dans certains centres commerciaux de Montréal, par exemple, il n'y ait plus moyen d'acheter de livres français, comme ça s'est produit à certains endroits de très grande circulation. Les aéroports, par exemple, ne nous gâtent pas de ce côté.

Vous êtes, à cet égard, des alliés, et nous nous disons qu'un réseau, qui a un peu de force, est susceptible de nous aider à maintenir le livre francophone présent dans ces lieux. Le livre francophone étant, en ce qui nous concerne au Québec, autant d'origine française, belge, suisse que québécoise. On a dit aujourd'hui que le livre québécois avait peu de succès en Europe, mais vos librairies vendent bien le livre québécois au Québec. Cela, nous le savons.

Donc, nous pensons qu'une formule qui peut être étudiée, c'est, dans le réseau, le détachement d'un noyau possible ou d'une librairie possible. Puisque toutes vos librairies sont concentrées dans Montréal, il pourrait arriver, en fait, qu'une librairie de votre réseau se détache, devienne à propriété québécoise et serve le marché des bibliothèques, de façon excellente, et nous pensons que cette librairie pourrait garder des liens d'affaires avec un Flammarion-France. C'est d'ailleurs ce que je prévois pour des librairies québécoises. Nous ne proposons pas aux libraires québécois de s'isoler, de faire des affaires seules, de ne plus traiter avec les autres. Nous pensons que nos libraires québécois, comme nos distributeurs et nos éditeurs, doivent chercher l'association. M. Tisseyre a donné des exemples concrets où l'association, la coédition, donnent des résultats préférables à une tentative de pénétration de l'éditeur québécois en France. On peut prévoir aussi des mécanismes d'association, ce qui est bien différent de la copropriété.

Si vous me permettez, je termine là-dessus. Vous savez, le genre de solution que nous vous invitons à étudier avec nos fonctionnaires — je suis, d'ailleurs, moi-même, à votre disposition pour l'étudier — il ne s'agit pas de jouer à l'hypocrisie. Il ne s'agit pas d'avoir des façades québécoises et de tricher par en arrière. Ce n'est pas ce que vous nous proposez. Vous nous posez très franchement votre problème.

Je pense que, engagé comme cela, un échange et des discussions pourraient nous amener à des solutions qui satisferaient aux exigences de notre projet de loi et qui vous permettraient de continuer un développement intéressant.

M. Rivest: ... pour commenter les remarques du ministre. Dans la dernière partie de son intervention, il invoque le fait qu'une librairie particulière pourrait se détacher pour obtenir l'agrément et entretenir des relations d'affaires avec Flammarion-France. Je pense que c'est possible, bien sûr, et je suis content que le ministre ait apporté cette précision, sauf que peut-être que des gens ont le même problème que notre invité et craignent l'interprétation qui sera donnée au paragraphe c) de l'article 15, lorsque, de l'avis du ministre, il n'est pas l'objet d'un contrôle. Je comprends que ce n'est peut-être pas au niveau des termes, mais, pour que cela puisse se faire, il faudrait que le ministre soit beaucoup plus explicite sur ce qu'il entend exactement par le paragraphe 15c, parce qu'à ce moment-là une librairie qui serait détachée d'une maison comme Flammarion, avant d'entretenir des relations d'affaires avec, admettons, la maison Flammarion-France, devra être très prudente parce qu'elle va être assujettie à une espèce de menace. Quelle est la nature des transactions qui seront permises et jusqu'à quel point cela pourra-t-il être interprété, de l'avis du ministre, comme étant un contrôle? Je pense que le ministre comprend l'intervention.

Si monsieur veut commenter les remarques du ministre d'une façon générale, j'aurai quelques remarques à faire, par la suite, brièvement.

M. Sivry: Je tiens d'abord à remercier en même temps M. le ministre et M. le député de Jean-Talon de se faire si bien nos avocats. Je dis

cela sans aucune ironie. Je remercie M. le ministre de son invitation qui me laisse quasiment sans voix et j'apprécie son jugement de notre entreprise.

Vous avez dit que vous n'aviez nullement l'intention de nous éloigner, je le conçois au travers de vos déclarations; toutefois, vous avez l'intention de restreindre nos activités. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte que l'économie d'une entreprise est fondée sur un équilibre de ses activités et que la loi précédente nous confortait, en somme, dans notre ambition de développer certains domaines d'activités dans lesquels, comme je l'ai dit, nous avons investi beaucoup. On pourra revenir sur la page 11, parce que, pour moi, elle est relativement importante et la gestion est assez importante, elle est même fondamentale quand on parle de ces services aux collectivités.

Il est évident que nous avons engagé des investissements importants au regard d'une première loi et un changement des règles du jeu, en quelque sorte, quatre ans plus tard, peut troubler considérablement, quelle que soit l'importance de Flammarion, nos activités. Bien entendu, je prends acte de ces possibilités de solutions. J'ai l'intention de suivre cela de très près, et je vous remercie encore une fois.

En ce qui concerne la liberté sur le manuel scolaire, c'est quelque chose qui ne nous a pas échappé, mais je pense que la loi va probablement être interprétée par les collectivités plutôt comme une liberté de s'approvisionner chez l'éditeur. On a vu que ce sera certainement l'interprétation qui sera donnée. Je ne vois pas trop quels seront nos atouts pour maintenir un service acceptable à ce niveau, d'autant qu'on le sait, les marges sont particulièrement faibles et particulièrement limitées dans ce secteur.

Je pense que, pour l'instant, c'est à peu près tout.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. le Président, je veux simplement, brièvement, prendre à mon compte les remarques du ministre sur la tenue du mémoire et peut-être indiquer quelques points sur lesquels j'aurais quelques petites questions, sans trop allonger les débats. Bien sûr, en partie, sur le plan de la qualité des services, les gens des bibliothèques publiques ont signalé combien ça pouvait être important de maintenir des institutions comme la vôtre, sans référer spécifiquement à la vôtre, sur le plan de l'accessibilité à des services de qualité. Cet aspect, je pense que vous l'avez très bien indiqué. (23 h 30)

A la page 7, c'est une remarque qui me vient à l'esprit à la suite un peu de la journée. Au bas de la page 7, "ces quelques exemples de la participation d'étrangers à la promotion et au développement du livre écrit en français et à la création littéraire au Québec devraient vous inciter à ne pas mettre une nouvelle fois en question leur participation aux bénéfices". Ce qui est probablement légitime... "L'absence d'une telle participation diminuerait de manière importante les ressources financières appliquées au développement du livre". Je pense que ça peut être un fait, au moins pour une certaine période, mais, éventuellement, dans la progression normale de nos travaux, j'aimerais bien que le ministre nous fournisse des données quand même plus précises sur l'impact réel de sa disposition du 100%. A ce moment-là, je parle de compensation pour l'ensemble du milieu du livre québécois, mais compensation pour la collectivité. Parce que si on diminue — sans faire disparaître — d'une façon significative les activités de certaines entreprises qui existent, elles rendent des services en ce moment à la population et sur le plan de la collectivité, il faudra bien s'assurer que par les mesures de soutien aux entreprises qui seraient québécoises à 100%, qu'on puisse leur permettre de combler le vide, si telle devait être la décision ultime que l'Assemblée nationale prendrait et je voudrais avoir, à ce titre-là, des données concrètes, parce qu'on parle de tout ça.

Deuxièmement, je voudrais également — et cela s'adresse aussi au ministre — qu'on ait des données précises. Le ministre s'est référé tantôt, dans ses propos, à des études de conditions réelles du marché. Quelles sont les entreprises québécoises? Quel est leur volume d'affaires par rapport à cette concurrence? On a beaucoup parlé de ça aujourd'hui, mais autant je suis convaincu que des éditeurs ou enfin des libraires québécois qui sont favorables, a priori certainement, à ce que ce soit le 100%, vont probablement venir nous dire ça demain, mais, je voudrais bien que nous, parlementaires, puissions avoir des chiffres réels. Est-ce que la concurrence des étrangers ou la présence des étrangers est excessive en regard du développement des entreprises proprement québécoises? Si oui, j'imagine que c'est difficile d'avoir des chiffres, mais, au moins, qu'on ait une idée... Tout le monde va affirmer, comme monsieur nous dit: Nous, on ne nuit pas trop, et probablement que le libraire québécois va dire: Ah oui! ils nuisent beaucoup à l'expression d'une présence québécoise. Il est bien sûr que normalement, dans ce milieu du livre, les Québécois doivent avoir la première place. Ce sont eux qui sont d'ici et c'est une ambition légitime.

Tout ça finalement, pour porter un jugement. Je ne sais pas si au ministère c'est à ce genre de données auxquelles se référait le ministre dans ses commentaires, à la suite de la présentation de votre mémoire, mais j'aimerais bien savoir, en chiffres ou en termes d'ordre de grandeur, un peu de quoi on parle. Sans ça, on va aller d'une opinion à l'autre, mais sans pouvoir la vérifier et l'apprécier.

J'ai également quelques autre points. Un point technique — je ne suis pas spécialiste de l'administration, mais — à la page 11, au haut de la page, ... "dans ce cas une vente forcée dans ces conditions entraînerait une perte importante pour les investisseurs français, mais, aussi, une dépré-

ciation substantielle de la valeur des actions, qui, depuis cinq ans, sont détenues par des Québécois".

Sur votre expression, cela équivaut à une expropriation. Je ne le prends pas au sens strict ou même brutal, mais je m'intéresse à cet aspect-là parce que je conçois volontiers que vous puissiez subir une perte au cas de vente, compte tenu de la situation précise que vous apportez de votre entreprise. Là-dessus, sur le plan de l'équité, dans les procédures voulant qu'on doive finalement adopter les dispositions du projet de loi, je pense que cette affirmation est vraie. Enfin, je ne suis pas un spécialiste en finance ou en administration corporative, mais, tout de même, ça me semble...

Est-ce que vous avez une idée ou est-ce que vous pourriez expliciter cet élément-là?

M. Sivry: Certainement. La clientèle acquise par notre entreprise, par son nom et son expérience, encore une fois, est importante et a une valeur en tant qu'achalandage en quelque sorte. Et si cet achalandage disparaît des possibilités ultérieures de développement, ça affecte la valeur de l'entreprise.

M. le ministre a souri au terme d'expropriation, je comprends un peu son intention. Nos activités dépassent largement le cadre des simples collectivités, donc, cette expropriation sera évidemment limitée à cette activité-là et donc, pourrait être considérée comme mineure. Elle ne l'est pas pour nous.

Cette expropriation serait réelle, elle affecterait une partie de notre entreprise, à moins que nous puissions avoir la possibilité, comme il semble que cela soit éventuellement possible, de négocier cet achalandage, c'est-à-dire tout simplement peut-être d'en faire profiter.

M. Rivest: Ce que je veux souligner par cela, ce que le projet de loi et la réglementation viennent faire, c'est que ce n'est pas nécessairement juste et je pense que ça pourrait constituer une injustice pour un groupe comme le vôtre de dire: c'est facile, vous n'avez qu'à vendre à des intérêts québécois. Je pense qu'il pourrait y avoir une perte et dans le processus, si on arrive à ça, le gouvernement doit tenir compte de cette dimension. Encore là, je ne dis pas que c'est un procédé odieux, mais tout de même, il peut y avoir des pertes financières qui risquent d'être occasionnées dans le processus par des gens qui étaient de bonne foi et qui ont opéré simplement sur la mécanique.

Le ministre a parlé, j'avais aussi pris une note sur le deuxième paragraphe de l'article 11, vous l'avez vous-même souligné, à moins que vous ayez des commentaires additionnels à ajouter...

M. Sivry: Pas vraiment.

M. Rivest: Vous avez raison de souligner... on va le demander au ministre, parce qu'on veut que la preuve soit faite, il y a déjà des commentaires qui nous sont parvenus, qui ne sont pas aussi directs, c'est que la culture québécoise est favorisée beaucoup par la qualité des services dans le do-maine du livre, l'accessibilité, tout ça, et que, une dis-parition dans des secteurs importants, par le biais de l'agrément, mais pas nécessairement, quand vous dites: "L'éviction des investisseurs étrangers du marché du livre n'a pas de rapport direct avec l'amélioration de la culture québécoise"... On doit demander, c'est un peu notre rôle — je m'excuse de terminer là-dessus — à la lumière de votre mémoire, c'est le genre de questions qu'on va essayer de poser au ministre et peut-être que d'autres interlocuteurs demain viendront nous établir ça, parlant d'autres points de vue que le vôtre, mais c'est le type de préoccupation qu'on voudrait avoir.

A la page 12, vous donnez d'autres moyens qui pourraient permettre au ministre d'aider les libraires, les gens qui sont dans le secteur du livre...

M. Sivry: Certains ont d'ailleurs...

M. Rivest: Oui, ce serait dans la politique...

M. Sivry: Certains ont d'ailleurs déjà été suggérés par M. Tisseyre avant moi cet après-midi. Nous les reprenons à notre compte et, agréés ou pas, bien entendu, ces critères minimaux seront appliqués dans nos propres librairies.

M. Rivest: Je termine là-dessus, je fais simplement une réflexion pour le ministre, évidemment, il s'agit de culture québécoise de livres. Mais il y a d'autres domaines culturels que le livre.

Le gouvernement a déjà des pratiques au niveau d'une politique d'achats pour favoriser les entreprises québécoises. J'ai ici une citation que je livre au ministre pour sa nuit. Je ne veux pas dire que c'est la même chose, parce qu'il y a une différence de nature entre le problème dont on traite... C'est quand même que le gouvernement du Québec s'est doté d'une politique d'achats pour favoriser les entreprises québécoises, ce n'est pas relié à la culture. Je ne sais pas si c'est exact, je le donne sous réserve. M. Gilles Lesage, journaliste au Soleil qui est assez rigoureux, cite le ministre d'Etat au développement économique: "ce qui est fabriqué ici nous intéresse, dit M. Landry, et non pas le nom de celui qui le fabrique ou sa nationalité, ou son origine ethnique. Tous les citoyens économiques québécois sont au même niveau, sans égard à la propriété."

Je ne veux pas tirer d'argument, j'ai pris toutes les précautions de style qui, dans mon esprit, n'étaient pas des précautions de style, mais je voudrais bien que le ministre s'assure de la cohérence. Je termine là-dessus. On l'a souligné, je pense que le ministre est ouvert à ça, parce qu'il me semble pour l'instant, quitte à ce qu'on réserve, après avoir entendu d'autres interlocuteurs, que ce problème, dans le projet de loi du ministre et dans les règlements, est peut-être trop lié aux critères de propriété. Il y aura peut-être

d'autres critères à développer pour atteindre les mêmes objectifs d'aide.

Je ne veux pas tirer un argument absolument décisif des commentaires de son collègue, le ministre d'Etat aux affaires économiques, qui traitait d'ailleurs d'autre chose que la culture. Je ne suis pas en mesure de l'établir, parce qu'il est question du livre, mais après ça, si on appliquait la même philosophie dans d'autres secteurs culturels, je ne sais pas dans quelle mesure le ministre serait prêt à se lancer dans une approche comme celle que propose le projet de loi no 51.

Ce sont les réflexions que m'a inspirées votre mémoire et encore une fois j'ai bien apprécié la façon dont votre mémoire a été présenté. Vous n'avez pas parlé des autres éléments, la discrétion ministérielle, etc., parce que d'autres intervenants en ont parlé, mais c'est au même effet.

M. Sivry: Oui, absolument, toutefois, si M. le Président l'autorisait, je souhaiterais que le mémoire soit, dans son entier, versé au journal des Débats.

Le Président (M. Blank): Oui, ce sera fait.

M. Vaugeois: M. le Président, je pourrais toujours relever la dernière réflexion de M. le député de Jean-Talon, mais je suis assez d'accord avec ça, évidemment. Je pense que nous pourrions souhaiter d'ailleurs, on aurait pu le souhaiter, mais là on déplacerait un peu la discussion, on a raté plusieurs occasions, dans le domaine du livre, de faire travailler des Québécois.

A ce moment-ci, il y a des opérations à faire. Etant donné le niveau des taux de change, il y a des opérations auxquelles on songe, mais qu'on ne réalise pas. Il y a certainement des opérations de réédition qui pourraient devenir lucratives et, si ces livres réédités au Québec pouvaient être imprimés dans des imprimeries, au Québec, propriétés étrangères mais faisant travailler des Québécois, je ne verrais pas de problème non plus.

Le Président (M. Blank): Merci. La commission permanente des affaires culturelles ajourne ses travaux à demain matin, dix heures.

Fin de la séance à 23 h 42

ANNEXE I

Mémoire sur le projet de loi no 51

Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre

Présenté par le Conseil supérieur du livre à la Commission parlementaire

Août 1979

I Mandat du Conseil supérieur du livre

Chacun des membres actifs du CSL présentant son point de vue dans un mémoire séparé, le CSL ne fera des remarques et des suggestions que sur les parties du projet de loi qui ne concernent pas les éditeurs, les libraires ou les distributeurs en particulier. C'est pourquoi le CSL fera surtout des commentaires sur les notes explicatives, les dispositions générales et le Conseil consultatif de la lecture et du livre.

Il Innovations introduites par le projet de loi no 51

Enumérons les principales innovations introduites par ce projet de loi: — Nouvelles normes d'agrément pour les librairies; — Création d'une catégorie de maisons d'édition agréées; — Création d'une catégorie d'entreprises de distribution agréées; — Obligation faite au gouvernement de respecter lui aussi les règles qu'il impose aux organismes publics; — Obligation faite à tous les distributeurs de livres au Québec de se conformer au mode de calcul du prix de vente réglementaire; — Création d'un Conseil consultatif de la lecture et du livre; — Droit de visite et accès aux registres et pièces comptables dans tout établissement et lieu d'affaires soumis à la loi; — Imposition d'amendes aux contrevenants; — Les institutions universitaires échappent à la loi; — La vente du manuel scolaire n'est plus exclusivement réservée aux librairies agréées.

III Le Conseil supérieur du livre

Depuis sa fondation en 1961, le CSL qui regroupe l'ALQ, l'AEC.l'AQPU et la SEMSQ a réclamé, auprès des pouvoirs publics, des mesures visant à protéger et aider les artisans du livre québécois et à favoriser la diffusion du livre en langue française au Québec.

Rappelons brièvement les étapes importantes dans le domaine du livre au Québec depuis la création du MAC. 1960: Création du ministère des Affaires culturelles 1963: Commission d'enquête sur le commerce du livre (Bouchard) 1964: Loi de l'assurance-édition 1965: Loi de l'accréditation des libraires

Création du Comité consultatif du livre 1969: Début de l'Affaire Hachette et livre blanc du CSL 1971: Annonce d'une nouvelle politique du livre 1972: Arrêté en Conseil concernant l'aide à l'édition et à la diffusion du livre 1973: Loi de l'agrément des libraires 1975: Loi et règlement concernant la garantie de certains prêts aux éditeurs et libraires 1976: Livre vert: "Pour l'évolution de la politique culturelle"

Etude sur le commerce du livre au Québec 1977: Mémoire du Comité consultatif du livre sur une politique du livre et de la lecture au Québec 1978: Livre blanc: "La politique québécoise du développement culturel" et Conférence sur les industries culturelles 1979: Création de la Société québécoise de développement des industries culturelles et Projet de

Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre

Au cours de ces années le CSL par ses représentations auprès des pouvoirs publics (9 Ministres des Affaires culturelles en 17 ans, MEQ, MIC, Affaires intergouvernementales, ministère des Communications), par ses mémoires en réponse aux différents livres blancs ou verts (dont la verdeur changeait selon les auteurs) n'a jamais cessé de réclamer des mesures visant à protéger et aider les artisans du livre québécois et a poursuivi avec acharnement sa campagne en faveur de la propriété québécoise des entreprises d'édition et de librairie et contre l'invasion étrangère dans le secteur du livre au Québec.

On pourrait d'ailleurs reprendre point par point le "Mémoire sur la protection de la librairie et de l'édition québécoise" présenté au MAC il y a dix ans et constater que la plupart des problèmes se posent encore de nos jours avec la même acuité.

Le CSL tient donc à déplorer, une fois de plus, que le Gouvernement du Québec ne soit pas intervenu au moment opportun pour que des maisons d'édition et des librairies québécoises ne fassent appel à des intérêts étrangers, ni que les principaux réseaux de distribution ne soient des filiales de maisons étrangères. En faisant preuve de laxisme les gouvernements successifs ont permis aux maisons américaines et françaises de s'implanter et de s'approprier une part importante de l'édition, de la librairie et de la distribution au Québec. Et d'ailleurs, le projet de loi no 51 n'apporte aucun correctif à cette situation.

IV Les dispositions générales

Ceci étant dit, il est donc évident que le CSL ne peut qu'accueillir favorablement l'idée d'une "loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre" dans la mesure où cette loi entérinera certaines des idées émises par le CSL et où elle aura pour effet d'aider et de soutenir les artisans du livre québécois et de mettre le livre québécois et le livre en langue française à la portée de tous les Québécois tout en développant l'industrie du livre québécois.

Le CSL tient donc à reconnaître le bien fondé du premier article qui spécifie que le Gouvernement n'apportera son aide qu'à des entreprises qui sont entièrement québécoises alors qu'auparavant il suffisait qu'une maison soit à majorité québécoise pour pouvoir bénéficier d'une telle aide.

Le CSL est heureux de constater, à l'article 2, que le Gouvernement prend enfin les dispositions nécessaires pour s'obliger à respecter lui-même les mesures qu'il impose aux organismes publics.

Si le CSL est également favorable à l'idée de cette loi, c'est parce qu'il s'agit de la première tentative visant à couvrir les trois types de commerce dans le domaine du livre (édition, distribution, librairie), alors que les libraires étaient pratiquement les seuls à devoir se conformer à une réglementation jusqu'à présent.

Le CSL cependant s'interroge sur l'article 4 qui serait mis en vigueur à un moment où les habitudes de facturation changent en France et il se demande surtout s'il n'est pas totalement utopique d'essayer de trouver dans la pratique un système de tabelles suffisamment souple et ayant les effets voulus.

De plus, le CSL demande au Gouvernement de clarifier l'article 4, dans la mesure où II est adopté, afin de préciser qu'il ne s'applique pas aux livres publiés au Québec et concerne uniquement les livres importés.

Enfin, le CSL tient à faire remarquer que le Gouvernement ne possédant pas des données précises et à jour sur l'industrie et le commerce du livre ni sur les habitudes culturelles des Québécois (habitudes de lecture en particulier), il sera pratiquement impossible de déterminer les retombées de cette loi au cours des années à venir. Il est donc extrêmement urgent que le MAC, le MEQ, le MIC et le ministère des Communications se dotent des outils statistiques appropriés et fassent les études nécessaires pour être en mesure d'évaluer les effets de cette loi tous les deux ans.

V Le Conseil consultatif de la lecture et du livre

Dans une étude récente commandée par le CSL, reçue favorablement par le bureau et qui sera soumise à l'assemblée générale en septembre, on préconisait une plus grande autonomie des associations professionnelles de libraires et d'éditeurs, la mise sur pied d'une Société de défense et de développement du livre et du périodique québécois qui assurerait les relations interprofessionnelles et étudierait et défendrait les intérêts généraux des artisans du livre et du périodique québécois et en langue française et enfin la création d'un Conseil Supérieur du livre et de la lecture à l'image du Conseil Supérieur de l'éducation.

Si l'on examine le mandat, la composition, la structure, les moyens et les réalisations du Comité consultatif du livre on découvre facilement qu'il y a plusieurs vices de forme dont certains sont encore amplifiés dans le futur Conseil consultatif de la lecture et du livre.

Le CCL, formé de membres qui n'étaient pas les porte-parole officiels des associations ou des secteurs qu'ils représentaient, devait se limiter à donner son avis sur les questions que le Ministre voulait bien lui soumettre et sur l'agrément des librairies. Il ne disposait pas d'un secrétariat permanent ni d'aucun soutien matériel pour faire des études et des recherches et lorsque le Ministre ne lui demandait rien son rôle était purement d'ordre administratif puisqu'il se limitait à donner son avis sur l'agrément des librairies.

Si l'on applique à la lettre le mandat du nouveau CCLL défini à l'article 7, le Conseil peut cette fois-ci donner son avis et faire des suggestions de sa propre initiative mais son champ d'étude est limité à toute question relative à l'application de la loi et des règlements et ne recouvre plus tout problème relatif à la diffusion du livre dans la province. De plus, à l'article 17, il est déclaré que "Le Ministre doit, avant de décider d'une demande d'agrément, prendre l'avis du conseil".

Un bon point cependant en faveur du futur conseil c'est qu'il semble, d'après l'article 8, qu'on veuille enfin le doter d'un secrétariat permanent avec le personnel adéquat.

Le nombre de membres passe de 12 à 15 et les 4 observateurs qui existaient, réduits à 3, semblent devenir, d'après l'article 5, des membres de plein droit sauf le représentant du MIC qui disparait complètement à un moment donné où on insiste tant sur les industries culturelles!

On demande donc à 12 personnes qui sont en général choisies parmi les membres les plus actifs de leur profession d'accomplir une tâche qui est normalement dévolue à des fonctionnaires. Cette façon de procéder est proprement inadmissible d'autant plus que ces personnes pour pouvoir valablement remplir leur rôle auront accès à des renseignements confidentiels provenant parfois de leurs concurrents immédiats, ce qui entraîne des conflits d'intérêt. Notons aussi que l'agrément s'étendant aux éditeurs et aux distributeurs en plus des librairies, la tâche sera encore plus fastidieuse.

Le CSL rejette donc le mandat énoncé pour le CCLL et propose que l'application de la loi et des règlements soit régie par les fonctionnaires du MAC appartenant au Service du livre.

VI Le Conseil supérieur du livre et de la lecture

Dans l'étude commandée par le CSL, par contre, on demande la création d'un Conseil supérieur du livre et de la lecture à l'image du Conseil supérieur de l'éducation et qui défendrait les intérêts du livre et de la lecture en général.

C'est le lieutenant-gouverneur en conseil qui devrait nommer les membres acceptables aux yeux des associations ou des organisations les plus représentatives, après consultation avec celles-ci. Le sous-ministre des Affaires culturelles serait d'office membre adjoint du CSLL mais n'aurait pas droit de vote. Il transmet au Conseil, à des Comités et Commissions les renseignements disponibles que ceux-ci requièrent pour exécuter leur mandat.

Le CSLL doit donner son avis au ministre des Affaires culturelles sur les règlements que celui-ci entend faire adopter, et qu'il est tenu de soumettre auparavant au Conseil. Ces règlements concernant le livre, le périodique, la documentation et la lecture. Le CSLL doit donner son avis au Ministre sur toute question que celui-ci juge à propos de lui soumettre. Le CSLL doit transmettre au Ministre, qui le communique à l'Assemblée nationale, un rapport annuel sur les activités du Conseil ainsi que sur l'état et les besoins du livre, du périodique, de la documentation et de la lecture au Québec.

D'autre part, le CSLL peut solliciter des opinions, recevoir et entendre les requêtes et suggestions du public, il peut soumettre au Ministre des recommandations sur toute question à l'intérieur de son mandat et il peut effectuer les études et recherches nécessaires.

Il s'agirait donc d'un véritable Conseil supérieur capable de conseiller le gouvernement en matière de politiques du livre et de la lecture.

VII Remarques et paradoxes

Au cours d'une allocution prononcée en 1974, le ministre des Affaires culturelles de l'époque rappelait les grandes lignes de la politique du livre du gouvernement: 1) Développer la librairie locale et promouvoir la vente du livre québécois par sa présence obligatoire dans nos librairies. 2) Mettre un frein à l'intrusion des étrangers dans la vente du livre au Québec. 3) Ramener le prix du livre à un niveau juste et raisonnable.

Il nous semble, même s'il y a eu peu de réalisations concrètes, que la politique du gouvernement n'a pas variée depuis lors mais nous nous demandons si les mesures préconisées dans le projet de loi sont des outils efficaces pour atteindre les objectifs précités.

Le projet de loi repose sur plusieurs postulats dont la validité ne pourra peut-être jamais être vérifiée.

Faisons donc, avant de conclure sur le projet de loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, quelques remarques supplémentaires et soulignons quelques paradoxes. — L'aide gouvernementale ne sera fournie qu'aux entreprises entièrement québécoises mais on ne sait pas de quelle aide il s'agit; — Obligation est faite au gouvernement et aux organismes publics de s'approvisionner chez les libraires agréés mais cette obligation ne s'applique plus aux institutions universitaires; — Le marché du manuel scolaire est libéré en prenant pour acquis que les librairies agréées n'en souffriront pas; — En rendant libre le marché du manuel scolaire on espère faire faire des économies aux commissions scolaires; — En imposant des tabelles à ne pas dépasser on espère stabiliser le prix du livre importé; — Par le biais de l'agrément on devrait obtenir plus de données sur le marché du livre au Québec; — On espère que le nombre de librairies augmente, surtout dans les régions éloignées de Montréal; — La vente du livre québécois au détail devrait augmenter; — En rendant le livre plus accessible et moins cher on encourage la lecture; — Le libraire qui ne vend qu'au détail au public n'a pas besoin d'être agréé; — Tous les distributeurs, agréés ou pas, devront se conformer aux directives.

Nous voyons donc que l'agrément est facultatif et volontaire mais que certaines dispositions de la loi rejoignent tous les intéressés qu'ils le veuillent ou pas!

De plus, si les règlements sont trop stricts et sévères, beaucoup de libraires, d'éditeurs ou de distributeurs ne verront pas la nécessité d'être agréés si les inconvénients dépassent à leurs yeux les avantages qu'ils peuvent en retirer.

VIII L'administration et la réglementation de la loi

L'administration et la réglementation de la loi, prévues aux sections VI et VII du projet de loi, permettent au ministre et au gouvernement, si ces articles sont appliqués à la lettre, de faire pratiquement ce qu'ils veulent.

L'article 31, en particulier, est une forme d'incitation à la lecture qui n'était pas prévue puisqu'elle autorise des personnes désignées par le ministre à pénétrer, sans préavis, dans tout établissement soumis à la loi ou aux règlements et à examiner les livres... de comptes, les rapports et les registres. C'est une façon de procéder qui nous paraît assez cavalière.

Nous voulons croire que les personnes soumises à la loi voudront répondre aux demandes de renseignements formulées de la façon normale et habituelle dans ce cas sans qu'il soit nécessaire d'en arriver là.

L'article 37 est encore plus inquiétant à nos yeux car il constitue un chèque en blanc. Le gouvernement et le ministre (qui prend l'avis du conseil... mais sans obligation de sa part) s'autorisent à édicter tous les règlements voulus, à déterminer les exceptions et même à changer le sens habituellement donné aux mots.

Cette attitude nous paraît très aléatoire car porter un jugement de valeur sur le projet de loi en question sans connaître la totalité des règlements qui l'accompagneront est pratiquement impossible car ce sont eux en définitive qui permettront de juger de la valeur de la loi.

IX Conclusion

Reprenons donc en guise de conclusion une Lapalissade du dernier livre blanc: "On aurait tort de se cacher les énormes difficultés que comporte la mise en application de politiques culturelles ancrées dans la réalité".

Lorsqu'on examine l'esprit et la lettre du projet de loi no 51 on ne peut s'empêcher de penser à un essai de replâtrage d'une situation qu'on a laissé dégénérer depuis trop longtemps. Rien, malheureusement, dans ce projet de loi ne prouve à l'évidence que les mesures envisagées développeront les entreprises québécoises dans le domaine du livre, que le livre québécois sera mieux distribué, se vendra plus et que les Québécois liront plus.

C'est pourquoi le CSL, pour conclure, demande instamment que les règlements qui accompagnent la loi ne soient pas trop tatillons et n'outrepassent pas la loi. Il serait déplorable que le temps passé par le libraire, l'éditeur ou le distributeur agréés ou pas à remplir des formulaires et à répondre à des enquêteurs lui coûte plus cher que l'aide qu'il peut recevoir. Ce serait sûrement fausser l'esprit de la loi.

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