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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le mercredi 29 août 1979 - Vol. 21 N° 167

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Auditions concernant le projet de loi no 51 - Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre


Journal des débats

 

Projet de loi no 51 Présentation de mémoires

(Dix heures vingt minutes)

Le Président (M. Blank): A l'ordre, messieurs!

La commission des affaires culturelles commence ses travaux et recevra les mémoires sur le projet de loi no 51, Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre.

Les membres de la commission pour aujourd'hui sont: M. Alfred (Papineau), M. Brassard (Saint-Jean); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), remplacé par M. Fallu (Terrebonne); M. Godin (Mercier), M. Goldbloom (D'Arcy McGee), M. Guay (Taschereau); Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), remplacée par M. Rivest (Jean-Talon); M. Le Moignan (Gaspé), remplacé par M. Cordeau (Saint-Hyacinthe); M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Les intervenants sont: M. Beauséjour (Iberville), M. Bertrand (Vanier); M. Brochu (Richmond), remplacé par M. Le Moignan (Gaspé), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget); M. Morin (Sauvé), remplacé par M. Ouellette (Beauce-Nord); M. Samson (Rouyn-Noranda) et M. Saint-Germain (Jacques-Cartier).

On me dit que nous avons fait une petite erreur, hier, en nommant un rapporteur qui est déjà rapporteur d'une autre commission. Avec le consentement de cette commission, nous pouvons nommer le député de Terrebonne, M. Fallu, comme rapporteur de cette commission.

M. Rivest: M. le Président, je crois que le député de Papineau a déjà été désigné comme rapporteur.

Le Président (M. Blank): Oui, mais il semble qu'il ait été rapporteur aussi de la commission de la justice qui siégeait en même temps.

M. Rivest: Mais maintenant qu'elle ne siège plus, ne pourrait-on pas le renommer? Je trouve qu'il a très bien fait cela hier.

M. Fallu: Surtout en son absence.

Le Président (M. Blank): On ne peut pas revenir sur une décision de la commission. La commission a déjà décidé, c'est le député de Terrebonne. A l'ordre, messieurs!

M. Rivest: Je voulais simplement soulever une question de règlement.

Le Président (M. Blank): Ce matin et cet après-midi, nous avons neuf mémoires qui seront présentés dans l'ordre suivant: celui de la Librairie Dussault Ltée, présenté par M. André Dussault; celui du Conseil de la culture de la région de Québec, présenté par M. Philippe Sauvageau; ceux de Sélection du Reader's Digest "Canada"

Limitée et Périodiques Reader's Digest, par M. Roland Malo; de la Librairie Laliberté Inc., par M. Lucius Laliberté; de l'Association des éditeurs canadiens, par M. Yves Dubé; de l'Association canadienne de diffusion du livre Inc., par M. Claude Choquette; de l'Association des libraires du Québec, par Mme Louise R. Fortier. Le mémoire sur les activités au Québec de McGraw-Hill, Editeurs, son apport à la culture québécoise et à son économie, sera pour dépôt seulement. Cela veut dire que ce sera inscrit au journal des Débats, mais que nous n'aurons pas de présentation; la même chose pour le Syndicat national de l'édition, pour dépôt seulement, et transcription au journal des Débats, (voir annexe) Maintenant, M. Dussault.

M. Vaugeois: Est-ce que je pourrais, M. le Président, déposer deux documents ce matin?

Le Président (M. Blank): Oui.

M. Vaugeois: M. Dussault peut s'approcher. Le premier document que j'aimerais déposer est une lettre en date du 26 juin, signée du directeur du service de la commercialisation, M. Sasseville, et qui est adressée au président de l'ADELF.

M. Rivest: M. le Président, je n'ai pas d'objection de principe, mais je pense que le règlement ne permet pas de dépôt de document en commission parlementaire.

Le Président (M. Blank): Oui, c'est vrai, il n'y a pas de dépôt de document, mais on peut le distribuer pour l'information des membres.

M. Rivest: Je n'insiste pas, parce que je sais que le ministre est un très grand spécialiste de la procédure parlementaire.

M. Vaugeois: Mais je vous ai demandé la permission, M. le Président.

Le Président (M. Blank): Oui, mais pas pour déposer. On n'a pas le droit de donner la permission de déposer, mais on peut le faire imprimer et le passer aux membres.

M. Rivest: Mais étant donné l'intérêt des documents du ministre, je pense que nous allons le lui permettre.

M. Vaugeois: Je pense qu'effectivement les gens de l'Opposition sont mieux d'en connaître la teneur maintenant.

M. Rivest: Comment les gens? Les gens de l'Opposition! Vous dites cela sur un ton péjoratif!

M. Vaugeois: Puis-je en faire la lecture, M. le Président?

Le Président (M. Blank): Oui, M. le ministre.

M. Rivest: Est-ce la lettre de M. Bisaillon?

Le Président (M. Blank): A l'ordre, messieurs!

Une Voix: C'est intéressant!

M. Rivest: Vous devriez éditer le document de M. Bisaillon avec votre nouveau règlement.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaît! Le ministre des Affaires culturelles.

M. Rivest: Ce sera un best-seller.

Le Président (M. Blank): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Guay: Très bien, M. le Président, je vous invite, effectivement, à réclamer plus de discipline de la part du député de Jean-Talon.

Lecture de deux lettres

M. Vaugeois: M. Sasseville écrivait donc à M. Rhyman, président de l'ADELF, en date du 26 juin 1979: "Tel qu'il a été convenu lors de notre dernière conversation téléphonique, et en réponse à votre lettre à M. Denis Vaugeois, ministre des Affaires culturelles, je vous confirme que, suite à votre assemblée générale du 4 juillet, nous serons à votre entière disposition pour entamer une série de séances de consultation avec votre association pour discuter des tabelles qui seront pratiquées dans le cadre de la nouvelle législation sur le livre, ainsi que de tout autre sujet en découlant". "Veuillez accepter, M. le Président..."

Je me devais, je pense, de donner lecture tout au moins de cette lettre, puisque mes fonctionnaires, hier, ont été un peu pris à partie indirectement. C'est leur rendre justice que de faire état de cette correspondance.

La deuxième lettre est d'une autre nature. Je pense qu'elle intéressera tout le monde. Il s'agit d'une lettre du président de l'Union des écrivains québécois.

M. Rivest: M. le Président, à propos de la première lettre, je comprends que le ministre, à la suite de l'échange qu'il y avait... Mais tout de même, à la fin de l'échange, je pense que M. Rhyman avait convenu de l'existence de cette lettre et que l'imbroglio qui s'était produit au début de l'échange avec le ministre a été dissipé.

M. Vaugeois: En bonne partie. M. Rivest: Oui.

M. Vaugeois: Donc, c'est une lettre de Louis Caron, président de l'Union des écrivains. L'Union des écrivains — on l'aura sans doute remarqué — n'est pas inscrite parmi les groupes qui ont présenté des mémoires. La raison en est toute simple, et nous la comprenons mieux en lisant sa lettre du 24 août. "M. le ministre, nous n'avons pas donné suite à votre télégramme du 16 août 1979 nous invitant à déposer un mémoire à la commission parlementaire relative au projet de loi no 51 parce que nous sommes essentiellement d'accord avec les grandes lignes du projet de loi et les règlements s'y rapportant. Nous n'avons pas jugé opportun d'accaparer le temps des membres de la commission à ce sujet, mais nous avons tenu, malgré tout, à vous assurer notre appui. Nous avons été particulièrement sensibles aux articles 4, paragraphe f), et 13, paragraphe j), des règlements concernant l'agrément des maisons d'édition au Québec insistant sur les rapports de vente et versements de droits aux auteurs."

Je pense que cette lettre, en plus de nous donner un point de vue fort important, parce que sans les auteurs nous ne serions pas là, apporte une information utile pour un mémoire à venir aujourd'hui: en particulier celui de l'Association des éditeurs. Alors, je peux donc faire photocopier ces lettres et en distribuer des copies aux membres de la commission.

Le Président (M. Blank): Merci beaucoup. M. Dussault.

M. Dussault (André): M. le Président.

M. Le Moignan: Si vous me le permettez, M. Dussault, je voudrais simplement m'excuser auprès de nos invités parce que je dois quitter la réunion vers 11 heures pour assister à une réunion importante déjà cédulée depuis quelques mois. Je peux très bien être remplacé par M. Cordeau, le député de Saint-Hyacinthe.

Le Président (M. Blank): Merci. M. Dussault. Librairie Dussault Ltée

M. Dussault (André): M. le Président, mesdames et messieurs, le mémoire dont je vais vous donner lecture est présenté au nom de mon frère, Roger Dussault, et en mon nom. Mon frère, Roger Dussault est mon associé, avec la Librairie Hachette, dans la Librairie Dussault qui elle-même est propriétaire de 100% des actions de la Librairie Garneau. J'ai à côté de moi mon fils aîné, Michel, qui, depuis un an déjà, est dans nos affaires et qui un jour, je l'espère, pourra prendre la relève avec ses trois frères dont le second est également actif dans nos entreprises. Mais comme celui-là est au service du crédit, je n'ai pas osé l'amener aujourd'hui pour ne pas faire perdre une journée dans la perception des comptes.

M. le Président, en 1965, le ministre des Affaires culturelles de l'époque, M. Pierre Laporte, convaincu de la nécessité d'une intervention gouvernementale pour sauver le réseau des vraies librairies menacées dans leur existence par la concurrence des faux libraires (barbiers, garagis-

tes, que sais-je encore) qui, à l'occasion d'appels d'offres, décrochaient une partie non négligeable des commandes de livres des institutions, demanda à l'avocat Yves Pratte, à Clément Saint-Germain, du ministère des Affaires culturelles, et à moi-même, comme représentant de la profession du livre, de former un comité pour rédiger un projet de réglementation du commerce du livre. C'est au cours des réunions de ce comité que fut inventée la formule des librairies agréées. Je n'imaginais pas alors que cette formule pourrait devenir un jour la cause de la destruction de toute l'oeuvre que, dans le domaine de la librairie, mon frère et moi avons accomplie.

Permettez-moi de rappeler très brièvement ce que nous avons fait dans le domaine du livre durant cette période de 1940 à 1974. D'abord, en 1940, avec un confrère d'université, j'ai fondé les Editions Variétés qui ont publié plus de 400 ouvrages pour alimenter les librairies québécoises alors coupées de la France par la guerre. Nous avons en particulier publié les premières oeuvres d'écrivains québécois tels que Pierre Baillargeon, André Giroux, Andrée Maillet, Ringuet, Jean Simard, pour en nommer quelques-uns, et nous avons, en vertu d'une loi d'exception en temps de guerre, réimprimé un nombre important de grands auteurs français, classiques et modernes. (10 h 30)

Je ne veux en citer que quelques-uns pour montrer la variété de notre activité: François Mauriac, André Maurois, Roger Martin du Gard, Marcel Proust, Henry de Montherlant, etc., et, à côté de ces géants, des auteurs populaires comme Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Max du Veuzit et une pléiade d'ouvrages pour enfants dans des collections les plus diverses dont certaines étaient dirigées par Jean Simard et pas Guy Boulizon dont la réputation n'est pas à faire en ce milieu.

La guerre terminée, c'est vers la distribution du livre et la librairie que mon frère — qui est entré dans l'entreprise en 1951 — et moi nous sommes tournés puisque les éditeurs français recommençaient à expédier leurs livres au Québec.

Nous avons alors fondé la Librairie Dussault et, pendant 25 ans, nous avons créé des succursales partout où nous le pouvions, en particulier dans des villes comme Sherbrooke, Trois-Rivières et Hull où les librairies étaient pratiquement absentes, et nous avons, sans aide autre que les capitaux que notre famille nous confia, développé un réseau de librairies. Ce réseau s'est donné, dès le début, la double vocation de s'adresser non seulement au grand public, mais aussi aux institutions qui avaient beaucoup de mal à trouver au Québec les services dont elles avaient besoin.

Contrairement à ce que certains peuvent croire, notre travail durant ces 25 ans ne nous a pas permis de réaliser des bénéfices importants. Il nous a au mieux rapporté de quoi vivre. En 1974, nous avons eu une année catastrophique, subissant une perte considérable de l'ordre de $175 000. Nous nous sommes alors rendu compte que le poids des services que nous avions créés pour bien servir les institutions et principalement pour donner aux bibliothèques l'aide dont elle ont besoin était devenu si lourd qu'il fallait ou bien battre en retraite, c'est-à-dire fermer un nombre important de nos librairies et renvoyer du personnel qui nous avait pourtant, par goût et par idéal, manifesté une fidélité totale, ou bien chercher un associé qui nous apporterait un chiffre d'affaires additionnel suffisamment important pour rendre tolérable le poids de nos frais généraux.

C'est cette deuxième solution que mon frère et moi avons choisie et, dans les 18 mois qui suivirent, nous avons essayé de fusionner notre entreprise avec cinq groupes québécois successifs. Toutes ces tentatives aboutirent à un échec. C'est pourquoi lorsque, en 1977, la Librairie Hachette — qui détenait 50% du capital de la Librairie Garneau — prit contact avec nous, nous expliqua que la Librairie Garneau éprouvait, elle aussi, des difficultés de croissance et nous demanda si nous étions intéressés à fusionner les réseaux Dussault et Garneau, nous avons accepté spontanément d'entamer des négociations.

Je voudrais ici attirer l'attention de la commission parlementaire sur le fait que le présent mémoire porte uniquement sur les dispositions de l'article 15 du projet de lot 51 qui stipule que, pour qu'une corporation soit agréée comme librairie, toutes les actions de son capital-actions doivent être la propriété de citoyens canadiens domiciliés au Québec.

Ceci dit, je voudrais rappeler que j'ai toujours eu pleinement conscience des problèmes de l'édition et de la librairie québécoises et que j'ai fait partie du petit groupe de professionnels qui a fondé successivement l'Association des librairies du Québec, la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec et le Conseil supérieur du livre. J'ai, d'ailleurs, été, à plusieurs reprises, président et vice-président de deux de ces associations.

J'ai été aussi de ceux qui ont rédigé des mémoires pour les ministres des Affaires culturelles qui se sont succédé et, en particulier, pour le ministre François Cloutier. Ces mémoires ont été à l'origine des arrêtés en conseil adoptés en 1971 et en 1972 sous le régime desquels le monde du livre a vécu jusqu'à ce jour et que la loi 51 s'apprête à écarter définitivement.

Dans le domaine de la propriété, j'étais donc et j'ai toujours été favorable au contrôle effectif des Québécois dans des entreprises d'édition et de librairie à capital partiellement étranger, mais je n'ai jamais été favorable à la propriété québécoise à 100%. J'ai toujours cru et je continue à croire qu'il est indispensable de laisser le pouvoir décisionnel aux Québécois dans ces domaines. Par conséquent, lors de nos négociations avec Hachette, j'ai plaidé pour que mon frère et moi détenions 51% des actions de l'affaire fusionnée et non pas 50% comme le veulent les arrêtés en conseil en vigueur actuellement. D'ailleurs, comme membre du Comité consultatif du livre qui a présenté en mai 1977 au ministre O'Neill un mémoire sur une politique du livre et de la lecture

au Québec, je savais que le comité en avait longuement débattu et avait recommandé cette proportion de 51%. Lorsque la Librairie Hachette accepta non seulement de nous laisser, à mon frère et à moi, posséder 51% des actions, mais aussi de nous laisser ainsi que nos héritiers ou ayants droit obligatoirement québécois constituer un groupe qui conserverait toujours ces 51% d'actions et le droit de nommer le président de la compagnie, je fus convaincu avoir dans les faits non seulement été fidèle sans aucune variation à toutes les idées que j'ai défendues depuis 40 ans, mais aussi avoir remporté une victoire dont les hommes politiques québécois allaient me féliciter.

Laissez-moi également, M. le Président, vous rappeler qu'une association de ce genre avec la plus grande maison française dans le domaine du livre où ses connaissances techniques représentent un apport incomparable me paraissait être dans la ligne de la politique gouvernementale. J'entendais bien, parfois, des rumeurs contradictoires. On disait que le gouvernement pourrait exiger 60%, 75% ou 80% de propriété québécoise pour les librairies agréées. Franchement, M. le Président, je n'y ai pas cru. Il me paraissait évident, d'une part, que le gouvernement québécois n'avait aucun intérêt à faire la guerre aux éditeurs français qui avaient, en ouvrant des entrepôts au Québec, rapproché leurs stocks des librairies québécoises et raccourci de la sorte les délais de fourniture à la clientèle de ces librairies et, d'autre part, que la réplique française aurait pu être telle qu'elle aurait grandement embarrassé le gouvernement québécois. Tout cela me paraissait très convaincant.

Or, M. le Président, mon frère et moi, nous nous trouvons aujourd'hui en face d'un texte de loi qui, en ce qui concerne notre maison et l'oeuvre de notre vie, a les conséquences suivantes: premièrement, nous allons perdre un chiffre d'affaires avec les institutions qui, en 1978, s'est élevé à $3 200 000, sans pouvoir réaliser des économies proportionnelles dans nos frais généraux. Deuxièmement, cette loi va nous obliger à fermer plusieurs succursales de notre réseau qui ne seront plus rentables puisque le commerce avec les particuliers ne suffira pas à les faire vivre. Troisièmement, ces fermetures seront coûteuses puisqu'elles vont intervenir avant l'expiration de baux et cela entraînera des indemnités à payer. Quatrièmement, il va falloir également écouler à rabais des stocks devenus invendables puisqu'ils étaient destinés aux institutions. Cinquièmement, il faudra disposer du mobilier des magasins fermés. Sixièmement, enfin et surtout, il faudra supprimer de nombreux emplois.

En plus, et c'est là une incroyable ironie, les 100% qu'exige la loi pour les librairies agréées feront de notre maison la principale victime et peut-être même la seule. En effet, si vous consultez la liste des librairies agréées actuellement, vous voyez qu'il n'y en a, en dehors de nous, que trois qui sont à propriété étrangère ou partiellement étrangère et deux d'entre elles appartiennent à des maisons d'édition. Par conséquent, leur disparition ou leur vente n'entraînera pas des conséquences graves pour les compagnies qui en sont propriétaires actuellement puisque ces deux librairies sont marginales par rapport à l'activité d'édition de ces deux compagnies.

Je me suis fait dire à plusieurs reprises: Mais, M. Dussault, de quoi vous plaignez-vous? Vous n'avez qu'à acheter la part de Hachette, la SODIQ vous prêtera les fonds nécessaires. Vos librairies seront alors accréditées et vous serez ainsi à la tête d'une affaire intéressante.

M. le Président, je ne peux pas envisager sérieusement une telle solution. Ni mon frère, ni moi ne sommes des jeunes gens et j'ai subi l'an dernier une grave opération. Mes fils, dont les deux derniers travaillent dans nos entreprises sont encore trop jeunes pour nous donner immédiatement le soutien indispensable pour mener une affaire de cette taille. D'autre part, je ne suis pas homme à profiter de circonstances pour éliminer un associé à qui je n'ai rien à reprocher. Notre association avec Hachette, qui dure depuis 19 mois déjà, est un modèle de cette collaboration franco-québécoise dont on fait état partout, mais que l'on trouve réussie dans un tout petit nombre d'entreprises.

Enfin, oubliant toute modestie, je me sens obligé de vous dire que dans la profession du livre au Canada et à l'étranger, j'ai acquis, au cours des années, une réputation que je ne voudrais pas ternir pour moi et pour mes collègues en renversant des accords deux ans à peine après leur signature.

En conclusion, M. le Président, la nationalité québécoise à 100% pour les librairies, comme je viens de le démontrer, est injuste envers ma maison et sera nuisible à l'image de notre profession à l'étranger. Par surcroît, elle me paraît illogique. Les gouvernements québécois successifs depuis Daniel Johnson ont cherché à développer des formules de coopération franco-québécoises et des millions ont été dépensés pour que notre jeunesse, nos professeurs, nos artisans, nos professionnels et jusqu'à nos ouvriers et nos cultivateurs fassent des stages en France pour assimiler un peu de la technique et de la culture française et surtout pour développer des rapports avec les Français, rapports générateurs de développement culturel et économique. Dans ce contexte, ne doit-on pas dire que la lutte en faveur de la propriété québécoise à 100% dans ce domaine est un objectif illogique, elle m'apparaît même comme une lutte fratricide. Enfin, la propriété à 100% québécoise ne correspond pas au désir profond du milieu, car on a, au fond, tenu compte seulement de l'opinion des libraires qui espèrent profiter du chiffre d'affaires que notre maison va perdre. Comment voulez-vous que des libraires, inquiets de la précarité de leur commerce, réunis autour du ministre des Affaires culturelles qui leur offre le chiffre d'affaires des librairies qui perdront l'accréditation, ne tombent pas d'accord pour endosser cette mesure?

Notre maison, pour sa part, a recueilli des témoignages de nombreux bibliothécaires qui se

disent inquiets et déçus de ce qui va se passer et qui regrettent vivement que nous ne puissions pas, quand la loi sera appliquée, continuer à les servir.

M. le Président, qu'est-ce qui est le plus important? Offrir sous le contrôle d'une direction québécoise un choix incomparable de livres au public et des services professionnels adéquats, comme nous le faisons, ou exiger que le bail et les salaires du personnel soient payés uniquement par des Québécois? Le gouvernement d'ailleurs, M. le Président, aurait pu atteindre ces objectifs profonds avec lesquels je me trouve d'accord, c'est-à-dire d'une part le développement d'un réseau de librairies servant efficacement les institutions et le grand public et d'autre part, la protection de l'édition québécoise en exigeant, dans les règlements d'accréditation, la présence accrue et la mise en valeur des livres québécois, sans pour cela exiger la propriété québécoise à 100%. (10 h 45)

II aurait suffi, comme le recommandait le comité consultatif du livre, dans son mémoire de mai 1977, de rendre plus sévères les normes d'accréditation en particulier d'exiger que les libraires accrédités fassent un effort tout à fait spécial en faveur de l'édition québécoise et, avec 51% de propriété québécoise, exiger que la majorité des administrateurs soient des citoyens canadiens domiciliés au Québec. C'est pour toutes ces raisons, M. le Président, que j'ai l'honneur de demander que votre commission recommande à l'Assemblée nationale la modification de l'article 15 du projet de loi no 51 pour que 51% des actions d'une compagnie entre les mains de Québécois soient considérés comme suffisants pour donner droit à l'agrément des librairies, étant entendu que la majorité des administrateurs, ainsi que le président, le directeur général, le directeur général adjoint et le secrétaire-trésorier, comme dans les arrêtés en conseil précédents, ou d'autres officiers et dirigeants de la compagnie soient des citoyens canadiens domiciliés au Québec. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Blank): Je vous remercie. M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, il est assez difficile de réagir à ce mémoire. Je pourrais toujours tenter de discuter avec M. Dussault un certain nombre de points qu'il avance, mais c'est un homme d'expérience qui connaît le commerce du livre probablement mieux que quiconque ici. Il a certainement pesé chacun de ses mots, chacune de ses inquiétudes exprimées dans ce mémoire. Je pourrais toujours dire que sur certaines de ses inquiétudes, d'après notre appréciation de la situation, nous avons tendance à différer un peu d'opinion, mais c'est le genre de discussion qui ne mènerait nulle part. M. Dussault évoque d'ailleurs à certains moments que certaines difficultés tiennent à des considérations personnelles. Il en fait état lui-même dans son mémoire.

Je vais quand même me permettre une chose, M. le Président, étant donné le caractère particulier de ce mémoire et l'importance de son porte-parole, l'importance des intérêts qui sont représentés par ce porte-parole, l'importance du rôle qu'a toujours joué au Québec la librairie Dussault et qu'elle continue à jouer. Tout le monde sait que M. Dussault, avec des proches, a été également très actif dans d'autres activités du livre dont il n'est pas fait état ici. Je lui poserai donc quelques questions en même temps que je ferai quelques commentaires. D'ailleurs, j'aimerais en profiter pour peut-être déborder un peu le cadre de ce mémoire, si le temps nous le permet, puisque nous avons devant nous, je pense, un des principaux responsables de ce qui a tenu lieu de politique du livre au Québec depuis plus de dix ans.

A cet égard, j'aimerais mentionner qu'en page 3 le mémoire nous dit que le projet de loi no 51 s'apprête à écarter définitivement ce qui nous a servi de référence réglementaire ou légale depuis des années. Nous aurions pu, je crois, imaginer d'autres scénarios pour protéger le commerce du livre et la plupart des pays, aujourd'hui, ont des mesures pour protéger leurs professionnels du livre. Je pense que les gens connaissent assez ces diverses mesures. Elles sont souvent mentionnées dans les revues spécialisées. Dernièrement, une revue française en faisait état de façon assez élaborée dans deux numéros successifs. C'est extrêmement intéressant de voir comment les Français eux-mêmes se comportent, comment les Belges se comportent, comment les Britanniques se comportent et ainsi de suite. Dans des pays où il n'y a pas de telles mesures, par exemple vis-à-visde la librairie, on constatequ'il n'y a pas vraiment de librairies, aussi étonnant que cela puisse paraître pour ces pays. On mise sur la bibliothèque publique et un pays comme les Etats-Unis se trouve dans une telle situation où certains citoyens sont à 300 milles du plus proche libraire. Il y a aussi des pays qui ont misé sur la vente de masse dans les grandes surfaces, dans les centres commerciaux et qui, pour le reste, ont misé sur la vente par correspondance.

Ici, nous participons davantage à une tradition européenne et nous avons cherché à développer un réseau de librairies. C'est un réflexe que nous avons eu et probablement que ce faisant nous avons pensé à ce que nous connaissions de la France et de la plupart des pays d'Europe. Nous avons valorisé la fonction de libraire. C'est à l'époque que rappelle M. Dussault qu'on a imaginé — ce qui est une formule originale — celle des librairies agréées. Je pense qu'on ne la retrouve comme telle dans aucun pays. C'est une formule qui est assez originale et qui nous a été proposée.

Ce que nous proposons maintenant, c'est de nous inscrire dans le prolongement de cette réglementation. Plutôt que de s'en tenir à des librairies agréées sans référence aux autres professionnels du livre, nous allons un peu plus loin et nous pensons à l'éditeur et au distributeur, le distributeur ayant beaucoup profité jusqu'à maintenant de la loi existante. Tout à l'heure, j'aimerais qu'on y revienne, parce que je suis de ceux qui

croient que la réglementation actuelle, qui crée des privilèges assez extraordinaires aux distributeurs exclusifs, leur crée aujourd'hui des obligations. Je pense que, pour que tout se tienne, il faut qu'ils acceptent de travailler à l'intérieur de certaines limites. C'est ce à quoi nous les avons conviés d'ailleurs hier.

Dans notre esprit, le projet de loi no 51 s'inscrit donc dans le prolongement de ce qui a été mis en place depuis dix ans. On part des mêmes principes. On aurait pu faire comme en Grande-Bretagne, où seuls les libraires ont le droit d'offrir en vente des livres de telle valeur et plus. On ne peut y trouver, dans les tabagies, les kiosques de gare, les magasins de toutes sortes, que des livres en bas de tel prix; les livres en haut de tel prix sont réservés aux libraires. Il y a différentes mesures comme celle-là qui sont utilisées un peu partout dans le monde. Nous avons retenu celle de la librairie agréée. A cet égard et à plusieurs autres, nous croyons rester dans une espèce de continuité.

Egalement, nous nous inquiétons de la propriété. Je ne tiens pas à rappeler inutilement l'histoire récente, parce que cela n'est pas nécessaire. Les gens qui sont assis à cette table, mon collègue d'en face en particulier, ont vécu ces événements et ceux qui viennent témoigner avec leur mémoire ou qui viennent assister à la présentation des mémoires s'en rappellent bien. Le combat des dernières années au Québec a visé la propriété. L'un des aspects qui ne donnait pas satisfaction dans la législation et dans la réglementation en place, c'était cette question de la propriété. On constatait, avec les années, que le taux de 50% n'était pas raisonnable, n'était pas suffisant. Tout le monde dans cette salle sait que les professionnels du livre défendaient, en même temps qu'ils défendaient cette réglementation avec laquelle nous vivons encore, une proportion de propriété plus élevée que celle que le gouvernement avait finalement acceptée. Les hommes politiques du temps avaient étudié sérieusement la possibilité d'un taux de 80%. Je pense, M. Dussault, que vous ne renierez pas — vous ne l'avez pas fait dans votre mémoire — les luttes que vous avez vous-même menées à l'époque. Je comprends, par ailleurs, que devant les résultats, vous avez été réaliste et vous avez joué de l'intérieur, vous avez travaillé à l'intérieur des lois et des règlements en vigueur. Si vous voulez m'interrompra, je vous y autorise, parce que je ne veux pas dire de faussetés.

M. Dussault (André): Sur un point, M. le ministre, la norme de 80% qui a été adoptée — là, je peux me tromper; c'est 80% ou 75% — pour devenir membre d'une association de librairies ou pour devenir membre d'une association d'éditeurs, c'est une norme qui a été suggérée par le ministre de l'Education lui-même, le ministre de l'Education de l'époque, M. Cardinal. Les professionnels du livre ont dit: Nous demandons l'aide de l'Etat pour nous protéger contre l'invasion des éditeurs et des libraires au Québec. Si le ministre nous demande de porter la norme à 80% dans nos associations, qui sommes-nous pour en même temps demander la protection et lui refuser de modifier les règlements de nos associations? C'est comme cela que toutes les associations dans le domaine du livre au Québec portent une norme qui veut que, pour être membre de cette association, il faut appartenir à des Québécois à 80%. C'est ainsi qu'après la fusion avec Hachette, j'ai dû démissionner de l'Association des libraires. La Librairie Garneau qui a 125 ans d'existence sur la rue Buade n'est pas digne de faire partie de l'Association des libraires et la Librairie Dussault, la plus importante à Montréal — celle des librairies Dussault qui est la plus importante où il y a 55 000 titres; je ne pense pas que les Presses de l'Université Laval aient 55 000 titres — n'est pas membre de l'Association des libraires.

Ce que je voudrais rappeler, M. le ministre, c'est que le taux de 80%, vous allez convenir que c'était un chiffre qui a été lancé comme cela par M. Cardinal. Ce que les Québécois veulent, ce que j'ai toujours voulu, ce que je défends aujourd'hui et ce que j'ai défendu dans mes négociations avec Hachette, c'est le contrôle de l'entreprise. Et si 51%, c'est suffisant pour contrôler des entreprises aussi importantes que des banques, des entreprises de richesses naturelles, etc., pourquoi, dans le domaine du livre, n'est-ce pas considéré comme suffisamment important pour assurer un contrôle québécois à une entreprise?

M. Vaugeois: II y aura aujourd'hui d'autres mémoires qui vont venir de deux catégories de professionnels en particulier, peut-être davantage. Il y aura la position des libraires et celle des éditeurs qui nous seront présentées par leurs porte-parole. Vous aurez compris qu'un projet de loi n'est pas préparé pour permettre à des fonctionnaires, à un homme politique ou même à un gouvernement de se faire plaisir. Nous cherchons à répondre à des représentations qui nous sont faites et, dans le cas présent, qui nous sont faites depuis des années. Je pense que tout le monde conviendra que la réglementation en vigueur a eu de bons effets, mais qu'avec les années elle a également montré ses faiblesses. C'est devant les pressions du milieu, devant l'avalanche des mémoires, devant le grand nombre d'études, devant révolution des faits également que la profession s'est exprimée pour, cette fois-ci, revenir à la charge non plus avec des 70% ou des 80%, mais carrément poser l'hypothèse du 100%.

Vous avez fait un peu tout à l'heure le parallèle entre ce que nous songeons à faire par cette réglementation et ce que nous pratiquons depuis des années, aux gouvernements du Québec, (au pluriel), par nos efforts de coopération avec la France. Je pense qu'il est important de souligner les mesures que nous préconisons et en ce faisant, nous nous inscrivons — croyons-nous — dans le sens des opinions exprimées par le milieu; mais quand nous le faisons, nous ne dirigeons pas des coups contre quelque partenaire que ce soit ou quelque gouvernement étranger que ce soit. Ce que nous faisons au niveau de la coopération franco-québécoise est important pour nous et je peux même vous dire que ce projet de loi, dans ses termes et la réglementation qui lac-

compagne, a été discuté avec nos partenaires français, avec des porte-parole du gouvernement français.

J'ai eu moi-même des rencontres à plusieurs niveaux et il y a eu d'autres rencontres et des discussions à d'autres niveaux. Nous avons expliqué le sens de nos règlements et de notre action et je peux même vous dire que j'ai recueilli personnellement des témoignages extrêmement sensibles aux efforts que nous faisons actuellement. Je pense que nos partenaires français sont conscients des défis qui se posent au Québec. Ils en sont de plus en plus conscients et c'est un des mérites de la coopération franco-québécoise d'avoir amené les uns et les autres à se mieux connaître. Ils sont absolument respectueux de nos efforts. Ils sont conscients de l'importance du livre français au Québec. Ils sont conscients que ce que nous cherchons à développer, c'est une meilleure diffusion et une plus grande accessibilité du livre partout au Québec. Ils sont conscients que nos efforts portent sur le développement d'un meilleur réseau de librairies, si possible, et sur un accroissement que je pourrai qualifier, je l'espère, de spectaculaire pour nos bibliothèques. Ils savent très bien ce que cela peut signifier dans l'ensemble.

Je peux ajouter encore qu'on a trouvé intéressante la démarche que nous poursuivons dans le prolongement des gestes auxquels vous avez fortement contribué. Vous savez, mieux que quiconque, les difficultés qui entourent actuellement la réglementation en France. Ils ont vécu un certain nombre de péripéties qui tournent maintenant autour de la mise en application du prix net. C'est une mesure qui était, je pense, courageuse, originale et audacieuse. Quand j'ai vu pour la première fois la formule exprimée, je l'ai trouvée extrêmement intéressante, mais je constate, comme tout le monde, qu'elle est difficile d'application. Nous suivons avec attention ce qui va se passer, mais les Français nous ont dit: C'est assez extraordinaire ce que vous faites. Quand ils ont vu l'ensemble des mesures que nous préconisons, j'ai eu des commentaires d'étonnement. Ils étaient étonnés de la clarté avec laquelle nous intervenions, encore que le gouvernement intervient le moins possible, mais indique aux agents de ce secteur les domaines propres à chacun, ce que chacun peut faire dans le respect de l'autre. (11 heures)

De toute façon, je l'ai souvent répété, ce que nous souhaitons, c'est que les rapports entre nos maisons québécoises et les maisons étrangères, françaises, belges, suisses, américaines, ou britanniques ou autres se fassent sur une base qui respecte la propriété québécoise du partenaire québécois. Je pense qu'il y a 1001 façons de faire des associations. Vous en avez fait d'innombrables avec vos entreprises. Vous en avez fait comme éditeurs, vous en avez certainement fait comme libraires avec des maisons étrangères. Il n'est pas nécessaire de pratiquer la copropriété pour faire des affaires. Il y a d'autres façons. Hier soir, je proposais aux gens de Flammarion d'étudier avec nous des façons concrètes de se con- former aux exigences de la loi, si elle est votée, et je pense qu'aujourd'hui je dois vous rappeler votre offre de collaboration. J'ai déjà eu l'occasion de le faire dans nos consultations et lors de nos rencontres privées. Je vous réitère aujourd'hui publiquement notre disponibilité pour étudier avec vous différentes solutions qui pourraient tenir compte du problème que vous nous posez qui est fort juste.

J'aimerais vous demander si les $3 millions de chiffres d'affaires que vous indiquez à la page 5, si ces chiffres correspondent à la totalité des ventes que vous faites aux institutions ou si ce n'est — c'est un peu indiscret comme question, mais c'est vous qui avez donné le chiffre dans votre mémoire — uniquement que des livres vendus aux bibliothèques.

M. Dussault (André): C'est la totalité des ventes que nous faisons aux institutions.

M. Vaugeois: Peut-on avoir une idée de l'importance du manuel scolaire dans ces $3 millions?

M. Dussault (André): Le manuel scolaire doit représenter entre 40% et 50% du total.

M. Vaugeois: Vous serez d'accord pour reconnaître que notre projet de loi et nos projets de règlements, en libéralisant le manuel scolaire peuvent avantager une maison comme la vôtre.

M. Dussault (André): M. le ministre, vous me l'avez déjà dit, mais je ne le crois pas. M. le ministre, j'ai vécu la période où M. Jean-Paul Leclerc de la Commission des écoles catholiques de Montréal a lancé une mode qui s'est répandue à une vitesse folle dans la province de Québec, la mode des appels d'offres dans le domaine des manuels scolaires. J'ai vu, et il y a bien des gens dans la salle ici qui l'ont vu comme moi, que ce sont les éditeurs qui décrochaient les soumissions parce que les appels d'offres étaient faits non pas globalement pour la commande de rentrée scolaire d'une commission scolaire, mais c'était fait... ils appelaient cela des appels d'offres à la ligne. Vous pouviez être le plus bas soumissionnaire pour la ligne no 22 qui était un livre d'enseignement des mathématiques publié par votre maison, et ne pas soumissionner pour le reste des livres. A cette époque, la situation était devenue telle que des librairies, pour ne pas congédier du personnel —à ce moment, la plupart des maisons d'édition faisaient 20% de remise aux libraires sur les manuels scolaires — la situation est devenue telle qu'il y a eu des libraires qui ont fait des soumissions à 19%. Ils obtenaient 20% de l'éditeur et ils faisaient des soumissions à 19% pour décrocher des commandes afin de montrer à leur banquier, d'une part, que leur chiffre d'affaires ne dégringolait pas et, d'autre part, pour occuper leur personnel.

Quand vous m'avez dit, M. le ministre... Je vous rappelle que c'est ce que je vous ai répondu quand vous m'en avez parlé, j'aimerais bien cela croire qu'une maison comme nous, étant donné qu'elle est située dans plusieurs régions économiques et que le commerce du manuel scolaire va

maintenant pouvoir être fait libéralement par tout le monde, j'aimerais bien cela croire que ma maison va en bénéficier, mais j'ai peur que ce soient les éditeurs qui en bénéficient, et les garagistes, et les barbiers, comme c'était à l'époque.

M. Vaugeois: Ecoutez, je peux vous dire qu'après avoir entendu beaucoup de gens sur cette question, je ne suis pas loin de penser comme vous à court terme. Effectivement, il faudrait être aveugle pour ne pas constater que certains professionnels du livre et certains acheteurs de commissions scolaires s'apprêtent à se parler directement, à faire l'expérience de transactions directes. J'ai assez insisté hier là-dessus pour ne pas avoir à y revenir aujourd'hui. Je comprends donc que vos $3 millions correspondent à un chiffre d'affaires qui comporte des manuels scolaires et des livres de bibliothèques. Le livre de bibliothèque, vous le perdez éventuellement à cause de la question de la copropriété, et le manuel scolaire, vous le perdez parce que vous croyez que, si l'obligation n'est pas inscrite dans la loi, les gens n'utiliseront pas généralement le libraire. J'imagine que certaines maisons d'édition continueront à le faire, mais certainement pas toutes, pour le début en tout cas.

M. Dussault, je vais laisser mes collègues vous poser quelques questions. A la page 5, vous avez des remarques qui tournent autour de la même question. C'est que vous n'envisagez qu'une seule solution; c'est celle de la fermeture de certaines librairies. Je me dois de vous rappeler ce que j'ai dit à Flammarion hier soir. Il existe d'autres solutions. Votre partenaire ou des porte-parole de votre partenaire français sont dans cette salle. Je pense qu'ils sont conscients de la situation. Vous dites dans votre mémoire que vous n'êtes pas homme à écarter un associé avec lequel vous n'avez qu'à vous féliciter de vos rapports. Je pense que ce partenaire est ici dans cette salle et qu'il est à même d'évaluer la situation. Je pense qu'il doit avec vous évaluer également les solutions qui peuvent s'offrir parce qu'il s'en trouve.

Ce que nous souhaiterions, c'est que dans ce réseau on distingue les types de librairies qui existent pour la vente au détail. Vous avez dans le réseau Dussault-Garneau des librairies qui ne font pas la vente aux institutions de toute façon. Vous en avez d'autres qui existent spécialement en fonction de la vente aux institutions. Une des solutions que vous devez étudier avec votre partenaire, c'est de modifier le statut de certaines de ces librairies et, comme nous le proposions à Flammarion hier, d'envisager des rapports d'affaires entre deux maisons de propriété différente. Ce n'est pas à moi de régler ce genre de question; on est dans l'entreprise privée. Mais nous avons évalué, en ce qui nous concerne, ce genre de solution. Nous n'aurions peut-être pas pu arriver avec ce projet de loi si la Société de développement des industries culturelles n'avait pas été là parce que cette société nous permet de proposer concrètement à des gens des solutions qui, autrement, auraient peut-être été d'application extrême- ment difficile. Mais dans la logique de notre proposition sur la propriété, il fallait prévoir du financement aussi, dans certains cas.

Si votre réseau Dussault-Garneau n'était pas intéressé à cette forme d'aménagement, je pense qu'avant la fermeture il y a la vente. Il se trouve certainement en région des gens intéressés au commerce du livre et qui pourraient être intéressés à reprendre sur une autre base, certains des éléments de votre réseau que vous ne voulez pas garder compte tenu de la nouvelle conjoncture, dans la mesure où elle est créée.

Là-dessus, je répète ce que je disais tout à l'heure, la législation que nous proposons s'inscrit dans les plaidoyers maintes et maintes fois faits au Québec. A quelque moment, les gouvernements ont retraité sur cette question. Cette fois-ci, je pense que nous nous sommes expliqués avec nos partenaires gouvernementaux de l'extérieur et les positions de la profession se sont faites de plus en plus explicites. Cela a été le cas du Conseil supérieur du livre hier et nous savons, par les mémoires que nous avons entre les mains, que c'est également la préoccupation d'autres professionnels du livre.

La journée n'est pas terminée. Je veux laisser à d'autres le soin de s'expliquer à ce sujet et le gouvernement est là pour légiférer dans l'intérêt du plus grand nombre.

M. Dussault (André): M. le ministre, me permettez-vous, avant que l'Opposition m'interroge, de dire un mot. Démanteler un réseau apparaît comme cela... Vous nous dites: Votre partenaire devrait être raisonnable, il devrait comprendre. Mais le partenaire, si raisonnable qu'il soit, va rester associé avec moi dans la moitié du réseau puisqu'il y aurait une moitié que j'aurais achetée avec SODIC. Mais la moitié du réseau que je garderais avec cet associé, savez-vous ce que cela représente comme travail de reconversion? Savez-vous ce que cela signifie comme pertes financières? J'ai eu assez confiance en vous, M. le ministre, et en vos fonctionnaires pour vous montrer les états financiers de la Librairie Dussault et de la Librairie Garneau les dernières années. Je suis même remonté à dix ans. Vous avez vu qu'au cours des quatre dernières années, ce sont des pertes que nous avons faites. Avant cela, c'étaient des bénéfices qui n'équivalaient même pas au taux de rendement de l'argent investi dans des entreprises de toute sécurité ou même investi dans un compte de banque, certificat d'épargne, etc.

Je ne vois pas comment, en dehors de mon éthique personnelle qui veut que je ne demande pas trop à mon associé, de toute façon, comment on peut couper un réseau et espérer que les deux parties du réseau soient vivables. On ne joue pas avec des masses de bénéfices de la même manière que les corporations fusionnent, par exemple la Banque Provinciale avec la Banque Canadienne Nationale qui va fermer 250 succursales et va se rattraper sur ceci. Non. On joue dans des petites sommes. Il n'y a pas de grandes librairies, M. le

ministre. Il y a des petites librairies mises bout à bout. Notre réseau est un réseau de petites librairies mises bout à bout. Il y a une grande librairie à Québec, celle de la rue Buade et il y a une grande librairie à Montréal, celle du boulevard Saint-Laurent. Tout le reste de nos librairies sont de petites librairies. Je vous ai expliqué qu'une librairie comme celle du centre commercial de Sherbrooke, qui est superbe, dans le meilleur centre commercial de Sherbrooke a fait, en 1978, un chiffre d'affaires de $191 000 avec les individus et $194 000 avec les institutions. Si j'achetais — une hypothèse que je rejette — les librairies accréditées, je resterais avec des librairies qui sont déjà boiteuses. Notre seul espoir d'assainir ce réseau de librairies, cela a été la fusion. Cela a été en procédant par la fusion à une compression de frais généraux et nous espérons dans deux ou trois ans que cela donne des résultats.

C'est pour cette raison, M. le ministre, que la solution que je rejette pour les raisons que je vous ai dites, je la rejette également pour des raisons économiques.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Le ministre ne répond pas. Il y a une chose qui m'embarrasse, au fond — et je pense que c'est ce dont on va avoir à apprécier, en tout cas, quant à nous — c'est de convaincre le gouvernement. Le ministre a suggéré les hypothèses que vient d'évoquer M. Dussault et il a dit: De toute façon, c'est dans le domaine de l'entreprise privée et voyez à faire les choses avec votre associé ou autrement. D'un autre côté, c'est l'intervention du gouvernement par la hausse proposée de 100% qui crée le problème.

Il y a une première question que je voudrais vous poser parce que mon sentiment... je l'ai indiqué un peu, c'est simplement à l'état de sentiment pour l'instant, on verra à prendre après, quant à nous, en tout cas, une attitude définitive... Je sais que d'autres libraires vont venir nous indiquer un autre point de vue. On verra la nature de l'argumentation. En 1977, quand vous avez fait l'opération financière dont il s'agit, vous l'avez faite sur la base de réglementation existante. Vous êtes-vous, à l'époque, d'une manière ou d'une autre, enquis auprès des porte-parole du ministre ou du ministère des Affaires culturelles s'il y avait vraiment — vous évoquez dans votre mémoire des rumeurs — une intention gouvernementale de hausser la part de 50%? Avez-vous tenu compte de ce qu'on vous aurait dit sur les intentions gouvernementales? Pouviez-vous concevoir à l'époque, compte tenu des conversations que vous auriez pu avoir avec le ministère des Affaires culturelles, que cela pourrait aller jusqu'à 100%?

M. Dussault (André): Les conversations que j'ai eues à cette époque, c'était avant que M. Vaugeois soit ministre des Affaires culturelles parce que si cela avait été lui qui avait été ministre des Affaires culturelles, j'aurais décroché mon téléphone et j'aurais demandé un rendez-vous. Mais c'était M. O'Neill qui était très...

M. Rivest: Monsieur comment, vous l'appelez? (11 h 15)

M. Dussault (André): O'Neill, M. O'Neill n'était pas très porté à prendre contact avec les maisons, mais j'ai parlé à beaucoup de fonctionnaires, à ce moment, et les fonctionnaires disaient: Dans les réunions, il est question de hausser la norme, mais il n'y a rien de décidé, etc. On a négocié à Montréal avec le représentant de Hachette; finalement, il a fallu que j'aille à Paris rencontrer la direction générale. Avant de partir, mon avion décollait à 19 h 30; avant de partir, à 17 h 30, j'ai eu un appel téléphonique de M. O'Neill qui m'a dit: M. Dussault, il est bien entendu que vous allez en France à vos risques. J'ai dit: Une minute, M. le ministre. Mes projets sont connus depuis des mois. J'ai démissionné comme membre du comité consultatif. Je vous ai écrit une lettre pour vous dire que je démissionnais comme membre du comité consultatif parce que je ne voulais pas me trouver en conflit d'intérêts parce que j'étais en train de m'associer avec la Librairie Hachette et qu'il y avait des clauses dans le rapport du comité consultatif dont je faisais partie à l'époque au sujet desquelles j'avais voté dans l'opposition. Par exemple, la clause exigeant que les distributeurs soient à 51% québécois, c'est une clause avec laquelle je n'étais pas d'accord.

Je considérais que les distributeurs nous rendaient service en rapprochant leur entrepôt. Je l'ai dit dans mon mémoire. De sorte que M. O'Neill le savait depuis des mois que j'étais en pourparlers avec la librairie Hachette. C'est le jour de mon départ, mon avion partait à 19 h 30, un dimanche, j'ai eu un appel téléphonique de M. O'Neill, qui m'a dit: II est bien entendu que vous y allez à vos risques et périls. J'ai dit: Est-ce qu'il y a une décision qui est prise? Est-ce que c'est une façon de me dire qu'il y a une décision qui est prise? Non, il n'y a pas de décision de prise, mais moi je ne veux pas un jour que vous me fassiez des reproches. J'ai dit: Je vous remercie, M. O'Neill. Je suis allé à Paris et j'ai obtenu les 51% pour mon frère et moi; j'ai obtenu la clause que nos 51% ne puissent être divisibles, que, si on vend un jour, on pourra vendre à quelqu'un qui prendra les 51%. C'est quelque chose qui est par écrit dans notre convention, de sorte que la majorité sera toujours québécoise. Je n'ai pas considéré que j'avais été averti des intentions du gouvernement. J'ai considéré que M. O'Neill voulait tout simplement s'en laver les mains. Pour répondre à une toute petite partie de votre question, les 100%, je n'en ai jamais entendu parler avant quelques mois. Au mini-sommet, on en a entendu parler. Je serais curieux de savoir quand les 100% ont été mis sur la table la première fois, mais c'est longtemps après la signature de mon accord avec Hachette.

M. Rivest: Au moment où vous — vous l'avez expliqué également dans votre mémoire — êtes

parti en France conclure l'entente, pour vous, à l'intérieur de votre entreprise, il y avait une urgence de conclure une entente quelconque. Vous l'avez exprimé dans votre mémoire en donnant l'évolution de la situation; vous avez dit avoir transmis au ministère des Affaires culturelles l'ensemble de l'évolution de votre entreprise. C'est sur cette base que vous avez conclu la transaction dont il est question aujourd'hui ici. Evidemment, cela se retourne un peu contre vous à ce moment-ci. Je signale cet élément pour dire au ministre un peu ce que j'ai indiqué hier lorsqu'il s'agissait de Flammarion. On décide, pour des objectifs qui sont probablement louables, d'assurer une plus grande présence québécoise. A un moment donné, on prend une décision qui affecte directement des entreprises qui ont pu exercer une transaction certainement dans la légalité et en toute bonne foi. Même M. Dussault ajoute — et c'est vraiment une question d'opinion qu'il s'agira d'apprécier — qu'au fond, sur l'objectif d'un contrôle québécois, quand on a 51%, ce sont les Québécois qui contrôlent cela. D'autres peuvent prétendre qu'il faut monter plus haut ou même se rendre à 100%. Ce qui m'agace, je le dirai très simplement, c'est qu'en regard du fonctionnement, étant donné que même si c'est un bien culturel extrêmement important, c'est qu'on intervient avec une réglementation dans le domaine de l'entreprise privée sans égard aux conséquences directes qui, dans votre cas, de la façon dont vous nous le dites, risquent d'être assez sérieuses et qu'il n'est nullement question de considérations; en tout cas, on fait très peu état des considérations ou des conséquences pour les individus dans le domaine. C'est le premier élément de la réflexion que je voudrais signaler pour l'instant au ministre et à votre attention. Enfin, je trouve qu'il y a quelque chose qui a peut-être un petit côté injuste de la façon dont les gens... Entre autres, votre cas personnel, la situation dans laquelle vous êtes placés, il y a un aspect injuste étant donné la bonne foi de la démarche que vous avez suivie. C'est une question d'appréciation.

M. Vaugeois: Si vous me permettez de dire que ce n'est pas si simple que cela. J'aime mieux laisser les professionnels du livre que vous allons entendre aujourd'hui dire certaines choses. Il y a énormément de choses qu'on pourrait dire. Ce qui s'est passé ces dernières années, cela n'arrangeait pas la majorité des gens. Dans le commerce du livre, il y a eu non seulement des problèmes pour des individus ou des entreprises, mais la profession en général a souffert d'une situation et encore aujourd'hui, à mon avis, elle souffre d'une situation. Il ne m'appartient pas de dire ces choses autour de cette table, mais il convient quand même que je rappelle que, lorsque le précédent gouvernement, après avoir envisagé la chose au point d'en rédiger les arrêtés ministériels et d'en prévenir un gouvernement extérieur, a retraité jusqu'aux 50%, la profession et les associations ont poussé des hauts cris. Cela a donné naissance à des "posters". Cela a été une campagne invraisembla- ble. Dernièrement, à l'occasion d'une conférence de presse, des journalistes me demandaient si nous allions encore cette fois retraiter sur cette question de la propriété. M. Dussault a été trop actif dans tous ses mouvements pour que j'insiste là-dessus. Or, ce qui était effectivement le plus souvent évoqué comme pourcentage, c'était 80%. Nous aurons l'occasion de nous expliquer là-dessus: Pourquoi finalement proposons-nous 80%? On peut s'expliquer là-dessus. Tout cela peut se discuter. Les associations qui vont s'exprimer aujourd'hui vont nous donner leur point de vue là-dessus. De toute façon, 80% ou 100%, admettons que les 100% ont pris M. Dussault par surprise. Les 80% étaient quand même ce qui était réclamé, ce qui était sur la table au moment où ces transactions se sont faites. A 51%, on est encore loin de 80%.

M. Rivest: Oui. La remarque du ministre m'amène à ma deuxième question, au fond, qui est celle qui m'est inspirée, non pas par votre mémoire, mais par les mémoires qu'on va examiner par la suite, parce qu'un des aspects poursuivis par le ministre sur la propriété... C'est normal que, dans le domaine du livre, les Québécois chez eux aient un contrôle assez sérieux, significatif du marché. C'est un bien culturel qui est très important. Vous prétendez qu'avec 51% à l'intérieur de votre entreprise, vous pouvez le faire. Ma question, vous la trouverez peut-être brutale, mais c'est celle que posent les mémoires et les gens, entre autres, les libraires québécois. En termes de concurrence dans le marché du livre, compte tenu évidemment que vous allez être un peu partie juge et parti, je veux avoir quand même votre opinion. Ce que je crois comprendre des sentiments des libraires, c'est que votre groupe, sur le marché du livre, a joui, compte tenu du volume de vos opérations et de la qualité de votre passé propre à la librairie Dussault et de la maison Hachette, est-ce que vous estimez occuper une position dominante sur le marché, l'expression évaluée en termes de concurrence?

M. Dussault (André): Actuellement, nous évaluons que notre chiffre d'affaires en livres dans nos magasins, parce que nous vendons aussi de la papeterie, mais si nous isolons ce que nous vendons en livres, représente entre 13% et 14% de la vente totale du livre dans la province de Québec.

M. Rivest: Y compris la vente aux institutions, etc.

M. Dussault (André): ... un particulier et institution ensemble.

M. Rivest: Pourriez-vous me dire le nombre de librairies qui existent?

M. Dussault (André): II doit exister 175 librairies dans la province. Mais il existe des points de vente où on vend aussi du livre: des tabagies, des grandes surfaces, etc.

M. Rivest: Parce qu'au fond, le problème, c'est finalement ça. Je vous le dis très franchement. On en discutera avec ceux qui viendront par la suite. Plusieurs personnes disent que le groupe Hachette-Dussault exerce ou occupe une position dominante sur le marché québécois, ce qui me semble sous-tendre que l'argumentation de ceux qui réclament les 100% de propriété québécoise est basée sur cette prémisse.

M. Dussault (André): Moi, je ne peux pas vous répondre autre chose que: Est-ce que 13%, 14%, pour une entreprise qui a 23 magasins où elle vend du livre, ça s'appelle une position dominante?

M. Rivest: En tout cas, j'aimerais...

M. Vaugeois: M. le Président, pour aller dans le sens des préoccupations du député, est-ce que je pourrais citer un court passage d'une publication toute récente du ministère de l'Industrie et du Commerce. "Le commerce et la distribution au Québec", pour le secteur de la librairie, on dit ceci: "En 1978, la part du marché des librairies à succursales multiples se situerait entre 75% et 80% des ventes des librairies, selon les informations recueillies. Un autre facteur important à considérer dans l'évolution des librairies à succursales multiples est l'évolution de la propriété. En effet, de récentes transactions ont encore contribué à abandonner le réseau des librairies à succursales multiples aux capitaux étrangers. De plus, les sièges sociaux des trois réseaux anglophones se trouvent maintenant à Toronto."

M. Rivest: M. le ministre, quand ils disent: "ont contribué", c'est justement ça qui m'intéresse. Quelle est la réalité? Quand je vous ai parlé hier de chiffres et que c'est très difficile pour nous d'apprécier... On a des situations particulières avec lesquelles on peut être quand même assez sympathiques si on regarde les efforts d'un homme comme M. Dussault, et vous en avez vous-même fait état. Par contre, il y a les objectifs plus collectifs, si vous voulez, qui sous-tendent l'ancienne réglementation, comme le projet de loi qu'on étudie présentement et la réglementation... Cela aussi, évidemment, c'est hautement sympathique. Mais, à un moment donné, pour établir la règle, pour se faire une opinion sur la nécessité des 100%, c'est justement ça qui, en fait, me semble être le critère. A un moment donné, il faut juger sur des réalités et il faut avoir des chiffres, des données, des éléments. La réponse de M. Dussault qui me dit que le groupe... Moi, on m'avait dit que Hachette, c'était très important. Plusieurs ont dit ça dans le milieu, dans des conversations qu'on peut avoir. Là, on me dit que ce sont 13% et 14% du marché.

Enfin, je ne sais pas. C'est sans doute important, mais j'aimerais bien... Enfin, on va certainement poursuivre la discussion avec nos autres invités pour savoir comment ils perçoivent ça et sans doute qu'ils ont des éclairages à nous apporter, mais, ce qui me semble capital, c'est de voir la réalité telle qu'elle se pose parce qu'au niveau des principes, c'est très difficile de trancher, surtout quand on met, à un moment donné, une ligne, et que cela a des conséquences pour les individus et que cela a des conséquences également, comme on l'a souligné hier, au niveau des bibliothèques publiques. Le ministre... Moi, j'ai été intéressé certainement par la remarque du groupe qui a précédé, en fin de soirée hier, les gens des bibliothèques publiques et des bibliothèques scolaires parce qu'il y a une question aussi — M. Dussault en a fait... Je ne pense pas qu'il en ait tellement fait allusion dans son mémoire, mais il y a une question de qualité, il y a une question de volume, d'échelle, enfin, de qualité de services qui doit entrer aussi en ligne de compte. Mais, avoir les données précises, c'est pour ça que c'est très difficile... Je ne sais pas. Peut-être que d'autres de mes collègues ont le même sentiment que moi, mais il me semble que c'est ça qui est capital et c'est ça qu'on ne sait pas. J'espère que ces chiffres existent, parce que j'imagine que le gouvernement, en prenant les décisions ou les orientations qu'on voit dans le projet de loi et dans la réglementation, au niveau du ministère des Affaires culturelles, il y a des données... J'aimerais bien, en tout cas, que dans les étapes ultérieures de nos travaux, on puisse les avoir. (11 h 30)

M. Vaugeois: J'aimerais seulement ajouter un petit commentaire puis laisser la parole au député de l'Union Nationale. Il faudrait faire attention pour ne pas laisser croire qu'une librairie qui appartient à un réseau, une librairie à succursales multiples offre de meilleurs services que les autres.

M. Rivest: Non, non, mais...

M. Vaugeois: Nos meilleures librairies au Québec — et, je ne les nommerai pas pour ne pas leur faire une publicité excessive, — n'appartiennent généralement pas à de gros réseaux. Egalement, il faut le dire, il y a dans la mémoire des gens du livre des épisodes qui continuent d'être des plaies ouvertes; il y a eu, par le jeu de ces entreprises à succursales multiples, des acquisitions qui ont paru être, pour les populations locales, de véritables opérations d'impérialisme. Cela, c'est encore très vivant dans certains coins.

M. Rivest: Là-dessus, si vous le permettez, M. le ministre, quand je parlais de la qualité des services, je parlais de la demande précise que les gens des bibliothèques publiques nous ont faite, de leur inquiétude devant la disparition de ce qu'ils pouvaient considérer comme intéressant, mais pas exclusif. Bien sûr, ce n'est pas cela que j'ai voulu dire.

Deuxièmement, quand il arrive des transactions comme celle-là — je ne fais pas de reproche, mais je dis cela comme ça — pourquoi le gouvernement n'intervient-il pas ad hoc?

M. Vaugeois: Effectivement, on a demandé au gouvernement...

M. Rivest: Ou n'indique-t-il pas une volonté très ferme? Cela s'est déjà fait. On sait que dans le domaine des media d'information, par exemple, cela a donné lieu à tout un battage. Le gouvernement — je le sais par expérience — suivait cela de très près. Les volontés gouvernementales étaient soit signifiées clairement aux gens qui s'engageaient dans ces avenues et même, à l'occasion, je pense, plus tôt, dans les années soixante, cela a donné lieu à des interventions législatives ad hoc.

M. Vaugeois: C'est la raison d'être...

M. Rivest: C'est ce qu'on vise. Quand M. Dussault dit qu'il y a trois ou quatre entreprises — en fait, dans son mémoire, il y a la sienne — qui sont directement visées par cela, en pratique, on fait une loi générale.

M. Vaugeois: Rappelons-le pour le bénéfice de tout le monde. S'il y avait eu la SODIC, par exemple, la Société de développement des industries culturelles, on peut imaginer que Scorpion n'aurait peut-être pas été racheté de la même façon. Tout le monde se souvient de la campagne qui a entouré l'achat de la librairie Garneau, rue Buade, à l'époque, par le groupe Hachette qui s'est alors servi, comme SODIC, de la SGF. Si la SODIC avait été là, cela n'aurait peut-être pas changé grand-chose dans ce cas puisqu'il y avait des acquéreurs qui avaient de l'argent pour acheter, apparemment, mais c'est une autre offre qui a été retenue par les propriétaires de Garneau, à l'époque. Ce qui était vraiment cocasse, c'est qu'on s'appuyait sur la SGF pour faire cette transaction.

Il y a eu un épisode assez douloureux avec ce qui est arrivé au CEC à l'époque, lors du décès de M. Nadeau, qui était un homme extraordinaire dans le domaine du livre. C'est une espèce d'héritage, nous travaillons à travers cela. Ce que nous constatons, c'est une évolution qui, après avoir momentanément favorisé l'apparition d'un certain nombre de librairies un peu partout, fait que plusieurs de ces librairies échappent progressivement à la propriété des Québécois. La pression du milieu s'explique un peu par un ensemble de circonstances semblables, mais il ne m'appartient pas d'aller plus loin. Vraiment, j'ai hâte qu'on entende, maintenant, les porte-parole des autres associations.

Le Président (M. Blank): M. Dussault a quelque chose à dire.

M. Dussault (André): M. le ministre, je m'excuse, j'ai compris que vous aviez hâte que je m'en aille. Il y a un mot que je voudrais ajouter. Quand vous avez évoqué toutes les catastrophes qui se sont passées et où les gouvernements auraient pu intervenir s'il avait existé un SODIC, etc., je veux juste vous rappeler que ce que, dans la profession, nous avons considéré comme la plus grande catastrophe a été la vente du Centre de psychologie et de pédagogie à l'Encyclopédie britannique de Toronto, qui était une filiale de l'Encyclopédie britannique de Chicago. A ce moment-là — je ne sais pas si vous vous le rappelez, M. le ministre — ma maison d'édition avait fait une offre pour acheter le Centre de psychologie et de pédagogie pour éviter que le centre ne tombe entre les mains de l'Encyclopédie britannique. Les dirigeants du CPP n'ont pas voulu attendre, ils nous ont donné trois jours pour faire notre offre. On a fait notre offre dans les trois jours, ce qui était un tour de force, mais elle a été refusée et l'Encyclopédie britannique est devenue propriétaire du CPP. Cela a été le facteur déterminant dans l'attitude de nos associations et probablement dans la réaction de M. Cardinal, à ce moment-là, qui nous a dit: Mettez des normes à 80% et nous on essayera de faire un combat, au gouvernement, pour vous faire obtenir l'accréditation à 80%.

Je ne suis pas ici pour défendre Hachette, je me suis défendu avec Hachette en 1977 à Paris et pendant un an à Montréal. Ce n'est pas moi qui vais faire le plaidoyer de Hachette. Ils sont de grands garçons et ils sont capables de le faire. Mais je tiens à vous rappeler l'épisode du CPP parce que cela a été une date historique dans le monde du livre de la province de Québec et personne n'en a parlé devant la commission parlementaire.

M. Vaugeois: On entre dans une histoire presque privée. L'épisode du CPP, vous avez raison de le rappeler, mais je pense que vous pourriez rappeler avec des termes à peu près semblables l'épisode du CEC.

Le Président (M. Blank): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Cordeau: M. le ministre, tantôt vous avez mentionné, en faisant allusion à un rapport du ministère de l'Industrie et du Commerce, que 75% à 80% du marché était détenu par les librairies multiples. Combien y a-t-il de librairies multiples, à succursales multiples au Québec?

M. Vaugeois: Ecoutez, je ne peux pas donner un chiffre exact, mais les gros réseaux donnent un total de 68 sur le chiffre d'à peu près... M. Dussault a parlé de 178 librairies tout à l'heure, c'est un chiffre assez réaliste, donc, il y a un peu plus du tiers des librairies qui sont à succursales multiples, qui appartiennent à des réseaux.

Ce ne sont pas nécessairement toujours, individuellement, les plus grosses librairies, remarquez, mais...

M. Dussault (André): M. le ministre, vous incluez des réseaux à propriété anglophone là-dedans qui vendent des livres français?

M. Vaugeois: Oui.

M. Dussault (André): Quel chiffre mettriez-vous en nombre sur ces réseaux anglophones installés au Québec?

M. Vaugeois: En terme de chiffre de vente?

M. Dussault (André): Non, en nombre de magasins.

M. Vaugeois: Je vais vous les donner. Dussault et Garneau, d'après les derniers relevés, avaient 30 succursales.

M. Dussault (André): Cela est inexact, parce que vous comptez d'abord deux papeteries, deux magasins qui ne vendent que de la papeterie, donc, ce n'est pas une librairie. Il y a un magasin qui ne fait que de l'abonnement aux revues et périodiques et il y a une division du gros. Alors, il faut en enlever tout de suite quatre.

M. Vaugeois: D'accord. Scorpion Flammarion est évaluée à six, dans le document que j'ai, Coles à quatre, Smith à sept, Classic à seize et Leméac à cinq.

Remarquez en passant que Classic qui était à seize a laissé tomber un certain nombre de librairies du réseau.

M. Cordeau: II y a un autre point de vue aussi dans le projet de loi qui surprend un peu, c'est la rétroactivité de la loi. Il va falloir que toutes les librairies deviennent à 100% propriété de Canadiens demeurant au Québec, mais est-ce que dans la réglementation ou dans la loi il y a une période qui sera accordée pour l'adaptation?

M. Vaugeois: Je vous remercie, M. le député, de me poser la question. Vous me permettez de clarifier deux points. D'abord, nous n'obligeons personne à devenir à propriété québécoise dans une proportion ou une autre. Tout ce que nous faisons, c'est dire à ceux qui veulent profiter soit de subventions, soit d'un marché captif, le marché des institutions que nous subventionnons avec les deniers publics, nous disons à ces librairies: Si vous voulez pouvoir avoir accès à ce marché-là, il faut être à propriété québécoise à 100% selon notre proposition. Nous disons également, étant donné la situation et les ajustements qui sont nécessaires, nous disons: Vous avez deux ans à partir du moment où la loi sera adoptée, ce qui veut dire que ça fait en pratique trois ans, parce que ça fait quand même depuis décembre que la proposition est sur la table et celle loi-là ne sera pas votée, je pense, avant décembre de cette année, ce qui fait donc une première année pour y penser et à partir de ce moment-là, il y aura encore deux ans de moratoire.

M. Cordeau: Une dernière question, dans votre mémoire, M. Dussault, à la page 3, lorsque vous nous faites un peu l'historique de l'évolution de votre commerce, vous mentionnez que vous avez, avant de négocier avec Hachette, consulté d'autres groupes, entre autres, cinq groupes québécois successifs, sans résultat. Est-ce que vous pourriez nous faire connaître — sans indiscrétion — les raisons principales de ces échecs?

M. Dussault (André): L'individualisme québécois, monsieur. Dans chaque cas il y a eu des négociations qui n'ont pas abouti, je dirais pour des raisons sentimentales, individualistes, l'associé craignant d'être un vice-président qu'on ne considérerait pas beaucoup. Dans chaque cas notre maison était plus importante que l'associé envisagé et dans chaque cas l'échec est survenu parce que l'associé envisagé avait peur d'être quantité négligeable, ne voyait pas un rôle assez important, assez reluisant donné à sa personne dans le nouvel ensemble.

Une Voix: C'est pour cela que vous êtes allé vers Hachette.

M. Dussault (André): Je ne suis pas allé vers Hachette, c'est Hachette qui est venue vers moi.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Dussault, pour votre mémoire.

M. Dussault (André): Merci.

Le Président (M. Blank): Maintenant, c'est le Conseil de la culture de la région de Québec, M. Philippe Sauvageau.

M. Cormier (Noël): M. le Président, étant donné que le président du Conseil de la culture s'est absenté pour environ une minute — il est sorti de la salle — est-ce qu'on pourrait avoir une minute ou deux...

Le Président (M. Blank): Très bien. M. Sauvageau, vous pouvez procéder.

Conseil de la culture de la région de Québec

M. Sauvageau (Philippe): M. le Président, avant de commencer la lecture du mémoire, permettez-moi de vous présenter un peu le Conseil de la culture. C'est un organisme culturel qui regroupe l'ensemble des intervenants dans le secteur culturel. Le conseil est formé de tables sectorielles et d'individus en faisant partie. Dans les tables sectorielles, il y a une table qui s'occupe particulièrement des lettres. Cette table regroupe l'ensemble des intervenants dans le secteur du livre: libraires, écrivains, éditeurs et bibliothécaires. Le mémoire que le Conseil de la culture vous présente a été élaboré par cette table et endossé par le Conseil de la culture de la région de Québec.

Le neuvième ministre des Affaires culturelles du Québec nous propose une nouvelle loi concernant le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, loi proposée sans la réglementation qui lui donnera sa véritable dimension.

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce que je pourrais leur demander s'ils ont maintenant les avant-projets de règlements?

M. Sauvageau: Non, nous ne les avons pas reçus, effectivement.

M. Vaugeois: Vous êtes bien les seuls.

M. Sauvageau: Effectivement, nous les avons vus, mais nous ne les avons pas reçus.

M. Vaugeois: Vous les avez lus?

M. Sauvageau: Non, nous les avons vus. C'est un libraire qui nous les a montrés, mais nous n'avons pas reçu les avant-projets.

M. Vaugeois: On est sans cloute si peu habitué à voir les CRC s'intéresser aux librairies.

M. Sauvageau: C'est parce que vous nous avez oubliés.

Le Président (M. Blank): M. Sauvageau, vous pourriez peut-être changer de place avec l'autre monsieur, parce que je pense que l'autre micro est meilleur que celui-là. Vous pourriez aussi nous donner le nom de votre collègue.

M. Sauvageau: Le collègue qui est avec nous, c'est M. Noël Cormier, qui est au conseil d'administration du CRC.

Le Conseil de la culture de la région de Québec a pris connaissance du projet de loi et les commentaires qu'il formule visent à ce que cette loi ait des effets autres que ceux découlant des présentes lois. Le Conseil de la culture prétend qu'une loi portant sur les politiques du livre doit respecter tous les intervenants de ce secteur. Le Conseil de la culture souhaite que la loi qui est déposée soit assortie d'une réglementation qui aura pour conséquence de rendre le livre le plus accessible possible à l'ensemble des Québécois. Nous aborderons, dans un premier temps, le développement du réseau professionnel et commercial de l'industrie du livre et, dans un deuxième temps, le développement du réseau des bibliothèques publiques.

Commentaire général. Une loi portant sur le livre devrait chercher à protéger spécialement la librairie dans le réseau commercial, de même que la bibliothèque dans le champ de la diffusion. Cette loi devrait être articulée en tenant compte des véritables malaises dont souffre la librairie et non à partir d'idées préconçues et de spectres véhiculés par certains professionnels du commerce du livre. Or, la présente loi semble reposer sur des prémisses complètement fausses, tout comme la précédente d'ailleurs, soit l'importance d'empêcher les institutions subventionnées d'acheter en Europe. (11 h 45)

Avant 1968, les institutions subventionnées achetaient au Québec en très grande partie. En effet, le 20 juin 1968, la Commission des bibliothèques publiques du Québec, après une enquête minutieuse auprès des 114 bibliothèques publiques alors existantes et subventionnées, soumet- tait au ministre des Affaires culturelles un rapport circonstancié qui démontrait que 89% de tous les achats de livres français effectués par les bibliothèques publiques étaient faits chez des libraires du Québec présurnément agréés, et qui plus est, le total des achats des bibliothèques ne représentait pas le quart du chiffre de vente des librairies.

D'après les chiffres révélés dans ce rapport, on ne pouvait logiquement pas tenir les bibliothèques publiques responsables de l'état d'anémie chronique dans lequel se trouvaient les entreprises commerciales québécoises du livre. Le problème était indubitablement ailleurs.

Pourtant, en 1972, une nouvelle réglementation venait obliger, sous peine de sanctions, les bibliothèques à s'approvisionner uniquement auprès des libraires agréés, et ceux-ci auprès de distributeurs exclusifs, le cas échéant, établis au Québec.

Très rapidement cependant, les libraires se sont aperçus que ce n'était pas le Klondike, la manne céleste. Des librairies ont fait faillite et le prix des livres a continué à augmenter, sans pour autant que celles-ci profitent de cette augmentation. On avait surévalué, comme on le fait présentement, l'aide qu'une telle loi devait apporter, et pour cause: les prémisses reposaient sur une analyse erronée. Encore une fois, on n'avait pas localisé la véritable cause.

La réglementation de 1972 n'a pas eu pour effet d'entraîner l'installation de nouvelles librairies en région ni d'affermir la situation des librairies existantes. Au contraire, le commerce du livre n'a cessé de se dégrader en dehors des grands centres. Il est vrai que l'on a vu des grossistes ouvrir des succursales dans quelques coins du Québec. Toutefois, il ne faut pas confondre cette arrivée des grossistes avec le véritable essor d'un commerce vraiment régional ou avec un accroissement réel de la présence du livre en région. D'ailleurs, plusieurs de ces succursales ont fermé leurs portes peu de temps après, faute de marché.

Une autre "solution" désastreuse qui découlait d'une vision déformée de la réalité a été la mise en place de distributeurs exclusifs dotés de pouvoirs absolus. Ceux-ci pouvaient et peuvent encore fixer les prix de catalogue de tous les volumes diffusés en exclusivité au Québec. Les éditeurs français ont compris aussitôt les avantages qu'une telle réglementation leur octroyait. Nous avons assisté à la course aux distributeurs exclusifs. Les éditeurs, petits et gros, ont eu leur distributeur exclusif au Québec.

L'établissement d'agences de distribution au Québec n'a assuré ni le maintien sur place de stocks importants et variés, ni un service plus rapide au libraire. A combien de reprises les libraires se sont-ils joints aux bibliothécaires pour dénoncer justement la qualité du service donné par les maisons de distribution, leur attitude mercantile, leur responsabilité dans l'augmentation du coût du livre au détail, leur tendance à limiter leur champ d'action aux livres de vente rapide, de portée culturelle inférieure, intensifiant ainsi la disparition du livre d'une densité culturelle plus

élevée. N'oublions pas que c'est le consommateur québécois qui, à chaque fois, s'en trouve pénalisé. Au lieu d'améliorer la situation, le présent projet de loi renforce les pouvoirs des distributeurs exclusifs, ce qui est nettement inacceptable.

Comme la très grande majorité des livres que nous lisons sont étrangers, le problème le plus grave se loge à l'enseigne de l'importation et, plus spécifiquement, de l'importation du livre français. La solution aux problèmes actuels de l'industrie du livre se situe donc ailleurs que dans la seule réglementation des achats des institutions subventionnées et dans le soutien aux agences de distribution comme pivot important d'un commerce québécois du livre.

Le projet de loi veut intervenir sur tous les maillons de la chaîne. Nous en sommes! Il propose son appui aux entreprises québécoises à 100%. Nous en sommes toujours! Mais encore faudrait-il que les dispositions qui seront mises de l'avant n'aient pas pour conséquence de réduire davantage l'intervention économique déjà faible des libraires et des bibliothèques, et de limiter l'éventail des lectures offertes aux Québécois, tout en maintenant le livre à un prix scandaleusement élevé.

Nous réaffirmons que la législation devrait chercher à protéger spécialement le libraire dans le réseau commercial, de même que la bibliothèque dans le champ de diffusion. Une politique très poussée d'aide à l'édition québécoise, par exemple, n'aurait pas d'impact si elle excluait le libraire. C'est lui qui, professionnellement, assume la tâche de la présence commerciale du livre sur l'ensemble du territoire, avec les responsabilités financières que comporte le service au client, comme la bibliothèque assure l'accès gratuit du livre pour tous les citoyens. En bref, la bibliothèque protège le droit à l'information et à l'épanouissement intellectuel pour tous et la librairie permet au consommateur de bénéficier directement d'un service d'approvisionnement correspondant à ses propres besoins.

Actuellement, il est généralement admis que la faiblesse économique des libraires les empêche de remplir adéquatement leur rôle professionnel. Quant à la situation des bibliothèques québécoises, elle est plus pitoyable que partout ailleurs dans le monde industrialisé.

Le développement du réseau professionnel et commercial de l'industrie du livre au Québec. Il faut laisser au libraire le droit et la possibilité de travailler comme il l'entend, avec les intermédiaires les plus aptes à assurer sa vitalité économique et la qualité de ses services.

La présence des distributeurs exclusifs a provoqué une augmentation incontrôlée des prix des livres. La présence d'agences de distribution au Québec a contribué à rendre accessible et disponible, sur l'ensemble du territoire, le livre de vente rapide et facile: recettes de cuisine, traités de sexologie, d'astrologie... Par contre, elle a entraîné une modification néfaste des règles du jeu commercial, du moins telles qu'elles sont appliquées actuellement.

En effet, pour supporter administrativement l'arrivée de cet intermédiaire supplémentaire, les maisons d'édition ont majoré leur prix de vente. Comme aucune loi ne réglementait la détermination des prix par le distributeur, plusieurs d'entre eux en ont profité pour utiliser une tabelle exagérément élevée, faisant payer aux libraires la majoration de l'éditeur en plus de l'énorme marge de bénéfice que s'appropriait le distributeur lui-même. Par contre, la loi déterminait le pourcentage de profit brut du libraire. En conséquence, ce dernier s'est vu placé dans l'obligation d'augmenter considérablement son prix de détail tout en soutenant, sur plusieurs catégories de volumes, une baisse importante de son profit réel. On lui a reproché la montée vertigineuse des prix alors qu'il n'en était pas le principal responsable, mais plutôt l'une des victimes.

Somme toute, ces règles du jeu ont occasionné un affaiblissement du pouvoir d'achat du libraire et, par ricochet, des institutions subventionnées forcées de subir la hausse des prix. Les bibliothèques ont dû réduire, par le fait même, le service public qu'elles offrent à ces mêmes québécois qui ont supporté eux aussi une augmentation vertigineuse des prix au comptoir du libraire.

Dans ce contexte, du strict point de vue commercial, plus le distributeur s'enrichit, plus le libraire s'épuise, plus le consommateur québécois en subit les conséquences financières et culturelles.

Les distributeurs exclusifs offrent un service largement déficient. D'une manière générale les distributeurs ne maintiennent pas les stocks nécessaires pour répondre aux demandes. La situation n'est pas trop critique en ce qui a trait aux livres de vente rapide et facile. Les délais d'approvisionnement ne sont pas trop longs. Mais lorsqu'il s'agit de vente plus lente, le libraire se voit souvent dans l'obligation d'utiliser le réseau des fournisseurs et des commissaires pour remplir ces commandes dans les délais acceptables par la clientèle.

Ces nouveaux intermédiaires doivent prendre leur profit. Tous ces écrans, qu'ils soient commissionnaires ou distributeurs, contribuent à provoquer une augmentation des prix au détail. Leur intervention pourrait être rendue utile si l'Etat aidait les libraires à se donner des services communs, s'il encourageait la mise en place d'un réseau direct et québécois entre les libraires et les éditeurs étrangers.

Dans ce cadre, le service fourni par le libraire aux institutions subventionnées et à l'individu-client pourrait être grandement amélioré. Il ne faut pas se cacher que de nombreux libraires, pour éviter recherches et frais d'administration, ont tendance à répondre à leur clientèle que certains titres sont épuisés alors qu'ils sont plutôt difficiles à obtenir.

Les lacunes dans le service donné par le distributeur au libraire entraînent souvent des démêlés entre le libraire et sa clientèle, sinon la perte de clients. Encore une fois, le commerce de la librairie souffre des actuelles règles du jeu.

Les distributeurs contribuent à développer un important réseau parallèle de vente du livre au détriment du libraire. Les maisons de distribution contribuent actuellement à développer au Québec un important réseau parallèle de vente du livre de lecture facile. Depuis un certain temps, on voit s'agrandir les espaces consacrés à certains types de livres dans les pharmacies, les supermarchés, les tabagies, etc. Comme ils tiennent à voir progresser ce nouveau marché, les distributeurs y sont très présents, par un service sans bavure. Les librairies en supportent les conséquences, d'une part parce qu'elles doivent soutenir leur forte concurrence dans le secteur du livre de vente rapide, et, d'autre part, parce que les distributeurs les contraignent à tirer leur profit d'abord du livre de portée culturelle plus étendue sur lequel la marge de bénéfice est souvent réduite.

Cette arrivée de concurrents populaires dans un secteur de vente où les avantages financiers sont intéressants affaiblit encore la librairie. Malgré l'intérêt que peut représenter la présence du livre dans les lieux très fréquentés, il est clair que ni les tabagies ni les supermarchés ne pourront, par ailleurs, permettre l'accès à l'éventail de lecture qui soit minimal pour un peuple qui se respecte culturellement. C'est à l'Etat qu'il incombe de faire le choix commercial qui s'impose pour encourager, par ses politiques, l'intervenant professionnel dont le rôle social est le plus essentiel. Quant à nous, il est évident que, du point de vue de l'industrie du livre dans toutes ses dimensions comme du plus strict point de vue commercial, c'est le libraire qui doit être privilégié.

Une solution à explorer: deux réseaux, l'un commercial, qui doit traiter avec les distributeurs, l'autre professionnel, le libraire, qui traite avec qui il veut. L'étude Drouin-Paquin proposait, il y a quelque temps, une réorientation du secteur de la librairie basée sur un système double. "Un réseau commercial axé vers la rentabilité maximale par la vente de livres de grande diffusion à écoulement rapide; un réseau professionnel, représenté par les libraires agréés et axé vers un niveau de service élevé aux acheteurs individuels et aux institutions subventionnés." L'obligation de passer par les maisons de distribution pourrait être maintenue pour le premier réseau et abandonnée pour le second.

Cette levée de l'obligation pour le libraire professionnel et agréé de passer par les maisons de distribution pour les achats à l'étranger constitue une des transformations majeures qu'il faut apporter au projet de loi. Que le libraire professionnel ait la possibilité de travailler comme il l'entend.

Pour contrecarrer l'actuel contrôle du marché par certaines maisons d'édition et de distribution, l'Etat devrait favoriser la création d'une centrale d'approvisionnement à l'étranger à l'intention des librairies. Cette centrale pourrait être le pendant de l'Association canadienne pour la diffusion du livre dans le secteur du transport. Québécois à 100%, l'organisme créerait un lien direct entre le libraire et l'éditeur français, entre autres. Ces efforts conjugués pourraient briser le système actuel de contrôle du marché, réduire considéra- blement les prix et assurer, entre autres, aux institutions subventionnées un service de qualité largement supérieur à celui qui existe.

Quant aux distributeurs, quelle que soit la formule retenue, l'Etat doit limiter la tabelle qu'ils utilisent pour déterminer les prix. C'est une condition sine qua non à un retour à des prix raisonnables. Le gouvernement devrait aussi les obliger à avoir en stock la majorité des livres de l'éditeur qu'ils distribuent pour pouvoir maintenir un service convenable.

Soulignons que toutes les entreprises du livre apprécieraient grandement une intervention de l'Etat qui inciterait fortement les éditeurs étrangers, et plus particulièrement les français, à donner à leur clientèle québécoise les avantages auxquels elle devrait normalement s'attendre, vu le volume d'affaires. Ces éditeurs ont présentement tendance à profiter exagérément du besoin culturel que nous avons d'eux. Et c'est là le fond du problème.

En somme, la loi telle que présentée ne solutionne ni le problème du libraire en le laissant à la merci du distributeur exclusif, en ne touchant pas au circuit parallèle de vente dans les tabagies et les supermarchés, etc., ni le problème de l'accessibilité, puisqu'en consacrant la présence du distributeur exclusif, le prix des volumes contribuera à être élevé et pour les citoyens et pour les institutions subventionnées.

Le développement du réseau des bibliothèques publiques, pierre angulaire de toute politique culturelle. Les bibliothèques publiques, pierre angulaire de toute politique culturelle. Un réseau de bibliothèques, surtout publiques, reste un des moyens essentiels et prioritaires de diffusion du livre. Ce réseau agit différemment du réseau de librairies: distribution immédiatement gratuite aux contribuables; et avec des moyens et une infrastructure autres que commerciaux: les besoins culturels de la communauté sont les seuls facteurs considérés. Nous nous permettons ici de souligner un passage du texte du ministre des Affaires culturelles, lors du congrès de l'ASTED, en octobre 1978: "Pour ma part, j'endosse pleinement la déclaration suivante que M. Frégault écrivait, en 1973, en avant-propos du mémoire d'éléments de programme sur le développement d'un réseau de bibliothèques publiques: Le ministère des Affaires culturelles considère comme l'un de ses plus impérieux devoirs d'assurer le contact à la fois libre, gratuit et régulier entre l'homme de la rue et les trésors universels de l'esprit contenus dans les livres. Il est très important qu'il y ait des livres partout. Non seulement dans la métropole, non seulement dans la capitale, mais partout. L'accès au livre n'est pas un privilège, c'est un droit, un droit individuel et collectif. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le programme des bibliothèques publiques a un caractère de priorité et que le réseau des établissements de lecture publique est le moyen le plus important de la diffusion de la culture."

Ainsi, le ministre des Affaires culturelles, M. Vaugeois, corroborait un texte de l'UNESCO publié en 1969: "Réflexions préalables sur les politi-

ques culturelles", réflexions concrétisées en 1972, lors de l'Année internationale du livre, dans un manifeste qui doit être au moins indicatif, sinon impératif, pour nous législateurs. Cet organisme international hautement culturel précisait alors le rôle et les responsabilités de l'Etat dans le développement et le financement des bibliothèques publiques, "principal chaînon d'une politique culturelle parce qu'elles seules donnent accès gratuitement aux grandes oeuvres de l'humanité et aux grands courants de la culture."

Après avoir ainsi nettement désigné les bibliothèques publiques comme devant faire partie prioritairement des préoccupations de l'Etat dans une politique culturelle cohérente, efficace et harmonieuse, l'UNESCO semble laisser à la libre entreprise le soin d'assurer un réseau commercial de librairies.

C'est exactement le contraire que le ministère des Affaires culturelles a fait jusqu'à maintenant par ses politiques sur le livre. Et c'est encore et aussi le contraire que le nouveau projet de loi annonce: sauvons le commerce d'abord, et on essayera de compenser par la suite.

Une politique de l'industrie du livre — et donc de la consommation du livre — doit nécessairement s'établir en fonction des consommateurs, de ceux-là qui ne peuvent que compter sur l'accessibilité gratuite aux livres, via les bibliothèques publiques.

Or, les budgets d'achat des bibliothèques publiques n'ont cessé, grâce à l'ancienne politique du commerce du livre, de perdre de leurs pouvoirs en grande partie à cause du système du distributeur exclusif. Même si, admettons-le, leurs budgets globaux ont augmenté sensiblement, même si un effort gouvernemental appréciable et louable s'est manifesté dans l'octroi des subventions, les bibliothèques n'ont pas réussi, dans leur pouvoir d'achat, à suivre la montée vertigineuse du coût des volumes. (12 heures)

En outre, si, pour les bibliothèques d'enseignement, le ministère de l'Education a compensé, à l'époque, la perte du pouvoir d'achat qu'entraînait la législation, il n'en fut rien du côté du ministère des Affaires culturelles pour les bibliothèques sous sa juridiction. Au contraire, les subventions aux bibliothèques publiques, qui ne sont pas statutaires, comme certains semblent le croire, ont été diminuées en 1972 et en 1973. Une telle perte du pouvoir d'achat est due, en grande partie, à la législation d'alors qui consacrait les distributeurs exclusifs à qui on concédait tous les droits sans contrôle dans la détermination des prix de leur marchandise, tolérance et même protection que le nouveau projet de loi perpétue, en dépit de toute logique.

Pourtant, la situation actuelle des bibliothèques publiques du Québec n'est guère reluisante. A cet effet, nous citerons à nouveau le ministre des Affaires culturelles qui s'adressait aux bibliothécaires lors du congrès de l'ASTED, en octobre 1978: "Le développement des bibliothèques publiques chez nous s'effectue lentement, péniblement, non sans peine et non sans douleur... Les usagers ontariens disposaient de 2,25 livres par tête, alors que les Québécois avaient accès à 0,81 livre par tête. Les locaux affectés à des fins de bibliothèques publiques, en Ontario, représentaient un total de 377 pieds carrés par 1000 habitants, alors qu'au Québec le chiffre correspondant s'élevait à 113 pieds carrés par 1000 habitants. L'effort financier des municipalités en Ontario atteignait $10.15 par tête, alors qu'au Québec il s'éteignait à $1.90 par tête... Il est donc exact d'en conclure que nous avons un bon bout de chemin à parcourir avant que nous réussissions à atteindre le niveau de services offerts par les bibliothèques publiques ontariennes soit, en gros, 2 000 000 de pieds carrés à ajouter aux espaces actuels, plus de 8 000 000 de livres à ajouter à nos collections".

Compte tenu de cette situation des bibliothèques publiques dénoncées par le ministre des Affaires culturelles lui-même, comment pouvons-nous nous associer à une politique du livre qui ne règle en rien le problème de l'approvisionnement du livre et qui encourage sans conteste une augmentation du prix du livre. Une telle politique n'aide ni les librairies ni les bibliothèques, et qui plus est, pénalise le citoyen qui paiera le livre plus cher chez le libraire et qui aura encore moins de choix dans les bibliothèques.

Pour se développer, les bibliothèques doivent jouir d'un minimum de liberté dans l'élaboration de leurs politiques d'achat. La loi devrait garantir aux bibliotèques certains droits: le droit de bénéficier de soldes ou de ventes à rabais au Québec et à l'étranger; le droit d'acheter de n'importe quel libraire agréé au Québec; le droit de bénéficier d'escomptes de 15% sur les achats massifs, escomptes sur paiement anticipé, etc.

Le droit de bénéficier des soldes ou ventes à rabais au Québec et à l'étranger. Comme nous l'avons vérifié plus haut, les bibliothèques québécoises ont des budgets fort restreints et ont peu de volumes. En conséquence, elles devraient pouvoir bénéficier de soldes ou de ventes à rabais, comme cela existe dans tous les commerces. L'accès à ces soldes permet aux bibliothèques, entre autres, d'acheter des volumes d'art ou très illustrés qui se vendent normalement trop cher pour faire l'objet d'un achat régulier de la part de la bibliothèque. Elles peuvent ainsi compléter leurs collections. Or, ces ventes obéissent à des impératifs particuliers: écoulement rapide des stocks intéressants, nécessité de choisir les ouvrages valables, mécanisme de mise en marché particulier, etc. Dans le cas des volumes français, les soldeurs sont situés et travaillent surtout à Paris.

Le projet de loi devrait permettre aux institutions subventionnées de consacrer au moins 20% de leur budget d'achat annuel à l'achat de volumes en solde ou à rabais, quels que soient les lieux d'approvisionnement. Comment, dans de telles conditions, statuer qu'un volume est soldé? Son prix pourrait le déterminer et nous pourrions dire que le prix de tout livre en solde doit être inférieur de 40% à son prix de catalogue établi lors de sa mise en marché.

II ne faudrait surtout pas restreindre ce droit par l'obligation de passer par le réseau des distributeurs exclusifs. En effet, les véritables soldes sur les volumes français, par exemple, se retrouvent à l'extérieur du Québec. Toute disposition qui ne respecterait pas la nature même de ce marché serait une façon d'empêcher les bibliothèques d'avoir accès aux volumes à coût réduit.

La seule disposition acceptable serait de limiter à environ 20% la part du budget que les bibliothèques publiques pourraient consacrer à l'achat de livres en solde. En somme, tout règlement visant à réduire ce droit ne fera que pénaliser l'utilisateur.

Le droit d'acheter de n'importe quel libraire agréé du Québec. Devant la faiblesse (qualité et quantité) du réseau de librairies au Québec, l'Etat oblige, depuis 1972, les bibliothèques scolaires à s'approvisionner dans leur région. Le législateur pourrait être tenté d'imposer la même obligation -toutes les bibliothèques subventionnées ou dépendant d'organismes subventionnés.

Pourtant, cette procédure n'a pas entraîné une amélioration de la qualité du service offert par les librairies situées hors des grands centres. Une telle obligation placerait plutôt les bibliothèques des régions autres que Québec et Montréal à la merci des libraires de la région, même si leurs services ne sont pas adéquats.

Le développement d'un réseau de librairies en région passe par d'autres mesures. Entre autres, l'accroissement de la proportion de Québécois desservis par des bibliothèques augmentera la clientèle des libraires. Ce ne sont pas les maigres budgets des institutions subventionnées qui feront vivre tous les libraires du Québec, mais bien une clientèle plus stable et plus articulée qui aura acquis dans les bibliothèques, le goût et le besoin de lire.

Le droit d'obtenir des escomptes. La loi actuelle régissant le commerce du livre stipule que les institutions subventionnées bénéficient d'un escompte de 15% si le libraire obtient la remise maximale de 40% dans le cas des volumes soumis à la distribution exclusive, et l'escompte diminue proportionnellement à ladite remise. Il est maintenant question d'éliminer ce droit consenti aux institutions subventionnées dans le but d'aider les libraires à redresser leur situation financière.

Un calcul établi à partir des propres statistiques du ministère des Affaires culturelles, concernant les budgets d'achat dépensés par les bibliothèques publiques en 1977, révèlent que, si l'escompte de 15% n'avait pas été alors permis, les bibliothèques se seraient trouvées dans l'alternative suivante: ou bien payer aux libraires quelque $790 000 de plus pour la même quantité de volumes, ou bien diminuer leurs commandes de près de 100 000 volumes alors que leurs collections étaient déjà bien insuffisantes. Et c'était pour l'année 1977; que supposer alors pour les années 1980 et suivantes?

L'Etat, s'il voulait adopter une telle mesure, devrait assurer aux bibliothèques des sommes supplémentaires adéquates à titre de compensa- tion pour la perte du pouvoir d'achat. Mais quelles garanties le ministre des Affaires culturelles va-t-il leur donner que les subventions qu'elles reçoivent aujourd'hui, calculées selon les paramètres actuels, ne seront pas triturées de manière à leur faire absorber tout simplement, sans plus, la valeur des escomptes disparus? Bien plus, quelles garanties le ministre peut-il lui-même obtenir de la part du ministre des Finances et du Conseil du trésor que les sommes nécessaires pour compenser adéquatement la perte indéfinie des escomptes seront, d'année en année et d'une façon obligatoire et permanente, versées en sus des subventions ordinaires non triturées aux bibliothèques publiques selon leurs chiffres d'achat?

Sans au moins ces deux garanties inscrites dans la loi, il serait difficile pour les bibliothèques publiques d'accepter cette nouvelle politique, car elles savent d'expérience que l'impossibilité d'obtenir les crédits nécessaires aux fins précitées fait, hélas!, partie des probabilités administratives du gouvernement; elles en ont déjà eu la preuve alors que, en 1972 et en 1973, faute de crédits suffisants, leurs subventions réglementaires ont dû être coupées respectivement et uniformément de 14% et de 18%.

Alors, si l'escompte de 15% devient impossible à cause du nouveau règlement proposé et si les subventions de compensation se révèlent un jour ou l'autre également impossibles à cause de restrictions budgétaires, les bibliothèques publiques financées par les municipalités dans une proportion de 70% seront pénalisées par une telle législation et ce, au détriment des usagers et de la collectivité, car il s'agit d'une mesure coercitive imposée aux municipalités qui n'a son pareil dans aucun autre secteur. Tout au contraire, les municipalités sont obligées de procéder par soumissions; ce qui leur permet de faire certaines économies dans les autres secteurs d'intervention.

A notre avis, il existe des modalités plus adéquates qui avantageraient financièrement le libraire. Une de celles-ci réside dans la présentation de la commande. Les institutions subventionnées ont à leur service des spécialistes du livre qui sont habitués à travailler avec les instruments bibliographiques les plus complexes. Au lieu de suggérer aux libraires d'engager des bibliotech-niciens et d'acheter de tels instruments bibliographiques, les bibliothèques pourraient très bien effectuer ces recherches qu'elles font de toute façon. Ainsi, si la demande était transmise sans qu'elle nécessite aucune recherche de la part du libraire: auteur, titre, collection, maison d'édition, etc., il y aurait une diminution des frais d'administration au niveau de la masse salariale. Si, pour réaliser certaines économies, les institutions subventionnées transmettaient les commandes avec une identification bibliographique incomplète, en omettant, par exemple, l'éditeur, nous pouvons imaginer facilement le surcroît de travail qu'auraient les libraires pour compléter les commandes.

Bien sûr, il faut que le libraire, lien commercial nécessaire entre l'éditeur et le consommateur, soit protégé, soutenu, aidé afin d'assurer la solidi-

té et l'amplitude de ce réseau de distribution de la culture. Mais pourquoi devrait-il toujours l'être au détriment d'un autre réseau, celui des bibliothèques publiques, qui met gratuitement la culture à a portée de tous? Pourquoi, une bonne fois et une fois pour toutes, ne pas chercher la solution ailleurs? Pourquoi, par exemple, le ministre des Affaires culturelles qui, avec raison, juge nécessaire et opportun de protéger le chaînon librairies, ne le fait-il pas directement, comme il le fait pour les autres chaînons: auteurs, éditeurs, bibliothèques? Il nous semblerait plus logique et surtout beaucoup plus simple et plus sécurisant aussi pour les bibliothèques publiques que le ministre verse directement aux librairies, selon des modalités à définir, les sommes compensatoires que le ministre des Finances aura consenties.

En conclusion, le Conseil de la culture de la région de Québec croit que toute loi concernant le commerce du livre doit respecter tous les intervenants dans ce secteur: libraire, bibliothécaire, écrivain, etc.; restreindre le pouvoir des distributeurs exclusifs en permettant aux libraires de s'approvisionner directement chez l'éditeur ou chez le grossiste; si la distribution exclusive est conservée pour certaines catégories de volumes, plafonner la tabelle qu'utilisent les distributeurs exclusifs et obliger ceux-ci à offrir certains services: stocks suffisants, promptitude à remplir les commandes, etc.; chercher une rentabilité accrue du commerce du livre en étudiant sérieusement la mise en place d'une centrale québécoise d'approvisionnement, en reconnaissant les rôles respectifs et du libraire et du bibliothécaire afin que ceux-ci puissent élaborer ensemble des méthodes de travail susceptibles d'accroître la rentabilité financière du premier et le rendement du second face à leurs responsabilités communautaires; ne contribuer d'aucune façon à diminuer le pouvoir d'achat des bibliothèques publiques; permettre aux institutions subventionnées d'acheter des volumes soldés sans poser de conditions qui restreindraient dans les faits l'accès auxdits volumes soldés; obliger le Conseil consultatif de la lecture et du livre à tenir des audiences publiques avant l'adoption du projet de règlement.

Le Conseil de la culture de la région de Québec prie le ministre des Affaires culturelles de chercher des solutions définitives à l'état d'anémie des librairies québécoises, solutions qui devront tenir compte des véritables causes de cet état. La possibilité de subventions directes est à explorer.

Le Président (M. Blank): Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Vaugeois: Moi aussi, je veux remercier les gens du Conseil de la culture de la région de Québec de l'intérêt qu'ils portent à la question des bibliothèques publiques.

J'ai eu l'occasion hier de regretter l'absence quasi dramatique de plaidoyer en ce sens de la part d'une foule d'organismes qui, d'après moi, devraient être au premier chef préoccupés du développement des bibliothèques publiques qui sont non seulement un lieu d'accessibilité au livre, un lieu de diffusion du livre, mais souvent un lieu d'animation et d'activités culturelles dans bien des régions, dans bien des municipalités, dans bien des localités. C'est souvent le seul endroit vraiment où il se passe quelque chose, où les activités culturelles peuvent trouver leur place. C'est un plaidoyer qu'on entend trop rarement et, dans un premier temps, je veux en remercier, en féliciter les porte-parole du Conseil de la culture de la région de Québec.

Hier, nous avons eu l'occasion, par l'audition de certains mémoires et en particulier de celui des bibliothécaires, d'aborder assez longuement plusieurs questions qui sont traitées aujourd'hui. Nous les avons encore peut-être abordées davantage à l'occasion d'un échange que nous avons eu avec les distributeurs. Je pense pouvoir dire qu'à cet égard je me suis fait un peu votre précurseur hier en avançant, en prenant sur moi un certain nombre d'observations que vous formulez. Je ne dis pas que je les ai formulées comme vous les formulez, je ne dis pas que je les ai toutes formulées, mais je pense que, sur certains points, je n'étais pas loin des remarques qui sont contenues dans votre mémoire.

Egalement, nous avons fait fréquemment référence aux avant-projets de règlements qui sont déposés maintenant, ce qui est assez rare, je tiens à le souligner. Nous sommes conscients d'avoir une loi-cadre. C'est un choix que nous avons fait. Nous sommes conscients de ce que cela peut signifier et c'est une raison pour laquelle nous avons tenu à déposer nos avant-projets de règlements. Les procédures pour l'approbation de ces règlements et pour leur modification ne seront pas soumises à l'arbitraire de qui que ce soit. Nous allons renforcer le conseil consultatif à la lumière de certaines remarques qui nous ont été adressées hier. Nous allons lui donner un rôle accru et je pense que nous trouverons là un organisme indépendant, autonome et compétent qui pourra surveiller l'évolution des règlements. Je pense que nous avons tous intérêt à utiliser cette formule parce que les règlements peuvent être modifiés au vu et au su, si on veut prendre les moyens nécessaires, alors qu'une loi est beaucoup plus difficile à faire évoluer.

Donc, plusieurs points que vous abordez dans votre mémoire, j'ai presque envie de dire tous les points que vous abordez dans votre mémoire ont trouvé hier des commentaires assez importants ou encore ont trouvé des réponses précises soit à l'occasion des échanges qu'on a eus, soit encore en faisant des références aux règlements qui ont été déposés. Je retiendrai quand même quelques exemples. Je les prends un peu en vrac. Par exemple, à la page 14, vous plaidez pour le livre de solde. C'est prévu déjà dans un règlement. Il y a un écart qui nous sépare. Nous parlons dans le règlement de 50%. Vous parlez de 40% de rabais. Il y a probablement aussi une autre petite nuance qu'il faudrait vérifier. Vous parlez d'achat directement chez le soldeur en Europe, alors que je crois

que nous faisons davantage référence à un livre en solde ici au Québec. Ce sont des questions que nous pouvons regarder plus attentivement, mais c'est pour vous dire que la plupart des points que vous évoquez trouvent leur réponse soit dans les échanges qu'on a eus hier, soit dans les avant-projets de règlement.

En page 2, et vous le reprenez à la fin, vous avancez un certain nombre de préoccupations qui sont les nôtres. La loi doit respecter tous les intervenants de ce secteur. C'est un principe que vous réaffirmez et que nous faisons nôtre. Vous voulez également que la réglementation ait pour conséquence de rendre le livre le plus accessible possible à l'ensemble des Québécois. C'est effectivement notre préoccupation. Il y a comme cela plusieurs points que je pourrais reprendre et faire miens. Je pense que ce n'est pas nécessaire de le faire pour chacun des cas.

Il y a une question que j'aimerais vous poser. Vous soulignez à deux ou trois reprises les difficultés du commerce de librairie. Vous dites à un endroit, par exemple, à la page 3, que certaines succursales ont dû fermer faute de marchés. Vous plaidez, d'ailleurs, vous-mêmes pour l'existence d'un bon réseau de librairies. (12 h 15)

J'aimerais que vous puissiez me dire comment nous pouvons compenser la faiblesse d'un marché individuel quand la population d'une région donnée est assez faible sans avoir recours à un marché que nous soutenons, celui des bibliothèques subventionnées ou des bibliothèques subventionnées municipales ou scolaires. Je retiens cette question. J'aimerais avoir un peu votre point de vue là-dessus. Cela vient à la page 3 et cela revient à d'autres endroits. Par exemple, à la page 5, on insiste beaucoup sur le fait qu'il est généralement admis que la faiblesse économique des libraires les empêche de remplir adéquatement leur rôle professionnel. On tourne autour de la même question et l'explication fournie par le mémoire, c'est que le marché serait trop faible dans certains cas pour assurer une situation économique minimale. M. Dussault aurait pu — si nous lui avions donné plus de temps encore — expliquer que, pour certaines de ses succursales, c'est le problème. Il est généralement admis que si le chiffre d'affaires d'une librairie est en deçà de tel niveau — peut-être un chiffre d'affaires de $250 000 par année — il est très difficile... Non, ce n'est pas votre chiffre d'affaires. M. Dussault, je le sais. Mais c'est un chiffre que d'autres nous donnent. Disons que cela peut être $350 000 pour d'autres... c'est le chiffre que M. Dussault propose comme étant le seuil minimal pour permettre à un libraire de se donner les services qui conviennent.

Je ne voudrais pas passer sous silence une de vos préoccupations majeures. Vous formulez trois points précis. Bénéficier des soldes, acheter de n'importe quel libraire agréé au Québec... Je vous signale qu'à cet égard nos règlements le prévoient dans une certaine mesure. Je ne pense pas que cela puisse arriver mais, si cela devait arriver, si dans une région donnée il n'y avait pas de libraire apte à répondre aux exigences des bibliothèques, c'est prévu dans nos règlements qu'à ce moment-là les achats puissent se faire en dehors de la région. Il est même prévu que les frais de transport ne seront pas à la charge de la bibliothèque. Donc, le cas a été prévu. Nous ne pensons pas que cela puisse arriver, mais nous avons prévu que cela pourrait arriver. Pour certains genres d'institutions — vous l'avez noté, je crois, vous le savez— c'est déjà prévu. Par exemple, pour les bibliothèques de CEGEP, il est prévu qu'on puisse avoir recours à des librairies spécialisées ou encore à des librairies là où ils se trouvent et qui peuvent répondre aux attentes de ce genre de bibliothèque.

Quant à l'escompte de 15% — vous plaidez indirectement pour son maintien —je comprends parfaitement vos préoccupations. Nous en avons longuement parlé hier et je comprends le ton que vous prenez pour en traiter. Il y aurait beaucoup de choses qu'on pourrait dire là-dessus. Le pari que nous faisons, c'est de contribuer, par l'ensemble de notre réglementation, peut-être pas vraiment à baisser le prix du livre, mais au moins à le stabiliser et à pouvoir le suivre.

Vous avancez une hypothèse de regroupement des librairies pour leurs achats, qui remet en question l'existence de la distribution telle qu'elle se pratique actuellement. Hier, on est venu pas très loin d'ouvrir cette porte. C'est dans nos discussions avec les distributeurs que nous allons mieux voir quelle avenue nous devons retenir. On a même ramené hier l'idée de la centrale, mais ce que vous proposez, je comprends que ce n'est pas la centrale; c'est le regroupement de libraires indépendants, comme cela existe dans d'autres professions, qui se regroupent pour faire leurs achats. C'est une idée extrêmement intéressante et les libraires pourraient la commenter. Je les invite à le faire lorsqu'ils viendront tout à l'heure.

Donc, nous pensons que la disparition des 15% peut être compensée de diverses façons peut-être par une meilleure attention apportée au jeu des tabelles. Pour les libraires d'ici qui ne sont pas affectés par la tabelle, je pense que tout le monde conviendra que, quand un éditeur sait que le marché principal de certains de ses titres est un marché qui profite de remises, le prix est tout de suite corrigé en conséquence. Et on a pu voir ce qui s'est produit en France avec la FNAC. N'importe quel vendeur de n'importe quoi corrige son prix quand il est obligé de négocier des remises avec son client. Il y a des pays dans le monde qui sont spécialisés là-dedans. J'ai pour ma part une expérience du Maroc et je me souviens fort bien des séances de négociation que nous avions un peu partout. Comme le vendeur sait à l'avance qu'il aura à discuter du prix, il a un premier prix de départ et ce n'est pas le prix qu'il va appliquer. Il serait le premier déçu s'il fallait qu'on accepte de payer le prix qu'il a annoncé. Finalement, le jeu des remises fait, à mon avis, que tout est un peu faussé.

Dans le domaine du livre, cela a peut-être été pire que n'importe où ailleurs. A peu près tout le

monde avait droit à sa remise en librairie. Le prix officiel était un prix fictif et un prix qui ne s'appliquait finalement qu'à quelques cas isolés. Je pense que cette pratique est en train de disparaître. On a réussi, je pense, dans ce commerce de la librairie, à s'approcher d'un prix régulier payé par tout le monde. Nous proposons aux institutions de respecter cet élément que nous proposons.

Pour ne pas faire perdre de pouvoir d'achat aux bibliothèques, nous avons plusieurs mesures qui s'en viennent. Vous avez raison de nous dire qu'on aurait peut-être dû commencer par annoncer cela. Nous sommes maintenant sur le point de le faire. Nous l'aurons fait avant que cette loi ne soit rendue au terme de son étude. Le processus d'étude d'une loi est beaucoup plus long que l'élaboration d'un plan de développement de bibliothèques que nous préparons actuellement. Nous aurons l'occasion de le rendre public. J'ai dit hier aux bibliothécaires que moi, le premier, je tiens beaucoup à ce que non seulement les budgets des bibliothèques s'accroissent de façon à compenser les 15%, mais s'accroissent au-delà de ce genre d'exigence.

Vous m'avez cité dans une de mes conférences. J'ai moi-même rendu publics et répété publiquement à plusieurs reprises nos retards du côté des bibliothèques. Vous reconnaîtrez, M. Sauva-geau, que le gouvernement actuel a, depuis trois ans, montré qu'on ne souhaitait pas que des coupures qui ont pu affecter les budgets des bibliothèques ces dernières années se répètent à l'avenir. D'une part, les budgets des bibliothèques ont doublé, à toutes fins utiles, depuis trois ans, même plus que doublé. Je le dis avec plaisir. Cette initiative à laquelle vous avez contribué plus que tout autre, celle des BCP, a trouvé, au cours des trois dernières années, un développement qui allait probablement au-delà des espoirs que vous pouviez formuler vous-même lorsque vous avez créé la première BCP, la deuxième puis la troisième.

C'est donc dire que le gouvernement actuel prend très au sérieux le développement des bibliothèques publiques. Nous avions à terminer le réseau des BCP. Il s'agissait de répondre à une première catégorie de besoins. Pour autant, nous sommes bien loin de nous croiser les bras pour les bibliothèques publiques en général. C'est l'essentiel d'une de nos offensives majeures actuellement que d'aller dans ce sens. Nous n'avons entre les mains, avec le projet de loi actuel, qu'un élément mineur de l'ensemble des interventions que nous voulons faire dans le domaine du livre et de la lecture. C'est ce que nous avons étudié à ce moment.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Brièvement. Je veux souligner évidemment l'intérêt de votre mémoire, en comprenant très bien votre souci de faire en sorte qu'en ce qui concerne les bibliothèques publiques, un véritable démarrage s'amorce. Le ministre a réitéré une nouvelle fois ses intentions. Nous allons sans doute devoir attendre. Il y a toute une série de propositions intéressantes dans votre mémoire à ce titre, également au sujet des libraires. Il y a une chose, évidemment, pour les membres de la commission qui ne sont pas familiers avec le quotidien du monde de la librairie et de l'édition. Vous dites, dans votre mémoire, que l'établissement des agences de distribution au Québec n'a pas assuré le maintien sur place de stocks importants et variés, ni un service plus rapide aux libraires, etc. A combien de reprises les librairies se sont-elles jointes aux bibliothécaires pour dénoncer la qualité du service donné par les maisons de distribution, leur attitude mercantile, leur responsabilité dans l'augmentation des coûts, etc.?

Si je prends un autre paragraphe d'un mémoire qui nous a été soumis antérieurement, on dit: "D'une façon générale, l'implantation des distributeurs au Québec, depuis une dizaine d'années, a entraîné des avantages pour le public et pour le libraire. Pour le public, il a amené un choix de livres plus étendu, une baisse du prix de vente au détail, en dollars canadiens, du livre importé. Pour le libraire, il a amené la simplification et l'accélération des approvisionnements. Il a diminué les risques d'achat, possibilité de retour", etc.

En fait, c'est une contradiction. Evidemment, le deuxième extrait que je vous cite, cela vient du mémoire des distributeurs. Dans le mémoire des Bibliothèques publiques, on retrouve votre analyse de la situation. Vous demandez, à toutes fins utiles, dans votre mémoire au ministre, de réduire — je prends seulement le dernier élément de votre conclusion — "de restreindre le pouvoir des distributeurs exclusifs." J'aimerais que vous expliquiez un peu. Est-ce que c'est votre opinion? Par exemple, les distributeurs nous ont dit qu'il y a dix ou quinze ans, avant que le système de distribution qu'on connaît en ce moment soit mis sur pied, cela avait amené une diminution sensible du prix du volume, compte tenu des services. Est-ce que vous contestez à ce point les services que ces gens prétendent, à tort ou à raison — je ne veux pas que vous en décidiez vous-même — rendre au monde des librairies et de l'édition?

M. Sauvageau: Je pense que le commentaire que vous avez formulé et qui vient du mémoire des distributeurs est, en partie, exact. D'ailleurs, on le retrouve dans notre mémoire.

Pour les volumes de grande diffusion, les volumes à caractère très populaire, il est évident que les points de distribution qui ont été mis en place sont pourvus plus rapidement de ces volumes et, donc, le public a accès plus rapidement à ce qu'on appelle dans notre mémoire un réseau parallèle de services au public pour la lecture, c'est-à-dire pour le livre.

Cependant, quand on parle des institutions subventionnées, je pense que le problème est totalement différent. Vous avez parlé tantôt de l'époque où la loi n'était pas votée, il y a une dizaine d'années. Je peux vous dire qu'à ce moment-là la vitesse avec laquelle nous avions nos volumes était beaucoup plus rapide et que

nos commandes étaient beaucoup plus complètes aussi qu'en ce moment. Ce serait facile pour nous de vous le démontrer et de vous donner des chiffres à ce sujet, parce qu'à l'époque nous faisions affaires et achetions directement des libraires qui pouvaient, eux-mêmes, acheter directement en France.

Depuis l'avènement des distributeurs exclusifs pour les institutions subventionnées, il est possible d'avoir assez rapidement ce que nous appelons en général des best-sellers, c'est-à-dire des volumes à grande diffusion. Mais, encore là, il ne faut pas qu'on retourne trop rapidement à la librairie s'il nous manque des exemplaires, parce que, là, le libraire nous fait ce qu'on appelle un "back order", c'est-à-dire qu'il nous dit qu'un jour on aura le volume et, dans certains cas, le délai de livraison est extrêmement long. A mon avis, ce n'est pas nécessairement la faute du libraire, mais c'est vraiment le problème du distributeur exclusif.

Il y a plusieurs éditions, même des éditions très connues comme Presses de la cité, Pion et Flammarion, pour lesquelles nous avons beaucoup de difficulté à avoir des volumes que nous commandons en surplus quand il s'agit de best-sellers qu'on a déjà eus ou encore par demande spéciale. Lorsque nous faisons des demandes particulières — dans une bibliothèque, c'est tout à fait normal, parce que l'usager ne lit pas que les volumes à grand tirage — nous nous amenons chez le libraire pour avoir, je ne sais pas, moi, quelque centaines de volumes, il faut être assez patient en général et les délais de livraison du volume sont relativement longs, c'est-à-dire qu'ils se situent entre deux et trois mois.

Disons qu'en général il y a une moyenne de délai de livraison de deux ou trois mois. Vous allez me dire: Ce n'est pas beaucoup, mais, paradoxalement, si le libraire avait commandé directement ou si nous pouvions commander directement, le temps de livraison, surtout avec un organisme l'ACDL, serait plus rapide dans le moment. Donc, si le distributeur exclusif a amélioré certaines choses au niveau de la distribution du volume à grande consommation, par contre, lorsque nous arrivons au niveau de volumes qui n'entrent pas dans cette catégorie, le temps de livraison ou le temps pour recevoir ce volume est beaucoup plus long. Malheureusement, parfois, nous avons tendance à blâmer le libraire. Mais nous savons pertinemment que, parfois, le libraire même, pour accélérer la commande, prend la peine de téléphoner au distributeur exclusif et, ensuite, de confirmer par écrit la commande. Cela n'accélère pas nécessairement la réception du volume.

Evidemment, vous savez — je parle ici en tant que service public de bibliothécaire — que nous avons certaines exigences en termes de service à la clientèle, comme n'importe quel autre secteur des loisirs a des exigences. De toute façon, ça fait partie de la concurrence. Nous avons à supporter une concurrence au niveau d'autres media que les gens utilisent pour leurs loisirs. Il faut donc que le service soit relativement bon. Un tel délai de livraison fait en sorte qu'il y a des clients qui quittent la bibliothèque et qui ne reviennent pas. C'est tout à fait normal.

M. Rivest: Sur le plan des bibliothèques, vous passez assez rapidement sur le problème de la propriété québécoise. Hier, les gens des bibliothèques publiques nous ont dit leur inquiétude de voir si, vraiment, les capitaux français ou américains devaient disparaître au Québec, au niveau de la fourniture aux institutions et, en particulier, en regard du problème des bibliothèques publiques, parce qu'ils obtiennent des services que d'autres ne sont peut-être pas en mesure de leur fournir. Quel est votre sentiment là-dessus? (12 h 30)

M. Sauvageau: Nous sommes d'accord sur une telle dimension de la loi et nous avons l'impression...

M. Rivest: Vous êtes d'accord sur quoi? Sur les 100%?

M. Sauvageau: Sur les 100%, oui.

M. Rivest: Parce que les bibliothèques publiques étaient inquiètes, hier, si la loi était appliquée à 100%, de voir diminuer, en ce qui les concerne, pour leurs besoins propres, des services auxquels elles ont accès en ce moment. Est-ce que vous partagez cette crainte de la part des bibliothèques publiques?

M. Sauvageau: Non, nous ne partageons pas cette crainte.

M. Rivest: Vous croyez que le réseau de libraires à 100% québécois peut fournir des services comparables ou enfin les mêmes services?

M. Sauvageau: Oui.

M. Rivest: C'est votre sentiment.

M. Sauvageau: Oui.

Le Président (M. Blank): M. le député? Une Voix: Non.

Le Président (M. Blank): D'accord. Nous suspendons les travaux de la commission jusqu'à 14 heures. Le prochain mémoire entendu sera celui de Reader's Digest.

Suspension de la séance à 12 h 31

Reprise de la séance à 14 h 20

Le Président (M. Blank): A l'ordre, s'il vous plaît!

Nous reprenons les travaux de la commission permanente des affaires culturelles avec les représentants de Reader's Digest "Canada", M. Guy Pinsonnault. Pourriez-vous me rappeler votre

nom, parce que la feuille sur laquelle étaient écrits les noms a disparu durant l'heure du repas?

Sélection du Reader's Digest (Canada) Limitée

M. Malo (Roland): Très bien. Roland Malo, de Sélection du Reader's Digest.

Le Président (M. Blank): Excusez-moi. Et votre collègue?

M. Malo: ... et Me Marcia Pinet, de l'étude Tremblay, Pinsonnault, Morisset, Bois et Mignault.

M. le Président, messieurs les membres de la commission, nous voulons vous remercier de l'occasion que vous nous avez offerte de nous présenter devant vous avec un mémoire qui a trois objectifs. Le premier objectif, c'est de nous faire connaître auprès des législateurs; le deuxième, c'est d'exprimer des préoccupations générales causées par des lois votées récemment par l'Assemblée nationale; le troisième objectif, c'est d'exprimer des inquiétudes plus précises au sujet du projet de loi no 51.

La structure sociale du Sélection du Reader's Digest (Canada) Limitée, et Périodiques Reader's Digest Limitée indique que ce sont des entreprises canadiennes ayant leur siège social à Montréal, au 215, avenue Redfern. Sélection du Reader's Digest Limitée a été constituée en société en 1943, en pleine guerre mondiale, et a commencé à publier sur des presses de location. En 1947, une presse fut achetée et installée à Montréal. Depuis cette époque, la publication, à Montréal, de Sélection en français et du Reader's Digest en anglais s'est poursuivie sans interruption.

En 1968, 28,3% (aujourd'hui, 32,5%) des actions délibératives de la société ont été mises à la disposition du public canadien par l'intermédiaire de bourses canadiennes. C'était aller au-delà de ce que demandait alors le ministère fédéral de l'Industrie et du Commerce aux sociétés canadiennes dont l'actionnaire majoritaire était une entreprise étrangère.

En 1976, conformément à certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les magazines canadiens, la structure de la société fut une nouvelle fois remaniée. Ainsi, les magazines Reader's Digest et Sélection du Reader's Digest sont désormais produits et publiés par la société Périodiques Reader's Digest Limitée, dont 75% des actions délibératives sont détenues par la Fondation du Reader's Digest du Canada, organisme de charité sans capital-actions qui a pour vocation, entre autres, d'encourager et de promouvoir le journalisme au Canada et au Québec.

La publication, chaque mois, du Reader's Digest et de Sélection du Reader's Digest au Canada est l'aboutissement d'un travail complexe de rédaction, de recherche et d'impression se déroulant dans les deux langues.

Les rédactions (50 personnes) du Digest et de Sélection sont distinctes et autonomes, ce qui ne les empêche pas de collaborer étroitement et d'avoir des services de reherche et d'art graphique communs.

La société éditrice des magazines reçoit de Sélection du Reader's Digest (Canada) Limitée des services administratifs et professionnels pour la diffusion, la publicité et la comptabilité.

Sélection du Reader's Digest (Canada) Limitée, les grande6 lignes de la gestion de cette société sont définies et mises en oeuvre par un conseil d'administration formé de huit membres, dont quatre sont des résidants du Québec. Sur les douze Canadiens faisant partie de la haute direction, dix sont Québécois, quatre sont francophones.

La société publie des livres condensés en anglais, Sélection du livre en français et un large choix de livres canadiens dans les deux langues. En outre, elle produit et vend des disques et des cassettes, toujours dans les deux langues.

En plus des 50 membres du personnel de Périodiques, Sélection emploie directement 629 personnes, dont 589 à Montréal. Ainsi, au total, les deux sociétés emploient 639 personnes à Montréal. L'exploitation de Sélection est confiée à huit grands services. Le premier est l'édition de livres. 63 personnes travaillent à la mise au point et à la publication de livres en anglais et en français. Le catalogue contient actuellement 55 titres, dont 21 en français. Ce service publie aussi, chaque année, six livres condensés en anglais et cinq en français.

Le deuxième service s'appelle ventes de publications éducatives. Dans le domaine éducatif, Sélection du Reader's Digest (Canada) Ltée produit une gamme de matériel didactique comprenant les Reading Skill Builders et Savoir lire bien connus, de même que nombre de manuels scolaires de compréhension facile dans le domaine des sciences...

Le Président (M. Laplante): Monsieur, je m'excuse de vous déranger. Surtout, je ne voudrais pas que vous ayez l'impression que je voudrais brimer vos droits devant cette commission mais, à cause du retard d'hier, si vous étiez capable d'expliquer tout de suite à la page 9... On peut vous accorder sur demande la transcription complète de votre mémoire au journal des Débats. Tout ça pour essayer d'entendre les groupes qui ont été convoqués aujourd'hui, parce que la séance de la commission doit être close à six heures.

M. Malo: Est-ce qu'on pourrait passer au bas de la page 5?

Le Président (M. Laplante): C'est-à-dire que ça prendrait pas mal de temps. Vous donnez actuellement la description de votre compagnie, c'est très intéressant, mais...

M. Malo: C'est parce que le mémoire a été composé et se tient. Maintenant, je pourrais passer à la page 6.

Une Voix:... passer tout le temps à discuter de quelle page.

M. Malo: Non. Ce que nous apportons au Québec, est-ce que je peux?

Le Président (M. Laplante): D'accord.

Une Voix: On a lu votre mémoire, il sera inscrit au journal des Débats. Les problèmes que vous posez commencent à la page 9; alors, on pensait qu'on pourrait passer immédiatement à la page 9.

M. Malo: Ah bon!

Une Voix: Si vous tenez à le lire...

M. Malo: II y avait certains commentaires...

Le Président (M. Laplante): Oui, faites-les vos commentaires, si vous voulez, en résumé.

M. Malo: D'accord, je passe à la page 9. Le Président (M. Laplante): D'accord.

M. Malo: Vous voulez que je commence à nos inquiétudes particulières au sujet du projet de loi no 51?

Le Président (M. Laplante): S'il vous plaît!

M. Malo: Dans une lettre à notre président en date du 15 février 1979, le ministre des Affaires culturelles déclarait que l'objectif de la politique du livre était de, et je cite: "Maintenir nos traditions de liberté dans le secteur de l'édition, de distribution et du commerce du livre chez nous tout comme nous nous efforcerons, avec les divers milieux impliqués, d'identifier les moyens propres à assurer à nos concitoyens un accès toujours plus grand au livre et à la lecture et à faciliter de plus en plus la disponibilité de ce mode de diffusion pour nos écrivains".

Nous sommes totalement d'accord avec cette philosophie. Par ailleurs, dans les notes explicatives du projet de loi no 51, on peut lire que ce projet de loi a principalement pour objet: "a) d'imposer au gouvernement et à diverses catégories d'organismes publics l'obligation d'acheter leurs livres dans des librairies agréées selon une procédure et des normes établies par règlement; "b) de réserver aux éditeurs, distributeurs et librairies agréés ou admissibles à l'agrément l'aide que le gouvernement, ses ministères et organismes sont autorisés à accorder dans le domaine du livre; "c) de rendre applicables aux entreprises de distribution et de librairie certaines normes et règles quant au mode de calcul des prix de vente des livres distribués au Québec; "d) de prévoir la délivrance d'un agrément à des éditeurs, des distributeurs ou des libraires québécois ainsi que les obligations auxquelles ces personnes doivent se conformer."

Il est difficile de concilier ces deux points de vue. Le projet propose la création d'un groupe particulier d'éditeurs, de distributeurs et de librairies avec certains droits qui seront niés à d'autres.

Pour l'instant, Sélection du Reader's Digest (Canada) Ltée et Périodiques Reader's Digest Ltée ne prévoient pas le besoin de solliciter, en tant qu'éditeurs, l'aide du gouvernement du Québec. Mais qu'adviendrait-il si — et la chose est concevable — des services normalement dispensés par le gouvernement, mais qui pourraient eux-mêmes bénéficier d'une aide gouvernementale, devaient être, aux termes de la loi, considérés comme une aide et, par conséquent, refusés aux éditeurs qui ne seraient pas conformés aux normes et obligations de la loi? Il pourrait s'agir, par exemple, de renseignements et de documentation ou encore de copyrights détenus par le gouvernement du Québec. (16 h 30)

Si l'intention première du législateur est de promouvoir davantage la lecture d'auteurs québécois et de rendre le livre plus accessible à la population québécoise, il conviendrait, au premier chef, d'encourager la plus grande contribution possible de l'édition québécoise, sans tenir compte de la propriété du capital-actions. Les restrictions du présent projet de loi pourraient fort bien avoir pour effet de réduire la quantité totale des ventes de livres dans la province. A court terme, les entreprises agréées y trouveraient peut-être leur compte puisque, même si le volume des ventes diminuait, leur présente proportion du marché pourrait s'accroître. A long terme, cependant, c'est l'industrie du livre dans son ensemble qui en souffrirait.

Dans les deux cas, le lecteur serait éventuellement lésé par un choix de livres moins étendu et par des impôts affectés à des prix subventionnés. L'industrie du livre n'était plus sujette à une véritable concurrence, les tirages baisseront, les coûts à l'unité monteront et la hausse des prix sera défrayée par l'acheteur et le contribuable.

On nous a demandé si nous sommes d'accord avec la loi telle qu'elle est présentée, compte tenu du fait qu'elle ne portera pas directement atteinte aux intérêts de notre maison d'édition. En toute conscience, nous ne pouvons pas donner un tel accord si, en tant qu'entreprise implantée au Québec et contribuant à son économie avec l'ampleur décrite plus haut, nos activités d'édition, de distribution et de vente se voient interdire à jamais, de par les dispositions de la loi, l'accès à un marché aussi étendu que celui que représente, à l'intérieur du Québec, l'achat normal de livres au moyen de fonds publics.

En outre, il ne faut pas oublier qu'aux termes du projet de loi, les maisons d'édition dont les actions du capital-actions sont partiellement ou totalement détenues par des personnes domiciliées hors du Québec, éprouveront dans leurs ventes plus de difficultés qu'auparavant et devront renoncer à certains projets souhaitables qu'elles auraient pu entreprendre en collaboration avec le gouvernement du Québec et qui auraient été dans l'intérêt des lecteurs du Québec.

Au cours des deux dernières décennies, Sélection du Reader's Digest (Canada) Limitée a réinvesti d'importants bénéfices et consacré beaucoup d'énergie afin de former au Québec une équipe hautement qualifiée, capable de produire en français et en anglais des livres qui connaissent au Canada une diffusion à la fois vaste et appréciée. Cela s'est fait sans subvention gouvernementale, mais non sans risque. Après avoir publié des livres canadiens et internationaux de remarquable qualité, dont la plupart d'ailleurs ont été conçus et réalisés par des rédacteurs et des artistes graphiques québécois, notre maison s'est développée au point où nous pouvons maintenant envisager des publications de caractère plus régional et destiné à des collectivités particulières.

Le comité comprendra sans doute qu'il nous est difficile de considérer avec enthousiasme une loi dont les dispositions pourraient nous empêcher de procurer à nos concitoyens le fruit de notre labeur et de notre progrès. Nous prions instamment le comité d'examiner le projet de loi no 51, à la lumière des intérêts véritables du lecteur québécois à qui les subsides doivent, en fin de compte, profiter.

Nous avons déjà fait certaines observations aux hauts fonctionnaires du ministère des Affaires culturelles, notamment au sujet de l'article 4 du projet de loi qui se lit comme suit: "Toute personne qui fait la distribution de livres au Québec doit se conformer aux normes et barèmes déterminés par règlement du gouvernement relativement au mode de calcul du prix de vente".

L'ambiguïté que comporte cet article serait sans doute clarifiée lors de la rédaction de la version définitive. L'article en question ne devrait certainement pas être adopté tel quel, car la restriction qu'il établit est d'application trop générale et ne rend pas, croyons-nous, la pensée du législateur. De plus, nous croyons que le règlement no 2 devrait contenir de sérieuses garanties contre l'arbitraire possible de la part du pouvoir exécutif et des administrateurs publics.

M. le Président, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de lire la page 13, je crois que ça va faire partie du journal des Débats. Je saute à la conclusion de la page 14.

Nous terminons en soulignant encore que nous comptons que le gouvernement a pour objectif de permettre à des entreprises, telles que les nôtres, de poursuivre des activités qui se sont avérées et qui, nous l'espérons, continueront de s'avérer rentables et réussies au Québec. C'est avec cet objectif positif à l'esprit que nous soumettons les commentaires qui précèdent.

Le Président (M. Laplante): Merci beaucoup de votre coopération, monsieur. M. le ministre.

M. Vaugeois: Moi aussi je vous remercie de votre compréhension, parce que ça va finalement nous donner plus de temps pour échanger, à partir d'un document que nous avons entre les mains et auquel on peut se référer.

D'abord, je pense qu'il y a une certaine méprise, que vous avez dû constater vous-même, depuis le début des discussions auxquelles vous avez assisté. C'est qu'il n'est pas question de nécessité, pour les maisons d'édition, de s'inscrire et de se faire agréer, c'est le principe contraire que nous défendons; nous défendons la liberté pour n'importe qui d'éditer au Québec, de vendre des livres au Québec. La seule chose, c'est que si on veut profiter des subventions de l'Etat, on doit rencontrer un certain nombre de critères.

Dans la note qui accompagne votre mémoire, on nous dit qu'à chaque fois qu'on demande une subvention, on pourrait faire une démonstration. Nous proposons que ce soit fait une fois pour toutes; nous ne voulons pas, à chaque année, revenir avec la demande d'agrément, elle est demandée une fois pour toutes et aussi longtemps qu'il n'y a pas d'éléments majeurs nouveaux, on ne remet pas ça en question.

Nous voulons également — c'est très important et ça rejoint vos préoccupations — que nos programmes d'aide à l'édition fassent abstraction du choix de l'éditeur. Nous voulons respecter la liberté de l'éditeur, quand il se fait agréer et quand il a recours à notre aide. Quand il n'a pas recours à notre aide, il fait ce qu'il veut; quand il y recourt, il va également faire ce qu'il veut. C'est la nature même de notre programme d'aide à l'édition de ne pas intervenir dans son choix éditorial; c'est le sens de notre évolution.

Nous partageons donc absolument les mêmes préoccupations à cet égard, mais, quand même, il reste qu'à partir de nos interventions, vous développez dans votre mémoire ce que j'appellerais un scénario pessimiste. Vous en venez à dire que l'industrie du livre n'étant plus sujette à une véritable concurrence, les tirages baisseront, les coûts à l'unité monteront, la hausse du prix sera défrayée par l'acheteur. Evidemment, si c'était ça qui devait arriver on se serait trompé et on aurait une mauvaise loi, mais nous espérons le contraire avec notre loi. Là, ce sont des scénarios du futur, on est dans la "futurologie".

Vous avez votre expérience du domaine du livre, nous avons notre connaissance du domaine du livre et, à partir de cette connaissance, à partir des nombreuses représentations qui ont été faites par le milieu, nous avons mis au point ce projet de loi, qui — je l'ai dit au début des séances — pour nous, est un peu la reconnaissance d'un certain consensus qui existe dans la profession et qui donne à chacun un rôle précis et invite chacun à reconnaître la fonction de celui qui le précède et de celui qui le suit.

Pour vous, le partage de ces compétences qui sont celles de l'auteur, de l'éditeur, du distributeur, du libraire et, éventuellement, du bibliothécaire, qui joue un rôle important dans la diffusion et l'accessibilité du livre, ça ne vous paraît pas souhaitable qu'on le balise comme nous le balisons.

Je comprends un peu que vous soyez peu sensibles à cette approche, parce que votre maison s'est toujours spécialisée dans un autre genre d'édition et de mise en marché. Votre compétence

et votre expérience — vous le dites dans votre mémoire — est un peu d'une autre nature. Cela vous a permis d'ailleurs des activités extrêmement importantes, un travail d'édition qui est en général remarquable. Vous faites de très beaux livres, mais vous avez développé une autre approche; vous engagez très souvent vos auteurs pour faire vos livres, vous faites de beaux livres et vous les mettez en marché, le plus souvent, vous mêmes. On les retrouve maintenant de temps en temps en librairie, mais dans la mesure où vous gardez cette structure d'opération, notre loi ne vous concerne pas. Je peux même vous dire que nous avons prévu le genre d'activité qui est le vôtre, vous n'êtes pas la seule maison à procéder ainsi, d'autres maisons importantes le font; ça ne nous concerne pas. Si, par exemple, un bibliothécaire reçoit une publicité d'une maison comme la vôtre pour un livre qui n'est vendu que par courtage ou une formule analogue, nous n'intervenons pas, parce que, pour nous, ce sont des cas marginaux et ce n'est pas ce que nous visons par notre intervention.

Bien sûr, si vous développez également une intervention dans le commerce de vente au détail... Ecoutez! Quand vous allez déposer vos livres chez un libraire, vous ne vous inquiétez pas vraiment de détails, si vous voulez, parce que c'est de la vente au détail que vous faites, donc de détails qui sont personnels, etc., mais s'il se trouvait, à cet égard, des inquiétudes chez vous, je vous proposerais de continuer les rencontres que vous avez avec les fonctionnaires du ministère. Nous ne voulons pas vous embarrasser à cet égard. Le commerce du livre est libre et nous souhaitons que tous ceux qui font des livres... de préférence, ceux qui font des beaux livres et des bons livres... De toute façon, on n'intervient pas. On ne pose pas de critères de qualité. S'il se trouvait pour vous, dans cette opération de mise en marché, quelque chose qui vous gêne, je suis d'accord pour qu'on l'étudié. Mais je pense que, pour l'essentiel, les activités d'édition sont libres, votre technique de mise en marché vous concerne et notre projet de loi ne vous empêche pas d'avoir accès aux achats des institutions subventionnées. Bien au contraire, nous l'avons déjà prévu comme étant une activité qui est libre et dans laquelle nous ne voulons pas intervenir. Il n'y a aucun endroit dans notre projet de loi ou ses règlements où nous laissons entendre une intention contraire. Si c'était le cas, dites-le nous: on va corriger cela.

M. Malo: Je suis d'accord, M. le ministre. Maintenant, j'aimerais revenir, si vous me le permettez, à une possibilité de collaboration — c'est ce que j'ai voulu dire à la page 10 — ...

M. Vaugeois: D'accord.

M. Malo: ... avec le gouvernement du Québec pour utiliser des textes ou des cartes dont le gouvernement du Québec serait propriétaire et qui auraient été produits par des éditeurs subventionnés. A ce moment-là, qu'est-ce qui se passerait? C'est une crainte.

M. Vaugeois: Oui.

M. Malo: Ce n'est pas demain, ce n'est pas après-demain.

M. Vaugeois: D'accord.

M. Malo: La raison pour laquelle on le mentionne, par exemple, c'est que c'est une possibilité et, deuxièmement, nous avons actuellement avec le gouvernement d'Ottawa une telle entente. S'il y avait une législation semblable à Ottawa, cela nous empêcherait de publier, en janvier 1981, un volume qui, nous croyons, va contribuer à la culture canadienne. C'est cela qu'on a en vue avec...

M. Vaugeois: A ce moment-là, ce sont des affaires qu'on fait et ce n'est pas ce qu'on appelle de l'aide. S'il devait arriver que votre maison, par hypothèse, puisse recevoir une subvention de l'Etat — je ne sais pas dans quel programme — mais disons que quelque chose vous intéresse, que cette loi peut devenir embarrassante, on a justement des dispositions qui permettent des cas d'exception, mais on ne peut pas légiférer pour les cas d'exception, si vous voulez.

M. Malo: Je suis d'accord, mais si vous me...

M. Vaugeois: Mais pour l'hypothèse que vous posez, ce ne sont pas des programmes d'aide; ce sont des affaires qu'on fait. Le gouvernement, par cette loi, ne s'interdit pas de faire des affaires avec qui que ce soit. Cela est bien différent.

M. Malo: Si vous nous assurez de cela.

M. Vaugeois: Bien sûr. Notre démarche, c'est de faire des affaires avec le plus de monde possible. Toute notre démarche politique converge vers cela. Ce n'est pas de se replier et de limiter le nombre de nos interventions extérieures. C'est de les élargir. Je pense que mon collègue d'en face sera d'accord avec cela.

Une Voix: Avec moi?

M. Malo: Est-ce que je pourrais vous poser une autre question, M. le ministre?

M. Vaugeois: Oui.

M. Malo: II existe une possibilité que le Reader's Digest français, le Reader's Digest belge, le Reader's Digest suisse et le Reader's Digest canadien se regroupent parce qu'ils utilisent tous la même langue. Il y a des sujets où les vocabulaires sont les mêmes dans les quatre pays et où le Canada serait le pays du Reader's Digest choisi pour développer, écrire, illustrer et imprimer un volume qui serait ensuite exporté dans les trois autres pays de langue française. Cela est très possible que cela soit développé chez nous. Est-ce que vous voyez des articles de la loi ou des règlements qui — supposons qu'on ait besoin d'une aide gouvernementale — empêcheraient cette idée?

M. Vaugeois: Non, je ne crois pas... Il faudrait peut-être avoir une interprétation juridique et cela dépendrait un peu à quel titre vous demanderiez l'aide de l'Etat. (14 h 45)

II est clair que, si cette aide était demandée au niveau, par exemple, de l'impression, la loi ne touche pas le secteur de l'impression. Si c'était en tant qu'éditeur, pour une aide d'un organisme de l'Etat, il pourrait y avoir, si vous voulez, matière à interprétation. Mais, comme l'esprit de la loi n'est pas d'interdire ce genre d'aide, je pense que l'interprétation serait favorable.

Vous me permettrez un commentaire. Si telles sont vos intentions, vous comprendrez que ce genre de projet nous intéresse doublement, d'abord à cause de la création d'emplois qui peut en découler. Remarquez que c'est une opinion personnelle que je donne, du poste que j'occupe. Je pense que ce serait une bonne décision de votre part, étant donné la nature actuelle des échanges et des situations d'affaires dans les pays que vous avez mentionnés.

Je vois, d'ailleurs, qu'au niveau de l'édition courante on devrait avoir ce genre de pratique plus souvent. Je pense que momentanément il a avantage à faire cela. De toute façon, si votre entreprise décidait de le faire et veut travailler avec nous, nous sommes intéressés sur le plan économique. Sur le plan culturel, évidemment, ce rapprochement avec d'autres pays ne peut qu'être intéressant pour nous.

Je tiens à souligner — cela ne m'a pas échappé — le plaisir que nous avons eu récemment à voir l'un de vos numéros faire état de la situation et du développement de nos archives. Nous sommes conscients, à ce moment, de l'excellente publicité que vous nous faites et je tiens à vous rendre le témoignage du sérieux de votre travail. Nous avons été particulièrement étonnés du soin avec lequel vous traitiez le sujet. Le directeur des archives m'a raconté récemment que, pour chaque ligne de votre texte, une référence précise était établie et qu'au moment de la mise au propre de ce texte une vérification finale a été faite sur la nouvelle qui était dans vos publications.

Je pense que personne ne doute du sérieux de vos publications et la plupart des gens qui sont ici ont certainement eu l'occasion d'apprécier la qualité de vos publications. Alors, quand vous nous développez un scénario de l'impossible, cela nous rend un peu malheureux, parce que nous sommes de nature optimiste.

M. Malo: Je vous remercie de ces commentaires. C'est pour cela qu'au début du mémoire je voulais porter à l'attention du législateur les différents services qui produisent des articles et des documents dont vous venez de faire mention. C'était pour atteindre cet objectif.

Le Président (M. Blank): Le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Juste un bref commentaire. Il y a cet élément. Au fond, je pense que l'ambiguïté ou, enfin, les questions que vous avez soulevées avec le ministre tiennent — d'autres intervenants l'ont dit auparavant — à ce que le gouvernement entend véritablement par aide. Le ministre ne définit le mot "aide" nulle part dans ces règlements. Par contre, aide est-ce que cela veut dire toute espèce d'intervention gouvernementale? Le ministre a dit: Sur une base de collaboration ou sur une base contractuelle ou autrement, de fourniture de services.

Il semble que aide, au sens de l'article 1, n'est pas comprise dans ce genre de définition. Aide semble plutôt vouloir dire subvention ou quelque chose qui serait donné au sens de l'article 1, je ne sais pas trop, ou des programmes usuels du ministère. Alors, je pense qu'on va essayer, en tout cas, de notre côté, de collaborer, à la suite des interventions qui ont été faites à la commission, pour préciser davantage ce que le ministre entend véritablement par aide. Je pense que cela conclut la discussion.

Deuxièmement, le ministre a fait état, bien sûr, en lisant la page 10, que cela doit être une approche pessimiste ou, enfin, il a parlé d'un scénario pessimiste. Au fond, ce n'est pas tellement cette partie. C'est immédiatement après. C'est la page 11 qui vous a inquiétés cette fois-là. Ce n'est pas pessimiste. Je pense que c'est très réaliste comme inquiétude. Au fond, vous vous interrogez. Vous dites: Pour l'instant, cela ne nous embarrasse pas trop, mais il reste que les institutions subventionnées pourraient éventuellement constituer un apport à une entreprise comme la nôtre et qu'on pourrait peut-être avoir intérêt à obtenir l'agrégation et, à ce moment, remplir toutes les conditions, bien sûr, et vous en seriez empêchés à cause de la structure de votre entreprise.

Je souligne cela au ministre, parce qu'il faut bien se rendre compte que le marché des institutions subventionnées apporte de l'eau au moulin pour les entreprises, qu'elles soient québécoises ou 50% québécoises pour l'instant, tel que c'est dans la loi actuelle, mais que les entreprises sérieuses doivent, comme vous, penser à l'avenir. Comme vous le dites à la page 11, "en toute conscience, nous ne pouvons pas donner un tel accord si, en tant qu'entreprise implantée au Québec et contribuant à son économie, nos activités d'édition, de distribution et de vente se voient interdire à jamais l'accès à un marché plus étendu."

J'ai l'impression que c'est à cela que vous vous référez. C'est qu'à un moment donné, dans le volume de vos opérations, cela pourrait être intéressant, pour des raisons commerciales, si vous voulez, ou des raisons de développement de votre entreprise, d'avoir accès au marché des institutions subventionnées. C'est à cela que vous vous référez. Je pense que dans la portée générale de votre mémoire, c'est surtout à cela finalement que vous vous attachez en disant que pour l'instant, cela ne vous cause pas trop de problèmes, avec les précisions que le ministre vous a apportées. En même temps, cela déborde votre propre entreprise parce qu'il faut quand même se demander, en tant

que législateurs, quelle va être la portée et l'effet exact de cette mesure sur l'amplitude des activités des maisons qui ne pourront pas, à cause de leurs structures administratives, avoir accès au marché des institutions. C'est le sens de votre... Accès direct.

C'est vrai, le ministre nous a donné un peu l'orientation. Il n'intervient pas, en principe. Le marché du livre demeure libre, etc., c'est vrai que le projet de loi est conçu de cette façon. Mais en enlevant aux entreprises autres que celles qui seraient à 100% québécoises l'accès au marché des institutions, dans une certaine mesure, il ne s'agit pas d'être pessimiste, il s'agit de constater qu'on introduit un effet de ralentissement dans le développement des entreprises et des services, etc., et de la concurrence même, et qu'au total cela peut être le lecteur qui peut en faire les frais, sous réserve, bien sûr, des intentions et des objets spécifiques que le ministre poursuit.

M. Vaugeois: Des intentions et du texte, parce que le règlement no 4, à l'article 24, énumère ce genre d'exception. Deuxièmement, je veux quand même vous dire une chose, c'est que votre appel tout à l'heure à des formes d'aide pour certains projets vont nous amener à être plus clairs dans la rédaction de notre loi. Ce à quoi nous voulons nous référer, c'est l'aide prévue par nos programmes relatifs à cette loi. Ce n'est pas l'aide possible de la SDI à une entreprise d'édition qui est, en même temps, une entreprise d'impression, voyez-vous. On va être prudent dans la rédaction finale de notre texte.

M. Rivest: Sur l'aide? M. Vaugeois: Oui.

M. Rivest: Je n'en étais plus là. J'étais rendu au paragraphe 11, le dernier élément, non, la page 11 du mémoire. C'est parce que monsieur prétendait qu'évidemment, dans la mesure où le marché institutionnel lui était interdit, pour l'instant, non, ne lui était pas accessible, compte tenu de la structure administrative du "Readers' Digest", lui disait: Pour l'instant, cela ne nous cause pas d'embarras parce que nous, on ne fonctionne pas dans ce domaine. Par contre, il ajoute, enfin il emploie l'expression "interdit", de par les dispositions de la loi, l'accès à un marché aussi étendu que celui que présente l'intérieur du Québec. A ce moment, pour des développements futurs de son entreprise, il n'aura pas accès au volume d'affaires qu'il pourrait faire et le volume est important quand on développe une entreprise.

M. Vaugeois: II va y avoir un volume accru si notre affaire marche parce qu'il va y avoir plus de points de vente. Des éditeurs...

M. Rivest: C'est votre impression.

M. Vaugeois: Ecoutez, si les éditeurs ont plus de libraires et plus de bibliothèques qui achètent les livres, c'est cela notre projet, qu'il y ait plus de libraires et plus de bibliothèques, de plus gros budgets d'acquisition.

M. Rivest: Là le ministre donne une théorie optimiste. On peut avoir le point de vue du pessimiste?

M. Malo: Nous venons, tout récemment, il n'y a pas plus de deux ans, de mettre nos volumes en vente au détail, et théoriquement je crois devoir être d'accord. Plus il y a de postes de vente, plus il devrait y avoir de ventes. Est-ce que je pourrais poser une question au ministre?

M. Vaugeois: Oui.

M. Malo: C'est au sujet de l'article 24c du règlement 4 qui se lit: "Les livres annoncés en souscription, si ces livres sont offerts aussi aux particuliers." Qu'est-ce que vous entendez par les livres annoncés en souscription? Qu'est-ce que cela veut dire?

M. Vaugeois: Je pense qu'on pourrait entendre une série, par exemple. Bon, vous achetez le premier, le deuxième, le troisième et vous n'êtes pas obligé d'acheter jusqu'au dernier. Il y a des études de faites, d'ailleurs, là-dessus. Les gens décrochent souvent après le deuxième ou le troisième. Ou, encore, il y a des livres importants qui doivent paraître et l'éditeur a besoin d'avoir une certaine assurance sur ses possibilités de vente et il souhaite des rentrées d'argent. Alors, il peut faire une vente par souscription; c'est-à-dire qu'il offre le livre six mois avant sa parution, et voici la seule condition qu'on met pour être certain que ce n'est pas une façon détournée de vendre aux institutions sans passer par le libraire. Ce qu'on a trouvé comme formule, c'est que, si le livre est offert et aux bibliothèques et aux individus, ce n'est pas pour contourner la loi; c'est parce qu'effectivement un éditeur de bonne foi veut, pour un livre important, faire une prévente et faire un peu de rentrée d'argent aussi.

D'ailleurs, on me fait remarquer qu'on pourrait peut-être être plus précis. On pourrait parler de vente annonçant la souscription ou les séries. Les séries pourraient rentrer là-dedans aussi, ce qui n'empêche pas — parce que là on ne joue pas au plus fin — une fois la série parue qu'elle soit mise en vente en librairie et qu'elle ait été vendue aux institutions par le biais de la souscription de la série. Ce n'est pas cela qu'on cherche. On ne cherche pas la puce.

Le Président (M. Blank): M. Malo, on vous remercie de votre mémoire ainsi que de vos remarques. Maintenant, on passe à Librairie Laliberté Inc., représentée par Lucius Laliberté.

Librairie Laliberté Inc.

M. Laliberté (Lucius): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, en tout premier

lieu, je voudrais vous présenter la relève de la Librairie Laliberté, mon fils, Christian. Je voudrais vous dire aussi que nous sommes dans l'ensemble d'accord sur le projet, sauf quelques restrictions que j'ai présentées dans le mémoire. Aussi, pour votre information, notre librairie existe depuis 1945. Elle a été incorporée en 1956. Notre option est toujours demeurée d'être des libraires professionnels, faire du travail professionnel au niveau du livre. Alors, face aux conflits et aux aliénations, face aux abus de pouvoir, la Loi de l'agrément des libraires a échoué dans ce qui constituait peut-être ses principales raisons d'être, c'est-à-dire renforcer notre réseau de librairies authentiquement québécoises et une meilleure présence du livre de langue française dans tous les coins de la province.

D'échec en échec, ce n'est pas la prospérité que l'on a connue mais, au contraire, des primes à l'oisivité. Incontestablement, nous avons été les témoins impuissants de la dégradation de ce milieu, puisqu'un grand nombre de libraires ont dû fermer leurs portes ou vendre leurs librairies à des étrangers.

De plus, la qualité des livres présents en étalage et à la disposition des consommateurs a nettement diminué. Est-ce souhaitable pour l'évolution de notre culture et de notre économie? Pour rétablir l'équilibre, il faudrait que le projet de loi 51 soit le moins contraignant possible à l'égard de la librairie québécoise et plus vigilant à l'égard des envahisseurs.

Contrairement aux autres produits de consommation, le livre, de par le titre qu'il porte, a une personnalité qui lui est propre. La compétition commerciale ne joue donc pas au même titre que sur l'ensemble des produits manufacturés. Il est toujours sujet aux bonnes ou mauvaises politiques commerciales de distribution que son fabricant a décidé d'appliquer pour une raison quelconque.

Le libraire ne pouvant s'offrir deux titres identiques réalisés par des éditeurs différents demeure donc à la merci de ces derniers ou de ses distributeurs. Selon l'humeur de ceux-ci, dépend donc la qualité de services qu'il donne à sa clientèle et, de plus, le libraire se voit dans l'impossibilité de rentabiliser son entreprise puisque sa marge de profit est d'avance fixée par la plupart de ses compétiteurs, qui sont en même temps ses fournisseurs. (15 heures)

C'est pourquoi je suggère que l'on prévoie dans le présent projet de loi, un mécanisme de consultation par les membres du conseil consultatif de la lecture et du livre, auprès des personnes dont ils sont porte-parole, soit les éditeurs, distributeurs et libraires, pour la rédaction de certains règlements concernant ces derniers et qui, en définitive, devront bonifier la loi lorsqu'elle sera adoptée.

Je suggère aussi qu'à la section II, article 5, soit ajouté comme membre, sans droit de vote, un fonctionnaire désigné du ministère de l'Industrie et du Commerce, afin qu'éventuellement les administrateurs de l'industrie du livre puissent bénéficier de conseils, de gestion et d'administration pour leurs entreprises. Il est logique de penser que les dossiers constitués par ce représentant pourront aussi servir à mieux exporter notre production nationale.

Au risque de me répéter, je redis que, face aux conflits, aux aliénations et aux abus de pouvoir à la section 7, article 37, rien n'est prévu pour que le membre, représentant un secteur de l'industrie ou du commerce du livre soit dans l'obligation de consulter ses confrères afin de transmettre au ministre des obligations venant de la majorité de ceux qui oeuvrent dans ces différents secteurs de commerce.

Je ne vois pas d'article qui pourrait mettre fin à la concurrence malsaine et qui certainement contribuera à étouffer nos librairies québécoises dans leur action sur la clientèle de détail. Je m'explique. Il y a présentement des dépositaires — libraires qui réalisent des profits en tant qu'éditeurs ou distributeurs. Il n'y a aucun mal à cela. Mais lorsque ces profits, ainsi que le prix coûtant ou de revient, leur permettent d'annoncer à la clientèle de détail les prix que le libraire du Québec — n'étant pas éditeur, ni distributeur — ne peut se permettre d'accorder, il y a là une faille qui permettra toujours aux envahisseurs d'accaparer nos meilleures librairies de détail.

Je ne vois pas aussi dans ce projet de loi un article prévoyant des dispositions spéciales pour la librairie professionnelle qui a en étalage des livres qui sont nécessaires à la culture et au développement d'une collectivité, mais d'un débit moins rapide. Ce genre de livre doit être considéré comme un bien spirituel et non comme une marchandise pure.

En vendant ce genre de livre, le libraire a une tâche culturelle. Pour aucune raison, il ne doit se sentir brimé dans son activité qui est sa fonction essentielle de distributeur intermédiaire des livres de l'auteur par le biais de l'éditeur, vers le lecteur.

Tant et aussi longtemps qu'il y aura d'autres écrans nuisant aux échanges du libraire avec l'éditeur sur les livres reproduisant les pensées et les découvertes de l'art, de la philosophie et de la science, notre vie culturelle en subira les conséquences.

Pour ce genre de livre de rotation plus lente, deux intermédiaires, entre les producteurs et les consommateurs, ont pour effet, sauf de rares exceptions, de provoquer des prix exorbitants et des lenteurs d'approvisionnement. Si une centrale de services du livre existait à l'intention de la librairie québécoise, mais sans stockage, ceci aurait comme effet de rendre plus simple le ravitaillement des libraires, une fourniture plus rapide et à des coûts d'exploitation moindres qui, nécessairement, se répercuteraient par une baisse sur les prix de détail actuels.

En conclusion, je constate que, comme libraire professionnel, si ce projet de loi no 51 n'est pas amendé ou modifié pour apporter certaines garanties d'une volonté profonde de sauver la librairie québécoise, nous assisterons de nouveau au phénomène d'asphyxie, tout en vendant plus de livres.

Le Président (M. Blank): M. le ministre.

M. Vaugeois: Je vous remercie, M. Laliberté, d'avoir pris le temps de nous présenter ce mémoire. Disons, en ce qui regarde une de ses principales préoccupations qui tourne autour du rôle du comité consultatif et de la façon de faire la consultation, que nous prenons bonne note de ces observations. Déjà, nous avons annoncé hier que nous allons essayer d'améliorer le mandat du conseil consultatif et la représentation des professionnels dans ce conseil.

J'avais deux ou trois questions à vous poser. A la page 3, vous nous dites qu'il y a des cas où des gens peuvent se permettre d'annoncer à la clientèle de détail, des prix que le libraire ne peut se permettre de pratiquer. Sans nécessairement donner de noms, j'aimerais que vous m'expliquiez un peu ce qui arrive dans ces cas-là.

Deuxièmement, j'aimerais que vous nous expliquiez également ce que vous entendez par une centrale de services du livre.

M. Laliberté: II y a des exceptions, mais l'ensemble des distributeurs ou éditeurs sont aussi libraires. Surtout dans le domaine du livre scientifique et technique et de plus grande portée culturelle, le libraire a des remises qui sont minimes et anormales, présentement, sur l'ensemble de toute cette production. Les distributeurs qui ont ces fonds peuvent se permettre de concurrencer un libraire qui n'est pas éditeur en accordant une remise à la clientèle de détail, que celui-ci ne peut pas se permettre. Pour être plus précis, à supposer qu'un libraire a 15%, 20% ou 25% sur un livre scientifique et technique et qu'en tant que distributeur étant dans une situation privilégiée à cause des revenus qu'il se fait dans certains domaines ou encore parce qu'il a des fonds en distribution, il accorde jusqu'à 20% de remise, c'est-à-dire sous la forme d'une ristourne quelconque, le libraire québécois est en position faible et ne peut absolument pas concurrencer à ce moment-là le libraire distributeur. Est-ce que cela répond à...

M. Vaugeois: Est-ce que cela arrive souvent, ce que vous dites là?

M. Laliberté: Cela se pratique d'une façon courante actuellement.

M. Vaugeois: On en reparlera avec les libraires tout à l'heure.

M. Laliberté: Deuxièmement, la centrale de services. Ce que je trouve malheureux, c'est qu'on a toujours lancé une espèce d'épouvantail pour apeurer je ne sais qui ou quoi, en disant qu'une centrale de stockage serait un désastre. Je suis tout à fait d'accord qu'une centrale de stockage serait un désastre, mais une centrale de services serait d'une très grande utilité pour les libraires et, aussi, je pense que la population et le consommateur en profiteraient grandement. Lorsque je parle de centrale de services, cela peut bien être une centrale, par exemple, en ce qui a trait aux livres de production québécoise, qui pourrait publier des catalogues par discipline de la production québécoise, ce que les éditeurs québécois ne peuvent pas se permettre actuellement à cause de l'ampleur de leurs fonds dans l'ensemble. Une centrale de services pourrait donc le faire. Il y aurait donc possibilité pour le libraire d'agrandir automatiquement ce marché du livre québécois à l'intérieur même de la province et aussi même à l'extérieur.

Il y a aussi des problèmes de recherche bibliographique. Si cette centrale de services existait, il pourrait y avoir une assistance, si vous voulez, aux recherches bibliographiques, qui aiderait les petits libraires à donner davantage un service et qui répondrait éventuellement aux besoins des bibliothèques universitaires. Je sais fort bien qu'en ce qui nous concerne, la maison est assez importante pour pouvoir servir les universités. Nous les servons. Nous servons des universités extérieures au Québec. Nous servons même des demandes de différents pays. Il y a deux jours, on recevait, par exemple, une commande d'Autriche. C'était un ouvrage qui est publié par l'Association d'amiante du Québec, quelque chose comme cela, qui a des bureaux sur le boulevard Saint-Cyrille. Cette maison, qui avait besoin de cela en Autriche, a eu recours à un libraire professionnel. On a pu se dépanner et trouver l'ouvrage, mais si une centrale de services existait, le petit libraire de n'importe quel milieu pourrait avoir recours à cette centrale de services pour trouver les livres et répondre aux demandes extérieures et même intérieures — j'entends dans la province — des plus grandes bibliothèques. Cette centrale de services, cela se pratique déjà, par l'ACDL dans les questions du transport extérieur et intérieur. Il y a aussi toute cette possibilité d'utiliser les télex pour distribuer les commandes auprès des éditeurs à travers le monde entier et en particulier en France, en Belgique ou en Suisse. Chaque libraire ne peut pas se permettre un service comme cela, mais cette centrale de services pourrait permettre aux libraires de commander partout dans le monde entier. Il y a des services de commissionnaires, par exemple, pour le livre québécois.

Actuellement, partout dans le monde, on ne sait pas ce qui se produit et on ne sait pas comment s'approvisionner pour ce qui est de certains livres spécialisés et produits ici au Québec. On ne fait voir nulle part dans le monde ce que nous sommes et ce que nous pouvons faire en réalité. Cette centrale de services pourrait très bien agir comme commissionnaire et s'identifier à travers le monde comme pouvant approvisionner en livres bien particuliers qui sont fabriqués ici au Québec. Il y a une foule de choses, de toute manière, que je pourrais vous énumérer, mais voilà! C'est cela, ma centrale de services et non pas de stockage, parce que cela deviendrait trop lourd et trop onéreux.

M. Rivest: M. le Président, je veux évidemment remercier M. Laliberté et seulement lui demander une précision. A la page 2 de votre mémoire — et je pense que c'est une suggestion qui est intéressante — au sujet de l'aide technique,

administrative ou même financière ou de gestion, vous demandez qu'un fonctionnaire du ministère de l'Industrie et du Commerce puisse se joindre à cela. J'imagine que les entreprises, dans le domaine du livre, ont autant besoin de cette aide, mais ne croyez-vous pas que cette aide est de toute manière disponible par les voies ordinaires du ministère de l'Industrie et du Commerce? Voulez-vous dire par là, en faisant cette suggestion précise, que si vous vous adressez au service des moyens techniques — je ne sais trop comment cela s'appelle au ministère de l'Industrie et du Commerce — parce que vous êtes des entreprises dans le domaine du livre, à titre de libraires ou autrement, ces services ne vous sont pas fournis ou que cela n'existe pas dans les programmes?

M. Laliberte: C'est-à-dire que ce n'est pas tout à fait comme cela. C'est beaucoup plus subtil. Le livre est un domaine bien particulier qui est très difficile et lorsqu'on traite de nos problèmes avec quelqu'un qui est extérieur à la profession, qui n'est pas professionnel du livre ou qui ne connaît pas le milieu...

M. Rivest: Ah oui! je comprends.

M. Laliberté: ... il se trouve perdu. Automatiquement, s'il n'y a personne du ministère de l'Industrie et du Commerce, on n'aura jamais personne qui pourra donner cette aide qui existe, en réalité, mais pour d'autres domaines.

M. Rivest: C'est cela.

M. Laliberté: C'est pourquoi...

M. Rivest: Etant donne cela, vous exigez une disposition spéciale.

M. Laliberté: Voilà! C'est cela.

M. Rivest: Je pense que c'est intéressant comme... Oui. Ensuite, vous avez à la fin — mais je pense que M. Tisseyre a déjà attiré notre attention là-dessus — l'aspect qualitatif du livre, qui n'est pas simplement un objet matériel, mais qui exprime... Vous avez probablement entendu les propos de M. Tisseyre sur la proportion de titres québécois, d'oeuvres littéraires de première valeur que les libraires devraient peut-être garder dans les librairies.

M. Laliberté: Non. Malheureusement, je n'étais pas ici.

M. Rivest: Oui, mais cela rejoint, je pense, essentiellement, l'une de vos préoccupations en bas de la page 3, je crois.

M. Laliberté: Exactement. C'est cela. Le problème, actuellement, c'est que le libraire professionnel, qui est le genre de notre maison... J'ai été obligé de fermer deux succursales parce qu'on ne pouvait pas vivre. On était étouffé. On vend davan- tage de livres scientifiques et techniques et de livres culturels et on vend très peu, en réalité, de livres de vente rapide comparativement aux points de vente. On est étouffé parce que, pour ce livre-là, il n'y a pas de rentabilité ou pratiquement pas et il y aussi des lenteurs à cause du système établi. Autrefois, on approvisionnait beaucoup plus rapidement une librairie comme la nôtre. On remplissait nos commandes beaucoup plus rapidement que ce qui se produit présentement.

M. Rivest: D'accord. Merci.

M. Cordeau: A la page 1 de votre mémoire, vous mentionnez que la qualité des livres présents en étalage à la disposition des consommateurs a nettement diminué et, plus loin, vous mentionnez que pour rétablir l'équilibre, il faudrait que le projet de loi 51 soit le moins contraignant possible à l'égard de la librairie québécoise et plus vigilant à l'égard des envahisseurs. Voudriez-vous, s'il vous plaît, expliciter votre pensée concernant l'envahissement auquel vous faites allusion?

M. Laliberté: Quant à la question du livre disponible actuellement dans les librairies, le livre de qualité est de moins en moins disponible... C'est parce qu'il n'y a pas de rentabilité. Automatiquement, le libraire n'est pas porté à mettre en rayon les ouvrages sur lesquels on ne lui permet pas de vivre et de continuer son activité. Deuxièmement, l'ancienne loi était en réalité une épée de Damoclès sur la tête des libraires. Ce que je voudrais, c'est que cela ne se perpétue pas dans ce sens; que la loi ne soit pas seulement et uniquement cette épée de Damoclès sur la tête des libraires, mais bien pour l'ensemble de tous ceux qui peuvent avoir à oeuvrer dans le domaine du livre.

M. Cordeau: Vous avez mentionné tantôt que la qualité des livres diminuait. Avez-vous une explication? Avez-vous fait une constatation à ce sujet? (15 h 15)

M. Laliberté: Absolument. Dans notre librairie en particulier — puisque je parle en mon nom personnel et au nom de la librairie — on ne retrouve assurément pas le choix que nous avions. Remarquez que nous avons encore une cinquantaine de milliers de titres différents, mais on ne trouve pas la qualité des livres et les livres qu'on pouvait vendre une fois par année; à un tel point qu'il y a quelques mois, un professeur de l'Université Laval s'est présenté un samedi, c'était mon fils qui était là, le professeur s'est mis à l'engueuler, il disait: Votre librairie s'en vient comme toutes les autres librairies, c'est-à-dire, que vous n'avez pas d'ouvrages valables ou vous les mettez de côté de plus en plus. Pourquoi cela? J'ai répondu à Christian: Tu lui diras que s'il veut en faire les frais de financement, je suis tout à fait d'accord pour maintenir le même choix et même davantage, un choix plus grand, mais il faut que quelqu'un en subisse les conséquences. Moi, je n'en ai plus les moyens. De fait, notre librairie, dans les années

soixante-douze, a fait près d'un million de chiffre d'affaires. Elle est tombée il y a deux ans à environ à $400 000. Actuellement, nous augmentons et je crois que nous pourrons toucher éventuellement les trois quarts du million. C'est donc dire qu'il y a des problèmes.

M. Cordeau: Quels sont les problèmes majeurs auxquels vous avez à faire face?

M. Laliberté: C'est le manque de rentabilité dû au fait que les prix et les remises des ouvrages que nous vendons sont souvent fixés par nos compétiteurs et que nos marges ne sont pas suffisantes pour pouvoir vivre. Il n'y a pas de commerce actuellement, qui puisse vivre avec des masses de profits comme le disait le rapport de l'industrie et du commerce, le rapport Prost, avec une moyenne de marge de profit brut de 20%. Il n'y a aucun commerce de détail qui vit ou qui donne des services semblables au commerce du livre. C'est impensable.

M. Cordeau: Merci, M. Laliberté.

Le Président (M. Blank): Merci beaucoup, M. Laliberté.

M. Vaugeois: M. le Président, est-ce que je peux vous demander de donner l'occasion au président de l'Assemblée nationale de nous faire part d'un petit message?

M. Rivest: Cela prend le consentement.

Le Président (M. Blank): Que je suis prêt à donner, d'ailleurs.

M. Vaugeois: Nous sommes heureux de vous accueillir.

Visite des institutions culturelles de Toronto

Le Président (M. Richard): Je vous remercie, M. le Président, de me céder pour quelques minutes votre place. Je voudrais tout simplement indiquer aux membres de la commission des affaires culturelles les démarches qui ont été faites auprès de l'Assemblée législative de l'Ontario à la suite du voeu unanimement exprimé par vous en tant que membres de la commission des affaires culturelles de faire un bref, très bref séjour à Toronto aux fins de visiter les principales institutions à caractère culturel de la capitale de l'Ontario. Je dois vous dire qu'à la suite du voeu que vous avez exprimé, je suis entré en communication avec le président de l'Assemblée législative de Toronto qui s'est dit absolument ravi du voyage que nous projetions d'effectuer chez lui. Ils ont mis à notre disposition toute une équipe de fonctionnaires dévoués pour faire en sorte que le voyage de la commission des affaires culturelles du Québec soit le plus fructueux possible. Je voudrais vous signaler que cela m'apparaît un précédent heureux où une politique pourra peut-être être élaborée par une commission de l'Assemblée nationale. Il y a si longtemps que le pouvoir législatif a été rodé au profit du pouvoir exécutif que cela me fait plaisir de signaler que, pour une fois, le pouvoir législatif l'emportera sur le pouvoir exécutif.

Je voudrais vous donner un aperçu du programme qui est projeté. Ce serait d'ailleurs les 6 et 7 septembre prochain avec départ le 5 en soirée pour être en forme le 6 au matin parce que les jours sont très chargés. Le jeudi 6, à 9 heures, visite du Royal Ontario Museum, rencontre avec le directeur le Dr James Cruise. A 11 h 30, déjeuner à la Art Gallery of Ontario et visite et rencontre avec le directeur, M. William Withrow. A 14 heures, visite de la Metro Reference Library et rencontre avec la directrice intérimaire, Mme Marjory Allen, suivie d'une visite de la succursale de Yorkville. A 19 h 30, nous serons reçus par le président de l'Assemblée législative de l'Ontario, M. John Stokes qui est un ami personnel. Vendredi, le 7, à 9 heures, visite de l'Ontario Science Centre. Il paraît que cette visite vaut le coût du déplacement. Rencontre avec son directeur, M. Wilson. A midi, c'est un déjeuner offert par le délégué du gouvernement du Québec, M. Lebrun. A 14 h 30, visite du McMichael Museum et rencontre avec le directeur, M. Robert McMichael. A 17 h 30, c'est le retour à Québec.

J'ai songé à commettre le précédent suivant: c'est qu'il m'apparaît utile que la commission rédige un rapport de ce qu'elle aura vu et entendu à Toronto. J'ai pris les dispositions nécessaires pour qu'un rapport puisse être rédigé. Bien sûr, il s'agira d'un rapport essentiellement factuel. Je me suis inspiré, en cela, des rapports qui sont rédigés dans d'autres Parlements, à travers le monde, à la suite de délégations de commissions parlementaires. Le rapport dont je me suis particulièrement inspiré pour vous proposer cela, c'est le rapport de la délégation de la Commission sénatoriale française des affaires économiques et du Plan qui avait fait un voyage aux fins d'étudier, non seulement le système économique, mais la situation économique pancanadienne et qui a fait un rapport qui, à mon humble avis, est extrêmement bien fait. Il m'a paru utile qu'un rapporteur soit désigné aux fins de diriger la rédaction de ce rapport.

J'ai demandé à M. Harry Blank de présider la commission et M. Harry Blank a accepté de présider cette commission parlementaire. Ce ne sera pas un déplacement formel de la commission parlementaire; ce qui sera formel, ce sera la rédaction d'un rapport. En ce sens, il m'est apparu important de désigner un président qui soit parfaitement bilingue, c'est pourquoi je me suis adressé à M. Blank qui a accepté avec plaisir d'être le président de la commission, au moment où elle se déplacera à Toronto.

Nous avons aussi prévu, pour les fins de la rédaction du rapport, deux unités mobiles d'enregistrement. On pourra donc enregistrer ce qui sera dit durant nos visites des institutions de Toronto.

Pour les fins de la rédaction du rapport, je pense que ça facilitera les choses.

Ce que je me permets de vous suggérer, c'est qu'une motion soit adoptée en bonne et due forme pour accepter le déplacement à Toronto, à là suite d'une suggestion qui avait été faite, si ma mémoire est fidèle, en juin dernier, par le ministre des Affaires culturelles, suggestion qui avait été reprise par Mme le député de L'Acadie, au nom de l'Opposition officielle et, je pense, par M. le député de Gaspé aussi.

Je vous suggère donc d'adopter une motion pour qu'on soit sûr que la légalité du déplacement, même si ce n'est peut-être pas absolument nécessaire. J'aimerais vous entendre sur la rédaction éventuelle d'un rapport, donc la désignation d'un rapporteur.

J'imagine qu'un tel rapport pourrait être déposé à l'Assemblée nationale, au moment où il sera prêt, mais que le rapporteur devra veiller à la vérification des faits.

Je vous suggère donc de désigner, après l'adoption d'une motion autorisant le déplacement de la commission des affaires culturelles, de désigner un rapporteur.

M. Lalonde: M. le Président, si vous me le permettez, j'aimerais suggérer le député de Mercier comme étant le rapporteur, lorsque la motion sera adoptée. J'ai déjà obtenu, par des signes, son accord.

Une Voix: Non équivoque. M. Lalonde: Non équivoque.

M. Rivest: Des signes qui appelaient votre intervention.

M. Lalonde: C'était de ma propre initiative, je dois l'avouer.

Le Président (M. Richard): Les membres de la commission qui ont accepté de venir à Toronto et qui peuvent le faire, parce qu'il y en a d'autres qui voudraient bien y venir, mais qui sont membres d'autres commissions qui siègent en même temps, seraient, bien sûr, le président de la commission, M. le député de Saint-Louis, le ministre des Affaires culturelles, M. Vaugeois, l'adjoint parlementaire du ministre des Affaires culturelles, le député de Mercier, Gérald Godin.

Une Voix: M. Godet?

Le Président (M. Richard): Godin, d-i-n. Cela va? Mme le député de L'Acadie, M. le député de Gaspé, M. le député de Papineau, M. le député de Jonquière...

Une Voix: Non, Lac-Saint-Jean.

Le Président (M. Richard): Lac-Saint-Jean, je m'excuse; M. le député de Lac-Saint-Jean et non pas le député du Lac-Saint-Jean.

Une Voix: Correction.

Le Président (M. Richard): Corrigé.

Une Voix: Correction.

Le Président (M. Richard): Et M. le député de Marguerite-Bourgeoys, avec un trait d'union. Il n'y a pas de correction ici; c'est parfait.

Une Voix: Un "y" à la place d'un "i". C'est important, "y" à Bourgeoys.

Une Voix: A Marguerite?

M. Lalonde: Non, à Bourgeoys.

Le Président (M. Richard): Le "y" est mis à

Marguerite, tout à fait au début.

M. Vaugeois: M. le Président...

Le Président (M. Richard): M. le ministre.

M. Vaugeois: ... est-ce qu'on pourrait, de façon plus ou moins formelle, proposer aux membres de cette commission une résolution qui pourrait dire ceci: Que les membres de cette commission invitent la présidence à prendre les dispositions nécessaires pour rendre possible la mission projetée?

M. Rivest: M. le Président, est-ce que cette motion est recevable?

Le Président (M. Richard): J'avais envie de vous signaler, M. le député de Jean-Talon, qu'elle est un peu rétroactive parce que les dispositions ont été prises depuis longtemps.

M. Rivest: Alors, comme je ne suis pas du voyage, je vais appuyer la proposition du ministre. On a le droit de parler 20 minutes sur la recevabilité.

Le Président (M. Richard): Est-ce que cette motion sera adoptée? M. le ministre, pourriez-vous relire votre motion?

M. Vaugeois: Que les membres de cette commission invitent la présidence à prendre les dispositions nécessaires pour rendre possible la mission projetée.

Le Président (M. Richard): Est-ce que cette motion sera adoptée?

M. Lalonde: Adopté.

Des Voix: Adopté, M. le Président.

Le Président (M. Richard): Adopté.

M. Vaugeois: Egalement, que nous acceptions la suggestion faite par le député de Margue-

rite-Bourgeoys pour que l'adjoint parlementaire du ministre des Affaires culturelles et député de Mercier agisse comme rapporteur pour l'occasion.

Le Président (M. Richard): Est-ce que la motion sera adoptée? Est-ce que vous acceptez cette mission spéciale, M. le député de Mercier?

M. Godin: Avec plaisir.

Le Président (M. Richard): Avec plaisir.

M. Le Moignan: En vers, en alexandrins.

Le Président (M. Richard): Puis-je vous demander de ne pas le faire sacrer ici? C'est tout de même la commission des affaires culturelles. Motion adoptée. Trêve de plaisanteries, vous serez avisés des heures de départ et de tout le reste. Le départ se ferait, comme je l'ai dit tout à l'heure, le 5 septembre à 18 heures.

M. Vaugeois: M. le Président, si vous me le permettez, nous proposerons peut-être aux membres qui le pourront une petite rencontre soit avant le départ ou soit à l'arrivée pour qu'on puise quand même s'informer un peu du contenu du programme qui nous est proposé. Le président a signalé l'intérêt que nous prendrions certainement au Science Centre. Je pense que c'est hors de doute; ce sera assez extraordinaire comme visite. (15 h 30)

Mais les autres endroits mentionnés au programme sont pleins de surprises aussi, mais, pour qu'on profite bien de chacune des visites, je pense que cela vaudrait la peine qu'on s'y prépare, qu'on s'entretienne entre nous de ce que nous allons voir, par exemple, à la bibliothèque métropolitaine, qui sera probablement l'endroit qui va nous suggérer davantage d'actions à entreprendre.

Egalement, ce serait intéressant d'avoir un peu d'informations générales sur la situation de l'Ontario, par rapport au Québec, particulièrement sur le plan des bibliothèques et des musées, puisque c'est surtout ce que nous allons voir. Comme nous allons circuler dans Toronto, je souhaiterais que nous soyons également informés des programmes de restauration et de rénovation urbaines que pratiquent actuellement les autorités de Toronto. Il y a là des choses extrêmement intéressantes à observer.

Alors, si c'était possible, ce serait juste avant le départ ou, encore, le mercredi soir à l'arrivée là-bas.

Le Président (M. Richard): Je voudrais vous entendre là-dessus, justement pour savoir à quel moment vous préféreriez que cette rencontre soit organisée.

M. Lalonde: M. le Président, quant au moment, il est possible qu'à l'arrivée, étant donné que nous serons tous ensemble, on pourra tenir cette assemblée. Mais est-ce que cela pourrait être précédé par l'envoi aux membres de toute la docu- mentation disponible pour que chaque membre soit d'égal à égal avec les autres?

M. Rivest: D'égal à égal? Pour parler d'indépendance, a dit M. Bisaillon ce matin. N'ayez pas peur des mots, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

Le Président (M. Richard): Puis-je me permettre de vous rappeler à l'ordre et de vous parler de l'indépendance de l'Assemblée? Je vous suggère que cette rencontre ait lieu immédiatement après notre arrivée à Toronto à l'hôtel, parce que nous aurons, à ce moment, à tout le moins, quelqu'un qui est censé être un expert en la matière, qui sera le délégué du Québec, M. Lebrun. Je vous suggère donc qu'on organise la rencontre et qu'on trouve une salle à l'hôtel à Toronto.

Il me fait plaisir de vous signaler que, d'après nos estimations, le déplacement, sauf l'avion gouvernemental qui est peut-être un peu problématique, de toute la commission ne coûtera pas plus de $2000.

M. Lalonde: C'est du fédéralisme rentable!

Le Président (M. Richard): En tout cas, c'est certainement une association qui vaut la peine, n'est-ce pas? Je vous remercie, messieurs.

Une Voix: Vous reviendrez pour le prochain voyage.

Le Président (M. Blank): Le prochain groupement, c'est l'Association des éditeurs canadiens, M. Dubé.

Association des éditeurs canadiens

M. Dubé (Yves): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs. A ma droite, M. Robert Davis, président de l'Etincelle et membre du bureau de l'AEC, et, à ma gauche, M. Réal d'Anjou, président des Editions du pélican et vice-président de l'AEC.

L'AEC regroupe près de 50 maisons d'édition, considérées en grande majorité comme des petites et des moyennes entreprises.

A l'époque actuelle, on prend de plus en plus conscience des problèmes des petites et des moyennes entreprises et des difficultés inhérentes à leur survie. Si on ajoute à cela les particularités bien spécifiques du domaine de l'édition — ...

Le Président (M. Blank): Excusez-moi, on dit qu'on n'entend pas en arrière. Est-ce qu'il manque un bouton? Cela va?

M. Dubé: ... nécessité de compétence versus le manque habituel des moyens qu'il faudrait réunir pour recruter les personnes-ressources nécessaires à démontrer la compétence en question — on resserre davantage la réalité quotidienne à laquelle est confronté chacun des responsables de ces mêmes entreprises.

Après plus de 25 ans d'existence, l'AEC constate avec une inquiétude croissante l'impossibilité dans laquelle elle a toujours été d'édicter un code d'éthique professionnelle, alors que chacun de ses membres reste en droit de se proclamer tel. Il est facile de s'imaginer tout ce que cela comporte de déchirant ou d'aliénant pour le milieu de l'édition dans son ensemble.

D'autre part, on s'arroge de partout le droit de juger ces entreprises, tantôt en les considérant comme des industries, tantôt en leur conférant une vocation culturelle, le plus souvent en mêlant les deux à loisir pour pouvoir mieux gloser sur les éditeurs et leur action sans réelle connaissance de la situation.

Précisons que dans ce mémoire nous essaierons de représenter l'ensemble des membres de l'AEC, qu'ils se sentent ou chargés d'industries ou liés à la nécessaire expression culturelle de notre peuple, malgré les difficultés évidentes rencontrées au moment d'assurer un tel rôle. Pour faciliter la compréhension des choses, nous éviterons d'opposer les uns et les autres, croyant finalement à l'existence d'un assez grand nombre de problèmes communs, de terrains d'entente mutuels, d'intérêts généraux reconnus au moins par le plus grand nombre.

La plupart des maisons d'édition ont commencé par un acte de foi, quelquefois collectif — c'est-à-dire par une prise de conscience de deux individus ou plus en même temps — le plus souvent individuel.

Dans un pays où tellement d'intérêts étrangers se sont conjugués pour empêcher l'éclosion ou plus tard la floraison de véritables maisons d'édition locales — d'autres diraient autochtones — il n'a pas été facile d'émerger un peu glorieusement sur la place publique. Il a longtemps fallu se contenter de quelques entreprises artisanales travaillant à compte d'auteur ou aux frais de mécènes, d'activités paisibles qui ne devaient pas nuire aux grandes réussites de l'implantation des magnats de l'édition internationale. La situation était telle que lorsqu'on accorda, dans les années quarante, le prix Fémina à une québécoise, le premier mouvement en fut un de surprise et d'étonnement, la joie délirante venant par après. C'est alors, qu'après des siècles de création littéraire québécoise, on se posa la grande question de l'existence de notre littérature nationale. Nous n'avons pas l'intention de nous attarder sur les aléas reliés à cette question ni sur les jeux de coulisses entrepris pour nous dissuader en nous disant que nous n'étions pas de taille et même que nous ne le serions jamais. Pourtant la litérature québécoise était née depuis belle lurette et piaffait d'impatience pour pouvoir se produire au grand jour. Après les Valiquette, les Parizeau, les Hurtubise, les Char-bonneau, le temps des Lespérance, des Hébert et des Martin était arrivé. La révolution tranquille ne se ferait pas sans cette affirmation nécessaire de notre identité.

Revenons à cet acte de foi indispensable et pour certains quelque peu démentiel qui nous a valu d'être ici aujourd'hui.

Pour sortir du cercle trop fermé d'une élite en mal de se replier trop souvent sur elle-même, au mépris de l'ensemble des autres membres de notre collectivité, Georges-Emile Lapalme se fit l'initiateur de notre premier ministère des Affaires culturelles, voulant par là sauvegarder les valeurs sûres du passé, faire progresser l'art sous tous ses aspects et en diffuser les résultats dans l'avenir à une audience la plus large possible. L'aide traditionnelle des régimes gouvernementaux passé, qui consistait à acheter quelques centaines de livres parus pour les entasser dans les caves de l'Hôtel du gouvernement, devait être remplacée par une discussion entre toutes les parties en cause pour assurer la poursuite heureuse des buts fixés à la création du ministère.

Depuis lors, les éditeurs constatent qu'ils ont reçu des promesses à profusion mais que leur situation actuelle reste plus précaire que jamais. Malgré la volonté de base d'élargir la clientèle des éditeurs québécois autant chez les fonctionnaires que chez les éditeurs eux-mêmes, les plus grandes difficultés persistent quand on songe à la survie de nos entreprises.

Même si, aux problèmes de notre marché trop étriqué, certains éditeurs ont cru trouver une réponse en tentant l'aventure de l'exportation, ils l'ont fait, la plupart du temps, ou avec des livres utilitaires à rôle culturel limité ou inexistant ou avec des livres d'auteurs internationaux en en disputant à d'autres communautés francophones les droits de traduction en langue française. Personne ne peut se leurrer sur la valeur culturelle d'une telle riposte québécoise, sans toutefois chercher à minimiser l'apport financier, le caractère sainement agressif et même inventif de ces éditeurs qui se présentent eux-mêmes sous l'appellation "nouvelle vague". D'ailleurs, ces derniers ne sont pas sans se plaindre des difficultés de toutes sortes qu'on leur fait lors de leurs tentatives d'implantation en milieu étranger.

Il ne serait pas déraisonnable de dire qu'à l'heure actuelle les problèmes des éditeurs québécois dans leur ensemble restent inchangés en regard des oeuvres québécoises à publier et à diffuser. Toutefois, force nous est de reconnaître le rôle primordial et de premier plan joué par le Conseil des arts du Canada, tentant d'endiguer les désastres et se persuadant de sa mission de sauver l'expression littéraire d'une des deux collectivités linguistiques du pays. "Le Conseil des arts nous a permis de survivre", devait un jour déclarer Gaston Miron, notre poète national. "L'aide du Conseil des arts est un exemple à suivre", affirmait Denis Vaugeois, alors directeur-fondateur du Boréal Express. Mais il faut bien le dire, le rôle joué par les uns n'avait pas pour but d'exempter les autres de faire leur part. A cet effet, notons, au profit des membres de cette commission parlementaire, que les éditeurs ontariens, par exemple, ont considérablement été plus aidés que les éditeurs québécois, et cela au moment où leurs problèmes étaient relativement moins épuisants que les nôtres.

Enumérons sans plus tarder les plus cruciaux de ces problèmes. Premièrement, investissements

à long terme et très coûteux, sans compensation sur le plan des profits.

Deuxièmement, inventaire exigeant des espaces toujours de plus en plus grands dont la location pose de multiples problèmes de coût, d'assurances, etc.

Troisièmement, exigence de compétences qui supposent des salaires que, la plupart du temps, les entrepreneurs ne peuvent pas se permettre.

Quatrièmement, nécessité d'une publicité adéquate, toujours plus dispendieuse que les moyens mis à la portée des éditeurs.

Cinquièmement, intérêts banquaires — la plupart des éditeurs n'ayant pas de liquidité — de plus en plus élevés et astreignants.

Sixièmement, impôts à payer sur des profits fictifs qui consistent plus souvent en des inventaires dont le sort restera toujours aléatoire.

Septièmement, difficultés de diffusion généralisées, la plupart des éditeurs se voyant obligés d'être traités en parents pauvres par des distributeurs étrangers trop puissants.

Huitièmement, impossibilité très souvent d'entreprendre des améliorations qui feraient progresser l'entreprise, la bloquant dans une stagnation toujours dangereuse.

Neuvièmement, déconsidération du milieu ou méconnaissance très souvent due à la médiocrité quand ce n'est pas à la nullité de la critique.

Dixièmement, augmentation constante des coûts de production, montée en flèche des prix du papier, syndicalisation dans tous les secteurs d'imprimerie, d'où augmentation des prix de vente, engendrant un mécontentement populaire d'un public pour qui le livre devient un produit de luxe dont on apprend facilement à se passer.

Onzièmement, difficulté pour la plupart des éditeurs d'exporter sur des marchés étrangers vers des clientèles d'appoint.

Douzièmement, disproportion de nos moyens pour concurrencer avec nos produits ceux des étrangers, le public étant amené très souvent à exiger des qualités supérieures d'un livre québécois que d'un autre livre francophone largement plus favorisé pour toutes sortes de raisons plus ou moins occultes ou diplomatiques.

Treizièmement, difficulté très souvent de percevoir nos comptes recevables dans des délais raisonnables, et cela, en particulier, de la part des commissions scolaires et du gouvernement en général et de certaines librairies organisées en réseau puissant et que nous devons continuer de fournir quand même, faute de quoi une bonne partie de la production québécoise qui dispose déjà de si peu d'espace disparaîtrait des étalages de plusieurs de ces librairies au profit de qui l'on sait. (15 h 45)

Malgré toutes ces difficultés, il s'est trouvé des Québécois pour aller au-delà de l'acte de foi initial, faire progresser des entreprises dépassant maintenant une cinquantaine, réinvestir toutes les sommes gagnées sans jamais toucher de dividendes et rendre un service irremplaçable que personne d'autre n'aurait pu rendre à leur place.

L'AEC tient ici à remercier le ministère des Affaires culturelles d'avoir enfin accédé à sa deman- de concernant la propriété québécoise pour toute accréditation, voire pour toute obtention d'une aide, sous quelque forme que ce soit, de la part du gouvernement.

Sans réparer les avatars causés par les pratiques gouvernementales du passé, cette loi permet enfin d'espérer un juste retour à la normale d'une situation largement injuste, voire même injustifiée et injustifiable.

Toutefois, toujours au chapitre de la propriété, l'AEC s'inquiète du manque de moyens réels pour contrôler l'observance d'une mesure si longtemps attendue. Les juristes disent quelquefois que la loi est faite pour être contournée. Nous devinons que celle-là l'a déjà été avant d'être promulguée et le sera davantage quand la fatalité en frappera définitivement les plus grands.

L'impossible contrôle des actions ou des avoirs réels, la pratique des prête-noms, les détournements prévus et imprévus de tout ordre, les subtilités dans l'interprétation des règlements futurs sont autant d'inquiétudes qui risquent de rester sans réponse. A cet effet, nous constatons que jamais dans le passé autant d'étrangers travaillant dans le domaine du livre ne se sont prémunis du privilège de devenir Canadiens et de créer, après, avec des actifs "personnels", des entreprises 100% québécoises. Ces nouvelles vocations nationales ne nous surprennent pas trop quand nous savons que les pays d'origine de la plupart de ces derniers leur gardent en réserve une citoyenneté première, valeur sûre "et qui ne se perd jamais ". Il y a quand même quelque chose d'étonnant dans le fait que, d'employé et représentant, on devienne, après obtention de citoyenneté nouvelle, patron, éditeur, voire diffuseur exclusif en relation toujours avec les anciennes firmes représentées. Seul l'avenir nous dira la fermeté, la durée, le sérieux et l'honnêteté de pareils changements d'appartenance nationale.

L'AEC insiste auprès du ministère pour que tout ce qu'il est possible de mettre en oeuvre pour connaître les véritables et définitifs propriétaires des maisons accréditées dans le domaine du livre (librairie, édition, diffusion) le soit, et cela, quelles que soient les pressions exercées par quelque groupe que ce soit, y compris les pressions exercées par des gouvernements étrangers, eussent-ils des départements d'Affaires étrangères particulièrement bien munis d'arguments de n'importe quel acabit.

De plus, l'AEC exhorte le gouvernement québécois à collaborer avec les législateurs fédéraux pour pouvoir contrôler tout achat, tout échange, toute transaction faite dans le domaine du livre par des étrangers et les empêcher chaque fois que les intérêts des professionnels québécois pourraient en souffrir. Une proportion trop largement majoritaire du commerce du livre au Québec — on nous a cité le chiffre de 85% — appartient aux étrangers. Le ministère des Affaires culturelles devrait mettre tout en oeuvre pour qu'au contraire une part toujours de plus en plus large de ce commerce puisse appartenir à des Québécois, compte tenu qu'il s'agit là d'un véhicule culturel indispensable à l'épanouissement de tous ces Québécois.

Le statu quo ou la progression des étrangers dans ce domaine représente un danger réel, à portée incalculable, pour tous les Québécois fiers de leur patrimoine culturel.

Les objectifs des étrangers — par exemple je cite un distributeur étranger qui présente dans tous les postes de vente du Québec le même livre, le même jour — peuvent représenter des dangers incalculables allant jusqu'à la perte de la possibilité de publier les oeuvres québécoises essentielles d'où, encore une fois, la nécessité d'une mainmise québécoise plus puissante sur son commerce du livre.

L'AEC, nonobstant les remarques qui suivront plus loin, appuie le ministère des Affaires culturelles dans sa décision de créer un régime d'éditeurs agréés. Toutefois, à cet effet, l'AEC souhaite que les règlements afférents fassent l'objet d'un consensus entre les professionnels de l'édition, via leurs associations, et les représentants du ministre.

L'AEC ne croit pas devoir ici s'attarder sur les autres avantages dévolus aux autres groupes qui s'occupent du livre, mais souligne toutefois que l'ensemble de la loi 51, si les règlements ne constituent pas une entrave, pourra permettre une plus grande unité au sein des professions du livre, une unification largement souhaitée dans plusieurs des secteurs compris.

L'AEC s'élève violemment contre l'article 37, ainsi que contre toutes les affirmations accordant un pouvoir discrétionnaire au ministre. L'AEC s'insurge contre toute mesure qui pourrait sembler totalitaire, arbitraire, dangereuse, imprévisible et, de toute façon, nuisible à la profession. D'autre part, reprenant l'inquiétude d'autres associations à propos de l'article 31, si, fatalement, on devait exiger de garder cet article, l'AEC demanderait au ministre d'indiquer que les personnes responsables devraient être soumises à une assermentation et à une mise au secret.

Compte tenu des problèmes mentionnés plus haut, l'AEC s'inquiète encore une fois de constater que le gouvernement, en accordant le privilège à ses membres de pouvoir devenir éditeurs agréés, leur imposera toutes sortes de réglementations qui risquent d'être trop lourdes à porter, sans pourtant leur promettre des avantages susceptibles de leur permettre de voir s'améliorer leur sort professionnel de toutes les façons souhaitables. En d'autres mots, l'AEC s'inquiète que ses membres aient à contracter de nouvelles obligations avant même d'être assurés d'améliorations sensibles dans leur sort d'éditeurs, tant au point de vue des satisfactions professionnelles qu'au point de vue des assurances d'un minimum de sécurité qui est toujours menacée.

Tel qu'entendu dans l'article 38, un règlement adopté en vertu de la présente loi entrera en vigueur après l'adoption de la loi 51. L'AEC demande instamment que ce règlement ne soit imposé aux éditeurs qu'après consultation et entente avec les associations professionnelles. L'AEC demande instamment, aussi, que rien ne soit introduit dans le règlement servant un autre groupe professionnel aux dépens des éditeurs eux-mêmes, si l'on veut conserver à la loi la caractéristique de préserver les privilèges de ces derniers.

L'AEC demande, en définitive, que le fait de solliciter l'agrément ne puisse pas devenir odieux, et cela d'aucune façon, pour tous les professionnels que la loi pourra qualifier d'éditeurs agréés, à défaut de quoi, les éditeurs s'abstenant, la loi ne pourrait atteindre un de ses buts principaux et les professionnels de l'édition risqueraient de se voir acculés à une impasse définitive.

L'AEC, dans son mémoire, s'est bornée la plupart du temps aux articles qui visaient plus directement les maisons d'édition en général. C'est pourquoi l'AEC a tenu à parler longuement de propriété québécoise et des dangers de la loi par rapport à la situation des éditeurs. Toutefois, avant de terminer, il serait bon d'indiquer que l'AEC appuie la recommandation du Conseil supérieur du livre sur la création d'un Conseil supérieur du livre et de la lecture, selon le mode d'opération du Conseil supérieur de l'éducation. L'AEC demande qu'il soit clairement énoncé par le ministère des Affaires culturelles qu'aucune tabelle de conversion à partir des coûts de production ne sera jamais imposée aux éditeurs québécois.

L'AEC appuie tous les éditeurs de manuels scolaires qui voudront défendre des privilèges que la présente loi risque de leur faire perdre. L'AEC souhaite que les règlements accompagnant la loi puissent favoriser une meilleure compréhension entre les éditeurs et les libraires, entre les éditeurs et les différents professionnels du livre en général. A cet effet, l'AEC souhaite pouvoir travailler plus étroitement avec les fonctionnaires du ministère des Affaires culturelles et les libraires afin d'accorder une place de plus en plus prépondérante à la production québécoise dans toutes les librairies de la province.

Nous considérons que les librairies à 100% propriété québécoise seront aussi habilitées à rendre tous les services qu'on peut attendre d'une librairie. Plusieurs d'entre elles sont déjà en mesure d'offrir de faire face à n'importe quelle demande de n'importe quel client, et on aurait tort de sous-estimer leur possibilité d'être à la hauteur de la situation.

Ces considérations n'ont pas pour but d'empêcher de commencer avec les étrangers, qui nous sont indispensables dans une certaine mesure, mais d'assainir une situation qui, faute d'une solution énergique de la part du gouvernement, risquerait de s'envenimer toujours davantage.

L'Association des éditeurs canadiens, pour terminer, offre une fois de plus sa plus entière collaboration au ministère des Affaires culturelles pour l'amélioration toujours croissante de la vie culturelle au Québec et, d'une façon particulière, par l'amélioration de la condition faite à l'oeuvre littéraire — une des expressions les plus vivantes de cette vie culturelle — depuis sa création jusqu'à sa diffusion dans tous les recoins de notre immense province.

Le Président (M. Blank): Merci, M. Dubé. M. le ministre.

M. Vaugeois: M. le Président, je remercie l'Association des éditeurs canadiens de la présentation de cet important mémoire. Je la remercie également de l'appui qu'elle nous apporte, de l'encouragement et de la collaboration apportés à ce jour. Je lui dis tout de suite que la consultation qui a été poursuivie jusqu'à ce jour n'est pas terminée, bien sûr. Lorsque dans votre mémoire vous appelez un supplément de consultation pour la mise au point de certaines parties de la loi ou des règlements, cela va de soi, c'est ce que nous entendons faire et c'est ce que nous allons continuer à faire.

Vous avez ou la malice ou la gentillesse de me citer, à la page 6 de votre mémoire. Je reconnais avoir sans doute dit quelque chose comme ça, en tout cas je l'ai souvent pensé et je l'ai sans doute dit publiquement.

M. Rivest: Est-ce qu'il s'agissait du Conseil des arts du Canada?

M. Vaugeois: ... du Canada. M. Rivest: Du Canada?

M. Vaugeois: Du Canada. Organisme avec lequel nous entendons avoir une association. Nous pensons...

M. Rivest: Non, non, je m'excuse, c'est comment.

M. Vaugeois: De toute façon, pour nous c'est un excellent voisin.

Une Voix: Un voisin...

Une Voix: II est bien content d'avoir l'aide fédérale...

M. Rivest: Bien oui, regardez donc ça.

M. Le Moignan: II n'était pas éditeur? Ce n'est pas le même?

M. Vaugeois: Cette façon de faire du Conseil des arts nous inspire actuellement dans la révision du programme d'aide à l'édition. Une des grandes qualités du programme du Conseil des arts c'est de ne pas intervenir dans le choix éditorial. D'avoir ce qu'on appelle dans le jargon une subvention globale. C'est, je pense, de la part du Conseil des arts, une attitude qui a toujours été exemplaire, en ce sens qu'elle nécessite peu d'effectifs pour appliquer le programme et qu'elle respecte la démarche fondamentale de l'éditeur. Non seulement je l'ai pensé et sans doute déjà dit, mais, depuis que je suis au ministère, le travail de révision que nous faisons, avec votre collaboration, va dans ce sens-là. Nous cherchons à mettre au point un programme qui nous permettrait d'intervenir dans l'aide à l'édition sans avoir à nous prononcer sur votre choix éditorial, sur vos décisions éditoriales, sur votre façon d'accueillir les manuscrits et de les traiter. Encore que nous sommes avec vous préoccupés du professionnalisme qu'exige votre profession, votre métier d'éditeur, qui est un des plus importants qui soit, parce que vous finissez le produit, vous rendez service à l'auteur et vous nous livrez, si vous travaillez bien, un produit de qualité qui facilite le travail de tous les autres. Quand le produit est de qualité, je pense qu'il a plus de chance d'avoir une bonne existence et de remplir les fins pour lesquelles il existe.

Pour pouvoir être correctement équipé et faire votre travail, vous identifiez vous-mêmes un certain nombre de problèmes qui vous confrontent. Plusieurs de ces problèmes sont de nature financière et je pense qu'une des principales mesures susceptibles d'améliorer la situation est la création toute récente de la Société de développement des industries culturelles. Nous misons beaucoup sur ce geste posé par l'actuel gouvernement et vous avez sans doute noté au cours de nos discussions, depuis hier, la présence du président de la nouvelle société, M. Guy Morin, qui, à ce moment-ci, est avec un autre groupe, mais qui doit nous retrouver et, également, la présence du vice-président de la société, M. Gaston Harvey. (16 heures)

C'est dire l'intérêt que MM. Morin et Harvey, président et vice-président, qui sont les deux premiers permanents du conseil d'administration et de la société, portent à la question du livre. Ils sont tout à fait conscients du rôle qu'ils ont à jouer pour la meilleure santé de ce secteur vital et pour le développement culturel du Québec.

Vous avez des propos énergiques, très clairs. Je pense que l'Opposition en particulier en aura fait son profit sur la propriété québécoise. Vous soulignez vous-mêmes les difficultés d'application du 100% et mon collègue de Jean-Talon me permettra de faire un très bref commentaire, parce que nous aurons l'occasion d'en débattre au moment de l'étude du projet de loi, mais il est certain qu'on peut jongler avec 100% et 80%. Une des grandes difficultés du 80% réside dans le contrôle. C'est certainement plus difficile d'apprécier 80% que 100%, étant déjà compris qu'il est difficile de bien vérifier la propriété. Le mémoire de l'association, à cet égard, est assez explicite. Ce n'est pas facile. Plusieurs points très concrets sont posés dans ce mémoire. Selon une expression que j'ai retenue, et qui venait d'un avocat célèbre, il n'est pas toujours facile de percer le voile corporatif.

Or, vous vous inquiétez de cette capacité d'aller chercher le vrai propriétaire, de l'identifier. Vous avez parfaitement raison et c'est là qu'est l'ambiguïté de votre mémoire, sur ce point. C'est qu'en même temps que vous vous en inquiétez, en même temps vous êtes un peu sceptiques sur notre capacité de vérifier la propriété, vous vous inquiétez, dans le même souffle, de l'article 37. Evidemment, c'est notre dilemme à nous et finalement, à tous nous autres, puisqu'il est difficile de vérifier la propriété, est-ce qu'il faut se donner les moyens d'essayer de la vérifier? C'est notre dilemme et je conviens que l'article 37 n'est pas

réjouissant en lui-même, il s'agit de savoir si nous en avons besoin pour remédier à une situation que les tenants... C'est l'article 31, l'article en question.

M. Rivest: II ne s'est pas inquiété de l'article 31, c'est ce que j'aurais aimé vérifier.

M. Vaugeois: Je mêle un peu les articles, ils vont changer de numéro de toute façon d'ici l'adoption de la loi. Effectivement, c'est l'article 31.

M. Rivest: Vous vous référiez à la nécessité, pour le ministre, d'avoir des pouvoirs d'enquête assez poussés.

M. Vaugeois: Voilà.

M. Rivest: Je pense qu'il ne l'a quand même pas soulevé, mais enfin dans votre argumentation, d'accord.

M. Vaugeois: Le dernier point que je voulais soulever, je l'ai dit au début, c'est la question de la consultation. Vous nous demandez que certaines choses ne soient pas faites avant une dernière consultation, ce qui est acquis.

J'aimerais donner l'occasion au député de Mercier qui nous a beaucoup assisté dans la préparation de ce projet de loi, ou après le député de Jean-Talon, d'accord.

M. Rivest: Moi aussi, j'ai trouvé votre mémoire autant dans le ton et je suis sûr que c'est un mémoire vigoureux. Le ministre l'a qualifié d'énergique et certainement vigoureux. Je comprends très bien que la vigueur que vous y avez mise correspond à des situations vécues, aux situations auxquelles vous vous êtes référé sans nommer de cas, mais que c'est un problème qui n'est pas inventé de toutes pièces. C'est un problème réel pour les éditeurs québécois ou canadiens. J'en suis parfaitement conscient. C'est dans ce sens là que, dès lors — des gens qui ont comparu devant la commission, qui représentaient une partie d'intérêts étrangers — je me suis efforcé d'essayer de savoir la nature de leur présence ici pour qu'ils aient cette argumentation, compte tenu de la connaissance que nous avions de votre mémoire et de la situation que vivent les éditeurs et également les libraires québécois sur le marché québécois. Compte tenu de la nécessité de chercher d'une façon légitime, sans doute à cause — ce serait là la première question — des caractéristiques particulières du marché québécois, qui n'est pas tellement limité. Est-ce que, à votre connaissance, les dispositions concernant la propriété de la même nature que celles que pose le projet de loi, existent ailleurs au Canada, au niveau provincial si vous voulez, ou à l'étranger, ou si c'est une nécessité qui vous apparaît justifiée en raison de la nature même des problèmes culturels québécois qui nous sont propres?

M. Dubé: Je dois dire que, lorsque nous demandons le respect de la loi quant à la propriété québécoise, il s'agit bien, tel que c'est défini dans la loi, pour qu'une maison puisse recevoir de l'aide ou être accréditée... ça ne suppose pas le droit de commercer. N'importe qui peut commercer, on est complètement d'accord d'ailleurs avec les étrangers qui sont ici ou ailleurs. Mais, dans certains pays, ils vont beaucoup plus loin, parce qu'ils ne peuvent même pas commercer; il y a des pays, par exemple en Afrique du Nord, où on ne peut faire affaire qu'avec une seule société, une société d'Etat. Ce n'est pas ce qu'on demande.

M. Rivest: Oui, dans le cadre du marché institutionnel.

M. Dubé: C'est dans le cadre d'une aide et d'une accréditation.

M. Rivest: Existe-t-il ailleurs une disposition telle que vous l'avez très bien circonscrite?

M. Godin: Excusez-moi, M. le Président. Effectivement, aux Etats-Unis, il n'y a pas un livre qui puisse se vendre — pourtant ce n'est pas un petit pays d'une langue minoritaire sur le continent — qui ne porte pas la marque d'un éditeur américain. C'est pour ça qu'on voit, chez Classic Book Shop par exemple, des livres de Penguin Books faits en Angleterre et c'est marqué dessus "not for sale in the United States", il faut qu'ils portent le nom d'un éditeur américain.

Il y a une loi américaine très sévère qui dit qu'il faut qu'il y ait une licence, le numéro de la licence d'un imprimeur et d'un éditeur américain pour être vendu aux Etats-Unis, sauf les livres techniques ou scientifiques.

M. Rivest: Si vous le permettez, je poserai une question au député. Comment le terme "éditeur américain" est-il défini? Est-ce 100% de propriété? Oui? Est-ce que ça correspond...

M. Godin: Oui.

M. Rivest: Vous avez également indiqué, à la page 9 de votre rapport, que le commerce du livre était contrôlé par des étrangers. On nous a cité, dans votre rapport, le chiffre de 85%. J'ai déjà demandé au ministre qu'il nous donne un ensemble statistique plus complet, parce qu'on n'en a pas, c'est le premier chiffre que je vois arriver ici. Est-ce que c'est une source facilement vérifiable et est-ce que c'est basé vraiment sur des études statistiques élaborées ou est-ce simplement un ordre de grandeur que vous avez voulu indiquer?

M. Dubé: C'est un ordre de grandeur que j'ai voulu indiquer, tout comme, hier, m'a précédé M. Tisseyre qui a dit ceci: "Je ne blâme pas les librairies qui ne feront même pas 10% de leur chiffre d'affaires avec des ouvrages québécois".

Evidemment, ces 10% s'appliquaient, dans son esprit, à des ouvrages littéraires et les 85% englobent le manuel scolaire, etc. Il peut y avoir un décalage de quelques pourcents, mais c'est un chiffre qui, tout compte fait, après consultation

avec un certain nombre de personnes du milieu, serait assez conservateur.

M. Rivest: Vous avez entendu, hier, les représentations qui nous ont été faites par les porte-parole des bibliothèques publiques. Vous avez insisté, à la fin de la lecture de votre mémoire, sur la capacité, pour les éditeurs et même pour les libraires québécois, de fournir des services équivalents à ceux qui sont offerts par les maisons françaises, américaines ou enfin étrangères, qui ont une participation dans des entreprises québécoises.

Sans vouloir ouvrir une polémique, je vous demande de commenter l'affirmation des représentants — je ne veux pas non plus déformer leurs propos, ils me corrigeront, si j'interprète mal — qui ont semblé, en tout cas qui m'ont donné l'impression de dire qu'ils tenaient à ce que les maisons où il y a un investissement étranger puissent continuer de fournir leurs services et que, même, ils y voyaient un intérêt en termes de qualité de services, sans doute non pas en voulant... J'imagine que c'est une qualité qui peut être complémentaire avec la qualité que les entreprises québécoises peuvent elles-mêmes fournir mais, néanmoins, il y avait une utilité pratique là. Vous l'avez entendue. Je pense que c'est le sens un peu de l'intervention de nos invités précédents.

M. Dubé: J'ai entendu cette intervention comme j'ai entendu celle de M. Sauvageau, ce matin, qui contredisait l'intervention d'hier. Y a-t-il une différence entre les bibliothèques publiques à ce niveau-là et les bibliothèques scolaires? Je me pose la question, parce que, devant le même problème, on apporte deux réponses diamétralement opposées en milieu professionnel. Vous avez posé vous-même, M. le député de Jean-Talon, cette question à M. Sauvageau, ce matin.

M. Rivest: Ah oui! à dessein d'ailleurs.

M. Dubé: II vous a répondu par la négative. Si vous voulez, dans une certaine mesure, je peux vous dire qu'en pratique il peut très bien se faire qu'un bibliothécaire ait des habitudes d'achat chez un libraire, comme n'importe qui. Ce n'est pas facile de changer ses habitudes d'achat, il peut y avoir certaines craintes etc. qui sont tout à fait normales, tout à fait compréhensibles, mais cela ne qualifie pas le milieu pour autant. Si vous voulez, le nouveau marchand de votre quartier qui va remplacer celui où vous achetez votre pain depuis dix ans peut être aussi bon que le précédent. Pour ce qui concerne les librairies, on en connaît à travers la province d'excellentes — le ministre en faisait mention ce matin — qui rendent tous les services qu'on peut attendre d'elles sans nécessairement appartenir à des réseaux étrangers.

M. Rivest: Là-dessus, c'est votre point de vue. Vous vous référez à celui de M. Sauvageau. On a celui aussi des porte-parole des bibliothèques.

Pour nous, qui ne sommes pas familiers avec toute la pratique quotidienne de cela, je vous avoue que ma réaction, c'est un peu difficile d'orienter mon choix, de me faire une idée dans un sens ou dans l'autre. Néanmoins, c'est sûr que les témoignages sont, de part et d'autre, sans doute faits de bonne foi.

M. Dubé: Je crois qu'on peut ajouter ceci: Ce qui pourrait rendre la fourniture ou le service plus difficile de la part de libraires agréés après la loi, ce serait la non-fourniture par les fournisseurs, parce qu'il y aurait un boycottage ou n'importe quoi, ce que je n'imagine pas dans un contexte sain d'émulation et de commerce. A ce moment-là, il ne devrait y avoir aucune difficulté.

M. Rivest: Là-dessus, est-ce que je trahirais votre pensée en disant que votre affirmation sur la capacité tient compte évidemment d'une certaine période de transition? Ce ne serait pas au lendemain de la loi, il faudrait qu'il y ait tout un réaménagement au niveau des entreprises québécoises à 100% qui fourniront. L'objectif que vous visez et que tout le monde recherche, je pense, pourrait être atteint sur une certaine période d'années qui serait raisonnable.

M. Dubé: Oui, sauf qu'il ne faut pas minimiser, comme je le dis aussi, l'existence, si vous voulez, de ces librairies. On ne crée pas de nouvelles librairies. Il y a déjà un réseau sérieux, intéressant et on essaie de l'améliorer avec tous les efforts possibles.

M. Rivest: D'accord. Une dernière question, si vous me permettez. A la page 9, vous exhortez le gouvernement québécois à collaborer avec les autorités fédérales pour pouvoir contrôler tout achat, tout échange, toute transaction. A quel type de collaboration et à quel domaine précis faites-vous allusion?

M. Pagé: Je pense que cela s'est déjà fait. Il existe cette société qui s'appelle FIRA, je pense, qui permet en définitive des échanges entre vos paliers de gouvernement et qui permet de vérifier les transactions et d'en connaître les propriétaires. Nous demandons actuellement que, plutôt que de revenir dans cinq ans ou dans dix ans pour constater qu'il y a eu tel, tel ou tel désastre, parce qu'on a encore cédé tel, tel ou tel bout de terrain, on prenne le taureau par les cornes et qu'on dise: Cela suffit, cette espèce d'hémorragie de notre commerce du livre vers les étrangers.

M. Rivest: FIRA, c'est l'organisme, enfin l'agence fédérale qui procède par tamisage, n'est-ce pas?

M. Dubé: Oui.

M. Rivest: C'est cela. Est-ce que les critères au niveau de la propriété de FIRA ou les pratiques de FIRA vous paraissent compatibles avec des exi-

gences particulières que la loi québécoise imposera, c'est-à-dire les 100% de propriété? (16 h 15)

M. Dubé: Je ne veux pas qu'on se serve de FIRA, si vous voulez, uniquement. Je veux qu'on se serve de tous les moyens possibles pour arriver à nos fins.

M. Rivest: Quels sont les autres moyens? Est-ce qu'il y en a? Je n'essaie pas de... J'essaie de voir.

M. Dubé: Du gouvernement fédéral, non, je ne le sais pas, parce que justement, jusqu'à maintenant, on a toujours été acculé à ce qu'on a convenu d'appeler des désastres. Les interprétations qu'on donne au changement de nom de certaines maisons changent selon les individus. Pour les uns, on a sauvé telle firme de la catastrophe en lui permettant de continuer. Pour les autres, c'est un rachat à 20% de la valeur aux livres ou des histoires pareilles. Finalement, cela dépend des problèmes à mesure qu'ils se poseront. Dans la mesure où c'est possible, on demande au gouvernement d'empêcher, si vous voulez, des achats par des étrangers, surtout de voir, chaque fois que c'est possible, à en faire profiter plutôt les instances québécoises.

M. Vaugeois: Vous permettez, M. le Président...

Le Président (M. Blank): Oui.

M. Vaugeois: ... un complément d'information. Cette invitation que fait le mémoire à la collaboration, je pense, arrive à point mais il faut dire que cette collaboration existe déjà. Et il me plaît de mentionner que sur cette question de la propriété dans le domaine culturel en particulier, le gouvernement fédéral et ses institutions démontrent finalement plus de nervosité et de vigilance que nous-mêmes. FIRA, l'an dernier — c'est un cas que je peux rendre public maintenant — nous avait alertés sur le cas d'une transaction qui se préparait pour les éditions Julienne. Une maison américaine avait fait une offre importante et, pour des raisons que la plupart des gens de la profession connaissent, les propriétaires des éditions Julienne étaient prêts à y donner suite. Nous sommes intervenus à la suite de la communication de FIRA pour aider momentanément les éditions Julienne et cela s'est terminé par une transaction avec des intérêts québécois. Cette collaboration existe et il est bon de noter qu'en termes de propriété, finalement, on est beaucoup plus exigeant à Ottawa que nous-mêmes parce qu'il ne s'agit pas d'entreprises pouvant recevoir de l'aide de l'Etat, il s'agit d'entreprises agissant dans le domaine de l'édition et dans le domaine culturel. C'est vrai pour d'autres domaines, mais c'est particulièrement vrai pour le domaine culturel. Ils vont beaucoup plus loin que nous finalement. Actuellement, cette collaboration existe. Elle ne peut que s'intensifier, je pense bien.

Puisque j'ai la parole et que M. Guy Morin est arrivé maintenant, j'ai signalé tout à l'heure l'intérêt que portait la SDIC à ces questions. M. Morin est derrière moi. Suivant de très près l'évolution de ce projet de loi, étant donné le rôle qu'on demande à sa société éventuellement de jouer, à sa droite, il y a Georges Cartier et, à la droite de Georges Cartier, qui est directeur général des arts et des lettres, il y a M. Gaston Harvey qui est vice-président à la SDIC.

M. Rivest: Une dernière information. Peut-être que le ministre ou monsieur pourra la fournir. J'ai posé la question à M. Dussault ce matin sur les circonstances qui l'avaient amené à un moment... Je comprends que la précision du ministre est importante, parce que c'est général. Nous, on discute simplement des entreprises qui ont accès au marché institutionnel. C'est très important à ne pas oublier. Est-ce que l'agence fédérale ne procède pas ad hoc, c'est-à-dire lorsque des cas lui sont signalés? Au cours de la discussion qu'on a eue avec M. Dussault, les questions que je lui posais visaient à savoir si cela serait inconcevable qu'on puisse prévoir une intervention législative dans le domaine du livre en regard du problème de la présence des étrangers par une loi à partir de critères, bien sûr, mais qui ne seraient pas absolus au titre de la propriété à 100% et où il n'y aurait pas un automatisme. Est-ce que vous croyez que cela pourrait être praticable? Excusez l'anglicisme, mais c'est cela. Est-ce que cela pourrait se faire que l'on procède ad hoc à partir d'une loi qui établirait des critères généraux et qui aurotiserait le ministère des Affaires culturelles à dire, face à une transaction, par exemple, pour prendre un cas particulier, comme celle de Hachette et de Dussault: Non, ce type de transaction n'est pas autorisé, compte tenu des impératifs culturels du Québec et compte tenu des intérêts de nos propres éditeurs ou de nos propres libraires québécois. Est-ce que c'est inconcevable de concevoir un type d'action ponctuel, si vous voulez, dans le sens que je viens d'indiquer?

M. Dubé: Cela n'est pas inconcevable, d'une part, et, d'autre part, cela se pratique à Ottawa couramment.

M. Rivest: Croyez-vous que cela serait efficace, compte tenu des impératifs que vous soulignez et qui sont tout à fait légitimes dans votre mémoire?

M. Dubé: Toute mesure qui pourrait repatrier une partie du commerce du livre vers des Québécois serait efficace.

M. Rivest: J'allais vous dire... M. Vaugeois: Allez-y.

M. Rivest: Je vais le dire. Est-ce qu'une telle mesure, en regard de l'ensemble des services qui sont offerts au public, une mesure ad hoc ou

ponctuelle — si vous voulez — du type de l'intervention fédérale vous paraîtrait avoir moins d'inconvénients qu'une mesure générale de 100% sur la propriété, non pas en regard des éditeurs ou des libraires, mais en regard du public, des services offerts au public, en regard des besoins dont les gens des bibliothèques publiques nous ont fait état hier?

M. Dubé: Je pense que c'est un peu difficile de vous répondre.

M. Rivest: Je vais le demander au ministre.

M. Dubé: Je me demande si, précisément, la difficulté de trouver des partenaires dont parlait M. Dussault ce matin, en disant que cela reposait sur le caractère un peu personnel des individus en question, ne repose pas aussi sur une espèce de défaitisme relié globalement à la situation. Je veux dire que si on sait de toute façon, si les investisseurs québécois éventuels savent de toute façon que leur partie a joué toute petite dans l'ensemble, ce sera toujours difficile d'en convaincre d'investir que s'ils savent qu'à un moment donné, il y aura — pour reprendre l'expression vulgaire — une plus grande part du gâteau.

M. Rivest: Oui, d'accord. Si vous me le permettez, je vais poser une question au ministre. Je comprends que votre projet de loi no 51 s'inscrit — comme dirait le ministre de l'Education — dans la foulée de la réglementation existante, c'est-à-dire un certain pourcentage sur la propriété. Est-ce que vous avez envisagé, au ministère, la possibilité d'une intervention pour atteindre ou pour aider et protéger nos éditeurs et les libraires québécois, une intervention qui ne soit pas simplement au titre d'une norme de 100% de propriété, mais qui procéderait plutôt selon la formule fédérale, c'est-à-dire des tamisages avec des critères, et d'une intervention ad hoc que le ministre pourrait faire? Par exemple: supposons qu'on se retrouve en 1977 où le ministre aurait eu des pouvoirs pour dire: Voici, non, M. Dussault, vous ne pouvez pas faire tel type de transaction, est-ce que cela a été envisagé? Est-ce qu'on a examiné les inconvénients et les avantages de cette formule avant de choisir de continuer à s'inscrire dans le prolongement de la réglementation qui fixait à 50% pour aboutir à 100%? Est-ce qu'on a des arguments de part et d'autre pour dire: Non, cela n'est pas pratique dans le domaine du livre ou oui, il y a tel avantage? Enfin, vous comprenez un peu ce que je veux dire.

M. Vaugeois: Oui, cela fait plusieurs fois qu'on regarde cela sous tous les angles. Il y a d'abord des questions qui ne sont peut-être pas nécessairement de la compétence du gouvernement du Québec, si on voulait faire référence au tamisage, et le fédéral a un organisme pour le faire et il le fait. Il travaille avec nous. Donc, on n'a pas senti le besoin de doubler l'organisme fédéral, d'autant plus que je ne suis pas certain que nous pourrions le faire si nous voulions le faire.

Deuxièmement, nous n'avons pas le même genre de réflexe défensif vis-à-vis de la présence étrangère. Par exemple, pour nous, les intérêts français sont des intérêts alliés en Amérique du Nord pour des raisons évidentes. Le fait de travailler avec les Français, les Belges et les Suisses à rendre le livre de langue française plus présent au Québec, cela rejoint nos objectifs. Donc, les Français ou les Européens de langue française sont des alliés pour nous autres dans ce domaine et nous consommons — nous sommes d'accord pour consommer — une grande quantité de livres en provenance de ces pays. Là où nous intervenons, c'est que nous faisons comme tous les autres gouvernements du monde, nous réservons notre aide ou nous entendons réserver notre aide à des entreprises qui sont de propriété québécoise, mais nous invitons ces entreprises à travailler le plus étroitement possible avec les partenaires qui offrent un produit qui nous intéresse. C'est dans ce sens qu'hier, par exemple, je disais clairement à Flammarion qu'il pourrait éventuellement y avoir une maison québécoise, une propriété québécoise, mais vraiment propriété québécoise sans fausse façade, qui pourrait travailler étroitement avec cette maison française, comme plusieurs éditeurs le font. M. Dubé parle ici au nom de l'association, mais sa maison d'édition travaille étroitement avec des maisons françaises. C'est dans le respect des uns et des autres, d'égal à égal.

Par ailleurs, vis-à-vis des Américains ou du livre de langue anglaise d'où qu'il vienne, nous n'avons pas le réflexe du Canada anglais parce que, au Canada anglais, le livre de langue anglaise qui vient de l'extérieur est souvent une espèce de menace au caractère national du Canada anglais. Pour eux, les livres étrangers qui viennent dans leur langue leur posent un problème, ce qui n'est pas le cas pour nous.

Les livres de langue française qui viennent chez nous sont bienvenus et le capital qui va avec ces livres est également bienvenu à l'intérieur des limites qu'on est en train d'expliquer. Mais pour le Canada anglais, le réflexe n'est pas le même. Pour eux, il y a une forme de tamisage qui va plus loin, parce que le capital étranger de même langue, si je peux dire, leur pose des problèmes. Ils sont donc beaucoup plus vigilants que nous sur ce plan-là alors que nous, nous n'avons pas de réflexes de défense vis-à-vis des livres de langue anglaise, en tout cas pas sur la même base, parce que c'est une langue étrangère pour nous. Encore que trop de livres de langue anglaise posent un autre problème, mais c'est autre chose.

M. Rivest: D'accord, pour l'instant. J'ai une dernière question, si vous me le permettez. Je comprends que les éditeurs et les libraires — j'ai compris cela très clairement depuis deux jours — ne font pas de profits exorbitants, mais par les voies de la fiscalité provinciale, est-ce que vous avez déjà suggéré des possibilités qui pourraient aider les éditeurs, les libraires?

M. Dubé: Sur le plan provincial, pas encore. Il y a un comité sur le plan national qui en fait la

demande au trésor fédéral, mais sur le plan provincial cela n'a pas encore été fait.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Je voudrais poser quelques petites questions à M. Dubé. Quand vous parlez de l'Association des éditeurs canadiens, je comprends que c'est plutôt québécois, c'est plutôt francophone.

M. Dubé: Oui, c'est francophone, mais le nom existe comme cela depuis 25 ans et on ne l'a pas changé.

M. Le Moignan: C'est très beau comme nom, mais il n'y a pas d'éditeurs francophones, du Nouveau-Brunswick ou d'Ottawa, qui seraient membres.

M. Dubé: Dans notre association, il y en a, mais très peu. Il y a un éditeur du Nouveau-Brunswick, un éditeur à Ottawa et il y a une candidature de l'Ouest canadien.

M. Le Moignan: C'est important de le préciser. Vous regroupez une cinquantaine de maisons. C'est dire qu'il en reste combien qui ne seraient pas membres de votre association?

M. Dubé: C'est très difficile de vous répondre. C'est gênant d'ailleurs pour moi, pare que je devrais avoir une réponse toute faite à cette question, mais le problème repose sur un fait nouveau. Depuis un an ou deux, il y a plusieurs nouvelles maisons d'édition qui publient un peu partout, mais qu'on n'arrive pas facilement à connaître et à recruter. De maisons importantes de Montréal qui ne sont pas dans notre association, il y en a très peu, mais à travers la province cela peut commencer par se chiffrer plus qu'on ne le pense, mais je ne peux pas vous donner de chiffre exact parce qu'à chaque mois on entend parler de nouvelles maisons qui ont publié trois, quatre, cinq livres dans les six derniers mois, qui seraient susceptibles, donc, d'être membres de notre association et qu'on essaiera de recruter dans les années à venir.

M. Le Moignan: En fermes de pourcentage avez-vous une faible idée de ce que cela peut représenter pour votre groupe, votre association?

M. Dubé: Sûrement au moins 75% des éditeurs.

M. Le Moignan: Vous avez au moins 75% actuellement. Je vois que dans votre mémoire vous défendez le livre québécois comme d'autres l'ont fait également. On a vu les problèmes qu'il y a entre les distributeurs ou certaines maisons d'investissements étrangers et que vous aimeriez que le Québec soit favorisé. Je pense que personne n'a d'objection à cela, mais vous mentionnez — c'est une question que j'ai posée hier — la difficulté pour la plupart des éditeurs d'exporter sur les marchés étrangers. D'après votre expérience, vous avez essayé d'en vendre en France, en Belgique ou en Suisse, ce qui ne semble pas être un succès, d'après votre page 7, article 11, et vous parlez ensuite de la disproportion de vos moyens pour concurrencer, parce que le public exige une qualité supérieure chez les Québécois. Est-ce que, parce que nous avons des éditions européennes — je donne un exemple — qui sont attrayantes, qui sont peut-être dispendieuses, qu'on est porté à les acheter, vous voulez dire qu'on n'est pas capable de produire des éditions d'une telle qualité?

(16 h 30)

M. Dubé: Le problème ne m'apparaît pas du tout au niveau de la qualité, mais au niveau des moyens de diffusion des produits en question. On pourrait vous citer des chiffres. Un tirage, si vous voulez, dans une maison d'édition québécoise, un tirage moyen, se situe autour de 3000 exemplaires et a à faire face à des produits français qui sont tirés pour 50 millions de personnes, des fois à 10 000, 15 000, 30 000 exemplaires, dont nous avons des queues de tirage, des fois plus imposantes que nos propres tirages. Cela leur donne des marges de possibilités au niveau de la diffusion que nous n'avons pas.

Evidemment, à ce moment, on peut faire à peu près n'importe quoi, y compris créer, presque un best-seller avec un navet, à force de dire aux gens que c'est bon et à force de l'annoncer comme un bon produit. Cela s'est déjà vu.

M. Le Moignan: Si on fait exception pour les poèmes de certains poètes, par exemple. On n'en regardera pas et je n'en mentionnerai pas. C'est-à-dire que vous avez un tirage pour un roman ou une oeuvre populaire qui peut atteindre 3000, 4000 ou 5000 peut-être au départ. Je comprends qu'en France on peut éditer à 100 000 ou à 200 000. Je comprends que c'est un handicap sérieux pour vous.

Mais j'ai acheté il y a quelque temps, dans une épicerie — que ce soit Dominion ou Continental, je ne me souviens pas trop — une histoire du Canada en quinze volumes. Je ne me souviens pas qui l'a éditée. Le nom "Vaugeois" n'y est pas, parce qu'il y a Lacoursière et Bouchard. J'imagine qu'ils étaient collaborateurs du ministre quand il a fait son histoire du Canada. Maintenant, j'ai payé $0.77 le livre pour une collection très bien présentée. Il y a peut-être de la publicité, les chaînes d'alimentation ont payé une partie des frais. Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette édition? Je ne sais pas qui l'a éditée. Mais cela veut dire $10 pour quinze volumes. Je crois que c'est une excellente présentation.

Alors, peut-être que le ministre aurait un petit mot à nous dire; de quelle façon réussit-on à vendre, à $0.77, une collection qui a une valeur historique tout de même?

M. Dubé: Ce sont les éditions...

M. Le Moignan: Non.

M. Dubé: C'est une maison d'édition qui appartient à M. Tisseyre et qui s'appelle Forma. Il pourrait sûrement vous expliquer mieux que moi comment il s'est pris, par exemple, pour l'éditer.

M. Le Moignan: Je l'ai achetée, parce que je connaissais les auteurs et je me suis dit: C'est bien présenté. Je l'ai achetée pour en faire cadeau à une petite nièce qui est au secondaire, parce que je possède d'autres livres d'histoire. Mais j'ai trouvé que pour un tel prix... Cela se vend certainement beaucoup.

M. Dubé: Oui.

M. Le Moignan: Est-ce que ce truc peut être développé par les maisons d'édition, surtout en ce qui concerne les jeunes, sans que ce soit réellement un manuel scolaire comme tel?

M. Dubé: Les expériences de livres de ce type-là ne sont pas très nombreuses et réussissent quelquefois, mais pas toujours, et il y a l'objection de ce que vous avez appelé vous-même les chaînes. C'est-à-dire qu'il faut pénétrer dans une chaîne.

Il faut d'abord déterminer un produit qui va avec la ou les chaînes en question et s'entendre avec ces chaînes pour une mise en marché qui correspond à ce qu'elles sont capables d'en faire. Si c'était une opération facile, je pense bien qu'elle serait réussie plus souvent qu'elle ne l'a été jusqu'à maintenant.

C'est une opération qu'on considère assez difficile. Evidemment, vous avez cité, peut-être, un des meilleurs exemples d'une réussite, mais, avant de pouvoir arriver à un produit qu'on veut présenter de cette façon, avoir les partenaires et tout le reste, je vous dis que ce n'est pas une tâche à laquelle peut s'atteler n'importe quel éditeur, surtout étant donné la grosseur des entreprises que représentent les maisons d'édition au québec.

M. Le Moignan: Je vous remercie, parce que ce n'est pas ce que je cherchais dans l'épicerie. C'est autre chose, mais je suis tombé dessus par hasard. J'en ai profité de toute façon.

J'aurais une petite question à vous poser au sujet de la loi 31. On n'en parle pas tellement. Excusez, l'article 31. Cette inquisition, cette perquisition, ces visites d'inspecteurs. Je ne vous demande pas une réponse précise, mais le ministre est là qui écoute. Je me demande, dans tout cela, quel va être le coût de ces enquêteurs. Est-ce que cela va coûter plus cher que l'aide que le gouvernement va apporter aux éditions? Est-ce qu'il y aura une armée sur la route ou seulement un ou deux employés?

M. Rivest: Cela va coûter cher aux libraires.

M. Le Moignan: Si les librairies sont obligées de payer les enquêteurs, si c'est enlevé sur ce qu'on doit vous fournir pour vous aider, en somme, vous ne serez pas dans une meilleure situation.

M. Dubé: Je pense que c'est au ministre à répondre.

M. Le Moignan: Ne soyez pas gêné. Vous allez avoir...

M. Dubé: J'ai dit ce que je pensais de l'article 31, c'est-à-dire que si on doit l'accepter, si fatalement, c'est un article de routine ou un article qui nous sera imposé d'une façon ou de l'autre, j'ai demandé que les enquêteurs en question soient assermentés et mis au secret parce que le milieu du livre est un petit milieu et qu'il y a déjà trop de bavards qui circulent sans qu'il ne soit nécessaire de les multiplier. A ce moment-là, ce qui m'inquiète beaucoup plus, c'est le caractère confidentiel des renseignements qui seront pris par les enquêteurs en question. Quant à savoir le nombre que cela prendrait sur la route, etc., ce n'est pas de ma compétence.

M. Vaugeois: M. le Président...

M. Le Moignan: Ne venez pas faire de la routine.

M. Vaugeois: ... je prévois que plusieurs années pourraient s'écouler sans que l'article 31 ne soit utilisé. Je pense qu'il faut le dire et il faut le prendre au sérieux. Ce qui est sérieux dans tout cela, c'est le problème posé par les auteurs du mémoire que nous avons devant nous qui, à juste titre, nous mettent en garde contre les difficultés qu'ils appellent, eux, l'impossible contrôle des actions et des avoir réels, la pratique des "prête-noms", etc. A juste titre, les porte-parole de l'association des éditeurs nous exhortent à prévoir que les enquêteurs soient sous serment ainsi que le caractère confidentiel de l'information que lesenquêteurs pourraient trouver. Ils ne s'insurgent pas contre la mesure nécessaire, peut-être dans un cas d'enquête, mais ce qu'ils demandent, c'est que le résultat de l'enquête soit tenu secret ce en quoi ils ont bien raison. L'article 31 pour nous — je l'ai dit tout à l'heure en me trompant quand même sur l'identification de l'article, mais je tiens à le dire — c'est de mauvaise grâce que nous le mettons là, mais si nous ne le mettons pas, on nous reprochera de formuler toute une approche en ne se donnant pas les moyens de vérifier dans des cas extrêmes, des cas d'exception.

M. Le Moignan: J'aurais une dernière question au sujet de la propriété québécoise, que ce soit 60%, 80% ou 100%. Si on en vient à l'idée de 100%, est-ce que cela va aider, favoriser la distribution, la vente de livres québécois? Pensez-vous qu'il y aurait un immense avantage si on exige qu'on devienne propriétaire chez nous à 100%?

M. Dubé: Cela va aider les investisseurs québécois à s'y intéresser davantage et cela va certai-

nement apporter plusieurs stimulants dans le commerce du livre. C'est pour cette raison — ce n'est pas une cachette pour personne — que nous n'appuyons pas cette mesure. Nous la demandons depuis des années.

M. Le Moignan: Merci.

M. Vaugeois: Puis-je, M. le Président, lire l'article 35 du projet de loi? "Un renseignement obtenu par le ministre dans l'application et l'exécution de la présente loi et des règlements est confidentiel et ne peut être communiqué ou accessible à une personne qui n'y a pas légalement droit si ce n'est avec l'autorisation de la personne concernée ou dans tout autre cas prévu par règlement du gouvernement." Donc, le caractère confidentiel des renseignements obtenus est déjà prévu dans notre projet de loi.

M. Dubé: Oui, mais, M. le ministre, vous continuez en disant: "Toutefois, une communication pour fins d'étude, de recherche, de statistique peut être autorisée par le ministre à condition que l'anonymat de la personne concernée soit respecté." Moi, je me demande comment.

M. Vaugeois: C'est ce que fait Statistique Canada, par exemple, quand il rend publique de l'information. Cela, c'est comme les copies d'examen qui sont envoyées à des correcteurs avec des numéros plutôt que le nom de l'individu. On peut très certainement rendre de l'information accessible sans identifier la provenance ou le nom du propriétaire.

M. Dubé: Théoriquement, mais...

M. Vaugeois: Mais voyez-vous, là, on rejoint...

M. Dubé:... pratiquement les cas concernés autant pour les librairies que pourdes maisonsd'édition sont assez faciles à identifier à partir de certains chiffres. Alors, à partir de certains chiffres, on connaîtra tous les autres qu'on ne veut pas livrer.

M. Vaugeois: Non, non. Je suis d'accord avec votre remarque. Il faudrait donc également prendre les précautions pour que l'information soit livrée dans une forme, avec une précompilation qui empêcherait qu'on identifie la provenance de l'information, mais nous rejoignons avec cette préoccupation une des recommandations du Conseil supérieur du livre. Je pense que vous en êtes. Vous en êtes tant du conseil que de la recommandation nous priant, nous invitant à se donner les moyens, les outils pour mieux connaître le secteur qui nous préoccupe.

Il faut quand même pouvoir favoriser la statistique, éventuellement, l'étude, l'enquête, la recherche dans ce domaine, mais en protégeant les entreprises du caractère confidentiel des informations que nous obtenons.

M. Dubé: Oui, mais le Conseil du livre insiste aussi sur le fait qu'il ne faut pas que cela multiplie tous les travaux à accomplir pour préparer les statistiques en question.

M. Vaugeois: Bien sûr. Est-ce qu'à cet égard vous avez noté que nous allons tenter de recourir à des organismes de statistique, que nous allons avoir recours au Bureau de la statistique ici à Québec et également à Statistique Canada? Nous ne voulons pas ajouter nos propres enquêtes, nos propres questionnaires à ceux qui existent déjà.

M. Rivest: Sous réserve que ce n'est pas uniquement pour fins de statistique, ces visites. Le ministre a lu l'article 31 au complet, mais il a insisté sur l'aspect statistique et je pense que l'objet premier de ces visites est l'examen des livres, des comptes, des rapports, etc.; ce n'est pas pour fins de statistique, c'est pour fins de contrôle de l'application de la loi.

M. Vaugeois: Mais il ne s'élève pas contre. M. Rivest: Non. Je n'aime pas trop cela.

M. Vaugeois: II demande de garder confidentiel...

M. Dubé: Je ne m'élève pas contre. Le Président (M. Brassard): A l'ordrel M. Vaugeois: II s'élève pour.

M. Rivest: Pas encore. C'est parce qu'ils ne sont pas encore arrivés. Attendez de les voir arriver.

Le Président (M. Brassard): M. le député de Mercier.

M. Godin: Je voudrais préciser un détail. Tout à l'heure, en réponse à une question qui ne s'adressait pas à moi, mais à laquelle j'ai répondu, au sujet des contrôles qui existent dans d'autres pays, entre autres chez nos voisins américains, il n'y a pas de contrôle autre que dans le genre de FIRA sur la propriété des maisons d'édition, mais il y a sur chaque livre vendu aux Etats-Unis ce qu'ils appellent le "manufacturing class", c'est-à-dire le livre imprimé aux Etats-Unis par un imprimeur américain, de façon qu'aucun emploi ne soit perdu.

M. Rivest: Cela se fait au Québec. Il y a certains éditeurs...

M. Godin: Est-ce que je peux terminer?

Le Président (M. Brassard): Voulez-vous rapprocher votre micro?

M. Godin: Oui. De façon qu'aucun emploi ne soit perdu, si un citoyen américain veut lire un livre qui ait des retombées dans l'emploi chez les imprimeurs américains. C'est le modèle américain. Maintenant, chez nous...

M. Rivest: Alors, ce n'est pas 100% de propriété, comme vous avez semblé me l'indiquer.

M. Godin: Non. C'est 100% de la fabrication des livres.

M. Rivest: Vous permettez? Vous savez que cela existe au Québec des livres dont le contenu vient de l'étranger, l'investissement, etc., et qui sont effectivement fabriqués au Québec, exactement dans le sens que vous l'indiquez.

M. Godin: Oui, mais on n'a aucun règlement, aucune loi qui oblige.

M. Rivest: Non, d'une façon générale. C'est complètement un autre problème, de toute manière, que celui que traite le projet de loi 151.

M. Godin: Maintenant, une autre chose que je voudrais dire, il y a deux exceptions à cette clause, le Mexique et le Canada, qui sont, au fond, des concurrents très faibles à l'édition américaine. Le Québec est un concurrent inexistant, en fait, à l'édition américaine. Par ailleurs, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les éditeurs canadiens anglais, aidés en cela d'ailleurs par les éditeurs québécois, ont cru bon eux-mêmes de former une association qui s'appelle "Canadian Publishers Association" qui regroupe uniquement les éditeurs à propriété canadienne à 80%. Il y a eu une longue lutte au sein de l'association des éditeurs contre les éditeurs américains déguisés en Canadiens regroupés dans une chose qui s'appelait la "Canadian Book Publishers".

M. Rivest: On nous a dit ce matin qu'il y avait eu une démarche analogue au Québec.

M. Godin: Donc, le problème des petites nations ou petites cultures face aux cultures plus importantes, c'est un problème qui n'est pas unique au Québec, qui se pose partout. Je suis sûr que si on citait le cas de la Suède ou de la Finlande, des pays Scandinaves, c'est exactement le même problème que nous. Donc, ce n'est pas nouveau comme solution à ce problème. Je me réjouis de voir que nos amis de l'Association des éditeurs canadiens partagent nos préoccupations qui, au fond, répondent à un besoin de sauvegarde de leurs propres intérêts, parce que s'il n'y a pas eux, quelque part dans le cheminement de la création littéraire jusqu'au libraire, tôt ou tard, c'est la création littéraire proprement dite qui va être pénalisée, qui va disparaître de la carte éventuellement, remplacée dans les librairies par des livres uniquement fabriqués ailleurs. Déjà, le problème existe, d'ailleurs, dans le domaine. On parle des 175 librairies, mais c'est une part infime du marché du livre par rapport aux 10 000 points de vente qui, eux, ne font l'objet, malheureusement, d'aucune statistique ou enfin d'aucune réflexion même de la part du gouvernement jusqu'à maintenant. Je souhaite que tôt ou tard on se penche sur ce problème qui est fondamental. (16 h 45)

Un autre problème, c'est celui qui fait que les livres sont un peu considérés comme des légumes frais et qu'après un certain nombre de semaines, automatiquement, ils retournent à l'éditeur, ils retournent à la congélation, de sorte qu'on ne trouve pas dans les librairies du Québec, sauf exception — peut-être le cas de M. Laliberté et certaines autres exceptions précieuses et rares d'ailleurs — de livre plus vieux qu'un an ou un an et demi. C'est retourné dans les entrepôts. Le lecteur a de la peine à trouver un livre de Félix Leclerc écrit il y a dix ans.

M. Dubé: C'est la raison pour laquelle je n'ai pas mentionné, contrairement à d'autres mémoires, de chiffres, de nombres de titres à conserver, parce que, finalement, si on veut être un peu logique, les chiffres qu'on a cités jusqu'à maintenant, m'apparaissent beaucoup trop conservateurs. Compte tenu du fait qu'il se publie tant de centaines de nouveautés, qu'on veut les garder au moins trois mois — certains disent six mois — qu'il y a en plus de cela des livres qui sont des classiques et qu'il y en a d'autres qu'on ne voudrait pas voir vieillir aussi vite qu'ils vieillissent, cela finit par faire pas mal de livres qu'on voudrait voir en librairie, qu'on ne voit pas effectivement, mais qu'on voudrait voir en librairie. Si on me demandait un chiffre magique, cela ne se situerait certainement pas autour des 250 ou 300 ou 400, comme on l'a dit plus tôt, mais cela se situerait autour de quelques milliers de titres. Evidemment, on va m'objecter que je rêve en couleur, mais à partir du moment où il y aura plus d'espace dans les librairies, où il y aura des raisons valables pour les libraires d'avoir ces espaces et qu'il y aura de l'aide en conséquence pour avoir ces espaces, ce ne sera plus du rêve en couleur, mais de la réalité.

M. Godin: Je voudrais dire aussi à l'intention de nos amis les libraires — Pardon? M. Davis? Ce ne sera pas long, M. Robert — qu'il y a une réflexion au gouvernement qui vient de certaines remarques faites par des libraires sur les heures d'ouverture des librairies. Le gouvernement dépense des millions par année pour empêcher les gens de boire et de fumer, mais favorise la vente de tabac et de vin sept jours par semaine, et peut-être vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en fin de compte. En même temps, on dépense des millions pour inciter les gens à lire, mais on applique aux librairies les mêmes heures de fermeture qu'aux marchands de meubles ou de vêtements. Donc, s'il y avait la même libéralisation des heures d'ouverture pour les librairies qu'il y a pour les "tabagies", ceux qui vendent des livres ailleurs que chez le libraire... il y a un libraire, ici à Montréal, je pense, qui va en procès périodiquement, aussi souvent que nécessaire, pour pouvoir ouvrir sa librairie le dimanche. Et il me dit que c'est sa meilleure journée. J'aimerais avoir l'opinion de M. Laliberté là-dessus, même si, d'un signe de la main...

M. Laliberté: Je suis tout à fait d'accord. Je me suis battu pour cela, pour qu'on puisse nous donner toute liberté pour faire cela, lorsque la loi a été adoptée.

M. Dubé: D'autant plus que beaucoup de public lecteur est constitué d'étudiants et que les heures en question, les heures ouvrables de nos commerces, ce sont les heures où, normalement, ils devraient être dans des écoles, dans des collèges ou dans les universités. Il ne reste pas grand-temps pour bouquiner, pour avoir envie d'aller dans les librairies.

M. Godin: Je me rappelle qu'effectivement, quand j'étais étudiant, les bibliothèques publiques étaient fermées les fins de semaine. C'est assez récent que le dimanche on peut aller consulter les livres à la bibliothèque. M. Davis a peut-être quelque chose à dire.

M. Davis (Robert): J'abonde dans votre sens, mais je voulais seulement rappeler un autre problème au niveau de la librairie et du stockage de titres québécois. Etant donné que les libraires sont plus souvent sous-capitalisés et doivent se financer, doivent avoir leur "cash-flow", leur trésorerie à même les ventes, plus les fournisseurs de livres sont grands, plus ils peuvent accorder de marge de crédit aux librairies. Et plus les libraires, en conséquence, achètent chez eux, parce que cela leur donne plus de marge, plus de temps pour payer, et il y a un effet de télescopage qui fait qu'il y a plus de pression sur le libraire que sur les fournisseurs qui sont les plus grands, les étrangers, pour ne pas les nommer. Cela complique encore plus le problème. En fait, si on parle de questions alentour de cette table, c'est que beaucoup de questions tournent autour du problème de financement, de capital et du fait qu'au Québec il y a un net manque de capital dans cette industrie.

C'est ça qu'on veut protéger. C'est ça que vous pensez protéger par ce projet de loi. Vous pensez nous aider à concurrencer des capitaux plus grands, plus centralisés, beaucoup plus forts, qui n'ont pas besoin d'être protégés, parce qu'ils sont plus forts.

M. Godin: Je pense que M. Morin était tout oreilles, tout ouïe et tout yeux... parce que c'est un problème effectivement fondamental. Mais nous, ce qu'on souhaite, c'est que le livre québécois ait au moins une chance égale au livre qui vient d'ailleurs, au moins une chance égale. Ce n'est pas le cas actuellement. La solution idéale n'est pas dans ce projet de loi encore, mais nous pensons que c'est une étape vers cet objectif, qui est de permettre aux artisans culturels, aux militants culturels clés que sont les éditeurs et les libraires dans le réseau de la culture québécoise...

M. Davis: On est plus que des artisans, je pense; des professionnels, des gens qui veulent faire des...

M. Godin: Oui, mais pour moi artisan, c'est plus beau que professionnel. Parce qu'il y a une part de création dans l'artisanat qu'on ne trouve pas nécessairement dans les professions. Donc, ce n'est pas du tout un terme péjoratif, au contraire. A l'époque où j'étais éditeur, je me qualifiais moi-même d'artisan, sans remords.

En gros, M. le Président, c'étaient les remarques que j'avais à faire à mes ex-collègues éditeurs, en souhaitant que de leurs réflexions et des nôtres, naisse un paysage culturel un peu plus... enfin, qui amène de nouvelles oeuvres à l'existence. Sans transformer le Québec en serre chaude, avec des règlements abusivement protectionnistes, nous voulons qu'effectivement les fleurs, les plantes et même le chiendent québécois, dans le domaine de la littérature, parce que le chiendent d'aujourd'hui est souvent le classique de demain — M. Lalonde, qui n'est pas ici, pourrait en témoigner...

M. Rivest: Pourquoi?

M. Godin: Parce qu'il lit beaucoup les poètes québécois. Le chiendent. Donc...

Une Voix: A l'exception de?

M. Godin: ... nous souhaitons que les éditeurs aient le plus de moyens possible et qu'ils puissent appliquer le principe qu'appliquent les éditeurs américains: "Publish or perish", et comme il n'y a pas de recette, comme personne ne sait d'avance quel livre va marcher ou ne pas marcher, il faut que tout soit publié, si possible. La maison Leméac, d'ailleurs, depuis quelques années, est un bon exemple d'efforts soutenus, dans le domaine du théâtre en particulier, je suis sûr que c'est une des vocations les plus rentables. Le domaine du théâtre, chez vous, les pièces de théâtre québécoises sont sûrement une partie importante des collections de livres québécois à être utilisés. En tout cas dans les CEGEP cela a permis une explosion du théâtre québécois sans précédent, à venir jusqu'à maintenant.

Donc, nous sommes très conscients — peut-être pas encore assez, remarquez bien, c'est pour ça qu'on a cette commission — qu'il faut que le gouvernement dégage le chemin pour que les oeuvres puissent passer. Ce n'est pas à nous de les faire. Ce n'est pas à nous de les diffuser. Ce n'est pas à nous de les publier, mais c'est à nous de faire en sorte que les chemins soient dégagés pour que ça puisse circuler librement. Nous allons nous en occuper autant que possible, dans la mesure où nous le permet ce Parlement.

Merci.

Le Président (M. Brassard): Messieurs, je vous remercie.

J'inviterais maintenant le représentant de l'Association canadienne de diffusion du livre...

Une Voix: M. le Président, d'un commun accord, l'ALQ et l'ACDL vous demandent respectueusement d'en revenir à l'ordre établi...

Une Voix: On appelle les libraires d'abord, les associations de libraires.

Association des libraires du Québec

Le Président (M. Brassard): J'inviterais d'abord l'Association des libraires du Québec. Mme Fortier?

Mme Fortier (Louise): Oui.

Le Président (M. Brassard): Je vous demanderais d'abord d'identifier ceux qui vous accompagnent.

Mme Fortier: Oui, à ma droite, M. Raymond Beaudoin, membre du bureau de l'Association des libraires du Québec et, à ma gauche, M. Thomas Déri, notre consultant.

M. le Président, M. le ministre, messieurs, avant d'entrer dans le vif du sujet, nous tenons à remercier publiquement les pouvoirs publics québécois et nos collègues éditeurs qui ont eu à coeur, depuis plusieurs années, d'assurer la survie d'un réseau de librairies québécois.

Les promoteurs de ce projet de loi nous ont assurés qu'ils avaient à coeur des préoccupations similaires, puisqu'ils veulent consolider le réseau des librairies québécois en prenant des mesures pour fortifier le système des librairies agréées.

Concernant les déclarations de principe, depuis 1966, si on examine la liste des nombreux arrêtés ministériels traduisant la politique du livre du gouvernement québécois, on s'aperçoit que le premier en date, no 487, concerne l'accréditation des libraires. Huit ans après, en 1974, le ministre des Affaires culturelles reprenait les grandes lignes de cette politique et plaçait encore au premier rang le développement de la librairie locale. De nos jours, l'objectif du programme intitulé "Livre et autres imprimés" du ministère des Affaires culturelles s'énonce ainsi: "promouvoir le développement du livre en favorisant la production littéraire, en stimulant la diffusion et la promotion et en assurant la conservation et la consultation des écrits québécois."

Dans ce très bref tableau, nous avons en germe toutes les incompréhensions et tous les malentendus qui se sont produits depuis bientôt vingt ans entre les libraires et les pouvoirs publics. Ces derniers veulent un réseau de librairies québécoises pour mettre à la portée de tous les Québécois des écrits québécois. Les libraires du Québec, eux, veulent exercer le métier de libraire, c'est-à-dire qu'ils veulent être responsables de la vente de tous les livres sans exception au consommateur final, qu'il s'agisse du particulier, de collectivité publique ou de collectivité privée.

Il est évident que les libraires québécois favorisent culturellement et sentimentalement, lorsque c'est commercialement rentable, les écrits québécois mais, de par leur profession, ils vendent du livre en langue française, quelle que soit son origine.

Une librairie se définit habituellement comme étant toute entreprise personnelle ou société commerciale ayant pour activité unique ou principale la vente des livres au public. Pour des raisons his- toriques qui seraient trop longues à détailler ici, la majorité des libraires du Québec vend également des livres aux collectivités. De plus, dans certains cas, d'autres activités peuvent représenter une part très importante du chiffre d'affaires de la librairie en question comme la papeterie, la vente de fourniture de bureau, etc. Au Québec, le terme de librairie devrait donc s'appliquer à toute entreprise personnelle ou société commerciale ayant pour activité unique ou importante la vente des livres au public et aux collectivités.

Ceci étant posé, le libraire québécois, pour s'approvisionner doit s'adresser à trois catégories de fournisseurs: les éditeurs du Québec, les distributeurs du Québec et les éditeurs étrangers. Or, comme la majorité des ventes du libraire provient en général du livre importé, on peut dire sans crainte de se tromper que la première catégorie de fournisseurs se trouve être les distributeurs du Québec qui importent le livre européen en langue française. L'éditeur du Québec ne vient qu'en second, créant ainsi un malaise évident dans les relations entre les libraires et les éditeurs du Québec, malaise qui se répercute auprès des pouvoirs publics qui, aidant les éditeurs, aident directement l'écrit québécois mais qui, en aidant les libraires, aident indirectement le livre importé en langue française qui concurrence l'écrit québécois.

Notons de plus que la majorité des libraires québécois ne vendent pas uniquement des livres mais, par habitude ou par nécessité, vendent aussi des disques, de la papeterie, des fournitures de bureau ou encore agissent comme distributeur ou éditeur. La vente des livres ne représente donc pas toujours la totalité du chiffre d'affaires; elle en représente même parfois moins de la moitié et, dans le chiffre d'affaires représenté par le livre, l'écrit québécois représente en général la partie minoritaire.

Compte tenu de cette situation et des objectifs du MAC, il faut remplacer la question habituelle: Que faut-il faire pour développer la librairie québécoise? par deux questions: Que faut-il faire pour développer la librairie québécoise? et que faut-il faire pour mettre l'écrit québécois à la portée de tous les Québécois? On l'a dit et répété, le libraire joue à la fois un rôle culturel et économique et on ne peut toucher l'un sans affecter l'autre.

Je pense que je vais passer quelques articles, et j'en viens à la page 5 où on parle des changements des normes d'agrément. (17 heures)

Les trois principaux changements dans les normes d'agrément résident dans le pourcentage de propriété québécoise, l'accent mis sur la vente au détail et la valeur de l'inventaire en livres québécois.

Sur le premier point, l'ALQ trouve normal que l'aide gouvernemental soit réservée uniquement aux librairies qui sont à propriété entièrement québécoise (aucun pays n'aide ou ne subventionne les entreprises étrangères dans le domaine culturel).

L'ALQ comprend et admet également le souci du MAC de vouloir mettre le livre à la portée de tous les Québécois en insistant sur la vente au pu-

blic, une librairie étant en principe, comme nous l'avons dit, un commerce de détail qui s'adresse d'abord au public.

L'ALQ, par contre, s'inquiète de la nouvelle terminologie adoptée puisqu'on parle de "livres d'auteurs québécois" et non plus de "livres d'auteurs canadiens" et demande respectueusement au ministère des Affaires culturelles de préciser cette notion afin qu'elle n'entraîne pas des malentendus.

L'ALQ s'inquiète également du fait que la demande d'agrément et le maintien de l'agrément seront assujettis d'un grand nombre de tracasseries administratives.

A l'article 2, le gouvernement semble réparer une injustice flagrante de la loi précédente puisqu'il était le seul, en vertu de la Loi de l'administration financière, à ne pas respecter les normes qu'il imposait aux organismes publics. Il s'agit donc, dans ce cas, d'une mesure de rattrapage qui corrigera une situation qui a fait perdre un nombre très important de commandes aux libraires agréés depuis des années.

Par contre, l'ALQ s'interroge sur la teneur du second paragraphe de l'article 2 et peut difficilement admettre que les conditions d'acquisition des livres par le gouvernement ou les organismes publics soient déterminées unilatéralement par le gouvernement sans tenir compte des contraintes auxquelles sont soumis les libraires agréés.

L'ALQ refuse également d'admettre que la clientèle des institutions universitaires québécoises soit enlevée aux librairies agréées. Encore là, il s'agit d'une décision unilatérale qui rend encore plus précaire la situation de certaines librairies agréées.

L'article 4. Au moment où en France les libraires passent d'un régime de prix conseillé à un régime de liberté totale (depuis le 1er juillet, l'éditeur établit un prix de cession auquel il vend son livre au détaillant et le libraire fixe sa marge pour arriver au prix de vente), l'ALQ verrait très mal la mise en vigueur d'un système où le gouvernement québécois déterminerait par règlement le mode de calcul du prix de vente, fixant ainsi implicitement la marge du libraire.

On ne comprend pas, non plus, si le prix de vente dont on parle est le prix de cession de l'éditeur, le prix de cession du distributeur ou encore le prix de vente au public. Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, l'ALQ ne peut accepter le principe sans connaître la nature exacte des normes et des barèmes, ni l'objet de leur application.

Section VI. De façon générale, le projet de loi no 51 contient des dispositions beaucoup trop permissives pour le ministère des Affaires culturelles et lui confère des pouvoirs qui nous paraissent un peu trop étendues. L'ALQ s'oppose à l'esprit même qui a présidé à la rédaction des articles de la section VI puisqu'ils donnent un droit de regard sans limites sur les affaires transigées par les libraires agréés et même, à la rigueur, par n'importe quel libraire. Les contrôles que l'on veut imposer paraissent excessifs et l'ALQ n'admet ni le principe des visites des enquêteurs sans préavis, ni l'obligation qui est faite aux libraires agréés de présenter leurs livres de comptes, leurs rapports financiers et leurs registres.

La section VII. Le contenu de cette section est simple, il permet au gouvernement de faire ce que bon lui semble. D'ailleurs, cette attitude verse dans le ridicule puisque le gouvernement s'arroge même le droit de changer le sens reconnu des mots. C'est ainsi qu'on a la surprise d'apprendre qu'un manuel scolaire n'est plus un livre au sens de la loi.

Autre incongruité, une librairie qui n'est pas agréée devient, par le bon vouloir des rédacteurs de la loi, un point de vente alors que cette expression est généralement consacrée à des établissements qui ne sont pas des librairies.

Profitons, d'ailleurs, de cette occasion pour signaler qu'il serait temps que le gouvernement intervienne et que l'appellation de librairie soit réservée à des établissements où l'on vend des livres, puisqu'il existe encore des papeteries qui ne vendent aucun livre et qui portent le nom de librairie.

La libéralisation du marché du manuel scolaire. Cédant à certaines instances, le MAC retire l'exclusivité du marché du manuel scolaire aux libraires agréés et n'hésite pas à rendre la situation de ces libraires encore plus précaire qu'elle ne l'était.

Dans sa déclaration de principe du début, l'ALQ soulignait qu'elle estime que les libraires doivent être chargés de la vente de tous les livres sans exception. Or, la libéralisation de la vente de manuels scolaires permettra aux commissions scolaires d'acheter les manuels où elles veulent, directement de l'éditeur, du distributeur, du libraire agréé ou non, ce qui va à l'encontre des principes acceptés jusqu'à présent.

Nous dira-t-on pourquoi un principe accepté il y a quelques années n'est plus valable? Chaque segment du marché du livre constitue un apport à la vie de la librairie et si l'on veut véritablement que le réseau des librairies agréées soit viable, on ne peut leur enlever un partie importante de leur marché, car, dans ce domaine, il n'y a pas de compensation possible.

Les institutions universitaires. Une autre saignée dans la clientèle des librairies agréées est constituée par les institutions universitaires qui deviennent, on l'a vu, les seuls organismes publics à ne plus être tenus d'acheter leurs livres dans les librairies agréées. Cette décision, comme la précédente, est extrêmement grave, car le marché du manuel scolaire et de l'université constituait et constitue encore pour certaines librairies une partie essentielle de leur clientèle.

La régionalisation. Sous-jacente à la loi, on retrouve la volonté du gouvernement de multiplier les librairies agréées dans les régions qui en sont dépourvues et le principe de la répartition des achats entre trois librairies agréées de la même région demeure en faisant appel, cette fois-ci, à la qualité des services, ce qui laisse la porte ouverte à des jugements de valeur arbitraire.

L'ALQ reconnaît la nécessité de mettre le livre à la portée de tous les Québécois, mais ce n'est

pas en enlevant aux librairies agréées une partie de leur clientèle qu'on encouragera la multiplication des librairies dans des régions économiques où le bassin de population n'est pas suffisant pour faire vivre plusieurs librairies de la seule vente au public.

Les fournisseurs du libraire. Nous avons vu qu'il y avait trois catégories de fournisseurs: le distributeur du Québec, l'éditeur du Québec et l'éditeur étranger. Dans le cas des deux premiers, le libraire achète le livre avec une remise qu'on lui accorde sur le prix suggéré et cette remise est en général de 40%, pour la littérature générale, et de 20%, pour le manuel scolaire et le livre scientifique et technique. Lorsqu'il achète de l'éditeur étranger, le libraire reçoit une remise sur le prix suggéré en monnaie étrangère et il applique une tabelle sur le prix de vente suggéré. La marge brute, dans le meilleur des cas, est donc au maximum de 40.

Compte tenu des frais généraux et des nombreuses démarches à effectuer dans de nombreux cas pour obtenir un titre en particulier, on comprend immédiatement les difficultés qu'éprouvent certains libraires à survivre. C'est pourquoi la volonté d'imposer aux libraires agréés de passer obligatoirement par les distributeurs exclusifs pour les fonds qu'ils détiennent n'est acceptable que dans la mesure où ces distributeurs rendent effectivement les services auxquels le libraire est en droit de s'attendre (prix de cession normal et rapidité d'exécution des commandes). Autrement, le libraire serait justifié, pour des raisons d'ordre purement commercial, de s'approvisionner ailleurs s'il le peut.

Conclusion. Tout en reconnaissant le bien-fondé de certaines mesures, l'ALQ ne peut admettre que des marchés qui étaient captifs redeviennent libres, rendant la situation du libraire agréé plus précaire.

L'ALQ s'inquiète aussi du pouvoir de réglementation sans limite que s'arroge le gouvernement dans le domaine du livre et du moment choisi pour imposer des mesures de fixation de prix, alors qu'en France, on vient de changer de système et qu'on ne peut encore en mesurer les retombées au Québec.

L'ALQ, enfin, offre sa collaboration pour essayer de trouver des éléments de solution au problème que pose l'accessibilité du livre québécois et demande au gouvernement de respecter le principe de la vente de tous les livres sans exception par l'intermédiaire des libraires.

Le Président (M. Blank): Merci, madame. M. le ministre.

M. Vaugeois: II y aurait beaucoup de choses à dire, M. le Président, mais je pense qu'avec le temps, on s'endurcit.

Je vais d'abord vous poser une question. Hier, M. Tisseyre nous faisait une proposition: il souhaitait qu'on invite les libraires du Québec à avoir un minimum de livres québécois. Nos projets de règlements à cet égard prévoient un minimum tel- lement "minimum" qu'il peut être atteint — comme le disait fort justement M. Tisseyre — par quelques livres pratiques, quelques livres de recettes. Quand on pense aux livres québécois, on ne pense pas à soutenir la vente du livre de recettes ou du livre qui nous enseigne comment jouer au tennis ou au golf, comment faire notre jardinage ou comment cultiver nos plantes, encore que ce type de livre mérite le terme de "livre" nous préoccupe, parce qu'il est souvent un facteur de santé pour des éditeurs qui font également de l'édition littéraire; mais ce n'est évidemment pas à ces livres que nous pensons. Nous ne faisons pas de distinction. Dans tout cet ensemble qui est devant vous, un projet de loi et des projets de règlements, nous faisons allusion à un seul endroit, au livre québécois.

Or, votre façon d'introduire la question laisse croire que tout ça est un vaste complot pour obliger le libraire à garder des livres québécois, alors que le peu qu'on exigeait de lui, c'était n'importe quel genre de livres québécois, y compris ceux qui se vendent à $0.77 l'unité.

M. Tisseyre, hier, nous a fait une proposition. J'ai dit que j'étais prêt à l'endosser et à la proposer, selon les réactions que j'obtiendrais. L'Opposition a semblé accueillir avec beaucoup de sympathie la proposition de M. Tisseyre et j'avais l'impression que c'était un peu un consensus et un sentiment général.

Avec votre mémoire, je comprends que c'est le genre d'intervention que vous considérez comme intolérable et que vous repoussez. Est-ce que j'interprète mal? Est-ce que vous pensez que nous devrions aller plus loin que ce que nous mettons dans nos projets de règlements et préciser qu'il faudrait un minimum de 250 titres littéraires et non pas de 600 ou de 1000 titres d'ouvrages québécois, genre recettes et livres pratiques?

Je vous pose la question parce que, à la première lecture... et à la deuxième lecture, j'ai comme l'impression que vous nous reprochez de faire un projet de loi pour finalement aider les éditeurs québécois à vendre leurs livres.

Mme Fortier: M. le ministre, je regrette que notre mémoire vous ait donné cette impression, parce que ce n'est vraiment pas le cas. Nous avons préparé notre mémoire assez rapidement, évidemment comme tous ceux qui sont ici présents; à cause de la période des vacances, nous avons eu un peu de difficulté à rejoindre nos membres et il peut manquer des points importants dans notre mémoire.

J'ai essayé de lire le mémoire, comme il était rédigé, sans rien ajouter, pensant que justement après, par des questions, nous pourrions rectifier certaines erreurs, certains manquements dans notre mémoire.

Nous sommes absolument d'accord avec M. Tisseyre pour que vos exigences en librairie soient d'au moins 250 livres québécois et même, ça pourrait être encore plus.

M. Vaugeois: De titres littéraires?

Mme Fortier: De titres littéraires.

M. Vaugeois: Est-ce que je peux vous demander une suprême faveur? Cela fait plusieurs fois qu'on se parle de toutes ces choses et vous comprendrez que je ne retrouve pas dans votre mémoire les consensus que nous avions obtenus dans nos échanges.

M. Rivest: M. le Président, le ministre s'apprête à exiger un écrit, franchement.

M. Vaugeois: Pas du tout, je n'exige rien, sauf que je souhaiterais que l'Association des libraires, lors d'une prochaine réunion, précise le nombre de titres littéraires qu'on considérerait comme normal. Vous venez de dire vous-même que vous trouvez conservateur le chiffre de 250 avancé par M. Tisseyre. Pourriez-vous en discuter et nous dire votre point de vue à cet égard. Nous sommes prêts à agir et nous sommes très heureux de votre réaction; je suis profondément réjoui d'avoir mal lu votre mémoire, de l'avoir mal compris et je ne demande qu'à être corrigé sur cette impression. (17 h 15)

Mme Fortier: Oui, nous vous ferons sans doute parvenir un rapport. Nous discuterons de la chose à la prochaine assemblée de l'ALQ, mais j'aimerais vous préciser une chose. Pour certaines librairies, 250 titres littéraires québécois, c'est suffisant. Pour certaines autres librairies, cela pourrait être encore plus. Evidemment, il faudra que le règlement, ou son application, si c'est adopté, soit laissé au jugement et à la discrétion des fonctionnaires qui décideront de l'accréditation ou non.

M. Vaugeois: A la page 6... je suis très sensible à cette remarque de votre part dans laquelle vous dites que vous vous inquiétez du fait que la demande d'agrément et le maintien de l'agrément seront assujettis à un grand nombre de tracasseries administratives. Vous souhaitez que le temps passé à remplir des questionnaires, à fournir des pièces justificatives et à répondre aux enquêteurs ne coûte pas plus cher que l'aide gouvernementale. Madame, vous pouvez prendre ma parole, nous éviterons cela, c'est le genred'instructionsque j'ai données et que j'ai réitérées. Je vous demande donc de me dire en quoi les nouvelles propositions comportent plus de tracasseries, parce qu'alors je devrai me tourner vers mes collaborateurs et leur faire constater que mes instructions n'ont pas été respectées et que ma vigilance n'a pas été à la hauteur de la situation. J'ai regardé les nouvelles exigences de l'agrément pour les libraires. Elles m'ont paru — mais vous savez comment je suis, peut-être que je n'ai pas été suffisamment attentif — plus légères, moins tatillonnes. Surtout, c'est que, jusqu'à maintenant, l'agrément est une demande qu'on renouvelle chaque année. Chaque année, le libraire a à réitérer sa demande d'agrément alors que notre proposition est de la formuler une fois pour toutes. A moins que des changements majeurs interviennent dans la propriété ou un changement majeur de cette nature, la demande d'agrément est bonne pour la vie, alors qu'actuellement elle est annuelle. La demande permanente me paraissait moins exigeante que la demande annuelle, qui est celle en cours actuellement. Est-ce que je me trompe, madame? En quoi notre nouvelle façon de poser des exigences est-elle plus tatillonne?

Mme Fortier: Est-ce que... Veux-tu répondre? M. Vaugeois: Ne vous chicanez pas.

M. Beaudoin (Raymond): Je trouve que, dans votre projet, il y a beaucoup de choses qui sont beaucoup plus "tatillonnantes" que ce qui existait avant, qui sont beaucoup plus complexes, en particulier quand vous vérifiez les avoirs des gens qui possèdent réellement la librairie, les actions souscrites versées et payées, les avoirs de ces gens-là. Même si vous nous agréez une fois, vous exigez chaque année, un peu comme les gens qui veulent avoir nos marges de crédit, nos rapports financiers complets, détaillés et, autant que possible, certifiés et vérifiés et d'autres choses dont je ne me souviens pas, ce que nous n'avons jamais fait. Je ne me souviens pas de tous les points, mais, à mon sens, il y a plus de tracasseries dans ce que vous demandez, du moins dans le projet qui nous a été montré, que dans ce qui existait avant. Avant, c'était très simple. On indiquait combien on avait effectivement de livres en rayons qui étaient d'auteurs canadiens, combien on avait de livres en rayons, moins les manuels scolaires, notre chiffre de vente. En fait, c'était loin d'être complexe comme cela.

M. Vaugeois: Est-ce que vous êtes d'accord sur la notion de propriété?

M. Beaudoin: Entièrement d'accord.

M. Vaugeois: Comment voulez-vous qu'on la vérifie?

M. Beaudoin: Vous avez l'article 31 qui vous permet assez facilement de bien vérifier.

M. Vaugeois: Vous préférez qu'on utilise de façon régulière l'article 31 plutôt que de poser un minimum de questions. Si vous voulez qu'on ait le régiment entrevu par le député de Gaspé, cela nous répugne. On préfère vous demander l'information. Pour nous, l'article 31, c'est la mesure extrême, exceptionnelle que nous croyons ne jamais utiliser.

M. Beaudoin: Je trouve que vos demandes — je n'ai pas l'énumération ici — sont certainement plus complexes que ce qu'on avait avant avec les quatre ou sept pages qu'on avait à remplir pour une demande d'agrément. Le fait que vous mentionniez qu'on le fait une fois pour toutes, d'accord, c'est un avantage pour nous, mais chaque année, sans que vous en fassiez la deman-

de, on doit vous informer de ceci, de cela, à peu près les mêmes choses qu'on a fournies pour l'agrément; c'est à peu près répété mot à mot, plus ou moins.

Cela revient à l'équivalent de redemander l'agrément à chaque année. En tout cas, c'est ce que j'ai compris. Si j'ai mal compris, je regrette. On nous dit, d'un côté, qu'on nous enlève la demande d'agrément, mais, quatre ou cinq lignes plus loin, on nous dit: Pour être agréé, vous devez chaque année faire ta ta ta. C'est la même "moses d'affaire.

M. Vaugeois: On m'indique ici qu'effectivement vous avez un rapport à fournir. J'aimerais qu'on le reprenne dans ses propres termes. On va probablement me donner le texte exact. Si vous avez déjà un rapport de fait à une instance gouvernementale qui comporte les renseignements qu'on vous demande, par exemple, une photocopie de votre rapport aux Institutions financières, si vous êtes une corporation, nous suffit. Je pense que le rapport qu'on soumet aux Institutions financières est assez anodin et nous ne voulons pas vous forcer à reprendre, encore une fois, les réponses à un questionnaire. Quels articles? Apparemment, les articles 16 et 17. "Tout document, rapport ou renseignement exigé en vertu des articles — je ne sais pas quoi — peut être remplacé par tout autre document officiel certifié conforme qui comporte au moins les informations requises par le présent règlement." On peut supposer que le rapport que vous faites en vertu de la loi des Institutions financières puisse remplacer ce que nous exigeons.

M. Beaudoin: C'est excellent.

M. Vaugeois: Evidemment, il y a le coût d'une photocopie.

M. Beaudoin: Pas de problème.

M. Vaugeois: Mais cela me cause un problème parce que, dernièrement, nous avions un programme que nous vous proposions pour contribuer aux frais de transport. J'ai été très étonné de voir que les libraires avaient accepté notre propo-' sition, parce que notre proposition comportait la nécessité mensuelle de donner la copie des factures acquittées au titre du transport. Les libraires qui avaient eu la proposition avaient accepté cette exigence et c'est moi qui ai demandé à mes fonctionnaires de faire sauter cette exigence. J'ai dit: Qu'ils nous donnent une approximation basée sur les chiffres de l'année précédente et contentons-nous de cela. Dans la pratique, j'étais très étonné de voir qu'on acceptait cela parce que, à mes yeux, ce qu'on exigeait de vous allait vous coûter plus cher que la contribution financière qu'on allait vous apporter. Les libraires à qui la proposition a été faite l'ont acceptée. C'est la même chose pour les lignes téléphoniques. J'ai considéré, pour ma part, qu'il y avait moyen de simplifier. Tout cela pour vous dire que le genre de réflexion que vous faites maintenant correspond, chez moi, à des grandes préoccupations. Chaque fois que nous pouvons réduire nos exigences, sans perdre pour autant de vue les objectifs que nous poursuivons, nous le ferons. Par ailleurs, c'est évident qu'on ne peut être préoccupé de la propriété sans poser des questions sur la propriété et il s'agit de prendre les moyens les moins odieux pour la vérifier.

Tout cela pour vous dire que je ne veux pas jouer au chat et à la souris avec vous aujourd'hui et prendre votre mémoire paragraphe par paragraphe, mais chaque fois que vous soulevez un point qui peut donner lieu à une amélioration des procédures, vous rejoignez notre volonté. C'est certain que, dans le travail que nous faisons et le va-et-vient avec les différentes associations qui sont concernées, il peut nous échapper, à certains moments, des exigences qui ne sont pas absolument nécessaires, qui sont posées, et qu'on pourrait faire disparaître.

Vous revenez sur l'article 2 du projet de loi. Je me réfère à la page 7. Vous dites que vous pouvez difficilement admettre que les conditions d'acquisition des livres par le gouvernement ou les organismes publics soient déterminées unilatéralement par le gouvernement. Pouvez-vous m'expliquer...

M. Rivest: Est-ce que le ministre me le permet...

M. Vaugeois: Oui.

M. Rivest: ... simplement pour conclure, pour ne pas avoir à y revenir? Je n'ai pas vérifié les modalités dans l'ancien règlement pour devenir agréé. Je comprends qu'il y a un rapport annuel qui a été fourni et qui ne me paraît pas, à tout le moins, à la lecture, abusif. Je pense que cela se remplit assez simplement; ce sont des choses très factuelles. Je pense que ce qui avait probablement inspiré le mémoire au sujet des tracasseries administratives, c'est la première demande. J'en énumère quelques-unes: avoir son siège social, mais démontrer et certifier que les personnes qui contrôlent... Il y a l'élément de preuve que vous devez fournir; quel élément devez-vous fournir? Avoir vendu aux particuliers au cours de l'exercice financier où on demande son attestation pour $100 000 de livres, etc. Je ne les lis pas tous parce qu'ils sont un peu complexes, mais y a-t-il des éléments qui ont été ajoutés pour être admissible à l'agrément par rapport à ce qui existait auparavant? C'est cela probablement qui a incité les libraires à dire: Ecoutez! S'il faut prouver tout cela et établir tout cela...

M. Beaudoin: Oui, mais nous n'avons jamais démontré notre chiffre d'affaires, quel qu'il soit, pour être accrédités. Nous n'avons jamais fourni l'état financier pour être accrédités.

M. Rivest: C'est cela.

M. Beaudoin: II y a certainement des éléments qui ont été ajoutés.

M. Rivest: C'est cela.

M. Beaudoin: Voyons donc! Cela fait dix ans qu'on remplit des demandes.

M. Rivest: C'est cela. J'ai le texte ici. Je pense que vous avez parfaitement raison. J'ai le texte de l'ancien qui était très simple, cette déclaration à l'article 3.0 qui se lisait dans un paragraphe et là, on se retrouve jusqu'au paragraphe k). Il y a des démonstrations. Vraiment, je me place dans votre situation. Que vont-ils exiger effectivement? Il y a tellement de détails. Je pense que c'est sur cette base, en tout cas, certainement pour obtenir l'agrégation.

Le Président (M. Blank): Mme Fortier.

Mme Fortier: Je voudrais, avant que le ministre passe à l'article 2, lui répondre.

M. Vaugeois: Non, non. Je vais rester sur ce point-là.

Mme Fortier: Oui, mais puis-je dire ce que je veux dire? Si le ministre nous assure que c'est son intention de simplifier vraiment les exigences et les procédures, cela nous satisfait.

M. Vaugeois: Je pense que je suis plus exigeant que vous là-dessus, parce que cela réduit mes effectifs dans la même proportion et les gens peuvent faire autre chose. On ne tient pas à avoir un surcroît de personnel pour contrôler la paperasse en question. C'est officiel. Même si nous n'avons pas les problèmes financiers que vous pouvez avoir à mettre du monde sur ces formules, on y est quand même extrêmement sensible. Justement, c'est une des raisons d'être des $100 000 ou des 33 1/3%. Cela nous paraît être une façon beaucoup plus simple de vérifier le service au public que d'entrer dans les librairies, compter les livres, vérifier les vitrines et ainsi de suite. C'est pour cette raison que j'attache beaucoup d'importance à votre point de vue sur la proposition de M. Tisseyre, parce que nous sommes tout à fait prêts à nous retirer de ce genre de préoccupation pour être le moins tatillon possible. Cela devra venir de vous, cette proposition. Cela ne vient pas de nous. Nous allons nous contenter de vérifier que vous tenez des livres. Cela peut paraître ridicule de le dire, mais M. Tisseyre y a fait allusion et M. Dussault également.

Il arrive que des gens, traditionnellement, ont pu profiter du marché du livre sans être libraires. Vous savez comme moi qu'on peut tenir des articles de bureau, de la papeterie, des vêtements et, à l'occasion, essayer de vendre des livres à l'institution. Cela s'est pratiqué partout au Québec. Nous voulons l'éviter et je pense que vous serez les premiers à le souhaiter. Comment démontrer qu'on vend des livres? On oblige les gens à en tenir — et on va les compter — ou encore, ils nous font la preuve que leur chiffre d'affaires comporte — et là, c'est le moindre des deux — $100 000 de ventes au détail ou le tiers de leur chiffre d'affaires. On va même penser au petit libraire dont le chiffre de ventes totales peut être de $90 000. Tout ce que nous lui demandons, c'est d'avoir vendu pour $30 000 de livres. Il peut donc vendre pour $60 000 de papeterie, de timbres de collection, peu importe. L'exigence est aussi simple, aussi minimale que possible. Mais si nous n'avions pas cette exigence, vous savez comme moi que nous assisterions le lendemain matin à la création de fausses librairies qui viendraient vous enlever tous les bénéfices de la loi, c'est-à-dire ce marché réservé. Il y a des gens qui pourraient tout simplement avoir une adresse, et attendre les commandes et vendre n'importe quoi. Cela s'est fait. On n'invente rien et ce ne sont pas des...

Mme Fortier: Cela existe encore, même.

M. Vaugeois: Cela existe encore. Demandez-nous de vous protéger contre ce genre d'intervenants. Nous sommes disposés à le faire avec le minimum d'intervention quand même. Il y a une chose que je veux dire en passant, parce que cela m'est venu à l'esprit tout à l'heure...

M. Rivest: M. le ministre... M. Vaugeois: Oui, oui. Allez-y.

M. Rivest:... il n'y a pas seulement le premier article sur les conditions. Quand on regarde les détails après cela, c'est vrai pour la demande d'agrégation, mais à l'article 5, par exemple, la personne visée à l'article 3 — j'espère que j'ai le règlement des libraires — on dit, par exemple, d'autres éléments. Il n'y a pas seulement le rapport annuel. Article 5 d): "Fournir au ministre tout document ou renseignement dûment exigé lors de l'application du présent article ou du règlement no 4 concernant l'acquisition etc." Je ne veux pas dire que cela ne devrait pas être là. Il y a sans doute une raison, mais il y a d'autres éléments dans l'ensemble de la réglementation. C'est pour cela que vous aviez parfaitement raison d'indiquer que le poids total de chacune des mesures est sans doute justifié. Le ministre peut sans doute le justifier, mais le poids de l'ensemble des exigences qu'on va demander aux libraires est certainement beaucoup plus lourd qu'il était. J'ai regardé l'ancien règlement brièvement, sans avoir lu les dispositions. Il était très court. Je pense que c'était une déclaration. D'ailleurs, le titre c'était simplement déclaratoire. Je suis convaincu que si on regardait l'ensemble...

M. Vaugeois: Oui, mais le questionnaire n'était pas le même. Les exigences étaient différentes.

M. Rivest: Oui. J'en conviens.

M. Vaugeois: Tu pouvais toujours te contenter de donner ton nom, ton adresse et ainsi de suite, mais les exigences, pour être agréé, étaient différentes du questionnaire à remplir, tandis que là, les exigences sont dans le rapport qu'on demande.

M. Rivest: Je pense que vous pourriez facilement, avec les libraires...

M. Vaugeois: C'est là qu'est la différence.

M. Rivest:... au niveau du ministère, convenir d'alléger ce qui paraît un peu inutile pour répondre à... (17 h 30)

M. Vaugeois: Oui, cela vous pouvez y compter et même nous ne mettrons rien qui n'est pas destiné à vous protéger pour vous faire bénéficier de la loi. Comment expliquez-vous les conditions d'acquisition déterminées unilatéralement par le gouvernement? Cela nous a échappé dans la loi.

Mme Fortier: On ne comprend pas très bien dans le projet de loi, l'article 2, le deuxième paragraphe, qui se lit ainsi: Cette acquisition doit être faite conformément à la procédure, aux conditions, normes et barèmes déterminés par règlement du gouvernement. Les libraires agréés sont tenus de se conformer à ce règlement. Si je comprends bien, c'est que mon client, le gouvernement, va fixer lui-même le prix ou les conditions, les remises et les conditions de paiement.

M. Vaugeois: Si vous voulez vraiment une réponse à cela, je vais faire venir un fonctionnaire à la table.

Mme Fortier: C'est une explication qu'on vous demande.

M. Vaugeois: Ailleurs, pour la première fois et vous l'avez toujours demandé, nous allons obliger le gouvernement à respecter les mêmes conditions que tous les autres. C'est la première fois que c'est fait. Pourquoi est-ce que dans le deuxième paragraphe, à l'article 2, on contredirait d'une façon subtile et hypocrite les intentions écrites clairement ailleurs dans nos textes?

Mme Fortier: Je vous ai demandé l'explication, M. le ministre, parce que là justement, cela nous semblait un peu...

M. Vaugeois: Un peu, beaucoup. Mme Fortier: Un peu, beaucoup. M. Vaugeois: D'accord. M. Rivest: Cela veut dire quoi?

M. Vaugeois: Cela veut dire que le règlement, le gouvernement, dorénavant, paie le prix régulier des livres, etc.

M. Rivest: Non, mais les normes et les conditions parce qu'au fond, c'est cela votre question. Cela vise quoi, d'abord, si cela ne vise pas ce que madame craint, qu'est-ce que cela vise?

Mme Fortier : Les normes et barèmes déterminés par règlement du gouvernement. Si on prend les règlements du gouvernement et notre client, c'est le gouvernement.

M. Rivest: C'est cela. Soyez prudents, parce que vous savez que le règlement attribue toutes vos paroles au ministre.

M. Vaugeois: Tout d'abord, dans votre document vous dites qu'il y a un risque d'arbitrage, que la politique est appliquée de façon unilatérale au gouvernement. A l'article 2, nous avons l'assise légale qui va asseoir toute la politique d'achat et tout ce qui est inscrit dans le règlement no 4, qui reprend la politique actuelle, celle de l'arrêté en conseil 364-72 d'où, ce premier paragraphe. Le gouvernement est lié par cette politique. Au deuxième paragraphe, nous avons une formule de style parce qu'en faisant le règlement no 4 de la loi, je dois avoir l'assise légale, d'où l'important de prévoir... La procédure, c'est celle des achats chez les libraires agréés, avec la régionalisation et la répartition des achats. Comme le pouvoir réglementaire, et M. Rivest en conviendra, est limitatif lorsqu'on ne prévoit pas tous les termes nécessaires, si j'inscris simplement la procédure, cela ne comprend pas d'autres articles qui sont: conditions, normes et barèmes. Normes et barèmes peuvent couvrir dans le règlement no 4 ce qu'on entend par la facturation, les frais de transport et tous les frais de cette nature et les renseignements que peut exiger une édition subventionnée. Normes et barèmes, ces deux termes vont couvrir ce qui existe actuel lement et qui se retrouvent dans les annexes, je crois, a), b) ou c) de l'arrêté en conseil 354. C'est la tabelle. Ce sont, selon ce qui adviendra et selon les consultations, ce sont les remises, marges pour services rendus et tabelles qu'on retrouve déjà dans les annexes de l'arrêté en conseil 354, à savoir, qu'il peut y avoir des cas où l'institution subventionnée va acheter ses volumes dans une librairie agréée. Il y a des cas où le Iibraire devra avoir recours à une tabelle dans sa facturation. Cela ne va pas au-delà de ce qui existe déjà et qu'on trouve dans le règlement no 4, mais cela lui donne une assise légale; la politique est incontestable sur certains aspects jusqu'à ce jour.

M. Déri (Thomas): Si vous permettez une question. Est-ce que cela veut dire que la loi et les règlements qui sont contenus dans la loi 51 auront préséance sur les articles de la Loi de l'administration financière, c'est-à-dire, que c'est la loi 51 qui indiquera la procédure d'achat et que ce ne sont pas les procédures d'achat régulières d'une commision scolaire, par exemple, qui ont préséance.

M. Vaugeois: C'est dérogatoire à certaines lois, et c'est pour cela qu'à l'article 2 on vise nommément le gouvernement. Le deuxième alinéa de l'article 2 et l'article 49 de la loi rendent cette politique prioritaire par rapport aux politiques qu'on retrouve dans d'autres lois. Ici, je pense à la politique de soumissions publiques dans la Loi des cités et villes et le Code municipal, en ce qui concerne des achats faits par des bibliothèques municipales.

M. Déri: C'était le sens de la question que posaient les libraires.

M. Vaugeois: Est-ce que je peux passer à la page 11? A la page 11 vous plaidez pour que le terme de librairie soit réservé aux librairies, à ce que nous entendons par une librairie. Nous avons déjà pris des dispositions pour sensibiliser le ministère des institutions financières, le service des compagnies, à cette question, sauf qu'il va falloir des années pour que cela fasse effet. Nous ne pouvons enlever les raisons sociales qui ont déjà été reconnues, mais normalement il ne devrait plus se donner de raison sociale avec le terme librairie pour des commerces qui n'ont pas d'abord comme activité, au moins importante, celle de la librairie, au sens où nous l'entendons. Je suis heureux de retrouver dans votre mémoire, à la page 11 en particulier, cette espèce de prise de position de principe que vous énoncez à l'effet de reconnaître à chacun des intervenants dans le domaine du livre un rôle propre. Je pense que c'est toute la dynamique de notre projet de loi, chacun joue son rôle et trouve son profit au niveau du rôle qu'il est appelé à jouer.

Vous avez un commentaire que j'attendais, bien sûr, sur le manuel scolaire. Vous en avez un également sur le livre universitaire. Sur le livre universitaire, je peux vous dire que nous avons formulé la proposition qui est dans nos textes à la suite des représentations des bibliothécaires, bien sûr, mais également après consultation avec plusieurs libraires qui travaillent avec les universités. Ces libraires nous ont dit que cela ne leur paraissait pas nécessairement un service à leur rendre que de forcer la relation bibliothèque universitaire et librairie de façon générale. Cela ne veut pas dire que pour une bonne partie des achats la bibliothèque universitaire ne peut pas utiliser les services du libraire, mais dans certains cas cela devient plus lourd à porter pour la librairie qu'avantageux. On m'a fait valoir des choses, d'ailleurs, qui m'ont absolument fait sursauter, mais le coût d'acquisition du livre universitaire dans certaines institutions peut dépasser $100 l'unité. Si une institution universitaire peut, par l'ensemble de son personnel et de ses services et ses exigences universitaires, s'offrir une telle facture, c'est certain que le libraire ne peut pas se conformer au même type d'exigence, il n'en a pas les moyens. Si on considère ce type d'acquisition qui est extrêmement coûteux à un niveau, c'est certain que c'est plus compliqué à l'autre niveau aussi.

Je tenais tout simplement à vous dire que, sur ce plan, ce que nous prévoyons c'est que la relation entre bibliothécaire universitaire et libraire soit maintenue, mais selon les cas. Je pense que les bibliothécaires universitaires peuvent en juger, ils auront avantage — pour eux et pour le libraire — à traiter directement avec un fournisseur s'ils réussissent à le trouver. Là, on est dans un domaine bien particulier. Je serais heureux d'entendre vos commentaires, mais je peux vous dire que j'ai fait moi-même la consultation auprès de librairies qui fournissent habituellement à l'univer- sité et qui sont des librairies, par exemple, du secteur privé. Je n'ai pas fait cette enquête dans les librairies en milieu universitaire. Je serais intéressé à avoir le point de vue de M. Beaudoin à cet égard. Je peux dire qu'à l'Université de Montréal — je vais donner l'exemple — la librairie universitaire de l'Université de Montréal en vient même à négliger le marché de sa bibliothèque pour se tourner vers un marché de détail qui est beaucoup plus voisin du marché de détail que doit servir le libraire du coin que le marché de sa propre bibliothèque. Je suis allé moi-même constater dans les vitrines de cette librairie universitaire une présentation d'ouvrages qui n'avaient vraiment rien à voir avec la vie universitaire et rien à voir avec les commandes de la bibliothèque universitaire. Ils m'ont fait savoir qu'ils n'étaient pas vraiment intéressés à fournir leur bibliothèque, que cela leur coûtait finalement très cher, et des librairies qui servent habituellement le milieu universitaire m'ont tenu le même langage.

Je suis tout à fait disposé à entendre vos commentaires là-dessus, mais je tenais à vous dire que la décision temporaire que nous avons prise, nous l'avons prise à la suite des témoignages des bibliothécaires et des libraires, pas tous, mais ceux qui nous semblaient plus immédiatement concernés.

Sur les manuels scolaires, ma question serait la suivante: Est-ce que l'espèce de troc qui semble proposé de 15% pour une autre tranche de 15% vous paraît une mauvaise affaire ou une bonne affaire? C'est-à-dire les 15% du manuel scolaire et les 15% de remise que vous étiez traditionnellement obligés d'accorder à la bibliothèque institutionnelle qui vous commandait des livres, est-ce que c'est une mauvaise affaire pour vous autres?

Une Voix: D'abord, je vais laisser M. Beaudoin répondre à votre première question et je reviendrai.

M. Beaudoin: Je pense qu'au sujet des bibliothèques universitaires, il y a tout de même certaines librairies universitaires et d'autres qui se sont structurées et qui sont vraiment capables de les fournir. Ce que je déplore, c'est que lorsqu'une bibliothèque universitaire — vous avez mentionné l'exemple de la bibliothèque de l'Université de Montréal qui effectivement n'achète pas de la Librairie de l'Université de Montréal — qui achète occasionnellement chez nous, chez Caron, achète dans une proportion de 85% le livre directement en Europe de commissionnaires à des prix qui font qu'elle pénalise les librairies québécoises, parce que lorsque la majorité des commissionnaires facturent la bibliothèque de l'Université de Montréal, on lui accorde souvent 15% ou 20% de remise ou 10% sur le prix... selon le cas, de transport à leur frais.

Mais lorsque le libraire québécois fait le même jeu, il facture depuis deux ans, presque au même prix que le libraire français, en ce sens que la bibliothèque n'est pas privilégiée, mais le libraire québécois qui a voulu s'intéresser à ce commerce est pénalisé de 15%, 20%, ou 25%.

L'année passée, la bibliothèque de l'Université Laval a acheté de la Librairie de l'Université Laval pour $387 728.00 ce qui représente 600 001 factures. Je les ai traitées, je sais ce qu'il y a là-dedans. Je me suis aperçu que ces achats me pénalisaient de $37 000 à $38 000 de revenus que je n'ai pas eus. Par contre, j'ai été obligé de payer des factures pour faire marcher toute la machine. Cela coûte $6 ou $7 la facture pour tout le truc.

En plus, j'ai eu $490 000. C'est $800 000 chez nous, c'est quelque $760 000 l'année passée à Montréal. Tout le réseau nous coûte $2 000 400 ou $2 005 000, si on prend tous les constituants de l'Université du Québec, plus Sherbrooke pour les livres de bibliothèques.

Je trouve que c'est ouvrir une porte très large que permettre aux bibliothèques "at large" d'acheter où elles veulent. Je ne suis pas contre le fait que pour certains livres spécialisés, elles soient autorisées à acheter directement. Mais ouvrir la porte toute grande et leur permettre d'acheter... On sait chez qui elles achètent, on connaît les commissionnaires, on sait comment ils travaillent et on sait comment ils se paient.

Donc, c'est pénaliser certaines librairies. Ce ne sont pas toutes les librairies qui sont intéressées à faire ce genre de commerce. J'en fais pour $1 million par année. C'est intéressant, ce n'est pas mauvais.

M. Vaugeois: On va clore là-dessus. On a évoqué la possibilité de réunions du Conseil supérieur du livre, du vôtre et non pas du conseil prévu dans la loi. On a souhaité qu'une fois de temps en temps ce Conseil réunisse tous les gens concernés par le livre, non seulement les libraires et éditeurs, mais pourquoi pas les distributeurs, les auteurs et pourquoi pas, enfin, les bibliothécaires? J'aimerais bien que les relations entre ces différents professionnels se règlent au niveau de la profession plutôt qu'au niveau du gouvernement.

Je vous renvoie la balle, mais je me dis que des suggestions doivent venir de consensus réalisés dans le milieu professionnel, parce que je pense que tout le monde est assez convaincu que tout cela va marcher si chacun fait son travail à l'intérieur de son champ de travail. travail.

M. Déri: M. le ministre, dans une étude récemment remise au Conseil supérieur du livre, il est préconisé qu'une nouvelle société soit formée réunissant tous les intervenants du livre, à partir des écrivains, y compris même des représentants des arts graphiques et que c'est à ce niveau, autour de cette table que soient discutés les problèmes interprofessionnels. C'est à l'étude actuellement au Conseil supérieur du livre. (17 h 45)

M. Vaugeois: Merveilleux. On prend la dernière question en ce qui me concerne?

Mme Fortier: Oui, la question du troc. Je n'aime pas beaucoup ce mot, parce que si on perd les 15%, on les rattrape ailleurs. On n'a rien de plus en réalité. Mais ce qu'on défend à l'Association des libraires, c'est le principe que le livre doit être vendu par les libraires; tous les livres, sans exception, doivent passer par la librairie. Ensuite, si l'échange nous semble avantageux, nous ne le savons pas encore. C'est à l'application que nous le saurons, que nous nous rendrons compte ce qui se passe.

M. Vaugeois: Je peux vous inviter à surveiller les plans de développement des bibliothèques publiques, notamment la progression des budgets d'acquisition des bibliothèques scolaires, pour vous faire une meilleure idée à cet égard.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Je vais répondre à cette question, dans la mesure où le ministre a quand même couvert à peu près tous les chapitres, les réponses et l'échange ont été assez précis, et surtout que je me suis moi-même introduit dans les questions du ministre. Je veux simplement vous remercier et dire que, quant à nous, nous allons certainement tenir compte, dans les positions qu'on adoptera, de l'ensemble de cela.

La seule chose que je retiens, ce sont les informations précises à votre dernière remarque: Est-ce que c'est plus ou moins avantageux? C'est difficile à dire. Quand même, ce qui m'étonne, même au niveau de la discussion qu'on a eue au sujet des bibliothèques universitaires, ce qui m'inquiète un peu, c'est qu'on fait des choix en ce moment qui ne sont pas nécessairement mauvais, mais sur une base qui m'apparaît fragile en termes d'études sur la portée réelle des changements que l'on fait et également sur les causes ou enfin sur les raisons pour lesquelles on apporte cela.

On semble y aller un peu — c'est peut-être un petit reproche au ministre — à tâtons, dans l'ensemble de la loi, en disant: On met cela là, cela là. Mais on n'a pas de données précises. Je sais que tous les intervenants ont dû préparer leurs mémoires dans de trop courts délais peut-être pour chiffrer davantage leur argumentation ou pour mener chez leurs gens des consultations.

Alors, le ministre a évoqué une nouvelle fois les éléments de politique qu'il rendrait publics. Encore là, il faut apprécier cette loi avec ce qui va venir et on n'a pas ce qui va venir. Je ne sais pas si le ministre va, en tout cas, à l'automne... je pense que c'est peut-être la meilleure conclusion, compte tenu des points que vous avez soulevés, auxquels le ministre s'est référé spécifiquement dans ses questions. Je demanderais au ministre de ne pas être trop d'accord pour que la loi puisse être adoptée à cette session, à l'automne, parce qu'il faut fonctionner, mais pas trop tôt, de façon que les délais qui nous sont donnés ne permettent pas seulement à l'Opposition d'aller faire son tour de piste, comme elle doit le faire pour préparer ses interventions, mais surtout au milieu du livre, d'avoir le temps de bien mesurer l'ensemble des informations dont on ne dipose pas encore actuel-

lement, d'avoir la chance de bien mesurer, de manière que lorsqu'on arrivera, parce que c'est finalement là que se jouera ce projet de loi, au moment de l'étude article par article, lorsque nous reviendrons ici, il n'y aura probablement pas d'audition, mais tout de même, que les gens du milieu puissent suivre article par article. A ce moment, notre rôle sera d'exiger ou enfin, d'essayer d'obtenir le maximum d'informations du ministre sur des données précises: quand on fait un changement, pourquoi on le fait et quelles conséquences prévisibles ce changement aura. C'est mon sentiment non seulement sur votre mémoire, mais sur l'ensemble des deux jours qu'on a passés là-dedans. C'est difficile. Je ne sais pas si le ministre est conscient de cette dimension-là. Je l'ai sentie un peu dans tous les mémoires et particulièrement celui des libraires. Je pense exprimer cela en fin de journée rapidement pour ne pas allonger la discussion inutilement.

M. Vaugeois: Je dirai deux petites choses rapides. D'abord, des études, il y en a eu tellement, des enquêtes également. Vraiment, je pense que personne ne va nous demander de recommencer Drouin et Paquin, le rapport Bouchard, etc.

M. Rivest: Non, mais justifier...

M. Vaugeois: Comme on est dans le domaine d'un commerce qui demeure libre — ce n'est pas parce qu'on a des paramètres un peu nouveaux qu'il y a une entrave à la liberté des gens qui sont concernés — la concurrence va jouer. On ne peut pas assurer qui que ce soit que le dynamisme de chaque entreprise va être comparable de telle façon que les profits à réaliser vont être également répartis entre chaque entreprise. Il y a des entreprises qui vont se défendre mieux que d'autres, qui vont faire un profit plus grand que d'autres. Tout ce que nous faisons, c'est essayer — je reprends mon terme d'hier — de baliser l'ensemble et de souhaiter à chacun bonne chance. On sait que parce qu'on reconnaît la liberté du commerce et parce qu'on reconnaît la concurrence qui va se maintenir dans ce milieu, on ne met pas les gens à salaire. On ne nationalise pas le commerce du livre. Chacun reste libre. Les profits des uns seront plus considérables que ceux des autres. C'est le principe que nous mettons de l'avant. Nous ne voulons pas faire davantage. Mais je pense que nous avons une connaissance de part et d'autre. Au ministère, en tout cas, nous en avons une qui ploie maintenant sous les études. Davantage d'études, je pense que ce serait la fin des services...

M. Rivest: Non, M. le ministre. Je n'ai pas demandé...

M. Vaugeois: ... l'asphyxie par l'avalanche.

M. Rivest: ... davantage d'études, mais quand vous me parlez de 15% contre 15%, pourquoi proposez-vous cela?

M. Vaugeois: II n'y a pas de problème. C'est connu. On n'a pas besoin de s'en dire davantage. Cela a été tellement discuté. Je dois dire — et Mme Fortier ne me contredira pas là-dessus — que dans les consultations que nous avons eues, la proposition a été acceptée. Il était de bonne guerre pour l'association de revenir à la charge aujourd'hui, mais dans nos discussions, cette question a été acceptée parce que les calculs ont déjà été faits...

M. Rivest: Je ne sais pas.

M. Vaugeois: ... sur la base de ce qui existe actuellement.

M. Rivest: S'ils reviennent à la charge aujourd'hui, ce n'est pas seulement pour le plaisir de faire un paragraphe pour être de bonne guerre. Je pense qu'elle a quand même des préoccupations que le ministre, en tout cas, semble...

M. Vaugeois: Bien sûr.

M. Rivest: On va débattre tout cela. On s'engueulera quand...

M. Vaugeois: C'est cela.

Le Président (M. Blank): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: J'aurais une question à vous poser. Vous allez sûrement dire que je prêche pour mon clocher. Quand vous parlez de régionalisation, vous dites que, sous-jacente à la loi, vous retrouvez cette volonté du gouvernement de multiplier les librairies agréées. Je suis sûr que dans le Bas-Saint-Laurent, le nombre des libraires doit être assez clairsemé. Si vous entrez dans la Gaspésie proprement dite, je ne sais pas si vous avez beaucoup de libraires sur votre liste. A ce moment-là, vous dites: Ce n'est pas en enlevant aux librairies agréées une partie de leur clientèle que vous allez encourager des régions comme dans mon comté où je ne sais pas combien existent de libraires.

Mme Fortier: M. le député de Gaspé, pendant l'été, j'ai fait une tournée des librairies de la province. Evidemment, en partant par le Bas-du-Fleuve, je me suis arrêtée à Matane parce que les dernières librairies agréées sont à Matane. En Gaspésie, dans la Matapédia, il n'y a pas de librairies agréées.

M. Le Moignan: Oui, je sais qu'il n'y en a pas. Mme Fortier: Non. Nous le regrettons.

M. Rivest: C'est pour cette raison que le député va dans les centres d'achat et dans les épiceries.

Mme Fortier: Mais je comprends mal qu'il n'y en ait pas.

M. Le Moignan: Voyez-vous, cela justifie ma première question. On est chanceux de trouver parfois des livres dans une épicerie ou dans une "tabagie" ou ailleurs, mais souvent, ce sont des livres de dernière minute, "up-to-date".

Mme Fortier: Voilà. Mais je pense qu'on devrait étudier le problème de la Gaspésie parce que je ne comprends pas qu'il n'y en ait pas là. Il y en a en Abitibi. Il y en a dans le Lac-Saint-Jean, qui sont des régions encore plus éloignées que la Gaspésie. Ces libraires pratiquent un genre de librairie extraordinaire. Ils ont un très bon stock de livres étrangers et québécois et ils rendent un service éminemment social à la société. Si les librairies d'Abitibi peuvent vivre avec l'aide des collectivités — évidemment, ce n'est pas avec l'aide de la clientèle au comptoir — il y a certainement une possibilité qu'en Gaspésie des libraires puissent rendre le même service à la population.

M. Le Moignan: II y a eu des tentatives déjà de deux ou trois libraires dans la ville même de Gaspé où existent un CEGEP et une polyvalente et ils ont dû fermer leur porte par la force des choses. Ils n'avaient pas la clientèle nécessaire. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup de nos institutions et beaucoup d'individus commandaient leurs livres directement par la poste aussi, par habitude, par tradition. Ils ne se déplaçaient pas pour aller à Gaspé, mais vous allez nous encourager...

Mme Fortier: Oui.

M. Le Moignan: ... pour essayer d'avoir l'implantation de librairies. On pourrait en parler au ministre aussi.

Mme Fortier: Oui. Je ne pourrais vraiment pas voir pourquoi la Gaspésie demeurerait sans librairie, puisque dans les autres régions, cela se fait.

M. Vaugeois: Remarquez qu'on pourrait poser le problème au niveau des bibliothèques aussi. J'ai rencontré le maire de Gaspé récemment et on a discuté de l'opportunité d'ouvrir une bibliothèque à Gaspé. La même situation est constatée au niveau des bibliothèques. Il faut dire par ailleurs que la BCP de la Gaspésie fonctionne bien. Elle a des projets d'expansion. La réponse des petites municipalités est bonne, mais c'est au niveau des municipalités de 5000 habitants et plus qu'il y a une déficience du côté de la librairie et de la bibliothèque. On voit d'ailleurs que les deux se tiennent peut-être plus qu'on ne le croit.

M. Le Moignan: Vous avez pris connaissance de mes lettres envoyées à votre ministère concernant notre projet d'utiliser la bibliothèque du CEGEP?

M. Vaugeois: Oui, j'ai discuté avec le maire, d'ailleurs, de cette proposition. J'en ai même discuté hier soir avec certains bibliothécaires. Il faudrait en reparler, si vous voulez.

M. Le Moignan: Le ministre de l'Education est tout à fait pour aussi.

M. Vaugeois: Oui, mais ce sont des solutions d'exception pour nous.

Le Président (M. Blank): Pas de patronage local ici.

M. Rivest: Oui, qu'est-ce que ce troc auquel on assiste?

Une Voix: Ah!

M. Vaugeois: L'Union Nationale est...

M. Rivest: Oui.

Le Président (M. Blank): Merci, madame. Merci, monsieur.

M. Le Moignan: Je trouvais que c'était quelque chose de bien.

Association canadienne de diffusion du livre Inc.

Le Président (M. Blank): Maintenant, on va essayer d'entendre le dernier groupe, l'Association canadienne de diffusion du livre Inc. M. Claude Choquette.

Est-ce que je tiens pour acquis que la commission consent à ce qu'on siège après 18 heures?

M. Choquette.

M. Choquette (Claude): M. le Président, permettez-moi de vous présenter mes collègues. A ma droite, M. Jacques Martin, libraire de Joliette et président du conseil d'administration de l'ACDL; à ma gauche immédiate, M. Lucius Laliberté, libraire de Sainte-Foy et membre du bureau de direction de l'ACDL; à mon extrême gauche, M. Marc Saint-Jean, conseiller auprès du conseil d'administration et auprès du président-directeur général; et votre humble serviteur, Claude Choquette, président-directeur général.

Le projet de loi no 51 portant sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre était attendu depuis longtemps. En effet, depuis la fondation même du ministère des Affaires culturelles en 1961, il y a 18 ans, les différents gouvernements et les nombreux ministres des Affaires culturelles se sont penchés tour à tour sur les problèmes de la culture. Aussi a-t-on vu paraître toutes sortes de rapports, de mémoires, d'études, de documents de travail, de livres blancs et verts pour essayer de définir les fins et les moyens d'une politique culturelle pour le Québec. Plusieurs lois ont été sanctionnées dans le but de préciser le rôle du gouvernement dans la promotion et la diffusion de la culture. Plusieurs de ces lois abordaient les problèmes du livre, puisque la lecture a toujours été considérée comme l'un des principaux moyens de culture.

Pour passer de l'écrivain au lecteur, le livre doit suivre un long cheminement où interviennent les éditeurs, les diffuseurs, les exportateurs et les importateurs, les libraires. Comme les écrivains, tous ces intermédiaires ont souvent voulu protéger leur profession et leurs droits en fondant des associations et des organismes. Le ministère des Affaires culturelles, par la bouche de ses nombreux titulaires, a souvent proclamé que plutôt que d'ériger le dirigisme en principe, il voulait coordonner l'action des organismes qui travaillent à l'essor de la culture, particulièrement par la conception et la diffusion du livre.

Mais de nombreux problèmes subsistent toujours et nombreux sont ceux qui attendent du présent gouvernement une politique du livre. Le livre, c'est une industrie qui, pour se développer, doit respecter les règles du jeu, industrielles et économiques, mais le livre c'est aussi un merveilleux moyen de culture. D'où la nécessité d'une politique de lecture au Québec.

Comment concilier les exigences de ces deux aspects du livre? Par une intervention gouvernementale qui respecte les droits de ceux qui sont reliés au commerce du livre et qui, en même temps, permet de rendre accessible le livre au plus grand nombre possible de Québécois pour leur épanouissement culturel.

Le législateur est conscient de ces problèmes et il doit, pour le bien commun, établir des lois. Pour le faire démocratiquement, il veut consulter et entendre tous les organismes reliés de près ou de loin au domaine du livre pour lequel il veut proclamer une loi. (18 heures)

L'Association canadienne de diffusion du livre, comme son nom l'indique, est particulièrement intéressée par toute politique pouvant aider à la diffusion du livre. Tout en regroupant de nombreux libraires du Québec pour leur offrir toute une gamme de services, l'ACDL a toujours participé avec empressement et souvent à la demande des gouvernements à des campagnes de lecture et à la réalisation de projets pouvant développer la culture au Québec. Aujourd'hui, notre association veut apporter sa modeste collaboration en manifestant son intérêt pour le projet de loi no 51 et en présentant quelques réflexions découlant d'une étude de ce projet de loi et des règlements qui l'accompagnent.

Le projet de loi 51 est destiné à remplacer la Loi de l'agrément des libraires et il doit modifier la Loi du ministère des Affaires culturelles en vue de préciser les responsabilité du ministre à l'égard d'une politique de développement de l'industrie du livre. Le texte du projet de loi est surtout orienté vers des points précis: l'agrément des personnes intéressées par le commerce du livre, la fixation des prix de vente aux collectivités, les mesures coercitives devant être prises pour protéger l'industrie et la diffusion du livre.

Nous croyons que ce projet de loi aurait dû contenir les grandes lignes d'une véritable politique de la lecture. En dépit des nombreuses interventions du gouvernement et des tentatives pour réglementer le commerce du livre, l'objectif principal reste toujours à atteindre, soit établir un réseau de librairies répondant à des normes de qualité afin d'assurer au public un accès facile au livre. Pour maintenir et développer des conservatoires de musique, pour assurer la survie d'une société d'opéra, il faut absolument développer le goût de la musique dans la population. Il en est de même de la culture par le livre. Tout doit être fait pour qu'un réseau de librairies offrant de véritables services professionnels et une grande variété de stocks de livres puisse participer à cette diffusion de la culture.

L'obligation pour le gouvernement et ses organismes d'acheter leurs livres chez les libraires agréés devrait être considérée avant tout comme une incitation à améliorer la situation du libraire pour qu'il devienne vraiment un intermédiaire important dans tout ce mouvement qui existe au Québec pour le maintien et le développement de la culture. Cette obligation doit être considérée comme un moyen et non comme le but, l'objectif premier de la loi.

L'agrément des éditeurs, des distributeurs et des libraires occupe une place prépondérante dans le projet de loi. En établissant cet agrément, le gouvernement semble avoir deux buts. D'abord, il veut se protéger lui-même en imposant au gouvernement et à diverses catégories d'organismes publics l'obligation d'acheter leurs livres dans des librairies agréées selon une procédure et des normes établies par règlement. On sait que certains organismes gouvernementaux et certaines collectivités veulent acheter leurs livres directement des éditeurs, soit au Québec, soit à l'extérieur du Québec en prétextant que le livre coûterait moins cher qu'en passant par le réseau des libraires québécois.

Nous sommes heureux de constater que le projet de loi fait confiance aux libraires et nous sommes assurés que les organismes gouvernementaux et les collectivités obtiendront des prix avantageux et raisonnables, ainsi qu'un ensemble de bons services de la part des libraires. Il faut augmenter le volume de vente des livres pour permettre aux libraires de se développer. Encore là, il s'agit, comme but ultime, d'aider le libraire à fournir aux consommateurs de livres un service de première qualité.

Nous sommes étonnés que les universités du Québec ne figurent pas dans la liste des organismes qui doivent acheter leurs livres directement chez les libraires agréés. Nous croyons que nos libraires pourraient certainement approvisionner cette clientèle spécialisée.

L'autre but de la loi est bien de protéger aussi les personnes, les organismes faisant commerce dans le domaine du livre et répondant à des normes précises d'agrément. L'article 1 précise ce que veut décréter le gouvernement: "L'aide que peut accorder, suivant la loi, le gouvernement, un de ses ministères, organismes ou mandataires à une personne faisant commerce dans le domaine de l'édition, de la distribution ou de la librairie ne peut être accordée qu'à des personnes titulaires

d'un agrément délivré en vertu de la présente loi ou qui y sont admissibles."

Le projet de loi détermine clairement les conditions d'admissibilité à l'agrément et je cite: "Toute personne qui exerce au Québec, pour son compte, des activités d'éditeur, de distributeur ou de libraire conformément aux normes et conditions déterminées par règlement du gouvernement".

Enfin, le gouvernement indique précisément les entreprises qu'il veut aider: les entreprises authentiquement québécoises. Les Québécois possèdent en effet, dans le domaine du livre, assez d'expertise et d'expérience pour établir leurs propres maisons, investir leurs capitaux et développer tout ce commerce avec grand intérêt, d'autant plus que le domaine du livre est tellement lié à la conservation de notre héritage français et au développement de notre culture québécoise.

Le législateur a prévu des dispositions précises pour protéger la profession du libraire agréé en déterminant les poursuites possibles contre ceux qui pourraient enfreindre la loi. Cet article révèle bien la ferme volonté du gouvernement concernant l'observation de la présente loi.

En lisant le projet de loi, on peut se demander quelles sont les personnes ou les organismes concernés par cette loi. S'agit-il de toutes les entreprises de distribution et de librairie, ou seulement d'un réseau qui ne comptera que des entreprises agréées?

L'article 4 laisse perplexe, et je cite: "Toute personne qui fait la distribution de livres au Québec doit se conformer aux normes et barèmes déterminés par règlement du gouvernement relativement au mode de calcul du prix de vente".

Qu'en est-il des libraires non agréés, des marchands de journaux, des points de vente divers, des grandes surfaces, des coopératives étudiantes, des librairies anglophones et autres qui vendent du livre français, des librairies universitaires? Le législateur a-t-il l'intention de réglementer tout le commerce du livre au Québec ou seulement le réseau des entreprises agréées?

Il nous semble que la loi devrait se limiter à fixer les normes et barèmes seulement pour l'achat des livres chez les libraires agréés par les collectivités. Quant au prix de vente public, le gouvernement veut-il imposer des normes et barèmes pour tout le commerce du livre? Il faut, en même temps, protéger les intérêts des libraires et aussi rendre le livre plus accessible au public. Est-ce que le législateur croit pouvoir atteindre ce double objectif en fixant, par des normes et barèmes, le prix de tous les livres vendus au Québec?

Souvent, le projet de loi mentionne le mot "aide" que le gouvernement, ses ministères, organismes ou mandataires peuvent apporter à des personnes faisant commerce dans le domaine de l'édition, de la distribution ou de la librairie. De quelle aide s'agit-il exactement? Quelles sont les intentions du ministère des Affaires culturelles pour développer, aider, favoriser la diffusion de la culture par le livre au Québec? Là encore, nous aimerions avoir des précisions.

Cette aide, dans l'esprit de la loi, n'est peut-être, pour les libraires, que le privilège de pouvoir vendre au gouvernement, aux ministères, aux collectivités. Il faudrait, dans ce cas, que les marges brutes consenties aux libraires soient acceptables et que les conditions imposées par l'agrément ne soient pas trop onéreuses.

En relisant toute la section 4 de l'avant-projet de règlement no 4, on peut déjà soupçonner toutes les complications de calculs des prix d'achat et de vente. Au moment précis où, en France, on tente de simplifier toute cette question des prix, les dispositions de la nouvelle loi ne semblent pas vouloir simplifier les choses. L'établissement du prix des volumes provenant de l'étranger est complexe avec le jeu des tabelles et la variation de la valeur de notre monnaie. Aussi, souhaitons-nous que le ministère des Affaires culturelles établisse sa politique des prix pour les entreprises agréées en étroite collaboration avec les associations reliées au commerce du livre.

L'article 5g de l'avant-projet no 3 nous semble aussi demander plus de précisions. Le texte indique que le libraire agréé s'engage à — et je cite — "s'approvisionner chez un distributeur québécois ou canadien qui lui offre les services requis, à la condition que ce distributeur respecte le mode de calcul du prix de vente prévu par l'article 16 du règlement no 2 concernant l'agrément des entreprises de distribution au Québec..."

Le libraire agréé doit donc absolument s'approvisionner chez un distributeur québécois ou canadien. Comment peut-il se procurer des volumes qui n'ont pas de distributeur au Québec ou au Canada, ou dont le distributeur local n'est ni Québécois, ni Canadien? Que fait-il si le distributeur a des stocks très incomplets, impose des délais trop longs ou ne donne pas tous les services requis?

Pour ce qui est de la vente au détail au grand public, le libraire non agréé et les autres points de vente non soumis à cette obligation pourront certainement offrir un plus grand choix de volumes, et peut-être à de meilleures conditions. N'y a-t-il pas là une sorte de discrimination envers le libraire agréé? Les services requis par les libraires sont mentionnés dans cet article de la loi. L'ACDL qui est une association de services connaît bien tout le cheminement, pourrait-on dire matériel, du livre, en partant de l'éditeur pour se rendre au libraire. Surtout pour les livres importés, les opérations sont nombreuses: commandes à faire, groupage par avion ou par voie maritime pour diminuer les coûts, les formalités de douane, éclatement des conteneurs et livraison au Québec.

De plus, il y a aussi les formalités de paiement des comptes à l'étranger qui présentent des dépenses de temps et des difficultés de toutes sortes. Nous songeons sérieusement à la création d'un organisme chargé des achats et des paiements collectifs pour diminuer les coûts des livres. L'ACDL, en plus de regrouper toutes sortes de services aux libraires, possède déjà un service d'information et de recherche pour les livres que ceux-ci ne peuvent pas ou peuvent difficilement trouver au Québec. Si l'on en juge par les deman-

des qui nous sont adressées, ce service répond à un grand besoin des librairies.

Puisque nous abordons le point de l'information, nous voulons signaler la grande pauvreté de l'équipement bibliographique pour la production littéraire québécoise, comme vous pouvez le constater en annexe de l'article 3, paragraphe k) de l'avant-projet de règlement no 3 concernant l'agrément des libraires. Ne serait-il pas temps de mettre sur ordinateur tous les titres disponibles de la production littéraire québécoise pour fournir aux libraires et à toute la profession du livre une source de références qui s'avère de plus en plus indispensable? C'est une entreprise coûteuse au départ, mais elle pourrait rendre de très nombreux services aux libraires en leur permettant de répondre le plus vite possible aux demandes de leurs clients. Depuis longtemps, l'ACDL désire ajouter ce service à l'usage de ses membres.

Enfin, il y a un dernier point que nous voulons signaler. Pour la formation du Conseil consultatif de la lecture et du livre, nous suggérons qu'un appel soit fait à tous les groupes qui oeuvrent dans le domaine du livre. Nous espérons ici que ce conseil étudiera en profondeur toute la question de la lecture pour permettre au législateur de formuler une véritable politique de la lecture au Québec. C'est certainement cette politique qui sera la plus utile, et pour développer la profession du libraire, et pour favoriser le développement des industries culturelles dans lesquelles le livre occupe une place de choix.

En conclusion, nous sommes heureux d'avoir pu vous exposer ces quelques commentaires sur le projet de loi no 51. Ce projet veut établir les responsabilités du ministre à l'égard d'une politique de développement de l'industrie du livre. Nous savons que le ministre actuel des Affaires culturelles connaît bien tous les problèmes reliés à cette industrie. C'est vrai que les activités de son ministère sont multiples, mais nous sommes assurés que depuis longtemps, il veut trouver les meilleures solutions à tous les problèmes reliés au livre, cet indispensable instrument de culture. L'Association canadienne de diffusion du livre est prête à lui apporter sa plus entière collaboration.

M. le Président, avec votre permission, nous aimerions ajouter quelques brefs renseignements et remarques additionnels à notre mémoire tel que soumis. A quelques reprises, hier, lors de la présentation de mémoires, le nom de l'ACDL a été mentionné. Permettez-moi donc, M. le Président, d'apporter des précisions aux différents points qui ont été soulevés. (18 h 15)

On a mentionné que l'ACDL était un organisme subventionné. A ce que je sache, le fait de recevoir des subventions pour des projets bien précis, même pour des projets à but lucratif et rentable, ne constitue pas, en soi, un défaut. A ce compte-là on se poserait de sérieuses questions sur les subventions accordées aux maisons d'édition et à certaines maisons de distribution.

Au cours de la dernière année, l'ACDL a reçu une subvention du ministère des Affaires culturel- les pour administrer un service de recherches bibliographiques, service intensément désiré et par les libraires et par le ministère des Affaires culturelles.

Et si l'on parle de subventions, je serais porté à dire qu'au cours de la dernière année, c'est plutôt l'ACDL qui a subventionné la distribution du livre québécois en participant financièrement à l'exportation du livre québécois de concert avec le ministère de l'Industrie et du Commerce.

On a de plus discuté du rôle de l'ACDL dans le marché de la distribution. Je ferai remarquer à cette honorable commission que l'ACDL est dans le marché de la distribution depuis plus de 18 ans, c'est-à-dire bien avant que la distribution soit une opération payante au Québec.

L'ACDL comble un vide dans la distribution en administrant principalement des "stocks" de livres religieux, mais même si tel n'était pas le cas, on ne pourrait reprocher à l'ACDL d'exercer le commerce de la distribution au même titre que l'on ne peut reprocher à un distributeur de concurrencer un autre distributeur.

Il est faux également de prétendre que l'ACDL a érigé en système le court-circuitage. Le service d'importation de l'ACDL se limite presque exclusivement au groupage de transports et, d'ailleurs, ce service de groupage de transports est utilisé et par les libraires et par des distributeurs, mais l'ACDL n'est pas maître des commandes placées directement en Europe par ses membres.

Nous avons mis sur pied depuis environ un an, un service de dépannage au profit des membres libraires pour leur faciliter l'approvisionnement de livres qu'ils peuvent difficilement se procurer. Quand le libraire est appelé à transiger avec plus de 500 éditeurs — et j'en oublie — il est difficile de connaître toujours parfaitement qui distribue qui.

L'ALQ publie à l'occasion un bulletin qui tente d'identifier les distributeurs, eu égard aux maisons d'édition, mais les changements fréquents qui se produisent dans le marché de la distribution font que le bulletin n'est déjà plus à jour lors de sa parution. De plus, il faut comprendre que le libraire, face à une commande de client, doit prendre tous les moyens possibles pour obtenir le livre demandé et même il doit parfois commander en Europe des livres qui sont en distribution exclusive au Québec, soit parce que le distributeur ne tient pas en stock un fond qui date d'un certain nombre d'années, soit parce que le distributeur, face à une rupture de stock, utilise le transport maritime, ce qui apporte des délais de livraison de six à dix semaines, alors que le libraire doit utiliser le fret aérien plus coûteux mais plus rapide afin de répondre à la demande de sa clientèle.

Ce dépannage, car c'est bien du dépannage et non du court-circuitage, dans bien des cas est plus dispendieux pour le libraire que l'approvisionnement chez le distributeur. Le libraire a le choix entre ne pas répondre adéquatement à la demande de sa clientèle et risquer de la perdre, et s'approvisionner directement de l'éditeur mais à un coût beaucoup plus élevé.

M. le Président, je vous remercie de m'avoir accordé l'opportunité de préciser ces points.

Le Président (M. Blank): Merci. M. le ministre.

M. Vaugeois: II y a tellement de choses qui ont été dites depuis deux jours, que vous, de votre côté, vous avez senti le besoin d'apporter des précisions supplémentaires. Cela va probablement me dispenser de relever certains points de votre mémoire qui a déjà reçu sa part de commentaires en d'autres circonstances, mais je ne résiste pas à la tentation quand même de relever une de vos préoccupations qui est énoncée à la page 4. Alors que vous auriez souhaité que le projet de loi contienne les grandes lignes d'une véritable politique de la lecture, je vous avoue que j'aurais aimé que le projet de loi soit fort différent, que ce soit une belle pièce de littérature écrite plutôt par Gérald Godin que par nos conseillers juridiques et que ça se lise bien, que ce soit agréable, que ça dise nos intentions, etc., etc.

Sauf que ce n'est pas ça, un projet de loi. On ne peut introduire dans un projet de loi, vraiment, ce qu'on peut appeler les éléments d'une politique de la lecture, puisque ça donne lieu à des actions concrètes, ponctuelles, impliquant des budgets qui varient toujours, qui sont réajustés constamment. Ce n'est pas ce genre de préoccupations qui trouvent facilement leur place dans un projet de loi.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de politique de lecture qui s'en vient.

M. Rivest: ...

M. Vaugeois: Je suis là pour ça. Vous me payez un salaire, involontairement peut-être, pour faire ça.

M. Rivest: ... au dernier mémoire, je voulais quand même vous le faire dire une autre fois.

M. Vaugeois: C'est ma raison d'être, actuellement.

Il y a d'autres paragraphes que j'ai envie de relever, mais avec une autre préoccupation. Mon collègue d'en face m'a vu souligner, à la page 7, au milieu de la page, une affirmation qui est la vôtre, "les Québécois possèdent, dans le domaine du livre, assez d'expertise et d'expérience pour établir leur propre maison, etc." Cela m'a fait plaisir de le trouver dans votre mémoire.

Vous posez, en haut de la page 8, une question. Je vais essayer d'en relever quelques-unes comme ça et vous donner des réponses quand je le peux. "On peut se demander quelles sont les personnes ou les organismes concernés par cette loi, s'agit-il de toutes les entreprises de distribution et de librairies?" Disons qu'en général la réponse est qu'effectivement on pourrait probablement poursuivre l'ACDL, si vous contreveniez à certains aspects de la loi comme distributeurs, si vous vendiez délibérément des livres à une institution, à une bibliothèque subventionnée. Ce serait une façon d'enfreindre la loi, même si vous n'êtes pas distributeur agréé. C'est le sens du paragraphe suivant, "toute personne qui fait la distribution de livres au Québec doit se conformer aux normes et barèmes déterminés", donc respecter les tabelles que sa propre association, avec nous, va établir. Eventuellement, respecter aussi la structure qu'on essaie de proposer.

M. Rivest: Je trouve que c'est la bonne réponse, est-ce que ça s'appliquerait...

M. Vaugeois: Merci, M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: ... je me suis demandé moi aussi, à la lecture du mémoire, si ça s'appliquerait également aux — j'imagine que oui — éditeurs et aux libraires, sur quelle base juridique, je ne l'ai pas vu dans la loi, qui feraient une transaction avec une institution ou un ministère du gouvernement. Directement, mais pourquoi, pour les distributeurs, fait-on une disposition particulière et ne retrouve-t-on pas une disposition analogue qui est une disposition pour des gens qui ne seraient pas agréés et qui entrerait dans le domaine réservé, au sens de la loi, à ceux qui sont agréés? Cela s'applique non seulement aux distributeurs, mais aussi aux éditeurs et aux libraires qui pourraient faire la même chose. Mais eux, ils n'ont pas de régime de sanction.

M. Vaugeois: J'aurai une réponse plus complète dans deux minutes, parce que je veux faire trouver un article de la loi qui prévoit qu'on puisse éventuellement poursuivre, par exemple, un fonctionnaire qui ne respecterait pas la façon de procéder aux achats pour les bibliothèques du gouvernement. Mais le distributeur est plus expressément visé, parce que c'est lui qui, éventuellement, fixe la tabelle, qui est un peu au coeur de tout le mouvement. Il est plus susceptible d'avoir des faiblesses. Egalement, il peut avoir davantage de tentations, de s'adresser directement à l'institution.

Mais quand on en vient à vérifier qui peut se rendre coupable d'infraction, on a l'article 41 qui dit: "Toute personne trouvée coupable d'infraction à la présente loi ou à un règlement est passible..." etc.. etc. Je vous ferai remarquer d'ailleurs que personne ne s'est inquiété de cet article, parce que tout le monde aura compris que la loi est la même pour tout le monde. Même ceux qui ne sont pas agréés sont tenus de respecter cette loi. S'ils ne sont pas agréés, c'est parce qu'ils ne sont pas intéressés au marché visé par l'agrément. Donc, ils doivent se tenir à l'écart de ce marché.

Il y a d'autres questions, au bas de la page 8, "quant au prix de vente public, le gouvernement veut-il imposer des normes et barèmes pour tout commerce du livre?" Disons que ce n'est pas si clair que ça. Pour ma part, je souhaite que ça continue comme maintenant, au Québec. Ce qui rend le commerce du livre, malgré tout, quasi nor-

mal, c'est qu'on a généralement respecté le prix de détail suggéré par l'éditeur québécois, en l'occurrence, ou encore, on a généralement respecté le prix qui découlait de l'application d'une tabelle.

Cela m'apparaît être un marché beaucoup plus sain que le marché du disque, par exemple, où là, la pratique des prix est absolument sauvage et fait que les petits ne s'en sortent pas; un petit disquaire ne peut à peu près pas résister à l'assaut, et nos compositeurs, nos interprètes ont de la difficulté à être sur disques. A moins de devenir une vedette et de trouver quelqu'un d'intéressé à les produire, c'est assez difficile pour eux de démarrer. Je le vois au ministère, les producteurs québécois de disques ont beaucoup de difficulté à arriver, c'est un marché absolument incontrôlable.

Tandis que, dans le domaine du livre, il faut admettre que c'est assez facile d'être édité au Québec. La concurrence cherche à se faire non pas sur les prix, mais sur la qualité des services et je trouve ça extrêmement heureux. Quelque part, dans votre mémoire, vous faites allusion à une certaine liberté que la France cherche à se donner au niveau des pratiques commerciales. Je pense que le gouvernement français a été amené à intervenir avec le prix net, parce qu'il y avait même des politiques de mise en marché qui misaient sur le "discount". Quand le commerce de détail s'organise sur cette base, — c'est une conviction personnelle — tout devient de travers, parce que la grosse entreprise qui pratique la politique de "discount" va chercher une partie de ses 20% accordés au client sur le type qui lui fournit ses livres. Finalement, celui qui lui fournit les livres est obligé de corriger son prix pour être capable de donner une "surremise" et c'est l'autre, à côté, qui ne peut pas négocier de "surremise", qui se trouve à vendre le produit plus cher. Finalement, celui qui profite des 20% paie à peu près le prix qu'il aurait payé autrement, et celui qui ne va pas acheter chez celui qui accorde les 20% de remise paie plus cher. Je conçois que ces politiques de "discount", ces politiques de mise en marché basée sur le "discount", créent un marché absolument sauvage qui permet aux gros de faire des meilleures affaires, mais qui éclipse les petits. Il suffit de voir, au Québec, la situation faite aux libraires. Malgré toutes les difficultés que M. Laliberté a rappelées tout à l'heure, la situation est quand même beaucoup plus saine que celle faite aux disquaires qui, eux, ne peuvent vraiment pas résister à l'assaut des gros, sauf de rares exceptions et sauf des regroupements qui sont absolument essentiels pour eux.

Cela m'amènerait d'ailleurs à vous poser une question. Quelqu'un de l'extérieur pourrait se demander comment il se fait que les libraires n'ont jamais réussi à organiser une structure d'achat. Vous avez fait allusion aux services que vous offrez, je sais que vous avez eu des expériences d'achats regroupés, mais comment se fait-il que, par le passé, les libraires n'en soient jamais venus à avoir des structures groupées d'achats, comme on trouve dans la plupart des commerces. Les épi- ciers indépendants se sont regroupés, à peu près tous les indépendants de partout se sont regroupés, les disquaires indépendants cherchent à se regrouper. D'après moi, c'est leur seule chance d'ailleurs de passer à travers. Comment se fait-il que les libraires indépendants n'aient pas eu tendance à se regrouper? Ils le font par votre association, ils échangent des services par votre association mais ce n'est pas aller aussi loin que l'achat groupé, qui pourrait être une réponse d'aiIleurs aux distributeurs qu'on a remis en question à certains moments. Ce n'est pas parce que nous respectons la fonction de distributeur que tout le monde se doit de la respecter. On aurait pu s'attendre à ce que les libraires nous disent ou que l'ACDL nous dise: Nous, nous préconisons un regroupement des libraires qui feront leurs achats et qui, regroupés par le biais de l'ACDL, seront capables d'aller chercher les livres aux meilleures conditions et les amener ici pour les mettre en stock à la disposition des détaillants. Comment se fait-il que vous n'ameniez pas ce genre de proposition?

M. Choquette: M. le ministre, il me fait plaisir d'inviter notre président du conseil, M. Martin, à aborder le sujet du groupement d'achats.

M. Martin (Jacques): A quelques occasions, dans le passé, il y a eu des groupements d'achats pour des titres, mais ça s'est limité à certains titres et dans des cas très limités.

Le commerce du livre est quand même très différent des autres genres de commerces. Dans le regroupement d'achats, il n'y a pas d'avantage évident, dans la situation actuelle, — je dis dans la situation actuelle, je reviendrai peut-être plus tard pour une situation future — à grouper des achats, parce qu'il n'y a à peu près pas de remise supplémentaire pour des achats considérables. (18 h 30)

Vous n'avez pas la même situation que dans d'autres commerces. Je fais partie personnellement d'un groupement d'achats en papeterie; mais, dans la papeterie, on peut négocier parce qu'on peut changer de fournisseur. Dans le livre, on ne peut pas changer d'éditeur. Tel titre est édité chez tel éditeur et est distribué par tel distributeur et on ne peut pas l'acheter ailleurs. Cela nous met dans une position de marchandage très difficile.

Les distributeurs, les éditeurs, bien entendu, sont dans ce marché-là et suivent les normes du marché. Il existe, en France, un groupement de libraires assez puissant qui ont regroupé des services et le groupement d'achats a été pour eux une toute dernière préoccupation. Cela fait, je crois, 17 ans que le groupement existe et ils n'ont pas encore touché au groupement d'achats parce que cela ne leur apportait aucune amélioration dans leur condition. Le seul point de groupement d'achats qui peut être intéressant, c'est le groupement d'achats pour les petits éditeurs, en fait un service de dépannage embryonnaire qu'on a commencé il y a un an, mais qui pourrait être amélioré.

Il y a peut-être 500 à 600 éditeurs chez qui chacun des libraires commande une ou deux fois

par année, mais si on regroupe les commandes de cinquante et soixante libraires, on peut peut-être, à un moment-donné, arriver à des commandes plus importantes chez ces petits éditeurs-là. Les libraires français ont le même problème que nous autres. Ils n'ont pas encore jugé bon de toucher au groupement d'achats.

Dans l'avenir, il est possible qu'il soit différent, surtout avec l'apparition du prix de cession, en France. Le prix de cession, en France, est en fait un prix de base sous lequel l'éditeur peut aller et sous lequel il peut aller selon l'importance de son interlocuteur, de son client. On voit actuellement que des maisons d'édition offrent des prix de cession nets pour certaines catégories de libraires, moins 10%, moins 20%, moins 31% même sur un prix de cession, mais dépendant de l'importance du libraire. Là, on va peut-être voir apparaître l'intérêt pour des libraires de se regrouper pour arriver à des commandes globales, mais on fait affaires au Québec à une situation un peu particulière de par l'existence des distributeurs exclusifs qui mettent à notre disposition les stocks des maisons d'édition françaises. Les maisons d'édition françaises, par l'entremise de leur distributeur exclusif, vont-elles appliquer des politiques commerciales semblables à celles qu'elles semblent vouloir pratiquer en France? Peut-être, on ne le sait pas. Mais il reste évident qu'il est important que les libraires se regroupent, mais pour des services.

Le service des transports, c'est déjà connu par l'ACDL. Il y a un avantage direct à se regrouper pour le transport, aussi bien pour le transport d'importation de l'étranger que pour le transport à l'intérieur du Québec. Il y a également d'autres services qui peuvent être développés et il est dans l'intention de l'ACDL, à travers un réorganisation juridique de l'ACDL, en accordant peut-être à l'ACDL une situation financière structurée, mieux structurée, d'offrir d'autres services comme, par exemple, les services d'intérêts financiers, de groupement de paiements; des services d'informatique, de mettre au service des libraires des programmes conjoints de traitement de données pour l'analyse de leurs ventes, l'analyse de leurs coûts; des services de marketing aussi qui pourraient aller jusqu'à des programmes conjoints de publicité; également des services de recherche bibliographique, d'inscription à même un ordinateur, d'inscriptions bibliographiques pour l'édition québécoise, pour l'édition française, étrangère, et des services de relation avec les éditeurs; transiger avec des éditeurs, avec des distributeurs en groupe pour régler des problèmes de portée commerciale.

Il y a énormément de travail à faire là-dessus et on peut assurer M. le ministre que les efforts qui seront fournis pour permettre aux libraires de rentabiliser leurs commerces, nous sommes très heureux des efforts que le ministère a faits et nous pouvons lui assurer que de notre côté nous ferons des efforts pour rentabiliser aussi nos commerces de librairies.

M. Vaugeois: D'accord. Je vous remercie, j'ai trouvé cela pour ma part, en tout cas, très éclairant. J'ai eu une explication quant à votre information sur la France.

M. Rivest: M. le ministre, si vous le permettez. De la façon dont vous avez posé la question, j'ai vu presque une incitation à créer une centrale quelconque des achats.

M. Vaugeois: Non, mais puisque le problème...

M. Rivest: Vous aviez l'air pas mal enthousiaste.

M. Vaugeois: Puisque le problème a été soulevé hier, vous me faites penser que je pourrais poser une question à la suite de tout cela. Je pourrais... Je vais la poser.

M. Rivest: II est tard, M. le ministre.

M. Vaugeois: Oui, mais c'est important parce qu'il y a une situation nouvelle créée en France actuellement et c'est tellement important pour nous le livre français. Au début, quand le prix net a été annoncé, je comprenais que le prix net allait être un prix uniforme et obligatoire pour tout le monde. Je trouvais cela intelligent. Je me disais: c'est plein de bon sens. Tout le monde paie le livre le même prix et si la FNAC veut faire des prouesses dans sa mise en marché, tant mieux, si elle veut faire des économies d'échelles, tant mieux, mais quand elle donnera un escompte de 20%, elle le prendra sur sa marge. Le petit libraire à côté, il fera ce qu'il voudra sauf que, finalement, ce n'est pas cela. Vous venez de me le confirmer à la suite des enquêtes que vous avez pu faire. C'est qu'on peut s'attendre à ce que le prix net puisse varier, puisse faire l'objet de "surremise", de quantité, de service, Dieu sait quoi, d'amitié, de voisinage. On peut donc s'attendre à ce que nos distributeurs qui ont été négligents par le passé et qui, semble-t-il, payaient allègrement le prix qu'on leur demandait en se disant qu'ils avaient toujours la tabelle pour se rattraper, ce dont je doute, d'ailleurs...

M. Rivest: Et se rattraper.

M. Vaugeois: Non. Qu'ils n'aient pas négocié les conditions qu'ils ne nous ont jamais avouées. Je me dis qu'actuellement, s'ils ne le font pas, là cela va être haro sur le baudet.

M. Rivest: C'est de la projection, n'est-ce pas, M. le ministre?

M. Vaugeois: Oui. Je suis certain que vous allez le faire. Je suis certain que vous et d'autres, devant le prix net, vous allez vous dire: Un instant, le service, on le donne. La publicité, on la fait. Les quantités sont là. C'est 12,5% du total des exportations françaises qui viennent ici. C'est quand

même quelque chose. C'est un marché énorme que nous représentons pour le livre français, je pense que c'est de l'ordre de $98 millions actuellement qui vont à l'exportation. De toute façon, c'est important, et le distributeur ici là est vraiment en situation pour aller chercher ses "surremises". Un regroupement de libraires qui ne se justifiait peut-être pas antérieurement pourrait se justifier maintenant parce que la "surremise" va donc être consacrée et les libraires en France, on peut s'attendre à ce qu'au-delà des services qu'ils se sont donnés, que vous venez de nous expliquer, songent peut-être à se négocier des achats de quantités pour profiter de "surremises". Là la question vient après tout ce long commentaire. Si on proposait à l'ACDL d'étudier la possibilité — en tant que regroupement de libraires — d'ajouter un volet, celui de l'achat regroupé pour profiter de la "surremise", est-ce que l'ACDL accepterait d'étudier une telle proposition?

M. Martin: M. le ministre, on ne voudrait pas, sûrement pas, nous tenter de court-circuiter. C'est pour cela que je mentionnais qu'il y a un point d'interrogation dans tout ce marché, c'est l'impact que va avoir cette politique du prix net en France ici au Québec. Est-ce que les éditeurs français vont appliquer une politique commerciale semblable ici au Québec?

On nous dit que les éditeurs français vont avoir des catalogues de vente pour l'exportation avec un prix indiqué. Il ne faudrait pas qu'on soit en position de comparer le prix qu'on serait obligé de payer ici par une distribution exclusive au prix qu'on pourrait aller chercher par une méthode de "surremise" directe en France. Actuellement, on compare un prix français avec une remise sur un prix français et un prix canadien avec une remise sur le prix canadien, mais on n'a aucun pouvoir et, avant le 1er juillet, il n'y avait aucune possibilité ou à peu près pas d'avoir de "surremise" sur les prix français. C'étaient quelques pourcentages. Mais si on va dans certaines catégories, comme on en a vu chez un éditeur, à 31%, 31.5% de moins du prix de cession, si cela ne se reflète pas dans les livres distribués ici, on va se mettre à comparer des prix joliment différents.

Une Voix: ...

M. Martin: Je pense que ce n'est pas nécessaire de le dire. On pourrait vous donner la photocopie, c'est une politique commerciale. On pourrait donner la photocopie de la politique commerciale de la maison, mais il y a cinq ou six catégories de livres et toutes sortes de catégories de remises. On ne se retrouve à peu près pas dans ce genre là. Le nom m'échappe, mais cela pourrait vous être communiqué.

M. Vaugeois: Je vais vous laisser repenser à tout cela. Autrement dit, le volume que vous transportez sur l'Atlantique, j'entends le poids, qui est actuellement assez considérable sans doute, vous dites que c'est un des services que vous offrez... On peut se demander, si on est distributeur surtout, quels livres vous pouvez bien transporter. Au fond, cela devrait être des livres pour lesquels, normalement, il n'y a pas de distributeur ici, encore que vous fermiez les yeux là-dessus, vous ne demandez pas ce qu'il y a dans les colis. Je ne vous chicane pas là-dessus. Oui, allez-y.

M. Martin: Juste un point, M. le ministre. On transporte pour beaucoup de distributeurs. Alors, il y a beaucoup de livres qu'on transporte qui font le poids ou le volume, mais qui sont des livres importés par les distributeurs.

M. Vaugeois: D'accord. Alors, la différence c'est que, même si on ne vous suggérait pas de vous transformer en centrale, s'il y avait des abus évidents dans la façon de répercuter les "surremises" sur le prix ici, on pourrait s'attendre que, dans ce que vous transportez sur l'Atlantique, il y ait de plus en plus d'ouvrages, de commandes destinés à des regroupements de libraires ou à des libraires individuels. Autrement dit, quand on voit les distributeurs exclusifs se faire contourner par des libraires, c'est que, généralement, d'après vous, je vous pose la question, le libraire considère que c'est avantageux pour lui, soit parce qu'il n'a pas les livres autrement, soit parce qu'il a de meilleures conditions de remises.

M. Choquette: M. le ministre, il y a deux genres d'importations. Il y a les petites quantités ou les commandes à l'unité. Si le libraire les commande par notre entremise, par le service de dépannage, 80% sont des livres qui ne sont pas disponibles au Québec. Ce sont des commandes spéciales de bibliothèques. Là-dedans se glissent des livres qui peuvent, théoriquement, être disponibles au Québec. Si le libraire fait appel au service de l'ACDL pour placer sa commande en Europe pour des titres comme cela, nous passons par des commissionnaires. Il y a deux ou trois intermédiaires. Le livre revient par avion, ce qui veut dire que le livre revient au libraire à un coût supérieur à ce qu'il aurait été s'il l'avait acheté localement. Donc, s'il a pris la peine de le faire venir par ce circuit, c'était pour remplir une commande, c'était pour remplir un rôle. C'est une chose.

L'autre genre, c'est la commande qui est placée directement par les distributeurs ou les libraires. Il y a des distributeurs qui sont aussi libraires, qui placent aussi des commandes en Europe directement et qui demandent tout simplement que ce soit livré par le groupage ACDL. Tous ces livres, nous les groupons soit par avion, soit par bateau. Nous avons un service confidentiel de dédouanement, et tout cela. Nous avons des personnes à l'ACDL qui sont tout à fait au courant de ce qui est transporté, comme n'importe quel courtier en douane est au courant de ce que vous dédouanez, si vous importez de Chine ou d'ailleurs. (18 h 45)

Nous pouvons — c'est d'ailleurs un service tout à fait confidentiel, qui est même ultraconfidentiel à l'intérieur de la maison — voir facilement quels fonds sont court-circuités et quels autres ne le sont à peu près jamais. Ce sont toujours les mêmes qui sont court-circuités. Que le libraire vienne d'une extrémité ou de l'autre de la province ou de Montréal, ce sont les mêmes fonds qui sont court-circuités. Je pense que c'est symptomatique d'une situation. Il y a des fonds qui ne sont jamais court-circuités, ce qui veut dire — j'en conclus, même si je suis tout nouveau dans l'ACDL — qu'il y a des fonds qui sont très bien servis au Québec, et à des prix raisonnables. Il n'y a aucun avantage pour les libraires de court-circuiter.

M. Vaugeois: Merci, M. Choquette. Vous venez de nous apporter là un point de vue extrêmement intéressant. J'aurais encore trois petites questions ou trois petites réponses. A la page 10, vous posez une question: Comment peut-il se procurer des volumes qui n'ont pas de distributeur au Québec et au Canada, ou dont le distributeur local n'est ni Québécois, ni Canadien? C'est à cet égard le statu quo. On m'a référé dans le règlement, ou en tout cas, il y a quelque part un règlement qui prévoit la chose. C'est comme avant. Quand il n'y en a pas... Cela a changé de "bag"... En tout cas, c'est comme avant. Cela répond à votre question. C'est écrit dans un des projets de règlement.

Le deuxième point, vous insistez au bas de la page 11 sur ce service d'information et de recherche pour lequel vous avez reçu... Oui?

M. Choquette: M. le ministre, je m'excuse. Si vous revenez à la question précédente, cela peut permettre aux libraires de s'approvisionner ailleurs et directement s'il n'y a pas de distributeur local. Quand il y a un distributeur canadien ou local, le libraire qui n'est pas soumis à cette obligation, peut tout à fait court-circuiter, et vous n'avez aucune mainmise dessus.

M. Vaugeois: D'accord.

M. Choquette: A ce moment, ce libraire qui présentement n'existe pas peut-être ou existe très peu... ces points de vente ou d'autres, cela peut se développer et faire une concurrence très forte aux libraires agréés. Ce qui veut dire que le court-circuitage serait permis pour un certain groupe et ne serait pas permis pour ceux qui sont agréés.

M. Vaugeois: Oui. C'est pour cela qu'il faut que tout le monde se discipline. Autrement, il y a des abus. Vous avez dit vous-même précédemment que les abus, vous les constatez quand d'autres abusent. Alors, il faut éliminer les abus autant que possible un peut partout. C'est l'article 13a du règlement no 4 qui rappelle le statu quo, dans le cas de commandes qui ne peuvent pas être fournies, ni remplies par des distributeurs agréés ou pas, agréables ou pas.

A la page 11, l'ACDL offre des services d'information et de recherche. Cela a fait l'objet d'une petite subvention spécifique du ministère. J'aimerais profiter de la circonstance pour vous demander si vous avez des statistiques sur les demandes ou si, à ce moment, vous dites qu'il y en a beaucoup, que c'est un service populaire. Est-ce que vous pouvez être plus spécifique?

M. Choquette: J'ai confié à M. Marc Saint-Jean la mise en marche de ce service. Je demanderais, s'il vous plaît, de...

M. Saint-Jean (Marc): Actuellement, j'ai une commande de 2000 volumes en Europe en attente. Cela date d'à peu près deux mois. Je pourrais dire qu'on aurait à peu près 1000 demandes par mois. Il ne faut pas oublier aussi, même si le ministre a des règlements, surtout pour la profession, que nous sommes obligés de traiter les commandes d'une façon absolument surprenante pour autant. Je comprends très bien que le petit libraire qui a besoin de livres parce qu'il y a une université dans sa ville qui lui demande souvent des livres, s'il fait venir un livre pour une commande venant d'Abidjan ou de Turquie ou de la Roumanie ou de l'Université de Lyon, il y a le titre qui est à peu près, l'auteur qu'il faut corriger souvent, et la maison d'édition, c'est assez rare qu'elle soit exacte. Il faut commencer par cela, et ensuite, il faut s'adresser si l'on peut directement ou en passant par un commissionnaire, ce qui demande beaucoup de travail. Je peux dire qu'on pourrait avoir à peu près 1000 demandes par mois qui nous viennent d'à peu près tous nos membres et qui nous viennent même d'autres personnes que nos membres. Quand vous parlez des demandes des universités, nous avons beaucoup de demandes de libraires, et on s'aperçoit bien que ce sont des livres qui sont demandés par les universités, que ces universités ne peuvent pas trouver au Québec. C'est pour cela qu'elles s'adressent à nous pour les trouver.

M. Vaugeois: D'accord. Je vous remercie de ces précisions. Je prends votre conclusion pour conclure. Ce projet veut rétablir les responsabilités du ministre à l'égard d'une politique de développement de l'industrie culturelle.

Le ministre, à mon avis, devrait devenir beaucoup plus un chien de garde pour s'assurer que ce qui a été convenu entre les différents professionnels concernés est appliqué, mais, dans mon esprit, ce projet de loi renvoie à la profession l'ordre qui devrait régner, la responsabilité même de l'ordre qui devrait régner.

Il y aura un comité ou un conseil supérieur du livre et de la lecture mis en place. Je pense que ce conseil aura un rôle à jouer. Pour ma part, ce que je souhaite, c'est que les responsabilités du ministre en la matière se réduisent à presque rien, sinon à rien; ce serait la démonstration que la profession s'est disciplinée et que chacun fait le travail qu'il choisit de faire.

Le Président (M. Blank): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Une question... J'ai un problème plus compliqué que celui du ministre. Evidemment, on va poser plusieurs questions et la plupart des dimensions reviennent. Mais le ministre pose les questions avant moi et, comme il connaît très bien le domaine, il en pose beaucoup et il me vole mes questions.

Moi, j'en aurais seulement une pour obtenir une précision. Enfin, si vous pouviez étayer davantage ce que vous dites à la page 9. Heureusement, le ministre est passé par-dessus. Vous dites: "II faudrait, dans ce cas, que les marges brutes consenties aux libraires — c'est une crainte, au fond, que vous exprimez — soient acceptables et que les conditions imposées par l'agrément ne soient pas trop onéreuses."

Qu'est-ce que vous visez — je comprends ce que ça recherche — mais qu'est-ce que vous craignez, finalement, par une telle affirmation?

M. Martin: En fait, dans le projet de loi, il y a des affaires qu'on a sues depuis qu'on est ici, mais on ne savait pas ce que le gouvernement voulait dire quand il disait: On va fixer des normes, on va fixer des barèmes, etc. D'après nous, l'intention du gouvernement de fixer certaines normes, certains barèmes, c'est parce qu'il est le client, de par le règlement no 4. Il veut bien que le prix qu'il va payer soit acceptable. On dit que, dans ce cas, il faudrait que les marges brutes consenties aux libraires soient acceptables. On se demande, ou on se demandait, quand le gouvernement, dans l'article 4 du projet de loi, dit qu'il y a des normes qui vont être appliquées, les normes, c'est le prix de vente, la remise aux libraires, etc., si la remise sera acceptable. On ne le sait pas. On le souhaite, tout simplement.

Quand on parle de la section 4 de l'avant-projet de règlement 4, c'est la question de la facturation. On remarque quand même une amélioration par rapport à l'ancienne loi. Dans l'ancienne loi, on disait que le libraire devrait facturer de telle façon, tandis que, dans I avant-projet, on dit que l'institution peut exiger... Si vous lisez ces points, vous verrez que ça demande de l'information. Il y a énormément d'information qu'il faut donner sur la facturation et, comme on vend des livres qui sont aussi en tablettes, on ne vend pas seulement des commandes spécifiques, on reçoit des livres qui sont aussi en tablettes, il faut, pour chacun des livres, inscrire toutes les informations qu'on nous demande là, pour que, quand arrive la livraison à l'institution, on soit en mesure d'inscrire sur la facture toutes les informations. Cela nous demande... Cela nous apparaît très onéreux, par exemple, d'indiquer le prix de catalogue étranger du livre, la collection, la marge ajoutée au prix net, ensuite, le prix net, le prix de cession et ces choses-là.

Je ne sais pas si, dans le mémoire de l'association des libraires, cela a été mentionné, mais je pense qu'il serait très avantageux, aussi bien pour le ministère que pour les libraires, que des rencontres aient lieu entre les libraires et le service du ministère pour établir quelles sont les informations qui doivent être inscrites sur les livres et sur la facturation. C'est ce qu'on veut dire par onéreux.

M. Choquette: M. le Président, il semblerait que ces choses-là aient été écrites par quelqu'un qui est tout à fait au courant des derniers développements de l'informatique et du "tele-ordering" dans le domaine du livre, tel qu'on a commencé à le pratiquer en Angleterre et dans d'autres pays.

En fait, tous ces renseignements qui sont extrêmement onéreux et difficiles à mettre sur les factures, avec les nouveaux systèmes d'ordinateurs un simple coup de crayon à lecture optique vous écrit tout cela et vous fait votre inventaire perpétuel et tout le reste.

Cela me ramène à la question du groupement d'achats ou des achats groupés. Dans un autre angle, les groupements d'achats ont toujours créé une certaine crainte chez les éditeurs. Le groupement des achats, à la demande, ou le "tele-ordering" qui a été mis en pratique, si vous voulez, avec des inconvénients entre les libraires britanniques et les éditeurs britanniques et qui s'en vient aux Etats-Unis et dans certains pays, pour les éditeurs québécois en particulier, et pour toute la littérature française, — mais avec des systèmes d'ordinateurs, — peut accélérer le mouvement des livres à des coûts extrêmement réduits.

Les libraires, à travers la province, vous avez déjà fait un premier pas dans ce sens en subventionnant les appels téléphoniques. Il y a encore possibilité... je passe mes samedis, ou à peu près, dans les librairies un peu partout pour voir les demandes des clients, les réponses que les libraires sont obligés de donner et les points d'interrogation qu'ils se posent.

Avec tout cela, je pense que dans l'avenir, — et dans un avenir très immédiat, — il faudra que les libraires s'équipent, et c'est très onéreux au Québec, mais cela pourra réduire les coûts et faciliter les approvisionnements. Ce sera à l'avantage des éditeurs, à ce moment-là, qu'il y ait une centrale d'approvisionnement ou un "clearing house" pour les commandes des libraires.

M. Vaugeois: Je ne sais pas si certains d'entre vous avez lu le journal Le Devoir il y a quinze jours ou trois semaines. Il y avait dans le cahier littéraire du Devoir un billet qui rappelait les façons extrêmement pittoresques que certains clients ont de demander leur livre. Si ce papier du Devoir vous a échappé, je vous le signale, c'est absolument savoureux. On demande un livre.

Le Président (M. Blank): ... Merci, M. le ministre.

Une Voix: Quel auteur?

M. Vaugeois: Vert.

Le Président (M. Blank): Je pense qu'avec ce mémoire nous terminons la séance. J'ai déjà reçu le dépôt du mémoire sur les activités de McGraw-Hill et de celui du Syndicat national de l'édition. Je remercie M. Choquette ainsi que ses collègues.

La commission ajourne ses travaux sine die.

Fin de la séance à 18 h 58

ANNEXE I

Mémoire sur les activités au Québec de McGraw-Hill,

éditeurs son apport à la culture québécoise et à son économie

A -Le statut actuel de McGraw-Hill éditeurs

1- Notre position dans l'industrie de l'édition au Québec

McGraw-Hill Editeurs est présent au Québec depuis 1965, année de la publication de ses deux premiers ouvrages en langue française.

Son personnel est composé entièrement de québécois francophones et son rôle est de publier des manuels scolaires et autre matériel didactique en langue française pour les besoins spécifiques des institutions d'enseignement au Québec.

Nous sommes devenus, depuis 1965, un des plus importants éditeurs au Québec, surtout grâce à notre spécialisation dans les secteurs de l'enseignement professionnel et post-secondaire.

Avant notre arrivée sur la scène québécoise en 1965, il existait peu d'ouvrages spécialisés, en langue française, correspondant spécifiquement aux besoins du marché.

Nous avons lancé à ce moment un programme d'édition qui demeure toujours en vigueur. Ce programme vise à offrir aux étudiants en enseignement professionnel et à ceux du post-secondaire, les ouvrages en langue française les plus à jour et de la plus haute qualité. En fait, nous avons publié au moins un livre en français pour chaque spécialité majeure en enseignement professionnel. Au cours des années, nous avons révisé ces ouvrages régulièrement et sommes en train de publier de nouvelles éditions, conformes au Système international d'unités, de tous les titres actifs de notre fonds.

De plus, depuis quelques années nous avons développé activement notre fonds d'édition au niveau post-secondaire en publiant des ouvrages d'auteurs québécois et des traductions adaptées. Ce fonds d'édition est maintenant riche en ouvrages traitant de management et de sciences.

La totalité de nos traductions adaptées sont réalisées au Québec et toute notre production est faite au Québec. De plus, nous demandons toujours du papier fabriqué au Québec que nous utilisons dans tous les cas où le papier requis est disponible.

2- Nos ventes par secteur d'enseignement

A) Environ 17% de notre chiffre d'affaires provient de la vente de livres de langue anglaise aux institutions post-secondaires.

B) Ventes d'ouvrages de langue française. Le secteur élémentaire représente 8% des ventes, principalement les sciences de la nature (Elementary Science Study) et le testing developmental, Frostig "Images et modèles". Frostig, Maslow "Jeux et mouvements" et P.H. Ruel et G. Collard "Epreuve de performance fonctionnelle en lecture".

Seulement 4% de ces ventes proviennent du secteur secondaire général et sont concentrées en sciences: (Magnin "Ecologie", Miron "Etudie ton milieu") et en anglais langue seconde: (N.C.T.E. "English For Today").

Cependant 58% de nos ventes se situent dans le secteur de l'enseignement professionnel au niveau secondaire et couvrent toutes les spécialités. En enseignement technique: Crouse "Mécanique automobile", Grob "L'électronique", Jensen "Dessin industriel", Groneman "La menuiserie", Pender "Le soudage", etc. En enseignement commercial: Soeur Marie-Ernestine "La collection de sténographie Gregg", Jean et Thérèse Laperle "La collection de dactylographie moderne", Françoise Genest "Le travail de bureau", A. Clas et P. Horguelin "Le français langue des affaires", Audy & Myrand "Exploration commerciale", Bérubé "L'informatique", Laflamme-Renaud "La technique comptable", etc. Sans aucun doute, nous sommes les plus importants éditeurs d'ouvrages d'enseignement professionnel au Québec. Finalement 30% de nos ventes de produits de langue française proviennent du niveau postsecondaire, tout spécialement en management: Pierre Laurin "Le management", Meigs & Sylvain "La comptabilité", N. Khoury "L'administration", Darmon "Le marketing" etc. et en sciences: "La collection Schaum", Vander "La physiologie humaine", Hurlock "La psychologie du développement", Morgan "Introduction à la psychologie", etc.

C) Ventes d'ouvrages de langue anglaise. Environ 50% viennent du secteur élémentaire et secondaire anglophone du Québec et 50% des cours de niveau plus avancé des cégeps et universités de langue française.

Les ventes d'ouvrages en langue anglaise de ce dernier groupe diminueront en fonction des publications en langue française qui, nous le souhaitons, seront de plus en plus nombreuses. Il nous faut cependant, dans chaque cas, faire une étude de rentabilité et s'assurer que l'ouvrage en langue française ne sera pas offert à un prix prohibitif.

3- Notre programme d'édition

a) Depuis 1965, nous avons publié près de 300 titres en langue française dont plus de 100 écrits par des auteurs québécois. Les autres sont des traductions d'ouvrages américains et canadiens qui ont été adaptés au contexte québécois. b) La grande majorité de ces ouvrages se situent dans le secteur de l'enseignement professionnel et ceci est reflété par les ventes: plus de la moitié des ventes totales proviennent de ce secteur. c) Droits d'auteur — En 1977, nous avons payé $92 828 à des auteurs québécois. En 1978, ce montant était de $126 875, une augmentation de 36.7%. d) Production — En 1977, nous avons payé $528 919 à des fournisseurs québécois de typographie, imprimerie, reliure, etc. En 1978, le montant était de $719 337, une augmentation de $190 418 ou 36%.

4- Notre personnel

(i) Notre personnel en 1979 est composé de 17 employés, tous francophones québécois: éditeurs, réviseurs, spécialistes en arts graphiques et spécialistes en marketing.

(ii) Nous avons payé des salaires de $280 897 en 1978, sur un budget opérationnel de $504 097.

(iii) De plus, nous créons de nombreux autres emplois à l'extérieur de notre Société: —en traduction —en conception de design artistique —en composition et arts graphiques —en imprimerie et en reliure.

Il est généralement convenu que, dans l'industrie de l'imprimerie par exemple, à chaque investissement de $60 000 correspond la création d'un emploi.

B -La propriété de McGraw-Hill éditeurs

1. Nous sommes une succursale de McGraw-Hill Ryerson Limited dont le siège social est à Scarborough, en Ontario. Nous sommes la division de langue française de cette dernière. 2. McGraw-Hill Ryerson Limited est une filiale de McGraw-Hill International Book Company et est cotée en Bourse de Toronto, où 30% de ses actions sont détenues par des canadiens. McGraw-Hill International Book Company est membre de la grande famille de sociétés, oeuvrant dans les divers secteurs de l'information, filiales à leur tour de McGraw-Hill Inc., qui a son siège à New York, N.Y. 3. Il y a de nombreux avantages à appartenir à la famille de McGraw-Hill:

(a) Accès au financement.

(b) Accès au fonds d'édition pour la traduction et l'adaptation.

(c) Accès à la recherche et au développement.

(d) Accès à l'expertise et à l'aide technique.

(e) Mais surtout, l'accès aux marchés francophones à l'extérieur du Québec, ouvrant des possibilités d'exportation pour nos auteurs québécois et pour les ouvrages produits au Québec.

(f) Tout ceci élargit les horizons d'emploi de notre personnel.

C - Les problèmes auxquels nous devons faire face

Plusieurs de ces problèmes touchent la plupart des éditeurs au Québec et ont été soulevés à la Conférence socio-économique sur les industries culturelles; donc, nous nous contenterons de les énumérer: 1 - Le marché restreint et son taux élevé de décroissance. 2- Certaines difficultés dans les communications avec le ministère de l'Education et le temps parfois requis pour recevoir l'agrément d'un ouvrage. 3- Le manque d'organismes publics de recherche dans le domaine du matériel didactique et l'accès qu'ont les éditeurs à ces ressources. 4- Les nouvelles technologies servant à copier et à emmagasiner l'information. 5- L'escalade des coûts de fabrication. 6- La politique du Livre qui date de 1972 et fait du Québec un des rares marchés majeurs au monde où l'éditeur ne sait pas où et à qui ses ouvrages sont vendus, à cause de l'intermédiaire du libraire agréé. Il est donc très difficile d'appliquer les techniques contemporaines du marketing. 7- Le syndrome des exemplaires gratuits où chaque enseignant au Québec croit que l'éditeur devrait lui fournir un exemplaire de chaque ouvrage qui touche de près ou de loin sa discipline. Ce fait doit être considéré en fixant le prix de vente du livre, le rendant encore plus élevé.

8- Le bas niveau d'investissement, per capita, aux niveaux élémentaire et secondaire, dans le manuel scolaire. En ce moment, dans les meilleures circonstances, 20 exemplaires d'un livre sont utilisés par 4 ou 5 groupes de 30 élèves chacun.

D - Un énoncé de nos politiques

1. Nos plans d'édition sont depuis 1977 et pour l'avenir, du moins à moyen terme, de concentrer nos efforts et notre investissement sur la production d'ouvrages en langue française pour les niveaux collégial et universitaire. Concurremment, nous continuerons à reviser et à publier des ouvrages qui viendront s'ajouter à ceux déjà publiés en grand nombre dans le secteur de l'enseignement professionnel. 2. En même temps, puisque les livres spécialisés et universitaires sont les plus facilement exportables, nous maintiendrons nos efforts d'exportation des ouvrages de production québécoise dans toute la francophonie par le biais des filiales de McGraw-Hill International Book Compagny à travers le monde. McGraw-Hill Editeurs est devenu le centre de l'édition française de cette famille internationale et les ventes en exportation ont augmenté sensiblement depuis quelques années. 3. Il y a un certain climat nécessaire à la mise en oeuvre de ces plans: nous ne demandons aucune forme de subvention ni d'aide financière. Cependant, nous devons avoir l'assurance du gouvernement du Québec que les livres et autre matériel didactique ne seront choisis et achetés qu'en fonction de leur valeur pédagogique et économique.

E - Recommandations 1. Une amélioration des communications entre les divers ministères du gouvernement et les éditeurs comme nous, qui ne pouvons être membres à part entière d'associations qui ont des règles de propriété québécoise qui nous excluent, ou comme d'autres éditeurs qui choisissent de ne pas devenir membres d'associations pour d'autres raisons.

Le souci de traitement équitable et de bon management suggère que tous ceux de qui l'on attend une contribution à la culture et à l'éducation soient tenus informés:

A) des développements pédagogiques et des délais d'implantation qui allouent une période raisonnable de recherches et de développement.

B) des contenus spécifiques des programmes, ce qui améliore les chances que le matériel publié soit conforme aux besoins.

C) du processus d'évaluation et d'approbation des manuels et autre matériel didactique; du délai qui peut raisonnablement précéder une décision concernant l'agrément. Si un ouvrage est rejeté que l'on reçoive une copie d'au moins une évaluation pour pouvoir déterminer où se trouve notre erreur et avoir l'opportunité d'améliorer notre produit. 2. Si une "industrie" gouvernementale telle la Direction générale des moyens de l'Enseignement accomplit un travail de recherche en éducation, pourquoi ne pas partager les idées développées avec les éditeurs commerciaux qui pourraient alors vraisemblablement améliorer leur produit? 3. Nous recommandons un plan d'achat de livres similaire au "Book Purchase Plan" de l'Ontario. Sous ce plan, un exemplaire de chaque livre agréé apparaissant à la Circulaire 14 est offert gratuitement à chaque école. Ceci diminue le nombre d'exemplaires gratuits à distribuer et éventuellement réduit les coûts, ce qui se reflète inévitablement dans le prix du produit.

F - Conclusion

Nous, de McGraw-Hill Editeurs, croyons fermement que nous contribuons autant que tous les autres québécois oeuvrant dans le secteur culturel au bien-être économique et à la culture du Québec.

En fait, à cause des politiques éclairées de McGraw-Hill fondées sur une longue expérience en édition éducative d'avant-garde, nous avons pu apporter une contribution plus grande que nous aurions pu le faire dans d'autres circonstances.

Le fait que nous ayons publié les oeuvres de plus de 100 auteurs québécois et produit près de 300 ouvrages de langue française, tous entièrement au Québec, est sûrement une preuve tangible de notre engagement à la cause de l'édition québécoise.

Nous croyons avoir de fort liens de communauté d'intérêts avec les éditeurs de manuels scolaires du Québec, sans considération de leur propriété. De par notre expérience, nous pouvons affirmer avec assurance que la nationalité des actionnaires d'une maison d'édition n'a aucun effet sur le contenu du livre qu'elle publie. L'accueil réservé au contenu par les clients est le plus juste des arbitres et nos clients sont tous québécois.

Nous sommes reconnaissants des avantages que nous avons en tant que membre d'une grande société internationale et de la liberté d'action dont nous jouissons en tant qu'éditeurs québécois.

Nous, de McGraw-Hill Editeurs, sommes optimistes concernant les possibilités qui s'offrent au Québec, qui nous permettront de continuer d'augmenter notre investissement sur le territoire du

Québec. De cette façon, nous pourrons continuer à faire bénéficier l'économie tout en apportant une contribution culturelle en offrant des ouvrages en langue française dans nos champs de spécialisation qui sont l'enseignement professionnel et post-secondaire.

Et à cause de cette orientation, nous sommes également optimistes face à la montée d'intérêt international observée l'an passé pour nos ouvrages réalisés au Québec. Nous croyons que c'est là où réside l'avenir le plus prometteur.

ANNEXE II

Mémoire du Syndicat national de l'édition

Le projet de loi n° 51 sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre et les premiers projets de règlement qui en détaillent les modalités d'application ont été étudiés de manière approfondie par les organismes dirigeants du Syndicat National de l'Edition.

Les dispositions de ces projets nous suggèrent un certain nombre de réflexions que nous tenons à porter à votre connaissance, tant elles nous paraissent importantes pour le commerce du livre en général, comme pour le développement de la collaboration franco-québécoise.

I)

II n'y a pas d'exemple, en dehors des pays à régime socialiste, que la fourniture des livres étrangers aux établissements publics soit réservée aux seules entreprises dont les nationaux sont propriétaires.

S'agit-il de la France? le livre anglais est vendu à Paris par la librairie W.H. Smith, le livre américain par la librairie Brentano, le livre allemand par la librairie Flinker, etc.. Il en est de même dans tous les pays occidentaux.

Quant aux éditeurs proprement dits, des éditions canadiennes installées en France ne se sont vu objecter aucune condition de francisation et de nombreuses firmes américaines, espagnoles ou allemandes sont propriétaires de firmes éditoriales ou de réseaux de distribution dans ce pays comme dans d'autres.

Il n'a jamais été considéré comme favorable, en effet, pour l'édition et pour la librairie, de s'abriter derrière une protection corporatiste: jamais celle-ci n'a été facteur de création. Or c'est bien la création littéraire que le gouvernement québécois cherche à encourager puisque le manuel scolaire est hors de cause. N'y a-t-il pas quelque paradoxe, dans une société libérale, d'affirmer son respect pour la liberté d'expression et contre toutes les censures, tout en réservant l'accès d'un marché important à une catégorie privilégiée de distributeurs?

Ce projet de loi créé un précédent redoutable dans le monde entier, puisqu'il introduit des restrictions dont certains gouvernements n'ont pas osé prendre l'initiative jusqu'ici. Le précédent du Québec risquera d'être utilisé en particulier dans les pays en voie de développement et l'on assistera alors à une réelle régression du commerce international du livre et en particulier du commerce du livre francophone, régression dont l'édition québécoise serait une des premières victimes.

Qu'il y ait un agrément technique, fondé sur des critères de service, que le contrôle de l'emploi des fonds publics soit strict, nous ne trouvons rien à y redire, au contraire. Plus la qualité des prestations s'accroît, plus le livre a de chances de voir son audience s'élargir. Mais, au nom de la défense du Patrimoine National, restreindre la concurrence, facteur de progrès et d'émulation, c'est probablement inciter des non professionnels à créer des entreprises plus ou moins qualifiées pour bénéficier de la manne publique, c'est risquer de conduire les milieux du livre à un engourdissement mâtiné d'autosatisfaction.

Il y a une autre conséquence que les professionnels ne paraissent pas avoir envisagée: c'est que, par le biais d'un agrément fondé sur des critères de nationalité et non uniquement technique, la voie est ouverte vers le monopole d'une centrale d'achat, aboutissement logique de tous les arguments sous-jacents dans le texte du projet de loi.

Il existe d'autres dangers professionnels dans le projet de loi n° 51. Non seulement les actionnaires, mais les dirigeants doivent être canadiens. C'est se priver de la compétence des cadres techniques étrangers à des niveaux essentiels, car la notion de "dirigeant" est singulièrement floue et peut prêter à tout l'arbitraire possible (voir l'article 15).

Il)

Certes, il est possible à un distributeur de ne pas être agréé et de continuer à vendre des livres importés à des libraires agréés. Mais on touche là à un autre des aspects inquiétants du projet: c'est qu'il enserre l'activité des professionnels dans un réseau d'obligations qui risque de les priver de toute liberté d'action commerciale réelle, en fixant de manière rigide, les prix de vente, normes et barèmes (art. 4 du projet de loi, article 15 et 16 de l'avant-projet de règlement n° 2 — on ignore d'ailleurs encore quels seront ces normes et barèmes). Le risque de telles fixations par voie d'autorité est que les

"mauvais professionnels" rejettent, en cas d'échec, la responsabilité sur la réglementation, c'est-à-dire sur le gouvernement, cependant que les professionnels avisés bénéficient de rentes de situation.

Cette tendance à la bureaucratisation, pour ne pas dire à l'étatisation de nos métiers est perceptible dans de nombreux aspects de la réforme envisagée (complexité de la procédure d'agrément, de la procédure d'acquisition de livres par les organismes publics). Or, les métiers culturels supportent mal — ou plutôt trop bien — ces tendances.

En vérité on ne peut, sans grands risques se substituer aux professionnels, notamment dans le domaine de la fixation des prix. Toute erreur risque de porter un coup très grave à la circulation de la culture française.

Ill)

En ce qui concerne la coopération franco-québécoise, l'adoption du projet de loi n° 51 ne pourrait être ressentie par les milieux français du livre que comme une sérieuse atteinte à ce principe.

Il est bien évident, tout d'abord, que ce projet, même s'il touche aussi des firmes nord-américaines, vise d'abord des entreprises françaises qui ont eu, par le passé, maints déboires dans leurs investissements et qui verraient, du jour au lendemain, la valeur de ceux-ci réduite à zéro, puisqu'ils seraient contraints à la vente forcée de leurs parts. Le gouvernement du Québec semble ne pas prendre en considération cet aspect important du problème. Ce gouvernement joue d'ailleurs sur le velours car il sait pertinemment que le gouvernement français ne prendra pas de mesures de rétorsion contre les firmes québécoises installées en France. De plus, s'il bloque les investissements étrangers, ce qui contredit le souhait plusieurs fois exprimé, de voir les petites et moyennes entreprises s'installer au Québec, le gouvernement de la province ne prive pas ses nationaux du bénéfice de l'exploitation des ouvrages français.

On peut se demander ce que deviendrait le marché du livre au Québec sans la participation des auteurs, éditeurs et diffuseurs français ou francophones et à quel rythme il s'étiolerait, malgré subventions et protections. Or, on ne voit pas pourquoi les producteurs français se verraient interdits de séjour et de commerce, après avoir pris le risque de la publication non seulement d'auteurs du monde entier en langue française, mais en particulier d'auteurs québécois qui, sans eux, ne seraient peut-être pas arrivés à la même notoriété.

Ce genre de mesures unilatérales empoisonne une atmosphère, freine toute velléité de collaboration, écarte les investisseurs éventuels et installe la méfiance dans les rapports des professionnels avec un pouvoir très influent dans le domaine culturel.

Une très intense collaboration s'était établie depuis de nombreuses années entre les entreprises, les associations professionnelles, les gouvernements, dans les domaines de la production, de la formation, de ladistribution; on ne voit plus très bien où se situera le point d'application de cette collaboration et au nom de quoi les producteurs français prendraient des risques sans contrepartie assurée au Québec.

Il n'appartient pas à notre Syndicat d'entrer plus avant dans l'analyse de ce problème qui est affaire de politique culturelle, donc gouvernementale, mais si l'on peut déjà regretter que le Canada n'ait jamais signé l'accord de Florence, on peut se demander, au vu des mesures proposées, quel sera le sens d'une collaboration française aux différentes actions québécoises de promotion ou de diffusion.

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