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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le mercredi 21 mai 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Bill 10 - Régimes matrimoniaux


Journal des débats

 

Commission de l'administration de la justice

Bill no 10

Séance du 21 mai 1969

(Dix heures dix-neuf minutes)

M. THEORET (président de la commission de l'administration de la justice): Votre attention, s'il vous plaît!

Madame, messieurs de la commission de la Justice, nous allons commencer cette première séance concernant le bill 10, Loi concernant les régimes matrimoniaux. Actuellement, je représente Me Marc Bergeron, président de cette commission. C'est peut-être par un heureux hasard que ce soit un notaire qui préside au début; c'est un droit qui nous tient pas mal à coeur, celui des états matrimoniaux.

Je souhaite la bienvenue à ces dames, aux représentants du barreau, de la Chambre des notaires et des autres organisations intéressées. C'est dans une atmosphère sereine, je crois, que les délibérations auront lieu.

Au tout début, je demanderais au Solliciteur général, Me Armand Maltais, s'il a quelques mots à dire avant de commencer l'étude et d'entendre les rapports concernant le bill 10.

M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, l'honorable Bertrand, le ministre de la Justice, a été retenu momentanément. Nous sommes réunis pour connaître, de façon plus détaillée, les implications de ce projet de loi qui constinue un projet d'une très grande importance; je pense que nous en sommes tous convaincus. Il est important que nous écoutions, au départ, l'exposé de la philosophie qui a inspiré ce projet de loi.

Sans aucun doute, nous allons trouver des objections et des objectants en cours de route. Je n'ai pas de ligne de conduite à tracer à cette commission ce matin. Je pense que nous sommes réunis pour entendre un exposé de la philosophie qui a présidé à la rédaction de ce projet de loi. Quant à l'exposé des objections, peut-être que cela pourrait venir par la suite.

A tout événement, disons que nous n'avons pas de programme régulier pour le déroulement de la séance ou des séances qui auront lieu à cette commission. Si vous êtes de mon avis, nous pourrions peut-être commencer en demandant à celui qui a été chargé, en quelque sorte, avec l'Office de revision du code civil, de s'occuper plus précisément de cette question, de ce projet de loi, de nous exposer la philosophie de ce projet.

Mais auparavant, vous me permettrez bien d'inviter un membre de l'Opposition, Mme Claire Kirkland-Casgrain, à vous adresser également la parole avant que nous procédions, précisément, à cet exposé de la philosophie de base qui a animé ce bill ou ce projet de loi numéro 10.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je remercie le Solliciteur général. M. le Président, messieurs mes collègues, mesdames et consoeurs du Barreau, confrères du Barreau et du notariat, mesdames, mesdemoiselles, messieurs.

Je suis contente de pouvoir joindre ma voix à celle du Solliciteur général, au nom de l'Opposition, pour souligner également l'importance que l'on doit accorder à l'étude de ce bill et aux recommandations de l'Office de revision du code civil relativement à un sujet qui intéresse toutes les femmes mariées du Québec. En ce faisant, je pense que l'on répond à nos nombreuses demandes réitérées.

M. le Président, je pense que nous n'avons pas à faire l'histoire de l'Office de revision du code civil, formée de juristes compétents qui, on le sait, avait été créée en 1961 et remettait en 1963 un premier rapport qui devait, quelques mois plus tard, donner naissance au bill 16. L'on se souviendra qu'il y a cinq ans, lors de sa présentation, il était dit que ce bill constituait une première étape dans le « new deal» qui devait être accordé aux femmes mariées du Québec

Nous voici, enfin, à la deuxième étape qui, soit dit en passant, apporterait à mon sens de nombreuses améliorations et garanties sans pour cela résoudre tous les problèmes. C'est d'ailleurs la raison de notre présence ici aujourd'hui pour entendre les représentations des divers corps intermédiaires et des diverses personnes qui pourraient avoir des suggestions heureuses à nous offrir. J'en profite pour souhaiter la bienvenue à mes consoeurs et confrères du barreau, ainsi qu'à tous les autres qui font preuve d'un intérêt particulier pour le bill à l'étude ce matin.

J'aimerais également féliciter les commissaires dont les études ont donné naissance au rapport qui a servi à préparer le bill 10. Enfin, si on me permet une remarque un peu personnelle, M. le Président, en constatant la présence ici d'autant de personnalités féminines, je ne peux m'empêcher de songer combien il serait heureux qu'il y en ait parmi elles qui soient de ce côté, et non seulement je l'espère, mais je suis convaincue qu'à la suite d'une prochaine élection, ce voeu se réalisera. Ce sont là toutes mes remarques.

M. LE PRESIDENT: Merci, Madame. Nous

pouvons vous permettre plus qu'à d'autres des remarques de ce genre.

Je crois que le président de l'Office de revision du code civil, Me Paul A. Crépeau est ici. C'est vous qui êtes à l'origine de ce bill, Me Crépeau, nous aimerions vous entendre exposer, comme l'a dit le Solliciteur général, la philosophie générale qui a inspiré le bill 10 sur les états matrimoniaux.

Me Crépeau on vous écoute.

M. CREPEAU: M. le Président, MM. les ministres, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, tout d'abord qu'il me soit permis de vous dire, M. le Président, combien à l'Office de revision du code civil, nous sommes sensibles à l'honneur que vous nous faites de venir ici à la commission de la justice expliquer les positions fondamentales qui ont présidé à l'élaboration de ce régime de biens.

Je voudrais, si vous me le permettez, faire d'abord la genèse du projet, vous dire quelles ont été les étapes de sa rédaction et de son élaboration et puis, ensuite, décrire en quelques mots les dispositions fondamentales, l'esprit dans lequel ce rapport a été élaboré.

Tout d'abord, il est essentiel de noter que ce rapport est l'oeuvre du comité des régimes matrimoniaux de l'Office de revision du code civil. Ce comité avait été créé par mon prédécesseur, Me André Nadeau, aujourd'hui juge à la cour Supérieure. Le comité était présidé par Me Roger Comtois, aujourd'hui président de la Chambre des notaires du Québec. En faisaient également partie M. Louis Beaudoin, professeur à la faculté de droit de l'université McGill à ce moment-là, maintenant à l'Université de Montréal; Me André Lesage, notaire à Hull et M. le doyen Louis Marceau, de la faculté de droit de l'université Laval de Québec, maintenant le protecteur du peuple. Ce dernier agissait comme rapporteur et il me plaît de souligner que M. Marceau est le grand inspirateur et le rédacteur de ce projet.

Ce rapport est le fruit de plusieurs années de recherches et de réflexion. En effet, ce comité a été constitué en 1963, il a siégé durant trois années et il soumettait en mai 1966 un rapport à l'Office de revision du code civil.

Suivant la technique que nous avons cru bon d'instaurer à l'office de révision, afin de pouvoir obtenir une plus grande participation du public, afin de pouvoir solliciter des avis, des commentaires et surtout des critiques, nous avons cru devoir soumettre ce rapport aux tribunaux, aux associations professionnelles, aux facultés de droit, aux formations politiques, aux sociétés religieuses, aux associations fémini- nes, aux sociétés d'assurance, aux sociétés bancaires et fiduciaires de même qu'aux chambres syndicales, afin d'obtenir commentaires et suggestions.

La réponse de ces organismes fut encourageante puisque nous avons reçu, en tout, vingt-deux mémoires. Mémoires d'associations, mémoires également qui provenaient de demandes que nous avions faites à certains experts du droit familial, non seulement au Québec, mais également d'autres provinces, également d'autres pays, notamment, les experts du droit familial de la Louisiane qui partagent avec nous l'héritage du droit civil. Egalement des experts de France où, comme on le sait, le législateur a adopté récemment un nouveau régime de biens.

L'office, en mars 1967, a tenu une journée d'étude en séance publique afin de permettre à ceux qui avaient présenté des mémoires et des observations de faire valoir leur point de vue devant les membres du comité.

A la suite de ces commentaires, de ces séances d'étude, le comité a voulu réexaminer son projet et, depuis, voulant tenir compte d'importantes suggestions et de pertinentes critiques qui avaient été formulées, le comité a voulu apporter à son projet d'importantes modifications. Je mentionne pour l'instant — nous pourrons y revenir plus tard, si vous le permettez — l'élargissement considérable de la notion d'acquêts. Je mentionne également le problème de la mutabilité des régimes matrimoniaux et je mentionne aussi les règles relatives à la liquidation du régime afin d'en faciliter le règlement.

J'ai ensuite soumis ce rapport aux membres du comité du droit des personnes et de la famille de l'office afin d'obtenir également leurs suggestions et de coordonner les travaux futurs de ce comité dans l'élaboration de la réforme de notre droit familial, notamment, en ce qui concerne la réforme successorale. Car, il est bien entendu, M. le Président, comme le disait tout à l'heure Mme Casgrain, qu'il s'agit là d'une deuxième étape, mais une deuxième étape en appelle nécessairement une troisième. Il faudra autour d'une éventuelle réforme des régimes matrimoniaux, si ce rapport est accepté, également prévoir la réforme de notre régime successoral qui, sur ce plan-là, à notre avis, a fort besoin d'être repris.

J'avais enfin l'honneur de soumettre le rapport à M. le ministre de la Justice, le 20 septembre 1968.

Depuis cette date, vous me permettrez, M. le Président, de signaler ici l'instauration d'une étroite collaboration entre l'Office de revision du code civil et les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice. Nous avons eu plusieurs

échanges, nous avons eu des rencontres qui nous ont permis de travailler en toute sérénité et de travailler à l'élaboration d'un texte qui nous paraîtrait le meilleur.

Je voudrais enfin, pour terminer cette première partie, vous dire que le projet que nous présentons, nous ne prétendons en aucune façon qu'il soit la seule réponse aux problèmes qui se posent. Nous ne prétendons pas qu'il ait des vertus tout à fait particulières qui doivent l'imposer à l'adhésion du législateur; nous le proposons comme une solution parmi d'autres. Nous essaierons d'en exposer les vertus, nous essaierons également de faire face aux difficultés que l'on pourra présenter. De toute façon, nous essaierons de vous présenter ce rapport dans la lumière qui vous permettra de choisir, puisque vous êtes les maîtres de la politique.

Ce rapport vise essentiellement à proposer, premièrement, l'adoption d'un nouveau régime légal de biens entre époux qui serait connu sous le nom de la société d'acquêts. Ce rapport vise, également, à éliminer les prohibitions traditionnelles entre conjoints en ce qui concerne les donations de l'article 1265 de notre code, la vente entre époux de l'article 1483 et le cautionnement, cette règle, cette prohibition qui nous vient directement du droit romain, de l'article 1301 du code civil.

Ce rapport vise également à assurer la mutabilité conventionnelle des régimes matrimoniaux. Au lieu du dogme de l'immutabilité qui a toujours été la règle, nous avons cru devoir assurer la possibilité, pour les conjoints, de changer leur régime au gré de leurs intérêts, mais, bien sûr, dans le respect des intérêts du ménage et dans le respect également des intérêts légitimes des créanciers.

Nous avons voulu également instaurer un registre central des mutations de régimes matrimoniaux afin de mieux assurer la sécurité des tiers. Il nous a semblé, en effet, que dans un régime de mutabilité il fallait que les créanciers fussent protégés, qu'ils puissent facilement connaître l'état financier de leur débiteur et qu'ils puissent alors, en ayant recours aux données modernes de l'informatique, avoir accès à un système qui permettrait, dans un délai rapide, de connaître l'état de crédit de leur débiteur conjoint.

Le rapport vise enfin à traduire dans les textes le principe fondamental de l'égalité du mari et de la femme conformément à la fois à l'esprit et à la lettre de la loi du 18 juin 1964, le bill 16, touchant la capacité juridique de la femme mariée.

Voilà donc, M. le Président, les données essentielles de ce rapport. Si vous permettez, je peux reprendre chacune de ces réformes en insistant, si vous me permettez, davantage sur la réforme fondamentale, celle du régime légal de biens.

Le comité des régimes matrimoniaux avait pour mission d'examiner l'opportunité de retenir notre régime de biens, tel qu'il avait été édicté en 1866 ou encore de voir, à l'aide des études de droit comparé, à l'aide également de la situation sociale dans laquelle se trouvent les conjoints au Québec, le comité avait donc pour mission d'examiner la possibilité de modifier le régime légal de biens et de trouver un régime qui pourrait davantage convenir aux aspirations des conjoints au Québec en 1969 et pour une période à venir.

Le choix d'une politique fondamentale n'était pas aisé. D'un côté, nous avions la communauté de meubles, telle qu'elle est inscrite dans le code. Mais, pour des raisons sur lesquelles il n'y a pas lieu, je pense, d'élaborer ce matin, cette communauté est tombée endéfaveur. Cette communauté nous rappelait des statistiques faites par Me Comtois, cette communauté est tombée en défaveur parce que, dit-on, 70% des ménages québécois choisissaient de passer devant notaire pour établir entre eux un régime de séparation conventionnel.

Le comité devait prendre ce fait et se dire: Si un régime doit être élaboré, il faut que ce soit un régime qui puisse être accepté par une majorité. Il faut que ce soit un régime dont on apprécie les vertus et qui constitue, en fait, le régime que prendront tous ceux qui soit par inadvertance ou soit par dessein ou soit encore par absence d'intérêt voudront être régis par un régime de biens qui puisse convenir à leurs intérêts.

Donc, la communauté est rejetée. Elle était rejetée pour divers motifs, sans doute dans une certaine mesure parce que jusqu'en 1964 était greffé au régime de la communauté, vous le savez, le principe de l'incapacité de la femme mariée. Alors, avec toutes les vexations d'une telle situation pouvait produire dans une société moderne, on estimait qu'un régime d'incapacité de la femme mariée, associé étroitement à un régime de communauté, faisait perdre à ce régime la faveur qu'il avait obtenu en 1866.

Je pense que c'est là une des raisons qui ont motivé ce rejet sociologique de la communauté. Il faut dire également que cette communauté est tombée en défaveur parce que la communauté essentiellement crée un patrimoine commun, crée une masse commune.

Et comme la société conjugale est une société à deux, on a cru devoir en 1866 établir dans le code que l'un des deux aurait le dernier mot

sur l'administration des biens et sur la disposition des biens. Pour toutes sortes de raisons sur lesquelles il n'y a pas lieu d'élaborer on avait pensé que celui-là serait le mari suivant le vieux dicton qui avait cours en Angleterre au 19e siècle: « Man and wife are one and that one is the husband ».

Ce régime, on ne le voulait plus. Que faire? On pouvait, bien sûr, se tourner autour de nous, regarder dans les provinces de « common law » et dire: Puisque tout autour de nous en Amérique du Nord, à l'exception de quelques Etats américains qui ont subi l'influence soit française, soit espagnole, on aurait pu choisir un régime qui soit aux antipodes de la communauté, c'est-à-dire la séparation complète et totale des biens...

Le mariage ainsi ne produirait en fait aucun régime, aucune incidence pécuniaire dans les rapports entre les conjoints. Chacun resterait tout à fait séparé et ce pourrait être une autre façon pour le Québec de manifester qu'il fait partie de ce monde nord-américian, qu'il doit s'insérer dans ce contexte nord-américain.

Mais, à y repenser, il est certain qu'un examen appronfondi de ce qu'on peut appeler le régime de la séparation de biens, n'est pas tout à fait exempt de difficultés. Il est certain que le régime de la séparation de biens, s'il est établi sans aucune formalité conventionnelle, s'il est établi comme régime de droit commun, dit tout simplement que celui qui gagne quelque chose, le gagne pour lui. Si l'un des conjoints, le mari ou l'épouse travaille, s'il rapporte au ménage des gains, et bien, chacun pour soi.

Il va sembler qu'en regardant la situation sociologique dans la province de Québec, cela voulait dire que malgré le fait qu'il y a un nombre croissant de femmes qui travaillent hors du foyer, les statistiques le montrent, malgré le fait qu'il y a donc une participation de plus en plus grande de la femme sur le marché du travail, il reste néanmoins que dans l'état actuel des choses le mari est encore dans une généralité des cas, celui qui fait vivre le foyer. Et alors, avec le régime de la séparation de biens, cela voulait dire que ce que gagne le mari, il le gagne pour lui. Il en fait ce qu'il veut. Il administre ses biens. Il en dispose à sa guise.

Et alors, l'expérience des autres provinces montre... A ce sujet nous avons eu des contacts fréquents avec ceux qui sont chargés de la réforme du droit matrimonial en Ontario. Les contacts avec les représentants de ce comité de réforme nous ont montré que ce régime de séparation est en fait une source d'injustice. Une source d'injustice parce qu'il empêche en quelque sorte le conjoint qui a participé au fond à la vie conjugale, mais d'une autre manière, d'une façon qui ne permet pas de ramener à la maison un salaire ou des biens empêche cette personne de pouvoir participer aux économies qui ont été réalisées par les deux, mais chacun à sa manière.

Alors, c'est ainsi que, dans les autre provinces, on essaie, en quelque sorte, d'obvier, de parer aux difficultés, aux dangers que présente la séparation de biens en instituant tout un réseau de dispositions suivant lesquelles le conjoint qui n'a pas gagné peut obtenir, soit au moment du décès, soit pendant la vie de la société conjugale, un réseau de dispositions qui lui permettent d'empêcher, en fait, que le mari ne dispose de ses biens contrairement aux intérêts du foyer.

Nous avons cru également que la séparation de biens, tant qu'elle demeure conventionnelle, peut comporter certains avantages parce que, vous le savez, lorsqu'il y a séparation conventionnelle où l'on passe devant le notaire, les notaires, en général, conseillent aux jeunes conjoints, de bien vouloir — et le conseil s'adresse en général au futur mari — compenser les avantages qu'aurait eus sa future épouse s'ils avaient accepté la communauté.

En d'autres termes, vous le savez, suivant le régime de la séparation conventionnelle, il arrive très souvent que le futur conjoint donne à future femme, lui fait des avantages, par exemple, contracte en sa faveur une police d'assurance, tout cela en quelque sorte pour parer aux inconvénients de la séparation par rapport à la communauté qui, en fait, il faut l'avouer, a son mérite, comporte tout de même des avantages certains pour le conjoint qui a droit à la moitié de la masse commune.

Alors, nous nous disions, si le régime de séparation qui est aujourd'hui conventionnel et qui comporte ces avantages pour le conjoint devient un régime de droit commun, un régime sous lequel vivraient les époux qui ne passeraient plus devant notaire, il n'y aurait même plus ces avantages qu'aujourd'hui offre la séparation conventionnelle. Les époux n'auraient plus l'occasion de se rencontrer chez le notaire pour se faire des avantages, se constituer des avantages, se faire des donations, contracter en faveur de l'autre une police d'assurance ou encore se donner les meubles meublant ou les effets du ménage.

En d'autres mots, séparation de biens est un régime qui a ses avantages mais, estimions-nous, dans la mesure où il demeure un régime conventionnel, un régime où les parties doivent passer devant notaire.

Maintenant, bien sûr, on aurait pu, encore,

dans l'optique d'une séparation de biens, et cela nous a été proposé — songer à limiter, en quelque sorte, ces pouvoirs illimités du mari, ou disons, du conjoint qui gagne, en général le mari. D'abord, par une réserve suivant notre système qui était le nôtre avant 1866, suivant le vieux système du droit français, une légitime, en quelque sorte, en limitant la liberté illimitée de tester qui est notre en vertu de l'article 831 du code civil, on aurait donc pu, au terme de la société conjugale, établir un système suivant lequel 1/3, 1/4 des biens seraient passés au conjoint.

Mais, nous nous disions: C'est très bien, c'est une façon de résoudre le problème, mais cela ne résout le problème qu'à demi parce qu'il n'y a pas que le décès qui mette un terme, il y a le divorce, il y a la séparation de corps.

Et encore il aurait fallu prévoir non seulement pour le décès, soit une légitime, soit encore un système inspiré du droit ontarien ou du « common law » maintenant, des « Family Maintenance Acts », un système suivant lequel la femme peut dire: J'ai droit à tant! Ou bien: J'ai droit à une pension alimentaire telle que la chose est prévue dans les autres provinces.

Il aurait également fallu prévoir une chose semblable, un partage des biens ou une pension au moment du divorce, de la séparation, autant de moyens pour parer aux inconvénients de la séparation.

Nous estimons également qu'un régime de séparation est une chose qui, en apparence, peut paraître simple, c'est un régime qui, au fond, permet à chacun d'aller suivant le gré de ses intérêts; mais nous nous disions qu'en régime de séparation, même si nous instaurons une réserve au décès, bien sûr la réserve ne peut jouer que dans la mesure où il reste quelque chose sur quoi puisse s'exercer la réserve. Or, en régime de séparation, chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son patrimoine. Il peut l'administrer, il peut en disposer à sa guise. L'expérience des autres provinces nous le prouve. Combien de fois est-il survenu des cas où le conjoint, qui a les biens, organise — et Dieu sait comment les choses peuvent se faire — son patrimoine de façon qu'il ne reste plus rien sur quoi puisse s'exercer, en fin de compte, la réserve ou la légitime.

Ce sont là un certain nombre d'arguments. J'ajouterai enfin l'argument des protagonistes de la séparation de biens qui nous disent: C'est un régime simple. Bien sûr, c'est simple dans les textes. Il ne faut pas beaucoup d'articles dans un code civil pour régler la séparation de biens: Chacun va de son côté.

Mais, on sait que les textes juridiques ne traduisent pas toujours la réalité dans tout le concret sous lequel elle se présente. On sait qu'un ménage qui dure dix ans, qui dure vingt ans, qui dure trente ans — et la longévité est une chose qui est de notre siècle — dire qu'ils sont séparés de biens, c'est très beau, mais après quarante ans de ménage, à moins d'avoir établi une comptabilité, ce que l'on reproche à la société d'acquêts, comment peut-on savoir précisément ce qui a été acheté avec qui, par qui, et avec quoi? Bien sûr, il peut y avoir des meubles de famille dont on connaît la provenance. Il peut y avoir des biens dont on sait exactement qu'ils ont été achetés dans des circonstances précises; mais il se peut également qu'au cours des années on ait acheté avec les biens de l'un et de l'autre, dans une confusion méconnaissable, que l'on ne puisse plus savoir — en quelque sorte — d'où viennent les biens.

La division des biens, en réalité, est peut-être plus difficile qu'on ne l'imagine en fait, et peut-être plus difficile que ne le laisserait prévoir quelque texte du code civil qui dit: Chacun est séparé.

En d'autres mots, nous avons examiné sérieusement et objectivement les avantages et les inconvénients de ce régime de séparation dans la mesure où il deviendrait un régime de droit commun, et nous nous sommes dit — à tort ou à raison — que ce n'est peut-être pas le régime qu'il faille adopter.

Essayant de voir ce qui s'est fait aileurs, nous avons trouvé un certain nombre de régimes récents, les régimes Scandinaves, les régimes allemands, les régimes proposés en France en 1932 — le projet Renoult — et, essayant de voir dans quelle mesure ces régimes pouvaient être adoptés dans la province de Québec, nous avons essayé d'adapter et de voir comment un tel régime pourrait traduire en quelque sorte, une réalité profonde que nous estimons être le point de départ fondamental et constituer la philosphle de base de ce régime que nous proposons.

Cette réalité profonde est la suivante: Un ménage s'unit et chacun, à sa manière, participe à la réalisation des économies du ménage. L'unie fait à l'extérieur, le plus souvent encore, c'est le mari qui rapporte des biens à la maison; l'autre, le conjoint — encore pour un certain temps la femme — participe également, elle, mais d'une autre manière à l'acquisition des biens de cette association. Nous partons du postulat fondamental que ce qui est gagné par l'un est gagné pour les deux. Nous partons du fait que si le conjoint va travailler à l'extérieur et rapporte, par exemple, un salaire de $100 par semaine, ce salaire

il l'a gagné, lui, mais il l'a gagné pour lui et son conjoint. Voilà donc l'idée de base. Seulement, nous nous disions: Il nous faut éviter les inconvénients de la communauté, il nous faut éviter les inconvénients de cette masse commune et, alors, trois idées nous ont guidés.

Premièrement, l'idée d'égalité; comment traduire cette réalité profonde en respectant le principe de l'égalité? Deuxièmement, l'idée d'association; comment traduire cette réalité profonde en instaurant en quelque sorte une association des conjoints? Enfin, l'indépendance des conjoints; comment encore traduire cette réalité profonde sur la base de l'indépendance? Alors, il nous a semblé que la façon de le faire était de prévoir fondamentalement un régime qui durant l'existence de la société conjugale, serait un régime à tous égards semblable au régime de la séparation de biens. Chacun des époux aurait ses biens, ses propres, ses acquêts. Ses propres, c'est-à-dire les biens qui lui viennent avant le mariage, les biens qui lui viendraient à titre gratuit pendant le mariage. A côté de cela, la notion d'acquêts — mot vieillot peut-être qui fait sourire les uns et irrite les autres, mot vieillot qui veut tout simplement dire que ce que j'ai acquis du fruit de mon travail, ce que j'ai acquis par les revenus de mes propres, cela fait partie de mes biens, mais sujet à partage.

Alors, pendant l'existence de la société conjugale chacun garde ses propres, ses acquêts, chacun en a l'entière administration, chacun en a l'entière disposition à une seule réserve près, c'est-à-dire la prohibition d'avantager des tiers à titre gratuit, afin d'éviter qu'une personne dilapide ses biens, ne donne des biens à des tiers pour, précisément, frauder les droits de ces conjoints. C'est la même préoccupation que l'on retrouve que dans les provinces de « common law ».

Donc, pendant l'existence de la société conjugale — en fait, séparation de biens — mais avec cette différence essentielle qu'avec le régime de la société d'acquêts naît, au moment même du mariage, un droit pour chacun des conjoints à un partage éventuel des économies de la société conjugale. Donc, d'un côté séparation avec toute la liberté d'administration et de disposition que comporte le tel régime avec la réserve que j'ai donnée. Mais, ajoutez à cela un droit contractuel, un droit matrimonial qui naît du mariage, un droit à un partage éventuel des économies.

C'est ainsi que, si la société conjugale est dissoute par le décès, si la société conjugale est dissoute par la séparation de corps, si elle est dissoute par le divorce, eh bien, à ce mo- ment-là, s'opère en quelque sorte, en fait ou d'une façon comptable, la liquidation de ce régime et de partage des économies.

C'est là la philosophie fondamentale de ce régime. Il nous a semblé que ce régime traduisait une réalité profonde, c'est-à-dire cette participation conjointe aux économies et que le conjoint qui n'apportait pas au foyer des gains pécuniaires pouvait, néanmoins, prétendre, non pas se présenter éventuellement devant un tribunal pour quémander en quelque sorte une pension alimentaire que lui consentirait, bien sûr, le tribunal, mais qu'il paierait peut-être à regret ou dans des conditions très souvent difficiles, mais naîtrait un droit contractuel, un droit à la moitié des économies réalisées durant la société conjugale.

C'est là l'essentiel de ce régime qui se liquiderait ainsi, au moment du décès, du divorce ou de la séparation. Mais, à cela s'ajoute également une notion qui est importante et qui, encore à mon avis, assure la protection du conjoint, c'est que ce régime de société d'acquêts étant un régime contractuel, en quelque sorte, implicite, à un moment donné, même en l'absence de divorce ou de séparation, le conjoint pourrait constater que son conjoint dilapide les biens et que son conjoint fait des dépenses inutiles qui constituent un danger aux intérêts légitimes du ménage, le conjoint pourrait alors demander une liquidation du régime et demander la séparation pure et simple. C'est là un moyen, estimions-nous, pour le conjoint, à tout moment dans le mariage, lorsqu'il estime que les intérêts du ménage sont menacés, lorsqu'il estime que ses biens sont susceptibles d'être dilapidés, de dire à son conjoint: Très bien, dilapide, si tu veux, mais dilapide tes biens. Je demande une séparation de biens.

Voilà donc l'essentiel du projet. Le reste, M. le Président, mesdames, messieurs, sont problèmes de mise en oeuvre. Bien sûr, la mise en oeuvre d'un tel régime suscite des difficultés, cause des problèmes. Nous ne voulons pas esquiver cette question. Il est certain que des représentations vous seront faites soulignant les difficultés d'application du régime. Nous convenons qu'il y a des difficultés. Nous convenons qu'il y aura des problèmes dans la liquidation. Mais ce que nous voulons dire, c'est qu'à la suite des représentations qui nous ont été faites, nous avons cru devoir modifier un certain nombre d'articles, précisément, pour assurer, pour faciliter la liquidation du régime au moment venu.

Ainsi, par exemple, à l'article 1266d) du projet, nous avons considérablement élargi la notion d'acquêts, afin d'éviter qu'au moment du

partage il y ait cette opération extrêmement complexe d'avoir à séparer les propres des acquêts. Plus on fait entrer dans la catégorie des acquêts, des biens moins la liquidation devient difficile. Nous avons, également, prévu un certain nombre de dispositions qui essaient de faciliter la liquidation de ce régime et je mentionne — nous pourrons y revenir — l'article 1266n), du projet, qui dit: Tout bien est réputé acquêts sauf preuve contraire établie. En d'autres mots, nous avons établi une présomption d'acquêts. Chaque fois que l'on ne pourra pas apporter la preuve qu'un bien est propre, il est présumé acquêts. Mais se posait également une autre difficulté à laquelle nous avons voulu faire face à l'article 1266o), c'est que, et cela se présente également à l'article 1266 o), à la page 10 du bill, le problème se présente également en séparation de biens.

Comment sait-on, après 10 ou 20 ans, à qui appartient tel bien? Nous avons là prévu une règle qui dit: Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés acquêts indivis à chacun pour moitié. Ainsi, par exemple, des actions au porteur dans un coffret de sûreté bancaire, on ne sait plus après un certain temps à qui sont ces titres; eh bien, si on ne peut pas apporter la preuve, ils sont réputés acquêts indivis, chacun pour moitié.

Donc, opérations comptables qui viennent faciliter la liquidation. Ensuite, nous nous disons que nous avons, dans la province, pour les cas difficiles, des experts en matière de liquidation successorale. Il est certain que les notaires ont pris une part active à ce régime. Je pense ici notamment au président de la Chambre des notaires qui a pris une part active à l'élaboration de ce régime. Me Comtois n'estime pas que la liquidation de ce régime puisse poser des difficultés insurmontables. Il s'agit, comme dans toute société, d'une liquidation des biens.

Voilà, M. le Président, pour la société d'acquêts. Si vous le vouliez, je pourrais dire quelques mots des autres propositions qui sont faites mais je ne veux pas abuser de votre temps.

M. LE PRESIDENT: Je pense, Me Crépeau, que vous pourriez facilement continuer, et ceci servira à tous les membres de la commission.

M. CREPEAU: Brièvement, M. le Président, je vous indiquais tout à l'heure que ce projet vise à éliminer les prohibitions traditionnelles entre conjoints. Pour des raisons que l'on connaît, on avait cru prohiber les donations entre époux, on avait cru devoir prohiber la vente entre époux et on avait cru devoir prohiber le cautionnement par la femme des dettes de son mari.

Bien sûr, chaque fois que l'on imagine la politique législative sous-jacente, on pense toujours aux influences indues qu'aurait pu exercer le mari sur sa femme pour lui soutirer des avan-teges pécuniaires. Eh bien, il nous a semblé que, dans une société nouvelle où il ne doit plus être question de protectionnisme, notion qui est dépassée, notion qui est surannée, il nous a semblé que les conjoints, chacun prenant ses responsabilités, devaient avoir parfaite liberté pour négocier entre eux des opérations pécuniaires telle la donation, telle la vente, tel le cautionnement.

Il nous a semblé que maintenant la vente, la donation et surtout le cautionnement pouvaient être des mesures d'entraide entre conjoints et qu'il n'y avait pas lieu de les prohiber, d'autant plus que l'on sait comment le droit positif actuel permet très souvent de tourner ces prohibitions par divers moyens parfaitement légaux d'ailleurs, mais qui, en fait, permettent de passer outre à ces prohibitions.

Donc, rejet du protectionnisme qui avait présidé à l'élaboration de ces prohibitions et acceptation pleine et entière de la responsabilité des conjoints. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'influences indues, cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de situations délicates; mais bien sûr, cette mesure qui vise à l'abolition des prohibitions exige un sens accru des responsabilités et chacun doit apprendre à les prendre.

Troisièmement, la mutabilité conventionnelle des régimes. Dans le projet qui a été soumis à l'Office de revision du code civil, les auteurs avaient cru devoir maintenir le principe de l'immutabilité.

Je pense que l'on peut dire que les auteurs du projet y voyaient là une façon de protéger les créanciers qui, par la règle de l'immutabilité, étaient davantage en mesure de connaître l'état pécuniaire des conjoints. Mais encore là, et à la suite des représentations qui ont été faites par des organismes et par des spécialistes de la matière, et également au regard de la nouvelle législation française qui admet maintenant la mutabilité des régimes, nous avons cru également modifier sur ce plan le projet originaire et adopter le principe de la mutabilité conventionnelle des régimes.

En regardant l'exemple du droit français, nous avons constaté la règle qui voulait que l'on ne puisse changer de convention matrimoniale, changer de régime qu'à tous les deux ans. Nous nous sommes demandé pourquoi. Pourquoi restreindre la liberté des conjoints, alors que leur

situation pécuniaire peut fort bien, et en toute objectivité, changer le lendemain d'une éventuelle modification du régime?

Nous avons cru ne pas devoir suivre la solution française sur ce plan et assurer parfaite liberté aux conjoints de modifier leur convention au gré de leurs intérêts. Si les époux estiment aujourd'hui qu'une séparation conventionnelle de biens est préférable, parce que chacun des époux est dans le commerce, parce qu'ils ont des intérêts différents, divergents, eh bien, libre à eux d'établir ce régime. Mais, si pour une raisonou pour une autre au cours du ménage un des conjoints cesse d'exploiter son commerce, son entreprise, par exemple le cas de l'épouse qui revient au foyer, qui n'estime plus devoir travailler, si ces époux, d'un commun accord, estiment que dorénavant il serait préférable de vivre sous le régime de la société d'acquêts, rien ne les empêche de modifier leur régime et d'établir le régime qui convient le mieux à la situation dans laquelle ils se trouvent au moment du choix.

Mais, bien sûr, assurer la mutabilité conventionnelle des régimes voulait dire également que l'on devait protéger les intérêts légitimes des créanciers. On devait, par des mesures de publicité, faire en sorte que les créanciers puissent au moins savoir, être au moins mis sur la piste de l'état financier de leur débiteur conjoint. Alors, nous avons cru devoir assortir cette mutabilité des régimes matrimoniaux par des mesures de publicité. D'abord, par des mesures d'authenticité, c'est-à-dire la passation d'une mutation devant notaire, et c'est l'article 1265 du projet qui le déclare : « II est loisible aux époux pendant le mariage de modifier leur régime matrimonial ainsi que leur contrat de mariage, pourvu que par une modification ainsi faite ils ne portent pas atteinte aux intérêts de la famille, ni aux droits de leurs créanciers ».

Article 1266: « Toute convention entre époux ayant pour objet de modifier leur régime matrimonial ou leur contrat de mariage doit être constatée par acte notarié portant minutes; elle n'a d'effet que si elle est homologuée par le tribunal de leur domicile. « La requête en homologation... » Je vous fais grâce de cet alinéa.

Il y a donc, d'une part, passation du contrat devant notaire, puis homologation du tribunal. Mais cela ne nous a pas paru suffisant. Nous avons cru que, bien sûr, l'authenticité du contrat notarié était une mesure de précaution, était une mesure qui permettait aux époux de réfléchir. Nous avons cru également qu'une méthode de publicité par l'homologation du tribunal était une façon de préserver les intérêts légitimes des créanciers. Mais, il nous a semblé — et cela s'insérant dans le contexte nord-américain — nous avons cru devoir proposer l'instauration d'un registre central des mutations des régimes matrimoniaux.

Ce registre central qui serait, nous oserons l'espérer, créé suivant les toutes dernières données de l'informatique avec ordinateurs et tout l'équipement moderne, électronique; ce registre central qui, au fond ne serait qu'un aspect plus général d'une autre réforme que nous vous proposerons en son temps, celle de registre central de l'état civil, également avec les données modernes de l'informatique, permettrait à tout créancier de connaître rapidement l'état financier de ses débiteurs conjoints.

Enfin, le rapport a voulu traduire dans les textes le principe fondamental de l'égalité entre le mari et la femme. Je ne veux pas entrer dans le détail des dispositions, M. le Président, mais je voudrais tout simplement vous rappeler, par exemple, un texte que vous trouvez dans le bill 10, un projet de loi à l'article 2. Vous vous rappelez que notre code civil contenait jusqu'en 1964 le principe de l'incapacité de la femme mariée.

En 1964, le projet a été modifié. Et à cause du fait qu'il y avait dans le code civil le principe de l'incapacité, il est certain qu'à l'époque, 1964, il était nécessaire de dire: La femme mariée a pleine capacité juridique. C'était là une mesure législative pour venir faire contrepoids à toute cette tradition d'incapacité juridique.

Mais, maintenant que ce principe est établi au moins dans des textes sinon dans des directives bancaires, il nous a semblé que nous pouvions aller faire un pas de plus et dire à l'article 67: Ne plus mentionner la capacité juridique de la femme mariée, mais dire tout simplement que la capacité juridique des époux n'est pas diminuée par le mariage, seuls leurs pouvoirs peuvent être limités par le régime matrimonial. Ceci enlève en quelque sorte tout ce contexte d'incapacité et traduit concrètement le principe de la liberté.

Je pense qu'au moment de l'analyse des textes du projet, vous noterez également, M. le Président, mesdames et messieurs, qu'aux dispositions concernant la communauté de biens, alors là, le comité vous propose des modifications qui essaient de traduire ce principe de l'égalité. Et ce sont notamment les articles 1280 et suivants du projet qui ont permis de le faire. On sait qu'il y avait jusque là nécessité de consentement dans certains cas, nous avons crudevoir instaurer un régime différent notamment à l'article 1297 qui dit: La femme a l'administration et la libre disposition de tous ses biens propres, mais a charge de verser à la communauté, sur

demande du mari, les revenus perçus et non consommés, de même que les biens acquis en en faisant emploi.

Elle exerce seule toutes les actions en justice se rapportant à ses biens propres.

Ce sont là quelques exemples des dispositions où les membres de la commission ont essayé de traduire l'esprit de la loi du 18 juin 1964 sur le principe de la capacité de la femme mariée et le principe de l'égalité des époux.

Voilà donc, M. le Président, je pense, les observations de base qui peuvent être faites sur ce projet de l'Office de revision du code civil. Ainsi que je l'ai dit au tout début, nous ne prétendons pas, il est certain, présenter l'unique façon de régler un problème, mais nous vous présentons un projet qui a été sérieusement étudié, qui a été mûrement réfléchi. Nous espérons qu'il a quelques vertus.

M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, Me Crépeau, peut-être que les membres de la commission auraient quelques questions à poser ou des explications à lui demander.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'en aurais une.

M. THEORET: Si vous me permettez, tantôt au début de la séance, alors que je présidais, Je n'ai pas pu exprimer d'opinion sur le bill 10. Il est peut-être prématuré de le faire, mais je vais le faire quand même dès ce moment.

D'abord, je veux personnellement remercier M. Crépeau de ce brillant exposé qu'il vient de faire. J'ai eu le plaisir de vous entendre hier au programme « Aujourd'hui », et c'est avec beaucoup de plaisir également que j'ai vu que vous possédiez votre science à fond. Et ce matin, vous l'avez encore démontré d'une façon assez extraordinaire.

Je salue avec plaisir l'avènement de ce bill et, si le grelot a été attaché en 1964, madame, peut-être grâce à vous et à d'autres de vos consoeurs, je crois que c'est un bill extrêmement nécessaire. Après avoir pratiqué pendant quelque 20 ans, je suis encore praticien, mais au ralenti dans le moment. Je crois que nous étions embrigadés par cette camisole de force qui s'appelait le contrat de mariage pour les gens qui ne voulaient pas de la communauté. Je trouve ici sans aller au fond des choses que, dans ce bill, vous avez concilié les meilleurs éléments des deux régimes et la communauté, et la séparation. Et c'est tellement vrai que, lorsque nous avions des journées d'étude, en 1965 ou 1966 à l'Université de Montréal, Me Comtois exprimait cet- te opinion: « Je me demande si je ferais un contrat de mariage après plusieurs années de mariage. » Et je partageais son opinion. Moi-même, je trouve que nous avons, par des contrats de mariage, peut-être enlevé une part importante des biens de nos épouses et, comme vous l'avez expliqué si bien tantôt, sans aller dans les détails, nous voulons, dans un contrat de mariage, souvent, réparer le tort qu'on fait à la communauté en faisant des donations qui sont souvent minimes eu égard aux moyens des parties qui contractent.

Il est impossible pour deux jeunes époux de faire des donations, ou du moins ce n'est pas à conseiller, de faire des donations dans les $100,000. Alors, ce sont toujours des donations très minimes.

Je me souviens également que souvent, l'époux ne veut pas faire ou veut faire des donations qui sont moins que minimes et j'ai moi-même refusé, déjà, de faire un contrat de mariage où l'époux ne voulait absolument pas avantager sa future épouse, mais seulement avoir les avantages de la séparation de biens.

Je crois bien qu'à ce point de vue — je parle en mon nom personnel et non pas au nom du parti auquel j'appartiens — et pour beaucoup d'autres raisons... Evidemment, vous allez déranger beaucoup de nos confrères avec votre nouveau bill. Plusieurs des membres de la Chambre des notaires et peut-être aussi du barreau seront obligés d'épousseter leurs volumes et de se remettre à l'heure de 1969. C'est pour cela que je ne voudrais pas que nous cataloguions ici, comme à Vatican n, les progressistes et les régressistes. Il y en a peut-être qui sont plus conservateurs que d'autres, qui s'opposeront avec force, peut-être, je ne le sais pas, et c'est pour cela que je veux exprimer cette opinion avant d'avoir l'opinion de ceux qui seront d'une opinion contraire.

Je crois que c'est un bill qui arrive à son heure, qui, évidemment, dérange beaucoup l'économie du code civil dans plusieurs de ses chapitres mais, après avoir entendu votre exposé, je suis plus persuadé que jamais que c'est un bill qui s'imposait, que ces prohibitions d'aliénés ne sont plus conformes aux usages modernes surtout en Amérique, alors que dans les provinces de droit commun, c'est permis. Je crois que la mutabilité et la publicité, etc., protégeront aussi les tiers et ceux qui seront inquiets à ce point de vue.

Pour toutes ces raisons, M. le Président de l'Office de revision, j'abonde dans votre sens et je suis heureux que le bill ait été présenté à cette présente session.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, comme je l'ai déjàdit publiquement, au tout début, lorsque le bill 10 a été déposé, au prime abord ce bill m'a paru être une suite logique au travail qui avait déjà été fait en 1964 lors de la présentation du bill sur la capacité juridique de la femme mariée.

A l'époque, j'en avais parlé publiquement et j'avais dit, évidemment, que sans en faire une étude plus appronfondie, je n'étais pas prête à donner un chèque en blanc au gouvernement sur tous les détails de ce bill. Ce n'est peut-être pas dans mon intérêt personnel puisque je ne suis pas marraine de ce bill, mais je dois dire qu'il y a énormément — je me rallie à l'opinion que vient d'émettre un de mes confrères de notariat — qu'il y a énormément de points avantageux pour les femmes mariées du Québec dans ce bill.

En particulier, je pense à la mutabilité que l'on accordera. C 'est donc dire que lorsqu'une femme mariée n'aime pas le régime que les époux ont actuellement, ils pourront changer de régime.

Evidemment, il y d'autres points d'importance. Ainsi, dans ce bill, on élimine les prohibitions traditionnelles entre époux. Voilà encore d'excellents amendements à mon sens. Je n'entrerai pas dans tous les autres détails.

Moi-même, je veux féliciter le président de l'Office de revision du Code civil pour son exposé. Si vous me le permettez, j'aurais une question à poser à Me Crépeau, à moins que d'autres membres aiment faire des remarques d'ordre général.

M. LE PRESIDENT: Vous pouvez y aller.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous savons Me Crépeau, que l'Ontario vient de terminer une étude assez détaillée — je ne sais pas le titre exact de cette étude, mais cela se rapporte au droit familial — et en particulier un travail sur les régimes matrimoniaux. Vous serait-il possible de nous faire part des recommandations importantes qui pourraient avoir une certaine analogie avec le bill qui est devant nous aujourd'hui?

M. CREPEAU: M. le Président, si vous me le permettez, je voudrais faire une observation préliminaire. Le problème des régimes matrimoniaux n'entre pas dans le cadre précis de mes préoccupations professionnelles. Je vous dis en toute objectivité, en toute vérité, que je ne suis pas un expert de droit matrimonial. Je regrette vivement que, par suite de circonstances, l'auteur de ce rapport, Me Marceau, ne puisse pas être avec nous pour vous faire bénéficier d'explications d'un expert qui pourrait vous donner le sens précis des dispositions et des incidences que ces dispositions peuvent avoir. Je regrette également que le président du comité n'ait pu venir aujourd'hui, parce qu'il est en dehors du pays; il ne reviendra que le 29 prochain. Cependant, dans toute la mesure du possible, je veux bien essayer de répondre, mais avec cet avertissement que vous n'aurez pas le bénéfice d'explications d'une personne qui est experte en cette matière.

Ce que je peux vous dire, madame, c'est que, l'an dernier, nous avons échangé une correspondance avec le président de la commission de réforme du droit ontarien, Me Allan Neil. Nous avons pu constater, à ce moment, que la commission de réforme du droit ontarien avait commandé au professeur Baxter une étude portant sur la réforme des régimes matrimoniaux, ou des relations pécuniaires entre conjoints.

De prime abord, peut-être était-ce le vieil instinct de préservation, de conservation de civiliste, nous nous disions: Bien sûr, nous sommes civilistes, nous avons une tradition culturelle, nous avons un héritage de droit français, nous ne pouvons pas nous entendre avec ces personnes qui vivent tout autrement que nous dans les autres provinces du Canada. Marchant, en quelque sorte, sur ces préjugés, nous avons rencontré le professeur Baxter et son équipe; nous avons rencontré les représentants de la commission de réforme de droit ontarien, et nous nous sommes rendu compte que, loin d'être séparés par l'histoire ou par les conditions économiques, nous avions exactement les mêmes problèmes, nous avions exactement les mêmes préoccupations. Partant peut-être d'une terminologie différente, partant de concepts différents, partant également d'une certaine mentalité dans la rédaction des lois, nous nous sommes rendu compte qu'au fond nos projets aboutissaient à peu près aux mêmes conditions.

Nous, nous partions d'une masse commune: la communauté. Eux, partaient de la séparation totale.

Or, nous nous sommes rendu compte que ces deux régimes avaient à la fois des inconvénients et des avantages et voulaient faire disparaître les grands inconvénients de la séparation de biens, c'est-à-dire la possibilité pour un conjoint de réduire presqu'à néant son patrimoine pour que l'autre ne puisse avoir rien sur lequel exercer quelque droit.

Alors, le comité du professeur Baxter a proposé à la commission de réforme de droit ontarien ce que l'on pourrait appeler, nous, dans notre terminologie, un régime de biens de droit

commun qu'ils appellent eux le système du « balancing claim » où, en lisant le texte, nous nous rendions compte qu'ils avaient à peu près les mêmes règles fondamentales de la division des biens acquis.

Je ne voudrais pas, madame, entrer dans les détails parce que je craindrais de ne pas faire justice au régime qui est proposé en Ontario, mais, sous réserve, si vous le voulez, de la présentation à cette commission du rapport ontarien lui-même, sous réserve également d'une présentation par nos experts d'une comparaison, mais alors scientifique, des avantages et des inconvénients, je puis vous dire en gros que nous nous sommes rendu compte que, loin d'être divisés, nous étions très près les uns des autres et que nous avions sensiblement un régime qui répondait aux mêmes préoccupations.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, j'aurais une question additionnelle. Peut-être Me Crépeau pourrait-il nous dire, de mémoire, vers quelle date ce rapport a été rendu public? Je voudrais établir le moment de cette étude.

M. CREPEAU: Oui, je m'en souviens vaguement, je crois que c'est au tout début de l'année 1968, parce que nous avions été invités au printemps dernier. Vous vous rappelez, madame, nous avions eu l'honneur de siéger à une table ronde ensemble, à Toronto, lors de la régionale du Canadian Bar où le comité Baxter a présenté son rapport aux praticiens de l'Ontario. A la suite des représentations qui ont été faites, le professeur Baxter et son équipe ont procédé à des modifications, à des remaniements de son projet. Nous avons reçu, il y a quelques semaines, un nouveau document qui essaie de tenir compte des observations qui avaient été faites. Si vous le voulez, M. le Président, je pourrai vous faire parvenir un exemplaire de ce rapport.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'imagine que mes collègues ont des questions à poser, j'en aurais une autre, mais je veux bien en laisser d'autres s'adresser au président de la commission.

M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres membres de la commission qui veulent poser des questions? M. le député de Verdun veut-il dire quelques mots?

M. PAUL: M. le Président, je voudrais Joindre ma voix à celle de Mme Kirkland-Cas-grain et du notaire Théoret pour féliciter M. le président de l'Office de la refonte du code civil pour l'exposé juridique clair qu'il nous a livré ce matin. Cette législation nouvelle que nous sommes appelés à étudier, ne sera pas sans créer un remous parce que c'est faire table rase sur des institutions qui sont séculaires.

Il nous faut, à cette période de nos travaux, envisager l'adoption ou l'acceptation de cette philosophie nouvelle du droit matrimonial. Certainement que des corps très importants ne partageront pas nécessairement les opinions que la commission a pu émettre. Mais veuillez croire qu'ici, dans cette commission, nous sommes désireux d'entendre toutes les opinions d'approbation ou d'amendement à ce projet de loi.

Quant à moi, je me permettrais de poser une question à M. Crépeault, pour lui demander si les experts qui ont travaillé sur ce projet de loi ont pensé que le régime de communauté d'acquêts pouvait présenter un certain intérêt marqué pour amener beaucoup de conjoints à opter pour une séparation ou le divorce ou de procédures judiciaires de nature à permettre immédiatement la division des biens que peuvent posséder les conjoints. En un mot, est-ce que cette législation ne peut pas présenter un certain attrait chez les gens non sérieux pour les inviter à prendre des procédures judiciaires et, en quelque sorte, attaquer un peu la stabilité du mariage?

M. CREPEAU: Pour répondre d'une façon nette à la question que vous avez posée, je crois pouvoir dire qu'au cours des discussions que nous avons eues, cette question n'a pas fait l'objet d'une étude approfondie. Nous ne nous sommes pas demandé si au fond, si j'ai bien compris votre question, cela pouvait être un moyen peut-être même de collusion pour essayer d'obtenir un partage des biens. Je pense tout de même, sans que la question ait été l'objet d'une discussion précise, qu'il est tout à fait dans la pensée du projet que ces changements de régime ne peuvent pas se faire sur la foi d'un caprice. Puisqu'il faut que la mutation soit faite par devant notaire, puisqu'il faut qu'il y ait une homologation du tribunal où le tribunal doit considérer l'intérêt du ménage, je pense qu'il y a là une garantie de même, également pour répondre plus précisément, chaque fois qu'il y aurait une séparation judiciaire de corps ou une séparation de biens ou un divorce. Le problème de la liquidation pouvant éventuellement être soumis à l'appréciation du tribunal, on pourrait voir là une garantie contre, précisément, ce que vous craignez.

M. PAUL : L'aspect, Me Crépeau, de la muta-

bilité conventionnelle des régimes matrimoniaux a-t-il été envisagé quant à la sauvegarde des intérêts des créanciers et des tiers qui peuvent être affectés par ces changements...

M. CREPEAU: Tout à fait...

M. PAUL: ... qui peuvent intervenir dans le régime matrimonial?

M. CREPEAU: Alors là, cette question a été longuement débattue. Elle a été longuement débattue dans la première étape, alors que les auteurs du projet avaient cru devoir maintenir l'immutabilité précisément pour donner une plus grande sécurité. Mais, à la suite des observations qui nous avaient été présentées, nous avons repris le projet et nous avons longuement discuté ce problème de la mutabilité et, en essayant de peser les intérêts légitimes des conjoints qui, devant un changement dans les circonstances de leur ménage, favoriseraient un changement de régime, d'une part et d'autre part, la protection des intérêts légitimes des créanciers, il nous a semblé qu'assorti de garanties de publicité et de mesures de contrôle judiciaire, il semblait que l'on pouvait là réaliser un équilibre harmonieux entre la protection des intérêts des époux qui veulent changer parce que les circonstances ont changé et également la situation des tiers.

M. PAUL: Une troisième et dernière question. La création d'une centrale de contrôle de régimes matrimoniaux dont il est question dans votre projet de loi serait-elle un régime de district judiciaire ou seulement une centrale pour toute la province?

Dans le cas d'une centrale unique pour toute la province, quelle serait, d'après vos études, la conclusion à laquelle vous en êtes venu quant à sa situation et quel serait le meilleur endroit pour permettre une référence rapide à tous ceux qui seraient désireux d'obtenir des informations?

M. CREPEAU: M. le Ministre, à cette question, je ne peux malheureusement pas encore vous donner une réponse nette parce que les auteurs du projet, ayant d'abord accepté le principe de l'immutabilité et ensuite revenant au principe contraire de la mutabilité, ont dû ne prévoir dans le projet que la disposition visant à empêcher que les modifications aux conventions n'aient d'effet à l'égard des tiers à moins qu'elles ne soient enregistrées, inscrites au régime matrimonial. Mais à la suite de la présentation officielle du rapport, — j'y faisais mention au début de l'exposé, c'est dans ce domaine précis où s'est ins- taurée une collaboration extrêmement fructueuse sur cette question — nous avons constitué, à l'Office de revision, un comité spécial où ont participé des représentants du ministère de la Justice, des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, des représentants également du Secrétariat de la province. Nous avions même l'honneur de recevoir M. le sous-ministre et ensuite nous avons également eu des représentants de divers comités de l'Office de revision du code civil pour voir au niveau — j'ai oublié de mentionner également les représentants du service de la démographie qui sont de très près liés à cette question — et nous avons tâché d'examiner ce problème à savoir comment constituer un registre central des régimes matrimoniaux suivant les données les plus récentes.

Sur ce plan-là, vous comprendrez que nous y allons encore un peu à tâtons parce que nous essayons de bénéficier des expériences de nos voisins, et l'Ontario est précisément en train de mettre un tel système sur pied. Nous avons déjà averti, par des notes au ministère, que nous voudrions prévoir un tel registre des mutations de même d'ailleurs que dans le contexte élargi un registre central de l'état civil.

Maintenant, comment l'organiser sur le plan matériel, comment le mettre en oeuvre? Malheureusement, je ne peux pas vous répondre. Où situer ce registre central de l'état civil. Il est certain que cela cause des difficultés de divers ordres, mais je pense qu'aujourd'hui, d'après les opinions des experts qu'on nous a transmises, la localisation du dispositif central, en quelque sorte, où se trouvent les fiches, où se trouvent les données, ne revêt pas l'importance que cela pouvait avoir autrefois. C'est un peu comme une centrale de radio où vous pouvez avoir un bureau dans une ville, mais avoir, en fait, la centrale émettrice à la campagne, quelque part.

Il semble que dans une question comme celle-là, il y a des impératifs d'ordre politique et il y aurait également des impératifs d'ordre purement technique, purement matériel. On nous signalait, par exemple, si mon souvenir est bon, peut-être pourra-t-on me corriger, que sur le plan pécuniaire, cela dépend de la distance d'où proviennent les renseignements si bien que peut-être y aurait-il lieu d'établir l'endroit qui serait le plus favorable à l'établissement du système. Mais ce que nous pouvons promettre, c'est que nous fournirons aux autorités gouvernementales, à M. le ministre de la Justice et à M. le Solliciteur général, les données essentielles sur lesquelles vous aurez à prendre une décision.

M. PAUL: Je vous remercie, monsieur. M. LE PRESIDENT: Le député d'Outremont.

M. CHOQUETTE: M. le Président, je voudrais poser une question à Me Crépeau. Tout à l'heure en parlant de la mutabilité des conventions matrimoniales au cours du mariage, vous avez insisté sur le fait que ce droit de changer le régime matrimonial serait assorti d'un contrôle judiciaire.

Vous avez insisté sur ce point-là plus particulièrement en rapport avec la protection des intérêts des créanciers.

Maintenant, M. Crépeau, en élargissant les dispositions actuelles du code civil qui interdisent la vente entre époux, le cautionnement de la femme pour son mari et toutes les autres conventions qui peuvent intervenir entre les époux, à part le prêt évidemment, est-ce que vous ne pensez pas qu'à ce moment-là vous introduisez la possibilité très immédiate de fraude aux dépens des créanciers? D'autant plus qu'à l'occasion de ces conventions qui seraient maintenant autorisées par le projet, il n'y a aucun contrôle judiciaire.

M. CREPEAU: Vous avez parfaitement raison de soulever un problème qui a fait l'objet d'ailleurs de discussions et qui, je puis vous le dire, a fait l'objet d'une divergence d'opinion au sein du comité. Les auteurs n'étaient pas unanimes sur cette question parce que, disaient-ils, il est fort possible que ces transactions entre époux soient l'occasion de collusion pour frauder les créanciers.

Si je me permets de faire référence à l'introduction du rapport, à la page XI, vous verrez que l'un des auteurs... Nous avons cru devoir faire état précisément de cette dissidence de l'un des auteurs, en l'occurrence, Me Marceau. « Le projet propose l'abolition pure et simple de ces dispositions qu'on dit restreindre inutilement et vainement la liberté des époux. Il faut dire toutefois que l'un des auteurs du projet se déclare fermement opposé à une telle argumentation et aux conclusions qu'on en tire. S'il reconnaît qu'il n'y a aucune raison d'empêcher la femme de s'engager pour son mari — le cautionnement, malgré le danger qu'il recèle, étant avant tout un acte d'entraide tout à fait conforme à l'esprit du mariage — il est toutefois d'avis que les autres prohibitions sont de nature à protéger, non seulement les époux et les tiers, mais aussi et surtout l'union conjugale elle-même qui, pour s'épanouir et se maintenir, requiert un climat difficilement comparable à celui qui convient aux tractations d'affaires. »

M. CHOQUETTE: Je ne sais pas si je situerais ça sur ce plan-là...

M. CREPEAU: Peut-être l'auteur a-t-il...

M. CHOQUETTE: Je pense que Me Marceau est assez idéaliste, enfin, dans sa conception des choses. Mais je pense à la fraude, particulièrement aux possibilités de fraude aux dépens des créanciers.

M. CREPEAU: C'était la préoccupation essentielle de ce membre du comité et il est certain que le problème que vous soulevez est très réel. La levée de ces prohibitions peut certainement être l'occasion de fraude. Mais, dans un cas comme celui-là, je suppose que nous en revenons aux droits communs et qu'il n'est pas impossible que les dispositions de l'action pau-lienne, de l'article 1,032 et suivants du code civil, puissent intervenir, dans une certaine mesure, pour assurer la protection des créanciers. Mais, bien sûr, l'action paulienne est un moyen un peu aléatoire parce qu'il faut connaissance de la fraude.

M. CHOQUETTE: D y a des délais également, n'est-ce pas à observer, et il y a les cas de faillite également où il y a des prescriptions très courtes dans ce domaine-là. On sait que ces fraudes-là se préparent de longue main, surtout si les intérêts sont substantiels.

M. CREPEAU: Bien sûr, il y a des inconvénients. Si nous levons ces prohibitions, nous remettons ce domaine dans le champ du droit commun. Alors, dans le champ du droit commun, vous avez certaines mesures de précaution que peuvent prendre les créanciers, soit l'action paulienne ou soit les mesures qui leur sont concédées par la Loi de faillite; mais vous avez parfaitement raison de soulever le problème, il est là. Seulement, en voyant d'un côté les inconvénients résultant de possibilités de fraude, nous avons également, de l'autre côté, pensé que ces prohibitions répondaient à une politique sociale qui n'est plus, à notre avis, de notre société.

Nous estimions que les conjoints doivent apprendre à être responsables et doivent apprendre à vivre selon les règles du droit.

M. LE PRESIDENT: Le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. TETLEY: M. le Président, professeur Crépeau, lors de la préparation de votre bill, dont je dois vous féliciter, avez-vous eu l'acceptation générale des dames de la province, des groupes féminins, etc. ou croyez-vous que dans deux ou trois ans il y aura une autre mar-

che au parlement ou, à l'Assemblée nationale, d'autres demandes? Est-ce que vous prévoyez d'autres changements? Est-ce que tout le monde accepte votre régime d'acquêts?

M. CREPEAU: Dire, monsieur, que les femmes du Québec acceptent d'emblée le régime serait certainement une très grosse exagération. Nous avons, lors des discussions en séances publiques que j'ai mentionnées, reçu les mémoires de groupements féminins. En toute objectivité — j'ai ici copie des mémoires qui nous ont été soumis — je crois pouvoir dire que les mémoires qui étaient présentés par des groupements féminins étaient opposés au projet. Je le dis, c'est la vérité. Je pense qu'elles pourront mieux que moi exprimer leur opinion sur ce sujet. Seulement, ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a opposition et opposition. Il y a opposition au projet tel qu'il a été présenté au début par le comité des régimes matrimoniaux et précisément nous voulions recevoir les observations, nous voulions recevoir les critiques et nous les avons reçues.

On nous a fait des représentations concernant, par exemple, la complexité du système. On nous a adressé des reproches; c'était normal, nous avions invité ces personnes à faire des représentations. On nous a reproché l'immutabilité du régime que nous avions conservée au début. On nous a reproché un certain nombre de dispositions touchant à la liquidation. On nous a reproché également de ne pas avoir assez songé à résoudre le problème d'une autre manière par la limitation de la liberté de tester de l'article 831.

Alors, nous avons pris ces mémoires où, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il y avait une opposition à l'ensemble. Nous avons réexaminé ces propositions, nous avons réexaminé ces observations. Nous avons estimé que certaines des critiques étaient parfaitement justifiées, que certaines observations étaient parfaitement normales et que nous devions changer. Nous avons changé. Par exemple — j'ai essayé de le montrer — pour répondre à l'argument de complexité qui avait également été présenté par le conseil général du Barreau de la province, nous avons cru devoir tenir compte de ces observations en élargissant la notion d'acquêts, en prévoyant des règles pour la liquidation, pour la présomption d'acquêts, la présomption de la règle d'indivis, tout cela pour faciliter aux notaires, dans les cas difficiles, la liquidation du régime. Parce que nous estimons que dans une large majorité des cas, au fond, on sera en présence d'acquêts. Les jeunes ménages arrivent au mariage sans beau- coup de biens. L'un gagne et, à moins d'une découverte sensationnelle ou à moins d'une entrée dans un établissement commercial ou d'une montée rapide, en général on passe une vie conjugale avec les économies.

Quand arrive le règlement, je pense que les notaires pourraient corroborer, on se trouve, dans un très grand nombre de cas, devant de petits règlements de succession.

Alors, tenant compte de ces observations, nous avons modifié considérablement le rapport. Nous avons également répondu à la critique de l'immutabilité, nous avons changé la règle si bien qu'aujourd'hui, monsieur, il ne m'est pas possible de dire dans quelle mesure les associations féminines manifesteront leurs senti-mots à l'égard du projet tel qu'il a été remanié. J'aimerais, comme vous, avoir l'occasion de les entendre et de voir quels sont aujourd'hui leurs sentiments.

M. LE PRESIDENT: Très bien, Me Crépeau. L'heure avance rapidement. Je sais que le député de Marguerite-Bourgeoys a l'intention de poser une autre question.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'était plutôt un commentaire. Parce que je me souviens, M. le Président, avoir assisté à cette journée où il y a eu une audition publique et où les corps intermédiaires sont venus présenter des mémoires à Montréal. J'aimerais dire que, lorsque j'ai pris connaissance du bill 10, j'ai été agréablement surprise de voir que, justement, plusieurs des recommandations qui avaient été faites par différents corps intermédiaires qui s'étaient fait entendre ce jour-là avaient été suivies.

Je sais, par contre, qu'il y a certaines recommandations et suggestions qui avaient été faites qui n'ont pas été suivies. Mais justement, avant qu'on en fasse mention, j'allais demander à Me Crépeau de nous dire — mais il l'a fait — quels étaient les changements qui avaient été apportés à la suite de l'audition publique.

Il y aurait, par exemple, une question. Je ne me souviens pas de la date où avait été tenue cette enquête publique. Est-ce que de mémoire...

M. CREPEAU: En mars 1967, madame.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: En mars 1967. Merci.

M. LE PRESIDENT: Alors, merci beaucoup, Me Crépeau. Nous pourrions peut-être maintenant céder la parole à Me Claude Gagnon qui, je crois, représente le Barreau du Québec.

M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, à titre de suggestion, tout simplement, si vous me le permettez, il serait peut-être intéressant, à ce moment-ci, de savoir quelles sont les représentations et peut-être d'en établir également la liste afin que nous puissions déterminer l'ordre des séances que nous aurons à tenir, etc.

M. TETLEY: II faut savoir qu'il y a des éléments masculins ici aussi.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que ceux qui ont l'intention de se faire entendre à la commission pourraient s'identifier et nous dire qui ils représentent, s'il vous plaît?

Me Claude Gagnon, vous représentez le barreau?

M. GAGNON: Oui avec Me Georges Emery.

M. LE PRESIDENT: Me Coupai est-il ici? De la Chambre des notaires? Est-ce qu'il y a d'autres personnes?

MME CASGRAIN: Je suis Mme Casgrain.

M. THEORET: Pardon, M. le Président, Mme Casgrain, qui représente-elle?

MME THERESE CASGRAIN: Je représente — j'ai ici des télégrammes, vous pouvez vérifier — l'Association féminine d'éducation et d'action sociale groupant 31,650 membres...

Je représente également la Fédération des travailleurs du Québec.

Je représente également la Ligue des droits de l'homme dont j'ai déjà été présidente. Et au moment où on a présenté un mémoire devant la commission dont M. Crépeau est le président, à ce moment-là, j'étais la présidente et c'est Claude Forget qui a présenté le mémoire.

Nous avons ici également des associations qui se sont groupées avec nous pour faire certaines réserves. Il y a la ligue des droits de l'homme, comme je le disais tantôt, la Fédération des unions de familles dont la présidente est ici, la Confédération des syndicats nationaux, M. Marceau est là, et la Voix des femmes du Québec, l'Association des femmes de carrière de la province de Québec, la Fédération des femmes du Québec qui a eu un mémoire très important qui a été présenté et dont la présidente est ici.

M. THEORET: M. le Président, je ferai remarquer que Mme Casgrain représente beaucoup plus d'électeurs que le barreau et la Chambre des notaires ensemble.

MME THERESE CASGRAIN: Vous avez dit « d'électeurs ».

UNE VOIX: Et d'électrices, madame.

M. THEORET: Cela prendra les deux, évidemment.

Me CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Je suis Me Claire l'Heureux-Dubé et je représente l'Association des femmes de carrière de la province de Québec Inc., et je voudrais parler en mon nom personnel.

M. LE PRESIDENT: Très bien.

M. CAPARROS: Mon nom est Ernest Caparros.

M. LE PRESIDENT: Pardon?

M. CAPARROS: Caparros. Je suis professeur à la faculté de droit, et je voudrais parler en mon nom personnel.

M. LE PRESIDENT: M. Saint-Laurent.

M. SAINT-LAURENT: M. Saint-Laurent, je représente l'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres personnes?

MME MORE LAND; Mme Charles Moreland, en mon nom personnel, si j'ai des choses à ajouter quand les autres auront fait leur intervention.

M. PAUL: M. le Président, nous constatons que le bill 10 crée beaucoup d'intérêt. Il nous faudrait cependant nécessairement nous limiter ce matin, et si cela convenait à madame et à mes collègues, ainsi qu'à vous, M. le Président, nous pourrions peut-être entendre ce matin, Mes Gagnon et Emery, pour convenir d'un ajournement que l'on pourrait fixer au 4 juin. Madame, je comprends que vous soyez peut-être déçue de ce délai, même si c'est une commission importante, cela en est une importante parmi toutes celles qui fonctionnent. Nous en avons jusqu'à deux et trois dans la même matinée. Alors, il est impossible pour nous de pouvoir accomplir un travail et de nous multiplier. C'est pour cela que nous mentionnons la date du 4 juin, parce que le 3 juin, il y aura également une autre séance d'une autre commission de la justice, une commission spéciale, qui a encore un travail extraordinaire à abattre, c'est la loi concernant la copropriété des immeubles.

II ne faut pas oublier non plus que Me Comtois ne sera de retour que le 27 mai. Et nous voulons profiter du passage du notaire Comtois ici à Québec pour l'entendre tant sur le bill de la copropriété que sur le bill 10. Je crois que cette suggestion est bien justifiée, de reporter la prochaine séance de la commission au 4 juin.

M. THEORET: M. le Président, si vous me le permettez, sans savoir quelle est la vigueur de l'intervention des membres du barreau, je crois que la désapprobation de la part de ces dames, ne vient pas du fait, M. le Ministre, que cela soit reporté au mois de juin, mais qu'elles ne puissent pas se faire entendre ce matin. Et si le barreau ne prenait pas trop de temps, est-ce que nous pourrions siéger jusqu'à une heure et entendre le point de vue des dames qui sont ici représentées, qui ont fait des voyages, etc.

M. WAGNER: Pourrions-nous faire une suggestion, M. le Président? Peut-être que les membres du barreau aimeraient céder leur place à ces dames afin qu'elles se fassent entendre ce matin?

M. GAGNON: M. Wagner, M. le président l'a suggéré, et il me semble tout à fait légitime, cela nous ferait énormément plaisir de céder la parole à Mme Thérèse Casgrain et à celles qui l'accompagnent.

M. PAUL: Me Gagnon, d'autant plus que je crois que vous serez également intéressé par le bill de la copropriété, alors que nous tiendrons une séance le 3 juin. Peut-être pourriez-vous à ce moment faire des représentations le lendemain pour le bill 10?

M. LE PRESIDENT: Nous cédons déjà le pas aux dames. Mme Casgrain.

MME THERESE CASGRAIN: Je tiens à souligner que je ne représente pas uniquement des femmes. Je représente la Fédération des travailleurs du Québec, la Ligue des droits de l'homme, alors je ne peux pas dire que je parle au nom des femmes.

M. LE PRESIDENT: Madame Casgrain.

MME THERESE CASGRAIN: M. le Président, mesdames et messieurs, je voudrais d'abord remercier le barreau qui permet à une femme de ne pas avoir le dernier mot, et je voudrais vous dire que je suis très heureuse de cette occasion d'exprimer notre opinion sur le bill 10. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je parle au nom de tous ces groupements qui se sont réunis et entendus sur plusieurs points que je voudrais vous soumettre ici.

D'abord nous voudrions protéger le domicile familial, en faisant un amendement quelconque et, deuxièmement, la liberté de tester. M. Cré-peau n'en a pas parlé tantôt dans son brillant exposé, mais nous voulons d'abord parler du domicile familial. 1) Domicile familial. En effet, il nous a paru qu'il était nécessaire, sous tous les régimes matrimoniaux, conventionnel ou légal, qu'une protection soit accordée à la famille comme telle, en obligeant, quant à certains actes d'administration courante, les époux à concourir dans ces décisions qui se révèlent souvent d'importance capitale pour un ménage.

Qu'il s'agisse d'aliéner ou d'hypothéquer l'immeuble servant de domicile familial ou de consentir, d'annuler ou de modifier un bail au sujet de cet immeuble ou d'aliéner les meubles meublant ce domicile, le concours des deux époux devrait être absolument requis et ce, sous tous les régimes. Nous citons, à titre d'exemple, l'article 215 de la loi française de 1965. Si vous voulez je peux vous le lire mais il est là dans le texte: « Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublant dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation: L'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous. » 2) La liberté de tester. De plus les régimes matrimoniaux, quels qu'ils soient, doivent protéger les intérêts fondamentaux de la famille. C'est pourquoi c'est à cette occasion que nous avons jugé à propos d'attirer votre attention sur la nécessité de faire perdurer cette protection après le décès de l'un des conjoints. La liberté absolue de tester pour nous contredit l'essentiel de cette protection. C'est pourquoi il faut la limiter en faveur du conjoint survivant mais aussi peut-être surtout en faveur des enfants de la famille.

Ces deux éléments clés sur une législation relative à la famille auxquels devraient éventuellement s'ajouter beaucoup d'autres points nous semblent un prérequis vital minimal.

Pour ce qui est des régimes matrimoniaux maintenant, les notes introductives du projet de loi reflètent le souci des auteurs de traduire dans la législation un régime qui « tout à la fois respecterait l'autonomie, l'égalité et l'indépendance des deux époux et permettrait à

chacun de participer , lors de la dissolution du régime, aux bénéfices réalisés pendant sa durée. »

Tout en étant absolument d'accord avec les buts recherchés par les auteurs de la revision du code civil, nous faisons certaines réserves que nous jugeons essentielles.

Une de ces réserves nous est connue, les autres vous seront communiquées par des personnes ici présentes que notre action commune a permis de faire entendre: ce qui, pour nous, constitue une condition sine qua non du travail législatif bien fait.

La question du nom. Le nom de « société » est si près de celui de « communauté » qu'à la lecture du texte, ces deux termes portent facilement à confusion, surtout lorsqu'on parle de « communauté de meubles et d'acquêts » et « société d'acquêts ». Si le régime proposé était adopté, nous suggérons donc le nom suivant: « Régime de participation aux acquêts ».

Alors sur ces points, toutes les associations que je vous ai nommées tantôt sont d'accord. Maintenant, au nom de la Ligue des droits de l'homme, je dois souligner le fait qu'elle s'est prononcée en faveur de la séparation de biens pour autant que la liberté de tester serait brimée un peu. Parce que nous trouvons que c'est extrêmement dangereux pour le conjoint et les enfants qui survivent à la disparition de l'un d'entre eux.

Maintenant nous sommes d'accord, et quant à moi je suis sûre que toutes les femmes sont d'accord, comme tous les hommes de bonne volonté, les bien pensants, que tout ce qui peut prévoir l'égalité du statut de la femme serait une excellente chose.

Si vous me permettez d'ajouter une note personnelle. Je me souviens d'être venue ici il y a près de trente ans alors que déjà nous avions sonné non pas une sonnette mais des cloches, et je suis heureuse aujourd'hui de voir qu'enfin on est en train d'amender les conventions matrimoniales. Quand j'ai lu les prémisses qu'il y avait dans le projet de loi no 10, je voyais qu'on avait consulté les régimes matrimoniaux en Suède, qui datent de 1920, en Norvège je crois, de 1925. Alors, je suis ravie de voir qu'en 1967 et 1969 vous faites des efforts énormes pour amender ces régimes qui, d'après moi et d'après mon expérience sociale, ce que j'ai vu dans la vie, sont tellement nécessaires.

C'est parce qu'il y a tellement de ménages malheureux et de femmes qui souffrent. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'hommes aussi. Mais, je me souviens d'une phrase dans un des rapports qui avaient été faits sur les amendements au code civil, l'un des commissaires avait dit que l'adultère était peut-être une injure aussi grave au point de vue moral, était une offense, mais que c'était plus dur pour l'homme de l'endurer parce que le coeur a des raisons que la raison ne comprend pas.

Alors, je vois qu'aujourd'hui tout le monde a compris.

Maintenant le bill 8. Je voudrais vous dire aussi que vous demandez une participation et de plus en plus les gouvernements sont soucieux de connaître l'opinion du public. Je suis très heureuse aujourd'hui que vous nous donniez l'occasion de parler sur le projet de loi numéro 10 parce que le projet de loi numéro 8 sur le divorce est passé sans que nous ayons pu pratiquement dire quoi que ce soit là-des-sus et nous avions de grandes réserves à faire à ce sujet. Surtout à l'article 11 du bill. Des avocates et des personnes mieux qualifiées que moi pourront vous dire ce qui en est.

Voilà les quelques remarques que je voulais faire. Je voulais remercier tous ceux qui sont ici de leur obligeance et de leur amabilité pour avoir bien voulu m'écouter et le barreau de m'avoir cédé sa place. Merci.

M. PAUL: Mme Casgrain, quand vous vous référez à un mémoire que vous auriez présenté il y a environ 30 ans, est-ce que c'était devant la commission Péladeau?

MME THERESE CASGRAIN: Non, c'était la commission que M. Taschereau avait instituée avec le juge Dorion, le notaire Sirois. A ce moment-là nous avions demandé à Me Lafleur qui était un des grands avocats du temps de parler pour nous. J'ai le rapport imprimé, qui avait été publié en 1932, je crois.

ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Puis-je me permettre de vous demander la parole? Je me suis déjà identifiée.

M. LE PRESIDENT: Certainement.

ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Ce n'est pas que cela ait été planifié d'avance, mais le barreau a été aussi gentil envers mois qu'envers Mme Thérèse Casgrain et me permet de m'exprimer tout de suite.

Si vous me le permettez, M. le Président, celui qui vous a précédé tout à l'heure a indiqué, a ouvert une porte disant qu'il était très large pour les femmes. Alors je me permettrais de faire part à la commission de ma très grande admiration pour la grande dame qu'est Mme Thérèse Casgrain. Je pense qu'il y a lieu, pour moi, quand je sais que c'est elle qui m'a

fait admettre au barreau parce que c'est elle qui a fait changer, il y a dix ans, la Loi du barreau — vingt ans à peu près — qui me permet, aujourd'hui de lui parler...

M. LE PRESIDENT: Me Dubé, si vous me permettez...

ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Je suis au barreau depuis 17 ans. Alors ça doit faire 27 ans.

M. LE PRESIDENT: ... Mme Casgrain n'a pas été simplement gentille pour vous en vous donnant l'occasion de vous faire admettre au barreau, mais aussi à nous, qui faisons partie du barreau et qui avons le plaisir d'avoir des personnes du sexe féminin. C'était autant pour nous.

ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Ah, c'est gentil! Voici, disons que j'aimerais tout de suite clarifier ma position sur le bill 10. Moi, je l'aime beaucoup et je suis très favorable aux principes qui y sont exposés. Je l'ai dit à Me Crépeau et j'ai beaucoup de respect pour ceux qui ont conçu cette législation. Je me permettrai de faire seulement quelques remarques. Je pense, c'est normal, qu'on ait des réserves à apporter et des remarques à faire. D'abord, en commençant, les remarques que Mme Thérèse Casgrain a faites me semblent absolument utiles. Je voudrais peut-être expliquer un peu cette remarque, par exemple, sur le nom. La société d'acquêts — tout à l'heure j'ai remarqué justement, M. le Ministre Paul, quand vous en avez parlé, vous-même avez confondu société et communauté et c'est tellement facile.

J'ai lu le bill dix fois et Je vous assure que quand je lis le code, je confonds communauté et société d'acquêts. Alors, je pense que la confusion se fera automatiquement.

Et aussi disons qu'il y a un autre aspect à cela, c'est que ce n'est pas une société du tout. C'est tout simplement une séparation pendant le vivant. On ne peut pas dire, si cela induit en erreur, que ce n'est pas une société. Si par contre, on met le mot « séparation » qui avait déjà été suggéré dans certains mémoires, le mot «séparation » n'est pas juste non plus parce que quand an arrive pour demander un partage, c'est assez illogique de demander le partage d'une chose qui est déjà séparée.

Alors, je pense qu'on voudrait éliminer les deux objections en enlevant le mot « société » en disant: Régime de participation aux acquêts. Cela existe en Allemagne fédérale si mes renseignements sont bons. Je ne vois pas pourquoi on ignorerait cette confusion-là, disons que c'est assez technique pour le nom et c'est assez mineur comme remarque.

Les autres remarques que j'aimerais faire d'abord au nom de l'association que je représente ici concernent la substance. Je pense qu'il faut, pour véritablement voir quel est le test d'un régime, le voir au moment où cela ira mal. Quand cela va bien, il n'y a jamais de problème, c'est quand cela va mal. Quand cela va-t-il mal? C'est au décès d'abord, ensuite en cas de séparation et de divorce et ensuite au moment où il y a faillite, où les affaires vont mal.

Alors, au point de vue de décès, je crois que le projet me satisfait, moi, quoiqu'il y ait beaucoup de complexité que j'admets et je pense que d'autres organismes feront d'autres représentations sur ce point-là. Moi, personnellement, je ne fais pas un gros problème des complexités mais j'admets que cela sera très difficile quand on a un propre de le suivre pendant 40 ans. Si la femme a $20,000 au début, il sera très difficile de le suivre. Qu'a-t-elle fait avec cet argent, elle l'a employé pendant 40 ans, temps que durent les ménages. Mais quand même disons que je n'en fais pas un point.

Le problème que je veux soulever est le problème des séparations et des divorces. Disons que le projet contient une très bonne chose que j'aimerais souligner, c'est l'article 1442 que j'ai souligné ici, c'est l'article du bill — je ne sais pas quoi — à la page 30: La séparation de biens prononcée en justice remonte quant à ses effets, au jour de la demande. Je crois que c'est très bien parce que les demandes, nécessairement, traînent en justice. Mais, disons qu'il faut aussi se poser le problème sur ce plan-ci à supposer que des gens ne s'entendent pas et vivent séparément de fait pendant 10 ou 15 ans et que la demande n'est prise qu'après 15 ans de séparation de fait. Le patrimoine a changé, on ne peut pas dire que ces deux personnes ont contribué à l'acquisition d'un patrimoine pendant ces 15 ans. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu que ces effets-là remontent au jour de la séparation de fait. Parce qu'il ne faut pas oublier que cela va créer des problèmes énormes. On peut ruiner une personne avec ce système, autant une femme qu'une homme, remarquez.

Vous voyez, j'ai deux cas actuellement chez moi, je peux en parler. Un homme qui est riche dans le moment et qui s'est séparé de sa femme, il y a 20 ans, voudrait régler sa situation. Il vaut $300,000, il est marié en communauté de biens, ce serait la même chose d'ailleurs sous le régime d'acquêts. Qu'est-ce qui arrive à ce moment-là? C'est qu'il est ruiné. Il ne peut pas se permettre de donner $150,000 à sa

femme. Et l'inverse peut se produire.

Je vais vous poser un cas concret, je suis très pragmatique. Quand arrive par exemple une femme abandonnée, son mari la laisse avec plusieurs enfants. Il n'y a pas eu annulation et, pour une raison ou une autre, elle néglige de demander une séparation ou un divorce, pour différentes raisons. Quinze ou vingt ans après, elle se refait une fortune, elle a ses enfants — cela est dans mon bureau dans le moment — et le mari revient et demande le divroce. A ce moment-là, elle doit donner la moitié de tout ce qu'elle a acquis de peine et de misère avec ces sept ou huit enfants. Je crois que cela créera des problèmes dans la pratique.

J'aimerais les souligner parce que je pense qu'il faut penser à ce qu'il va se passer comme mécanisme, vous introduisez un régime que les gens auront choisi par absence ou, enfin sans se prononcer, qui va leur amener des mécanismes extrêmement lourds et qui peuvent leur coûter, à un moment donné, leur fortune.

Je pense qu'il faut y réfléchir.

L'autre aspect qui m'a assez frappée dans cette législation, c'est qu'on ne parle jamais de lorsque ça va mal en affaires. Or, on sait très bien que la raison pour laquelle le régime de séparation de biens a tant de vogue, c'est qu'on peut brandir son contrat de mariage, à un moment donné, et dire, si on est saisi : on ne touche pas aux meubles. à on est saisi, ce qui est au nom de la femme, on n'y touche pas.

Alors, dans ce régime-là, s'il y a une faillite ou quoi, tout y passe. Il n'y a aucune réserve pour le domicile familial ou pour l'immédiat dans l'intérêt de la famille, l'essentiel à l'intérêt de la famille. Je pense que ça devrait être pensé. Justement — Mme Kirkland-Casgrain a pertinemment posé le problème à Me Crépeau — qu'est-ce qui se fait en Ontario?

Justement,en Ontario, on a réglé ce problème-là dans le rapport. En fait, j'ai le rapport devant moi. Il est daté du 5 janvier 1968 et, le 12 mars 1969, on le soumettait. Il n'a pas été adopté encore, remarquez. Ce n'est qu'un projet. A la page 566 de ce rapport, on dit — et j'aimerais vous le citer pour vous montrer comment ces problèmes, en Ontario, ont eu une considération: « In many families, the matrimonial home is regarded as a somewhat special item of property, with a sentimental, in addition to an economic, value. Moral feelings are opposed to events such as a summary removal of a spouse and children from a matrimonial home or the sale of the home by a husband to his mistress. « It is the view of the Family Law Project that whatever way the legal title is held, one spouse alone should not be able to sell or create a security interest over a house in Ontario which the other spouse is occupying as a matrimonial home. By a matrimonial home is meant a dwelling in which the spouses are cohabiting, or, if they are separated, a dwelling is which they were cohabiting prior to separation, or else a dwelling occupied in substitution therefore. « It is recommended that a sale of or a security over the matrimonial home should require that both spouses consent in writing to the sale or security. »

Ce problème-là a donc été étudié. C'est vraiment une manne dans l'intérêt de la famille et j'ai peur, moi, que ce régime... Je ne crois pas que les législateurs soient intéressés à faire un régime ou à faire toute cette législation pour 2% ou 3% de la population. Je pense qu'on veut que ça devienne un régime populaire auquel les gens s'adonnent sans crainte et sans problème. Eh bien, j'ai peur que, justement à cause du manque de ces mécanismes de protection minimale pour la famille, il ne soit pas populaire.

Je ne vois pas comment, moi, je recommanderais à ma fille et à mon fils de se marier sous ce régime, dans ces circonstances actuelles. Et si ce n'est pas bon pour mon fils et ma fille, je ne crois pas que ce soit bon pour le reste de la population.

Disons que c'est dans cet esprit que je fais ces remarques. Si vous me permettez, je ne voudrais pas prendre le micro pour moi seule, surtout qu'il est tard. Je me limiterai, pour le moment, à ces observations, quitte, au fur et à mesure, à en faire d'autres, si ça se présente.

Mais vu que nous avons l'honneur d'avoir la présence du ministre de la Justice, je me permettrai, étant donné que j'ai un intérêt extrêmement personnel dans ces questions — personnel, pas pour ma vie privée, je vous prie de le croire, mais pour mes clients — de lui demander qu'après que la commission aura terminé l'étude de cette législation extrêmement importante qu'est le bill 10, de se pencher sur le problème des déshérités de la vie, qui sont les séparés et les divorcés, ce que les journalistes ont appelé le ghetto des séparés.

Je ne fais que cette allusion et je demande au ministre d'en faire personnellement son problème.

Merci.

M. LE PRESIDENT: Merci, Me Dubé.

Est-ce qu'il y aurait quelqu'un d'autre qui aurait des remarques?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, avant que ne partent Mme Thérèse Cas-grain et Me Claire L'Heureux-Dubé, ma consoeur, je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion pour les remercier de leurs remarques pertinentes et de leurs suggestions constructi-ves et, en même temps, les féliciter.

Je me souviens qu'en 1940 les femmes ont obtenu le droit de vote et l'on se souvient de l'apport de Mmes Thérèse Casgrain et Renée Vautelet. Je mentionne seulement ces deux femmes parce que je les connais personnellement toutes les deux. Il y en a plusieurs autres, je le sais. Mais je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion pour la remercier parce qu'évidemment, comme Claire L'Heureux, si on n'avait pas donné le droit de vote et d'éligibilité aux femmes je ne serais pas ici à cette table. Alors, il me fait plaisir de voir leur intérêt et leur participation aux débats. Enfin, je terminerai pour dire que nous avons besoin dans la province de Québec de femmes, et nous en avons des femmes de ce calibre qui s'intéressent à la chose publique et qui n'ont pas peur de s'exprimer. Alors, je les félicite et je les remercie.

MME MORELAND: Jeanne Moreland, comme j'ai participé à la rédaction du mémoire que Mme Casgrain a lu, inutile de vous dire que je partage tout ce qui y est écrit.

Je parle maintenant en mon nom personnel. Je vois beaucoup de bonnes choses dans le projet de loi numéro 10. Par contre, je fais les mêmes réserves, étant dans l'exercice du droit depuis, j'ose le dire, au-delà de vingt ans; je suis la doyenne des avocates du Barreau de Québec. Maintenant, au Barreau de Montréal, dans ma pratique, j'ai eu sussi des cas semblables à ceux que citait Mme Dubé. Alors je partage les réserves faites par Mme Dubé. Depuis quelques semaines, évidemment, je pense beaucoup à la société d'acquêts; je ne dirais pas que f en rêve, mais j'ai fait quelques sondages et j'ai demandé, par exemple, à des gens qui doivent marier leur fille très prochainement en leur expliquant le régime, si eux conseilleraient à leur fille de se marier sous ce régime-là et, malheureusement, on me dit, devant la complexité: On ne prendra pas de chance, on va quand même aller chez le notaire. Je pense que le régime de la séparation de biens est plus près de notre mentalité nord-américaine.

Alors, je fais ces réserves quitte aux législateurs évidemment à réfléchir encore davantage et à prendre les décisions les plus sages. Maintenant, si le projet de loi est adopté, j'aurais une question à poser. A l'article 1437, qui est suggéré au chapitre portant sur la séparation de biens, je me demande pourquoi le deuxième paragraphe a été ajouté. Je sais qu'en 1964 nous avons obtenu la pleine capacité juridique pour la femme mariée. Alors, je me demande pourquoi est-ce nécessaire d'ajouter que la femme peut tester en justice et contracter sans autorisation? C'est admettre implicitement, à mon sens, que la femme a certaines incapacités encore, ou est-ce pour essayer de faire évoluer la mentalité des gérants de banque? Je ne sais pas pourquoi cela a été ajouté. Il y a sûrement une raison, mais je n'en vois pas la nécessité si nous avons vraiment la pleine capacité comme nous en sommes convaincues depuis 1964. C'est une remarque que je voulais faire lorsque vous étudierez paragraphe par paragraphe. Je vous remercie de votre bonne attention.

M. LE PRESIDENT: Très bien. Il y a M. Ernest...

M. CAPARROS: Je préférerais participer le 4 juin.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres personnes qui seraient prêtes à se faire entendre immédiatement?

M. SAINT-LAURENT: Je n'ai pas toutes les informations que je veux présenter, avec moi.

M. LE PRESIDENT: Alors, est-ce qu'il y a d'autres personnes qui souhaiteraient se faire entendre aujourd'hui?

M. GAGNON: M. le Président, nous sommes toujours à la disposition de la commission.

M. CHOQUETTE: Est-ce qu'on peut féliciter les dames de leur brièveté?

M. GAGNON: C'est un salutaire avertissement pour ceux qui suivent!

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'on pourrait demander à M. Gagnon, approximativement, durant combien de temps il veut s'exprimer?

M. GAGNON: M. le Président, quant à mol, ce sera très court, c'est simplement une brève introduction. Quant à Me Emery, qui ira peut-être un peu plus dans les détails, j'ai l'impression que cela peut être assez court.

M. LE PRESIDENT: Approximativement combien de temps?

M. EMERY: C'est simplement sur le principe; actuellement, nous n'allons pas discuter des articles. Le barreau fait voir ses positions, les motifs d'ordre général et c'est tout, quitte à reprendre plus tard le débat.

M. LE PRESIDENT: Très bien. Alors, Me Gagnon.

M. GAGNON: M. le Président, Je rappelle simplement que nous représentons le barreau du Québec. Je suis accompagné de Me Georges Emery qui depuis plusieurs années est président du comité de législation du barreau.

D'abord, avant d'exposer dans les grandes lignes quelle est la position du barreau, je m'en voudrais de ne pas rappeler la vieille amitié qui me lie à Me Paul Crépeau. Et, même avant de l'entendre, je savais qu'il rendrait entière justice au travail énorme que s'est imposé l'Office de revision pour la préparation de ce projet de loi.

La position du barreau est assez claire. C'est évident que nous ne sommes pas ici pour plaider une cause. Comme tous ceux qui participent à cette réunion aujourd'hui, nous n'avons qu'un intérêt, c'est l'intérêt public. Et je peux vous assurer, M. le Président, que les avocats comme les autres se feront le devoir d'épous-seter leur code lorsque cela sera nécessaire.

Comme question de fait, j'ajouterais même que la position que le barreau prend est assez claire. Nous avons eu l'occasion de faire des représentations en 1966 et tout récemment au ministre de la Justice. Je tiens à rappeler les principes directeurs de notre position.

Le premier principe que le barreau appuie, c'est que nous repoussons le statu quo, dans ce sens que nous ne croyons pas que le régime de la communauté de biens devrait subsister comme régime légal. Nous croyons que l'évolution du droit de la famille marquée spécialement par la loi de 1964 doit continuer et nous sommes entièrement d'accord avec les postulats qui sont la base du travail effectué par l'office de revision.

En d'autres mots, nous sommes d'accord sur le point de départ et sur les objectifs que tous poursuivent en la matière. Mais, nous formulons des réserves sérieuses à l'endroit du projet de loi qui est devant vous et pour deux raisons principales.

La première raison, c'est qu'à notre humble avis — et nous avons eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises au gouvernement de la province depuis plusieurs années — nous croyons que le fait de légiférer par morceau peut présenter des inconvénients et même des dangers très sérieux. Et je crois que l'intervention de Mme Casgrain illustre d'une façon assez claire ce que nous voulons dire. Mme Casgrain a attiré l'attention des membres du comité sur le problème de la liberté de tester. Nous croyons que cette question, comme bien d'autres, est intimement liée au problème qui est devant vous, et nous invitons sérieusement cette commission et l'Assemblée nationale à songer à ce problème où nous réalisons et reconnaissons le désir du législateur de faire avancer sa législation.

Nous ne pouvons pas, évidemment, prendre ou forger un nouveau code civil du jour lendemain. Nous réalisons ces problèmes, mais nous croyons de notre devoir de rappeler le danger que peut susciter un amendement, spécialement dans le droit de la personne, d'une partie du code, alors que l'autre n'a pas été étudiée en regard du problème que cela pose.

Notre deuxième raison d'être ici aujourd'hui est parce que — évidemment, le barreau est un terme très large, nous avons un éventail d'idées, de pensées, et même d'opinions sur le bill qui est devant vous — le barreau comme corps a pris une certaine attitude et nous croyons devoir présenter à la commission les vues qui se joignent à ceci dans les grandes lignes. Me Emery vous donnera beaucoup plus de précisions avec beaucoup plus de savoir que je ne peux le faire. Mais nous entrevoyons beaucoup de litiges lors de la liquidation de la société d'acquêts.

En d'autres mots, notre souci principal est d'éviter ce que nous croyons des complications au stade de liquidation. Nous croyons en ce sens servir l'intérêt public en attirant l'attention des membres sur ce danger qui nous semble extrêmement sérieux. Nous croyons que, malheureusement, le régime de la société d'acquêts n'est pas le régime idéal. Il est peut-être le régime idéaliste, mais dans le contexte de la vie de tous les jours et en particulier, de la vie du praticien de tous les jours, qu'il soit notaire ou qu'il soit avocat, nous entrevoyons — j'espère que nous ne sommes pas trop pessismistes — de sérieuses difficultés. C'est mon introduction, je voudrais maintenant demander à Me Emery de nous faire part de certains autres commentaires du barreau.

M. LE PRESIDENT: Permettez, Me Gagnon, le député de Marguerite-Bourgeoys aurait quelques mots à dire.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, lorsque mon confrère du barreau a fait un énoncé, je n'ai pas pu m'empêcher de sursauter lorsqu'il a dit qu'il ne comprend pas ou qu'il trouve difficilement acceptable que l'on légifère

par morceau. Alors que l'Office de revision du code civil doit reviser tout le code civil, comment peut-on s'attendre qu'on légifère autrement? En France même où l'on a apporté des amendements seulement sur les questions des droits de la femme mariée, on a légiféré en 1938 et après en 1942 pour régler la question de capacité et, récemment sous le gouvernement de Gaulle, on avait légiféré également sur les régimes matrimoniaux. C'est ainsi que l'on procède partout où il y a un code civil, on a au-delà de 2,000 articles, comment peut-on penser qu'il y ait possibilité qu'on en arrive, à moins d'attendre 25 ans?

UNE VOIX: Non, non.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La on a déjà attendu cinq ans le bill 10 après le bill 16. Alors moi, j'aimerais que vous m'expliquiez ça.

M. GAGNON: Je suis parfaitement d'accord, madame, sur ce que vous venez de dire. Je n'ai pas dit que ça ne doit pas être fait, que c'est une chose qui ne doit pas être faite dans aucun cas, qu'il faut faire bien attention si l'intérêt public exige qu'on règle un problème particulier aujourd'hui ou demain. Je suggère qu'il faut faire extrêmement attention à cause des implications que cela a sur d'autres parties du code. Je ne veux pas du tout suggérer qu'on doive renvoyer ces bills-là aux oubliettes, ce n'est pas là mon intention.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Non, parce que je pense en particulier au droit de la femme mariée de signer une autorisation pour son enfant qui a besoin d'une intervention chirurgicale ou pour elle-même. S'il n'y avait pas eu le bill en 1964 bien, vous voyez là, on serait encore à étudier et nous n'aurions pas cette législation. Je ne parlerai pas des autres avantages que nous a donnés le bill 16.

M. GAGNON: Je suis parfaitement d'accord.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais je ne peux pas me rallier à l'idée, telle qu'émise au tout début, mais là je comprends.

M. GAGNON: Madame, j'ai peut-être dépassé ma pensée.

M. LE PRESIDENT: M. Emery.

M. EMERY: M. le Président, mesdames, MM. les membres de la commission, je voudrais au tout départ me joindre à M. le bâton- nier pour louer les membres de l'Office de revision du code civil de même que les membres du comité des régimes matrimoniaux, pour l'excellent travail qu'ils ont fait. Je ne crois pas que le rôle du barreau soit de critiquer ce travail. Au contraire, c'est un travail monumental et qui est très bien fait.

Il s'agit de savoir si ce régime-là doit être le régime légal.

En 1966, le barreau a répondu à l'appel de Me Crépeau et a examiné le projet qui avait été soumis par le comité des régimes matrimoniaux. Et le comité de législation a soumis un rapport au barreau qui l'a entériné, rejetant comme régime de base le régime de la communauté de biens actuel et suggérant, comme régime, le régime légal de la séparation de biens et aussi suggérant à l'Office de revision du code civil de considérer et de proposer un nouveau régime légal, soit la réserve en faveur de la légitime, soit la quote-part et, aussi, la restriction de la liberté illimitée de tester. C'était en 1966. Depuis lors, nous avons compris du brillant exposé de Me Crépeau que le projet, qui est actuellement déposé, a été remis à l'automne 1968 et qu'il y a eu, à la suite de ce dépôt du projet ou de sa remise entre les mains des autorités, de nombreux échanges de vues.

Je dois dire à ce sujet que le barreau n'a été invité à participer à aucun de ces échanges d'idées. Le barreau, a pris connaissance il y a environ une quinzaine de jours du projet qui a été déposé ici en première lecture. Des changements ont été apportés au rapport du comité des régimes matrimoniaux, des changements d'importance comme celui de la mutabilité des conventions matrimoniales et, aussi, certaines prohibitions ont été annulées. Sur la question des mutabilités des conventions matrimoniales, le barreau n'a pas eu le temps de se réunir, n'est pas prêt à s'exprimer, quoique personnellement je ne sois pas, en principe, opposé à la mutabilité des conventions matrimoniales. Par contre, il est à se demander quelle sera la portée de cette mutabilité possible de conventions matrimoniales dans le contexte actuel de ceux qui vivent sous le régime de la séparation de biens ou même de la communauté de biens et qui veulent changer. Quelle sera, entre les époux, la façon de procéder pour convaincre son conjoint de changer son contrat de mariage pour choisir un nouveau système ou un nouveau régime?

Il a été dit que 70% des gens avaient rejeté ce qu'on appelle le régime légal de la communauté de biens. Un questionnaire des notaires a établi que seulement 2% des notaires qui avaient répondu au questionnaire avaient des clients qui

avaient opté pour ce qu'on appelle le régime communautaire, le régime contractuel de la communauté de biens, soit la communauté réduite aux acquêts ou d'autres régimes de communauté qui sont des régimes conventionnels et qui ne sont pas le régime de la communauté de biens qui est actuellement au code.

Dans les 28% qui restent il est à se demander, si on avait connu exactement le régime sous lequel on avait vécu, quel aurait été le pourcentage des conjoints qui auraient accepté de se marier sans contrat de mariage.

Je crois qu'on peut dire qu'au moins 20% à 25% auraient préféré passer un contrat de mariage. Ce qui fait que l'on vit sous un régime actuel de communauté de biens depuis 100 ans qui est rejeté par près de 95% de la population.

Là on veut installer un nouveau régime qui est, à mon sens, un régime idéal, il n'y a pas d'erreur, mais qui est, dans sa réalisation, difficile. Et on veut l'imposer comme un régime légal et c'est à cela, je crois, que le barreau s'oppose.

Quand on vit en société — ce n'est peut-être pas une société de conjoints ou association, appelons l'union comme on veut — quand on se joint ou qu'on veut former une société, on s'en-quiert des avantages financiers qu'on peut en retirer — je parle d'une société d'affaires actuellement — alors on s'enquiert aussi des textes de loi qui vont faire que l'on aimerait vivre sous tel ou tel régime ou telle ou telle société.

Dans le cas présent, un couple, par exemple, qui voudra se marier et qui sera complètement ignorant de la loi se verra imposer un régime de société d'acquêts. Nous croyons que, si nous voulons tenter ce régime et ne pas mettre de côté un travail monumental et un travail efficace, nous devrions, à titre d'essai, le proposer comme régime conventionnel de la société d'acquêts, de participation d'acquêts ou autrement, c'est-à-dire un régime que les conjoints eux-mêmes décideraient de choisir sans se le voir imposer par la loi; c'est-à-dire un régime où on pourrait, au départ, faire l'inventaire des biens, parce qu'on ne rentre pas dans ce nouveau régime proposé de la société d'acquêts, sans dresser un inventaire.

Alors, on se présente chez un avocat, un notaire ou un comptable et on dresse le bilan de ses biens. Là, on a l'intention de se marier sous le régime de la société d'acquêts. Et ensuite, on dit, par le projet, la femme ou l'homme ou les conjoints peuvent administrer et leur propre et leurs acquêts, c'est-à-dire qu'on vit en société d'acquêts sous le régime de la séparation de biens. Je crois qu'il est difficile de concevoir que l'on puisse, en société, au point de vue des biens, en société de gestion, avoir quatre patrimoines que deux personnes géreraient d'une façon complètement parallèle. Alors, il faudrait donc qu'il y ait quelqu'un pour que cette société ou cette nouvelle société des époux puisse bénéficier aux époux, qu'il y ait un gérant. Alors, la loi prévoit que la femme peut nommer son mari mandataire ou que le mari peut nommer sa femme mandataire.

Là, immédiatement, on va aller chez le notaire ou chez l'avocat, et on va passer un contrat de mandat parce qu'il est bien important de savoir quelle est la nature du mandat.

Ce mandat-là, pourra-t-on faire la preuve testimoniale sans aveu? La question se pose, la question n'est pas prévue. Il y a donc un contrat qui normalement, suivant tout contrat de mandat, devrait être établi par écrit.

Si par contre le mandataire, soit la femme ou soit le mari, outrepasse ses pouvoirs qui pourraient être déterminés par un contrat bien précis, à ce moment-là, il pourrait y avoir une . action de nullité. Tout geste posé par le mandataire, que ce soit le mari ou la femme, pourrait être attaqué par les tribunaux. Nous sommes déjà au tout début du mariage et nous avons déjà des difficultés.

Nous avons après cela, les propres. Les propres qui appartiennent aux époux, soit à la femme, soit à l'homme, et nous avons les acquêts. Si à même la vente d'un propre, on achète un autre bien, ce bien est un propre. Mais, si à un moment donné, on joint un propre à un produit d'acquêts, là il faut se demander: Quel est le montant qui est supérieur? Est-ce que c'est le propre qui est supérieur ou est-ce que ce sont les acquêts qui sont supérieurs?

Si c'est le propre qui est supérieur, à ce moment-là, cela reste un propre et il faut une récompense pour les acquêts. Et si ce sont les acquêts qui sont supérieurs, le bien reste acquêts, mais il faut une récompense ou une soul-te ou un excédent de prix pour le propre. Alors, nous avons là une comptabilité continuelle pendant tout le cours du mariage. Et nous avons aussi des difficultés entre mari et femme.

Nous arrivons après ça à la dissolution. S'il y a une dissolution par divorce, là se posent d'autres problèmes à cause du bill 8 qui vient d'être sanctionné. Le bill 8 prévoit qu'un juge peut maintenant changer des conventions matrimoniales.

M. CHOQUETTE: Des donations.

M. EMERY: Des donations. Il peut déclarer des donations parfaites. Maintenant, il peut aussi, en vertu de la loi fédérale, de la loi concer-

nant le divorce, y avoir un accord financier entre les parties. Il s'agit de savoir si cet accord financier peut préjudicier aux conventions matrimoniales. La question se pose. La question peut être débattue devant les tribunaux: Est-ce que la loi, est-ce que l'accord financier ou le partage des intérêts financiers qui est dans la Loi du divorce, peut modifier, indépendamment de la mutabilité des conventions matrimoniales, les conventions matrimoniales?

Vous arrivez, aussi, après cela, à la liquidation. A la liquidation, c'est suivre ce bien, diviser les propres, diviser les acquêts, faire le jeu des récompenses, faire le jeu des soultes et c'est à ça que le barreau s'est arrêté et c'est sur cela que le barreau s'est penché pour se demander: Est-ce réellement la solution au problème?

Pour nous, étant donné le contexte nord-américain, nous croyons que la séparation de biens... Et je crois comprendre du rapport de l'Ontario que l'on a recommandé de nouveau de maintenir un genre de régime contractuel de séparation. Et il faut aussi et nous croyons éviter de légiférer pour la minorité. Il ne semble pas, je crois, dans le continent américain que la séparation de biens ou que le régime légal de la séparation de biens ait été si mauvais, car certaines statistiques aux Etats-Unis disent que 60% des investissements américains sont détenus par les femmes. Ce qui voudrait dire que, dans les cas où les conjoints ont vécu sur la séparation de biens, au lieu d'avoir la moitié, elles ont tout eu.

M. CHOQUETTE: La longevitél

M. EMERY: Alors, c'étaient les motifs que nous voulions exposer brièvement sans vouloir entrer dans le détail du bill.

M. CHOQUETTE: M. Emery, seulement une question. Dans la plupart des Etats américains où, je pense, on a la séparation de biens comme régime légal matrimonial, la maison familiale en général est protégée à un régime différent, n'est-ce pas?

M. EMERY: Pour ma part, je suis entièrement d'accord avec la suggestion qui est faite à. l'effet que le domicile familial soit protégé sous tous les régimes. Il va de soi aussi que, si le régime de la séparation de biens devait être accepté, si la proposition du barreau était acceptée comme un régime légal, il faudrait nécessairement apporter certaines modifications aux articles.

M. CHOQUETTE: Qu'est-ce que vous faites de l'argument que Me Crépeau a soulevé ce matin au sujet des donations qui sont faites traditionnellement lorsqu'on adopte le régime de la séparation de biens? Ce qui serait l'évidence suivant lui de ce qu'en général on accepte que le mari, pour compenser son épouse, avant le fait du mariage pour sa contribution financière au succès financier du mariage, eh bien, qu'il accepte de faire cette donation à l'origine du mariage.

M. EMERY: Mais rien n'empêcherait sur tous les régimes d'avoir de ces conventions prévoyant des donations.

M. CHOQUETTE: Je suis d'accord avec vous, mais si le régime est la séparation de biens, les gens n'iront pas chez le notaire et ne passeront pas de contrat. Mais par conséquent, le mari ne fera pas de donation à son épouse...

M. EMERY: Je suis d'accord.

M. CHOQUETTE: ... en quelque sorte pour lui assurer au moins un minimum.

M. EMERY: Je crois que le seul régime qui soit le régime parfait, c'est le bonheur.

M. CHOQUETTE: Tout le monde est d'accord, M. Emery, sur cela, mais l'expérience nous enseigne que cela s'est rarement réalisé.

M. EMERY: C'est pour cela qu'il y aura toujours des difficultés sur tous les régimes.

M. CHOQUETTE: Je suis entièrement d'accord. Mais qu'est-ce que vous faites de cet ar-gument-là?

M. EMERY: C'est-à-dire que c'est un argument que je retiens mais, entre les deux, je préfère ce danger au risque de la société d'acquêts.

ME L'HEUREUX-DUBE: M. Choquette, est-ce que vous me permettriez de répondre à cette objection? C'est que, moi, je crois que les contrats de mariage ne donnent que $2,000 à $5,000. Ce n'est pas grand-chose. Quand on voit ce qui se passe dans le public, ce n'est pas une fortune. Alors, somme toute, c'est presque rien dans le contexte actuel.

M. CHOQUETTE: Je suis d'accord avec vous. Je ne dis pas que les donations sont proportionnées au travail et aux efforts de la femme, en général, je ne dis pas cela. Mais j'ai tiré de

l'exposé de Me Crépeau cet argument en faveur du régime qui nous est proposé par le bill 10. Je l'opposais à Me Emery qui préconise un régime de séparation légale comme régime conventionnel. Je dis: Qu'est-ce que vous faites, à ce moment-là, de la contribution de la femme au succès financier du mariage?

M. EMERY: A ce moment-là, d'ailleurs, vous avez cet argument qui vaudra aussi pour la société d'acquêts, si vous me permettez de reprendre l'argument par l'autre côté. Si vous avez, en société d'acquêts, une femme qui a un important commerce, je ne serais pas surpris, de nombreuses fois, de voir le mari attendre à la maison de voir gonfler les acquêts à son profit. Je veux dire que cela joue des deux côtés.

J'écoutais justement Mer soir le brillant exposé de Me Crépeau au programme « Aujourd'hui » où, justement, une des participantes posait la question: Moi, j'ai un négoce, qu'est-ce qui arrive? A ce moment-là, le femme devra s'attendre que le mari partage les fruits du négoce.

M. CHOQUETTE: J'espère]

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce sont des droits réciproques.

M. EMERY: Mais elle ne semblait pas heureuse de la réponse.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Les avantages sont réciproques.

Me WARREN: Est-ce que je pourrais essayer de répondre...

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse, Me Warren, on ne peut pas permettre à l'assistance de parler, parce qu'à ce moment-là nous allons perdre le contrôle et cela deviendra une assemblée...

M. CHOQUETTE: Cela va être comme à la Chambre!

M. EMERY: Si vous permettez, M. le Président, je ne crois pas que la position du barreau soit à l'encontre. Je crois que ce régime doit être essayé, mais comme régime conventionnel. Et après cela, on verra. Si on prend un régime actuel, un régime qui est la société d'acquêts et si on s'aperçoit dans cinq ans que 1% de la population l'a accepté, ce sera ennuyeux. Mais si, par contre, dans cinq ans ou dans dix ans, on réalise que la majorité se dirige vers ce régime-là, il sera tellement facile de le faire devenir légal par la suite.

M. LE PRESIDENT: Le député de Marguerite-Bourgeoys.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'aurais une question à mon confrère, Me Emery. Il a naturellement préconisé la séparation avec une protection pour la femme comme celle qui existe en France, la légitime.

Je ne sais pas si l'étude que j'ai faite du bill 10 est exacte, mais à la lumière de cette étude, supposons que le mari prédécède à sa femme et qu'ils ont ce régime, — évidemment nous parlons dans l'hypothèse de ce qui est préconisé dans le bill 10, c'est-à-dire si la société d'acquêts deviendrait loi, et qu'un ménage a la société d'acquêts — j'ai l'impression qu'à ce moment la femme est protégée pour une portion des acquêts. Mais n'est-il pas exact de croire qu'au moment du divorce ou de la séparation, la femme est encore protégée, parce que la division des acquêts arrive juste à ce moment. Alors, qu'avec la légitime, cela ne peut arriver qu'après la mort.

M. EMERY: Oui, il peut y avoir une législation...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je pense qu'il est extrêmement important de souligner ce fait, parce que c'est bien beau de suggérer la protection de la légitime, mais elle n'est pas protégée en cas de divorce ou en cas de séparation, à moins d'apporter une autre formule.

M. EMERY: II y a une formule de quote-part au moment de la dissolution, pour faire un partage égal.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais, c'est parce que cela n'a pas été mentionné. Je demandais ce que vous envisagiez...

M. EMERY: Nous avons parlé de quote-part, de réserve ou de restreindre la liberté limitée de tester, à la condition que ce soit au moment de la dissolution par divorce ou par séparation de corps, ou au moment du décès.

M. GAGNON: M. le Président, il serait juste de dire que, si c'était le régime de la séparation de biens qui était adopté comme un régime légal, cela ne veut pas dire qu'il faudrait tout simplement prendre la séparation de

biens telle quelle dans notre code aujourd'hui et dire; Dorénavant, c'est le régime légal. Comme l'intervention que le député vient de faire, il faudra regarder le régime de la séparation légale et voir quels sont les problèmes qu'il pose, si elle devient légale.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors, les amendements ne sont pas pour demain!

M.GAGNON: Nous essayons, madame...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous sommes là pour vous écouter.

M. GAGNON: Nous savons que cela pose des problèmes si c'est le régime de la séparation de biens. Seulement, le barreau ne dit pas; Prenez la séparation de biens, c'est le régime légal. Et tout le monde s'en va chez soi. Ma conclusion de tout à l'heure, dit qu'il faut le régime légal de la séparation de biens. Je crois qu'il faudrait le regarder un peu, au moins, pour l'accommoder au problème que vous avez soulevé, madame, il y a un instant.

M. CHOQUETTE: M. le Président, puis-je poser une question à Me Crépeau? Est-ce qu'on a pensé à votre commission ou ailleurs à une solution en vertu de laquelle il n'y aurait pas de régime légal et que tous les régimes seraient conventionnels? Est-ce qu'on a déjà songé à cette façon d'aborder le problème? C'est-à-dire qu'en somme les parties à un mariage seraient obligées de conclure le régime matrimonial, d'une façon conventionnelle, et elles ne seraient pas obligées de rentrer dans un moule qui serait le régime légal.

M. CREPEAU: M. le Président, je vais vous dire que cette question a été abordée au comité. Nous nous sommes posé la question: Est-ce qu'on pourrait éliminer le régime légal et obliger les personnes à faire une déclaration lors de la célébration du mariage, ou les obliger à se présenter devant un notaire pour dire: Je prends le régime X, régime no 3 du code civil? Mais le problème est que, si l'officier de l'état civil oublie de poser la question, comme ça peut se présenter, si les personnes, pour une raison ou pour une autre, choisissent un régime et qu'il y a une erreur qui pourrait peut-être entraîner la nullité de cette déclaration, et ensuite, le problème des personnes qui viendraient de l'étranger, nous nous sommes dit: Au fond, n'y a-t-il pas lieu de prévoir quelque chose, ne serait-ce que pour ceux qui, dans l'erreur ou à cause d'une nullité d'un régime conventionnel, seraient obligés de vivre, d'organiser leurs relations pécuniaires? Mais, bien sûr, si elles le veulent, elles peuvent le faire. Seulement nous nous sommes dit: Est-ce qu'on ne pourrait pas le faire? Alors chaque fois qu'arrivait une difficulté, alors nous avons crû devoir en arriver à la conclusion que cette règle qui veut qu'en l'absence d'un régime ou qu'en l'absence de déclaration ou en cas d'erreur, en cas de nullité ou d'étourderie, il faut bien que les rapports pécuniaires soient organisés d'une façon.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Merci.

M. LE PRESIDENT: Avant de terminer je voudrais remercier tous les participants. Je pense que vos lumières vont être utiles à tous les membres de la commission. Je remercie d'une façon particulière Me Crépeau et tous les autres membres qui ont bien voulu se faire entendre devant cette commission. La séance est ajournée au 4 juin, 10 heures.

(Fin de la séance: 12 h 56)

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