L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de l'administration de la justice

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de l'administration de la justice

Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le jeudi 28 août 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Bill 10 - Régimes matrimoniaux


Journal des débats

 

Commission permanente de l'administration de la Justice

Bill 10 — Régimes matrimoniaux

Séance du 28 août 1969

(Dix heures sept minutes)

M. BERGERON (président de la commission permanente de l'administration de la justice): A l'ordre, messieurs!

Est-ce que vous verriez un inconvénient à ce que nous procédions article par article dès cette séance?

M. PAUL: Je crois que M. Beaudoln a fait un travail de recherche assez poussé en ce sens.

M. CARDINAL: ... il y en a trois pour cela. M. PAUL: Il y en a...

M. BEAUDOIN: M. le ministre, je n'ai pas tellement étudié les régimes matrimoniaux, j'étais occupé à l'étude de la copropriété des immeubles. Mais dans le domaine des régimes matrimoniaux, je crois qu'il s'agit d'analyser le bill article par article, si tous les membres de la commission sont d'accord sur le principe de la société d'acquêts telle qu'elle a été proposée, telle qu'elle a été expliquée plusieurs fois.

M. CARDINAL: J'en ai parlé tout à l'heure aux membres de l'Office de revision du code civil, de sorte que nous en avons discuté assez longuement.

Certaines questions sont difficiles à trancher quant à savoir si ce serait la séparation de biens ou la société d'acquêts. Cela a été le point central, tant au sein du Barreau que de la Chambre des notaires; cela a été fort longtemps discuté, parce que les deux corps professionnels ont été personnellement consultés.

Il faut dire, d'autre part, que le groupe de l'Office de revision du code civil qui a préparé ce projet, et notamment, M. Comtois, avait, au départ, le point suivant: M. Comtois avait fait une thèse sur les régimes matrimoniaux, il avait vendu l'idée de la société d'acquêts, et fort honnêtement il a essayé de vendre à tous ses collègues ses convictions sur ce régime qui serait, dorénavant, le régime légal.

Personnellement, malgré certaines réticences que je pourrais peut-être donner au cours de la discussion des articles, je l'accepte pour une raison précise: c'est que, vis-à-vis des régimes fiscaux, ce régime matrimonial favorise le survivant, parce qu'au moment du décès, au lieu d'avoir la totalité d'un patrimoine, lorsque le mari décède, dans la succession, disons qu'on n'en a, grosso modo, que la moitié, pour fins d'impôts. Cela a été un des avantages.

L'autre avantage qui avait été retenu, c'est que, de plus en plus, au Québec, les deux époux travaillent, et que sous le régime de la séparation de biens, il n'y a pas de patrimoine qui soit commun. C'est-à-dire que le fruit des travaux, soit du mari, soit de la femme, pouvait être, par l'un ou par l'autre, employé aux fins qu'il ou qu'elle désirait, sauf les règles obligeant à la pension alimentaire; et que notre système testamentaire fait que les gens y aient entière liberté.

Celui qui décédait et qui avait plus de fortune pouvait la laisser à qui il voulait. Il y a un deuxième avantage qui est l'avantage des héritages, si vous voulez, ou de la protection des héritiers.

La difficulté de ce régime, à premiere vue, c'est que dans les faits il faudra presque que les époux tiennent une comptabilité parce qu'on ne saura pas d'où viennent les biens; on ne saura pas de quel principal les fruits sont tirés et il sera probablement beaucoup plus difficile, tout d'abord, de régler les successions — malgré l'avantage fiscal — et, deuxièmement, advenant les cas de séparation de corps et de biens, cela sera une difficulté de plus parce qu'actuellement, dans tous les cas où il n'y a pas de contrat de mariage, lorsqu'il y a séparation de corps, il y a déjà toute une partie du travail qui est fait. Tandis que là, il y aura à distribuer les biens communs et les acquêts. Cela entraînera plusieurs difficultés techniques.

Je pense que le bill, malgré que son principe soit acceptable, mérite une étude attentive de façon à ne pas vouloir imposer aux gens un régime idéal. Cependant, pour terminer, pour ne pas être trop long, M. le Président, j'ajouterai ceci: Une loi semblable peut avoir des effets imprévisibles. Les gens du Québec, actuellement, d'après une enquête, passent des contrats de mariage en séparation de biens à peu près dans 70% des cas sinon plus où il y a des contrats de mariage. Il est donc possible que la loi demeure assez peu efficace puisque, devant ce régime, les gens se mettront tout simplement en plus grand nombre à faire des contrats de mariage en séparation de biens. C'est ce que j'avais à dire au départ pour que l'on sache bien que c'est quelque chose d'idéal sur le papier, mais que dans la pratique on ne sait pas comment les gens vont l'utiliser.

Je me permettrai de donner un exemple pour

montrer comment les lois ont parfois, comme les médicaments, des effets imprévus. En Angleterre, comme il y avait un impôt sur le verre on s'est mis à un moment donné à faire des petites vitres plutôt que des grandes fenêtres. Cela a eu un effet: II n'y a pas eu d'impôt de perçu, mais il y a eu de très jolies fenêtres en Angleterre. C'est devenu un style. Je pense un peu aux effets de cette loi par cette analogie.

M. LE PRESIDENT: Merci.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, je regrette de ne pas avoir entendu toutes les remarques du ministre, mais je m'inscris en faux contre les dernières que j'ai entendues. Il est vrai qu'à l'heure actuelle, le régime légal étant la communauté, les gens qui se marient préfèrent aller chez le notaire passer un contrat de mariage en séparation. Cependant, avec le régime que nous proposons et qui existe en principe, d'une façon analogue, dans les pays Scandinaves, nous avons trouvé, je pense, non pas un régime idéal, parce que cela n'existe pas, mais ce qui est le plus près de la perfection.

Et si cela n'avait pas été expérimenté dans d'autres pays, je me rallierais peut-être à l'idée que j'ai entendue il y a un instant. Il reste que les recommandations qui ont été faites par les juristes l'ont été après mûres réflexions et surtout après l'examen des lois qui ont été adoptées dans d'autres pays. Il ne fait pas de doute que cette loi se rapproche des tendances modernes. C'est tellement vrai que l'un des experts de la commission chargée de réviser les lois en Ontario, est venu nous parler. Vous vous souviendrez, messieurs, dupro-fesseur Baxter qui nous a parlé de ce qu'on se proposait de faire en Ontario. Il nous a dit que ça se rapprochait étrangement des recommandations des juristes dont nous avons le produit, Ici, dans le bill 10.

Je voulais tout simplement faire cette mise au point et exprimer mon opinion qui ne coincide pas avec celle du ministre de l'Education.

M. PAUL: M. le Président, d'abord, s'il y avait consentement unanime des membres de la commission, je proposerais que, M. Cardinal... J'attendais que Mme Casgrain arrive parce que je sais qu'elle représente ou qu'elle est le porte-parole officiel de l'Opposition pour l'étude de ce bill.

M. CARDINAL: Des femmes ou des libéraux? MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cela, c'est le genre de blague que vous devez garder pour vos congrès.

M. PAUL: Je crois que M. Maltais était membre de cette commission. Alors, je demande que le nom de M. Cardinal soit substitué à celui de M. Beaulieu.

Maintenant, pour faire suite aux remarques de Mme Casgrain, je crois qu'elle avait bien raison de mentionner qu'elle n'avait pas assisté au début des propos du ministre de l'Education, qui n'a pas discuté le principe du bill. Il a tout simplement fait part de son expérience de l'exercice de la profession et de la nécessité, peut-être, d'informer les gens ou de faire de la publicité autour de ce bill pour que les gens en vivent l'application.

Je ne crois pas que le ministre de l'Education se soit inscrit en faux contre le principe du bill, au contraire. Disons qu'il a souligné un point qui, à mon avis, est tout à fait exact: c'est que les notaires et les avocats devront, peut-être, faire une éducation populaire ou une certaine publicité auprès de leurs clients, pour qu'on connaisse l'application et les modalités du bill. Je crois que c'était le sens des remarques du ministre de l'Education sur le bill 10.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous sommes tous d'accord. D'ailleurs vous vous souviendrez que cela a été discuté à une réunion antérieure où l'on a décidé qu'il fallait absolument de la publicité.

M. CARDINAL: J'aimerais apporter un détail plus précis. Vous savez comment cela se passe actuellement au moment de la rédaction des contrats de mariage. J'ai eu, il y a un certain nombre d'années, une expérience copieuse dans ce domaine-là, surtout au début de ma pratique. Très souvent, c'est au moment où les futurs époux, surtout chez les catholiques, rencontrent soit le curé, soit le vicaire ou vont au cours de préparation au mariage qu'il y a décision de signer un contrat de mariage. J'ai vu, très souvent, le fait suivant se produire. C'est que, malgré les conseils que pouvait donner le praticien au moment où il recevait ces futurs époux, tout était déjà décidé parce que, de fait, le premier conseiller qu'ils avaient rencontré, qui était un clerc, leur avait dit de passer un contrat de mariage et de le passer en séparation de biens.

Je ne sais pas d'où le mot venait, mais dans la majorité des cours de préparation au mariage et dans un bon nombre de paroisses, c'était là que cette éducation se faisait. C'est pourquoi je me permets d'ajouter d'abord que la

mise au point qu'a apportée le ministre Paul est parfaitement exacte. Vous n'avez entendu que la fin de mes paroles et je ne suis pas vexé du tout que vous ayez cru que je m'opposais au principe du bill, absolument pas. Mais, je voudrais souligner que si on ne fait qu'adopter la loi et si on ne va pas aux sources mêmes des gens qui sont les véritables conseillers en matière de contrats de mariage et non pas de ceux qui les rédigent, qui sont au bout de la ligne, la loi deviendrait alors quelque chose d'à peu près idéal, si vous voulez. Il y a beaucoup d'articles du code civil qui, en fait, ne sont pas suivis, parce que ce n'est pas la loi qui fait les moeurs, mais ce sont les moeurs qui nous obligent à changer la loi.

Alors, je ne m'inscris pas du tout contre le principe, absolument pas. J'indique seulement les dangers que si un texte, qui est aussi compliqué, aussi complexe n'est pas...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: II y a beaucoup de complexité.

M. CARDINAL: ... « vendu » à ceux qui, à leur tour, devront le conseiller aux gens, ce sera une loi qui sera mort-née.

M. CADIEUX: M. le Président, je pense bien que nous avons discuté à la dernière séance, pendant très longtemps, des moyens à prendre pour que les gens connaissent ce nouveau régime-là. Nous avons même demandé à l'ombudsman et aux autres qui ont préparé les rapports de prêcher par l'exemple et, immédiatement après l'adoption du bill, de se servir de ce nouveau régime. Tantôt vous avez demandé l'étude article par article; je pense bien que nous devrions y aller puisque nous avons déjà parlé de la publicité possible que nous pourrions faire alentour du bill, des Foyers Notre-Dame et de tous ceux qui y touchaient de près ou de loin. Il me semble que nous pourrions ne plus parler du principe du bill et y aller article par article, si nous voulons en finir avant la prochaine session.

MME KIRKLAND-CASGRAIN! M. le Président...

M. LE PRESIDENT: Avant d'aller plus loin, je voudrais demander si ce serait le désir unanime des membres de la commission que l'honorable Gabriel Loubier soit remplacé à cette commission, pour ce matin, par M. Hubert Murray.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Absolument d'accord.

Avant de commencer d'étudier le bill article par article, je pense que j'ai le devoir de transmettre au président de cette commission et aux membres les représentations qui m'ont été faites par des associations féminines qui étaient favorables au bill.

Comme l'enquête a eu lieu il y a un certain temps, ces associations m'ont demandé s'il y aurait possibilité de faire entendre leurs représentations à une audition publique. J'ai dit à l'époque — il n'y a pas tellement longtemps — que je croyais que les auditions publiques étaient terminées, mais j'aimerais avoir vos lumières là-dessus. Je me demande si, à la reprise des activités à l'automne, au début, soit tard au mois de septembre ou au début d'octobre, ces associations féminines pourraient venir se présenter avec des mémoires ou s'il vous suffira de recevoir leurs mémoires ou leurs représentations et en faire part aux membres de la commission?

M. LE PRESIDENT: C'est la quatrième séance. Il y a eu de la publicité pour demander à ceux qui voulaient bien se faire entendre de le faire. Nous avons effectivement entendu peut-être tous les sons de cloche possibles. Personnellement, je n'ai pas d'objection à continuer d'entendre des représentations. Mais, d'un autre côté, si nous voulons, un jour, adopter le bill 10, il va falloir...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La raison pour laquelle je soulève cette question, c'est qu'il me semble que, sans entendre ces personnes, comme le président le souligne, étant donné que nous avons eu quelques auditions, il y aurait peut-être possibilité de transmettre les mémoires qui pourraient arriver à l'automne et qui seraient favorables. Ici, on a entendu beaucoup de sons de cloche, c'est vrai. Mais les sons de cloche favorables venaient uniquement des juristes, ou presque uniquement des juristes qui avaient aidé à préparer le bill 10. Il n'y a pas d'associations féminines qui sont venues dire carrément: Nous sommes pour le bill 10. Or, je sais qu'il y en a, et de très importantes. Le but de cette question, c'est que f aimerais que soit inscrit au procès-verbal, éventuellement, qu'il y avait des associations favorables, si elles envoient les représentations dont elles m'ont fait part.

M. PAUL: Est-ce que vous avez été informée du nombre de mémoires que nous pourrions avoir?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Bien, il y a deux grandes associations...

M. PAUL: Deux grandes associations.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... qui m'ont dit qu'elles seraient intéressées à envoyer un mémoire. Je leur ai dit: L'audition publique est peut-être terminée, mais cela n'empêche pas que vous pourriez sûrement, selon moi — et je me renseignerai à une prochaine réunion — envoyer vos représentations, vos mémoires, et cela pourrait être inscrit dans les Débats.

M. PAUL: Si cela convenait aux messieurs et à madame de la commission, nous pourrions peut-être, dès la réception de ces mémoires — si nous n'avons pas terminé nos délibérations — les inscrire en appendice au journal des Débats. Je crois que ces mémoires nous seraient utiles lorsqu'en Chambre nous passerons à la deuxième lecture du bill et à l'étude en comité. Je crois qu'il y aurait peut-être avantage à ce que le principe du bill soit soutenu par des organismes aussi représentatifs que ceux dont vous parlez...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui.

M. PAUL: ... et si cela convenait aux membres de la commission, nous pourrions accepter cette politique.

M. CADIEUX: M. le Président, j'espère qu'on ne restera pas limité dans les représentations. On a parlé de représentations féminines, mais il y a des associations masculines qui...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce sont les seules qui sont entrées en communication avec moi parce que...

M. CADIEUX: II y a certainement des hommes...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je ne fais pas de distinction dans ce domaine-là.

M. LE PRESIDENT: II n'y a pas de représentation du troisième sexe, étant donné l'adoption du bill omnibus.

M. THEORET: M. le Président, je suis quand même un peu surpris des représentations qui nous sont faites ce matin. Comme le rapporte le journal des Débats, à la séance du 21 mai, Mme Thérèse Casgrain était ici et je lui avais moi-même posé une question pour lui demander qui elle représentait. Elle m'avait répondu qu'elle représentait 31,650 femmes. Je me demande s'il en reste encore qui ont des opinions à exprimer.

Nous avions ici, à cette même séance, Mme Warren que vous vous souvenez avoir entendu, Mme Claire Dubé-L'Heureux, etc. Nous avons donc entendu déjà de nombreuses représentations de la part d'organismes féminins.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais les deux organismes qui sont entrés en communication avec moi sont de niveau provincial et ce sont deux organismes extrêmement importants.

M. CARDINAL: Est-ce que vous pouvez nous donner leur nom?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je ne veux pas donner leur nom par discrétion car ils ne m'ont pas autorisée à le faire.

M. CARDINAL: Bon.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Si, par hasard, les deux associations décidaient de ne pas envoyer leur mémoire, je ne voudrais pas les embarrasser. Mais ce sont des membres de l'exécutif qui ont communiqué avec moi pour me poser la question à savoir si elles pouvaient le faire.

M. THEORET: Et elles ne sont pas comprises dans les 31,000 qui étaient représentées.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Et elles ne sont pas comprises dans les 31,000... On dirait que vous voulez limiter la population féminine. Au moins la moitié de la population au Québec est composée de femmes.

M. CADIEUX: II y a 52% qui influencent et 48% qui...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Avec la longévité...

M. CARDINAL: Le mot influencer n'est pas fort.

M. LE PRESIDENT: Voyant le sourire sur les lèvres du député de Papineau, je pense que le député de Marguerite-Bourgeoys connaît mal les intentions de mon collègue, le député de Papineau, relativement au sexe faible.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Sexe dit faible. UNE VOIX: Très bien.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que l'on pourrait commencer l'étude article par article? Article 1.

On pourrait peut-être, au début, commencer par demander aux membres de la commission ce qu'ils pensent de l'expression « société d'acquêts ». Dans les représentations que nous avons reçues, cela a été un des points principaux, je pense, de la part de la gent féminine. On semblait peut-être hésiter sur le terme.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'aurais aimé que les juristes qui ont travaillé au projet ou aux recommandations nous suggèrent d'autres noms.

Au départ, il me semble que, pour le citoyen ordinaire qui n'a pas fait des études de droit, cela devient mystérieux et presque répréhensible, ce terme « acquêts ». Je ne sais pas s'il n'y aurait pas possibilité qu'on nous suggère d'autres noms. Je ne sais pas ce que les membres de la commission en pensent, mais il me semble qu'il faudrait — justement, on parle de faire la publicité du bill — le faire comprendre aux gens. Je comprends que le nom ne signifie pas grand-chose, mais à ce moment-ci je pense qu'il serait important d'avoir un terme plus simple.

M. PAUL: Est-ce que quelqu'un a vérifié la signification exacte du mot acquêts, dans le dictionnaire français?

M. CARDINAL: Même si l'on vérifiait dans un dictionnaire français, il faudrait vérifier dans un dictionnaire juridique. Je ne viendrai pas défendre ce terme ici, parce qu'il est vieillot et incompris. Mais la difficulté qu'il y aurait, je pense, à le changer, c'est qu'il faudrait non seulement le changer dans le bill 10, mais il faudrait revoir tous les articles du code civil où il est employé. Vous savez, Mme Casgrain, évidemment, que dans toute la partie des successions ou dans d'autres lois aussi...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, mais nous parlons du terme « acquêts ».

M. CARDINAL: ... le terme « acquêts » a un sens précis. Je n'ai aucune objection à ce que l'on trouve un autre terme mais en se rendant compte qu'il y aurait des retombées...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Il y aurait des concordances à faire.

M. CARDINAL: Je ne sais pas où mais...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: A plusieurs articles. Des concordances plutôt.

M. CARDINAL: Mais je n'ai pas de sugges- tions à faire ce matin. Je n'attendais pas cette question. Par déformation professionnelle, évidemment, le mot ne me frappe pas et votre remarque est très juste. Le mot ne s'emploie plus dans le langage courant.

M. MURRAY: Dans la publicité qui doit être faite, est-ce que l'on pourrait donner des explications de ce mot?

M. PAUL: Dans l'emploi du terme, nos juristes seront liés par cette expression. Le peuple lui donne une application ou une explication. Il reste que, dans la loi, il faudra qu'on en fasse usage pour rendre l'idée de principe.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, je me demande si nous n'aurions pas dû demander aux juristes qui ont aidé à préparer les recommandations du bill 10, au moins à l'un d'entre eux, d'être présents à l'occasion de notre étude de chaque article du bill 10. Pour ma part, cela fait près de neuf ans que je suis éloignée de la pratique du droit, mêmes! je m'intéresse à ce problème-là et si je continue à m'y intéresser, quand même, je pense que cela serait utile d'avoir la présence ici d'un des juristes.

M. LE PRESIDENT: Nous aurons ce matin la présence de Me Louis Marceau qui a justement collaboré à la préparation de ce bill, et qui viendra ici incessamment.

M. CARDINAL: M. le Président, je voudrais ajouter quelque chose dans le même sens que les remarques que je viens d'entendre. Ce que nous venons de dire au sujet du terme acquêts, en français, c'est, je dirais, dix fois pire en anglais parce que le mot n'existe probablement pas dans un dictionnaire anglais. Il arrive assez souvent qu'en droit, lorsque l'on traduit en anglais ce qui est du droit français, le terme employé soit une déformation d'un mot français ou d'un mot latin. Alors comment voulez-vous que la population de langue anglaise, qui n'est pas habituée du tout, qui vient d'autres provinces, par exemple, puisse comprendre le mot — je ne sais pas si je le prononce bien — « acquests ». Cela n'a vraiment aucun sens pour les gens.

M. LE PRESIDENT: Si vous me le permettez, le mot « société » a été discuté lors de l'étude des motions...

M. CARDINAL: Je suis favorable à cela. Je ne sais pas ce qu'en pense Mme Casgrain, mais j'aime beaucoup mieux le mot société que le mot communauté.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, certainement.

M. CARDINAL: Parce que la société, au véritable sens français du terme, c'est encore un autre mot que nous employons mal ici. Ce que nous appelons compagnie, c'est une société. Alors, en fait, le mot société est très juste parce qu'il désigne vraiment deux personnes qui, tout en conservant leur autonomie propre, s'associent. Alors, il n'y a aucun sens péjoratif, tandis que le mot « communauté » en a un, enfin, dans la vie actuelle, particulièrement dans les villes. Pour ma part, à titre de conseiller, ici, à la commission, comme membre récent, j'appuierais beaucoup le mot « société », car je suis porté à bannir le mot « communauté ». On a remplacé, dans le code civil, certains termes concernant l'obéissance etc.. Avec le mot « communauté » on reviendrait au passé.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: En arrière.

M. PAUL: Est-ce que, d'après votre interprétation, M. Cardinal, le mot société répondrait à une véritable définition que l'on retrouve dans le code aux articles 1831 et suivants, lorsqu'on parle de la société commerciale?

Donneriez-vous une assimilation d'interprétation?

M. CARDINAL: Oui, je la donnerais, peut-être pas jusqu'au bout, mais je le donnerais, d'autant plus, d'ailleurs, qu'en anglais on la traduit par « partnership ». C'est vraiment là que le terme a été choisi. Il y a diverses modalités du mot « société » dans le code civil. Mais, le mot « société » a un sens général. Les gens emploient normalement dans le public, dans le milieu des affaires, surtout les petits commerçants, le mot « société » pour désigner, pas nécessairement ce qui est le chapitre de la société du code civil, mais pour désigner l'association de deux personnes ou plus vers un but commun. Etant entendu que les gens qui sont associés peuvent avoir des talents différents, faire des choses différentes, recevoir des revenus différents du fait de cette association, dans le fond, le mot « société » veut simplement dire que des gens ont convenu de faire quelque chose ensemble. Tandis que le mot « communauté » ne veut pas dire cela du tout. Le mot « communauté » d'abord, se rattache au passé, comme j'ai dit tantôt; il se rapproche même, dans notre vie à nous, des mots « communauté religieuse ». D'ailleurs, il avait le même sens. C'était la mise en commun d'à peu pros tout.

M. PAUL: Le mot « communauté » implique un peu le sens d'indivision.

M. CARDINAL: C'est plus que l'indivision... M. PAUL: C'est le partage.

M. CARDINAL: ... de la disparition même de l'individu au profit d'un groupe.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Moi, je me rallie à l'opinion qui vient d'être émise. Le mot « société » me paraît excellent. Il y a encore le mot « acquêts », mais j'avais pensé à l'époque à un autre terme qui était « bien acquis », la « société de biens acquis ». Et là, encore, je ne veux pas raviver tout le débat, à cause de la complexité du problème. On verra ce que les juristes pourront peut-être nous recommander.

M. CARDINAL: Est-ce qu'on ne pourrait pas, M. le Président, faire une remarque aux juristes? Je voudrais leur dire: Ecoutez, il y a ce petit problème, qui recouvre tout le bill. On ne peut pas procéder article par article, quand même. Auriez-vous un certain nombre de suggestions à nous faire pour remplacer ce terme? A ce moment-là, pour les rédacteurs de la loi, ce serait facile. Partout où il y aurait le mot « acquêts », bien, il serait remplacé par les mots que les juristes auraient trouvés et que nous aurions acceptés.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que les juristes peuvent nous préparer ce travail pour la prochaine séance? D'accord? Alors, l'article 1,...

M. CARDINAL: Je ne voudrais pas prendre la parole trop souvent, M. le Président. Moi, je n'ai rien à dire sur l'article 1, sauf ceci: Est-ce qu'on a l'intention, dans un jour plus ou moins rapproché, de modifier le chapitre de l'absence? Il y a déjà une commission de l'Office de Revision du code civil qui doit nous faire un rapport au sujet de l'absence. Alors, je suis embarrassé, parce que c'est un article qui peut être adopté d'une façon temporaire si le gouvernement a l'intention d'accepter un rapport au sujet de l'absence. S'il y a un chapitre du code civil qui me parafl ridicule présentement, c'est bien celui de l'absence.

M. PAUL: Je ne sais pas si M. le Solliciteur général a eu connaissance de la production d'un tel rapport sur l'absence de la part des membres de l'Office de la revision du code.

M. MALTAIS (Limoilou): Je sais que laques-

tion a été étudiée, et qu'il doit y avoir un rapport, Justement, sur la question de l'absence.

M. PAUL: J'ai reçu trois rapports de l'office, mais, malheureusement, on n'a pas produit de rapport sur cette question précise de l'absence.

M. CARDINAL: Sous cette réserve, j'accepte l'article, parce qu'il est purement technique.

M. LE PRESIDENT: II y aura tout simplement une concordance à faire advenant le cas où le chapitre de l'absence viendrait à être modifié; il s'agira de faire une concordance. Alors, adopté? L'article 2.

M. CARDINAL: J'aurais une remarque. Si l'on compare l'ancien article 177 et le nouveau, j'aime mieux la rédaction du nouveau, mais je ne sais pas; j'aimerais mieux que l'on dise que la capacité juridique de chacun des époux n'est pas diminuée. Ce n'est pas la question des époux ensemble, mais il s'agit de la capacité des individus. Alors, si l'on disait: « La capacité juridique de chacun des époux n'est pas diminuée par le mariage, seuls leurs pouvoirs peuvent être limités par le régime matrimonial », cela me paraîtrait plus juste. Ce n'est qu'une suggestion.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cela me paraît une excellente suggestion.

M. PAUL: Alors, « de chacun des époux ».

M. CARDINAL: Parce que ce n'est pas en tant qu'époux qu'on les considère, c'est en tant que chacun d'eux demeure une personnalité juridique.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cela clarifie.

M. CARDINAL; Oui, une personnalité juridique.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La chose,oui.

M. CARDINAL: Evidemment, le texte anglais devrait être corrigé en conséquence.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que quelqu'un aurait une suggestion pour le texte anglais?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: «Of each of the consorts ».

M. CARDINAL: « Of each of the consorts ».

M. LE PRESIDENT: « Of each of the consorts ».

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ou bien, « of each consort ».

M. LE PRESIDENT: « Of each consort ».

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Une chose qui m'apparaît essentielle pour nos réunions futures, même aujourd'hui, ce serait que nous ayions un code civil avec nous. J'ai laissé le mien à Montréal, je l'avoue honteusement. Si nous pouvions en sortir de la bibliothèque, parce qu'à chaque article nous faisons allusion à certains autres articles du code. Je pense que cela serait précieux pour les membres de la commission. J'en vois deux qui en ont. Les autres n'en ont pas.

M. MALTAIS (Limoilou): J'en ai un ici.

M. CARDINAL: Ce n'est pas le mien, parce que le mien est demeuré à mon bureau. Je suggérerais que nous en ayons à notre disposition ici.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est ce que je voudrais.

M. CARDINAL: Vous savez qu'avec la vie que nous avons...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: II est très difficile d'étudier si nous n'avons pas... Je viens de réaliser...

M. CARDINAL: ... se promener avec un code civil dans sa mallette, continuellement, ce n'est pas un gros problème.

M. PAUL: Quelques-uns sont disparus avec les régimes matrimoniaux.

M. LE PRESIDENT: Oui, tous les membres de la commission, je pense,ont eu un code civil...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oh, non.

M. BEAUDOIN: A la commission concernant la copropriété, tous les membres ont eu un code civil. Tous les codes civils de la bibliothèque ont été distribués, et nous ne les avons jamais revus.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Est-ce qu'il n'y aurait pas possibilité, par le bureau du procureur général,...

M. PAUL: Voici, peut-être...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... d'aller en acheter et que nous en ayons à la prochaine séance, même...

M. PAUL: Peut-être que le ministre de la Justice pourrait consulter le Secrétaire de la province qui, lui-même, pourra consulter l'Editeur officiel du Québec pour avoir un approvisionnement.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, est-ce que nous pourrions ajourner tout de suite pour leur donner une chance de se parler?

M. PAUL: C'est une excellente suggestion. J'en prends note immédiatement pour commander un certain nombre d'exemplaires, peut-être une douzaine, que nous pourrions laisser ici, probablement au bureau de M. Bonin, quitte à ce que ces volumes soient apportés suivant le besoin.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Parce que c'est très laborieux de faire l'étude si nous n'avons pas de code civil.

M. LE PRESIDENT: Article 2, accepté? Accepté.

Article 3? a l'Intérieur de l'article, nous pourrions prendre 181, tout d'abord.

M. CARDINAL: Je ne sais pas si on peut répondre à ma question, c'est la première fois que j'ai le bill devant moi: Est-ce que l'article 1425 du code civil est modifié plus loin? Cela se rattache tellement à cet article — je ne sais pas si un juriste pourrait me répondre immédiatement — qu'il m'est difficile de réagir si...

UNE VOIX: II a été abrogé.

M. CARDINAL: C'est 1425, vous en êtes certain?

M. MORIN: C'est l'article 84 qui abroge l'article...

M. CARDINAL: Alors, l'article 181 remplace les articles 181 actuel et 1425, les deux disparaissant.

M. MORIN: On a des explications qui généralisent la règle actuelle de l'article 1425.

M. BEAUDOIN: L'article 1425 continue... Il y a encore des biens réservés.

M. CARDINAL: Comme tel, disparaît.

M. LE PRESIDENT: Article 3-181, accepté? Accepté.

Article 3-182?

M. BEAUDOIN: Les actes qui demandent concours et consentement, on les retrouve seulement dans le cas de la communauté et dans le cas de la société d'acquêts pour les donations. Dans le cas de la société d'acquêts, en général, il n'y a pas besoin de consentement.

M. LE PRESIDENT: Accepté. Article 3-183?

M. CARDINAL: Je suis d'accord avec l'article 183, parce que, justement, il prouve que nous avons bien fait de parler de chacun des époux dans l'article 177.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui.

M. LE PRESIDENT: Article 3-183, accepté? Accepté.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Adopté. M. LE PRESIDENT: Article 184.

M. CARDINAL: L'article 184 est peut-être un des articles que je trouve dangereux. Il protège les tiers de bonne foi, d'accord. Mais entre chacun des époux, je me demande quels peuvent être les effets.

Le mot « meuble », ici, est employé au sens du code civil, c'est-à-dire qu'il désigne aussi bien une table, qu'une voiture automobile, qu'un avion léger, qu'un bateau, qu'un bijou précieux, qu'une oeuvre d'art, enfin, il désigne tout, sauf un terrain et une bâtisse, n'est-ce pas, ou à peu près. Ce qui veut dire que l'un des époux pourrait, à un moment donné, dans une famille fortunée, prendre quelque chose d'une très grande valeur et vis-à-vis d'un tiers de bonne foi, en disposer très rapidement.

Je comprends que ceci facilite beaucoup la liberté du commerce et simplifie la mise en application de la capacité que l'on donne à chacun des époux, mais je serais intéressé à savoir la réaction, par exemple, du député de Marguerite-Bourgeoys sur les effets entre conjoints.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, j'aimerais surtout entendre les juristes qui ont aidé à préparer cet article, parce qu'au premier abord, en l'examinant, j'aillais faire la même remarque que le ministre Cardinal.

Alors, n'y aurait-il pas lieu de suspendre l'article jusqu'à ce que M. Marceau ou celui qui est responsable nous explique? Il y a peut-être une excellente raison, peut-être qu'un peu plus loin, il y a une limite quelconque qui est apportée, je ne sais pas.

ME BEAUDOIN: C'est inspiré presque textuellement de la dernière loi française de la société d'acquêts, enfin la loi française...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, celle que M. de Gaulle a fait adopter en 1966.

ME BEAUDOIN: D'autre part, c'était pour adopter le principe qu'à l'égard des tiers, les époux ont tous les mêmes pouvoirs, de façon à permettre aux tiers de bonne foi de ne pas toujours être obligés de demander à chacun des époux qu'ils aient un régime matrimonial.

M. MALTAIS (Limoilou): « Qu'il détient individuellement »: Pourquoi cette expression plutôt que « dont il est propriétaire »?

ME BEAUDOIN: La propriété, évidemment, ne peut pas être prouvée. C'est le même phénomène. Si les époux sont en communauté de biens, nécessairement, il faudrait aller voir le régime matrimonial pour savoir lequel est propriétaire.

M. CARDINAL: C'est justement mon objection. Elle n'est pas juridique. Juridiquement, je dis que c'est excellent, mais pratiquement, entre les époux, où l'on doit assurer la paix, la sérénité, la confiance, etc, etc, l'article me paraît dangereux, parce que je n'en vois pas toutes les conséquences et j'en crains quelques-unes.

Le fait que vous me disiez qu'on l'a fait dans la loi française, cela m'émeut assez peu, parce que les moeurs des contrats français différent souvent des nôtres. Le fait que, vis-à-vis des tiers, cela simplifie la vie, je l'admets. La remarque du ministre Maltais est très juste, mais je pense que techniquement — je m'excuse d'être si technique — c'est simplement le rappel du principe qui veut qu'en matière de biens meubles, la possession vaille titre vis-à-vàs des tiers de bonne foi. C'est une autre façon de dire la chose.

Mais comme il est question de société d'acquêts dans ce projet de loi beaucoup plus que d'autre chose, et que cet article, dans le fond, ne se rattache pas à la société d'acquêts dans la capacité de chacun des conjoints vis-à-vis des tiers, je m'interroge quand même, malgré les explications qui sont données, sur les conséquences pratiques, entre les conjoints, de la rédaction de cet article tel qu'il se présente.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ne pourrait-on pas le suspendre, quand même, M. le Président, pour voir ce que M. Marceau avait à nous dire, là-dessus, ou M. Crépeau?

M. CARDINAL: Ou Me Comtois, par exemple, parce que Me Comtois, parmi ceux qui étaient de la commission, est le seul qui ait fait une enquête, non pas comme membre de la commission, mais antérieurement, lorsqu'il a rédigé sa thèse. Il a donc été en contact non seulement avec les aspects juridiques mais avec les aspects concrets de la question.

M. LE PRESIDENT: Nous allons suspendre l'article. On m'informe que Me Comtois ne pourra pas assister aux réunions de la commission avant le 8 septembre. Mais ce matin, peut-être, lorsque Me Marceau arrivera, nous pourrions sans doute l'entendre sur ce point précis.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, y aurait-il possibilité d'apporter une substitution de notre côté?

M. LE PRESIDENT: Certainement.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. Kennedy pour remplacer M. Wagner. Et M. Maltais...

M. ROY: M. Maltais est membre aujourd'hui pour le bill 10. Je vais faire le changement. M. Harvey ou M. Houde.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. Harvey, oui.

M. LE PRESIDENT: M. Harvey. Pas d'objection?

M. MALTAIS (Saguenay): Au contraire, cela nous honore. ... un nombre pair quand on discute de droits et de régimes matrimoniaux.

M. LE PRESIDENT: M. Houde?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. Kennedy.

M. PAUL: Alors l'article 184 serait suspendu?

M. LE PRESIDENT: C'est ça. Maintenant, nous allons entendre Me Marceau et, subsé-quemment, Me Comtois.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Me Comtois.

M. CARDINAL: J'émets le voeu d'entendre les deux pour les raisons que J'ai indiquées.

M. LE PRESIDENT: Article 4?

M. CARDINAL: Ah, c'est purement un article de concordance. Aucune objection.

M. LE PRESIDENT: D'accord. Article 5?

M. CARDINAL: Cela me convient.

M. LE PRESIDENT: Adopté. Article 6?

M. CARDINAL: Je me permettrai quand même une remarque. C'est que pour en revenir à ce qu'on disait au début, si l'on veut vendre ce régime, ce n'est pas le bill 10 que je vendrais. Ce serait le nouveau texte du code civil. Parce que quand les gens liront que « l'article 217 dudit code, modifié par l'article 6 du chapitre 101 des lois de 1930/1931, est de nouveau modifié en remplaçant le deuxième alinéa par le suivant,... » c'est bien assez pour qu'ils ne l'achètent jamais.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais qu'est-ce que vous voulez, c'est la seule façon d'amender les textes de loi! On ne peut pas...

M. CARDINAL: Je suis d'accord. Ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait sortir un texte...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La dernière fois, on a parlé d'une brochure explicative du bill 10. Je pense qu'on n'ira pas placer ce jargon dans la brochure explicative. Il faudra trouver une formule qui soit plus claire.

M. PAUL: Dans la brochure explicative, peut-être que l'on pourra citer au texte complet les amendements.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Absolument.

M. PAUL: A ce moment-là, il deviendra plus facile de se référer pour le profane qui n'a pas toujours un code civil à la portée de la main.

M. LE PRESIDENT: Alors, article 5?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je me demande même, pour la prochaine réunion...

M. CARDINAL: Prochaine élection...?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Prochaine réunion. Peut-être élection, mais en tout cas... Cela vous inquiète?

M. CARDINAL: Non, cela m'inquiète pas, parce que...

M. MALTAIS (Saguenay): ... à plus forte raison, une autre...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Pour nous faciliter le travail, je me demande si quelqu'un ne pourrait pas nous préparer quelque chose qui soit plus... Pour la prochaine réunion, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de nous faciliter le travail ici?

M. MALTAIS (Limoilou): D'avoir des références...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: D'avoir des références?

M. PAUL: Avoir d'un côté, par exemple, le texte actuel, et le nouveau texte...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cest d'ailleurs comme ça que l'on avait procédé pour le bill 16 à l'époque, au tout début, en première étude. Les juristes qui avaient préparé les recommandations avaient mis l'ancien et le nouveau texte l'un à côté de l'autre.

M. MALTAIS (Limoilou): C'est exactement comme ça qu'on avait procédé aussi pour la loi électorale. On avait un immense cahier, et c'était très pratique.

M. MALTAIS (Saguenay): C'est une loi que je connais bien aussi, c'est absolument...

M. LE PRESIDENT: Nous procédons aussi de cette façon pour la copropriété. Nous avons demandé aux...

M. PAUL: M. Boivin me dit qu'il pourrait faire ce travail...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors, ce serait possible?

M. CARDINAL: Les suggestions du député de Marguerite-Bourgeoys sont toujours agrées facilement.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est presque signer un chèque en blanc là, ce que vous venez de dire...

M. MALTAIS (Saguenay): Elle vous demandera des choses doubles à un moment donné...

M. CARDINAL: En Chambre?

M. MALTAIS (Saguenay): Ah, comme... Bien, cela dépend...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, vous pourriez les rappeler à l'ordre. Cest comme des gamins qui s'amusent ensemble.

M. MALTAIS (Saguenay): Je retire « la Chambre »...

M. CARDINAL: Nous parlions de l'Assemblée nationale...

M. LE PRESIDENT: Ce sont des gamins et il manque quelques gamines pour que...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, justement. Je veux bien que cela soit souligné.

M. CARDINAL: Vous savez que cela part d'un bon naturel. C'est simplement pour libérer l'atmosphère après avoir lu l'article 5.

M. LE PRESIDENT: Alors, article 6. M. CARDINAL: D'accord. MME KIRKLAND-CASGRAIN: D'accord. M. LE PRESIDENT: Article 7.

M. CARDINAL: Dans le fond, c'est la même chose que les articles 272, 282, 283 et cela va en ligne. Le chapitre de la tutelle... Je suis d'accord.

M. LE PRESIDENT: Article 8, même chose. Article 9.

Dans les explications du texte, on dit : « Cependant l'adoption d'un nouveau régime légal exige la modification suggérée pour assurer à la loi la cohésion nécessaire même si la question des droits successoraux... »

M. CARDINAL : Je pose quand même une question, parce que je ne veux pas que nous nous embarquions, comme vient de le dire le ministre de la Justice, dans une guerre entre notaires. Il y a eu de très nombreux articles de rédigés sur l'interprétation de l'article 624, tel qu'il apparaît actuellement dans le code. Ce que nous faisons là, nous en changeons certains termes en y insérant des mots. Je ne serais pas en mesure de réagir rapidement sur cet article et de voir l'effet de cette modification. Alors, vous permettrez que, pour une fois, je réfère à moi-même. J'ai déjà écrit deux ou trois articles sur l'article 624 et j'ai participé avec d'autres à des discussions sur les effets de cet article vis-à-vis des polices d'assurance, par exemple, vis-à-vis d'un tas d'effets dans le domaine successoral. Ce serait justement le genre d'article où je demanderais une suspension, pour que les juristes qui ont préparé le texte puissent nous éclairer.

M. MALTAIS (Saguenay): D'ailleurs, je pense que j'opte dans le sens des deux députés qui ont parlé, l'honorable ministre et mon collègue ici, Mme Kirkland-Casgrain, à l'effet que toutes ces concordances qu'il faut réaliser intellectuellement devraient, selon ce que vous dites, être préparées pour que nous ayons une étude plus intelligente, parce que, comme c'est là, nous sommes évidemment prêts à adopter, nous, très rapidement, le texte de loi de façon que cela finisse une fois pour toutes.

Mais si nous référons, par exemple, aux notaires qui ont moins affaire à cet article-là, c'est un travail excessivement compliqué. Nous référons à des statuts, nous référons évidemment à des textes de loi et à des articles, de telle sorte que je pense que chaque fois qu'il y a autant de rappels à des lois anciennes ou à des choses qui sont aussi laborieuses que le cas de l'article 9, comme le ministre de l'Education l'a souligné, nous devrions reporter tous ces articles-là à une séance subséquente. C'est un travail, comme vous dites... parce que nous arriverons, des fois, à des textes de loi qui n'auront pas de sens, nous l'adopterons. Je suis absolument de l'idée du ministre de l'Education et du député de Marguerite-Bourgeoys.

M. LE PRESIDENT: Alors, je remercie le député de Saguenay et je souhaite la bienvenue à notre Ombudsman ou Protecteur du citoyen. Vos lumières sont requises par les membres de la commission sur un premier point, sur l'article 3, division 184, où il est dit: « L'époux qui se présente seul pour faire un acte relatif à un bien meuble qu'il détient individuellement, est réputé, à l'égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Certains membres de la commission voulaient connaître un peu la philosophie qui a dirigé les membres de la commission à suggérer cet article-là.

M. MARCEAU: En effet, M. le Président. Je veux d'abord vous dire que je suis heureux

d'être encore avec la commission permanente, étant, je le répète, un officier de l'Assemblée, et il me plaît de travailler, à quelque titre que ce soit, avec l'Assemblée, ses commissions ou ses comités.

Pour revenir à votre question, c'est en effet un article extrêmement important dans le projet qui est actuellement devant la Chambre. Comme le dit rapidement la note 184, qui, enfin, reprend l'essentiel de ce que je puis dire — je vais essayer de partir de là — une des difficultés d'application des règles de n'importe quel régime matrimonial, c'est le problème avec les tiers. Lors de notre dernière rencontre, vous vous souvenez à quel point je m'étais employé à essayer de dire l'importance qu'il y avait de respecter les tiers dans l'organisation d'un régime matrimonial. Il faut que le fait d'être marié ne constitue d'aucune façon une limite à la possibilité d'agir d'une personne. Il ne faut pas que quelqu'un dise: Parce qu'il n'est pas marié, il est en meilleure position que s'il était marié. Il faut que les tiers, en aucun cas, s'ils agissent de bonne foi, ne subissent des conséquences quelconques d'un régime matrimonial ou subissent des conséquences quelconques du fait que quelqu'un est marié. Cela, c'était notre idée, disons, sinon première, parce que l'idée première était l'idée d'équité et de justice qu'il fallait établir dans les rapports entre les époux, mais au point de vue technique, dans la mise en oeuvre de l'idée d'équité, c'était probablement la préoccupation numéro un qui nous a retenus.

Pour revenir à ma phrase de départ, une des difficultés, dans le cas d'un régime matrimonial, c'est la situation à l'égard des tiers, et c'est le fait qu'un tiers peut être joué par un des époux, qui se présenterait comme pouvant faire à l'égard d'un acte, à l'égard d'un bien, un acte quelconque, à tort, quoi, disons, dans une certaine mesure, en fraude des droits de l'autre, l'autre venant par la suite faire annuler cet acte-là et créant une perturbation, d'une certaine manière, au point de vue commercial.

Alors, vous allez dire: Vous favorisez les tiers au détriment de l'époux, au détriment du conjoint en procédant de cette manière-là. A cela, je répondrai: Oui, c'est vrai. Je dis néanmoins ceci. Les conjoints se placent librement dans une situation qui permet entre eux des échanges extrêmement libres; enfin, l'union, qui caractérise la situation, permet des fraudes beaucoup plus qu'ailleurs, bien, qu'entre eux, ils prennent des mesures pour éviter que l'un fraude l'autre. Ce ne sont pas les tiers qui devraient, je pense écoper. Quand je dis cela, je dis : Il est vrai qu'un conjoint est défavorisé par rapport au tiers, soit. Mais en définitive, ce sont les conjoints qui sont favorisés par la règle, parce que cette règle-là, comme je le disais tout à l'heure, fait en sorte que le mariage ne crée d'aucune manière une limite et que personne ne peut dire: Attention, il est marié, prenez garde à ce que vous faites avec lui. C'est cela qu'il faut éviter, et cela aide les conjoints, en général.

Par conséquent, on défavorise, dans certaines hypothèses, le conjoint qui peut être trompé par son partenaire, son conjoint, soit. Mais on les favorise globalement, autrement plus qu'auparavant.

M. CARDINAL: Comme je dois me retirer, ce que vient justement de mentionner Me Marceau est exactement l'objection que le député de Marguerite-Bourgeoys et moi avions faite tout à l'heure, alors qu'il était absent. Il a parfaitement compris le sens de la question que lui a posée le Président.

Je ne fais pas une objection, mais comme il s'agit Justement ici du choix entre deux politiques ou deux philosophies, c'est au gouvernement à faire ce choix-là. Je ne veux pas devenir psycho-sociologue, mais je suis d'accord que cela protège la majorité peut-être des époux en les rendant plus aptes à faire un marché plus libre, parce qu'il n'y a plus de barrière, on ne se pose plus de question sur le régime matrimonial lorsqu'il s'agit du bien meuble.

J'ai posé l'objection, tantôt, de biens meubles de très grande valeur, comme des oeuvres d'art ou des bijoux, etc., dans un mariage où, par exemple, les époux, plutôt que de s'entendre pour frauder le tiers, ce qui est possible, c'est une hypothèse réalisable, ne s'entendent pas entre eux et que, justement, l'un des époux pourrait, après entente avec un tiers, frauder son conjoint.

Or, nous vivons dans une règle de droit ou la bonne foi est toujours présumée. Lorsque l'on parle d'un tiers de bonne foi, c'est presque une figure de style, parce que le tiers est toujours de bonne foi, sauf si l'on réussit à prouver le contraire. C'est notre règle de droit. Alors, je me dis qu'il y a vraiment là une question importante à régler. Le technicien nous informe! de la philosophie qui est à la base de ce texte; je veux souligner aux membres de la commission, auxquels appartient le choix d'une des philosophies ou de l'autre, les effets dans un sens ou dans l'autre de la rédaction de cet article.

M. MALTAIS (Saguenay): Je pense que les députés qui ont formulé cette objection l'ont fait avec raison, parce que si, d'une part, la

société, comme le mariage, est une institution, il faut bien penser, M. Marceau, qu'en matière mobilière il n'y a pas de titre. De par sa nature même, l'attraction équivaut à un droit. Il y a, comme le disait le ministre de l'Education, un danger énorme, à ce moment-là, de favoriser une institution plutôt qu'une autre, de favoriser la société qui est une institution et le mariage qui en est une autre, mais fondée sur un contrat. Comme l'a dit le ministre de l'Education, la bonne foi est quelque chose de présumé chez les individus avec qui nous allons transiger. Nous connaissons les individus avec qui nous transigerons. Dans l'institution du mariage, que ce soit le mari ou la femme qui s'accorde mal avec son conjoint, on verra à s'organiser pour que la bonne foi paraisse encore mieux que semble vouloir l'expliciter le texte.

Nous ne voulons pas faire de psychiatrie ou de psychologie ici, mais il y a des objections profondes qui viennent à notre esprit. Nous sommes dans un domaine où il faut inclure une philosophie sociale dans un texte de droit substantif. Ce n'est pas un statut où chaque mot a sa valeur et peut faire tomber tout le sens de l'interprétation d'un article. C'est du droit substantif qui doit s'interpréter par un tout. Prenons l'article 3 qui va de 181 à 184. Chacun des articles, dans le domaine dont on parle ici, particulièrement l'article 184, se complète par l'autre. Si l'on adopte une philosophie, j'ai l'impression que cela peut avoir des implications fort nombreuses sur l'ensemble des contrats qui seront signés plus tard dans des domaines qui sont inclus dans les statuts refondus: contrats de finance et contrats de toute nature. Je trouve sérieuses les objections qui sont faites.

M. THEORET: M. le Président, j'aimerais avoir d'autres explications de la part de Me Marceau. Jusqu'ici, nous nous sommes attachés à parler des biens meubles, et des tiers.

Il y a là une restriction qui, pour moi, explique en grande partie cet article que je trouve très bien tel qu'il est. On dit, en effet: « Qu'il détient individuellement. » On n'a pas souligné cette partie de phrase restrictive. Le tiers qui achète un bien meuble de grande valeur — le ministre de l'Education a parlé même d'un petit avion ou d'une toile qui vaudrait de $8,000 à $10,000 — va quand même exiger qu'on lui produise au moins un acte d'achat, même s'il n'a pas de titre. Il y a quand même la prudence et cette restriction me paraît expliciter ou rendre clair et propre ce texte. J'aimerais connaître l'opinion de Me Marceau à ce sujet.

M. MARCEAU: M. le Président, la discussion est extrêmement intéressante. Je suis content que vous m'ayez invité. Les trois interventions, à la suite de ma réponse, à la question que vous aviez posée, sont tout à fait judicieuses. Je maintiens quand même le bien-fondé du texte qui est suggéré, pour un certain nombre de motifs. Si vous voulez, je vais reprendre dans l'ordre où ils ont été exposés les arguments que l'on a fait valoir à l'encontre, bien qu'il me serait possible de procéder autrement.

On dit: C'est une question de politique; on veut favoriser les tiers au détriment des époux. Il y a un peu de vrai dans cela.

Seulement, la dichotomie n'est pas tout à fait aussi claire que ça. Il ne faut pas oublier qu'un texte a toujours existé au code civil, c'est l'article 2260 qui dit que celui qui est en possession d'un bien meuble est présumé en être le propriétaire. C'est un texte de fond qui s'applique à n'importe qui, époux, non époux, n'importe qui. Vous savez que dans le texte correspondant du code français, c'est non seulement « est présumé », mais « est présumé juris et de jure ». Le seul fait d'être en possession d'un meuble implique qu'on en est propriétaire à l'égard de tout le monde.

M. MALTAIS (Saguenay): « Possession vaut titre », c'est clair.

M. MARCEAU: Voilà. Et cela, c'est le texte de base, indépendant de notre projet. Si vous remarquez bien, la règle du projet est collée là-dessus. N'est-ce pas? Ce n'est pas une innovation totale. C'est une clarification, purement et simplement, de ce qui existe. La deuxième idée que je voulais faire valoir — il y a une question politique, oui, mais pas tout à fait aussi claire — : Est-ce qu'on permet ouvertement des fraudes, parce que la bonne foi est présumée? C'est le contenu de la deuxième intervention. Là aussi, il y a du vrai; c'est toujours pareil, il y a du vrai dans toutes les interventions. Mais, c'est toujours un équilibre qu'il faut faire. L'autre jour, j'utilisais l'expression anglaise, je la reprends — et je m'en excuse — c'est le « balance of inconvénients ». Qui est le mieux? C'est cela qui est toujours. En droit, il y a des intérêts qui sont à l'opposé.

Il s'agit d'en faire une espèce de synthèse.

Il n'y a pas un sacrifice d'intérêts, mais il y a une synthèse d'intérêts divers. Il y a les tiers et les époux. Il s'agit de faire la synthèse des deux. Bon! Alors, je reconnais cela. On dit, notamment, que la bonne foi étant présumée, ce serait difficile. Je répète que cela est par-

tiellement vrai, mais il ne faut pas l'exagérer. Il y a une foule de cas de jurisprudence où l'on a prouvé la mauvaise foi. Peut-être, particulièrement, dans des cas comme ceci où la mauvaise toi — encore que ce soit un élément psychologique — se dégage des circonstances qui ont entouré une transaction ou un acte. Le bonhomme par exemple, le mari qui arriverait avec un tableau en dessous du bras pour aller le vendre chez un antiquaire. Attention! J'ai l'impression qu'il y a pas mal de juges qui diraient: II y a quelque chose qui cloche là-de-dans, qui ne marche pas tellement bien. Il y a beaucoup de causes comme celles-là. On a toute l'action paulienne à la base de beaucoup de décisions, encore qu'il y ait un certain nombre de présomptions qui aident, mais, tout de même! Indépendamment de cela aussi, il y a beaucoup de cas de Jurisprudence qui témoignent que les juges sont assez sensibles à une analyse des faits pour en dégager quelque chose qui « ne colle pas », pour prendre une expression canadienne générale et parler d'une certaine mauvaise foi. Surtout — et voilà, la dernière intervention — à propos de qui détient individuellement le bien, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune équivoque dans le bien. Aucune équivoque. La possession qui aurait le moindre caractère équivoque est une possession qui ne colle pas avec le texte. Et que veut-on dire par cela, la possession équivoque? A mon avis, c'est tout ce qui peut être possédé par les deux. Je m'explique: Un mari qui convoquerait un antiquaire pour lui vendre une chaise de son salon, c'est nettement équivoque. Nettement équivoque, et cela ne tombe pas sur le texte. Il y a bien d'autres exemples comme celui-là que je pourrais multiplier, mais que chacun peut avoir dans l'esprit.

Alors, en résumé, il y a du vrai dans les remarques que l'on fait à l'encontre du texte. Mais, l'un dans l'autre, Je pense que la règle, elle-même, n'est pas si nouvelle. Je serais presque disposé à dire que, dans l'état actuel du droit, on n'est pas loin de cela. Cela clarifie un état actuel, mais je veux dire que, malgré les objections, il y a là une synthèse d'intérêts divers qui m'apparaît comme étant la plus valable.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président...

M. MALTAIS (Limoilou): Actuellement, c'est une question que je me pose. Je voudrais vous donner un exemple. J'ai un de mes amis qui a hérité... qui détient avec sa femme, à l'heure actuelle dans sa maison, quatre volumes que son père avait remportés, comme prix, alors qu'il était étudiant à l'Ecole normale. Il accorde une importance fantastique à ces volumes. Cela remonte à l'année 1860 ou 1875, à l'ouverture de la première école normale à Québec. Voici qu'un bon jour un collectionneur de livres rares se présente à la maison de mon ami, voit les volumes en question, transige avec l'épouse et apporte les volumes. A ce moment-là, le tiers est de bonne foi. L'épouse peut prétendre les détenir individuellement, elle les prend en sa possession...

Qu'arrive-t-il? Cest un cas extrêmement concret, mais je trouve que cela rend extrêmement simple tout geste que voudrait poser l'un ou l'autre des conjoints à l'endroit d'une transaction quelconque relativement aux biens immobilliers, de valeur ou non, dans une maison.

M. MARCEAU: M. le Président, le cas qu'utilise le ministre est tout à fait point; c'est un cas type. A mon avis, c'est aussi le cas type d'une possession qui n'est pas individuelle, mais équivoque. Lorsque nous parlions, l'autre jour, des difficultés que présentait une séparation de biens non réglementée par contrat, c'est aux biens qui sont dans un lieu commun, qui sont possédés par deux, par les époux que nous songions.

L'antiquaire en question — il y a le problème de la bonne ou de la mauvaise foi aussi, mais c'est surtout l'équivoque de la possession par rapport au mot individuel —s'il était mon client, je lui dirais: N'achetez pas cela, parce que cela peut vous nuire. Ayez l'accord des deux ou, tout au moins, une reconnaissance de la part de l'autre que cela appartient au conjoint. Autrement, je n'irais même pas en cour.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Malgré cet article, si nous le conservons, d'après vous?

M. MARCEAU: Absolument, je n'irais même pas en cour.

M. LE PRESIDENT: Me Marceau, les exemples aident toujours à comprendre. Dans l'article, on dit: « Qu'il détient individuellement »; j'essaie de trouver un exemple où il serait facile d'accepter le terme « qu'il détient individuellement ». Je suppose que l'épouse a une automobile enregistrée à son nom, ce qui est un cas assez fréquent Je pense que cela pourrait être un bon exemple.

M. MARCEAU: Oui, la grosse difficulté, M. le Président, c'est la débenture payable au porteur. C'est la grande, grande affaire.

M. PAUL: Mais, Me Marceau, dans un cas semblable, ne croyez-vous pas que le véritable propriétaire de la débenture ou de l'action pourrait s'adresser à l'acheteur et lui dire: Vous allez me la remettre, sinon je me prévaudrai des dispositions du code concernant la vente et je prendrai des procédures pour faire annuler la vente parce que c'est un objet qui n'appartenait pas au vendeur. A ce moment, même si l'acquéreur a transigé de bonne foi, il s'exposerait tout de même à des poursuites judiciaires.

M. MARCEAU: Même dans l'état actuel du droit, il y a là, M. le ministre, un doute. Cet article fait allusion à la vente de la chose d'autrui, dans le cas d'un voL Alors, je ne crois pas que nous puissions...

M. PAUL: L'article 1491: « La vente de la chose qui n'appartient pas au vendeur est nulle ». On ne parle pas de la chose volée.

M. MARCEAU: Oui, mais il faut regarder la suite pour voir comment le véritable propriétaire peut réagir à l'égard de l'acquéreur. De toute façon, ce que je veux dire c'est que l'un des effets du texte est d'empêcher l'application des articles concernant la vente de la chose d'autrui. C'est l'effet numéro 1. J'ai commencé à répondre autrement pour vous dire qu'à mon sens, il n'est pas clair que, dans l'état actuel du droit, on puisse faire valoir les textes relatifs à la vente de la chose d'autrui, dans l'hypothèse que vous avez dans l'esprit Je ne crois pas qu'on innove. Je me permets de dire qu'à mon avis on n'innove pas.

Ce qui est certain, c'est que le texte empêcherait l'application des dispositions relatives à la vente de la chose d'autrui.

M. MALTAIS (Saguenay): M. le Président, l'équivoque même qui est posée dans cet article me semble lourde à la lumière des remarques qui ont été faites par mon collègue, M. Maltais, (Limoilou), par mon collègue, M. Paul, et face aux deux premières objections qui ont été soulevées par le ministre de l'Education et par le député de Marguerite-Bourgeoys. En effet, même si vous référez à l'action paulienne dont on connaît l'existence ou à toutes sortes de procédures, il est bien clair que, dans cette institution qu'on appelle encore le mariage, ce sont les enfants qui, pendant ce dilatoire, — à défaut d'avoir une procédure plus rapide, plus conforme à la protection de l'institution qu'est le mariage, de par les biens qui le font quand même vivre et lui permettent de graviter dans un milieu où cela subsiste — seront encore les victimes les plus importantes.

Il est fort clair que, dans l'optique de l'article 184, dans lequel, à l'heure actuelle, on est en train d'essayer de dégager un sens, un contenu, des cas se présenteront, à ce stade, parce que cela va mal. Alors les enfants, qui sont le centre de l'institution et qui grandissent dans ce milieux, se voient, à un moment donné, souvent en bas âge, peu à peu spoliés de leurs biens sans qu'un texte de loi qui, à mon sens, est lourd... Il est lourd parce qu'il manque d'aération, il manque de prise au juridisme pour pouvoir avoir des moyens faciles de recouvrer l'existence du droit, qui est quand même la stabilité dans la famille. C'est l'élément principal qu'il faut.

J'ai l'impression que cet article donne une facilité. Loin de limiter un peu cette coercition du législateur qui doit s'exercer sur les droits de la famille qui sont primordiaux surtout à cause des enfants parce que la facilité, aujourd'hui, de se séparer et de divorcer apporte évidemment bien des correctifs à des situations, mais il y a quand même les enfants. Et cet article 184, je vous l'avoue, plusieurs ministres l'ont qualifié d'équivoque; moi, je trouve qu'il est très équivoque et l'exemple donné par le Solliciteur général, mon collègue, M. Maltais, me trouble. L'exemple donné par le président me trouble également. Parce qu'à un moment donné vous avez le cas de la prodigalité, qui fait l'effet d'un chapitre particulier pour les incapacités. Avant même que cela soit décrété, la prodigalité, que peut-il ne pas se passer dans un ménage?

Je le regarde, à ce moment-ci, au point de vue des enfants, le cas de la prodigalité. Cet article devrait, selon moi, comporter un élément punitif pour celui... J'ai l'impression que ce ne serait pas complet, et l'adopter immédiatement sans qu'on y repense... selon moi, à la lumière des objections sérieuses qui ont été, de part et d'autres, apportées, c'est un droit qui est très grave. Cela touche deux institutions: une qui est favorisée, la société, et le mariage, qui est défavorisé. J'ai l'impression qu'on devrait mettre au moins une clause punitive pour obliger celui qui aurait, de mauvaise foi, été convaincu d'avoir acheté en fraude des droits d'un des époux, même eu égard au fait qu'on prouve que la personne est détentrice individuellement du bien, l'obliger à payer au moins le double du prix qu'il aurait été payé et à remettre l'objet.

Je parle d'une clause punitive. Remarquez que la loi doit avoir des dents, ici, parce que cela regarde une institution; c'est plus grave que dans le cas, par exemple, d'un permis de conduire où on a un texte législatif qui est un statut. C'est du droit strict. Mais ici, nous

sommes en droit substantif où il n'est pas question de limitation, mais d'interprétation.

M. MARCEAU: M. le Président, les préoccupations de M. le député sont tout à fait louables et je souscris aux propos qu'il tient lorsqu'il parle de la nécessité de sauvegarder les enfants et tout cela. C'est bien sûr.

J'avoue néanmoins ne pas voir exactement comment les enfants peuvent être protégés par une disposition inverse. C'est le conjoint qui pourrait l'être et les enfants, vous allez dire, par ricochet. Mais il reste que les enfants sont les enfants des deux. Et c'est des deux conjoints qu'il s'agit ici.

Par ailleurs — ce n'est pas tellement cela — notre droit actuel est à l'effet qu'entre mari et femme il n'y a pas de vol. En second lieu, c'est qu'on a dans l'esprit, assez aisément, le cas du mari ou de la femme en désaccord qui, ni plus ni moins — j'emploie le mot entre guillemets, dans le sens populaire — « volerait » un bien de l'autre et irait tout de suite le réaliser et en faire de l'argent, le vendre. On a ce cas et on dit: Celui-là est vraiment pénible.

Remarquez bien que vous avez raison, et il y a des moyens d'y voir. Mais le texte lui-même vise des cas autrement plus nombreux que celui-là et autrement plus complexes qui sont, justement, les cas qui résultent du régime. Vous avez des époux mariés sous le régime de communauté, par exemple, et qui, en vertu des règles du régime, pourraient faire valoir que les biens sont à l'un ou à l'autre. C'est cela que nous ne voulons pas voir supporté par les tiers. Dans la communauté, les débentures de la femme, si c'est le mari qui transige — c'est vrai que depuis quelques années, avec le bill 16, la situation est peut-être un peu clarifiée mais, mon exemple, je le poursuis quand même dans le cas du droit qu'on a connu jusqu'à récemment — si c'est la femme qui vend des débentures qui appartiennent au mari ou vice versa... Eh bien, on peut discuter longtemps pour savoir quelle est la valeur de la vente, parce que les règles du régime elles-mêmes sont extrêmement difficiles à appliquer. Idem, à la vérité, même pour le régime légal actuel, encore que les règles soient plus simples, étant donné que les deux patrimoines fonctionnent.

Mais c'est cela qui est couvert par le texte. On ne veut pas que les tiers puissent être chicanés, s'ils ont agi de bonne foi avec un des époux, parce qu'il y aurait une complication résultant du fait du mariage, n'est-ce pas? Le « vol », encore une fois, pur et simple entre époux, bien sûr qu'il est possible, bien sûr qu'il faut le réprouver. Mais il n'est pas, je pense, aussi dangereux et aussi fréquent qu'on le prétend. On dit: Il faut mettre des dents pour empêcher que cela soit fait. Par exemple, une remise du double. C'est le conjoint qui supporterait la peine. Il faudrait que le conjoint soit, là encore, taxé de mauvaise foi, mais c'est la même chose que de dire que le vol peut exister entre époux, ce qu'on n'a jamais voulu faire en droit criminel. Ou bien, c'est le tiers. Mais pour le faire, il faut que le tiers soit de mauvaise foi. Or, par hypothèse, s'il est de bonne foi, et si le tiers est de bonne foi, on ne peut pas lui faire rétrocéder le bien et ce qu'il a payé pour aussi.

Alors, ou on règle les rapports entre époux et on veut punir l'époux qui aurait pris un bien de l'autre — et c'est le vol entre époux —, ou bien on agit avec le tiers et le texte ne joue pas. Vous voyez?

Bref, les préoccupations sont extrêmement louables et correctes, mais je ne crois pas qu'elles soient mises de côté par le texte.

M. MALTAIS (Saguenay): M. Marceau.. Oh, pardon, M. le ministre.

M. PAUL: M. Marceau, vous allez admettre que le but premier de cette loi, c'est de protéger les régimes matrimoniaux, c'est d'aider les époux et leur donner un moyen nouveau de vivre et de disposer de leurs biens. Est-ce qu'il y a nécessité absolue et impérative que l'article 184, tel que rédigé, soit introduit dans le corps de ce bill? Parce qu'à ce moment-là, l'effet premier de l'application de cet article n'a pour but que de protéger le tiers. Je ne vois pas en quoi, à ce moment-là, on peut, avec l'application de cet article, protéger l'un ou l'autre des époux.

M. MARCEAU: C'est tellement fondamental, la question de M. le ministre, qu'au risque de paraître un peu agaçant, je voudrais essayer tout de suite d'y répondre, parce que c'est le centre de l'histoire.

Telle qu'exposée, la question peut paraître embarrassante...

M. PAUL: Remarquez bien...

M. MARCEAU: Je dis bien paraître. Mais j'ai une réponse. Si vous me permettez, M. le Ministre, on y avait pensé. Une des grandes difficultés — je semble peut-être me répéter, mais pour pouvoir partir dans un autre sens — une des grandes difficultés, dis-je, dans la vie pratico-pratique de tous les jours, c'est le régime, pour des gens qui sont mariés. Et le

grand motif des adversaires de notre proposition de la société d'acquêts, vous le savez bien, c'est que c'est compliqué en pratique. Et en France — je prends cela, cela ne copie pas du tout ce qu'il y a là-bas — je ne parle pas de la France pour essayer de prendre un modèle, mais c'est l'expérience qui est en cause...

M. MALTAIS (Saguenay): D'ailleurs, si nos amis nous aident...

M. MARCEAU: C'est l'expérience que je veux dire, en France, la plupart des lois de 1939-1942, qui n'ont pas eu l'effet désiré, ont péché par le fait, qu'en pratique, on en avait peur; qu'en pratique, on se méfiait des régimes, qu'on se méfiait des époux, parce qu'ils étaient mariés, parce qu'ils étaient époux. Chez nous, c'est pareil. Les gens disent la séparation de biens a un avantage, c'est que le monde trouve que c'est clair. Il n'y a pas de problèmes, pas de cachette, pas d'arrière-garde, il n'y a rien qui se profile par derrière et puis — pour prendre l'expression qu'on connaît bien, nous les Québécois — on se sent plus en sécurité sous le régime de la séparation. C'est plus simple. Ce n'est pas tout à fait vrai. Remarquez, l'autre jour, Je me suis employé à dire qu'à mon avis, cela ne l'était pas. Mais, de toutes les façons, simplifier un régime « sécuriser » — j'emploie le même mot, encore entre guillemets, peu importe sa valeur au point de vue sémantique — « sécuriser » les tiers est, à mon avis, une priorité pour que les époux puissent fonctionner valablement, normalement et sans difficulté. Et en sécurisant les tiers, par le texte, toujours pareil, on protège les époux et on protège surtout le mariage, ce qui fait en sorte que quelqu'un qui est marié sera exactement dans la même situation que quelqu'un qui ne l'est pas, en autant que la vie commerciale et que la vie d'affaires seront concernées.

C'est un argument de base, parce que, même pour les femmes, vous vous souvenez ce que c'est. On disait, pour les femmes, avant que n'intervienne le bill 16 : Pourquoi la femme mariée serait-elle dans une situation différente de la femme séparée de corps ou de la femme célibataire?

C'est la même chose. Il ne faut pas même que le mari ou la femme mariée aujourd'hui, soient dans une situation, dans une certaine mesure, inférieure à l'homme ou à la femme non mariée, au point de vue commercial. Le texte qui est là est à mon sens essentiel pour le réaliser, à mon sens. En ce faisant, nous protégeons les époux et nous protégeons le mariage.

M. MALTAIS (Saguenay): Si vous me permettez une remarque immédiatement, M. Marceau. Ne trouvez-vous pas cela essentiel, à ce moment-là, pour renverser un peu le fardeau des présomptions, n'y aurait-il pas moyen d'éviter de renvoyer les époux à l'action pau-lienne au service d'une législation qui est accordée en droit commun, de dire qu'au cas de contestation de l'autre époux, la vente au tiers serait réputée frauduleuse? Alors, la présomption reviendrait sur lui à prouver que c'est de bonne foi que la transaction a été faite.

A ce moment-là, nous n'obligerions pas les époux à avoir les frais de la contestation, mais nous obligerions le tiers, qui prend les risques d'acheter, à faire attention lorsqu'il transige avec une institution aussi sacrée que celle qui regarde la famille et les enfants.

Vous comprenez, c'est qu'au cas de contestation de l'autre époux, le fardeau de la preuve reviendra à l'autre époux et la vente sera présumée frauduleuse.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: A moins...

M. MALTAIS (Saguenay): Dans la présomption de la procédure civile, s'il prouve que ce n'est pas frauduleux, la présomption est établie sur le tiers au lieu d'être établie sur le foyer.

M. MALTAIS (Limoilou): Si vous me permettez de noter ici, à la suite des observations de mon collègue, le député de Saguenay, et les remarques du Protecteur du citoyen, Me Marceau, ilI y a la protection des époux...

Il y a, et vous l'avez fait ressortir lors de votre dernière intervention devant cette assemblée, Me Marceau, le souci fondamental de la famille qui entre en ligne de compte dans toute cette philosophie, de sorte qu'au fond, la discussion même du principe est complexe, parce qu'il s'étage...

M. MARCEAU: C'est cela.

M. MALTAIS (Limoilou): C'est cela. Or, il arrive que cet article-là me trouble un peu en ceci. On sait qu'une des difficultés de la famille, aujourd'hui, c'est peut-être ce que nous appelons la vente sous pression, à domicile.

Je ne voudrais que, sous le couvert d'un certain relâchement, par ailleurs, ce à quoi, actuellement, par une législation, nous allons nous efforcer de remédier — Dieu sait, les avocats savent jusqu'à quel point cela peut être difficile, mais j'ai bon espoir que nous pourrons amener une législation pour tenter de remédier à ce mal qui existe déjà, la vente sous pression, le col-

portage éhonté dans certaines circonstances, je ne voudrais pas dis-je que, par un retour des choses, nous arrivions à la même situation...

M. MALTAIS (Saguenay): Que nous voulons corriger.

M. MALTAIS (Limoilou): ... l'achat sous pression. Il y a quelque chose là-dedans, vous savez.

M. MALTAIS (Saguenay): C'est juste. Ne pourrions-nous pas reporter... évidemment, après les remarques... — je suis obligé de partir — les décisions finales sur cet article-là? Je vous l'avoue bien franchement, comme le Solliciteur général l'a dit, quant à moi, cela me trouble parce qu'en droit, surtout les avocats qui pratiquent, qui sont moins dans le gouvernement, nous, chaque jour, nous pratiquons avec des cas d'espèce, comme l'ont mentionné le président ici et le Solliciteur général, ceux qui sont dans la pratique et qui voient des cas d'espèce, se demandent ce qui va arriver. Je pense qu'un temps de réflexion nous permettrait peut-être d'arriver... parce que là, en fait, il y a un palier de psychologie, de protection de droits qui, à l'heure actuelle, ne me convainc pas en ce qui regarde l'article 184...

M. MARCEAU: Vous permettez...

M. MALTAIS (Saguenay): ... le paragraphe 3 de l'ancien article 184.

M. MARCEAU: ... seulement un petit mot, parce que je conviens, dans la réflexion, qu'il faut que les membres de la Chambre soient convaincus de la valeur du texte. Je ne veux pas revenir sur ce que j'ai déjà dit. Je veux néanmoins poursuivre par rapport à ce que nous avons référé et à une remarque, ici, de l'honorable ministre. Bien sûr, il ne faut pas essayer de promouvoir l'achat sous pression, comme c'est l'inverse de la vente sous pression.

Seulement, je vous avoue ne pas tout à fait voir pourquoi il en serait ainsi parce que le texte n'est pas si nouveau. Il existe en France depuis nombre d'années et les Français n'ont jamais eu ce problème-là, exactement dans le même sens. Le danger, s'il est théoriquement possible, au point de vue pratique, je ne vois pas sur quoi il s'agrippe.

Quant à la suggestion, faite par l'honorable député du Saguenay, de renverser la présomption afin d'enlever l'odieux de la preuve, c'est une chose à laquelle on peut penser. Seulement, en y pensant, je lui demanderais de ré- fléchir à toutes ces possibilités de chantage que pourraient faire des époux — pensez à l'exemple que j'utilisais tout à l'heure — à l'égard des courtiers. Ils pourraient dire: Les débentures que vous avez vendues ou les actions que je vous ai fait vendre et qui ont été payées au porteur, sont à ma femme et ma femme va poursuivre. La, le courtier sera obligé de faire face au procès et, lui, de faire la preuve, montrer qu'il ne savait pas ou qu'il savait. Il y a une possibilité de chantage assez facile dans un cas comme celui-là.

Prenez votre exemple d'automobile. Le bon monsieur va au garage et on lui vend une automobile. Alors, c'est le garagiste qui va être obligé d'assumer tout le fardeau et de prouver qu'il ne savait pas que l'automobile avait été payée en partie par l'autre, quoique l'enregistrement fait présumer la propriété. En tout cas, l'affaire devient complexe. Il faut éviter, néanmoins, qu'il y ait, à l'égard des tiers, un chantage possible, ce qui fait en sorte qu'on retomberait exactement dans le même problème, c'est que les gens se méfieraient des époux.

M. MALTAIS (Saguenay): Vous avez allégué, tout à l'heure, le cas de l'action paulienne.

Il est bien clair que s'il y a contestation, à ce moment-là, on revient encore au même cas, mais la présomption, au lieu d'être sur les époux, est sur le tiers qui achète. En général, c'est dans les « pawnshops » qu'achètent ces époux. Et on voit, ici, il ne faut pas se le cacher, que ce sont des ivrognes, des prodigues et des fous qui dissipent les biens de la communauté. C'est de cela que nous ne voulions pas parler, mais qu'à l'arrière toile, nous voyions bien. Ce sont les épouses que nous voulons protéger contre ces gens-là, et souvent les époux aussi, moins souvent en tous cas.

Alors, s'il y a un procès, nous sommes dans l'optique qu'il y en a un, la loi prévoit toujours le pire. Si cette loi-là n'a pas de dent, c'est un des cas où, justement, on attaque le patrimoine des individus, où il y a possibilité que le patrimoine des individus soit attaqué, j'ai l'impression qu'il y a un danger. Je vous le soumets respectueusement. J'appuie les remarques de M. le Solliciteur général, c'est troublant.

MME KIKRLAND-CASGRAIN: M. le Président, M. Marceau a parlé tantôt de sécuriser les tiers, et cela j'en suis... Il me semble qu'il y aurait moyen de trouver une formule, si on n'accepte pas celle du député du Saguenay, une autre formule par laquelle on continuerait à faciliter le commerce avec les tiers, leur rendre cela possible, et en même temps, pro-

téger l'époux absent. Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen d'ajouter... Je pense à un article du bill 16 suivant lequel le mari administre lorsqu'ils sont mariés en communauté, ne peut pas disposer de l'immeuble sans l'autorisation de sa femme. Est-ce que cette loi ne pourrait pas être appliquée aux biens meubles d'importance, sans qu'il y ait nécessité d'une autorisation écrite de la part du conjoint absent?

M. MARCEAU: M. le Président, j'avoue que c'est un peu ce que nous voulions éviter. Qu'est-ce qui peut alourdir le travail des époux? C'est la nécessité de toujours transiger à deux. A ce moment-là, cela alourdit, je le dis, et cela donne une espèce de droit de veto à l'un ou à l'autre qui peut devenir pénible dans des circonstances embêtantes. Je vous ai dit que nous avions eu, comme préoccupation numéro 1, la protection des tiers au point de vue théorique, parce que nous croyions qu'il était nécessaire qu'elle puisse être appliquée de façon valable et que personne ne puisse nous dire: Votre histoire, c'est trop compliqué.

Il y a une autre préoccupation aussi que nous avons eue, c'est le fait qu'un époux ne puisse pas « de mauvaise foi », par entêtement, empêcher complètement l'autre d'agir. Comprenez-vous? Supposons qu'un bien appartient proprement au mari, supposons qu'une débenture est nettement au mari, mais que ce n'est pas clair parce qu'elle est au porteur; par hypothèse, ce n'est pas clair. A ce moment-là, votre règle dirait: Il faut que la femme participe à la vente, ou l'inverse. C'est vrai que j'ai été gauche en prenant le mari. Mais si la femme est propriétaire de débentures, à ce moment-là, il faudrait que le mari soit présent, autrement, la femme ne peut pas vendre ses débentures.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: A part les debentures...

M. MARCEAU: Vous voyez la difficulté...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... est-ce que l'on trouverait d'autres cas?

M. MARCEAU: La voiture, pour prendre l'autre exemple que M. le Président signalait. La femme a une voiture, n'est-ce pas. Alors on dit: Automatiquement, il faut que le mari y soit, c'est cela que l'on voulait éviter.

Nous voulons que les époux puissent — tout en respectant le mariage et les biens des enfants et tout — agir de façon autonome, de façon égale sans que l'autre puisse par entête- ment... Il se lève un matin, il n'est pas content et dit: C'est bon, on ne vendra pas. C'est cela que nous avons voulu éviter.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Par contre, celui qui se lève de mauvaise humeur peut dire: Je vais vendre, et ce au détriment de sa femme à qui appartient l'objet, par exemple.

M. MARCEAU: A ce moment-là, il faudrait qu'il la prenne de force. Mais la femme est capable d'avoir ses biens. On pourrait dire cela entre voisins. C'est vrai qu'ils sont époux. Il faudrait qu'ils s'organisent de quelque façon. Il faudrait que la femme, dans l'hypothèse que vous avez, laisse l'administration de ses biens au mari. Il faudrait qu'elle ne s'en occupe pas, il faudrait qu'elle laisse aller les choses, qu'elle ne prenne aucun moyen pour mettre le tiers de mauvaise foi. Il suffit à un moment donné de dire: Les débentures sont à moi, je vous avertis, pour constituer la mauvaise foi très aisément. Vous présupposez que l'époux qui se fait jouer par l'autre est absolument passif.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cela se fait en dehors de sa connaissance. Si c'est un bien meuble, c'est tellement facile. Si c'est un immeuble, c'est plus difficile. Cela se faisait avant cet article que nous avons adopté dans le bill 16. Cela se faisait, on voyait des cas où le mari disposait d'un immeuble propriété de la communauté. Avant que la femme s'en aperçoive, cela prenait plusieurs mois, et il avait déjà dissipé les gains de la vente de cette propriété. A plus forte raison, cela deviendra facile pour un bien meuble.

M. MARCEAU: Il est vrai que cela pouvait se présenter dans le passé, sans aucun doute. C'est parce que la loi donnait au mari la possibilité de le faire. C'est le mari qui pouvait aliéner un bien immeuble de la communauté. Alors, on comprend bien qu'en certaines hypothèses il se soit servi de son pouvoir. La femme n'avait rien à faire là-dedans. L'Assemblée nationale, à bon droit, a mis fin à une situation comme celle-là qu'elle jugeait excessive. Mais ne nous étonnons pas si cela existait. Tandis qu'aujourd'hui je ne vois pas en vertu de quel droit quelqu'un peut vendre le bien d'un autre, etpas plus parce que l'autre est conjoint.

M. MALTAIS (Limoilou): ... il y a déjà une présomption qui existe en droit en faveur de l'un ou l'autre des époux. Le code criminel... je vais revenir à l'exemple que vous donniez,

cela ne constitue pas un vol, vous ne pouvez pas accuser un des époux d'avoir volé l'autre.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est le problème.

M. MALTAIS (Limoilou): Cela constitue déjà une présomption, le droit...

M. LE PRESIDENT: ... qu'il détient individuellement. Si je comprends les interprétations que Me Marceau a données, cela veut dire qu'en pratique il n'y en a pas tellement de choses qu'il détient individuellement.

M. PAUL: Non.

M. LE PRESIDENT: C'est comme cela que j'interprète...

M. PAUL: Dans votre remarque, Me Marceau, vous avez signalé que le but de cet article était de rendre plus évidente la liberté des époux de poser des actes à l'égard de biens meubles. Mais ce n'est pas, je crois, contre le principe que vous avez développé que les membres de la commission ont l'esprit éveillé, mais c'est peut-être son inscription, son intégration dans ce chapitre de notre code. Le même principe ne pourrait-il pas être ajouté ailleurs, si l'on garde toujours à l'esprit les avantages de ce nouveau régime matrimonial susceptible d'être adopté? Ce n'est pas le principe lui-même que certains membres de la commission veulent discuter, mais la nécessité de l'intégrer à l'endroit où on l'a inscrit ou rédigé. Personnellement, je ne suis pas contre ce principe et toutes les argumentations, les avancés que vous avez faits; mais il me semble que ceux qui vont en retirer profit, ce sont exclusivement les tiers. Ils vont transiger de bonne foi. A ce moment-là, il y a un principe de droit qui dit: Vous transigez de bonne foi dès que vous transigez avec l'un des époux à l'égard d'un bien qu'il détient individuellement. Alors, est-ce que l'acquéreur de bonne foi va être obligé d'exiger la preuve que le bien qui est offert en vente est détenu réellement par l'époux qui l'offre pour que sa bonne foi soit consacrée par cet article ou si la moindre erreur de sa part ne l'expose pas à l'annulation de l'acte juridique qui est intervenu?

Et, dans un tel cas, si on ne le met pas I l'abri de ces poursuites soit par l'action pau-lienne, soit par les règles relatives à la vente, pourquoi inscrire une telle disposition dans ce chapitre?

M. MARCEAU: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: Messieurs, pourrait-on entendre...

M. CARDINAL: D'accord.

M.MARCEAU: Il y a, je pense, dans l'intervention de l'honorable ministre de la Justice, trois points qui m'ont frappé, sur lesquels je voudrais revenir.

Le premier est le plus important, puisque le ministre est parti là-dessus et a terminé là-dessus, c'est l'emplacement. Le principe, dit-il, il y aura quand même peut-être lieu de le mettre ailleurs. On a cherché à placer dans les dispositions qui règlent les rapports entre les époux, fondamentalement, ce que certaines gens appellent le régime primaire — une expression, à mon avis, qui n'est pas correcte, mais enfin, c'est pour m'expliquer — on a cherché, donc, I mettre là toutes les dispositions qui résultaient automatiquement du mariage. Certaines d'entre elles, au reste, n'étant pas nécessairement favorables aux époux, mais favorables au mariage. Ce que je veux dire par cette dernière proposition, qui est assez énigmatique, c'est que des textes prévoient la responsabilité du conjoint pour des actes de son conjoint. Ainsi, il y en a un, dans le régime légal, qui prévoit qu'après dissolution, le conjoint qui a partagé devient responsable à l'égard des tiers jusqu'à concurrence de son émolument. Ce sont des textes qui ne le favorisent pas. Mais ce sont des textes qui favorisent l'organisation d'ensemble pour protéger les tiers. Ce texte-là est pareil. Il ne favorise pas les époux eux-mêmes. Soit! Mais il favorise l'ensemble parce qu'on ne peut pas dire que le mariage n'apporte que des avantages et des droits des époux l'un à l'égard de l'autre, ou des époux à l'égard des tiers. Le mariage implique des obligations. Il y a le mari qui est obligé envers la femme. Le mari est obligé envers les tiers. Le mari est obligé envers les enfants. La femme de même. Bref, quant aux dispositions de base qui résultent du mariage, nous ne pouvons pas dire que les seules que nous mettrons sont celles qui constitueront des avantages ou des profits, un beau côté. Il faut tout mettre là-dedans. C'est un ensemble de droits et d'obligations qui définit chez nous, une institution. C'est notre seul moyen de définir une institution en droit. Il y a des obligations.

M. PAUL: Tout à l'heure, vous avez dit que cet article pouvait rendre plus autonome l'activité des époux, des conjoints.

M. MARCEAU: Oui, M. le ministre. J'arrivais Justement à ceci. Pour l'emplacement, donc, étant donné qu'il s'agit, dans notre esprit, d'une

conséquence de base du mariage, d'une présomption qui existe parce que les époux sont mariés, présomption qui n'existe pas dans le cas de concubinage, remarquez-bien, étant donné, cela, je crois que le seul emplacement serait là. Le mettre ailleurs, ce serait un peu perdu, dans le chapitre des présomptions, dans le chapitre des obligations ou dans le chapitre des contrats. Je ne vois pas beaucoup, dans le code civil, où il pourrait être placé sans avoir l'air d'un hors-d'oeuvre difficilement acceptable.

D'autre part, j'ai parlé d'autonomie, mais dans le sens inverse. Je pense avoir voulu répondre à l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys qui disait: Pourquoi ne pas exiger l'intervention du conjoint dans le cas de meubles? Là-dessus, J'ai dit: Si vous le faites, vous enlevez justement cette autonomie qu'on a voulu garder à chacun des époux. Je ne crois pas que le texte, en lui-même, assure une autonomie plus grande. Mais Je dis que la formule suggérée enlèverait cette autonomie qui paraissait pour nous une valeur importante.

Quant au troisième point, la bonne foi, le ministre disait: Est-ce qu'il ne faudra pas que le tiers prenne ses précautions? A cela Je dis: Oui, il va falloir qu'il les prenne. Et la jurisprudence, à mon sens — et je suis à peu près convaincu qu'elle va réagir de cette manière, mais disons que c'est de la prévision — serait drôlement bienvenue d'examiner les circonstances dans lesquelles un acte a été fait. Et dès le moment où ce n'est pas normal, reprenant mon exemple de tout à l'heure, que je pourrais multiplier, vous avez le beau monsieur qui arrive avec son tableau sous le bras pour dire à un marchand de peinture: Je veux vous le vendre. Eh bien, oui, le problème de la bonne ou de la mauvaise foi peut être soulevé. Imaginons le marchand de tableaux qui se ferme les deux yeux et qui dit: Je vais vous offrir tant et qu'on en finisse là-dessus. Vous avez des dispositions analogues pour le cas du vol et le cas du recel. Il y a une jurisprudence qui est quand même assez sévère à l'égard du tiers qui ne prend aucune précaution. Dans le cas d'un mari ordinaire et d'une femme ordinaire, c'est embêtant. Là où il y a un problème — et j'y reviens — c'est le cas des obligations. Là, on ne peut pas demander au courtier: Donnez-nous la preuve que l'obligation vous appartient à vous et à vous seul et que vous la détenez individuellement. Mais pour revenir à ce que vous demandez, je crois qu'en dehors de l'exemple que j'ai à l'esprit, et peut-être de quelques autres qu'on pourra me signaler, j'exclus nettement celui qu'a apporté l'honorable ministre tout à l'heure, je veux dire l'exemple qui était signalé à propos d'une vente forcée analogue aux achats à domicile.

J'exclus ce cas, parce que ce n'est pas dans des circonstances qui permettent que la bonne foi puisse être considérée comme étant acquise. Je crois qu'il faudra que le tiers fasse attention quand il achète un bien mobilier. La mauvaise foi pourra, beaucoup plus aisément que nous le pensons, être décelée par les tribunaux.

M. KENNEDY: M. le Président, en tant que profane, je me demande ce qui justifie la grande inquiétude des juristes, parce qu'après avoir lu l'article 184, je me rapporte à l'article 183 qui dit: « Si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, sur ses propres... l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation ». Est-ce que cela ne...

M. PAUL: C'est une question de preuve. Dans un cas, c'est entre les deux époux; dans l'autre cas, c'est entre un conjoint et un tiers.

M. KENNEDY: S'il a outrepassé ses pouvoirs sur des biens, il doit y avoir un tiers d'impliqué.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: A ce moment, est-ce que nous ne pourrions pas ajouter à l'article précédent que cela s'applique aux tiers également?

M. KENNEDY: II me semble y avoir un tiers d'impliqué ici. S'il a outrepassé ses pouvoirs sur des biens, il faut nécessairement, je pense, qu'il y ait des tiers qui soient impliqués.

M. MARCEAU: Si vous me le permettez, j'apporterai d'abord une précision et je reviendrai sur les deux textes qui ne sont peut-être pas lus comme je les lis moi directement. Il est évident que dans le cas où un conjoint aurait ainsi vendu le bien de l'autre sans y être autorisé, il est évident que l'autre a un recours.

M. KENNEDY: C'est clair.

M. MARCEAU: C'est clair. Le seul problème qui se pose est le suivant: Quelqu'un vend le bien de son conjoint; à ce moment, il y a une situation qui est embarrassante. Il y a trois personnes: l'acquéreur, celui qui a vendu — pour les circonstances, disons le conjoint malhonnête — et le propriétaire. Il faut que le propriétaire soit réintégré dans son bien ou dans sa valeur.

Nous pourrions faire une chose, dire à celui qui était propriétaire au départ: Vous avez un recours contre le tiers acquéreur pour vous faire rembourser le bien qui a été ainsi acquis de la part d'un non-propriétaire. Si vous me suivez, car nous sommes mêlés avec trois...

M. KENNEDY: Cela commence à être compliqué.

M. MARCEAU: Un époux est propriétaire d'une « débenture », son conjoint la vole et la vend à un courtier. Voilà notre situation: le courtier acquéreur, le mari malhonnête et la femme, pour rendre cela un peu pathétique, qui dit: Je n'ai plus ma « débenture ». Il nous faut régler cette situation.

Il y aurait une possibilité, ce serait de dire à la femme : Vous avez un recours contre le courtier pour vous faire redonner la « débenture », ou la valeur de la « débenture » si le courtier ne l'a plus. Ce qui commence à être compliqué, parce que le courtier peut la revendre, ou peut donner un droit sur la « débenture » elle-même, et puis, cela n'est pas facile. Pour le faire, il faudra qu'elle prouve qu'elle est propriétaire. Il y aura une présomption en faveur du courtier, en vertu de l'article 2260 dont je parlais. Tout cela est assez compliqué.

Nous pouvons aussi dire ceci : Vous avez un recours contre le mari malhonnête. C'est ce que dit le texte. Le texte existe. La femme a un recours, elle n'est pas démunie, elle n'est pas volée sans pouvoir récupérer. Vous me direz: Le mari peut être insolvable. C'est évidemment l'image que nous nous faisons. Soit! Mais qui doit supporter l'insolvabilité du mari dans un cas semblable? Est-ce le courtier de bonne foi qui lui aussi sera spolié? Ou la femme? C'est là que se pose le choix. Ce ne sont pas les tiers, en général, par rapport à l'époux ou aux enfants. C'est le tiers par rapport au conjoint. Parce qu'un des deux, si nous présupposons l'insolvabilité du mari, se sera fait jouer.

Soit que le courtier perde parce qu'il est obligé de rembourser la femme, et il se dira: Moi, je reste avec rien, pourtant j'ai agi correctement. Soit que la femme se dise; Je ne suis pas capable de le réclamer à mon mari parce qu'il est insolvable et qu'il n'a plus d'argent. La se trouve le choix. Mais il ne faudrait pas présenter cela comme un choix contre la famille ou contre les enfants en faveur des tiers. C'est jouer un peu sur les mots que de le présenter ainsi.

Revenons maintenant au texte. Si vous remarquez, l'article 183 parle d'un époux qui a outrepassé ses pouvoirs sur ses biens à lui, tan- dis que l'article 184 parle d'un époux qui a agi sur les biens meubles de l'autre.

M. PAUL: Me Marceau, maintenant, supposons que...

M. KENNEDY: Il détient individuellement...

M. PAUL: ... vous avez deux époux qui veulent pratiquer la fraude sur une haute échelle.

Est-ce que cela ne serait pas une ouverture à une série de fraudes, d'actes malhonnêtes de la part de l'action concertée, arrêtée de deux époux, et qui pourraient, en certains cas, frauder presque à répétition l'acquéreur de bonne foi?

ME MARCEAU: Oui. C'est bien sûr. M. le ministre, votre argument, j'aurais dû, peut-être, l'utiliser au départ. C'est là que le texte vient empêcher cela. Parce que des époux qui se concerteraient pourraient, avec les tiers, jouer très aisément. Ils se concertent, voyez-vous, il y en a un qui vend, il prend l'argent, et l'autre revient après, il se fait rembourser et..

M. PAUL: Et vous n'êtes jamais capable de faire la preuve de cette...

ME MARCEAU: De sa propriété?

M. PAUL: Non. Vous ne pourrez jamais faire la preuve de cette mauvaise foi, de cette fraude arrêtée, convenue, planifiée, de la part des deux époux contre les tiers de bonne foi. Par contre, on est capable, par le parjure ou autrement, d'établir une preuve d'une vente non autorisée d'un bien non détenu personnellement par le vendeur, et le tiers de bonne foi s'expose à être exploité, à être spolié dans de tels cas.

ME MARCEAU: Mais, M. le ministre, si vous n'aviez pas le texte, c'est ce qui se présenterait. Mais, avec le texte, les époux ont beau se concerter, si le tiers ne fait pas partie de l'organisation, si vous voulez, fraduleuse, il sera à l'abri. Mais si vous n'avez pas le texte, c'est là qu'il peut y avoir un problème. Du reste, même aujourd'hui, je ne crois pas que le texte soit tellement de droit nouveau, à la vérité. Actuellement, à cause de l'article 2260, et à cause aussi de la situation entre époux et du fait qu'il ne peut pas y avoir de vol, je ne crois pas que ce soit nouveau. Mais peu importe ma pensée là-dessus. Votre exposé, enfin, votre problème joue en faveur du texte. Sans texte, le tiers n'est à l'abri de rien. Le tiers est toujours sujet, comprenez-vous, à une réclamation de l'autre con-

joint qui dira: C'est à moi ce qui a été vendu par mon conjoint et remettez-le-moi!

M. PAUL: Cela prouve qu'on n'a pas de parti pris contre le texte!

M. THEORET: M. le Président, je ne suis pas bouleversé par le texte mais bouleversé par certaines observations qui ont été faites tantôt Il faudrait quand même qu'ici, à la commission, on rejette, dès le départ, cette présomption de responsabilité qu'un membre, tantôt, a voulu faire peser sur les tiers. Cela n'a pas été débattu, mais, quand même, là, nous sommes aussi bien d'abolir l'article 177 que nous avons adopté tout de go tantôt.

Alors, on adopte un article 177, où on veut libéraliser le texte, et après cela, à l'article 184, on cherche des casse-tête chinois à n'en plus finir. Faire appel, aussi, à cet argument pathétique de protéger la famille, l'union sacrée, les enfants, etc., vous savez, cela ne m'émeut pas non plus outre mesure.

D'ailleurs, je ne crois pas que ce soit la philosophie de ce bill. Ce sont les rapports pécuniaires des époux mais aussi avec les tiers, et non pas la protection de la famille. Si on veut faire de la religion, il est peut-être aussi bien d'entrer dans les ordres et de laisser l'Assemblée nationale. Je crois que ce sont des arguments qui portent à faux. D'ailleurs, il y a des gens qui ont aussi une objection globale contre le bill, et Je crois qu'on devra les subir tout au long de l'étude de ce bill, ces objections globales. Là-dessus, je n'ai besoin de citer personne. C'est de valeur que celui qui semble visé ne soit pas ici. Son collègue, le député de Marguerite-Bourgeoys, pourra dire à qui de droit ce que je pense de ces objections globales.

Ici, encore une fols, je pense que si on a voulu démolir un système qu'on croyait dépassé, anachronique, la communauté de biens, parce que la femme était sans pouvoir, on a relié pas mal de choses par le bill 16, on va en relier d'autres avec le bill 10. Si on est toujours obligé d'avoir la permission des deux, on retombe dans la communauté telle quelle où là, avec le bill 16, il faudra obtenir la permission de tout le monde chaque fois qu'on voudra poser un acte commercial quelconque.

Pour toutes ces raisons, je crois que l'on devrait d'abord a priori, rejeter cette idée de responsabilité qu'on veut imposer aux tiers, cela me paraît absolument inacceptable. De toute façon, je crois bien que si on veut respecter l'article 177, qui dit: La capacité juridique des époux n'est pas diminuée par le mariage, comme l'a si bien dit Me Marceau, eh bien, le tiers, il faudra qu'il soit drôlement prudent, si on rejette ce texte. On peut peut-être le modifier, soit, mais il faudrait encore là être bien prudent. Alors le tiers dira: Oui, c'est difficile de faire affaire avec un époux.

Alors, ce sont les remarques que je voulais faire.

Je crois que l'on vient d'accepter facilement et d'une façon très nette l'article 177. Mais on peut maintenant s'enferrer avec l'article 184 et des modifications qui me paraissent douteuses.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: En réponse à la remarque de mon collègue au sujet de l'objection globale d'un député libéral, J'aimerais savoir lequel, parce que je n'en connais pas qui ait une objection globale au bill 10. Si vous parlez d'objection à l'article 184 tel qu'il est suggéré...

M. THEORET: Cette objection avait été faite par le député de Saguenay quand le Barreau s'était présenté au début. Il s'était objecté au bill et le député de Saguenay, Me Maltais, s'était aussi objecté à la philosophie du bill.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: II faudrait alors se reporter aux débats de l'époque. Je sais qu'il avait des restrictions sur certains points, mais Je n'ai pas compris son objection comme étant globale.

M. THEORET: A la Société d'acquêts.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui. Evidemment, je ne suis pas ici pour le défendre, mais il faudrait relire le texte de l'époque. Je sais qu'il avait certaines réserves. Je ne peux quand même pas laisser passer l'occasion sans vous souligner que c'était uniquement certaines réserves. Je ne crois pas que c'était à tout le principe du bill. De toute façon, il y avait du vrai dans ce que vient de dire mon collègue à l'effet qu'il ne faut pas trop retarder la discussion mais quand même, c'est l'endroit, ici, pour soulever les problèmes que nous, comme membres de cette commission nous voyons. Je pense que nous avons raison de suggérer certaines choses pour tenter d'améliorer, s'il y a possibilité de le faire, les articles du bill.

Remarquez que si les suggestions que nous faisons ne peuvent pas être utilisées, que les juristes qui sont des experts dans ce domaine, nous le disent. Je pense bien qu'aucun d'entre nous n'a la prétention d'être expert dans ce domaine particulier.

Je pense qu'il n'est pas mauvais que nous ayons certaines objections à faire ici, et cer-

taines réserves, quitte à entendre les juristes qui ont préparé les articles. Cela m'a un peu vexée tout à l'heure, d'être classifiée avec — comme l'a fait le député de Papineau — ceux qui devraient prendre les ordres et puis... Il est vrai que nous voulons libéraliser la loi, mais nous voulons quand même que le plus de protection possible soit accordée aux conjoints. Pas uniquement à la femme; cela, peut, dans certains cas, être au mari. Je veux bien qu'on nous comprenne. Ce n'est pas que nous voulions retarder non plus l'adoption du bill, mais nous voulons être sûrs, avant que l'on se dise d'accord sur l'article, qu'on a soulevé toutes les difficultés possibles et tenté de les résoudre. C'est dans cet esprit-là...

M. THEORET: Je vous ferai remarquer que je n'ai pas voulu viser ou associer le député de Marguerite-Bourgeoys à l'un de ses collègues, qu'il soit d'un côté ou de l'autre de la table. Cela ne change rien aux discussions parce que cela se fait de façon amicale.

Quand j'ai dit objection globale, je comparais cela à l'objection du Barreau qui, selon moi, si l'on veut retourner aux textes, j'aurai l'occasion de les revoir après cette séance... Selon moi, peut-être que le mot global est un peu fort, mais quand même, l'objection du Barreau était une objection que je croyais globale aussi parce qu'on s'objectait au système lui-même de la société d'acquêts. Je crois que c'est globalement, et je crois que cette opinion, quitte à vérifier i. mon...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Si vous parlez du Barreau, vous avez raison.

M. THEORET: Oui, et Je crois que cette opinion était partagée par le député de Saguenay. De toute façon, cela ne change rien à la discussion. Mais la discussion, c'est parler de responsabilité, de fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve ici, ce n'est pas de convaincre M. Marceau. C'est que M. Marceau doit nous convaincre.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est ça.

M. THEORET: Et là, je me demande si nous n'essayons pas de convaincre M. Marceau de changer son texte alors que lui, il essaie de nous convaincre que ce texte est celui qui doit exister. C'est sûr... Je partage aussi cette opinion que c'est notre devoir de modifier le texte si nous sommes convaincus qu'il faille le modifier. Mais moi, il faudrait me convaincre.

M. PAUL: Notaire, vous conviendrez cependant que les explications que nous donne M. Mar- ceau sont autant d'arguments dont nous pourrons nous servir si les mêmes objections nous étaient présentées quant à l'adoption de ce bill. C'est peut-être dans ce sens-là aussi qu'il faut analyser toutes les objections ou les remarques qui sont faites par les membres de la commission.

M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, si vous me permettez également... Je crois qu'il y a eu une razzia quant aux argumentations et les individus qui les ont portées jusqu'à maintenant relativement à cet article. Non pas que je veuille faire un plaidoyer pro domo ou tenter de me justifier en aucune façon, mais je ferai bien remarquer que si nous sommes allés Jusqu'à parler de la famille, je ne pense pas que la famille, qui est un corps extrêmement concret, puisse s'assimiler à quoi que ce soit, à quelque chose comme la religion qui n'est pas absolument concrète. Le problème là-dedans, et vous l'avez fort justement dit, c'est qu'il y a une question de balance entre le pour et le contre. Et Je pense que nous sommes ici comme membres de cette commission pour tenter de souligner, jusqu'à la limite du possible et de nos faibles connaissances en la matière, jusqu'où va le pour et jusqu'où va le contre.

De la sorte, lorsque viendra le moment crucial de prendre une décision à l'Assemblée nationale, nous serons tout de même un peu plus renseignés et nous pourrons peut-être faire bénéficier d'autres personnes de toutes ces connaissances que nous aurons acquises grâce à vous.

M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, je pense que nous avons fait un bon tour d'horizon...

M. MALTAIS (Limoilou): Mais il y a un petit point que je voudrais soulever.

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse. Je voudrais Juste terminer. Nous aurons l'occasion d'entendre Me Comtois qui pourra peut-être compléter le tour d'horizon. Ensuite, nous pourrons prendre une décision finale. Mais, il y a aussi le principe à mon sens fondamental, de cet article-là, c'est l'autonomie que nous devons accorder aux époux.

Nous acceptons le principe ou nous le refusons. Nous allons peut-être à l'extrême, nous envisageons toujours des cas extrémistes.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous nous faisons l'avocat du diable.

M. LE PRESIDENT: Est-ce par déformation professionnelle? Si un tel cas se présente, l'époux

vexé peut toujours s'adresser aux tribunaux pour demander la séparation, et il n'y a plus de problème. Ce recours-là existe toujours. Mais là nous voulons — si je comprends bien la loi — rendre plus facile le commerce des tiers avec les époux, tout en donnant une autonomie à chacun des deux époux. Nous voulons faciliter le commerce. Advenant le cas où il y aurait abus d'une partie quelconque, il y a les autres recours que la loi nous accorde depuis toujours.

M, PAUL: M. Marceau, peut-être, tout en réservant la suggestion de M. le Président pour le moment... Ce matin, dès le départ, l'honorable ministre de l'Education et l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys ont été « chatouillés » — nous aussi — quant à l'opportunité de trouver si possible une autre expression que celle utilisée dans le bill 10, « la société d'acquêts ». N'y aurait-il pas possibilité de trouver un mot plus réaliste, plus descriptif ou plus compréhensible pour la masse des citoyens que le mot « acquêts »?

Je comprends que cela aurait beaucoup d'implications dans le code où l'on retrouve cette expression assez souvent, mais le mot « acquêts » a retenu l'attention au début de notre séance de ce matin. Y aurait-il possibilité, à la lumière de l'expérience que vous avez vécue ainsi que vos collègues qui ont travaillé à ce projet de loi, de nous trouver, peut-être, une autre expression ou un autre mot pour traduire le mot « acquêts »?

M. MARCEAU: Vous voulez dire le mot français, évidemment, pas « acquests »? Ce n'est pas le mot anglais, ce n'est pas une question de sémantique, là.

MME KIRKLAND-C ASGRAIN: Nous trouvons qu'en anglais, c'est encore pire, « acquests ».

M. MARCEAU: Je puis peut-être transmettre aux membres de l'Office de revision, à M. Crépeau, membre du comité, le voeu que vous exprimez... Il faut quand même dire tout de suite que cela nous a arrêtés pendant longtemps, les expressions utilisées, l'expression « acquêts » et l'expression « société » aussi. J'avoue simplement que nous avons réglé, peut-être trop vite, mais plus aisément le problème quant au mot « acquêts » que quant au mot « société ». Pourquoi? Le mot « acquêts » n'est peut-être pas un mot qui court les rues, mais cela peut ne pas prendre tellement de temps avant qu'il devienne assez connu, si nous faisons une éducation dans ce sens-là. Il n'est pas connu jusqu'à maintenant, parce que nous ne l'avons jamais eu au point de vue du droit, mais cela peut ne pas prendre tellement de temps. C'est très près du mot « acquis », ce sont les biens qui sont acquis dans le mariage.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ne pourrions-nous pas utiliser les mots « biens acquis »? C'est ce que j'ai suggéré ce matin, « les biens acquis ». Société de biens acquis.

M. MARCEAU: Le député de Marguerite-Bourgeoys a parfaitement raison, cela traduirait ce que c'est. Seulement, le terme « acquêts » est un terme tout à fait français qui est utilisé dans tous les pays de langue française dans le sens où nous l'utilisons, nous, à quelques nuances près. Enfin, ce qui est acquis, nous l'appelons un « acquêt ».

M. PAUL: Alors, vous nous dites qu'il est universellement employé dans tous les pays d'expression juridique française.

M. MARCEAU: Exact. Le problème chez nous, c'est que nous ne l'avons pas encore utilisé; ce n'est pas encore entré dans les moeurs. C'est assez étonnant le nombre de mots du langage courant qui viennent du droit. Parce qu'on les utilise depuis longtemps, c'est devenu du langage courant, effectivement. La même chose va arriver avec ça; J'ai l'impression qu'au bout de quelques années le mot « acquêts » va finir par être connu, si les gens se marient sous ce régime. C'est nouveau, c'est tout! Il me semble que ce n'est pas une raison suffisante pour éviter de l'introduire si, effectivement, il est internationalement connu dans le sens ou on veut l'utiliser, et utilisé dans le sens où on veut l'employer, n'est-ce pas, parce qu'il peut être embarrassant. J'avoue que « de biens acquis » serait...

M. LE PRESIDENT: Plus populaire.

MME KIRKLAND-C ASGRAIN: Dans le public, les gens comprendraient mieux cela que ce terme vieillot « acquêts ». Pour la population, pour les Québécois, qu'est-ce que ça représente « la société d'acquêts »? Le mot « société », Ils comprennent ça, et nous étions tous d'accord, les membres de la commission, pour dire que c'est excellent, à notre point de vue. Mais nous croyons que le mot « acquêts » est trop vieillot. Cela a d'ailleurs été mentionné, c'est l'épithète qu'a utilisée mon collègue, le ministre de l'Education, pour dire qu'il fallait penser à un autre mot qui serait plus imagé et, comme le soulignait tout à l'heure à juste titre, le ministre de la Justice, quelque chose de plus compréhensible pour le public.

M. MARCEAU: M. le Président, si vous avez remarqué, quand on discutait du problème qui nous a retenus pendant assez longtemps... il y a un problème de fond qui se soulevé. Et, à ce moment-là, Je défendais les vues de la commission, parce que vous m'avez demandé de le faire. Mais, disons que je croyais que c'était assez fondamental. Tandis que cette question d'acquêts ou biens acquis, c'est tout & fait équivalent dans mon esprit. Il n'y a là qu'une question de choix et de sémantique. Je vous ai dit ce que j'en pensais, mais je n'y tiens pas plus que cela.

M. PAUL: Les biens acquis ce serait un terme qui pourrait s'appliquer ailleurs que dans le régime matrimonial, tandis qu'acquêts serait un terme consacré à...

M. MARCEAU: M. le ministre, vous me donnez un peu... je ne voulais pas en parler, parce que je viens de dire que je ne veux pas essayer de défendre un problème de sémantique, mais vous touchez 13, je pense, un argument de fond. Un des gros problèmes qu'on a à propos du droit — et chacun des membres de cette commission le sait aussi bien que mol, je fais simplement le rappeler — c'est qu'on utilise des mots du langage courant auxquels on donne une définition différente de celle qui est utilisée dans le langage courant. C'est un de nos problèmes. C'est un problème auquel on est confronté, parce que le droit prend un langage de tous les jours et il doit, effectivement, évoquer quelque chose à tout le monde. Mais, il n'en reste pas moins qu'on définit les termes et ils sont assez... Un meuble, par exemple; en droit, ce n'est pas la même chose qu'un meuble pour celui qui n'est pas juriste. Il y a une connotation proprement juridique. Si on est capable, à un moment donné, pour un concept juridique aussi complexe que celui-là, d'avoir un mot qui a une connotation juridique tout en n'étant pas barbare, est-ce qu'il n'y a pas un avantage de le garder? Les biens qui sont acquis, c'est équivalent, je le sais bien, mais, si on a un mot juridique valable, il me semble que ce serait...

M. PAUL: Attaché à l'état juridique.

M.MARCEAU: Oui, mais avec une définition qui est propre. Alors, les gens saurait qu' « acquêts », c'est à peu près ce que l'on acquiert pendant le mariage. Mais encore là, « biens acquis », on est obligé de définir. C'est à peu près ce que l'on acquiert dans le mariage, mais pas tout à fait, parce qu'il y a des choses que l'on acquiert pendant le mariage qui ne sont pas des acquêts.

Oui, c'est pour cela que ce n'est pas si mauvais d'avoir un mot qui ne soit pas utilisé à tous les coins de rues, pourvu, bien sûr, qu'il soit compréhensible et qu'il ne soit pas barbare.

M. THEORET: Pour employer une phrase qui serait peut-être plus courte, on pourrait dire « société d'acquisition ». Est-ce que cela rendrait le même sens, d'après vous, M. Marceau?

M. MARCEAU: Non, j'aiquelquesobjections, du moins à première vue. « Société d'acquisition », cela décrirait un état, ce serait une société qui acquiert, tandis que nous, nous avons une société, c'est ce sur quoi porte la société que l'on veut décrire, c'est la société des acquêts. Si vous avez une société d'acquisition, cela veut dire que c'est une société qui, dans le temps, acquiert. Ce n'est pas ça qu'est la société d'acquêts.

M. THEORET: Quant à cela, M. le Président... Hier, quelqu'un à qui je disais: Je serai à Québec, demain, à la commission du bill 10, Loi concernant les régimes matrimoniaux, ce n'était pas tellement une façon de lui expliquer ce que je m'en venais faire ici, à Québec, ce matin, non plus. Vous avez les régimes matrimoniaux. Alors, si on s'attache à la difficulté de l'interprétation dans le public! On a fait comprendre l'expression « école polyvalente ». Quand cela a sorti, il y a quelques années, il a fallu expliquer aux gens ce qu'était la polyvalence. Aujourd'hui, c'est acquis.,.

M. MARCEAU: C'est ça.

M. THEORET: ... partout. Le mot « acquêts », je crois, deviendra aussi populaire que polyvalence, qui est quand même un très grand mot.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce n'est pas prouvé.

M. THEORET: Alors, c'est un petit mot, c'est court, et il fera son chemin dans le public.

Polyvalence, il y a quatre ou cinq ans, Je vous assure que ce n'était pas accepté facilement. On se demandait si l'on s'en allait à l'université ou au primaire, ils ne savaient pas la différence. Aujourd'hui, on sait de quoi il s'agit.

M. KENNEDY: On se le demande encore.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je pense bien que nous pourrions revenir quand même au titre, s'il était possible. Au début de la séance, nous

avions demandé aux juristes de suggérer d'autres noms. Est-ce que cette demande que nous avions faite tient encore?

M. PAUL: M. Marceau a donné la justification de l'emploi du terme. Mais peut-être qu'il y aurait possibilité de nous suggérer un autre terme en gardant la même philosophie d'interprétation ou de justification du terme employé « acquêts ».

M. LE PRESIDENT: On pourrait demander aux juristes de nous apporter la définition de Robert ou d'un de ces illustres personnages...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Et en même temps des suggestions d'autres...

M. LE PRESIDENT: Encore une fois, je pense que le terme juridique est connu dans le milieu. Si l'on regarde les termes comptables, par exemple, il y a bien des termes dans le milieu qui sont compris par les comptables.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Le public n'est pas obligé à tous les jours d'avoir recours à cela. Tandis que cela va devenir partie de notre vie si nous l'adoptons. Cela va être le régime légal.

M. LE PRESIDENT: Alors, est-ce que nous suspendons l'adoption du terme « société d'acquits » pour entendre prochainement Me Comtois et demander aux juristes d'examiner cette suggestion des membres de la commission? Il y avait un autre point sur lequel nous voulions connaître l'opinion des experts, c'est à l'article 9. C'est, Me Marceau, la relation de cet article-là avec l'article 624 c) du code civil. Le ministre de l'Education nous signalait tout à l'heure qu'il avait écrit plusieurs articles sur ce problème bien spécifique de l'article 624 c) et voulait avoir des explications pour éclairer les membres de la commission sur le pourquoi de...

M. MARCEAU: Tout le monde connaît ce qu'est l'article 624 c) et la loi Pérodeau qui a été adoptée au moment où l'on a donné aux conjoints un droit successoral. Jusqu'à ce moment-là., comme on s'en souvient, le conjoint n'avait pas de droit successoral lorsque son conjoint décédait ab intestat.

On a voulu introduire un droit: le tiers au conjoint et deux tiers aux enfants. On a dit: Puisqu'on cherche au point de vue successoral à distribuer les biens à l'intérieur de la famille, on doit tenir compte du conjoint qui est un des premiers éléments de cette famille. On a rejeté la proposition traditionnelle du droit français à cet égard. Seulement, en ce faisant, on a dit: Mais si on a des époux qui sont mariés en communauté de biens... prévoyant, par conséquent, un partage automatique entre les deux sur les biens qui forment cette masse commune. Y a-t-il lieu de surajouter un droit successoral du tiers, ce qui ferait en sorte que, sur une masse commune, les enfants verraient leurs droits très réduits parce que la moitié de la masse va automatiquement au conjoint survivant et un tiers du reste encore au conjoint survivant en vertu des droits successoraux?

On a dit, à ce moment-là: Accordons au conjoint le droit de succession, mais disons que cela ne vaudra que si le conjoint n'a rien au point de vue de la communauté. A quoi cela a-t-il résulté? Cela a résulté à dire que le conjoint hérite de son conjoint pour le tiers, lorsqu'il y a des enfants, ou... etc. Mais si les époux étalent mariés sous le régime de la communauté, le conjoint devrait faire un choix entre la moitié de la communauté — à laquelle il adroit en vertu du régime — un choix entre cela ou les droits successoraux qu'on vient de lui créer. Vous voyez, c'est la réserve.

Alors, on s'est demandé: Quid est le régime de société d'acquêts? Est-ce qu'on doit raisonner de la même manière? Si le législateur, déjà, n'a pas voulu que les deux se cumulent, que des droits dans une communauté en même temps que des droits successoraux se cumulent sur la tête du même conjoint, si le législateur n'a pas voulu cela, est-ce que pour être logique, il ne doit pas également ne pas le vouloir, le rejeter pour la société d'acquêts? Ne doit-on pas mettre des époux mariés sous la société d'acquêts, à cet égard, sur le même pied que des époux mariés en communauté de biens? Je vous avoue qu'à mon avis l'optique du législateur est assez défendable. Même si on a soulevé des réserves. C'est à ces réserves que faisait allusion je pense, l'honorable ministre de l'Education dans ses observations. Je n'y étais pas, mais vous me les avez rappelées. Il avait des réserves là-dessus. On devrait permettre le cumul. Il n'y a pas de problème. On ne devrait pas exiger le choix, et si un époux a droit à la moitié de la communauté, cela ne devrait pas l'empêcher de partager, dans la succession, l'autre moitié, suivant ce que prévoit la loi Pérodeau. Mais cela est une question de politique et une question de choix. Ce qui est certain, c'est qu'avant qu'on l'enlève pour les époux communs, si on veut être logique, on va l'introduire pour les époux en société d'acquêts. C'est la même chose. Bref, c'est la même idée qui nous conduit aux deux conclusions. Qu'on l'enlève pour les deux ou qu'on le mette pour les deux. Quant au choix,

moi, je défendrais la position du législateur, mais d'autres, comme l'honorable ministre de l'Education, ne la défendent pas. C'est une question d'idée. A mon avis, c'est favoriser l'époux. Voilà ce que je dis lorsque je défends le législateur: C'est favoriser l'époux au détriment des enfants. Ici entre en cause la préoccupation de l'honorable député de tout à l'heure à propos des enfants, parce qu'à ce moment-là, étant donné que dans la quasi totalité des ménages ce sont des biens communs ou des acquêts qui constituent la grande partie de la fortune, on en arrive à dire que le conjoint a les trois quarts et que les enfants se partagent le dernier quart. Cela revient à ça, puisque le conjoint a déjà la moitié en vertu de la société d'acquêts ou de la communauté et qu'il a encore un tiers qui s'ajoute à cela sur l'autre partie. On favorise, donc je pense, le conjoint au détriment des enfants, mais je n'ai pas d'arguments nets là-dessus. C'est une idée. On peut dire l'inverse aussi. Voilà.

Est-ce que cela répond à la question?

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Marceau.

M. PAUL: M. le Président, vous me permettrez de me faire le porte-parole de tous les membres de la commission pour remercier M. Marceau de sa précieuse coopération. Peut-être que, si la date convenait à madame et aux messieurs de la commission, nous pourrions ajourner nos travaux sur l'étude du bill 10 au mercredi 17 septembre, parce que, le 18 septembre, la commission de la Justice siégera pour l'étude du bill 29.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui.

M. PAUL: Je comprends que, la semaine prochaine, il y a la réunion du Barreau canadien à Ottawa.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, je pense que d'autres collègues y seront présents.

M. PAUL: La semaine suivante, moi-même et M. Maltais seront pris au congrès de l'IDEF. Alors, je crois que la date du 17 septembre pourrait convenir.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui et, de cette façon, cela donnerait le temps aux avocats de préparer les textes que nous désirons pour faciliter notre travail aux prochaines réunions. Nous pourrions avoir les textes comparés et les codes civils.

M. THEORET: Etant donné que nous siégerons le lendemain matin, n'y aurait-il pas lieu d'arriver plutôt dans l'après-midi? Je ne voudrais pas être ici deux journées complètes. Est-ce que vous auriez une objection?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: D'accord, je n'y vois aucune objection.

M. PAUL: Nous pourrions siéger à deux heures de l'après-midi.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: D'accord.

M. PAUL: M. le Président, est-ce que nous pourrions compter sur vos bons offices pour inviter le notaire Comtois à se joindre à nous? Si cela ne chambarde pas trop votre agenda, M. Marceau, pourriez-vous également être avec nous à cette date du 17 septembre?

M. MARCEAU: J'essaierai.

M. LE PRESIDENT: Alors, le 17 septembre à deux heures.

(Fin de la séance: 12 h20)

Document(s) associé(s) à la séance