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Version finale

29e législature, 1re session
(9 juin 1970 au 19 décembre 1970)

Le mercredi 9 septembre 1970 - Vol. 10 N° 26

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Prestation du serment


Journal des débats

 

Commission permanente de l'Assemblée nationale

Sujet: Prestation du serment d'allégeance

Séance du mercredi 9 septembre 1970

(Dix heures et quarante et une minutes)

M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs!

Avant de reprendre le travail de cette commission au point où nous l'avions laissé, il y a déjà plusieurs semaines, et avec votre permission, j'aimerais prendre trois minutes de votre temps pour vous saisir d'un autre sujet qui avait été abordé également lors de cette première rencontre. Je pense bien qu'en quelques minutes, nous pourrions régler cette question et donner la parole à M. Morin.

Refonte des règlements

M. LE PRESIDENT: Je voudrais que nous discutions durant quelques instants la question de la refonte des règlements de l'Assemblée nationale. Je pense bien que ce serait assez difficile d'avancer d'une manière rapide si toute la question dans son ensemble était renvoyée à la commission. Plusieurs dans le passé se sont. donné ou fixé des dates. Sans les dévoiler — je ne voudrais pas me référer à M. Bertrand ou à M. Bourassa ou à d'autres...

M. BERTRAND: Vous ne pouvez pas en donner, vous non plus.

M. LE PRESIDENT: ... je m'en fixe une, en tant que président, sans vouloir la dévoiler, pour en arriver à une solution concrète de la refonte des règlements. Mais, pour arriver à cela, j'aimerais émettre un voeu: Est-ce qu'il serait possible — c'est seulement une suggestion que je fais à la commission, si elle nous était favorable, nous pourrions l'adopter — de former un comité ad hoc de notre commission? Un comité assez limité — c'est une suggestion que je fais — formé d'un membre de chacun des partis de l'Assemblée nationale: un de l'Opposition officielle: l'Union Nationale, un du Ralliement créditiste, un du Parti québécois et un du Parti libéral, plus celui qui vous parle, le Président, ce qui ferait cinq. Et cela serait beaucoup plus facile de tenir des séances, quitte à retenir les experts qu'il nous faudrait — je pense tout haut — peut-être pour rédiger un premier jet qui pourrait être remis à la commission, qui elle, prendrait les décisions finales avant de les remettre à la Chambre pour approbation en temps et lieu.

M. LAPORTE: M. le Président, si vous me le permettez, j'approuve entièrement votre sugges- tion. Jusqu'ici nous avons décidé de procéder à la pièce, c'est-à-dire qu'on a fait certaines réformes, certains changements qui ont véritablement eu un bon effet. Il est clair que nos travaux parlementaires — et cela a été souligné par de nombreux journalistes — se font d'une façon plus expéditive tout en protégeant le droit de parole des individus.

La suggestion que vous faites pourrait, peut-être, être le début d'un travail d'ensemble. Je suis tout à fait favorable à ce qu'un représentant de chaque parti, sans distinction de représentation à l'Assemblée nationale, soit membre de ce comité ad hoc; pas plus, parce que l'on ne devra pas tenir des congrès à chaque fois que l'on se réunira.

Deuxièmement, j'apprécierais, personnellement, que ce comité ad hoc, avec la documentation qui a déjà été accumulée, en consultant un ou des experts, suggère, à la commission, des principes généraux. Comment voulons-nous que le travail parlementaire s'exécute? Nous pourrions nous entendre sur un certain nombre de principes d'ensemble. Une fois que la commission aura accepté les principes généraux, nous pourrions demander à des experts, une fois de plus par le truchement de votre comité ad hoc, de préparer un texte qui correspondrait aux principes acceptés par la commission parlementaire. Ce texte pourrait devenir alors le règlement de l'Assemblée nationale. J'ai l'impression que, de cette façon, nous pourrons faire profiter rapidement la commission du travail considérable qui a été fait depuis trois ou quatre ans. Je voudrais bien également que l'on se rende compte que cette commission, qui était composée fatalement d'adversaires politiques, a toujours rendu ses décisions à l'unanimité et que l'on a donné là un exemple évident de collaboration. Cela peut fort bien se faire entre quatre partis différents, un représentant de chacun, parce que notre objectif, à tous, est de rendre le travail efficace et de faire disparaître ce folklore qui entoure encore un peu nos réunions.

M. BERTRAND: M. le Président, d'abord, j'accepte cette idée. Ensuite, quant au parti que je représente — celui qui a été un peu à l'origine de ces réformes avec le leader parlementaire de l'Opposition à l'époque, M. Laporte — M. Rémi Paul sera notre représentant. Il est déjà fort au courant de ces règlements, des travaux qui ont été accomplis et j'accepte votre proposition au nom de mon parti.

M. BOURASSA: Quant à moi, celui qui en fera partie, au nom du gouvernement, sera l'expert en procédures par excellence, le leader parlementaire, Pierre Laporte.

M. LE PRESIDENT: M. Samson.

M. SAMSON: Nous sommes également d'accord avec vous sur le sujet, évidemment, et nous

l'avons souligné. Lors des travaux du congrès des parlementaires du Commonwealth à Ottawa, dernièrement, nous avons pu entendre certaines versions des autres Législatures. Je pense que nous avons tout intérêt à revoir notre réglementation. A cette commission, nous nommerons M. Dumont qui est ici présent pour représenter le Ralliement créditiste.

M. LAURIN: M. le Président, je souscris à toutes les remarques qui ont été faites et notre représentant sera Me Robert Burns.

M. LAPORTE: Je pourrais peut-être recommander M. le Président comme président. C'est vous qui nous aviserez le plus tôt possible de la première réunion.

M. LE PRESIDENT: Avec la collaboration du secrétaire général de l'Assemblée nationale, le notaire Blondin.

M. LAPORTE: Maintenant, quelle procédure devrons-nous suivre, M. le Président, si nous devons retenir les services d'un expert? Je sais que, lors des réunions précédentes, ces gens étaient payés. Il y avait des normes acceptées. Est-ce que cette commission autoriserait le comité ad hoc à agir à l'intérieur des normes qui avaient été prévues?

M. BERTRAND: Absolument.

M. LE PRESIDENT: Dans les limites du budget.

M. LAPORTE: Dans les limites du budget et d'après les normes qui avaient déjà été acceptées par la commission. Qu'on ne soit pas obligé de référer à la commission chaque fois qu'on ne sera pas d'accord.

M. BERTRAND: Je vous fais pleine confiance.

M. LAPORTE: Merci bien.

M. LE PRESIDENT: Je viens d'apprendre que nous avons quelques fonds au budget à cette fin. J'aurai certainement le plaisir de vous inviter à une première rencontre d'ici quelques semaines.

M. LAPORTE: Oui. Dites donc quelques jours.

M. LE PRESIDENT: Je préfère quelques semaines.

M. LAPORTE: D'accord. Est-ce que je peux proposer que le nom de M. Choquette soit remplacé par celui de M. Mailloux? Est-ce qu'il y a enregistrement de la séance?

DES VOIX: Oui.

M. LAPORTE: La dernière séance n'avait pas été enregistrée.

DES VOIX: Non, non.

M. LAPORTE: C'est un malheur. Je propose que M. Simard soit remplacé par M. Lacroix, M. Parent par M. Leduc et M. Pinard par M. Pilote. Si l'un de ces députés arrivait d'ici la fin de la séance, il serait automatiquement réinscrit à la commission parce qu'on peut avoir le double du nombre. Merci.

M. PAUL: M. le Président, est-ce que je pourrais demander que les noms de MM. Cardinal et Tremblay soient ajoutés comme membres de notre commission en vertu de la motion adoptée lors de la session spéciale du mois d'août et que le nom de M. Lavoie soit substitué à celui de M. Bertrand?

M. BERTRAND: Je devrai partir tantôt.

M. SAMSON: M. le Président, est-ce qu'on pourrait également ajouter le nom de M. Bernard Dumont?

UNE VOIX: M. Laurin, on peut vous en fournir un.

M. LE PRESIDENT: Me Morin, s'il vous plaît.

Serment d'allégeance

M. MORIN: M. le Président, messieurs les membres de la commission, il convient d'abord de vous remercier de bien vouloir nous entendre et de souligner dès le départ que la question dont nous allons traiter doit être envisagée le plus possible sous l'angle juridique. C'est une question qu'il est possible de traiter strictement du point de vue juridique. C'est en tout cas de ce point de vue que nous nous sommes placés, Me Bernard et moi-même; c'est de ce point de vue qu'a été rédigé le mémoire dont vous avez reçu copie. C'est l'esprit dans lequel, j'espère, il est possible de traiter de cette question du serment d'allégeance.

Quand on aborde une matière comme celle-là, d'ordre constitutionnel, on peut se trouver devant des textes écrits ou devant des coutumes. Lorsqu'il existe des textes écrits, il convient de s'en servir comme point de départ. C'est ce que j'ai fait dans ce mémoire. Il convient de partir de l'article 128 du British North America Act. On me pardonnera d'employer son titre authentique puisqu'il n'existe pas de version française officielle de ce texte de loi.

Partir de l'article 128, c'est constater d'abord l'exigence d'un serment. Mais cela n'épuise pas la question laquelle est d'ailleurs double. Premièrement. Qui peut modifier l'article 128? Deuxièmement, quelles seraient les

conséquences ou quelles sont les conséquences de l'absence de la prestation du serment par un député? C'est une question dont s'occupera plus particulièrement Me Bernard.

Je voudrais donc traiter de la première question: Qui peut modifier l'article 128? Chacun sait que l'organe constituant est toujours complexe dans les fédérations. Je me place sous l'empire du droit existant, du droit actuel. Québec fait encore partie de la Fédération canadienne. Donc, on doit se placer dans le contexte fédéral. Dans un contexte comme celui-là, l'organe constituant, l'organe qui est habilité à modifier la constitution, est très complexe.

Quelquefois, c'est le pouvoir fédéral agissant seul; quelquefois, c'est le pouvoir provincial ou les divers pouvoirs provinciaux agissant chacun pour leur compte; quelquefois, ce sont les pouvoirs provinciaux avec le concours du pouvoir fédéral; et quelquefois même, dans certains cas qui sont réservés par l'article 91, paragraphe premier, du British North America Act, ce sont les provinces plus le gouvernement fédéral plus le Parlement de Westminster. C'est-à-dire que nous avons un organe constituant passablement complexe, à plusieurs étages ou à plusieurs compartiments.

Comment s'agence le processus de modifications constitutionnelles en ce qui touche l'article 128 dont nous nous occupons? Eh bien, il faut d'abord nous pencher sur les deux articles de la constitution qui traitent de modifications constitutionnelles, l'article 91 et l'article 92 (le premier paragraphe de ces deux articles).

J'ajoute tout de suite que je n'ai pas l'intention de reprendre textuellement le mémoire dont vous avez copie. Ce que je dis en ce moment est un commentaire libre et qui s'éloigne sans doute, parfois, du texte, tout en étant d'accord avec ce qui s'y trouve.

L'article 91, paragraphe premier, donne au Parlement fédéral le pouvoir, la compétence nécessaire pour modifier la constitution du Canada, sauf dans certains cas qui sont énumérés et pour lesquels il doit retourner encore à Westminster.

Or, l'article 128 ne se trouve pas parmi les exceptions qui sont énumérées limitativement et expressément dans le premier paragraphe de l'article 91. Il ne s'y trouve point. L'article 133, lui, s'y trouve. Et, en conséquence, on peut déjà en tirer deux conclusions: la première, que ce n'est pas un article pour lequel il convient de retourner à Londres, cela est exclu par l'article 91, paragraphe premier. Il n'est pas nécessaire — le texte est très clair et c'est même surprenant qu'il y ait la moindre hésitation là-dessus — d'aller à Westminster pour faire modifier l'article 128. C'est une des réponses certaines. Il y en a d'autres sur lesquelles il peut y avoir des flottements, mais par sur celle-là.

Il convient donc de se demander qui, du

Parlement fédéral ou de l'Assemblée nationale du Québec, peut modifier l'article 128. Il faut considérer également l'article 92, paragraphe premier, qui énumère les compétences des provinces. Or, ce premier paragraphe de l'article 92 dit clairement que la Législature du Québec comme on l'appelait à l'époque, c'est-à-dire l'Assemblée nationale peut modifier la constitution provinciale, la constitution du Québec, sauf en ce qui touche la fonction de lieutenant-gouverneur. C'est la seule limitation, cette "fonction de lieutenant-gouverneur ." Pour le reste, l'article est clair et il est interprété de cette façon par la doctrine.

La constitution du Québec peut être amendée, entièrement et dans tous ses aspects, par l'Assemblée nationale du Québec. C'est également un point sur lequel il y a très peu d'hésitation. S'il y a eu une hésitation, elle pourrait venir de l'arrêt le Roi contre Ulmer; c'est une affaire qui date déjà de quelques années et dans laquelle on retrouve un obiter dictum d'un juge, c'est-à-dire une opinion, qui n'est pas nécessaire pour justifier, la conclusion de l'arrêt, une réflexion d'un juge qui dit que "Provincial Constitution" signifie seulement ce qui se trouve dans le chapitre 5 du British North America Act lequel est précisément intitulé "Provincial Constitution".

Mais le poids prépondérant de la doctrine, des arrêts, de l'opinion des collègues que j'ai pu consulter également sur la question, est que ce serait là une opinion erronée. Le pouvoir d'amendement de la constitution du Québec, par l'Assemblée québécoise, porte sur tous les aspects de la constitution québécoise, sauf la fonction de lieutenant-gouverneur. Cela est d'autant plus vrai qu'il y a des parties de la constitution québécoise qui ne sont pas écrites, qui sont coutumières, comme cela est fréquent en droit d'inspiration britannique.

S'il fallait interpréter de manière très restreinte l'article 92, paragraphe 1, en se référant seulement au chapitre 5 du British North America Act, cela signifierait que la Législature du Québec, que l'Assemblée nationale, ne pourrait modifier la coutume constitutionnelle ce qui serait contraire à tous les précédents, ce qui irait d'ailleurs contre le bon sens. Donc, ma seconde conclusion très ferme — la première étant que le pouvoir fédéral n'a pas à s'intéresser à cette question strictement québécoise — est qu'il n'existe pas de limite au pouvoir d'amendement du Québec dans ce domaine, sauf la fonction de lieutenant-gouverneur.

Alors, dira-t-on, et c'est la troisième question sur laquelle il faut se pencher, le serment fait partie de la fonction du lieutenant-gouverneur. Or, il existe une jurisprudence, qui me paraît concluante sur la question, à l'effet que "fonction" signifie ici "pouvoir". Je pourrais citer plusieurs exemples. D'ailleurs, le conseiller juridique du ministère de la Justice l'a fait dans son mémoire; je n'ai donc pas à y revenir.

"Pouvoir" signifie discrétion, signifie choix. Administrer un serment dans la pratique constitutionnelle, tant du Québec que du Canada que du Royaume-Uni, n'est pas un pouvoir, c'est une simple fonction administrative, une simple formalité, parce que cela ne comporte pas de discrétion ou de choix.

S'il y avait une discrétion ou un choix quant au serment, elle appartiendrait à l'Assemblée et non au lieutenant-gouverneur. D'ailleurs, messieurs, la pratique constitutionnelle courante confirme cette conclusion: qui administre le serment, ici au Québec comme à Ottawa ou comme à Londres? C'est un simple fonctionnaire; ce n'est évidemment point le lieutenant-gouverneur lui-même. Il est bien clair que ce n'est pas un pouvoir ni une fonction du lieutenant-gouverneur, c'est une simple formalité.

J'en viens donc à la troisième conclusion. Est-ce que tout le monde a une copie?

M. LAPORTE: Quelques-uns de mes collègues n'en ont pas.

M. MORIN: II en reste ici, si vous en voulez. Je poursuis ma troisième conclusion. Le serment d'allégeance ne fait pas partie de la fonction du lieutenant-gouverneur, donc ne se trouve pas inclus dans l'exception de l'article 92, paragraphe 1, qui dit: "Sauf la fonction du lieutenant-gouverneur." Ergo, conclusion générale sur laquelle, peut-être, nous pourrons nous entendre, l'Assemblée nationale du Québec possède le pouvoir, la compétence voulue, agissant seule, par elle-même, sans le concours d'Ottawa et sans le concours de Londres, pour modifier la constitution du Québec en ce qui concerne le serment prêté par les députés.

J'irai même plus loin, l'Assemblée peut abolir le serment. Me Bernard, tout à l'heure, s'étendra peut-être sur ce point. Il vous montrera aussi que peut-être une simple modification aux règlements de l'assemblée suffirait, étant donné que le fait pour un député de n'avoir pas prêté le serment n'invalide pas les lois qui pourraient être adoptées par l'Assemblée. Mais c'est là une question sur laquelle je ne veux pas m'étendre, parce que c'est un point sur lequel Me Bernard est plus compétent que moi.

Voilà, M. le Président, les points sur lesquels il convenait d'insister. Est-il besoin d'ajouter qu'à la conférence constitutionnelle de 1950, tous les experts, toutes les provinces et le gouvernement fédéral ont été d'accord pour dire que cet article 128 peut être modifié, en ce qui concerne les provinces, par les provinces agissant seules, et en ce qui concerne le serment des députés fédéraux, par le Parlement fédéral, agissant seul. C'est une conclusion unanime des provinces et du gouvernement fédéral. Ce n'est pas une chose qu'on peut traiter à la légère, étant donnés son poids propre et la démonstration à laquelle je me suis livré. Cette conclusion des experts constitutionnels et des provinces en 1950 reflérait le droit existant. On a dit que ça n'intéressait que le mode d'amendement de l'avenir. Non, à mon avis, cela reflète le droit tel qu'il existait en 1950.

Voilà, messieurs, ce que j'ai à dire sur cette question. Je suis prêt, de même que Me Bernard, à répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à nous poser. Merci.

M. LE PRESIDENT: M. Laurin.

M. LAURIN: M. le Président, est-ce le désir de la commission de poser immédiatement des questions à Me Morin ou d'entendre au préalable Me Bernard pour compléter l'avis?

UNE VOIX: Nous allons entendre Me Bernard.

M. BERNARD: M. le Président, MM. les députés, comme vous n'avez pas eu l'occasion de prendre connaissance du texte que j'ai préparé, lors de la dernière séance de la commission, je pense que la façon la plus simple serait pour moi d'en lire rapidement les principaux points.

Je rappelle donc, ce que vous savez tous évidemment, que l'obligation de prêter serment à deux sources dans notre droit, l'article 128 de la constitution et le règlement 47 de l'Assemblée nationale.

Je pense qu'il est intéressant de parler brièvement de l'historique du serment. L'obligation de prêter divers serments avant de pouvoir servir au Parlement fait partie de l'histoire politique du Royaume-Uni, d'où nous l'avons héritée. Cet usage, qui n'existait pas au moyen âge, est apparu au XVIe siècle en réponse aux conflits politiques et religieux de cette époque. A un moment donné, le député devait prêter pas moins de trois serments, le serment de suprématie, le serment d'allégeance et le serment d'abjuration, en plus de devoir faire une déclaration solennelle contre la transsubstantiation. C'est pourquoi les auteurs insistent sur le caractère purement politique de cette obligation du serment : "It should be noted that all the express-disabilities created by the form of the oath have been imposed for political purposes... "A survey of the whole history will convince anyone that the members'oath of allegiance does not arise out of any constitutional principle inherent in the notion of parliament. It has been merely a political expedient for narrowing the circle of persons eligible for membership."

Je peux peut-être me permettre de rappeler que, dans l'histoire du Québec, il y a eu des précédents d'exclusion. Au début du 19e siècle, M. Ezéchiel Hart a été expulsé plusieurs fois de

l'Assemblée du Bas-Canada, parce qu'il refusait, étant juif, de prêter serment sur le Nouveau Testament et insistait pour prêter serment sur la Bible. Alors, élection après élection, pendant presque une dizaine d'années, M. Hart a été exclu de l'Asssemblée, à ce moment-là.

Vous voyez qu'il peut y avoir toutes sortes de connotations derrière la forme ou l'exigence du serment.

Deuxième point, quelles sont les conséquences du refus de prêter serment? Je pense qu'il a été dit devant cette Assemblée, en rapport avec les travaux de cette commission, que si les députés admettaient que quelques-uns d'entre eux votent sans prêter serment cela pourrait invalider la législation québécoise. Je pense que c'est une fausse conception de l'obligation de prêter serment et des pouvoirs inhérents à l'Assemblée nationale.

Par exemple, au Royaume-Uni, en vertu du Parliamentary Oaths Act, le fait pour un député ou un lord de siéger ou de voter sans avoir prêté serment le rend passible d'une amende recouvrable sur les seules instances du Procureur général; de plus, s'il s'agit d'un député, un tel geste entraîne la déchéance et nécessite une nouvelle élection.

Il est clair cependant que le fait qu'un député ou un lord ait voté sur un projet de loi sans avoir au préalable prêté serment n'invalide en rien cette loi si elle a reçu par la suite la sanction royale. Cela vient du fait que les tribunaux ne mettent jamais en doute la validité d'une loi pour des raisons qui tiennent à la procédure parlementaire. C'est, en effet, un principe fondamental de la souveraineté parlementaire qu'il revient à chaque Chambre du Parlement de déterminer elle-même sa procédure et la conduite de ses membres; c'est à la Chambre seule qu'il appartient de déterminer qui peut siéger et qui peut voter; les tribunaux n'ont rien à dire sur le sujet.

Par exemple, il ne viendra à l'idée de personne de contester une loi parce qu'elle a été adoptée alors qu'il n'y avait pas quorum ou alors que M. Untel n'était pas sain d'esprit ou que telle règle de la procédure n'avait pas été suivie. "If a bill has been agreed to by both Houses of Parliament, and has received the royal assent, it cannot be impeached in the courts on the ground that its introduction; or passage through Parliament, was attended by any irregularity, or even on the ground that it was procured by fraud."

Et Halsbury, qui résume le droit, donne une longue série de précédents et d'arrêts à l'appui de son affirmation. Il y a une autre citation au même effet que je peux me dispenser de lire.

Les auteurs, d'ailleurs, donnent de nombreux cas où des personnes ont siégé et voté sans avoir prêté serment, le plus souvent par inadvertance. Ceci n'a jamais porté atteinte à la validité des lois adoptées par les Chambres et sanctionnées par le souverain. Vous verrez dans May, la treizième édition en particulier, un très grand nombre d'exemples de lois qui ont été votées de cette façon.

Les conséquences au Québec. Au Québec, il n'y a aucune sanction particulière de prévue pour les députés qui siégeraient ou voteraient sans avoir prêté serment. Il n'y a rien dans nos lois qui stipule une amende ou qui déclare la déchéance. Donc, la seule conséquence d'un refus de prêter serment est la possibilité d'une expulsion. Si cette expulsion n'a pas lieu et que le député siège ou vote, il ne s'ensuit aucune conséquence juridique particulière.

Maintenant, sur la modification ou l'abolition de cette obligation, je vais passer assez vite, étant donné que Me Morin a déjà parlé de ce point-là. Par exemple, je donne une citation de Paul Gérin-Lajoie qui a fait l'étude la plus complète du pouvoir d'amendement et qui affirme bien catégoriquement que la Législature a tous les pouvoirs constituants sur la constitution interne du Québec. Je cite également Keith, qui est probablement l'autorité principale, non canadienne, sur le droit des anciennes colonies. Il affirme également très clairement que les pouvoirs constituants des provinces canadiennes sont très étendus.

Je fais également une référence à la cause de Fielding v. Thomas, qui montre que le pouvoir constituant des provinces ne s'applique pas seulement aux dispositions de la section 5 portant sur les constitutions provinciales, mais touche toutes les questions d'ordre constitutionnel.

Ensuite, le quatrième paragraphe. D'ailleurs, certaines autres provinces ont considéré la question du serment d'allégeance de leurs députés comme relevant de leur compétence, puisqu'elles ont reproduit dans leurs statuts l'obligation de l'article 128, sans faire référence à la disposition constitutionnelle de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Finalement, il est intéressant de noter que la Colombie-Britannique a modifié les exigences de l'article 128 en permettant à certaines personnes de faire une déclaration solennelle à la place du serment. Personne n'a jamais contesté la validité de cette disposition. C'est la dernière partie de l'article: "But every person authorized by law to make a solemn affirmation or declaration instead of taking an oath may make a solemn information or declaration in lieu of the foregoing oath."

Enfin, je vous donne l'opinion de 1950 en vous citant les principaux experts constitutionnels qui faisaient partie des travaux de la conférence constitutionnelle à ce moment: M. Varcoe, M. Ollivier, M. Driedger, M. Magove, M. Arthur Beauchesne, le professeur Frank Scott, le doyen Cronkite. A l'unanimité —sans hésitation— ils ont convenu que l'article 128 relevait, en partie, du Parlement fédéral pour les députés fédéraux et, en partie, des Législatures provinciales pour les députés provinciaux.

Je peux ajouter que, lors des travaux portant

sur la formule Fulton-Favreau en 1964-1965, tous les gens qui ont participé aux travaux à ce moment ont accepté les travaux antérieurs de 1950 sur la répartition des articles suivant les compétences comme le fondement des travaux à venir, comme étant tellement quelque chose qui était acquis, sur lequel il n'était pas nécessaire de revenir. Je pense que ces travaux ont toujours fait l'unanimité de ce que nous pourrions appeler les cercles bien informés en matière constitutionnelle.

M. le Président, c'est l'essentiel de l'opinion que j'ai préparée là-dessus.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, est-ce qu'il y a des questions?

M. BERTRAND: M. Bernard, dans la conclusion de votre rapport, vous dites qu'il y aurait un autre moyen, celui du recours au Parlement britannique. J'écoutais Me Jacques-Yvan Morin, tout à l'heure, qui disait que, d'après lui, ce moyen n'était pas du tout nécessaire. Est-ce que vous croyez — on parle toujours au point de vue juridique — que cela demeure un moyen?

M. BERNARD: Je partage son opinion, cela n'est pas du tout nécessaire. Je pense que tout mon texte tend à démontrer qu'on peut amender la constitution par une simple loi ou même par un précédent. C'est loin d'être nécessaire. C'est mon opinion. C'est un moyen qui reste toujours disponible. Je veux dire que, si le Parlement britannique, à la demande de l'Assemblée nationale, abrogeait l'article 128, il est sûr que l'effet juridique serait valide, à mon sens.

M. MORIN: Je suis d'accord.

M. BERNARD: Ce n'est pas nécessaire, seulement...

M. LAPORTE: J'ai une question que je veux poser à ceux qui sont déjà venus nous voir. Vous pouvez vous tromper, votre opinion n'est qu'une opinion. Si vous veniez nous dire ici, ce matin: Messieurs, telle est la loi. Et que nous ayons en dernière analyse le droit de nous prononcer, nous dirions: Très bien. Mais, vous exprimez tous deux des opinions, qui nous paraissent fort intéressantes, acceptables — quant à moi. Mais, si vous vous trompiez, messieurs! Est-ce que vous nous dites, ce matin: Telle est notre doctrine, et vous pouvez y aller les yeux fermés, nous ne nous trompons pas?

Il est arrivé, M. Morin, que vous deviez contredire un juge qui avait une autre opinion que vous.

M. MORIN: Oui, mais c'était un obiter dictum.

M. LAPORTE: Vous appellerez cela comme vous voudrez. Il arrive malheureusement que les gens que vous citez ont tous des avis contraires aux vôtres. Vous vous employez habilement — et encore une fois d'une façon qui me plait — à les contredire.

M. MORIN: Non.

M. LAPORTE: Mais, s'il arrive que tout ce que vous nous ditez ne soit pas vrai et que toute la législation soit passée, et s'il y a quelqu'un qui a intérêt, particulièrement dans les matières d'ordre fiscal, à contester nos législations, que se produira-t-il? J'aimerais cela que l'un et l'autre nous analysent les conséquences.

M. MORIN: Ne me faites pas dire que tous ceux que j'ai cités sont contre l'opinion que j'ai émise. Ce ne serait pas le cas, par exemple, de votre ancien collègue, M. Gérin-Lajoie.

M. LAPORTE: Je ne vous fais pas dire ça, je ne vous fais pas dire ça, M. Morin.

M. MORIN: Ce ne serait pas le cas de Paul Gérin-Lajoie, qui est d'accord avec ce que nous venons de dire quant à l'interprétation...

M. LAPORTE: Mais, que je sache, il n'est pas encore juge, mon ami Paul.

M. MORIN: Vous mentionnez le mot juge. C'est justement de ce côté-là que se trouverait éventuellement la solution. Il est évident que si jamais il y avait une contestation sur la validité d'une loi — et je ne vois pas d'autre question qui pourrait surgir à ce propos-là — cela serait porté devant les tribunaux compétents. Dans ce cas-là, je n'ai aucune hésitation à dire que les tribunaux, étant donné la jurisprudence — et là, elle va dans notre sens, elle ne va pas contre nous — n'iraient pas, comme le veut l'expression, "look behind the legislation", ils ne vont pas considérer le processus par lequel la loi a été votée. Cela est une règle de droit qui est admise dans l'ensemble des pays qui ont hérité du droit britannique. Donc, je n'ai pas la moindre hésitation à dire que le tribunal se déclarerait incompétent, disant : j'ai devant moi une loi sanctionnée par Sa Majesté — puisque nous sommes encore sous ce régime-là — et je n'ai pas à m'interroger sur la façon dont elle a été votée, sur la compétence de tel député ou sur son état d'esprit au moment où il a voté. Cela n'entre pas en ligne de compte. Sur cette question, je suis très sûr de mes conclusions, mais j'aimerais bien que nous entendions à nouveau les experts qui ont été entendus la dernière fois. Peut-être ont-ils évolués? D'ailleurs, ce n'est pas une question qui a été vraiment fouillée jusqu'ici. On a dit: Oh! il y a peut-être la possibilité que les lois ne soient pas valides, mais on n'avait pas

fouillé la question. Nous, nous l'avons fouillée. Notre conclusion très ferme, c'est...

M. LAPORTE : Je vous ai déjà vu fouiller plus profondément que ça, M. Morin, sur les conséquences.

M. MORIN: Oui?

M. LAPORTE: Je vous ai bien honnêtement...

M. BERNARD: M. Laporte, je pense que la première conséquence, si on se trompait sur le fond, sur la capacité de la Législature d'enlever l'abolition et que des députés siégeaient sans avoir prêté serment — ce qui ne serait pas le cas, remarquez, pour la présente Législature, puisque tous les députés ont prêté serment. Pour une prochaine Législature, si des députés siégeaient sans avoir prêté serment, je pense que la première conséquence serait de donner un moyen à des avocats qui veulent contester les lois. Alors, ce serait possible, je pense, de soulever cette question devant un tribunal. Je suis certain que le tribunal répondrait: La procédure parlementaire, jamais une cour, dans notre système, ne s'en occupe. S'il y a une sanction royale, s'il y a eu adoption par l'Assemblée nationale, on ne se préoccupe pas de la procédure parlementaire.

M. LAPORTE: Comment le problème se serait-il posé? Vous dites que jamais les tribunaux n'ont voulu s'occuper de cela. Avez-vous des exemples?

M. BERNARD: Oui, il y a plusieurs... Je cite Halsbury, par exemple, qui dit que les tribunaux ne vont jamais examiner la procédure parlementaire. Halsbury donne une longue série de causes où des avocats, comme je viens de le mentionner, soulèvent la question, mais ça ne va pas plus loin parce que les tribunaux disent: Nous ne nous introduisons pas dans la procédure parlementaire.

M. LAPORTE: Mais, s'il y avait par exemple... J'imagine que, par erreur ou volontairement, on déciderait à la prochaine...

M.BERNARD: Bon, alors...

M. LAPORTE: Excusez, tant que je ne vous aurai pas posé ma question, vous ne saurez pas exactement ce que je veux vous dire. Imaginons qu'à une session on décide de ne faire que deux lectures à un projet de loi. On en supprime une, par distraction ou volontairement. Pensez-vous que les tribunaux ne pourraient pas intervenir?

M. BERNARD: Non, ils n'interviendront pas. Ils ne sont jamais intervenus.

M. LAPORTE: Je ne voudrais pas infirmer votre jugement, mais il arrive que votre jugement coincide avec l'objectif que vous voulez atteindre. Si on se présente devant un juge, il n'est pas certain que le juge, lui, va trouver cela aussi simple. Vous me donnez votre avis, mais je ne peux pas m'empêcher de penser en même temps que — et je n'en fais grief à personne, j'espère que l'on me comprend — par un hasard recherché votre opinion juridique coincide avec vos objectifs politiques. C'est un fait qui est devant nous.

M. MORIN: Ce n'est pas une question politique, M. Laporte. Les membres du Parti québécois ont prêté le serment parce qu'ils estimaient que leur présence en Chambre était nécessaire. Donc, la question ne se pose plus sous cet angle.

M. LAPORTE: J'aimerais mieux que l'on ne discute pas cela, parce que cette discussion pourrait devenir désagréable.

M. MORIN: Dans notre esprit, cela fait partie du contexte, désormais beaucoup plus objectif, de la réforme électorale. C'est ce dont nous parlons. C'est une question objective.

M. DUMONT: M. Bertrand le faisait remarquer tout à l'heure. A la fin, il dit: "On devrait, par l'intermédiaire d'une adresse à la reine, y songer qu'une fois que tous les autres moyens auront été épuisés". Donc, dans votre pensée, vous avez des doutes que nous puissions, juridiquement parlant, obtenir ce droit.

M. BERNARD: Non, M. Dumont. Dans ma pensée, je n'ai aucun doute, mais je vous signale que ce moyen existe. A mon sens, ce n'est que si l'Assemblée ne peut pas se résoudre à procéder autrement que l'on doit y recourir. Il existe, à mon sens — et je le signale — mais dans mon esprit, il ne fait aucun doute qu'il n'est pas nécessaire.

M. LAPORTE: Est-ce que nous pourrions nous entendre, M. Bernard, sur un objectif? Nous désirons — je vais parler pour moi — je désire que ce serment, qui est vieillot, désuet, dépassé, disparaisse. D'abord, l'objectif, d'accord! Est-ce que nous pouvons nous entendre pour dire que nous allons, ensemble, rechercher un moyen d'atteindre cet objectif, lequel moyen, ne nous causera pas plus de problèmes que l'on veut en régler en l'abolissant? Il ne faut quand même pas s'éterniser sur le sens de ce serment.

M. MORIN: C'est précisément ce que nous voulons.

M. LAPORTE: A mesure que M. Bernard nous dit que c'est strictement une affaire politique — l'histoire constitutionnelle nous le

révèle — on ne va quand même pas tirer du canon pour tuer des poux. On dit: Nous voulons rechercher cet objectif. Mais, est-ce à ce point essentiel? Cela, c'est canadien-français aussi. Nous faisons des batailles rangées pour des choses qui sont, en soi, secondaires. On a appelé cela des batailles de drapeaux, tout ce que l'on voudra. Revoyons notre histoire. Est-ce que ce problème de la disparition du serment d'allégeance est à ce point capital pour que l'on doive mobiliser pendant des mois, pendant des années, des énergies que l'on pourrait consacrer — nous, au moins, les membres de l'Assemblée nationale et d'autres, comme vous— à d'autres fins plus utiles? Deuxièmement, est-ce qu'il y a lieu, pour atteindre cet objectif, de trouver un moyen qui puisse, un jour, nous amener des complications extrêmes? M. Bernard a vécu l'époque où il était conseiller en législation du gouvernement, où vous avez toujours une partie intéressée à contester la loi.

M. MORIN: Oui, M. Laporte...

M. LAPORTE: Cela se voit, aussi, spécialement sur les matières fiscales.

M. MORIN: Nous pouvons nous mettre d'accord sur plusieurs points que vous avez mentionnés. Notamment, par exemple que — toute chose étant relative — par rapport à l'ensemble de la réforme électorale, ce n'est quand même pas le point le plus important. Mais il est suffisamment important pour que cette Commission y ait consacré deux réunions, pour que des députés n'aient pu siéger pendant plusieurs semaines, parce que cela leur posait un cas de conscience, n'est-ce pas?

M. LAPORTE: Oui, oui mais...

M. BOURASSA: Là, on peut discuter.

M. MORIN: Je pense que substantiellement, je suis assez d'accord avec ce que M. Laporte a dit. La question en est une de moyens. Tout le monde s'accorde pour dire que ce serment est vieillot, que c'est désuet, que cela n'a plus sa place dans le système parlementaire actuel. Le moyen que nous vous proposons — il y en a plusieurs — est très simple. Je me trouve totalement d'accord avec M. Laporte, pour ne pas monter sur les grands chevaux et faire de grandes histoires. Une simple loi de la Législature et Me Bernard a dit également qu'une simple modification aux règlements de la Chambre suffit pour abolir...

M. LAPORTE: Oui, mais enfin...

M. MORIN: Vous dites que cela entraînera des complications à n'en plus finir.

M. LAPORTE: Non, non. J'ai dit: Est-ce que nous devons recourir à ce moyen si nous jugeons, si nous craignons, s'il y a possibilité, une fois que la loi sera adoptée... Il s'agit que nous ayons la majorité, que l'on s'entende, et la loi sera adoptée. Mais c'est le lendemain qui m'intéresse. Qu'est-ce que vous pouvez nous garantir pour le lendemain, M. Bernard?

M. BERNARD: Si vous me permettez de continuer, M. Laporte, ce qui arrivera, d'après moi, c'est qu'un avocat peut soulever la question devant un tribunal. Je pense que le premier obstacle, ou la première conséquence, qui arrivera, est que cette doctrine, universellement reconnue, où il n'y a réellement pas d'exception, cette doctrine que les tribunaux ne s'ingèrent pas, ou n'examinent pas, ou ne revisent pas la procédure parlementaire pour savoir s'il y a véritablement eu trois lectures, s'il y avait quorum, etc., etc., c'est cette doctrine qui entrera en jeu. J'irais même plus loin. A supposer qu'on ne suive pas cette doctrine, qui a toujours été suivie, et que le juge dise: Moi, j'y vais; j'examine et je regarde les rôles; je vérifie qui a voté; je prends connaissance des procès-verbaux et j'identifie M. Untel que je sais, par preuve, j'imagine, qu'il n'a pas prêté serment, etc., qu'est-ce qui arrive? Peut-être pourrait-il invalider la loi, ou peut-être pourrait-il dire: J'annule son vote. Je ne sais pas.

Il y aurait toutes sortes de complications à vouloir intervenir. A supposer qu'on aille là —je veux aller jusqu'au bout — à supposer que le juge intervienne, compte les voix, décide que la loi est invalide, annule la loi par conséquent, je pense que l'Assemblée nationale devrait adopter une loi rétroactive redonnant vigueur à toutes les législations passées suivant une procédure que les tribunaux ont déclarée invalide. A ce moment-là, j'espère que les députés qui n'auraient pas prêté serment ne voteraient pas sur cette loi, que ce ne seraient que les députés qui auraient prêté serment qui voteraient. On redonnerait ainsi vie rétroactivement, si vous voulez...

M. LAPORTE: Quelles seraient les conséquences d'une opinion comme celle que vous... le peut-être? Donnez-moi donc les conséquences relativement à une loi comme le bill 38.

M. BERNARD: Je pense qu'une loi de ratification qui redonne vie à une loi...

M. LAPORTE: Ils rentreraient au travail le 10 du mois d'août.

M. BERNARD: Non, non. Je pense qu'une loi de cette nature revaliderait toutes les législations.

M. LAPORTE: Ils rentreraient au travail rétroactivement.

M. BERNARD: Ils sont déjà au travail.

M. LAPORTE: Excusez-moi. Il y a une grève dans le domaine de la construction — c'est un exemple qui m'est suggéré et qui me paraît précis — nous adoptons une loi et on décide d'en contester la validité à cause d'une absence de serment. Quelles sont les conséquences pratiques?

M. BERNARD: Dans ce cas-là, M. Laporte, je n'en vois pas parce qu'on pourrait la contester sur n'importe quel motif. On pourrait dire que la loi est inconstitutionnelle pour n'importe quel motif. On peut toujours en tirer... Ce ne serait certainement pas un motif à première vue...

M. LAPORTE: D'où l'importance de ne pas en suggérer de vrais.

M. BERNARD: A mon sens, il n'est pas tellement vrai. Si vous me demandez si c'est un motif solide au point de vue constitutionnel...

M. LAPORTE: La conclusion que j'aimerais tirer est de savoir s'il est abusif, pour certains membres de la commission, de dire qu'étant d'accord sur l'objectif, nous préférons trouver un moyen de régler ça entre nous de façon définitive plutôt que de confier ça à la cour Suprême du Canada.

M. BERNARD: Cela ne peut jamais être définitif. Quelle que soit la solution que vous allez adopter, il y a toujours un avocat qui peut s'y opposer, il y a toujours un juge qui peut avoir une mauvaise opinion et ça peut toujours aller jusque devant la cour Suprême. C'est ce que vous me forcez à dire.

M. LE PRESIDENT: M. Cardinal.

M. CARDINAL: Je pense que nous sommes en train de prendre deux problèmes en même temps, avec tout le respect dû aux membres de la commission et aux experts. Prenons l'hypothèse où l'Assemblée nationale adopterait une loi pour abolir le serment. Prenons cette hypothèse séparément. Devant l'adoption de cette loi, trois possibilités — on me corrigera si je me trompe — peuvent se présenter. D'abord, un recours au tribunal; on y reviendra pour voir les distinctions. Deuxièmement, un désaveu du fédéral; oublions-le parce que ça fait longtemps qu'on ne l'a pas fait et que politiquement cela serait très mal venu. C'est une possibilité théorique, mais je l'écarte. Troisième chose, une référence ou un référé à la cour Suprême.

Reprenons le recours au tribunal. Selon qu'il y a une loi ou qu'il n'y a pas de loi d'adoptée par le Législature provinciale sur le serment, on a deux situations différentes. S'il n'y a pas de loi d'adoptée et que des députés ne prêtent pas serment, je vais être d'accord avec vous que les tribunaux ne pourront pas prendre connaissance du défaut de procédure qui, en bonne théorie, n'annule jamais une loi. Il en sera toujours ainsi dans le domaine parlementaire ainsi que dans le domaine des sociétés où s'ils ont agi de bonne foi en suivant les procédures normales même s'ils en ont oublié des petits morceaux, les tiers de bonne foi sont protégés. Mais si la Législature provinciale a adopté une loi, la situation ne me paraît pas la même. A ce moment-là ce ne sont pas les actes des députés qu'on va attaquer, ce ne sont pas les autres lois. Ce qu'un avocat va faire, c'est qu'il va essayer d'attaquer cette loi pour la faire déclarer inconstitutionnelle. C'est une possibilité.

M. BERNARD: Quelles seraient les conséquences de ça, M. Cardinal? Il n'y aurait aucune conséquence. Cette loi serait déclarée inconstitutionnelle mais toutes les autres lois resteraient valides quand même.

M. CARDINAL: Si vous me le permettez, j'ai dit ceci pour que l'on fasse la distinction car j'ai l'impression qu'on mêlait à la fois une loi comme le bill 38 et la loi pour modifier l'article 128.

M. BERNARD: Vous avez tout à fait raison.

M. CARDINAL: Deuxième chose. On peut donc procéder par une loi ou, dites-vous par un règlement. Si on procède par un règlement, je ne sais pas quelles seraient les conséquences. Est-ce que les tribunaux peuvent prendre connaissance des règlements d'une assemblée législative? Je ne le pense pas.

M. BERNARD: Non, non.

M. CARDINAL: Ici encore c'est une opinion. Je pense justement que les divers moyens qu'on a suggérés comme bons, moins bons ou meilleurs: règlements, lois de la Législature ou appels à Westminster ont des conséquences tout à fait différentes dans chacun des trois cas, dans l'hypothèse de conséquences qui pourraient se concrétiser.

C'est à la suite des questions de M. Laporte que j'apporte ceci. Je ne veux pas me muer en expert. Sur le fond de la question, je suis moi aussi d'accord que non seulement le serment d'allégeance mais tous les serments que l'on prête abusivement dans toutes les circonstances au Québec, y compris pour les déclarations d'impôt, sur les successions, et tout le reste, tout cela devrait disparaître parce qu'enfin il y a très peu de gens qui les prennent au sérieux et cela se fait comme simple formalité. Il ne faut pas pousser le puritanisme et l'hypocrisie au point de croire que des gens se sentent engagés en conscience, sauf de rares individus. On en

signe à la journée. On reçoit des cartes de tous les gouvernements et ça finit toujours par une formule solennelle, heureusement, aujourd'hui, ou par un serment.

Mais les deux points de vue de droit criminel et de droit constitutionnel équivalent à la même chose pour engager la conscience, disons, d'un fonctionnaire public, non pas sur le plan religieux, mais sur le plan de son devoir.

M. MORIN: Oui.

M. CARDINAL: Je n'entrerai pas dans ces discussions-là. Au début, nous avions abordé la discussion sur le plan juridique. Si nous optons pour le plan politique, là, évidemment, M. Laporte avait raison, cela va changer la tournure des discussions. Mais, sur le plan juridique, j'ai quand même un doute, advenant qu'une loi soit attaquée comme anticonstitutionnelle pour vous dire quelles en seront les conséquences. Le juge dira oui ou non. S'il dit qu'elle ne l'est pas, nous serons protégés. S'il dit qu'elle l'est, entre la période où quelqu'un aura intenté une action et la période où le juge se prononcera —juge avec un grand J, quelle que soit la cour — une question comme le projet de loi 38 se pose à ce moment-là: Que feront les gens affectés par une loi pendant la période d'incertitude? Cela n'est pas une question juridique, c'est une question "pratico-pratique". Il pourrait reproduire ce qui est arrivé dans certains cas, M. Bernard, vous le savez, où on a attaqué, par exemple, une loi concernant la fermeture des magasins, le dimanche, à Montréal. Je ne sais pas si c'était Morgan ou Birks.

M. MORIN: C'était Birks. M. CARDINAL: Bon, Birks. UNE VOIX: II y a eu Steinberg.

M. CARDINAL: II y a eu Steinberg aussi. Bien, pendant la période où on a fait un test, tous les autres se sont retenus. Il y en a eu qui ouvraient leurs établissements et il y en a eu qui ne les ouvraient pas. Quant aux autres actions qui étaient prises devant les tribunaux, personne n'osait en prendre connaissance.

M. BERNARD: Pour prendre votre exemple, disons que quelqu'un attaque la validité de la loi qui amende la Loi de la Législature pour abolir le serment. Si cette loi-là est déclarée ultra vires, inconstitutionnelle, cela, en soi, ne touche personne, je veux dire.

M. CARDINAL: Nous revenons au point où nous en étions.

M. BERNARD: Un avocat peut, à ce moment-là, une fois cette décision rendue, attaquer la validité d'une autre loi qui aurait été adoptée par des députés qui n'auraient pas prêté serment. C'est là qu'entre cette question de la procédure parlementaire, et, à moins que la jurisprudence soit renversée, les tribunaux n'iront pas voir la procédure parlementaire.

M. CARDINAL: Permettez, M. Bernard, il y a quand même une distinction et vous venez de la faire implicitement, "by implication" comme on dit dans le droit constitutionnel. Cela crée deux situations très différentes, si vous attaquez des lois parce que des députés n'ont pas prêté serment ou si — deuxième hypothèse — après qu'un jugement, disons de la cour Suprême, aurait déclaré la loi du serment anticonstitutionnelle, des gens viennent attaquer les lois entre-temps. Je ne sache pas en effet qu'il y ait là des procédures. J'y vois une nuance importante.

M. PAUL: M. Bernard, il y a une distinction à faire entre la Loi de la Législature et nos règlements. Nos règlements, tels qu'ils existent, n'ont jamais été sanctionnés par une loi.

M. BERNARD: Non.

M. PAUL: Dans toute l'histoire parlementaire, il n'y a jamais eu aucune loi de présentée pour donner force de loi à ce livre qu'on appelle le livre de nos règlements.

UNE VOIX: C'est le droit coutumier.

M. PAUL: Par conséquent, si nous présentons une loi, nous nous exposons au recours que vient de mentionner notre collègue, M. Cardinal, à l'effet qu'il peut y avoir même désaveu de la part du gouvernement fédéral, si nous adoptions une loi spécifique aux fins d'abolir la formule du serment d'allégeance.

D'un autre côté, si nous n'amendons que l'article 47 de notre règlement, à ce moment-là, en aucun temps, le gouvernement fédéral ne pourrait désavouer notre règlement, parce que la juridiction fédéral ne comporte qu'un droit de regard et de désaveu que sur une loi et non sur les règlements qui régissent les activités de nos membres à l'Assemblée nationale.

UNE VOIX: C'est ça. M. MORIN: D'accord.

M. PAUL: D'un autre côté, si nous apportons un amendement à l'article 47, est-ce que la ou les lois qui pourraient être adoptées, ou les lois adoptées postérieurement à cet amendement seraient d'une nullité relative ou absolue? Celui qui voudrait contester la validité d'une loi devrait d'abord s'adresser au tribunal pour faire contester la validité de l'amendement que nous avons apporté à nos règlements.

M. BERNARD: Non, non, je ne pense pas, M. Paul. Je pense justement que cela ne concerne pas les cours.

M. PAUL: Si vous permettez, je vais terminer, M. Bernard. J'ai posé la question mais non pas comme un principe affirmatif. Je dis donc que celui qui voudrait, par exemple, attaquer le bill 38, comme le mentionnait tout à l'heure M. Laporte, devrait d'abord prouver la nullité de la loi, parce qu'elle est constitutionnelle, comme conséquence de l'amendement apporté à un règlement de notre Assemblée nationale.

L'intérêt doit toujours être à la base de nos procédures ou de nos poursuites devant les tribunaux. Celui qui s'adresserait à une cour de justice pour contester, par exemple, le bill 38, devrait d'abord prouver que cette loi est inconstitutionnelle comme conséquence à un amendement apporté au règlement de l'Assemblée nationale. Cet individu ne devrait-il pas d'abord, avant de contester la validité juridique de la loi, contester la validité juridique de l'amendement apporté au règlement de l'Assemblée nationale? Ce serait peut-être un moyen de sortir de l'impasse dans lequel nous sommes placés et que tous reconnaissent comme étant une évidence; il nous faut nécessairement apporter des modifications à cette formule désuète de serment à la reine.

D'un autre côté, il y a des précédents dans l'histoire parlementaire du Québec. Ne serait-ce pas la référence à la cour d'Appel, d'abord, et ensuite la référence à la cour Suprême pour déterminer la validité d'un règlement? Ne faudrait-il pas amender soit l'article 47 et faire déterminer, par la cour d'Appel, si cet amendement est constitutionnel ou pas, à moins que l'on soumette un avant-projet de loi à la cour d'Appel, et peut-être, par la suite, à la cour Suprême, pour connaître le pouvoir que peut posséder l'Assemblée nationnale de légiférer en tel domaine?

Nous avons le précédent de la compétence de la cour Provinciale, qui a été soumis à la cour d'Appel et par la suite à la cour Suprême, et nous avons également le problème de la loterie de la ville de Montréal qui a été soumis à la cour d'Appel et subséquemment à la cour Suprême. Je me demande si, dans les circonstances, ce ne serait pas la meilleure façon de pousser plus loin notre travail en attendant cette opinion de notre cour d'Appel ou encore de la cour Suprême; ou bien d'amender l'article 47 de notre règlement qui serait alors à l'abri d'un désavoeu de la part du gouvernement fédéral.

M. MORIN: M. le Président, nous pouvons être d'accord avec plusieurs des interventions qui viennent d'être faites, notamment, avec celle de M. Cardinal. J'abonde parfaitement dans le sens de la distinction qu'il a tracée entre la loi et la simple absence de serment. Les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes.

La conclusion que l'on peut tirer de tout cela est qu'il y a plusieurs façons de résoudre le problème. Premièrement, c'est de ne pas insister pour que les députés prêtent le serment. C'est une solution qui était possible mais qui a été écartée. C'était la plus simple et c'est celle que les députés péquistes proposaient. Comme elle a été écartée, il y a un second moyen qui est d'amender le règlement, moyen également beaucoup moins compliqué que le troisième qui fait appel à une loi spéciale. Enfin, il y aurait le recours aux tribunaux qu'a suggéré Me Paul. Personnellement, je trouve que cela risquerait de faire tramer en longueur un problème sur lequel il ne semble pas y avoir de doute raisonnable. Il ne semble pas y avoir un tel doute qu'on ait à faire appel aux tribunaux de la sorte. C'est une question qui, il me semble relève de la prudence du gouvernement.

Au fond, il y a plusieurs types d'interprétation, M. le Président. En droit, on dit qu'il y a des interprétations restrictives et des interprétations libérales. Je pense qu'il y a également des interprétations craintives et des interprétations dynamiques. Il fut un temps au Québec où l'interprétation dynamique prévalait.

M. LE PRESIDENT: Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: Je voudrais poser une question à Me Bernard. J'ai remarqué tantôt que vous portiez beaucoup d'attention au fait que les tribunaux ne s'occupent pas de procédures parlementaires. Autrement dit, une loi qui serait adoptée dans un Parlement où les députés n'ont pas prêté de serment, à condition qu'il y ait eu sanction royale, selon vous, ça ne pose pas de problème. Voici la question que je voudrais poser: Si — est-ce que ça peut arriver, je ne le sais pas — parce que la loi aurait été adoptée dans un Parlement où des députés n'auraient pas prêté le serment, la sanction royale était refusée, qu'arriverait-il? Est-ce possible?

M. BERNARD: Cela ne serait pas une loi. C'est un problème tout à fait différent que vous soulevez là, M. Samson. Si la sanction royale était refusée, c'est sûr que ça ne serait pas une loi; ça ne deviendrait jamais une loi. A ce moment-là, c'est un problème différent qui concerne les pouvoirs respectifs de l'Assemblée ou des députés et le lieutenant-gouverneur. Jusqu'à quel point le lieutenant-gouverneur a-t-il la faculté ou la discrétion de refuser sa sanction à une loi qui a été adoptée par le Parlement? C'est un problème qui pourrait se soulever. Je veux dire que théoriquement ça

pourrait être un problème: quelle serait l'attitude du lieutenant-gouverneur?

M. SAMSON: Je pose la question justement parce que si, selon vous, ça pouvait se produire, c'est assez difficile pour nous de laisser siéger des députés qui n'ont pas prêté le serment.

M. BERNARD: II serait bon de mentionner que ça serait inconstitutionnel pour le lieutenant-gouverneur de refuser sa sanction.

M. CARDINAL: N'est-ce pas déjà arrivé, M. Bernard, au fédéral, durant le premier quart de siècle?

M. BERNARD: C'est probablement arrivé, parce qu'à ce moment-là les gouverneurs avaient une attitude paternaliste et surveillaient la légalité ou la justice des lois. Mais, dans l'état actuel de notre droit constitutionnel, le lieutenant-gouverneur n'est pas un juge; il n'a pas à se prononcer sur la légalité ou sur la validité intrinsèque d'une loi.

M. SAMSON: Cela demeure quand même hypothétique.

M. BERNARD: C'est possible, il n'y a rien qui l'oblige, sauf que ça serait contre les précédents constitutionnels, contre la coutume; ce serait inconstitutionnel.

M. SAMSON: Si on parle contre les précédents, quand on parle du serment d'allégeance, nous sommes un peu contre certains précédents. Je me demandais si ça pouvait se produire. A ce moment-là, quelle est l'utilité de penser à laisser siéger des députés sans prêter serment? Cela veut dire que nous devons peut-être nous orienter de façon différente en regardant surtout la modification du serment. Ce sont les questions que nous nous posons. Dans quelle proportion serait-il possible juridiquement de faire modifier le serment pour que ça ne nous apporte pas, comme l'a dit M. Laporte tantôt, plus de problèmes que nous ne voulons en exempter? De ce côté-là aussi, les représentants de notre parti sont entièrement d'accord pour qu'il y ait une modification. Nous le trouvons désuet et je pense que tout le monde autour de la table est d'accord là-dessus.

M. LE PRESIDENT: Le député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les démonstrations qu'on nous a faites, celle de M. Morin et celle de M. Bernard. Il est évident que l'on recherche actuellement un objectif à court terme, celui de régler le problème de ce serment d'allégeance que doivent prêter les députés à une autorité étrangère, soit madame Philip Mountbatten, appelée autrement Elisabeth II.

Alors, c'est le problème que l'on pose au fond. On cherche à l'heure actuelle, il me semble, par des faux-fuyants juridiques, à trouver un compromis qui satisfasse ceux de nos collègues qui, au départ, avaient refusé de prêter ce serment.

En ce qui me concerne, j'estime — et je l'ai dit en Chambre — que ce serment n'est qu'une pure formalité qui n'engage pas ma fidélité à l'endroit d'une reine que je ne reconnais pas. Alors, je crois que, ce matin, on veut tenir la discussion dans une dimension strictement juridique, en examinant quelles pourraient être les conséquences éventuelles de la prestation ou de la non-prestation du serment ou de la modification dudit serment.

Il est bien évident, il me semble, que l'on peut modifier ce serment et trouver une formule qui soit acceptable. D'ailleurs, nous l'avons fait pour un certain nombre de fonctionnaires, les policiers, etc., qui sont obligés de prêter un serment qui est, au fait, un serment de respect conforme à l'éthique professionnelle, au devoir qu'ils se sont engagés à accomplir. C'est ce genre de serment que l'on peut, à mon avis, exiger d'un député.

Je crois qu'il faudrait — je ne pense pas qu'on puisse le faire ici, ce matin — déborder de beaucoup le cadre juridique très restreint que l'on s'est tracé. Au fond, le problème qui se pose est triple. Il y a le problème de la monarchie, qui concerne le gouvernement central et les municipalités du gouvernement central. Il y a le problème de la confédération, qui est un problème politique de la plus haute importance. Il y a le problème de la constitution du Québec. Alors, qu'on s'entende ici ce matin, ou demain, ou un autre jour, pour trouver une formule de modification du serment ne changera rien de rien aux données de base du problème qu'il va nous falloir reprendre en profondeur lorsque nous aurons à examiner le système parlementaire et le problème des collèges électoraux, de la carte électorale et des modalités de scrutin.

Ce sont là tous les problèmes qu'il va nous falloir examiner. Ce que nous allons faire en modifiant la formule du serment, c'est tout simplement du travail à la petite semaine. C'est une sorte de faux-fuyant qu'on prend pour éviter d'aborder la question de fond, à savoir quelle est exactement l'autorité du Québec, à l'heure actuelle, en matière constitutionnelle et quelle est, éventuellement, l'autorité que le Québec devra se donner en matière constitutionnelle.

J'estime que toutes ces discussions que nous pouvons avoir — et j'ai été très heureux d'entendre les mémoires, enfin, de voir le texte de ces mémoires — sont des discussions d'ordre juridique qui ne peuvent nous amener qu'à une modification du serment, tel qu'on le prête à l'heure actuelle. Mais, le problème va rester intact. Il va falloir le reprendre ici, à la commission de l'Assemblée nationale ou à une

autre commission, et l'examiner en entier. C'est à la commission de la constitution, à mon sens, que ce problème devra être posé. Il y a eu en Chambre une proposition pour examiner les conséquences de certains systèmes politiques qui nous étaient proposés. Je crois que le temps est venu de se débarrasser d'un certain fétichisme. On a parlé du désaveu possible du gouvernement central de l'attitude de certains juges. Bien, si on est souverain en quelque façon, ou dans une certaine mesure, je ne pense pas qu'on doive s'occuper beaucoup d'Ottawa dans ce domaine-là, et encore moins des juges qui n'ont qu'à exécuter et à appliquer des lois.

M. le Président, essayons de nous entendre pour trouver une modification qui satisfasse nos collègues qui, d'ailleurs, ont prêté le serment — nous l'avons tous prêté, de gré ou de force, de gaieté de coeur ou non — et l'affaire va être réglée très vite. Mais, le problème de base ne sera pas réglé. Il y a, sous-jacents aux documents que nous avons devant nous, des problèmes beaucoup plus fondamentaux qui sont d'ordre politique. Si on aborde seulement ces problèmes par le biais du juridisme, je crois qu'on se place dans une perspective beaucoup trop restreinte et dans une optique qui est tronquée.

M. LAPORTE: C'est bien la preuve que ce problème nous a été amené contre notre gré et seulement, uniquement, totalement pour des raisons de principe. Jamais, on ne pourra imaginer qu'un parti politique a voulu tirer de ce hors-d'oeuvre quelque avantage politique. Cela n'entrera jamais dans notre esprit. Il arrive que cette commission parlementaire, où siègent les élus du peuple qui ont quelque chose à faire, a déjà consacré à ce problème extrêmement secondaire un temps précieux.

Nous ne l'avons pas voulu. Je crois qu'à l'avenir, nous devrions être assez hommes pour ne pas nous laisser entraîner de cette façon dans des avenues qui, encore une fois, ne règlent absolument rien de fondamental. Si nous changions le serment d'office, ici ce matin, demain il y aurait des gens pour dire ou penser dans la province de Québec: Voilà une autre victoire des Canadiens français. C'est complètement faux. C'est complètement secondaire. Nous sommes entrés — et sur ce point, je suis d'accord avec le député de Chicoutimi — dans des sujets qui ont du panache, cela plaît, mais qui sont infiniment secondaires par rapport à d'autres problèmes. Nous sommes encore en train de perdre un temps précieux.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je ne suis pas d'accord avec ce que vient de dire le député de Chambly. Je suis d'accord en partie, mais je ne suis pas d'accord lorsqu'il dit que nous perdons un temps précieux. Même si nous avons abordé le problème par le biais, et si la discussion que nous avons ce matin n'est que l'occasion d'ouvrir un débat beaucoup plus large, j'estime que nous n'avons pas perdu notre temps. Il ne faut pas penser qu'il y a seulement certaines gens qui ont refusé de prêter le serment d'office, qui ne sont pas d'accord avec le système qui est le nôtre. Il y en a un très grand nombre dans le Québec. Et d'avoir, par ce moyen qui nous paraît inutile ou oiseux, d'avoir par ce moyen engagé le débat, doit nous inciter, si nous sommes des parlementaires sérieux, à reprendre le débat, mais à ce moment, à le situer à son niveau réel qui est le niveau du système québécois qui nous régit actuellement. Et cela pose tout le problème de la confédération, de la constitution du Québec. Et je ne me refuserai jamais à discuter d'un problème aussi fondamental, aussi crucial que celui-là.

Et je rappelle pour mémoire, M. le Président, ce que je disais à la toute fin de la session — je ne parle pas de la session spéciale que nous avons eue —. Parlant de chacun de nous membres de l'Assemblée nationale, j'ai dit: Ne pensons pas, qui que ce soit d'entre nous, que parce que nous avons été élus, nous représentons à l'heure actuelle la volonté populaire et les aspirations populaires.

C'est pour cela que je crois, contrairement à mon collègue — même si je partage, en partie, son avis — que le débat que nous avons là, pour inutile qu'il puisse paraître, n'est pas inutile puisqu'il nous sensibilise personnellement et sensibilise la population à des problèmes beaucoup plus importants.

M. LAURIN: M. le Président, j'ai demandé la parole, il y a longtemps, longtemps.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je m'excuse, M. Laurin, je vous l'ai volée, je crois.

M. LAURIN: Je ne crois pas, moi non plus, que le temps soit perdu. Je rappelle incidemment que ce n'est pas le député du Parti québécois qui siège à cette commission, ce matin, qui a introduit la dimension politique du problème. C'est le député d'un autre parti. Je me serais bien défendu d'introduire cette dimension, parce que ce n'était pas du tout mon intention à cette commission, et ce n'était pas non plus l'intention des experts qui sont venus essayer de nous éclairer de leur lumière spécialisée.

Nous avons voulu poser le problème dans sa dimension juridique, certes, mais également nationale, et je pense que nous étions parfaitement justifiés de le faire, car comme vient de le rappeler le député de Chicoutimi, M. Tremblay, en ce faisant nous avons la certitude de représenter non seulement l'opinion des gens qui peuvent avoir voté pour un parti politique ou pour l'autre, mais l'opinion d'une grande majorité de Québécois.

Je ne partage pas l'opinion de M. Laporte selon laquelle cela n'a aucune importance, que

c'est oiseux, que c'est inutiïe. Car, je l'ai déjà dit...

M. LAPORTE: Je connais assez le docteur Laurin... Il interprète. Je n'ai pas dit que cela n'avait pas d'importance, cela a certainement de l'importance. Mais cessons d'orienter les Canadiens français vers des problèmes secondaires.

M. LAURIN: Vous avez dit que nous avons perdu...

M. LAPORTE: Encore une fois...

M. LAURIN: ... que nous avons fait perdre le temps des députés durant deux commissions.

M. LAPORTE: Ah là, je suis parfaitement d'accord!

M. LAURIN: Je ne crois pas que nous ayons fait perdre le temps des députés, parce que c'est tout de même important pour bien des raisons. Pour la raison que je viens de mentionner, cela représente une préoccupation d'une grande partie de la population, et, ensuite, parce que, comme vient de le dire M. Tremblay, c'est relié à tout le problème qu'il a soulevé lui-même: la monarchie, la souveraineté du Québec, jusqu'à quel point le Québec est-il actuellement souverain, jusqu'à quel point, actuellement, le Québec a-t-il le pouvoir de faire ou de défaire ses lois, ses règlements? Ce sont des problèmes importants.

Il y a aussi une autre raison et c'est une raison morale, celle-là. Toutes les fois qu'il y a un écart trop grand entre la réalité d'un peuple et le symbole de l'autorité, je crois que c'est très grave, parce qu'on en arrive à déconsidérer l'autorité. On l'a bien vu lors d'une certaine visite royale, il y a plusieurs années, lorsque les soldats qui étaient chargés de maintenir l'ordre faisaient face à la population au lieu de faire le salut à l'autorité royale qui venait. Cela manifeste quand même des sentiments dans une population, des sentiments importants et dont il faut tenir compte. C'est une texture sociologique importante, et je pense que si nous voulons nous masquer les yeux à cette chose-là, nous ne rendons pas justice à notre devoir de législateur et d'homme politique également.

Nous, nous constatons, abstraction faite de toute allégeance partisane, qu'il y a actuellement cet écart entre la réalité sentimentale — appelez-là comme vous voulez, en tout cas, c'est quand même une réalité — entre la réalité sentimentale québécoise et le symbole des institutions démocratiques qui est constitué actuellement par la haine.

Le seul but que nous avons eu et que nous avons encore aujourd'hui, c'est de raccourcir, c'est de faire disparaître même cet écart entre la réalité québécoise et le symbole qui incarne la validité de nos lois et également l'autorité de nos lois.

D'ailleurs, si ce n'était pas important, pourquoi aurait-on modifié le serment des fonctionnaires? Si on a modifié le serment des fonctionnaires, c'est sûrement pour obéir à quelque chose d'analogue ou de similaire dans la mentalité de ceux qui s'étaient fait une vocation de servir l'intérêt public. Moi, je me dis: Si on a fait une modification pour les fonctionnaires, si on a fait des accommodements en ce qui concerne les serviteurs de l'Etat, ne pourrait-on pas faire une modification pour ces autres serviteurs de l'Etat aussi importants, j'imagine, que les fonctionnaires que constituent les députés?

C'est la raison pour laquelle, nous mettant au-dessus de toute allégeance partisane, nous voudrions, cette fois, non pas peut-être vider le débat, parce que M. Tremblay a démontré que c'était impossible de le vider, mais au moins faire des réformes partielles qui sont dans la mesure de nos moyens, avec des moyens juridiques, sans avoir peur d'une façon excessive d'un désaveu venant de cours supérieures ou d'un désaveu venant d'une certaine partie de la population.

Je pense que c'est quand même notre responsabilité à nous également de nous situer du point de vue de l'intérêt national, du point de vue de l'intérêt du peuple québécois, et de voir en toute sérénité quels sont les moyens que nous pouvons adopter pour arriver à cet objectif qui semble partagé ici par tous les membres de la commission.

Je pense que le seul but des arguments juridiques qui étaient présentés est de nous montrer que nous pouvons le faire sans danger excessif, que nous pouvons le faire d'une façon dynamique, qui est quand même prudente et qui ne nous exposerait pas à des dangers trop grands, du fait que je verrais mal des cours de justice dont la fonction n'est précisément pas de légiférer, intervenir dans des choses qui, de toute évidence, répondent à l'assentiment de la grande majorité des Québécois et, encore une fois, abstraction faite de toute réalité partisane.

Je ne considère donc pas que nous ayons perdu notre temps et je considère que la meilleure façon de ne pas perdre notre temps, c'est de faire aboutir d'une façon prudente, mais quand même dynamique, les discussions que nous avons cette fois-ci, afin que nous en arrivions à une conclusion.

C'est la raison pour laquelle je souhaiterais beaucoup, à la fin de cette séance de la commission de l'Assemblée nationale, que notre commission décide de faire rapport à l'Assemblée nationale pour dire que nous avons examiné la question sous tous les angles et que cette commission étant donné que les obstacles se sont avérés mineurs à une modification, recommande à l'Assemblée nationale, d'amender soit la Loi de la législature, soit le règlement de l'Assemblée nationale de façon que toute personne élue pour siéger à l'Assemblée nationale

puisse le faire sans avoir à prêter serment au souverain.

M. LAPORTE: M. le Président, cette commission a ajourné ses travaux pendant un bon moment afin de permettre — et j'en suis très satisfait d'ailleurs — à Me Jacques-Yvan Morin de même qu'à Me Bernard de venir témoigner devant nous. Je trouverais pour le moins abusif que l'on nous propose ce matin une conclusion sans savoir si d'autres personnes ne sont pas désireuses de venir devant cette commission pour être entendues.

M. LAURIN: Je serais tout à fait d'accord.

M. LE PRESIDENT: M. Bertrand, s'il vous plaît.

M. BERTRAND: Nous avons un problème. Je ne discuterai pas de son importance ou de son inutilité. Ce n'est pas là le problème. Le problème, nous l'avons. Est-ce qu'il y a lieu de changer la formule du serment prêté par les députés? Dans le passé, à l'occasion de l'adoption de deux lois, la Loi de police et la Loi de la Fonction publique, nous avons changé cette formule. A l'heure actuelle, le serment prêté par les policiers comme par les fonctionnaires l'est à l'autorité constituée. Personne n'a soulevé de tempête, personne n'a porté ces cas devant les tribunaux. Disons que cela semblait passablement étanche.

Est-ce que le même phénomène se produirait si nous changions la formule du serment qui est, à l'heure actuelle, prêté par les députés? Même les experts que nous venons d'entendre émettent l'opinion qu'il est toujours possible, soit que nous adoptions un nouveau règlement ou une loi, qu'un individu — car n'importe quel citoyen peut le faire — porté le litige devant le tribunal. Il est toujours possible que cela soit fait. Les deux experts l'ont admis.

Dans les circonstances —je pense que le Dr Laurin le reconnaîtra, ainsi que tous les membres de la commission — il n'y a pas péril en la demeure. J'accepte le point de vue qui est exprimé à l'effet qu'il y a des symboles auxquels le peuple attache beaucoup d'importance. C'est vrai. Dans les circonstances, il y a déjà des formules qui ont été utilisées. Il y a un problème juridique. Qu'on le veuille ou non, il y en a un, c'est admis. Le Parti libéral, lors de l'adoption d'une loi concernant la compétence de la cour Provinciale, à l'époque, a soumis le projet de loi à nos tribunaux afin d'obtenir un avis juridique. On conviendra avec moi que l'avis juridique obtenu d'un tribunal vaut davantage que celui que l'on obtient d'un ou de deux avocats. Nous avons fait la même chose lorsqu'il s'est agi du problème de la loterie de Montréal, et je crois que nous avons bien agi. A ce moment-là, nous avons eu l'avis et de la cour d'Appel du Québec, et de la cour Suprême. La situation, encore là, a été étanche. Cela nous a permis, par la suite, d'adopter la Loi concernant les loteries, loi qui, à l'heure actuelle, produit, on le sait, des effets bienfaisants. A ce moment-là, je crois que le gouvernement a été prudent. Quand on a à exercer le pouvoir, il y a des éléments de prudence qu'il faut utiliser. En conclusion de tout cela, sans entrer dans les détails, il me semble que le gouvernement pourrait examiner, au conseil des ministres, s'il le veut, l'opportunité, dans les circonstances, de référer cette question à la cour. Je le déclare, il n'y a pas péril en la demeure. Personne ne pourrait blâmer la commission, ici, de manifester une certaine prudence là-dedans, même si nous poursuivons tous le même objectif, celui de changer la formule du serment. En obtenant un avis de notre cour d'Appel, l'aspect juridique du problème aurait été, d'après moi, réglé, car je verrais mal, le lendemain d'un avis juridique favorable, un citoyen du Québec attaquer le geste posé par la Législature par l'adoption d'un règlement. A première vue, je crois qu'un changement au règlement serait suffisant et beaucoup plus facile que d'adopter une loi.

M. BERNARD: M. le Président, si vous me le permettez, vous avez donné des exemples où la Législature a jugé bon de demander l'avis des tribunaux, mais il y a énormément de...

M. BERTRAND: Non, non, pas la Législature.

UNE VOIX: Le gouvernement.

M. BERTRAND : Le gouvernement.

M. PAUL: Le gouvernement.

M. BERTRAND : Mais pas la Législature.

M. BERNARD: En vertu d'une loi spéciale.

DES VOIX: Non, non.

M. BERTRAND: Non, non. Dans le domaine de la loterie, nous n'avions pas adopté de loi. Non, non. Il n'y avait pas de loi.

M. PAUL: II y a le bill 85 qui a été adopté.

M. BERTRAND: II y avait possibilité de prendre des procédures contre la ville de Montréal.

Nous avons soumis le problème suivant: Est-ce que la loterie, est-ce que le jeu organisé par la ville de Montréal est une loterie au sens du code criminel? Nous avons demandé un avis et nous l'avons obtenu.

Dans l'autre cas, il y avait une loi au sujet de la cour Provinciale. Une loi avait été déposée devant le Parlement et c'est le gouvernement qui, se prévalant du chapitre concernant la

référence aux tribunaux, a soumis le projet de loi afin de connaître l'opinion de la cour d'Appel sur la constitutionnalité d'une telle loi.

M. BERNARD: Mais il faut une loi spéciale si vous voulez en appeler à la cour Suprême, je pense. Vous pouvez soumettre la...

M. BERTRAND: Non. La meilleure preuve est qu'à la suite du jugement ou de l'opinion — je ne dirai pas du jugement, car la cour, à ce moment-là, émet une opinion — à la suite de l'opinion, émise au sujet de la loterie de Montréal par la cour d'Appel du Québec, il est prévu que l'on peut porter devant la cour Suprême...

M. BERNARD: Non, M. Bertrand. Si vous le permettez, le gouvernement peut demander une opinion à la cour d'Appel, mais il n'y a pas appel à la cour Suprême de cette opinion, à moins qu'il y ait une loi spéciale qui le dise. C'est la raison pour laquelle...

M. BERTRAND: La loterie, c'est allé jusque devant la cour Suprême.

M. BERNARD: Oui, parce qu'il y a eu une loi qui autorisait un appel à la cour Suprême.

M. BERTRAND: Mais non! M. BERNARD: Mais oui!

M. BERTRAND: II n'y avait pas de loi. Il n'y avait pas de loi concernant la loterie...

M. BERNARD: Vous avez passé une loi concernant la loterie pour permettre l'appel à la cour Suprême. En tout cas, ce n'est pas important. Ici, c'est un débat.

M. LE PRESIDENT: M. Samson.

M. SAMSON: M. le Président, j'ai écouté avec énormément d'attention l'intervention de M. Laurin. Il y a cependant, dans les suggestions qu'il fait devant la commission, l'article 3, avec lequel je ne suis pas tellement d'accord lorsqu'on dit avoir constaté qu'il n'existe aucun obstacle constitutionnel à l'abolition par le Parlement du Québec, agissant seul, de l'obligation du serment.

Nous avons entendu les opinions de plusieurs experts, jusqu'à maintenant. Nous avons entendu des experts du ministère de la Justice, donc du gouvernement. Nous entendons, aujourd'hui, des experts d'autres partis et, à mon point de vue, les opinions nous semblent opposées. Certains nous font reluire le fait que ce serait facile de régler le cas du serment; par contre, d'autres nous ont souligné le fait qu'il semble difficile de le régler. On se trouve devant deux opinions un peu contraires, et ce que j'ai remarqué, pour ma part, c'est que de toutes ces opinions, personne ne nous a dit — ni les experts que nous avons rencontrés il y a déjà quelques mois, ni ceux d'aujourd'hui — que difficiles ou faciles, quelles seraient les suites d'une décision. On ne nous a pas dit si, juridiquement, on pourrait le faire en toute sécurité. Qu'est-ce que ça pourrait nous apporter dans l'avenir? On ne nous a pas dit ça. On nous a dit que peut-être ça irait bien, peut-être qu'il pourrait se produire telle ou telle chose.

A mon sens, on ne m'a pas encore prouvé avec certitude qu'on peut le faire facilement sans que ça entraîne des conséquences. Ceci, nécessairement, nous ouvre, à mon point de vue, d'autres horizons. Je pense, par exemple — c'est mon opinion — qu'avant de se situer définitivement sur le cas du serment, il y aurait probablement intérêt à entendre, à cette commission, d'autres experts, sur d'autres sujets qui sont connexes. Que ce soit la réforme de la carte électorale, ou que ce soit sur certains points constitutionnels, comme il est prévu, je pense que la commission aura dans un avenir plus ou moins rapproché à entendre des experts là-dessus. Est-ce que, objectivement, nous avons intérêt à régler rapidement le cas, ou est-ce que, objectivement, nous aurions intérêt à entendre d'autres personnalités ou d'autres experts dans d'autres domaines qui sont connexes avant de se faire une opinion définitive?

C'est le point d'interrogation que je me pose et, actuellement, je suis un peu embrouillé pour me faire une idée définitive là-dessus.

M. LEDUC: M. le Président, lors de son intervention, M. Laurin exprimait un souhait. Le document que nous avons devant nous n'est pas un document sous une forme de proposition de façon que l'on soit obligé de demander à l'Assemblée nationale d'amender le règlement ou d'adopter une loi. C'est beaucoup plus un souhait qu'il a exprimé. C'est un document qui est intéressant à lire, j'imagine, mais qui n'a pas plus de conséquence que ça, à l'occasion de cette rencontre de la commission.

M. LAURIN: Si j'avais pu faire l'unanimité, j'en aurais fait une proposition!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): II est bien évident, M. le Président, que le document que nous a soumis le docteur Laurin n'est pas complet en ce sens qu'on n'a pas entendu beaucoup d'experts — un nombre assez restreint — et on ne peut pas passer immédiatement à des recommandations. Mais je crois qu'il faut quand même le retenir comme suggestion. Je serais bien prêt à proposer qu'on entende d'autres témoins à une séance ultérieure afin de confronter les experts, voir quel est leur point de vue et ainsi de suite. Est-ce que l'on doit, pour ça, faire appel aux tribunaux, leur demander une opinion? J'ai le plus grand

respect pour les honorables juges mais j'estime qu'à l'Assemblée nationale, on a quand même une certaine autonomie. C'est peut-être le seul endroit où on l'a, depuis quelques mois en tout cas. J'estime donc qu'il faudra entendre d'autres experts, M. le Président, à une séance ultérieure et en arriver ensuite, s'il y a consensus, à une proposition de modification qui obtiendrait l'agrément de ceux qui exigent cette modification, et je suis de ceux qui exigent une modification de ce serment parce qu'il est anachronique, nous le constatons tous, d'ailleurs.

M. LAPORTE: Est-ce que, M. Bernard, si vous me permettiez une dernière question, vous suggérez que tous autres moyens étant épuisés, nous songions à une adresse à Sa Majesté la reine?

M. BERNARD: Bien...

M. LAPORTE: Si je simplifie trop, veuillez me le dire.

M. BERNARD: ... j'ai essayé de développer mon texte en disant que la première solution, c'est d'amender le règlement. Je pense que la dernière, c'est le Parlement. On ne peut pas aller plus loin.

M. LAPORTE: D'accord. Mais est-ce qu'entre les deux — M. Bertrand a fait une suggestion qui est maintenant devant nous, M. Tremblay ne semble pas d'accord — vous imaginez une référence à un tribunal pour analyser les opinions qui ont été exprimées, notre droit de modifier seul l'article 128 ou notre règlement? Est-ce que cette référence vous paraît comme l'un des moyens à épuiser avant...

M. BERNARD: Je ne le crois pas. Je pense qu'il faut faire une distinction. Une référence aux tribunaux ne réglerait pas le problème. Ce n'est pas une façon d'abolir le problème. Ce serait une façon d'enlever les doutes...

M. LAPORTE: Bon.

M. BERNARD: ... que peut avoir l'Assemblée nationale ou la commission sur les pouvoirs constituants. Là se pose tout le problème de savoir jusqu'à quel point l'Assemblée nationale va se faire la maîtresse de ses pouvoirs constituants, jusqu'à quel point on va être timide ou audacieux dans l'interprétation.

M. LAPORTE: La timidité, ce n'est pas nécessairement de plonger quand on ne connaît pas la profondeur de l'eau.

M. BERNARD: Non, mais ce que je veux dire, c'est que cela ne règle pas le problème.

M. BERTRAND: Vous n'étiez pas timide tantôt quand vous disiez qu'il était fort possible...

M. BERNARD: Non, je ne voudrais pas...

M. BERTRAND: ... qu'un tel geste de la Législature puisse être attaqué. Je pense bien que Me Morin et vous-même allez reconnaître qu'un élément de prudence n'est pas un geste de timidité. Il s'agit de savoir, à cause des doutes que vous avez tous émis et qui sont fondés, et que j'accepte moi aussi, comme avocat, pas comme politicien, s'il y a une possibilité que ce soit attaqué et qu'il y ait un doute...

M. BERNARD: Oui, mais prenez, M. Bertrand, l'abolition du Conseil législatif, ce qui était une réforme de la constitution du Québec, de la Législature...

M. BERTRAND: Sur cela, on n'avait aucun doute.

M. BERNARD: Bien...

M. BERTRAND: Aucun doute.

M. LAPORTE: Cela a été possible pourquoi? Parce que la majorité du conseil a voté en faveur.

M. BERTRAND: Oui, par une loi. UNE VOIX: Autrement dit, par une loi.

M. LAPORTE: Certainement, une loi. Mais est-ce que vous pouviez abolir, vous, le Conseil législatif...

UNE VOIX: Non.

M. LAPORTE: ... sans l'assentiment du Conseil législatif?

M. BERNARD: Non, mais ce que je...

M. LAPORTE: Des gens qui sont vraiment d'avant-garde.

M. BERNARD: Par une loi, vous avez modifié la composition de la Législature.

M. LAPORTE: Oui.

M. BERNARD: Comment pouvons-nous nous poser la question, avoir véritablement des doutes réels pour que, par une même loi, une loi aussi valide, on ne puisse pas modifier...?

M. LAPORTE: On essaie...

M. BERNARD: On peut avoir des doutes sur n'importe quoi.

M. LAPORTE: ... d'analyser actuellement ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. L'abolition du Conseil législatif, tout le monde en a rêvé depuis cent ans. Vous savez combien de tentatives il y a eues et cela n'a réussi que le jour où le Conseil s'est fait hara-Kiri.

M. BERNARD: Par une loi.

M. LAPORTE: Bon. Il est possible que, sur d'autres questions, nous ayons des doutes raisonnables sur l'autorité que nous exerçons. Quand M. Tremblay dit: Cela fait également partie de l'autorité du juge de juger de la constitutionnalité d'une loi. Plutôt que d'attendre que des lois soient adoptées avec le risque que quelqu'un en conteste la validité constitutionnelle, vous apparaît-il absolument indéfendable que l'on aille demander cette opinion juridique avant?

M. BERNARD: M. Laporte, je ne veux pas m'engager dans un débat qui pourrait avoir des connotations politiques. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, comme expert en droit constitutionnel, je ne trouve pas, moi, que le doute soit assez fort pour justifier une référence à la cour. C'est mon opinion personnelle.

M. LAPORTE: D'accord. UNE VOIX: C'est personnel.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, tout à l'heure...

M. BERTRAND: Croyez-vous qu'il puisse y avoir des opinions contraires, oui? Les deux conseillers juridiques, le Bâtonnier de Québec, qui a quand même une certaine valeur lui aussi, M. Gagnon, et l'autre, M. Desjardins, sous-ministre à la Justice, partagent l'opinion contraire.

M. LAPORTE: Mais ni un ni l'autre ne s'est prononcé comme expert.

M. MORIN: En ce qui me concerne, j'admets qu'une référence à la cour d'Appel soit une solution. Mais, je ne crois pas qu'elle soit nécessaire; je crois qu'elle vous fera perdre un temps précieux. Mais si, pour rassurer les consciences hésitantes, c'est un moyen d'en sortir, oui, je l'admettrais. Seulement, encore une fois, je suis du même avis que M. Bernard là-dessus; le doute ne me semble pas suffisant pour qu'il soit nécessaire de demander cet avis consultatif.

M. PAUL: La cour d'Appel, à ce moment-là, confirmera vos opinions.

M. LE PRESIDENT: M. Tremblay (Chicoutimi).

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, tout à l'heure M. Laporte m'a non pas prêté des intentions, mais interprété un peu largement ce que j'ai dit. J'ai dit que le fait de demander l'opinion d'un juge, avec tout le respect que je dois à ces honorables messieurs, cela ne m'inpressionne pas plus qu'il ne faut.

Toutefois, pour rassurer les consciences timorées, parce qu'il semble que l'on soit assez timoré ce matin, ici, je pense que l'on devra entendre des experts sur ce dont nous avons parlé ce matin, sur la nécessité de demander l'opinion d'un tribunal, comme cela s'est fait dans certaines circonstances, pour la loterie, etc. J'ajoute que, pour la question de la loterie, lorsque nous avons demandé une opinion, nous l'avons demandée alors que la ville de Montréal avait procédé, et nous nous interrogions sur la légalité de ses gestes.

Il y avait aussi, en arrière-plan, les prérogatives du gouvernement central, ce qui changeait complètement la perspective et nous mettait dans l'obligation de prendre des dispositions assez précises pour savoir si les messieurs de Montréal avaient agi légalement en ce qui nous concernait. Nous, de toute façon, n'avions pas le droit de faire de loterie.

M. LE PRESIDENT: M. Cardinal.

M. CARDINAL: M. le Président, si vous permettez, je suis entièrement d'accord avec MM. Bernard et Morin, dans ce sens que l'expérience passée me fait me rendre compte bien facilement qu'on peut toujours avoir deux opinions contraires de deux avocats. Je dis cela avec tout le respect dû aux membres du Barreau.

UNE VOIX: Merci.

M. CARDINAL: Cela se présente dans chaque action.

M. PAUL: ... de notaire?

M. CARDINAL: Oui, je me fais présentement le notaire du diable.

M. SAMSON: Vous ne seriez pas le président de l'Assemblée?

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs!

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, on vous a attaqué.

M. CARDINAL: M. le Président, je ne vous ai pas attaqué. Seulement, ce qui me paraît un peu paradoxal dans le document de M. Bernard, en tenant compte et des implications juridiques et des connotations politiques et du problème que nous étudions, c'est qu'on puisse même songer à faire une adresse à la reine pour lui demander de ne plus lui prêter serment. S'il

faut qu'on se rende jusque là, je trouve que nous sommes vraiment — je m'excuse, encore une fois, avec tout le respect dû aux membres de la commission — farfelus. Cela me paraît absolument impossible logiquement, même si c'est possible juridiquement.

Pour ma part, je dis d'avance que je n'étudierai jamais cette possibilité-là. Je crois que ce serait vraiment retourner en arrière et refaire d'anciens précédents et, à l'occasion d'un problème qui est important, mais qui n'est pas le problème global, nous barrer déjà la route pour l'avenir.

Si on fait ça pour le serment, imaginez-vous ce qu'on va penser faire pour modifier la constitution interne. Alors, j'exclus au départ cette possibilité juridique.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.

M. LAURIN: Moi, M. le Président, je craindrais, pour employer une expression anglaise, parce que j'emploie parfois des expressions anglaises...

M. LAPORTE: A votre corps défendant.

M. LAURIN: A mon corps défendant. Si on faisait ça, si on demandait très respectueusement l'avis d'une cour, ça aurait l'air aux yeux de la population que le gouvernement "pass the buck" à un autre organisme, alors que, dans un domaine quand même assez clair au point de vue de l'opinion, il aurait tellement l'assurance de représenter l'opinion d'une grande majorité de la population. Peut-être que la population pourrait lui reprocher, à ce moment-là, de ne pas assumer complètement ses responsabilités.

M. PAUL: Est-ce que le fait que le gouvernement pourrait représenter l'opinion d'une grande partie de la population serait un avis juridique constitutionnel?

M. LAURIN: Toutes les discussions juridiques que nous avons entendues ce matin, nous ont montré que les dangers ne seraient pas aussi grands que ça. Mais, il ne faut pas quand même sous-estimer la force d'une loi de la Législature québécoise.

M. PAUL : Vous ne connaissez pas les avocats.

M. LAURIN: Encore une fois, on peut contester, mais ça ne veut pas dire que l'élément nouveau que constituerait soit une loi d'un gouvernement ou une prise de position officielle d'un gouvernement, n'empêcherait pas un bon nombre d'avocats d'oser contester une chose comme ça.

M. LAPORTE: M. le Président, le propre chef de cabinet du député de Bourget ayant déclaré: "II existe un autre moyen de modifier ou d'abroger l'obligation du serment d'allégeance, c'est le recours au Parlement britannique par l'intermédiaire d'une adresse à la reine, mais, ajoute votre chef de cabinet expert, on ne devrait y songer qu'une fois que tous les autres moyens auraient été épuisés." Devant un tel avis, vous imaginez-vous que le recours aux tribunaux pour tenter de régler ici même le problème devrait être écarté, que l'on épuise les moyens, mais qu'on ne s'occupe pas des tribunaux et qu'on aille directement à la reine?

M. LAURIN: J'attendais que vous citiez l'adjectif rocambolesque qui apparaît dans ce paragraphe.

M. LAPORTE: C'est parce que je n'ai pas compris ce que ça voulait dire.

M. le Président, la question est posée. Etant donné que M. Bernard nous suggère d'utiliser tous les moyens avant d'aller à la reine, nous suggérez-vous d'aller voir Sa Majesté avant d'aller devant les tribunaux québécois?

M. LAURIN: Sûrement pas, non. M. LAPORTE: Ah!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): II y a là une interprétation abusive du député de Chambly.

M. LAPORTE: Non.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si nous relisons bien le texte.

M. LAPORTE: Non, on me suggère d'aller à la reine quand on aura utilisé tous les autres moyens.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bernard a fait cette suggestion en insistant sur le fait que c'était rocambolesque. Le député de Chambly...

M. LAPORTE: Nous devrons y recourir. Vous me suggérez un moyen rocambolesque.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... se rappellera que l'on a déjà utilisé ce moyen et que cela avait fait rire tout le Québec. Alors, qu'il sait très bien que, dans l'opinion de M. Bernard, cela est écarté.

M.BERNARD: M. Laporte, si vous me le permettez, vous interprétez mon texte. Un renvoi à la cour n'est pas un moyen de régler le problème. Ce n'est pas un de ces autres moyen. C'est un moyen de rassurer les députés, un point, c'est tout. Ce n'est pas un moyen de régler le problème.

M. LAPORTE: Cela, c'est votre interprétation.

M. BERNARD: Non, faites une référence à la cour. Est-ce que ça règle le serment?

M. LAPORTE: M. le Président, la cour d'Appel, ce n'est pas un moyen, à votre avis?

M. BERNARD: Ce n'est pas un moyen d'abolir, de modifier ou de changer le serment?

M. LAPORTE: Ce moyen rocambolesque, on ne devrait y songer qu'une fois que tous les autres moyens auront été épuisés. La cour d'Appel, pour vous, ce n'est pas un moyen...

M. BERNARD: Ce n'est pas un moyen d'abolir le serment, la cour d'Appel. Vous demandez un avis à la cour d'Appel. La cour d'Appel vous donnera son avis, cela ne changera pas la loi.

M. LAPORTE: Si cette cour d'Appel nous dit que nous avons l'autorité de le faire, est-ce que cela ne vous paraît pas un sacré bon moyen, ça?

M. BERNARD: C'est-à-dire, si vous l'utilisez, cette autorité-là. C'est ça qui est le moyen. Comme cette commission-ci, ce n'est pas un moyen, en fait, On entend des opinions.

M. LAPORTE: Est-il abusif de vous dire que, personnellement, je préférerais de beaucoup demander un avis à la cour d'Appel, quitte à me faire dire non, plutôt que d'aller à la reine?

M. MORIN: M. Laporte, avec la distinction suivante: que l'avis de la cour d'Appel ne vous lie pas.

M. LAPORTE: Non, mais M. Morin... M. MORIN: Vous restez libre.

M. LAPORTE: ... vous savez fort bien que c'est quand même l'avis de la cour d'Appel qui peut, éventuellement, en imaginant que... être confirmé par la cour Suprême et en plus, il n'y a pas un seul avocat qui va contester une loi, jamais.

M. BERNARD: C'est seulement la loi, M. Laporte, qui va changer le serment.

M. MORIN: II faut que vous ayez le courage d'adopter la loi de toute façon.

M. LAPORTE: Mais pourquoi?

M. MORIN: De toute façon, il faut que vous passiez cette loi. Ce n'est pas la cour d'Appel qui peut modifier le serment.

M. LAPORTE: M. Morin, vous êtes venu ici nous donner des avis juridiques fort intéressants. Le courage — le vôtre, le nôtre — faisons-en chacun notre part.

M. MORIN: Oui, M. Laporte...

M. LAPORTE: C'est très facile pour vous de venir recommander. Nous, nous légiférons.

M. MORIN: Oui, d'accord.

M. LAPORTE: C'est là la différence.

M. MORIN: Le seul point juridique sur lequel il faut quand même insister, c'est que la cour d'Appel ne résoudra pas le problème pour vous.

M. LAPORTE: Non, non.

M. MORIN: Elle peut vous rassurer...

M. LAPORTE: M. Morin...

M. MORIN: ... mais elle ne peut pas...

M. LAPORTE: ... vous qui êtes venu nous dire qu'on était autrefois plus...

M. MORIN: ... dynamique.

M. LAPORTE: ... dynamique. Plutôt que de d'adopter des lois, de faire travailler très fort tous les députés qui ont été élus par le peuple nous, ensuite, risquer de voir ces lois contestées avec toutes les conséquences que cela peut impliquer, il y a aussi le réalisme qui dit : On va le savoir avant. On va le faire abolir, le serment, éventuellement, si c'est possible, mais le moyen risqué qui conduit aux mêmes conclusions que vous nous suggérez — ce n'est pas un manque de courage, ce n'est pas tout cela — c'est simplement le bon sens. Vous voulez absolument suggérer un moyen qui peut nous entraîner dans des conséquences extrêmement compliquées.

M. MORIN: Non.

M. LAPORTE: On veut les éviter, mais on veut atteindre la même fin que vous.

M. MORIN: J'ai dit, tout à l'heure, que je n'avais pas d'objection à ce que vous demandiez l'avis d'un tribunal. Je l'ai dit en réponse à une suggestion de M. Bertrand; c'est une possibilité. Mais, je dis que cela ne règle pas le problème.

M. LAPORTE: D'accord.

M. MORIN: II faut, quand même, qu'à un moment donné vous preniez vos responsabilités.

M. LAPORTE: Ce n'est pas le tribunal qui va abolir le serment, d'accord.

M. MORIN: C'est cela.

M. LE PRESIDENT: M. Samson.

M. SAMSON: M. le Président, je n'ai rien personnellement contre le fait que nous entendions les experts engagés politiquement. Mais je trouve malheureux que ce ne soient pas seulement des opinions que nous entendions et que cela tourne en débat. J'ai bien compris que les derniers experts que nous avons entendus se sont contentés de nous donner leur opinion. A l'avenir, j'aimerais, pour ma part, que, lorsqu'on consulte des experts, on ait des opinions et non des débats engagés entre...

M. LAPORTE: Oui, mais je crains...

M. SAMSON: C'est mon point de vue et c'est mon droit de l'avoir. M. le Président, je veux continuer, peut-être, pour souligner de nouveau ce que j'ai dit tantôt. Justement, au point où nous en sommes, cela justifierait peut-être que nous entendions d'autres experts pour nous éclairer davantage. Actuellement, il semble que plus on cherche à "éclaircir", plus on s'embrouille. Nous avons justement à la fin...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si on "éclair-cit" davantage, cela va nous éclairer.

M. SAMSON: Je me passerai facilement de ce que vient de dire le député de Chicoutimi.

Il a l'avantage de parler facilement, dans une très belle langue — que, d'ailleurs, il a apprise au Québec — et, M. le Président, je me servirai de la mienne.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): Vous auriez pu en faire autant.

M. SAMSON : Je pense que le fait que je sois élu député du comté de Rouyn-Noranda vaut bien le fait que, lui, ait été élu député de Chicoutimi. M. le Président, je voudrais qu'il s'en tienne à ses réflexions...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... acheté par un autre gouvernement !

M. SAMSON: Lorsque cela fera son affaire de parler, il parlera, il dira ce qu'il voudra. Mais quand je parle, M. le Président, je ne voudrais pas qu'on intervienne. Je vous demande de m'aider à m'exprimer en toute liberté, comme tous les députés peuvent le faire ici. M. le Président, on a dit tout à l'heure qu'en dernier recours, il faudrait peut-être faire une adresse à la reine, et on a dit aussi que ce n'était pas une chose qu'on espère et qu'on voudrait. Par contre, cela nous est dit par des gens qui viennent nous dire qu'il est très facile de régler le problème. Si c'est si facile, pourquoi semble-t-on obligé de nous suggérer qu'il faut aller à la reine, par dessus le marché? Et justement, je pense que c'est là qu'il serait important, non seulement d'avoir d'autres experts, mais que le débat aille plus loin et que l'on puisse entendre des experts dans d'autres domaines connexes, pour nous permettre de nous faire une juste opinion, une opinion franche, et justement de régler le problème en toute conscience.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Heureusement qu'on a parlé avant vous, on a déjà fait ces suggestions-là.

M. LAPORTE: Je ne crois pas que cette commission soit d'avis que M. Bernard ou M. Morin soient allés au-delà de ce que nous devons normalement attendre d'une discussion qui peut devenir animée; je pense que c'est resté dans le cadre...

M. BERTRAND: Au sujet de ce que M. Samson vient de dire à l'endroit des experts, je pense que les experts ont répondu très poliment à toutes les questions que nous avons posées. Cela a été beaucoup plus un dialogue. Quant à moi, je n'ai absolument aucun reproche à leur faire. Je les remercie des travaux qu'ils nous ont présentés.

M. LAPORTE: M. le Président, je voudrais souligner une chose...

M. BERTRAND: Maintenant, M. Samson demande...

M. SAMSON : Je n'ai pas voulu accuser les experts, j'ai dit que cela semblait être un débat, mais un débat poli tout de même, plus poli...

M. BERTRAND : M. Samson a demandé que nous entendions d'autres experts. Est-ce qu'il a des noms à suggérer?

M. SAMSON: M. le Président, si j'avais des noms à suggérer, je ne serais peut-être pas le député de Rouyn-Noranda. Je serais peut-être au ministère de la Justice, présentement.

M. BERTRAND: Non, mais vous avez dit qu'il y aurait peut-être lieu d'entendre d'autres experts.

M. SAMSON: Oui, parce que j'ai dit...

M. BERTRAND: Avez-vous des noms à nous suggérer?

M. SAMSON: Non, M. le Président, j'ai dit que là-dessus je rejoignais justement l'idée du député de Chicoutimi, pour une fois, que le problème est beaucoup plus grand que cela.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est-à-dire que vous aviez repris mon idée.

M. SAMSON: Peut-être après m'avoir entendu. Je suis d'avis qu'il y a peut-être lieu que le débat s'engage plus profondément et cela en toute objectivité.

Si on le prend plus profondément, s'il y a lieu de discuter d'autres domaines — par exemple, vous parlez de constitutionnalité, de réformes électorales, etc., c'est connexe à ça — a ce moment-là, il y a sûrement des experts qui pourront nous être utiles.

M. BERTRAND: M. Samson, les problèmes soulevés par le député de Chicoutimi, il n'a pas dit que nous devions les examiner tous ensemble. Lui disait que ça faisait partie d'un ensemble. Il y a quand même un problème précis.

M. SAMSON: Cela ouvrait le débat.

M. BERTRAND: Oui, mais il y a un problème précis.

M. BOURASSA: M. le Président, à deux reprises nous avons discuté de cette question du serment. Il semble bien qu'il faudra en discuter encore, mais ça retarde la discussion sur la réforme électorale. Alors, ce que je proposerais, c'est qu'on ajourne à une autre séance, sans fixer de date, pour voir s'il y en a qui seraient prêts encore à témoigner, mais que la semaine prochaine la discussion porte sur la réforme électorale, ou au début de l'autre semaine parce que j'ai la conférence fédérale-provinciale la semaine prochaine.

M. LAPORTE: II sera prévu que nous allons parler de la réforme de la carte électorale.

M. BOURASSA : La prochaine réunion, qui pourrait avoir lieu le mardi de l'autre semaine, porterait sur la réforme électorale.

M. LE PRESIDENT: Mercredi.

M. BOURASSA: Mercredi? Oui, d'accord.

M. LAPORTE: Pas le mercredi qui vient, l'autre.

UNE VOIX: Oui, oui, formellement, le 23.

M. BOURASSA: Oui, parce que j'ai la conférence fédérale-provinciale la semaine prochaine.

M. BERTRAND: Le 23 septembre à 10 h 30.

M. LAURIN: M. le Président, étant donné ce que vient de dire M. Bourassa, le chef du gouvernement, avec lequel je suis d'accord, j'aimerais déposer un document qui traite précisément de la réforme électorale et qui décrit un peu le genre d'étapes que nous pourrions suivre. Je le soumets simplement comme document pour les membres de la commission afin qu'on puisse...

M. LAPORTE: Faites-le donc distribuer et, lors de la commission, on pourra déposer le document.

M. BERTRAND: Le seul problème... M. LAURIN : Vous allez voir.

M. LAPORTE: M. le Président, avant que nous n'ajournions, je voudrais que soient ajoutés aux membres de la commission, et qui étaient présents ici ce matin — les noms seront inscrits dans les débats — M. Hardy, M. Parent, M. Pinard, M. Picard, M. Lafrance et M. Carpentier.

M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux au mercredi 23 septembre, à 10 h 30, à la salle 81-A.

(Fin de la séance: 12 h 34)

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